The Project Gutenberg EBook of Dictionnaire critique et raisonné du
langage vicieux ou réputé vicieux, by Louis Platt de Concarneau

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Title: Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux

Author: Louis Platt de Concarneau

Release Date: September 17, 2018 [EBook #57919]

Language: French

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Au lecteur.

Table.

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Elle appartient au domaine public.

DICTIONNAIRE
CRITIQUE ET RAISONNÉ
DU
LANGAGE VICIEUX OU RÉPUTÉ VICIEUX.

IMPRIMERIE DE H. FOURNIER,
RUE DE SEINE, N. 14.

DICTIONNAIRE
CRITIQUE ET RAISONNÉ
DU
LANGAGE VICIEUX OU RÉPUTÉ VICIEUX.

OUVRAGE
POUVANT SERVIR DE COMPLÉMENT AU DICTIONNAIRE DES
DIFFICULTÉS DE LA LANGUE FRANÇAISE,
PAR LAVEAUX;

PAR UN ANCIEN PROFESSEUR.

«En fait de grammaire, l’exposition des fautes est plus utile que celle des préceptes.»

(Sabatier, Trois siècles de la Litt. française.)

«Il ne faut qu’un mauvais mot pour se faire mépriser dans une compagnie, pour décrier un prédicateur, un avocat, un écrivain. Un mauvais mot, parce qu’il est aisé à remarquer, est capable de faire plus de tort qu’un mauvais raisonnement, dont peu de gens s’aperçoivent, quoique cependant il n’y ait nulle comparaison de l’un à l’autre.»

(Girault-Duvivier, Gramm. des Gramm., t. II, art. Usage, édit. de 1812.)

PARIS,
CHEZ AIMÉ ANDRÉ, LIBRAIRE,
RUE CHRISTINE, No 1.

1835.


A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z


PRÉFACE.


S’il est une étude d’une indispensable nécessité c’est bien certainement celle de la langue maternelle. Les meilleurs esprits en ont toujours proclamé la haute importance.

Et cependant, que de gens ne voyons-nous pas tous les jours chercher à faire étalage de science littéraire, à qui nous pourrions avec raison adresser le reproche d’ignorer les rudimens de cette science: la grammaire. Hommes imprévoyans, ils veulent élever l’édifice de leur renommée, sans avoir songé à sa base! Ils ambitionnent notre admiration, et ils n’ont pas su prendre le soin d’éviter d’abord le ridicule, qui, sur notre moqueuse terre de France, fait des blessures dont on guérit si rarement. Oui, tout homme qui estropiera la grammaire, ne devra jamais se flatter d’exercer une grande influence intellectuelle sur ses concitoyens. Il verra, avec amertume, malgré toute son éloquence, le rire dédaigneux effleurer les lèvres de ses lecteurs ou de ses auditeurs, et détruire peut-être le germe d’une II pensée utile ou généreuse, qui, ornée d’une phrase correcte, eût laissé un ineffaçable et fécond souvenir. Cet homme dira sans doute que notre futilité nous fait en cette circonstance sacrifier l’accessoire au principal, la grammaire n’étant réellement autre chose que l’art de présenter les idées; et cet homme n’aura pas tout-à-fait tort. Mais ne pourrait-on pas aussi lui répondre: en thèse générale, l’homme seul qui a fait des études est apte à instruire ses semblables, parce que ces études ont dû lui donner de bonne heure l’habitude de la réflexion. Or, quelles études avez-vous donc faites, vous qui ne savez même pas vous exprimer correctement dans la langue de votre pays? Vous avez une science spéciale, direz-vous, entièrement en dehors des connaissances grammaticales. D’accord; soyez même un homme de génie, nous n’y voyons pas d’obstacle, mais vous n’en aurez pas moins établi contre vous une prévention fâcheuse qui aura frappé votre carrière, à son début, d’un coup dont elle pourra se ressentir toujours; car malgré les plaisanteries dont on poursuit quelquefois les grammairiens, ne dit-on pas tous les jours, en parlant de quelqu’un dont on veut caractériser l’ignorance: Il ne sait même pas le français! Humiliante réflexion! qui, au reste, ne paraît pas exercer une grande influence sur bon nombre de nos auteurs contemporains, qui, se croyant bien vengés en rendant mépris pour mépris, s’écrient emphatiquement: L’étude de la grammaire dessèche l’esprit! Eh! messieurs, soyez plus francs; dites donc que la paresse vous empêche de vous livrer à un travail qui vous paraît d’ailleurs inutile, parce que l’argent des désœuvrés, seul objet de vos frivoles et éphémères travaux, arrive malgré cela dans votre bourse, ou bien III convenez que vous cédez à la honte d’apprendre dans un âge mûr ce que vous eussiez dû savoir à votre entrée dans le monde. De bonne foi, croyez-vous que la grammaire ait desséché l’esprit de La Fontaine, qui se plaisait tant à la discuter, de Boileau, qui l’avait étudiée d’une manière si approfondie; de Voltaire, qui s’en est si souvent occupé dans ses ouvrages; de Dumarsais, qui en avait fait l’objet des investigations habituelles de son esprit, et qui cependant écrivait sur des matières philosophiques avec tant de puissance de raisonnement et de chaleur entraînante; de Malherbes, qui nous a laissé des commentaires estimés sur Desportes; de Marmontel, de Condillac, qui ont fait chacun une grammaire, etc.; et, parmi nos contemporains, MM. Ch. Pougens, Raynouard, Ch. Nodier, etc., n’ont-ils donc pas prouvé que l’imagination la plus riche pouvait parfaitement s’allier à l’érudition grammaticale. La grammaire dessèche l’esprit! Telle a été jusqu’à présent la sotte excuse mise en avant par les écrivains ignorans à qui la critique reprochait leurs solécismes ou leurs barbarismes. Nous venons de prouver combien cette assertion est fausse, et nous pensons qu’on ne doit réellement voir, dans tout littérateur incorrect, qu’un écolier qu’il faut renvoyer sur les bancs de l’école qu’il a quittés prématurément. Apprenez, lui dirons-nous, la langue universelle que les étrangers étudient avec tant d’ardeur; la langue que les Racine, les Boileau, les Montesquieu, les Buffon, les Voltaire, ont approfondie sans en devenir plus secs; apprenez-la en lisant leurs ouvrages, et si, après avoir achevé cette étude, il se trouve que votre esprit, desséché dans cet intervalle, ne vous permette pas d’aller plus loin dans la carrière littéraire, IV résignez-vous au silence. Ce sera sans doute un malheur pour vous, comme c’en est un pour le propriétaire du champ qu’une première récolte a épuisé. Mais qu’y faire? le public ne manquera pas pour cela d’auteurs qui, tout en étudiant leur langue avec tout le soin qu’elle exige, sauront encore après trouver dans leur génie, ou les grandes pensées qui instruisent, ou les récits animés et gracieux qui amusent, et qui, pour être rendus avec correction, n’en seront certainement pas plus dédaignés par personne.

Ces réflexions, nous les avons faites de bonne heure, et c’est, pénétré de leur importance, que nous nous sommes livré aux études grammaticales, par raison d’abord, ensuite par état, et enfin, nous aurons le courage de l’avouer, par pur amusement. Mais que de peines n’avons-nous pas quelquefois éprouvées pour résoudre des questions assez importantes qui se présentaient à notre esprit! Que de fois, après avoir feuilleté minutieusement un grand nombre d’ouvrages spéciaux, n’avons-nous pas été douloureusement obligé d’ajourner la solution de nos problèmes! Oh! que nous eussions alors accepté avec reconnaissance un livre qui, consciencieusement fait, concis et peu coûteux, eût abrégé nos études et ménagé notre bourse! Mais il n’existait pas; et c’est en mémoire de notre temps perdu dans des recherches longues, pénibles et souvent stériles, et dans le but d’en affranchir ceux qui désirent étudier particulièrement leur langue, que nous nous sommes décidé à publier le travail que nous offrons aujourd’hui au public.

Plusieurs ouvrages, se proposant le même but que le nôtre, ont déjà paru à différentes époques; aucun de ces ouvrages, esprit de rivalité à part, ne nous a V semblé tout-à-fait satisfaisant. Voilà pourquoi nous écrivons. Il n’est pas, bien entendu, question ici du Dictionnaire des Difficultés de la langue française, par Laveaux. Peu de livres de grammaire ont mérité et obtenu autant d’estime que celui-là. L’auteur a su, par d’immenses recherches, présenter en un seul faisceau les remarques les plus judicieuses éparses dans une foule de traités, dédale obscur où peut seul pénétrer avec fruit le compilateur patient et instruit. Mais l’érudition n’a pas été le seul mérite du laborieux écrivain que nous venons de citer. Un jugement sain, un esprit délicat, l’ont presque toujours guidé dans le choix de ses matériaux, et au lieu de faire comme la plus grande partie des grammairiens, ou plutôt des grammatistes, selon l’expression de Dumarsais (Encycl. méth., art. Grammaire), qui se sont spécialement occupés de l’orthologie, un recueil d’observations que le goût n’a certainement pas discutées, Laveaux a fait un travail presque complet dans son genre, et surtout un travail consciencieux. Ce n’est donc pas avec la prétention de refaire son ouvrage que nous avons écrit, c’est uniquement pour suppléer à ce qu’il a omis, parce que cela n’entrait pas tout-à-fait dans son plan. Nous voulons en un mot faire le contraire de ce qu’il a fait. Laveaux a dit ce qu’on doit dire; nous dirons, nous, ce qu’on ne doit pas dire. Laveaux s’est adressé aux gens déjà instruits, aux gens que le désir d’apprendre ne détourne pas de la lecture ardue d’un long article de grammaire en petit-texte, et à deux colonnes; nous, au contraire, nous écrivons généralement pour les gens peu instruits (et qu’on ne s’y trompe pas, cette désignation comprend également des gens de toutes les classes de la société), pour ceux qu’une lecture de VI quelques minutes, sur un sujet grammatical, fatiguerait bientôt, qui veulent de l’instruction, mais de l’instruction mâchée, pour ainsi dire, et qui désirent, en consultant le livre qu’ils auront choisi pour guide, pouvoir trouver le mot qu’ils cherchent, orthographié comme ils ont l’habitude de l’orthographier (ou plutôt de le cacographier), et, de plus, une opinion succinctement émise sur la valeur de ce mot.

Nous avons eu, en relevant les fautes de langage, un double écueil à éviter. Signalons-nous une locution que les gens instruits reconnaissent tous pour vicieuse, comme il a s’agi, il s’est en allé, c’est une somme conséquente, ces gens s’écrient aussitôt: Mais personne ne dit cela. Signalons-nous, au contraire, une expression mauvaise, mais usitée généralement, comme demander des excuses, observer à quelqu’un, se rappeler d’une chose, vessicatoire, etc., ces mêmes gens nous disent alors: Mais tout le monde dit cela! Malheureusement les gens peu instruits sont précisément les plus nombreux; c’est donc à eux que nous avons dû nous adresser. Dans le but de leur être utile, nous ne nous sommes pas arrêté aux objections que quelques expériences déjà tentées nous ont fait juger devoir s’élever, et nous avons poursuivi notre tâche en frondant également et les locutions, sinon positivement triviales, du moins voisines de la trivialité, et celles qui, plus ambitieuses, se sont glissées dans la bonne compagnie, au barreau, à la tribune nationale, et ont même su trouver la protection de noms littéraires bien connus, malgré le vice dont elles étaient entachées. Et pouvions-nous procéder autrement? Était-il même possible que notre livre ne s’adressât pas à tout le monde? VII Comment faire un ouvrage dont le degré de science fût à la portée du degré d’instruction de chaque lecteur? Il est certain que, si telle personne le trouve trop savant pour elle, telle autre ne le trouvera pas assez. Placé dans cette alternative de blâme, nous avons pensé que, puisqu’il nous était absolument impossible de l’éviter, nos efforts ne devaient désormais tendre qu’au plus d’utilité générale, et dès lors nous nous sommes décidé à signaler toutes les locutions vicieuses usitées par les différentes classes de la société. Toutefois il est un reproche que nous n’avons pas voulu encourir justement, c’est celui de nous appesantir sur des fautes tellement grossières, qu’elles ne puissent être faites que par des personnes absolument privées de toute instruction, et ce n’est effectivement pas pour ces personnes-là que nous avons écrit. Quand nous avons relevé ces fautes-là, ce n’a été qu’en courant, pour ainsi dire.

Nous affirmons, du reste, que les fautes les plus graves que nous ayons signalées, ont été faites devant nous, dans le cours de plusieurs années, consacrées aux observations dont nous publions aujourd’hui le résultat, par des personnes passablement lettrées, ou qui du moins paraissaient l’être.

Nous avons eu lieu de faire à ce sujet une remarque qui ne sera pas, nous le pensons, dépourvue d’intérêt pour quelques-uns de nos lecteurs; c’est que presque toutes les fautes que fait aujourd’hui la partie la plus ignorante du peuple, et que les compilateurs de locutions vicieuses traitent dédaigneusement de barbarismes ou de solécismes, sont tout bonnement des archaïsmes; c’est-à-dire que cette partie du peuple qui se trouve, pour ainsi dire, VIII hors la loi grammaticale, a fait subir à la langue beaucoup moins d’altérations que l’autre partie qui possède l’instruction. Le bas langage est en effet plein de mots qui appartiennent au vieux français, et qui nous font rire lorsque nous les entendons prononcer, parce que notre manque de lecture des anciens auteurs ne nous permet de voir dans ces expressions que des mutilations ridicules, où, plus instruits, nous retrouverions des débris de notre vieil idiôme. Il arrive par là qu’en croyant rire de la bêtise de nos concitoyens illettrés, ce qui n’est pas fort généreux, nous ne faisons, le plus souvent, que nous moquer de nos aïeux, ce qui n’est pas trop bienséant.

Nous avons si souvent mis à contribution les écrits de nos meilleurs philologues modernes, que nous nous faisons un devoir et un plaisir de leur offrir ici notre tribut de profonde reconnaissance. Notre livre n’étant après tout qu’une compilation, nous n’avons pas eu le sot amour-propre de ne donner à nos lecteurs que des articles rédigés par nous. Toutes les fois qu’une opinion nous a paru bien motivée et bien rendue, nous n’avons jamais hésité à en faire usage, en prenant constamment le soin scrupuleux, et nous ajouterons fort rare chez nos confrères, d’accoler au passage emprunté le nom de son auteur. Nos lecteurs ne pourront certainement que gagner à cela, puisque, de cette manière, ce sera presque toujours de nos plus savans grammairiens qu’ils recevront des leçons.

Il nous reste maintenant à dire un mot sur l’esprit philosophique de notre ouvrage; c’est celui du progrès, mais d’un progrès bien entendu, c’est-à-dire judicieux et graduel, et qui ne ressemble nullement à celui qu’un grammairien de beaucoup de mérite IX d’ailleurs a naguère tenté sans succès. La société ne court heureusement aucun danger par les retards apportés à la réforme de l’édifice grammatical. Rien ne nous presse; hâtons-nous donc lentement, mais au moins travaillons-y, et n’imitons pas ces grammairiens qui,

Au char de la Raison, attelés par derrière,

font tous leurs efforts pour nous maintenir dans un chaos qui leur est sans doute nécessaire pour briller du seul éclat qu’ils puissent jamais espérer: celui de l’érudition, et qui sentent fort bien que leurs facultés intellectuelles ne sont pas destinées à s’élever au-dessus de la mémoire. Ce sont ces grammairiens qui jadis proclamaient qu’on devait prononcer aneau, manger un quartier d’aneau, lorsqu’il est question de la viande de l’animal mort, et agneau seulement lorsqu’on parle de l’animal vivant; qu’on devait prononcer froid, froa, dans le style soutenu, et frè, dans le style familier; qui, aujourd’hui, veulent qu’on écrive verd par un d, quand ce mot a rapport à l’agriculture, et par un t, quand il n’y a pas rapport, et qui s’efforcent de nous faire dire un froid automne, parce que l’adjectif est avant le substantif, et une automne froide, parce que l’adjectif est après. Faire justice de pareilles niaiseries nous a semblé une chose si naturelle, que nous ne nous sommes même pas arrêté à la pensée que personne de sensé pourrait nous en adresser le moindre reproche.

Les grammairiens modernes, vraiment dignes de ce nom, ont tous adopté déjà cet esprit de réforme auquel nous avouerons que nous nous sommes laissé aller avec d’autant plus de plaisir, que, cette voie ayant été frayée par de grands talens, nous n’avons X pas craint de nous y égarer. C’est, dit-on, dans cet esprit qu’est conçue la rédaction du Dictionnaire que l’Académie va bientôt livrer à notre impatiente curiosité. Heureux gouvernement que celui des lettres, où les chefs sont aussi les sincères partisans des réformes!


ERRATA.


Pag. Lig.  
13 17 Au lieu de aiguiézée, aiguisée, lisez: aiguière, aiguiérée.
19 10   raisonner  — résonner.
21 21   17e siècle  — 16e siècle.
22 23   grammariens  — grammairiens.
26 4   les Espagnols ambrosia  — les Espagnols ambrosía.
43 22   que nous asseyions  — que nous nous asseyions.
58 13   seconde  — second e.
65 1   eudêver  — endêver.
69 5   en mouillant  — sans mouiller.
104 12   suivie  — suivi.
108 26   Plut. Marcus Crassus  — Marcus Crassus.
110 7 (et suiv.) Plus qu’à demi mort, plus qu’à moitié mort, etc., mais plus d’à demi mort, plus d’à moitié mort, lisez: plus d’à demi mort, plus d’à moitié mort, etc., mais plus qu’à demi mort, plus qu’à moitié mort. (Voyez PLUS).
135 27   laquelle lisez: lequel.
166 26   aru.  — dru.
233 25   marce.  — marche.
272 9   andin  — andain.
323 19   contraire  — contraires.
336 27   invariable  — variable.
354 14   rebaiffde  — rebiffade.
372 25   DE COURVAL,
sonnet sat.
 — DE COURVAL-SONNET, Sat.
381 5   d’une.  — de.
382 20   dant  — dont.
393 12   l’on en tire.  — l’on n’en tire.
397 27   qualification.  — qualificatif.
415 3   sybillin.  — sibyllin.

DICTIONNAIRE
CRITIQUE ET RAISONNÉ
DU
LANGAGE VICIEUX OU RÉPUTÉ VICIEUX.

A.

Locut. vic.   Sept ôtés de dix, reste à trois.
Onze à douze femmes.
Le fils à Guillaume.
Agissez de manière à ce qu’on vous loue.
 
Locut. corr.   Sept ôtés de dix, reste trois.
Onze ou douze femmes.
Le fils de Guillaume.
Agissez de manière qu’on vous loue.

—Boileau a dit:

Cinq et quatre font neuf, ôtez deux reste sept.

C’est comme s’il y avait: il reste sept; ce qui prouve que la préposition à est ici complètement inutile.

A ne doit pas se prendre indifféremment pour ou dans cette phrase: il y avait sept à huit femmes, «phrase recueillie, dit Domergue, par nos dictionnaires, et désapprouvée par le bon sens. On dit avec raison de sept à huit heures, allant de sept à huit heures, parce que huit heures est le terme où aboutit l’action d’aller; il y a un espace à parcourir; il y a des fractions d’heure; mais de la septième femme à la huitième il n’y a point d’espace; on ne conçoit pas des fractions de femme; il faut opter entre sept et huit, et dire sept ou huit femmes.» (Solutions grammat.)

Le fils à Guillaume est une mauvaise locution, en 2 ce que le rapport d’origine doit être marqué par la préposition de et non par la préposition à. Autrefois ce rapport était indiqué indifféremment par à ou par de; on se passait même de préposition.

Ung Gilles de Bretaigne
Nepveu au roi Charlon,
Veiz-je par mode estrange
Estrangler en prison.
(Jehan Molinet.)
Deu le filz Marie. (Dieu le fils de Marie.)
(Roman du Renard, v. 21624.)

Cette manière de parler a été réformée, et ne se trouve plus guère en usage aujourd’hui que parmi les gens dépourvus d’instruction.

«Un jour le marquis de Coulanges, conseiller au Parlement de Paris, rapportant dans une affaire où il s’agissait d’une mare que se disputaient deux paysans, dont l’un se nommait Grappin, s’embrouilla tellement dans le détail des faits qu’il fut obligé d’interrompre sa narration. Pardon, Messieurs, dit-il aux juges, je me noie dans la mare à Grappin, et je suis votre serviteur.» (Glossaire Génevois.)

Cet exemple n’est pas, comme on le sent bien, une autorité qu’on doive suivre.

A ce que n’a aucune valeur de plus que la conj. que; pourquoi donc remplir le discours de mots superflus en disant de manière à ce que au lieu de dire simplement de manière que.


AB HOC ET AB HAC.

Prononc. vic. Abokéabac.
Prononc. corr. Abokètabac.

Prononcez et, dans une locution latine, comme un mot latin et non comme un mot français.


3 ABIMER.

Locut. vic. Vous avez abîmé mon habit.
Locut. corr. Vous avez gâté mon habit.

Quand on dit: Lisbonne fut abîmée par un tremblement de terre; Don Juan fut abîmé à cause de ses crimes; cet homme était abîmé dans ses douloureuses réflexions, on s’énonce purement: abîmer, dont la signification est grave, est fort bien placé dans ces phrases; mais lorsqu’on se sert de ce verbe pour dire qu’une robe a été salie ou un habit gâté, on ne fait plus qu’une ridicule hyperbole. En langage correct, un habit abîmé n’est autre chose qu’un habit tombé dans un abîme. Le Dictionnaire de l’Académie (édit. de 1802) donne la phrase d’exemple suivante: Ce meuble est abîmé de taches. Nous ne voyons là qu’une erreur, attendu que l’usage de nos bons écrivains, et le sentiment de nos meilleurs grammairiens sont opposés à cette manière de parler.


ABOUTONNER.

Locut. vic. Aboutonnez votre habit.
Locut. corr. Boutonnez votre habit.

Les Italiens disent abbotonare pour boutonner. C’est probablement de ce verbe que nous sera venu le verbe aboutonner, que Féraud qualifie de barbarisme, et qu’il serait certainement plus juste et plus poli de nommer un italianisme.


4 ABSYNTE.

Locut. vic. Je bus un peu d’absynte vert.
Locut. corr. Je bus un peu d’absinthe verte.

«Il est peu de mots, dit l’abbé Féraud, qui aient été écrits de plus de manières différentes: absinte, absinthe, absynthe, et même apsinthe. Ce dernier est de M. Ménage et le plus mauvais de tous. Aujourd’hui l’on n’a à choisir qu’entre absynthe et absinthe; l’Académie s’est déclarée pour le dernier, et avec raison; car pourquoi cet y? ce n’est pas pour l’étymologie; elle lui est contraire: absinthium.

«Selon Malherbe, absinthe est masculin et féminin. Vaugelas le fait toujours masculin. Aujourd’hui il est constamment féminin.» (Dict. crit.)

Domergue pense qu’on peut dire l’absinthe amère et l’absinthe amer. «Je suis, dit-il, également fondé à donner les deux genres à ce mot: le féminin, puisque c’est le bon plaisir des dictionnaires; le masculin, puisqu’ainsi le veut la loi de l’analogie.» (Manuel des étrangers, etc.)


ACADÉMICIEN, ACADÉMISTE.

Locut. vic. Vous tirez comme un académiste.
Locut. corr. Vous tirez comme un académicien.

Quelques grammairiens, M. Laveaux entre autres, prétendent que l’on doit donner le nom d’académiste à quelqu’un qui fait partie d’une académie d’armes ou d’équitation, et celui d’académicien à tout membre d’une académie scientifique ou littéraire. Les académistes ne paraissent pas fort disposés jusqu’à présent à reconnaître cette superbe distinction, et franchement, nous pensons qu’un membre d’une académie d’armes ou d’équitation 5 a tout autant de droits à prendre le titre d’académicien, si la société à laquelle il appartient est reconnue pour académie, qu’aucun des messieurs qui siègent au palais des Beaux-Arts, et à qui, soit dit en passant, on serait presque tenté d’attribuer l’intention d’établir cette différence entre académicien et académiste.

Tout Dieu veut aux humains se faire reconnaître.
(La Fontaine.)

A CAUSE QUE.

Locut. vic. Il est triste à cause qu’il souffre.
Locut. corr. Il est triste parce qu’il souffre.

L’emploi de cette lourde locution est condamné par nos grammairiens modernes. Restaut s’en est servi dans cette phrase: Faut-il qu’il soit insolent à cause qu’il est riche? A cause que est maintenant un archaïsme; on l’a remplacé par la conjonction parce que.


ACCOURCIR, RACCOURCIR.

Locut. vic.   Les jours sont bien raccourcis.
Vous avez trop accourci mon habit.
 
Locut. corr.   Les jours sont bien accourcis.
Vous avez trop raccourci mon habit.

Il y a entre ces deux verbes une différence de signification qui ne paraît pas être connue de tout le monde. Le premier ne doit s’employer qu’au figuré: Vous avez accourci votre chemin en passant par là. Le second ne doit s’employer qu’au propre: Raccourcissez ma canne. Dans le premier cas il s’agit d’une opération à laquelle notre main ne peut avoir aucune part; dans le 6 second au contraire d’une opération où elle intervient.


ACCULER.

Locut. vic. Vous acculez toujours vos souliers.
Locut. corr. Vous éculez toujours vos souliers.

Dans les premières éditions de son Dictionnaire, l’Académie tolérait l’expression d’acculer des souliers, mais la docte compagnie ne permet plus que le verbe éculer dans ce sens. C’est qu’elle a suivi le progrès de la langue. On lit dans Rabelais: Tousiours se veaultroyt par les fanges, se mascaroyt le nez, se chauffourroyt le visaige, acculoyt des souliers, etc.

(Gargantua, chap. XI.)

Acculer n’est plus en usage aujourd’hui que pour signifier pousser dans un lieu où l’on ne peut reculer. Cet homme, acculé contre un mur, blessa deux des brigands qui l’attaquaient. En parlant d’une chaussure dont le quartier de derrière a été abattu par le talon et foulé en marchant, c’est éculer qu’il faut employer.


ACHETER.

Pronon. vic. Il a ageté une maison.
Pronon. corr. Il a acheté une maison.

«Je ne ferais pas cette remarque si je n’avais ouï plusieurs hommes dans la chaire et dans le barreau prononcer mal ce mot, et dire ajetter pour acheter; mais ce qui m’estonne davantage, c’est que je ne vois personne qui les reprenne d’une faute si évidente. Ce défaut est particulier à Paris; c’est pourquoi ce sera leur rendre un bon office que de les avertir.»

(Vaugelas, 271e rem.)


7 A-COMPTE.

Orth. vic. Vous avez reçu deux à-comptes.
Orth. corr. Vous avez reçu deux à-compte.

«A-compte s’emploie substantivement, et s’écrit sans s au pluriel: je lui ai donné deux à-compte.

«Cependant Beauzée (Encycl. méth., au mot Néologie) est d’avis d’écrire acompte substantif, en un seul mot, et alors des acomptes avec un s. Sous la forme adverbiale, il adopte l’orthographe de l’Académie: voilà toujours mille francs à-compte sur ce que je vous dois.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)

Nous pensons qu’on ferait fort bien d’adopter l’orthographe proposée par Beauzée, car elle a l’avantage d’être beaucoup plus rationnelle que l’orthographe ordinaire.


AFFAIRE.

Orth. vic.   Qu’avez-vous affaire dans leur querelle?
Il me quitta parce qu’il avait à faire à midi.
 
Orth. corr.   Qu’avez-vous à faire dans leur querelle?
Il me quitta parce qu’il avait affaire à midi.

Dans la première phrase l’ordre direct est: vous avez que (mis pour quoi, quelle chose) à faire dans leur querelle? C’est donc le verbe faire précédé de la préposition à qu’il faut ici. Dans la seconde il y a ellipse de l’adjectif numéral une: il me quitta parce qu’il avait une affaire à midi; et c’est évidemment le substantif affaire que l’on doit employer dans cette circonstance.

«Beaucoup de personnes se trompent à ces deux locutions; elles écrivent j’ai à faire, comme on écrirait j’ai une affaire.

«Quand l’intention de la phrase porte sur la chose 8 même, c’est une affaire; quand elle porte seulement sur le temps et sur la manière, la chose est à faire; robe à faire.

«Autrement: si le mot est susceptible de recevoir un article quelconque, il est le substantif affaire: une affaire importante, l’affaire dont vous m’avez parlé, etc.

«Mais si le mot ne peut admettre ni un adjectif ni un article, c’est alors la locution à faire: qu’avez-vous à faire? ce que vous demandez n’est plus à faire, etc.» (Philipon La Madelaine, Homonymes français.)


AFFILER. (Voyez EFFILER.)


AGE.

Locut. vic. A nos âges on n’est plus bon pour les plaisirs.
Locut. corr. A notre âge on n’est plus bon pour les plaisirs.

Ce substantif n’a de pluriel que dans ces exemples: les quatre âges de l’homme; l’homme entre deux âges, etc.; c’est-à-dire lorsqu’il désigne une des époques principales de la vie humaine, et non un des points si nombreux marqués par chaque année. Nous pensons en conséquence qu’un homme de 60 ans qui dirait à un adolescent de 20 ans: à nos âges la vie offre des aspects bien différens, parlerait correctement; mais si cet homme de 60 ans disait à un autre homme de 65 ans: à nos âges on n’a plus de passions, cet homme ferait une faute.


AGIR.

Locut. vic. Votre frère en a mal agi envers moi.
Locut. corr. Votre frère a mal agi envers moi.

A quoi sert le pronom relatif en dans la première 9 phrase? à rien absolument. C’est un mot parasite que le mauvais usage seul a pu accueillir.

«En agir est un barbarisme, dit Féraud. On voit dans une lettre de Racine à son fils qui était fort jeune, qu’il le reprend d’avoir dit en agir pour en user bien ou mal avec quelqu’un. Avec le pronom se, agir est verbe impersonnel, et il régit la préposition de; mais il ne se dit point à l’infinitif, s’agir. Il s’agit de la gloire, des intérêts de la religion; il s’agissait de la perte ou du salut de l’empire. Plusieurs retranchent mal à propos il, et disent: l’affaire dont s’agit. D’autres au prétérit disent: dont il a s’agi, pour, dont il s’est agi; cette dernière faute est encore plus grossière. Les verbes réciproques ou pronominaux prennent tous l’auxiliaire être


AGONIR.

Locut. vic. Vous m’avez agoni d’injures.
Locut. corr. Vous m’avez accablé d’injures.

Agonir n’est pas français. Quelques personnes se sont imaginé parler plus purement en disant: agoniser quelqu’un d’injures; mais malheureusement cette expression ne vaut pas mieux que la première. Agoniser est toujours neutre, et ne peut jamais, par conséquent, signifier mettre à l’agonie, comme on voudrait qu’il le fît dans la locution que nous venons de citer.


AGRICULTEUR.

«Néologique et barbare, culteur n’étant pas français; dites agricole.» (Boiste.)

«Agricole n’est jamais qu’adjectif. La raison de M. Boiste pour rejeter ce mot est très-mauvaise: c’est que 10 le composant culteur n’est pas français. Dans législateur lateur n’est pas français, et législateur est bon. Et puis cole n’est pas plus français que culteur.» (Ch. Nodier. Examen crit. des Dict.)

Malgré cette excellente réfutation de l’opinion de M. Boiste sur le mot agriculteur, nous avons vu tout récemment reproduire cet article de son dictionnaire dans un ouvrage de grammaire, où le dernier des deux vers suivans de Delille est blâmé:

Et, content de former quelques rustiques sons,
A nos agriculteurs je donne des leçons.

Est-ce bien là du goût? ne serait-ce pas plutôt du purisme, et, qui plus est, du purisme très-ridicule?


AIDE.

Locut. vic. Votre aide n’a pas été puissant.—Un aide à maçon.
Locut. corr. Votre aide n’a pas été puissante.—Un aide-maçon.

Aide signifiant assistance est féminin: l’aide que vous avez reçue vous a été fort utile.

Le Dictionnaire de l’Académie dit un aide à maçon. M. Feydel (Remarques sur le Dict. de l’Acad.) fait à ce sujet l’observation qu’en bon français on doit dire et on dit: aide-maçon; aida-maçoun, ajoute-t-il, est du patois limousin.

Furetière, critiquant cette phrase du Dictionnaire de l’Académie: «ce mot (aide) n’est que de deux syllabes», s’écrie: «Qui ne rirait de la simplicité de cette observation? s’est-on jamais avisé de le faire de trois?» (L’Enterrement du Dict. de l’Acad.) Oui, certes, répondrons-nous; et 11 Furetière ne se souvenait pas alors de nos vieux poètes qu’il avait cependant dû lire. On trouve dans le testament de Maistre Jehan de Meung:

O glorieuse Trinité,

Qui vivre et entendement donnes,
Et tous les biens nous habandonnes
Aide-moy à ce ditté.
(Traité de morale.)

Et dans Baïf:

Diane chasseresse au veneur donne aïde,
Et Vénus flatteresse à l’amoureux préside.

Cette prononciation est, du reste, si triviale aujourd’hui qu’il est presque superflu de la relever ici.


AIDER.

Locut. vic. Aidez-le à porter ce fardeau.—Aidez-lui à payer l’écot.
Locut. corr. Aidez-lui à porter ce fardeau.—Aidez-le à payer l’écot.

«Il y a quelque différence, dit Andry de Boisregard, (Réfl. sur l’usage présent de la langue fr.) entre aider quelqu’un et aider à quelqu’un; et en prenant ces mots selon l’exactitude et la pureté de la langue, aider à quelqu’un signifie proprement partager avec lui les mêmes peines; ainsi on dira fort bien d’une personne qui aura mis la main à l’ouvrage d’un autre: il lui a aidé à faire cela. Mais si l’aide qu’on donne ne consiste pas à prendre sur soi-même une partie du travail de celui qu’on secourt, alors il faut dire aider avec l’accusatif; ainsi on dira d’une personne qui aura donné à 12 quelqu’un une somme d’argent pour achever un édifice: qu’il l’a aidé à bâtir sa maison

Féraud ajoute: «Sur ce pied-là il faudra donc dire que: On doit s’aider les uns les autres, et non pas les uns aux autres, comme dit Bossuet. Dieu aide aux fous et aux enfans est une phrase consacrée qui ne doit pas tirer à conséquence pour d’autres. Avec les choses, aider à fait fort bien: aider à la fortune de; aider à la lettre; il n’a pas peu aidé à cette affaire.

Lui pouvez-vous aider à me perdre d’honneur?
(Corneille.)

«Et pouvez-vous l’aider aurait été mieux.»


AIGLE.

Locut. vic.   Nous vîmes dans la ménagerie une aigle très-grande.
L’aigle français a eu sa gloire.
 
Locut. corr.   Nous vîmes dans la ménagerie un aigle très-grand.
L’aigle française a eu sa gloire.

Aigle, signifiant l’oiseau même, est masculin. Il l’est encore lorsqu’il est employé pour homme de génie: c’est un aigle; mais pris dans le sens d’armoiries, d’enseignes, il est féminin: les aigles romaines; l’aigle impériale.

Si l’on voulait parler de la mère d’un aiglon, il faudrait, selon l’Académie, dire un aigle femelle; selon Ménage, on devrait dire une aigle. Ménage pourrait bien avoir raison, d’autant plus que quelques passages de bons auteurs sont venus corroborer son opinion.


13 AIGUADE.

Pronon. vic. Aigu-ade.
Pronon. corr. Aigade.

(Voyez AIGUISER.)


AIGUISER.

Pronon. vic. Aighiser un couteau.
Pronon. corr. Aigu-iser un couteau.

Nous posons ici en règle absolue, 1o que tous les mots qui appartiennent à la famille du mot aigu, comme aiguillade, aiguille, aiguillée, aiguilleter, aiguilletier, aiguillette, aiguillier, aiguillière, aiguillon, aiguillonner, aiguisement, aiguiser, doivent rappeler la prononciation de leur racine de même qu’ils en rappellent l’idée par leur orthographe, et qu’il faut dire, en conséquence, aigu-illade, aigu-ille, etc.; et 2o que tous les mots qui dérivent du vieux substantif aigue (eau), et qui sont aiguade, aiguail, aiguaille, aiguayer, aiguière, aiguiérée, doivent, au contraire, ne pas laisser sentir l’u radical qui déguiserait tout-à-fait leur origine, puisqu’on pourrait fort bien écrire aigue sans u, de cette façon: aighe, et qu’il faut prononcer aigade, aigail, etc. L’adoption de cette règle ne peut pas, nous le pensons, éprouver la moindre difficulté, quoique le sentiment de plusieurs grammairiens sur la prononciation de deux ou trois des mots que nous avons cités soit en opposition avec le nôtre. Quel est l’esprit juste qui ne préférera pas une règle simple et précise à des incohérences, et la certitude au tâtonnement?


14 AIL.

Locut. vic. J’ai acheté des ails, des aulx.
Locut. corr. J’ai acheté de l’ail, des têtes d’ail.

«Le pluriel était autrefois aulx. M. Boiste donne aux, et M. Gattel aus; dans l’usage le plus commun c’est ails, et dans le bon usage ce n’est rien de tout cela. On dit généralement de l’ail, et ce mot ne se pluralise jamais.» (Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)

La Fontaine a dit cependant:

Tu peut choisir, ou de manger trente aulx, etc.

Nous ajouterons que le pluriel ails est fort usité par les naturalistes. Il existe, au reste, un moyen indiqué par plusieurs grammairiens de mettre tout le monde d’accord, c’est de dire au pluriel des têtes d’ail. Pourquoi ne dirait-on pas en effet, trois, cinq, dix têtes d’ail lorsqu’on fait un compte, et de l’ail lorsqu’on généralise?


AILE.

Locut. vic. Boire de l’aile.
Locut. corr. Boire de l’ale. (Sorte de bière.)

Prononcez, si vous voulez, aile, puisque c’est ainsi qu’on prononce ale en anglais; mais songez bien que rien ne vous y oblige, car il serait ridicule d’admettre qu’une langue qui nous prête un nom commun pût nous imposer sa prononciation. Quant à l’orthographe, c’est différent. Si vous l’altérez, l’étymologie se perdra, et lorsqu’elle sera perdue, qui vous dira si vous devez écrire aile, helle, elle, etc. Quelle belle source de contestations 15 vous aurez fait jaillir! Et puis convenons que si nous empruntons un mot pour en changer l’orthographe, il vaut autant créer tout de suite un mot français, lequel serait bien certainement plus conforme au génie de notre langue. L’Académie et presque tous les dictionnaires écrivent aile, ce qui en Anglais ne signifie rien, et ce qui en Français signifie autre chose que de la bière. Aile est donc tout-à-fait en ce dernier sens un véritable barbarisme. M. Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.) veut qu’on écrive aële. Nous en ignorons le motif. Féraud écrit ale, et nous pensons qu’il a raison.


AIMER.

Locut. vic. J’aime rire, j’aime chanter.
Locut. corr. J’aime à rire, j’aime à chanter.
Ma bouche alors aimait redire
Un reste de songe amoureux.
(Joseph Delorme.)

Quoique plusieurs auteurs distingués aient employé ce verbe sans le faire suivre de la préposition à lorsqu’il est accompagné d’un autre verbe, nous ferons remarquer que c’est contraire à l’usage général. Il faut dire: j’aime à rire, j’aime à chanter. Cependant si l’adverbe mieux se trouvait placé entre le verbe aimer et un autre verbe la préposition à serait alors retranchée: j’aime mieux rire.

«Aimer régit à et non pas de devant les verbes, et alors il signifie prendre plaisir à..... aimer à lire, à chanter, à jouer, et non pas de lire, etc. (Féraud, Dict. Crit.).»


16 AIR (Avoir l’).

Locut. vic. Cette femme a l’air douce.
Locut. corr. Cette femme a l’air doux.

La locution avoir l’air n’étant pas un verbe, il nous semble tout-à-fait ridicule de vouloir faire accorder l’adjectif doux avec le substantif femme, quand il doit réellement être accordé avec le substantif air. Nous ajouterons qu’on devrait toujours éviter avec soin d’employer la locution avoir l’air en parlant des choses, comme dans ces phrases: cette poire a l’air mûr, cette maison a l’air neuf. Il faut dire: cette poire paraît mûre, cette maison paraît neuve.

Nous devons sur ce sujet à Philipon de la Madelaine une opinion que nous avons trouvée tout-à-fait concluante. La voici: «L’adjectif ou le participe qui suit le mot air s’accorde avec le substantif, et ne prend jamais que le genre masculin, quelque application que l’on en fasse. Ainsi il faut dire: Cette femme a l’air satisfait; cette fille a l’air ingénu; cette actrice a l’air embarrassé, etc. Il serait même d’autant moins convenable de faire accorder avec la personne les adjectifs satisfait, ingénu, etc. que souvent la personne n’est ni satisfaite, ni ingénue, et qu’elle n’en a que l’air ou l’apparence. Donc c’est à cet air seul que l’adjectif doit se rapporter. (Gram. des Gens du monde.


AIRER.

Locut. vic. Il faut airer cet appartement.
Locut. corr. Il faut aérer cet appartement.

Autrefois on disait en français aër pour air, comme on le voit par les vers suivans:

17
Il luy a faict acroire
Que pour trop mieulx ce drap mettre en son teinct,
Il fault qu’il soyt par une nuyt attainct
De l’aer de nuyt ou bien de la rousée.
(Légende de P. Faifeu.)

Comme ce mot ne faisait qu’une syllabe, la corruption de l’orthographe étymologique aura été chose facile. Aer a donc disparu, mais aérer nous est resté pour constater une disparate de plus dans notre langue. Airer conviendrait bien mieux aujourd’hui, et nous regrettons que l’usage le repousse.


AISE.

Locut. vic. On ne peut pas avoir tous ses aises.
Locut. corr. On ne peut pas avoir toutes ses aises.

«Le genre de ce mot est incertain au singulier; on ne l’unit qu’avec des pronoms dont on ne peut distinguer le genre par la terminaison, à son aise, à votre aise. Au pluriel l’usage le plus autorisé le fait féminin: prendre toutes ses aises. L’Académie ne lui donne que ce genre.» (Féraud. Dict. Crit.)


AIX-LA-CHAPELLE.

Pronon. vic. Aisse-la-Chapelle.
Pronon. corr. Aicse-la-Chapelle.

Nous ne savons pourquoi nos grammairiens veulent qu’on fasse pour ce mot la même dérogation à la prononciation française de la lettre x, que celle qu’on a faite pour le nom de la ville d’Aix en Provence. Dans le dernier nom, cette prononciation nous paraît assez naturelle, 18 en ce qu’elle est fondée sur l’usage du pays auquel il appartient, mais dans Aix-la-Chapelle, sur quoi se fonde-t-on quand les Allemands, dont la langue est universellement parlée dans cette ville, disent Aachen, et que ceux qui emploient le nom français dans le pays le prononcent Aicse?


AJAMBER.

Locut. vic. Ajambez ce ruisseau.
Locut. corr. Enjambez ce ruisseau.

ALCOVE.

Locut. vic. Cet alcove est trop petit.
Locut. corr. Cette alcove est trop petite.
Dans le réduit obscur d’une alcove enfoncée,
S’élève un lit de plume à grand frais amassée.
(Boileau. Lutrin, ch. I.)

ALENTOUR DE.

Locut. vic. Il a de beaux arbres à l’entour de sa maison.
Locut. corr. Il a de beaux arbres autour de sa maison.

Alentour étant un adverbe et non une préposition, voici comment il doit être employé: il a une belle maison et de beaux arbres à l’entour. Les échos d’alentour. Alentour n’a pas de complément; autour doit en avoir un. Ainsi au lieu de dire: sa maison est abritée, il y a des arbres autour; il faut dire: alentour.

Alentour de était usité autrefois; nos vieux auteurs nous en fournissent des preuves. Boileau, selon l’abbé Féraud (Dict. Crit.), avait mis dans les premières éditions de ses satires:

A l’entour d’un castor j’en ai lu la préface.

19 Il mit dans sa dernière édition de 1709: autour d’un caudebec.

«Cette correction, dit Girault Duvivier, de la part d’un écrivain aussi pur, l’usage bien constant à présent, et enfin la grammaire qui veut qu’un adverbe soit employé sans régime, décident sans appel que alentour ne doit plus être suivi d’un régime: ainsi on s’exprimerait mal si l’on disait qu’une mère a ses filles alentour d’elle. Et Lafontaine ne dirait plus:

Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs.

«Beaucoup d’écrivains du siècle de Louis XIV, dit le même grammairien, écrivent à l’entour en deux mots et avec une apostrophe après la lettre l; mais cet adverbe étant écrit en un seul mot (alentour) dans les dernières éditions du dictionnaire de l’Académie, et dans la plupart des ouvrages modernes, nous adopterons cette orthographe.»


ALGER.

Pronon. vic. Algé.
Pronon. corr. Algère.

Si nous indiquons cette prononciation Algère comme la meilleure, c’est par déférence pour le sentiment du dictionnaire de Trévoux qui écrit Algèr, de la grammaire de Lévizac, de celle de Lemare, et du Dictionnaire des rimes de M. de Lanneau qui range ce nom propre parmi les mots dont le r final est rude, tels que cancer, amer, enfer, etc. Nous reconnaissons cependant que l’usage veut qu’on prononce Algé. On peut donc faire hardiment son choix en cette circonstance; on aura toujours pour soi une autorité imposante, celle des grammairiens ou celle de l’usage.

20 En Alger et à Alger ne signifient pas la même chose. En se met généralement devant un nom d’empire, de province, d’état, etc. A devant un nom de ville, de bourg, etc. Ainsi lorsqu’on dit: je vais en Alger, c’est comme si l’on disait: je vais sur le territoire de la colonie d’Alger, et lorsqu’on dit: je vais à Alger, cela signifie, je vais dans la ville même d’Alger. Il y aurait conséquemment une faute aujourd’hui dans ce vers de Corneille:

Je serai marié, si l’on veut, en Alger.

L’usage, qui se joue parfois des règles les plus sensées, n’a pas toujours respecté le principe que nous venons de développer, et nous ferons remarquer que cette locution en Alger, quoique bonne dans le sens indiqué plus haut, et quoique souvent employée d’une manière officielle par le gouvernement, n’en est pas moins, à l’heure qu’il est, une expression que l’usage dédaigne. Que le gouvernement se console de cet échec; la raison n’est pas mieux traitée que lui.


ALLER.

Locut. vic.   Il s’est en allé.
Il a plusieurs endroits à aller.
Je m’en vas lui parler.
Mon frère est allé en ville ce matin, et en est revenu ce soir.
 
Locut. corr.   Il s’en est allé.
Il a plusieurs endroits où aller (et mieux: il doit aller dans plusieurs endroits).
Je vais lui parler.
Mon frère a été en ville ce matin, et en est revenu ce soir.

—Dans la conjugaison du verbe s’en aller, le relatif 21 en doit toujours être placé immédiatement après le second pronom personnel comme dans ces phrases: nous nous en sommes allés, vous vous en étiez allés, ils s’en seront allés, et non nous nous sommes en allés, vous vous étiez en allés, ils se seront en allés. Cette dernière manière de parler est unanimement condamnée.

—On doit sentir que cette phrase: il a plusieurs endroits à aller, est mauvaise, par la raison qu’on ne peut pas aller un endroit, des endroits, mais dans un endroit, dans des endroits.

Je m’en vas lui parler nous paraît contenir deux incorrections: la première est le pléonasme que présente l’emploi du relatif en, lequel est fort inutile ici puisqu’on peut dire dans un sens tout aussi complet je vas lui parler; la seconde est l’emploi de vas au lieu de vais, que l’on doit préférer, parce que la grammaire et l’usage l’ont définitivement adopté. C’est de plus une orthographe étymologique. Autrefois on disait: je voys, je voyse qu’on prononçait comme la première personne du verbe voir, je vois. Quand vint la révolution opérée, vers le milieu du 16e siècle, dans notre prononciation nationale, par l’influence de la suite italienne de Catherine de Médicis, la diphthongue oy, oi, finit par avoir le son de l’è ouvert, et l’on prononça alors je vays. Enfin plusieurs changemens successifs nous léguèrent l’orthographe je vais, qui est aujourd’hui généralement suivie. Je vas est préféré par certaines personnes à cause de son analogie avec les deux autres personnes tu vas, il va. Pour que cette opinion soit excellente, il ne lui manque que d’avoir l’usage pour elle.

Allé ne peut pas être employé dans une phrase qui implique le retour de la personne partie. C’est le participe été qu’il faut dans ce cas. Il est allé à Paris est une phrase correcte; elle ne l’est plus si vous ajoutez 22 et il en est revenu. Cependant s’il y avait un autre verbe après allé, ce serait bien ce participe qu’il faudrait employer. Ainsi cette phrase, il a été le voir à Paris, et il est revenu, est défectueuse quoiqu’il y ait idée de retour. Il faut dire, il est allé le voir à Paris, et il est revenu. La raison en est que le participe été ne peut pas correctement se joindre à un autre verbe. Voyez à l’article Être les réflexions si judicieuses de M. Ch. Nodier à cet égard.


ALLUMER.

Locut. vic. Allumer la lumière.
Locut. corr. Allumer la bougie, la chandelle.

La faute que nous signalons ici est assez grossière; on en trouve cependant des exemples dans des ouvrages imprimés. En voici un: «Je m’étais assuré par une répétition faite deux jours auparavant, que j’avais beaucoup plus de temps qu’il ne m’en fallait pour me lever, allumer de la lumière et passer dans mon cabinet, etc.» (Louis XVIII. Relation d’un voyage à Bruxelles et à Coblentz en 1791.)

Il est un autre emploi du verbe allumer qui, moins mauvais sans doute que le précédent, a cependant été blâmé par quelques grammairiens, et que nous désirerions contribuer à faire disparaître. On le trouve dans les locutions: allumer du feu, allumer le feu, que nous considérons comme entachées de pléonasme. L’Académie s’exprime ainsi à ce sujet: «On dit allumer le feu, allumer du feu, pour dire allumer le bois qui est dans le foyer.» Mais pourquoi ne dirait-on pas faire du feu? Cette manière de parler est fort bonne, et l’Académie elle-même l’approuve apparemment, puisqu’elle la met dans son Dictionnaire.


23 ALMANACH.

Pronon. vic. Almanac, almena.
Pronon. corr. Almana.

Féraud prétend qu’on doit faire sentir faiblement le c quand ce mot est au singulier. Nous croyons qu’il vaut mieux avoir une prononciation uniforme pour les deux nombres, et ne prononcer almanac que lorsque ce mot se lie à un autre mot commençant par une voyelle: un almanach intéressant, prononcez un almana kintéressant.


ALORS.

Locut. vic. Ce jeune homme vient de publier un ouvrage; jusqu’alors il avait été inconnu.
Locut. corr. Ce jeune homme vient de publier un ouvrage; jusqu’à présent il avait été inconnu.

Jusqu’alors, employé pour désigner un temps présent, est un solécisme. Nous avons été surpris de le trouver dans un plaidoyer d’un de nos meilleurs avocats. «C’est aujourd’hui, pour la première fois, qu’on lui reproche d’avoir offensé la personne du roi. Il a quelque droit, Messieurs, de s’étonner de cette prévention d’un délit que jusqu’alors il avait ignoré.» Lisez: que jusqu’à présent il avait ignoré.

Alors ne doit pas être prononcé alorce mais alor.


AMADOU.

Locut. vic. Cette amadou est mauvaise.
Locut. corr. Cet amadou est mauvais.

24 AMATEUR.

Locut. vic. Elle est amateur de tableaux.
Locut. corr. Elle est amatrice de tableaux.

Le féminin amatrice est un mot fort bon et fort utile, qui a éprouvé et qui éprouve encore de grandes difficultés pour s’introduire dans notre idiôme. Ces difficultés proviennent en grande partie des femmes, et nous avouerons franchement que leur susceptibilité n’est que trop bien justifiée. M. de Bièvre a laissé tant de successeurs! Quoi qu’il en soit, ce mot que l’abbé Féraud qualifie à tort de mot nouveau, car c’est un archaïsme (V. Archéologie française, t. 1), ce mot, disons-nous, commence à se trouver appuyé par un assez grand nombre d’autorités. Amyot, Brantôme, Linguet, J. J. Rousseau, s’en sont servis, et Domergue, Féraud, l’Académie, Ch. Pougens, Boiste, etc., l’approuvent.


AMBITIEUX.

Quelques grammairiens prétendent que cet adjectif ne doit jamais avoir de complément comme dans cette phrase: il est ambitieux de gloire. Sur quoi fondent-ils leur opinion? Nous n’en savons rien, et peut-être ne le savent-ils pas eux-mêmes. C’est du moins ce que leur silence à cet égard nous permet de croire. Quant à nous, nous pensons que l’adjectif ambitieux, dérivant d’un verbe actif, doit pouvoir admettre le complément qu’admettrait ce verbe. Puisqu’on dit ambitionner la gloire, la puissance, etc., pourquoi ne dirait-on pas ambitieux de gloire, de puissance, etc.? Quoi! vous direz qu’un homme est ambitieux, et vous ne pourrez pas ajouter sur quoi porte son ambition. Quelle susceptibilité! 25 rend-elle vraiment un service à notre langue? Nous croyons le contraire.

Louis Racine dans ce vers:

Ils sont ambitieux de plus nobles richesses,

Boileau dans cet hémistiche:

Ambitieux de gloire,

ont bravé avec raison une critique peu fondée.

Notre vieux langage donnait aussi un complément à ambitieux.

De vous l’accueil et l’honneste salut
Du premier jour envers moy tant valut,
Et le langage exquis et gracieux
Que mon esprit devint ambitieux
D’avoir du mal pour le bien qui lui pleust.
(Mellin de St. Gelais.)

AMBROISIE.

Locut. vic. Je croyais boire de l’ambroisie.
Locut. corr. Je croyais manger de l’ambrosie.

Le Dictionnaire de Trévoux après avoir défini l’«ambrosie: viande exquise dont les anciens feignaient que leurs dieux se nourrissaient, ajoute un peu plus loin: figurément on appelle ambrosie quelque manger ou boisson excellente.» Nous ne concevons pas cette contradiction. Les dieux payens, qui avaient déjà le nectar pour breuvage, devaient certainement avoir aussi un manger, et ce manger c’était l’ambrosie.

Nous avons adopté pour ce mot l’orthographe étymologique suivie par Trévoux, Féraud, etc., quoique peut-être 26 un peu moins harmonieuse, un peu moins poétique que l’autre. Marot a dit cependant:

Car toute odeur ambrosienne y fleurent.

Les Anglais disent ambrosia, les Espagnols ambrosía.


AME.

Orth. vic. L’ame est immortelle.
Orth. corr. L’âme est immortelle.

D’Olivet et Féraud écrivent ce mot avec un accent circonflexe; M. Laveaux (Dictionnaire des Difficultés de la langue française) dit que cet accent suppose la suppression d’une lettre, et que l’on n’a jamais écrit asme; mais M. Laveaux est dans l’erreur sur la vieille orthographe du mot âme. On le trouve, dans nos anciens auteurs et dans les glossaires, écrit tour-à-tour arme, alme et asme. Nous dirons, pour constater cette dernière orthographe, que Rabelais ayant été accusé d’hérésie près de François Ier, par ce qu’il nomme un mangeur de serpens, à cause de ce passage de Pantagruel (liv. 3 ch. 22): «Il est herectique, bruslable comme une belle petite horologe. Son asne sen va a trente mille charetees de dyables. Sçavez-vous ou? Cor Dieu, mon amy, droict dessoubz la celle persee de Proserpine.» Rabelais, disons-nous, allégua pour sa défense (Epistre au cardinal de Chastillon) qu’il avait été «miz ung n pour ung m par la faulte et negligence des imprimeurs,» ce qui du mot asme avait fait le mot asne.


27 AMELETTE

Locut. vic. Manger une amelette.
Locut. corr. Manger une omelette.

On trouve amelette dans Ronsard, avec la signification de petite âme:

Amelette ronsardelette, etc.

Nous ne croyons pas que ce mot ait été ainsi employé ailleurs.


AMI.

Locut. vic. Être ami avec quelqu’un.
Locut. corr. Être ami de quelqu’un.

M. Ch. Nodier (Examen crit. des dict.) blâme avec raison cette phrase de Voltaire: «Claveret, avec qui il était ami, avait été celui qui avait fait courir cette pièce.»


AMOURS.

Locut. vic. Voilà mes dernières amours.
Locut. corr. Voilà mes derniers amours.

Ce mot était autrefois féminin au singulier comme au pluriel.

On ne doit dissimuler
Une amour vraye et entière.
(J. Passerat. Chanson.)
Ces pourtraictures déificques
Si pleines de doulces amours.
(Coquillard. Blason des armes.)

28 Plus tard le singulier est devenu masculin, mais le pluriel est toujours resté féminin, en dépit de la raison qui bien certainement devait exiger que les deux nombres d’un même substantif fussent du même genre. Cette disparate paraît être au moment de s’effacer. Quelques-uns de nos auteurs modernes ont dédaigné une règle ridicule, et, moins capricieux, ou, si l’on veut, moins sensibles à l’harmonie que leurs devanciers, ces écrivains n’ont pas craint de faire un pas hors du sentier de la routine. L’exemple est donné; il sera suivi: et en vérité il doit l’être.

Et mes premiers amours et mes premiers sermens.
(Voltaire. Œdipe.)
Ces dieux justes vengeurs des malheureux amours.
(Delille. Énéide.)
Et l’on revient toujours
A ses premiers amours.
(Étienne.)
Vient un danseur; nouveaux amours.
(Béranger. Les cinq Étages. Ch.)

AMULETTE.

Locut. vic. Il avait sur lui un amulette.
Locut. corr. Il avait sur lui une amulette.

L’Académie fait ce mot masculin. Trévoux dit aussi un amulette, mais plusieurs dictionnaires modernes disent une amulette, et nous croyons qu’ils sont ici d’accord avec l’usage. On a dit autrefois un amulet; c’est peut-être ce qui trompe sur le genre de ce substantif.

L’auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie assigne le genre féminin à amulette. Féraud le lui a aussi donné.

29 Tous les mots terminés en ette (et ils sont au nombre de plus de 150) sont féminins, excepté squelette, trompette (celui qui joue de la trompette) et amulette, qu’on voudrait y joindre. De ces trois mots, les deux premiers sont d’un usage trop bien établi pour qu’on puisse songer à les soumettre à la loi de l’analogie, et à les ramener au genre féminin; mais nous croyons qu’il est très-facile de faire cet essai sur amulette dont l’emploi est assez rare, et nous le tentons. L’étymologie, nous le savons, veut le masculin; mais l’analogie, plus puissante, veut le féminin. Obéissons à l’analogie, qui d’ailleurs nous offre, en cette circonstance, un moyen de faire disparaître encore une exception de notre langue.


AMUNITION.

Locut. vic. Manger du pain d’amunition.
Locut. corr. Manger du pain de munition.

Amunition, comme le dit fort bien Féraud, est un barbarisme, et ce barbarisme est fort en usage parmi les militaires.


ANAGRAMME.

Locut. vic. Un anagramme bien fait.
Locut. corr. Une anagramme bien faite.

ANER.

Locut. vic. Comme vous avez âné ou hanné en lisant!
Locut. corr. Comme vous avez ânonné en lisant!

Anonner c’est lire ou répondre avec peine, en hésitant. «Mes pauvres lettres, dit madame de Sévigné, 30 n’ont de prix que celui que vous y donnez, en les lisant comme vous faites; elles ne sont pas supportables quand elles sont ânonnées ou épelées.» La racine de ce mot est évidemment ânon; nous ne savons pourquoi l’auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie veut qu’on écrive hanonner.

Il existe en français un autre verbe qui a quelques rapports de signification et même de consonnance avec ânonner, mais qu’il ne faut cependant pas prendre pour ânonner. Ce verbe est ahanner, formé du vieux substantif ahan, peine de corps, grand effort. Ahanner signifie faire quelque chose péniblement, sous le rapport physique; ânonner, éprouver une difficulté sous le rapport de l’intelligence.


ANGAR.

Locut. vic. Mettez cette charrette sous l’angar.
Locut. corr. Mettez cette charrette sous le hangar.

Domergue veut la première orthographe, parce que ce mot vient du latin angara; Laveaux se déclare pour la seconde, parce que l’usage l’a consacrée. Nous pensons que l’opinion de Laveaux doit être suivie comme étant la plus raisonnable.

Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Académie) écrit hangart. Pourquoi cette addition d’un t? nous n’en savons rien.


ANGLAIS.

Ce mot, dans le sens de créancier, ne se trouve ni dans le Dictionnaire de l’Académie, ni dans nos dictionnaires les plus récens. Cette omission, que nous ne pouvons regarder comme volontaire, pourrait faire croire 31 à beaucoup de personnes que le mot anglais ne doit pas être ainsi employé; mais, comme il a pour lui un usage de quelques siècles, attesté par Borel et le Dictionnaire de Trévoux, et prouvé par des exemples pris dans nos vieux auteurs, nous croyons être suffisamment autorisé à en faire emploi.

Voici comment s’exprime à ce sujet le Dict. de Trévoux: «Anglois, créancier fâcheux. La puissance redoutable des Anglois en France, et les ravages qu’ils y firent pendant les longues guerres entre Philippe de Valois et Edouard III, pour la succession à la couronne, après la mort de Charles-le-Bel, donnèrent lieu à cette expression. Le peuple appela Anglois tout créancier trop dur et trop puissant. Marot s’en est servi dans ce sens. Pasquier atteste qu’on le disait encore de son temps, et il rapporte ces vers adressés au roi François Ier, par Guillaume Cretin:

Et aujourd’hui je fay solliciter
Tous mes Anglois pour mes debtes parfaire
Et le paiment entier leur satisfaire.

«C’est encore ce qui fait dire à Marot dans un rondeau:

Un bien petit de près me venez prendre
Pour vous payer, et si devez entendre
Que ne vy oncques Anglois de votre taille.»

ANGOLA.

Locut. vic. Un chat angola, un chat angora.
Locut. corr. Un chat d’Angora, un angora.

On ne doit dire ni un chat angola, ni même un chat angora, quoique l’espèce de chats dont il est ici question 32 soit originaire d’Angora, ville de l’Anatolie, en Asie, et non du royaume d’Angola, en Afrique. Il faut dire: un chat d’Angora, comme on dit un chien de Terre-Neuve, un genêt d’Espagne, un cochon d’Inde, ou tout simplement un angora, comme on dit un canarie, que, par parenthèse, quelques dictionnaires, celui de Rivarol entre autres, écrivent à tort Canari. Les grammairiens qui tolèrent cette expression chat angora nous paraissent avoir tort. On trouve ici la même incorrection que dans les locutions suivantes: vingt bouteilles rhum Jamaïque, trois caisses café Martinique, qu’il est bien certainement impossible de justifier autrement qu’en alléguant le besoin de ménager le temps et le papier, raison excellente dans le commerce, à laquelle le commerce fait peut-être fort bien de se rendre, mais qui ne prouve absolument rien en grammaire.


ANTICHAMBRE.

Locut. vic. Un bel antichambre.
Locut. corr. Une belle antichambre.

Le prépositif anti, dans le sens d’opposition, comme dans celui d’antériorité, qu’on lui a mal à propos attribué, ne doit pas changer le genre du substantif auquel il est joint, et l’on dit: une antiphrase, une antithèse, une antistrophe, etc., par la raison que les composans phrase, thèse, strophe, etc., sont féminins.

On trouve dans La Baumelle: son antichambre fut désert; lisez déserte.


33 ANTÉDILUVIEN.

Locut. vic. L’opinion antédiluvienne, les pasteurs antidiluviens.
Locut. corr. L’opinion antidiluvienne, les pasteurs antédiluviens.

N’employez pas l’adjectif antédiluvien pour qualifier l’opinion qui nie le déluge. Il faut dire: l’opinion antidiluvienne. Mais, si vous vouliez parler des hommes ou des choses qui ont existé avant le déluge, ce serait le mot antédiluvien qu’il faudrait choisir; une histoire antédiluvienne. Dans le premier cas, il y a opposition marquée par anti, dans le second, antériorité marquée par anté. L’usage a malheureusement établi bien des dérogations à ce principe étymologique, comme dans les mots antidate, antichambre, antéchrist, etc., qu’on devrait écrire antédate, antéchambre, antichrist, etc.; mais il faut bien se résoudre à passer condamnation sur des abus consacrés par le temps, et qu’il est pour cette raison impossible de déraciner actuellement. Ce que peuvent faire au moins nos grammairiens, c’est d’empêcher cette confusion d’avoir lieu dans les mots qui s’introduisent actuellement dans la langue, et c’est ce que n’ont pas fait assurément nos modernes lexicographes qui en sont encore à trouver une différence entre les adjectifs antédiluvien et antidiluvien.


AOUT.

Prononc. vic. Le mois d’a-oûte.
Prononc. corr. Le mois d’.

Il n’y a plus aujourd’hui, parmi les gens qui ont une certaine connaissance de la langue française, que très-peu 34 d’opposans à la règle qui fait prononcer le nom du huitième mois de l’année comme s’il était écrit oût. On donne pour cause de ce changement d’une vieille prononciation nationale cette réflexion comique d’un magistrat, le président de Bellièvre: «Je crois entendre miauler des chats, quand j’entends dire aux procureurs: la Notre-Dame de la mi-août (Mi-a-oût).» Voyez à quoi tient cependant cet usage qu’on nous représente comme une puissance si formidable. Le voilà qui tombe ici devant une plaisanterie.

Maintenant donc que la prononciation du substantif août ne fait plus qu’une seule syllabe, pourquoi s’obstiner à en donner deux au verbe aoûter (mûrir par le soleil d’août), lequel verbe vient évidemment du substantif août? La contradiction n’est-elle pas bien manifeste? Nous engageons les personnes qui font août d’une syllabe, à ramener tous les mots ayant la même racine, comme aoûter, aoûteron, à une prononciation uniforme, c’est-à-dire à prononcer oûter, oûteron, ou si elles persistent à faire août de deux syllabes, à prononcer en conséquence a-oûter, a-oûteron; car il serait en vérité trop absurde que la loi de l’analogie ne pût avoir au moins autant de puissance qu’une plaisanterie, quelque bonne qu’elle soit d’ailleurs.

«Il y a plus de cent ans, dit Féraud (Dict. Crit.) que l’a a disparu de la prononciation d’août, et il tient bon dans l’orthographe.»


APOSTUME.

Locut. vic. Une grosse apostume.
Locut. corr. Un gros apostume ou apostême.

Les deux mots apostume, apostême sont aujourd’hui d’un emploi aussi fréquent l’un que l’autre. Nous 35 croyons cependant que les médecins emploient plus volontiers apostême, qui a une couleur un peu plus grecque que son concurrent, et que le vulgaire aime un peu mieux apostume, tout infidèle qu’il est à l’étymologie, mais qui, du reste, est fort ancien.

Ce vénérable hillot fut averti
De quelque argent que m’aviez départi,
Et que ma bourse avait grosse apostume.
(Marot, Épit. à François Ier.)

On voit ici qu’il était autrefois féminin. Il est masculin aujourd’hui.


APPELER.

Locut. vic. Comment appelle-t-on cette fleur?
Locut. corr. Comment nomme-t-on cette fleur?

Il ne faut pas employer indifféremment appeler pour nommer; appeler n’est pas nommer, et nommer n’est pas appeler. Appeler signifie faire venir; nommer, donner un nom, désigner. L’Académie a donc tort de dire: On appelle magie blanche la connaissance des choses naturelles les plus occultes. On appelle bouquins les satyres. Il faut dans ces deux phrases: on nomme. Feydel, qui relève cette faute, demande ironiquement dans quel pays on appelle les satyres.

Appelé, employé substantivement, comme dans la phrase suivante: je l’ai vu avec un appelé Richard, n’est pas tolérable. Dites: je l’ai vu avec quelqu’un nommé Richard, ou avec un nommé Richard. Cette dernière locution n’est pas très-correcte, mais elle a au moins en sa faveur l’autorité de l’usage.


36 APPENDICE.

Locut. vic. Lisez tous les appendices.
Locut. corr. Lisez toutes les appendices. (Prononcez appindices.)

«Appendice, de quel genre est-il? Les lexicographes le font, les uns, masculin; les autres, féminin. Dans cette incertitude cherchons quelques raisons qui nous déterminent. Le mot latin appendix, d’où l’on a formé appendice, est féminin, etc. Le sens et l’analogie me font adopter le féminin.» (Domergue. Manuel des Étrangers, etc.)


APPRENDRE.

Locut. vic. Je lui ai appris le latin.
Locut. corr. Je lui ai enseigné le latin.

Le verbe apprendre ne doit pas avoir pour régime direct un nom de science ou d’art, ni un verbe qui appartienne à la famille de ce nom, à moins que le verbe apprendre ne soit pris dans une signification intransitive. Dans le cas contraire, il faut employer le verbe enseigner. On ne peut donc pas dire correctement: j’apprends la lecture à mon fils, ni j’apprends à lire à mon fils, mais j’enseigne la lecture à mon fils, j’enseigne à lire à mon fils. La raison est, comme nous l’avons dit plus haut, que l’action exprimée par le verbe apprendre ne doit pas sortir du sujet; lorsqu’on veut l’en faire sortir, on doit se servir du verbe transitif enseigner. Conservons toujours avec soin aux termes la valeur qui leur est propre; un grammairien a dit avec beaucoup de justesse que c’était par la confusion des mots que commençait la décadence d’une langue.

37 Apprendre est cependant employé transitivement lorsque son régime est un substantif qui n’exprime aucune idée de science ni d’art. Il m’a appris une singulière nouvelle. C’est un abus; mais il a reçu la consécration de l’usage général; il faut s’y soumettre. Il n’en est pas de même de son emploi pour enseigner, qui n’est fondé que sur l’autorité insuffisante de quelques dictionnaires.


APPROCHE.

Locut. vic. Les approches de cette ville furent meurtriers.
Locut. corr. Les approches de cette fille furent meurtrières.

Ce mot se trouve très-rarement placé dans le discours de manière à en faire apercevoir le genre; aussi donne-t-il lieu à bien des erreurs.

Tous les dictionnaires le font féminin.


APPROCHANT.

Locut. vic. Il est approchant de huit heures.
Locut. corr. Il est près de huit heures.

M. Ch. Nodier (Examen crit. des Dictionnaires) reproche à cette phrase de Gattel: il est approchant de huit heures, de renfermer un solécisme: approchant de. Nous sommes de son avis. Nous eussions bien désiré avoir aussi le sentiment de ce savant critique sur la préposition simple approchant. Quant à nous, elle nous a toujours paru mauvaise, et nous pensons qu’il vaudrait mieux employer à sa place l’une des prépositions près de, à peu près, environ, qui ont la même signification, et sont beaucoup plus correctes.


38 APRÈS.

Locut. vic.   Votre frère est venu demander hier après vous.
Laissez la clé après la serrure.
 
Locut. corr.   Votre frère est venu hier vous demander.
Laissez la clé à la serrure.

Après n’est réellement bien employé que lorsqu’il exprime une idée de postériorité, de suite, comme dans ces phrases: la gendarmerie a été envoyée après eux; l’homme court toute sa vie après le bonheur. Nous pensons que le dictionnaire de l’Académie aurait assez bien fait de ne pas prêter l’appui de son autorité à certains exemples de diction, où après reçoit une signification que lui refuse bien certainement la grammaire. Quant aux deux phrases que nous avons blâmées plus haut, elles ne s’y trouvent pas.


APRÈS-DINÉE, APRÈS-MIDI, APRÈS-SOUPÉE.

Locut. vic. Comment emploierons-nous la première après-dinée, la première après-midi, la première après-soupée.
Locut. corr. Comment emploierons-nous le premier après-dîner, le premier après-midi, le premier après-souper.

