LES
POÈTES DU PEUPLE
AU XIXᵉ SIÈCLE
Poissy.—Imp. d’Olivier-Fulgence et Comp.
Par Alphonse VIOLLET
PARIS
LIBRAIRIE FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE
Place de la Madeleine, 24.
——
1846
{i}
TABLE |
La plupart des poètes du peuple qui figurent dans ce volume appartiennent à la classe des artisans; quelques uns seulement n’exercent aucune profession manuelle; mais tous ont ce trait de ressemblance qu’ils ne doivent leur illustration qu’à leurs dispositions naturelles et à leurs études propres. C’est à l’un ou à l’autre de ces titres, ou à ces deux titres réunis, qu’ils ont été admis dans cette {ii}collection. Tous, sans exception, sont des poètes de la nature. Mais il ne suffit pas d’être tailleur, maçon, cordonnier, pour y avoir droit d’entrée; il faut, avant tout, avoir fait ses preuves d’ignorance, et n’être sorti de cette ignorance que par des efforts personnels, sans autre guide que la vocation. Reboul et Hégésippe Moreau avaient reçu trop d’instruction pour prendre place ici. Nous avons dû épier avec une vive sollicitude les circonstances qui ont donné l’éveil à cette vocation, et, en les rapportant fidèlement, nous faisons assister nos lecteurs à l’éclosion naturelle du génie.
Les événements de la vie commune ont une grande influence sur la vie littéraire de ces pauvres gens qui, pour la plupart, ne peuvent compter sur le pain du lendemain. Mais les anxiétés poignantes, la misère, la faim même ne peuvent entamer que faiblement ces robustes natures, constamment vivifiées par la flamme de la poésie.
Le travail que nous publions ici sur ces poètes originaux nous vaudra, sans doute, les sympathies des hommes, assez nombreux aujourd’hui, qui placent au dessus de tout, le triomphe du caractère et de {iii}l’intelligence. Il est à remarquer que ce travail procède d’un phénomène unique dans les annales littéraires de la France, de la réunion de vingt poètes nés sous le chaume des campagnes ou dans les échoppes des villes. Cette irruption soudaine des classes laborieuses sur le domaine privé de la littérature devait éveiller de puériles susceptibilités, de ridicules jalousies. De là des antipathies calculées et des hostilités ouvertes. La politique elle-même, cette Diane chasseresse des temps modernes, flaira la piste de ces audacieux intrus, et il ne tint pas à elle qu’ils n’aiguisassent quelques bonnes flèches.
Nos Poètes du Peuple, tous imbus du sentiment religieux, sont tous animés d’un esprit de charité universelle. S’il leur arrive parfois de déplorer leurs misères personnelles, ils s’oublient bientôt eux-mêmes pour ne s’occuper que des souffrances de leurs frères; loin de s’emporter contre la rigueur de leur sort, ils se montrent calmes, patients, résignés, parce qu’ils espèrent.
Ce livre offre donc une lecture essentiellement morale; il doit encore exciter l’intérêt par la variété des événements de ces existences semées d’épreuves et d’orages. Le récit est aussi animé par les citations de leurs{iv} morceaux de poésies les plus remarquables, et, très souvent, ces citations naissent naturellement du sujet.
En réunissant ici, comme dans un tableau de famille, tous ces poètes naturels des diverses provinces de notre France, nous désirons les unir l’un à l’autre par les liens d’une estime et d’une affection réciproque. Après avoir lu notre livre, quelque distance qui les sépare, ils se connaîtront tous, et ils seront excités par l’exemple à de nouveaux progrès dans le bien.
Nous plaçons cette publication impartiale sous le patronage des hommes nationaux qui sont fiers de toutes les gloires de leur patrie.{1}
Constant Hilbey est né à Magny-le-Preulle, petite commune du Calvados, de parents pauvres et honnêtes. Son enfance fut heureuse. Sa mère, qui était une excellente femme plutôt qu’une excellente mère, ne contrariait en rien ses volontés. A six ans, on l’envoya à l’école. Son maître, fort sévère pour{2} ses camarades, était pour lui d’une douceur et d’une bonté sans pareille. Pendant sept ans qu’il fréquenta l’école, il ne reçut pas une seule correction; on ne le mit jamais en pénitence. Il est vrai qu’il apprenait facilement. Mais, né avec un vif sentiment de la liberté, il mettait en usage, auprès de sa mère, mille moyens captieux pour se soustraire à l’étude. On peut même avancer, sans crainte d’être contredit, qu’il s’arrangea de manière à perdre agréablement les quatre cinquièmes d’une période de sept années consécutives. Il se plaisait, surtout, dans ses longues récréations, à exécuter de petits ouvrages manuels de fantaisie qui n’étaient bons à rien. Que de milliers de morceaux de bois, subissant les caprices de son imagination enfantine, durent prendre, sous sa hachette ou sous son rabot, des formes essentiellement hiéroglyphiques!
Lorsque Hilbey eut treize ans, on parla de le retirer de l’école pour lui faire apprendre un métier. Fort affligé de cette nouvelle, son{3} maître offrit de le garder pour rien; mais cette offre fut refusée. Très contrarié lui-même, l’enfant s’attribua spontanément une vocation pour la prêtrise. Le père déclara alors que ses moyens ne lui permettaient pas d’envoyer son fils au séminaire. Admis à choisir parmi les états manuels seulement, Hilbey se prononça pour celui de tourneur. En compagnie de ses parents, il se rendit à Mézidon pour entrer en apprentissage chez un homme de cet état. Ce voyage fut inutile, parce que le tourneur demanda plus d’argent que le père de Hilbey ne pouvait en donner. Celui-ci déclara aussitôt qu’il n’y avait que le métier de tailleur qu’il pût faire apprendre à son fils. Ce ne fut pas sans verser beaucoup de larmes dans le sein de sa mère que l’enfant se décida à obéir.
Hilbey se souvient encore de l’impression pénible que lui causa la vue d’un grand tablier de toile, dans lequel il fut presque littéralement emballé par son patron. Toutes les fois qu’il sortait ou qu’il se trouvait en face de quelque{4} étranger, Hilbey avait grand soin de relever ou d’ôter ce tablier, étant très peu flatté de cet accoutrement, malgré sa spécialité. Ces précautions insolites n’échappaient point à l’œil exercé du patron, qui les regardait comme autant de témoignages flagrants de la haine de Hilbey pour son état.
Au bout de six mois environ, le patron de Hilbey venant à manquer d’ouvrage, envoya celui-ci chez un confrère qui ne devait pas le laisser chômer. Or, ce confrère était un fat de village, qui se mit à déplorer le malheur de Hilbey de ne pas demeurer chez lui, tailleur d’un talent réel, bien que modeste; avant six mois, Hilbey serait devenu assez habile pour aller travailler à Paris. Ces paroles décevantes produisirent le plus grand effet; Hilbey s’ennuyait au village, et Paris, vu de loin, est bien beau, même travesti par une enluminure. Le jeune homme fut enchanté. Il résolut de se brouiller au plus tôt avec son patron et sa femme; ce qui ne devait pas être difficile, grâce à la{5} mésintelligence qui avait constamment régné entre l’apprenti et ses maîtres.
A son retour, Hilbey trouva seule la femme du tailleur. Elle lui parla, comme à l’ordinaire, assez sèchement. Charmante occasion pour Hilbey de répondre avec insolence. Surprise de le voir plus changé, après cette excursion, que le perroquet de Gresset au retour de son voyage avec les dragons, elle le bannit comme un profane. Hilbey se voyait déjà sur la route de Paris. Malheureusement, le mari le fit avertir qu’il ne regardait pas son insolence à l’égard de sa femme comme un crime irrémissible, qu’il était le maître et qu’il le prouvait en lui ordonnant de revenir sur-le-champ.
Il fallut obéir.
Un autre incident rompit l’uniformité de ses deux années d’apprentissage: un jour, la femme de son patron eut, avec une voisine, une discussion qui ne tarda pas à devenir un grave différend. Toutes les ressources de la logique ayant été vainement épuisées par Hilbey pour{6} amener une conciliation, les deux parties en vinrent instinctivement aux mains. Effrayé de ce combat, dont il était le témoin involontaire, Hilbey voulut fuir; mais, pour gagner la porte, il fallait traverser le champ de bataille. En prenant ce parti, il s’exposait à recevoir force horions; il jugea donc plus prudent de sauter par une fenêtre qui se trouvait auprès de lui. Sa patronne se méprit sur la cause de cette évasion et lui cria: «Bon, va chercher du secours.»
Dès qu’il se trouva en pleine campagne, Hilbey délibéra longtemps avec lui-même pour savoir quel était le meilleur parti à prendre, dans cette grave circonstance. Il se décida à ne souffler mot de l’aventure, de peur de scandale, et à profiter de l’occasion pour faire une petite promenade. Ces deux résolutions lui parurent marquées au coin de la sagesse. A son retour, on lui signifia son congé. Ou lui dit, en outre, qu’il y aurait un procès et qu’il y figurerait comme témoin. En effet, l’affaire fut portée à Lisieux; la femme du tailleur se présentait{7} comme partie plaignante. Pour exciter à la fois l’intérêt, la pitié et l’indignation, elle allégua que, au moment où son adversaire l’avait accablée de coups, elle, plaignante, était dans un état de maladie qui la rendait incapable de se défendre. Quand vint l’audition des témoins, le président dit à Hilbey: «Vous, Constant, qui demeuriez chez la femme J....., savez-vous si elle était malade?—Monsieur,» répondit le jeune Normand sans hésiter, «je sais bien qu’elle se plaignait beaucoup, mais je ne sais pas si elle était malade.» Cette distinction imprévue excita une hilarité générale et prolongée. Ce fut là son premier triomphe.
Cependant, chez le tailleur où il apprenait son état, Hilbey avait pour camarade un jeune homme de vingt-cinq ans, qui avait un peu voyagé. Ce camarade, qui avait habité Rouen, lui parlait souvent de spectacle et s’empressait de lui raconter toutes les pièces qu’il avait vues. Ces récits transportaient Hilbey et redoublaient son envie d’aller à la ville. Sa dernière année{8} d’apprentissage expirait; il était libre; mais il eut le bon esprit de comprendre la nécessité d’exercer, pendant quelque temps, sa profession à la campagne, dans diverses localités. C’est ainsi qu’il alla travailler chez plusieurs tailleurs des environs; d’abord à Beuvron, puis à Guéville, à Saint-Pierre-sur-Dives, à Dozulé. Chose assez remarquable, ce fut cette femme qui, éveillant le génie poétique de Hilbey, eut le premier son de sa lyre; son âpre, rude et criard, qui l’aurait peu flattée, sans doute, s’il eût résonné à ses oreilles. En termes plus précis, Hilbey composa une chanson satirique sur cette femme, et se rendit coupable du même méfait à l’égard de plusieurs autres. Nous ferons observer, toutefois, que, dans ces satires, Hilbey s’escrimait seulement contre les vieilles et les laides; les jeunes et les belles glaçaient la verve de ce petit Juvénal de village.
Hilbey ignorait complètement les règles de la versification, mais pour remédier à cette ignorance, il composait ses vers sur un air qu’il connaissait. Il arrivait ainsi à l’emploi{9} assez exact de la rime et de la mesure; circonstance tout en l’honneur de la nécessité, et qui ajoute une preuve nouvelle en faveur du parentage de la musique et de la poésie.
Il tomba, un jour, entre ses mains, des vers de Voltaire contre les prêtres. Hilbey fut enchanté de leur rhythme, et comme, selon toute apparence, ses parents l’avaient élevé dans l’indifférence religieuse, il prisa fort les impiétés et les sarcasmes dirigés contre la religion, et il résolut de faire aussi des pièces de vers sur un sujet si plaisant.
C’était ordinairement à la veillée que Hilbey récitait ses pièces de vers à ses camarades, qui les trouvaient admirables. Quand il voulait produire un effet extraordinaire, il illustrait les scènes qu’il décrivait, en joignant la pantomime à la déclamation.
Pauvre jeune homme! tu ne pouvais leur dire qu’un souffle pestilentiel avait passé sur ta vive imagination, car tu l’ignorais toi-même; et l’homicide moral que tu commet{10}tais si souvent, tu n’en avais pas conscience! O dix-neuvième siècle! si vain et si bavard, pourquoi dans tes écoles primaires n’enseignes-tu pas la religion assez à fond pour prémunir la jeunesse aveugle contre les sophismes et les froides bouffonneries de l’impiété?
Enfin Hilbey quitta la campagne pour le Hâvre. Arrivé dans cette ville, mille impressions nouvelles agirent sur lui. La plus vive fut celle qu’il reçut au théâtre. Il n’eut que deux craintes: l’une de ne pouvoir demeurer à la ville toute sa vie; l’autre de ne pas gagner assez d’argent pour aller au spectacle.
Cependant Hilbey versifiait de plus belle, et, comme on n’est jamais auteur impunément, il pensa à publier ses œuvres, c’est à dire ses satires et ses chansons. Il alla donc trouver un éditeur, M. Morlent. Malheureusement la première pièce du recueil contenait une grosse faute de français; on y lisait:
A Mesdemoiselles *** qui m’avaient invité à aller chez EUX.{11}
M. Morlent n’en lut pas davantage; il dit au jeune auteur qu’il ferait mieux d’aller à Paris, parce que, ajouta-t-il, en employant le langage commercial du lieu, le Hâvre n’offrait pas assez de débouchés. Hilbey prit ce conseil au sérieux. Comme il faisait ses préparatifs de voyage pour Paris, quelqu’un vint le prévenir, qu’un M. Andrieu, professeur de langues, avait vu de ses vers chez un tailleur, et qu’il désirait lui parler. Hilbey courut en toute hâte chez M. Andrieu. Or, voici à peu près ce que lui dit ce professeur: «J’ai vu des vers de votre façon qui sont pleins de fautes, mais aussi pleins d’esprit, et, avec des leçons, je suis convaincu que vous feriez quelque chose de bien.»
Que ses vers fussent pleins d’esprit, Hilbey le crut sans peine; mais qu’ils fussent pleins de fautes, ce fut pour lui une nouvelle aussi surprenante qu’imprévue. A quoi se réduisaient donc les mille et une louanges qu’ils lui avaient values? Bientôt revenu du léger abattement que lui avait causé cette fâcheuse nouvelle, il ne{12} songea plus qu’aux moyens de s’instruire. M. Andrieu ne demandait pas mieux que de lui donner des leçons, au prix modique de cinq francs par mois; mais Hilbey ne croyait pas gagner déjà trop pour se nourrir, s’entretenir et aller au spectacle, justifiant ainsi, sans s’en douter, la justesse de ce vers d’un poète latin: Scire volunt omnes, mercedem solvere nemo[A]. Tout devait céder à son extrême désir de devenir auteur: le soir, au lieu d’aller souper à l’auberge, il achetait un pain de deux sous qu’il mangeait dans sa chambre. Il lui arriva même plus d’une fois de dîner de la même manière. Grâce à ce triste régime, il parvint à économiser les cinq francs qu’on lui demandait pour l’instruire. Les progrès de Hilbey furent rapides avec M. Andrieu, poète lui-même, et qui avait pris en amitié le jeune tailleur. Grâce aux leçons assidues et zélées du professeur et à un traité de versification qu’il{13} avait donné à Hilbey, celui-ci parvint assez promptement à faire des vers sans trop de fautes. La confiance lui vint avec le savoir, et, quand il eut rimé une pièce de vers, il alla la montrer à M. Andrieu, qui, tout émerveillé, parla de suite de la faire imprimer dans la Revue du Hâvre.
Hilbey fut enchanté. M. Andrieu composa un article en prose, qui devait servir de préambule à cette pièce de vers. Le rédacteur de la revue était précisément le même M. Morlent, qui lui avait conseillé naguère d’aller à Paris. M. Morlent trouva les vers très bien, et se souvint très bien, aussi, de la grosse faute de français de Hilbey—chez eux—qui lui avait valu sa moquerie.
L’apparition de ce morceau et l’insertion de plusieurs autres fragments poétiques de Hilbey dans la Revue du Hâvre attirèrent l’attention sur lui. Un jeune poète de Paris, qui passait alors par le Hâvre, lui adressa des vers dans le journal et lui donna mille marques d’intérêt. Ce{14}pendant Hilbey travaillait toujours à sa comédie, et M. Morlent l’engageait à la terminer pour la faire jouer. Cet homme bienveillant, recommandable à la fois par les qualités de l’esprit et du cœur, lui conseilla de composer quelques pièces de vers pour les ajouter à celles qu’il avait déjà, lui promettant de les éditer. Hilbey promit d’abord de suivre ce conseil, puis il se ravisa, s’étant rappelé un autre conseil que lui avait antérieurement donné le même M. Morlent: le conseil d’aller à Paris. Cependant il ne put exécuter ce projet immédiatement, sa comédie n’étant pas achevée, et il comptait beaucoup sur elle pour s’ouvrir la carrière des lettres.
Il quitta le Hâvre par une circonstance fortuite mais décisive: le manque d’ouvrage. C’était dans la mauvaise saison. Un tailleur de Fécamp se trouva, un jour, dans l’auberge où mangeait Hilbey. Il était venu au Hâvre pour se procurer un ouvrier; il proposa au jeune homme de l’emmener avec lui. Hilbey accepta,{15} et, le lendemain, il partit pour Fécamp, avec son nouveau patron, se promettant bien de ne pas rester longtemps dans cette petite ville, qui ne pourrait rien offrir à ses goûts nouveaux; petite ville sans théâtre, sans journaux, sans littérature, et qui, peut-être, ne se douterait pas du bonheur de posséder dans ses murs, un poète fort connu...... au Hâvre.
Là, pourtant, sortie d’une famille honnête et aisée, vivait une jeune fille du plus heureux naturel, aimable, spirituelle, gracieuse, qui devait pousser Hilbey sur la scène du monde. Née quarante ou cinquante ans plus tôt, elle eût passé tranquillement ses jours dans une bonne ferme de la Normandie ou dans un comptoir de Caen ou du Hâvre. Le progrès si vanté du siècle devait lui faire une autre destinée. Hilbey l’appelle Séraphie dans ses poésies, et c’est d’elle qu’il a dit:
Précisément vers et romans n’agissent qu’avec trop de force sur une jeune tête de dix-sept ans, et ce n’est ni dans la Nouvelle Héloïse ni dans les romans modernes qu’on trouve les meilleures règles de conduite.
Enfin, Hilbey arriva à Fécamp. Son nom remplit bientôt la petite ville. Un ouvrier tailleur qui faisait des vers! Des vers qui avaient paru dans la Revue du Hâvre! Le fait était unique à Fécamp. On en parla beaucoup; on en parle sans doute encore.
Hilbey ne tarda pas à se marier à la jeune personne dont nous venons de parler. Il vint se fixer à Paris pour y courir les chances de la vie littéraire. Il y débuta par la publication d’un volume de vers intitulé Un Courroux de poète, dont les sujets, pour la plupart, se rapportaient aux divers événements de sa vie. On trouve dans ce recueil de la grâce, de la facilité, de la verve et une science rhythmitique donnée peut-être par la nature seule. Hilbey fit jouer ensuite, à l’Odéon, Ursus, comédie en{17} un acte et en vers, qui n’obtint qu’un succès médiocre. Fort jeune encore, Hilbey peut parvenir à se faire un nom dans les lettres.
Nous donnons à nos lecteurs deux pièces différentes de ton et de sentiment, de ce jeune auteur pour mieux faire apprécier son talent.
Né à Reims, de parents pauvres, Gonzalle s’appliqua de bonne heure à cultiver son intelligence. Il apprit promptement à lire et à écrire chez les Frères. Il fut conduit à Paris, à l’âge d’environ sept ans. Son goût décidé pour l’étude ne fit que s’accroître dans la société intime de sa mère, qui, toute femme du peuple{26} qu’elle était, lui faisait lire près d’elle Homère, Thucydide, Tacite, Montesquieu, Corneille, Racine, et quelques poètes modernes. C’est sous ces nobles et grandes influences que se développèrent les dons précieux qu’il avait reçus de la nature.
A douze ans, Gonzalle perdit sa mère. Pour ces deux âmes d’élite qui avaient vécu dans une si étroite communion d’idées et de sentiments, la séparation fut terrible. Sans doute, pendant sa maladie, qui fut longue et douloureuse, la pauvre femme vit se dresser devant elle, comme un fantôme, l’avenir de son fils; elle s’accusa d’imprudence, peut-être, pour avoir découvert l’arbre de la science à cet enfant pauvre et sans appui. Dans son agonie, elle recommanda l’orphelin au jeune médecin qui la soignait. Le médecin par bonheur était sensible et généreux[B]. Il promit à la mourante de veiller sur son enfant.{27}
Le docteur destinait son jeune protégé à une profession libérale, mais, mieux inspiré, celui-ci comprit qu’il devait avant tout, apprendre un état. Il eut une véritable vocation pour celui de passementier. Il fut donc mis en apprentissage, d’après sa volonté formelle. Un an s’était à peine écoulé qu’une violente maladie de poitrine mit ses jours en danger. Les secours de l’art et les soins les plus tendres lui conservèrent la vie; mais, peu de temps après, son ami, son bienfaiteur, son second père, M. Savatier descendait lui-même au tombeau.
La douleur de Gonzalle fut poignante; il restait seul, après ce second coup. Sa santé était, d’ailleurs, trop affaiblie pour qu’il pût continuer son état de prédilection. Que faire alors? Il se présenta une occasion pour celui de cordonnier, qu’il n’aimait pas. Il fallut être cordonnier.
C’est à cette époque de sa vie que Gonzalle comprit parfaitement quels obstacles sans cesse{28} renaissants suscitait au travail purement mécanique le travail de la pensée. Il travaille, sans doute, car la faim est là avec son ardent aiguillon; mais l’ouvrier s’occupe-t-il avec goût de son état? Se pique-t-il d’y introduire des améliorations et des perfectionnements? Non, car l’homme d’intelligence revendique ses droits; dès que la besogne du jour est terminée, Gonzalle parcourt avec empressement les champs incommensurables des sciences, des lettres et des beaux-arts, sans qu’il y ait la moindre place dans son esprit pour le cuir, l’alêne et le tranchet.
Quand l’ouvrier a eu une longue veine de travail, il peut, avec une stricte économie et une tempérance exemplaire, parvenir à faire quelques légères économies; mais le plus beau trésor pour Gonzalle, c’est l’instruction; l’instruction vaste, sans bornes. Aussi, dès qu’il a quelques francs, il achète des livres qu’il ne peut lire qu’en prenant sur son sommeil, et, quand il manque du nécessaire, il les revend{29} à vil prix. Ce manège mainte et mainte fois répété, orne son esprit aux dépens de sa bourse et de sa santé. Plus de mille volumes passèrent successivement par ses mains.
Epuisé par ces études incessantes, Gonzalle, dans le cours de deux ans, alla expier trois fois sur un lit d’hôpital son irrésistible penchant. Il comprit qu’un grand sacrifice lui était commandé: qu’il fallait quitter Paris. Moins excitée, dans la province, sa soif de savoir s’éteindrait peut-être; et puis, pour arriver au lieu qu’il avait choisi, il fallait faire quatre cents lieues! Que de milliers d’objets nouveaux allaient recréer sa vue! que d’impressions sans cesse renouvelées! La nature de l’homme est si mobile! Et puis la fatigue de la route; puis encore la difficulté des occasions; tout cela réuni pouvait amener telles modifications dans son être qu’il fût, en fort peu de temps, tout à fait méconnaissable. Vaines espérances! nouvelle robe de Déjanire, la science ne cessa de le dévorer pendant ses longues pérégrinations.{30} Découragé, il revint dans sa ville natale, où de nouveaux efforts pour étouffer le démon de la poésie furent également inutiles. Vaincu dans ce duel fatal, le jeune athlète tira de son cœur ulcéré ces vérités amères:
Ces pensées désolantes mais justes se produisent avec plus de force encore dans les vers suivants:
Mais le poète n’est pas toujours triste et sombre; quand l’amour l’inspire, ses vers sont empreints d’une grâce, d’une fraîcheur, d’une vérité de sentiment, qui rappellent Properce et Tibulle.