Selon presque tous nos grammairiens, les trois mots qui figurent en tête de cet article sont féminins. La raison qui a déterminé ce genre est facile à saisir pour le premier et le troisième, par la seule inspection de ces mots, mais le second, d’où peut lui venir son genre féminin, quand il est bien notoire que midi est masculin, et que la préposition après, placée devant ce substantif, ne peut nullement en changer le genre? Nous pensons 39 donc que le mot composé après-midi doit toujours être masculin: cet après-midi m’a paru bien court. Quant aux mots après-dinée, après-soupée, il est bien clair qu’étant écrits de cette façon, ils doivent être féminins; mais nous ferons la remarque que cette orthographe est maintenant bien surannée, que personne ne dit plus la soupée, qu’on dit rarement la dinée, et qu’on ferait beaucoup mieux d’écrire après-dîner, après-souper.

L’examen de ces expressions après-midi, après-dinée, après-soupée est assez curieux. Il fait voir 1o que l’Académie qui définit midi, substantif masculin, veut en le joignant à la préposition après en faire un substantif féminin; 2o qu’elle passe sous silence soupée à sa lettrine, comme n’étant pas français apparemment, et l’accole cependant à la préposition après; 3o enfin que le mot dinée signifiant un repas qu’on fait à dîner dans les voyages, ne peut point par l’effet de son adjonction à la préposition après changer complètement de valeur et signifier le repas ordinaire, nommé dîner, comme dans cette phrase: il a passé toutes ses après-dinées dans mon salon. N’avons-nous pas là trois absurdités?


ARBORISER.

Locut. vic. Nous irons arboriser.
Locut. corr. Nous irons herboriser.

Cette expression se trouve dans Rabelais: «Et, en lieu darboriser, visitoyent les bouticques des drogueurs, herbiers et apothecaires.» (Gargantua, liv. I. ch. XXIV.) L’usage qui, à ce qu’il paraît, voulait arboriser du temps du bon curé de Meudon, changea plus tard ce verbe en celui d’herboliser, qu’on lit dans Ménage (Orig. de la Langue fr.). Aujourd’hui ces deux mots sont également bannis de la langue; herboriser est le seul qu’on emploie.

40 Arboriser pourrait peut-être se dire; mais au lieu de signifier chercher des herbes, il faudrait qu’il signifiât chercher des arbres.


ARC-BOUTANT.

Prononc. vic. Un arque-boutant.
Prononc. corr. Un ar-boutant.

L’usage a véritablement annulé le son du c dans ce mot composé, mais Féraud nous paraît être dans l’erreur lorsqu’il croit qu’il faut prononcer ar-de-triomphe. Ce serait à la vérité se montrer conséquent; l’usage se soucie bien de cela.


ARCHE.

Locut. vic. Il passa sous une arche-de-triomphe.
Locut. corr. Il passa sous un arc-de-triomphe.

Arche ne s’emploie régulièrement que pour signifier:


ARÉCHAL.

Locut. vic. Un bout de fil d’aréchal.
Locut. corr. Un bout de fil d’archal.

Si nous estropions encore aujourd’hui le nom du fil d’archal, on ne prétendra pas cependant que nous ne sommes pas, depuis Vaugelas, en progrès dans la prononciation 41 de ce mot, car la 382e remarque de ce grammairien atteste que, de son temps, on disait assez généralement du fil de richar. Personne, que nous sachions, ne fait maintenant cette faute burlesque.


ARMISTICE.

Locut. vic. Une armistice fut proposée et acceptée.
Locut. corr. Un armistice fut proposé et accepté.

«Trompés par le dictionnaire de l’Académie, édition de 1762, quelques journalistes, ayant à parler d’une suspension d’armes, firent armistice féminin. Mais ce mot est masculin d’après tous les dictionnaires, et d’après la raison..... Du mot latin armistitium, neutre, on doit former le mot français armistice, masculin.»

(Domergue. Manuel des étrangers, etc.)


ARRIÉRAGES.

Locut. vic. Recevoir des arriérages.
Locut. corr. Recevoir des arrérages.

Autrefois on parlait correctement en disant des arriérages; aujourd’hui on fait une faute en employant cette expression. Il faut convenir qu’arriérages serait bien plus correct, en ce qu’il conserverait mieux l’orthographe de la racine arrière. Ce mot a été composé de la même manière que voisinage, parentage, entourage, etc.


42 ARTILLERIE.

Prononc. vic. Artilerie.
Prononc. corr. Artillerie.

On doit prononcer les deux l de ce mot comme on les prononce dans fille, famille, quille, etc.


ARTISTE.

Des gens, d’une susceptibilité que nous n’hésitons pas à taxer de ridicule, ont voulu trouver un vice dans l’extension donnée à la signification du mot artiste, lequel comprend aujourd’hui non-seulement les peintres, les musiciens, les dessinateurs, les graveurs, mais encore les acteurs, les chanteurs, les danseurs. Nous ne voyons dans cette extension rien que de fort raisonnable. Les acteurs, chanteurs, danseurs, etc., cultivent un art comme les peintres, les musiciens, etc., et ont dès-lors le droit de se nommer artistes. Nous plaignons le peintre, le musicien, etc., dont l’orgueil pourrait être blessé par cette phrase: Talma fut un grand artiste. Son raisonnement ne serait guère solide, s’il ne voyait combien l’acteur jette ici d’éclat sur le mot artiste. Une Mars, un Elleviou, une Taglioni sont-ils gens qui puissent faire rougir ceux auprès de qui ils se trouvent? Tous les acteurs, toutes les actrices ne sont pas, il est vrai, des Talma, des Mars; tous les chanteurs ne sont pas des Elleviou; toutes les danseuses ne sont pas des Taglioni; mais tous les peintres, tous les musiciens sont-ils donc des Raphaël, des Mozart, etc.? Nous pensons que la prétention de mettre en dehors du titre d’artiste les personnes qui cultivent la déclamation, le chant, ou la danse, n’a jamais pu exister que dans l’esprit étroit de certains prétendus artistes dont la vanité, peu accoutumée 43 aux jouissances, eût désiré avoir au moins, comme fiche de consolation, celle de pouvoir se placer, de par l’autorité de la grammaire, devant un assez bon nombre de gens de mérite.


ASSEOIR.

Locut. vic. Je m’asseois, assois-toi, assis-toi, que je m’assoye, etc.
Locut. corr. Je m’assieds, assieds-toi, que je m’asseye, etc.

«Il n’y a point de verbe, dit la Grammaire des grammaires, qui ait éprouvé autant de variations dans sa conjugaison; mais enfin l’Académie (Dict. édition de 1762 et de 1798), Wailly, Restaut, Gattel, Levizac, Sicard, la plupart des grammairiens modernes, et enfin l’usage, ont décidé qu’il se conjuguerait suivant le modèle que nous indiquons. Je m’assieds, tu t’assieds, il s’assied, nous nous asseyons, vous vous asseyez, ils s’asseient.—Je m’asseyais, nous nous asseyions. Je m’assis, nous nous assîmes.—Je m’assiérai, ou je m’asseierai, nous nous assiérons ou nous nous asseierons.—Je m’assiérais ou je m’asseierais, nous nous assiérions, ou nous nous asseierions.—Assieds-toi, asseyons-nous.—Que je m’asseye, que nous nous asseyions.—Que je m’assisse, que nous nous assissions.—S’asseoir.—S’asseyant.—Assis, assise

«Quelques grammairiens, dit Laveaux, ont imaginé de débarrasser ce verbe des difficultés de cette conjugaison, et ils conjuguent ainsi: je m’assois, tu t’assois, il s’assoit, nous nous assoyons, etc. J’assoyais, J’assoirai, j’assoirai, assois-toi, qu’il s’assoie, que nous nous assoyions, qu’ils s’assoient, s’assoir, s’asseyant, assis.

«Il est certain que cette manière de conjuguer ce verbe est beaucoup plus commode, et qu’il serait à souhaiter 44 qu’elle fût adoptée; mais elle ne l’est pas encore généralement.»


ASSOUVIR.

Locut. vic. Après avoir assouvi sa soif.
Locut. corr. Après avoir satisfait sa soif.

Il nous semble aussi incorrect de dire: assouvir la soif (le Temps, feuilleton du 25 janv. 1832), qu’il le serait de dire: étancher la faim. Que dans ces deux locutions on transpose les deux verbes, et chacun d’eux se trouvera alors à sa véritable place. Le Dictionnaire de Trévoux contient, il est vrai, cette phrase: Cet ivrogne n’est jamais assouvi de vin; et, ce qu’il y a de singulier, c’est qu’il rapporte cet exemple après avoir défini plus haut le verbe assouvir: rendre saoul et rassasié de viandes. Il faut alors que l’auteur ait eu l’intention de parler de ces vins épais dans lesquels on trouve, comme on le dit vulgairement, à boire et à manger.


ASSUMER.

La remarque que nous avons à faire sur ce verbe, c’est qu’il peut être employé sans que la conscience grammaticale du puriste le plus méticuleux puisse aucunement s’en alarmer. Il est bien vrai qu’on ne le voit accueilli par aucun de nos lexicographes, depuis Nicod jusqu’à M. Raymond, mais nous ne voyons là qu’un simple oubli de leur part. Comment s’imaginer qu’ils aient considéré ce mot si sonore et si régulièrement formé comme un membre indigne de notre élégant idiôme! Nous n’y voyons pas la moindre apparence. Il pourra donc être de quelque utilité que nous ayons constaté cet oubli.


45 ASSURER.

Locut. vic. Assurez-le que je ne l’oublierai pas.
Locut. corr. Assurez-lui que je ne l’oublierai pas.

«On dit assurer quelque chose à quelqu’un, et assurer quelqu’un de quelque chose. Assurer, dans la première construction, signifie donner pour sûr, et dans la seconde témoigner.

«On m’assure que les troubles qui agitent la Hollande ne seront pas suivis d’une guerre civile.

«Dans cet exemple assurer signifie donner pour sûr, et réclame après lui la préposition à.

«Il est agréable de n’assurer de son respect que ceux qu’on respecte réellement.

«Ici assurer signifie témoigner, et réclame un complément direct de personne.» (Domergue. Solutions Grammaticales.)


ASTÉRIQUE.

Locut. vic. Une astérique.
Locut. corr. Un astérisque.

Cet astérisque renvoie à une grande note. (Académie.)

Ce mot vient du grec asteriskos, petite étoile.


ATMOSPHÈRE.

Locut. vic. L’atmosphère est trop épais.
Locut. corr. L’atmosphère est trop épaisse.

Ce mot, que Linguet, Bailly et quelques autres auteurs ont fait masculin, et que Féraud aime mieux, nous ne savons pourquoi, écrire avec un h, athmosphère, doit, 46 si l’on s’en rapporte à la double autorité, et de l’Académie, et de l’étymologie, prendre le genre féminin, et s’écrire comme nous l’avons fait en tête de cet article.


A TRAVERS,—AU TRAVERS.

Locut. vic.   Il passa à travers des flammes.
Nous passâmes au travers l’armée.
 
Locut. corr.   Il passa au travers des flammes.
Nous passâmes à travers l’armée.

Le Dictionnaire de l’Académie s’exprime ainsi sur ces deux locutions: «Phrases employées comme prépositions, dont la première est toujours suivie du régime simple, et l’autre de la préposition de. Aller à travers les bois, à travers les champs, à travers champs. Il se fit jour à travers des ennemis, à travers les ennemis.»

Nous ferons remarquer que l’Académie a commis dans cet article une double faute, d’abord en donnant à des prépositions le nom de phrases, et secondement en se mettant dans un exemple en opposition directe avec la règle qu’elle vient de poser, c’est-à-dire en donnant à la préposition à travers un régime composé: à travers des ennemis.

Cette faute se trouve quelquefois dans de bons auteurs:

Ses soupirs embrâsés
Se font jour à travers des deux camps opposé
(Racine.)

Ce n’en est pas moins une faute.


47 ATTEINDRE.

Locut. vic.   Lucinde vient d’atteindre à l’instant où finit l’enfance.
Il n’est pas donné à l’homme d’atteindre la perfection.
 
Locut. corr.   Lucinde vient d’atteindre l’instant où finit l’enfance.
Il n’est pas donné à l’homme d’atteindre à la perfection.

Domergue établit ainsi la différence entre atteindre et atteindre à. «Atteindre, avec le complément direct, se dit des personnes en général, et des choses auxquelles on parvient sans difficulté, sans effort, et, pour ainsi dire, malgré soi. Atteindre un certain âge; elle n’a pas atteint son cinquième lustre. Atteindre à se dit des choses auxquelles il paraît qu’on ne peut parvenir qu’avec difficulté, qu’en faisant des efforts dirigés vers elles: atteindre à une certaine hauteur, atteindre au plancher, atteindre au but, atteindre à la perfection.

«On dit atteindre quelqu’un dans le sens de frapper, attraper, égaler; on dit atteindre à quelqu’un s’il s’agit de se diriger, de tendre physiquement vers quelqu’un.» (Solutions Grammaticales.)


AUCUN.

Locut. vic. Sous aucuns prétextes.
Locut. corr. Sous aucun prétexte.

Cet adjectif signifie pas un; il n’est donc pas juste de le faire suivre d’un substantif pluriel comme dans ces vers de Racine:

48

Aucuns monstres par moi domptés jusqu’aujourd’hui.
Ne m’ont acquis le droit de faillir comme lui.
(Phèdre.)

Cependant lorsqu’il est joint à un substantif qui ne peut être employé qu’au pluriel, comme frais par exemple, il est évident que l’adjectif aucun doit prendre la marque du pluriel, et qu’on doit dire: vous recevrez cela sans aucuns frais. Cette locution est encore loin d’être correcte, et ne le sera jamais de quelque manière qu’on l’écrive, puisque, d’une part, l’adjectif aucun ne doit pas prendre la forme plurielle, et que de l’autre le substantif frais ne saurait devenir singulier. Comment faire alors? Prendre le parti indiqué par la raison toutes les fois qu’on trouve une difficulté réelle, c’est-à-dire la tourner ne pouvant l’applanir. Au lieu de dire sans aucuns frais, pourquoi ne dirait-on pas tout simplement sans frais. Nous ne proposons pas de dire sans nuls frais, parce que nul a étymologiquement aussi une valeur purement singulière.


AU FUR ET A MESURE.

Locut. vic. Envoyez-les moi au fur et à mesure que vous les recevrez.
Locut. corr. Envoyez-les moi à mesure que vous les recevrez.

«Ces deux lourdes locutions ne signifient jamais rien de plus que à mesure. Il faut donc dire: je travaillerai à mesure que vous m’apporterez de l’ouvrage, et non: je travaillerai à fur et à mesure que vous m’apporterez de l’ouvrage.» (Marle. Journal de la langue française.)

49 Il serait à désirer que tous nos grammairiens voulussent bien, comme M. Marle, chercher à purger notre langue d’une foule de mots parasites, qui nuisent souvent à son élégance et même à sa clarté.


AUJOURD’HUI.

Locut. vic. Jusqu’aujourd’hui.
Locut. corr. Jusqu’à aujourd’hui.

Racine a dit:

Aucuns monstres par moi domptés jusqu’aujourd’hui,
Ne m’ont acquis le droit de faillir comme lui.

L’usage, comme Racine, paraît aussi préférer cette expression. Nous croyons cependant cette opinion plus spécieuse que solide. Jusqu’aujourd’hui, se sera-t-on dit probablement, est composé des mots jusques à le jour de hui, lesquels, par des contractions fort communes dans notre langue, ont été amenés à ne plus présenter à l’œil qu’un seul mot. Or, si vous disiez jusqu’à aujourd’hui, en faisant la décomposition de ce mot ne trouveriez-vous pas un pléonasme? n’auriez-vous pas la préposition à deux fois, jusques à à le jour d’hui? Voilà, nous l’avouons, un raisonnement qui est fort juste, mais voici ce que nous répondons. Aujourd’hui est un mot qui doit être à la vérité considéré comme composé lorsqu’il s’agit d’étymologie, mais que la grammaire ne veut et ne peut, dans l’usage ordinaire, considérer que comme un seul mot, sans nul égard pour les élémens qui le composent. Ce qui le prouve évidemment c’est son emploi dans ces expressions: d’aujourd’hui, depuis aujourd’hui, qui, soumises à l’analyse, donneraient de à le jour d’hui, depuis à le jour d’hui, ce qui serait souverainement ridicule. 50 On sentira que, pour être conséquent, celui qui dira jusqu’aujourd’hui devra dire du jour d’hui, à compter du jour d’hui. Mais ce n’est pas ainsi que l’usage veut qu’on s’exprime. Il veut qu’on dise d’aujourd’hui, et, comme il ne s’oppose pas formellement à ce qu’on dise jusqu’à aujourd’hui, puisqu’on en trouve des exemples dans de bons auteurs: supposons qu’il ne soit arrivé aucun changement dans les cieux jusques à aujourd’hui (Fontenelle. Entr. sur la plur. des mondes), nous nous prononçons décidément en faveur de cette locution, afin surtout d’établir une contradiction de moins dans notre langue qui en a déjà tant.—Aujourd’hui est maintenant un seul mot, un adverbe, comme demain, hier, et l’on doit dire jusqu’à aujourd’hui comme on dit jusqu’à demain, jusqu’à hier. Vaugelas, qui est d’un sentiment contraire au nôtre sur la locution jusqu’aujourd’hui, dit à la fin de sa cinq cent quatorzième remarque: «Il y a pourtant certains endroits où non-seulement on peut dire à aujourd’hui, mais il le faut dire nécessairement, comme on m’a assigné à aujourd’hui, et non pas on m’a assigné aujourd’hui; car ce dernier mot serait équivoque, ou, pour mieux dire, il ne signifierait pas que l’on m’a assigné à aujourd’hui, mais que c’est aujourd’hui qu’on m’a assigné. De même on a remis cette affaire aujourd’hui ne serait pas bien dit pour dire on a remis cette affaire à aujourd’hui. Il y aurait dans l’intelligence de ces paroles: on a remis cette affaire aujourd’hui le même vice et le même inconvénient qu’en celles-ci: on m’a assigné aujourd’hui


51 AU PARFAIT.

Locut. vic. Je me porte au parfait.
Locut. corr. Je me porte parfaitement.

Féraud a accueilli cet adverbe blâmé par Voltaire, mais en y ajoutant cette note assez plaisante dans un dictionnaire, adverbe à la mode, et qui paraît prouver qu’il ne s’en servait qu’avec quelque répugnance.

L’Académie ne l’admet pas dans son dictionnaire.


AUSSITOT.

Locut. vic. Aussitôt la lettre écrite, le courrier partit.
Locut. corr. Dès que la lettre fut écrite, le courrier partit.

On ne peut donner à l’adverbe aussitôt un complément qui ne convient qu’à une préposition. Laveaux tolère l’emploi de cette phrase de commerce: aussitôt votre lettre reçue, j’ai fait votre commission. Cette tolérance est blâmable.


AUTANT.

Locut. vic. Qu’il évite l’amour autant comme les flammes.
Locut. corr. Qu’il évite l’amour autant que les flammes.

Le vers de Passerat que nous citons ici était correct il y a deux siècles et demi, comme on pourrait le prouver par d’autres citations prises dans les bons auteurs de cette époque, et même d’une époque plus rapprochée; il est aujourd’hui défectueux par la raison qu’il n’est plus permis d’employer comme après autant. C’est un point sur lequel du moins tous les grammairiens sont d’accord. Nous ferons une croix quand nous serons à trois.


52 AUTEUR.

Locut. vic. Je ne suis pas l’auteur de cette déchirure.
Locut. corr. Je ne suis pas la cause de cette déchirure.

Le mot auteur n’est bien placé, dans le sens de cause, que dans les phrases où il s’agit d’un effet de quelque importance.

Périsse le Troyen auteur de nos alarmes.
(Racine.)

Dans ce vers, auteur est en rapport avec alarmes, mais il y a certainement dans le rapprochement des mots auteur et déchirure de la phrase d’exemple citée en tête de cet article, quelque chose de si ridicule, que toute personne pourvue d’un peu de goût ne peut manquer d’en être aussitôt choquée.


AUTOMNE.

Locut. vic. L’automne a été chaude.
Locut. corr. L’automne a été chaud.

«Maintenant masculin, ce qu’on a fait pour le conformer au genre des trois autres saisons. Les chimistes ont suivi cette méthode pour les noms des terres, des métaux, des demi-métaux. Cet esprit de régularité ne saurait passer trop vite des sciences dans les langues; et aucune langue n’approchera de la perfection tant qu’il ne s’y sera pas étendu à toutes les applications dont il est susceptible.» (M. Ch. Nodier. Ex. crit. des Dict.)

Il est bien probable que le judicieux auteur de l’article que nous venons de citer ne s’associe pas à la sotte prétention de certains grammairiens de faire automne 53 masculin, seulement lorsqu’il est précédé de l’adjectif: un bel automne, et féminin lorsqu’il en est suivi: une automne froide et pluvieuse. Il y a trop de raisonnement dans la tête de M. Ch. Nodier, pour qu’une opinion semblable puisse y trouver place.


AUTOUR. (Voyez ALENTOUR.)


AUTRE.

Locut. vic. Les autres deux hommes étaient partis.
Locut. corr. Les deux autres hommes étaient partis.

L’adjectif autre, employé avec un nom de nombre, doit toujours être placé après ce nom de nombre, contrairement à l’usage des méridionaux, qui disent toujours les autres six, les autres vingt, etc.


AUXERRE,—AUXERROIS.

Prononc. vic.   La ville d’Auc-cerre.
Saint-Germain-l’Auc-cerrois.
 
Prononc. corr.   La ville d’Ausserre.
Saint-Germain-l’Ausserrois.

Comment se fait-il que nos grammaires, qui répètent toutes les unes après les autres qu’on doit prononcer, dans le nom propre de ville Auxerre, la lettre x comme s’il y avait deux s, n’aient pas du tout songé à nous indiquer la prononciation du gentilé Auxerrois? Serait-ce parce que ces deux mots doivent naturellement avoir une prononciation identique? Ce raisonnement est assez bon, mais il a laissé cependant se fourvoyer l’usage, et si, par déférence pour cet usage, on prononce 54 Saint-Germain l’Auc-cerrois, ou si, par respect pour l’analogie, on prononce Saint-Germain-l’Ausserrois, on est à peu près sûr maintenant d’encourir le reproche, ou d’inconséquence, ou de gasconisme. L’alternative n’est assurément pas fort agréable.


AVALANGE.

Locut. vic. La chûte d’une avalange le fit périr.
Locut. corr. La chûte d’une avalanche le fit périr.

Quoique Laveaux (Dict. de l’Acad., édition 1802) permette de dire avalange et avalanche, le dernier de ces mots est seul usité aujourd’hui. Avalange est un archaïsme.


AVANT.

Locut. vic.   Nous soupâmes avant que de partir.
Avant que mon frère ne soit arrivé.
 
Locut. corr.   Nous soupâmes avant de partir.
Avant que mon frère soit arrivé.

La conjonction que est aussi inutile dans la première de ces phrases que la particule négative l’est dans la seconde, aussi l’usage les supprime-t-il maintenant en pareil cas. Cette réforme est trop sensée pour qu’on puisse s’y opposer.


55 AVANT, AUPARAVANT.

Locut. vic.   Sa méchanceté est aussi grande qu’avant.
J’ai vu cette dame auparavant vous.
Je partirai auparavant que vous arriviez.
 
Locut. corr.   Sa méchanceté est aussi grande qu’auparavant.
J’ai vu cette dame avant vous.
Je partirai avant que vous arriviez.

Dans la première des trois phrases que nous venons de citer, il faut auparavant, par la raison qu’avant ne peut être employé comme adverbe que dans les locutions suivantes: en avant, fort avant, trop avant, etc.; Allons en avant, on dansa fort avant dans la nuit, ne creusez pas trop avant, etc.

Dans la seconde, il faut avant, par la raison qu’auparavant ne peut être employé comme préposition, c’est-à-dire avec un complément;

Dans la troisième enfin, il faut encore avant, parce que la conjonction auparavant que est, dans l’état actuel de notre langue, un véritable barbarisme.


AVANTAGEUX.

Locut. vic. Votre ami est bien avantageux!
Locut. corr. Votre ami est bien vain! bien présomptueux!

«On prend communément aujourd’hui ce mot pour vain, confiant, présomptueux, et les dictionnaires le consacrent en ce sens, où il n’est certainement pas français. C’est une extension de province qui a pu être accueillie par une gazette, mais qui ne mérite pas de l’être par une Académie.» (Ch. Nodier. Examen critique des Dict.)

Cet adjectif ne peut avoir d’autre signification que 56 celle de profitable: ce marché lui a été fort avantageux.


AVANT-HIER.

Prononc. vic. Dé hier (dès hier) je m’en suis aperçu.
Prononc. corr. Dé zhier je m’en suis aperçu.

Selon Domergue (Gramm. élém.) le t est nul dans ce mot composé.

Selon M. Laveaux (Dict. des Diff.) le t se fait sentir, mais faiblement.

Selon M. Marle enfin (Omnibus) le h d’hier étant muet, on doit faire sonner le t et prononcer avant-tier.

Voilà trois opinions différentes; laquelle est la bonne?

Nous pensons que c’est celle de M. Marle. Puisque dans l’adverbe hier la lettre h est muette généralement, pourquoi ne le serait-elle pas toujours? Guerre aux exceptions, et surtout aux exceptions inutiles.


AVEC.

Prononc. vic. Venez avé moi.
Prononc. corr. Venez avek moi.

Cette prononciation tronquée avé moi était en usage au commencement du dix-septième siècle, comme on peut le voir par la deux cent soixante-huitième remarque de Vaugelas. Les petits-maîtres et les femmelettes de nos jours, que la plus légère apparence de rudesse fait tomber en syncope, ne parviendront pas, même avec l’aide de quelques grammairiens modernes, à mettre en honneur une prononciation ridicule. Avec a toujours été, depuis plusieurs 57 siècles, prononcé fortement. Nous n’en voulons d’autre preuve que la manière d’écrire cette préposition autrefois: avenc, avecques, avecque.


AVEINE.

Locut. vic. Cette aveine est gâtée.
Locut. corr. Cette avoine est gâtée.

«L’Académie dit qu’on prononce assez communément avène. L’Académie se trompe. Il n’y a que les gens de la campagne et les garçons d’écurie qui disent avène ou plutôt aveine. L’Encyclopédie dit avoine. Il n’a de pluriel qu’en parlant des avoines quand elles sont encore sur pied. Les avoines sont belles, on commence à faner les avoines. Je crois cependant qu’en termes de commerce on peut dire: il a acheté des avoines, pour signifier des avoines de différentes espèces et achetées à divers marchands.» (Laveaux. Dict. des Diff.)

Malgré ce que dit Laveaux, nous ne serions pas étonné que d’autres personnes que des gens de la campagne ou des garçons d’écurie, persistassent à dire et écrire avène ou aveine, car on dit en latin avena, et l’on sait combien la raison de l’étymologie a de force auprès de certaines personnes.


AVEUGLEMENT.

Locut. vic. L’aveuglement développe chez l’homme les sens de l’ouie et du toucher.
Locut. corr. La cécité développe chez l’homme les sens de l’ouie et du toucher.

«Ce mot n’est plus synonyme de cécité. Cécité se 58 prend au propre, et aveuglement au figuré.» (Ch. Nodier. Examen crit. des Dict.)

Ainsi cette phrase est défectueuse: les passions nous causent une cécité funeste. Il faut: un aveuglement funeste.

Comment se fait-il qu’un dictionnaire récent comme celui de M. Raymond définisse ainsi le mot aveuglement: privation ou perte du sens de la vue? Que deviendra le principe si important de la propriété des termes, si les lexicographes sont les premiers à donner l’exemple de la confusion?

Aveuglement, adverbe, prend un accent aigu sur le second e, aveuglément. Comme l’adverbe de manière se forme du féminin de l’adjectif, en ajoutant la terminaison ment, et que l’adjectif aveugle n’est pas plus accentué au féminin qu’au masculin, nous remarquerons qu’on ferait beaucoup mieux d’écrire aveuglement adverbe, comme aveuglement substantif, c’est-à-dire sans accent.


AVOIR.

Locut. vic. J’aurais eu peur si je l’eus vu.
Locut. corr. J’aurais eu peur si je l’eusse vu.

Le solécisme que nous signalons ici est assez commun dans la conversation; mais nous ne nous serions jamais attendu à le trouver imprimé, surtout dans les œuvres d’un de nos poètes classiques. On lit dans Crébillon:

Jamais ton nom sacré n’eût paré mon ouvrage,
Si toi-même ne l’eus permis.
(Epitre au duc Louis de Bourbon.)

La licence poétique ne va pas jusques-là.


59 AVRIL.

Prononc. vic. Le mois d’a-vrille (comme une vrille).
Prononc. corr. Le mois d’a-vri-le.

L’Académie prétend que le l de ce mot est mouillé. Laveaux est d’un sentiment contraire, et nous croyons qu’il a pour lui l’autorité de l’usage.


AÏEUL.

Locut. vic. Ses deux aïeux étaient militaires.
Locut. corr. Ses deux aïeuls étaient militaires.

Le grand-père paternel et le grand-père maternel d’une personne sont ses aïeuls, comme sa grand’mère paternelle et sa grand’mère maternelle sont ses aïeules. Les aïeux sont tous les parens ascendans, à quelque degré qu’ils soient, excepté toutefois le père et la mère.

On a substitué un i à un y dans ce mot, parce que cette dernière lettre n’est réellement à sa place que lorsqu’elle vaut deux i comme dans pays, moyen (pai-is, moi-ien). L’usage, fondé sur l’étymologie, a cependant conservé l’y dans beaucoup de mots où un i pourrait fort bien le remplacer, mais l’usage perd tous les jours sous ce rapport, et cette mauvaise orthographe finira par disparaître entièrement.


BABOUINES.

Locut. vic. Se lécher les babouines.
Locut. corr. Se lécher les babines.

Les babines sont les lèvres des animaux qu’on n’a pas jugés assez mondes pour se servir à leur égard du mot lèvres.

60 Les babouines sont les femelles des babouins, espèce de singes fort gros. On dit aussi plaisamment des babouines pour désigner des petites filles, comme on dit des babouins pour désigner des petits garçons.

Ah! le petit babouin!
(La Fontaine, fable 19, liv. I.)

BACCHANALE.

Locut. vic.   Quelle bacchanale font ces instrumens!
Votre dîner était un vrai bacchanal.
 
Locut. corr.   Quel bacchanal font ces instrumens!
Votre dîner était une vraie bacchanale.

Chez les païens les bacchanales étaient les fêtes de Bacchus, et ces fêtes étaient des orgies. C’est par analogie avec ces fêtes, qu’on a nommé chez nous bacchanale une partie de plaisir où l’on fait des libations nombreuses.

Ainsi, en parlant d’un repas marqué par l’intempérance et le bruit, on dira fort bien: C’était une bacchanale; mais si l’on ne voulait parler que d’un grand tapage, ce serait bacchanal qu’il faudrait employer. Taisez-vous; vous faites un bacchanal insupportable. Ce dernier mot se trouve avec cette signification dans le dictionnaire de l’Académie de 1802.


BAIGNER.

Locut. vic.   Ils sont allés baigner ensemble.
On trouva son frère baignant dans son sang.
 
Locut. corr.   Ils sont allés se baigner ensemble.
On trouva son frère baigné dans son sang.

Lorsqu’il est question de l’action d’une personne qui 61 prend un bain, le verbe baigner doit toujours être pronominal; je me baigne, tu te baignes, etc. Il ne devient neutre que lorsqu’il exprime une chose ou un être inanimé qui trempe dans un liquide: Ces fruits doivent baigner dans l’eau-de-vie; le cadavre du cheval baignait dans le lac. Quant à la seconde locution, l’Académie ne l’admet pas, et Féraud la repousse positivement. On pourrait dire, il est vrai, sauf l’hyperbole, on trouva cet homme nageant dans son sang; mais il y a une distinction à faire à ce sujet; c’est que nager exprime une action, et que baigner, verbe neutre, exprime un état, et que, conformément à l’usage, l’un est toujours employé au participe présent, et l’autre au participe passé. On ne peut pas plus dire un homme baignant dans son sang qu’un homme nagé dans son sang. Le participe présent implique dans un verbe neutre d’action l’idée d’un mouvement qu’on trouve fort rarement dans l’homme qui baigne dans son sang; le participe passé, au contraire, dénotant naturellement l’absence de vie, nous paraît convenir tout-à-fait dans cette circonstance. Aussi le participe présent et le participe passé ont-ils reçu, dans certaines nomenclatures grammaticales, le premier, le nom de participe actif, et le second, celui de participe passif.


BAILLER.

Locut. vic. Allons, vous baillez aux corneilles.
Locut. corr. Allons, vous bayez aux corneilles.

«Béer est le mot propre, dit M. Charles Nodier (Examen crit. des Diction.); mais bayer s’y est substitué». L’auteur du Dictionnaire comique aime mieux aussi écrire béer. Le mot béant, qui n’est autre chose que le participe présent du verbe béer, tenir la bouche ouverte 62 en regardant niaisement, semble assez indiquer que cette dernière orthographe devrait être préférée. Cependant l’usage, en cette occasion, comme dans beaucoup d’autres, a prévalu sur la raison, et l’on écrit aujourd’hui bayer.


BALIER.

Orth. vic. Baliez cet escalier.
Orth. corr. Balayez cet escalier.

De balai on a fait balayer. Il faut donc écrire ainsi ce verbe et le prononcer balai-ier.

Prononcez de même balai-iures (balayure), balai-ieur (balayeur) et non baliures, balieur.

On trouve balier dans Pasquier, Nicod et quelques autres vieux auteurs, et, du temps de Ménage, on ne savait trop lequel valait mieux de balier ou de balayer.


BAPTISMAL.

Prononc. vic. Bap-tismal.
Prononc. corr. Batismal.

Selon l’Académie, le p doit se faire sentir dans la prononciation du mot baptismal, et rester muet dans celle de baptême et de ses dérivés baptiser, baptiste, baptistaire, baptistère.

Nous dirons, nous, prononcez baptismal, comme baptême, comme baptiser, comme baptiste, comme baptistaire, comme baptistère, c’est-à-dire sans faire nullement sonner le p, et vous aurez pour vous l’euphonie, l’analogie et l’usage.


63 BARBOT.

Orth. vic. J’avais un habit bleu barbot.
Orth. corr. J’avais un habit bleu barbeau.

Le barbeau est une petite fleur des champs vulgairement connue sous le nom de bluet, à cause de sa couleur.


BAS.

Locut. vic. Mettez la culotte basse.
Locut. corr. Mettez la culotte bas.

Bas n’est pas un adjectif dans cette phrase; c’est un adverbe. Il doit être invariable. C’est comme s’il y avait mettez la culotte (à) bas.


BÉNIR.

Locut. vic.   Marie était bénite entre toutes les femmes.
Cet enfant est bénit par son père.
Ce chapelet est béni.
 
Locut. corr.   Marie était bénie entre toutes les femmes.
Cet enfant est béni par son père.
Ce chapelet est bénit.

Le verbe bénir a deux participes: l’un qui s’écrit toujours sans t, béni, bénie, lorsqu’il s’agit de la bénédiction de Dieu ou de celle des hommes, autres que les prêtres; l’autre qui s’écrit toujours avec un t, bénit, bénite, lorsqu’il ne s’agit que de la bénédiction des prêtres.


64 BESOIN.

Locut. vic.   Il n’en avait pas de besoin.
Munissez-le de ce qu’il aura besoin.
 
Locut. corr.   Il n’en avait pas besoin.
Munissez-le de ce dont il aura besoin.

On dit avoir besoin, n’en avoir pas besoin, et non avoir de besoin, n’en avoir pas de besoin.

Avoir besoin ne peut être suivi d’un régime direct, mais bien d’un régime indirect.


BIEN.

Locut. vic. Il m’a bien ennuyé!
Locut. corr. Il m’a fort ennuyé!

L’emploi de l’adverbe bien pour les adverbes très et fort ne doit pas avoir lieu sans examen. Domergue fait la remarque que cette phrase: il est bien malade, a dû être mise en usage par l’héritier d’un vieux avare, sur le point de porter un agréable deuil.

Il faut préférer un autre adverbe à l’adverbe bien toutes les fois qu’il pourrait être suivi d’un mot exprimant une idée de mal.


BISQUER.

Locut. vic. Cela m’a fait bisquer.
Locut. corr. Cela m’a fait pester.

Deux dictionnaires, ceux de Boiste et de M. Raymond, admettent ce verbe. Nous nous joignons à tous les compilateurs de locutions vicieuses pour le repousser, parce que nous n’en voyons pas du tout l’utilité. Contentons-nous 65 de ses synonymes pester, enrager, endêver, endiabler, qui le valent certainement bien, et peuvent nous suffire dans tous les cas.


BLEUET.

Locut. vic. Nous cueillons des bleuets.
Locut. corr. Nous cueillons des bluets.

Bleuet employé pour bluet, petite fleur des champs, est une faute selon tous les dictionnaires; ce n’en est pas une selon la raison; car bluet appartient évidemment à la famille du mot bleu, et ne devrait pas être altéré de cette sorte.

L’usage veut qu’on dise aussi bluette (étincelle, petit ouvrage d’esprit), et non bleuette.


BOHÉMIEN.

Orth. vic. Une troupe de Bohémiens leur tira les cartes.
Orth. corr. Une troupe de Boêmiens leur tira les cartes.

Si l’on s’en rapportait à la signification donnée à ce mot dans nos dictionnaires, les habitans de la Bohême seraient de fort vilaines gens, vagabonds, sales et fripons. Mais les Bohémiens ou Bohêmes valent bien leurs voisins, et si la mauvaise réputation qu’on leur a faite, et dont ils se soucient probablement fort peu, leur est plutôt échue qu’aux Saxons, aux Bavarois, aux Autrichiens, etc., c’est uniquement parce qu’ils sont désignés en français par un mot qui ressemble assez à un autre vieux mot français, ayant à peu près, selon, certains glossaires, la signification de voleur. Ce mot est boem auquel Borel (Trésor de recherches) n’attribue que celle d’ensorcelé, et d’où pourrait, dit-il, venir le 66 nom des Boëmes ou Égyptiens qui se meslent de sortilège et divinations.

Il y a donc évidemment quiproquo lorsqu’on prend les Bohémiens pour des Boëmes ou Boëmiens, c’est-à-dire, un honnête peuple pour une troupe de filous. Des auteurs modernes ont déjà relevé ce quiproquo, et se sont généreusement portés défenseurs des enfans de la Bohême, qui eussent fort bien pu, dénoncés par le dictionnaire de l’Académie à quelque sévère procureur du roi, se voir un beau jour cités à comparaître en police correctionnelle, pour y justifier de leurs moyens d’existence.

Voici ce que dit Feydel à ce sujet (Remarques sur le dict. de l'Acad.): «L’orthographe de ce mot est Boîme, etc. Les Boîmes ou Gougots sont des bandes d’hommes, de femmes et d’enfans dont les pères vivent en commun, lesquelles se retirent dans les bois, quand les ordonnances les poursuivent sur les grands chemins, etc.»


BOLE.

Locut. vic. Voulez-vous une bole de lait chaud?
Locut. corr. Voulez-vous un bol de lait chaud?

Il y a des provinces, la Bretagne, par exemple, où tout le monde dit une bole; c’est un barbarisme. En anglais bol est neutre, comme presque tous les substantifs de cette langue; il doit être masculin en français, d’après son étymologie.


BOITE.

Locut. vic. Mettez ce tabac dans ma boîte.
Locut. corr. Mettez ce tabac dans ma tabatière.

Pourquoi dire boîte pour tabatière? Dites-vous une 67 coiffure, quand vous voulez désigner un chapeau? une chaussure, quand vous devez indiquer des bas ou des souliers? Nommez les choses par leur nom, et dites: tabatière, lorsque vous avez à parler d’une boîte à tabac.» (M. Marle, Omnibus du Langage.)


BONNE HEURE.

Locut. vic. Il est arrivé à bonne heure.
Locut. corr. Il est arrivé de bonne heure.

A bonne heure est un barbarisme fort en usage dans le midi de la France.


BONNET.

Locut. vic. Voilà un bonnet d’évêque.
Locut. corr. Voilà une mitre d’évêque.

«Si vous tenez à nommer les choses par leur nom, dites: la mitre d’un évêque, la toque d’un juge, la barrette d’un cardinal, et non un bonnet d’évêque, de juge, de cardinal.» (M. Marle, Omnibus du Langage.)


BOSSELER.

Locut. vic. Ce plat d’argent est vieux; il est tout bosselé.
Locut. corr. Ce plat d’argent est vieux; il est tout bossué.

Bosseler, c’est travailler une matière en bosse; bossuer, c’est faire par accident des bosses à cette matière. La différence de signification entre ces deux verbes n’est pas établie depuis fort long-temps, car le dictionnaire de Trévoux dit à l’article bosseler: «C’est la même chose que 68 bossuer,» et à ce dernier article: «On dit aussi bosseler.» Aujourd’hui, d’après tous nos dictionnaires, de la vaisselle bosselée, est de la vaisselle travaillée; et de la vaisselle bossuée, de la vaisselle qui a des bosses. Étant bosselée la vaisselle augmente de valeur; quand elle est bossuée elle en perd.


BOUILLEAU.

Locut. vic. Un balai de bouilleau.
Locut. corr. Un balai de bouleau.

Le bouleau est un arbre dont les branches servent à faire des balais. Un bouilleau est une espèce de gamelle à soupe: il n’est guère probable qu’on en fasse des balais.


BOULEVARI.

Beaucoup de grammairiens repoussent encore ce mot, probablement parce qu’il n’a pas été accueilli par le dictionnaire de l’Académie. Le savant M. Feydel a fait à ce sujet la remarque, approuvée depuis par Laveaux (Diction. des Difficultés), que boulevari est un terme de marine, et que c’est celui qu’on emploie figurément dans le langage public. Il signifie grand bruit, grand tumulte. Hourvari, que l’Académie écrit aussi ourvari, mais abusivement selon Laveaux, est un terme exclusivement consacré à la chasse. On pousse ce cri pour faire revenir les chiens sur leurs premières voies.


69 BOULI.

Pronon. vic. Du bouli, de la boulie.
Pronon. corr. Du bouilli, de la bouillie.

En patois de Paris on dit manger du bouli, de la boulie, sans mouiller les deux l.

On dit aussi dans le même patois: une bouloire, cette eau a boulu; au lieu d’une bouilloire, cette eau a bouilli.

Sarrasin a dit: deux litrons de châtaignes boulues (Testament de Goulu); mais c’était en plaisantant. Cela ne tire nullement à conséquence.


BOULOGNE.

Locut. vic. L’Albane naquit à Boulogne.
Locut. corr. L’Albane naquit à Bologne.

«Léon X.... lui fit demander (à François Ier) une entrevue à Boulogne.» (Mercier, Hist. de France). Lisez Bologne.

Bologne est une ville des États romains; Boulogne est une ville de France (Pas-de-Calais).


BOUT-EN-TRAIN.

Orth. vic. C’est un bout-en-train.
Orth. corr. C’est un boute-en-train.

Bouter est un verbe qui signifiait autrefois mettre. Ainsi la locution un boute-en-train, équivaut à celle-ci un met en train, c’est-à-dire, quelqu’un qui met les autres en train.


70 BRASSE-CORPS (à).

Locut. vic. Je le pris à brasse-corps.
Locut. corr. Je le pris à bras-le-corps.

C’est une phrase elliptique dont la construction pleine est à bras (qui entourent) le corps.


BRELUE.

Locut. vic. Avez-vous la brelue?
Locut. corr. Avez-vous la berlue?

«On écrivait et on prononçait autrefois barlue, dit l’abbé Féraud. Il est à remarquer que bar ou ber marque quelque chose de courbe, d’oblique, de travers. Ainsi barguigner, c’est ne pas guigner ou viser droit. Barlong, c’est ce qui est inégalement long. Bertauder, c’est tondre inégalement, etc.» (Diction. crit.)


BRINGUEBALLER, TRINQUEBALLER.

Locut. vic. Ces gens-là m’ont assez bringueballé, trinqueballé aujourd’hui.
Locut. corr. Ces gens-là m’ont assez brimballé aujourd’hui.

Les deux premiers verbes sont des barbarismes. Le troisième se trouve dans le dictionnaire de l’Académie, mais il y est noté comme familier. Sa signification est celle-ci: agiter, pousser çà et là, secouer comme des cloches qu’on sonne mal. Si l’on en croit Boiste, on pourrait aussi dire trimballer; mais nous pensons qu’on ferait tout aussi bien de s’en tenir au verbe brimballer dont Rabelais s’est souvent servi, et qui est accueilli par tous les dictionnaires.


71 BROUILLASSER.

Ce verbe, que l’usage admet, est repoussé par les grammairiens. Nous sommes vraiment fâché de voir les grammairiens moins sensés que l’usage, qui nous a déjà donné tant de preuves de son manque de jugement. Conçoit-on que, pour exprimer le brouillard qui règne quelquefois par une belle matinée d’été, on doive dire qu’il bruine? Mais pourquoi charger bruiner d’une nouvelle acception? La vraie signification de ce verbe est celle-ci: tomber de la bruine, c’est-à-dire, une petite pluie froide, ou un brouillard en pluie. Or, comme il peut y avoir du brouillard sans pluie, c’est précisément pour exprimer l’existence de ce brouillard que nous regardons le verbe brouillasser comme nécessaire.

Il ne faut pas qu’une délicatesse mal entendue nous fasse repousser des mots exprimant des idées qui ne sont pas encore représentées dans notre langue, surtout lorsque ces mots viennent compléter des familles.

Brouillasser est fort ancien dans la langue parlée. On l’a tiré du vieux substantif brouillas qui se disait autrefois pour brouillard: comme des nuës qui, enflées du broüillas d’une nuict, s’esvanouirent aux rayons de ce soleil, etc. (Vie de Ronsard, Œuvres, t. X, 1604.)


BRUXELLES.

Locut. vic. Bruc-celles.
Locut. corr. Brusselles.

En flamand le nom de cette ville s’écrit Brussel. Les Anglais écrivent Brussels, les Espagnols Bruselas, nos anciens auteurs écrivaient Brucelle.

72

Quel’ couleur vous semble plus belle
D’un gris vert? d’un drap de Brucelle?
(La Farce de Pathelin.)
Quel lé a-il? lé de Brucelle.
(Ibid.)

Où avons-nous donc été prendre cette orthographe, Bruxelles?


BUT. (Voyez REMPLIR.)


BUVABLE.

L’auteur du Manuel de la pureté du langage a cru devoir frapper de réprobation l’adjectif buvable. En bonne conscience que peut-on reprocher à cet adjectif? De ne pas tirer son origine du latin, comme la noble expression potable, et d’être un peu familier. Mais quel mal y a-t-il donc que nos Français non-latinistes aient quelques mots qu’ils puissent comprendre facilement, et de plus qu’il y ait des mots pour tous les styles? Presque tous nos dictionnaires, l’Académie en tête, admettent buvable; et nous pensons qu’il fait d’ailleurs si bien le pendant de mangeable que s’il n’existait pas il faudrait l’inventer. Gardons-le donc puisque nous l’avons.


ÇA (AVEC).

Locut. vic. Avec ça que je m’ennuie.
Locut. corr. Et puis je m’ennuie.

Dans le grand nombre d’expressions ridicules que nous entendons dans la conversation, dans celle même de gens instruits, n’oublions pas de placer celle-ci au premier rang. Un auteur assez distingué disait dernièrement: il ne vient pas... je suis d’une impatience! avec 73 ça que je suis pressé! Cet auteur n’aurait-il pas parlé d’une manière tout aussi claire, et surtout bien plus correcte, en disant: je suis si pressé!


CACAPHONIE.

Locut. vic. Quelle cacaphonie cela fait!
Locut. corr. Quelle cacophonie cela fait!

De kakos, mauvais, et phônê, son, on a dû faire cacophonie, et non cacaphonie. Aussi la première de ces deux expressions est-elle seule correcte.


CACHETER, CARRELER, BECQUETER, FICELER.

Locut. vic. Je cachte une lettre; on carle ma chambre; cet oiseau vous becqte; fice-le ce paquet.
Locut. corr. Je cachette une lettre; on carrelle ma chambre; cet oiseau vous becquette; ficelle ce paquet.

Les verbes terminés à l’infinitif par eler, eter, doublent la consonne l ou t devant l’e muet. C’est donc faire des solécismes que de prononcer je cachte, on carle, etc.


CALEMBOURG.

Orth. vic. C’est un calembourg.
Orth. corr. C’est un calembour.

Ce mot nous semble mieux écrit sans g, par la raison que l’on dit un calembourdier d’un homme qui fait des calembours. En écrivant calembourg, il faudrait dire un calembourgiste, expression essayée par Mercier (Néologie), mais qui n’a pas fait fortune. Laveaux écrit calembour et calembourdier.

Pourquoi ne dirait-on pas un calembouriste?


74 CALONNIÈRE.

Locut. vic. L’enfant tenait une calonnière à la main.
Locut. corr. L’enfant tenait une canonnière à la main.

Le dictionnaire de Trévoux a donné ce mot; il n’est plus aujourd’hui du bon usage.


CALOTTE.

Après la manie d’admettre sans examen et sans choix toutes les expressions nouvelles, parce qu’elles sont employées par le beau monde, nous ne savons rien de plus absurde que de repousser des mots populaires, et très-populaires, il est vrai, mais d’ailleurs très-bons, et qui expriment des idées qu’on ne pourrait rendre que par des périphrases, ou par d’autres mots qui passent pour leurs équivalens, et sont cependant loin de l’être. Nous ne concevons point, par exemple, pourquoi plusieurs de nos grammairiens font difficulté d’adopter le mot calotte pour signifier un coup du plat de la main sur la tête. Le mot soufflet a-t-il la même valeur? Non, certes. C’est bien, il est vrai, le même geste de la part de celui qui frappe; mais le geste du soufflet s’adresse à la joue, celui de la calotte à la partie supérieure de la tête. Il y a donc une différence. Comment alors faudra-t-il dire? Une tape; mais ce mot ne suffit pas, car il signifie seulement un coup de la main. On dira donc une tape sur la tête. Quoi! une périphrase quand on peut n’employer qu’un seul mot! Quelle répugnance soulève contre lui ce pauvre mot! Et cependant que peut-on lui reprocher? D’avoir été longtemps rebuté par les dictionnaires auxquels l’Académie avait donné l’exemple d’un injuste dédain; mais aujourd’hui qu’il a été accueilli dans le dictionnaire des quatre Professeurs, 75 dans celui de M. Raymond, etc., qui n’ont fait en cela que déférer à l’usage général, nous aimons à croire que M. Marle, dans une future édition de ses Omnibus du Langage, ne le mettra plus à l’index comme son synonyme giffle, qu’il a parfaitement raison de chasser de la langue, parce qu’il n’exprime réellement qu’une idée déjà exprimée, et qu’il est par là complètement inutile.


CALVI.

Locut. vic. Voici des pommes de Calvi.
Locut. corr. Voici des pommes de Calville.

Les pommes de Calvi sont des pommes qui viennent de la ville de Calvi, en Corse; mais ces pommes n’ont pas, que nous sachions, plus de renommée que d’autres: aussi n’en parle-t-on pas. C’est uniquement des pommes de Calville qu’il est ici question.

Calville est masculin; voilà de beau calville.


CAMPAGNE.

Locut. vic. L’été je vais en campagne.
Locut. corr. L’été je vais à la campagne.

En campagne est une locution qui exprime un grand mouvement, soit moral, soit physique, mais plus particulièrement encore un mouvement de troupes. Son imagination est en campagne; il se mettra en campagne pour le trouver; nous entrerons en campagne le mois prochain.


76 CANGRÈNE.

Orth. vic. La cangrène s’est déclarée.
Orth. corr. La gangrène s’est déclarée.

Ménage voulait qu’on écrivît et qu’on prononçât cangrène. Ce docte étymologiste savait cependant fort bien que ce mot venait du grec gaggraina; mais comme, de son temps, tout le monde prononçait cangrène, il était guidé dans son opinion par le sage désir de conformer l’orthographe à la prononciation. Nous qui partageons ce désir, nous proposons donc de réformer, non l’orthographe, ce qui ne serait pas chose facile aujourd’hui, parce qu’elle est universellement adoptée, mais la prononciation, contre laquelle protestent l’étymologie et l’usage de bien des gens.


CARRÉ.

Locut. vic. Nous demeurons dans la même maison, et sur le même carré.
Locut. corr. Nous demeurons dans la même maison, et sur le même palier.

L’acception de palier, donnée à tort au mot carré, ne se trouve pas dans nos dictionnaires, et nous ne voyons pas, en vérité, qu’on en ait besoin.

On dit, dans certaines provinces, un pont d’allée pour un palier. Cette expression est aussi repoussée par les lexicographes.


CARREAU.

Locut. vic. Il y a deux carreaux cassés à cette fenêtre.
Locut. corr. Il y a deux vitres cassées à cette fenêtre.

Casser un carreau ne signifie point, comme le croient 77 beaucoup de personnes, casser une vitre. Un carreau est un morceau carré et plat, le plus ordinairement de terre cuite, mais qui pourrait être d’une autre matière; et c’est abusivement qu’on s’en sert pour désigner une vitre, qui peut avoir une autre forme qu’une forme carrée, et qu’il serait conséquemment fort absurde parfois de nommer carreau. Toute personne qui voudra parler correctement devra s’abstenir d’employer carreau pour vitre, même en faisant suivre ce mot du mot vitre, comme le fait le dictionnaire de l’Académie, qui dit un carreau de vitre.


CASTONADE.

Locut. vic. Voulez-vous du sucre blanc ou de la castonade?
Locut. corr. Voulez-vous du sucre blanc ou de la cassonade?

L’Académie, après avoir long-temps balancé entre castonade et cassonade, s’est enfin décidée pour ce dernier mot; et c’est aujourd’hui définitivement le seul avoué, nous ne dirons pas par l’usage général, car son concurrent a un bien plus grand nombre de partisans, mais par le bon usage, qui se trouve, sur ce point, d’accord avec la grammaire.

Le docte Ménage préférait castonade, mais sans blâmer ceux qui disaient cassonade.


CASUEL.

Locut. vic. Le verre est casuel.
Locut. corr. Le verre est cassant.

Cet adjectif, employé dans le sens de fortuit, accidentel, est fort bon: son revenu est casuel; mais dans 78 le sens de fragile, cassant, ce n’est plus qu’un barbarisme.


CAUSER.

Locut. vic. Il m’a long-temps causé de ses affaires.
Locut. corr. Il m’a long-temps entretenu de ses affaires.

Causer, employé comme dans notre phrase d’exemple, est un gasconisme, un provençalisme, etc., un méridionalisme enfin, et non un mot français. Causer veut la préposition avec entre lui et le pronom personnel qui l’accompagne. Il a longtemps causé avec moi de ses affaires.


CAUSETTE.

Locut. vic. Leur causette dure bien long-temps!
Locut. corr. Leur causerie dure bien long-temps!

Causette ne se trouve pas dans les dictionnaires. S’il s’y trouvait, ce ne pourrait être qu’avec la signification de petite cause.


CELUI, CELLE, CEUX, CELLES.

Locut. vic. Le dégât est considérable; celui causé par vos gens était moindre.
Locut. corr. Le dégât est considérable; celui qui a été causé (ou le dégât causé) par vos gens était moindre.

La grammaire et l’usage de nos bons écrivains repoussent également les phrases construites d’une manière analogue à celle que nous avons prise pour exemple. Toute personne qui voudra respecter l’une et l’autre de ces autorités ne devra jamais faire suivre immédiatement 79 d’un participe passé le pronom démonstratif celui, celle, ceux, celles, à moins que ce pronom ne soit suivi de la particule ci, car on dirait fort bien: celui-ci arrivé à sa destination, tandis qu’on ne pourrait pas dire: celui arrivé à sa destination.

Ceux (les étendards) conquis par Philippe aux plaines de Bovines.
(Lamartine.)

«Cet emploi vicieux du pronom et de l’adjectif, dit la Revue encyclopédique à l’occasion de ce vers, est une faute grossière, quoique fort à la mode aujourd’hui.»

(Glossaire génevois.)

Ceux ne doit pas se prononcer ceuse, ni ceusse, mais ceu.


CENT.

Locut. vic. Son argent est placé à cinq du cent.
Ortho. vic.   Onze cents treize francs.
Onze cent francs.
Le conseil des Cinq-Cent.
Le numéro trois cents.
 
Locut. corr. Son argent est placé à cinq pour cent.
Ortho. corr.   Onze cent treize francs.
Onze cents francs.
Le conseil des Cinq-Cents.
Le numéro trois cent.

—«On dit, en matière de commerce et d’intérêt, cinq pour cent, dix pour cent, cent pour cent.» (Acad.) Cinq du cent ne vaut rien, car cela signifie cinq de le cent, et l’on ne peut certainement pas dire le cent de francs, un cent de francs. Mais on dirait correctement je vous donne cinq francs du cent d’œufs, parce qu’on dit le cent d’œufs.

80Cent, placé entre deux noms de nombre, est invariable.

Cent, placé entre un nom de nombre qui le multiplie et un substantif, est variable.

Cent, n’étant pas suivi d’un substantif, peut être encore variable, mais il faut alors qu’il exprime un nombre concret. L’hospice des Quinze-Vingts (sous-entendu aveugles).

—Si le nombre était abstrait, cent serait invariable: en l’an quatre cent. C’est comme s’il y avait en l’an quatre centième.


CENT-ET-UN.

Locut. vic. Le livre des cent et un.
Locut. corr. Le livre des cent un.

La raison, l’analogie et l’usage veulent que l’on dise cent un. La raison: car si des mots doivent être courts, ce doit être, sans contredit, les noms de nombre. Destinés à seconder une opération de l’esprit qui se fait habituellement, ou doit se faire, du moins, avec promptitude, ces mots ont besoin de pouvoir être énoncés rapidement.

L’analogie: puisqu’on dit cent deux, cent trois, cent quatre, vingt-un, quarante-un, quatre-vingt-un, quatre-vingt-onze.

Quant à l’usage, nous en appelons à nos lecteurs. Ont-ils jamais entendu prononcer cent et un hommes? Ne dit-on pas cent un hommes?

L’orientaliste Galland a intitulé un de ses ouvrages: les Mille et une Nuits. Voilà probablement ce qui aura induit en erreur l’éditeur du livre des Cent et un. Mais il ne fallait voir là qu’une exception; et ce qui nous paraît 81 le prouver, c’est qu’on écrit mille un francs, deux mille un tonneaux, trois mille un cavaliers.

Prononcez cen-hun, et non cen-tun.


CHACUN.

Locut. vic.   Ils bâtirent, chacun de son côté, une petite maison.
Ils bâtirent une petite maison, chacun de leur côté.
 
Locut. corr.   Ils bâtirent, chacun de leur côté, une petite maison.
Ils bâtirent une petite maison, chacun de son côté.

—Quand chacun est placé avant le régime du verbe, on emploie leur, leurs.

—Quand il est après, on emploie son, sa, ses.

—Quand le verbe n’a pas de régime, on emploie indifféremment leur, leurs, ou son, sa, ses. Tous les juges ont opiné, chacun suivant leurs lumières, ou ses lumières.


CHACUN, CHAQUE.

Locut. vic.   Il sera payé par chacun an au demandeur.
Ces chapeaux coûtent vingt francs chaque.
 
Locut. corr.   Il sera payé chaque année au demandeur.
Ces chapeaux coûtent vingt francs chacun.

Chacun est un pronom; chaque est un adjectif. On ne doit point conséquemment employer le premier de ces deux mots devant un substantif, et le second sans substantif.


82 CHAIRCUITIER.

Locut. vic. C’est un bon chaircuitier.
Locut. corr. C’est un bon charcutier.

Cette dernière orthographe s’éloigne certainement de l’étymologie; mais c’est la seule qui soit maintenant autorisée par les meilleurs dictionnaires.


CHANGER.

Locut. vic. Vous êtes bien mouillé; changez-vous.
Locut. corr. Vous êtes bien mouillé; changez de vêtemens.

«En certaines provinces, on dit se changer, pour changer de chemise, de linge. C’est un barbarisme.»

(Féraud, Dict. crit.)

L’Académie ne donne aucun exemple de l’emploi de changer comme verbe pronominal, mais elle permet de l’employer comme verbe neutre: j’avais sué, je suis rentré chez moi pour changer.


CHARDONNERET.

Locut. vic. L’église de Saint-Nicolas-du-Chardonneret.
Locut. corr. L’église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

«Chardonnet est un diminutif de chardon, et signifie petit chardon; mais il ne se dit qu’en parlant d’une église de Paris qu’on appelle Saint-Nicolas du Chardonnet.» (Dict. de Trévoux.)


83 CHARTE, CHARTRE.

Locut. vic.   Consultez la chartre-partie.
On l’a retenu en charte-privée.
 
Locut. corr.   Consultez la charte-partie.
On l’a retenu en chartre-privée.

On employait indifféremment autrefois chartre pour prison, et pour acte, contrat. Aujourd’hui la signification de ce mot est restreinte à celle de prison, dans les cas assez rares où l’on s’en sert; et charte se prend toujours pour acte.

De chartre s’est formé chartreux, c’est-à-dire habitant de prison, par allusion au genre de vie austère que commande la règle de saint Bruno.


CHATTE.

Locut. vic. Mon pistolet a fait chatte.
Locut. corr. Mon pistolet a fait chac.

Lorsque l’amorce d’une arme à feu brûle sans que le coup parte, on dit ordinairement qu’elle a fait chatte. Cette expression est certainement très-connue des militaires et des chasseurs; mais il se trouve, nous croyons, parmi eux, bien peu de gens qui en connaissent la véritable orthographe. Nous l’empruntons, telle que nous la donnons ici, au Dictionnaire des Onomatopées de M. Charles Nodier. Chac ne se trouve dans aucun autre dictionnaire; on peut avoir quelque droit de s’en étonner.


CHIANT-LIT.

Orth. vic. C’est un chiant-lit.
Orth. corr. C’est un chie-en-lit.

La première de ces deux orthographes, suivie par 84 M. Girault-Duvivier (Gramm. des Gramm.), nous paraît peu raisonnable; nous préférons la seconde, qui est celle de l’Académie. Ne rirait-on pas de quelqu’un qui écrirait un boutant-train (un mettant-train), au lieu d’un boute-en-train (un met-en-train)?


CHIFFER.

Locut. vic. Elle a chiffé sa robe.
Locut. corr. Elle a chiffonné sa robe.

On dit chiffe pour désigner de la mauvaise étoffe; mais on ne peut pas dire chiffer. Ce mot n’est pas français.

Chiffonner une étoffe, c’est la rendre semblable à un chiffon; c’est-à-dire, sale et fripée.


CHIRURGIE.

Prononc. vic. L’art de la chirugie.
Prononc. corr. L’art de la chirurgie.

Prononcez bien les deux r des mots chirurgie, chirurgical, chirurgique, chirurgien. Ce n’est peut-être pas la prononciation de Paris, où l’on dit pâle pour parle, mais c’est au moins la bonne.


CHLORURE.

Locut. vic. Cette chlorure est bonne.
Locut. corr. Ce chlorure est bon.

L’Académie des sciences fait toujours chlorure masculin, comme perchlorure, et leur racine chlore.


85 CHOSE.

«C’est le mot le plus souvent employé, et il supplée pour je ne sais combien de mots. Dieu a créé toutes choses; le monde est une chose admirable, etc. C’est pourtant une négligence dans le langage que de s’en servir trop souvent à la place du mot propre. Exemple: tout le monde sait bien que les Chinois n’impriment qu’avec des planches gravées, et qui ne peuvent servir que pour UNE seule CHOSE. (L’abbé Du Bos.) Qu’est-ce qu’imprimer une chose, servir pour une seule chose? Est-ce une expression élégante et correcte? Madame de Sévigné s’en moque. Vous avez l’âme belle. Ce n’est peut-être pas de ces âmes du premier ordre, comme chose, ce Romain (Régulus) qui retourna chez les Carthaginois pour tenir sa parole, sachant bien qu’il y serait mis à mort: mais au-dessous vous pouvez vous vanter d’être du premier rang. M. de Sauvebœuf, rendant compte à M. le Prince d’une négociation pour laquelle il était allé en Espagne, lui disait: CHOSE, CHOSE, le roi d’Espagne m’a dit, etc. (Sév.) Ceux qui ont cette mauvaise habitude le disent des personnes, comme des choses: va dire à chose d’aller chercher la petite chose qui est sur la grande chose. (Féraud.)


CHRÉTIENNETÉ.

Locut. vic. Sa conduite affligea la chrétienneté.
Locut. corr. Sa conduite affligea la chrétienté.

Ce mot doit s’écrire et se prononcer chrétienté, et non chrétienneté, comme l’ont fait quelques auteurs, l’abbé Prévost entr’autres.


86 CIEL.

Locut. vic.   Ce peintre fait mal les cieux.
Ces cieux de lit sont trop élevés.
Le midi de la France est sous un des beaux cieux de l’Europe.
 
Locut. corr.   Ce peintre fait mal les ciels.
Ces ciels de lit sont trop élevés.
Le midi de la France est sous un des beaux ciels de l’Europe.

Ciel ne fait ciels, au pluriel, qu’au figuré; au propre, il fait toujours cieux, et signifie le séjour des bienheureux.


CIGARRE.

Locut. vic. Prenez une cigarre.
Locut. corr. Prenez un cigarre.

Laveaux (Dict. des diff.) fait ce mot féminin. L’usage, et surtout celui des fumeurs, qui sans contredit doit être ici le meilleur, veut le genre masculin. L’étymologie réclame aussi ce dernier genre, car le mot espagnol cigarro, d’où vient cigarre, est masculin. Laveaux fonde son opinion sur ce que la terminaison en arre indique des mots féminins; et bécarre, tintamarre, phare, catarrhe, Ténare, etc., de quel genre sont-ils? Puisqu’il y a au moins cinq mots masculins en arre, ne peut-il donc y en avoir six?


CIRE.

Locut. vic. La cire de vos bottes est bien brillante.
Locut. corr. Le cirage de vos bottes est bien brillant.

La cire peut servir à cirer un parquet, une giberne, etc., 87 mais jamais à cirer des chaussures. C’est du cirage qu’on emploie pour ce dernier usage.


CIVET.

Locut. vic. Nous mangeâmes un civet de lièvre.
Locut. corr. Nous mangeâmes un civet, ou du lièvre en civet.

La signification d’un mot une fois bien établie, pourquoi donner à ce mot un complément qui devient tout-à-fait surabondant? Ainsi, pourquoi dit-on un civet de lièvre, aujourd’hui que la personne le moins au courant du langage culinaire sait fort bien qu’un civet se fait avec un lièvre, et une gibelotte avec un lapin ou un poulet? S’il arrivait cependant qu’on parlât à quelqu’un soupçonné de ne pas connaître cette différence, et qu’on voulût positivement lui faire savoir que c’est bien un lièvre en ragoût, et non rôti, qu’on a mangé, il faudrait dire: nous avons mangé du lièvre en civet. De cette manière, on éviterait au moins le pléonasme.


88 CLAUDE.

Prononc. vic. L’empereur Glaude.
Prononc. corr. L’empereur Claude.

On ne doit pas prononcer Glaude, comme le remarque M. Charles Nodier. Ce serait imiter les beaux parleurs de province dont il fait mention, et qui ont des segrets, et non pas des secrets.

«Il y a cinquante ans, ajoute-t-il, que Madame Brun imprima dans le Dictionnaire comtois qu’il fallait écrire poumon et prononcer pômon; cette règle n’a pas passé les limites de la province.» (Examen crit. des Dict.)


CLUB.

Prononc. vic. Le clob, le cloub des jacobins.
Prononc. corr. Le club des jacobins.

Voulez-vous parler anglais en français? prononcez cloub, comme le veut Domergue, et comme le font plusieurs personnes; voulez-vous au contraire rester fidèle aux règles de la prononciation française, qui n’a jamais donné à la lettre u le son de ou? prononcez alors club.


COGNER.

Locut. vic. Ces deux hommes se cognaient rudement.
Locut. corr. Ces deux hommes se frappaient rudement.

On dit fort bien cogner un clou, mais on ne peut pas dire cogner quelqu’un. C’est une métaphore de mauvais goût.


89 COI.

Locut. vic. Elle se tint coite.
Locut. corr. Elle se tint coie.

Laveaux dit que Féraud, en voulant que le féminin de coi soit coie, est dans l’erreur. Laveaux se trompe. La règle de formation du féminin dans les adjectifs demande coie; et l’usage d’aujourd’hui, comme celui d’autrefois, est pour cette dernière orthographe. «Sinon que la partie qui en luy plus est divine soyt coye, tranquille, etc.» (Rabelais, Pantag. liv. III.)


COLAPHANE.

Locut. vic. Un morceau de colaphane.
Locut. corr. Un morceau de colophane.

«Plusieurs disent colophone, et il est ainsi imprimé dans le Dictionnaire de Trévoux, qui met aussi colaphane.

«Il est vrai que, suivant Pline, cette substance résineuse nous a été apportée de Colophone, ville d’Ionie; ainsi, selon les règles, on devrait dire colophone; mais, selon l’usage, qui est plus fort que les règles, il faut dire colophane.

«On ignore pourquoi colaphane est indiqué dans Trévoux; mais si présentement on employait ce mot, il serait bien certainement regardé comme un barbarisme.» (Girault-Duvivier, Gramm. des Gramm.)


90 COLÈRE.

Locut. vic.   J’étais colère dans ce moment-là.
Cet homme est naturellement coléreux.
 
Locut. corr.   J’étais en colère dans ce moment-là.
Cet homme est naturellement colère.

L’adjectif colère exprime toujours, non un état passager, mais un état permanent de colère. Votre parent est brusque et colère. Coléreux, que l’on emploie quelquefois dans ce sens est un barbarisme.

Il ne faut pas confondre colère avec colérique. Selon Laveaux (Dict. des diff.), le premier adjectif désigne proprement l’habitude, la fréquence des accès; le second, la disposition, la propension, la pente naturelle.


COLORER, COLORIER.

Locut. vic.   Ce tableau est mal coloré.
Ce vin est très-colorié.
 
Locut. corr.   Ce tableau est mal colorié.
Ce vin est très-coloré.

Colorer, c’est donner une couleur naturelle ou artificielle, mais d’une seule teinte, sans dessin, comme dans ces phrases: le soleil colore les fruits, son teint est coloré, colorez cette eau; colorier, c’est apposer avec art des couleurs sur quelque chose, c’est peindre, en un mot. Ainsi un verre coloré est un verre qui a une teinte de couleur quelconque; un verre colorié est un verre qui représente quelque chose en peinture.

Au figuré, on n’emploie que colorer. Tâchez de colorer sa conduite.


91 COMBIEN.

Locut. vic.   Le combien du mois est-ce aujourd’hui?
Le combien êtes-vous dans votre compagnie?
 
Locut. corr.   Quel est le quantième du mois aujourd’hui?
Le quantième êtes-vous dans votre compagnie?

«Quantième désigne le rang, l’ordre d’une personne ou d’une chose dans un nombre, par rapport au nombre.»

(Dict. de l’Acad.)


COMME QUI DIRAIT.

Locut. vic. Il portait sur la tête, comme qui dirait un turban.
Locut. corr. Il portait sur la tête une espèce de turban.

Que signifie une pareille locution, que l’on peut si facilement remplacer par une expression plus brève, et surtout plus élégante?


COMMISSION.