Il dit quelque part:
Une pièce remarquable, intitulée la jeune{32} fille mourante, nous dévoile toute la tendresse de son âme. Nous en citerons quelques strophes:
Mais le trait caractéristique de son talent,{33} c’est l’abondance de la pensée mise en relief par une forme vive et pittoresque:
Gonzalle a été très varié dans ses poésies, mais sans parti pris à l’avance, et l’inspiration se fait sentir au même degré dans les morceaux les plus opposés.
Nous donnerons comme dernière citation la pièce de vers intitulée: Une salle d’asile à Reims, parce qu’elle a quelque rapport avec le sujet principal de notre livre:
A Madame Poisson.
Pour faire la part de la critique, Gonzalle prend peu de souci de la forme; il revient rarement sur son premier jet; spontané, il exhale{39} ses impressions plus qu’il ne les creuse. On trouve encore à reprendre dans ce jeune poète des locutions inélégantes, des expressions impropres et négligées; deux vices souvent jumeaux, la déclamation et l’exagération. Tel qu’il est aujourd’hui avec ses défauts et ses qualités, la verve, la grâce et l’énergie, il a droit aux plus vives sympathies et aux encouragements.
Une imagination vive et rêveuse, une humeur fière et inquiète, une excessive sensibilité à l’endroit des beautés de la nature, telles étaient les principales dispositions qui se faisaient remarquer chez le jeune Durand, même lorsqu’il n’avait pas dépassé la limite de l’enfance. A l’âge de quatre ans, nous le voyons{44} déjà parcourir la forêt de Fontainebleau pour y faire une charge de bois, souvent énorme, mais qu’il trouvait légère, en songeant que sa pauvre mère, tout récemment veuve, et ses jeunes sœurs, dont quelques parents prenaient soin, le jour, et ramenaient, le soir, se réchaufferaient, grâce à sa laborieuse excursion. A huit ans, déjà perçait en lui un sentiment de liberté qui le rendait vagabond, inquiet et peu joueur. Il partait, le matin, avec un morceau de pain dans sa poche, et, toute la journée, il errait dans la forêt, cherchant des fruits sauvages, des nids d’oiseaux, tuant des vipères, et ramassant du bois.
Cette existence tout extérieure, mélange de mouvement et de contemplation oisive, devait indisposer l’enfant contre la règle et la discipline d’une école. Aussi ce fut avec beaucoup de peine que sa mère parvint à le faire entrer en pension chez M. Rabotin, aujourd’hui employé à la mairie de Fontainebleau. Il avait dix ans et demi quand il entra dans cette école, et il y resta{45} à grand’peine jusqu’à l’âge de douze ans. Cependant il remporta les premiers prix d’arithmétique et de mémoire.
Pendant son court séjour dans ce pensionnat, le jeune Durand rapporte un trait de caractère personnel que nous croyons devoir reproduire:
«Les enfants,» dit-il, «admis à faire leur première communion, devaient, la veille, se mettre aux genoux du maître, en le priant d’excuser leurs fautes et de leur donner sa bénédiction. Nous étions douze; onze vinrent en ma présence, et sans balancer, s’acquitter de ce devoir; seul, je refusai obstinément de me soumettre. Je n’en fis pas moins ma première communion, au grand étonnement de mes camarades.»
«Cependant j’étais religieux à ma manière; déjà je trouvais que les cérémonies du culte n’étaient point d’assez dignes interprètes entre la créature et le créateur[E]. Je me reportais avec{46} enthousiasme aux jours où, sans connaître la portée de cet acte, à l’ombre de ma forêt, je{47} m’agenouillais sur le gazon, devant le soleil du soir, plein d’admiration pour un si magnifique tableau.»
Après avoir reçu cette instruction très élémentaire, il entra en apprentissage chez un menuisier-ébéniste de Paris. Les moments dont il pouvait disposer se passaient en visites aux musées et en promenades au bois de Boulogne. C’est là qu’il trouvait des objets plus en harmonie avec ses dispositions secrètes, avec son amour pour la poésie; amour qu’il croyait inné chez lui et qu’il couvait, dès l’âge de dix ans, sans vouloir s’ouvrir à personne, de crainte d’être raillé.
A quatorze ans, il revint à Fontainebleau;{48} mais déjà son imagination exaltée, peut-être, par les merveilles des arts que Paris avait offertes à ses yeux, le transportait, loin de son pays, à des distances fabuleuses. Il partit pour Anvers, où il passa une partie de l’hiver de 1812. C’est là que, pour la première fois, il jouit du sublime spectacle de la mer; c’est là sans doute que ses idées s’étendirent, s’élevèrent. Toutefois le moment était venu où les rêves de l’imagination allaient s’envoler dans de terribles réalités: l’armée française venait d’être ensevelie presque tout entière dans les neiges de la Russie; les hommes d’action devenaient les hommes de la patrie en danger. Durand résolut de paraître parmi eux: il partit, après avoir vaincu la répugnance de sa mère, comme volontaire dans le premier régiment des gardes d’honneur, la ville de Fontainebleau ayant payé son équipement. Ses camarades avaient, la plupart, beaucoup d’argent, tandis que lui n’avait pas un sou; ils avaient reçu une brillante éducation, et lui n’était qu’un ignorant. Là, comme{49} à l’école, Durand attira l’attention sur lui: il composa quelques vers héroïques, pour prix desquels il n’obtint de son capitaine qu’une verte semonce. Mais il n’était pas homme à se décontenancer facilement, et, dans une réponse pleine de fermeté, d’esprit et de convenance, il démontra parfaitement que cette semonce n’était qu’un anachronisme. Le capitaine, homme d’esprit, sans doute, lui fit la meilleure des répliques en le nommant brigadier.
L’abdication de Napoléon, au commencement de 1814, rendit Durand à sa mère, qui faillit mourir de joie et de saisissement en le revoyant. Il avait vingt ans; le goût de la poésie et des voyages revint le tenter, et, au mois de mai, il partit pour Nantes, ayant un sac plus garni de livres que d’habits, et douze francs dans son gousset.
Jeune, ardent, passionné, il rêvait une nouvelle Odyssée, et, comme première halte de ses courses maritimes, il avait choisi l’Amérique.{50} Des causes purement matérielles le réduisirent à s’embarquer seulement pour Bordeaux. Là, il apprit le débarquement de Napoléon. Rappelé sous les drapeaux où l’attendait le grade de sous-lieutenant dans la garde nationale mobilisée, il partit. Les Vendéens l’arrêtèrent à Saint-Maixent; mais, au bout de trois semaines, il fut arraché de leurs mains par la gendarmerie. Il se remit en route et arriva à Soissons, le jour de la bataille de Waterloo.
Après la seconde restauration, il retourna à Bordeaux. Bientôt il parcourut tout le midi de la France, visitant tous les musées, tous les édifices, toutes les ruines. Mais depuis longtemps le fantôme de Rome apparaissait à son imagination ardente, et, le printemps suivant, il prit la route de Lyon, par la Bourgogne, se dirigeant sur l’Italie, dont il commençait à parler la langue.
Durand résida quelque temps à Genève. Aux heures où il pouvait déposer le rabot, il{51} gravissait le mont Salève, et, quand il en avait atteint le sommet, il promenait ses regards investigateurs sur les horreurs sublimes que présentent les glaciers du Mont-Blanc et rassérénait son âme en les reportant sur les riantes campagnes situées dans la plaine. Il traversa successivement les Alpes et le Simplon, en proie aux émotions les plus profondes. Il y avait sans doute de la témérité à s’aventurer sur des sentiers étroits, bordés des deux côtés par d’affreux précipices; à pénétrer dans des forêts peuplées de loups et d’aigles affamés; à couper le fil de torrents impétueux en ayant de l’eau jusqu’à la ceinture; mais il puisait dans ces solitudes sauvages une énergie surnaturelle qui élevait son cœur au-dessus de tous les dangers.
«Qu’avais-je à craindre,» s’écrie Durand, en parlant de son voyage à travers ces montagnes, «n’étais-je pas sous l’aile immense de la Divinité, et même dans le ciel, puisque je voyais les nuages à mes pieds?»{52}
Durand se rendit ensuite à Milan; après y avoir séjourné quelque temps, il se mit en marche pour les Apennins, d’où il aperçut les deux mers; puis gagna Florence. En visitant la célèbre galerie de cette ville, il lut ces mots écrits sur la porte:
La toilette du menuisier-voyageur était plus que modeste; aussi, à sa seconde visite, un monsieur vint le prier poliment de sortir. En homme qui connaît sa valeur, Durand lui répondit en latin: Quem me esse putas? non exeo[G]. Aussitôt le monsieur lui fit des excuses et lui offrit d’être son guide. Durand remercia en français, tout en refusant, et continua de parcourir les salles comme un artiste de la nature qu’il était.
Enfin, le 10 août, jour mémorable dans ses notes de voyage, Durand, mourant de soif et{53} couvert de poussière, plongea sa tête et ses mains dans le Tibre, qui fut loin de répondre à l’image qu’il s’en était faite. Les monuments imparfaits de Rome, les souvenirs grandioses qu’elle évoque, et la solennelle majesté dont se revêt son existence présente agissaient puissamment sur son imagination et le jetaient dans de longues rêveries, auxquelles nous devrons sans doute un livre intéressant. Mais un fait des plus vulgaires vint l’arracher à cette vie mêlée de travail manuel, de méditation, d’étude et de poésie: la police romaine avait pris ombrage de ses interminables promenades, même aux heures de la plus grande chaleur, et il lui était suffisamment démontré que Durand devait être, au moins, un personnage suspect, puisqu’il n’était entré en Italie qu’à l’aide d’un passe-port français. En vain Durand déploya-t-il toute son éloquence auprès de notre consul pour prolonger son séjour dans une ville où il n’était arrivé qu’au prix de fatigues et de privations de tout genre, ce fonctionnaire demeura{54} inflexible, et Durand n’obtint d’autre faveur que d’être embarqué gratis pour Gênes, afin de retourner immédiatement en France. O pauvreté!
Ce coup imprévu ne fit pas perdre à Durand sa sérénité habituelle. Voici en quels termes il nous raconte, avec son âme de poète, les dernières circonstances de sa plébéïenne Odyssée:
«Cinq paoli, environ trois francs, restaient dans mon gousset. Le bâtiment ayant relâché à Livourne, j’obtins la permission d’y travailler quatre jours. On remit à la voile. Chemin faisant, par un temps superbe, debout sur le pont du vaisseau, je lisais à haute voix des passages de l’Orlando; puis, matelots et passagers, à qui ces lectures étaient agréables, me priaient de partager leurs repas. Parfois nous rasions la côte, et j’étais transporté d’admiration à l’aspect des belles forêts qui descendent des Alpes et viennent plonger leurs vastes rameaux jusque dans les vagues agitées.
»A Gênes, mes paoli perdirent moitié; j’al{55}lais faire l’inventaire de mon sac... quand une vieille moustache de sergent, qui m’avait vu entrer chez le consul français, m’aborda:—«Vous êtes français?—Oui, mon ancien.—Avez-vous servi?—Oui, dans la garde.» Aussitôt ce brave homme me sauta au cou, et je vis des larmes dans ses yeux. Il me conduisit dans une maison où je restai cinq jours; il ne me venait voir que le matin; je le vis entrer un matin, un bonnet de police à la main. «Je vais conduire un détachement à Suze,» me dit-il, «venez avec nous; vous aurez le billet de logement.»
»En route, il me montra sa croix dont il avait fait une épingle, car il sortait des grenadiers de la garde. Il me pria de lui permettre d’écrire son nom sur un de mes livres. Je lui donnai mon Ossian, et j’ajoutai à sa signature une note qui me rappellera toujours cette circonstance. Il se nommait Sironel. A Suze, nous nous séparâmes et j’acceptai de ce vieux soldat une pièce de cinq francs, autant par né{56}cessité que pour lui en avoir une reconnaissance éternelle.»
Enfin Durand revit la France. Il avait vingt-sept ans; il ne tarda pas à se marier. «Mon travail et celui de ma femme,» dit Durand, «ayant amélioré notre situation, je me hasardai à reparaître le dimanche dans cette forêt, que j’avais autrefois tant parcourue. Je ne pus revoir sans enchantement le mont Ussi, alors que ses rocs et ses vallons sont couverts de muguet, et que le genêt prodigue de toutes parts ses millions de fleurs jaunes, qui semblent un voile d’or étendu sur la verdure, et sur lequel percent çà et là de hauts buissons d’aubépine fleurie, qui embaument l’air. Tous les souvenirs d’enfance, de liberté, d’amour, de poésie, vinrent de nouveau s’emparer de mon cœur; je ne pus résister à tant d’émotions: je chantai.»
Deux poèmes sont nés de ce nouveau genre de vie, ou plutôt deux poèmes entrevus et ébauchés dans les longues pérégrinations de la jeu{57}nesse de Durand furent alors sérieusement élaborés et appelèrent sur lui l’attention du monde littéraire. Tous les deux appartenaient au genre descriptif; à ce genre, d’ordinaire froid et monotone, qui, pour plaire, doit recourir à d’ingénieux épisodes et animer un fonds terne par un vif coloris de pinceau.
Le premier de ces poèmes, la Forêt de Fontainebleau, publié sous les auspices d’hommes bienveillants et distingués par leur mérite, obtint un véritable succès. La critique y reprendra sans doute des longueurs, des prosaïsmes de pensée, des tournures maladroites, du décousu dans le style. Mais il faut l’avouer, il y a bien du charme dans le premier chant, le plus faible des quatre qui composent ce poème; et c’est avec une douce émotion qu’on écoute ces modulations naïves d’une voix qui, comprimée longtemps, s’essaie timidement par crainte d’irrévérence envers l’art: c’est une satisfaction délicate que de comparer ce chant, presque entièrement dû à l’inspiration de la nature, avec{58} le troisième qui brille par de grandes beautés, où le sentiment et l’art se confondent.
Les trois morceaux capitaux de ce poème sont: le Bouquet du Roi du deuxième chant; l’Incendie des drapeaux de la garde impériale, et la Communion militaire.
Dans le château de Fontainebleau, qui succéda à la Forêt, l’auteur est parvenu à donner plus de variété au tour poétique; le sentiment du rhythme s’y produit plus manifestement; la coupe des vers est plus habile.
Le morceau suivant, intitulé Bouquet du Roi, adressé à l’académie ébroïcienne, dont le siège est à Evreux, et qui compte parmi ses membres MM. de Châteaubriand, de Lamartine, Ancelot, etc., valut à Durand une faveur inattendue: il fut admis spontanément au nombre des membres correspondants de cette société, qui lui fit expédier sur le champ son brevet.{59}
Si l’on remontait à l’origine de la chanson et que l’on fît ressortir la puissance et l’influence qu’elle a exercée sur tous les esprits et à toutes les époques, on serait frappé des graves résultats qu’elle a amenés dans les mœurs publiques et dans les affaires générales. Qu’ils chantent, disait Mazarin, pourvu qu’ils paient. Il fallait bien{68} payer; mais comme la bourse se désemplissait, la chanson faisait fermenter dans le cœur et dans l’esprit certains levains, qui, lors de leur circulation, ne furent certes pas du goût des oppresseurs. Molle et voluptueuse, elle énerve et entraîne dans la satisfaction amère des sens; brutale, elle place le bonheur suprême dans l’anéantissement de la raison, par l’ingurgitation du vin; frondeuse, tour à tour grave et railleuse, elle s’immisce dans la politique, et, dans plus d’une occasion, elle a frappé de haut et donné le coup de grâce. Mais trêve à cette dissertation et venons-en à M. Marchand et à ses chansons.
Nous manquons de renseignements précis sur ce poète chansonnier, mais du moins, nous savons qu’il est de Saumur, qu’il y exerce la profession de passementier, et de plus, qu’il est musicien. C’est en 1843, qu’il publia un volume de chansons. Dans la préface adressée à Charles Poncy, l’illustre maçon de Toulon, M. Marchand nous apprend que son éducation fut des plus élémentaires:{69}
Les chansons de Marchand ne sont d’aucune école, n’appartiennent à aucun parti; elles ne relèvent directement ni de la satire, ni de la politique; elles sont nées tout naturellement des mille petits événements qui composent la vie de l’homme; fonds banal qui ne manque à personne, mais qui a pris sous sa plume facile, des développements ingénieux. Il est fâcheux pour ce jeune chansonnier de n’avoir pas compris que les propos grivois, les froides équivoques,{70} les jeux de mots hasardés n’ont plu, dans tous les temps, qu’à des cœurs corrompus ou à des esprits sans élévation. Nous ne saurions non plus trouver plaisantes les allures décolletées et la sempiternelle forfanterie vaudevilliste dans le couplet que nous citerons plus bas. Il s’agit de la mort. Voici ce pauvre couplet:
Nous ne savions pas, avant la lecture de ce derniers vers, que les rois étaient particulièrement renommés par leur courage vis-à-vis de la mort ou de la camarde, comme dit résolument M. Marchand. Mais, de par M. Marchand, ce point ne saurait être mis en doute, et il nous apprend, en outre, qu’il sera lui-même plus{71} courageux qu’aucun d’eux. Du moins, il le croit, et nul n’en doute, ajoute-t-il. Si nous ne craignions de blesser M. Marchand, nous hasarderions ici un peut-être. Mais assez sur ce couplet.
M. Marchand est jeune, badin, gai, folâtre; son imagination est vive, ardente, vagabonde; il voit tout à travers la transparence prismatique de ses excellents vins des côteaux de Saumur. Plusieurs poètes modernes n’auraient pas la même excuse à donner pour le ton leste de leurs effusions poétiques. Nous remarquons, d’ailleurs, que ce chansonnier spirituel est particulièrement imitateur, et, à tout prendre, les défauts que nous lui reprochons ne lui appartiennent pas en propre. Mais l’âge et la réflexion feront justice de ces traditions routinières. Nous lui dirons encore sans crainte, parce que notre langage est sincère, que la vie ne doit pas être pour quelques-uns une fête et un banquet continuels, en présence des misères et des souffrances des masses; et{72} que, à ce point de vue, chanter l’amour, le vin et la folie, c’est chanter, à coup sûr, d’une voix fausse autant que surannée.
La poésie est une espèce d’arbre de science, sur lequel sont greffées de nombreuses boutures, représentant les différents genres qui la constituent, et dont chacune, sans distinction, peut donner la vie ou la mort. Le poète doit donc, quel que soit le genre qu’il adopte, tendre à l’utile, au moral, au charitable; autrement il manque au mandat qui lui avait été confié par la Providence. Chantez; très bien; il faut par intervalles de la gaîté à l’homme, mais ne soyez jamais ni grossier, ni cynique; la morale d’Épicure n’était bonne que pour des païens.
L’arbre de poésie, tel que le font fleurir les poètes du peuple de notre temps, ne produit que des fruits savoureux, et, dès à présent, nous y voyons le rameau qui appartient à M. Marchand; mais, pour être plus sain, plus vigoureux, plus vert, ce rameau doit être débarrassé{73} des insectes malfaisants qui pourraient le dessécher.
Marchand est plein de finesse et de mesure dans le père Malessard; naïf et malicieux dans le nouveau Propriétaire; sensible et touchant dans l’Enfant de la Savoie. Nous citerons avec plaisir deux pièces de vers d’un genre différent, mais qui, malgré quelques négligences, font également honneur au talent poétique du chansonnier de Saumur et à ses sentiments:
Barcarolle dédiée à Madame Ch. Marchand.
17 Janvier 1843.
Hippolyte Violeau est né à Brest. Encore enfant il voyait se lever devant lui un horizon calme et serein. Son père, fatigué de ses courses, devait, au retour d’un dernier voyage, établir une voilerie pour les navires marchands, et achever ses jours paisiblement au sein d’une famille chérie. Avec une retraite de sept à{84} huit cents francs, avec les bénéfices de la voilerie, et par dessus tout cela avec un legs d’une douzaine de mille francs qu’on attendait d’une vieille tante, le maître voilier devait marier avantageusement ses deux filles et payer au collége de Nantes la pension du petit Hippolyte qui montrait d’heureuses dispositions. Une série de malheurs vint traverser tous ces projets: le maître voilier ne tarda pas à mourir au Fort-Royal; la tante mourut aussi, peu après, ayant détruit son premier testament pour en faire un second, qui instituait un cousin éloigné son légataire universel, et enfin, un oncle qui avait écrit de ne point s’inquiéter: qu’il remplirait le vœu exprimé par le père de mettre le jeune Hippolyte au collége de Nantes, vint, trois mois après l’envoi de sa lettre, à rendre le dernier soupir. La famille du voilier se trouva bien près de la misère. Cependant, la veuve, en travaillant avec sa fille aînée, réussit à nourrir ses deux autres enfants.
A douze ans, Hippolyte savait lire, grâce{85} aux soins de sa sœur aînée, et il pouvait, grâce à l’obligeance d’un commis de la marine, former de grosses lettres.
Mais un ordre d’embarquer força le maître à laisser son jeune écolier continuer tout seul ses études calligraphiques.
Comme Lebreton, comme cent mille de ses pareils, Violeau devait, pour apprendre un état passer par le dur apprentissage de l’atelier. L’atelier, où des hommes ignorants, grossiers, cyniques, insultent, à toute heure, à la morale, à la religion: l’atelier, ce perpétuel va-et-vient d’odieux propos, où le blasphème se croise avec l’obscénité; l’atelier, ce hideux lupanar de toutes les brutalités. Quel séjour pour un enfant modeste, délicat, faible, chétif, accoutumé au langage doux et pieux de sa mère et de ses sœurs vivant dans la crainte de Dieu!
Mais Hippolyte ne se plaignait pas; il craignait d’affliger sa mère. Il s’efforçait même, chaque fois qu’il rentrait de montrer un visage{86} gai. Il ne trompa pas longtemps le regard de sa famille. Au lieu de prendre des forces avec l’âge, il devenait plus faible; la vérité fut devinée ou avouée. Mais alors le pauvre enfant représenta à sa mère et à ses sœurs qu’elles avaient déjà trop fait pour lui, qu’il était d’âge à gagner sa vie. On avait pris un parti décisif: on retira Hippolyte de l’atelier, et on lui dit que, son père étant mort au service de l’état, il avait droit, comme fils de veuve, à un emploi dans un bureau dépendant de la marine. Droit n’est pas faveur: au bout de plusieurs années seulement, après des démarches constantes, Hippolyte obtint enfin une place de quatre cents francs au bureau des hypothèques.