Nous ne savons pourquoi M. Raymond, dans son Dictionnaire, dit que ce mot ne s’emploie dans le sens d’action commise que dans cette locution péché de commission, que ce lexicographe appelle assez improprement une phrase. Supposons que quelqu’un fasse cette question: y a-t-il quelque omission dans cette page d’écriture? et qu’on veuille répondre qu’il y a une erreur contraire à l’omission, c’est-à-dire qu’il se trouve des mots de plus, comment dira-t-on? On ne trouvera que le mot commission pour rendre cette réponse sans périphrase; car, selon la judicieuse remarque de M. Charles Nodier (Examen critique des Dict.), ce mot n’a pas d’équivalent. 92 C’est donc une absurdité de ne vouloir l’admettre que dans le style ascétique.


CONSENTIR.

Locut. vic. Les conditions que nous avons consenties.
Locut. corr. Les conditions auxquelles nous avons consenti, ou que nous avons établies.

Ce verbe, employé activement, constitue un barbarisme depuis long-temps signalé par nos grammairiens, et que nous trouvons fort souvent en style de palais ou d’administration. Quand M. Boinvilliers a dit: «nos avocats les plus distingués ne disent plus: je consens cette clause, mais à cette clause,» M. Boinvilliers était dans l’erreur. Nos avocats les plus distingués font encore ce barbarisme, et bien d’autres! «Le style du barreau, dit Voltaire, est celui des barbarismes.» (Comm. sur Rodogune.)


CONSÉQUENCE.

Locut. vic. La somme est de conséquence.
Locut. corr. La somme est d’importance.

Plusieurs grammairiens, après avoir blâmé l’emploi de conséquent dans la signification de considérable, important, disent que l’on peut fort bien se servir du mot conséquence pour importance. C’est en vérité se montrer bien peu conséquent, et nous dirons, comme Laveaux (Dict. des difficultés), «que signifient un homme de conséquence, une terre de conséquence, et quel est l’écrivain sensé qui voudrait aujourd’hui employer ces expressions, quoique l’Académie les approuve?» De deux choses l’une: ou conséquent est 93 bon, ou il ne l’est pas. S’il l’est, adoptez conséquence; rien de mieux; l’un vaut l’autre. S’il ne l’est pas, repoussez conséquence; l’un ne vaut pas mieux que l’autre.


CONSÉQUENT.

Locut. vic. La somme est conséquente.
Locut. corr. La somme est importante.

Cet adjectif ne doit jamais être employé dans le sens d’important. Aussi M. Syrieys de Mayrinhac a-t-il excité à la chambre des députés l’hilarité de ses collègues par sa fameuse locution de somme conséquente. Plusieurs années auparavant, M. de Piis avait dit, en parlant de son ouvrage intitulé: l’harmonie imitative de la langue française: «j’aurais déjà donné avis au public que je travaillais à un poème conséquent, etc.» Domergue, en relevant cette faute (Solutions grammaticales), dit avec raison que c’est «annoncer par un barbarisme les beautés de notre idiôme.»


CONSIDÉRABLE.

Locut. vic. Il fait un bruit considérable.
Locut. corr. Il fait un grand bruit.

Nous empruntons à une série d’articles fort curieux intitulés: De quelques mots, de l’époque où ils ont paru, et publiés dans le Cabinet de Lecture de 1832, la remarque suivante, qui nous a paru très judicieuse:

«Tel qui sourit en entendant un homme du peuple parler d’une somme conséquente commet une faute aussi grossière en parlant d’une foule considérable. Le vrai sens de ce mot est: qui mérite d’être pris en considération. Saint-Simon et d’Aguesseau l’emploient toujours 94 dans ce sens: un homme considérable, un argument considérable. (B. E. J. Rathery.)


CONDAMNER.

Locut. vic. La cour le condamne en mille francs d’amende.
Locut. corr. La cour le condamne à mille francs d’amende.

En style judiciaire on dit condamner en, et non condamner à. Nous ne voyons pas, en vérité, pourquoi notre magistrature persiste à vouloir conserver des restes de langage barbare dans les actes qu’elle formule. Serait-ce donc un si grand malheur que tout le monde comprît la justice?


CONSOMMER.

Locut. vic. Il a consommé son temps en veilles inutiles.
Locut. corr. Il a consumé son temps en veilles inutiles.

«Bien des personnes confondent souvent ces deux expressions, consommer et consumer. Ce qui a donné lieu à cette erreur, si je ne me trompe, dit Vaugelas, est que l’un et l’autre emportent avec soi le sens et la signification d’achever, et ils ont cru que ce n’était qu’une même chose. Il y a pourtant une étrange différence entre ces deux sortes d’achever, car consumer achève en détruisant et anéantissant le sujet, et consommer achève en le mettant dans sa dernière perfection. Cet homme a consumé sa jeunesse dans les plaisirs.»

N’allez pas sur des vers sans fruit vous consumer.
(Boileau.)
Mollement étendus ils consumaient les heures.
(La Fontaine.)

95 «Cet auteur vient de consommer son ouvrage.

«Consommer s’emploie quelquefois pour consumer; c’est lorsqu’il s’agit de choses qui se détruisent par l’usage, comme des denrées et toutes sortes de provisions. On dit consommer beaucoup de viande, consommer des denrées.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)

Si l’on nous donne du bois, et que nous l’employions à une construction, nous dirons que ce bois a été consommé; si nous le brûlons, nous dirons qu’il a été consumé.


CORPORANCE.

Locut. vic. C’est un homme de petite corporance.
Locut. corr. C’est un homme de petite corpulence.

Ce mot, que nos grammairiens traitent de barbarisme, est tout bonnement un archaïsme. On lit dans Marot:

Car on dict (veu sa corporance)
Que c’eust esté ung maistre bœuf.
(Epitaphe de Jehan Le Veau.)

Corporance, employé plus récemment par Madame Du Noyer (Lettres hist.), ne se trouve pas dans nos dictionnaires; corporé ne s’y trouve pas non plus, et nous en éprouvons quelque regret, car il n’a pas d’équivalent.


CORPS (à) ET A CRI.

Locut. vic. Il m’ont appelé à corps et à cri.
Locut. corr. Ils m’ont appelé à cri et à cor.

L’orthographe employée en tête de cet article, et que 96 l’on trouve quelquefois, est tout-à-fait inintelligible. Celle de l’Académie: à cor et à cri, ne nous paraît pas non plus fort exacte. On trouve, dans nos vieux auteurs, à cri et à cor; et nous pensons que cette leçon doit être préférée, par la raison qu’il est peu probable qu’après avoir commencé à appeler quelqu’un avec le cor, on finisse par l’appeler avec la voix.

Lors eux cuidans que fusse en grand credit
M’ont appellé Monsieur a cry et cor.
(Marot, Epigr.)
Elle m’a fait souvent monter
A cheval, faire mes effors,
Aller, chevaucher, tempester,
Et courir à cry et à cors.
(Coquillart, Monologue de la botte de foin.)

Ce serait bien le cas de dire ici comme ce vieux procureur, engoué de Coquillart: Ce terme est bon, on le trouve dans Coquillart.


COUCHER.

Locut. vic. Allez coucher, mes amis.
Locut. corr. Allez vous coucher, mes amis.

Lorsque ce verbe exprime l’action de se mettre au lit, de s’étendre sur quelque chose pour dormir, il doit être construit avec le pronom réfléchi: nous nous sommes couchés à minuit.

Coucher ne s’emploie sans pronom, et neutralement, que pour signifier passer la nuit, le temps du sommeil: il a couché en ville. Notre phrase d’exemple allez coucher serait donc correcte, si l’on ajoutait dans la rue.

«Regnard, dit Féraud, a fait cette faute dans le Joueur:

Et va coucher sans bruit.

«Il faut dire: et va se coucher.

97 «Racine donne au neutre le verbe être pour auxiliaire:

Il y serait couché sans manger ni sans boire.
(Plaideurs.)

«Il y serait couché n’est pas français, dit d’Olivet, pour signifier il y aurait passé la nuit.» (Dict. crit.)


COUDE-PIED.

Locut. vic. J’ai une douleur au coude-pied.
Locut. corr. J’ai une douleur au cou-de-pied.

Quoique l’Académie, et d’après elle, plusieurs dictionnaires écrivent ainsi le nom de la partie supérieure du pied humain, nous pensons, comme M. Feydel (Rem. sur le dict. de l'Acad.), que cette partie a le nom de col de pied, qu’on prononce et même qu’on écrit, depuis un siècle, cou-de-pied. Coude-pied, dit le même critique, est un barbarisme. Le pied n’a point de coude; et, s’il en avait un, ce coude serait le talon.

Le pluriel de cou-de-pied est cous-de-pied.


COUPLE.

Locut. vic. Ces pommes sont belles; donnez-m’en un couple.
Locut. corr. Ces pommes sont belles; donnez-m’en une couple.

Couple est féminin toutes les fois qu’il exprime la réunion de deux choses, ou bien celle de deux êtres de même sexe. Quand il y a union de sexes, couple est masculin.

Une couple de noix, de statues, d’hommes, etc.

Un couple de lapins, de perdrix, un beau couple d’amans.


98 COURANT.

Locut. vic. Le quinze courant.
Locut. corr. Le quinze du courant.

Le commerce se sert assez généralement de la première locution; mais le commerce n’aurait-il pas tort? Que peut signifier le 15 courant, si ce n’est le 15 qui court, ou, en d’autres termes, aujourd’hui 15? Or ce n’est pas là ce qu’on veut dire. Il n’est pas question ici du jour courant, mais du mois courant. C’est donc le 15 du courant que l’on doit préférer, par la raison que le substantif mois est évidemment sous-entendu dans cette locution, comme l’est le substantif lettre dans cette autre locution commerciale: au reçu de la présente. Nous ferons remarquer que, toutes les fois qu’on ne sera pas dominé par le besoin de brièveté dans le discours, on fera beaucoup mieux de dire le 15 du mois courant ou de ce mois, et au reçu de la présente lettre ou de cette lettre.

D’après l’Académie, on doit dire le 15 du courant.


COURIR (S’EN).

Locut. vic. Le voilà qui s’encourt! Le voilà qui s’en court!
Locut. corr. Le voilà qui se sauve!

Cette faute se trouve plusieurs fois dans La Fontaine:

L’associé des frais et du plaisir
S’en court en haut.
(Contes, liv. V, c. 8.)
Ce discours fut à peine proféré
Que l’écoutant s’en court.
(Contes, liv. V, c. 5.)

S’en courir, analysé, donne se courir d’un lieu; or 99 que signifie: une personne qui se court d’un lieu? N’est-il pas évident que c’est un vrai galimathias?


COUTE QUI COUTE.

Locut. vic. Nous l’aurons, coûte qui coûte.
Locut. corr. Nous l’aurons, coûte que coûte.

C’est une locution elliptique qui équivaut à ceci (que cela) coûte (ce) que (cela) coûte, c’est-à-dire ce que cela peut coûter. Coûte qui coûte n’offrirait aucun sens.


CRAINTE DE, DE CRAINTE DE, ou QUE.

Locut. vic.   Marchez doucement, crainte de tomber.
Tenez-le, crainte qu’il ne tombe.
Je ne sors pas, de crainte d’accident.
 
Locut. corr.   Marchez doucement, de crainte de tomber.
Tenez-le de crainte qu’il ne tombe.
Je ne sors pas, crainte d’accident.

—On emploie la conjonction de crainte de, devant un verbe à l’infinitif, et la conjonction de crainte que, avec la particule ne, devant un verbe au subjonctif.

—On emploie la proposition crainte de devant un substantif.


CRESSON.

Prononc. vic. Manger du creusson.
Prononc. corr. Manger du crés-çon.

Nous ferons une autre remarque sur ce mot; c’est qu’on ne doit pas dire du cresson à la noix, mais du cresson alénois. Le cresson ainsi nommé a les feuilles découpées en forme d’alène.


100 CREUSANE.

Locut. vic. C’est une poire de creusane.
Locut. corr. C’est une poire de crassane.

«Une infinité de personnes, ou plutôt presque tout le monde dit creusane; mais ce mot ne se trouve dans aucun des dictionnaires de l’Académie, de Trévoux, de Richelet, de Wailly, etc.» (Gramm. des Gramm.)

La Quintinie dit crasane.


CREVETTES.

Locut. vic. Nous mangeâmes d’excellentes crevettes.
Locut. corr. Nous mangeâmes d’excellentes chevrettes.

On lit dans les Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie: «chevrette, au lieu de cravette, est du phébus de Basse-Normandie. Un érudit de Caen et d’Avranches, évêque d’ailleurs très-docte, a voulu excuser autrefois cette locution, en alléguant les cornes de la cravette: mais l’écrevisse a des cornes aussi; le haumard, la langouste, etc., ont des cornes, et ne sont pourtant nommés ni chèvres ni chevrettes. Le mot français cravette a son origine dans le substantif crabe

Nous pensons, malgré cette remarque, que l’Académie a fort bien fait d’accueillir le mot chevrette, qui est le seul usité dans les ports de mer, ceux de l’Océan du moins. Crevette ne se dit guère qu’à Paris et dans l’intérieur de la France; quant à cravette, nous ne l’avons jamais ni entendu ni vu ailleurs que dans l’ouvrage de M. Feydel.


101 CROUSTILLANT, CROUSTILLEUX.

Locut. vic.   Cette histoire est un peu croustillante.
Cette pâtisserie est croustilleuse.
 
Locut. corr.   Cette histoire est un peu croustilleuse.
Cette pâtisserie est croustillante.

D’après les dictionnaires les plus modernes, la différence qui existe entre ces deux mots consiste en ce que le premier signifie croquant, et le second gaillard, grivois.

Croustillant ne se trouve pas dans le Dictionnaire de l’Académie.


CUL-DE-SAC.

Locut. vic. Ce n’est pas une rue, c’est un cul-de-sac.
Locut. corr. Ce n’est pas une rue, c’est une impasse.

Le mot impasse l’a enfin emporté sur cul-de-sac pour exprimer une rue sans issue; mais nous croyons qu’il est certains cas où l’on ne peut guère, à moins de faire une périphrase, se dispenser d’employer le vilain mot proscrit par Voltaire. Dans cet exemple: ce jeune homme a un mauvais emploi, c’est un cul de sac; mettez impasse, et vous détruisez toute l’énergie de l’idée.


CULOTTES.

Locut. vic. Donnes-moi mes culottes bleues.
Locut. corr. Donnez-moi mon pantalon bleu.

On emploie souvent culotte pour pantalon; il y a cependant quelque différence entre ces deux parties de l’habillement.

La culotte s’arrête au genou; le pantalon descend jusques sur le cou-de-pied.

Il ne faut jamais dire des culottes pour une seule culotte, ni des pantalons pour un seul pantalon, comme le font particulièrement les méridionaux. Des culottes et des pantalons sont nécessairement plusieurs culottes et plusieurs pantalons.


CURER.

Locut. vic. Avez-vous curé cette vaisselle d’argent?
Locut. corr. Avez-vous écuré cette vaisselle d’argent?

Si vous nettoyez quelque chose en le frottant avec du 102 grès, du sable, etc., pour le rendre clair, vous écurez; mais, si vous ôtez d’une concavité quelconque ce qu’elle peut renfermer de sale, vous curez. On doit donc dire et l’on dit: écurer des couteaux, des chandeliers, etc., et curer des puits, des fossés, des rivières, etc.

Cette différence de signification entre curer et écurer une fois bien connue d’une personne, qu’on dise devant elle: j’ai fait curer mes bassins, elle saura tout de suite qu’on veut dire: j’ai fait nettoyer, vider mes pièces d’eau nommées bassins. Mais si l’on disait: j’ai fait écurer mes bassins; elle verrait que cela signifie: j’ai fait nettoyer, décrasser mes ustensiles de cuisine nommés bassins.


CUIR DE ROUSSI.

Locut. vic. Un volume relié en cuir de Roussi.
Locut. corr. Un volume relié en cuir de Russie.

Selon nos dictionnaires modernes (celui de M. Raymond entr’autres), on dit également cuir de Russie ou cuir de Roussi. Nous trouvons dans cette liberté de choix quelque chose de ridicule. Tout le monde voit bien, à peu près, ce que peut être du cuir de Russie, mais que peut signifier cette expression de cuir de Roussi? Nous partageons sur ce sujet le sentiment du Dictionnaire de Trévoux, qui dit que c’est abusivement qu’on s’est servi de ces locutions: vache de Roussi, cuir de Roussi, pour vache de Russie, cuir de Russie, et nous engageons à ne pas écrire, comme le Dictionnaire bibliographique de Cailleau, un volume relié en cuir de Roussi, mais en cuir de Russie. La langue n’a nullement besoin de deux expressions parfaitement de même valeur; il faut donc opter.


103 DAVANTAGE.

Locut. vic.   Il en a davantage que vous ne croyez.
Il a davantage de bonheur que de mérite.
Voilà l’objet qui me plaît davantage.
 
Locut. corr.   Il en a plus que vous ne croyez.
Il a plus de bonheur que de mérite.
Voilà l’objet qui me plaît le plus.

Davantage s’emploie pour plus, dans certaines phrases où il convient beaucoup mieux. Ainsi dites plutôt: Il parle davantage que il parle plus. Mais si davantage devait être suivi des mots que, ou de, il faudrait mettre plus à sa place.

Davantage ne peut jamais être employé pour le plus.


DE.

Locut. vic.   Ces bijoux ne sont pas d’or.
Il y eut cent hommes de tués.
Je lui ai écrit le sept de mars.
 
Locut. corr.   Ces bijoux ne sont pas en or.
Il y eut cent hommes tués.
Je lui ai écrit le sept mars.

«On dit bien: Je traverse un pont de fer, quand on veut faire distinguer l’objet dont on parle, des autres objets du même genre. De a ici une signification vague.

«Mais quand on veut arrêter particulièrement l’attention sur la nature de l’objet, sur la matière dont il est composé, c’est en qu’il faut, et non de; en détermine mieux que de, et a plus de précision que ce dernier. Vous ne direz pas: de quoi est cette table, ce bouton, cette statue, etc.? Mais en quoi est cette table? et l’on vous répondra en bois.» (Journal de la lang. franç.)

104 —«Quand le substantif auquel se rapporte l’adjectif de nombre cardinal est représenté par le pronom en, placé avant le verbe précédent, ou bien encore quand le substantif est sous-entendu, l’adjectif ou le participe qui suit le nombre cardinal doit être précédé de la préposition de: Sur mille habitans, il n’y en a pas un de riche.—Sur cent mille combattans, il y en eut mille de tués, et cinq cents de blessés.—Sur mille, il y en eut cent de tués.

«Mais l’emploi de la préposition de ne doit pas avoir lieu avant l’adjectif ou le participe, lorsque l’adjectif numéral cardinal est suivi du substantif avec lequel il est en rapport. Sur mille combattans, il y eut cent hommes tués. Cent hommes de tués serait une faute.»

«—Voltaire disait le deux de mars, le quatre de mai, et Racine le deux mars, le quatre mai. Sous le rapport de la correction grammaticale la première construction est certainement préférable, puisque deux et quatre sont là pour deuxième, quatrième, et que l’on dit toujours avec la préposition de, le deuxième jour de mai, le quatrième jour de juin. Ensuite les latins disaient avec le génitif primus februarii, secundus aprilis.

«Ainsi la grammaire et l’analogie sont pour le 2 de mars, le 4 de mai; mais si l’on consulte l’usage, qui, en fait de langage, est la règle de l’opinion, on dira le deux mars, le quatre mai. C’est ainsi que s’expriment presque toujours nos bons auteurs, et les personnes qui se piquent de parler purement, et qui évitent toute espèce d’affectation.» (Grammaire des grammaires.)


105 DÉBINE.

Locut. vic. Cet homme est dans la débine.
Locut. corr. Cet homme est dans l’indigence.

Débine appartient au patois de Paris, qui l’aura conquis probablement sur l’argot. Il est de si mauvais goût que toute personne qui a un peu d’usage ne s’en sert jamais, et que les dictionnaires les moins difficiles sur le choix des mots qu’ils recueillent, en ont instinctivement fait dédain.

Le principal tort du mot débine est de ne rien signifier de plus que d’autres mots que nous avons déjà, et ce tort-là est infiniment sérieux en grammaire.


DÉCESSER.

Locut. vic. Il ne décesse de parler.
Locut. corr. Il ne cesse de parler.

On remarquera que si ce mot était français, il y aurait un pléonasme dans l’emploi qu’on en fait ordinairement; car décesser, signifiant ne pas cesser, il s’ensuivrait que, dans la phrase d’exemple que nous avons citée, il se trouverait réellement deux négations. La syllabe prépositive qui en vaut une est donc tout-à-fait inutile. Il faut la supprimer et dire tout simplement: il ne cesse de parler. Cette dernière locution a certainement autant de force que la première.

DÉCOMMANDER.


Ce verbe est généralement regardé comme un barbarisme. 106 Peut-être y a-t-il un peu trop de sévérité dans cette opinion. Décommander, contraire de commander, nous semble régulièrement formé, et nous ne pensons pas qu’il puisse être remplacé par contremander.

Décommander se trouve déjà dans quelques dictionnaires; ceux de M. Raymond et des quatre professeurs entr’autres. C’est toujours une recommandation.

DEDANS, DEHORS, DESSUS, DESSOUS.


Locut. vic. Je l’ai trouvé dedans, dehors, dessus, dessous mon lit.
Locut. corr. Je l’ai trouvé dans, hors de, sous, sur mon lit.

Ces quatre mots sont des adverbes qui ne peuvent régir des substantifs, à moins qu’ils ne soient précédés d’une préposition: au dedans de la ville, en dehors de Paris, par dessous la table, de dessus le toit.

Cependant la grammaire autorise l’emploi de ces mots comme prépositions, quand on met ensemble les deux opposés, et que le substantif est placé après le dernier: Il y a des animaux dedans et dessus la terre. (Port-Royal.)


DÉFAUT (A).

Locut. vic. A défaut de parens, j’aurai des amis.
Locut. corr. Au défaut de parens, j’aurai des amis.

Au défaut est préféré par l’Académie, Laveaux et presque tous les grammairiens. C’est aussi le sentiment de nos meilleurs écrivains.


107 DÉFIER.

Locut. vic. Je leur en défie.
Locut. corr. Je les en défie.

On doit dire: Je les en défie, parce que défier est un verbe actif et réclame un régime direct, et qu’ensuite un verbe ne peut jamais avoir deux régimes de même espèce.


DÉFINITIF (EN).

Locut. vic. En définitif le voilà ruiné.
Locut. corr. En définitive le voilà ruiné.

La première locution appartient au Palais; la seconde se trouve dans nos bons auteurs, dans le dictionnaire de l’Académie, et dans celui de Féraud, qui, selon la judicieuse remarque de M. Girault-Duvivier (Gramm. des gramm.) est une bonne autorité.


DÉGOBILLAGE.

Locut. vic. Ce vase est plein de dégobillage.
Locut. corr. Ce vase est plein de dégobillis.

L’Académie ne reconnaît pas le mot dégobillage, et nous ne croyons pas qu’on le trouve dans aucun autre dictionnaire.


DÉGRÉ.

Prononc. et Orth. vic. Il y a trois degrés.
Prononc. et Orth. corr. Il y a trois dégrés.

La prononciation de ce mot est encore incertaine. 108 L’usage général nous paraît vouloir que l’on dise dégré; les grammairiens soutiennent qu’on doit prononcer degré. Mais l’usage général est une loi, et si nous ajoutons à cette considération, que la prononciation de ce mot par deux é fermés, est beaucoup plus agréable à l’oreille, ce qui aura probablement déterminé l’usage en cette circonstance, nous croirons avoir la raison pour nous en disant de prononcer dégré et non degré. Nous ferons aussi remarquer que de tous les mots compris dans le dictionnaire de l’Académie sous la lettrine DEG, et qui sont à peu près au nombre de 60, le mot dégré est le seul auquel on refuse l’accent aigu sur l’é. Pourquoi cette bizarre exception? «Il semble, dit M. Morel, que l’on prenne à tâche de vouloir justifier le reproche que nous font les étrangers, de rendre notre langue sourde, monotone et efféminée par la multiplication de l’e muet.» (Essai sur les voix de la lang fr. chap. 2.)

DÉHONTÉ.


Plusieurs grammairiens préférant éhonté à déhonté, et probablement un peu embarrassés pour donner la raison de leur préférence, n’ont rien trouvé de mieux pour proscrire déhonté que de dire qu’il n’est pas français. Ces grammairiens nous semblent dans l’erreur. Déhonté est bien français, si du moins pour l’être il suffit qu’il ait l’autorité de bons auteurs. On trouve déhonté dans Amyot (Trad. de Plutarque. Marcus Crassus.): «Je dis que les Parthes estoient eulx-mesmes bien deshontez, etc.» Marmontel a écrit: «Déhonté ne devait-il pas se dire aussi long-temps que honte?» Et le savant et judicieux M. Ch. Pougens (Archéologie française) le met au nombre des mots à restituer au langage moderne.


109 DÉJEUNER, DINER, SOUPER.

Locut. vic. J’ai déjeûné, dîné, soupé avec un poulet.
Locut. corr. J’ai déjeûné, dîné, soupé d’un poulet.

On ne peut employer la préposition avec, après l’un de ces verbes, qu’en la faisant suivre d’un nom de personne; déjeûner, dîner, souper avec un ami. Lorsqu’on veut désigner le mets qu’on a mangé, ce nom de mets doit être précédé de la préposition de:

Hélas! reprit l’amant infortuné,
L’oiseau n’est plus; vous en avez dîné.
(La Fontaine, Contes, liv. III, c. 5.)

Laveaux aime mieux qu’on dise: J’ai mangé un poulet à déjeûner, à dîner, à souper. Cette opinion mériterait d’être suivie.


DEMANDER EXCUSE, DES EXCUSES.

Locut. vic. Je vous demande excuse, des excuses.
Locut. corr. Je vous fais excuse, des excuses.

Quand vous demandez à quelqu’un des excuses, ne pourrait-il pas vous dire: Parbleu! cherchez-les vous-même, et vous me les offrirez ensuite.

C’est effectivement une plaisante manière de réparer ses torts auprès de quelqu’un, que de lui demander qu’il se donne la peine de vous formuler les excuses que vous devez lui faire. Voilà cependant ce que l’on exige en demandant des excuses.

Pour vous, je ne veux point, Monsieur, vous faire excuse.
(Molière, École des femmes.)

110 DEMI.

Orth. vic. Vous n’avez pris que des demies-mesures.
Orth. corr. Vous n’avez pris que des demi-mesures.

Placé devant un substantif, demi est invariable; mis après il s’accorde avec son substantif: Une heure et demie.

Ne dites pas plus d’à demi mort, plus d’à moitié mort, plus de moitié mort, mais plus qu’à demi mort, plus qu’à moitié mort.


DENTS.

Locut. vic. Sa petite fille fait des dents.
Locut. corr. Les dents viennent, percent à sa petite fille.

Faire des dents est un barbarisme fort ridicule et cependant fort commun.


DÉPLORABLE.

Locut. vic. Voici son déplorable frère.
Locut. corr. Voici son malheureux frère.

Cet adjectif ne peut s’appliquer qu’aux choses. Nous pensons, comme d’Olivet, que Racine a commis une faute dans ce vers:

Prêt à suivre partout le déplorable Oreste,

Et nous sommes étonné que MM. Girault-Duvivier et Boinvilliers aient été d’avis que cet adjectif pouvait aussi qualifier des personnes. Mais comment pourrait-on dire une personne déplorable? On déplore les malheurs d’une personne, mais on ne déplore pas cette personne. Le Dictionnaire des quatre professeurs dit positivement que déplorer ne se dit que des choses, et il a raison.


111 DÉRAISON.

Ce mot est, selon M. Charles Nodier (Examen critique des dictionnaires) un barbarisme. «Déraisonner est, ajoute-t-il, un mot heureux parce qu’il exprime vivement le défaut de logique d’un homme qui raisonne mal, comme détoner le défaut d’oreille d’un chanteur qui sort du ton; mais on ne dit pas plus déraison que déton.» Ce mot a cependant été employé par Voltaire, Gresset, Chaulieu, Destouches, Mme de Sévigné, etc. Aussi croyons-nous que nous n’hésiterons jamais à en faire usage lorsqu’il se présentera sous notre plume. Il y aurait, selon nous, une espèce de déraison à le repousser.


DERNIER ADIEU.

Locut. vic. Donnez-lui le dernier adieu.
Locut. corr. Donnez-lui le denier à Dieu.

Chez nos dévots aïeux, un marchand ne concluait jamais une affaire, sans recevoir de son acheteur une petite pièce de monnaie, ordinairement de la valeur d’un denier. Cette pièce se nommait le denier à Dieu, parce qu’elle était, par la pensée des contractans, comme mise en dépôt entre les mains de Dieu, qui, dès cet instant, devenait, pour ainsi dire, le garant du marché. Ainsi, dans la farce de Pathelin, ce rusé avocat donne au drapier un denier, en lui disant hypocritement:

Dieu sera
Payé des premiers, c’est raison,
Vecy un denier; ne faison
Rien qui soyt où Dieu ne se nomme.

112 Et plus loin quand Guillemette lui demande comment il a eu son drap, il lui répond:

Ce fut pour un denier à Dieu.

On voit par là que l’usage du denier à Dieu remonte au moins au commencement du quinzième siècle.


DÉSAGRAFER.

Locut. vic. Désagrafez mon manteau.
Locut. corr. Dégrafez mon manteau.

Nos meilleurs dictionnaires ne donnent que dégrafer.


DESCENDRE EN BAS. (Voyez MONTER EN HAUT.)


DESIR.

Prononc. vic. C’est mon desir le plus cher.
Prononc. corr. C’est mon désir le plus cher.

Nous ne savons pourquoi tous nos acteurs s’obstinent à prononcer dsir, lorsque l’Académie et nos meilleurs grammairiens disent positivement de prononcer désir. Cette prononciation vicieuse est aujourd’hui fort à la mode; on l’a même appliquée aux dérivés de désir, comme désirable, désirer et désireux. Ainsi dans ces vers:

Bon, tant mieux! vous voilà selon notre désir.
(Piron, Métromanie.)
S’il refuse..... (en secret j’en forme le désir.)
(Jouy, Tippo-Saëb.)

113 il n’existe réellement que onze syllabes pour celui qui les entend prononcer sur nos théâtres.

«Les gens du monde, attentifs seulement à la douceur du son, prononcent desir, desert; les hommes pour qui l’analogie et les règles générales sont d’un grand prix, appuyés de l’autorité de l’Académie, de Lekain, de Voltaire, prononcent désir, désert. Ils trouvent même que l’e aigu est plus propre à peindre, surtout dans désir, ce que le mot signifie.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)


DESSUS.

Locut. vic. Il lui est tombé dessus.
Locut. corr. Il est tombé sur lui.

DÉSUÉTUDE.

Pronon. vic. Dézuétude.
Pronon. corr. Dé-suétude.

Féraud veut que le s de ce mot se prononce comme un z; l’Académie est d’un avis contraire, et l’usage est ici pour elle.


DÉTAILLISTE.

Locut. vic. Ce marchand est détailliste.
Locut. corr. Ce marchand est détaillant.

Quelqu’un est détailliste lorsqu’il aime à entrer dans des détails, à s’occuper de minuties; il est détaillant lorsqu’il vend en détail. Telle est la différence établie entre ces deux mots, par les dictionnaires qui les ont recueillis, et qu’un écrivain moderne a méconnue dans cette phrase: «A ce prix il était ajouté, etc., une somme 114 de 5 p. c. pour le profit du marchand en gros, et de 10 p. c. pour le marchand détailliste

(M. Thiers. Hist. de la rév. fr., t. V.)


DÉTEINDRE.

Locut. vic. Ma robe déteint.
Locut. corr. Ma robe se déteint.

Quand ce verbe a pour sujet un nom de chose, comme dans notre exemple, il est pronominal; quand c’est un nom de personne, il est actif. J’ai déteint cette étoffe par maladresse.


DÉVERSER.

Philipon de la Madelaine, et quelques autres grammairiens, prétendent que ce verbe n’est pas français dans le sens de répandre, comme dans cette phrase: Vous déversez le mépris sur d’honnêtes gens. Laveaux est d’un sentiment contraire, puisqu’il l’accueille dans son édition du Dictionnaire de l’Académie (1802) et dans son Dictionnaire des Difficultés de la langue française; et comme cette autorité en vaut bien certainement une autre, nous ne balançons pas à nous ranger de son côté.


DIABLE AU VERT.

Locut. vic. Il m’a fait aller au diable au vert.
Locut. corr. Il m’a fait aller au diable Vauvert.

Saint-Foix (Essais historiques sur Paris) raconte que, sous le règne de saint Louis, des Chartreux, possesseurs à Gentilly d’une très-belle maison qu’ils tenaient de ce 115 prince, et mis en appétit par ce cadeau, s’avisèrent de convoiter le château abandonné de Vauvert, bâti autrefois par le roi Robert dans la rue qu’on nomme aujourd’hui rue d’Enfer, et qu’ils apercevaient de leurs fenêtres. Le demander sans aucune raison valable, c’eût été s’exposer à un refus, même de la part du pieux monarque. Les moines préférèrent employer la ruse; à leur commandement une légion d’esprits peupla le château dont personne n’osa bientôt plus approcher, et, comme on le pense bien, le roi fut, un beau jour, enchanté de trouver près de lui les bons pères, pour se débarrasser de cette maudite propriété qu’ils se chargeaient bravement de disputer aux revenans. Telle est l’origine du diable de Vauvert (ou diable Vauvert, selon Ménage) dont il est si souvent question dans nos auteurs du moyen âge.


DIALECTE.

Locut. vic. C’est une dialecte de la langue grecque.
Locut. corr. C’est un dialecte de la langue grecque.

Richelet, Danet, Restaut, Dumarsais, M. Ch. Nodier, etc., font dialecte féminin; il est masculin selon l’Académie, Ménage, Furetière, les quatre professeurs, Laveaux, etc. On ne manquera pas d’autorités, comme on le voit, en faveur du genre pour lequel on voudra se décider. Toutefois, pour rendre l’option plus facile, nous ferons deux petites remarques. La première, que Dumarsais, tout en préférant le féminin, pour raison d’étymologie, reconnaît formellement que l’usage le plus suivi veut le masculin; la seconde, que M. Ch. Nodier, qui se prononce aussi pour le féminin, ajoute, après avoir fait l’observation que la Méthode grecque de Port-Royal 116 a employé le masculin: en quoi elle est suivie presque universellement. Ne peut-on pas, après ces aveux, regarder le mot dialecte comme masculin, puisque l’usage est notre souverain maître en grammaire?


DIGESTION.

Prononc. vic. Sa digession est bonne.
Prononc. corr. Sa digestion est bonne.

Le t, dans digestion, a le son rude, comme dans gestion, indigestion, congestion.


DINATOIRE.

Locut. vic.   C’est un déjeûner dînatoire.
L’heure dînatoire approche.
 
Locut. corr.   C’est un déjeûner-dîner.
L’heure du dîner approche.

L’adjectif dînatoire se trouve dans l’édition de Laveaux du Dictionnaire de l’Académie (1802). Cela peut lui donner plus de crédit, mais ne le rend certainement pas meilleur; et, à nos yeux, dînatoire sera toujours, malgré cet honorable patronage, un mot boursouflé, et, qui pis est, un mot inutile. Que signifie un déjeûner dînatoire? un déjeûner qui tient beaucoup du dîner, par l’abondance des mets et l’heure où on le fait. Mais, dirons-nous, puisque vous réunissez ces deux repas, le déjeûner et le dîner, réunissez donc aussi les deux noms de ces repas, déjeûner-dîner, et vous aurez de cette manière une expression logique, plus brève et plus agréable à l’oreille que l’autre, et, de plus, autorisée par bon nombre de grammairiens, Laveaux entre autres.—Quant à cette autre locution l’heure dînatoire, nous 117 la remplaçons par l’heure du dîner, et nous n’y perdons rien. Au contraire!


DINER (Voyez DÉJEUNER).


DINDE.

Locut. vic. Nous mangerons un dinde.
Locut. corr. Nous mangerons une dinde.

Le Dictionnaire de Trévoux fait ce substantif masculin. «Un gros dinde qui pèse plus de vingt livres.» Il est généralement reçu aujourd’hui, parmi les personnes qui parlent bien, de n’employer dinde qu’au féminin. L’Académie, Noël et Chapsal se prononcent pour ce genre; mais M. Raymond (Dictionnaire général 1832), veut que dinde soit masculin ou féminin, par ellipse, selon qu’on sous-entend poulet ou poule. A quoi sert, en ce cas, le mot dindon?


DISGRESSION.

Locut. vic. Cette disgression est inutile.
Locut. corr. Cette digression est inutile.

DISPARATE.

Locut. vic. Cela fait un disparate choquant.
Locut. corr. Cela fait une disparate choquante.

Le féminin est adopté pour ce mot par l’Académie, qui, en écrivant à côté: emprunté de l’espagnol, aurait bien dû s’enquérir du genre qu’il avait dans cette langue, afin de ne pas le faire en français d’un genre différent, 118 quand rien ne l’exigeait, pas même la terminaison, et afin de ne pas faire par là une choquante disparate.


DOGESSE.

Le Dictionnaire de Trévoux ne donne pas d’autre mot que celui-ci pour exprimer l’épouse d’un Doge. M. Casimir Delavigne, dans sa tragédie de Marino Faliero, emploie dogaresse. Le premier serait évidemment plus conforme à l’étymologie; mais on conviendra aussi que le second est infiniment plus poétique.

L’Académie et Féraud ne donnent pas de féminin au mot Doge.


DONNER.

Locut. vic. Je vous le donne de six francs.
Locut. corr. Je vous le donne pour six francs.

La faute que nous signalons ici est souvent faite par les marchands. Donner, dans la signification de vendre, ne peut être suivi des prépositions de ni à; c’est la préposition pour qu’il réclame.


DONT.

Locut. vic.   On a remarqué le numéro de la maison dont il sortait.
La maison d’où il sort a fourni des grands hommes.
 
Locut. corr.   On a remarqué le numéro de la maison d’ il sortait.
La maison dont il sort a fourni des grands hommes.

Il faut employer d’ lorsqu’il est question de lieu, et dont dans le cas contraire.


119 DORÉNAVANT.

Orthog. vic. Dorénavant.
Orthog. corr. Dorenavant.

Cet adverbe est composé des mots de ores en avant, ce qui signifie de maintenant en avant. Ces mots contractés donnent certainement dorenavant (prononcez doran-navant) et non dorénavant, et cependant tous les dictionnaires s’obstinent à accentuer à contretemps cet adverbe. Un peu plus d’étude de notre vieille langue leur eût fait éviter cette erreur, et plusieurs autres encore.


DORMIR.

Locut. vic. Vous avez dormi un bon somme.
Locut. corr. Vous avez fait un bon somme.

Dormir étant un verbe neutre ne peut avoir de régime direct. Il est donc absurde de dire: dormir un somme. On dit bien dormir un jour entier, mais c’est ici une phrase elliptique qui équivaut à dormir (pendant) un jour entier. Dans la phrase dormir un somme on sent bien qu’il n’y a pas d’ellipse.


DOS.

Locut. vic. Liez-lui les mains derrière le dos.
Locut. corr. Liez-lui les mains sur le dos.

Cette manière de parler n’a en sa faveur d’autre autorité que celle d’un mauvais usage; et nous ne concevons réellement pas qu’au lieu de dire avoir les mains sur le dos, ce qui serait correct, on aime mieux dire avoir les 120 mains derrière le dos, ce qui, notons-le bien, ne peut signifier autre chose qu’avoir les mains sur le ventre. Or peut-on faire une faute plus grossière que de dire précisément le contraire de ce qu’on veut exprimer? N’est-ce pas aller tout droit au chaos?


DOUCE (A LA).

Locut. vic. Je vais tout à la douce.
Locut. corr. Je vais tout doucement.

Pour rendre cette locution tout-à-fait triviale, et vraiment digne des tréteaux de Bobêche, il ne manque que fort peu de chose; c’est d’ajouter ces mots: Comme les marchands de cerises. Vous avez de cette manière une de ces agréables plaisanteries qui forment le répertoire des gens auxquels manquent à la fois et l’instruction et l’esprit.


DROITE.

Locut. vic. A droit et à gauche.
Locut. corr. A droite et à gauche.

Le mot droite est ici féminin parce qu’on sous-entend main; ainsi quand on dit: à droite et à gauche, c’est comme si l’on disait: à main droite et à main gauche. Les Espagnols disent comme nous au féminin a la izquierda, a la derecha, parce qu’ils sous-entendent le substantif féminin mano.


121 DURANT.

Locut. vic.   Je vais sortir durant que vous êtes là.
Elle aura cette fortune sa vie durante.
 
Locut. corr.   Je vais sortir pendant que vous êtes là.
Elle aura cette fortune sa vie durant.

Durant que ne se dit plus.

Durant, dans cette locution, sa vie durant, est préposition, et conséquemment invariable.


ÉBÈNE.

Locut. vic. Cet ébène est très-beau.
Locut. corr. Cette ébène est très-belle.

Ébène a été autrefois masculin: «Indie seulle pourte le noir ébène.» (Rabel., Pantag., liv. IV, ch. LIV.) Mais comme il y a au moins deux siècles qu’il a perdu ce genre pour prendre le genre féminin, nous pensons qu’on doit regarder les vers suivans de Voltaire comme renfermant une faute:

Je vis Martin Fréron, à la mordre attaché,
Consumer de ses dents tout l’ébène ébréché.

ÉBOULER.

Locut. vic. Ce mur s’est éboulé.
Locut. corr. Ce mur s’est écroulé.

(Voyez ÉCROULER.)


122 ÉCHAFFOURÉE.

Locut. vic. Vos combats n’étaient que des échaffourées.
Locut. corr. Vos combats n’étaient que des échauffourées.

Une échauffourée est une rencontre d’ennemis qui ne font que s’échauffer les uns contre les autres, étymologiquement parlant, sans en venir à se battre. Échaffourée, comme on le voit, est un barbarisme. «Il mettra un terme aux discordes que l’échaffourée d’Aranjuez a fait naître.» (Salvandy.) Lisez échauffourée.


ÉCHANGE.

Locut. vic. Des échanges commerciales.
Locut. corr. Des échanges commerciaux.

Autrefois ce mot était féminin; il est masculin aujourd’hui.


ÉCHAPPER.

Locut. vic.   Malgré sa bonne mémoire, ce mot lui est échappé.
S’il y a offense, c’est malgré moi: ce mot m’a échappé.
 
Locut. corr.   Malgré sa bonne mémoire, ce mot lui a échappé.
S’il y a offense, c’est malgré moi: ce mot m’est échappé.

Ce qu’on a oublié de dire ou de faire est une chose qui a échappé.

Ce qu’on a dit ou fait par inadvertance, par indiscrétion, par mégarde, est une chose qui est échappée.


123 ÉCHARPE.

Locut. vic. Il a une écharpe dans le pouce.
Locut. corr. Il a une écharde dans le pouce.

Une écharde est un piquant de chardon ou un petit éclat de bois qui entre dans la chair.

Il ne faut pas dire: j’ai les mains tout écharpées pour rendre cette phrase: j’ai les mains remplies d’échardes, car des mains écharpées sont des mains couvertes de coupures faites par un instrument tranchant, et non de piqûres produites par des échardes.


ÉCHEC.

Prononc. vic. Jouer aux échés.
Prononc. corr. Jouer aux écheks.

Nous conseillons de donner au c du mot échec, au pluriel, le même son qu’il a dans le même mot au singulier, c’est-à-dire un son rude. Dans cette phrase: le ministère a éprouvé de rudes échecs, il n’est personne qui voulût prononcer échés et non écheks, car il serait presque certain de ne pas être compris. Pourquoi, en ce cas, prononcerait-on ailleurs autrement, sous prétexte que l’acception n’est plus la même? Ce serait renouveler la ridicule prétention de ces grammairiens qui voulaient qu’on prononçât agneau, en parlant de l’animal vivant, et aneau, en parlant de sa chair dépecée, un quartier d’aneau. (Réfl. sur l’usage prés. de la lang. fr.) Le temps a fait justice de cette absurdité, comme il le fera des autres.


124 ÉCHIGNER.

Locut. vic. On l’a échigné.
Locut. corr. On l’a échiné.

C’est-à-dire: on lui a rompu l’échine ou épine dorsale. On a dit autrefois échigner, maintenant c’est une faute.


ÉCLAIRER.

Locut. vic. Éclairez à ces messieurs.
Locut. corr. Éclairez ces messieurs.

Éclairer, dans le sens propre d’apporter de la lumière, doit-il avoir un nom de personne en régime direct ou en régime indirect? Cette question n’est pas encore décidée; mais comme plusieurs grammairiens distingués se sont prononcés pour le régime direct, que l’usage est bien établi en sa faveur, qu’aucune bonne raison ne peut d’ailleurs nous engager à préférer le régime indirect, et que ce dernier régime a même un caractère d’étrangeté qui choque fortement, nous pensons qu’il vaut mieux dire: éclairez monsieur, que éclairez à monsieur, «Si l’on doit dire éclairez à monsieur, parce que, dans le vrai, on n’éclaire pas monsieur, mais le lieu par où monsieur passe, il faudra donc dire aussi, par la même raison, le jour éclairait encore à ces malfaiteurs; car, dans le vrai, le jour n’éclairait pas les malfaiteurs, mais le lieu où ils se trouvaient. Il faudrait dire aussi cette lampe n’éclaire pas assez à cette ouvrière, ce que l’on ne dit pas. Il est certain que, malgré la décision de l’Académie, et les efforts de quelques grammairiens pour la maintenir, on dit généralement éclairez monsieur, et non pas éclairez à monsieur

(Laveaux, Dict. des diff.)


125 ÉCŒURER.

Les dictionnaires les plus récens qui nous donnent beaucoup de mots tout-à-fait inutiles, auraient bien dû se montrer moins oublieux ou moins sévères à l’égard du verbe écœurer, dont notre langue nous paraît avoir besoin. Il ne suffît pas pour écarter un mot de dire qu’il n’est pas français, comme on le fait trop souvent; il faut en démontrer les vices, s’il en a, et c’est ce qu’on n’a pas fait. Un mot qui n’est pas français cette année peut l’être l’année prochaine, comme l’a dit Balzac quelque part, surtout si ce mot ne choque ni les convenances du goût, ni celles de la grammaire. Je suis écœuré, signifie littéralement le cœur me manque ou on m’ôte le cœur.—C’est principalement sous la forme active que le verbe écœurer devient d’une grande utilité. Dans cette phrase: cette odeur m’écœure, comment rendre l’idée exprimée par écœurer d’une manière plus expressive et surtout plus laconique? Serait-ce en disant: cette odeur me fait mal au cœur, ou cette odeur me soulève le cœur?


ÉCRITOIRE.

Locut. vic. Cet écritoire est fort élégant.
Locut. corr. Cette écritoire est fort élégante.

On confond souvent écritoire avec encrier, et l’on a tort. Il y a, entre ces deux mots, une différence de signification que le Dictionnaire de l’Académie établit de cette manière.

Écritoire, s. f., ce qui contient ou renferme les choses nécessaires pour écrire, encre, papier, plume, canif, etc.

Encrier, s. m., petit vase où l’on met de l’encre.


126 ÉCROULER.

Locut. vic. La terre s’écroula sous leurs pieds.
Locut. corr. La terre s’éboula sous leurs pieds.

L’Académie ne paraît pas s’être doutée de la différence qui, selon nos meilleurs grammairiens, existe entre les verbes s’ébouler et s’écrouler, puisqu’elle a accueilli, dans son Dictionnaire, des phrases d’exemple telles que celles-ci: le rempart s’éboule; cette muraille s’est éboulée, etc., la terre s’écroula sous leurs pieds. Dans les deux premières phrases, il fallait employer le verbe écrouler, et le verbe ébouler dans la troisième. Roubaud va nous en donner la raison. «L’idée commune de ces mots, dit-il, est de tomber en ruines, en s’affaissant et en roulant. S’ébouler est, à la lettre, tomber en roulant comme une boule. S’écrouler, est tomber, en roulant, avec précipitation et fracas.

«Une butte s’éboule en se partageant par mottes, qui tombent en roulant sur elles-mêmes comme des boules. Un rocher s’écroule en se brisant et roulant dans sa chûte impétueusement et avec fracas. Les sables s’éboulent, les édifices s’écroulent. Un bastion de terre sablonneuse s’éboulera de lui-même: il faudra du canon pour qu’un bastion solide et revêtu s’écroule.

«Celui qui creuse sous terre court risque d’y être enseveli par des éboulemens. Celui qui bâtit sur des fondemens trop faibles court risque d’être écrasé par l’écroulement de sa maison.» (Synonymes.)


ÉCURER (Voyez CURER).


127 ÉDUCATION.

Locut. vic. Il n’a pas assez d’éducation pour lire Homère en grec.
Locut. corr. Il n’a pas assez d’instruction pour lire Homère en grec.

Rien n’est plus commun que de confondre éducation avec instruction, et rien n’est plus ridicule. L’éducation comporte l’instruction, mais l’instruction ne comporte pas l’éducation, car bien certainement un savant qui, par sa conduite, blesserait de justes convenances de la société, pourrait être traité d’homme sans éducation sans qu’on pût raisonnablement le nommer un homme sans instruction. Les dictionnaires qui expliquent éducation par instruction et instruction par éducation, ont donc évidemment tort.


ÉDUQUER.

Voici un verbe banni de notre langue écrite par presque tous les grammairiens qui, nous l’avouerons avec peine, ne font pas en cette circonstance preuve de beaucoup de raisonnement. Le caprice ne doit pas diriger un homme éclairé comme il dirige l’usage, et cependant tout nous prouve que le caprice seul a pu faire dédaigner un mot que nous proclamerons, nous, nécessaire, parce qu’il exprime une idée qu’aucun autre verbe ne pourrait rendre exactement. Éduquer et instruire ont effectivement la même différence de signification que celle que nous avons fait remarquer entre les mots éducation et instruction, et nous ne voyons pas pourquoi le premier de ces substantifs serait privé de verbe quand le second en a un. Nous engageons donc nos lecteurs à ne 128 pas se montrer plus scrupuleux sur l’emploi de ce verbe que plusieurs de nos bons auteurs, parmi lesquels figure en première ligne le correct et élégant Buffon.

«M. de la Brosse..... ne dit pas si le nègre les avait éduqués.» (Tom. XVIII, les Orangs-Outangs.)

Très-jeune et très-joli blondin
Qu’éduquait un enfant d’Ignace.
(Rhulière, Poésies.)

EFFILER.

Locut. vic. Votre couteau est bien effilé.
Locut. corr. Votre couteau est bien affilé.

Effiler, c’est défaire un tissu fil à fil, et aussi rendre long et délié, proprement et figurément, comme un fil; affiler, c’est donner le fil à un instrument coupant. On effile un morceau de toile pour en faire de la charpie; on effile un bâton par un bout pour en faire un pieu; on affile un couteau pour découper. On peut dire correctement aussi un couteau effilé, mais il doit être alors question d’un couteau long et mince. Dans ce cas on considère l’aspect du couteau entier, tandis qu’en disant un couteau affilé on ne fait plus attention qu’à une qualité de la lame.

Dans cette phrase: son nez petit, mais affilé, etc. (Gaz. des Trib., 12 juin 1833), c’est effilé qu’il faut.


ÉGALISER.

Malgré l’anathème lancé jadis par Voltaire et dernièrement par M. Ch. Nodier, sur ce mot qu’ils traitent tous les deux de barbarisme, nous persistons avec Trévoux, Restaut, Roubaud, Laveaux, Rivarol, Boiste, etc., 129 à le trouver bon et même nécessaire. Égaler, dit le Dictionnaire de l’Académie (1802), se dit des grandeurs morales; égaliser, des grandeurs physiques. L’amour égale les hommes; on égalise un chemin raboteux. M. Laveaux ne croit pas que la décision sans fondement de Voltaire suffise pour faire proscrire ce mot. Il est d’ailleurs dans la langue depuis fort long-temps, puisque le Dictionnaire de Trévoux lui donne l’épithète de vieux. Ce prétendu barbarisme se réduit donc à un archaïsme.


ÉGAYER.

Orth. vic. Égayez ce cheval, ce linge.
Orth. corr. Aiguayez ce cheval, ce linge.

L’Académie écrit égayer et aigayer; l’Académie, selon nous, a tort de laisser ses lecteurs libres de faire un choix, qui peut souvent n’être pas fort éclairé, entre deux orthographes dont l’une est évidemment vicieuse. Aiguayer signifie laver, tremper dans l’eau, et vient du substantif aigue (eau), ce qui en détermine l’orthographe d’une manière positive.


ÉGRAFIGNER.

Locut. vic. Sa figure est tout égrafignée.
Locut. corr. Sa figure est tout égratignée.

On disait autrefois égrafigner.

Tousiours le chardon et l’ortie
Puisse esgrafigner son tombeau.
(Ronsard, Epitaphes.)

On dit maintenant égratigner.


130 ÉLÈVE.

Ce mot, dans sa signification d’éducation des animaux, n’a été accueilli par aucun de nos dictionnaires même des plus récens. On le trouve cependant assez fréquemment employé aujourd’hui par de bons auteurs, et, comme nous ne voyons pas de mot qui puisse le remplacer, nous ne pouvons nous empêcher de blâmer les dictionnaires de leur dédain ou de leur oubli. M. Ch. Dupin a dit: Chaptal cultiva cette plante (la betterave) dans un vaste territoire, établit ses ateliers pour la fabrication du sucre dans le château de Chanteloup, fit marcher de front ses travaux avec tous les perfectionnemens agricoles, avec l’élève d’un troupeau de 1200 mérinos à laine superfine, etc. (Disc. sur la tombe de Chaptal, 1er août 1832). On lit aussi, dans le Journal du Commerce (1er février 1832): Les encouragemens qu’on peut donner à l’élève des chevaux, etc.

Il reste à déterminer maintenant le genre de ce substantif. Nous pensons qu’étant pour ainsi dire un abrégé du mot élèvement, il doit être masculin.


ÉLEVER.

Locut. vic. Elle éleva ses yeux au ciel.
Locut. corr. Elle leva ses yeux au ciel.

«On lève, dit Girard (Synonymes), en dressant ou en mettant debout. On élève, en plaçant dans un lieu, dans un ordre éminent.»

On lève la tête, les mains, un bâton, un pont-levis, un étendard, etc. On élève un mur, la voix, le style, le cœur, l’âme, l’esprit, etc.

L’Académie permet de dire indifféremment: le vent, 131 la tempête, l’orage, etc., se lève ou s’élève, Nous croyons plus conforme à l’usage d’employer élever dans ces locutions.


ÉLEXIR.

Locut. vic. Voici de l’élexir de Garus.
Locut. corr. Voici de l’élixir de Garus.

Ce serait élexir qu’on devrait dire d’après l’étymologie donnée par le Dictionnaire de Trévoux; alecsiro est, dit-il, un mot arabe qui signifie extraction artificielle de quelque essence.


EMBARBOUILLER.

Locut. vic. Comme sa figure est embarbouillée.
Locut. corr. Comme sa figure est barbouillée.

Embarbouiller n’est pas français, et nous ne croyons pas qu’il l’ait jamais été.


EMBARRAS.

Locut. vic.   Il fait bien son embarras.
Ce n’est pas l’embarras, je peux bien y aller.
 
Locut. corr.   Il fait bien l’important.
Au surplus, je peux bien y aller.

De ces deux mauvaises locutions, la première est la seule dont l’emploi puisse être toléré dans le langage familier, mais en y faisant un changement. Ainsi, au lieu de dire: il fait bien son embarras, dites: il fait bien de l’embarras, et vous aurez pour vous le Dictionnaire de l’Académie. Quant à la seconde ce n’est pas l’embarras, 132 elle est complètement mauvaise et doit toujours être repoussée.


EMBAUCHOIRS.

Locut. vic. Ces embauchoirs sont trop petits.
Locut. corr. Ces embouchoirs sont trop petits.

L’Académie écrit embouchoirs et ambouchoirs. Cette dernière orthographe ne nous paraissant nullement justifiée, nous nous en tenons à la première.


EMBÊTER.

Locut. vic. Cela m’embête.
Locut. corr. Cela m’assomme.

Embêter est certainement une expression qui, dans la signification que nous venons de rapporter, est de la plus grande trivialité, et ne saurait être recueillie par nos dictionnaires, qui peuvent d’ailleurs nous offrir à sa place beaucoup d’équivalens; mais nous pensons qu’il est certains cas où embêter devient un mot très-bon, qui ne peut même être remplacé par aucun autre. Qu’un homme se trouve au milieu d’un grand nombre de bêtes, cet homme n’est-il réellement pas embêté? comme il serait encanaillé, s’il était entouré de canaille, enfariné, s’il était couvert de farine? etc. Pourquoi nos lexicographes ne nous donneraient-ils pas embêter dans ce sens-là?


133 EMBROUILLAMINI.

Locut. vic. C’est un embrouillamini à ne plus s’y reconnaître.
Locut. corr. C’est un brouillamini à ne plus s’y reconnaître.

Le mot brouillamini nous semble être de longueur à pouvoir très-bien se passer d’allonge. C’est au reste une chose assez remarquable que le penchant des personnes illettrées pour l’augmentation des syllabes d’un mot: rébarbaratif, cesser, écosse de pois, embarbouiller, etc., en fournissent des preuves. Cela remplit mieux la bouche et produit plus d’effet.

Voltaire s’est à tort servi de ce mot: «Il y a au troisième acte un embrouillamini qui me déplaît.» (Correspond. générale.)


ÉMÉLIE.

Prononc. vic. Émélie.
Prononc. corr. Émilie.

Quoiqu’on ait dit qu’il n’y a pas d’orthographe pour les noms propres, ce qui ne peut s’appliquer rigoureusement qu’aux noms patronimiques, et à certains noms géographiques peu connus, nous ferons remarquer en passant qu’il est fort incorrect d’écrire et de prononcer Émélie, comme on le fait quelquefois. Émilie vient d’Émile; il est inutile d’en dire davantage pour indiquer la véritable orthographe de ce nom.


ÉMINENT.

Locut. vic. Vous voilà en péril éminent.
Locut. corr. Vous voilà en péril imminent.

Éminent signifie haut, élevé, excellent; imminent 134 signifie qui menace. Lequel de ces adjectifs doit modifier le substantif péril? C’est évidemment imminent.

L’Académie permet, il est vrai, de dire péril éminent. Nous ne voyons dans cette approbation donnée à un non-sens qu’une preuve de distraction de la part de l’Académie, ou plutôt de condescendance pour l’opinion de Vaugelas, qui a écrit (259e rem.): «J’ai vu un grand personnage qui n’a jamais voulu dire autrement que péril imminent; mais avec le respect qui est dû à sa mémoire, il en est repris non-seulement comme d’un mot qui n’est pas français, mais comme d’une erreur qui n’est pardonnable à qui que ce soit, de vouloir, en matière de langues vivantes, s’opiniastrer pour la raison contre l’usage.» Vaugelas avait dit plus haut: «Il n’est pas possible de concevoir comme on peut donner cette épithète (éminent) au péril.» Conçoit-on une docilité aussi servile pour l’usage? Quoi! vous n’osez pas prendre le parti de la raison contre l’usage! Mais dût-il être seul à commencer, tout grammairien vraiment digne de ce nom doit combattre énergiquement l’usage toutes les fois qu’il est opposé à la raison. L’usage a-t-on dit souvent, est un despote, et si les grammairiens, espèce de législateurs, se rendent ses complices au lieu de lui résister de toute leur puissance, la confusion ne cessera jamais d’exister dans notre langue. Le mot qui nous a donné lieu de faire ces réflexions, nous fait voir combien le sentiment des grammairiens peut avoir d’influence sur l’usage. D’après leur avis, les gens qui parlent bien et qui raisonnent un peu, ne disent plus aujourd’hui que péril imminent, parce qu’ils veulent trouver entre ces deux adjectifs imminent et éminent la même différence que tous nos dictionnaires, celui même de l’Académie, établissent sans exception entre les substantifs imminence et éminence, et en quoi 135 faisant ces dictionnaires nous semblent réfuter eux-mêmes complètement leur opinion sur l’adjonction d’éminent à péril; tant la raison a d’empire!


EMPÊCHER.

Locut. vic. Vous m’empêchez la jouissance du soleil.
Locut. corr. Vous m’empêchez de jouir du soleil.

Le verbe empêcher ne pouvant avoir un nom de personne pour régime indirect, il est évident que le pronom personnel me n’est pas mis pour à moi dans notre phrase d’exemple; son rôle est ici celui de régime direct; mais comme il se trouve un autre régime de même nature dans la phrase, la jouissance du soleil, et que la grammaire s’oppose formellement à l’emploi de deux régimes directs par le même verbe, il faut changer le second en régime indirect, et c’est ce que nous avons fait.


EMPLATRE.

Locut. vic. L’emplâtre n’est pas chaude.
Locut. corr. L’emplâtre n’est pas chaud.

S’il est plus utile que le substantif emplâtre soit du genre masculin que du genre féminin, on saura que la gloire d’avoir établi ce dernier genre est due particulièrement aux médecins. Du temps de Nicod (16e siècle) il était masculin; du temps de Ménage (17e siècle) il était féminin; mais les médecins, comme nous l’avons dit tout à l’heure, prétendirent que l’on devait faire une distinction entre la matière pharmaceutique de l’emplâtre et le morceau de peau, de linge, etc., sur lequel s’étendait cette matière, et réclamèrent le masculin pour ce dernier cas. La question ainsi divisée procura une 136 victoire complète aux médecins, qui, après avoir obtenu gain de cause partiellement, finirent par mettre emplâtre en possession du genre masculin, dont il jouit maintenant sans autre opposition que celle des gens ignares.


EMPOISONNER.

Locut. vic. Ces gens-là empoisonnent l’ail.
Locut. corr. Ces gens-là puent l’ail.

L’emploi du verbe empoisonner, dans notre phrase d’exemple, est tout-à-fait absurde, car on n’empoisonne pas l’ail, dans le sens d’y mettre du poison. On ne dit pas conséquemment ici ce qu’on veut dire, savoir: que ces gens-là empoisonnent leurs voisins par leurs exhalaisons d’ail, et voilà le vice de l’expression.

Empoisonner peut cependant recevoir la signification de puer; mais il est alors verbe actif employé neutralement. Cet égout empoisonne, sous-entendez l’air.


EMPUANTER.

Locut. vic. Cette odeur a empuanté mes vêtemens.
Locut. corr. Cette odeur a empuanti mes vêtemens.

Un journal disait il y a quelque temps: «La voirie de Montfaucon empuante l’air de plusieurs villages qui l’avoisinent.» Il fallait empuantit l’air, etc.


EN.

Locut. vic. Cette essence fait en aller les taches.
Locut. corr. Cette essence enlève les taches.

On ne peut pas employer le verbe aller, précédé du 137 relatif en, sans y joindre le pronom personnel. Vous l’avez fait en aller est donc une phrase vicieuse. Il faut dire vous l’avez fait s’en aller.


ENCHIFERNER.

Locut. vic. Il est tout enchiferné.
Locut. corr. Il est tout enchifrené.

Prononcez aussi enchifrenement et non enchifernement.


ENCLUME.

Locut. vic. Un lourd enclume.
Locut. corr. Une lourde enclume.

Quelques grammairiens prétendent qu’enclume est masculin; l’Académie le fait féminin. Féraud, Domergue, etc., lui donnent aussi ce genre.


ENCRIER (Voy. ÉCRITOIRE).


ENFONDRER.

Locut. vic. Ce pot est enfondré.
Locut. corr. Ce pot est effondré.

Enfondrer ne se trouve pas dans nos dictionnaires; il appartenait à notre vieux langage, et nous pensons, comme M. Ch. Pougens (Archéologie fr.), qu’il pourrait être utile de le remettre en usage. Mais comme nous avons déjà effondrer pour signifier défoncer, il faudrait ne lui attribuer d’autre signification que celle d’enfoncer, 138 qui est la seule qu’il ait dans cette phrase: «Ce n’est donc pas de merveilles si Plutarque ayant eu tant d’instructions et de maistres esloignez du chemin de la vérité spirituelle, et des prédécesseurs enfondrez en l’abyme d’ignorance, y est demeuré.» (Amyot, Vie de Plutarque.)


ENIVRER (Voy. ENORGUEILLIR).


ENNUYANT.

Locut. vic. Son livre est fort ennuyant.
Locut. corr. Son livre est fort ennuyeux.

«L’adjectif verbal tiré d’un verbe actif indique assez par sa terminaison active, qu’il doit être appliqué à une action, et la terminaison eux indique une qualité inhérente au sujet auquel on l’applique. Ainsi, on pourra dire, selon les circonstances, ennuyant ou ennuyeux des personnes et des choses. Un homme ennuyeux est un homme qui, par sa simplicité, par sa sottise, par l’habitude de bavarder ou d’importuner de toute autre manière, a tout ce qu’il faut pour ennuyer. Un discours ennuyeux est un discours long et diffus, qui, n’ayant ni suite, ni liaison, ni intérêt, ne peut être lu ou entendu sans causer de l’ennui. Un homme ennuyant est un homme qui ennuie actuellement par sa présence, ses discours, ou de quelque autre manière. Un discours ennuyant est un discours qui ennuie actuellement, soit parce qu’il est mal fait, soit parce qu’il est mal débité. Un homme peut être ennuyant sans être ennuyeux, c’est-à-dire qu’il peut, par défaut d’attention ou de jugement, faire des choses 139 qui ennuient, quoiqu’en général il ait toutes les qualités nécessaires pour être agréable, et qu’il le soit ordinairement.» (Laveaux, Dict. des difficultés.)

L’épithète d’ennuyant appliquée à quelqu’un est un mauvais compliment; celle d’ennuyeux est presque une insulte.


ENORGUEILLIR.

Prononc. vic. Vous êtes é-norgueilli.
Prononc. corr. Vous êtes en-orgueilli.

Dans les mots composés commençant par en, suivi d’une voyelle ou d’un h muet, si le prépositif est é, comme dans les mots énerver, énombrer, énumérer, il faut prononcer é-nerver, é-nombrer, é-numérer; mais lorsque le prépositif est en, il est nécessaire de conserver à cette syllabe la prononciation qu’elle aurait si elle était isolée. Enamourer, enivrer, enorgueillir, enhuiler, ennoblir doivent en conséquence se prononcer en-amouré, en-ivrer, en-orgueillir, en-huiler, en-noblir. La prononciation de ce dernier mot par a, anoblir, indiquée par M. Laveaux, ne saurait être admise, car elle manquerait à-la-fois aux lois de l’étymologie et de l’analogie, et de plus confondrait dans la prononciation les deux verbes anoblir et ennoblir. L’Académie veut, avec raison, que l’on donne à la première syllabe d’ennoblir le son nasal de en dans ennui.


EN OUTRE DE.

Locut. vic. En outre de cela.
Locut. corr. Outre cela.

En outre de est une expression justement repoussée par la grammaire et par l’usage, car il est très-facile, 140 comme on vient de le voir, de la remplacer par un seul mot, sans que le discours y perde nullement.


ENSUITE DE.

Locut. vic. Ensuite de cela nous partîmes.
Locut. corr. Après cela nous partîmes.

Cette manière de parler n’est jamais usitée par nos bons écrivains modernes, et du temps de Vaugelas elle était déjà bannie du beau style.


ENVIRONS (AUX).

Locut. vic. Aux environs de la Saint-Martin.
Locut. corr. Vers la Saint-Martin.

Cette préposition n’est usitée, en bon langage, que devant un nom de lieu: Il y a de beaux sites aux environs de cette ville. La phrase suivante de Saint-Foix (Essais hist.): La fête des fous qui se célébrait aux environs de Noël, renferme une faute; l’emploi de la préposition aux environs pour la préposition vers.


ÉPIGRAPHE.

Locut. vic. Cet épigraphe est bien court.
Locut. corr. Cette épigraphe est bien courte.

ÉPISODE.

Locut. vic. Cette épisode est amusante.
Locut. corr. Cet épisode est amusant.

«Dans un livre d’ailleurs bien écrit, je viens de remarquer 141 cette phrase: Un tel évènement présente une ample matière à la plus brillante épisode d’un ouvrage. C’est une faute: épisode est du genre masculin.

(Philipon la Madelaine, Gramm. des gens du monde.)


ÉQUIVOQUE.

Locut. vic. C’est un grossier équivoque.
Locut. corr. C’est une grossière équivoque.

Boileau a dit:

Du langage françois bizarre hermaphrodite,
De quel genre te faire, équivoque maudite,
Ou maudit?
(Sat. XII.)

Du genre féminin, répondrons-nous. C’est maintenant un point décidé.


ÉRATÉ.

Locut. vic. Il court comme un ératé.
Locut. corr. Il court comme un dératé.

Ératé se trouve, nous le croyons, dans tous les dictionnaires, et tous les dictionnaires lui donnent la même signification qu’à dératé. M. Ch. Nodier (Examen crit. des Dict.) dit qu’ératé est un barbarisme. Nous pensons effectivement que ce mot devrait être banni pour être remplacé par dératé, dont la formation est bien plus en analogie avec les mots destinés par la syllabe prépositive à rendre l’idée de privation, et qui sont infiniment plus nombreux que ceux dans lesquels on a exprimé la même idée par la syllabe é. Pourquoi d’ailleurs conserver 142 à la langue deux mots parfaitement synonymes, et qui n’ont entre eux d’autre différence que celle d’une lettre? Ne vaut-il pas mieux faire un choix?


ÉRÉSIPÈLE.

Locut. vic. C’est une érésipèle.
Locut. corr. C’est un érysipèle.

On trouve érésipèle dans Voltaire et quelques autres bons auteurs. C’est une vieille orthographe; maintenant on écrit érysipèle. Ainsi l’usage s’est rapproché de l’étymologie dans le cas présent. C’est le contraire de ce qu’il fait ordinairement.


ERRATUM.

Locut. vic. Cette faute donnera lieu à un erratum.
Locut. corr. Cette faute donnera lieu à un errata.

MM. Laveaux (Dict. des diff.) et Ch. Nodier (Examen crit. des dict.) veulent qu’on écrive errata lorsqu’il n’est question que d’une faute, comme lorsqu’il est question de plusieurs. L’Académie, MM. Boiste, Raymond, etc., disent que le singulier doit être erratum, et le pluriel errata. Certes l’étymologie est en leur faveur, car erratum est bien en latin le singulier d’errata. Mais alors pourquoi ne dirait-on pas des maxima, des minima, des patres, etc., qui sont aussi les pluriels de maximum, minimum, pater, etc.? Et pourquoi encore, vice versa, ne dirait-on pas un duplicatum, un visum, un opus puisque ces mots sont les singuliers de duplicata, visa, opera. On doit sentir combien il serait ridicule de vouloir former le pluriel des noms qu’on emprunte aux langues étrangères, de la même manière qu’il se forme 143 dans ces langues. Ce serait ajouter de nouvelles exceptions à nos règles qui n’en ont déjà que trop. Nous ne pensons donc pas que MM. les députés qui, à la séance du 7 mars 1832, se mirent à rire en entendant M. le président annoncer que le Moniteur publierait un errata pour la séance de la veille, aient eu raison dans leur critique grammaticale. Errata est maintenant employé au singulier par nos meilleurs écrivains.

«Depuis qu’on enseigne peu la langue latine en France, dit Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.), nous voyons souvent le mot erratum substitué au mot français errata, par des gazetiers et des imprimeurs qui veulent donner au public une idée magnifique de leur capacité. L’Académie française aurait dû prévoir cette ridicule innovation, et la condamner par un exemple.»


ERRES.

Prononc. vic. Voici les erres du marché.
Prononc. corr. Voici les arrhes du marché.

«Le peuple de Paris a changé arrhes en erres: des erres au coche; donnez-moi des erres. C’est une faute.»

Voltaire, à qui nous empruntons ce passage, a raison lorsqu’il dit que l’emploi du mot erres pour arrhes est une faute, mais il aurait dû ajouter maintenant; et surtout ne pas s’en prendre au peuple de Paris qui n’a rien changé ici, et qui, au contraire, se montre en cette circonstance, comme dans beaucoup d’autres, fidèle conservateur du langage de ses pères. Le mot erres pour arrhes se trouve dans nos vieux auteurs, dans le Trésor de Recherches de Borel, et dans le Dictionnaire de Trévoux, qui dit qu’on doit écrire et prononcer erres 144 au propre, et arrhes seulement au figuré. Cette ridicule distinction a disparu; arrhes seul est resté.

Le substantif arrhes est féminin. Les premières arrhes que nous avons reçues.


ERRIÈRE.

Locut. vic. Faites trois pas en errière.
Locut. corr. Faites trois pas en arrière.

Errière est un barbarisme.


ENNOBLIR.

Locut. vic.   Le coq, dit un proverbe, ennoblit la poule.
Cet homme anoblissait son état.
 
Locut. corr.   Le coq, dit un proverbe, anoblit la poule.
Cet homme ennoblissait son état.

«Ennoblir c’est rendre plus considérable, plus noble, plus illustre. Anoblir, c’est faire noble, rendre noble, donner des lettres de noblesse.

«Anoblir exprime un changement d’état social; ennoblir, un changement d’état moral. Une belle action ennoblit un caractère. Il y a des charges qui anoblissent.

«Les anoblis ne sont pas toujours ennoblis aux yeux des hommes de sens; tous ceux qui se sont ennoblis par une conduite généreuse n’ont pas été anoblis.

«Anoblir exprime une métamorphose d’état, qui n’est souvent qu’un changement de nom, sans que celui qui l’obtient y ait contribué par son mérite: aussi peut-on être anobli par des crimes; la vertu seule peut ennoblir. (Guizot, Nouv. Dict. univ. des Synonymes.)


145 ENSEIGNER.

Locut. vic. Ces jeunes gens sont mal enseignés.
Locut. corr. Ces jeunes gens sont mal instruits.

Enseigner s’emploie au passif en parlant des choses: les mathématiques sont bien enseignées dans ce collège, et non des personnes, comme l’a fait Bossuet dans la phrase suivante: je ne refuserai jamais d’être enseigné du moindre de l’église.

L’Académie croit qu’on peut dire: enseigner les ignorans. Nous ne sommes pas de son avis. L’usage nous paraît vouloir que l’action du verbe enseigner tombe directement sur un nom de chose, et indirectement sur un nom de personne. Enseigner une chose à quelqu’un. Instruire s’emploie dans un sens contraire. Son action directe tombe sur la personne; son action indirecte sur la chose. Instruire quelqu’un de ou dans quelque chose. Pourquoi donc confondre les termes quand chacun d’eux a une signification qui lui est propre?


ÉPIDERME.

Locut. vic. Une épiderme épaisse.
Locut. corr. Un épiderme épais.

Trompé par l’étymologie sans doute, Molière a fait la faute que nous signalons ici.

La beauté du visage est un frêle ornement,
Une fleur passagère, un éclat d’un moment,
Et qui n’est attaché qu’à la simple épiderme.
(Femmes savantes.)

146 ÉPISODE.

Locut. vic. Cette épisode est attachante.
Locut. corr. Cet épisode est attachant.

Le genre de ce substantif était douteux du temps de Vaugelas (341e Rem.) mais le masculin a depuis longtemps prévalu, et madame de Staël n’est pas excusable d’avoir dit une charmante épisode.


ÉPITHALAME.

Locut. vic. Une longue épithalame.
Locut. corr. Un long épithalame.

Féminin autrefois, masculin aujourd’hui.


ÉQUESTRE.

Prononc. vic. Une statue ékestre.
Prononc. corr. Une statue équ-estre.

L’u doit également se faire sentir dans les mots suivans: équateur, équatorial, équation (écouateur, écouatorial, écouation), équiangle, équidistant, équilatéral, équilatère, équimultiple, équitation (écuiangle, écuidistant, etc.).


ESCLANDRE.

Locut. vic. Il m’a fait une belle esclandre!
Locut. corr. Il m’a fait un bel esclandre!
Le pauvre loup, dans cet esclandre,
Empêché par son hoqueton,
Ne put ni fuir, ni se défendre.
(La Fontaine, liv. III, fab. 3.)

147 Malgré cet exemple et l’autorité de l’Académie, on trouve quelquefois esclandre féminin, et même dans des dictionnaires, celui de Rivarol, entr’autres.

Quoi qu’il en soit, M. Scribe a fait une faute dans le vers suivant:

Condamnons par maintes esclandres, etc.
(Nouv. Pourceaugnac, sc. 3.)

ESPADRON.

Locut. vic. Ils se battirent à l’espadron.
Locut. corr. Ils se battirent à l’espadon.

Si l’on en croyait l’usage et une autre autorité plus éclairée, Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.), ce serait espadron qu’il faudrait dire. Mais l’opinion de Feydel n’est malheureusement pas plus développée que celle de l’usage, ou, pour mieux dire, ne l’est pas du tout, et dans notre impuissance d’apprécier les motifs qui l’ont amenée, nous croyons devoir nous en tenir à l’orthographe de l’Académie et de tous nos lexicographes. Pourquoi d’ailleurs le mot français espadon ne viendrait-il pas du mot espagnol espadon, augmentatif d’espada, épée? Cette étymologie n’en vaut-elle pas bien une autre?


ESPÉRER.

Locut. vic. Espérez-moi, nous partirons ensemble.
Locut. corr. Attendez-moi, nous partirons ensemble.

Ce verbe ne peut jamais avoir un nom de personne pour régime direct.


148 ESTOMAC.

Prononc. vic. Estomak.
Prononc. corr. Estoma.

On ne prononce estomak que devant un mot commençant par une voyelle ou un h muet. Son estomak est faible. Estomak habitué au jeûne.


ÉTAT (FAIRE).

Locut. vic. On fait peu d’état de ce magistrat.
Locut. corr. On fait peu de cas de ce magistrat.

Cette expression est quelquefois employée, en deux sens différens, dans des phrases qui ont aujourd’hui quelque chose de trop vague pour être tolérées. «Je fais beaucoup d’état de M. votre frère. Je fais état qu’il y a plus de cent mille ames à Lyon (Gattel). Dans la première de ces phrases d’exemple, je fais état est un archaïsme qui ne paraît pas fort important à renouveler. Dans la seconde, c’est une locution barbare et inadmissible.» (Ch. Nodier, Examen Crit. des Dict.)

M. Gattel aurait dû dire: Je fais beaucoup de cas de M. votre frère; et Je pense, je présume qu’il y a plus de cent mille ames à Lyon. Écrivons et parlons selon l’esprit de notre langue, c’est-à-dire avec netteté. Nous ne manquons pas d’équivalens pour remplacer les locutions proscrites par le goût ou par l’usage, qui, notons-le en passant, sont deux autorités tout-à-fait distinctes.


149 ÉTHIQUE.

Orth. vic. Un cheval éthique.
Orth. corr. Un cheval étique.

Éthique est un substantif féminin qui signifie morale: la logique, l’éthique, etc. Étique est un adjectif qui signifie maigre, desséché, etc.


ÊTRE.

Locut. vic.   Je fus le complimenter.
J’ai été le voir.
 
Locut. corr.   J’allai le complimenter.
Je suis allé le voir.

Je fus le complimenter est vicieux, en ce que le verbe être ne doit jamais avoir la signification du verbe aller. Quelqu’un qui dirait je suis le complimenter, ferait très-certainement, de l’avis de tout le monde, une faute grossière. Pourquoi serait-il donc permis d’employer au prétérit défini, dans un certain sens, un verbe qu’on ne pourrait employer dans le même sens au présent de l’indicatif? Voltaire s’est déjà élevé contre l’emploi vicieux du verbe être pour le verbe aller; nous allons citer ici un passage d’un écrivain distingué de nos jours qui nous a paru faire parfaitement ressortir le ridicule de cette locution, «Le verbe être, dit M. Ch. Nodier (Examen Crit. des Dict..) détermine un état; c’est même là sa fonction spéciale dans le langage. Il ne peut donc pas être suivi d’un infinitif qui en détermine un autre. Pour vous assurer de sa propriété, ramenez la phrase à l’infinitif être: cette règle est infaillible.

«Être à Paris est du très-bon français; être le voir 150 est barbare. On dit: je suis allé le voir, j’ai été chez lui.

«La nuance de ces expressions, dans le cas même où elles peuvent être indifféremment employées sans faute grammaticale, est cependant très-importante à saisir, car c’est elle qui détermine la physionomie de l’idée. Quelqu’un qui dirait: j’ai été à Paris en poste ne dirait pas ce qu’il veut dire, s’il voulait faire entendre qu’il a pris la poste pour y aller. La logique et la langue exigent je suis allé. Il en serait de même, dans certains cas, pour cette dernière locution.

«Les beaux parleurs et les écrivains maniérés enchérissent ridiculement sur cette petite difficulté, en substituant l’aoriste au prétérit. C’est très-mal s’exprimer que de dire: nous y fûmes pour nous y allâmes, et il n’y a rien de plus commun. Quant à cet aoriste, même dans le sens de nous y avons été, il peut être fort bien en son lieu: le style a tant de secrets!»

On peut donc, en résumant tout ce qu’ont dit nos meilleurs grammairiens sur le verbe être substitué au verbe aller, conclure que cette substitution ne peut jamais avoir lieu à moins qu’à l’idée de marche, de mouvement, que présente le verbe aller, ne se joigne l’idée de séjour, de demeure, attachée au verbe être. Ainsi cette phrase: j’ai été à Paris en poste, citée par M. Ch. Nodier, est mauvaise; mais ôtez ce complément en poste, et dites j’ai été à Paris, et votre phrase deviendra bonne. Pourquoi? parce que dans le premier cas il ne s’agit que de mouvement, et que c’est le verbe aller qu’il faut employer là, et que, dans le second, il est question de séjour. La dernière phrase enfin équivaut à celle-ci: j’ai vécu, j’ai existé à Paris.


151 ÊTRE DE RIEN.

Locut. vic. Cette personne ne m’est de rien.
Locut. corr. Cette personne m’est étrangère.

Nous ne pensons pas qu’on puisse considérer comme française cette locution être de rien, malgré l’emploi qu’en ont fait quelques auteurs, Madame de Sévigné entr’autres: le beau temps ne vous est de rien, et malgré l’honneur que lui font nos dictionnaires de la faire figurer dans leurs colonnes. On pourrait, en supprimant la préposition de, en faire une expression familière dont l’analyse deviendrait au moins possible; mais on n’aura jamais, en la conservant, qu’un véritable galimathias.


EUCHARISTIE, EUCOLOGE, EUGÈNE, EUPHÉMIE, EUPHÉMISME, EUPHRATE, EURIPIDE, EUROPE, EUSÈBE, EUSTACHE, EUTERPE, etc.

Prononc. vic. Ucharistie, Ucologe, etc.
Prononc. corr. Œucharistie, Œucologe, etc.

EURE.

Prononc. vic. La rivière d’Ure.
Prononc. corr. La rivière d’Eure.

Voltaire peut avoir fait rimer Eure avec nature et structure (Henr.), et M. Philippon de la Magdeleine (Homonymes fr.), s’appuyant probablement sur cette autorité, peut avoir considéré ce nom propre comme un homonyme du substantif hure et du verbe eurent, sans que cependant il soit permis de lui donner une prononciation autre que celle de demeure, heure, beurre, etc. M. de Lanneau, dans son Dictionnaire des 152 rimes, a aussi placé Eure parmi les mots terminés en ure, comme étamure, facture, etc. C’est une erreur qu’il corrigera probablement quelque jour. Qui pourrait s’empêcher de rire s’il entendait quelqu’un raconter un voyage qu’il viendrait de faire dans le département de l’Ure, et qui lui aurait fourni l’occasion de faire connaissance avec le vénérable M. Dupont de l’Ure? Ne croirait-on pas avoir affaire à un Gascon?


ÉVANGILE.

Locut. vic. Cette évangile est longue.
Locut. corr. Cet évangile est long.

Évangile est neutre en grec et en latin. Il doit être masculin en français d’après son étymologie. Comme il était féminin autrefois, ce genre lui est encore conservé par quelques personnes qui feraient beaucoup mieux de se conformer à l’usage actuel.

L’évangile au chrétien ne dit en aucun lieu,
Sois dévot; elle dit: sois doux, simple, équitable.
(Boileau, Sat. XI.)

ÉVANTAIL.

Locut. et Orth. vic. Une évantail.
Locut. et Orth. corr. Un éventail.

L’orthographe bien constatée du radical vent, à la famille duquel appartient certainement le mot éventail, nous dispense d’entrer dans plus de développemens pour faire voir que l’auteur des Omnibus du langage a eu tort d’écrire évantail par un a.


153 ÉVITER.

Locut. vic. Vous m’ayez évité des désagrémens.
Locut. corr. Vous m’avez épargné des désagrémens.

Éviter quelque chose à quelqu’un est un solécisme, comme observer, remarquer quelque chose à quelqu’un. Vous pouvez éviter quelque chose, mais non l’éviter à quelqu’un. Vous ne pouvez que le lui faire éviter. Quelques-uns de nos bons écrivains ont fait cette faute grave, blâmée par l’élite de nos grammairiens. «Le lapin, dit Buffon, évite par là à ses petits les inconvéniens du bas âge.—Je veux, dit Marmontel, vous éviter l’ennui de trouver cet homme maussade.» Féraud, qui rapporte ces deux exemples, paraît s’étonner que l’Académie n’ait pas consacré l’emploi d’éviter dans le sens d’épargner. «Ce peut être, dit-il, un oubli.» Comment! l’Académie commet un oubli quand elle fait bien! Mais, M. Féraud, c’est une épigramme.


EXACT.

Prononc. vic. C’est exa.
Prononc. corr. C’est exacte.

Quelques grammairiens veulent que le c et le t de ce mot soient nuls dans la prononciation; d’autres, parmi lesquels se trouve Laveaux, recommandent de les faire sentir. Nous adoptons cette dernière opinion que la raison et l’usage sanctionnent.


154 EXAMEN.

Prononc. vic. Il a passé un éxamenne.
Prononc. corr. Il a passé un examein.

Ne vaut-il pas beaucoup mieux soumettre à notre prononciation nationale tout mot étranger qui passe dans notre langue, que d’aller laborieusement rechercher la prononciation de ce mot dans l’idiôme auquel on l’emprunte? Dix, vingt, trente personnes, enchantées du vernis de savoir que cette prononciation exotique pourra répandre sur elles, se hâteront sans doute de l’adopter; mais la masse de la nation saura toujours, n’en doutons pas, repousser un pédantisme ridicule qui ne se plaît qu’à augmenter le nombre des difficultés d’une langue qu’elle ne parle à peu près bien qu’avec tant de peine, grâce à mille fantaisies de grammatistes.

Examen a éprouvé le sort de vermicelle, club, violoncelle, etc., qu’on a voulu nous faire prononcer vermichelle, clob, violonchelle, etc., et qui ne se sont définitivement naturalisés parmi nous qu’en se francisant tout-à-fait.

Le Trévoux, imité à tort par beaucoup de personnes, écrit éxamen. On ne doit jamais accentuer un e suivi d’un x.


EXCELLENT.

Locut. vic. Celui-ci est plus excellent.
Locut. corr. Celui-ci est meilleur.

Cette phrase de Vaugelas: un de nos plus excellens écrivains modernes, etc. (262e Rem.), est vicieuse, en ce que le mot excellent est un superlatif absolu qui ne peut être modifié par un adverbe. Ce qui est excellent 155 ne peut l’être ni plus ni moins. Il est impossible d’alléguer ici en faveur du célèbre grammairien l’usage de son temps, car la logique est de tous les temps, et cette expression est évidemment contre la logique; aussi est-elle blâmée par tous nos grammairiens modernes.


EXCUSE (Voy. DEMANDER).


EXÉCRABLE.

Prononc. vic. Ec-cécrable.
Prononc. corr. Eg-zécrable.

Ex, suivi d’une voyelle, se prononce egz; suivi d’une consonne, ec.


EXEMPLE.

Locut. vic. Cet exemple d’écriture est mal fait.
Locut. corr. Cette exemple d’écriture est mal faite.

Dans ses autres acceptions, exemple est toujours masculin.


FACE (EN).

Locut. vic. L’escalier est en face la porte.
Locut. corr. L’escalier est en face de la porte.

En face, sans la préposition de, est un adverbe, regardez en face, la porte en face, et ne peut avoir de complément.


156 FACHÉ.

Locut. vic. Je suis fâché avec lui.
Locut. corr. Je suis fâché contre lui.

L’Académie ne donne, dans son Dictionnaire (1802), que la seconde de ces locutions, d’où l’on peut sans doute inférer qu’elle ne reconnaît pas la première.


FAÇONNEUR.

Locut. vic. Ne faites pas le façonneur.
Locut. corr. Ne faites pas le façonnier.

FAC-SIMILE.

Prononc. vic. Voici un fac simil de son écriture.
Prononc. corr. Voici un fac similé de son écriture.

Fac simile est latin, et les mots de cette langue ont le privilège immémorial dans beaucoup de langues, et particulièrement dans la nôtre, de ne pas être soumis aux règles de la prononciation nationale. Il faut donc prononcer fac similé, qu’on écrit sans accent, parce qu’en latin tous les e sont fermés.


FAIGNIANT.

Locut. vic. C’est un faigniant.
Locut. corr. C’est un fainéant.

Des deux mots faire et néant a été formée l’expression fainéant, c’est-à-dire fait-rien.


FAIM (MANGER SA). Voy. SOIF.


157 FAINGALE, FRINGALE.

Locut. vic. Il a la faingale, la fringale.
Locut. corr. Il a la faim-vale.

L’Académie et Trévoux écrivent faim-vale. Nous avons préféré cette orthographe, délaissée par M. Ch. Nodier, parce que nous la croyons plus ancienne, plus étymologique, et au moins aussi usitée que les deux autres. On trouve dans Baïf:

Tout l’été chanta la cigale:
Et l’hiver elle eust la faim-vale.
(Mimes et enseignemens.)

FAIRE DE LA PLUIE, DU VENT, etc.

Locut. vic. Il fait de la pluie, du vent, etc.
Locut. corr. Il tombe de la pluie, il vente.

«Sur les bords de la Garonne, on dit il fait du brouillard, du serein, de la rosée, de la pluie, etc. Il faut dire: il tombe, etc.» (Desgrouais, Gasconismes corrigés.)

Faire ne doit s’employer pour indiquer la constitution du temps que lorsqu’il n’y a pas possibilité de le remplacer par un autre verbe. Ainsi dans ces phrases il fait chaud, il fait beau, il fait froid, le verbe faire est le seul dont on puisse se servir, à moins d’avoir recours à des périphrases assez longues. Mais dans ces autres exemples: il fait de la pluie, etc. du vent, du tonnerre, etc., rien n’est certainement plus facile que de faire usage d’autres manières de parler, comme il pleut ou il tombe de la pluie, etc., il vente, il tonne, etc., qui ont le double avantage d’être plus logiques et d’être préférées par nos bons écrivains.


158 FAIRE LUMIÈRE.

Locut. vic. Faites-nous lumière dans l’escalier.
Locut. corr. Éclairez-nous dans l’escalier.

«Un académicien qui était allé voir Fontenelle, se plaignait, en se retirant à la nuit, de ce que la domestique ne lui faisait pas lumière. Excusez-la, lui dit Fontenelle, elle n’entend que le français.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)


FAIRE UNE MALADIE.

Locut. vic. Il a fait une longue maladie.
Locut. corr. Il a eu une longue maladie.

Faire une maladie est une expression absurde. Ne faudrait-il pas avoir réellement le diable au corps pour s’amuser à faire des maladies pour soi ou pour les autres?


FAIT MOURIR.

Locut. vic. Ce brigand a été fait mourir.
Locut. corr. Ce brigand a été exécuté.

Beaucoup de personnes emploient passivement le participe passé du verbe composé faire mourir, comme dans l’exemple que nous venons de citer. On doit éviter avec soin cette vicieuse locution, indice assez général d’une instruction fort négligée.

On lit dans Vaugelas (Remarque 245e) «Cette façon de parler est toute commune le long de la rivière de la Loire, et dans les provinces voisines, pour dire: fut exécuté à mort. La noblesse du pays l’a apportée à la cour, où plusieurs le disent aussi, et M. Coeffeteau, 159 qui était de la province du Maine, en a usé toutes les fois que l’occasion s’en est présentée. Les Italiens ont cette même phrase, et le cardinal Bentivoglio, l’un des plus exacts et des plus élégans écrivains de toute l’Italie, s’en est servi en son histoire de la guerre de Flandres, au quatrième livre. Lo strale, dit-il, già borgomastro d’Anversa, e che tanto haveva fomentate le seditioni di quella città, fu fatto morire en Vilvorde.»

Nous ferons une remarque sur celle de Vaugelas; c’est que, de nos jours, lorsqu’on dit qu’un homme a été exécuté, il est inutile d’ajouter à mort. Le verbe exécuter n’a toutefois cette énergique valeur qu’en matière criminelle, car tout le monde sait fort bien qu’exécuter quelqu’un, en termes de pratique, signifie saisir ce qu’il possède pour payer ce qu’il doit. Mais on dit plus généralement en ce sens, exécuter chez quelqu’un, exécuter les meubles de quelqu’un, et bien plus généralement encore: saisir chez quelqu’un.


FALLOIR.

Locut. vic. Il faut mieux prendre ce parti.
Locut. corr. Il vaut mieux prendre ce parti.

Le verbe falloir exprime une nécessité, et toute nécessité est absolue. Falloir ne peut donc souffrir après lui aucun adverbe qui le modifie, et doit être remplacé, dans la phrase que nous avons citée, par le verbe valoir.


160 FAMEUX.

Locut. vic. Il avait une fameuse soif.
Locut. corr. Il avait une ardente soif.

La soif de Tantale est réellement fameuse; mais cet adjectif n’est, dans notre exemple, qu’une hyperbole ridicule.


FARBALA, FALBANA.

Locut. vic. C’est une robe à farbala, à falbana.
Locut. corr. C’est une robe à falbala.

«On attribue à ce mot, dit M. Ch. Nodier, une singulière étymologie, qu’il faut recueillir pour éviter des tortures aux Ménages à venir. Un prince, étonné de l’assurance avec laquelle une marchande de modes se flattait d’avoir dans son magasin tout ce qui peut servir à la parure des femmes, s’avisa de lui demander des falbalas, mariant au hasard les premières syllabes qui se présentèrent à son esprit. On lui apporta sans hésiter cette espèce d’ornement qui en a conservé le nom.» (Exam. crit. des Dict.).


FARCE.

Locut. vic. Votre ami est farce.
Locut. corr. Votre ami est farceur.

Farce est un substantif, faire une farce, et non un adjectif, quoique M. Raymond ait cru pouvoir le placer comme tel dans son dictionnaire, contrairement à l’avis de presque tous nos grammairiens.


161 FATIGUER.

Locut. vic. Cet homme fatigue beaucoup.
Locut. corr. Cet homme se fatigue beaucoup.

L’Académie et plusieurs grammairiens distingués approuvent l’emploi de fatiguer, comme verbe neutre, avec un nom de personne pour sujet. L’usage est contraire à cette manière de parler, et, à quelques exceptions près, on ne trouve, dans nos bons auteurs, le verbe fatiguer employé, en parlant des personnes, que comme verbe actif. Le neutre est réservé pour les choses. C’est une richesse de notre langue qui nous permet de comprendre, lorsqu’on dit elle fatigue beaucoup, qu’il est question d’une chose, d’une poutre par exemple, et non d’une femme, parce qu’il aurait fallu dire, dans ce dernier cas, elle se fatigue beaucoup. Notre langue ne doit pas dédaigner ses richesses; on ne l’a jamais accusée d’en avoir trop.


FAUTE.

Locut. vic. Ce n’est qu’une faute d’inattention.
Locut. corr. Ce n’est qu’une faute d’attention.

Une faute d’attention est une faute commise par l’attention, c’est-à-dire une inattention; mais si vous dites: vous avez fait une faute d’inattention, c’est comme si vous disiez: votre inattention a fait une faute, ou, en d’autres termes, vous avez eu de l’attention. Or, ce n’est pas là ce qu’on veut exprimer; cette manière de parler est donc défectueuse.


162 FER A CHEVAL, FER DE CHEVAL.

Locut. vic.   Ce fer à cheval est mal forgé.
La table était faite en fer de cheval.
 
Locut. corr.   Ce fer de cheval est mal forgé.
La table était faite en fer à cheval.

La distinction que nous venons d’établir nous paraît bien minutieuse, et il ne faut rien moins que l’autorité du Dictionnaire de l’Académie pour nous engager à appuyer cette ridicule fantaisie de puriste. Conçoit-on qu’on doive dire qu’une table qui a la forme d’un fer de cheval est faite en fer à cheval? ne vaudrait-il pas mieux dire, comme le veut l’usage, un fer à cheval, au propre et au figuré?


FERMER.

Locut. vic. Pourquoi nous a-t-on fermés dans cette chambre?
Locut. corr. Pourquoi nous a-t-on enfermés dans cette chambre?

«Fermer pour enfermer est un gasconisme. Fermez vos livres dans cette armoire; et aussi se fermer pour s’enfermer; se fermer dans sa chambre, dans un cloître.» (Desgrouais, Gasc. corr.)


FÊTE DE DIEU.

Locut. vic. Le jour de la fête de Dieu.
Locut. corr. Le jour de la Fête-Dieu.

L’expression de Fête-Dieu est fort ancienne. A l’époque où elle prit naissance, l’usage permettait de joindre deux mots, dont l’un était en génitif, sans que ce rapport fût marqué par la préposition de. Plusieurs expressions, que nous avons encore, ont été formées de cette 163 manière, telles que Hôtel-Dieu, Apport-Paris, etc. Le génie de notre langue s’est modifié depuis, mais nous avons conservé ces vieux mots, débris du moyen âge, qui ne sont plus pour nous, après tout, que de véritables anomalies, et contre lesquels il n’est pas étonnant que le bon sens populaire proteste quelquefois.


FEU.

Mon feu, mes feux, sont des expressions ridicules, dont nos poètes se sont long-temps servis pour dire: mon amour, et qui ne devraient plus être employées maintenant. Ce serait du classicisme outré dont les romantiques auraient raison de se moquer. Il est temps d’abandonner toutes ces vieilles métaphores, usées par un emploi immodéré, pour ne parler, autant que possible, que le langage de la nature. Les vers suivans ne sont-ils pas tout à fait risibles aujourd’hui?

Tout allume des feux que je voudrais éteindre.
(Baour-Lormian, Mahomet II, act. 2.)
Son cœur brûle des mêmes feux.
(Viennet, Clovis, act. 2.)
Des feux que dans mon cœur vous avez allumés.
(Liadières, Conradin et Frédéric, act. 2.)

FEU.

Orth. vic.   Feue la reine.
La feu reine.
 
Orth. corr.   Feu la reine.
La feue reine.

«Ce mot n’a point de pluriel, et même il n’a pas de 164 féminin lorsqu’il est placé avant l’article ou avant le pronom personnel.» (Acad.) Feu ma tante, ma feue tante.


FIBRE.

Locut. vic. De longs fibres.
Locut. corr. De longues fibres.

Le genre de ce substantif, resté long-temps douteux, ne l’est plus aujourd’hui. Le féminin a prévalu.


FILS.

Locut. vic. Le fils Durand est parti.
Locut. corr. Durand fils est parti.

Le père Michaud, la mère Roger, sont des personnes d’un âge mûr, qu’on nomme ainsi seulement à cause de leur âge, et qui peuvent ne pas avoir d’enfans. Michaud père, madame Roger mère, sont vraiment un père et une mère, et si l’on ajoute à leurs noms ces mots père et mère, c’est afin de les distinguer de leurs enfans. C’est par analogie avec ces deux dernières locutions que l’on doit dire Durand fils, puisque fils est ici un véritable titre de relation, qui ne peut recevoir l’acception détournée qu’on attribue aux mots père et mère dans ces locutions, le père Michaud, la mère Roger.

Prononcez fi partout ailleurs que devant un mot commençant par une voyelle. Dites un fi reconnaissant et un fi zingrat.


165 FIXER.

Locut. vic. Vous le fixez assez long-temps pour le reconnaître.
Locut. corr. Vous le regardez assez long-temps pour le reconnaître.

Si ce verbe, dans le sens de regarder fixement, n’est pas reçu dans la langue, ce n’est cependant pas un de ces mots que frappe une réprobation universelle. Les grammairiens n’en veulent pas, il est vrai, mais en revanche il compte dans la littérature quelques protecteurs, au nombre desquels nous citerons Crébillon fils, Fréron, madame de Genlis, Delille, etc. M. Charles Nodier, qui assure que cent autres auteurs s’en sont servis, a voulu aussi prêter son patronage à ce verbe que l’Académie a toujours repoussé jusqu’à présent, et qui ne nous paraît réellement pas avoir des droits suffisans pour être admis dans la langue. Et cependant, comme le dit M. Ch. Nodier, il est certain que cette acception nouvelle du verbe fixer ne manque pas d’énergie.

Voltaire dit à ce sujet (Quest. Encyclop.): «Quelques Gascons hasardèrent de dire: j’ai fixé cette dame, pour je l’ai regardée fixement, j’ai fixé mes yeux sur elle. De là est venue la mode de dire fixer une personne. Alors vous ne savez point si on entend par ce mot: j’ai rendu cette personne moins volage, ou je l’ai observée, j’ai fixé mes regards sur elle. Voilà une nouvelle source d’équivoques;» et voilà pourquoi, ajouterons-nous, il est nécessaire de bannir cette expression.


FLAMME.

Ce mot, comme celui de feu, dans le sens d’amour, est devenu si trivial, qu’on ne l’entend guère maintenant 166 sans éprouver quelque envie de rire. Comment se fait-il que nos poètes modernes s’en servent encore si souvent?

C’est donc toi qui, brûlant d’une flamme insolente.
(Viennet, Clovis, act. 2.)
Sa sœur, crédule et vaine, encourage ma flamme.
(Ancelot, Fiesque, act. 2.)

Supposez (et la supposition ne doit pas coûter beaucoup) qu’un acteur un peu froid ait souvent à débiter cette chaleureuse expression de flamme, variée de temps en temps par celle de feu, qui n’est pas moins chaude, et l’effet de ce contraste sera certainement tel, que si vous, auteur, vous n’avez pas eu le dessein d’exciter l’hilarité, vous aurez obtenu un résultat fort opposé à celui que vous vous promettiez.


FLANQUETTE.

Locut. vic. C’est à la bonne flanquette.
Locut. corr. C’est à la bonne franquette.

Il est aisé de voir que franquette a pour racine le mot franc; à la bonne franquette signifie donc: tout franchement; flanquette ne signifierait rien.


FIN.

Locut. vic. Prenez cette bille fine.
Locut. corr. Prenez cette bille fin.

Fin est ici un adverbe, comme l’est le mot dru dans ces phrases: les balles tombent dru, ces blés sont semés dru. Fin et dru ne qualifient pas les substantifs, ils modifient les verbes, et signifient conséquemment avec finesse, d’une manière drue.


167 FLANQUÉ.

Locut. vic.   Il m’a flaqué un coup de poing.
Il m’a flanqué de l’eau sur la tête.
 
Locut. corr.   Il m’a flanqué un coup de poing.
Il m’a flaqué de l’eau sur la tête.

Pourquoi l’Académie décide-t-elle qu’on ne doit pas dire: flanquer un soufflet, mais flaquer un soufflet? Cette locution se trouve non seulement dans le Dictionnaire de Trévoux, il lui a flanqué un bon soufflet, un coup de pied, mais encore dans plusieurs dictionnaires, et notamment dans celui des onomatopées de M. Charles Nodier. «Du bruit d’un coup violent, dit-il, le peuple a fait le mot factice flan pour le représenter, et le verbe flanquer pour donner un coup dont le son est exprimé par flan

Flaquer, ne peut s’employer que pour signifier jeter, appliquer avec vivacité un liquide contre quelqu’un ou contre quelque chose, comme on peut le voir par cet exemple tiré de Labruyère: «S’il trouve qu’on lui a donné trop de vin, il en flaque plus de la moitié au visage de celui qui est à sa droite, et boit le reste tranquillement.»

Flanquer signifie appliquer avec force un corps solide sur un autre, comme flanquer un soufflet, un coup de pied, un coup de poing.—Flaquer vient de l’onomatopée flac; flanquer de l’onomatopée flan.


FLEUR D’ORANGE.

Locut. vic.   Un bouquet de fleur d’orange.
Boire de la fleur d’orange.
 
Locut. corr.   Un bouquet de fleurs d’oranger.
Boire de la fleur d’oranger.

Il faut dire fleur d’oranger, en parlant de fleur de 168 l’arbre nommé oranger, puisque l’on dit fleur d’abricotier, fleur de prunier, fleur de cerisier, etc.; il faut encore dire fleur d’oranger en parlant de la liqueur connue sous le nom de fleur d’orange, puisque cette liqueur se fait avec la fleur de l’oranger et non avec l’orange.

Nous mettons un s à cette locution un bouquet de fleurs d’oranger, parce que, selon la remarque d’un grammairien, un bouquet étant composé de plusieurs fleurs, ce mot doit être suivi d’un pluriel.


FLEUR, FLEURER.

Locut. vic.   Ce chien n’a pas de fleur.
Ce chien a fleuré le gibier.
 
Locut. corr.   Ce chien n’a pas de flair.
Ce chien a flairé le gibier.

Fleur, dans l’acception qu’on lui trouve ici, est un barbarisme.

—On employait indifféremment, il y a moins d’un siècle, fleurer pour flairer et flairer pour fleurer. La différence entre ces deux verbes est maintenant bien établie; flairer, c’est aspirer une odeur, flairez cette rose; fleurer, c’est au contraire l’exhaler, cela fleure comme baume. On flaire enfin ce qui fleure.


FLEURAISON.

Locut. vic. La gelée a retardé la fleuraison.
Locut. corr. La gelée a retardé la floraison.

«Quelques jardiniers prononcent fleuraison; mais le mot français est floraison.» (Rem. sur le Dict. de l’Acad.)

169 L’Académie (1802) donne aussi floraison, mais en renvoyant à fleuraison.


FLEURIR.

Locut. vic.   Le commerce fleurissait.
Cet arbre florissait au printemps.
L’empire est fleurissant.
Voyez ces florissantes prairies.
 
Locut. corr.   Le commerce florissait.
Cet arbre fleurissait au printemps.
L’empire est florissant.
Voyez ces fleurissantes prairies.

Au propre, le verbe fleurir est régulier dans tous ses temps; au figuré, il a l’imparfait de l’indicatif et le participe présent irréguliers, il florissait, florissant, malgré quelques exemples contraires trouvés dans certains auteurs.


FOIS.

Locut. vic.   La fois que vous êtes venu me voir.
Les fois que nous avons joué ensemble.
La fois précédente nous l’avions vu.
 
Locut. corr.   Cette fois que vous êtes venu me voir.
Toutes les fois que nous avons joué ensemble.
La précédente fois nous l’avions vu.

Le substantif fois ne peut jamais être employé avec l’article, sans qu’il y ait un adjectif entre ces deux mots. L’adjectif tout est le seul qui ne se mette pas à cette place. On le met devant l’article.—Les phrases suivantes doivent donc être condamnées: songez aux fois où il vous a battu. Je suis des fois obligé de me fâcher. Il faut: 170 Songez aux nombreuses fois où il vous a battu. Je suis certaines fois obligé de me fâcher.


FOND, FONDS.

Orthog. vic.   La pièce d’or tomba au fonds du puits.
Voici un beau fond de commerce.
 
Orthog. corr.   La pièce d’or tomba au fond du puits.
Voici un beau fonds de commerce.

«Fond et fonds sont deux choses différentes: le premier est le fundum des Latins, c’est la partie la plus basse de ce qui contient ou peut contenir quelque chose, le fond d’un tonneau, d’un sac, etc.; l’autre est le fundus des Latins. Dans le propre, c’est la terre qui produit les fruits; dans le figuré c’est tout ce qui rapporte du profit: fonds de terre, faire fonds sur; etc.» (Féraud, Dict. crit.)

Ménage, Th. Corneille et Dumarsais, dédaignant cette distinction, veulent qu’on écrive fond sans s dans tous les cas possibles. Cette opinion nous paraît assez raisonnable; et nous sommes persuadé qu’elle sera un jour adoptée; mais nous devons, en attendant, prévenir le lecteur que l’orthographe indiquée par Féraud est encore aujourd’hui généralement suivie.


FORMES.

Locut. vic. Cet homme a les formes rudes.
Locut. corr. Cet homme a les manières rudes.

Formes, dans le sens qu’on lui voit ici, est un néologisme inutile et ridicule que nos lexicographes ont fort bien fait de ne pas accueillir. Qui pourrait garder son sérieux en entendant une dame dire d’un 171 homme: Ce Monsieur a les formes polies? Moins on fournit d’aliment aux jeux de mots, plus on embellit une langue.


FORT.

Locut. vic.   Cette femme se fait forte d’obtenir sa grâce.
C’est un fort homme.
 
Locut. corr.   Cette femme se fait fort d’obtenir sa grâce.
C’est un homme fort.

—Dans le verbe composé se faire fort, fort doit rester invariable parce que c’est un adverbe.

Fort, adjectif ne doit pas se placer devant le substantif homme, car il faudrait alors ou prononcer le t, ce qui serait fort désagréable à l’oreille et ferait croire qu’il est question d’un fort volume (fort tome) ou ne pas le prononcer, et dire en ce cas for homme, ce qui ferait penser au forum des Romains. Le mieux est donc de placer homme avant fort.


FORT DE.

Locut. vic. Fort de son droit, il a intenté le procès.
Locut. corr. Sûr de son droit, il a intenté le procès.

Voici une expression fort en vogue aujourd’hui, mais si l’on en croit quelques critiques, dont nous partageons au reste le sentiment, il vaudrait beaucoup mieux ne pas s’en servir. M. Laveaux, (Dict. des diff.) tolère l’emploi de fort de dans la conversation seulement, et M. Ch. Nodier (Examen crit. des Dict.), le traite de «locution emphatique qui a passé du néologisme du barreau au néologisme des brochures, des journaux et de la tribune. Notre temps, ajoute-t-il, est celui des discours forts de choses, et il n’est personne entre nous 172 qui n’ait eu le bonheur d’entendre quelque part des avocats forts de la vérité de leurs moyens, et des orateurs forts de la pureté de leur conscience. Ce style n’est pas fort.»

Cent ans avant M. Nodier, l’abbé Desfontaines avait aussi signalé cette expression comme un néologisme, et en citant ces deux phrases: voilà qui est fort de café, cette liqueur est forte d’eau-de-vie, il avait ajouté ironiquement: On peut dire que le style de cet auteur est fort d’esprit.


FORTUNÉ.

Locut. vic. Ce luxe convient aux gens fortunés.
Locut. corr. Ce luxe convient aux gens riches.

«Bien traité de la fortune ou du sort; et comme cela signifie riche, dans la logique du peuple, un homme fortuné signifie nécessairement un homme riche dans sa grammaire. C’est un barbarisme très-commun dans la langue, et qui provient d’une erreur très-commune dans la morale.» (Ch. Nodier, Examen critique des Dict.)

Le Dictionnaire des quatre professeurs tolère, dans le genre familier, l’emploi de fortuné pour riche. Nous n’aimons pas cette tolérance. Qu’on se serve dans le style négligé d’expressions qui ne seraient pas assez élégantes pour un style soutenu, rien de plus naturel; mais qu’on puisse se permettre des barbarismes dans certains cas, c’est une doctrine qui nous semble, en vérité, quelque peu absurde.


173 FOSSAYEUR.

Locut. vic. C’est un fossayeur.
Locut. corr. C’est un fossoyeur.

On dit aussi fossoyer et non fossayer.


FOUCADE.

Locut. vic. Je le reconnais à cette foucade.
Locut. corr. Je le reconnais à cette fougade.

Une fougade, dit l’Académie, est une espèce de petite mine. La fougade joua et fit sauter les soldats. C’est par allusion à cette mine, qu’on nomme probablement fougade un accès de gaieté, de colère, de tristesse, qui vient à quelqu’un subitement et comme par explosion.

Le Dictionnaire de Trévoux donne aussi foucade, mais il renvoie à fougade.—Fougade appartient à la famille de fougue.


FOUDRE.

Locut. vic.   Le foudre de l’Éternel l’écrasa.
Les foudres de l’Église sont souvent impuissantes.
 
Locut. corr.   La foudre de l’Éternel l’écrasa.
Les foudres de l’Église sont souvent impuissans.

Foudre est ordinairement féminin au propre, et masculin au figuré. L’inobservation de cette règle ne se trouve guère que chez les poètes, dont la liberté d’expression va, comme on le sait, jusqu’à la licence, et qu’il ne faut pas généralement choisir pour guides dans la carrière grammaticale, quand on craint de s’égarer.


174 FOUET.

Locut. vic.   Vous aurez le foua.
On l’a fouaté.
 
Locut. corr.   Vous aurez le fouè.
On l’a fouèté.

L’usage, nous le reconnaissons, veut que l’on prononce foua, mais comme il veut aussi que l’on prononce fouèter, et qu’il y a ici une contradiction choquante, nous croyons, pour la faire disparaître, devoir adopter le sentiment de Wailly, de Féraud et de plusieurs autres grammairiens, qui auront sans doute pensé que les deux lettres et prenant le son de l’a, étaient une anomalie à l’introduction de laquelle il fallait s’opposer.


FRAICHE (A LA).

Locut. vic. Nous marcherons à la fraîche.
Locut. corr. Nous marcherons au frais.

A la fraîche est un barbarisme de marchand de coco.


FRANC.

Locut. vic.   J’ai reçu votre lettre franc de port.
L’ordre de la franc-maçonnerie.
 
Locut. corr.   J’ai reçu votre lettre franche de port.
L’ordre de la franche-maçonnerie.

L’adjectif franc est fort souvent employé sans aucun égard pour la règle de l’accord, et nous sommes étonné de voir que les grammairiens ne se soient pas plus occupés de relever cette faute. Il est cependant bien évident qu’une lettre ne peut être franc de port, mais franche 175 de port, et que, dans le mot composé franche-maçonnerie, il est tout aussi nécessaire de mettre l’adjectif franc au féminin, parce qu’il qualifie un substantif féminin, qu’il l’est de mettre ce même adjectif au masculin pluriel, quand on dit les francs-maçons, parce que c’est à un substantif masculin pluriel qu’il se rapporte ici.


FRANCHIPANE.

Locut. vic. Aimez-vous la franchipane?
Locut. corr. Aimez-vous la frangipane?

Un marquis de Frangipani inventa, il y a quelques siècles, un parfum qui prit son nom, et dont la mode s’empara bientôt pour en saturer les gants des fashionables. Ce parfum entra ensuite dans la composition d’une espèce de pâtisserie qui est encore fort connue aujourd’hui.


FROID (PRENDRE).

Locut. vic. Prenez garde de prendre froid.
Locut. corr. Prenez garde d’avoir froid.

Cette expression, que nous n’avons pas trouvée dans nos bons auteurs, est principalement employée par les méridionaux.

On lit dans M. Defauconpret: «En leur exprimant son inquiétude qu’ils n’eussent pris froid.» (Fiancée de Lammmermoor, ch. XIII.) Il fallait: qu’ils n’eussent eu froid.


176 FROIDIR.

Locut. vic. Laissez froidir votre bouillon.
Locut. corr. Laissez refroidir votre bouillon.

«Froidir, né barbarisme, demeure barbarisme et mourra barbarisme.» (Rem. sur le Dict. de l’Acad.)


FROIDUREUX.

Locut. vic. Il est bien froidureux.
Locut. corr. Il est bien frileux.

«Froidureux est un barbarisme.» (Rem. sur le Dict. de l’Acad.)


GARANT.

Locut. vic. Cette dame sera garant de ma parole.
Locut. corr. Cette dame sera garante de ma parole.

M. Chapsal prétend que le substantif garant ne prend jamais le signe du féminin. Il est dans l’erreur. On lit dans le Dictionnaire de l’Académie cette phrase: la Suède s’est rendue garante du traité, précédée de cette remarque «dans le style de négociation quelques-uns ont employé garante au féminin.»

Rien, selon nous, n’est plus ridicule que ces distinctions capricieuses introduites par l’usage, et, dans le désir de contribuer à les faire disparaître, nous engageons beaucoup à donner ou à refuser (et surtout à donner) dans tous les cas possibles, au mot garant, la terminaison féminine.


177 GARE.

Locut. vic. Gare de devant.
Locut. corr. Gare devant.

Féraud dit gare de devant! L’Académie gare devant! Nous croyons cette dernière locution plus conforme à l’usage et à la grammaire. Gare est l’impératif du verbe garer; ainsi gare devant, gare derrière, sont mis pour (qu’on se) gare devant (moi); (qu’on se) gare derrière (moi). De ne peut s’employer avec le verbe garer que devant un nom de personne ou de chose à éviter: garez-le de sa colère; garez-vous des voitures; il faut se garer des fous.


GARNISAIRE.

Prononc. vic. Il a des garnissaires chez lui.
Prononc. corr. Il a des garnizaires chez lui.

L’analogie de ce mot avec garnison peut servir à en constater la prononciation.


GASTRIQUE.

Locut. vic. Il est malade d’une gastrique.
Locut. corr. Il est malade d’une gastrite.

Gastrique est un adjectif dont la signification est: qui appartient à l’estomac. Gastrite est un substantif qui veut dire: inflammation de l’estomac.


178 GATER.

Locut. vic. Il est allé gâter de l’eau.
Locut. corr. Il est allé uriner.

Gâter ne signifie pas répandre, et de l’urine n’est pas de l’eau. Le mot dont on se doit servir ici, le mot propre enfin, c’est uriner. Avant de songer à contenter la sotte susceptibilité d’une décence quintessenciée, il faut au moins songer à ne pas choquer le bon sens.


GAVIOT.

Locut. vic. Il en a plein le gaviot.
Locut. corr. Il en a plein le gavion.

Gavion est un mot assez trivial, employé pour signifier le gosier; mais comme plusieurs dictionnaires, celui de l’Académie entre autres, ont cru devoir l’accueillir, et qu’il appartient maintenant à la langue écrite, nous ne pouvons nous dispenser d’en indiquer la véritable orthographe.


GÉANE.

Locut. vic. C’est un géane.
Locut. corr. C’est une géante.

Le féminin de l’adjectif terminé en ant se forme en ajoutant un e muet au masculin. Béant, béante, bienséant, bienséante, etc.; géant doit donc faire au féminin géante.


179 GÉNIE.

Locut. vic. Il est officier d’artillerie ou de génie.
Locut. corr. Il est officier d’artillerie ou du génie.

Il est bien clair, puisqu’on dit un soldat, un officier d’artillerie, de marine, de cavalerie, etc., qu’on devrait dire, par analogie, un soldat, un officier de génie, et non du génie; mais, comme d’un autre côté, il est bien prouvé que tous les hommes appartenant à l’arme du génie ne sont malheureusement pas, et ne peuvent même pas être tous des hommes de génie, on a senti qu’il était nécessaire d’établir une différence entre des expressions qui rendaient des idées différentes. De là vient qu’on dit un officier du génie pour dire un officier qui appartient au corps du génie, et un officier de génie, pour dire un officier qui est doué de génie.


GENS.

Locut. vic. Les vieilles gens sont soupçonneuses.
Locut. corr. Les vieilles gens sont soupçonneux.

«Le substantif gens demande l’adjectif qui le précède au féminin, et au masculin l’adjectif qui le suit.

«Quand un adjectif de tout genre précède le mot gens, on met tous au masculin. Tous les honnêtes gens; tous les habiles gens. Lorsqu’un adjectif à terminaison féminine précède le substantif gens, on met toutes: toutes les vieilles gens; toutes les mauvaises gens.

«Qu’on ne pense pas, avec un grammairien, que ces irrégularités constituent en partie la beauté des langues; ce sont, au contraire, des taches, qu’un usage bizarre a rendues ineffaçables.»

(Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)


180 GENTE.

Locut. vic. La gente irritable des poètes.
Locut. corr. La gent irritable des poètes.
La gent qui porte crète au spectacle accourut.
(La Fontaine, fab. liv. I.)

Gente n’est français que comme féminin de gent, (joli.)

Gente de corps et de façon.
(Marot.)

Il y a donc une faute dans cette phrase: «mais la gente dévote ne veut y croire, etc.» pour dire: mais les dévots ne veulent y croire. (Gaz. des Trib. 31 janv. 1834.) Cette phrase serait bonne si l’on avait voulu dire la gentille dévote, ce qui ne peut pas être, d’après le sens de la phrase entière.


GÉROMÉ.

Locut. vic. Du fromage de Géromé.
Locut. corr. Du fromage de Gérardmer.

Gérardmer est un bourg des Vosges (arrondissement de St-Dié), renommé pour ses fromages.


GÉROMIUM.

Locut. vic. J’aime l’odeur du géromium.
Locut. corr. J’aime l’odeur du géranium.

On prononce géraniome.


181 GESTION (Voy. DIGESTION).


GIBELOTTE (Voy. CIVET).


GIFFLE (Voy. CALOTTE).


GIGIER, GÉGIER.

Locut. vic. Un gigier, un gégier de poulet.
Locut. corr. Un gésier de poulet.

Gésier est, selon Ménage, une corruption de gigier. Ce mot, ajoute-t-il, vient de gigerium. Gigeria, intestina gallinarum. (Nonius Marcellus.) L’usage veut maintenant qu’on dise gésier, en dépit de l’étymologie.


GISSANT.

Orth. vic. On le trouva gissant sur la terre.
Orth. corr. On le trouva gisant sur la terre.

Le vieux verbe gir ou gésir n’est plus employé maintenant que dans les temps et personnes qui suivent: il gît, nous gisons, ils gisent, il gisait, gisant, qu’on écrit avec un seul s, mais qu’on prononce, dit la Grammaire des Grammaires, comme s’il y en avait deux.


GLISSADE.

Locut. vic. Un ruisseau gelé leur fournit une glissade.
Locut. corr. Un ruisseau gelé leur fournit une glissoire.

L’action de glisser est une glissade; un chemin frayé 182 sur la glace, pour y faire des glissades, est une glissoire.


GLISSER.

Locut. vic. Comme le pavé glisse aujourd’hui!
Locut. corr. Comme le pavé est glissant aujourd’hui!

Le pavé est certainement trop bien retenu dans son encaissement pour qu’il puisse glisser; c’est donc nous qui glissons.


GODRON.

Locut. vic. Cela sent le godron.
Locut. corr. Cela sent le goudron.

Des godrons sont des plis ronds qu’on fait aux jabots, aux manchettes, aux coiffures des femmes, ou des façons qu’on fait aux bords de la vaisselle d’argent, vaisselle à gros godrons, à petits godrons, et aux ouvrages de menuiserie et de sculpture.

Du goudron est une espèce de poix, servant principalement à calfater les vaisseaux.

Il y a, comme on voit, assez de différence entre ces deux mots pour qu’on ne doive pas les confondre.


GRACE.

Locut. vic. Vous l’avez obtenu, grâces à moi.
Locut. corr. Vous l’avez obtenu, grâce à moi.

L’Académie, dans ces locutions grâce à Dieu, grâce à vos soins, etc., ne met point de s; elle en met un lorsque le substantif grâce est précédé du verbe rendre, 183 rendre grâces. Nous croyons qu’on peut fort bien s’en dispenser.

Rendez grâce au seul nœud qui retient ma colère.
(Racine, Iph.)

GRAINIER, GRENETIER.

Un grainier est un marchand de grains; un grainetier, un marchand de graines.

L’Académie ne donne pas le premier mot, et écrit mal le second, grenetier.


GRAMMAIRE.

Prononc. vic. Gran-maire.
Prononc. corr. Gram’-maire.

Le grammairien Beauzée, répondant à un descendant de d’Aguesseau qui disait humblement n’avoir été reçu dans une société littéraire qu’en considération de son grand-père: «cela ne m’étonne pas, Monsieur, je l’ai bien été à cause de ma grand’mère,» Beauzée, disons-nous, ne faisait qu’un mauvais calembour. Qui respectera les lois grammaticales, si les grammairiens sont les premiers à les méconnaître?


GRAVAS.

Locut. vic. Enlevez ces gravois.
Locut. corr. Enlevez ces gravas.

La langue n’ayant nullement besoin de deux mots parfaitement synonymes, il faut faire un choix entre gravois et gravas. Selon les dictionnaires de Furetière et de Trévoux, «les maçons disent gravas, mais les autres 184 disent gravois.» Les maçons nous ont bien l’air de l’emporter sur les autres, car ils ont l’usage pour eux, et ce qui nous semble le prouver, c’est la formation du mot gravatier, donné par l’Académie et tous les autres dictionnaires.


GRAVIR.

Locut. vic. Il a gravi contre ce roc.
Locut. corr. Il a gravi ce roc.

Laveaux, dans ses additions au dictionnaire de l’Académie (1802), est d’avis qu’on peut employer gravir activement, et dire gravir un roc, une montagne, etc. Plusieurs de nos bons auteurs ont partagé cette opinion, comme on pourrait le prouver par de nombreuses citations.


GRIPPE (PRENDRE EN).

Quelques grammairiens prétendent, en s’appuyant sur l’autorité de l’Académie, qu’on doit dire: se prendre de grippe contre quelqu’un; contre quelque chose, et non: prendre quelqu’un, quelque chose en grippe. Si ces grammairiens avaient lu attentivement tout le dictionnaire de l’illustre compagnie, ils auraient vu que ces deux locutions y sont également autorisées. Nous pensons aussi qu’elles doivent l’être, puisque l’on dit également prendre en haine, prendre en aversion, prendre en amitié, etc., et se prendre de haine, se prendre d’aversion, se prendre d’amitié, etc.


185 GROGNER.

Locut. vic. Vous me grognez sans cesse.
Locut. corr. Vous grognez sans cesse contre moi.

Grogner étant un verbe neutre ne peut pas avoir un régime direct.


GROSSE.

Locut. vic. Cette femme est grosse de vous.
Locut. corr. Cette femme est grosse de votre fait.

Rabelais se moque ainsi de cette manière de parler:

«Le secund dict: Ma femme engroissera, mais non de moy. Cor Dieu ie le croy. Ce sera d’ung beau petit enfantelet que elle sera grosse. Aultrement, vouldriez-vous que ma femme dedans ses flancz me pourtast? me conceut? me enfantast? et que on dist, Panurge est ung secund Bacchus. Il est deux foys nay. Il est renay, comme feut Hippolytus, etc., sa femme était grosse de luy. Erreur; ne m’en parlez jamais.»

(Pantagruel, Liv. III. Ch. XVIII.)

Ce que nous disons ici de l’adjectif grosse, doit s’appliquer également à l’adjectif enceinte.


GROUIN.

Locut. vic. Oh! le vilain grouin!
Locut. corr. Oh! le vilain groin!

Prononcez aussi gro-ein et non grou-in.


186 GUÈRES.

Locut. et orth. vic. Il ne s’en faut de guères.
Locut. et orth. corr. Il ne s’en faut guère.

«M. de Balzac dit toujours il ne s’en faut de guères. Dans une de ses lettres à madame Desloges (Liv. 7. lett. 19): Votre lettre m’est si précieuse, Madame, qu’il ne s’en faut de guères, que je ne m’en fasse un collier ou un bracelet, etc. C’est un gasconisme. Il faut dire, pour parler français, il ne s’en faut guères. De guères, comme l’a fort bien observé l’auteur des Remarques, ne se dit que lorsqu’il est question d’une quantité comparée avec une autre: elle ne la passe de guères

(Ménage, Observ. sur la lang. fr.)

Le s de guères étant inutile, nous pensons qu’il vaut mieux le supprimer, comme l’a fait l’Académie.


GUET-A-PENS.

Orth. vic. Il fut victime d’un guet-à-pens.
Orth. corr. Il fut victime d’un guet-apens.

Quoique certains auteurs, M. Chapsal entr’autres, (Dict. grammatical) aient cru devoir écrire à-pens en deux mots, il est hors de doute pour quiconque veut se donner la peine de feuilleter nos anciens auteurs, que cette orthographe n’est pas tolérable. Apenser, en vieux français, signifie réfléchir, méditer.

Liétart l’a véu, si s’apense
De la promesse que li fist.
(Roman du Renard. V. 16422.)

Guet-apens est donc une abréviation de guet apensé c’est-à-dire guet médité.


187 GUETTE.

Locut. vic. Ce chien est de bonne guette.
Locut. corr. Ce chien est de bon guet.

Guette, dans le sens qu’il reçoit ici, est un barbarisme.


GUEUX, MISÉRABLE.

Locut. vic. Il a agi comme un gueux, comme un misérable.
Locut. corr. Il a agi comme un vaurien.

«Au sens propre, ces adjectifs se disent d’un homme très-pauvre; au sens figuré d’un scélérat. Il paraît que cette extension est de la langue des riches, et non pas de celle de l’humanité. Chez les anciens, res sacra erat miser. Chez nous, pour marquer qu’un homme est à fuir, on dit qu’il est malheureux.» (Ch. Nodier.) Nous ferons remarquer, après ce blâme sévère et mérité de l’acception plus qu’inconvenante donnée par certaines gens aux mots gueux et misérable, qu’il ne faut jamais les employer que dans le sens de pauvre, lequel est certainement le seul qu’ait eu en vue notre immortel Béranger dans sa jolie chanson des Gueux. N’est-ce pas en effet assez de laisser tomber son dédain sur les malheureux, sans leur jeter encore des injures? Honneur au grammairien philosophe qui a si bien flétri deux mauvaises expressions que repoussent également et la langue et la morale.


GUIANE, GUIENNE.

Prononc. vic. La Gü-i-iane, la Gü-i-ienne.
Prononc. corr. La Ghi-ane, la Ghi-enne.

188 GUIGNONANT.

Locut. vic. C’est vraiment guignonant.
Locut. corr. C’est vraiment malheureux.

Guignonant est un barbarisme.


GUILLAUME.

Prononc. vic. Gü-illaume.
Prononc. corr. Ghillaume.

GUISE.

Prononc. vic. La famille des Ghise.
Prononc. corr. La famille des Gü-ise.

H.

Locut. vic. Une h aspirée, une h muette.
Locut. corr. Un h aspiré, un h muet.

La lettre h, comme toutes les autres lettres, est du genre masculin. (Voyez LETTRES.)


HABILETÉ.

Locut. vic. On a reconnu son habileté à succéder.
Locut. corr. On a reconnu son habilité à succéder.

Celui qui est habile à recueillir une succession, a de l’habilité. La légitimation habilite un bâtard à succéder. On pourrait, en jouant sur les mots, dire d’une personne qui soufflerait à une autre un héritage, qu’au défaut d’habilité à succéder, elle a fait preuve d’habileté.


189 HAÏR.

Prononc. vic. Je ha-ïs, tu ha-ïs, il ha-ït.
Prononc. corr. Je hès, tu hès, il hèt.

Dans ses autres temps et personnes, le verbe haïr conserve l’orthographe et la prononciation de l’infinitif.


HALBRAN.

Orth. vic. C’est un ragoût de halebrans.
Orth. corr. C’est un ragoût d’albrans.

Par suite d’une inattention assez singulière, l’Académie écrit ce mot, dans son dictionnaire, de deux façons différentes; d’abord sans h et ensuite avec un h, et un h aspiré, qui plus est. Feydel fait sur ce mot la remarque que ni l’une ni l’autre de ces deux orthographes n’est bonne, et que l’on doit écrire alebrand. Feydel ne donne malheureusement pas la raison sur laquelle s’appuie son opinion; la nôtre est fondée sur l’étymologie (gr. alibrentos) donnée par Ménage, qui cependant a écrit halbran, contrairement à cette étymologie, par respect sans doute pour l’usage de son temps; et profitant de la latitude que nous donne ici l’Académie, nous nous déclarons pour albran.


HANOVRE.

Prononc. vic. Rue d’Hanovre.
Prononc. corr. Rue de Hanovre.

Le h de Hanovre est aspiré, conformément à l’étymologie. On ne dit pas: l’Hanovre est sous la domination anglaise, mais le Hanovre etc.


190 HARIA.

Locut. vic. Dieu! quel haria!
Locut. corr. Dieu! quel casse-tête!

Haria est un barbarisme.


HARNOIS.

Orth. vic. Ces harnois sont beaux.
Orth. corr. Ces harnais sont beaux.

M. Ch. Nodier est certainement dans l’erreur lorsqu’il prétend que ce mot a été reconquis par l’ancienne prononciation, qui donnait à la diphthongue oi le son qu’elle a retenu dans le mot loi. Qu’il consulte l’usage; en grammaire, a-t-il dit, l’usage a toujours raison.


HASARD.

Prononc. vic. C’est un jeu d’hasard.
Prononc. corr. C’est un jeu de hasard.

Le h est aspiré dans toute la famille de ce mot.


HÉBREU.

Locut. vic. La langue hébreuse, hébreue.
Locut. corr. La langue hébraïque.

Hébreu ne fait, au féminin, ni hébreuse, ni hébreue; il est invariable, quant au genre. On est obligé, pour avoir un féminin, d’employer l’adjectif hébraïque, des deux genres, et l’on dit alors également la grammaire hébraïque, la Bible hébraïque, le rit hébraïque.


191 HÉMISPHÈRE.

Locut. vic. L’une et l’autre hémisphère.
Locut. corr. L’un et l’autre hémisphère.

Le prépositif hémi, joint à sphère, n’avait aucun droit de changer le genre de ce dernier substantif; il y a ici pur caprice de la part de l’usage mais ce caprice est consacré. L’auteur des Omnibus du langage attribue donc à tort au mot hémisphère le genre féminin, surtout quand il s’autorise de l’Académie qui le fait masculin.


HÉMORRHAGIE.

Orth. et Locut. vic. C’est une hémorrhagie de sang.
Orth. et Locut. corr. C’est une hémorragie.

Une hémorragie étant une perte de sang, l’adjonction de ces deux derniers mots à hémorragie forme un véritable pléonasme.

L’Académie a supprimé le h de ce mot. Comme le dit Féraud, cette lettre était inutile.


HENNIR, HENNISSEMENT.

Prononc. vic. Il hanit de plaisir.
Prononc. corr. Il hennit de plaisir.

Wailly, Boiste, Laveaux disent de prononcer hanir, hanissement. L’usage veut qu’on prononce hennir, hennissement. M. Ch. Nodier (Examen Crit. des diction.) qui s’attache ici à l’usage, fait la remarque que cette prononciation est à-la-fois étymologique, euphonique et pittoresque. Nous sommes tout-à-fait de son avis.


192 HENRI.

Locut. vic. La vie d’Henri IV.
Locut. corr. La vie de Henri IV.

On lit dans Mercier (Hist. de France, t. III): Cet Henri VIII, chef de la confédération contre Louis XII. Ce t a quelque chose qui choque l’usage reçu. Voltaire a-t-il dit l’Henriade?


HERMITE.

Orth. vic. Un hermite.
Orth. corr. Un ermite.

L’Académie (1802) a préféré l’orthographe hermite, hermitage; et nous ne savons pourquoi. L’étymologie (eremita) la repousse. Il est aussi peu raisonnable, abstraction faite de l’usage, d’écrire hermite, qu’il le serait d’écrire hanachorète.


HÉSITER.

Locut. vic. N’hésitez pas de partir.
Locut. corr. N’hésitez pas à partir.

Devant un nom, hésiter demande la préposition sur; devant un verbe, il régit à. De, ajoute Laveaux, serait une faute.


HEURE (A BONNE). Voy. BONNE.


193 HEURE.

Locut. vic. Je l’ai attendu une heure d’horloge.
Locut. corr. Je l’ai attendu une heure entière.

On joint souvent à ce mot des modificatifs que le bon sens condamne. Que signifient par exemple ces locutions: une heure d’horloge, une heure de temps, une grande, une petite heure? Toutes les heures ne sont-elles pas égales? Une heure d’horloge, comme une heure de montre, comme une heure de temps, comme une grande, comme une petite heure, ne vaut toujours que soixante minutes. S’il y a plus ou moins de soixante minutes, ce n’est plus une heure; c’est une heure plus une fraction ou moins une fraction. Les expressions que nous signalons ici sont au reste si ridicules qu’on ne les trouvera jamais employées par les gens, nous ne dirons pas ayant une teinture de grammaire, mais pourvus de quelque justesse d’esprit, qualité essentielle en grammaire, comme en toutes choses, et qui peut quelquefois balancer avec avantage le savoir.


HIATUS.

Prononc. vic. Évitez le hiatus.
Prononc. corr. Évitez l’hiatus.

L’usage est assez généralement en contradiction avec les dictionnaires pour la prononciation de ce mot. Comme l’aspiration du h est plutôt une tache qu’un ornement de la langue, nous pensons qu’il vaut beaucoup mieux s’en rapporter en cette circonstance aux dictionnaires.


194 HIDEUX.

Prononc. vic. C’est t’ideux.
Prononc. corr. Cé hideux.

M. de Pradt a méconnu l’aspiration du h dans ce mot. «Une populace..... assouvit son hideuse faim à bon marché.»


HIER. (Voy. AVANT-HIER).


HIER AU MATIN, HIER SOIR.

Locut. vic. Je l’ai vu hier au matin, hier soir.
Locut. corr. Je l’ai vu hier matin, hier au soir.

Pourquoi, dira sans doute quelque raisonneur, intercaler entre les mots hier et soir l’article contracté au, que vous refusez à la première locution? L’analogie n’exige-t-elle pas que la construction de ces deux expressions soit la même? Épouvanté par le bon sens du maraud, nous lui répondrons: l’usage le veut ainsi; et franchement nous ne voyons pas qu’on puisse lui faire d’autre réponse sensée, en admettant que celle-ci le soit.

Notre syntaxe veut aussi qu’on dise demain matin, demain au soir.


HOLLANDE.

Locut. vic. On a reçu des nouvelles d’Hollande.
Locut. corr. On a reçu des nouvelles de Hollande.

Ne dites pas, avec les agens de change, des ducats 195 d’Hollande; ni avec les épiciers, du fromage d’Hollande; ni avec les marchands de toile, de la toile d’Hollande. Quelques grammairiens autorisent, il est vrai, cette prononciation; mais ces grammairiens n’ont certainement pas pesé leur opinion, ou bien peut-être ont-ils voulu, dans ce cas, déférer à l’usage, qui, comme nous venons de le faire voir, est un peu en faveur de ces exceptions. Le principe est excellent, et ce n’est certes pas nous qui le combattrons. Notre observation n’a pour but que d’en blâmer ici l’application, parce qu’elle est absurde, et que l’absurde doit être attaqué partout où il se trouve. MM. Laveaux et Ch. Nodier veulent l’aspiration du h dans ce mot. Comme personne ne dit l’Hollande, nous pensons qu’il serait ridicule de vouloir que ce mot, qui n’a jamais qu’une seule signification, pût, selon les phrases, avoir deux prononciations. Soyons conséquens dans nos opinions, c’est le meilleur moyen de leur donner du poids.


HONNEUR.

Locut. vic. J’ai l’honneur d’être, avec respect, votre très-humble, etc.
Locut. corr. Je suis avec respect, votre très-humble, etc.

L’emploi abusif que l’on fait souvent de ce mot en style épistolaire, a donné lieu à plus d’une juste critique. Cette phrase par exemple: j’ai l’honneur d’être avec respect votre très-humble et très-obéissant serviteur, qui termine tant de lettres, est-elle bien correcte? Nous ne le pensons pas. Qu’on dise: j’ai l’honneur d’être votre très-humble, etc.; ou je suis avec respect votre serviteur, d’accord. Quant à la première phrase, elle est évidemment entachée de pléonasme. Est-il possible en effet 196 d’être le très-humble et très-obéissant serviteur de quelqu’un sans avoir pour lui du respect? Et puis comment dire à un homme, sans le connaître parfaitement, qu’en le respectant on se fait de l’honneur à soi-même? N’est-ce pas se montrer à peu près aussi obséquieux que ce provincial à qui un homme de qualité demandait: Avez-vous vu mes chevaux? et qui répondit: Oui, Monsieur, j’ai eu cet honneur-là? Nous savons qu’il y a certains hommes à qui des témoignages de respect de notre part font peut-être moins d’honneur qu’ils ne nous en font à nous-mêmes; mais ces hommes-là sont si rares que nous ne craignons pas d’avancer que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des formules: j’ai l’honneur d’être avec respect votre très-humble, etc., sont tout-à-fait déplacées, et ne peuvent être regardées que comme le produit de l’irréflexion, de l’habitude ou de l’adulation.

On ne manquera pas, nous le savons, pour réfuter notre opinion, de nous dire que ces formules sont de vains complimens qui ne tirent nullement à conséquence. Nous répondrons que l’homme franc et réfléchi n’écrit jamais que ce qu’il pense, et que lorsqu’il témoigne, même en paroles, à un autre homme, de quelque rang qu’il soit, un respect qui touche aux bornes qu’il doit avoir entre hommes, il veut au moins être sûr que ce respect est bien mérité.


HORLOGE.

Locut. vic. Un bel horloge.
Locut. corr. Une belle horloge.

«Les méridionaux disent un bel horloge; ils pèchent contre l’usage. Horologium, neutre, donne le masculin; mais les horlogers n’ont pas fait attention à l’étymologie; 197 ils n’ont vu dans l’horloge qu’une grosse montre, et ils ont fait horloge du féminin.» (Domergue, Manuel des étrangers, etc.)


HOROSCOPE.

Locut. vic. Faites une horoscope.
Locut. corr. Faites un horoscope.

HUGUENOT.

Prononc. vic. On chassa l’huguenot.
Prononc. corr. On chassa le huguenot.

Le h est aspiré dans ce mot. L’auteur de l’Essai historique sur Clément Marot s’est trompé en écrivant: «Mais, rappelé dans sa patrie, purifié par une abjuration solennelle de cette doctrine diabolique qui ordonnait de prier Dieu en français (la doctrine de Calvin) et de ne pas partager ses biens avec le pape, ce monstre, cet huguenot abominable, lorsqu’il fut rentré en faveur à la cour, redevint un bon chrétien, un homme estimable, un poète distingué.» (Œuv. de Clém. Marot; Paris, Dondey-Dupré. 3 v. in-8o.)


HUSSARD, HUZARD, HOUSSARD, HOUZARD.

Locut. vic. Le 1er régiment de hussards, de huzards, de houssards.
Locut. corr. Le 1er régiment de houzards.

De ces quatre orthographes la première et la dernière sont les seules qui soient bien usitées. Nous ferons remarquer que la dernière semble devoir être préférée, par la raison qu’elle est adoptée par les militaires, surtout 198 par ceux qu’elle désigne spécialement, et qu’elle a de plus l’avantage de conserver les traces de son étymologie. La houze, en vieux français, était la guêtre, selon quelques auteurs, et la botte, selon d’autres, que mettait l’homme de guerre. Se houzer signifiait donc se chausser. On disait aussi houzeau pour houze, comme on peut le voir par ce vers de La Fontaine:

Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux.
(Fable 23, liv. XII.)

Le mot hussard a pour lui l’autorité de l’usage écrit; l’Académie dit hussard, et tous les dictionnaires l’imitent. L’usage parlé est pour houzard; or ce dernier usage est évidemment le plus ancien: c’est donc au premier de céder; et nous croyons réellement qu’il en viendra là un jour.


HUSTUBERLU.

Locut. vic. Vous êtes un hustuberlu.
Locut. corr. Vous êtes un hurluberlu.

L’Académie donne ce mot comme adverbe, comme adjectif, et comme substantif. Ce n’est guère que comme adjectif et surtout comme substantif, qu’on l’emploie ordinairement. Trévoux écrit hurlubrelu.


HYMEN.

Prononc. vic. Le jour de l’hymenne.
Prononc. corr. Le jour de l’hymein.