C’est de ce temps que datent les beaux jours de ce jeune homme si longuement éprouvé. Au bureau des hypothèques, Hippolyte trouva ce qu’il y a de plus précieux au monde, un ami dans la personne de M. Pierre Javouhey, jeune homme modeste, sage, pieux, le neveu d’une des femmes les plus respectables par ses vertus{87} chrétiennes, Mᵐᵉ Javouhey, fondatrice et supérieure générale de l’ordre de saint Joseph de Cluny. Les mêmes croyances, les mêmes goûts devaient attirer l’un vers l’autre ces deux nobles jeunes gens, imbus des mêmes principes de devoir et de vertu. Pierre avait peut-être un caractère plus ferme, plus décidé; Hippolyte était plus doux, plus sensible; mais ces légères différences servaient plutôt à resserrer les nœuds de l’amitié qu’à les détendre. Dans leurs excursions champêtres aux environs de Brest, que d’aimables projets formés, qui n’avaient d’autre but que le bonheur de la famille, le soulagement de l’humanité et la glorification de Dieu! Que d’études sérieuses, que de longs travaux pour acquérir une petite fortune suffisante à l’acquisition d’une maisonnette à la campagne avec un beau jardin!
Rêves heureux! plus heureux que la réalité même, parce qu’ils n’ont pas sa tiédeur!
Mais ce grand bonheur de l’amitié devait être de courte durée; Pierre partit pour la{88} Guyane française. Mortellement atteint par le climat de cette île, Pierre, après quelques années de souffrance, expira, demandant son ami, et lui léguant tout ce qu’il possédait: cent francs pour l’aider à publier un livre.
Si l’on nous demandait dans quelles circonstances éclata la vocation poétique du jeune Violeau, nous répondrions que ce fut probablement à l’occasion du départ de son ami et que cette vocation prit un grand développement de l’absence. Quand une douleur poignante laboure l’âme profondément, elle fait naître l’éloquence sublime du cœur. On trouve dans les poésies de M. Violeau une sensibilité vraie, pénétrante, unie à une touche fine, délicate, gracieuse, toujours amie de la simplicité des mots, bien qu’elle s’élève parfois dans une région d’idées très élevée. Nous donnons à nos lecteurs une de ses meilleures pièces de vers intitulée A mon Ami absent, c’est-à-dire M. Pierre Javouhey:{89}
Cependant, avant d’écrire ainsi, Hippolyte avait postulé dix-huit mois inutilement. Il avait alors beaucoup de temps à lui, et, comme il éprouvait déjà un vague désir de poésie, il composa secrètement une pièce de vers, qu’il envoya, secrètement aussi, à un Journal de Brest. La pièce péchait par la forme, mais le rédacteur, homme d’esprit et de conscience, vit dans ce premier coup d’essai comme la lueur d’un talent futur. Il invita donc l’auteur à venir le voir pour causer de sa pièce. Le jeune homme fut enchanté. La réception fut{94} toute bienveillante. La pièce en question dénotait les dispositions les plus heureuses; la nature avait traité Hippolyte en véritable privilégié, mais..... fatal mais! il s’y trouvait des fautes énormes contre la prosodie, voire même probablement des fautes d’orthographe, et, pourtant, l’homme de l’art encourageait l’enfant de la nature; il fallait travailler..... tout le monde peut travailler... et bientôt Hippolyte, rompant les entraves qui s’opposaient à l’essor de son génie, planerait triomphant. En termes plus simples, le rédacteur donna des encouragements à Hippolyte, qui se retira désespéré. Était-ce amour-propre d’auteur froissé? Peut-être bien un peu; mais lui, moins que mille autres, devait souffrir de cette faiblesse; car les observations du rédacteur le blessaient surtout en vue de sa famille. Tant de rêves décevants évanouis! tant de châteaux en Espagne renversés! Lui qui voulait surprendre sa mère et ses sœurs par un grand succès littéraire! Et quand on parvient par son talent à forcer la considé{95}ration publique, on ne cherche plus une place avec une constance si malheureuse! Les rôles changent..... le protecteur s’empresse d’aller au devant du solliciteur, et la fortune, cette déesse sauvage et insaisissable pour le malheureux, vient au devant de vous, le visage épanoui, la parole caressante! La porte d’airain de son temple se brise et l’élu de la poésie devient l’heureux du jour... O rêves, rêves, rêves!!! Tombé du haut de ces illusions fortunées, le pauvre Hippolyte se sent à peine la force de marcher... Il entre timidement dans une église, et, se jetant à genoux, il soulage son cœur oppressé en répandant un torrent de larmes.
Pour la première fois de sa vie, il en coûtait au malheureux Hippolyte de revenir sous le toit de sa famille. Quand il rentra, ses sœurs remarquèrent sa pâleur, ses yeux gonflés, son émotion mal déguisée. Qu’était-il arrivé? Il fallut bien des détours ingénieux, bien des instances de tendresse pour arracher le trait de son{96} cœur encore saignant. Mais il y avait de l’argent à la maison; vingt francs destinés depuis longtemps à des emplettes utiles. Ces excellentes sœurs ne pensent qu’à une chose, au chagrin de leur frère, et, dans un même élan de tendresse, elles lui dirent: «Nous nous passerons de ce que nous voulions acheter; prends notre argent, et fais-toi donner des leçons.» O vertu du pauvre, ô plaisirs de l’âme, voilà de vos moments!
Ces vingt francs payèrent, en effet, trois mois de leçons. C’est donc à ces vingt francs de ses sœurs bien aimées qu’il dut l’instruction nécessaire de la forme; le reste il le doit à Dieu et à l’amitié.
Le premier recueil de poésies d’Hippolyte Violeau parut en 1841 sous le titre simple de Loisirs. Ce fut un heureux début: sans protecteurs, sans amis, sans annonces, ce livre, dédié à la sainte Vierge, s’écoula rapidement. Encouragé par ce succès, Hippolyte concourut aux jeux floraux de 1842, et obtint une violette d’or. Sa réputation s’étendait: émue de la{97} gloire d’un de ses enfants, la ville de Brest lui fit présent d’une boîte contenant mille francs en or et de quelques livres. Hippolyte dédia son second recueil de poésies à cette ville bienveillante et éclairée, qui, par ce noble procédé, donnait un touchant exemple.
Parmi les suffrages qui durent lui être plus particulièrement chers, nous placerons en première ligne ceux de l’évêque de Quimper et de l’archevêque de Lyon, qui tous les deux écrivirent gracieusement à l’auteur, après la réception de son livre. Voici la lettre de ce dernier prélat:
Archevêché de Lyon.
C’est avec une vive reconnaissance, Monsieur, que j’ai reçu l’ouvrage que vous avez bien voulu m’envoyer. Ce souvenir de votre part m’a fait d’autant plus de plaisir que j’avais lu avec admiration les vers qui ont été publiés de vous dans plusieurs journaux. Vous avez eu une heureuse idée de les réunir en un volume. Il ne faut pas que les choses saintes soient profanées par tant{98} de choses païennes que propagent les feuilles publiques. Vos inspirations sont trop célestes pour les mêler aux publications si terrestres de tous les jours.
Je voudrais bien que quelque circonstance vous amenât dans nos contrées; ce serait pour moi une grande consolation de faire votre connaissance.
Si vous avez la permission de publier la lettre de votre évêque en tête de vos Loisirs, je vous autorise aussi à y joindre la mienne. Je fais des vœux pour qu’elle puisse vous être utile. Je suis persuadé que les supérieurs des petits séminaires s’empresseront de donner votre ouvrage en prix à leurs élèves, surtout après les sages précautions que vous avez prises.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mon sincère dévouement.
L. J. M. cardinal de Bonald,
archevêque de Lyon.
Magu est né au village de Tancrou, canton de Lizy. Pendant trois hivers, seulement, il reçut dans une école primaire une instruction fort incomplète alors. Il passait l’été, comme plusieurs de ses camarades, aussi pauvres que lui, à ramasser des pierres, moyennant un salaire des plus minces, et à extirper des chardons dans les{102} champs. Sorti de l’enfance, il apprit l’état de tisserand. Poussé par un instinct secret, Magu, à ses heures de loisir, lut avidement plusieurs almanachs des muses et quelques autres recueils de pièces fugitives. Mais son plaisir fut extrême quand La Fontaine tomba entre ses mains. Son penchant pour la poésie se déclara alors par plusieurs pièces de vers qui décelaient d’heureuses dispositions; on y trouvait de l’abondance, de la grâce et de la facilité.
Mais, doué d’un grand sens, Magu comprit tout d’abord que, s’il se livrait entièrement aux inspirations de sa muse, il conduisait sa famille et lui-même à la misère. Il se livra donc régulièrement à un travail manuel de douze heures. Et, loin que ce travail éteigne son énergie, il semble, après qu’il l’a achevé, plus frais et plus dispos: son imagination s’élève, son esprit s’anime, son cœur s’épanouit; n’a-t-il pas rempli avec résignation le saint devoir d’assurer l’existence de ses enfants? Cette pensée consolante vivifie son être; il se livre avec abandon à l’ins{103}piration; comme la chrysalide il subit une métamorphose: le tisserand devient poète. L’ouvrier a aussi parfois ses préoccupations, mais elles sont innocentes et toutes d’intérieur: pendant que, la tête penchée sur son métier, il promène d’un mouvement égal sa navette agile, il reçoit la visite d’une abeille, qui lui inspire les vers suivants:
Quelles images gracieuses! quelle douceur de sentiments! quelle résignation touchante dans cette allocution poétique!
Son talent se montre sous un autre aspect dans la réponse qu’il fait à une pièce de vers anonyme se terminant ainsi:
Bien que né sous le chaume, Magu n’a-t-il pas ici le ton de l’homme du monde? Ne trouvons-nous pas dans cette ingénieuse composition la fine plaisanterie, l’élégant badinage, l’exquise politesse du bel esprit? Montrons maintenant le sage revenu de tristes déceptions, appréciant les promesses des hommes à leur juste valeur, et, trop philosophe pour se plaindre, ne condamnant que lui-même. Citons cette pièce remarquable, d’un coloris si frais, d’un sentiment si vrai, d’un tour si vif, d’une expression si nette et si précise:{108}
Ces citations suffisent sans doute pour caractériser le talent d’un homme qui, devant presque tout à la nature, nous offre dans son heureuse organisation un des plus merveilleux phénomènes de la création. On le voit: il est tour à tour simple, naïf, fin, concis, spontané; il ne cherche pas, il éprouve, et il peint avec les premières couleurs venues; couleurs toujours fraîches et pures. Soumises à l’examen de son jugement, ces vivantes traductions de l’impression ou de la pensée ont l’air si libre, si dégagé, si aisé; elles expriment si bien ses sentiments les plus intimes qu’il n’a rien ou presque rien à retrancher, à modifier. De là ce naturel exquis dont sont empreintes toutes ces poésies; de là cette remarquable sobriété d’épithètes, ce laisser aller entraînant, cette grâce originale, cette piquante bonhomie, cette philosophie bienveillante, qui,{111} trouvant des échos naturels dans notre esprit comme dans notre cœur, nous charment, nous séduisent, nous subjuguent et nous attachent à l’excellent poète par les liens indissolubles des plus aimables sympathies.
Le premier volume des poésies de Magu obtint un prompt et brillant succès. Encouragé par de nombreuses souscriptions, par des marques très prononcées de sympathie données par des hommes de toutes les classes, Magu composa de nouvelles pièces de vers pour former un second volume. Cependant, au moment de livrer ce nouveau recueil à l’impression, Magu éprouvait peut-être des craintes plus vives que lorsqu’il mit le pied pour la première fois sur le seuil de la publicité. Si l’attention publique avait été vivement excitée, à l’apparition de ses premières poésies, n’était-il pas naturel qu’elle éprouvât moins de curiosité pour les secondes? n’avait-il pas à redouter les effets de l’envie éveillée par un premier succès? Trouverait-il dans ses critiques les mêmes dispositions indulgentes, sur{112}prises peut-être par la situation exceptionnelle de l’auteur? Puis une foule d’autres questions aussi inquiétantes? Et puis, enfin, ne dit-il pas naïvement dans une de ses pièces intitulée A mes amis, qu’il compte sur le mérite du portrait pour aider à la fortune de son livre? et il n’a qu’un portrait!
Mais voici une anecdote qui eut lieu à propos de ce fameux portrait: les amis de Magu lui persuadèrent d’aller à Paris pour cet objet. Un de ses protecteurs lui donna une lettre pour M. Quinzard, attaché à la maison de M. Lemoine, éditeur de musique, rue de l’Échelle. M. Quinzard devait le présenter à un habile dessinateur, M. Menut Alophe. Magu partit bravement avec une petite somme dans sa poche, se demandant, toutefois, si elle suffirait pour payer le portrait. Ce ne fut pas sans un certain embarras qu’il remit à un commis, pour aller la porter à M. Quinzard, la lettre où on lui donnait la qualification de poète. Cet embarras s’accrut tellement que, sans attendre la venue de M. Quin{113}zard, il sortit précipitamment et se mit à courir sans oser regarder derrière lui.
Ce ne fut, pourtant, que partie remise, et, le lendemain, plus résolu, il se présenta de nouveau chez M. Quinzard. Les premiers mots furent des compliments pleins d’effusion sur les deux pièces A ma Navette et le Livre d’Or, qu’on avait lues dans ses prospectus, et on lui apprit ensuite que M. Alophe se chargeait de faire son portrait gratuitement.
Avec cette bonté délicate des véritables artistes, MM. Quinzard et Alophe, pour ne pas faire perdre de temps au pauvre tisserand, se mirent de suite à l’œuvre, et, le soir même, Magu eut une douzaine d’épreuves de son portrait. Sa joie fut grande: «Je suis,» écrivait-il naïvement à sa femme, «je suis le premier tisserand, je pense, qui se soit encore fait lithographier; on m’approuve d’avoir gardé le modeste tablier et d’avoir voulu paraître ce que je suis effectivement, un pauvre ouvrier.»
Par un coup de la Providence, des prospectus{114} des poésies de Magu tombèrent dans les mains des enfants d’un entrepreneur de terrassements du roi et chargé de l’entretien des Champs-Élysées, du même nom que le poète; ils se souvinrent avoir entendu dire que leur grand-père était né dans les environs de Lizy, et, après des recherches, ayant acquis des preuves de leur parenté avec Magu, ils lui écrivirent une lettre affectueuse et lui envoyèrent une somme de quatre cents francs pour contribuer aux frais d’impression de son livre.
Deux ministres de l’instruction publique lui donnèrent des témoignages de l’estime qu’ils faisaient de son talent poétique: l’un, M. de Salvandy, lui accorda une pension de deux cents francs; l’autre, son successeur, M. Villemain, souscrivit pour cinquante exemplaires de son ouvrage et lui adressa la lettre suivante:{115}
Tisserand à Lizy-sur-Ourcq.
Paris, le 28 janvier 1840.
Je viens de lire, Monsieur, avec un vif intérêt quelques-unes des poésies que vous avez composées dans les courts loisirs de votre vie laborieuse. Votre talent et les sentiments que vous exprimez ne peuvent manquer d’être encouragés par l’estime publique. Je dois, comme ministre du Roi, vous donner une marque de l’intérêt que le gouvernement porte aux lettres. J’ai pris une souscription à cinquante exemplaires de votre recueil, sur le fonds spécial du ministère de l’instruction publique. Les deux cents francs, prix total de cette souscription, seront ordonnancés en votre nom sur le payeur du département de Seine-et-Marne, qui vous donnera avis du jour où vous pourrez vous présenter à la caisse de M. le Receveur particulier de votre arrondissement. Vous pourrez m’adresser, par l’entremise de M. le Sous-Préfet, les cinquante exemplaires de votre ouvrage auxquels j’ai souscrit.
Recevez, Monsieur, l’assurance de ma considération très distinguée.
Le Pair de France,
Ministre de l’instruction publique,
Villemain.
Avec le succès vint l’engoûment; le plus grand monde de Paris voulut voir le tisserand{116} de Lizy. Celui-ci y vint en effet, appelé par la reconnaissance et Magu fut, à son insu, le lion du jour: gracieux amis, présentations, compliments flatteurs, grands dîners, concerts, etc., rien n’y manqua, et le bonhomme, avec son tact naturel et son admirable bon sens, ne dit ni ne fit rien qui ne fût d’une parfaite convenance.
Parmi les poètes du peuple qui figurent dans ce recueil, il n’en est aucun, peut-être, qui ait soulevé plus de sympathies que le tisserand de Lizy. Nous pourrions citer un grand nombre de ses patrons, de ses admirateurs, de ses amis, mais leurs noms ont déjà figuré dans la liste de souscription placée en tête de son premier volume de poésies. Nous croyons pourtant ne pas devoir passer sous silence un procédé honorable dont usa envers lui la société d’agriculture, sciences et arts de Meaux. Cette société distribue chaque année, en séance, des médailles rémunératives; elle décida qu’une de ces médailles lui serait décernée. Ce fut pour cette solennité que Magu composa{117} les vers suivants qui furent lus par M. Viellot, président du tribunal civil de Meaux, et président de la Société d’agriculture, aux applaudissements répétés de douze cents personnes, les plus notables par leur position sociale et leurs lumières:
Un membre nouvellement admis dans la Société, un riche négociant de la rue des Lombards, à Paris, M. Ménier, propriétaire d’une grande usine dans le département de Seine-et-Marne, assistait à cette séance avec les dispositions les plus bienveillantes pour le poète. Il emporta à Paris le premier volume des œuvres de Magu; peu de jours après, il écrivit pour en avoir cinquante exemplaires, puis cent, et, enfin, ses demandes successives finirent par s’élever à six{120} cents volumes; demandes faites par un généreux citoyen, non pas seulement au poète naïf et spirituel, mais au tisserand assidu, laborieux, à l’excellent époux, au tendre père, au chrétien résigné surtout, qui supporta longtemps, avec une constance muette, les souffrances physiques et la gêne;—à l’homme modéré qui ne demandait, dans ses vers, pour le bonheur de sa famille, que un franc par jour, la maisonnette héréditaire passée en d’autres mains et le petit jardin; demandes faites aussi pour proposer à l’imitation de la classe ouvrière les enseignements précieux offerts par le caractère et les vertus privées de Magu, pauvre tisserand. Le nom de M. Ménier est donc aujourd’hui inséparable de celui de Magu, et les ouvriers éclairés de nos jours savent la différence qui existe entre le fastueux Mécène de cour et le modeste Mécène de l’atelier.
Faut-il dire, après cela, que les craintes de Magu pour la publication de son second volume de poésies étaient toutes chimériques?{121} Tout le monde le sait ou s’en doute. Soyons du moins prophète, à coup sûr, en prédisant le même succès à toutes les poésies futures de cet esprit si fin allié à une si charmante bonhomie.{123}{122}
Philosophie, romans, métaphysique, socialisme, linguistique, poésie descriptive, poésie dramatique, poésie intime; les sujets les plus divers comme les plus opposés furent étudiés avec ardeur par Eugène Orrit, encore si peu{126} connu, malgré quelques tentatives généreuses pour encadrer son nom obscur d’une auréole posthume. Après plusieurs années de travaux précoces et incessants, au lieu d’atteindre ce brillant fantôme de la gloire qu’il poursuivait (Dieu sait avec quelle passion), il se trouva subitement épuisé et sans haleine face à face avec la mort qui, plus juste et plus humaine que la vie, le coucha doucement entre Malfilâtre et Gilbert. Comme eux il ne demanda pas seulement à sa plume le pain du jour, puisqu’il était correcteur typographe; mais de sa vie il avait fait deux parts: l’une, le jour, était consacrée à son état manuel; l’autre, une grande partie de la nuit, était employée aux études de la science, aux rêves de l’imagination, ne laissant qu’une bien faible part au sommeil. Voici en quels termes s’exprimait la pauvre mère d’Orrit en écrivant à un journaliste, peu après la mort de ce jeune talent, qui aurait pu s’élever si haut:{127}
Monsieur,
Je viens de lire dans la Tribune Indépendante votre hymne à la mémoire de nos jeunes et malheureux poètes: veuillez accepter, Monsieur, les œuvres de mon fils, mort, comme eux, à l’âge de vingt-six ans, l’année passée 1843 (le 3 juin), d’une maladie de poitrine. Né de parents malheureux, élevé dans la plus affreuse misère, il sentit, au sortir du berceau, le poids de l’existence; avec une constitution très faible, il s’adonna au travail de l’intelligence, dès ses premières années; à l’âge de cinq ans, il s’apprit de lui-même à lire en très peu de temps, et, de là, toujours appliqué sur les livres, sentant le besoin de sortir de l’état abject où le retenait l’indigence, il s’appliqua à acquérir des connaissances suivant ses goûts. Né d’un père espagnol, il apprit cette langue, en étudia la littérature, s’instruisit ensuite dans la langue anglaise, et parvint à avoir une place de correcteur dans une imprimerie[I]. Il passait les journées à gagner de quoi faire subsister son père, sa mère et un frère, plus jeune que lui de neuf ans; il employait une partie des nuits à s’instruire toujours davantage, à donner un essor à son imagination. Pauvre fils, tant de travail avec une aussi faible organisation! Veuillez, Monsieur, lire ses poésies; son âme s’y peint tout entière; toutes les souffrances exprimées dans ses vers ont été pour lui une réalité; il n’a seulement pas eu le moindre dédomma{128}gement; aucun de ses livres n’a été vendu; je les ai tous, ainsi que de nombreux écrits inédits, la plupart inachevés. Aucun écho n’a répété ses plaintes; personne n’a daigné recueillir le fruit de ses veilles: cette compensation lui a été refusée; sa mémoire est tombée dans l’oubli: elle ne vit plus que dans le cœur de sa mère inconsolable et de son frère, objet de sa plus tendre sollicitude. Je suis restée seule avec le dernier de mes enfants; mon mari a succombé le lendemain de la mort de son fils; le même convoi a suffi pour les deux: ils reposent ensemble côte à côte, au cimetière du Mont-Parnasse, où je vais savourer toute l’amertume de mes douleurs. Pardon, Monsieur, si une malheureuse mère vous supplie d’effeuiller quelques fleurs sur la tombe de son fils.
Adieu, Monsieur, mon cœur me dit que je ne vous implore pas en vain.
Veuve Orrit.
27 Mai 1844.
Dès cinq ans, vous l’entendez, cette précoce intelligence s’exerçait avec véhémence, et cette œuvre du travail de l’esprit, poursuivie sans paix ni trève n’a valu à son auteur qu’une funèbre branche de cyprès! vingt ans ont été ainsi consumés par une flamme qui s’attisait d’elle-même tous les jours, et qui, s’élevant au dessus{129} des horizons bornés des hommes vulgaires, emportait la victime dans les régions mortelles de l’infini.—Eh quoi, pour de si prodigieux efforts il n’obtint rien?—Absolument rien; et je vous l’ai déjà dit, à l’honneur de notre siècle.—Mais puisqu’il n’était ni électeur, ni traducteur, ni compilateur, ni archéologue, ni industriel, ni philanthrope.....—Oh! c’est juste; pardon.
Un jour, madame Orrit ayant trouvé son fils plus pensif encore qu’à l’ordinaire (il était dans sa septième année) lui demanda avec douceur la cause de sa taciturnité. «C’est,» répondit l’enfant avec dépit, «que depuis plusieurs jours, j’essaie à faire des vers et que je ne puis y parvenir.» Surprise, mais en mère habituée à toutes les complaisances: «Des vers! mon enfant,» dit madame Orrit, «en effet, j’ai toujours ouï dire que c’était fort difficile à bien faire; je n’en ai jamais fait moi-même; mais, pourtant, si cela pouvait t’être agréable, je tâcherais de t’en réciter quelques-uns.» Et, en femme d’esprit,{130} elle improvisa sur des plaisirs de l’étude une petite pièce de vers charmante qu’elle a bien voulu me réciter et que je regrette de n’avoir pas retenue.
L’enfant remercia sa mère et ne parla plus de vers.