(Voy. EXAMEN.)


199 HYMNE.

Locut. vic.   De belles hymnes républicaines.
Les beaux hymnes de Santeuil.
 
Locut. corr.   De beaux hymnes républicains.
Les belles hymnes de Santeuil.

Hymne est féminin en parlant des hymnes de l’église; partout ailleurs il est masculin.


ICI.

Locut. vic. Cette maison ici.
Locut. corr. Cette maison-ci.

Du temps de Vaugelas, ici se joignait correctement à un substantif.

Aujourd’hui c’est une faute assez grossière de parler ainsi.


IDEM, IBIDEM, ITEM.

Prononc. vic. Idin, ibidin, itin.
Prononc. corr. Idemme, ibidemme, itemme.

Idem signifie le même, la même chose, ibidem, dans le même lieu, item, de plus.


IDOLE.

Locut. vic. Votre idole est détruit.
Locut. corr. Votre idole est détruite.

Idole est féminin, malgré La Fontaine:

Jamais idole quel qu’il fût.....
(Fables, liv. IV, f. VIII.)

200 et malgré Corneille:

Et Pison ne sera qu’un idole sacré.
(Othon, act. III, sc. 1.)

«L’étymologie, dit Ménage (Rem. sur Malherbe), favorise l’opinion de M. Corneille; mais l’usage, qui est l’arbitre souverain des langues, est contraire à son opinion.»


IGNOMINIE.

Prononc. vic. L’ignomignie de l’esclavage.
Prononc. corr. L’ignominie de l’esclavage.

Les personnes qui prononcent mal le mot ignominie, et elles sont assez nombreuses, n’ont probablement jamais remarqué avec quels mots nos poètes le font rimer. Voici quelques vers que nous citons pour leur en faire connaître et retenir la véritable prononciation.

L’innocente équité, honteusement bannie,
Trouve à peine un désert où fuir l’ignominie.
(Boileau.)
Ennemi des Romains et de leur tyrannie,
Je n’ai point de leur joug subi l’ignominie.
(Racine.)

ILLISIBLE, INLISIBLE.

Locut. vic.   Ce manuscrit est inlisible.
Un auteur de romans illisibles.
 
Locut. corr.   Ce manuscrit est illisible.
Un auteur de romans inlisibles.

Ce qui n’est pas lisible peut être illisible ou inlisible. S’il est question de caractères d’écriture qu’on ne puisse pas déchiffrer, on doit dire: cette lettre est illisible; 201 mais s’il s’agit d’un ouvrage dont on ne peut supporter la lecture à cause des défauts qu’on y remarque, on dira: ce livre est inlisible. Tel est, sur ce point, le sentiment de nos meilleurs grammairiens, au nombre desquels nous citerons M. Ch. Nodier. Cependant Laveaux (Dict. des diff.), rapporte les deux exemples suivans, où chacun de ces adjectifs est employé dans une signification toute contraire à celle que nous venons d’établir. «Sa main ne forma que des caractères inlisibles. (Volt. Histoire de Russie). Pourquoi ces hommes n’ont-ils fait que d’illisibles ouvrages? (Laharpe, Cours de litt.).» Cette double autorité embarrasse quelque peu la solution de la question; mais sans examiner si l’on ne pourrait pas y voir aussi une double distraction, reconnaissons la nécessité d’établir une différence de valeur entre les deux mots illisible et inlisible, et tenons-nous-en à celle que nos grammairiens ont établie, savoir: qu’illisible s’applique exclusivement à l’écriture, et inlisible au style. Illisible étant d’une formation régulière et parfaitement en analogie avec nos privatifs illégal, illicite, illégitime, illettré, etc., doit être préféré dans la signification directe d’impossible à lire; inlisible, au contraire, de formation bâtarde et détournée, convient mieux dans la signification d’ennuyeux à lire, qui n’a pu être donnée que par extension au privatif de l’adjectif lisible.


IMITER.

Locut. vic. Imitez ce sublime exemple.
Locut. corr. Suivez ce sublime exemple.

On imite une exemple d’écriture; on suit un exemple de conduite.

202 On imite une exemple d’écriture, parce qu’en la copiant on tâche d’en reproduire, le plus exactement possible, tous les traits; on suit un exemple de courage, de vertu, etc., parce qu’on ne peut chercher à copier toutes les circonstances de l’action de courage, de vertu, etc. Il n’y a réellement pas ici imitation, mais émulation.

Nous savons que plusieurs de nos bons auteurs ont employé cette locution, mais cela ne change absolument rien à sa valeur, et ne peut prouver autre chose sinon qu’ils ne l’avaient pas bien examinée avant de s’en servir.


IMMANQUABLE.

Prononc. vic. C’est in-manquable.
Prononc. corr. C’est im-manquable.

Faites sentir les deux m, par analogie avec tous les mots commençant par imm: immaculé, immatérialité, immatriculer, immédiat, etc.


IMMINENT (Voy. ÉMINENT.)


IMPARDONNABLE.

Locut. vic. Cet homme est impardonnable.
Locut. corr. Cet homme est inexcusable.

Nous pensons, comme la Grammaire des grammaires, que l’adjectif impardonnable ne doit pas plus s’appliquer aux personnes que les adjectifs pardonnable, reprochable, et irréprochable, par la raison qu’on ne dit pas pardonner quelqu’un ni reprocher quelqu’un. Laveaux, qui convient qu’on ne peut pas dire un homme pardonnable, un homme reprochable, autorise cependant les locutions 203 homme impardonnable, homme irréprochable. Cette inconséquence manifeste nous surprend beaucoup de la part d’un grammairien si judicieux. C’est qu’il n’a consulté que l’usage, où il aurait dû consulter la raison.


IMPERSONNEL.

Locut. vic. Pleuvoir est un verbe impersonnel.
Locut. corr. Pleuvoir est un verbe unipersonnel.

Lorsqu’on veut désigner un verbe qui n’a qu’une personne, c’est unipersonnel qu’on doit dire. Impersonnel signifie: sans aucune personne; unipersonnel signifie: qui n’a qu’une personne. Ainsi, pour faire voir la différence qui existe entre impersonnel et unipersonnel, nous ajouterons que falloir est un verbe unipersonnel, puisqu’il n’a que la troisième personne de chaque temps, et que sourdre est un verbe impersonnel puisqu’il n’a aucune personne, ne pouvant être employé qu’à l’infinitif, selon toutes les grammaires et tous les dictionnaires modernes. Nous remarquerons ici que sourdre est peut-être le seul verbe impersonnel qui existe maintenant dans notre langue.


IMPOSER.

Locut. vic.   Son air vénérable en impose.
Parlez franchement; n’imposez pas.
 
Locut. corr.   Son air vénérable impose.
Parlez franchement; n’en imposez pas.

Imposer à quelqu’un, c’est lui inspirer de la crainte, du respect; en imposer c’est tromper, faire croire, mentir. «On craindra de vous imposer, quand l’imposture 204 n’aura plus à attendre que votre colère.» (Massillon, Petit Carême, sermon VIII).

Lisez: de vous en imposer.

Elle rendait l’essor à la timidité,
En imposait à la témérité.
(Delille.)

Lisez: imposait.


INCENDIE.

Locut. vic. L’incendie est éteinte.
Locut. corr. L’incendie est éteint.

«Dans les provinces méridionales, dit Féraud, plusieurs font incendie féminin, et disent une grande incendie, au lieu de dire un grand incendie.» (Dict. crit.)


INCLUS (CI).

Locut. vic.   Vous trouverez ci-inclus la copie de leur lettre.
Vous trouverez ci-incluse copie de leur lettre.
 
Locut. corr.   Vous trouverez ci-incluse la copie de leur lettre.
Vous trouverez ci-inclus copie de leur lettre.

«Inclus, placé avant un nom dont le sens est vague, est invariable; vous trouverez ci-inclus copie, etc. Mais quand le sens est précis, inclus prend le genre et le nombre du substantif: vous trouverez ci-incluse la copie, etc. Inclus, placé après un nom, quel qu’il soit, se rapporte nécessairement à ce nom, et doit en adopter le genre et le nombre; une copie de ma lettre, une promesse de mariage est ci-incluse.» (Laveaux, Dict. des diff.)


205 INCOGNITO.

Prononc. vic. Il voyage incog-nito.
Prononc. corr. Il voyage inco-gnito.

Il est fort heureux, pour notre langue, que ce mot se prononce en italien comme en français, car il est plus que probable que, dans le cas contraire, certains grammairiens auraient encore, selon leur pédantesque habitude, essayé de nous imposer un petit joug étranger. Si nous leur échappons cette fois-ci, rendons-en grâces au hasard.


INDEMNITÉ.

Prononc. vic. Il a reçu une indem-nité.
Prononc. corr. Il a reçu une indamnité.

Prononcez aussi indemniser, comme s’il était écrit indame-niser. Em dans indemne, terme de jurisprudence, doit, selon l’Académie, se prononcer comme dans Jérusalem. Rien de plus sensé; c’est la règle générale, et nous regrettons vivement qu’on s’en soit mal à propos écarté pour les mots indemnité et indemniser. Des mots d’une même famille devraient assurément avoir une prononciation uniforme.


INDIEN.

Locut. vic. Ils commercèrent à la Guiane avec les Indiens.
Locut. corr. Ils commercèrent à la Guiane avec les naturels.

Un nom pour chaque chose, et chaque chose désignée par son nom. Tant que ce principe d’ordre ne sera pas observé avec le plus grand soin par nos écrivains, il ne sera réellement possible d’empêcher le chaos de s’introduire 206 dans la langue qu’à force de résistance de la part des grammairiens.

Un Indien est un naturel de l’Inde, et l’on conviendra qu’il y a quelque ridicule à vouloir en faire un Guianais, un Brésilien, etc. Nous savons qu’on donne généralement le nom d’Indes occidentales aux Amériques, mais nous savons aussi que la justesse de cette dénomination a déjà été attaquée. Le fleuve Indus, après avoir arrosé l’Asie, ne va point sans doute, à travers la mer des Indes et celle du Sud, continuer son cours dans le Nouveau-Monde. Pourquoi donc donnerait-il son nom à cette partie de la terre? La sotte puérilité des Espagnols qui, maîtres de l’Amérique, ne crurent pouvoir balancer complètement la puissance des Portugais qu’en donnant à leur conquête le nom que leurs rivaux avaient donné à la leur; cette puérilité, disons-nous, pourrait-elle être raisonnablement pour nous une loi? Non certainement; aussi l’usage abandonne-t-il cette manière de parler, que la routine seule emploie maintenant.


INDIGESTION (Voy. DIGESTION).


INDOMPTABLE (Voy. DOMPTER).


INFESTER, INFECTER.

Locut. vic.   Des voleurs infectent cette forêt.
Cette odeur infeste l’air.
 
Locut. corr.   Des voleurs infestent cette forêt.
Cette odeur infecte l’air.

Infester, c’est piller, ravager, dévaster, etc. Infecter, c’est rendre infect, empuantir, corrompre par le venin, etc.


207 INGRÉDIENT.

Prononc. vic. Prenez ces ingrédi-ins.
Prononc. corr. Prenez ces ingrédi-ans.

INHABILETÉ, INHABILITÉ (V. HABILETÉ, HABILITÉ).


INHÉRENT.

Prononc. vic. C’est in-hérent à son sexe.
Prononc. corr. C’est i-nérent à son sexe.

INTERSTICES.

Prononc. vic. Intertices.
Prononc. corr. Interstices.

INTERVALLE.

Locut. vic. Une longue intervalle.
Locut. corr. Un long intervalle.

J. J. Rousseau a fait intervalle féminin: «Il y a une intervalle de dix ans. (Nouv. Héloïse, liv. III.)» Lisez un intervalle.


INVECTIVER.

Locut. vic. Vous les avez invectivés.
Locut. corr. Vous avez invectivé contre eux.

L’usage fait assez généralement invectiver verbe actif, et quelques dictionnaires récens lui ont même donné 208 cette qualification; mais nos meilleurs grammairiens la lui refusent positivement.


IRRÉPROCHABLE.

Locut. vic. Cet homme est irréprochable.
Locut. corr. Cet homme est irrépréhensible.

Le verbe reprocher, ne pouvant avoir pour régime direct qu’un nom de chose, l’adjectif irréprochable ne doit en conséquence s’appliquer aussi qu’à un nom de chose. Nous savons que, sur ce point, presque tous les grammairiens sont contre nous, mais nous persistons à croire que nous avons raison, et que notre remarque ne sera pas dédaignée par les gens de goût. Il ne s’agit pas d’ailleurs de priver la langue d’un mot utile, car ce serait là ce qu’on pourrait nommer du purisme ridicule, purisme dont nous avons malheureusement déjà assez d’exemples: nous ne voulons qu’enlever à un adjectif la qualification de certains substantifs, qualification que la grammaire lui refuse évidemment.


IRRUPTION, ÉRUPTION.

Locut. vic.   Le Vésuve vient de faire une irruption.
Les barbares firent alors une éruption à Rome.
 
Locut. corr.   Le Vésuve vient de faire une éruption.
Les barbares firent alors une irruption à Rome.

Ce qui va du dedans au dehors, fait éruption; ce qui va du dehors au dedans, fait irruption.


209 JAIS.

Locut. vic. C’est noir comme un jais.
Locut. corr. C’est noir comme du jais, comme jais.

On ne peut pas dire noir comme un jais, par la raison que le jais n’est pas un nom de choses qui se comptent. Le jais est une substance bitumineuse, solide et d’un noir luisant.


JANVIER.

Locut. vic. Le trois de janvier.
Locut. corr. Le trois janvier.

A quoi sert la préposition de dans cette locution: le trois de janvier, approuvée par l’Académie et quelques grammairiens? Cette locution, dira-t-on, est elliptique; la construction pleine est: le trois (ou plutôt le troisième jour du mois) de janvier. Mais dès qu’on supprime tant de mots dans cette locution, qui peut empêcher d’en supprimer un de plus? Le trois janvier sera toujours, si l’on veut, une expression elliptique, mais plus courte, non moins claire, et surtout plus conforme à l’usage bien constaté de nos bons écrivains modernes. De, enfin, est un mot inutile; et tout mot inutile est une faute en grammaire. Laveaux (Dict. des Diff., art. Mois) est aussi d’avis qu’on doit dire le trois janvier ou le troisième jour de janvier.

«Les noms de mois, précédés des noms de nombres cardinaux, s’emploient sans préposition: le trois janvier, le six mai, le quinze avril; mais avec des noms de nombres ordinaux, la préposition de doit les précéder: le troisième jour de janvier, le sixième de mai ou du mois de mai, etc. La première manière est plus 210 du style familier; la seconde du style relevé.» (Féraud, Dict. crit.)

On trouve dans J. J. Rousseau le quatorze de mars (Trad. de Tacite, liv. I), le treizième d’octobre (Trad. de l’Apocolokintosis), et enfin le treize octobre (Ibid.). Voilà des autorités pour tous les goûts, si des contradictions peuvent rien autoriser.


JEU D’EAU.

Locut. vic. Ce jeu d’eau est très-beau.
Locut. corr. Ce jet d’eau est très-beau.

Un jet d’eau est certainement un jeu; mais ce n’est pas ce qu’on a considéré dans la formation de ce mot; on n’y a vu que le jet de l’eau.


JEUNESSE.

Locut. vic. Il a épousé une jeunesse.
Locut. corr. Il a épousé une jeune personne.

L’extension de signification donnée au mot jeunesse, dans notre phrase d’exemple, ne méritait pas, selon nous, d’être accueillie dans un dictionnaire. Les éditeurs de celui de Rivarol ont pensé différemment. Il est certain que cette nouvelle acception peut donner lieu à des équivoques. Dans cette phrase: il avait chez lui une jeunesse que je n’avais jamais vue, comment saurez-vous s’il est question d’un certain nombre de jeunes gens ou seulement d’une jeune fille? Donnons le moins possible aux mots, dans l’intérêt de la clarté du langage, des sens détournés; et comme jeunesse en a déjà un dans sa valeur de jeunes gens, de grâce, tenons-nous-en là.


211 JOINT (CI-).

Locut. vic.   Je vous envoie ci-joint ma procuration.
Je vous envoie ci-jointe procurat. pour toucher.
 
Locut. corr.   Je vous envoie ci-jointe ma procuration.
Je vous envoie ci-joint procurat. pour toucher.

«L’usage veut qu’on écrive: vous trouverez ci-joint copie de ce que vous me demandez; et vous trouverez ci-jointe la copie de ce que vous me demandez. Joint, placé devant un nom dont le sens est vague, comme copie, une copie, etc., paraît s’accorder avec ceci sous-entendu. Mais quand l’énonciation est précise, comme la copie, ma promesse, etc., l’esprit plus attentif voit mieux le rapport qui est entre joint et le nom, et l’accord a lieu. Le vague de l’énonciation n’empêche pas d’écrire une copie de ma lettre, une promesse de mariage est ci-jointe. Joint, placé après un nom, quel qu’il soit, se rapporte nécessairement à ce nom, et doit en adopter le genre et les inflexions.» (Laveaux, Dict. des diff.)


JOUG.

Prononc. vic. Nous sommes sous le jou.
Prononc. corr. Nous sommes sous le jougue.

JOUIR.

Locut. vic. Il jouit d’une mauvaise réputation, d’une mauvaise santé.
Locut. corr. Il a une mauvaise réputation, une mauvaise santé.

Chaque sorte de jouissance a ses amateurs; mais où trouverait-on des êtres, ayant jouissance de raison, qui 212 pourraient se délecter d’une mauvaise réputation et surtout d’une mauvaise santé?


JOUR (AU JOUR LE).

Locut. vic. Ces gens-là vivent au jour le jour.
Locut. corr. Ces gens-là vivent au jour la journée.

«On dit qu’un homme vit au jour la journée quand il dépense chaque jour ce qu’il a gagné, quand il n’épargne rien.» (Furetière, Dict. universel.)

Cet exemple et le suivant, que nous trouvons dans Regnier:

Toutefois je suis de ces gens,
De toutes choses négligens,
Qui, vivant au jour la journée,
Ne contrôlent leur destinée;

prouveront qu’autrefois on disait: vivre au jour la journée. L’Académie adopte aussi cette leçon. Il n’y a que quelques dictionnaires modernes qui se soient avisés d’écrire vivre au jour le jour, et nous ne savons en vérité ce qui a pu les engager à le faire. Vivre au jour la journée, c’est employer à la dépense du jour ce qu’on a reçu pour sa journée; et tout le monde sait que ce dernier mot s’emploie pour travail d’un jour, salaire d’un jour de travail: cet ouvrier n’a fait que deux journées, qu’une demi-journée, cette ouvrière va en journée. Vivre au jour le jour ne nous paraît pas offrir de sens, et nous sommes un peu étonné que Laveaux permette l’emploi de cette vicieuse locution.


213 JUGER A MORT.

Locut. vic. Ce malfaiteur a été jugé à mort.
Locut. corr. Ce malfaiteur a été condamné à mort.

Juger à mort est une locution qui n’est plus employée aujourd’hui que par les personnes qui parlent mal. C’est un archaïsme dont les vers suivans nous fournissent un exemple:

Si fut mys devant ce cadés
Pour estre jugé à mourir.
(Villon, Grand Testament, huit. XVII.)

Juger et condamner doivent être deux choses tout-à-fait distinctes, à moins que celui qui juge ne soit un Jefferys ou un Laubardemont. En bonne justice, on commence par juger; on condamne ensuite, s’il y a lieu. Pourquoi donc confondre ces deux actions, et n’en faire qu’une seule par cette monstrueuse locution de juger à mort? Il y a là quelque chose qui doit révolter tout homme qui pèse un peu la valeur des mots. Et il est si essentiel, en matière légale surtout, de parler clairement! Il est des gens qui eussent peut-être été bien heureux, dans l’intérêt de leur fortune, de leur liberté et même de leur existence, que la grammaire eût été mieux observée dans la rédaction de telle ou telle loi. Les plus graves résultats tiennent quelquefois à fort peu de chose!


JUIF.

Locut. vic. C’est un juif; il prête à trente pour cent.
Locut. corr. C’est un usurier; il prête à trente pour cent.

Selon la grammaire et la raison, et l’une et l’autre 214 sont inséparables, comme l’a dit Dumarsais (Encycl. méth., art. Grammaire), un Juif est un Français, un Allemand, un Anglais, etc., professant la religion juive, et rien autre chose; et désormais tout dictionnaire qui saura se mettre à la hauteur de l’époque de tolérance où nous vivons, répudiera les définitions suivantes: juif, usurier, trompeur, fripon, etc., qui étaient tout au plus à leur place dans le dictionnaire de Trévoux, qui étaient déjà ridicules dans le dictionnaire de l’Académie de 1798, et qui sont tout-à-fait inconvenantes dans le dictionnaire de M. Raymond (1832), si l’on ne considère que l’esprit des époques où ces différens ouvrages ont paru, et qui sont toutes détestables, en se plaçant au point de vue de la raison. Rien n’est plus absurde, et quelquefois plus méchant, que de faire un objet de ridicule d’une classe entière de citoyens. Les railleurs, qui ne sont pas toujours les gens qui ont le plus de portée dans l’esprit, s’imaginent n’avoir jeté en avant qu’une plaisanterie, et c’est souvent un germe de haine qu’ils ont semé. Le devoir des honnêtes gens est donc de s’opposer à la propagation d’une locution qui tend à consacrer l’insulte gratuite, et de refuser au mot juif l’extension de signification que nous blâmons ici.


JUIN.

Prononc. vic. Le mois de ju-un.
Prononc. corr. Le mois de ju-in.

JUSQU’A TANT QUE.

Locut. vic. Attendez jusqu’à tant qu’il arrive.
Locut. corr. Attendez jusqu’à ce qu’il arrive.

Le dictionnaire de l’Académie donne jusqu’à tant que, 215 mais il est certain que nos bons écrivains modernes évitent de se servir de cette expression irrégulière, depuis long-temps hors d’usage.


JUSQU’ICI.

Locut. vic. Si vous n’avez pas été payé jusqu’ici, etc.
Locut. corr. Si vous n’avez pas été payé jusqu’à présent, etc.

Jusqu’ici ne peut désigner le temps, cette locution ne s’applique qu’au lieu. La balle a porté jusqu’ici.

La première phrase pourrait cependant être employée, mais elle aurait alors une signification autre que celle qu’on vient de lui donner. Si vous n’avez pas été payé jusqu’ici signifierait, si vous n’avez pas reçu de frais de route jusqu’à cet endroit-ci.


JUSTE (COMME DE).

Locut. vic. Je vous le donnerai, comme de juste.
Locut. corr. Je vous le donnerai, comme je le dois.

«Comme de juste est une expression aussi vicieuse que le seraient comme de vrai, comme de faux; dites: comme il est juste.» (Marle, Précis d’orthologie.)


LABOUR.

Locut. vic. Voyez ces chevaux de labourage.
Locut. corr. Voyez ces chevaux de labour.

Le labour est la façon qu’on donne aux terres en les labourant; le labourage est plus particulièrement l’art de labourer la terre.


216 LAIDERONNE.

Locut. vic. C’est une laideronne.
Locut. corr. C’est une laideron.

«L’Académie donne pour exemple, une jolie laideron. Il nous semble au contraire que laideron ajoute à l’idée de laide quelque chose de bas et de méprisable; et nous ne pensons pas qu’on puisse dire, une jolie laideron.» (Laveaux, Dict. des diff.)


LAIR (DORMIR COMME UN).

Prononc. vic. Dormir comme un lair.
Prononc. corr. Dormir comme un loir.

La vicieuse prononciation de lair pour loir paraît être au reste fort ancienne, car on lit dans Villon:

Les bourses des dix-et-huit clercs
Auront, je my veuil employer.
Pas ilz ne dorment comme loirs
Qui trois mois sont sans resveiller.
(Grant Testament, huit. CXXIII.)

LAISSER.

Locut. vic. Laissez-le-moi de vingt francs.
Locut. corr. Laissez-le-moi à vingt francs.

Laisser, dans le sens de vendre, doit être suivi de la préposition à ou pour.


217 LAISSER DIRE (SE).

Locut. vic. Je me suis laissé dire que vous ne le vouliez pas.
Locut. corr. On m’a dit que vous ne le vouliez pas.

«Il y a beaucoup de gens qui disent, je me suis laissé dire, pour signifier on m’a dit, j’ai ouï dire. Cette expression est tout-à-fait mauvaise, dit Th. Corneille; et La Touche était surpris que l’Académie ne la condamnât pas dans les nouvelles éditions, et qu’elle se contentât de dire que cette expression est du style familier.» (Féraud, Dict. critique.)


LAISSER QUE DE (NE PAS).

Locut. vic. Cela ne laisse pas que de le fâcher.
Locut. corr. Cela ne laisse pas de le fâcher.

«Thomas Corneille pensait que ce que est inutile, et tout le monde est aujourd’hui de cet avis.» (Laveaux, Dict. des Diff.)


LAIT.

Locut. vic. Blanc comme un lait.
Locut. corr. Blanc comme du lait, comme lait.

On ne dit pas: un lait, deux laits, trois laits, etc.; il est donc absurde de dire: blanc comme un lait. Mais on dirait fort bien blanc comme un cygne, blanc comme un linge, parce qu’on peut au moins compter des cygnes, des linges, etc.


218 LANCER, LANCEMENT.

Locut. vic. Le doigt me lance, j’ai des lancemens dans l’oreille.
Locut. corr. Le doigt m’élance, j’ai des élancemens dans l’oreille.

LANTERNE MAGIE.

Locut. vic. Voulez-vous voir la lanterne-magie?
Locut. corr. Voulez-vous voir la lanterne magique?

Magique est un adjectif qui qualifie le substantif lanterne.


LARRONNE.

Locut. vic. Vous êtes une larronne.
Locut. corr. Vous êtes une larronnesse.

LE, LA, LES.

Locut. vic.   Êtes-vous la marchande?—Oui, je le suis.
Vous êtes malade, madame?—Je la suis depuis hier.
 
Locut. corr.   Êtes-vous la marchande?—Oui, je la suis.
Vous êtes malade, madame?—Je le suis depuis hier.

Le relatif le s’accorde en genre et en nombre avec le nom qu’il représente, quand ce nom est un substantif: Êtes-vous la marchande?—Oui, je la suis, c’est-à-dire: je suis elle; si ce nom était un adjectif ou un substantif employé adjectivement, le pronom resterait invariable: Vous êtes malade, Madame?—Je le suis depuis hier, c’est-à-dire, je suis cela, malade. Madame de Sévigné 219 n’a jamais voulu observer cette dernière règle qui la choquait beaucoup. Je croirais, disait-elle, avoir de la barbe au menton si je disais: je le suis.

Il y a aussi une distinction à faire dans l’emploi du pronom relatif le, au pluriel. Avec un substantif il faut les: Vous paraissez être les camarades de mon fils.—Oui, nous les sommes; avec un adjectif, il faut le: Seriez-vous choqués, Messieurs, de mes paroles?—Oui, nous le sommes. Dans la première phrase les est mis pour eux, dans la seconde le est mis pour cela.

D’après ce que nous venons de dire il y a un solécisme dans ce vers de Piron:

J’étais indifférente, et je ne la suis plus,

et dans cette phrase de Marivaux:

Moins gênée! Madame, il ne faut pas que vous la soyez du tout.

C’est le qu’il faut dans ces deux exemples.


LEDIT, LADITE, etc.; AUXDITS, AUXDITES, etc.

Orth. vic. J’ai vu ledit sieur N...; j’ai parlé audit sieur N...
Orth. corr. J’ai vu le dit sieur N...; j’ai parlé au dit sieur N...

L’article doit toujours être séparé du participe dit, au masculin comme au féminin, au singulier comme au pluriel.


LEGS.

Prononc. vic. On lui a fait un lègue.
Prononc. corr. On lui a fait un .

220 LÉGUME.

Locut. vic. Ces légumes sont excellentes.
Locut. corr. Ces légumes sont excellens.

Quelques anciens auteurs ont fait légume féminin; ce mot est aujourd’hui masculin pour tous ceux qui connaissent tant soit peu le français.


LE MOINS, LE PLUS.

Locut. vic. C’est ici que l’histoire devient la plus intéressante.
Locut. corr. C’est ici que l’histoire devient le plus intéressante.

«Le ne prend ni genre ni nombre, lorsque, joint avec plus, moins ou mieux, il forme avec eux un superlatif adverbe. C’est la chose que j’aime le plus et non la plus. Ce sont les biens que je désire le moins et non les moins. Nous devons parler le plus sagement, et nous énoncer le plus clairement qu’il est possible. Il en est de même lorsque ces adverbes sont suivis d’un adjectif, et qu’il n’y a pas dans la phrase une idée de comparaison. Nous ne pleurons pas toujours lorsque nous sommes le plus affligés. Dans cet exemple, on ne veut point comparer son affliction à celle de quelques autres personnes. Mais si une comparaison était indiquée dans la phrase, le pronom reprendrait sa fonction ordinaire, et s’accorderait avec le substantif. Ainsi l’on dirait: la personne qui pleure moins que les autres n’est pas la moins affligée.» (Laveaux, Dict. des Diff.)


221 LENDE.

Locut. vic. Sa tête est couverte de lendes.
Locut. corr. Sa tête est couverte de lentes.

Quelques dictionnaires modernes écrivent lende qui serait plus selon l’étymologie que lente; mais ils renvoient à lente que l’usage paraît effectivement avoir préféré.


LETTRES.

Locut. vic. Une h, une l, une m, une n, une s, etc.
Locut. corr. Un h, un l, un m, un n, un s, etc.

Toutes les lettres sont maintenant du genre masculin. Cette réforme grammaticale est d’autant plus juste que la plupart des lettres étaient déjà de ce genre. C’est un hommage rendu au principe de l’analogie.


LEVÉ.

Locut. vic. J’ai le premier levé de la seconde partie.
Locut. corr. J’ai la première levée de la seconde partie.

LÉVIER, LAVIER.

Locut. vic. Mettez cette assiette sur le lévier, sur le lavier.
Locut. corr. Mettez cette assiette sur l’évier.

Un Évier est un conduit par où s’écoulent les eaux, les lavures d’une cuisine. Ce mot vient du vieux substantif eve ou esve, eau.

Descendoit l’esve claire et roide.
(Roman de la Rose.)

222 L’auteur du Manuel de la pureté du langage autorise l’emploi de lévier. Où a-t-il été prendre ce mot?


LÈZE.

Locut. vic. Cette étoffe est à grande lèze.
Locut. corr. Cette étoffe est à grand .

L’Académie donne et lèze. Nous croyons ce dernier mot inutile, puisque l’usage a fait choix du mot , qui est d’ailleurs fort ancien.

Quel a-il? de Brucelle.
(La Farce de Pathelin.)

LICÉ, LISSÉ.

Locut. vic. Son front est licé, lissé.
Locut. corr. Son front est lisse.

Ce qui est lisse l’est naturellement; ce qui est lissé l’est artificiellement. Lisse est un adjectif qui signifie uni, poli; lissé est le participe passé du verbe lisser, et signifie rendu lisse. Quant à licé, c’est une orthographe surannée que nous trouvons dans l’épigramme suivante du grammairien Furetière:

A UN JUGE.
Conseiller, qui vantez vos mains
D’être blanches et fort licées,
Vos discours ne sont pas trop vains:
On vous les a souvent graissées.

Lisses était ici le mot propre.


223 LICHEFRITE.

Locut. vic. Nettoyez cette lichefrite.
Locut. corr. Nettoyez cette lèchefrite.

LICHER.

Locut. vic. Le chien a liché le plat.
Locut. corr. Le chien a léché le plat.

LIERRE.

Locut. vic. C’est une pierre de lierre.
Locut. corr. C’est une pierre de liais.

La pierre de liais est une pierre dure et d’un grain très-fin.


LINCEUIL.

Orth. vic. Le funèbre linceuil.
Orth. corr. Le funèbre linceul.

On écrivait autrefois linceuil.

Un linceuil tout saigneux à son dos s’estendoit,
Qui jusques aux talons déchiré lui pendoit.
(Garnier, Cornélie, trag.)

Nos poètes modernes suivent souvent cette orthographe, mais les meilleurs dictionnaires ne l’admettent pas.


224 LINTEAU.

Locut. vic. Vos serviettes sont à linteaux.
Locut. corr. Vos serviettes sont à liteaux.

Des linteaux sont des pièces de bois qu’on met en travers au-dessus d’une porte ou d’une fenêtre, pour soutenir la maçonnerie; des liteaux sont des raies colorées qui sont à quelque distance des extrémités de certaines serviettes.


LIQUEUREUX.

Locut. vic. Ce vin est liqueureux.
Locut. corr. Ce vin est liquoreux.

L’étymologie l’a emporté sur l’analogie dans la formation des mots liquoreux, liquoriste. Le contraire aurait dû avoir lieu. Si vous laissez violer le principe de l’étymologie, c’est très-fâcheux; mais vous n’en devez pas moins agir ensuite dans le même sens. Ne serait-il pas plus rationnel de dire liqueureux, liqueuriste que liquoreux, liquoriste?


LOIN A LOIN (DE).

Locut. vic. Je le vois de loin à loin.
Locut. corr. Je le vois de loin en loin.

«L’Académie dit loin à loin, de loin à loin, et donne pour exemples de ces phrases adverbiales, planter des arbres loin à loin. Les hameaux, les maisons y sont semés loin à loin. On est surpris de trouver dans le Dictionnaire de l’Académie cette ancienne locution que l’on n’emploie plus aujourd’hui, et de n’y pas trouver 225 de loin en loin, qui est celle dont les bons auteurs se servent généralement.» (Laveaux, Dict. des Diff.) M. Girault-Duvivier préfère aussi de loin en loin.


L’ORIENT.

Orth. vic. L’escadre arriva à L’Orient.
Orth. corr. L’escadre arriva à Lorient.

Lorient est le nom d’un port de France sur l’Océan, qui n’a rien de commun, par rapport à la France du moins, avec l’orient, l’un des quatre points cardinaux, et que l’on a tort d’écrire en deux mots avec une apostrophe.


LORS.

Locut. vic. Depuis lors on n’en a plus eu de nouvelles.—Je le vis lors de mon départ.
Locut. corr. Depuis cette époque on n’en a plus eu de nouvelles.—Je le vis à l’époque de mon départ.

«Depuis lors, dit Domergue (solut. gramm.), est une expression proscrite du beau langage; on n’en a pas besoin, et elle ne communique aucune grâce. Jean-Baptiste Rousseau est tombé dans cette faute.» Dites toujours: depuis, depuis cette époque, au lieu de: depuis lors.

«Lors, avec un génitif, par exemple, lors de son élection, pour dire quand il fut élu, n’est guère bon ou du moins guère élégant.» (Vaugelas, Rem. 121.)

Il ne faut pas dire non plus pour lors. Cette locution, quoique admise par l’Académie, est très-incorrecte, et nos bons écrivains modernes ne s’en servent presque jamais.


226 LOSANGE.

Locut. vic. Son champ a la forme d’un losange.
Locut. corr. Son champ a la forme d’une losange.

Ce mot est féminin, selon tous les dictionnaires.


LOUIS D’OR, NAPOLÉON EN OR.

Locut. vic. Prenez vingt louis d’or, vingt napoléons en or.
Locut. corr. Prenez vingt louis, vingt napoléons.

Les complémens d’or, en or, donnés aux mots louis et napoléon, sont tout-à-fait inutiles, car on ne connaît pas en France de monnaie à laquelle on donne le nom de louis d’argent, ni de napoléon d’argent. Quand on comprend parfaitement une idée, pourquoi ajouter des mots qui ne modifient absolument en rien cette idée, pour nous Français, du moins, et qui pourraient induire en erreur des étrangers tant soit peu logiciens, en leur donnant à entendre que nous avons une monnaie qui n’existe pas.


LUI.

Locut. vic.   Gardez ce bâton, je n’ai pas besoin de lui.
Cet ouvrage est important, ajoutez-lui des notes.
Chacun doit prendre garde à lui.
 
Locut. corr.   Gardez ce bâton; je n’en ai pas besoin.
Cet ouvrage est important, ajoutez-y des notes.
Chacun doit prendre garde à soi.

«Lui ne se dit ordinairement que des personnes. Quoiqu’un homme dise fort bien d’un autre qu’il se repose sur lui, qu’il s’appuie sur lui, on ne dira pas pour cela d’un lit ou d’un bâton, reposez-vous sur lui, appuyez-vous 227 sur lui; mais on se servira de la préposition elliptique dessus; reposez-vous dessus, appuyez-vous dessus.

«En parlant des choses, on emploie le pronom en au lieu de de lui, et le pronom y au lieu de à lui. On ne dit pas d’un mur n’approchez pas de lui, on dit, n’en approchez pas; ni d’un village, allez à lui, il faut dire, allez-y.

«Lorsque le pronom lui est précédé des prépositions avec ou après, il peut se dire des choses même inanimées. Ce torrent entraîne avec lui tout ce qu’il rencontre, il ne laisse après lui que du sable et des cailloux.

«On ne doit pas se servir indifféremment de lui et de soi. Quand on parle en général, et sans indiquer une personne qui est le sujet de la phrase, il faut se servir de soi. Il faut que chacun prenne garde à soi. Mais lorsqu’une personne en particulier est désignée dans la phrase, il faut mettre lui. Cet homme ne prend pas garde à lui.» (Laveaux, Dict. des Diff.) Ce qu’on vient de dire de lui s’applique également à elle.


LUNÉTIER.

Prononc. vic. Vous êtes lunétier.
Prononc. corr. Vous êtes lunetier.

Féraud veut que le premier e de ce mot soit fermé; c’est contre l’usage. Lunetier vient bien de lunette, mais buvetier, charretier, gazetier, tabletier, etc., viennent aussi de buvette, charrette, etc., et le premier e de ces mots n’est pas fermé.


228 LUTHÉRIANISME.

Locut. vic. Le luthérianisme a pénétré dans ce pays.
Locut. corr. Le luthéranisme a pénétré dans ce pays.

MACHIN.

Ce mot ne figure dans aucun dictionnaire, et n’est jamais employé par les personnes qui parlent bien.


MAIRERIE.

Prononc. vic. Voici la mairerie.
Prononc. corr. Voici la mairie.

On a écrit et prononcé autrefois mairerie, comme on le voit dans Nicod; l’usage actuel veut qu’on écrive et qu’on prononce mairie.


MAJOR.

Locut. vic. J’ai une tierce major, un quinte major, etc.
Locut. corr. J’ai une tierce majeure, une quinte majeure, etc.

L’Académie regarde la première de ces expressions comme surannée; M. Blondin (Manuel de la pureté du langage) regarde la seconde comme vicieuse. Nous croyons que la raison est ici du côté de l’Académie. Il est bien certain, du moins, que cet adjectif latin major accolé à un substantif français est d’un effet assez ridicule, ailleurs que dans les mots composés tambour-major, chirurgien-major, adjudant-major, etc., qui sont trop répandus et d’une formation trop ancienne pour qu’on puisse songer à y rien changer; et il n’est pas moins certain que l’usage 229 général est en faveur de tierce majeure. Tierce major n’est plus guère employé aujourd’hui que par les joueurs de piquet des corps-de-garde et des guinguettes.


MAL.

Locut. vic. Vous aurez du mal à l’entendre.
Locut. corr. Vous aurez de la peine à l’entendre.

«Beaucoup de personnes disent: j’ai cherché long-temps ce livre, j’ai eu bien du mal à le trouver; il a eu bien du mal à se procurer votre adresse; ces façons de parler sont de véritables solécismes. On doit employer le mot peine dans ces phrases: j’ai cherché long-temps ce livre, j’ai eu bien de la peine à le trouver; il a eu bien de la peine à se procurer votre adresse.

«Mal éveille une idée de souffrance physique, et par conséquent ne saurait convenir à des phrases où l’on ne veut exprimer qu’une idée d’embarras, de difficulté.» (Chapsal. Nouv. dict. grammatical.)

On trouve les exemples suivans dans le Dict. de l’Académie: Il a eu bien du mal à l’armée. On a trop de mal chez ce maître-là. Il a bien du mal à gagner sa vie. Nous ne croyons pas que ces exemples détruisent ce qu’établit M. Chapsal, car il est facile de voir que le mot de mal y réveille toujours jusqu’à un certain point l’idée de souffrance physique.


MALADIE (FAIRE UNE). Voyez FAIRE.


230 MALGRÉ.

Locut. vic. Je fus forcé de sortir malgré moi.
Locut. corr. Je fus forcé de sortir.

Le pléonasme que produit l’expression malgré moi dans notre phrase d’exemple, est trop évident pour que nous fassions là-dessus la moindre réflexion.


MALGRÉ QUE.

Locut. vic. Il le fera malgré qu’on le défende.
Locut. corr. Il le fera quoiqu’on le défende.

«Malgré que n’est plus d’usage qu’avec le verbe avoir, précédé de la préposition en; en effet malgré que veut dire mauvais gré que; quelque mauvais gré que; ainsi malgré que j’en aie, malgré que j’en eusse, veut dire mauvais gré que j’en aie, quelque mauvais gré que j’en eusse; construction qui ne peut avoir lieu avec tout autre verbe.

«Malgré que je fasse, malgré que je sois ne doivent donc pas se dire. Il faut remplacer malgré par quoique, bien que et dire: quoique je fasse, bien que je sois.» (Grammaire des gramm. t. 2.)


MALHEUREUX (Voyez GUEUX, MISÉRABLE.)


231 MALINE.

Locut. vic. Fièvre maline.
Locut. corr. Fièvre maligne.

On lit dans Ronsard:

Telle fièvre maline
Ne se pourroit garir par nulle médecine.
(Remonstrance au peuple de Fr.)

On trouve encore cette orthographe dans La Fontaine:

Elle sent son ongle maline.
(Liv. VI, fab. 15.)

L’usage et la raison ont lutté ensemble pour ce féminin d’adjectif: l’usage l’a emporté. Et cela ne devait pas être.


MANES.

Locut. vic. Ils croyaient entendre les mânes plaintives de leurs aïeux.
Locut. corr. Ils croyaient entendre les mânes plaintifs de leurs aïeux.
Et mes mânes contens, aux bords de l’onde noire,
Se feront de ta peur une agréable histoire.
(Boileau.)

MANGER.

Locut. vic. J’ai tous les jours six personnes à manger chez moi.
Locut. corr. J’ai tous les jours six personnes à nourrir chez moi.

La première de ces phrases ne pourrait être évidemment 232 correcte que dans un pays d’ogres. Dans le nôtre elle n’est pas tolérable.


MANGER.

Locut. vic. Cette fourrure a été mangée aux vers.
Locut. corr. Cette fourrure a été mangée par les vers.

Une chose n’est pas mangée aux vers, aux souris,mais par les vers, par les souris. Comment se fait-il qu’une faute dont une minute de réflexion suffit pour démontrer toute l’absurdité, se reproduise si fréquemment?


MANIÈRE (DE).

Locut. vic. Arrangez l’affaire de manière à ce qu’il soit content.
Locut. corr. Arrangez l’affaire de manière qu’il soit content, ou de manière à le contenter.

De manière à ce que ne se trouve pas dans nos bons écrivains, par la raison que nos bons écrivains repoussent toujours avec soin les mots oiseux, comme à ce dans la locution précitée.


MANQUER.

Locut. vic. Il a manqué de tomber.
Locut. corr. Il a manqué tomber.

L’usage veut aujourd’hui que l’on emploie le verbe manquer sans le joindre par la préposition de au verbe qui le suit. Des grammairiens ont attaqué cet usage, d’autres l’ont défendu: nous sommes du côté de ces 233 derniers. Manquer ayant la signification de faillir, penser, être sur le point de doit être immédiatement suivi du verbe qu’il régit. Dit-on vous avez failli de tomber, il a pensé de mourir, elle a été sur le point de de partir? Ces manières de parler seraient ridicules; les deux dernières surtout.


MANQUER A TOUCHER.

Locut. vic. Vous avez manqué à toucher; c’est un manque à toucher.
Locut. corr. Vous avez manqué de touche; c’est un manque de touche.

Expressions du jeu de billard.


MARCHE.

Locut. vic. Soyez sans inquiétude, nous avons de la marche.
Locut. corr. Soyez sans inquiétude, nous avons de la marge.

La marge, au figuré, est ce qui est au-delà du nécessaire. Au propre, le sens est à peu près le même.

Le mot marche dans notre phrase d’exemple fait un véritable non-sens. Ce n’est certainement pas le cas d’être sans inquiétude lorsqu’on a beaucoup de marche à faire.


MARCHE.

Locut. vic. Vous le reconnaîtrez à sa marche.
Locut. corr. Vous le reconnaîtrez à son marcher.

La marche est le mouvement de celui qui marche; le marcher est la manière dont il marche. On a la marche lente, rapide, assurée, chancelante, etc. On a le marcher gracieux, élégant, ignoble, etc.


234 MARCHÉ (BON).

Locut. vic. J’ai acheté ce livre bon marché.
Locut. corr. J’ai acheté ce livre à bon marché.

M. Blondin (Manuel de la pureté du langage) prétend que cette locution acheter à bon marché est vicieuse, et qu’il faut dire acheter bon marché. Nous croyons, nous, le contraire. L’usage et l’Académie, autorités qui, malgré leurs erreurs, sont encore les premières en fait de langage, veulent également qu’on dise acheter à bon marché. On dit et l’on doit dire: acheter à bon compte, acheter à vil prix, et l’on ne pourrait pas dire acheter à bon marché? Ce serait là un pur caprice; ne cherchons pas à en entacher notre langue.


MARDELLE.

Locut. vic. Changez la mardelle de ce puits.
Locut. corr. Changez la margelle de ce puits.

On a dit autrefois margeole, marelle, mardelle et margelle. On ne dit plus aujourd’hui que mardelle et margelle, et nous ajouterons que l’on ne devrait dire que margelle, parce que ce mot est le seul conforme à l’étymologie (margella, diminutif de margo, marginis) donnée par Ménage, Furetière, Ducange, et le Dict. de Trévoux.

L’Académie et presque tous les autres dictionnaristes paraissent préférer margelle à mardelle, en renvoyant de ce dernier mot au premier.

Margelle appartient à la famille du mot marge. L’idée de bord se trouve dans l’un comme dans l’autre.


235 MARÉE EN CARÊME, MARS EN CARÊME.

Locut. vic.   Il vient tous les ans dans ce mois-ci: il est comme marée en carême.
Vous arrivez à propos, comme mars en carême.
 
Locut. corr.   Il vient tous les ans dans ce mois-ci: il est comme mars en carême.
Vous arrivez à propos, comme marée en carême.

Il est aisé de voir que, dans la première phrase, marée ne signifie rien, car la marée peut ne pas toujours arriver en carême, tandis que mars ne manque jamais à cette époque. Aussi faut-il mars dans cette phrase. Dans la seconde, mars n’est pas mieux placé, car il importe certainement fort peu au carême que mars se trouve compris dans la quarantaine; c’est la marée qui seule est d’une grande importance pour ce temps de nourriture maigre. Mettez donc marée dans le second cas.

Comment se fait-il que presque tous nos grammairiens confondent ces deux expressions, et regardent la seconde comme une corruption de la première? N’y a-t-il pas deux idées bien distinctes exprimées par ces deux locutions proverbiales, l’une de périodicité, l’autre d’à-propos, et n’a-t-on pas lieu de s’étonner de la distraction des modernes lexicographes, qui, en cette qualité, devaient compulser avec la plus grande attention les ouvrages de leurs devanciers, et qui n’ont pas su voir, nous ne dirons pas apprécier, la judicieuse distinction établie déjà entre ces deux expressions par l’Académie, Féraud, etc.?

«On dit proverbialement d’une chose qui arrive à propos, qu’elle arrive comme marée en carême

«On dit proverbialement d’une chose qui ne manque 236 jamais d’arriver en certain temps, cela vient comme mars en carême.» (Académie, Féraud, etc.)

Rien est-il en effet plus agréable, plus à propos enfin pour des gens qui observent rigoureusement le carême qu’un envoi de marée bien fraîche? Rien est-il encore plus susceptible d’un retour certain que le mois de mars dans le carême, puisque ce temps de pénitence le comprend toujours en totalité ou en partie?

M. Raymond, qui a fait l’article Carême comme l’a fait l’Académie, passe sous silence, au mot marée, l’expression marée en carême, et traite plus loin mars en carême de corruption de marée en carême. Voilà deux fautes graves. A quoi sert-il de venir après le Dict. de l’Académie si, au lieu de profiter de ses erreurs, on fait plus mal que lui?

«Il y a une considération qui me refroidirait, dit M. Jacquemont (Correspondance, t. I) c’est le sort incertain de mes lettres, et la crainte de voir celles-là se perdre comme les autres, ou n’arriver que comme mars en carême.» M. Jacquemont s’est étrangement mépris sur la valeur de cette expression proverbiale. Il en a retourné le sens, et au lieu de lui attribuer une signification d’à-propos, c’est une signification toute contraire qu’il lui donne.


MARGOTTE.

Locut. vic. Avez-vous planté vos margottes?
Locut. corr. Avez-vous planté vos marcottes?

Une marcotte est une branche de plante qu’on met en terre pour qu’elle y prenne racine.

Dites aussi marcotter des vignes, des chèvrefeuilles, des œillets, et non margotter.


237 MARIAGE, NOCE.

Locut. vic. On a fait hier six noces à la mairie, à l’église.
Locut. corr. On a fait hier six mariages à la mairie, à l’église.

Il existe entre ces deux mots une différence très grande, et dont assez généralement on tient fort peu de compte. Le mariage est la cérémonie civile ou religieuse qui unit les époux, la noce est la petite fête qui suit ordinairement cette cérémonie. Un maire fait un mariage, un traiteur fait une noce; témoin cette vieille inscription: Un tel, traiteur, fait nopces et festins. On ne fait pas de noce sans mariage, mais on peut faire un mariage sans noce. Il s’ensuit donc que l’on pourrait dire: j’ai assisté au mariage de M. un tel, mais je n’étais pas à sa noce; ou bien: j’étais à sa noce, mais non à son mariage.

Noce ne peut être employé pour mariage qu’au pluriel. Il a épousé en secondes noces une sœur de sa première femme.


MARIER AVEC.

Locut. vic. Il a marié sa nièce avec un vieillard.
Locut. corr. Il a marié sa nièce à un vieillard.

MM. Laveaux et Girault-Duvivier pensent qu’on peut dire marier à et marier avec. Marier à quand il est question de deux choses qui se confondent ensemble, et dont l’union forme un tout: marier le luth à la voix; marier avec quand il est question de choses qui ne sont que jointes ensemble, et restent distinctes après leur jonction: marier la vigne avec l’ormeau.

On lit cependant dans Delille:

La vigne, si je veux, s’y marie aux ormeaux.

238 L’Académie n’adopte que l’expression marier avec. Notre opinion à nous est que le verbe marier renfermant une idée d’union, c’est faire un pléonasme que de joindre le régime direct de ce verbe à son régime indirect par la préposition avec qui présente encore la même idée, et qu’on a pour cette raison nommée conjonctive. A, qui exprime plus particulièrement un rapport de tendance, nous paraît convenir beaucoup mieux après le verbe marier.


MARIN, MARITIME.

Locut. vic.   Le goëmon est une plante maritime.
Ils s'emparèrent d’une forteresse marine.
 
Locut. corr.   Le goëmon est une plante marine.
Ils s’emparèrent d’une forteresse maritime.

Marin signifie, d’après tous les dictionnaires: qui est de la mer, qui vient de la mer, qui appartient à la mer.

Maritime signifie: qui est proche de la mer, qui concerne la mer, qui a du rapport à la mer.

Aussi distingue-t-on en histoire naturelle des plantes marines et des plantes maritimes. Les plantes marines sont toujours recouvertes par l’eau salée dans laquelle elles nagent. Les plantes maritimes viennent sur les bords ou dans le voisinage de la mer.


MAROLLES.

Prononc. vic. Du fromage de Marolles.
Prononc. corr. Du fromage de Maroilles.

Le fromage connu sous ce nom vient de Maroilles, dans le département du Nord. C’est donc fromage de Maroilles que l’on doit dire.


239 MARRONNER.

Locut. vic. Que marronnez-vous là?
Locut. corr. Que marmonnez-vous là?

«Marmonner. Murmurer sourdement.

«Marronner. Friser des cheveux en grosses boucles.—Imprimer clandestinement.» (Dict. de l’Acad.)

Cette citation nous fait voir que, dans la phrase suivante: Il marronne des patenôtres sur le même air, (Corresp. de M. Jacquemont, t. I) c’était marmonne qu’il fallait écrire. Il marmotte eût encore mieux valu. Comme le dit fort bien Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.), «marmonner est un mot du patois de Paris; marmotter est un terme du bon langage.»


MASSACRANTE.

Locut. vic. Vous êtes d’une humeur massacrante.
Locut. corr. Vous êtes d’une humeur insupportable.

Cette expression est approuvée par quelques bons auteurs, et proscrite par d’autres qui prétendent qu’elle n’est pas française. Le reproche le mieux fondé qu’on puisse, selon nous, lui adresser, est d’être une hyperbole, et comme l’a dit Laveaux «quand on a du génie et de l’usage du monde, on ne se sent guère de goût pour les pensées fausses et outrées.»


MATÉREAUX.

Locut. vic. Assemblez vos matéreaux.
Locut. corr. Assemblez vos matériaux.

«Il faut dire matériaux, et non pas matéreaux, 240 comme dit le peuple de Paris....» (Ménage. Observ. sur la langue française) et d’ailleurs.

Des mâtereaux sont des petits mâts ou bouts de mâts.


MATIN.

Locut. vic.   Allez le voir demain au matin.
Il l’a rencontré hier au matin.
Sortez-vous du matin?
 
Locut. corr.   Allez le voir demain matin.
Il l’a rencontré hier matin.
Sortez-vous dès le matin?

Matin s’emploie le plus généralement sans l’article contracté au, après les adverbes demain et hier.

Du matin pour dès le matin est un barbarisme.


MATINAL.

Locut. vic. La campagne n’est vraiment belle que pour l’homme matinal.—Vous êtes bien matineux aujourd’hui.—L’étoile matinale.
Locut. corr. La campagne n’est vraiment belle que pour l’homme matineux.—Vous êtes bien matinal aujourd’hui.—L’étoile matinière.

Matinal signifie: qui se lève de bonne heure par hasard, sans habitude. Matineux au contraire signifie: qui a l’habitude de se lever matin.

Quant à l’adjectif matinier, son usage est à peu près restreint aujourd’hui à la qualification de l’étoile connue sous le nom d’étoile matinière.


241 MÉCHANT.

Locut. vic. Il m’a donné un méchant habit.
Locut. corr. Il m’a donné un mauvais habit.

Au risque d’encourir le reproche de purisme, nous ne pouvons nous empêcher de blâmer ici l’extension de signification donnée à l’adjectif méchant. Ce qui est méchant a de la méchanceté, or, un habit peut-il en avoir? L’usage se déclare en vain pour l’emploi de méchant comme qualificatif de noms de choses; nos bons écrivains nous fournissent en vain de nombreux exemples de cet emploi abusif, notre répugnance reste toujours la même. Nous ne voyons dans méchant qu’un adjectif dont la signification est: qui a de la méchanceté, et non qui n’a pas les qualités requises. Il faut, pour rendre ce dernier sens, se servir de l’adjectif mauvais. Nous pensons donc que méchant ne peut jamais s’appliquer qu’à un nom d’être animé, mais que mauvais peut également convenir aux êtres animés et aux choses. Ces deux adjectifs ont entre eux une différence assez grande. Un écrivain est mauvais quand il écrit mal, il est méchant quand il écrit avec méchanceté.


MÉFIER (SE), DÉFIER (SE).

Locut. vic.   Cet homme est singulier: je m’en défie.
Cet homme est faux: je m’en méfie.
 
Locut. corr.   Cet homme est singulier: je m’en méfie.
Cet homme est faux: je m’en défie.

«Se méfier exprime un sentiment plus faible que se défier. Cet homme ne me paraît pas franc, je m’en méfie; cet autre est un fourbe avéré, je m’en défie. Se méfier marque une disposition passagère et qui pourra 242 cesser; se défier est une disposition habituelle et constante. Il faut se méfier de ceux qu’on ne connaît pas encore, et se défier de ceux par lesquels on a déjà été trompé. Se méfier appartient plus au sentiment dont on est affecté actuellement; se défier tient plus au caractère, etc.» (Dict. de l’Acad. 1802.)


MÉGARD.

Locut. vic. Il a fait cela par mégard.
Locut. corr. Il a fait cela par mégarde.

Mégarde est composé de la particule péjorative et du substantif garde. Ainsi mégarde équivaut à mauvaise garde, c’est-à-dire manque d’attention, comme mécontent équivaut à mal-content, mépriser à priser (estimer) mal, etc.


MEMBRÉ.

Locut. vic. Cet homme est bien membré.
Locut. corr. Cet homme est bien membru.

Selon l’Académie et les meilleurs lexicographes, membru est le seul mot dont on doive se servir pour signifier qui a les membres gros et puissans. Membré est aussi un mot français, mais ce mot appartient exclusivement au jargon frivole, comme dit La Fontaine, connu sous le nom de blason. On dit que les jambes et les cuisses des aigles et d’autres animaux sont membrées quand elles sont d’un émail différent de celui de l’animal.


243 MÊME.

Locut. vic.   Les passions assiègent tous les hommes, les plus sages mêmes.
Vous faites des fautes, dites-vous, les savans même en font.
 
Locut. corr.   Les passions assiègent tous les hommes, les plus sages même.
Vous faites des fautes, dites-vous, les savans mêmes en font.

Même est adverbe dans le premier exemple; il est adjectif dans le second.

«Même, dit Laveaux (Dict. des diff.), est adverbe quand il est employé dans la signification d’aussi, plus, encore, et qu’il peut, sans que le sens de la phrase soit altéré, se transposer, c’est-à-dire être mis indifféremment avant ou après le substantif ou le pronom, en y joignant la conjonction et. On dira donc:

J’enlèverais ma femme à ce temple, à vos bras;
Aux dieux même, à nos dieux, s’ils ne m’exauçaient pas.
(Voltaire, Olympie.)

«Les animaux, les plantes même étaient au nombre des divinités égyptiennes. (De Wailly); sans altérer le sens de la phrase on pourrait dire, j’enlèverais ma femme à ce temple, à vos bras, et même aux Dieux. Les animaux et même les plantes, etc. Dans les libertins, les impies même tremblent à la vue de la mort, il faut écrire même sans s, parce qu’on peut dire sans altérer le sens de la phrase, les libertins et même les impies tremblent à la vue de la mort. Mais dans les impies mêmes tremblent à la vue de la mort, il faut écrire mêmes avec un s, parce qu’on peut dire les 244 impies eux mêmes tremblent à la vue de la mort. Racine a dit:

Ces murs mêmes, seigneur, peuvent avoir des yeux....
Les Grecs mêmes sont las de servir sa colère.

«C’est Hippocrate qui voulut que ses erreurs mêmes fussent des leçons.»

(Barthélemy.)


MÊME CHOSE.

Locut. vic. Je ferai cela la même chose.
Locut. corr. Je ferai cela de même.

Cette expression est fort usitée; elle est cependant passablement ridicule.


MENUSIER.

Locut. vic. C’est un menusier.
Locut. corr. C’est un menuisier.

MERCREDI.

Prononc. vic. Venez mécredi.
Prononc. corr. Venez mercredi.

Du temps de Vaugelas, la cour prononçait et écrivait même mécredi, en dépit d’une des étymologies les moins douteuses qu’il y ait peut-être dans notre langue. L’absurdité venait de haut lieu: elle fut bien accueillie par le public.

Nous ignorons comment la cour prononce aujourd’hui ce mot, et franchement nous ne nous en occupons guère, par la raison que la cour a perdu, entre autres droits, celui de régler le langage; mais nous savons fort bien 245 que la nation prononce généralement mercredi, et cette autorité nous suffit.


MÉTAL, MÉTAIL, MÉTEIL.

Locut. vic.   J’ai acheté un setier de métail.
Ses boutons sont en métail.
 
Locut. corr.   J’ai acheté un setier de méteil.
Ses boutons sont en métal.

Les personnes qui ne connaissent pas bien leur langue confondent ordinairement les trois mots métal, métail et méteil, qui ont cependant des significations différentes.

Un métal est un corps minéral qui se forme dans les entrailles de la terre, et qui est fusible et malléable.

Un métail est une matière composée dans laquelle il entre des métaux.

Du méteil est un mélange de froment et de seigle.

Ces définitions sont celles du Dict. de l’Acad. (1802.)


MEULIÈRE (PIERRE).

Locut. vic. C’est de la pierre meulière, ou molière.
Locut. corr. C’est de la pierre de meulière.

Meulière étant un substantif doit être précédé de la préposition de, qui marque son rapport avec le substantif pierre.


MICHEL-ANGE.

Ceux qui tiennent à prononcer ce nom célèbre comme on le prononce en italien, sauront qu’ils doivent dire Mikel-Ange. Nous ne croyons pas, au reste, qu’on puisse, à l’exemple de certains grammairiens, accuser de prononciation vicieuse les personnes qui disent en français Michel-Ange. Où a-t-on été fourrer le vice? C’est sans 246 doute un devoir de parler purement sa langue; ce n’en est pas un de savoir les langues étrangères.


MIDI.

Locut. vic. Je le verrai demain vers les midi, sur les midi.
Locut. corr. Je le verrai demain vers midi.

«Il n’y a pas, dit fort bien M. Blondin (Manuel, etc.), plusieurs midi, et l’on ne va pas sur les heures comme on va sur l’eau, ou sur la glace.»

Sur le midi est donc aussi une mauvaise expression qu’il vaut mieux remplacer par un équivalent. Après une marche longue et pénible, ils arrivèrent, sur le midi, chez l’ami de Fergus, etc. (Defauconpret, Waverley, ch. XXIV.) Lisez: à midi à peu près.


MIEUX (DES).

Locut. vic. Mon fils a répondu des mieux.
Locut. corr. Mon fils a répondu fort bien.

«Des mieux; expression basse et nullement correcte. Vaugelas ne pouvait la souffrir.» (Féraud, Dict. crit.)


MILLE.

Orth. vic.   Marot est mort en l’an mille cinq cent quarante-quatre.
L’an deux mille deux cent neuf du monde.
Trois mil hommes arrivèrent au secours de la ville.
 
Orth. corr.   Marot est mort en l’an mil cinq cent quarante-quatre.
L’an deux mil deux cent neuf du monde.
Trois mille hommes arrivèrent au secours de la ville.

Tous les grammairiens reconnaissent que le mot mil 247 doit s’écrire ainsi lorsqu’il exprime une date, un millésime. Domergue, suivi par Laveaux, veut cependant que l’on écrive mille lorsque ce mot est multiplié par un autre nom de nombre. Il suit de là que Mercier, qui a intitulé un de ses ouvrages: L’an deux mille quatre cent quarante aurait bien écrit mille en deux syllabes, tandis que notre Béranger, dans sa jolie chanson de la Prédiction de Nostradamus, aurait fait un solécisme:

En l’an deux mil, date qu’on peut débattre, etc.

Selon nous le contraire a lieu. Le solécisme est à Mercier, et la pureté de langage à Béranger, poète correct s’il en fut jamais. Béranger aura probablement été guidé en cette circonstance par cette admirable justesse d’esprit qui l’a toujours distingué, non-seulement des chansonniers, ses prétendus confrères, mais de presque tous les poètes de notre époque, et nous sommes un peu fâché, nous l’avouerons, de voir des grammairiens distingués vaincus dans leur spécialité par un poète. Pourquoi ces grammairiens s’avisent-ils aussi d’être inconséquens?


MINABLE.

Locut. vic. Son ami a l’air bien minable.
Locut. corr. Son ami a l’air bien pauvre.

Nous repoussons ce mot parce que nous ne le croyons réellement digne que d’un langage minable. Nous ne l’avons jamais lu dans un ouvrage bien écrit, ni entendu dans la conversation des gens bien élevés. En vérité notre langue peut bien faire le sacrifice d’un terme de mépris pour la pauvreté; elle en a tant d’autres à sa disposition.


248 MINIME.

Locut. vic. C’est d’un intérêt trop minime.
Locut. corr. C’est d’un intérêt trop petit.

«Minime, très-petit; c’est un superlatif: il ne doit donc pas être employé avec des adverbes de comparaison. Ce droit est en général si minime que, etc. (Necker.) c’est comme si l’on disait si meilleur, si pire, etc.» (Féraud, Dict. crit.)

Dans cette phrase: donnez-moi la minime partie de vos biens, minime est régulièrement employé puisque sa signification est celle de la plus petite.


MINUIT.

Locut. vic. Cela m’arriva vers le minuit, vers les minuit.
Locut. corr. Cela m’arriva vers minuit.

Autrefois on disait la minuit.

Aussi lorsque la nuit étend ses sombres voiles,
Que la lune brillante, au milieu des étoiles
D’une heure pour le moins a passé la minuit.
(Sarrazin.)

Cette expression valait infiniment mieux que les deux premières, en ce qu’elle se rattachait au moins à l’étymologie, et puisqu’on l’a abandonnée, il nous semble assez raisonnable de ne pas lui en substituer une autre qui serait tout-à-fait absurde. Le mot minuit est aujourd’hui employé sans article; il est masculin et singulier: minuit est sonné.


249 MISÉRABLE.

Locut. vic. Avoue tes crimes, misérable.
Locut. corr. Avoue tes crimes, scélérat.

Un misérable signifie en français un coquin, un scélérat, et un homme pauvre. Nous avons cependant un proverbe qui dit: pauvreté n’est pas vice.

Appliquer indifféremment la même épithète aux gens nécessiteux et aux gens criminels est vraiment une infamie dont un peuple généreux comme le peuple français devrait rougir. C’est un manque d’égards pour le malheur qui ne peut être excusé que par un manque absolu de réflexion.


MISSERJAN (POIRE DE).

Locut. vic. Mangez cette poire de Misserjan.
Locut. corr. Mangez cette poire de Messire-Jean.

Messire Jean était probablement quelque hobereau ou quelque curé de campagne qui cultivait avec soin les arbres fruitiers. Des braconniers de l’endroit, suivant, au commencement de l’hiver, la piste de quelque lièvre, pénétrèrent dans l’auguste verger, s’y régalèrent de poires ordinaires, mais que le triple attrait du larcin, du lieu et de la saison leur fit trouver extraordinairement bonnes, et dès-lors Messire Jean aura passé, à son grand détriment, pour avoir des poires sans pareilles, qu’on aura cru, en conséquence, ne pouvoir convenablement désigner que par son nom.


250 MOGNON.

Locut. vic. Il a un mognon.
Locut. corr. Il a un moignon.

De moign, mot qui, en breton, signifie manchot, estropié de la main ou du bras. (Legonidec, Dict. Celto-Breton.)


MOINDREMENT.

Locut. vic. Ne faites pas le moindrement de bruit.
Locut. corr. Ne faites pas le moindre bruit.

Moindrement est un barbarisme.


MOINE.

Prononc. vic. Mo-ène.
Prononc. corr. Mo-ane.

Prononcez de même aigremoine, antimoine, avoine, chanoine, macédoine, patrimoine, péritoine, etc.


MOINS (PAS).

Locut. vic. Il regimbait; pas moins il l’a fait.
Locut. corr. Il regimbait; cependant il l’a fait.

Cette manière de parler est détestable; pas moins ne peut jamais avoir la signification de cependant. Les phrases suivantes indiqueront dans quel sens on doit employer cette locution. Il ne faut pas moins qu’une raison aussi forte pour me déterminer à..... Cela n’a pas moins de trente pieds.


251 MOIRON, MORON.

Locut. vic. Voici du moiron, du moron pour vos oiseaux.
Locut. corr. Voici du mouron pour vos oiseaux.

Moron se disait encore du temps de Ménage.


MON, TON, SON, MA, TA, SA, ETC.

Locut. vic. La jeune Marie a mal à ses dents.
Locut. corr. La jeune Marie a mal aux dents.

Quand on dit: La jeune Marie a mal aux dents, est-il quelqu’un d’assez peu intelligent pour croire qu’il soit ici question du mal de dents d’une autre personne que la jeune Marie? Non, car cela serait absurde, et l’absurde ne se suppose pas. Supprimez donc dans tous les cas semblables, l’adjectif possessif qui forme pléonasme, et remplacez-le par l’article. Il a ses mains tout écorchées, j’ai une douleur à mon pied droit, mon bras gauche me fait mal, dites: il a les mains tout écorchées, j’ai une douleur au pied droit, le bras gauche me fait mal.


MONDE.

Locut. vic. Tout le monde disent qu’il est parti.
Locut. corr. Tout le monde dit qu’il est parti.

Les collectifs généraux veulent le singulier, les collectifs partitifs le pluriel. La foule disparut. La plupart voulurent sortir.

Les collectifs généraux veulent le singulier, parce que l’esprit, en les énonçant, fait abstraction complète du nombre de personnes ou de choses qui les composent, et ne voit plus en eux qu’une masse, qu’une unité.

Les collectifs partitifs veulent le pluriel, parce qu’ils 252 représentent évidemment plusieurs objets qu’on ne compte pas, il est vrai, par paresse peut-être, mais qu’on peut au moins compter, et qui conservent ainsi entièrement leur caractère de pluralité.


MONNOYAGE, MONNOIE, MONNOYER, MONNOYEUR.

Locut. vic. Le monnoyage est un privilège.
Locut. corr. Le monnayage est un privilège.

Depuis que l’ancienne prononciation de la diphthongue oi a été altérée dans monnoie, qu’on écrit maintenant monnaie, et que l’orthographe de Voltaire est venue consacrer cette altération, on sent combien il serait ridicule d’écrire et de prononcer les dérivés de monnaie par un o, lorsque ce mot s’écrit par un a.


MONTAIGNE.

Prononc. vic. Montagne est un de nos grands écrivains.
Prononc. corr. Montaigne est un de nos grands écrivains.

Les meilleurs éditeurs de Montaigne, MM. Villemain, Am. Duval et Leclerc écrivent Montaigne et non Montagne, comme affectent de le faire certaines personnes qui prétendent à tort, nous le croyons, soumettre un nom propre à l’altération qu’a éprouvée ce nom comme nom commun, et qui veulent conséquemment qu’on écrive aujourd’hui Montagne au lieu de Montaigne, par suite du retranchement de l’i dans les mots autrefois terminés en aigne, comme campaigne, compaigne, etc., et qu’on a changés en campagne, compagne, etc.

Si ce sentiment était adopté il faudrait donc, par analogie, dire Lemaître au lieu de Lemaistre, Prévôt 253 au lieu de Prévost, et remplacer les noms propres formés de mots qui ont disparu de la langue, par les mots qu’on y a substitués. On dirait donc Renard au lieu de Goupil, La Vallée au lieu de La Combe, Château au lieu de Castel. Cela serait absurde. Écrivez et prononcez toujours Montaigne, nom propre, quoique le nom commun montagne s’écrive depuis fort long-temps sans i.


MONTER.

Locut. vic.   Je suis monté deux fois chez vous aujourd’hui.
J’ai monté ici pour vous parler.
 
Locut. corr.   J’ai monté deux fois chez vous aujourd’hui.
Je suis monté ici pour vous parler.

«Si l’on veut exprimer l’action de monter, il faut employer l’auxiliaire avoir. Il a monté quatre fois à sa chambre pendant la journée; il a monté pendant trois heures au haut de la montagne; il a monté les degrés; la rivière a monté de six pouces depuis hier. Si, au contraire, on veut exprimer l’état qui résulte de l’action de monter, il faut employer l’auxiliaire être. Il est monté dans sa chambre il n’y a qu’une heure. Votre père est-il monté dans sa chambre? Oui, il y est monté. A quelle heure y a-t-il monté? c’est-à-dire a-t-il fait l’action d’y monter? Il y a monté à huit heures.

«Le vers suivant de Voltaire offre un exemple contraire à cette règle:

J’ai sauvé cet empire en arrivant au trône;
J’en descendrai du moins comme j’y suis monté.

«Mais je soutiens que, sans le mauvais son de j’y ai, Voltaire aurait dit, j’y ai monté. C’est une licence 254 qu’un usage abusif autorise, mais qui ne doit point tirer à conséquence.» (Laveaux, Dict. des diff.)


MONTER AU GRENIER.

Locut. vic. Il est monté au grenier.
Locut. corr. Il est allé au grenier.

Monter au grenier est un pléonasme comme descendre à la cave. Aller peut, nous le pensons, remplacer avec avantage dans ces locutions les verbes monter et descendre.


MONTER EN HAUT.

Locut. vic. Montez en haut.
Locut. corr. Allez en haut.

Les expressions monter en haut, descendre en bas présentent des pléonasmes si ridicules qu’il est très rare de les trouver employées par d’autres personnes que celles qui n’ont aucune idée de grammaire. Aussi avons-nous été fort étonné à la lecture du vers suivant de Furetière, qui, par parenthèse, n’est généralement connu que comme grammairien, et à qui nous devons un assez grand nombre d’épigrammes fort bonnes:

C’est céans, approchez, venez, montez en haut.
(Les Marchands, sat. I.)

On trouve aussi dans Villon:

Affin d’avoir provision
De l’escot, l’hoste monte en hault.
(Repues franches, § v.)

255 Et dans Coquillart:

Mais montez en hault tout droit
Et vous en allez au grenier.
(Monologue de la Botte de foing.)

Ces exemples ne tirent nullement à conséquence; on ne prouve rien contre la raison.


MONTRER.

Locut. vic. Montrez-lui le latin.
Locut. corr. Enseignez-lui le latin.

Bobêche disait un jour qu’on peut ne savoir ni lire ni écrire, être enfin un âne renforcé, et toutefois montrer parfaitement bien sa langue. Ce jeu de mots a eu du succès, et il le méritait, parce qu’il frappait de ridicule une mauvaise expression que l’Académie a cru devoir accueillir dans son Dictionnaire, et qu’elle n’a pas pour cela rendue meilleure. N’est-ce pas quelque chose d’assez plaisant que de voir Bobêche montrer sa langue à l’Académie?


MORIGINER.

Locut. vic. On le moriginera.
Locut. corr. On le morigénera.

De morigerari fait de morem gero. (De Roquefort, Dict. étym.)


MOT.

Locut. vic. Il m’a écrit un mot de lettre.
Locut. corr. Il m’a écrit un bout de lettre.

Les gens qui aiment à s’exprimer avec justesse préfèreront 256 toujours employer un autre terme que celui de mot de lettre. Pourquoi ne dirait-on pas: Je lui ai écrit quelques lignes, un bout de lettre, un billet? Est-il absolument nécessaire d’avoir recours à l’hyperbole, «ressource, comme le dit M. Laveaux, des petits esprits qui écrivent pour le bas peuple?»

On trouve dans Furetière:

Et son chagrin ne put permettre
Qu’il lût un petit mot de lettre
Qu’entre ses mains j’avais remis.
(Épîtres.)

Les beaux parleurs disent un mote; les gens instruits, qui sont rarement de beaux parleurs, disent un mo.


MOUCHER.

Locut. vic. Il mouche fort peu.
Locut. corr. Il se mouche fort peu.

Je mouche souvent, disait un habitant du midi à un grammairien. Qui ou quoi? répondit celui-ci, vos enfans ou vos chandelles?

Ce verbe ne peut jamais être employé dans un sens neutre; il doit toujours être actif comme moucher la chandelle, moucher un enfant, ou réfléchi, comme se moucher.

Gresset a fait un solécisme dans le vers suivant:

Après avoir toussé, mouché, craché.

MOUROIR.

Locut. vic. Votre ami est au mouroir.
Locut. corr. Votre ami est à la mort.

Être au mouroir est un provincialisme assez en usage 257 dans l’ouest de la France. Boiste a accueilli ce mot auquel il a donné la signification de lit de mort, en ajoutant avec raison qu’il est inusité..... à Paris, bien entendu.


MOUSSEUX.

Locut. vic. Cet arbre est mousseux.
Locut. corr. Cet arbre est moussu.

L’adjectif de mousse, signifiant une espèce de petite herbe, est moussu; l’adjectif de mousse, signifiant écume est mousseux. Dans notre phrase d’exemple, c’est donc évidemment moussu qu’il faut; c’était moussu qu’il fallait aussi dans le vers suivant:

Une grotte mousseuse, un côteau verdoyant.
(Roucher, les Mois, ch. VII.)

MOYENNANT QUE.

Locut. vic. J’y consens, moyennant que vous partiez.
Locut. corr. J’y consens, à condition que vous partiez.

Moyennant est une préposition qui ne doit jamais être suivie de la conjonction que.

On trouve moyennant que dans La Fontaine:

Amenez-la, courez; je vous promets
D’oublier tout, moyennant qu’elle vienne.
(Contes, liv. II, ch. 1.)

C’est une vieille expression tout-à-fait inusitée aujourd’hui.


258 MULATRE.

Locut. vic.   Une femme mulâtresse.
Une mulâtre.
 
Locut. corr.   Une femme mulâtre.
Une mulâtresse.

L’Académie ne donne pas le substantif mulâtresse, et c’est à tort. On ne peut pas plus dire une mulâtre qu’on ne dit une nègre. Mulâtre ne s’emploie que comme adjectif.

M. Marle ne reconnaît pas dans mulâtresse un mot français. Quelques dictionnaires récens n’ont cependant pas dédaigné de l’accueillir.


NACRE.

Locut. vic. C’est du nacre.
Locut. corr. C’est de la nacre.

Si les mots étaient fidèles à leurs étymologies, nacre devrait être masculin. Nácar, d’où il vient, est masculin en espagnol.

Nacre et polacre sont les deux seuls mots de cette désinence qui soient féminins.


NATAL.

Locut. vic. Je vous revois, ô lieux nataux!
Locut. corr. Je vous revois, ô lieux natals!

L’adjectif natal a été mutilé par nos grammairiens. Les uns, tels que Andry de Boisregard (Réflexions sur l’usage présent de la langue française), etc., n’ont pas voulu lui accorder de féminin singulier ou pluriel; d’autres, 259 au nombre desquels figurent l’Académie, Féraud, Gattel, etc., lui refusent un pluriel masculin. De sorte que ce pauvre adjectif se trouve réduit à sa plus simple expression, à son masculin singulier.

Cependant l’usage ne s’est pas rendu complice de ce purisme ridicule qui tend à appauvrir notre langue. Il a donné un féminin des deux nombres à natal, comme on pourrait le prouver par un grand nombre d’exemples. Quant au pluriel, il lui en a donné un double, et il nous reste à décider aujourd’hui si l’on doit préférer natals à nataux ou nataux à natals.

On trouve nataux dans Amyot: «Il révérait fort Socrate et Platon, desquels tous les ans il célébrait les jours nataux.» Dans le Dict. de Trévoux: «Pour jouir du droit de bourgeoisie dans une ville, il faut y avoir maison, et s’y trouver aux quatre nataux, (Noël, Pâques, la Pentecôte et la Toussaint) dont on prend attestation.» Cependant comme nataux est un peu dur à l’oreille, nous pensons qu’il vaudrait peut-être mieux préférer natals, qui a été adopté par Laveaux, et qui a, comme nataux, l’analogie en sa faveur, mais, convenons-en, une analogie un peu plus restreinte. Qui ne connaît ces vers célèbres:

Al est un singulier dont le pluriel fait aux.
On dit c’est mon égal, et ce sont mes égaux.
(Boursault, Le Mercure Galant, act. IV, sc. VII.)

NATURE.

Locut. vic. Connaissez-vous rien de plus nature que cela?
Locut. corr. Connaissez-vous rien de plus naturel que cela?

Cette manière de parler est maintenant à la mode. On ne doit cependant pas s’attendre à en trouver des exemples 260 dans nos bons auteurs. La mode partout, mais particulièrement en fait de langage, n’est qu’une absurdité, et n’influence que les sots.

Nous croyons qu’il serait fort difficile aux gens qui emploient nature comme adjectif, à la place de naturel, de nous démontrer les avantages que le style peut retirer de cette transposition de mots.


NAYER.

Prononc. vic. Il s’est nayé.
Prononc. corr. Il s’est noyé.

Du temps de Rabelais, (16e siècle), on disait noyer; du temps de Ménage (17e siècle) néïer, et maintenant, quand on parle bien, on dit noyer. Les mots ont aussi, comme on le voit, leurs vicissitudes.


NÉAMOINS.

Locut. vic. Néamoins je l’ai vu.
Locut. corr. Néanmoins je l’ai vu.

Néanmoins est une corruption de néant moins, c’est-à-dire, rien moins. Ce mot a précisément la valeur qu’on attribue à la mauvaise locution pas moins dans cette phrase: pas moins, je l’ai vu.


NÈFE.

Locut. vic. Aimez-vous les nèfes?
Locut. corr. Aimez-vous les nèfles?

On dit aussi un néflier et non un néfier.


261 NÈGRE, NOIR.

Locut. vic. Le traité conclu entre vous nègres et nous blancs.
Locut. corr. Le traité conclu entre vous noirs et nous blancs.

Il existe entre ces deux mots une différence généralement ignorée en Europe, mais que les colons, et surtout les hommes de couleur noire, connaissent parfaitement bien. Cette différence consiste en ce que noir est regardé par les derniers comme un nom générique, un mot pris en bonne part, tandis que nègre ne leur paraît être qu’un terme de mépris. «Vous opposez les noirs aux blancs, dit Roubaud, et des Nègres vous en faites une espèce de bétail.» Quelle peut être la cause de cette différence de valeur donnée aux mots nègre et noir par la race d’hommes qu’ils servent à désigner? Essayons de la trouver.

Ces hommes, voyant que nous avons deux expressions pour les nommer, et ne concevant guère la nécessité de ce luxe, ne se seraient-ils pas dit: Le mot blanc a pour opposé le mot noir; or, puisque l’épithète de blanc ne fâche nullement celui à qui elle s’applique, pourquoi celle de noir nous déplairait-elle? Mais le mot nègre à quel nom applicable aux blancs correspond-il? A aucun. Donc le mot nègre est une injure. On conviendra qu’il est encore une autre raison qui a fort bien pu contribuer à leur faire adopter cette opinion sur le mot nègre, c’est l’emploi que nous en faisons généralement dans les momens de colère, en l’accolant à des qualificatifs peu flatteurs, comme dans ces locutions: vilain nègre, chien de nègre, etc. Nègre a de plus des diminutifs, tels que négrillon, négritte, qui sonnent fort mal à leurs oreilles.

Le blanc, qui voudra donc se tenir à l’égard des enfans 262 de l’Afrique dans les termes d’une bienveillance réciproque, fera bien de ne pas oublier la synonymie que nous venons d’établir. Les noirs ont, comme on le sait, le caractère vindicatif, et il est probable que l’ignorance de la valeur exacte du mot nègre aura déjà été plus d’une fois cruellement punie par eux.


NÉ NATIF.

Locut. vic. Je suis né natif de Paris.
Locut. corr. Je suis natif de Paris.

Cette expression battologique, qui était autrefois employée au sérieux, ne se prend plus maintenant qu’en plaisanterie.


NENTILLE.

Locut. vic. Il mangea un peu de nentilles.
Locut. corr. Il mangea un peu de lentilles.

C’est maintenant une faute si grossière de dire nentille pour lentille, que, malgré la mention accordée à ce mot par le Dictionnaire de Trévoux, nous n’aurions pas daigné nous y arrêter, sans le rapprochement assez curieux qu’il nous a donné lieu de faire entre le français du 17e siècle et celui de nos jours.

Du temps de Ménage, celui qui aurait dit des lentilles eût passé pour un provincial ignorant. Il fallait prononcer nentilles pour être réputé homme de cour. Il ne convenait aussi qu’aux rustres de cette époque de dire: un canif, de la cassonade, un fusilier, un chirurgien, une tabatière, etc., au lieu d’un ganif, de la castonade, un fuselier, un cirurgien, une tabakière, etc. Les gens du 263 bel air d’autrefois courraient grand risque, comme on le voit, de passer aujourd’hui pour des rustres.

Lentille vient de lenticula, diminutif de lens.


NETTAYER.

Pronon. vic. On a nettayé l’appartement.
Pronon. corr. On a nettoyé l’appartement.

Les anciens grammairiens voulaient qu’on écrivît et qu’on prononçât nettéier. Les grammairiens modernes veulent qu’on écrive et qu’on prononce nettoyer.


NINE.

Locut. vic. C’est une rose nine.
Locut. corr. C’est une rose naine.

Règle générale. Le féminin des adjectifs terminés par une consonne se forme en ajoutant un e muet au masculin: nain doit donc faire naine.


NOËL.

Locut. vic. Il vint me voir à la noël.
Locut. corr. Il vint me voir à noël.

On ne dit pas la Noël comme on dit la Pentecôte, la Toussaint. On trouve toujours Noël sans article dans nos bons écrivains anciens et modernes. Ce mot ne désignait pas exclusivement autrefois la fête de la naissance du Christ; c’était un cri qui servait à exprimer publiquement la joie le jour de la naissance des princes et de l’entrée des rois dans les villes.

264
Ce jour vint le Roy à Vernueil,
Où il fut reçu à grand joie
Du peuple joyeux à merveil,
Et criant Noël par la voye.
(Martial de Paris.)

«Il est certain que, l’an 1631, époque de sa mort, la rivière arrêta son cours la veille de la Noël, ce qui, dit-on, présage immanquablement la mort des rois de Suède.» (Mémoires de Christine, t. I.)

Il fallait: la veille de Noël.


NOGAT.

Locut. vic. Comment trouvez-vous ce nogat blanc?
Locut. corr. Comment trouvez-vous ce nougat blanc?

Si l’on en croit le méridional abbé Féraud, nougat est un mot du patois provençal. Ce sont les beaux parleurs d’Aix ou de Marseille qui ont créé nogat, et ont prétendu nous le donner pour un mot français. Voyez la présomption! Faites du patois, Messieurs du pays d’Oc; c’est à nous, gens du pays d’Oil, qu’il appartient de faire du français. Et avec votre patois encore, quand cela nous plaît.

«Du noga, composé avec des noisettes, des pignons de pin, des pistaches et du miel de Narbonne.» (Bérenger, Soirées provençales.)

Lisez nougat.


NONANTE voyez SEPTANTE.


265 NOUVEAU.

Pourquoi un auteur se croit-il toujours obligé d’ajouter l’épithète de nouveau à l’ouvrage qu’il publie sur un sujet déjà traité, soit par lui, soit par un autre? Le lecteur, en faisant le rapprochement de la date du livre avec le moment où il lit ce livre, ne voit-il pas tout de suite s’il est réellement nouveau? et s’il ne l’est pas, croit-on que le titre puisse lui en imposer? Que nous fait aujourd’hui que Bouhours ait intitulé un volume de remarques sur la langue: Nouvelles remarques, etc. Le millésime du livre est l’acte de naissance qui dépose de l’âge de ce ci-devant jeune homme qui, avec son siècle et demi d’existence, ose afficher la prétention d’être toujours jeune. Il y a donc ici ridicule, mais il y a au moins bonne foi. En est-il de même des œuvres de musique qui ne portent jamais de date (ce dont on peut avoir quelque sujet de s’étonner) et qui se parent si souvent du titre de nouveaux? Que dites-vous, par exemple, d’une sonate nouvelle de Rameau? Supposez un homme qui ne connaisse pas ce célèbre musicien, et vous le verrez acheter, sur la foi d’un titre trompeur, du vieux pour du neuf. N’y a-t-il pas là évidemment du charlatanisme?


NOYAU.

Prononc. vic. No-iau.
Prononc. corr. Noi-iau.

NOYÉ.

Locut. vic. Secours aux noyés.
Locut. corr. Secours aux noyans.

«Secours aux noyés est une expression reçue, mais 266 une expression vicieuse. En effet, un noyé est un homme mort dans l’eau, un cadavre; et certes les secours ne sont pas pour les cadavres. On aurait dû dire: secours aux noyans, comme on dit: secours aux mourans. Secours aux noyés est aussi absurde que le serait secours aux morts.» (Marle, Précis d’Orthologie.)


NU.

Orth. vic.   On l’a trouvé nue tête et nus pieds.
Il a ce bien en nue propriété.
 
Orth. corr.   On l’a trouvé nu-tête et nu-pieds.
Il a ce bien en nu-propriété.

L’adjectif nu est variable pour le substantif qui le précède, et invariable pour celui qui le suit.

Nu doit toujours être joint par un trait d’union au substantif devant lequel il est placé.


NUMÉRO.

Locut. vic. Paris, 97, rue Richelieu.
Locut. corr. Paris, rue Richelieu, no 97.

Imiter, et même imiter fort bien ce qui est fort bon, n’est pas faire œuvre de génie; mais imiter ce qui est mauvais, c’est assurément faire œuvre de sot, et c’est précisément cette œuvre de sot que nous faisons, lorsque nous énonçons dans une adresse, à la manière des Anglais, d’abord le nom de la ville, puis le numéro de la maison, et enfin le nom de la rue. Il nous a toujours paru plus logique (et, malgré la mode, nous conservons aujourd’hui la même opinion) de commencer par désigner la ville, ensuite la rue, et en dernier lieu le numéro, parce que c’est réellement dans cet ordre que se 267 trouve l’importance relative de ces indications. Bien certainement, lorsqu’il s’agit de trouver quelqu’un, la première chose à savoir, c’est le lieu qu’il habite; la seconde, le nom de la rue où il demeure, et le numéro de la maison est d’une importance si petite, qu’on parviendrait souvent, sans le connaître, au but de ses recherches.

La mode peut être bonne pour les habillemens, et encore seulement pour les habillemens de femmes, mais de grâce gardons-nous bien de la laisser se mêler de notre langue qui a déjà bien assez de caprices sans cela.—Numéro doit prendre un s au pluriel. C’est là le sentiment de l’Académie.


OASIS.

Locut. vic. Nous trouvâmes enfin un oasis.
Locut. corr. Nous trouvâmes enfin une oasis.

Les Dictionnaires qui donnent le mot oasis (et celui de l’Académie de 1802 n’est pas de ce nombre) le font féminin. Cela devait être, d’après l’étymologie arabe. Oasis est aussi féminin en latin: oasis magna, oasis parva. (Dict. géogr. de Vosgien.)

On lit dans Malte-Brun (Traité élémentaire de géogr. t. II, p. 232): «Au milieu de ces mers de sable, apparaissent çà et là, comme des îles, ces verdoyantes oasis, qui offrent au milieu de la plus fatigante stérilité, le contraste consolant de quelques terrains doués de la fertilité la plus riche.»

M. V. Jacquemont (Corresp. sur l’Inde, t. I.) l’a cru masculin: «Nous sommes descendus à l’entrée d’un oasis délicieux.» Il fallait une oasis délicieuse.


268 OBÉI.

Locut. vic. Ces lois ne sont pas obéies.
Locut. corr. Ces lois ne sont pas observées.

Obéir, quoique verbe neutre, peut être employé passivement, mais seulement lorsqu’il est question de personnes:

Vous êtes obéie,
Vous n’avez plus, Madame, à craindre pour sa vie.
(Racine. Bajazet. Act. III, sc. IV.)

Nous ne croyons pas qu’on trouve dans un bon auteur aucun exemple d’obéi qualifiant un nom de chose. C’est déjà une assez bizarre exception que ce participe puisse qualifier un nom de personne, car obéir est peut-être le seul verbe neutre qui ait un passif.


OBSERVER.

Locut. vic. Je vous observerai qu’il est trop tard.
Locut. corr. Je vous ferai observer qu’il est trop tard.

«On ne trouvera dans aucun bon écrivain, dit M. Ch. Nodier (Examen crit. des Dict.), ce verbe observer avec l’acception que je lui trouve maintenant partout: je vous observe, pour je vous fais remarquer. On observe une chose, on fait observer une chose; mais on n’observe pas une chose à quelqu’un: règle que je ne ferais pas observer, si on l’observait un peu mieux.»

Nous lisons dans M. Guizot (Tr. de Gibbon), «Mais Lucilien... eut l’indiscrétion d’observer à Julien, etc.»

Voici une anecdote sur Domergue qui fera voir combien le solécisme que nous signalons dans cet article paraissait intolérable à ce grammairien. «Un abcès dans 269 la gorge le suffoquait et le retenait au lit. Son médecin s’approche en lui disant: Si vous ne prenez point ce que je vous ordonne, je vous observe que....—Ah! misérable! s’écrie le moribond, transporté d’une sainte colère, n’est-ce pas assez de m’empoisonner par tes remèdes? Faut-il encore qu’à mon dernier moment tu viennes m’assassiner par tes solécismes? Va-t-en!..... à ces mots, prononcés avec impétuosité, l’abcès crève, la gorge se débarrasse, et, grâce au solécisme, le grammairien est rendu à la vie.» (M. Ballin, Manuel des amat. de la langue française.)


OBSTINER.

Locut. vic. Ne m’obstinez pas ce fait-là.
Locut. corr. Ne me soutenez pas ce fait-là.

Obstiner ne s’emploie plus dans le sens de soutenir ni même de contrarier. Ce verbe prend toujours la forme pronominale: il s’obstine à rimer. Cette phrase du grammairien Furetière: «il m’a obstiné que cette nouvelle était vraie» (Dict. univ.), prononcée dans un salon du beau monde, donnerait certainement aujourd’hui, sous le rapport de l’instruction, la plus mince idée de la personne qui ferait un tel emploi du verbe obstiner.

Le Dictionnaire de l’Académie donne cependant obstiner comme verbe actif simple, mais il le désigne comme familier. C’est lui faire encore trop d’honneur. Cette expression n’appartient plus à notre langue.


OCTANTE (voyez SEPTANTE).


270 ŒUVRE.

Locut. vic. Vous avez fait un œuvre méritoire.
Locut. corr. Vous avez fait une œuvre méritoire.

Œuvre, dans la signification d’action, de production de l’esprit, de banc des marguilliers à l’église, est féminin.

Dans le sens d’ouvrages d’un musicien, d’un graveur, de pierre philosophale (le grand œuvre), il est masculin.

Nos poètes ont souvent donné au mot œuvre, signifiant ouvrage de l’esprit, le genre masculin. C’est une licence.

Sans cela toute fable est un œuvre imparfait.
(Lafontaine, fab. II, liv. 12.)

OFFICE.

Locut. vic. La cuisine est grande, mais l’office est petit.
Locut. corr. La cuisine est grande, mais l’office est petite.

Office est féminin quand il signifie 1o le lieu où l’on prépare tout ce qu’on sert sur la table pour le dessert; 2o les domestiques qui mangent dans ce lieu; 3o l’art de faire, de préparer le dessert. Dans ses autres acceptions il est masculin.


OMBRAGEUX.

Locut. vic. Voyez ce sentier ombrageux.
Locut. corr. Voyez ce sentier ombreux.

Lorsque le mot ombrage signifie défiance, soupçon, son adjectif est ombrageux: «Pygmalion était ombrageux 271 jusque dans les moindres choses» (Fénelon, Tél.); lorsqu’il signifie amas de branches, de feuilles qui donnent de l’ombre, l’adjectif ombreux vient prendre la place d’ombrageux.

Et souvent, des deux bords de nos vallons ombreux,
Ces lits contemporains se répondent entre eux.
(Delille. Trois Règnes. Ch. IV).

OMBRELLE.

Locut. vic. Mon ombrelle est tout neuf.
Locut. corr. Mon ombrelle est toute neuve.

Ombrelle a été autrefois masculin: «Les ombrelles, de quoy, depuis les anciens Romains, l’Italie se sert, chargent plus les bras qu’ils ne deschargent la teste.» (Montaigne, Ess. liv. 3, ch. 9.) Ce mot est aujourd’hui féminin, conformément à son étymologie latine.


OMNIBUS.

Locut. vic. cette omnibus conduit-elle?
Locut. corr. cet omnibus conduit-il?

«Ce nouveau substantif, dit M. Girault-Duvivier (Grammaire des Gramm.), sur le genre duquel on n’est pas encore fixé, nous semble devoir être du masculin, comme le sont en général les mots qui, dérivant du latin, sont masculins ou neutres. Les personnes qui font le mot omnibus féminin invoquent l’ellipse du substantif voiture; mais ce motif suffit-il pour écarter celui que nous donnons? On peut avoir dans l’esprit le mot carrosse aussi bien que le mot voiture


272 ONDAIN.

Locut. vic. Ce faucheur a fait quatre ondains.
Locut. corr. Ce faucheur a fait quatre andains.

Un andain est une rangée de foin, formée successivement avec la faux, et qu’on n’a pas encore remuée avec la fourche.

Les ondins sont les génies qui habitent les ondes, mythologiquement parlant, bien entendu.

Les étymologistes font venir andain du verbe italien andare, aller, marcher.

Des amateurs de pittoresque croient fort possible que l’expression correcte soit ondain, parce que, disent-ils, les courbes que dessine l’herbe tombant sous le tranchant de la faux, ressemblent assez aux cercles d’une onde agitée.


ONGLE.

Locut. vic. Vos ongles sont trop longues.
Locut. corr. Vos ongles sont trop longs.

Ce substantif est masculin, malgré ce vers de La Fontaine:

Elle sent son ongle maligne.
(Fab. Liv. VI, f. XV).

et malgré Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.) qui écrit: ongles fleuries.


ONZE.

Prononc. vic. Il était tonze heures.
Prononc. corr. Il étai onze heures.

L’usage, fixé par l’Académie et nos meilleurs grammairiens, 273 est décidément aujourd’hui en faveur de l’aspiration de l’o dans les mots onze et onzième.


OPUSCULE.

Locut. vic. Cette opuscule est intéressante.
Locut. corr. Cet opuscule est intéressant.

Il y a deux siècles, l’usage voulait que ce mot fût féminin; aujourd’hui il le veut masculin. È sempre bene, à cette petite différence près cependant, que l’usage d’autrefois ne reposait que sur le caprice, et que celui d’aujourd’hui peut se fonder sur l’étymologie.


ORANG-OUTANG.

Prononc. vic. C’est un horan-outang.
Prononc. corr. C’est un noran-goutang.

Buffon (Tome XVIII, édit. 1832), dit toujours l’orang-outang, cet orang-outang, etc. «On pourrait regarder l’orang-outang comme le premier des singes, ou le dernier des hommes.»

Orang-outang est un mot malais qui signifie homme sauvage.


ORANGE (FLEUR D’)

Locut. vic.   Un bouquet de fleur d’orange.
Boire de l’eau de fleur d’orange.
 
Locut. corr.   Un bouquet de fleurs d’oranger.
Boire de l’eau de fleur d’oranger.

Dit-on une fleur de pomme, une fleur de prune, une fleur de cerise? non, car ce sont les pommiers, les pruniers, 274 les cerisiers, qui ont des fleurs, et non les pommes, les prunes, les cerises. L’analogie veut donc que l’on dise une fleur d’oranger, et comme un bouquet est évidemment composé de plusieurs fleurs, nous ajoutons un s au mot fleur dans cette locution: un bouquet de fleurs d’oranger, où l’on fait communément deux fautes, en mettant 1o fleur au singulier, et 2o orange pour oranger. Cette dernière faute se trouve dans le Dict. de l’Académie (1802).—Quant à la liqueur nommée eau de fleur d’orange, on voit qu’il faut aussi écrire eau de fleur d’oranger, puisque cette liqueur est faite avec la fleur de l’oranger, et non avec l’orange. L’Académie dit de l’eau de fleur d’orange, et nous sommes surpris que cette incorrection de langage ait échappé au minutieux et caustique investigateur des erreurs de son Dictionnaire.


ORGE.

Locut. vic. De l’orge nu, perlé, mondé.
Locut. corr. De l’orge nue, perlée, mondée.

L’orge sur pied est du genre féminin, disent les grammaires, voilà de belles orges; l’orge en grains est du genre masculin: Cet orge est beau. Le commerce (dans son almanach du moins), ne se soumet pas à cette distinction, et écrit orge perlée, mondée, etc. Nous l’en félicitons, dans l’intérêt de notre langue, à laquelle on rend certainement un plus grand service en effaçant une exception qu’en la créant.

«On faisait autrefois le mot orge masculin, dit Laveaux (Dict. des diff.); il a plu à l’Académie de le faire féminin, et on l’a fait féminin: de l’orge bien levée, de belles orges. Cependant il est resté masculin dans ces deux phrases: de l’orge mondé, de l’orge perlé. 275 L’Académie aurait pu, et peut-être dû le faire féminin dans ces deux expressions.»

Domergue voulait que le mot orge fût, d’après son étymologie (hordeum), toujours masculin.


ORGUE.

Locut. vic. Voici une belle orgue.
Locut. corr. Voici un bel orgue.

Orgue, d’après son étymologie (organum), doit être masculin, puisque le neutre manque à notre langue.

On lit dans nos grammaires (celles de Wailly, de Sicard, de Noël et Chapsal, de Girault-Duvivier, etc.): «Orgue est masculin au singulier, et féminin au pluriel.»

De sorte que, dans cette phrase: «Nous avons deux orgues expressifs de lui (M. Muller) à l’exposition, et les personnes qui ont entendu celui d’Erard ne trouvent ceux de M. Muller inférieurs en aucune partie» (National, 26 juin 1834); dans cette phrase, disons-nous, il eût fallu, selon la grammaire (la Grammaire scolastique, il est vrai), employer tour à tour le féminin et le masculin, et dire successivement: Deux orgues expressives, celui, celles, en parlant du même instrument. Quel galimathias! Le National avait une option à faire entre la routine et le bon sens: le National s’est déclaré pour le bon sens.


ORTHOGRAPHER.

Locut. vic. Ce mot est mal orthographé.
Locut. corr. Ce mot est mal orthographié.

«Un jour qu’on devait jouer l’Idoménée de Le Mierre, mademoiselle Clairon s’aperçoit que les affiches indiquent 276 Ydoménée avec un Y; fort en colère, elle mande aussitôt l’imprimeur à l’assemblée de la Comédie, et le tance vertement. Celui-ci rejette la faute sur le semainier, dont il assure que la copie porte un Y.—Impossible! dit l’actrice superbe, car il n’y a point de comédien qui ne sache parfaitement ortographer.—Pardon, mademoiselle, reprend l’imprimeur avec un malin sourire, mais il me semble qu’il faut dire orthographier.» (Glossaire génevois.)


OU (LA).

Locut. vic. C’est là où je l’ai vu.
Locut. corr. C’est là que je l’ai vu.

Quand l’adverbe de lieu est précédé de la locution c’est, il faut le faire suivre de que; c’est là que je l’ai vu. Mais quand il n’en est pas précédé, il faut . Je l’ai vu là où vous êtes.

«Là où, dit M. Girault-Duvivier (Grammaire des Gram.), signifiant dans cet endroit (et précédé de l’expression c’est, aurait-il dû ajouter), est unanimement réprouvé. On dit: c’est là que je demeure, et non, c’est là où je demeure, c’est là que je veux aller, et non, c’est là où je veux aller. La raison en est qu’il y aurait deux adverbes où le verbe ne demande qu’une seule modification.»


OUBLI.

Locut. vic. Voulez-vous manger un oubli?
Locut. corr. Voulez-vous manger une oublie?

Les oublies sont cette sorte de pâtisserie mince, croustillante et de figure conique, que les enfans aiment tant.

277 On disait en vieux français des oublées, et ce mot était aussi féminin.

A grant plenté i ont trovées
Oublées bien envelopées
Dedenz une blanche toaille.
(Roman du Renard. V. 3087.)

OUEST.

Il y a en France deux prononciations bien distinctes des mots ouest, est et sud. L’une est la prononciation générale, que nous ne peindrons pas, parce qu’elle est assez connue; l’autre est la prononciation exceptionnelle en usage parmi les marins, et qui, dans certains noms composés des rumbs de vent, et seulement dans ces noms composés, change ouest en oua, est en et et sud en sur, comme nord-ouest, sud-est, sud-ouest, nord-est qui se prononcent noroua, sué, suroua, nordé. Nous ne pouvons certainement pas engager nos compatriotes à adopter une prononciation tout-à-fait hétéroclite, et nous sommes même loin d’y songer, mais comme il faut hurler avec les loups, les loups de mer bien entendu, nous croyons que toute personne qui sera appelée à exercer quelque autorité sur nos marins, fera fort bien de ne pas trop dédaigner leur manière de prononcer les noms des vents. Il faut songer que si leur prononciation excite de notre part le rire moqueur, la nôtre produit sur eux le même effet; la raison est, il est vrai, pour nous, mais le matelot qui prononce mal, croit aussi l’avoir pour lui, et un nord-ouest prononcé devant lui avec pureté, aura bien certainement pour effet infaillible de lui faire croire que celui qui l’a dit n’est qu’un Parisien; c’est-à-dire ce qu’il y a de plus anti-marin au monde, dans l’opinion des marins. Le passage suivant d’un de nos premiers romanciers 278 maritimes, vient à l’appui de ce que nous venons de dire.

«Au moment où l’acteur chargé du rôle du capitaine Sabord doit dire: Il fallait un vent de nord-est pour nous relever de la côte, le marin de coulisses se trompe, et parle d’un vent de nord-ouest, et en prononçant encore ce dernier terme comme il est écrit. Tanguy, à cette expression qui résonne assez mal à son oreille, semble se réveiller d’un somme, et se met à crier de sa grosse voix d’ancien aide-canonnier: Dis donc un vent de nordais et non pas de norois, espèce de Parisien, puisque la côte court nord et sud! A cette sauvage interruption qui n’amuse qu’une partie du public, le parterre hurle: à la porte le vieux borgne! à la porte!» (Corbière, Les Pilotes de l’Iroise.)


OUÈTE.

Locut. vic. Achetez-moi de la ouète.
Locut. corr. Achetez-moi de la ouate.

On lit dans le Dictionnaire des difficultés, de Laveaux:

«Boileau a dit:

Où sur l’ouate molle éclate le tabis.

«Il est possible que quelques couturières de Paris disent de la ouate ou de la ouète; mais il vaut mieux en ceci imiter Boileau que les couturières.» M. Laveaux est ici dans l’erreur quant à la prononciation du mot ouate. D’autres personnes que des couturières de Paris, M. Girault-Duvivier, Féraud, l’Académie, entre autres, veulent que l’on prononce de la ouate, et cela par déférence pour l’usage, qui depuis long-temps exige l’aspiration de l’o dans le mot ouate, comme dans les mots oui et onze, le oui fatal, le onze du mois.»


279 OUIE.

Locut. vic. Il a l’ouie fin.
Locut. corr. Il a l’ouie fine.

Ouies, au pluriel, est aussi féminin. Ce poisson a les ouies toutes vermeilles.


OUVRIER.

Locut. vic. Nous ferons cette partie un jour ouvrier.
Locut. corr. Nous ferons cette partie un jour ouvrable.

Un jour ouvrable est un jour où l’on peut ouvrer, c’est-à-dire travailler, ce qui est d’une signification bien plus étendue que cette locution jour ouvrier, qui manque de justesse dans son opposition avec les locutions jour férié, jour de fête, puisqu’elle ne présente à l’esprit que l’idée du travail des ouvriers, et qu’elle oublie celui des marchands, des commis, etc. L’Académie a donné les deux locutions, mais elle paraît préférer jour ouvrable. Le peuple, remarque-t-elle, dit plutôt jour ouvrier. Féraud, qui fait la même observation, préfère aussi jour ouvrable. Mais Bouhours, qui a cru remarquer que le peuple dit jour ouvrable, qui affirme même qu’il n’y a que le peuple qui emploie cette expression, la condamne conséquemment, et prétend que tous les honnêtes gens doivent dire jour ouvrier. C’est que M. le jésuite Bouhours n’estimait guère le peuple sous aucun rapport, comme on peut le voir par le passage suivant tiré de ses Nouvelles remarques sur la langue française. «Le mot peuple se dit quelquefois dans une signification élégante. Il faut être bien peuple pour se laisser éblouir par l’éclat qui environne les grands, c’est-à-dire il faut avoir l’âme 280 bien basse, il faut avoir tous les sentimens du peuple. Mademoiselle de Scudéry a employé ce mot dans un endroit où il a très bonne grâce; car, après avoir dit que ceux en qui on se fie le plus, sont ceux dont on est le plus trompé, et que, pour être sage, il faut toujours se défier des autres et de soi-même, elle ajoute: tout le monde est peuple une fois en sa vie, tout le monde fait des fautes, et tout le monde a tort en quelque rencontre. Après tout, ajoute le P. Bouhours, quoique ces locutions soient belles, il faut s’en servir avec retenue, ou plutôt il ne faut pas les employer si souvent, parce qu’elles ont quelque chose de trop beau. Il faut prendre garde où on les place, et se souvenir toujours que les locutions brillantes et un peu précieuses, ressemblent aux pistoles et aux louis d’or, qui ne sont pas tant d’usage dans le commerce ordinaire que les autres pièces de monnaie.» Jamais insolence de cuistre a-t-elle été poussée plus loin?


PAILLÉ.

Orth. vic. J’aime le vin paillé.
Orth. corr. J’aime le vin paillet.

Du vin paillet est du vin rouge, peu chargé de couleur, et dont la teinte est à peu près celle de la paille.


PAMPHLET.

Locut. vic. Ce pamphlet a sali son auteur.
Locut. corr. Ce libelle a sali son auteur.

«Pamphlet, s. m. Mot anglais qui s’emploie quelquefois dans notre langue, et qui signifie brochure.

«Libelle, s. m. Écrit injurieux.» (Dict. de l’Acad.)


281 PANTALONS.

Locut. vic. Il venait de mettre ses pantalons.
Locut. corr. Il venait de mettre son pantalon.

Les personnes qui disent des pantalons pour un pantalon s’imaginent sans doute qu’un pantalon est la moitié du vêtement ainsi nommé, la partie qui couvre une jambe. Elles sont dans l’erreur; le pantalon est le vêtement tout entier.


PAQUE.

Orth. vic.   Quand Pâque sera venue.
Nous le ferons à Pâques fleuris.
 
Orth. corr.   Quand Pâques sera venu.
Nous le ferons à Pâques fleuries.

«Paque, s. f. Fête solennelle que les Juifs célébraient tous les ans. La Pâque des Juifs.

«Paques, s. m. La fête que l’Église solennise tous les ans en mémoire de la résurrection de Jésus-Christ. Dès que Pâques est passé.

«On appelle Pâques fleuries le dimanche des Rameaux, et Pâques closes, le dimanche de Quasimodo. Alors Pâques est féminin, et ne se dit qu’au pluriel.» (Dict. de l’Acad.)


PAQUET-BOT.

Locut. vic. Il arrivera par le paquet-bot.
Locut. corr. Il arrivera par le paquebot.

«Paquebot est un mot français; paquet-bot est un barbarisme.» (Feydel, Rem. sur le Dict. de l’Acad.)

282 Ce barbarisme a été religieusement conservé par les dictionnaires de l’Académie, de Raymond, de Boiste, etc. Il en est apparemment des mots comme des hommes: il faut que chacun vive.


PAR.

Locut. vic. Ceux qui doivent, ou à qui il est dû par M. N...
Locut. corr. Ceux qui doivent à M. N..., ou à qui il doit.

«Quand deux verbes à régimes différens régissent un même nom, il faut que chacun de ces verbes ait son régime à part.

«Les exemples suivans pèchent contre cette règle:

«Je suis un peu trop lourd pour monter ou descendre facilement d’un cabriolet.» (Louis XVIII, Voyage à Bruxelles.)

«En entrant et en sortant d’un salon, chacun se croyait obligé d’aller faire un compliment d’arrivée ou d’adieu à la maîtresse de la maison.» (Genlis, Mém., tom. 5.)

«La porte d’entrée donnait dans cette antichambre, que j’étais obligée de traverser pour entrer ou sortir de chez moi.» (Même tom.)

«Ces fautes (les deux dernières), sont d’autant plus remarquables qu’elles se trouvent dans un volume où l’auteur signale un grand nombre de locutions vicieuses ou de mauvais goût (selon elle) en usage à Paris.» (Glossaire génevois.)


283 PAR CE QUE.

Locut. vic. Je vois, par ce que vous me dites, qu’on m’a trompé.
Locut. corr. Je vois, par tout ce que vous me dites, qu’on m’a trompé.

«Les rédacteurs de l’article (du Dict. de l’Acad.) sur la préposition par, auraient dû avertir les écrivains qu’il faut toujours éviter de placer les mots ce et que immédiatement après cette préposition. En cela ils auraient suivi une décision, long-temps méditée, de l’Académie elle-même, et imprimée par son ordre, au bas du chapitre des Remarques de Vaugelas, intitulé: PAR CE QUE, en trois mots. Je rapporte cette décision.

«Pour écrire purement et sans équivoque, il ne faut jamais se servir de par ce que que dans le sens de à cause que. Au lieu de dire, je connais par ce que vous me mandez d’un tel, il faut dire: je connais par les choses que vous me mandez d’un tel.

«Je fais cette remarque à l’occasion d’une phrase que je viens de lire au commencement d’une Notice sur la vie du Tasse, attribuée à l’une des meilleures plumes qui nous restent, et placée en tête d’une réimpression de la Jérusalem délivrée, traduite en 1774, par M. L***, déjà célèbre, à cette époque, entre les bons écrivains. Nous sommes trop disposés, dit l’auteur de la Notice, à juger par ce que nous avons sous les yeux, de ce qui s’est passé dans d’autres temps et en d’autres circonstances. La réputation non moins méritée qu’elle est brillante des deux hommes de lettres à qui cette négligence a échappé, autorise suffisamment ma remarque.» (Feydel, Rem. sur le Dict. de l’Acad.)


284 PAR TROP.

Locut. vic. Il est vraiment par trop caustique.
Locut. corr. Il est vraiment trop caustique.

«Cette façon de parler ne vaut rien; exemple: c’est être par trop scrupuleux; il suffit de dire: c’est être trop scrupuleux, quoique j’avoue que par trop a beaucoup d’emphase et de force pour exprimer l’excès que l’on veut blâmer, mais le bon usage le condamne.» (Rem. posthumes de Vaugelas, 1690.)


PARADOXE.

On croit assez vulgairement dans le monde que ce mot signifie opinion fausse, tandis que sa vraie signification est celle-ci: proposition contraire à l’opinion commune. Il ne faut donc pas dire: le paradoxe a des charmes pour tous les esprits faux, car il est fort possible qu’un paradoxe soit accueilli par les gens qui sont doués de la rectitude de jugement, et repoussé par ceux qui sont privés de cette précieuse qualité. Lorsque Christophe Colomb annonçait l’existence d’un autre monde par-delà l’Atlantique, Christophe Colomb émettait un paradoxe. Galilée aussi en disant: la terre tourne, donnait dans le paradoxe. Et ces deux grands hommes nous ont cependant prouvé la justesse de leurs assertions.

Paradoxe était employé autrefois comme adjectif: «Ces béatitudes, en apparence si paradoxes et si incroyables.» (Bourdaloue.)

On dirait aujourd’hui: si paradoxales.


285 PARDONNABLE.

Locut. vic. Vous n’êtes point pardonnable.
Locut. corr. Vous n’êtes point excusable.

On ne peut pas dire que quelqu’un est pardonnable. Une faute est pardonnable parce qu’on peut pardonner une faute; le verbe est ici actif. Mais comme on ne peut pas pardonner une personne, mais à une personne, parce que ce verbe devient neutre quand il a pour régime un nom d’être animé, il s’ensuit que cette personne n’est pas pardonnable, et qu’elle ne saurait être pardonnée. On pardonne les choses, on pardonne aux personnes. Cette faute, si commune dans la conversation, a été faite par l’auteur de l’Avant-propos des Œuvres de Cl. Marot (Dondey-Dupré, 1824, 3 vol. in-8.) «Mais lorsque ces pages sont peu nombreuses, l’auteur est plus pardonnable

Ce que nous venons de dire s’applique également à l’adjectif impardonnable. Nous ne concevons pas que Laveaux ait pu être d’un autre sentiment. L’Académie, nos meilleurs grammairiens et la raison, qui plus est, sont contre lui.


PARENT.

Locut. vic. Êtes-vous parent à Lucas.
Locut. corr. Êtes-vous parent de Lucas.

C’est le fils à Blaise, c’est le père à Jean, c’est un parent à Pierre, c’est un ami à Paul, sont des expressions que notre syntaxe désavoue formellement, et qui ne devraient jamais se trouver dans un ouvrage bien écrit. Il faut les laisser à la conversation familière, où elles ne sont même employées que par les gens illettrés. «En 1639, 286 on donna une tragédie de la chûte de Phaéton, dont l’auteur, Tristan l’Ermite de Vozelle, était sans doute parent à François Tristan.» (Dict. hist. et bibliogr., par Peignot, art. Tristan (Fr.).) Lisez parent de.


PARFAIT (AU).

Locut. vic. Elle se porte au parfait.
Locut. corr. Elle se porte parfaitement.

«Faire une chose au parfait est une expression qui s’est introduite dans la langue par abus. Vous ne trouverez dans aucun auteur du siècle de Louis XIV, dit Voltaire, que Rigault ait peint les portraits au parfait.» (Laveaux, Dict. des diff.)


PARIER.

Locut. vic. Je parie que cela ne soit pas.
Locut. corr. Je parie que cela n’est pas.

Le verbe parier ne doit pas être suivi d’un subjonctif, comme le croient généralement les méridionaux, à moins qu’il ne soit employé avec une négation, je ne parie pas qu’il ait dit cela.


PARIURE.

Locut. vic. Je vous fais une pariure.
Locut. corr. Je vous fais un pari.

Pariure est un mot qui se trouve dans plusieurs patois français, mais qui n’appartient pas au pur français.


287 PARLER MAL, MAL PARLER.

Locut. vic.   On l’a entendu parler mal de vous.
Cet orateur a très mal parlé.
 
Locut. corr.   On l’a entendu mal parler de vous.
Cet orateur a parlé très mal.

«Beauzée pense que ces deux expressions ne sont pas synonymes. Mal parler tombe, selon lui, sur les choses que l’on dit, et parler mal sur la manière de les dire: le premier est contre la morale, et le second contre la grammaire.

«C’est mal parler que de dire des choses offensantes, surtout à ceux à qui l’on doit du respect; de tenir des propos inconsidérés, déplacés, qui peuvent nuire à celui qui les tient, ou à ceux dont on parle. C’est parler mal que d’employer des expressions hors d’usage; d’user de termes équivoques; de construire une phrase d’une manière embarrassée ou à contre-sens; d’affecter des figures gigantesques en parlant de choses communes ou médiocres; de choquer la quantité en faisant longues les syllabes qui doivent être brèves, ou brèves les syllabes qui doivent être longues.

«Il ne faut ni mal parler des absens, ni parler mal devant les savans, etc.» (Roubaud, Synonymes.)

«Observez que cette distinction n’a lieu qu’à l’infinitif et dans les temps composés du verbe parler. On ne dirait pas: il mal parle, il mal parlait.» (Gramm. des gramm.)


288 PARMI.

Locut. vic. Le reconnaissez-vous parmi le faste qui l’environne?
Locut. corr. Le reconnaissez-vous au milieu du faste qui l’environne?

Tous nos grammairiens s’accordent pour blâmer l’emploi de la préposition parmi, ailleurs que devant un nom pluriel indéfini, signifiant plus de trois, ou devant un singulier collectif. On dira donc correctement: parmi le peuple, parmi la foule, parmi le monde:

Que crois-tu qu’Alexandre, en ravageant la terre,
Cherche parmi l’horreur, le tumulte et la guerre?
(Boileau, Épit. V.)
Il y porta la flamme, et parmi le carnage,
Parmi les traits, le feu, le trouble, le pillage, etc.
(Voltaire, Mérope, act. III, sc. 5.)

Mais on ne peut pas dire comme Racine:

Mais parmi ce plaisir quel chagrin me dévore?
(Britannicus, act. II, sc 6.)

PAROI.

Locut. vic. Les parois sont faits solidement.
Locut. corr. Les parois sont faites solidement.

«On va confectionner de nouveaux projectiles dont les parois seront plus épais,» disait un journal de décembre 1832. L’auteur de cette phrase a commis une erreur qui se reproduit assez souvent. Il faut dire des parois épaisses.


289 PART (FAIRE).

Locut. vic. Je vous fais part que je suis arrivé.
Locut. corr. Je vous fais part de mon arrivée.

Faire part doit toujours être suivi de la préposition de, et non de la conjonction que. Dans la phrase suivante, il fallait donc remplacer ce verbe par un autre. «Une lettre de Constantinople nous fait part que le départ des troupes turques a été ordonné par le grand-visir lui-même.» On pouvait dire: Une lettre de Constantinople nous annonce, nous apprend que, etc.


PARTIR.

Locut. vic.   Quand je partis en voyage.
Il est parti à la campagne.
 
Locut. corr.   Quand j’allai en voyage.
Il est parti pour la campagne.

Quand on part, on ne va pas toujours en voyage, mais quand on va en voyage, on part bien certainement. Il y a donc, pour cette dernière raison, pléonasme dans cette locution partir en voyage.

Féraud a blâmé avec raison le P. Barre d’avoir écrit «Le Pape fit partir aussi Brunon à Cologne» (Hist. générale d’Allemagne). C’est la préposition pour qu’il faut dans cette phrase, au lieu de la préposition à.


PARU.

Locut. vic. Avez-vous le dernier volume paru.
Locut. corr. Avez-vous le dernier volume publié ou qui a paru.

Paraître étant un verbe neutre conjugué avec l’auxiliaire 290 avoir, ne peut régulièrement avoir un participe passif. Cette faute est de même nature que celle qu’on a si souvent reprochée à Racine:

Ce héros expiré
N’a laissé dans nos bras qu’un corps défiguré.
(Phèdre, act. V, sc. 6.)

PAS.

Locut. vic. Il n’y a pas que votre ami qui l’aime.
Locut. corr. Votre ami n’est pas le seul qui l’aime.

L’emploi de la conjonction que après la négative pas, comme dans les phrases suivantes: Il n’y a pas que vos amis qui aient voyagé en Amérique; le pays n’a pas que cette seule espérance, produit, selon nous, l’effet le plus désagréable. Nous ne croyons pas avoir jamais vu dans nos bons écrivains des exemples de cette barbare construction, et nous aimons à penser qu’on en chercherait vainement. Nous avons emprunté ceux que nous citons ici à des journalistes, et à des journalistes encore qui épluchent parfois avec beaucoup de minutie et de sévérité le style de leurs confrères dans l’art d’écrire, et qui sont loin fort souvent de leur offrir l’exemple du bon goût, comme ils paraissent cependant avoir la bonhomie de le croire. Pourquoi ne pas dire: Vos amis ne sont pas les seules personnes qui aient voyagé en Amérique; le pays n’est pas réduit à cette seule espérance? Avec un certain nombre de locutions analogues a celle-ci: il n’y a pas que, notre langue ne soutiendrait certainement pas long-temps la réputation d’élégance que lui ont acquise nos bons écrivains.


291 PAS, POINT.

Locut. vic.   Il n’a point beaucoup d’esprit.
Comment ce jeune homme s’instruirait-il; il ne lit pas.
 
Locut. corr.   Il n’a pas beaucoup d’esprit.
Comment ce jeune homme s’instruirait-il; il ne lit point.

«Pas énonce simplement la négative, point l’exprime avec beaucoup plus de force. Le premier souvent ne nie la chose qu’en partie, ou avec une modification; le second la nie toujours absolument, totalement et sans réserve. On dira: vous ne croyez pas une chose qu’on ne peut vous persuader. Vous ne croyez point celle que votre esprit rejette entièrement. Dans le premier cas, il peut vous rester quelque doute; dans le second vous êtes décidé. Pas convient mieux à quelque chose de passager et d’accidentel; point à quelque chose de stable et d’habituel. Il ne lit pas, c’est-à-dire présentement; il ne lit point, c’est-à-dire jamais, dans aucun temps. On dira également d’un homme, qu’il ne dort point, pour faire entendre qu’il a une insomnie habituelle, et qu’il ne dort pas, pour marquer qu’actuellement il est éveillé.» (Laveaux, Dict. des diff.)

Si, lorsque vous pressez une aimable inhumaine,
Elle vous dit: laissez, monsieur, je ne veux point,
Toute entreprise serait vaine.
Mais si, voulant s’échapper de vos bras,
Elle vous dit: laissez, monsieur, je ne veux pas,
Osez, la victoire est certaine.
(Extrait de l’Improvisateur français.)

292 PAS PLUS.

Locut. vic. Je crois que votre ami, pas plus que le mien, ne veulent faire ce marché.
Locut. corr. Je crois que votre ami, pas plus que le mien, ne veut faire ce marché.

Il y a évidemment ici deux personnes qui ne veulent pas faire un marché, votre ami et le mien, et cependant le verbe vouloir doit être au singulier. Pourquoi? parce qu’il n’est pas question d’un accord logique, mais bien d’un accord purement grammatical, auquel une légère inversion de mots ne peut nullement porter obstacle. La construction directe de notre phrase d’exemple étant celle-ci: je crois que votre ami ne veut pas, plus que le mien, faire ce marché, on voit combien il serait ridicule d’employer le verbe au pluriel.


PASSAGER.

Locut. vic. Cette rue est passagère.
Locut. corr. Cette rue est fréquentée.

La gloire est passagère, les hirondelles sont passagères, parce que la gloire et les hirondelles passent et nous quittent. Mais en est-il de même d’une rue, d’une route? Non, certes; et l’on doit conséquemment se garder de dire: une rue passagère, une route passagère. Nos grammairiens modernes sont convenus de se servir de l’adjectif passant dans ce sens; quant à nous qui ne voyons pas quelle analogie il peut exister entre une rue passante et un individu passant, c’est-à-dire entre une chose inerte et un être mouvant, nous aimons mieux dire une rue fréquentée qu’une rue passante.


293 PASSER.

Locut. vic.   Il est passé trois fois par ici.
Il a passé en Prusse depuis l’année dernière.
 
Locut. corr.   Il a passé trois fois par ici.
Il est passé en Prusse depuis l’année dernière.

«A l’égard des verbes monter, descendre, entrer, sortir et passer, un grand nombre de grammairiens les conjuguent avec avoir, seulement quand ils ont un régime direct, et avec être, lorsqu’ils ne sont pas accompagnés d’un régime direct.

«Cependant, comme ces verbes sont susceptibles d’exprimer une action, lors même qu’ils n’ont pas de régime direct exprimé, ne devrait-on pas leur appliquer le principe général que nous avons invoqué pour les verbes périr, cesser, demeurer, etc., et, par conséquent, les conjuguer avec avoir, quand c’est l’action qu’on veut exprimer, qu’ils aient un régime direct ou non, et avec être, lorsque c’est l’état qu’il s’agit de peindre.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)

Dites en conséquence: il a passé en Amérique en 1820, et il est passé en Amérique depuis 1820; la procession a passé sous mes fenêtres, et la procession est passée depuis une heure; ce mot a passé dans notre langue, c’est-à-dire a été adopté; et ce mot est passé, c’est-à-dire n’est plus en usage.


PATER.

Locut. vic. Suspendez votre habit à ce pater.
Locut. corr. Suspendez votre habit à cette patère.

Une patère est une espèce de crochet qui sert dans l’ameublement à différens usages.


294 PATRIOTE, PATRIOTIQUE.

Locut. vic. Croyez-en son âme patriotique.
Locut. corr. Croyez-en son âme patriote.

Patriote ne se dit généralement que des personnes; on l’applique cependant quelquefois aux choses. Ainsi l’on dit: votre patriote ami, votre patriote capitaine, etc., et votre cœur patriote, son esprit patriote, etc.

Patriotique ne qualifie ordinairement que les noms de choses: des dons patriotiques, des desseins patriotiques, des intentions patriotiques; mais, par une extension qui n’est peut-être pas fort logique, on le joint aussi à des collectifs de personnes. Ainsi on dit: des sociétés patriotiques, des clubs patriotiques, etc. L’usage est donc la règle qu’il faut consulter, pour savoir lequel de ces deux adjectifs on doit joindre à tel ou tel substantif.


PATTE, PIED.

Locut. vic. Ce bouc a une patte noire.
Locut. corr. Ce bouc a un pied noir.

On dit qu’un animal a des pieds, lorsque les membres qui supportent son corps ont la partie inférieure terminée par de la corne, comme cela se remarque chez le cheval, l’âne, le bœuf, le mouton, le bouc, l’éléphant, etc. Quand cette partie est formée par des doigts pourvus d’ongles ou de griffes, on la nomme patte. Les lions, les loups, les chiens, les chats, les souris, etc., ont des pattes. De sorte que les parties inférieures de certains animaux, lesquelles, par leur conformation, établissent le plus de ressemblance entre ces animaux et l’homme, ont précisément reçu le nom qu’on ne veut pas appliquer à ces 295 mêmes parties dans l’espèce humaine. Il y a là certainement ou caprice de l’usage, ou calcul d’amour-propre, et en tout cas sottise.


PAUVRESSE.

Locut. vic. Nous fûmes accostés par une pauvre.
Locut. corr. Nous fûmes accostés par une pauvresse.

Ce mot est proscrit par quelques grammairiens, par M. Blondin entre autres (Manuel de la pureté du langage). Domergue, Laveaux (Dict. de l’Acad., édition Moutardier) et l’usage l’admettent; aussi l’admettons-nous. Un mendiant est un pauvre, une mendiante est une pauvresse et non une pauvre. Il faudrait, pour éviter l’emploi de cette dernière expression qui serait ridicule, parce que pauvre ne peut être employé au féminin que comme adjectif, et qu’il serait ici substantif, il faudrait, disons-nous, se servir de ces deux mots: femme pauvre, qui seraient aussi ridicules parce qu’ils ne rendraient pas encore l’idée exprimée par le mot pauvresse; une femme pauvre n’étant pas toujours en effet une pauvresse, par la raison qu’une femme pauvre peut ne pas demander l’aumône, et qu’une pauvresse la demande ou la reçoit. On voit par là combien il est peu raisonnable de vouloir bannir de la langue un mot bien fait et nécessaire, et que l’usage a d’ailleurs déjà consacré.


PAYANT.

Locut. vic. Donnez-nous la carte payante.
Locut. corr. Donnez-nous la carte à payer.

Il est des gens qui, à la fin d’un repas chez un restaurateur, s’imaginent faire les puristes en demandant 296 la carte payante au lieu de la carte à payer. Nous répéterons à ces gens-là la remarque judicieusement faite par M. Blondin (Manuel de la pureté du langage): «La carte ne paie pas, mais on la paie.»


PAYEMENT.

Prononc. vic. Paye-ment.
Prononc. corr. Paiment.

Il faut écrire paiement.


PAYSAN.

Prononc. vic. Un pésan.
Prononc. corr. Un pai-isan.

La première prononciation est un archaïsme:

Un maistre ès-arts mal chaussé et vestu
Chez un paisant demandait à repaistre.
(Mellin de St.-Gelais.)
On fait en Italie un conte assez plaisant,
Qui vient à mon propos, qu’une fois un paysant, etc.
(Regnier, Satires.)

Elle est aujourd’hui condamnée avec raison, puisque l’on prononce en deux syllabes le mot pays, qui n’en faisait souvent qu’une seule autrefois.

Or y ayoit ung gros seigneur notable
Au pays d’Anjou, tenant fort bonne table,
Et jeune estoit, aimant tout passe-temps.
(Ch. Bourdigné, Légende de Faifeu, ch. XXII.)

297 PÉCUNIER.

Locut. vic. Cet homme ne songe qu’à ses intérêts pécuniers.
Locut. corr. Cet homme ne songe qu’à ses intérêts pécuniaires.

Pécunier est un barbarisme.


PEINER.

Locut. vic. Je suis peiné de ce qui vous est arrivé.
Locut. corr. Je suis chagriné de ce qui vous est arrivé.

Cette expression, que plusieurs grammairiens modernes ne se font pas scrupule d’appliquer aux personnes, parut vicieuse à l’abbé Desfontaines lorsqu’elle fut introduite en ce sens dans le monde littéraire. Aussi s’écria-t-il ironiquement (Dict. néologique): «On a toujours dit une écriture peinée, un style peiné; on peut dire aujourd’hui un homme peiné

Peiné ne signifie point en effet: qui a de la peine, mais qui est fait avec peine. Un homme peiné serait par conséquent un homme fait avec peine, comme on dit une écriture peinée, c’est-à-dire faite avec peine.

Vous me peinez, cet homme est peiné nous paraissent être de vrais barbarismes, quoique ce ne soit pas là le sentiment de l’Académie.


PEINTURER.

Peinturer est un mot avoué par le Dict. de l’Acad. de 1802, et qui signifie enduire d’une seule couleur. Il faut donc dire: peinturer une planche en noir, en rouge, etc., et non peindre une planche en noir, en rouge, etc. L’Académie donne aussi peinturage et peintureur. 298 Le Dict. de Boiste de 1834 a recueilli ces trois mots; mais l’usage en est encore assez rare.

«Bien loin que peinturer soit un mauvais mot, comme le prétendent quelques personnes, n’est-ce point un terme nécessaire qui peut servir à distinguer deux choses toutes différentes, car peindre ne signifie-t-il point représenter avec le pinceau la figure de quelque chose, comme d’une campagne, d’un oiseau, d’un homme, etc., et peinturer, mettre seulement des couleurs sur quelque matière que ce soit. Lors, par exemple, qu’un sculpteur, ayant fait une statue de bois, y applique les couleurs convenables, ne peut-on pas dire qu’il la peinture? car, pour la peindre, il semble qu’il faudrait qu’avec ses couleurs il en tirât la représentation, ce qui est très différent.» (Andry de Boisregard, Réfl. sur l’usage présent de la langue française, 1689.)

Peinturer, comme on le voit, n’est pas un mot nouveau.


PELURER.

Locut. vic. Pelurez cette pomme.
Locut. corr. Pelez cette pomme.

Pelurer n’a été adopté par aucun lexicographe, et ne peut être considéré que comme un barbarisme.


PERCE-NEIGE.

Locut. vic. Prenez ce perce-neige.
Locut. corr. Prenez cette perce-neige.

«La perce-neige est une plante bulbeuse qui fleurit 299 l’hiver dans les prairies. Connais le prix des circonstances, la perce-neige lui doit tout son charme. (Pythagore.)» (Dict. de Boiste.)


PERCLUS.

Locut. vic. Cette pauvre femme est perclue.
Locut. corr. Cette pauvre femme est percluse.

On trouve dans Buffon perclue pour percluse, mais, comme le remarque fort bien M. Girault-Duvivier, il est possible que cette faute provienne de l’imprimeur.


PÉRIR.

Locut. vic.   L’humidité a péri ma tapisserie.
Mon frère est péri en Russie.
 
Locut. corr.   L’humidité a gâté ma tapisserie.
Mon frère a péri en Russie.

Périr ne peut jamais être employé comme verbe actif. Aussi cette autre phrase est-elle condamnable: ces hommes se sont péris de désespoir. Il faut se sont suicidés.

«Si je voulais parler de personnes qui n’existent plus je dirais: elles sont péries, parce qu’alors c’est de l’état des personnes qui ont été, et qui n’existent plus, que ma pensée est occupée; mais si je voulais désigner l’époque où elles ont cessé d’exister, ou la manière dont elles ont perdu la vie, je me servirais de l’auxiliaire avoir, et je dirais: elles ont péri en l’année 1800. Elles ont péri dans un combat. Elles ont péri dans les flots, parce qu’alors je pense à une action.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


300 PERMESSE.

Locut. vic. Les hauteurs du Permesse lui sont connues.
Locut. corr. Les rives du Permesse lui sont connues.

Le Permesse est une petite rivière de la Béotie, qui prend sa source dans l’Hélicon.

Un poète gascon a dit:

Et souvent au haut du Permesse, etc.

Ce poète, qui d’une rivière fait une montagne, ressemble assez au singe de la fable qui prenait le Pirée pour une personne.

Notre magot prit, pour ce coup,
Le nom d’un port pour un nom d’homme.
(La Fontaine, liv. IV, f. 7.)

PERSISTER.

Prononc. vic. Perzistez-vous?
Prononc. corr. Percistez-vous?

PERTE (A PURE).

Locut. vic. Il a fait de l’esprit à pure perte.
Locut. corr. Il a fait de l’esprit en pure perte.

L’expression en pure perte n’est pas française, selon certains grammairiens. C’est probablement parce qu’on dit à perte, vendre à perte, que ces grammairiens auront cru qu’il fallait préférer, dans cette manière de parler, la préposition à à la préposition en. Quoi qu’il en soit, l’usage repousse généralement la première des locutions que nous donnons en tête de cet article. «Les hommes 301 n’aiment pas à donner en pure perte des louanges qui humilient.» (Massillon.) «Il y a de certaines philosophies qui sont en pure perte, et dont personne ne nous sait gré.» (Mme de Sévigné.)

Nos meilleurs dictionnaires, ceux de l’Académie, de Boiste, etc., ne donnent que la locution en pure perte.


PÉTALE.

Locut. vic. Cette fleur a de belles pétales.
Locut. corr. Cette fleur a de beaux pétales.

PETIT PEU.

Locut. vic. Donnez-m’en un petit peu.
Locut. corr. Donnez-m’en très peu.

«Bien des personnes disent un petit peu: donnez-m’en un petit peu; je n’en veux qu’un petit peu. Mais cette manière de s’exprimer n’est point du tout du bon usage; on doit dire: donnez-m’en un peu; je n’en veux qu’un peu.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)

«Le mot petit avant peu est vicieux ou au moins inutile; en effet, peu signifiant une petite quantité, dit alors tout ce qu’on veut dire.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


PEU (UN).

Locut. vic. Laissez-moi un peu passer.
Locut. corr. Laissez-moi passer.

«Le peuple se sert de un peu, comme d’une particule explétive: laissez-moi un peu passer. Cet un peu est de trop, et même il est ridicule.» (Féraud, Dict. crit.)


302 PEUPLE.

Locut. vic. Quel bois emploierez-vous? du peuple.
Locut. corr. Quel bois emploierez-vous? du peuplier.

On fait aux environs de Paris un usage très fréquent de peuple pour peuplier. Ce dernier mot doit seul être employé quand on veut parler correctement. Peuple est un archaïsme dont nous pouvons fort bien nous passer. «Il pousse (sur le peuplier noir) au commencement du printemps, des boutons gros comme des câpres, pointus, pleins d’un suc jaune, glutineux, odorant; on les appelle yeux de peuple, en latin oculi ou gemmæ populi nigræ.» (Dict. de Trévoux.) Aujourd’hui on donne plus communément à ces boutons le nom d’yeux de peuplier, et l’on conviendra que c’est avec raison, si l’on veut bien reconnaître que peuplier vaut mieux que peuple pour désigner un arbre; puisque peuple a déjà une autre signification.


PEUR DE.

Locut. vic. Il ne sort pas, peur de s’enrhumer.
Locut. corr. Il ne sort pas, de peur de s’enrhumer.

On dit crainte de (Voy. Crainte) devant un nom, mais il faut dire de peur de devant un verbe comme devant un nom.


PEUT-ÊTRE.

Locut. vic. Peut-être pourrez-vous sortir.
Locut. corr. Peut-être parviendrez-vous à sortir.

«Sur ces vers du Coriolan de La Harpe:

303
Peut-être, satisfait que ce grand cœur fléchisse
Le peuple, s’il vous voit soumis à son pouvoir,
Peut, en votre faveur, se laisser émouvoir.

on dit, dans l’Année littéraire, que peut-être et peut ne sont pas faits pour aller ensemble. La remarque est très juste.» (Féraud, Dict. crit.) «Il n’est pas correct de mettre cet adverbe avec le verbe pouvoir, ni avec possible, impossible

Peut-être y pourriez-vous être mal adressée.
(Molière, Misanthrope.)

«Il serait encore plus mal de dire comme M. Fain dans ses mémoires: peut-être peut-on encore tout sauver.» (Glossaire génevois.)


PIAILLEUR.

Locut. vic. Ce n’est qu’un piailleur.
Locut. corr. Ce n’est qu’un piaillard.

«Piailleur, piailleuse, sont des barbarismes; piaillard, piaillarde, sont des mots français.» (Rem. sur le Dict. de l’Acad.)

Nous avons crieur et criard qui sont deux mots bien différens. Nous ne pouvons avoir de même piailleur et piaillard, parce que ces deux mots sont complètement synonymes, et comme il faut faire un choix entre eux, nous pensons qu’il doit être en faveur de piaillard, dont la formation est tout-à-fait en harmonie avec celle de nos autres péjoratifs traînard, bavard, vantard, musard, criard, fuyard, pillard, etc.


304 PIED.

Prononc. vic. Vous aurez chez moi un pié-à-terre.
Prononc. corr. Vous aurez chez moi un piet-à-terre.

La prononciation que nous indiquons ici comme bonne déplaisait à Ménage. Mais n’est-il pas ridicule de vouloir, dans cette locution, annuler le d que l’on fait sonner comme un t dans les locutions suivantes: pied à pied, de pied en cap. C’est de cette dernière manière que prononcent aujourd’hui les honnêtes gens, selon l’expression de Ménage, c’est-à-dire ceux qui ont quelque savoir; expression remplie de bienveillance, comme on le voit, pour les personnes non lettrées, et qui les assimile tout bonnement aux fripons.


PIED (AU), PIEDS (AUX).

Orth. vic. Cette ville est aux pieds des Pyrénées.
Orth. corr. Cette ville est au pied des Pyrénées.

Au pied signifie au bas; et ne se dit que des choses; aux pieds ne se dit généralement que des personnes. Hercule filait aux pieds d’Omphale.


PIED DROIT.

Locut. vic. J’ai un pied droit dans la poche.
Locut. corr. J’ai un pied de roi dans la poche.

Un pied droit signifie, en architecture, le trumeau ou jambage d’une porte ou d’une fenêtre. C’est donc une chose qu’on ne peut pas mettre dans sa poche.

Un pied de roi est une mesure géométrique contenant douze pouces de long.


305 PIERRE.

Orthog. vic. Le festin de Pierre.
Orthog. corr. Le festin de pierre.

C’est une chose assez étrange que, dans le titre de ce drame si connu, on écrive constamment par une majuscule un nom commun, comme si c’était un nom propre. Comment se fait-il que cette mauvaise orthographe se soit maintenue si long-temps, quand il est bien notoire que dans la pièce en question le nom de Pierre ne se trouve pas une seule fois prononcé, et que le titre ne se rapporte absolument qu’à la statue de pierre du commandeur? On a dit le festin de pierre comme on aurait pu dire le festin de marbre; et l’on conviendra, malgré tout le respect dû au nom de Molière, que ce titre est fort mauvais. Qu’est-ce qu’un festin de pierre, si ce n’est un festin où l’on mange de la pierre. La pièce espagnole à laquelle Molière a emprunté le sujet de la sienne, avait au moins un intitulé raisonnable: El Combidado de Piedra, c’est-à-dire le convive en pierre. Pourquoi Molière a-t-il traduit Combidado par festin?

Un de ses éditeurs modernes, effrayé sans doute du tort immense que pouvait lui faire la faute qu’on lui reproche, a cherché à en atténuer l’énormité en disant que le commandeur se nommait Pierre. C’est là une particularité qu’il est permis de révoquer en doute, par la raison que Molière n’en fait aucune mention, et nous sommes persuadé que si notre grand comique avait eu en vue, dans l’intitulé de sa pièce, le nom propre Pierre, il eût certainement placé devant ce nom le titre d’honneur don, qu’il place toujours devant celui de Juan, et dont un personnage du rang de commandeur ne devait probablement pas être dépourvu. Admirons les grands écrivains, 306 mais n’allons pas follement les croire à l’abri de la plus légère erreur, parce que cela n’est pas, et ne peut pas être.