Cependant Eugène lisait et relisait les quelques livres que sa mère lui achetait du fruit de ses privations. Mais ces livres ne suffisaient pas à la soif d’apprendre qui le dévorait, et ils ne répondaient pas, d’ailleurs, au dessein qu’il avait secrètement formé de retirer sa famille des limbes de la plus profonde misère. Il commençait à s’impatienter lorsque sa mère lui annonça qu’elle le mènerait chez un monsieur bien bon et bien savant, qui pourrait le guider dans ses études. Ce guide bienveillant était M. Jacotot, l’auteur de l’enseignement universel.
A la vue du jeune Orrit, dont la physionomie rayonnait de modestie, de candeur et d’intelligence, M. Jacotot se recueillit un moment, puis il lui demanda ce qu’il désirait apprendre.{131} «Tout,» répondit naïvement l’enfant.—«Très bien, répondit en riant l’apôtre de l’enseignement universel, mais d’abord?
—D’abord les langues, répliqua Eugène.»
M. Jacotot prit alors un Télémaque français et anglais, lui adressa quelques paroles obligeantes et convint avec madame Orrit d’un jour de la semaine où son nouveau disciple lui apporterait son travail hebdomadaire.
A chaque visite, M. Jacotot exprimait son admiration: «C’est un enfant fait pour arriver à tout,» s’écriait-il dans son enthousiasme. Malheureusement, un événement imprévu força M. Jacotot à s’éloigner de Paris. Le pauvre Orrit se trouva donc abandonné à lui-même comme auparavant. Outre les quelques leçons de M. Jacotot, il puisa encore quelque instruction aux cours d’anglais du professeur Johnson.
Ses études personnelles firent plus que tous les préceptes de la science. A dix-sept ans il présenta à ses parents un manuscrit assez volumineux; c’était le recueil de ses premières poésies.{132} Sa famille n’avait pas d’argent pour le faire imprimer, mais M. Orrit, le père, que la misère avait contraint, après avoir connu des jours meilleurs, à se faire à quarante ans, apprenti compositeur d’imprimerie, composa la plus grande partie de ces poésies, et son fils entra lui-même comme correcteur chez MM. Fain et Thunot, où travaille encore en la même qualité son jeune frère.
A ne considérer que superficiellement les poèmes d’Orrit, on pourrait croire qu’ils n’ont entre eux aucun lien de parenté; que, productions isolées, ils ont été créés d’éléments différents et qu’ils offrent autant de compositions individuelles. Il n’en est point ainsi: malgré une diversité apparente, l’idée mère de chaque pièce provient d’une source unique, d’un sentiment unique, celui que font naître l’isolement et la solitude.
Dans le recueil qu’il publia en 1841, l’auteur divise ses poésies en trois livres: le premier ayant pour titre principal Idéal; le second, So{133}litude; le troisième, Sympathie. On trouve déjà dans ce recueil la touche d’un grand peintre, et d’un peintre parfois d’une originalité sublime. Quoi de plus saisissant et de plus profondément senti, même dans Young et dans Bossuet que cette pièce de vers intitulée Pensée de la mort! Comme le poète sait s’emparer de vous tout d’un coup par cette brusque et solennelle entrée en matière!
Le doute apparaît dans la strophe suivante:{134}
Le doute désolé est suivi de son fidèle compagnon, le désespoir, qui se montre à la fin de la pièce, dans ces strophes fatidiques:
Froids philosophes du XVIIIᵉ siècle et toi sceptique et passionné Byron, n’êtes-vous pour rien dans cette lente décomposition d’une imagination puissante, ballottée en sens contraire par les sophismes de l’incrédulité et les vérités de la foi!{135} Et puis les utopies d’ordre social et gouvernemental trouvaient accès dans cette tête ardente qui voulait tout connaître et tout expliquer. Aussi, quand la journée de l’ouvrier typographe était terminée, avec quelle impétuosité l’âme de l’homme intellectuel, tenue à la cape forcément s’élançait-elle, après avoir levé l’ancre, sur les mers infinies de la pensée! C’est là, peut-être, la clef du titre énigmatique de son livre: Soirs d’orage. Soirs d’orage, en effet, quand, faute de temps, faute d’examen suffisant, mille questions restaient pendantes! Et, pourtant, que d’efforts souvent stériles! que d’hypothèses s’entre-dévorant! que de tristesses et que de larmes! que de contradictions et quelles inconséquences! et, parfois aussi, quelle naïveté enfantine! Aussi, dès son point de départ, dans sa première pièce, Vocation, en présence des maux de la vie dont son âme est saturée, il doute de la bonté de Dieu, et aucun argument ne saurait mieux la lui démontrer que s’il vit assez longtemps pour mettre la dernière main à son œuvre de poésie.{136}
Mais plus il avance dans son œuvre et plus il voit reculer devant lui, comme dans une perspective mobile, cette gloire à laquelle il aspirait, et par un retour sur lui-même qui le dépouille des prestiges et des illusions de la terre, il tourne ses dernières pensées vers Dieu; et Dieu, dans sa miséricorde infinie, soulage cette âme en peine en soufflant sur ses doutes et en embaumant de cet hymne suave et mélodieux, l’Église, son pauvre cœur déchiré:{138}
Mais quand, dégagé des mille entraves qui embarrassent son essor, cet esprit rêveur, oubliant le monde physique, s’égare dans les régions inconnues de la fantaisie, il empreint ses tableaux de couleurs étranges et saisissantes; il invente un langage sombre, mystérieux, qui glisse dans{141} vos veines le frisson de la crainte; il promène l’imagination et le cœur dans un labyrinthe de sentiments et de passions fermé au genre humain, et nous, fascinés, saisis d’une curiosité immense, nous le suivons dans les sinuosités inextricables de ses créations inspirées, espérant, peut-être, entrevoir à travers les éclairs magiques de son génie l’énigme des choses d’ici-bas.
Le fragment suivant nous initiera à ce genre de poésie:
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
UN SYLPHE.
PREMIÈRE ONDINE.
LE SYLPHE.
UN AUTRE SYLPHE abordant la fée.
LA FÉE.
LE SYLPHE.
LA FÉE.
PREMIER SYLPHE.
LA FÉE.
PREMIER SYLPHE.
DEUXIÈME SYLPHE.
PREMIÈRE ONDINE.
LES ONDINES s’enfuyant.
LES SYLPHES les poursuivant.
(La fée reste seule et paraît écouter attentivement. Après une assez longue pause, on entend dans un très grand éloignement sonner une cloche.){143}
LA FÉE.
(L’angelus cesse de se faire entendre. Une voix s’élève alors sous les arbres, et, quand elle a fini, une voix s’élève dans une direction opposée.)
PREMIÈRE VOIX.
DEUXIÈME VOIX.
(Entrent deux fées.){144}
DEUXIÈME FÉE.
TROISIÈME FÉE.
PREMIÈRE FÉE.
DEUXIÈME FÉE.
TROISIÈME FÉE.
DEUXIÈME FÉE.
TROISIÈME FÉE.
PREMIÈRE FÉE.
LES TROIS FÉES se tenant par la main.
(Une flamme s’élève tout à coup sous le chêne; les fées y jettent chacune quelques herbes qu’elle consume lentement. Les fées tournent autour dans le cercle magique, en murmurant très bas des mots que couvrent entièrement le frémissement toujours croissant des arbres et le chant des sylphes dans le lointain.){146}
LES SYLPHES.
(Le chant s’est rapproché. Les sylphes dansent en formant un grand rond autour du chêne, mais sans trop s’approcher du cercle. Les fées forment un groupe immobile, et paraissent absorbées par l’attention qu’elles apportent à leur charme. Les sylphes cessent leur danse et s’éparpillent çà et là, mais toujours épiant les fées.)
CHOEUR DES SYLPHES, à demi-voix.
D’AUTRES SYLPHES.
UN SYLPHE, avec crainte.
QUELQUES SYLPHES.
(Pause.)
UN SYLPHE.
CHOEUR DES ONDINES, dans les roseaux.
LES FÉES, tressaillant.
PREMIÈRE FÉE.
CHŒUR DES FÉES.
PREMIÈRE FÉE.
CHŒUR DES FÉES.
SYLPHES ET ONDINES.
VOIX ÉPARSES ET DÉJÀ ÉLOIGNÉES.
PREMIÈRE FÉE, après un long silence.
(Une pause.)
(Longue pause.){150}
(Une rafale s’élève; un soudain frémissement secoue tous les arbres de la forêt: le temps se trouble et change.)
DEUXIÈME FÉE.
(La flamme s’éteint.)
PREMIÈRE FÉE.
LES TROIS FÉES.
PREMIÈRE FÉE, écoutant à droite.
DEUXIÈME FÉE, écoutant à gauche.
TROISIÈME FÉE, regardant du haut du chêne.
DEUXIÈME FÉE.
TROISIÈME FÉE, debout sous le chêne.
PREMIÈRE FÉE.
CHŒUR DES FÉES.
(Les fées disparaissent. L’orage continue. Le ciel est sombre, menaçant, croisé d’éclairs livides. Le vent siffle avec violence dans les profondeurs de la forêt.)
Il nous reste à montrer comme socialiste ce poète infortuné, méconnu de son vivant, qui, dans ses veilles et ses travaux surhumains, tua son âme mille fois, avant de mourir, et dont la mémoire, à part quelques éloges tronqués, n’a été rappelée que pour l’insulte et le mépris.
Hommes du peuple, gardez-vous de ceux qui viennent vous trouver avec de belles paroles sur les lèvres en nourrissant le mensonge au fond de leur cœur; gardez-vous de ceux qui prodiguent{155} les promesses pour vous attirer dans un abîme. Surtout n’écoutez jamais les apologistes du pillage et du sang. Hommes, mes frères, je sais combien vos misères vous rendraient faciles à abuser; méfiez-vous des hâbleurs politiques et du clinquant misérable de leurs paroles; méfiez-vous des théoriciens sans portée, dont les plans heureusement irréalisables ne s’appuient sur aucune base scientifique, sur aucune connaissance de la nature humaine.
Cependant gardez-vous aussi de condamner tout à fait avant d’avoir entendu. Il n’y a point de parti où il ne se trouve des idées justes à recueillir, point de théorie sociale où tout soit absolument méprisable ou illusoire. Mais gardez votre indépendance intellectuelle, jusqu’à ce que les doutes d’une grande partie d’entre vous venant à s’éclaircir, vous puissiez réunir vos convictions éparses en une religion commune. Alors, seulement alors, vous pourrez juger ce qu’il conviendra de faire, et l’esprit de Dieu descendra parmi vous.{156}
Entretenez avec soin dans votre âme la défiance de vous-même; songez à travailler pour vos enfants et non pour vous. Car, nous ne le dissimulons pas, la lutte sera longue et rude à soutenir. Et, lorsque je me sers de ce mot de lutte, ne pensez pas que je veuille parler de la lutte avec le feu et le fer, de la lutte à main armée. Non, pour celle-ci vous seriez prêts à l’entreprendre, et l’on sait que vous ne reculeriez pas devant la mort; on ne vous a pas fait la vie assez belle pour cela.
Mais il est une autre guerre que celle où l’on vole avec le mousquet et le sabre pour donner le trépas ou le recevoir; il est une autre lutte bien plus lassante, bien plus terrible à affronter. C’est un combat de tous les jours, de toutes les heures, de toutes les minutes; où l’on ne verse pas son sang, mais où l’âme s’épuise goutte à goutte; où ceux qui meurent sont oubliés; où ceux qui vivent sont honnis et bafoués; lutte de la patience contre le dédain, de la foi contre la raillerie, de l’esprit d’amour contre l’esprit{157} d’égoïsme, de l’avenir contre le présent; lutte qui est à peine commencée et qui comptera de nombreux martyrs; lutte dont l’heure sonne au cadran du siècle: frères, vous sentirez-vous le courage de l’entreprendre? Écoutez-moi:
Quand vous serez fixés sur votre choix, soit que, parmi les bannières de toutes couleurs qui flottent dans l’arène, vous en adoptiez une, soit que vous en formiez une nouvelle, et que, vous ralliant à l’entour, vous aurez dit: C’est celle-là que nous voulons élever et défendre, alors les temps de la longue épreuve commenceront; alors vous verrez se dresser en foule pour barrer votre marche et les terreurs des gouvernants et les appréhensions des riches, et les précautions des hommes de parti, et les tenaces préjugés de la routine. Alors il vous faudra redoubler d’énergie et de persévérance; alors il faudra vous préparer à patienter longtemps, avant d’atteindre le but de vos efforts.....
Hippolyte Tampucci naquit à Paris, au collége Charlemagne, où son père était préparateur du cours de physique et de chimie. Dans ce séjour des sciences et des lettres, il devait sentir se développer rapidement le vague instinct de poésie, qui le poussait à faire des vers, quand il ne savait encore ni le rhythme ni les lois de la versi{162}fication. Ses dispositions précoces n’échappèrent point à l’œil exercé des chefs de cet établissement et lui concilièrent la bienveillance du proviseur, qui n’eût pas mieux demandé que d’admettre parmi les élèves de son collége un jeune homme dont la vive émulation eût été un si noble exemple. Mais le père d’Hippolyte, soit pressentiment, soit prévision, se refusa constamment à le faire profiter de cette précieuse faveur. Ainsi, les fruits de la science étaient tous les jours à sa portée, et, nouveau Tantale, il ne pouvait les toucher.
Cependant Tampucci arrivait à l’âge où il est nécessaire de faire choix d’un état pour s’assurer une existence. Son père, qui semblait être en guerre ouverte avec la poésie, ou plutôt dont la sollicitude inquiète voulait retenir son fils dans sa sphère, lui ménageait une dure épreuve: il lui présenta un jour tous les outils qui constituent l’état de cordonnier, lui déclarant, comme jadis on l’avait fait de l’autre côté de la Manche, au poète de la nature,{163} Richard Savage, que c’était là la profession manuelle qu’il devait exercer. Le jeune Tampucci brisa ses outils, déclarant à son père qu’il avait une insurmontable aversion pour l’alène et le tranchet; bref, celui-ci fut convaincu et annonça au rebelle qu’il serait garçon de classe dans le collége. Plus tard, quand le jeune homme fut suffisamment initié à la hiérarchie sociale, il ne vit dans cette nouvelle profession qu’un nouveau sujet de dépit et de lamentation; mais, dans ce moment où il venait d’échapper à une existence maussade, qui l’aurait tenu, à poste fixe, quinze heures et plus, cloué sur une chaise, la place de garçon de classe au collége se présenta à son esprit comme une occupation des plus gracieuses. D’ailleurs, il avait été élevé dans la maison; il s’était mêlé aux jeux des élèves; et puis il aurait des loisirs: il pourrait donc se livrer à son goût pour l’étude. Ce fut, en effet, dans cette humble condition que le jeune Tampucci lut les meilleurs écrivains de la langue française, médita les principes de la{164} grammaire et parvint à acquérir les éléments des belles-lettres. Mais la mort de son père vint interrompre ses études préliminaires: il fut appelé à le remplacer dans la préparation du cours de physique. Peu de temps après, il lui fallut reprendre le balai et le torchon. Ce fut pour lui un véritable crève-cœur, car il comprit alors qu’il se trouvait placé à l’un des derniers échelons de l’échelle sociale. Il exhala imphilosophiquement sa douleur en plaintes amères. J’aime mieux, dans l’antiquité, Homère mendiant en chantant; Ésope brodant ses misères d’immortels apologues; et, de nos jours, Magu, enfoui dans une cave, adressant ses charmantes stances à une abeille; Lebreton, impassible, couvant des vers stoïques au milieu des tumultes de l’atelier. Juillet 1850 arriva, et la France, dont il brisa, comme chacun sait, les chaînes, les vieilles chaînes; la France, régénérée par la liberté, par l’égalité; cette France, dont Tampucci avait entrevu et chanté à l’avance l’affranchissement; pour laquelle même il avait com{165}battu; cette France nouvelle, enfin, refusa au poète et au combattant une modeste place dans l’un des bureaux des nouveaux ministères. Sous le despotique pouvoir du tyran Charles X il eût peut-être mieux réussi; mais ce jeune homme s’était épris, comme beaucoup, des grands mots, sans les définir rigoureusement. Qu’aurait pu demander à un tyran un ami quand même de la liberté?
C’est vers cette époque mémorable que Tampucci publia un recueil de poésies écrites sous des influences diverses. Il en fit paraître une seconde édition, augmentée de plusieurs pièces inédites. L’auteur avoue lui-même qu’elles n’ont pas été assez travaillées et ne les livre que comme des ébauches imparfaites. C’est peut-être trop de modestie. Bien qu’on puisse leur reprocher des négligences, des incorrections, et quelques autres défauts d’un ordre très secondaire, leur ton général est vrai et décèle le poète. On peut se former une idée de la manière de M. Tampucci en lisant les fragments suivants:{166}
Nous nous associons à cet avenir social, qui nous apparaît à nous, éclairé déjà par une étoile lointaine.
Fils d’un journalier et d’une blanchisseuse, qui gagnaient difficilement leur vie, à la sueur de leur front, Lebreton fut élevé à l’école de la misère: sa constitution grêle et maladive le rendait peu propre au travail du corps. Mais la nécessité, cette irrésistible puissance, ne le jeta pas moins, à sept ans, dans une fabrique d’indiennes de la{172} rue Duguay-Trouin, à Rouen, en qualité de tireur, c’est à dire qu’il était occupé quatorze heures par jour à étendre de la couleur sur les chassis, dans cette fabrique invariablement chauffée à vingt-cinq degrés, quelle que fût la température extérieure.
Théodore Lebreton était, sans doute, un des plus ignorants des jeunes ouvriers de la fabrique; il épelait médiocrement, grâce à la sollicitude de son père, qui, s’étant contenté de ce pauvre savoir, croyait fermement que son fils s’en contenterait aussi.
Mais, comme la plupart des êtres souffrants, le petit Théodore demanda des consolations à Dieu. A force d’étude assidue, s’étant appris tout seul à lire couramment, il obtint la faveur d’entrer enfant de chœur à Saint-Vincent. Il remporta le prix de catéchisme, et ce prix était la Bible. La joie de Théodore fut extrême: il lut et relut ce livre admirable: ce fut pour lui comme un soleil intellectuel, qui donnait à son âme, à son cœur, à son esprit, une efflorescence{173} spontanée. C’est là qu’il puisa sa haute raison, sa résignation touchante, sa sensibilité profonde. C’est ce livre divin qui lui fit cette touche à la fois noble et simple, tendre et fière, qui engendre une sympathie universelle en s’attaquant aux côtés les plus vulnérables de l’humanité.
Cependant cette jeune et délicate intelligence souffrait de l’atmosphère lourde et délétère des ateliers; il lui fallait plus d’air, plus d’espace, et, surtout, une correspondance d’idées et de sentiments plus en conformité avec les siens pour se rasséréner, pour se vivifier, pour se retremper. Le cynisme a sa rouille comme la barbarie.
C’était au théâtre que le jeune ouvrier allait se détendre de la contrainte de ses travaux matériels. Là, les mâles accents de Corneille le transportaient jusqu’au délire, tandis que les mélodies passionnées de Racine lui faisaient verser des larmes. Aussi, lorsque son génie poétique, éveillé par la voix de ces grands maîtres{174} de la scène, voulut se débarrasser, en les jetant sur le papier, des pensées qui l’obsédaient, il ne pensa à les produire que sous la forme dramatique.
Mais le pauvre enfant est d’une ignorance rare; les tragédies qu’il a entendu réciter, il ne les a jamais lues; elles ne lui ont laissé que des impressions et non des sujets d’étude. Pour son coup d’essai, inexpérimenté comme il est, ira-t-il, sans guide, se fier aux élans de son imagination, aux mouvements de son cœur? Non, le timide, le modeste, l’humble ouvrier, réduit à ses forces personnelles, est incapable de rien entreprendre; il lui faut un auxiliaire puissant: il le cherche dans la Bible, le seul livre qu’il ait jamais lu, et, circonstance aussi étrange qu’authentique, les deux sujets qu’il choisit d’abord pour les mettre au théâtre sont Esther et Athalie.
Une fois ces deux sujets trouvés, il se mit à l’œuvre avec une ardeur incroyable, et, bientôt, il eut achevé les plans de deux tragédies. Il avait déjà versifié le premier acte d’Esther et{175} quelques scènes d’Athalie quand, un jour, arrêté devant l’étalage d’un bouquiniste, il lut sur le dos d’un volume crasseux ce titre séduisant: Chefs-d’œuvre d’éloquence. Lebreton acheta ce volume moyennant quelques sous et rentra chez lui, impatient de goûter le plaisir que lui promettait sa précieuse acquisition. Mais quels furent son désappointement et sa surprise quand d’admirables fragments lui révélèrent l’existence de Racine, dont il se trouvait le compétiteur, sans le savoir!
Ainsi, les saintes inspirations de sa muse juvénile, à la veille de prendre leur essor, se trouvèrent, en un clin d’œil, annihilées. Ce coup imprévu fut terrible, sans être mortel; Lebreton renonça à la tragédie, mais non pas à la scène. En 1824, il avait achevé une pièce en un acte, intitulée Ma tante, et, deux ans après, une autre, ayant pour titre: Hardiesse et Timidité. En 1832, il fit jouer sur le théâtre du Grand Cours le vaudeville: Le Jardin des Artistes, qui obtint plusieurs représentations;{176} enfin, pour courir toutes les chances du théâtre, il composa, dans le goût du jour, un drame en cinq actes et en neuf tableaux: L’Amour et l’échafaud. A ce petit répertoire dramatique si nous ajoutons quelques chansons étincelantes de verve, d’esprit et de gaîté, composées à une époque où Lebreton jouissait de la plénitude de ses facultés physiques et morales nous aurons dressé l’inventaire des œuvres de notre poète.
Quand la vocation n’éclate pas spontanément, c’est un secret mis par la Providence au cœur de l’homme pour se révéler au contact de certaines éventualités, ou pour mourir avec lui. Égaré, d’abord, sur les pas de Racine, Lebreton ne trouva pas non plus dans ces compositions médiocres l’issue propice au développement de son génie. Aux demandes inquiètes de son être intellectuel ces canevas dramatiques laborieusement brodés par l’esprit, la mémoire et la fantaisie sont-ils bien la réponse éloquente qui devait calmer ses inquiétudes? Doit-il, comme tant d’autres, se traîner péniblement dans des{177} sentiers incessamment battus? Et la poésie, pour lui, pauvre prolétaire, voué à toutes les misères humaines, doit-elle, comme chez les écrivains plus fortunés, prendre des habits de fête, un masque riant, un langage de circonstance? Serait-ce donc pour l’imitation plus ou moins servile de ces œuvres frivoles que Dieu, dès son enfance, a serré son cœur dans un étau de fer? qu’il l’a rendu témoin de douleurs navrantes, de détresses poignantes, de désespoirs frénétiques? Non, non, évidemment non; s’il s’interroge, il n’est point satisfait; en vain tourne-t-il les yeux de tous côtés pour voir ce but où il doit tendre; aveugle à son insu, ce but il ne peut l’apercevoir. Enfin, une femme, douée des plus belles qualités, nouveau Tobie, devait dissiper cet aveuglement et lui montrer sa voie. Cette femme fut Mᵐᵉ Desbordes Valmore.