PINCER.

Locut. vic. Il pince de la guitare.
Locut. corr. Il pince la guitare.

«L’Académie dit pincer ou toucher de la harpe, du piano. Mais on a observé que les verbes toucher, battre, employés pour exprimer l’action de jouer des instrumens, sont actifs, et que l’instrument en est l’objet ou le régime direct. On a conclu de là que ce régime ne doit pas être précédé d’une préposition; et que, puisqu’on dit toucher quelque chose, battre quelque chose, on doit dire, pour parler correctement, toucher le clavecin, le forte-piano, l’orgue; pincer la harpe, la guitare, le luth; battre la caisse, le tambour, les timbales.

«On ne dit plus guère aujourd’hui toucher le clavecin, le forte-piano, l’orgue, mais jouer du clavecin, etc.» (Laveaux, Dict. des diff.)


PIPIE.

Locut. vic. Cette poule a la pipie.
Locut. corr. Cette poule a la pépie.

C’est pipie qu’on devrait dire, puisque ce mot est un mimologisme du cri des petits oiseaux tourmentés par la soif (pi, pi), mais l’usage a préféré le mot pépie.


307 PIS, PIRE.

Locut. vic.   Son état sera demain pis qu’il n’est aujourd’hui.
Cela est mal chez vous, mais chez eux c’est encore pire.
 
Locut. corr.   Son état sera demain pire qu’il n’est aujourd’hui.
Cela est mal chez vous, mais chez eux c’est encore pis.

«Pire se rapporte à un substantif masculin ou féminin: le remède est pire que le mal; il n’est pire eau que celle qui dort.

On emploie pis, 1o lorsqu’il se rapporte à un nom neutre. Rien n’est pis qu’une mauvaise langue; ce que vous proposez est pis[1] que ce qu’on allait faire.

[1] Domergue donne le genre neutre à quelques mots indéterminés, tels que rien, ce, cela, le, il; comme dans: Rien n’est beau que le vrai, ce n’est pas cela, je ne le suis pas, il est certain que, etc. Il regarde aussi comme neutre le beau, le vrai, l’utile, l’agréable et les expressions analogues.

«2o Lorsqu’il est employé lui-même comme un nom neutre: le pis de l’affaire est que le bonhomme n’est pas mort; mettre les choses au pis.

«3o Lorsqu’il fait la fonction d’adverbe: ils sont pis que jamais ensemble; il se portait un peu mieux, il est pis que jamais.

«Cette distinction paraît assez généralement adoptée par les bons écrivains.

«C’est encore pis.» (J.-J. Rousseau.)

«Il fait encore pis.» (Fénelon).

«Les bons lui paraissent pires que les méchans les plus déclarés.» (Idem, en parlant de Pygmalion.)

C’est un méchant métier que celui de médire;
Oui, vraiment, je dis plus: des métiers c’est le pire.

308 «Cependant on emploie aussi le pire comme substantif: qui choisit prend le pire.

Il n’est point de degré du médiocre au pire.
(Boileau.)

«Pis dérive du latin pejùs, plus mal, et pire de pejor, plus mauvais.

«Les expressions suivantes sont vicieuses: de mal en pire, c’est bien pire, de pire en pire, qui pire est.» (Manuel des amateurs de la langue française.)


PLAINE.

Locut. vic. Vous avez cassé ma plaine.
Locut. corr. Vous avez cassé ma plane.

La plane est un outil tranchant à deux poignées, et qui sert à planer. Le substantif plane et le verbe planer sont dérivés de plan, uni, formé du latin planus, qui a la même signification. L’Académie ne donne que plane; le dictionnaire de Boiste donne plane et plaine, et nous croyons qu’il a tort. Ne nous opposons jamais au bien qui s’établit.


PLAISIR.

Locut. vic. Achetez-moi une douzaine de plaisirs.
Locut. corr. Achetez-moi une douzaine d’oublies.

Bien des gens croient que ce mot a la même signification que le mot oublie, et qu’on peut dire manger des plaisirs. C’est une erreur pardonnable à un enfant qui, entendant chaque jour crier dans la rue: voilà l’plaisir, mesdames, voilà l’plaisir! a pu croire que le mot plaisir 309 désignait la légère et croustillante pâtisserie dont il est si friand; une personne faite ne doit point partager cette ignorance. Celle-ci devra donc toujours dire: une marchande d’oublies, manger des oublies, crier des oublies, et non une marchande de plaisirs, manger des plaisirs, crier des plaisirs; et elle fera fort bien aussi de rectifier sur ce point le langage des jeunes gens qu’elle pourrait avoir sous sa direction. On abrège plus qu’on ne le croit les études futures d’un enfant, en lui enseignant de bonne heure à nommer chaque chose par son nom, et surtout par son nom régulier.


PLAN.

Orth. vic. Ils m’ont laissé en plan sur la route.
Orth. corr. Ils m’ont laissé en plant sur la route.

C’est-à-dire: ils m’ont laissé sur la route comme si j’étais un plant, ils m’ont planté là, en un mot.

Aucun de nos lexicographes n’ayant donné, que nous sachions du moins, l’expression: laisser en plant, nous avons cru devoir en déterminer l’orthographe. Cette orthographe pourra, au premier coup d’œil, paraître bizarre à bien des gens, et cependant nous la regardons comme la seule que l’on puisse raisonnablement adopter.


PLATINE.

Locut. vic. Voilà de la platine.
Locut. corr. Voilà du platine.

M. Chapsal (Nouv. Dict. gramm.) a prétendu que ce nom de métal était féminin.

Buffon l’a fait, il est vrai, de ce genre, mais l’Académie 310 (1802), Boiste, les lexicographes modernes et l’usage veulent qu’il soit masculin.


PLEIN.

Orth. vic.   Nous ferons cela en velours plein.
Nous voici en plain champ.
 
Orth. corr.   Nous ferons cela en velours plain.
Nous voici en plein champ.

Plain signifie uni, plat, sans inégalité. Ainsi écrivez: des appartemens de plain pied, c’est-à-dire au même niveau; une étoffe plaine, c’est-à-dire unie; le plain-chant, c’est-à-dire un chant uni.

Plein signifie rempli, et construit avec la préposition en, il signifie au milieu. On écrira donc: en pleine rue, en plein jour, en plein marché, en plein été, en plein champ, etc., pour dire: au milieu de la rue, au milieu d’un champ, mais il faudra écrire en plaine campagne, selon l’Académie, parce que cette expression équivaut à celle-ci: en rase campagne.


PLEIN (TOUT).

Locut. vic. Il a tout plein d’esprit.
Locut. corr. Il a beaucoup d’esprit.

Cette locution, comme toutes celles qui alongent le discours sans lui donner aucune qualité de plus, doit être évitée avec soin par quiconque raisonne un peu. Ne rien dire de superflu est une des conditions à remplir pour parler correctement.—Le dictionnaire de l’Académie devrait bien expulser de notre langue ces mauvaises expressions de tout plein, au fur et à mesure, à ses risques et périls, aux lieu et place de, etc., qu’on 311 peut toujours remplacer avec avantage par beaucoup, à mesure, à ses risques, à la place de, etc. La tâche difficile mais glorieuse de réformateur de notre langue, ne pourra jamais être remplie avec succès que par une réunion de savans, dont les opinions éclairées et unanimes, appuyées sur des noms compétens et connus, pénétreraient en peu de temps dans la masse de la nation. Mais il ne faudrait pas que cette réunion de savans imprimât dans son Dictionnaire des phrases comme celle-ci: «On trouve tout plein de gens qui, etc.,» parce qu’il se trouverait des grammairiens qui, comme M. Caminade, s’autorisant d’un pareil exemple, diraient: Ils ont tout plein d’esprit (Grammaire usuelle), et parce qu’il y aurait une foule de gens qui, trompés par l’approbation des savans, répéteraient à satiété cette mauvaise locution.


PLI, PLIE.

Locut. vic. J’ai la première plie, le premier pli.
Locut. corr. J’ai la première levée.

On emploie souvent au jeu de cartes les mots pli et plie, pour signifier une main qu’on a levée. Ces mots ne se trouvent pas dans les Dictionnaires, et appartiennent exclusivement à quelque patois du Midi.


PLIER, PLOYER.

Locut. vic.   Faites plier ce jonc.
Aidez-moi a ployer ce drap.
 
Locut. corr.   Faites ployer ce jonc.
Aidez-moi à plier ce drap.

«Vaugelas a très bien observé que ces mots ont deux 312 significations fort différentes; mais on n’a pas voulu l’entendre: et plier a pris, presque partout, la place de ployer, sans toutefois l’exclure de la langue; car les bons écrivains, et surtout les poètes, ploient encore des choses que la foule n’a aucune raison de plier.

«Plier, c’est mettre en double ou par plis, de manière qu’une partie de la chose se rabatte sur l’autre; ployer, c’est mettre en forme de boule ou d’arc, de manière que les deux bouts de la chose se rapprochent plus ou moins. On plie à plat; on ploie en rond. Personne ne contestera qu’on ne plie de la sorte: la preuve que c’est ainsi qu’on ploie, est dans l’usage général et constant d’expliquer ce mot par ceux de courber et fléchir. Plier et ployer diffèrent donc comme la courbure du pli. Le papier que vous plissez, vous le pliez; le papier que vous roulez, vous le ployez. Cette distinction fort claire démontre l’utilité des deux mots.

«Plier se dit particulièrement des corps minces et flasques, ou du moins fort souples, qui se plissent facilement et gardent leur pli: ployer se dit particulièrement des corps raides et élastiques qui fléchissent sous l’effort, et tendent à se rétablir dans leur premier état. On plie de la mousseline et on ploie une branche d’arbre. Quand je dis particulièrement, je ne dis pas exclusivement et sans exception.» (Roubaud, Synonymes fr.)


PLURIEL.

Orth. et pronon. vic. Le plurier.
Orth. et pronon. corr. Le pluriel.

Nous ferons deux remarques sur ce mot: la première, c’est qu’il faut le prononcer pluriel, en faisant sonner le l final, quoique le Dictionnaire de Trévoux ait écrit plurier. 313 Vaugelas est, selon ce dictionnaire, le premier qui ait écrit pluriel. Il le dérive de pluralis et singulier de singularis; ce qui est positif, et ce qui en assigne tout-à-fait l’orthographe.

Notre seconde remarque, c’est qu’on a grand tort de retrancher le t qui se trouve à la fin des mots enfant, garant, parent, etc., en même temps qu’on y ajoute un s pour former le pluriel. «Quand cette lettre radicale (le t) ne nuit point à la prononciation, c’est nuire à l’analogie que de la supprimer. Quoi de plus inconséquent que de supprimer au pluriel le t final des mots polysyllabes, terminés au singulier par nt, quoiqu’on le garde dans les monosyllabes! Pourquoi, en écrivant les dents, les chants, les plants, les vents, s’obstine-t-on à écrire les méchans, les tridens, les contrevens, etc.? Pourquoi terminer de la même manière, au pluriel, des mots qui ont des terminaisons différentes au singulier, comme paysan et bienfaisant, dont les féminins sont paysane et bienfaisante, et dont on veut que les pluriels masculins soient paysans et bienfaisans?» (Beauzée. Encyclopédie méth., art. Analogie.)

«Il vaudrait mieux suivre les auteurs du siècle de Louis XIV, et surtout les écrivains de Port-Royal, et ne jamais supprimer le t au pluriel. Chénier, Domergue, conservaient le t. M. Didot, dans ses belles éditions de nos auteurs classiques, suit cette orthographe.» (Letellier, Gramm. fr.)


PLUS.

Locut. vic. Vous perdez cent francs; je perds bien plus.
Locut. corr. Vous perdez cent fr.; je perds bien davantage.

«Plus est un mot comparatif, après lequel vient 314 naturellement un que ou un de; davantage est un adverbe qui, placé après le verbe qu’il modifie, ne peut jamais modifier un adjectif, et dès-lors avoir un de ou un que à sa suite.

«On dira donc: la langue paraît s’altérer tous les jours, mais le style se corrompt bien davantage.» (Voltaire.)

«Il est attaché à la nature qu’à mesure que nous sommes heureux, nous voulons l’être davantage.» (Montesquieu, Arsace et Isménie. Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


PLUS D’A MOITIÉ.

Locut. vic. Sa fortune est plus d’à moitié faite.
Locut. corr. Sa fortune est plus qu’à moitié faite.

Doit-on dire plus d’à moitié ou plus qu’à moitié? Cela dépend de l’estime qu’on peut avoir pour la justesse ou pour l’élégance du langage. Ceux qui savent apprécier la première de ces qualités préféreront certainement la conjonction que; ceux qui sacrifient tout à l’élégance emploieront la préposition de. Ces derniers, avouons-le, auront même l’usage pour eux; car il est à peu près certain que nos bons auteurs ont préféré plus d’à demi, plus d’à moitié à plus qu’à demi, plus qu’à moitié, puisque l’on ne cite guère, en faveur de cette dernière construction, que ce vers de Racan:

La course de nos jours est plus qu’à demi faite.

Mais qui ne sait que les meilleurs écrivains ont souvent la faiblesse de sacrifier la pureté de la langue à une futile considération d’euphonie. Aussi, ne balançons-nous jamais dans les questions encore pendantes, 315 comme celle-ci, par exemple, à prendre parti contre eux pour la raison, et à nous insurger contre le fait en faveur du droit.

Comment vous direz qu’une chose est plus que faite (grâce pour l’hyperbole), et si cette chose est à moitié faite et quelque peu de plus, vous ne pourrez pas dire qu’elle est plus qu’à moitié faite? Mais ôtez ces mots à moitié, et il vous restera plus que faite. Or, avec l’autre construction plus d’à moitié faite, supposez que la chose vienne à se parfaire, avec quelque chose même au-delà, et que vous vouliez conséquemment ôter le modificatif à moitié devenu inutile, comment ferez-vous pour y trouver le membre de phrase plus que faite, qui a dû cependant rester indépendant de tout modificatif? Comment ferez-vous pour expliquer la métamorphose du que en de? Il n’y a, comme nous l’avons dit plus haut, que la raison de l’euphonie qui puisse être invoquée ici, et cette raison est tout-à-fait absurde dans le cas présent. Nous pensons donc qu’on doit dire: plus qu’à demi, plus qu’aux deux tiers, plus qu’aux trois quarts, etc.


PLUS D’UN.

Locut. vic. Plus d’un témoin déposèrent en sa faveur.
Locut. corr. Plus d’un témoin déposa en sa faveur.

Le verbe qui suit l’expression plus d’un doit être mis au singulier. L’accord a lieu avec le mot et non avec le sens.

Plus d’une Hélène au beau plumage
Fut le prix du vainqueur.....
(La Fontaine, liv. VII, f. 13.)
Plus d’une Pénélope honora son pays.
(Boileau, Satire X.)

316 «Cependant, dit M. Girault-Duvivier (Grammaire des Gramm.), il est un cas où le pluriel serait nécessaire après plus d’un, c’est celui où l’on se servirait de cette expression avec un verbe pronominal; car, comme cette espèce de verbe exprime l’action de deux ou de plusieurs sujets, alors il est certain qu’il faudrait employer le pluriel. Marmontel nous en offre un exemple dans ses Incas (chap. XLV): à Paris on voit plus d’un fripon qui se dupent l’un l’autre.


PLUTOT.

Orth. vic. Nous arrivâmes plutôt qu’eux.
Orth. corr. Nous arrivâmes plus tôt qu’eux.

Quand plutôt est l’opposé de plus tard, il doit être écrit en deux mots. On l’écrit en un seul mot dans tous les autres cas.

Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes.
(La Fontaine, f. 16, liv. I.)

POGNE.

Locut. vic. Vous avez une bonne pogne.
Locut. corr. Vous avez un bon poignet.

Pogne n’est pas français.


POIGNARD.

Locut. vic. Pognard.
Locut. corr. Poagnard.

M. Carpentier (Gradus français) prétend que l’i de 317 ce mot ne se prononce pas. Nous le croyons dans l’erreur. Les personnes instruites prononcent généralement poagnard, par égard sans doute pour l’analogie de ce mot avec poing, poignet, poignée; et plusieurs dictionnaires ont aussi indiqué cette prononciation.


POINTE DU JOUR.

Locut. vic. Nous arrivâmes à la pointe du jour.
Locut. corr. Nous arrivâmes au point du jour.

L’Académie autorise cette locution de pointe du jour; nous pensons qu’il vaut mieux dire le point du jour. C’est l’avis de M. Feydel, de Ménage et de beaucoup d’autres grammairiens; et l’usage paraît s’être définitivement prononcé pour la dernière expression. Le jour n’a pas de pointe, mais un moment où il poind, et nous ne croyons pas que la subtile définition de la pointe du jour, donnée par Roubaud (Synonymes) ait fait faire à cette expression une brillante fortune.


POIREAU.

Locut. vic. Ces poireaux sont durs.
Locut. corr. Ces porreaux sont durs.

Quoiqu’on ait le choix entre poireau et porreau, nous croyons que ce dernier mot doit être préféré pour raison étymologique. On dit en latin porrus, et nous ferons encore remarquer que l’adjectif poracé (de couleur de porreau) serait bien plus rationnellement formé si l’on disait porreau. Pourquoi dédaignerait-on d’établir la bonne harmonie entre les mots?


318 POISON.

Lorsqu’on entend Jocrisse s’écrier: Ne bois pas cela, cadet, c’est de la poison, on croit que Jocrisse fait un barbarisme, et l’on a tort. Jocrisse fait seulement un archaïsme. On lit dans le roman de Perceforest: «Puis leur firent boire poisons qu’elle sceurent que bonnes leur estaient.» Et dans Ronsard:

Mon âme en vos yeux beut la poison amoureuse.
(Élégies.)

POMMIER.

Locut. vic. Prêtez-moi votre pommier en fer-blanc.
Locut. corr. Prêtez-moi votre cuit-pommes en fer-blanc.

Tous les dictionnaires donnent le mot pommier avec la signification qu’on lui voit ici; mais aucun d’eux n’a accueilli le mot cuit-pommes; et cependant n’est-ce pas une chose étrange que de voir charger le premier mot de deux idées dont l’une a son mot propre? Que peut-on reprocher au substantif cuit-pommes? N’est-il pas tout aussi régulièrement formé que les mots: serre-tête, passe-temps, essuie-mains, gobe-mouches? etc.

Nous pensons que l’adoption de ce mot dans la langue écrite ne peut souffrir la moindre difficulté; car elle offre le double avantage et d’enrichir notre langue d’un bon mot, et d’effacer l’équivoque à laquelle pourrait donner lieu l’emploi du substantif pommier, dans la signification bâtarde qu’on lui a si légèrement attribuée.


319 PONCHE.

Orth. vic. Voulez-vous du ponche glacé?
Orth. corr. Voulez-vous du punch glacé?

Tous nos dictionnaires écrivent ce nom de liqueur comme on le voit en tête de cet article. Mais, malheureusement pour nos dictionnaires, et pour la raison aussi (car il vaudrait beaucoup mieux que l’orthographe fût en complète harmonie avec la prononciation), personne ne suit cet exemple. Les gens instruits écrivent punch, parce qu’ils disent que ce mot s’écrit ainsi dans la langue anglaise, à laquelle on l’a emprunté, et les ignorans qui se soucient fort peu d’étymologie, et ne suivent que l’usage, écrivent également punch, parce qu’il n’y a pas aujourd’hui en France un enfant sachant lire qui n’ait vu sur quelque volet de limonadier ou même d’aubergiste, dans sa ville ou même dans son village, le nom de la liqueur que nous mentionnons ici, orthographié d’une tout autre manière qu’il ne l’est dans l’Académie, Féraud, Boiste, Raymond, etc.

Punch est donc un de ces mots, sur lesquels la raison perd ses droits de réforme, parce que l’usage s’en est définitivement emparé.


PORRÉE.

Locut. vic. Cette porrée ne vaut rien.
Locut. corr. Cette poirée ne vaut rien.

Il faut dire poirée, parce que cette plante potagère, qu’on nomme aussi bette, emprunte son nom à la forme de sa feuille qui ressemble à la poire.


320 PORTE-PARIS.

Locut. vic. Je vais à la Porte-Paris.
Locut. corr. Je vais à l’Apport-Paris.

On lit dans Trévoux, à l’article apport: «Lieu public, espèce de marché où on apporte des marchandises pour vendre. A Paris, il y a deux apports: l’apport Baudoyer vers Saint-Gervais, et l’apport de Paris au grand Châtelet. Le peuple, par corruption, les appelle porte Baudets et porte de Paris[2]

[2] Et bien plus souvent Porte-Paris.

Tous nos lexicographes prétendent que l’on doit dire: l’Apport de Paris; nous croyons que la préposition est ici de trop, si l’on tient du moins à conserver cette vieille dénomination d’un quartier de Paris, absolument telle qu’elle existait autrefois. La préposition de n’a pas toujours été nécessaire dans notre langue, pour marquer les rapports qu’elle exprime aujourd’hui entre deux substantifs. Mille exemples pourraient le prouver; nous ne donnerons que les suivans:

(Renard) Garda avant, si vit Primaut
Le Leu qui fu frère Ysengrin. (Frère d’Ysengrin.)
(Roman du Renard, v. 3020.)
Et les autres ont fet lor vol
Par desus la meson Poufile. (La maison de Poufile.)
(Roman du Ren. v. 9274.)

C’est ainsi qu’on a dit autrefois Hôtel-Dieu, Fête-Dieu; pour hôtel de Dieu, fête de Dieu, expressions auxquelles l’usage n’a pas osé toucher, et qu’il nous a conservées dans leur intégrité primordiale.


321 PORTE-PICS.

Locut. vic. Le joli porte-pics.
Locut. corr. Le joli porc-épics.

«D’après la définition de l’Académie, un porc-épics est un animal dont le corps est couvert de beaucoup d’épics ou de piquans.—Le mot épics, dit M. Boniface, n’est point une altération, c’est l’ancienne orthographe: on disait épic pour épi, piquant; ce mot vient du latin spica.» (Grammaire des Gramm.)

N’en déplaise à la science, le mot populaire nous paraît valoir au moins autant que celui qu’elle a consacré; cela arrive quelquefois.


POSTURE.

Locut. vic. Votre frère est en posture de faire fortune.
Locut. corr. Votre frère est en position de faire fortune.

Se mettre en posture de faire quelque chose, est une expression barbare et inconnue, disait l’abbé Desfontaines, au commencement du siècle passé. De nos jours, l’expression est encore barbare aux yeux, du moins, de tout homme de goût; mais pour inconnue, il s’en faut certes de beaucoup qu’elle le soit. On la trouve assez souvent dans des ouvrages où l’on serait peut-être en droit d’exiger un style plus soigné.

Cet homme s’est mis devant le roi en posture de suppliant, est une phrase correcte; mais peut-on en dire autant de cette autre phrase: Cicéron s’était mis en posture de repousser la force par la force? ne vaudrait-il pas mieux, dans ce dernier cas, employer une autre expression, et dire, par exemple: Cicéron s’était apprêté à repousser la force par la force.


322 POT-A-EAU.

Locut. vic. Prenez ce pot-à-eau.
Locut. corr. Prenez ce pot-à-l’eau.

Pot-à-eau a plus d’analogues que pot-à-l’eau; mais l’usage a préféré ce dernier mot. Laveaux dit pot-à-l’eau, et Féraud traite pot-à-eau de gasconisme.


POT A FLEURS, POT DE FLEURS.

Locut. vic.   Sa fenêtre est couverte de pots à fleurs.
Il fabrique des pots de fleurs.
 
Locut. corr.   Sa fenêtre est couverte de pots de fleurs.
Il fabrique des pots à fleurs.

Un pot de fleurs est un pot où il y a des fleurs; un pot à fleurs est un pot dans lequel on peut mettre des fleurs, et non pas un pot propre à mettre des fleurs, comme le disent incorrectement quelques dictionnaires. Un pot ne peut rien mettre.


POUDRIÈRE.

Locut. vic. L’encrier est plein, mais la poudrière est vide.
Locut. corr. L’encrier est plein, mais le poudrier est vide.

Un bâtiment ou une boîte, qui contient de la poudre de guerre ou de chasse est une poudrière. Quand il s’agit d’autre poudre, le contenant se nomme un poudrier.


POUBOUILLE.

Locut. vic. Je l’ai trouvé occupé à faire sa poubouille.
Locut. corr. Je l’ai trouvé occupé à faire sa pobouille.

Nous ne savons trop s’il peut nous être permis de nous 323 occuper de ce mot familier, si familier même qu’on ne le trouve dans aucun de nos dictionnaires. Quoi qu’il en soit, nous essaierons d’en fixer l’orthographe par l’étymologie peut-être un peu forcée que nous croyons lui avoir trouvée: pobouille ne serait-il pas une syncope de pot-bouille? et ne dirait-on pas: Vous faites votre pobouille, par ellipse, pour dire: Vous faites (le guet pour que) votre pot-bouille? De quelle autre manière pourrait-on interpréter l’origine de cette expression, qui, toute triviale qu’elle est, doit cependant en avoir une, et qui, au reste, a quelquefois l’honneur de figurer dans les journaux?


POUMONIQUE.

Locut. vic. Je crois cet homme poumonique.
Locut. corr. Je crois cet homme pulmonique.

Comme l’a fort bien remarqué l’abbé Féraud, l’analogie est en faveur de poumonaire, poumonique et poumonie, puisque ces mots sont dérivés de poumon; mais l’étymologie et l’usage leur étant contraires, il faut dire pulmonaire, pulmonique et pulmonie.


POUR DE BON, POUR DE RIRE.

Locut. vic. L’avez-vous dit pour de bon ou pour de rire.
Locut. corr. L’avez-vous dit tout de bon ou pour rire.

POUR QUAND.

Locut. vic. Je fais mes provisions pour quand j’irai à la campagne.
Locut. corr. Je fais mes provisions pour l’époque où j’irai à la campagne.

Cette disgracieuse expression se trouve dans Madame 324 de Sévigné. «M. de Langle (disait le comte de Grammont), gardez ces familiarités pour quand vous jouerez avec le roi.» Mais l’autorité de Madame de Sévigné est peu de chose en grammaire, et nous aimons mieux nous appuyer en cette circonstance sur l’Académie qui a, pour de bonnes raisons sans doute (il est impossible d’en supposer d’autres), passé cette locution sous silence.


PRÉMICES, PRÉMISSES.

Locut. vic.   Vos prémices ne sont pas bien posés.
Je vous offre les légers prémisses de mon talent.
 
Locut. corr.   Vos prémisses ne sont pas bien posées.
Je vous offre les légères prémices de mon talent.

«Prémisses, subst. fém. pl. Terme de logique, qui se dit des deux premières propositions d’un syllogisme. Quand l’argument est en forme, si vous accordez les prémisses sans distinction, vous ne pouvez plus nier la conséquence.

«Prémices, subst. fém. pl. Les premiers fruits de la terre ou du bétail, les premières productions de l’esprit.» (Dictionnaire de l’Académie.)

Toujours la tyrannie a d’heureuses prémices.
(Racine.)

PRÈS.

Locut. vic. Il demeure près le Luxembourg.
Locut. corr. Il demeure près du Luxembourg.

«Près le Palais-Royal, près l’église, sont des expressions que l’usage a abusivement consacrées. Il est plus 325 régulier de dire: près du Palais-Royal, près de l’église. Il n’y a que quelques expressions entièrement consacrées où l’on puisse supprimer la préposition de, comme ministre du roi près la cour d’Espagne, Passy près Paris, etc.» (Laveaux, Dictionnaire des difficultés.)

Ses enfans, suivant la coutume,
Près la chandelle se jouant.
(Vitallis, fab. 3, liv. I.)

Il fallait: près de la chandelle.


PRÉSENT.

Au reçu du présent, de la présente. (V. Courant.)


PRÉSIDENT, ADHÉRENT, DIFFÉRENT, ÉQUIVALENT, EXCELLENT, NÉGLIGENT, PRÉCÉDENT, RÉSIDENT.

Orth. vic. J’ai vu votre ami président l’assemblée.
Orth. corr. J’ai vu votre ami présidant l’assemblée.

«Ces mots s’écrivent avec un e, lorsqu’ils sont substantifs ou adjectifs, et avec un a, quand ils sont participes actifs:

«L’homme que vous avez vu aujourd’hui présidant l’assemblée n’en est pas le président.

«Le résident de Genève n’est pas toujours résidant à Genève.

«Il y a souvent des différends entre les gens différant d’humeur.» (Chapsal, Dictionnaire gramm.)


326 PRÊT A, PRÈS DE...

Locut. vic.   Le torrent était prêt à l’emporter.
Le sage est toujours près de mourir.
 
Locut. corr.   Le torrent était près de l’emporter.
Le sage est toujours prêt à mourir.

Prêt doit toujours être suivi de la préposition à; près, de la préposition de.

Prêt à et près de ne peuvent pas être employés l’un pour l’autre. La première expression signifie préparé à; la seconde, sur le point de.

La phrase suivante est défectueuse: La rivière est prête à déborder, car la rivière ne peut pas faire des préparatifs pour un débordement, mais on peut dire qu’elle est sur le point de déborder; c’est donc: près de déborder qu’il faut écrire.

Dans cette phrase: Parlez, je suis près de vous suivre partout; il est évident qu’il faut prêt à, parce qu’il y a ici disposition à suivre.

Ce qui précède explique la différence qu’il y a entre les deux locutions: prêt à mourir et près de mourir. L’une signifie qui est préparé à mourir; l’autre, qui est sur le point de mourir.

Autrefois on écrivait prêt devant la préposition de comme devant la préposition à; aujourd’hui il faut toujours écrire près dans le premier cas.

«La maison d’Autriche se vit donc prête d’accabler tous ses voisins.» (Mercier, Histoire de France.) Lisez: près d’ accabler.


327 PRÉVALOIR.

Locut. vic. Faut-il que je me prévaille de cela?
Locut. corr. Faut-il que je me prévale de cela?

Ce verbe se conjugue comme valoir; cependant au subjonctif on dit: que je prévale, que tu prévales, qu’il prévale, que nous prévalions, que vous prévaliez, qu’ils prévalent.


PRIX (AU) DE, AUPRÈS DE.

Locut. vic.   Qu’est-ce que la valeur de l’or auprès de celle du diamant.
Je suis un nain au prix de vous.
 
Locut. corr.   Qu’est-ce que la valeur de l’or au prix de celle du diamant.
Je suis un nain auprès de vous.

«Au prix de et auprès de ont ceci de commun, qu’ils servent l’un et l’autre à faire une comparaison, et ceci de particulier qu’au prix de paraît devoir être préféré, lorsque l’on compare deux objets auxquels on attache un prix réel ou métaphorique: le cuivre est vil au prix de l’or; la richesse n’est rien au prix de la vertu; et l’on doit préférer auprès de lorsque, pour comparer deux objets, on les place à côté l’un de l’autre au propre et au figuré: cette femme si brune est blanche auprès d’une négresse. La terre n’est qu’un point auprès du reste de l’univers.

«Au surplus, lorsque les deux objets à comparer éveillent indifféremment ou l’idée de prix ou l’idée de proximité, le choix dépend de l’écrivain.

«Cette différence entre auprès de et au prix de me 328 paraît bien déterminée, et je crois que les exemples suivans en présentent une juste application.»

Le bois le plus funeste et le moins fréquenté
Est au prix de Paris un lieu de sûreté.
(Boileau.)
Mais un gueux qui n’aura que l’esprit pour son lot,
Auprès d’un homme riche à mon gré n’est qu’un sot.
(Destouches), (Man. des Amat. de la langue fr., p. 212.)

PROMENER.

Locut. vic. Allons promener.
Locut. corr. Allons nous promener.

«Vaugelas autorise promener, neutre, au lieu de se promener, réciproque: mais l’usage a changé depuis.» (Féraud, Dict. crit.)

«Ce verbe, dans le sens de marcher, d’aller, soit à pied, soit à cheval, s’emploie toujours avec le pronom personnel, ainsi on ne doit pas dire: Allons promener, il est allé promener; il faut dire: Allons nous promener; il est allé se promener.

«Il est vrai que l’on dit: Je l’enverrai bien promener, je l’ai envoyé promener; mais, dans ces façons de parler familières, on sous-entend se.

«Si promener était pris dans la signification de conduire, faire marcher, soit un homme, soit une bête, alors on l’emploierait activement, et l’on dirait: Il a bien promené ces étrangers par la ville.—Il est bien de promener un cheval échauffé avant que de le mettre à l’écurie.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gram.)


329 PROMETTRE.

Locut. vic. Je vous promets que je l’ignore.
Locut. corr. Je vous assure que je l’ignore.

«Quelques personnes disent promettre pour assurer: Je vous promets que cela est ainsi que je l’ai fait. Promettre ne regarde que le futur, et assurer se dit de tous les temps.» (Féraud, Dict. crit.)


PUIS ENSUITE (ET).

Locut. vic. Il se leva, et puis ensuite il sortit.
Locut. corr. Il se leva, et ou puis, ou ensuite il sortit.

Trois copulatives pour une! Il y a là double pléonasme; le premier étant cependant autorisé par l’usage,

Quelques momens après, l’objet devint brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot.
(La Fontaine, liv. IV, f. 10.)

Nous ne prononçons d’exclusion absolue qu’à l’égard du mot ensuite, qui doit être employé seul.


QUA, QUE, QUI.

Pron. vic. Kadrupède, kesteur, kintuple, etc.
Pron. corr. Kouadrupède, kuesteur, kuintuple, etc.

Qua, que, qui, se prononcent comme koua, kué, kui, dans les mots suivans: aquatile, aquatique, équateur, 330 équation, quadragénaire, quadragésime, quadrangle, quadrangulaire, quadrature, quadricolor, quadriennal, quadrifolium, quadrige, quadrilatère, quadrinôme, quadrupède, quadruple, quadrupler, in-quarto, quaterne, quaterné, quaternaire, quaternité, quinquagénaire, quinquagésime, liquation, questeur, questure, équestre, quinquennal, quinquennium, liquéfaction, à quia, quindécagone, quintuple, équiangle, équidistant, équilatéral, équimultiple.


QUADRILLE.

Locut. vic. Il y a d’habiles danseurs dans cette quadrille.
Locut. corr. Il y a d’habiles danseurs dans ce quadrille.

«Ce mot est féminin dans les dictionnaires, et masculin dans l’usage.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des dict.)

Le Dictionnaire de Boiste, revu par M. Ch. Nodier (édition de 1834), fait quadrille masculin, quand il signifie: Jeu d’hombre à quatre, division de quatre couples de danseurs, et féminin quand il signifie: troupe de chevaliers dans un carrousel.

On prononce kadrille.


QUADRUPLE.

Prononc. et Locut. vic. Ce kadruple est bien léger.
Prononc. et Locut. corr. Cette kouadruple est bien légère.

Les agens de change, dans leur Bulletin de la Bourse, font le mot quadruple féminin, des quadruples neuves; en quoi ils se conforment à l’usage du commerce qui, 331 en cette circonstance, nous paraît fort raisonnable. On le trouve masculin dans nos anciens auteurs.

Ah! Merlin, je me trompe, ou ce quadruple est creux.
Je ne me trompe point, il est creux, oui sans doute;
Et je crois qu’il enferme un billet. Tiens, écoute.
(Boursault, Mercure galant; act. I, sc. 1.)

«Plusieurs le font féminin, et disent une quadruple, et l’analogie autorise ce genre; c’est comme qui dirait une (pistole) quadruple. Les dictionnaires, et même celui du citoyen, le marquent ou l’emploient comme masculin.» (Féraud, Dict. crit.)


QUAND.

Orth. vic. Quand à lui, il fera ce qu’il voudra.
Orth. corr. Quant à lui, il fera ce qu’il voudra.

On écrit quant avec un t, quand ce mot signifie pour ce qui concerne, pour ce qui a rapport à. Dans cette phrase: Cette personne garde son quant à soi, quant doit s’écrire par un t.

On trouve dans Malherbe quant et moi pour avec moi. Cette expression, usitée de son temps, ne l’est plus aujourd’hui. Quant et quant est aussi abandonné.


QUAND.

Prononc. vic. Donnez-le-moi, quante vous l’aurez.
Prononc. corr. Donnez-le-moi, quand vous l’aurez.

Le d ne doit se faire sentir que devant une voyelle, ou un h muet.


332 QUANTES (TOUTES FOIS ET)

Locut. vic. Venez nous voir toutes et quantes fois que cela vous conviendra.
Locut. corr. Venez nous voir chaque fois et autant de fois que cela vous conviendra.

«Ces façons de parler sont encore en usage; mais elles ne s’écrivent plus par les bons écrivains. Ce sont des mots qui sentent le vieux et le rance.» (Nouvelles remarques de Vaugelas, 1690.)


QUARRÉ.

Orth. vic. C’est un quarré.
Orth. corr. C’est un carré.

Quarré est une orthographe archaïque, abandonnée par les dictionnaires récens.


QUART.

Locut. vic. Il est quatre heures et quart, quatre heures un quart, quatre heures moins quart, moins le quart.
Locut. corr. Il est quatre heures et un quart, quatre heures moins un quart.

Nous pensons qu’il serait plus logique de dire trois heures et trois quarts que quatre heures moins un quart. Est-il, en effet, très raisonnable de préférer, à une idée qui est exacte et complète, une autre idée que l’on sait devoir soi-même bientôt modifier? Ne convient-il pas mieux d’énoncer l’unité réelle et la fraction qu’on y ajoute, que d’énoncer une fausse unité qu’il faut aussitôt détruire? Certainement cette manière de parler a dû être 333 inventée par quelque gascon, qui, ayant intérêt à faire croire qu’il était quatre heures, aura dit avec assurance: Il est quatre heures, et qui, voyant que son mensonge était découvert, aura ajouté adroitement: moins un quart.

Quand les trois quarts sont passés, et que l’on compte par minutes, nous croyons cependant que l’énonciation de l’heure doit plutôt avoir lieu par soustraction que par addition, c’est-à-dire qu’il vaut mieux dire, quatre heures moins cinq minutes, moins dix minutes, que trois heures cinquante-cinq minutes, cinquante minutes, parce que la première manière de parler est un peu plus claire que la seconde, et que la considération de la clarté doit, en fait de langage, dominer toutes les autres.


QUASIMENT.

Locut. vic. Vous croyez quasiment à son retour.
Locut. corr. Vous croyez presque à son retour.

Quasiment n’est pas français, et ne se trouve dans aucun dictionnaire.

«Je commençais, Dieu me pardonne, à trembler quasiment.» (Mme de Genlis, Th. d’Éduc. La Rosière.)

Vaugelas et Ménage n’aimaient guère le mot quasi, et en vérité, avec sa mine hétéroclite, il n’est guère aimable. Qui voudrait aujourd’hui soutenir que, dans les phrases suivantes, l’adverbe quasi a meilleure grâce que l’adverbe presque: Les choses n’arrivent quasi jamais comme on se les imagine. (Mme de Sévigné.) Il n’y a quasi personne qui n’ait de l’ingratitude pour les grandes obligations. (La Rochefoucaud, Maximes.)

Ce mot pédant, qui doit sourire à tous ceux qui, comme 334 Ronsard, aiment à parler grec et latin en français, était mort et bien mort, lorsqu’on s’est avisé, il y a quelques années, de le ressusciter pour le marier à certaine lourde et grave expression. Mais la résurrection de quasi a probablement eu lieu sous de fâcheux auspices, et le pauvre adverbe se meurt, une seconde fois, à l’heure qu’il est, sous un énorme poids de ridicule.


QUATRE.

Locut. vic. Si je le tenais entre quatre-s-yeux.
Locut. corr. Si je le tenais entre quatre yeux.

«Il est vrai de dire qu’il y a un certain usage en faveur de cette prononciation, proposée par Beauzée; mais c’est l’usage des personnes à qui notre orthographe est absolument inconnue. Deux hommes grossiers ont une querelle; ils se menacent: Si nous sommes jamais entre quatre-syeux, dit l’un d’eux, tu me le paieras. Comment l’homme instruit a-t-il pu conclure de là, que, pour la douceur de la prononciation, il faut dire, entre quatre-syeux? Si quatre yeux offre un son dur à l’oreille, quatre œufs n’offre pas un son plus doux; l’euphonie exigerait donc que l’on dît quatres œufs; et alors pourquoi, d’euphonie en euphonie, n’irait-on pas jusqu’à dire huit syeux? car enfin le s est plus doux que le t.

«Entre quatre-yeux est donc la seule prononciation qu’on puisse admettre; elle est d’ailleurs conforme à celle qu’ont adoptée Domergue, Lemare (p. 689 de ses Cours de langue fr.), la presque totalité des grammairiens et des littérateurs distingués.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


335 QUE.

Locut. vic. Je vous donnerai tout ce que vous aurez besoin.
Locut. corr. Je vous donnerai tout ce dont vous aurez besoin.

Il faut dont, parce qu’on ne dit pas avoir besoin une chose, mais avoir besoin d’une chose.

On lit dans un voyage récent: «Les nids d’oiseaux sont un mets qu’on mange beaucoup en Chine.» L’auteur a voulu dire que les Chinois mangent beaucoup de cette matière gluante et visqueuse, expectorée par des hirondelles qui en construisent leurs nids, et c’est évidemment dont qu’il devait employer à la place de que.

Cette phrase, ce que je vous prie, c’est de ne pas le gronder, est encore vicieuse. Il faut: ce dont je vous prie, etc.


QUE DE.

Locut. vic. Si j’étais que de lui, je le ferais.
Locut. corr. Si j’étais lui (et mieux, si j’étais à sa place), je le ferais.

«Si j’étais que de vous,» disait certain duc de Créqui à certain maréchal de France, «j’irais me pendre tout-à-l’heure.»—«Eh bien!» répondit ironiquement le maréchal, à qui semblable conseil paraissait sans doute aussi ridicule que les termes dans lesquels il était donné, «soyez que de moi, monsieur!»

Ce maréchal savait fort bien conjuguer le gracieux verbe composé, être que de lui.


336 QUEL.

Locut. vic. Cet homme brillera toujours, quel état qu’il prenne.
Locut. corr. Cet homme brillera toujours, quelque état qu’il prenne.

«C’est une faute familière à toutes les provinces qui sont delà la Loire, de dire, par exemple: Quel mérite que l’on ait, il faut être heureux, au lieu de dire: quelque mérite que l’on ait. Et c’est une merveille, quand ceux qui parlent ainsi s’en corrigent, quelque séjour qu’ils fassent à Paris ou à la cour.» (Vaugelas, Rem. 139.)

Croyez-moi, de quel nom que votre voix me nomme,
N’allons pas imiter Custine ni Prud’homme.
(M. Barthélemy, Justification.)

M. Barthélemy devait dire: de quelque nom.


QUELQUE.

Orth. vic.   Quelque soit leur fortune, ils doivent obéir à la loi.
Quelque torts qu’il ait, on les lui pardonne.
Quelques forts qu’ils soient, on les vaincra.
Quelques grands sacrifices que vous fassiez etc.
 
Orth. corr.   Quelle que soit leur fortune, ils doivent obéir à la loi.
Quelques torts qu’il ait, on les lui pardonne.
Quelque forts qu’ils soient, on les vaincra.
Quelque grands sacrifices que vous fassiez, etc.

Quelque est adjectif et variable:

1o Lorsqu’il est suivi d’un verbe au subjonctif; on l’écrit alors en deux mots, comme dans ces exemples: Quelles que soient leurs prétentions, quels que soient 337 leurs motifs, qui équivalent à: que leurs prétentions soient quelles (vous voudrez), etc.; que leurs motifs soient quels (vous voudrez), etc.

2o Lorsqu’il est placé devant un substantif seul: Quelques richesses que vous possédiez, etc., ou devant un substantif suivi d’un adjectif: quelques amis dévoués qu’il ait, etc.

Quelque est adverbe et invariable:

Lorsqu’il est placé devant un adjectif seul: Quelque puissans qu’ils soient, ne sont-ils pas mortels? ou devant un adjectif suivi d’un substantif: quelque puissantes raisons que vous donniez, etc. L’invariabilité de quelque devant un adjectif suivi d’un substantif a été contestée par M. Girault-Duvivier et quelques autres grammairiens. Laveaux, qui l’a défendue, prétend avec raison, selon nous, que le mot quelque, modifiant un adjectif, ne peut être qu’un adverbe. Ainsi, dans cette phrase: Quelque savans auteurs que vous consultiez, etc. Laveaux écrit quelque sans s, parce que, dit-il, quelque est un adverbe qui modifie l’adjectif savans: quelque savans que soient les auteurs que vous consultiez, etc. Mais, dans cette autre phrase: Quelques auteurs savans que vous consultiez, il accorde quelques, parce que c’est ici comme si l’on disait: Quelques auteurs (savans) que vous consultiez, ou quels que soient les auteurs savans que vous consultiez. «L’esprit, ajoute-t-il, ne doit jamais rester dans l’incertitude sur le caractère d’un mot énoncé dans le discours. Or, si quelque, placé devant un adjectif, pouvait être tantôt adjectif et tantôt adverbe, il faudrait, ou y attacher d’abord au hasard l’un ou l’autre caractère, ou attendre le substantif qui doit déterminer ce caractère. Si, par exemple, voulant dire: Quelque belles qualités que l’on ait, on dit quelque belles, et qu’on s’arrête là, l’esprit est porté à attribuer 338 à quelque le caractère d’adverbe, à cause de l’adjectif qui le suit, ou bien il faudra, pour s’en faire une idée juste, qu’il attende le mot suivant, afin de savoir si ce mot est un substantif. Dans le premier cas, il se sera trompé, et il faudra qu’il revienne sur ses pas lorsqu’il aura entendu ce substantif; dans le second, il aura entendu quelque suivi d’un adjectif, sans attacher une idée précise à ce mot. Or, rien n’est plus contraire au génie de la langue française que ce tâtonnement ou cette incertitude.» (Dict. des diff.)


QUELQUE.

Orth. vic. Il a quelques soixante ans.
Orth. corr. Il a quelque soixante ans.

Quelque, dans notre phrase d’exemple, ne peut pas être adjectif; car alors il signifierait plusieurs, et certes il n’est pas donné à l’homme, malheureusement (ou heureusement, comme on voudra) de compter plusieurs soixantaines d’années. Quelque est donc ici adverbe, et en cette qualité invariable. Il signifie à peu près, environ.

«C’était un fort vilain nègre de quelques quarante ans.» (Eug. Sue. Atar-Gull p. 57.) Lisez quelque.


QUELQUE CHOSE.

Locut. vic. Dites-nous quelque chose qui soit plaisante.
Locut. corr. Dites-nous quelque chose qui soit plaisant.
Quand on aura de vous quelque chose à prétendre,
Accordez-la civilement;
Et, pour obliger doublement,
Ne la faites jamais attendre.

339 Ce quatrain est fort bon sous le rapport moral; médiocre sous le rapport poétique, et mauvais sous le rapport grammatical.

«Quelque chose, dit Féraud, est masculin, quoique chose soit du genre féminin. On dit, par exemple: Ai-je fait quelque chose que vous n’ayez pas approuvé et non pas approuvée. On dit aussi quelque chose de bon, quelque chose de vrai. Le de est alors nécessaire devant l’adjectif, et il ne faut pas imiter Molière quand il dit: Quelque chose approchant pour d’approchant. Vaugelas prétend qu’on peut retrancher cette préposition devant un adjectif qui la régit lui-même, pour éviter la cacophonie de deux de, si voisins l’un de l’autre. Il est vrai que quelque chose de digne de lui est dur; mais, pour éviter de mauvaises consonnances, il ne faut pas changer une construction consacrée par l’usage. Il vaut mieux changer de tour, et dire, quelque chose qui soit digne de lui.» (Dict. crit.)


QUELQUEFOIS.

Locut. vic. Dépêchez-vous, quelquefois qu’il ne sorte.
Locut. corr. Dépêchez-vous, de peur qu’il ne sorte.

Quelquefois n’a, dans tous nos dictionnaires, que la valeur de parfois, de fois à autre.

Ceux qui emploient cet adverbe avec l’étrange signification qu’on lui trouve ici, ne sont généralement que des gens dépourvus d’instruction littéraire. Aussi doit-on s’étonner d’entendre une pareille cacologie en pleine chambre des députés: «Il faut attendre encore un quart d’heure, quelquefois qu’on se serait trompé.» (Séance du 19 avril 1833.)


340 QUELQU’UN (UN).

Locut. vic. C’est bon pour un quelqu’un qui a de la fortune.
Locut. corr. C’est bon pour quelqu’un qui a de la fortune.

Un quelqu’un est une expression battologique, qui n’est employée aujourd’hui que par des gens illettrés ou des gens à routine.


QUÈQUE.

Prononc. vic.   Quèque çà fait après tout?
Il y a quèques personnes qui le croient.
 
Prononc. corr.   Qu’est-ce que cela fait après tout?
Il y a quelques personnes qui le croient.

«Il se trouve des raffineurs, dit Richelet, qui soutiennent qu’il faut prononcer kécun et kèque: ces messieurs les raffineurs sont de francs provinciaux.»


QU’EST-CE.

Prononc. vic. Qu’est-ce qui vous a dit cela?
Prononc. corr. Qui est-ce qui vous a dit cela?

Qu’est-ce se dit des choses: Qu’est-ce que vous avez? c’est-à-dire, que (quelle chose) est-ce que vous avez? Qui est-ce se dit des personnes: Qui est-ce qui le saura? c’est-à-dire, quelle personne est-ce qui le saura?


QUEUE LEU-LEU (A LA).

Locut. vic. Allons-y à la queue leu-leu.
Locut. corr. Allons-y à la queue loup-loup.

Leu en vieux français signifie loup; la queue loup-loup 341 n’est donc autre chose que la traduction de la queue leu-leu.

Queue loup-loup vaut mieux; car cette expression a au moins l’avantage d’être comprise de tout le monde.


QUI.

Locut. vic. Voici un acte à qui on peut adresser le reproche d’obscurité.
Locut. corr. Voici un acte auquel on peut adresser le reproche d’obscurité.

«Quand le pronom qui est précédé d’une préposition, il ne s’applique qu’aux personnes ou aux objets personnifiés: Vous êtes l’homme en qui j’ai mis toute ma confiance.

«Molière dit de l’avare: Donner est un mot pour qui il a tant d’aversion, qu’il ne dit jamais: Je vous donne le bonjour, mais je vous prête le bonjour. Il faut: Donner est un mot pour lequel, etc.

«En poésie, cependant, où l’on personnifie souvent les objets, où tout s’anime, le pronom qui, précédé d’une préposition, se dit également des êtres et des objets.»

Du haut de la montagne, où sa grandeur réside,
Il a brisé sa lance et l’épée homicide
Sur qui l’impiété fondait son ferme appui.
J.-B. Rousseau.
Je pardonne à la main par qui Dieu m’a frappé.
Voltaire.
Soutiendrez-vous un fait sous qui Rome succombe?
Corneille.

(Chapsal, nouveau Dictionnaire gramm.)


342 QUI.

Locut. vic. Ils se laissèrent tous gagner: qui par des menaces, qui par des présens.
Locut. corr. Ils se laissèrent tous gagner: ceux-ci par des menaces, ceux-là par des présens.
Qui casse le museau; qui son rival éborgne;
Qui jette un pain, un plat, une assiette, un couteau;
Qui, pour une rondache, empoigne un escabeau.
(Regnier, Sat.)

Peu de gens, à la lecture de ces vers, auront facilement saisi la signification que l’on y donne au pronom qui. Ceux qui l’auront pris pour un pronom relatif se seront trompés; car il est ici pronom démonstratif, et signifie celui-ci. Il y a cent ans que cette locution était déjà surannée, comme le témoigne ce passage du Dictionnaire de Trévoux: «Qui pour signifier les uns, les autres, n’est plus en usage chez les bons auteurs: alii, alii verò. On trouve dans les vieux écrivains: Qui crioit; qui fuyoit sur les toits; ils fuyoient qui çà, qui là: huc, illuc.» D’où vient donc que quelques-uns de nos écrivains modernes cherchent à ressusciter cette expression, qui plaisait peu à Vaugelas, et qui n’a en vérité rien de gracieux?


QUI.

Locut. vic. Vous parlez en hommes qui connaissez vos semblables.
Locut. corr. Vous parlez en hommes qui connaissent leurs semblables.

Qui est toujours de la même personne que le substantif auquel il se rapporte. Hommes étant de la troisième 343 personne, le pronom relatif qui, le verbe et l’adjectif possessif qui le suivent doivent être employés à la troisième personne.

Domergue a relevé la faute qui se trouve dans le couplet suivant de Richard Cœur-de-Lion, opéra de Sedaine:

O Richard! ô mon roi!
L’univers t’abandonne;
Et sur la terre il n’est que moi
Qui s’intéresse à ta personne.

«Je demandai un jour à un chanteur de Lyon, pourquoi il disait: Il n’est que moi qui s’intéresse?—C’est qu’à Paris, me répondit-il, on ne dit pas autrement. Si je faisais la même question à un chanteur de Paris, il me répondrait: C’est le texte de l’auteur. Mais si je demandais à celui-ci pourquoi il pèche ainsi contre l’usage et la syntaxe, j’ignore ce que me répondrait l’académicien.» (Solut. gramm., p. 306.)


QUI (A).

Locut. vic. C’est à moi à qui ils se sont adressés.
Locut. corr. C’est à moi qu’ils se sont adressés.

C’est assez d’une préposition pour exprimer la relation, l’autre est superflue.

Un commentateur moderne de Boileau ne veut pas qu’il y ait une faute dans ce vers:

C’est à vous, mon esprit, à qui je veux parler.
(Sat. IX.)

Que de grammairiens alors auraient fait une injuste querelle au législateur poétique de la France! car cette faute a été si souvent relevée, que nous avons presque honte de la relever nous-même. Qui ne sait, au reste, 344 qu’un commentateur est toujours pénétré pour son auteur des mêmes sentimens d’adoration outrée, qu’un Tatar pour son Grand-Lama, ou qu’un amant pour sa maîtresse?

Molière a dit, il est vrai: «Puis-je croire que ce soit à vous à qui je doive la pensée de cet heureux stratagême.» (L’Amour médecin; act. III, sc. 6.) Qu’est-ce que cela prouve? C’est que Molière a fait la même faute que Boileau, à une époque où, pour être juste, il faut avouer qu’elle était assez commune.


QUI PLANTE (ARRIVE).

Locut. vic. Faites votre devoir, arrive qui plante.
Locut. corr. Faites votre devoir, arrive que plante.

La synthèse de cette locution est: (qu’il) arrive (ce) que (l’on) plante, c’est-à-dire: n’importe quoi. Qui, à la place de que ne pourrait pas être expliqué.


QUIDAM.

Locut. vic. Nous rencontrâmes certain quidam.
Locut. corr. Nous rencontrâmes un quidam.

Un certain quidam est, comme le remarque fort bien M. Ch. Nodier (Exam. crit. des Dict.), une battologie ridicule. On doit dire un quidam. Nous trouvons cependant cette phrase dans un dictionnaire tout récent. On a appris de certains quidams que, etc., et dans Rhulière le vers suivant:

Il veut entrer, certain quidam, etc.

Nous ne savons trop pourquoi M. Laveaux veut que l’on prononce ce mot, kidan, et surtout qu’on lui 345 donne un féminin, quidane. Nous ne croyons pas ce mot vraiment français, et le fût-il même, nous pensons qu’il pourrait tout aussi bien retenir sa prononciation primitive que beaucoup d’autres mots que nous avons aussi empruntés au latin, tels que quinquagésime, quindécemvirs, quinquennal, que nous prononçons cuincuagésime, cuindécemvirs et cuincuennal. Nous dirons donc: Prononcez cuidamme, et ne dites jamais une quidane, ni une cuidane, ni une cuidame, si vous ne voulez pas faire rire à vos dépens.


QUITTER.

Locut. vic. Je vous quitte, monsieur, de toute reconnaissance.
Locut. corr. Je vous dispense, monsieur, de toute reconnaiss.

Quitter, dans le sens de dispenser, a vieilli et ne s’emploie presque plus.

Demeurez, mon cousin, vous avez compagnie;
Je vous quitte aujourd’hui de la cérémonie.

On emploierait aujourd’hui dans ce vers un autre verbe.


QUOI.

Locut. vic. Je ne sais plus quoi dire.
Locut. corr. Je ne sais plus que dire.

C’est-à-dire: Je ne sais plus (ce) que (je dois) dire. «On n’emploie quoi à l’accusatif, dit l’abbé Féraud, qu’avec des prépositions. On ne doit pas dire avec un traducteur de Fielding: Si elle se taisait, ce n’était pas manque de savoir quoi dire.» (Dict. crit.)


346 QUOI FAISANT.

Locut. vic. Quoi faisant, vous ferez justice.
Locut. corr. En faisant cela, vous ferez justice.

«Quoi pour ce que, ne vaut rien, comme quand on dit: Quoi faisant, pour dire ce que faisant

L. A. Allemand, sur cette remarque posthume de Vaugelas, ajoute: «Il est certain qu’aujourd’hui ces deux façons de s’exprimer ne sont guère meilleures l’une que l’autre, ou, pour mieux dire, elles ne valent pas beaucoup à présent. On aime mieux dire, en faisant cela, et on a raison, car il y a plus de régularité dans cette dernière façon de parler que dans les deux autres.» (Nouvelles Rem. de Vaugelas, p. 460.)


QUOIQUE.

Orth. vic. On vous l’ôtera, quoique vous puissiez dire.
Orth. corr. On vous l’ôtera, quoi que vous puissiez dire.

Quoi que s’écrit ici en deux mots, parce qu’il n’est pas conjonction, et n’a pas, par conséquent, la signification de encore que. Quoi est un adjectif qui équivaut à quelle chose: Quoi (quelle chose) que vous puissiez dire, on vous l’ôtera.


QUOIQUE.

Locut. vic. Il me trompe; quoique ça je l’aime.
Locut. corr. Il me trompe; malgré cela je l’aime.

Quoique est une conjonction, et ne peut remplir dans le discours les fonctions de préposition, c’est-à-dire avoir un régime.


347 RABLU.

Locut. vic. C’est un garçon bien rablu.
Locut. corr. C’est un garçon bien râblé.

«RABLU. Bien fourni de râble. (Boiste.)—Je suis persuadé que ce serait là une assez bonne définition de râblu; mais je n’ai jamais entendu dire que râblé, ce qui n’est pas lui-même fort élégant.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)

L’Académie et Boiste indiquent râblé comme meilleur que râblu.


RABOUTER, RABOUTEUR.

Locut. vic. On lui a rabouté le bras.
Locut. corr. On lui a rebouté (et mieux remis) le bras.

On dit raboutir ou abouter, pour signifier mettre bout à bout des morceaux d’étoffe.

On dit rebouter pour signifier remettre (bouter de nouveau) un os cassé, un membre démis.

Quant à rabouter, c’est un barbarisme, comme rabouteur.

«Il est prévenu d’avoir exercé la profession de rabouteur dans son village. Vous ne savez peut-être pas au juste ce que c’est qu’un rabouteur. C’est un homme qui vous raboute une jambe cassée, comme un tisserand vous raboute un fil rompu; avec cette seule différence peut-être que le fil du tisserand marche, et que la jambe du rabouteur (lisez: remise par le rebouteur) ne marche pas du tout.» (Gazette des Trib. du 9 mars 1835.)

Un rebouteur reboute, quand il réussit, les jambes et les bras; un tisserand aboute les fils de son métier.


348 RACOQUILLÉ.

Locut. vic. Voyez comme ce parchemin s’est racoquillé ou recoquillé au feu.
Locut. corr. Voyez comme ce parchemin s’est recroquevillé au feu.

L’action du soleil recroqueville les feuilles des plantes, comme celle du feu recroqueville le parchemin, le cuir, etc., c’est-à-dire que ces différens objets se dessèchent et se replient par l’effet de la chaleur.


RAGER, RAGEUR.

Locut. vic. Comme il rageait! Il est rageur.
Locut. corr. Comme il enrageait! Il est colère.

Rager et rageur sont fort usités; mais c’est dans le style le plus familier; car ceux de nos dictionnaires qui donnent le plus volontiers les mots qui appartiennent à ce style ne font aucune mention de ces deux expressions.


RAILLERIE.

Locut. vic.   Cet auteur est lourd dans son style et n’entend pas raillerie.
Votre ami a un mauvais caractère et n’entend pas la raillerie.
 
Locut. corr.   Cet auteur est lourd dans son style et n’entend pas la raillerie.
Votre ami a un mauvais caractère et n’entend pas raillerie.

Entendre la raillerie, c’est connaître l’art de railler. Entendre raillerie, c’est ne point se fâcher de la raillerie. Comme un petit article de plus ou de moins donne 349 cependant une physionomie toute différente à une phrase! C’est là une de ces nombreuses délicatesses dans lesquelles se complaît notre langue.


RAISINS.

Locut. vic. Voulez-vous manger un raisin, des raisins?
Locut. corr. Voulez-vous manger du raisin?

On ne dit pas des raisins, parce qu’on ne peut pas dire: un raisin, deux raisins, trois raisins, etc. On dit: un grain ou une grappe de raisin, deux grains ou deux grappes de raisin, etc.

Un raisin serait trop vague, puisqu’on ne saurait pas si l’on parle d’un grain ou d’une grappe, et l’expression des raisins est au moins inutile, puisqu’elle ne signifie rien de plus que du raisin. Nous croyons donc que La Fontaine a fait une faute dans les vers suivans:

Certain renard. . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . vit au haut d’une treille
Des raisins, mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
(Liv. III, Fab. 11.)

RAISONNER.

Orth. vic. Entendez-vous raisonner l’airain?
Orth. corr. Entendez-vous résonner l’airain?

Résonner, retentir, vient de resonare.

Raisonner, discuter, vient de ratiocinari. Ratiociner a long-temps signifié en français raisonner.

L’orthographe de ce vers de La Fontaine:

Fait raisonner sa queue à l’entour de ses flancs,

350 cité page 19 du présent ouvrage, est donc erronée. Il fallait résonner.


RAISONS (AVOIR DES).

Locut. vic. Nous avons eu des raisons avec eux.
Locut. corr. Nous avons eu une altercation avec eux.

Cette expression, avoir des raisons, employée dans le sens d’avoir une querelle, est plus que vicieuse; elle est ridicule. Comment peut-on songer à rendre le mot raison, si pur, si calme, si beau, si élevé, synonyme du vilain et turbulent mot de querelle, ou de tout autre de sa parenté, comme altercation, dispute, démêlé, etc., qui ne valent guère mieux?


RALONGE.

Locut. vic. Mettez une ralonge à la table.
Locut. corr. Mettez une alonge à la table.

Pourquoi mettre l’alonge R au mot alonge? Ce mot n’est-il pas suffisamment long sans cela? Le Dictionnaire de Boiste donne, en l’indiquant comme terme de métier, le mot ralonge que le Dictionnaire de l’Académie n’a pas accueilli. On lit dans ce dernier Dictionnaire, au mot alonge: «Pièce qu’on met à un vêtement, à un meuble pour l’alonger. Mettre une alonge à une jupe, à des rideaux; une alonge de table.


RAMASSER.

Locut. vic. Il a ramassé de la fortune.
Locut. corr. Il a amassé de la fortune.

Ramasser, c’est prendre ce qui est à terre; amasser, 351 c’est faire un amas, c’est mettre ensemble plusieurs choses ou plusieurs personnes.

Du temps que le Pactole coulait, c’est-à-dire du temps que les bêtes parlaient, rien n’était plus facile que de ramasser de la fortune; maintenant il faut l’amasser. Mais il faut convenir qu’il y a des gens qui l’amassent si vite, qu’on pourrait bien croire qu’ils l’ont ramassée. «Une dame de la cour, au XVIIe siècle, disait: Amassez ma coiffe; amassez mon masque. Une dame de la ville disait: Ramassez ma coiffe, ramassez mon masque.» (Ménage, Obser. sur la Lang. fr., chap. 345.) L’usage ne s’est-il pas avisé de donner tort aux dames de la cour! Le vilain!


RANCUNEUX.

Locut. vic. Est-il rancuneux?
Locut. corr. Est-il rancunier?

Il est bien étrange que M. Boiste, qui a dédaigné, comme tous les lexicographes, d’inscrire à la lettrine RANC l’adjectif rancuneux, auquel il a préféré rancunier avec grande raison, ait glissé ce mauvais adjectif dans l’article haineux, dont il donne ainsi la définition: Naturellement porté à la haine, rancuneux. Ne serait-ce pas le résultat d’un moment de distraction de sa part ou de celle de l’imprimeur. Pourquoi, en ce cas, cette erreur n’a-t-elle pas disparu des éditions faites depuis que M. Girault-Duvivier l’a relevée dans sa Grammaire des grammaires.


352 RAPPELER.

Locut. vic. Vous me condamnez à cela; j’en rappelle.
Locut. corr. Vous me condamnez à cela; j’en appelle.

En appeler, c’est interjeter un appel.

Le relatif en doit être supprimé, lorsque le verbe appeler est suivi d’un autre régime indirect au génitif. Ainsi Féraud a remarqué avec raison que la phrase suivante d’une traduction de Robertson (Histoire de l’Amérique) était viciée par la présence du relatif en. «Colomb en appela directement au trône, des procédures d’un juge subalterne


RAPPELER (S’EN).

Locut. vic. Vous devez vous rappeler de cette histoire-là.
Locut. corr. Vous devez vous rappeler cette histoire-là.

«Il est reconnu que ce verbe ne peut être séparé d’un substantif par la préposition de, faute cependant très commune.

«On doute qu’il en soit de même dans le cas où c’est l’infinitif d’un verbe qui le suit. Je me rappelle avoir entendu paraît effectivement barbare.» (M. Ch. Nodier. Examen crit. des Dict.)

L’Académie et nos meilleurs grammairiens ont permis l’emploi de la préposition de entre se rappeler et l’infinitif du verbe avoir, et nos meilleurs écrivains ont profité de la permission. Nous pensons toutefois, comme M. Ch. Nodier, que «le meilleur serait peut-être d’employer en ce cas le verbe se souvenir qui gouverne la préposition.»

«Je me rappelle de cela, je m’en rappelle, sont des locutions vicieuses, dit Laveaux (Dict. des Diff.); 353 car elles signifient l’une et l’autre: je rappelle à moi de cela. Or, à moi et de cela sont deux régimes indirects, et c’est un principe consacré par l’usage, que l’on ne doit pas donner à un verbe actif deux régimes semblables. Pour s’exprimer correctement, il faut dire: je me rappelle, je me le rappelle. Alors le verbe rappeler se trouve accompagné du régime direct cela et du régime indirect à moi; ce qui est conforme aux règles de la syntaxe.»


RAPPORT.

Locut. vic.   Si j’ai fait cela, c’est rapport à vous.
Je ne dîne pas, par rapport que je suis malade.
 
Locut. corr.   Si j’ai fait cela, c’est à cause de vous.
Je ne dîne pas, parce que je suis malade.

On dit par rapport à: Il fait cela par rapport à vous; mais on ne peut dire ni rapport à, ni par rapport que.


RÉBARBARATIF.

Locut. vic. Voyez son air rébarbaratif.
Locut. corr. Voyez son air rébarbatif.

«Un homme rébarbatif est un homme qui a les manières dures et repoussantes, qui relance les autres en face et à leur barbe. Ce mot, très ancien, vient du verbe rebarber, employé par nos pères dans la signification de regarder en face, de disputer, contrarier. Le duc de Bretagne, s’adressant au capitaine du château de l’Hermine, qui parlait en faveur du connétable de Clisson, lui dit: Taisez-vous...; car si vous me rebarbez, je vous détruirai de fond et de racine.» (De Roquefort, Dictionnaire étymol. de la Langue fr.)

354 Ménage fait venir rébarbatif de rhubarbe.

Danet, dans son Dictionnaire, et La Fontaine, dans sa comédie du Florentin, ont accueilli rébarbaratif, mais il est bon d’observer que La Fontaine met cet incommensurable adjectif dans la bouche d’une suivante:

Il entre..... Ah! que sa barbe est rébarbarative!
(Scène 7.)

REBIFFADE.

Locut. vic. Ils ont essuyé une nouvelle rebiffade.
Locut. corr. Ils ont essuyé une nouvelle rebuffade.

N’y aurait-il point par hasard étroite parenté entre le substantif rebuffade et le verbe se rebiffer? Les gens qui sont sujets à se rebiffer sont ordinairement ceux qui font essuyer des rebuffades. Alors rebiffade serait le mot régulier.

Quoi qu’il en soit, tous les dictionnaires ne donnent que rebuffade.


REBOURS.

Locut. vic. Vous brossez ce drap à la rebours.
Locut. corr. Vous brossez ce drap à rebours.

«Rebours est un substantif qui signifie le contre-poil d’une étoffe: prendre le rebours d’une étoffe pour la mieux nettoyer, et plus ordinairement le contre-pied, le contre-sens, tout le contraire de ce qu’il faut. Les ministres, les hommes en place, sont souvent obligés de dire le rebours de ce qu’ils pensent. Il est familier.

«A rebours, au rebours, sont des manières de parler adverbiales, qui veulent dire à contre-sens: vergeter, 355 épousseter un drap à rebours.—Les sorciers disent leurs prières à rebours.

«On dit aussi au rebours et à rebours du bon sens.

«Au rebours signifie encore au contraire. J. B. Rousseau l’a employé, en ce sens, dans son épigramme contre les journalistes de Trévoux.

Petits auteurs. . . . . . . . . . .
Vous vous tuez à chercher dans les nôtres (ouvrages)
De quoi blâmer, et l’y trouvez très bien;
Nous, au rebours, nous cherchons dans les vôtres
De quoi louer, et nous n’y trouvons rien.»
(Grammaire des Gramm.)

RECOMMENCE.

Locut. vic. J’ai vingt points de recommence.
Locut. corr. J’ai vingt points de recommencement.

Recommence est un mot fort usité par les joueurs, mais qui ne se trouve dans aucun dictionnaire.


RÉCOMPENSER.

Locut. vic. Ce jeune homme récompense bien le temps perdu.
Locut. corr. Ce jeune homme compense bien le temps perdu.

Récompenser le temps perdu est une locution très ridicule, quoique très usitée. Il faut dire compenser le temps perdu. On conçoit fort bien qu’un homme qui a passé ses jeunes années dans la paresse cherche à s’instruire dans son âge mûr, et travaille avec ardeur. Cet homme veut compenser le temps perdu; mais nous sommes bien certains qu’il ne songerait nullement à le récompenser, en supposant que cela fût possible.

356 Claude Binet (Vie de Ronsard) dit en parlant de ce poète: «En peu de temps il récompensa le temps perdu.» On trouve dans nos vieux auteurs d’autres exemples de cette bizarre locution.


RÉCURER, RÉCUREUR.

Locut. vic. C’est un récureur de puits.
Locut. corr. C’est un cureur de puits.

«On dit aussi écurer un puits; mais dans cette phrase curer vaut mieux.» (Dict. de l’Académie.)

L’Académie a conséquemment préféré l’expression cureur de puits.


RÉGAL.

Locut. vic. Servez-nous deux régaux.
Locut. corr. Servez-nous deux régals.

Un régal, en style de limonadier, est une demi-tasse de café, accompagnée d’un petit verre d’eau-de-vie. Régal dans cette acception, qui a été oubliée par les lexicographes les plus modernes, fait au pluriel régals, comme dans ses autres acceptions. «Ce sont des régals continuels.» (Dict. de l’Acad.)


REGITRE.

Orth. et Prononc. vic. Fermez ce regître.
Orth. et Prononc. corr. Fermez ce registre.

L’s de ce mot ne se prononçait pas du temps de Marot, ni même du temps de Ménage. L’usage, qui a changé depuis, s’est rapproché de l’étymologie, et il n’y a aujourd’hui 357 que quelques vieilles gens qui disent regître et enregîtrer.