Ce fut, surtout, à l’exquise délicatesse de son organisation que Mᵐᵉ Valmore dut la révélation du secret de la vocation de Lebreton. Elle démêla instinctivement dans les compositions{178} médiocres de l’ouvrier rouennais le germe fécond destiné à produire des fruits excellents. Elle avait chanté (on sait avec quelle aimable effusion) les joies pures et naïves de la famille, les sollicitudes maternelles, mais il restait pour une autre lyre, semblable à la sienne, montée à un ton plus grave, à étaler, sous l’inspiration d’une ineffable mélancolie, quelques scènes vivantes des misères humaines de nos jours. Elle pressentit quel charme triste et puissant la muse candide et énergique de Lebreton prêterait aux souffrances de l’infortuné prolétaire, se débattant sous le rocher sisyphéen d’une civilisation égoïste. De son côté, Lebreton étudia les poésies de Mᵐᵉ Valmore; elles l’inspirèrent, sans lui servir de modèle; elles lui enseignèrent un rhythme flexible, se prêtant aux diverses émotions de l’âme, et qu’il sut diversifier en le dotant d’accords plus vibrants et plus mâles.
Les premières pièces de vers de Lebreton ne lui conquirent pas tous les suffrages. On trou{179}vait assez généralement que sa poésie correcte, élégante, harmonieuse, sentait un peu l’académie. On y entendait bien par intervalles la voix du poète, mais on eût voulu des productions frappées d’un cachet individuel: des chants émouvants, dramatiques surtout..... A ces exigences que nous ne discuterons pas et où se trouvait, du moins, une vérité spécieuse, Lebreton répondit par l’Oiseau captif, plainte touchante de la douleur résignée. Mais ce n’était là qu’un chant isolé, et pour donner à la critique pleine et entière satisfaction, il composa sous ce titre collectif: LES PLAINTES DU PAUVRE, une série de tableaux terribles, qui mettent à nu les plaies hideuses de notre ordre social. Il expose éloquemment, mais il ne récrimine pas. Il résulte pourtant de ces tableaux dessinés d’après nature, que le pauvre ouvrier n’est pas, pour l’ordinaire, vicieux par tempérament. La certitude de manquer d’un travail suffisant pour lui et sa famille est un épouvantail dont il ne peut supporter la vue; c’est une menace qui{180} retentit sans cesse à ses oreilles, et pour ne voir ni n’entendre, pour anéantir son humanité, le malheureux va droit au cabaret.
Nous donnons les deux premiers morceaux qui ouvrent la série de ces scènes dramatiques et touchantes où Lebreton a montré qu’il ne lui fallait qu’un sujet vrai pour être original, vigoureux et puissant.
Nous ne reviendrons pas ici sur quelques légers défauts de détail, dont s’est déjà défait dans son second volume de poésies, l’illustre ouvrier imprimeur en indiennes. Oui, il est illustre, celui qui, né débile, souffreteux, pauvre, sans appui, sans amis, a fait surgir son nom des limbes de l’obscurité la plus profonde pour le placer comme une étoile brillante dans la petite pléïade de nos poètes contemporains; il est illustre celui pour qui la misère du peuple a été{188} une muse éloquente et miséricordieuse, et qui, dans les admirables élans de son génie tendre et passionné, a jeté de vivaces semences qui lèveront un jour, pour l’amélioration et le bien-être des masses;—il est illustre, aux yeux des hommes religieux de tous les pays, le pauvre ouvrier, qui, dans ses plus chaudes peintures des misères du peuple, n’a pas laissé échapper un mot, un cri, un murmure contre l’égoïsme, la cupidité et l’oppression systématique;—illustre suivant le monde et suivant l’Évangile, cet homme doux, simple, modeste, qui, nourri de bonne heure des préceptes de la Bible, mit en pratique les préceptes de ce divin livre pour l’édification et l’amélioration morale de ses frères malheureux, et dont le cœur sans fiel ne respire que paix, vertu et charité!
Les poésies de Lebreton ne seront pas admirées seulement comme poésies par les cœurs nobles et les grandes âmes, elles seront lues avec une sévère attention par des hommes, en général, peu sensibles à l’harmonie des vers: les publi{189}cistes, les hommes d’état, les philosophes; car elles révèlent des misères horribles; elles signalent des barbaries énormes. L’existence de la société est précaire, quand la condition de cette société est anormale. Que les misères des classes laborieuses, si pathétiquement décrites dans les Heures d’un ouvrier deviennent donc l’objet des méditations les plus sérieuses. Le poète, qui aurait rempli la première partie de son mandat en exhalant de tendres plaintes en faveur de l’humanité, éprouverait l’indicible satisfaction de s’être acquitté de la seconde en s’attribuant une consolation effective. Plaindre et consoler, ce sont là les plus beaux attributs de la poésie.
C’est pour avoir ignoré ces deux vérités élémentaires que tant de jeunes versificateurs, épris à tort de leurs propres mérites, ont cru pouvoir mettre leur individualité vulgaire à la place de l’humanité. Cette préoccupation égoïste nous a valu cette foule de recueils nuageux, publiés sous ces titres ou leurs analogues: Soupirs et regrets, Soucis et plaintes, Mélancolies,{190} Désespoirs, etc., etc. C’est ainsi que nous sommes initiés, bon gré mal gré, aux pensées secrètes, aux rêveries vagues, aux déceptions cuisantes d’esprits inquiets ou ambitieux qui, trop faibles d’action pour repousser le courant envahisseur du trop plein de notre population, croient, en vertu, peut-être, de la sentence philosophique Nosce te ipsum, s’être lancés dans une voie sûre en nous dévoilant sans réserve le fond de leurs cœurs ulcérés; en nous conduisant jusqu’aux limites extrêmes de leur imagination en délire; en nous peignant leurs troubles, leurs anxiétés, leurs misères. Le jargon du jour a confondu toutes ces poésies dans une seule dénomination: Poésies intimes. Les révélations de l’homme à l’homme ont, en effet, un caractère de grandeur, comme si de cette communication secrète devaient surgir des lumières pour l’humanité. Mais, pour que ces révélations excitent puissamment l’intérêt, il faut, ou qu’elles viennent d’une grande renommée ou qu’elles se produisent, frappées du sceau du génie. Il y aurait{191} toute une poétique à faire pour ce genre, le pire de tous pour les esprits médiocres, et dont nous n’aurions rien dit, s’il n’eût contribué, plus que tout autre, à discréditer notre poésie moderne.
Lebreton a publié deux recueils de poésies: Heures de repos d’un ouvrier et Nouvelles heures de repos d’un ouvrier. Le premier a déjà eu plusieurs éditions et le second obtiendra, sans doute, le même succès. Au moment de l’apparition des Nouvelles heures de repos (1842), un heureux changement s’opéra dans la position de l’auteur: sur la proposition du maire de Rouen[J], le conseil municipal appela Lebreton à un emploi rétribué dans la bibliothèque de sa ville natale. Il serait à désirer que l’autorité supérieure comprît qu’elle doit aussi quelque chose à ce pauvre père de famille, dont la résignation, pendant trente-deux ans, est aussi touchante que ses œuvres sont pures, morales, nobles et élevées. Nous ne saurions mieux ter{192}miner cette notice qu’en extrayant de son second volume: Nouvelles heures de repos d’un ouvrier, la belle pièce de vers adressée aux poètes artisans.
A côté de Lebreton vient se placer Beuzeville, ouvrier rouennais, comme lui, et qui lui doit peut-être plus qu’à tout autre le développement de son génie poétique. Il a, en effet, besoin d’encouragements, l’ouvrier dévoué quotidiennement à des travaux manuels, quand son imagination fermente et crée, quand{198} son âme s’exalte et qu’il se voit renfermé dans une étroite enceinte, environné d’hommes incapables de comprendre ses agitations secrètes, s’il venait à les prendre pour ses confidents. Tel était Beuzeville quand le nom de Lebreton, devenu populaire à Rouen, fit luire dans son cœur un rayon d’espérance. Il alla trouver ce confrère en misère et en poésie, et lui lut, non sans une vive émotion, les pièces de vers qu’il avait composées à huis-clos. La sentence de Lebreton à laquelle on se soumettait par avance, ne se fit pas longtemps attendre, et comme le juge et la partie étaient tous les deux poètes, Lebreton la formula en vers.
Beuzeville est né le premier février 1812. A deux ans, il perdit son père et, deux ans après, sa mère épousa un ancien militaire, qui rentrait dans ses foyers, avec une modique retraite et de nombreuses blessures. Son beau-père, qui possédait les premiers éléments de l’instruction, lui enseigna la lecture, l’écriture et un peu d’orthographe. A douze ans, il fallut qu’il renonçât{199} à ses modestes études pour embrasser un état manuel: il ne fut plus dès lors occupé qu’à fondre et à polir les divers ouvrages qui constituent la poterie d’étain. Mais, avant cette époque, il avait été déjà visité par la muse, comme dit je ne sais quel poète, c’est-à-dire que, dès l’âge de huit ans, il avait composé plusieurs petites pièces de vers, intitulées: Compliments pour des fêtes de famille. A dix ans, il fit hommage d’une pièce de vers de ce genre à Mˡˡᵉ Fizelier, alors soubrette au théâtre de Rouen (aujourd’hui Mᵐᵉ Astruc) et sa douzième année le voyait rêver l’imitation de Lafontaine et de Boileau, seuls poètes qu’il ait connus jusqu’à sa vingtième année. A vingt-deux ans, un exemplaire des Méditations de M. de Lamartine lui tomba entre les mains. Après avoir lu ces admirables poésies, Beuzeville déchira les nombreuses pièces de vers qu’il n’avait cessé d’écrire; il éprouva alors le plus vif désir de trouver un poète ou un artiste assez bienveillant pour lui indiquer à lui, pauvre ouvrier, le but vers lequel il devait tendre{200} de toutes ses forces. Telles étaient ses dispositions quand la société d’émulation de Rouen institua, le dimanche, trois cours gratuits de tenue de livres, de droit commercial et de géométrie; en même temps, l’autorité municipale faisait ouvrir des cours de physique et de chimie. Bien que la plupart de ces sciences ne lui fussent pas d’une utilité actuelle, il les étudia toutes avec assiduité, dans le double espoir de faire l’heureuse rencontre qu’il méditait et d’attirer sur lui l’attention des professeurs. Ce double espoir se réalisa. D’abord, grâce à deux nuits consacrées, chaque semaine, à l’étude; grâce, aussi, à des travaux constants, le dimanche, il remporta les premiers prix de droit commercial, de tenue de livres et de physique élémentaire; ensuite, il fit la connaissance de Théodore Lebreton, alors ouvrier imprimeur en indiennes. Celui-ci avait su apprécier l’immense service qu’il avait reçu de Mᵐᵉ Valmore; il crut ne pouvoir mieux le reconnaître qu’en n’épargnant ni les conseils ni les encouragements à la muse{201} inexpérimentée du jeune poète. C’est ainsi, en définitive, que, dans ces nobles transactions, la principale intéressée c’est la société tout entière.
Ce fut en 1835 que Beuzeville publia ses premières poésies. Elles se ressentent de l’état de son esprit et de son âme, à cette époque: sa pensée triste et sombre ne se montrait qu’à demi; sa verve native était énervée par des plaintes amères, mais qui manquaient de nerf et d’intérêt, parce qu’elles étaient vagues et personnelles. Malgré leurs défauts, ses vers furent accueillis avec faveur et lui valurent de nombreuses sympathies. Il comprit bientôt que les premiers devoirs du poète étaient d’exalter les nobles sentiments et de glorifier les simples et les belles choses pour les empêcher de tomber dans l’oubli. Dès ce moment, tous les journaux de Rouen lui furent ouverts.
En 1839, Beuzeville publia un volume de poésies, intitulé: Les Petits enfants, qui lui attira les éloges unanimes de la presse parisienne. Quelque temps après, les enfants de l’hospice{202} de Rouen célébraient la fête de leur supérieure, en jouant un drame en quatre actes, mêlé de chant, qu’il avait écrit pour eux. Un peu plus tard, une réunion d’amateurs inaugurait un théâtre de société par un prologue; enfin, on accueillit avec faveur, à Paris, La Grisette trompée, monologue dramatique, joué au Panthéon par Mˡˡᵉ Judith Viard; à Rouen, on applaudit Corneille chez le savetier, Un quart d’heure de veuvage, pièces en un acte et en vers; l’Empereur et le conscrit, vaudeville en collaboration avec M. Octave Féré, et un à-propos pour l’inauguration du chemin de fer de Paris à Rouen. Il composa encore plusieurs morceaux en vers en l’honneur de Molière et de Boïeldieu et plusieurs discours, aussi en vers, qui furent lus au théâtre des arts. Une œuvre plus importante, une tragédie, intitulée Spartacus, fut lue par son auteur à M. Eugène Monrose, qui avait joué dans presque toutes ses petites pièces. Le brillant acteur répondit à cette marque d’estime et de confiance en obtenant pour Beuzeville une lec{203}ture au théâtre Français. Le comité accueillit l’ouvrier poète avec la plus honorable bienveillance et reçut sa tragédie à correction. Trop impatient pour attendre, Beuzeville la fit jouer à Rouen et obtint un éclatant succès.
Le lendemain de la première représentation de Spartacus, tous les jeunes gens qui jouaient au théâtre de société de Rouen vinrent éveiller Beuzeville pour lui offrir une couronne d’immortelles et une fort jolie pièce de vers, composée par l’un d’eux. Pendant plusieurs jours, d’autres poésies lui furent adressées par des mains inconnues.
Cette œuvre méritait l’approbation que le théâtre Français s’était empressé de lui décerner: elle se distingue par une versification simple, ferme, concise; par des peintures de sentiment et de passion assez chaudes, assez vraies pour frapper l’imagination, le cœur et la raison, et par des combinaisons dramatiques d’une grande force et d’un vif intérêt. Dans cette tragédie on a dû reprocher à l’auteur l’invraisemblance de{204} la jalousie de Léanès; Spartacus lui-même n’est point assez profondément taillé dans la vérité historique. Je donnerai une idée de la versification de cette pièce en citant une réplique de Spartacus à l’ambassadeur de Rome, venu dans son camp pour le sommer de lui rendre des prisonniers romains:
Mais l’ouvrage qui, dès aujourd’hui, assure à Beuzeville une réputation durable, c’est son livre Les petits enfants. Dans des tableaux de la{206} plus aimable fantaisie, colorés par les effusions d’une âme naïve et tendre, Beuzeville descend l’échelle de la vie, et, sans effort, comme sans apprêt, il se mêle aux jeux de ses petits amis, partage leurs joies et leurs peines, et, dans ses causeries avec eux, laisse échapper mille saillies folâtres, ingénues, qui rappellent l’âge heureux... il est redevenu enfant. Dans ces fraîches et charmantes récréations, où Beuzeville sent son cœur battre avec leurs cœurs, son imagination galoper avec la leur, Beuzeville, redevenu homme, glisse parfois avec une mesure et une grâce parfaite quelques mots précis, qui portent ou un petit enseignement ou une petite leçon. A ceux qui font sa joie c’est bien le moins qu’il donne un bon conseil ou un sage avertissement. Ces aimables et suaves poésies sont empreintes d’une sensibilité vraie; elles respirent une fleur de langage exquise; elles semblent si bien couler de source qu’on serait tenté de les croire échappées du cœur d’une jeune mère.
Sans doute, la nature est pour beaucoup dans{207} le talent de ce poète varié, mais, cependant, que de travaux, que d’efforts pour former ce talent! «Les poètes artisans,» m’écrivait Beuzeville (20 février 1844) «ne sont pas seulement arrêtés par des obstacles matériels; ceux-ci, avec de la volonté ferme, peuvent se vaincre ou s’atténuer, mais ils le sont surtout par les obstacles moraux. Ils sont, au milieu des leurs, comme des étrangers, dont on ne comprend pas le langage; et dont, tout à l’heure, on froisse les sentiments, sans en avoir conscience. Jusqu’à un grand succès constaté, le poète ouvrier est pour les uns un orgueilleux; pour les autres un fou; pour tous un niais. Il est donc contraint de s’isoler; et, comme le talent n’est que le résultat de l’inspiration pliée aux règles de l’art et dirigée par une observation constante du cœur et de l’intelligence humaine qu’il faut satisfaire, son isolement forcé devient un des obstacles les plus difficiles à vaincre pour qu’il parvienne à se faire comprendre de quelques-uns.»
Plus loin il me disait en peu de mots comment{208} sa vie était réglée: «Ma vie, en ce moment, Monsieur, se divise en deux parts bien distinctes: de huit heures du matin à huit heures du soir, le travail manuel et assidu; de huit heures du soir jusqu’au matin, le travail littéraire. Le premier donne la nourriture, le second... dirai-je le bonheur? Oui, le bonheur, quelquefois; surtout, Monsieur, lorsqu’on apprend qu’on a éveillé de généreuses et intelligentes sympathies.» On voit maintenant à quel prix l’homme du peuple gagne son titre de poète.
La pièce suivante, intitulée Le soleil, adressée à de toutes jeunes filles, justifiera notre opinion sur le talent du pauvre potier d’étain:
C’est le cas ou jamais de répéter avec le lecteur ces deux vers de Théodore Lebreton:
Les parents de Poncy sont pauvres; son père, ouvrier maçon, et sa mère travaillent presque toute l’année au dehors pour subvenir aux besoins communs de la famille; aussi, jusqu’à neuf ans, le petit Poncy passe son temps à courir les rues ou à jouer dans les champs, ou bien il est gardé, avec des enfants de son âge, au{214} prix de un franc par mois. A neuf ans, il commence à gagner bravement sa vie; il devient manœuvre au service des maçons; puis, avant de faire sa première communion, ce grand acte religieux, qui refrène les joies impatientes de l’enfance, il fait une courte apparition à l’école mutuelle, d’où il sort pour entrer à l’école de la doctrine chrétienne. Là il étudie un an et demi, et, plus tard, il passe quelques mois à l’école communale supérieure.
Voilà en deux mots la part d’éducation et d’instruction que reçut le jeune Poncy. Après ces études élémentaires, il reprend le plâtre et la truelle.
Mais pourquoi, quand le soleil a fondu le voile de brume et de vapeurs qui s’étend au loin, et va transformer l’immense azur des mers en champ de feu et découvrir, à mesure qu’il monte, le vaste horizon bleu du ciel, pourquoi ce jeune homme, debout sur le bord du rivage, suit-il d’un œil avide la marche ascensionnelle du roi des astres qui, dans ses{215} phases progressives illumine de nuances infinies et les montagnes et les rochers se perdant dans les nues? Pourquoi encore quand les ombres du soir se répandent sur les plaines tandis que le soleil dore d’un dernier éclat ces montagnes et ces rochers, le même jeune homme contemple-t-il avec ravissement les tableaux solennels de cette heure suprême? Pourquoi quand le port est encombré d’une foule d’étrangers venus des quatre parties du monde; foule bizarre aux mille contrastes, aux mille costumes divers, aux mille idiomes différents; pourquoi ce même jeune homme écoute-t-il si attentivement, regarde-t-il avec tant d’ardeur? Pour répondre à cette dernière question, c’est que, peut-être, par le regard et par l’ouïe il obtiendra de cette foule cosmopolite l’explication de ses agitations secrètes, de ses méditations solitaires. Mais non, ce n’est point là que doit éclater le premier jet de sa vocation poétique. C’est de la mer que lui viennent ces tressaillements nerveux qui donnent l’éveil aux facultés{216} de l’intelligence; c’est cette mer qu’il visite, le soir, le matin, à toute heure de liberté; cette mer qui a fait battre si souvent son cœur, qui a enchanté son imagination par ses incomparables prestiges, et dont les mobiles transformations le poursuivent jusque dans ses rêves; cette mer, qui fait fermenter en lui cette flamme impatiente déposée par Dieu en son sein; c’est cette mer qui doit être sa muse visible, et l’affinité mystérieuse qui existe entre elle et lui se manifestera par un hymne qu’il lui adressera, et, dès lors, elle lui aura appris le secret de ses agitations, de ses émotions; elle lui aura révélé sa vocation, elle lui aura dit qu’il est poète... poète de la nature.
Cependant, quelle que soit la puissance de l’inspiration, encore faut-il qu’elle soit disciplinée par les règles de la forme et qu’elle soit corroborée par l’acquisition de connaissances variées, au moins élémentaires. La tragédie d’Athalie, achetée pour deux sous, sur un étalage du port, apprit à Poncy dans ses chœurs{217} qu’il existait des vers de toute mesure, et un vieux bouquin, dégarni d’une partie de ses pages, lui enseigna les règles matérielles de notre versification. Plus tard, moyennant cinquante centimes par mois, il se procura un excellent auxiliaire dans le Magasin pittoresque, qui lui tint lieu de cours d’histoire, de sciences naturelles, de géographie, de beaux-arts, de morale, de tout enfin. Le Magasin pittoresque fut pour lui un véritable instituteur.
Les études du jeune Poncy étaient ignorées de tous, ou, du moins, ses parents en étaient seuls témoins, sans se douter du résultat où il tendait. Un jour vint, pourtant (c’était en 1840) où une circonstance imprévue devait donner confiance dans ses travaux littéraires au jeune ouvrier maçon et lui faire présager la gloire: un morceau de papier, bariolé d’un grand nombre de vers, que la bonne mère de Poncy appelait un barbouillage de son fils Charles, et sur lequel elle invitait le docteur, qui soignait son mari malade, à formuler une ordonnance, frappa l’homme{218} de l’art, qui était aussi homme de goût. Ce fut alors que la Bible, que les ouvrages des plus illustres poètes classiques, anciens et modernes, furent mis dans les mains du jeune ouvrier. Éclairé sur les difficultés de l’art, Poncy ne travailla pas seulement pour produire, il revit, il corrigea, il retoucha toutes ses pièces avec beaucoup de soin; et, quand il eut épuisé vis-à-vis de lui-même toute sa sévérité d’Aristarque, il s’en remit à la sollicitude d’un homme de talent pour faire paraître ses poésies au grand jour de la publicité.
La Presse a reconnu unanimement dans l’ouvrier maçon les qualités les plus précieuses du poète. Pour nous, ce qui nous a frappé le plus dans ses Marines c’est une perception vive, une impressionnabilité délicate jointe à un vigoureux talent descriptif. Quand, rêveur, se promenant sur le rivage de la mer, il sent gronder dans son sein le feu poétique, il a disposé d’un coup d’œil toutes les parties de la scène qu’il va vivifier par sa puissante imagination; puis il{219} les nuance, il les colore, il les diversifie suivant les accidents de la lumière, la mobilité des aspects produits par les flots, les nuages, les navires, les oiseaux; sa plume est un pinceau habile qui compose vite et bien un tableau saisissant. Mais une série de descriptions successives, même très belles, aura toujours pour écueil la monotonie. Soit art, soit calcul, le jeune ouvrier a mêlé avec beaucoup de bonheur à ses peintures brillantes des traits de sentiment ou de grandes pensées qui leur donnent un relief considérable. Ainsi, dans le fond de la mer qu’il cherche à sonder, il voit l’image du fond du cœur humain; une barque abandonnée sur le sable par le reflux de la mer lui paraît le soir de la vie humaine dépouillée de ses illusions, assombrie par les nuages ternes de la réalité, ou bien les flots de fumée qui s’élèvent vers le ciel et se confondent le font rêver aux rivalités et aux haines des hommes. Ce qui donne aux poésies de Poncy une valeur inappréciable, c’est qu’elles sont empreintes d’un profond sen{220}timent religieux. C’est en inspirant l’amour du bien et du beau qu’il veut reconnaître la libéralité de la Providence envers lui.
La pièce suivante est une des plus remarquables de ce premier recueil.
Improvisé à Partégal.
Mais bientôt un nouveau recueil de poésies, Le Chantier, vient nous montrer Poncy animant puissamment ses magnifiques compositions descriptives en les faisant pivoter autour d’une idée forte et en les imprégnant d’une émotion profonde. Souvent entraîné par la sève exubérante de son imagination, il peint la plupart de ses tableaux avec des couleurs trop éblouissantes qui amusent, qui charment, qui enchantent plus particulièrement les yeux, mais ces écarts sont de courte durée; et comme il reconnaît que ses premières poésies, Les Marines, n’étaient pas à l’abri de ce reproche, semblable à l’Enfant prodigue, il ne tarde pas à revenir à résipiscence et, pour nous prouver qu’il tend à un but, même en paraissant s’égarer, il résume sa donnée première par un trait vigoureux, laconique et profond. Il y a donc un progrès marqué dans ces nouvelles poésies, Le Chantier; on y sent mieux palpiter la pensée sous le tissu brillant dont il l’enveloppe. Les deux pièces suivantes, d’un genre différent, mettront nos{223} lecteurs à même de juger de ce progrès si intéressant chez un poète déjà illustre.
Le jour de notre fête patronale, l’Ascension
A Toulon en 1838.
Né à Paris de parents sans fortune, Bouniol n’a guère reçu qu’une instruction élémentaire, et il a demandé longtemps à un travail manuel le pain de la journée. Un goût prononcé pour la poésie se manifesta chez lui de bonne heure, et voici de quelle manière se produisirent ses premiers vers dans le monde littéraire:{232}
C’était en 1835; le rédacteur en chef d’un journal de littérature, de théâtres et de modes entrait chez l’imprimeur de ce journal, l’air rêveur et la tête un tant soit peu penchée sur la poitrine. A quoi pensait-il? A une chose fort inquiétante, ma foi, pour un rédacteur en chef: à remplir dans son journal une lacune de deux grandissimes pages; il avait mal calculé, et, en style d’atelier, il lui manquait de la copie. Il n’avait pas plus de dix minutes pour combler cette lacune; le cas était critique. Que faire?—Mais tout simplement improviser les deux grandissimes pages, me direz-vous.—Très bien; mais soit disposition ordinaire ou extraordinaire, le rédacteur suait sang et eau, devenait pourpre, et, comme frappé d’une paralysie intellectuelle, il voyait s’approcher le fatal moment où il fallait avouer qu’il avait mal pris ses mesures, demander du répit, etc., etc., bref, se compromettre et perdre probablement sa place qui était agréable et nécessaire. Cinq minutes s’étaient déjà écoulées quand un ouvrier de l’ate{233}lier, homme d’un certain âge, à la figure grave et discrète, s’approcha du rédacteur, la tête affublée d’un bonnet de papier, suivant l’usage des ateliers d’imprimerie, se pencha mystérieusement à son oreille et lui dit tout bas qu’un jeune ouvrier, de ses amis, l’avait chargé de lui remettre le premier essai de ses élucubrations poétiques, dans l’espoir qu’elles pourraient paraître dans un prochain numéro du journal de littérature, de théâtres et de modes.
Le rédacteur prit machinalement la pièce de vers des mains de l’officieux entremetteur. Elle était très passable et se trouvait d’une dimension parfaitement égale à la lacune qu’il fallait nécessairement combler.
Le journaliste dit à l’ouvrier que la pièce annonçait des dispositions, qu’elle se trouvait de circonstance, et qu’elle paraîtrait immédiatement. L’ouvrier remercia pour son protégé ledit journaliste qui m’a assuré plus d’une fois que, de toutes les pièces de vers qui lui ont passé sous les yeux, depuis vingt ans, il n’en est au{234}cune qui soit plus présente à sa mémoire que cette première pièce de vers de M. Bouniol.
Depuis, M. Bouniol a publié plusieurs pièces de poésie qui lui ont valu de la presse des éloges mérités. Son vers est vif, coloré, pittoresque, penseur, mais il tourne parfois à l’obscurité et à la déclamation. Toutefois, il est juste de dire que ces deux défauts sont toujours allés en décroissant dans l’ordre de ses publications et qu’on n’en trouve nulle trace dans la dernière qu’il a publiée récemment sous ce titre: Le Siècle, et qu’il a dédiée à M. de Châteaubriand.
En 1840, il publia deux pièces de vers énergiques: Profanation et Aux Lâches. C’est de cette dernière que nous extrayons le fragment suivant:
Mais le titre littéraire le plus solide de Bouniol c’est le recueil publié en 1843, intitulé Orphelines. Ce volume se compose de petits drames en prose, empreints de beaucoup de grâce, de naturel, d’observation; dont la moralité est assez transparente pour être entrevue sans rebuter, et où se trouvent des poésies charmantes, parmi lesquelles brille d’un éclat très vif la pièce intitulée le Poète et les jeunes filles. Quand même Bouniol n’aurait écrit que cette seule pièce de vers, son nom vivrait dans la{237} mémoire des littérateurs comme le nom d’un écrivain plein de naïveté, de finesse et de malice enfantine. Jusqu’à présent nous n’avons pas été avare de citations, car nous voulions qu’on jugeât nos poètes, non d’après nos opinions personnelles, mais d’après des fragments étendus de leurs productions. C’était aussi donner du relief au récit et offrir de nombreux points de comparaison. Toutefois cette pièce est trop longue pour être insérée en entier; nous nous contenterons d’en donner plusieurs strophes, qui convaincront nos lecteurs que M. Bouniol a plus d’une corde à sa lyre:
A Mesdames B.... N. et B.... D.
LES JEUNES FILLES.
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Mais Bouniol, frappé d’une maladie cruelle, est arrêté au milieu de sa carrière. C’est un jeune homme ami de la retraite et de l’étude, ignorant du monde et du savoir-faire contemporain. Il est pauvre aussi. Qu’il reçoive, du moins, l’expression de notre sympathie.{241}
Né à Sens, en 1812, Savinien fut transporté à Paris par ses parents, lors de l’invasion de 1814. Cette famille devint pauvre par une maladie cruelle, qui en jeta le chef à l’hôpital, où il resta deux ans. Ce fut, pendant ce temps d’épreuve, qui obligea la mère de Savinien à se mettre nourrice, qu’il fut envoyé à la campagne{244} chez son grand-père maternel. Si nous recherchons la cause première qui donna l’éveil à la vocation poétique de Savinien Lapointe, nous la trouvons dans le spectacle de la nature se déroulant à son imagination adolescente. Ce fut dans la vie calme des champs qu’il reçut ces impressions profondes qui devaient engendrer plus tard la pièce si charmante: le Bois, que nous donnons ici tout entière:
Lorsque Savinien revint à Paris, son père, guéri, pouvait subvenir aux besoins de sa famille. Le jeune homme quitta alors le toit paternel pour aller habiter un de ces combles mansardés où une vingtaine d’ouvriers travaillent en commun. Très habile déjà, Savinien se perfectionna tellement dans son état qu’il parvint à faire, en un seul jour, sept paires d’escarpins, et, une autre fois, quatorze paires de chaussons. Ce sont deux véritables tours de force que très peu d’ouvriers, même parmi les meilleurs, seraient capables d’exécuter.{247}
Cependant, sa tête ardente demandait une alimentation: il chantait donc, le jour, tout en travaillant, les chansons de Béranger, et, la nuit, il lisait Rousseau, l’auteur de la Nouvelle Héloïse et du Contrat social. L’explosion de juillet arriva: Savinien fut un des premiers à prendre les armes. Les mots d’abaissement continu, de jésuitisme, d’absolutisme bourdonnaient systématiquement depuis de longues années dans les feuilles de l’opposition; le moment était venu pour tout bon patriote de réhabiliter la gloire et la liberté. Le jeune poète le crut ainsi, avec bon nombre de Français. Il fut arrêté, les armes à la main, et il aurait, peut-être, payé de la vie son généreux élan, si la victoire n’était restée à ceux qui partageaient ses opinions et ses espérances. Il avait mérité la croix de juillet; mais comme il était trop fier pour la demander, il ne doit pas se plaindre de ne l’avoir pas obtenue. D’autres, moins modestes, furent plus heureux.
Le mouvement qui éclata, au mois d’avril,{248} ne devait pas le trouver inactif. Arrêté et conduit à Sainte-Pélagie, Savinien put juger comment le pouvoir entendait cette gloire et cette liberté. En réfléchissant sur le passé dans sa prison, il se souvint, peut-être, de l’expédition d’Espagne en 1823, faite malgré les puissances du nord; de l’expédition d’Alger entreprise et heureusement terminée en quelques jours, en dépit des menaces de l’Angleterre; peut-être encore en est-il venu à penser que la branche aînée avait du bon et qu’elle n’eût jamais voulu de l’entente cordiale, non plus que de la paix à tout prix.
Sorti de prison, Savinien Lapointe se maria et publia ses premiers essais poétiques dans la Ruche populaire, journal rédigé par des ouvriers. Bientôt, soutenu par les encouragements les plus honorables et les plus illustres, il fut mis dans le cas de publier un recueil de poésies intitulé: Une voix d’en bas. Ce livre remarquable a suffi pour faire prendre à Savinien une place distinguée parmi nos poètes contemporains.{249}
Le talent de Savinien n’a pas été façonné par une main étrangère; il est le brillant résultat de méditations solitaires, d’études assidues, fécondées par les dons naturels les plus précieux: une imagination puissante; un esprit prompt, alerte, vif, observateur; un sentiment délicat de la mélodie et du nombre. La voix de Savinien est parfois rude, âpre, incisive; elle ne chante pas alors pour plaire, mais pour instruire, amender et réformer. Si les versificateurs de nos jours avaient compris leur époque, ils se seraient abstenus de publier leurs contre-sens, harmonieux, sans doute, mais de purs contre-sens, et la poésie ne serait pas tombée comme jadis la vérité, au plus profond d’un puits, où elle se serait indubitablement noyée sans le secours que lui ont prêté deux poètes de génie.
Les grands hommes ambitionnent des statues et des couronnes, mais les bienfaiteurs de l’humanité ne soupirent qu’après l’accomplissement de leurs projets. Là est leur récompense, la seule récompense digne de leur cœur et de leur charité. Au nombre de ces bienfaiteurs, la reconnaissance et les sympathies universelles de{254} plusieurs milliers d’ouvriers de Paris ont déjà placé M. Claudius Hébrard, pour les fécondes semences de bien qu’il a répandues sur les durs sillons de la terre qu’ils labourent, et qui a, pourtant, porté prématurément de si beaux épis!
Claudius Hébrard est né à Lyon, en 1820. Il entra dans la vie littéraire en 1840. Il quitta le collége, en 1838, et commença, pour l’architecture et l’archéologie du moyen-âge, des études que le mauvais état de sa santé et la faiblesse de sa vue le forcèrent d’abandonner. Maître de son temps, il fonda alors à Lyon une société littéraire, qui prit le nom d’Institut catholique, et publia, sous le même titre, une revue mensuelle, où il fit paraître plusieurs poésies et plusieurs articles de critique littéraire. L’Union des provinces lui est également redevable de l’insertion de plusieurs excellents morceaux de même genre.
Venu à Paris en 1841, il fit paraître plusieurs pièces de vers et plusieurs articles littéraires{255} dans la Gazette de France et dans quelques revues. En 1842, l’œuvre de saint François-Xavier s’étant établie dans la paroisse de Saint-Sulpice, on vint le prier de réciter des vers aux ouvriers membres de cette association. L’âme tendre et dévouée d’Hébrard vit dans cette mission un apostolat. Là, Hébrard pourrait contribuer à la régénération de la société par le charme des souvenirs anciens, par la glorification de ce qu’il y a de plus sacré: la religion et le travail. Contrairement aux opinions des docteurs absolus, M. Hébrard ne crie jamais anathème: il trouve mieux d’encourager, d’exhorter et de contribuer, suivant ses forces, à la propagation des seuls principes qui puissent améliorer la condition humaine.
Au commencement de ce siècle, le retour de la France à la foi catholique provoqué par un puissant génie[M], puis les progrès des sciences naturelles qui permirent de confondre les asser{256}tions impies du siècle précédent, devaient exciter M. Hébrard à l’accomplissement de la tâche à laquelle il s’était voué. Il savait d’ailleurs, que sa poésie, à lui, toute faite pour instruire bien plus que pour récréer; pour moraliser et non pour distraire, trouverait de l’écho dans l’âme des hommes du peuple dont la raison est saine, le cœur pur, et dont toute la vie droite et honnête se consume en travaux pénibles pour subvenir aux besoins de leurs familles. Pendant trois ans, il se rendit donc tous les dimanches dans une des huit paroisses qui possèdent cette œuvre, essayant de consoler le pauvre travailleur par le pain de la parole.
Soit disposition naturelle, soit préméditation habile, Hébrard, dans ses poésies, s’est appliqué à se maintenir dans une région d’idées à la portée de toutes les intelligences; à en bannir tout ce qui tient à l’abstraction ou au mysticisme. Tout est clair, net, précis, pratique, dans ses compositions vivifiées par le feu de la charité chrétienne, colorées par la grâce d’une{257} imagination fraîche et pure, par les élans d’un cœur chaud et généreux. En 1845, il publia par livraisons de nouvelles poésies, sous le titre de Soirées poétiques de Saint François-Xavier.
La critique pourra bien signaler quelques légères taches dans les Heures poétiques et morales d’un ouvrier, mais, nous avons hâte de le dire, de toutes les productions dues à nos poètes artisans il n’en est aucune qui, comme celle-ci, tende aussi directement à la régénération des classes laborieuses. Pour nous, Claudius est plus qu’un bon poète, c’est un apôtre de l’humanité. Ce n’est pas un artisan, comme tous les personnages de notre livre, mais il est comme le père intellectuel et moral de ces artisans, et nul d’entre eux, sans doute, non plus que nos lecteurs, ne nous reprochera de lui avoir donné une place là où l’appelaient naturellement l’amour et les sympathies de ceux pour lesquels il a été un guide, un instituteur et un ami. Nous citons la dernière partie de sa pièce de vers intitulée aux Ouvriers.{258}
Sous le ciel riant de l’Orléanais, dans une petite ville solitaire, côtoyée par la Loire, vit un obscur tonnelier, privé d’études classiques et presque d’instruction élémentaire. Son nom est encore peu connu, mais il mérite de l’être davantage. Un petit volume, publié en 1842, sous ce titre: Essai de poésie, valut à l’auteur de nom{266}breuses et douces marques de sympathie, et si bien que, au bout d’un an, la première édition de cet essai fut épuisée. Encouragé par ce succès qu’il a la modestie d’attribuer principalement à des causes étrangères à son talent, l’auteur a réuni ses premières pièces de vers corrigées et leur en a adjoint quelques autres entièrement inédites. Il a ainsi formé un recueil plus sévèrement élaboré que le premier, plus fort de pensée, plus frais de coloris, plus vif d’expression.
La vie de Germigny est vide de faits intéressants, curieux, ou dramatiques, car il n’a pas besoin de quitter Châteauneuf pour gagner son pain quotidien: là s’exerce son industrie. Là, sont aussi ses amis, ses parents. Il ne verra probablement jamais d’autre horizon que l’horizon de son clocher, et, comme ses pères, il mourra sans doute à Châteauneuf sur Loire. Mais qu’importe? Qu’ont rapporté de leurs voyages autour du monde les Cook et les Bougainville, les Anson et les Baudin? Des descrip{267}tions de contrées nouvelles, de races d’hommes nouvelles, des spécimen d’animaux, de minéraux, de végétaux, jusque’alors inconnus, et encore des améliorations précieuses à la science nautique; mais qu’ont-ils fait pour la poésie? Christophe Colomb, lui-même, revenu à la vie, aimerait mieux, certes, se mettre en quête d’un autre nouveau monde que de rimer le moindre quatrain.
La poésie n’émane directement ni de la diversité, ni de la rareté, ni de la grandeur des objets qui frappent les sens: pendant qu’un géomètre ne regarde la chute du Niagara ou le lever du soleil qu’à travers une préoccupation mathématique, le poète voit dans une feuille qui tombe une illusion évanouie, dans un nuage un fantôme; il entend dans une brise un soupir, dans un ruisseau une voix... Tout, autour de lui, se peuple d’images, de tableaux, sans cesse renouvelés; et, dans le grand livre de la nature, où il lit sans avoir étudié, il contemple avec ravissement les œuvres inimitables de celui qui a{268} établi entre elles et son âme une affinité mystérieuse. On naît poète, indépendamment des latitudes: tandis que le ramoneur Beronicius, en Hollande, chante instinctivement d’admirables poésies, les femmes madécasses modulent la touchante et célèbre élégie: Un pauvre voyageur blanc.
Si les plus grands et les plus imposants spectacles de la nature ne doivent jamais frapper l’imagination du tonnelier de Châteauneuf sur Loire, il portera peut-être un regard plus minutieusement investigateur sur les scènes tempérées qu’il examine; il nous fera mieux pénétrer dans leur intimité, et il nous dévoilera les liens invisibles qui les unissent entre elles pour coordonner leurs rapports.
Les strophes suivantes adressées à une cascade[N] nous paraissent dignes d’être citées.{269}
Mais si l’on trouve ces vers pleins de grâce, de fraîcheur et d’élégance, ceux qu’il adresse à à M. Poultier, de l’Académie royale de musique,{270} paraîtront sans doute plus remarquables par les nuances délicates de la pensée et par l’éclat de l’expression:
Cette dernière strophe, qui renferme une belle image, pèche par la clarté, et nous le regrettons; nous en disons autant de la troisième strophe commençant par ce vers:
Mais, en somme, le tonnelier de Châteauneuf sur Loire doit beaucoup à la nature; il dépend{272} de lui, par un travail assidu et par une grande sévérité envers lui-même de devenir un poète très distingué; dès aujourd’hui, c’est un poète charmant.
La vie de Pélabon n’a été traversée par aucun événement capable d’exciter la curiosité; mais elle peut être proposée comme exemple. Pélabon est né à Toulon, le 7 février 1814, de père et de mère ouvriers. La journée du père, ouvrier de l’arsenal maritime, était de trente-deux sous, et ce modique salaire devait le nourrir, ainsi{276} qu’une femme et cinq enfants. Depuis, la famille s’accrut, la mère de Pélabon ayant eu douze enfants dont il est le neuvième. Mais laissons-le parler lui-même dans son simple et naïf langage:
«Mon père,» m’écrivait-il récemment, «mourut le 12 décembre 1822. J’avais alors huit ans et nous restâmes quatre enfants sur les bras d’une pauvre femme veuve, dont je pleure, depuis quelques années, la perte. Les hautes études ne furent point mon partage. Je fus admis chez les Frères de l’école chrétienne où je demeurai un an tout au plus; à peine si j’eus le temps d’apprendre à assembler les mots et je ne fus admis, depuis, dans aucune autre. Quand j’eus atteint l’âge de quatorze ans, je témoignai à ma mère le désir de m’embarquer, mais plutôt pour soulager sa misère que par caprice. Je naviguai donc quelques années en qualité de mousse et de novice, et débarquai, au bout de ce temps, pour ne plus me revoir en pleine mer.
»En 1831, je fus placé dans le port comme{277} apprenti voilier; état que je professe encore aujourd’hui. J’avais dix-huit ans à peu près, lorsque la poésie vint se manifester en moi. D’ailleurs, une pièce de comédie provençale qui a pour titre Lou Groulié bel esprit, par Étienne Pélabon, mon aïeul, qui, depuis plus de cinquante ans, jouit d’une réputation méritée, m’avait, depuis longues années, inspiré du goût pour la poésie provençale, et, à cet âge, dépourvu encore de toute l’expérience qu’exige une telle science, j’eus la folle idée de débuter par où mon grand-père avait peut-être fini. Je fis une pièce de théâtre provençale, intitulée Franchet et Chrestino, comédie en un acte, qui fut d’abord donnée au public comme un essai, et fut accueillie comme tel. Au bout de quelque temps, j’en fis une seconde intitulée: Magaret et Canoro, en deux actes, d’un genre tout à fait comique; ce qui occasionne souvent la réussite dans la poésie patoise. Une troisième fut aussi composée, peu de temps après: Victor et Madaloun (c’est{278} son titre), toutes les trois imprimées à Toulon. Ayant plus tard reconnu mes fautes de versification et la hardiesse de ma muse, j’éprouvai beaucoup de regret d’avoir publié cette pièce; mais il faut dire que les confidents littéraires et censeurs dévoués et sincères m’ont manqué, et voilà tout le mal. Et je me suis retranché depuis dans un cercle plus étroit et moins périlleux; je ne compose plus que, de temps à autre, quelques pièces fugitives, quelques chansonnettes, etc. J’ai publié en 1842, un petit recueil de pièces françaises et provençales intitulé: Le Chant de l’Ouvrier. Avouez, Monsieur, qu’il faut avoir du courage, sans instruction première, sans connaissance de la grammaire, de se lancer dans la carrière littéraire; semblable à un vaisseau qui veut naviguer sans pilote et sans gouvernail, au milieu des vagues d’un océan si fertile en naufrages. Mais j’avais dans l’âme quelques hautes pensées que je ne pouvais dire en provençal; j’ai essayé de les bégayer{279} en français, et je sais ce qu’il m’en coûte: peines, veilles, travaux, privations, et tout par soi-même!...
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»Vous reconnaîtrez sans peine la plume d’un artisan poète de la nature, comme vous avez eu la juste idée de m’appeler........
»Agréez, etc., etc.»
Sans doute l’inspiration sera toujours le plus précieux don accordé au poète, mais est-il vrai qu’elle soit suffisante? Plus l’esprit est exercé par l’étude, plus il a de termes de comparaison; plus riche et plus originale sera sa broderie sur le canevas de l’imagination. Plus le poète, tendant à se dépouiller de son ignorance, examine, pèse, commente les procédés des grands poètes artistes, plus il se sent enflammé de l’amour de l’art, et plus il comprend que pour leur ressembler il faut s’écarter de leur manière, pour rester soi-même. Il reconnaît alors de quels écueils était entourée la barque de son ignorance, qui{280} retraçait sur les vagues de la mer de la poésie les mêmes sillons tracés avant par des génies cultivés. En un mot, par l’ignorance, on s’expose, à son insu, à être imitateur ou plagiaire; on n’est jamais sûr d’être original. On a soutenu l’inverse. Qui a raison? Nous ne savons; mais il serait bien de connaître beaucoup tout en restant soi-même.
Quand, à quatorze ans, je vis Pélabon lancé sur la vaste étendue des mers, je m’attendis à lire de fraîches et naïves impressions de voyage. L’imagination est si vive à cet âge, le coup d’œil si prompt et si juste! le cœur si chaud, l’âme si tendre! Mais là n’était point la vocation de Pélabon. La mer qui parle si haut à certaines natures fut muette pour lui. L’univers et ses innombrables et merveilleuses créations arrachent à peine, à de très rares intervalles, un son de sa lyre... C’est que, peut-être, le monde extérieur s’efface devant le sentiment religieux, qui vivifie chez lui un monde intérieur d’où il ne sort jamais entièrement. Il ne devait pas non plus{281} aimer la société des marins cet homme calme, recueilli, pieux..... sans doute; mais qu’importe? Sa mère est veuve, sa mère a quatre enfants... elle ne les nourrit qu’à force de miracles... Il s’embarquera, il sera mousse, novice, tout ce qu’on voudra, pourvu que son abnégation soulage cette pauvre mère et profite à ses frères et sœurs.
Parti encore enfant, il revient, après quelques années de navigation, dans toute la force de la jeunesse. C’est à ce temps que la poésie vient le hanter dans son chantier de voilerie; c’est alors qu’elle féconde dans ce noble cœur les germes précieux qui y sommeillaient; c’est là qu’elle lui donne l’éveil de sa vocation; c’est là qu’il compose d’abord son Chant de l’ouvrier, et quatre ans après Une voix de l’âme, dont nous nous occupons en ce moment. Il ne tarda pas à se marier, au retour de ses excursions maritimes, et cette circonstance n’a pu que fortifier le caractère grave et religieux de ses idées habituelles. A son retour chez lui, il consacre ses heures de{282} loisir à corriger et à modifier ses compositions, écrites au chantier.
La poésie de Pélabon est, en général, douce, simple, modeste, sobre de descriptions; ennemie des grands mots et des longues tirades. Elle ne s’efforce pas de plaire, mais elle touche, sans le vouloir. Elle est pieuse, humble, charitable; elle voudrait endormir et consoler tous les maux de l’humanité.
Mais la critique est en droit de demander si Pélabon mérite bien cette glorieuse dénomination de poète. Son pinceau pourrait être sans doute plus ferme et plus vigoureux et il ferait bien parfois de ne pas habiller sa muse des premières parures que l’inspiration lui envoie. Mais, en somme, Pélabon est vrai dans son style et dans ses sentiments; il peint avec naturel et sobriété, et ses compositions sont souvent pleines de verve. Il est donc poète, dans la meilleure acception du mot, et il ne lui faut que du temps et du travail pour conquérir les suffrages même des plus sévères.{283}
C’est pour rendre hommage à son talent que je cite les deux pièces suivantes: Les Cloches du soir et l’Hirondelle et le Christ, qui, dans un genre différent, lui ont valu des éloges mérités.
Pour faire connaître l’homme plus particulièrement, après ces citations poétiques, j’ajouterai: Le dimanche est un jour que Pélabon consacre tout entier à l’Église; il a un goût{287} extraordinaire pour le chant des offices divins. Dieu lui a donné un peu de voix et il l’emploie à ce service. Il ne fréquente que les humbles chapelles, telles que la maison de charité où sont les pauvres vieillards indigents, les enfants trouvés, les orphelins et orphelines, ou le Saint-Esprit, qui est l’hôpital civil.
La vie ordinaire a toujours une grande influence sur les compositions des Poètes du peuple.
Bellaudière, Lamonnoye, Dartros, Aubanel, et toi-même, Pierre Goudelin, qui, depuis 1700, marchais en tête des poètes languedociens, arrière, arrière! faites place au soleil de nos jours, au poète d’Agen, à Jasmin!
Jacques Jasmin (Jaquou Jansemin) est né en 1797 ou 1798 d’un père bossu et d’une{292} mère boiteuse. La physiologie ne nous a jamais dit pourquoi les bossus ont de l’esprit. Quoi qu’il en soit, le père de Jasmin, illettré au point de ne savoir pas lire, composait ordinairement les couplets burlesques chantés aux charivaris du pays, et il ne manquait jamais d’y conduire l’enfant, pour qu’il l’imitât peut-être un jour. Ses parents étaient fort pauvres, mais on vit de si peu dans le midi! Et lui, gai, vif, pétulant, courait presque toute la journée, avec de petits camarades, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, ne s’apercevait de rien, et les longues journées employées en jeux et en exercices de tout genre s’écoulaient sous ce beau ciel comme des ombres. Cependant dix ans sonnèrent. A cet âge, la raison parle sous l’empire de certaines circonstances. Un jour qu’il jouait sur la place en gamin déterminé, un groupe se forme: il s’avance: il voit assis sur un fauteuil un vieillard qu’on portait. Il reconnaît son grand-père; il se jette à son cou.—Où vas-tu, grand-papa? Qu’as-tu à pleurer? Tu ne veux pas quitter tes{293} petits!—Mon enfant, dit le vieillard, je vais à l’hôpital; c’est là que les Jasmin meurent.
Ce fait change l’enfant en homme; une lumière a lui sur son passé: il a vu pour la première fois la misère jusque-alors invisible, et il va engager avec elle une lutte à mort. Il entre comme apprenti chez un coiffeur et se fait remarquer déjà par la légèreté de sa main et ses saillies intarissables. Mais c’est à la nuit que Jasmin demande son avenir: à la lueur d’une lampe dont le reflet joue aux feuilles du tilleul voisin, Jasmin passe sept à huit heures à lire, à rêver, à versifier. A force d’économie et de calcul, il parvient à ouvrir bientôt pour son compte, un petit salon sur la belle promenade du Gravier, où une petite clientèle se forme progressivement. Mais bientôt la réputation du coiffeur circule aux quatre coins de la ville; sa renommée, comme chansonnier, ne tarde pas à voler dans le département; la vogue arrive enfin.
Jasmin, à défaut de la misère qu’il ne peut{294} assommer en chair et en os, en brise le symbole, le fauteuil fatal sur lequel tous ses pères se sont fait conduire à l’hôpital. Peu après, pour mieux constater son triomphe, il se rend chez un notaire pour acheter la maison qu’il habite, et enfin, le premier de sa famille, et fils de ses œuvres, il voit son nom couché sur la liste du collecteur. C’est à ces heureuses circonstances qu’il fait allusion quand il dit quelque part:
Pour comble de bonheur, sa femme, d’abord ennemie jurée de la prose et encore plus des vers, bien qu’elle soit pleine d’esprit naturel et d’imagination, sa femme qui, d’abord lui dérobait ses plumes et son encre pour l’empêcher d’écrire, sa femme a subi une complète méta{295}morphose. C’est aux chansons de son mari qu’on doit l’achalandage de la boutique; il faut donc que son mari ne cesse d’en composer: «Courage,» s’écrie-t-elle de temps à autre, «chaque vers c’est une tuile que tu pétris pour achever de couvrir la maison;» et, sans le savoir, toute la famille fait la contre-partie de la recommandation de Voltaire: «Faites des perruques, faites des perruques» en s’écriant en chœur: «Fais des vers, fais des vers.»
Ceci est une esquisse sommaire de sa vie qu’il a développée avec un rare talent dans ses Soubenis (Souvenirs.).
Quatre poèmes principaux ont été composés par l’illustre coiffeur: Lou Chalibari, les Soubenis, l’Aveugle de Castel Cuillé et Françounetto. Son premier poème, le Charivari, publié en 1825, est un poème burlesque, dans le genre du Lutrin, auquel il n’a pas craint de faire quelques emprunts. L’opinion a changé à l’endroit du patois, cette belle langue rustique dont les érudits faisaient fort peu d’estime et à laquelle mainte{296}nant, grâce à Jasmin, ils sont tout disposés à faire les yeux doux.
«Non,» a dit un compatriote de Jasmin, «les idées nouvelles, en corrompant la simplicité des antiques traditions, en amoncelant çà et là d’immenses ruines, ne seront point assez puissantes pour détruire cette langue si expressive et si riche, la première que nous ayons bégayée; cette langue qui est celle du peuple; cette langue, que nous savons tous, sans l’avoir apprise et que nous n’oublierons jamais. Non, rien ne prévaudra contre la destinée d’un idiome qui a traversé des siècles, et que rajeunit, en l’illustrant, notre moderne troubadour.» On peut mettre, sans partialité, cette ingénieuse et brillante composition entre la Rapita Sacchia et le Lutrin. Dans mous Soubenis on trouve un admirable alliage de gaîté, de sensi{297}bilité et de passion. Une tradition populaire a fourni à Jasmin le sujet de l’Aveugle de Castel Cuillé et il a su l’élever aux proportions d’un poème d’un immense intérêt. «Le poème de Françounetto» dit M. de Lalis, «fruit d’un labeur de deux années, est-il digne des éloges qu’on en fait et de l’admiration qu’il excite? Nous l’avons entendu; et, mettant de côté le prestige de la déclamation chaleureuse et entraînante de Jasmin, il nous a semblé que cette fois il s’était surpassé. Le plan et l’exécution en sont parfaits. Jusqu’à présent on n’était pas d’accord sur le mérite des diverses productions de notre poète gascon: les uns trouvaient que les Soubenis, écrits d’une manière si légère et si facile, portaient en même temps un cachet si particulier de franche gaîté, de modestie, de naïveté et de sentiment que leur auteur n’avait rien fait de mieux; d’autres, au contraire, donnaient la préférence à l’Abuglo de Castel Cuillé. Nous pensions comme les premiers. Aujourd’hui,{298} la supériorité de Françounetto ne sera probablement contestée par personne. Il y a dans cette œuvre des beautés de l’ordre le plus élevé: un intérêt soutenu, pendant quatre chants, une connaissance profonde du cœur humain; des détails gracieux et exacts sur les usages, les croyances et les mœurs des habitants de la campagne; des descriptions délicieuses; et un style, tantôt noble, tantôt familier, souvent pathétique, étincelant de pensées neuves et hardies, toujours élégant, châtié, harmonieux, et constamment approprié aux situations où sont placés les auteurs de cette épopée populaire. Il y a surtout une chanson ravissante dont les paroles et l’air sont empreints d’une couleur locale, qui lui donne un charme inexprimable; elle est tout ensemble pastorale et anacréontique.
»Il faut le dire ici: dans Jasmin tout est original: son génie comme son caractère. Poète-créateur dans l’idiome patois, ainsi que{299} Malherbe et Corneille le furent dans la langue française, un premier bond l’a porté non seulement bien au delà de ses devanciers, mais il a atteint tout d’un coup une pureté que l’on n’acquiert ordinairement qu’à la longue et avec beaucoup de travail. La nature l’a doué d’une imagination féconde dont un tact infini modère les écarts; son esprit est remarquable par les saillies et les traits piquants que lui inspirent les plus petits incidents de la vie. Le goût du beau et du vrai est inné chez lui, son instinct des convenances ne le trompe jamais.—Après cela, observez-le individuellement: celui que distinguent tant de brillantes qualités, celui qui reçoit de toutes parts des hommages continuels et sincères, celui qui est au niveau des premiers poètes de l’époque, celui qui est né pauvre et de parents pauvres, comme il le dit lui-même en vers admirables dans ses Soubenis, le poète, enfin, dont la réputation est déjà colossale n’a pas quitté son premier état, et il n’a garde d’en rougir. Il{300} se fit coiffeur par nécessité et il l’est encore; jadis la boutique était ouverte à quiconque pouvait payer un modique salaire, aujourd’hui c’est encore de même. Il n’est pas sorti de sa position sociale, et certes il l’aurait pu.»
Dès 1835, Jasmin parcourut les principales villes du midi de la France, qui l’avaient invité à venir leur réciter ses vers en séance solennelle. Partout un enthousiasme porté jusqu’au délire! Partout de véritables ovations! Jasmin était dans toutes les bouches, dans tous les esprits, dans tous les cœurs! Jasmin était le poète-roi du midi.
Après la publication de son beau poème Françounetto, il se décida à venir à Paris sur les invitations réitérées qui lui étaient adressées par les plus grandes célébrités. Voici en quels termes il rapporte la soirée qu’il passa chez M. Augustin Thierry, qui avait réuni pour l’entendre l’élite de la plus haute société[O]:{301}
Les grands poèmes de Jasmin sont aujourd’hui trop connus pour en extraire des fragments avec quelque chance de plaire par la nouveauté. Je citerai donc de préférence deux pièces détachées où l’auteur moins occupé des ressorts de la composition se montre dans toute son ingénuité; où, personnellement en scène, il nous laisse lire dans son âme. La première que voici contient le récit de son voyage à Paris, qu’il adresse à madame Adrien de Vivens, pour remplir la promesse qu’il lui avait faite:
PREMIER MAI 1842.
A Madame Adrien de Vivens.
8 MAI.
Ne sont-ce pas là de bien belles impressions de voyages; sans fard comme sans enluminure? Comme tout y est vif, leste, naturel et vrai! N’y a-t-il pas aussi de la sublimité dans ces lignes si simples:
La poésie ne consisterait donc pas dans les{307} vers? A ce compte, les plus grands poètes pourraient bien n’avoir écrit qu’en prose.
Jasmin contemplant la grande capitale sous ses aspects les plus imposants vient de nous peindre les idées, les images, les sentiments dont elle a peuplé son imagination et son cœur. C’est comme un panorama mobile où la succession des objets s’embellit des nuances les plus délicates de l’esprit le plus subtil et le plus pénétrant. A ce vaste tableau extérieur nous opposerons un tout petit tableau d’intérieur, capricieusement dessiné à propos de l’envoi de cahiers de papier fin, qu’on lui adressait pour copier Françounetto. Le fait est peu émouvant, il faut l’avouer; mais les poètes n’ont-ils pas un talisman comme les magiciens? Voyons donc ce que devient ce papier fin sous le talisman de Jasmin:{308}
Eh bien, qu’en dites-vous? n’est-il pas sorcier ce Jasmin? Rompons donc avec lui de peur de maléfice et prenons congé de lui en vers patois, pour en finir:
A nos ingénieux artisans, à nos poètes incultes vient se joindre ici la jeune fille agreste; gaie comme l’oiseau du bocage, vive et alerte comme la biche de la forêt, simple comme la fleur des champs: Élise Moreau dont les chants poétiques, un jour, salués par les applaudissements de notre grande ville, iront re{316}tentir sous les chênes séculaires de Mazières; Mazières, du département des Deux-Sèvres, aux grands bois, aux prés herbeux, et si solitaire qu’il n’est connu que de ceux qui l’habitent. C’est dans cet endroit perdu que s’écoula l’enfance d’Élise, loin de tout enseignement primaire, par l’excellente raison que cet enseignement n’avait pas alors pénétré jusque là. A défaut de maîtres et de leçons, elle lisait dans ce merveilleux livre de la nature qui ne s’ouvre que pour ses adeptes: le chant d’un oiseau, le souffle d’une brise, les parfums d’une fleur, étaient pour elle autant de thèmes vivants pour les modulations de la poésie. Elle avait six ans à peine lorsque sa première pièce de vers lui fut inspirée par la circonstance suivante:
On avait célébré, le 6 janvier, la fête des rois, en famille, en compagnie du curé, du notaire et du médecin. La fève était tombée à Élise. Les convives déclarèrent qu’elle devait, à son tour, payer un gâteau. Son embarras fut grand, car elle ne possédait qu’un très mince capital,{317} destiné, disait-elle, à jeter les fondements de sa bibliothèque.
«Si je faisais une chanson?» se demanda-t-elle. «Maman qui a bien voulu se charger de confectionner le gâteau, l’acceptera peut-être en paiement.»
La chanson fut faite, et chantée, le soir même, aux grands applaudissements de tous les invités. Ce premier succès encouragea l’enfant au point que, à compter de ce moment elle dédaigna tous les amusements de son âge et ne s’occupa plus que de traduire dans un langage cadencé tout ce qui frappait ses regards et sa pensée.
Mais elle comprit bientôt que, pour écrire, il fallait savoir et savoir beaucoup, et que, pauvre enfant, confinée au fond d’un obscur village, elle ne savait rien. Un jour, des voyageurs visitèrent le pays. L’un d’eux causa longtemps avec la petite fille, conseilla aux parents de la mettre, sans tarder en pension, soit à Niort, soit à Parthenay, et laissa à dessein un exemplaire des œuvres de Racine sous un des{318} berceaux de noisetiers du jardin. La lecture de ce modèle de toutes les perfections littéraires ouvrit un monde nouveau à Élise, et fut probablement la cause de cette pureté d’expression qu’on remarque dans ses vers.
Peu après, sa famille quitta Mazières, pour aller habiter Coulonges, autre bourg plus considérable à quatre lieues de Niort. Là vivait un savant médecin, qui, émerveillé du talent précoce de cette enfant, lui ouvrit sa bibliothèque et voulut même faire des démarches pour qu’elle entrât dans la meilleure pension de sa ville. Élise accepta les livres avec une reconnaissance infinie, mais quant à l’invitation d’aller en pension, pouvait-elle l’accepter, elle qui avait passé presque tout son temps, au grand air, à la campagne? Et puis son esprit actif et vagabond comme l’abeille, ne butinerait plus les fleurs des livres, d’après ses caprices et ses instincts elliptiques. Au règne de la fantaisie enivrante succéderait celui de l’ordre et de la méthode: il faudrait tout ranger au{319} cordeau, tout mesurer au compas, suivre, sous peine de réprimande les explications, ou lourdes, ou obscures, ou insuffisantes de maîtres routiniers. Quand on apprenait si bien et tant de belles choses au bord d’un frais ruisseau, coulant en doux murmures, titillant sourdement la paresse de l’esprit et de l’imagination sous l’ombrage parfumé d’un tilleul ou d’un maronnier en fleur; bercée par le gazouillement des mésanges et des chardonnerets, par le roucoulement des tendres ramiers; charmée, à chaque instant par les métamorphoses riantes de légers et brillants nuages se jouant à l’horizon.... Quoi donc! échanger cet admirable spectacle de la nature et ses sublimes émotions contre la cellule d’une classe! Cet échange eût été un trop grand sacrifice; cet échange eût tué toute inspiration; mademoiselle Moreau refusa net.
Ce fut vers cette époque qu’elle composa une touchante élégie sur la mort de mademoiselle Élisa Guizot. Par l’entremise de M. Heim, préfet des Deux-Sèvres, qui avait pour elle une{320} bienveillance paternelle, mademoiselle Moreau envoya cette élégie à M. Guizot, alors ministre de l’instruction publique. Ce dernier répondit à la jeune fille une longue lettre écrite en entier de sa main, et ne borna pas à de vaines paroles ce qu’il appelait sa reconnaissance: il fit parvenir à mademoiselle Moreau un encouragement de 500 francs et, l’engageant à quitter Coulonges pour Paris, il lui assura qu’elle trouverait un ami dans le ministre. Cette promesse, il l’a tenue. Si la jeune fille sans fortune et sans prôneurs a vaincu les difficultés de sa position, c’est au constant appui de M. Guizot qu’elle le doit.
Cependant la renommée d’Élise Moreau grandissait; on ne parlait que d’elle dans son département. Il fut de nouveau question de la mettre en pension. Ses parents crurent bien faire en la faisant entrer dans le pensionnat de mademoiselle Bérat à Niort. Malgré toutes les bontés qu’on eut pour elle dans cette maison, elle ne put y demeurer qu’un mois. Loin de sa{321} mère, loin de la nature, cette âme aimante souffrait trop.
Une dernière épreuve était réservée à la pauvre enfant: on croyait encore à l’initiation obligée de la poésie, qu’on regardait comme l’arcane des arcanes; les poètes de la nature n’existaient pas alors. Il advint donc qu’un professeur de littérature, octogénaire, M. Briquet, se mit en tête que, avant de mourir, il pourrait doter son pays d’un poète féminin. Finis coronat opus, a dit un ancien, et le professeur de littérature avait résolu de clore sa carrière par l’accomplissement de cet excellent adage. Cette résolution passa à l’état d’idée fixe dans le cerveau du bon vieillard et ses instances devinrent si pressantes que mademoiselle Moreau dut partir pour Niort, afin de profiter de ses leçons. Elle descendit, suivant les intentions de M. Briquet, dans la maison de madame Goujon. Au bout de trois mois, le vieillard mourut, et mademoiselle Moreau, en quittant le pensionnat jura qu’elle ne rentrerait jamais dans{322} aucun établissement de ce genre. Des professeurs, consultés par sa famille, dirent qu’il fallait la laisser s’abandonner à toute la liberté de ses inspirations. Revenue à Coulonges, elle sentit qu’il lui restait beaucoup à apprendre encore et se mit au travail avec une ardeur que ne ralentissait même pas la faiblesse de sa santé. Une grande joie vint l’y trouver: à des vers qu’elle avait adressés à M. de Lamartine sur la mort de sa fille elle reçut de l’illustre poète une réponse, aussi en vers, accompagnée d’un exemplaire des Méditations et des Harmonies.
En 1834, le premier congrès scientifique se tint à Poitiers, ville peu distante de Coulonges. Le préfet des Deux-Sèvres, M. Léon Thiessé, protecteur zélé de la jeune fille, engagea ses parents à la conduire au congrès. L’enfant eut un succès complet. Elle improvisa une ode sur les travaux de cette assemblée, qui lui décerna une médaille à l’effigie de Malherbe. Dès ce moment, sa destinée poétique fut fixée. L’année{323} suivante, elle vint à Paris avec sa mère, qui ne l’a jamais quittée depuis. M. Guizot l’accueillit comme un ami et lui donna immédiatement une pension de 400 francs. Cette pension a été depuis augmentée deux fois par M. de Salvandy et le sera sans doute encore.
Mademoiselle Moreau publia, en 1837, la première édition des Rêves d’une jeune fille, qui fut rapidement épuisée. En 1838, son ode sur l’arc de Triomphe de l’Étoile obtint une mention honorable de l’Académie française. Elle fit paraître ensuite un roman intitulé: Une destinée, puis un livre pour la jeunesse, en prose aussi, Les Souvenirs d’un petit enfant. Ce dernier ouvrage a obtenu, en 1841, un encouragement de 800 francs de l’Académie française. L’année suivante, cette même académie a décerné à l’unanimité à mademoiselle Moreau le prix de 1,500 francs de M. de Maillé, de la Tour Landry, destiné au talent poétique qui donne le plus d’espérances.
Les poésies de mademoiselle Moreau forment{324} principalement un recueil d’élégies qui brillent par un remarquable talent de versification; on y trouve de la grâce, de l’harmonie, de l’élégance jointe à l’abondance des images, à l’habileté et au naturel des tours, à une variété de pensées justes, ingénieuses, délicates, exprimées d’une manière ferme et concise. Le talent de ce poète de la nature appartient, selon nous, au genre tempéré; il s’élève rarement vers les grands horizons de la pensée; mais quand élargissant ses cadres, il passera de sujets privés à des sujets d’intérêt général, quand il déploiera enfin ses ailes dans toute leur largeur, il se montrera sans doute sous un jour plus splendide qui le fera paraître plus saisissant, plus profond et plus sympathique.
La pièce suivante qui ne se trouve pas dans les poésies publiées par mademoiselle Moreau, et qu’elle nous a obligeamment communiquée donnera une idée de son talent poétique.{325}
Le jour de sa première communion.
Pendant que les salons de Paris résonnaient de la voix pure et mélodieuse d’Élise, une autre jeune fille, dans un coin retiré de la Normandie, sentait aussi s’allumer en son cœur la flamme de la poésie en présence d’une nature riante et pittoresque. Sa venue au monde avait été déplorable:{332}
Bientôt ses infirmités disparaissent. Habitante d’une petite ville avec sa mère et sa sœur, elle parcourt presque toujours seule les belles campagnes qui l’environnent, et laisse flotter ses pensées sous le souffle des émotions qu’elles lui causent.
Ce secret fatal lui fait prendre, à vingt ans, une résolution virile: elle viendra à Paris, ce rendez-vous universel des douleurs et des infortunes, et, chevalier anonyme, elle se jettera sans peur dans le tournoi sanglant de la renommée pour conquérir la palme qui doit cacher la rougeur du front de Marie Laure.
Elle y vint en effet, il y a quatre ans, seule, sans autre appui qu’une lettre de recommandation, ce roseau vermoulu du malheur. Elle alla se loger dans une petite chambre de la rue de Vaugirard, d’où elle apercevait les marronniers du Luxembourg, qui lui rappelaient les ombrages de ses campagnes. C’est là qu’elle écrivit les dernières pièces de ses Églantines et toutes les nouvelles qui forment la première partie du volume qu’a publié un loyal et consciencieux éditeur.{334}
«Infatigable,» dit-il, «elle se reposait du travail en courant les bureaux de journaux et les éditeurs. Elle parvint à placer comme feuilletons quelques unes de ses nouvelles, qui, malheureusement, n’eurent pas le temps de paraître.—Ses amis avaient déjà réuni pour son volume de poésies plus de 500 souscripteurs. Enfin, au mois de juillet, fatiguée de cette lutte sans trêve, elle alla se retremper dans l’atmosphère calme de la famille. Pendant trois mois, elle vécut avec délices dans ses campagnes tant regrettées, entre sa mère qui l’avait attendue impatiemment et sa sœur qu’elle ne devait plus revoir.»
C’est peut-être pendant cette courte trêve qu’elle publia cette touchante pièce de vers, Un regard en arrière, qui nous fait pénétrer dans l’intimité de sa pensée.{335}
Mais la lutte qu’elle avait engagée ne pouvait être interrompue plus longtemps: il fallut retourner à Paris. A son arrivée, elle s’occupa de la publication de ses premières poésies: Les{336} Églantines, qui parurent à la fin de décembre 1842. Au plus fort de ses préoccupations littéraires, elle reçut une autre lettre de sa mère, exprimant de vives inquiétudes sur la santé de sa fille aînée. Marie Laure crut que sa mère s’exagérait l’état de sa sœur et chercha à la rassurer dans sa réponse. La pauvre mère, incertaine alors, craignant; d’une part, de troubler Marie Laure au milieu de ses travaux, et, de l’autre, ne sachant pas au juste jusqu’à quel point la santé de sa fille devait l’alarmer, écrivit en termes moins inquiétants. Au commencement de mars, Marie Laure reçut des nouvelles rassurantes sur la santé de sa sœur. Elle se flatta alors que le printemps amènerait une guérison, et l’espérance vint se placer entre ses vœux et ses prières. Mais comme un coup de foudre, la nouvelle de la mort de sa sœur vient la frapper, et, peu de temps après, sa mère entre dans sa petite chambre.
A la vue de sa fille, naguère encore si charmante, de sa fille affreusement pâle et maigrie;{337} de sa fille dont la voix est faible et altérée, dont la taille s’est voûtée, dont la démarche est chancelante et le regard est terne, la pauvre mère est saisie d’effroi, et elle conduit sans retard son enfant chez un médecin célèbre. Ce médecin reconnaît une phtisie pulmonaire mortelle... cependant l’air de la campagne a fait quelquefois des miracles, et il recommande l’air de la campagne.
Marie Laure respira encore l’air pur des champs, auquel elle dut un soulagement momentané; mais son sort était décidé sans retour. Les secours de la religion lui furent administrés. Elle vécut encore quelques jours, plongée dans un assoupissement presque continuel. Dans un moment lucide, où le sourire errait sur ses lèvres pâles, et où elle pensait à Dieu et à sa bonté infinie, sa pauvre mère lui entendit dire très distinctement à voix basse:
«Mon Dieu, je vous demande un million de fois pardon.»
Le lendemain de sa mort, c’était la fête du{338} village, les jeunes, filles, vêtues de blanc, voulurent la porter elles-mêmes jusqu’au cimetière. Elles jetèrent sur sa tombe des milliers de fleurs et l’entourèrent de rosiers blancs.
Voici l’épitaphe qui fut gravée sur la pierre de son tombeau:
La vie de Marie Laure a été trop courte pour que son talent put briller dans toute sa force et dans toute sa pureté. Le recueil de nouvelles en prose et de poésies qu’on a publié après sa{339} mort est empreint d’un délicieux parfum de jeunesse et d’une originalité native qui décélait l’inspiration. C’est comme poète de la nature que Marie Laure figure dans cet ouvrage; poète spirituel et penseur, qui, s’il eût vécu plus longtemps, fût devenu sans doute un grand poète.
La pièce qui suit a été composée par Marie Laure, pendant le mois qui a précédé sa mort. Elle en écrivit les derniers vers quelques heures avant son agonie.
Quelle est cette frêle jeune fille, au teint pâle, aux longs cheveux blonds! Assise sur le sommet d’une colline, le front appuyé sur sa main, elle suit, d’un regard mélancolique, à travers les prairies, le Loir, dont le cours sinueux semble être l’image des méandres de sa pensée; puis, détachant ses yeux de ce{346} spectacle magnétique, elle relève la tête et arrête sa vue sur les tours imposantes du collége militaire, bâti par le roi populaire, par le bon Henri, et sa pâleur s’efface, sa tristesse s’envole, car les rêves de son imagination, les pressentiments de son âme se dissipent au souvenir de cette éclatante mais douce et pure gloire qui, comme un baume bienfaisant, a rasséréné son cœur alarmé. Malheureuse jeune fille aux nobles pensées, aux instincts généreux, orpheline, sans parents, sans appui, tu n’as, pour défier l’avenir, que ta mère, pauvre veuve, avant le temps, d’un brave militaire; que ta mère énervée par la douleur.
Mais sur cette existence menacée par un sombre avenir luit tout d’un coup une vive lumière:{347} la Bienveillance, sous les traits d’une femme poète[Q], éveille de nombreuses sympathies en faveur de la jeune muse abandonnée, attire sur elle l’attention de personnages puissants. Bientôt, grâce à cette intervention généreuse, la pauvre Marie, délivrée de ses noirs pressentiments, rassemble ses poésies, feuilles éparses qu’elle avait écrites sous de pénibles impressions, et, le cœur gros d’attendrissement et de reconnaissance, elle peut inscrire sur leur frontispice cette dédicace expansive:
Ce livre est la première, la seule richesse que je possède en ce monde; qu’ELLE[R] me laisse le lui offrir, ELLE qui a délivré mon âme de ses douloureuses préoccupations, en répandant la sécurité pour l’avenir et la douce quiétude du présent sur les vieux jours de ma mère bien aimée.
Les préludes sont empreints d’une tristesse maladive, apanage funeste de ces organisations délicates qui, à leur entrée dans la vie, sont si{348} brutalement étreintes par la misère et la douleur qu’elles se croient fatalement appelées à subir ce double joug. On reconnaît la trace du malheur dans cette pièce touchante: Si je mourais!...
C’est peu après sa première nomination à un emploi honorable que mademoiselle Carpantier dut composer sa pièce intitulée Sur le côteau de Saint-Germain-du-Val, pendant la nuit. Le ton de cette pièce est bien différent de la précédente; on y respire l’allégement du cœur, la satisfaction{351} intime, la sérénité, le calme après la tourmente. Nous en citerons une partie pour montrer ce jeune talent sous un autre jour.
Pendant la nuit.
On le voit, la vie de mademoiselle Carpentier ne présente qu’une physionomie monotone; le grand événement qui l’a marquée a été son voyage à Paris. Mais nous disons tant mieux avec l’excellent M. Primrose[T], cet ami du foyer domestique, dont toutes les émigrations s’étaient bornées à passer, dans sa maison, de la chambre bleue à la chambre rose, et nous répéterions volontiers aussi, avec les voyageurs aux pays lointains, désenchantés, au retour, ces vers d’un charmant poète français, Léonard:
Comme Élise Moreau, comme Marie Laure, mademoiselle Carpantier doit presque tout à la{355} nature. Ses dispositions précoces pour la poésie lui valurent les plus vives sympathies. L’étude vint ensuite les développer; mais ce fut l’étude individuelle, l’étude telle qu’elle a été pratiquée par nos poètes artisans, l’étude sans maître.
L’auteur des Préludes a composé son recueil de pièces assez différentes de forme, de ton, de couleur et de sentiment. La critique sévère y reprendra des alliances de mots et des rimes usées, et réclamera moins d’abondance et de facilité. Mais ce sont là des taches légères. Mademoiselle Carpentier excelle dans les tableaux sombres ou sauvages; son pinceau, tout viril alors, nous transporte par sa touche énergique et fière. Nous citerons, en ce genre, Une création de Satan, et surtout Indépendance, dont les cinq dernières strophes resteront dans la mémoire des littérateurs.
Quand l’homme plie sous l’adversité, il interroge le ciel de son passé pour y retrouver une étoile amie. Ce ciel est souvent couvert, mais pour Labatut ce ciel était clair et serein, et l’étoile amie y brillait d’un vif éclat. C’est que cet homme, ancien soldat, avait toute la chaleur d’âme de ses pareils; il croyait à la{360} constance de l’amitié, parce qu’il l’éprouvait lui-même.
Lafon Labatut, originaire du Bugue, petite ville en Périgord, avait épousé à Messine, après beaucoup de traverses, une jeune sicilienne d’une éclatante beauté. Il revenait en France, sur un vaisseau de la marine anglaise, avec sa femme et Joseph, alors âgé de cinq ans; mais la jeune femme, atteinte de la peste, était morte à Gilbraltar.
Après ce coup terrible, il débarqua à Calais, avec son enfant qu’il traînait et portait tour à tour, et se dirigea vers Paris, où il espérait retrouver un ami d’enfance, M. Pelissier, qu’il savait occupé auprès de M. Raynouard, le secrétaire perpétuel de l’Académie française. Cette espérance qui l’avait soutenu pendant ce pénible voyage devait se réaliser; il rencontrait la fin de ses fatigues à Passy, dans la maison de campagne de l’auteur des Templiers.
Le pauvre soldat et son enfant, après quelques jours de repos, se mirent en marche pour{361} leur pays. Labatut trouva sa mère morte, et son père ne tarda pas à la rejoindre. Lui-même succomba à ses chagrins peu d’années après.
La douceur et l’excellent naturel du petit Joseph, la précocité de son intelligence, sa gentillesse, ses saillies enfantines lui firent tour à tour des protecteurs et des amis. Il faut placer à leur tête une bonne veuve qui l’attira chez elle, le surveilla dans ses jeux, le combla de caresses et de bonbons, et lui apprit à lire. Le petit Joseph demanda ensuite qu’on lui enseignât l’écriture, mais la bonne dame, à son grand regret, ne put lui rendre ce bon office, son savoir n’allant pas jusque là. L’enfant ne se découragea pas, et, s’étant procuré des plumes, des crayons et du papier, il imita les caractères des titres des fables de son bon ami La Fontaine, et il se fit ainsi une écriture que la nécessité pouvait s’attribuer pour une bonne part.
A l’âge de neuf ans il entra chez un vieux curé de village, son parent, qui l’emmena dans son presbytère et en fit un enfant de chœur ac{362}compli. Quatre ans s’écoulèrent dans le calme et la douceur de la vie champêtre, mais ce calme et cette paix ne le rendaient pas heureux; Son sang sicilien, avide d’action, s’aigrissait dans ses veines; il rêvait, si jeune, sans que ses rêveries lui donnassent le secret des vagues aspirations qui le tourmentaient. C’est à cet état de son âme qu’il fait allusion dans ces vers du Presbytère:
Un événement imprévu vint déchirer le voile{363} qui couvrait son intelligence: un jour il avisa juché au haut d’une armoire, un vieux bouquin poudreux. Il le dénicha à l’instant. Ce bouquin était un poème sublime; c’était l’Iliade. Les scènes solennelles et pompeuses d’Homère, les luttes terribles de ses dieux et de ses héros s’emparèrent tout d’un coup de cette imagination flottante; aussi les murs du presbytère, tapissés par les dessins grandioses de Joseph, exécutés au charbon, devinrent-ils, en peu de jours, l’Illustration détaillée du plus beau poème de l’antiquité.
Joseph en était là lorsque vint à mourir le bon curé. Il fut appelé à Paris par M. Pelissier, ce fidèle ami de son père, qui voulait être aussi le sien, et lui tenir lieu de tous les protecteurs que la mort lui avait successivement enlevés.
M. Pelissier, sa famille et ses amis furent émerveillés des prodigieuses dispositions de Joseph pour le dessin. On fut curieux de savoir quel effet produirait sur lui la vue des chefs-d’œuvre des grands maîtres. On le con{364}duisit au Musée du Louvre. L’impression fut grande, profonde. A la vue des tableaux de Rubens, «Rubens,» s’écriait-il avec exaltation, «ô Rubens! je veux être Rubens!»
Confié aux soins d’un dessinateur habile, M. Sudre, il fut bientôt assez fort pour entrer dans l’atelier de Gérard. Il apprenait en même temps l’art des écritures lithographiques, et, après quelques mois d’étude, il était en état de gagner quatre à cinq francs par jour. Un horrible malheur devait confondre la sollicitude de l’excellent M. Pelissier et enlever à Joseph le fruit de ses veilles et de ses travaux. Un soir il rentra de l’atelier, les yeux enflammés et sanglants. On ne tarda pas à s’apercevoir qu’une double taie obscurcissait sa vue. Il ne restait d’espoir que dans un traitement épouvantable. Le jeune artiste s’y soumit, mais son martyre fut inutile. Quand l’art est à bout, il se retourne vers la nature; on conseilla le climat méridional, et, quelques mois après, Labatut était complètement aveugle.{365}
Il était dans la destinée de cet infortuné de faire naître autour de lui les plus vives sympathies. La sœur de la femme généreuse qui avait entouré son enfance de tant de soins vint reprendre cette œuvre de charité interrompue par la mort, et un jeune chirurgien qui lui avait prodigué les secours de son art, vint se joindre à elle pour lui donner, du moins, les prévenances et les consolations de l’amitié. Ce jeune chirurgien avait une petite fille qui, mieux que toute autre personne, réussissait à distraire et à récréer le pauvre aveugle par son innocent babil, ses naïves gentillesses et son naturel aimant et sensible. L’enfant préférait à tout la société de Labatut, qui lui racontait les plus belles histoires de la Bible, les épisodes les plus dramatiques de l’Iliade. Insensiblement Labatut comprit qu’il pouvait être utile, et il disposa ses récits de manière à développer l’intelligence de sa petite amie. Il n’était pas bien savant, mais il avait beaucoup de zèle; il répondait de son mieux à toutes les questions de l’enfant, et, en piquant{366} sa curiosité, il parvint à lui inculquer le peu de science qu’il possédait. Cette petite fille avait une mémoire heureuse: elle récitait avec grâce, et sans se faire prier, les plus jolies fables de La Fontaine. Toute la ville était émerveillée du maître et de l’écolière.
Un père de famille vint alors prier Joseph de se charger de l’éducation de son fils. Joseph accepta, sans hésiter, ayant avisé à un expédient qui devait le rendre capable de s’acquitter convenablement de sa tâche. Dans sa combinaison ingénieuse, c’est l’élève qui fournira au maître les éléments divers de son enseignement; c’est dans ce but que le premier fera au second des lectures à haute voix sur tous les sujets. Ces morceaux épars des connaissances humaines qui, à une simple audition, se gravent indélébilement dans son vaste cerveau, Labatut parviendra à les rallier dans un tout par les fils imperceptibles qui les unissent l’un à l’autre; et, par la lucidité supérieure de son entendement, il se créera des méthodes simples et faciles, dont la clarté fé{367}conde lui sera démontrée par les progrès rapides de l’enfant confié à ses soins.
Bientôt l’instruction du jeune élève de Labatut fut si généralement connue que plusieurs jeunes gens vinrent lui demander des leçons. Les enseignements de l’aveugle leur furent aussi profitables, et ils achèvent aujourd’hui avec distinction leurs études universitaires.
Quand le monde extérieur, cette seconde vie du peintre, s’était complètement évanoui sous son regard éteint, Labatut était tombé dans un violent désespoir. Dans ses rêves, la nuit, dans ses rêveries, le jour, il appelait à grands cris la nature, la mère de son génie morte pour lui; il pleurait sur le soleil du midi—mort pour lui; sur les fleuves aux ondes argentées; sur les prairies émaillées de fleurs, sur les forêts ombreuses, sur toutes les merveilles de la création; enfin, tout cela confondu pêle-mêle dans un invariable horizon noir... O regrets amers! O douleurs poignantes! O insomnies cruelles!
Mais cette flamme de l’art qui ne trouvait{368} plus d’issue pour se répandre au dehors aurait fini par le dévorer s’il n’eût compris qu’il fallait lui trouver un autre aliment. Ce fut pour soulager son âme ulcérée qu’il composa des pièces de vers sombres et navrantes, comme Ma Vision, Ce qui me reste, Un Fragment.
Quand le temps l’eut ramené à un état moins violent, il se plut à jeter un coup d’œil sur ses souvenirs d’enfance, sur ses attachements, sur ses sympathies. Quelle sensibilité, quelle grâce, quel charmant coloris dans les pièces qu’il créa sous cette disposition plus calme. Nous citerons de préférence celle qu’il adressa à sa mère.
Mais ces admirables peintures n’étaient que l’écho fidèle de ses tristesses intérieures, et il voulut embrasser un plus vaste horizon, en dévoilant des impressions, des passions et des sentiments mieux appropriés aux dispositions de l’humanité dans ses conditions ordinaires. Parmi ces pièces où son talent se développe et s’élève très haut, nous citons la pièce suivante, l’Oiseau inconnu.
Une particularité remarquable c’est que Labatut n’écrit pas ses vers: il les compose dans le silence et se les récite à lui-même, comme pour endormir ses douleurs. Une autre circonstance non moins curieuse c’est que son incontestable habileté de la forme, il l’a acquise seul, puisqu’il fut son instituteur à lui-même depuis les règles de la grammaire et de la prosodie jusqu’aux délicatesses et aux artifices du langage poétique.
Labatut s’était fait une méthode d’enseignement surtout en vue de gagner son pain de chaque jour. Malheureusement sa santé affaiblie lui enleva cette ressource. C’est alors qu’un jeune officier, neveu de la bonne veuve dont nous avons parlé, pensa à recueillir les poésies du jeune aveugle et à les publier. Mais ce ne fut qu’après les plus vives instances que cet ami parvint à vaincre ses répugnances pour la publicité. Voici ce que Labatut écrivait à ce sujet à cet ami zélé:
«Vous le savez, ce n’est pas un vain désir{375} de célébrité qui m’a fait céder à vos instances et consentir à livrer au public de mauvais vers que j’aurais voulu garder pour moi et pour quelques rares amis, qui sont bien obligés de supporter quelque chose.
»Si jusqu’à présent je m’étais toujours refusé à me faire imprimer, c’est que je trouvais un autre moyen de vivre; il me manque aujourd’hui, et il faut bien, malgré toutes mes répugnances et mes craintes, que je me décide à prendre ce dangereux parti.
»Mais il le faut, vous le voulez, et puisque c’est une dernière planche de salut, je vais encore m’y hasarder.»
L’épilogue par lequel Labatut termine son livre fait connaître le peu de foi qu’il avait{376} dans le mérite de ses poésies et dans leurs succès.
Malgré ces tristes pressentiments, l’Académie française a décerné d’une voix unanime, un prix de quinze cents francs à ce jeune poète de la nature et du malheur.
FIN.{379}
FIN DE LA TABLE.
FOOTNOTES:
[A] Chacun veut acquérir des connaissances, mais de payer le salaire, tout le monde y répugne. Juvénal, Satire VII, vers 156.
[B] M. Clément Savatier, de Saumur.
[C] L’opinion de l’auteur sur J.-J. Rousseau est évidemment toute poétique. Il nomme fort improprement «l’ami du malheureux» un homme qui mettait ses enfants à l’hôpital et qui a violemment attaqué la religion catholique. (Note de l’auteur.)
[D] Démosthènes, fils d’un forgeron.—J.-B. Rousseau, cordonnier.—Rollin, coutelier.—Horace, affranchi.—Fléchier, faiseur de chandelles.—Molière, tapissier.—Franklin, pauvre artisan.—Quinault, boulanger.—J.-J. Rousseau, horloger. (Note de Gonzalle.)
[E] Cette opinion n’est pas nouvelle et elle n’en est pas plus solide: «Origène,» disent les philosophes, «témoigne que les premiers chrétiens faisaient peu de cas des temples et des autels. C’est, en effet, au milieu de l’univers qu’il faut adorer celui qu’on en croit l’auteur. Un autel de pierre, élevé sur une hauteur, au milieu d’un vaste horizon, serait plus auguste et plus digne de la majesté suprême que ces édifices dans lesquels sa puissance et sa grandeur paraissent resserrées entre quatre colonnes. Le peuple se familiarise avec la pompe et les cérémonies d’autant plus aisément que, étant pratiquées par ses semblables, elles sont plus proches de lui et moins propres à lui imposer; bientôt l’habitude les lui rend indifférentes. Si la synaxe ne se célébrait qu’une fois l’année et qu’on se rassemblât de divers endroits pour y assister, comme on faisait aux jeux olympiques, elle paraîtrait d’une tout autre importance. C’est le sort de toutes choses de devenir moins vénérables en devenant plus communes.»
On a répondu à ceci de la manière suivante: 1º Il est faux que la vue du ciel et d’un vaste horizon fasse plus d’impression sur le commun des hommes qu’un temple décemment orné. Le peuple est plus accoutumé à voir le ciel et la campagne qu’à voir des cérémonies pompeuses; il ne médite ni sur la marche des astres ni sur la magnificence de la nature. Le sacrifice offert au ciel, une fois l’année, sur une montagne, par l’empereur de la Chine, à la tête des grands de l’empire, est, sans doute, imposant; cependant il n’a pas empêché le peuple, les grands, et l’empereur lui-même de tomber dans le polythéisme et d’adorer des idoles dans les pagodes. C’est un fait devenu incontestable. Les Perses et les Chananéens offraient aussi des sacrifices sur les montagnes; ils n’en adoraient pas moins des marmousets sous des tentes. Aussi Dieu défendit ces sacrifices aux Israélites; il voulut qu’on lui dressât un tabernacle et ensuite un temple. Montesquieu observe très bien que tous les peuples qui n’ont pas de tentes sont sauvages et barbares.
2º Il est faux que les premiers chrétiens aient pensé comme les philosophes. Ils ne pouvaient avoir de temples lorsqu’ils étaient forcés de se cacher pour célébrer les saints mystères; mais ils bâtirent des églises, dès que cela leur fut permis, et elles furent démolies pendant la persécution de Dioclétien. Il y en avait certainement du temps d’Origène. Jamais les chrétiens n’ont tenu leurs assemblées en pleine campagne. (Gerbet, Dictionnaire théologique.)
[F] Les domestiques n’entrent pas ici.
[G] Pour qui me prenez-vous? Je ne sors pas.
[H] Le marinier Réfour, lors de l’inondation de Saumur, a donné la preuve que sous sa modeste blouse battait un cœur généreux; sa conduite a été au dessus de tous les éloges.
[I] MM. Fain et Thunot.
[J] M. Henri Barbet.
[K] Montagne près de Toulon.
[L] Parmi les divers systèmes d’échafaudage en usage dans le midi, il en est un dont les maçons se servent, qui consiste à suspendre par les deux bouts, avec des palans fixés sous les toits, de longues échelles qui reçoivent le nom de ponts. (Note de Poncy.)
[M] M. de Châteaubriand.
[N] La cascade à laquelle l’auteur s’adresse existe dans le parc du château de Châteauneuf sur Loire, appartenant à madame Eulalie Lebrun.
[O] Les amis de l’auteur, en donnant cette traduction, ont dû renoncer à faire du français élégant et châtié, leur but étant de laisser bien comprendre le faire simple, naïf, et surtout l’entrain du poète. Ils n’ont voulu, dans cette traduction, d’autre mérite que celui de ne pas chercher à en avoir; elle est presque toujours mot à mot; aussi espèrent-ils que, à l’aide de cette espèce de décalque, les personnes les plus étrangères à notre harmonieux idiome comprendront le texte facilement.
[Q] Madame Amable Tastu.
[R] Madame Tastu.
[S] Les tours du collége militaire de la Flèche, bâti en 1602 par Henri IV.
[T] Personnage principal du roman moral anglais intitulé le Vicaire de Wakefield, composé par le célèbre Goldsmith.