L’Académie dit, il est vrai, dans son Dictionnaire: «(Plusieurs prononcent et écrivent regître.)» Mais on ne peut réellement avoir égard à cette observation; car plusieurs doivent parler comme tout le monde, quand ils n’ont pas d’ailleurs de bonnes raisons à donner pour parler autrement.

De ses faits je tiens registre:
C’est un homme sans égal.
L’autre hiver, chez un ministre,
Il mena ma femme au bal.
(Béranger. Le Sénateur.)

RÉGLÉ, RAYÉ.

Locut. vic. Rayez les feuilles de ce registre.
Locut. corr. Réglez les feuilles de ce registre.

Rayer du papier, c’est faire sur ce papier des raies dans n’importe quel sens, et n’importe comment.

Régler du papier, c’est faire des raies avec une règle, pour les faire parallèles.

Un enfant, qui ne sait pas tenir une plume, s’amuse à rayer du papier; un bureaucrate qui a quelques instans de loisir, les emploie à régler ses registres. Une main novice peut rayer; une main exercée peut seule régler. Dites aussi la réglure de ce papier est mal faite, et non pas la rayure.


358 RÉGLISSE.

Locut. vic. Ce réglisse est très bon.
Locut. corr. Cette réglisse est très bonne.

Après avoir dit successivement riglisse et reclisse avec Marot:

L’esté luy donnois des raisins,
Du pain besneist, du pain d’espice,
Des eschauldez, de la réclisse, etc.
(Dialogue des deux Amoureux. édit. 1824.)

Ragalice et riglice avec Nicod, et réguelice avec Ménage, et après avoir long-temps flotté entre le masculin et le féminin, l’usage s’est enfin déclaré pour réglisse et pour le féminin.


REMARQUER.

Locut. vic. Je leur ai remarqué qu’ils avaient tort.
Locut. corr. Je leur ai fait remarquer qu’ils avaient tort.

«Remarquer, actif, n’a qu’un seul régime, l’accusatif. Quand on veut lui en donner un second, il faut se servir de faire remarquer. Je lui ai fait remarquer dans ces discours des défauts qu’il n’apercevait pas; et non pas, je lui ai remarqué, etc. M. Arnaud dit de Boileau, dans une de ses lettres, je lui remarquai que, etc.; et cela, à l’imitation des gens du barreau, qui disent dans leur factum: Je vous observerai, pour dire: Je vous ferai observer. Il faut dire: Je lui fis remarquer, etc.» (Féraud, Dict. crit.)


359 REMÉMORIER (SE).

Locut. vic. Je vais vous remémorier ce qui s’est passé.
Locut. corr. Je vais vous remémorer ce qui s’est passé.

On dit remémorier dans quelques patois de l’est; en bon français, on dit remémorer.


REMETTRE.

Locut. vic. Je ne vous remets pas, Madame.
Locut. corr. Je ne vous reconnais pas, Madame.

Me remettez-vous? pour dire: me reconnaissez-vous? vous souvenez-vous de moi? est, selon l’Académie, d’accord sur ce point avec nos meilleurs grammairiens, une phrase vicieuse. On se remet quelque chose, mais non quelqu’un: Ne vous remettez-vous point son visage? Je ne saurais me remettre son nom. Comme il y a ellipse dans ces phrases, c’est comme si l’on disait: Ne vous remettez-vous point (en mémoire) son visage? Je ne saurais me remettre (en mémoire) son nom. Mais dans ces autres phrases: me remettez-vous? le remettez-vous? la construction pleine serait: me remettez-vous en mémoire? le remettez-vous en mémoire? et comme il y aurait ici équivoque, il s’ensuit que l’on doit éviter ces manières de parler qu’il est si facile d’ailleurs de remplacer par des équivalens.

Quoi! monsieur ne me remet pas? (M. Scribe, le Gastronome, sc. 5.)

Il fallait: Quoi! monsieur ne me reconnaît pas?


360 RÉMOLADE.

Locut. vic. Mangez de cette rémolade.
Locut. corr. Mangez de cette rémoulade.

Une rémoulade est une espèce de sauce piquante, faite avec de la moutarde, de l’ail, des ciboules, et autres ingrédiens hachés si menu qu’ils paraissent avoir été moulus.

L’usage est d’accord avec cette étymologie, que nous trouvons dans M. de Roquefort (Dict. étym.); et l’Académie reconnaît aussi rémoulade, puisqu’elle l’a placé dans son Dictionnaire, non comme chef d’article, il est vrai, mais en seconde ligne. Comment se fait-il donc que plusieurs grammairiens aient préféré rémolade? Ne serait-ce point parce qu’il est plus étrange?


REMPLIR LE BUT.

Locut. vic. Cela ne remplit pas votre but.
Locut. corr. Cela n’atteint pas à votre but.

Un dévot qui passe toute sa vie dans le jeûne et la prière, se propose pour but le Paradis. En mourant il atteint à ce but tant désiré; mais il ne le remplit pas. Le Paradis doit être plus vaste que cela.


REMUÉ DE GERMAIN.

Locut. vic. Nous sommes cousins remués de germains.
Locut. corr. Nous sommes cousins issus de germains.

Ménage prétend que remué, dans la locution remué de germain, vient de remotatus, comme qui dirait: cousin éloigné. C’est possible, mais nous nous joignons à 361 lui pour préférer issu de germain. L’autre expression nous paraît un peu trop pittoresque.


RENASQUER.

Locut. vic. Il a un peu renasqué, reniflé, avant de le faire.
Locut. corr. Il a un peu renâclé avant de le faire.

Nos Dictionnaires ont tort, selon nous, de nous donner les verbes renasquer, renifler et renâcler comme synonymes. Le premier, au sentiment de MM. Feydel et Boiste, est un barbarisme; le second signifie seulement: retirer, en respirant un peu fort, l’humeur ou l’air qui remplit les narines; et le troisième exprime l’action de faire certain bruit, en soufflant par le nez. «Renâcler» (en ce dernier sens, et non dans celui de notre phrase d’exemple) «ne se dit point des personnes: et l’animal qui renâcle, jette son souffle impétueusement par les naseaux; ce qui est le contraire de renifler. Un enfant mal élevé renifle et fait soulever le cœur; un jeune cheval, ombrageux ou caressant, renâcle et ne dégoûte point.» (Remarques sur le Dict. de l’Académie.)

«Mme de Sévigné s’est servi de renasquer dans une de ses lettres; mais le mot est en italique, apparemment par les soins de l’éditeur: Ma mère n’a pu s’empêcher de renasquer un peu contre le zèle indiscret qui avait causé ce transport.» (Féraud, Dict. crit.)


RENCONTRE.

Locut. vic. L’insulte qu’avait éprouvée mon ami occasionna une rencontre entre lui et l’étranger.
Locut. corr. L’insulte qu’avait éprouvée mon ami occasionna un duel entre lui et l’étranger.

Ou lit fort souvent dans les journaux: Il y a eu, hier 362 matin, entre M.*** et M.***, une rencontre au bois de***. Or, que signifie cette phrase? Qu’il y a eu, entre ces messieurs, un duel, et un duel prémédité. L’emploi du mot rencontre en cette circonstance est donc tout-à-fait mauvais.

Lorsque, dans un combat singulier, c’est une convention mutuelle qui amène les champions sur le terrain, dites qu’il y a duel; si, au contraire, on ne se bat que par suite d’une collision fortuite, employez alors le mot rencontre. Pourquoi détruire la propriété des termes que la grammaire apporte tant de soins à fixer? pourquoi rendre synonymes des mots qui ont entre eux de très notables différences? Le combat de Laïus et d’Œdipe fut une rencontre; celui des Horaces et des Curiaces fut un duel.

M. Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.) a fait l’observation que ce mot devrait être masculin, par la raison qu’il l’était autrefois. Cette raison ne nous paraît pas concluante. Nous avons maintenant tant de mots qui ont changé de genre! Rencontre est d’ailleurs, depuis un siècle et demi, féminin dans le sens de duel, si l’on en croit du moins le P. Bouhours (Rem. sur la lang. fr.) «Tous les gens qui parlent bien disent maintenant une rencontre; ce n’est pas un duel, ce n’est qu’une rencontre. Le féminin a prévalu.» On peut voir par ce passage que le P. Bouhours établit aussi une différence de signification entre les mots duel et rencontre.


RENFORCIR.

Locut. vic. Ce cheval renforcit tous les jours.
Locut. corr. Ce cheval enforcit tous les jours.

«Les deux verbes renforcer et enforcir signifient 363 l’un et l’autre rendre plus fort, devenir plus fort. La bonne nourriture a enforci ce cheval; on a renforcé l’armée. Comme on ne dit pas enforcer et renforcir, on ne doit pas dire non plus enforcé ni renforci. C’est donc parler mal de dire: Cet enfant est renforci, ces bas sont enforcés; au lieu de cet enfant est renforcé, ces bas sont renforcés ou enforcis. Enforcir, verbe actif, ne se dit point des personnes.» (Laveaux, Dictionnaire des diff.)

Renforcer est d’un usage beaucoup plus étendu qu’enforcir. Ce dernier verbe n’est même employé que dans fort peu de cas. On dit qu’on enforcit du vin, un mur; que la bonne nourriture a enforci un cheval, un âne, un chien, etc.; mais on ne peut pas dire qu’elle a enforci une personne.


RENTRER.

Locut. vic. Il faut rentrer cette couture.
Locut. corr. Il faut rentraire cette couture.

Rentraire, c’est coudre, joindre, raccommoder une étoffe, sans que la couture ou le travail paraisse. «Cela est si bien rentrait qu’on ne voit pas la rentraiture.» (Dict. de l’Acad.)


RENTRER.

Locut. vic. Cela me rentre à 80 francs.
Locut. corr. Cela me revient à 80 francs.

On trouve rentrer avec la signification de revenir, dans le Dictionnaire de l’Académie de 1802. Avant que de compter le profit, il faut que les frais rentrent, c’est-à-dire que l’argent avancé revienne. Remarquez 364 bien que ce n’est pas le verbe revenir à (coûter) que l’on fait ici synonyme de rentrer. Il n’y a certainement pas un seul dictionnaire qui autorise cette synonymie, usitée dans le commerce, et non ailleurs.


RENVOI.

Locut. vic. Les raves causent des renvois.
Locut. corr. Les raves causent des rapports.

«Rapport se dit d’une vapeur incommode, désagréable, qui monte de l’estomac à la bouche.» (Dict. de l’Acad.)

Renvoi, dans ce sens-là, n’est pas français.


RÉPONDRE.

Locut. vic. Lettres à répondre. Lettres répondues.
Locut. corr. Réponses à faire. Réponses faites.

«Répondu, dans ces locutions, placet répondu, requête répondue, ne se dit qu’au palais, où l’on dit activement répondre une requête, un placet. Dans le Dictionnaire néologique, on critique un auteur pour avoir dit: Les difficultés y sont répondues avec force. Il faut se servir du neutre, et dire: On y répond avec force aux difficultés. Quelques-uns disent mal-à-propos, répondre une lettre; il faut dire, répondre à une lettre.

«Répondre ne régit point l’infinitif, la conjonction que et l’indicatif. Les filles, dit Regnard,

répondent souvent,
N’aimer d’autre parti que celui du couvent.

«Il faut dire, même en vers, répondent qu’elles n’aiment.»

(Féraud, Dict. crit.)


365 RÉPONSE.

Locut. vic. Aimez-vous la salade de réponses?
Locut. corr. Aimez-vous la salade de raiponces?

Raiponce vient de rapunculus, diminutif de rapuntium.


RÉSOUDRE.

Locut. vic. Cela ne résolvera pas la difficulté.
Locut. corr. Cela ne résoudra pas la difficulté.

Voici la conjugaison du verbe résoudre:

Je résous, tu résous, il résout, nous résolvons, vous résolvez, ils résolvent.—Je résolvais, nous résolvions, je résolus, nous résolûmes.—Je résoudrai, nous résoudrons.—Je résoudrais, nous résoudrions.—Résous, résolvons.—Que je résolve, que nous résolvions. Que je résolusse, que nous résolussions.—Résoudre, résolvant, résolu, résolue ou résous. (Pas de féminin pour ce dernier participe.)

«Dans le sens de décider, déterminer une chose, un cas douteux, on se sert du participe passé résolu, résolue; en parlant des choses qui se changent, qui se convertissent en d’autres, on se sert du participe passé résous. Ainsi, dans le premier sens, on dira: Ce jeune homme a résolu de changer de conduite; et dans le second, le soleil a résous le brouillard en pluie.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


366 RESPECT.

Locut. vic. Il a vomi, sous votre respect, sauf votre respect, tout ce qu’il avait mangé.
Locut. corr. Il a vomi tout ce qu’il avait mangé.

Ces expressions sont complètement abandonnées aujourd’hui par les gens qui se piquent de bien parler. «Les personnes polies disent le plus honnêtement qu’elles peuvent ce qu’elles ont à dire, sans recourir à cette sorte de civilité basse et populaire.» (Réflexions sur l’us. prés. de la L.) Ainsi pensait-on, il y a un siècle et demi, à l’égard de ces locutions; ainsi pense-t-on encore aujourd’hui. Laveaux, dans son édition du Dictionnaire de l’Académie, dit: «Ces façons de parler, sauf le respect que je dois, etc., ne sont plus employées aujourd’hui dans la bonne société, si ce n’est en plaisanterie.»


RESSEMBLER.

Locut. vic. Comme cet enfant ressemble son père!
Locut. corr. Comme cet enfant ressemble à son père!
Si tu crois ressembler un ange
Quand tu consultes ton miroir,
Va-t’en dans les îles du Gange
Où l’on peint les anges en noir.

Nous lisons dans Féraud: (Dict. crit.) «Anciennement on faisait ressembler actif. J’ai vu en mon temps, dit Montaigne, cent artisans, cent laboureurs plus heureux que des recteurs de l’Université, et lesquels j’aimerais mieux ressembler. On dirait aujourd’hui à qui, etc.»

Cette faute se trouve encore dans les vers suivans:

Quand je revis ce que j’ai tant aimé,
367
Peu s’en fallut que mon feu rallumé
Ne fît l’amour en mon âme renaître,
Et que mon cœur, autrefois son captif,
Ne ressemblât l’esclave fugitif
A qui le sort fait rencontrer son maître.

M. Boiste attribue à Racine, dans son Dictionnaire des difficultés de la Langue française, cette jolie stance que Vaugelas attribue de son côté à Jean Bertaut, ancien évêque de Séez. Ce qu’il y a de bien certain, c’est que nous l’avons copiée dans une édition de Vaugelas (487e rem.), faite en 1647, c’est-à-dire à une époque où notre grand poète tragique n’avait encore que huit ans. Racine a donc six jolis vers de moins; mais il a aussi un solécisme de moins. Prévention de grammairien à part, n’y a-t-il réellement pas compensation?


RESSORTIR.

Locut. vic. Cette affaire ressort du tribunal de commerce.
Locut. corr. Cette affaire ressortit au tribunal de commerce.

Il y a deux verbes ressortir, que nos dictionnaires comprennent sous le même article, et qui n’ont cependant rien de commun.

Ressortir, signifiant sortir de nouveau, se conjugue absolument comme sortir.

Ressortir, dans le sens de, être du ressort, de la dépendance de quelque juridiction, se conjugue comme finir. Je ressortis, tu ressortis, il ressortit, nous ressortissons, vous ressortissez, ils ressortissent; je ressortissais, etc.; je ressortis, etc.; j’ai ressorti, etc.; je ressortirai, etc.; je ressortirais, etc.; que je ressortisse, etc. (pour le présent et l’imparfait du subjonctif), ressortissant.

368 «Les justices royales des anciennes duchés-pairies ressortissent au Parlement nuement et sans moyen.» (Dict. de Trévoux.)

«Les causes des particuliers ressortissent au gouverneur de la province.» (Voltaire.)

«Les êtres ressortissent à l’homme.» (De Saint-Pierre.)

«Si un différend est porté à deux ou à plusieurs tribunaux, ressortissant au même tribunal, le réglement de juges sera porté à ce tribunal.» (Code de procéd. civ. Titre XIX, art. 363.)

«La Sénéchaussée ressort du Parlement. (Anon.) Il y a là deux fautes, dit Féraud; ressort pour ressortit, et du pour au: il faut ressortit au Parlement.» (Dict. crit.)


RESTAURAT.

Locut. vic. Nous dinâmes au restaurat.
Locut. corr. Nous dinâmes au restaurant.

Ce mot n’est pas français à Paris, mais il l’est toujours en province. Un nouvel arrivé dans la capitale s’informe d’un restaurat; on le mène au restaurant, où il dîne fort bien, absolument comme dans un restaurat. Cela n’empêche pas l’ingrat de demander le lendemain le chemin du restaurat.

Restaurat a été expulsé de nos dictionnaires, et, plaisanterie à part, on pourrait avoir quelque droit de s’en étonner, lorsqu’on y trouve le mot restaurateur, qui, dans son acception culinaire, vient évidemment de restaurat et non de restaurant. C’est encore là un des mille caprices de l’usage.


369 RESTER.

Locut. vic.   Vous êtes resté trois jours chez moi.
Nous l’avons quitté hier: il a resté à Lille.
 
Locut. corr.   Vous avez resté trois jours chez moi.
Nous l’avons quitté hier: il est resté à Lille.

Rester prend l’auxiliaire avoir quand il exprime une action, quand le sujet n’est plus au lieu dont on parle. Il a resté deux jours à Lyon. (Académie.) J’ai resté sept mois à Colmar sans sortir de ma chambre. (Voltaire.) Il prend l’auxiliaire être, quand il exprime l’état de séjour du sujet, quand le sujet est encore dans le lieu dont on parle. Je l’attendais à Paris, mais il est resté à Lyon. (Académie.)


RESTER.

Locut. vic.   Je reste dans la même maison que lui.
Tous mes amis sont restés à la campagne.
 
Locut. corr.   Je loge dans la même maison que lui.
Tous mes amis sont demeurés à la campagne.

Rester ne peut jamais s’employer pour loger, et loger ne doit pas s’employer indifféremment pour demeurer. «Demeurer se dit par rapport au lieu topographique où l’on habite, et loger par rapport à l’édifice où l’on se retire. On demeure à Paris, en province, à la ville, à la campagne. On loge au Louvre, chez soi, en hôtel garni.

«Quand les gens de distinction demeurent à Paris, ils logent dans des hôtels; et quand ils demeurent à la campagne, ils logent dans des châteaux.» (Girard, Synonymes.)

—«Les Normands ne se peuvent défaire de leur rester pour demeurer: Comme je resterai ici tout l’été, 370 pour dire: je demeurerai» (Vaugelas, Rem. 139e.)

Rester n’est bon que quand il signifie être de reste; on dira fort bien en parlant d’un grand carnage: Il n’en resta pas même un seul pour en porter la nouvelle, c’est-à-dire, il n’y en eut pas même un seul de reste qui pût en porter la nouvelle; et c’est en ce sens que M. Fléchier se sert fort à propos de ce verbe, lorsqu’il dit, dans l’Histoire de Théodose: Ils chargèrent si bien ces barbares qu’il n’en resta qu’un petit nombre. Hors ces occasions, rester ne vaut rien; c’est à quoi peu de gens prennent garde, même parmi ceux qui parlent le mieux. Le nouveau traducteur d’Horace dit dans la onzième épître: «Aimez-vous mieux rester à Lébède que de vous exposer tout de nouveau à la fatigue des voyages de terre et de mer? Ne dirait-on pas que tout le monde va sortir de Lébède, et qu’il conseille à celui-ci de n’y pas demeurer seul et abandonné?» (Andry-de-Boisregard, Réflexions sur l’usage prés. de la Langue française.)


RÉSULTER.

«Résulter ne se dit qu’à l’infinitif et à la troisième personne des autres temps. L’Académie dit qu’il se conjugue avec le verbe avoir, et avec le verbe être. Qu’a-t-il résulté de là? qu’en est-il résulté? Mais elle ne dit pas dans quel cas l’on doit préférer l’un à l’autre.—Je pense qu’il faut employer l’auxiliaire avoir, quand il est question d’un résultat qui s’opère, qui commence, et dont on veut marquer le commencement: Vous avez été témoin de leurs différends, de leurs querelles, et vous avez vu ce qui en a résulté. Mais s’il s’agit d’un résultat déjà existant, et dont on ne veut exprimer que l’existence, il faut préférer l’auxiliaire 371 être. Rappelez-vous nos querelles, nos dissensions, et voyez ce qui en est résulté.» (Laveaux, Dict. des diff.)


RETOURNER.

Locut. vic. Retournez-moi la caisse que je vous ai expédiée.
Locut. corr. Renvoyez-moi la caisse que je vous ai expédiée.

Retourner, employé activement et en parlant des choses, ne signifie que tourner dans un autre sens, mettre le dessus dessous. Avec la signification de renvoyer, c’est un barbarisme, beaucoup trop commun malheureusement, en style d’affaires.

Écrivez à quelqu’un de vous retourner quelque vêtement que vous lui aurez prêté, et si votre correspondant est un tailleur et un mauvais farceur, qui s’attache seulement à la lettre de votre demande, vous verrez votre vêtement vous revenir avec une apparence plus neuve, mais à coup sûr moins fine qu’auparavant. Un barbarisme peut, heureusement, entraîner quelquefois à sa suite des désagrémens. C’est, comme on le voit, le hasard qui s’est chargé d’attacher une pénalité aux lois de la grammaire.


RÉUNIR.

Locut. vic. Cette femme réunit la vertu à la beauté.
Locut. corr. Cette femme réunit la vertu et la beauté, ou bien, unit la vertu à la beauté.

«Ce verbe, signifiant posséder en même temps, ne veut point que la préposition à soit placée avant un de ses régimes; ainsi, ne dites pas: Caton réunissait 372 la vaillance à la sagesse. Mais dites: Caton réunissait la vaillance et la sagesse.

«Si on voulait employer la préposition à, il faudrait se servir du verbe unir: Caton unissait la vaillance à la sagesse.

«D’après ce principe, on doit se garder d’imiter deux auteurs modernes qui ont dit:

«Cette jeune personne réunit les grâces à la beauté.Votre ami réunit la modestie au mérite.Turenne réunissait la prudence à la hardiesse. Il faut: Cette jeune personne réunit les grâces et la beauté, etc.; ou bien, cette jeune personne unit les grâces à la beauté, etc.» (Gramm. des gramm.)


REVENGE.

Locut. vic. Je prendrai ma revenge.
Locut. corr. Je prendrai ma revanche.

Revenge est anglais, mais il n’est pas français. Se revenger ne l’est pas non plus. Il faut dire se revancher; il est permis de se revancher quand on est attaqué. On disait autrefois se revenger.

Voyant à coups de bec sa femme l’outrager,
Voudrait bien, s’il pouvait, d’elle se revenger,
Mais il n’ose gronder ni dire une parolle
Qu’il n’ait tout aussi tost le retour de son rolle.
(Th. de Courval-Sonnet, Sat. sur les poignantes traverses du mariage.)

REVENIR.

Locut. vic. Cela me revient cher, à cher.
Locut. corr. Cela me coûte cher.

On dit fort bien: Cela me revient à vingt francs; 373 mais on ne doit pas dire: Cela me revient à peu, à beaucoup, etc., parce que le verbe revenir à veut être suivi d’un nom de nombre, et non d’un adverbe.


RÊVER.

Locut. vic. J’ai rêvé à vous cette nuit.
Locut. corr. J’ai rêvé de vous cette nuit.

Rêver, signifiant faire des songes, est actif ou neutre. Comme verbe actif, il doit être suivi d’un régime direct: J’ai rêvé telle chose, j’ai rêvé cela; comme verbe neutre, il demande la préposition de: J’ai rêvé de choses effrayantes.

Rêver est plus généralement actif devant un substantif seul: rêver combats, rêver naufrages, quoique l’Académie permette de dire aussi rêver de combats, de naufrages. Devant un pronom personnel ou un substantif joint à un adjectif, c’est rêver de qu’il faut employer: J’ai rêvé de vous, de ces gens-là, de malheurs horribles.

Quand rêver signifie réfléchir, il doit toujours être suivi de la préposition à: J’ai rêvé à votre affaire.

«On rêve de quelqu’un, de quelque chose pendant le sommeil. On rêve à quelqu’un, à quelque chose tout éveillé.

«Rêver de quelqu’un nous donne le substantif rêve.

«Rêver à quelqu’un nous donne le substantif rêverie.

«Au lieu de la préposition à, on emploie la préposition sur, si la méditation est profonde: J’ai long-temps rêvé sur cette affaire.» (A. Boniface, Manuel des amateurs de la Langue fr.)


374 REVÊTIR.

Locut. vic. Cet homme est singulier, et revêtit souvent sa pensée d’expressions bizarres.
Locut. corr. Cet homme est singulier, et revêt souvent sa pensée d’expressions bizarres.

Revêtir se conjugue de la même manière que vêtir. Voici la conjugaison de ce dernier verbe. Je vêts, tu vêts, il vêt, nous vêtons, vous vêtez, ils vêtent.—Je vêtais.—Je vêtis.—Je vêtirai.—Je vêtirais.—Vêts, qu’il vête, vêtons, vêtez, qu’ils vêtent. Que je vête.—Que je vêtisse.—Vêtir, vêtant.

L’indicatif de ce verbe est un écueil que plusieurs écrivains célèbres n’ont pas su éviter.

De leurs molles toisons les brebis se vêtissent,
De leurs longs bêlements les plaines retentissent.
(Delille., Par. perdu. Liv. VII.)

«Dieu leur a refusé le cocotier qui ombrage, loge, vêtit, nourrit, abreuve les enfans de Brama». (Voltaire.)

«Le poil du chameau qui se renouvelle tous les ans par une mue complète, sert aux Arabes à faire des étoffes dont ils se vêtissent et se meublent.» (Buffon, le Chameau.)

L’édition de Buffon de M. Pillot (Paris, 1830) donne: s’habillent au lieu de se vêtissent.

Dévêtir se conjugue aussi comme vêtir.


REVOIR (A).

Locut. vic. A revoir, mes amis.
Locut. corr. Au revoir, mes amis.

Revoir est ici un verbe employé substantivement. On 375 dit au revoir, par ellipse, pour au (plaisir de vous) revoir.

Suffit. Adieu, Muses; jusqu’au revoir.
(J.-B. Rousseau., Ép. 1. Liv. 1.)
Jusqu’au revoir. Songez qu’une naissance illustre
Des sentimens du cœur reçoit son plus beau lustre.
(Destouches. Le Glorieux. Act. I. sc. IX.)

RHUM.

Orth. vic. Du Rhum de la Jamaïque.
Orth. corr. Du Rum de la Jamaïque.

Il y a fort peu de personnes qui écrivent bien ce mot. Vainement le Dictionnaire de l’Académie, et presque tous les autres dictionnaires écrivent-ils rum, l’usage s’obstine à conserver la lettre h dans l’orthographe de ce mot. Nous ne demanderons pas à l’usage sur quoi il se fonde pour écrire ainsi; car c’est un despote qui ne reconnaît d’autre loi que son caprice. Toujours est-il vrai qu’on écrit rum depuis fort long-temps: Trévoux en fait foi. Ce Dictionnaire cite à ce sujet un passage de Lémery, où l’étymologie de ce nom de liqueur est prise dans le langage barbare, par quoi il faut entendre nécessairement le langage des colonies occidentales. Les Anglais et les Espagnols ont toujours écrit, les uns rum et les autres ron. Nous pensons qu’on ferait bien d’écrire rum au lieu de rhum, orthographe que rien ne justifie.

Ou prononce rome et non roume, comme l’a prétendu M. Girault-Duvivier dans sa Grammaire des grammaires (première édition).


376 RIDICULARISER.

Locut. vic. On a ridicularisé cet homme-là.
Locut. corr. On a ridiculisé cet homme-là.

Ridiculariser est un barbarisme.


RIEN MOINS.

Locut. vic. Cette fille n’est rien moins que belle.
Locut. corr. Cette fille n’est point belle.

«Rien moins a quelquefois deux acceptions opposées. Avec le verbe substantif (être), rien moins signifie le contraire de l’adjectif qui le suit. Il n’est rien moins que sage, veut dire, il n’est point sage. Mais, quand rien moins est suivi d’un substantif, il peut avoir le sens positif ou négatif selon la circonstance. Vous lui devez du respect; car il n’est rien moins que votre père, c’est-à-dire, il est votre père. Vous pouvez vous dispenser du respect à son égard; car il n’est rien moins que votre père, c’est-à-dire, il n’est pas votre père. Rien moins, employé impersonnellement, a aussi un sens négatif. Il n’y a rien de moins vrai que cette nouvelle, veut dire, cette nouvelle n’est pas vraie. Mais, avec un verbe actif ou neutre, le sens serait équivoque, s’il n’était déterminé par ce qui précède. Exemple: Vous le croyez votre concurrent, il a d’autres vues; il ne désire rien moins que vous supplanter, c’est-à-dire qu’il n’est point votre concurrent. Vous ne le regardez pas comme votre concurrent; cependant il ne désire rien moins que vous supplanter, c’est-à-dire qu’il est votre concurrent. Au reste, il est bon d’éviter cette façon 377 de parler, à cause de l’équivoque qu’elle entraîne.» (Dict. de l’Académie.)

Arrière ceux dont la bouche,
Souffle le chaud et le froid!

RINCER.

Locut. vic. Allez rincer ce linge.
Locut. corr. Allez aiguayer ce linge.

«Rincer. Du bruit des doigts contre l’intérieur d’un verre que l’on rince.» (M. Ch. Nodier, Dict. des Onomatopées.) «Rincer ne se dit que des verres, tasses, cruches et autres vases semblables, et de la bouche qu’on lave.» (Féraud, Dict. crit.)


ROIDE, ROIDEUR, ROIDILLON, ROIDIR.

Orth. et Prononc. vic. Roide, roideur, roidillon, roidir.
Orth. et Prononc. corr. Raide, raideur, raidillon, raidir.

Rien, selon nous, n’est plus ridicule que de donner à des règles des exceptions que rien ne justifie, et qui souvent même blessent les lois de l’étymologie ou de l’analogie. Nous concevons très bien que plusieurs grammairiens, au nombre desquels se trouve M. Ch. Nodier, demandent que l’on écrive roide, roideur, etc., et que l’on prononce roade, roadeur, etc. C’est là une conséquence toute naturelle de leur désir de rétablir la prononciation française de la diphtongue oi, telle qu’elle était au commencement du seizième siècle, avant que Catherine de Médicis et sa suite eussent, selon l’expression d’Henri Etienne, italianisé notre langue. Mais que l’on vienne nous dire, comme M. Laveaux, qu’il faut donner à deux 378 de ces mots, roideur et roidillon, le son d’oa et prononcer roadeur, roadillon, et à deux autres, roide et roidir, le son d’ai, et prononcer raide et raidir, quand ces quatre mots ont évidemment une étymologie commune; voilà ce que nous avons peine à concevoir de la part d’un écrivain qui sait raisonner. Quant à nous, nous pensons qu’il faut aujourd’hui se résigner à prononcer et à écrire raide, raideur, etc., malgré ce que peut avoir de pénible pour notre orgueil national une prononciation qui nous a été imposée par l’étranger, mais qui est maintenant définitivement établie, et qu’il serait par conséquent impossible de changer.


ROT, ROTI.

Locut. vic.   De quels plats se compose le rôti du dîner?
Voulez-vous un morceau de ce rôt?
 
Locut. corr.   De quels plats se compose le rôt du dîner?
Voulez-vous un morceau de ce rôti?

«Le rôt est le service des mets rôtis; le rôti est la viande rôtie.

«Les viandes de boucherie, la volaille, le gibier, etc., cuits à la broche, sont du rôti: les différens plats de cette espèce composent le rôt; les grosses pièces, le gros rôt, et les petites, le menu rôt. On sert le rôt, et vous mangez du rôti. Le rôt est servi après les entrées: le rôti est autrement préparé que le bouilli. Il y a un rôt en maigre comme en gras; mais la viande rôtie est seule du rôti.

«Nos bons aïeux ne connaissaient guère que le pot et le rôt, ou les deux services du bouilli et du rôti; ainsi l’on disait, et nous le répétons encore: Tel homme est à pot et à rôt dans telle maison, quand il y est très familier. 379 Jusque dans le sixième siècle, on ne vit en viande sur les tables, et même aux repas d’appareil, que du bouilli et du rôti, avec quelques sauces à part; le gibier fut long-temps réservé pour les grands jours. La magnificence des festins consistait surtout dans la somptuosité du rôt, comme aujourd’hui aux noces de village: on y servait des sangliers et des bœufs entiers, et remplis d’autres animaux.

«Aujourd’hui la cuisine française, la plus habile, la plus agaçante, la plus mortelle de l’Europe, a trouvé l’art de nous faire simplement dîner avec les entrées. Le service du rôt est presque entièrement retranché: dans les repas ordinaires, il y a seulement quelques plats de rôti mêlés avec l’entremets.» (Roubaud, Synonymes.)


ROT-DE-BIF.

Locut. vic. Mangez un peu de ce rôt-de-bif de chevreuil.
Locut. corr. Mangez un peu de ce rôti de chevreuil.

«Le secrétaire de l’Académie française s’est grandement trompé s’il a cru enrichir notre langue en insérant dans son Dictionnaire rôt-de-bif. Cette expression n’est d’aucun idiôme. Le roi Jacques, à Saint-Germain, mangeait des tranches de bœuf rôties; ce que les Anglais écrivent roast beef, nomment roze bif, et, quand ils veulent parler français, rote bif; quelque cuisinier aura qualifié rote bif un morceau de mouton ou de chevreuil, servi à Versailles ou à Chantilly. La nouvelle expression de cuisine aura été répétée à table, à cause du ridicule qui la distinguait. Mais, comme ces sortes de plaisanteries ont d’ordinaire peu de durée, quelque générales qu’elles soient d’abord, rôtebif dit rôdebif s’est introduit sérieusement, et avec tous ses régimes, 380 dans l’Académie française.» (Feydel, Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie.)


ROULEAU.

Locut. vic. Je suis au bout de mon rouleau.
Locut. corr. Je suis au bout de mon rôlet.

Un homme qui ne sait plus que dire ni que faire est au bout de son rôlet, c’est-à-dire du petit rôle qu’il avait appris; rouleau ne signifierait rien ici.

C’est encore un renard qui fournit le sujet
Du récit que je vais vous faire:
Sans le renard, on ne conterait guère,
Et j’eusse été vingt fois au bout de mon rôlet.
(Vitallis. Fab. 25, liv. II.)

ROULER.

Si l’on en croit Féraud, rouler carrosse est un gasconisme. Nous croyons que ce grammairien se montre ici un peu trop scrupuleux. Quant à cette autre locution, traîner carrosse, qu’il dit être en usage dans la province, nous ne croyons pas qu’elle y soit même fort usitée par les gens qui raisonnent, et qui précisément parce qu’ils raisonnent ne doivent pas chercher à s’assimiler à des chevaux. Voici une anecdote qu’il raconte à ce sujet: «Tu me manques de respect, disait un gros richard à une harengère, sais-tu que je traîne carrosse?—Eh! monsieur, lui répondit-elle, où trouverait-on à vous aparier?»


381 RUELLE.

Locut. vic. J’ai acheté de la ruelle de veau.
Locut. corr. J’ai acheté de la rouelle de veau.

Une ruelle est une petite rue.

Une rouelle est une tranche ronde en forme de petite roue, coupée dans un saucisson, dans une orange, dans une pomme, etc. Une rouelle de veau est aussi une tranche circulaire, prise dans la cuisse d’un veau.


SABLEUX.

Locut. vic.   Cette farine est sablonneuse.
Comme cette terre est sableuse.
 
Locut. corr.   Cette farine est sableuse.
Comme cette terre est sablonneuse.

Ce qui est sableux contient un peu de sable.

Ce qui est sablonneux contient beaucoup de sable.

On dit de la farine, de la cassonnade sableuse, et une terre, un pays, un rivage sablonneux.


SABLIÈRE.

Locut. vic. Mettez de la poudre dans ma sablière.
Locut. corr. Mettez de la poudre dans mon sablier.

Une sablière est un lieu d’où l’on tire du sable.

Un sablier est un petit vaisseau contenant du sable pour sécher l’écriture.

Un sablier est encore une horloge de verre qui mesure le temps par le sable qu’on y renferme. L’Académie dit que le mot sable est plus usité en ce sens que le mot sablier: Ce sable n’est pas juste. Nous la croyons dans l’erreur.


382 SACHE, SACHONS.

Locut. vic. Je ne sache pas qu’il soit arrivé.
Locut. corr. Il n’est pas arrivé, que je sache.

Rien n’est plus irrégulier et plus ridicule que ce subjonctif: je ne sache pas, nous ne sachons pas, au commencement d’une phrase, quand rien ne le demande là, quand tout s’oppose à ce qu’il y soit, et qu’il est d’ailleurs si facile de le mettre à une place plus convenable, sans changer en aucune façon la valeur de la phrase. Un de nos bons grammairiens modernes a écrit: «On dit aussi: Je ne sais pas qu’il vient tous les jours, dans le sens de: je suis censé ne pas savoir, ou l’on a voulu me laisser ignorer, on ne m’a pas dit, etc.; mais si l’on veut exprimer une véritable ignorance, on dira: Je ne sache pas qu’il vienne, etc.»

Nous sommes tout-à-fait de l’avis de ce grammairien; quand on voudra faire preuve d’une véritable ignorance on dira: nous ne sachons pas.

«Nous ne sachons pas,» a dit le ministère public dans un procès récent, «que les individus dont on parle aient été tués par le roi.» (Gaz. des Trib. du 26 fév. 1835.)

Nous, espèce de ministère public de la grammaire, nous inculpons de barbarisme M. l’avocat du roi, et requérons contre lui la peine de droit: un peu de ridicule.


S’AGIR.

Locut. vic. Je ne crois pas qu’il ait s’agi de le faire.
Locut. corr. Je ne crois pas qu’il se soit agi de le faire.

S’agir se conjugue, dans tous ses temps composés, avec être, et non avec avoir, et le pronom personnel se 383 doit toujours être placé devant le verbe auxiliaire. Il s’est agi, il se sera agi, il se serait agi, il se fût agi, qu’il se soit agi, qu’il se fût agi.

Le Ministre de la guerre (à la tribune). «Le ministre ne peut, de son propre mouvement, former ou dissoudre une armée; l’armée est constituée par ordonnance du roi. Lorsqu’il a s’agi de former l’armée du Nord.....» (Rires aux extrémités.)

Une voix du centre. «Il n’y a pas là de quoi rire; on voit bien que M. le ministre veut dire: lorsqu’il s’est agi

Le ministre. «Dans ce cas, c’est le gouvernement qui est intervenu; de même lorsqu’il a s’agi...» (Nouveaux rires.)

Une voix à droite. «Ces explications ne sont point d’un bon français.» (Séance de la Ch. des Dép. du 25 fév. 1834. Courrier Français du 26 fév. 1834.)


SAIGNER.

Locut. vic. Quoi! pour une chiquenaude, vous saignez du nez, ou au nez!
Locut. corr. Quoi! pour une chiquenaude, vous saignez par le nez!

MM. Noël et Chapsal disent, dans leur grammaire (21e édit.), que saigner au nez n’est pas français, et qu’on doit employer saigner du nez au propre comme au figuré.

Voici ce qu’on lit, à ce sujet, dans l’Examen critique des Dict. de la langue française, par M. Ch. Nodier:

«Saigner du nez signifie manquer de courage, de résolution.

«Saigner au nez se dit d’une blessure extérieure.

384 «Saigner par le nez d’une hémorrhagie, et ce serait mal parler que de s’exprimer autrement.»

On peut choisir entre ces deux opinions; quant à nous, nous pensons que M. Ch. Nodier est le seul grammairien qui se soit donné la peine d’examiner la question, et nous adoptons entièrement son sentiment.


SALADIER.

Locut. vic. Avez-vous bien secoué cette salade dans le saladier?
Locut. corr. Avez-vous bien secoué cette salade dans le panier-à-salade?

Nous ne saurions admettre, comme MM. Laveaux et Boiste, qu’on puisse employer le mot saladier pour signifier tour à tour un plat ou un panier, et nous croyons agir sensément en ne conservant à ce mot que la première des deux acceptions qu’on lui donne, et en transportant la seconde au mot panier-à-salade, qui est déjà d’un usage assez général et assez ancien, quoique les dictionnaires paraissent l’ignorer.


SANGUINAIRE, SANGUINOLENT.

Prononc. vic. Sangu-inaire, sangu-ignolent.
Prononc. corr. Sanghinaire, sanghinolent.

SAP.

Locut. vic. Faites cela en bois de sap.
Locut. corr. Faites cela en bois de sapin.

Sap est un archaïsme que font généralement les ouvriers de Paris.

Si tient une lance de sap.
(Roman de Perceval.)

Sap n’est plus français.


385 SATIRE, SATYRE.

Orth. vic.   Il est laid comme un satire.
Abandonnez le genre de la satyre.
 
Orth. corr.   Il est laid comme un satyre.
Abandonnez le genre de la satire.

Un satyre est un demi-dieu de la fable.

Une satire est un ouvrage de littérature.

Une satyre est aussi, selon l’Académie, «certain poëme mordant, espèce de pastorale ainsi nommée, parce que les satyres en étaient les principaux personnages. Ce poëme n’avait point de ressemblance avec celui que nous appelons satire, d’après les Romains. Les satyres grecques étaient des farces, ou des parodies de pièces sérieuses.»


SATISFESANT.

Orth. et pronon. vic. Cette raison est satisfesante.
Orth. et pronon. corr. Cette raison est satisfaisante.

L’Académie, Laveaux et Boiste écrivent satisfaisant.


SAUVAGE.

Locut. vic. Cette chair sent le sauvage, le sauvageon.
Locut. corr. Cette chair sent le sauvagin, la sauvagine.

Sauvagin se dit de certain goût, de certaine odeur de quelques oiseaux de mer, d’étang, de marais.

Sauvagine se dit collectivement pour signifier ces sortes d’oiseaux. Ce pays est plein de sauvagine, et aussi en parlant de l’odeur de ces oiseaux: Cela sent la sauvagine.

Un sauvageon est un jeune arbre venu sans culture.


386 SAVOIR (FAIRE A).

Locut. vic. Faites à savoir qu’il est arrivé.
Locut. corr. Faites savoir qu’il est arrivé.

M. Marle (Précis d’Orthologie) blâme avec raison la formule: on fait à savoir que, employée, dit-il, dans les petites villes, et surtout dans les villages, au commencement des publications faites au nom du maire, et ce grammairien désirerait que le fonctionnaire public ne laissât pas écorcher ainsi la langue en son nom. Mais M. Marle aurait-il donc oublié que l’Académie autorise cette façon de parler? Que répondrait-il à un maire qui lui montrerait, pour se disculper, le texte du Dictionnaire sacré? M. Marle trouverait sans doute d’excellentes raisons pour soutenir son opinion, mais M. Marle ne convaincrait probablement pas son adversaire, que nous supposerons pour cela ne pas être grammairien; par la raison que, pour tout homme qui n’est pas un peu grammairien, l’Académie est une autorité irréfragable. Aussi l’Académie a-t-elle de bien grands torts quand elle se trompe.

M. Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.) prétend qu’on doit dire: faire assavoir. C’est, dit-il, une expression de chancellerie municipale, expression composée seulement de deux verbes, dont le second, qui devrait se trouver dans le dictionnaire, sous la lettrine ass, est assavoir, et non: savoir.—Nous pensons que le verbe assavoir étant aujourd’hui tombé en désuétude, puisque aucun dictionnaire ne le donne, il vaut beaucoup mieux dire: faire savoir, que faire assavoir, qu’on écrirait toujours comme l’Académie, c’est-à-dire sous la forme d’un barbarisme, malgré l’excellente remarque de M. Feydel.


387 SAVOYARD.

Locut. vic.   Allez, vous n’êtes qu’un savoyard.
Un de mes amis, un avocat savoisien.
 
Locut. corr.   Allez, vous n’êtes qu’un brutal.
Un de mes amis, un avocat savoyard.

Les gens mal élevés disent froidement des injures; les gens bien élevés en disent aussi, malheureusement, mais quand ils sont en colère, et les uns et les autres sont peut-être excusables jusqu’à un certain point, à cause de leur manque, soit d’éducation, soit de raison. Mais que dire d’un lexicographe qui imprime, lui, homme instruit et calme, ou qui doit l’être du moins, qu’un savoyard est un terme de mépris qui signifie homme sale, grossier, brutal. En vain ce lexicographe objectera-t-il que son devoir est d’enregistrer tous les mots qui ont cours dans la langue, nous lui répondrons que son devoir est aussi de passer sous silence les mots qui peuvent porter atteinte à la décence ou à la morale, à moins qu’il ne se propose pour modèle le dictionnaire français-espagnol de Sobrino, le dictionnaire le plus impudique qu’on ait jamais fait. Que résulterait-il, après tout, de ce silence? Que celui qui ne voudrait employer ce mot qu’après l’avoir trouvé dans le dictionnaire ne l’emploierait pas du tout. Où serait donc le mal?

Si nous repoussons le mot Savoisien, qu’on veut substituer à Savoyard, comme gentilé de la Savoie, c’est parce qu’il est trop peu usité; que son adoption nous paraîtrait la consécration définive de l’injure sottement faite au gentilé savoyard; qu’il est irrégulièrement formé, et qu’il ne peut se dire correctement que d’un habitant du village de Savoisy, dans la Côte-d’Or. Quand Rousseau écrivait: Ces pauvres Savoyards sont si bonnes gens! (Confess., liv. 6.) il n’avait certainement pas l’intention 388 de leur faire une insulte, et cependant la subtile distinction établie entre savoyard et savoisien existait à cette époque depuis long-temps.

«J’ai vu une grande dispute à Grenoble, dit L. A. Allemand (Nouv. rem. de Vaugelas, 1690, p. 468.) pour savoir si l’on devait appeler les peuples de Savoie Savoyards on Savoisiens, jusques-là même qu’on faillit à en venir aux mains. Les Savoisiens qui étaient venus d’Annecy et de Chambéry à Grenoble, pour y tirer un prix général de l’arquebuse, prétendaient que les Lyonnais qui y étaient aussi, les avaient offensés en les appelant Savoyards. Ils disaient que ce mot de savoyard n’avait été destiné par notre usage qu’à signifier ces misérables ramoneurs de cheminées, et qu’ainsi c’était un terme de mépris, et qu’il fallait appeler les peuples de Savoie des Savoisiens. En sorte qu’il fut résolu, dans une assemblée de plus de trois mille hommes, tous armés, qu’on ne les appellerait plus Savoyards, mais Savoisiens. Cependant, dit notre auteur en terminant, comme on ne connaît presque pas ce mot à Paris, je ne voudrais pas condamner ceux qui disent savoyard en toutes manières, puisque un grand nombre de bons auteurs ne parlent pas autrement.»

C’est sans doute par distraction que M. Thiers a employé le mot savoisien dans le passage suivant: «Il forma aussitôt une assemblée de Savoisiens, pour y faire délibérer sur une question qui ne pouvait pas être douteuse, celle de la réunion à la France.» (Hist. de la Rév., t. 3, p. 200.) Il est impossible que ce soit avec réflexion qu’un académicien ait employé cette mauvaise expression.


389 SIAU.

Prononc. vic. Il pleut à siaux.
Prononc. corr. Il pleut à seaux.

Il y a des personnes qui prononcent séo; ces personnes là se trompent comme celles qui prononcent siaux. C’est so qu’il faut dire.


SEMBLER.

Locut. vic. En vérité, vous semblez un pacha.
Locut. corr. En vérité, vous semblez être un pacha.
Semblait un roi puissant de son peuple adoré.
(Voltaire, Henriade.)

M. Ch. Nodier signale ce vers comme défectueux. On ne semble pas un roi, dit-il; c’est une locution parisienne. Il fallait: semblait être un roi.

Nous pensons aussi qu’on ne doit jamais placer ce verbe devant un substantif. Il paraît au reste que cette manière de parler est très ancienne, car on trouve dans un poète du treizième siècle, nommé Herbers, les vers suivans:

Femme semble ung cochet à vent
Qui se change et mue souvent.

SEMESTRE.

Locut. vic. J’obtiendrai, je crois, un semestre de deux mois.
Locut. corr. J’obtiendrai, je crois, un congé de deux mois.

Un semestre est un espace de six mois consécutifs. 390 Avec un mois de plus ou de moins, ce n’est plus un semestre.

Prononcez semestre, et non sémestre.


SEMOUILLE.

Locut. vic. Aimez-vous la semouille?
Locut. corr. Aimez-vous la semoule?

«Semoule. Pâte faite avec la farine la plus fine, réduite en petits grains.» (Dict. de l’Acad.)

«On peut réduire de petits grains en farine; on ne peut réduire de la farine en petits grains.» (Feydel, Rem. sur le Dict. de l’Acad.)


SENS-FROID.

Orth. vic. Il a vu cela de sens-froid.
Orth. corr. Il a vu cela de sang-froid.

«C’est le sentiment de M. Ménage et celui de presque tout le monde, qu’il faut dire de sang-froid, à l’imitation des Italiens qui disent: Di sangre freddo; l’amazzò di sangre freddo. Quelques écrivains néanmoins disent de sens-froid, et entre autres l’auteur des Entretiens sur la pluralité des Mondes (Fontenelle): on a été réduit à dire que les dieux étaient pleins de nectar lorsqu’ils firent les hommes, et que quand ils vinrent à regarder leur ouvrage de sens-froid, ils ne purent s’empêcher de rire.» (Andry de Boisreg. Réfl. sur l’us. prés. de la langue fr.)


SENTINELLE.

L’abbé Prévost (Hist. d’Angl.), Voltaire, Delille, 391 Fontanes, ont fait le mot sentinelle masculin; nous nous plaisons à croire qu’un temps viendra où ce mot, dont l’application est si exclusivement masculine, reprendra son genre naturel. Un nom de soldat du genre féminin! Cela n’a-t-il pas l’air, en vérité, d’une ironie, surtout quand on sait que ce mot nous vient de l’italien, et qu’il s’est primitivement dit des soldats du pape!


SEPTANTE.

«Septante n’est français qu’en un certain lieu où il est consacré, qui est quand on dit la traduction des septante, ou les septante interprètes, ou simplement les septante, qui n’est qu’une même chose. Hors de là, il faut toujours dire soixante-dix, tout de même que l’on dit quatre-vingts et non pas octante, et quatre-vingt-dix et non pas nonante.» (Vaugelas, Remarque 400e.)

Il est à regretter que Vaugelas n’ait pas été un grammairien plus philosophe, et qu’il ait eu tant de déférence pour l’usage de la cour; car, avec l’influence que lui donnaient et sa position dans le monde et l’estime dont il jouissait près des écrivains de son temps, rien ne lui eût été plus facile que de faire la fortune de ces trois mots: septante, octante et nonante, qui certainement méritaient d’être bien accueillis, et qui devraient bien remplacer ces vilains mots de soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix, que repousse leur manque d’analogie avec nos autres noms de nombre. Il ne fallait de la part de Vaugelas que savoir dominer le sot usage de la cour au lieu de lui obéir servilement; mais Vaugelas était trop courtisan pour cela. C’eût été une chose bien étonnante qu’au bout de deux cents ans, ces trois mots 392 présentés par un patron puissant n’eussent pu parvenir à se faire accorder le droit de cité!

Voici ce que dit M. Ch. Nodier sur ce sujet: «Il ne s’agit pas ici d’attenter à la langue de Racine et de Fénelon (en substituant septante, etc., à soixante-dix, etc.), il s’agit de donner à la langue numérique une précision essentielle, indispensable, et de faire prévaloir le bon sens contre une tradition gothique.» (Examen critique des Dict.)


SERBACANE.

Locut. vic. Il a perdu sa serbacane.
Locut. corr. Il a perdu sa sarbacane.

Ménage trouve sarbacane plus conforme à l’étymologie.


SERVIR.

Locut. vic. Eh bien! je servirai soldat.
Locut. corr. Eh bien! je servirai comme soldat.

«Voltaire a dit: Servir simple cavalier, simple soldat. Il vint d’abord servir simple cavalier.

Avec honneur je servirai soldat.
(Voltaire, Enfant prodigue.)

«Ces sortes d’expressions sont peu usitées. On dit ordinairement servir comme soldat, servir en qualité de soldat.» (Laveaux, Dict. des diff.)


393 SERVIR A RIEN, SERVIR DE RIEN.

Locut. vic.   Je ne sors jamais à cheval, ni en voiture, un cheval ne me servirait à rien.
Vous êtes aveugle; des lunettes ne vous serviraient de rien.
 
Locut. corr.   Je ne sors jamais à cheval, ni en voiture; un cheval ne me servirait de rien.
Vous êtes aveugle; des lunettes ne vous serviraient à rien.

«Une chose ne sert de rien lorsque, pouvant être ordinairement employée de diverses manières, on ne peut en tirer ou l’on n’en tire aucune espèce de service, soit parce qu’elle est hors d’état d’être mise en usage, soit parce qu’on néglige de l’y mettre. Ce domestique est infirme, il ne me sert plus de rien.

«Une chose ne sert à rien lorsqu’elle n’est pas employée selon sa destination, lorsqu’elle ne concourt pas à un effet auquel elle devrait concourir. On dira donc: Vous ne montez jamais votre montre; elle ne vous sert à rien; quatre roues servent à faire rouler un carrosse; mais une cinquième ne sert à rien.» (Laveaux, Dict. des diff.)


SHALL.

Orth. vic. Voici un beau shall ou schall.
Orth. corr. Voici un beau châle.

La dernière orthographe doit être préférée par la double raison que ce mot acquiert par là une physionomie toute française, et qu’il devient beaucoup plus facile à écrire et à prononcer. Plus l’orthographe d’un mot se rapproche du génie de notre langue, plus nous devons être portés à la préférer. Que la raison de l’étymologie, 394 excellente sans doute, cède donc ici à la raison plus puissante d’une orthographe facile. Ne faisons pas comme les Anglais qui, par l’admission dans leur langue d’une foule de mots étrangers, avec leur orthographe étrangère, tels que issue, rendez-vous, seraglio, vista, tornado, privado, etc., en ont fait un véritable habit d’arlequin, composé de pièces de toutes couleurs. Presque tous nos dictionnaires ont adopté l’orthographe châle; mais tous n’ont pas repoussé l’orthographe schall.


SI, AUSSI, TANT, AUTANT.

Locut. vic.   Il n’est pas si savant que vous.
Il a aussi soif que vous.
Il a aussi marché que vous.
En voilà autant comme il en faut.
 
Locut. corr.   Il n’est pas aussi savant que vous.
Il a autant de soif que vous.
Il a autant marché que vous.
En voilà autant qu’il en faut.

Quelques grammairiens prétendent qu’on ne doit employer aussi et autant que dans les phrases affirmatives, et que, dans les phrases négatives et interrogatives, on ne doit faire usage que des adverbes si et tant.

Le P. Bouhours blâme cette phrase: Il n’est pas si faible que vous. «Il faut, dit-il, aussi faible, etc., ce parce qu’il y a comparaison. On met si quand on ne compare pas.

«Je crois, comme le P. Bouhours, ajoute Féraud, qu’aussi vaudrait mieux dans cette phrase, comme autant vaut mieux que tant, lorsqu’il y a comparaison.» (Dict. crit.)

M. Chapsal (Dict. gramm.) pense qu’on peut tout 395 aussi bien dire: La violette n’est pas aussi belle que la rose, il n’est pas autant aimé que vous l’êtes, ou la violette n’est pas si belle que la rose, il n’est pas tant aimé que vous l’êtes. Nous n’approuvons pas cette tolérance, parce qu’il nous paraît nécessaire de déterminer d’une manière claire et précise la différence qui existe nécessairement entre deux synonymes, et nous adoptons entièrement le sentiment de Bouhours et de Féraud.

Aussi se joint aux adjectifs et aux adverbes, autant aux substantifs et aux participes.

Autant comme s’est dit autrefois:

Qu’il évite l’amour autant comme les flammes.
(Passerat.)

Cela ne se dit plus.


SI.... QUE.

Locut. vic. Donnez-m’en un, si petit qu’il soit.
Locut. corr. Donnez-m’en un, quelque petit qu’il soit.

«Quelques auteurs se sont servis de si, suivi de que, dans le sens de quelque... que. Aucune âme, si parfaite qu’elle soit, n’a jamais ici-bas une contemplation perpétuelle (Fénelon). Si divisée qu’elle pût être, etc. (Pluche). Il me semble que ce tour vieillit, que du moins il n’est que du style familier, et que quelque... que est plus sûr et plus autorisé. Anciennement on mettait si à la place de quelque, mais sans que, et l’on plaçait le pronom nominatif après le verbe. En toute chose, si difficile fût-elle, pour quelque difficile qu’elle fût.» (Féraud, Dict. crit.)


396 SIROTEUSE.

Locut. vic. Cette liqueur est trop siroteuse.
Locut. corr. Cette liqueur est trop sirupeuse.

Siroteux est un barbarisme; on doit dire sirupeux. Le p étymologique (syrupus) se trouve, comme on le voit, conservé dans cet adjectif.


SIXAIN.

Prononc. vic. Un sicsain.
Prononc. corr. Un sizain.

«X, au milieu du mot sixain, représente le signe Z.» (M. Ch. Nodier, Notions de linguistique.)


SOI.

Locut. vic. Cet homme a fait cela de soi-même.
Locut. corr. Cet homme a fait cela de lui-même.

«Lui marque une personne particulière et déterminée, celle qu’on a nommée, celle dont il s’agit dans le discours, qui est à côté ou plus haut. Soi n’indique qu’une personne indéterminée, quelqu’un, les gens d’une certaine classe, ceux qui existent ou qui peuvent exister de telle manière.

«Lui se place donc dans la proposition particulière, lorsqu’il s’agit d’une telle personne: soi se met dans la proposition générale, lorsqu’il est question d’un certain genre de personnes. Lui-même et soi-même n’ajoutent à lui et à soi qu’une force nouvelle de désignation, d’augmentation, d’affirmation.

«Un homme fait mille fautes, parce qu’il ne fait point 397 de réflexions sur lui; on fait mille fautes, quand on ne fait aucune réflexion sur soi. Quelqu’un, en particulier, aime mieux dire du mal de lui que de n’en point parler: en général, l’égoïste aimera mieux dire du mal de soi que de n’en point parler. Un tel a la faiblesse d’être trop mécontent de lui, tel autre a la sottise d’être trop content de lui; être trop mécontent de soi est une faiblesse; être trop content de soi est une sottise. On a souvent besoin d’un plus petit que soi; un prince a besoin de beaucoup de gens beaucoup plus petits que lui.» (Roubaud, Synonymes.)


SOI-DISANT.

Locut. vic. On lui a fait, soi-disant, du tort.
Locut. corr. On lui a fait, dit-il, du tort.

Cette expression ne peut être régulièrement employée que pour signifier se disant, disant lui, elle, eux, elles, comme dans ces phrases: On m’adressa à un soi-disant savant, qui n’était qu’un charlatan; je vis quelques hommes soi-disant malades, c’est-à-dire un homme se disant, disant lui, savant, quelques hommes se disant, disant eux, malades. Mais dans cet autre exemple, l’emploi de soi-disant est tout-à-fait intolérable: Il m’emprunta des livres, soi-disant pour les lire, et les perdit. Voyez quelle construction vous avez! Il m’emprunta des livres, se disant pour les lire, etc. Soi-disant demande toujours à être suivi d’un complément qui sert de qualificatif au pronom personnel qu’il renferme. Autrement on fait une phrase dont l’analyse ne peut rendre compte logiquement, et dont, pour cette raison, le vice est évident.


398 SOIF (BOIRE SA).

Locut. vic. Il n’a pas bu sa soif.
Locut. corr. Il n’a pas bu à sa soif.

Si l’on pouvait boire sa soif et manger sa faim, il est fort probable qu’on n’aurait plus ni faim ni soif. Le ridicule de ces expressions se démontre de soi-même.


SOIR.

«On dit dans le style soutenu: hier au soir, demain au soir, hier au matin, demain au matin. Mais dans la conversation on peut dire: hier soir, demain soir, hier matin, demain matin.» (L’Académie, sur la 406e rem. de Vaugelas.)

Le style de la conversation nous paraît devoir être ici préféré. L’article contracté au est parfaitement inutile. Les Anglais disent aussi, sans article, to morrow morning, to morrow night, yesterday morning, yesterday night.


SOIT.

Locut. vic. Il partira soit avec moi, ou avec un autre.
Locut. corr. Il partira soit avec moi, soit avec un autre.

C’est une faute d’employer ou dans le second membre d’une proposition que l’on a commencée par soit, comme dans ces phrases: soit que vous mangiez ou que vous buviez, faites-le modérément; soit de jour ou de nuit, on le trouve toujours à étudier. Il faut dire: soit que vous mangiez, soit que vous buviez, etc., soit de jour, soit de nuit, etc. Si l’on voulait employer ou, il faudrait 399 supprimer soit, et dire: que vous mangiez ou que vous buviez, etc., de jour ou de nuit, etc. Laveaux (Dict. des diff.) cite certains cas où l’on peut, selon lui, employer les deux conjonctions soit et ou successivement. Laveaux nous paraît avoir ici un petit tort, c’est d’autoriser des exceptions inutiles.


SOLEIL.

Locut. vic. Il fait soleil.
Locut. corr. Il fait du soleil.

«Faire soleil m’avait toujours paru un gasconisme. Il fait soleil. J’ai vu ensuite que Vaugelas le condamne, et que La Touche trouve qu’il a raison.» (Féraud, Dict. crit.)


SOLEMNEL.

Orth. et pron. vic. C’est un jour solemnel.
Orth. et pron. corr. C’est un jour solennel (solanel).

MM. de Port-Royal se sont opposés à l’orthographe inventée par Richelet, parce qu’elle blesse l’étymologie; mais cette orthographe a fait fortune, malgré cette respectable opposition, et tous nos dictionnaires la consacrent aujourd’hui.


SON, SA, SES.

Locut. vic. Il étudia sa maladie, et rechercha son origine.
Locut. corr. Il étudia sa maladie, et en rechercha l’origine.

C’est une règle reconnue par tous les grammairiens anciens et modernes, et par tous nos bons auteurs, que 400 l’adjectif possessif son, sa, ses, leur, leurs, ne doit pas être employé comme qualificatif d’un nom de choses ou d’animaux, lorsqu’il est possible de le remplacer par le relatif en, qui a plus d’élégance et donne souvent plus de clarté à la phrase. Dans les exemples suivans, il faut donc substituer le pronom relatif en à l’adjectif son, sa, ses. Quand on parle du loup, on voit sa queue.—Ce drap est beau, mais sa couleur est vilaine.—J’aime la couleur de cette pierre, mais son grain me paraît un peu gros.—Le Rhin est large, ses eaux sont rapides. Dites: On en voit la queue; la couleur en est vilaine; le grain m’en paraît un peu gros; les eaux en sont rapides.

«Si l’on disait: le soin qu’on apporte au travail empêche de sentir sa fatigue; ceux qui introduisirent ces cérémonies connaissent bien leur fort et leur faible; sa et leur seraient équivoques: veut-on parler de sa propre fatigue ou de celle du travail, de celle que cause le travail? Est-ce le faible et le fort de ceux qui introduisent ces cérémonies, ou bien de ces cérémonies mêmes?

«Comme ou veut mettre la fatigue en rapport de possession avec le travail, et le fort et le faible avec les cérémonies, pour éviter l’équivoque, on prend un autre tour et l’on dit: Le soin qu’on apporte au travail empêche d’en sentir la fatigue. Ceux qui introduisirent ces cérémonies en connaissaient bien le fort et le faible.» (Manuel des amateurs de la langue française.)


401 SONNANT.

Locut. vic. Il est arrivé à quatre heures sonnant.
Locut. corr. Il est arrivé à quatre heures sonnantes.

Sonnantes exprime une manière d’être, et non une action. Les heures sont sonnées, et ne sonnent pas, activement parlant. C’est donc un adjectif verbal et non un participe présent. La variabilité est de toute rigueur.

Le P. Ducerceau a dit correctement:

Car le cadet voulut
Que celui-ci, pour raisons pertinentes,
Ne vînt chez lui qu’à six heures sonnantes.

et Voltaire:

Nous partirons à cinq heures sonnantes.
(Nanine.)

Cependant dans cette phrase: J’ai une pendule sonnant les quarts, sonnant est invariable, parce qu’il a un régime direct. C’est un participe présent.


SORTILÈGE.

Pron. vic. Il a fait des sorcilèges.
Pron. corr. Il a fait des sortilèges.

Il est assez étonnant que nos dictionnaires ne se soient pas avisés de nous indiquer la prononciation du t dans le mot sortilège. Nous voyons cependant que cette prononciation est généralement douteuse.

Il ne faut pas se montrer si sobre d’explications à l’égard d’une langue où l’on prononce, par exemple, le mot portions, tantôt avec le son normal du t, nous portions le bois, tantôt avec le son de l’s, les portions sont faites.


402 SORTIR.

Locut. vic. Nous voulons que ce jugement sorte son plein et entier effet.
Locut. corr. Nous voulons que ce jugement sortisse (et beaucoup mieux ait) son plein et entier effet.

«Sortir, obtenir, avoir. Je sortis, tu sortis, il sortit, nous sortissons, vous sortissez, ils sortissent.—Je sortissais, etc. Ce verbe se conjugue comme sortir. Il n’est d’usage qu’en termes de Palais, et seulement en quelques-uns de ses temps. Cette sentence sortira son plein et entier effet. J’entends que cette clause sortisse son plein et entier effet.

«En termes de pratique et de notaire, on dit qu’une somme de deniers, un effet mobilier sortira nature de propre, pour dire qu’il sera réputé propre, qu’il sera réputé et partagé comme propre.» (Dict. de l’Acad., 1802.)

«Sortir son plein et entier effet est un barbarisme de droit.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)


SORTIR.

Locut. vic. Votre maître est-il sorti hier?
Locut. corr. Votre maître a-t-il sorti hier?

«On dit qu’une personne a sorti, pour dire qu’elle a fait l’action de sortir, et qu’elle est rentrée: il a sorti ce matin; et l’on dit qu’elle est sortie, pour dire qu’elle est dehors et qu’elle n’est pas rentrée: mon frère est sorti, et ne rentrera que ce soir.

«Il ne faut pas confondre il ne fait que de sortir avec il ne fait que sortir. Le premier veut dire: il n’y a pas long-temps qu’il est sorti, et le second: il sort sans cesse.» (Laveaux, Dict. des diff.)


403 SORTIR.

Locut. vic. Je sors d’avec lui, je sors de le voir, je sors d’être malade.
Locut. corr. Je viens de le quitter, je viens de le voir, je viens d’être malade.

L’emploi de sortir pour venir est assez fréquent chez les personnes qui n’ont qu’une connaissance imparfaite de la langue française; les gens instruits se gardent bien de construire des phrases comme celles que nous avons données pour exemples.


SOTTISE.

Locut. vic. Il m’a, dans sa colère, accablé de sottises.
Locut. corr. Il m’a, dans sa colère, accablé d’injures.

Les injures, toutes vilaines qu’elles sont, peuvent être spirituelles, et, dans ce cas, les traiter de sottises ce serait parler d’une manière inexacte. Une épigramme bien acérée est une injure pour celui qu’elle atteint, et ce n’est cependant pas une sottise. Un fade madrigal est une sottise; mais qui l’a jamais regardé comme une injure?


SOUHAITER.

Prononc. vic. Ils lui ont souhaté le bon jour.
Prononc. corr. Ils lui ont souhaité le bon jour.

Il ne faut pas non plus prononcer souhat mais souhait.


404 SOULIER.

Locut. vic. Cet homme n’a pas de souliers dans les pieds.
Locut. corr. Cet homme n’a pas de souliers aux pieds.

Comme les pieds sont dans les souliers, et non les souliers dans les pieds, il faut dire: Cet homme n’a pas de souliers aux pieds, ou mieux encore: Cet homme n’a pas de souliers, comme le dit l’Académie. Tout le monde sait fort bien que les souliers ne conviennent qu’aux pieds.

L’Académie dit aussi que cette manière de parler: n’avoir pas de souliers dans les pieds est une hypallage. C’est fort possible, mais c’est de plus une sottise.


SOUPATOIRE.

Locut. vic. Nous fîmes un dîner soupatoire.
Locut. corr. Nous fîmes un dîner-souper.

M. Boiste traite ce mot de burlesque, et il a parfaitement raison; mais il y a des personnes qui l’emploient sérieusement, et nous sommes bien aises de leur faire savoir que ce mot n’a pour lui aucune autorité qui le protège contre le rire moqueur.

Soupatoire vaut bien dînatoire, et dînatoire vaut bien soupatoire; mais chacun d’eux ne vaut rien.


SOUPER (Voy. DÉJEUNER).


405 SOUPOUDRER.

Locut. vic. Soupoudrez ce poisson de farine.
Locut. corr. Saupoudrez ce poisson de farine.

A la rigueur, saupoudrer ne devrait jamais être employé que pour signifier poudrer de sel, d’après la composition étymologique de ce verbe, dont la première syllabe sau a la valeur du mot sel, comme dans saumure, saumâtre, saunerie, saupiquet, etc. Maintenant saupoudrer se dit par extension de tout ce qu’on poudre de sucre, de poivre, etc., et c’est ainsi que la méprise de quelque ignorant en crédit aura probablement doté notre langue d’une logomachie absurde.


SOUGUENILLE.

Locut. vic. Votre souguenille est déchirée.
Locut. corr. Votre souquenille est déchirée.

La souquenille est un surtout de grosse toile, à l’usage des cochers et palefreniers qui pansent leurs chevaux.


SOURCIL.

Prononc. vic. Elle a de beaux soucils.
Prononc. corr. Elle a de beaux sourcis.

Il faut faire sentir le r dans sourcil, comme on le fait sentir dans sourciller. Si cette lettre était muette, l’l l’étant déjà, ce mot deviendrait homonyme de souci, inquiétude; ce qui n’est pas, comme on peut le voir dans les dictionnaires d’homonymes.


406 SOURD ET MUET.

Locut. vic. Son fils est à l’Institution des sourds et muets.
Locut. corr. Son fils est à l’Institution des sourds-muets.

«La dénomination de sourd et muet désigne un individu muet en même temps qu’il est sourd, mais chez lequel le mutisme est indépendant de la surdité. La désignation de sourd-muet désigne un individu muet en même temps qu’il est sourd, mais chez lequel le mutisme n’est qu’une conséquence de la surdité. Le sourd et muet est affligé de deux infirmités distinctes; le sourd-muet a bien les deux mêmes infirmités; mais la seconde n’est qu’une suite de la première. On pourrait rendre l’ouïe au sourd et muet sans qu’on eût lieu d’espérer qu’on pût lui rendre l’usage de la parole: si l’on faisait entendre un sourd-muet, il est plus que probable que bientôt il exprimerait ses idées à l’aide de signes articulés. Supposons même que le sourd et muet et le sourd-muet restent constamment sourds: dans cet état, le premier restera pareillement muet: et le second, sans être habile à percevoir des sons, peut acquérir l’usage de la parole par des moyens mécaniques, étrangers aux sensations acoustiques. Telle est la différence du sourd et muet au sourd-muet; ainsi, ces deux dénominations diffèrent en ce que l’une est un terme composé, et l’autre un terme complexe d’une proposition, pour parler le langage du logicien. Il se pourrait faire que ce que l’on doit appeler ordinairement un sourd-muet fût un sourd et muet; c’est-à-dire, qu’étant sourd de naissance, il fut en même temps, et indépendamment de cette infirmité, muet par vice d’organisation; mais cette rencontre fortuite et indépendante de ces deux infirmités 407 existe peut-être une fois sur mille, quand l’inverse a lieu dans le cas contraire: voilà pourquoi on doit dire: L’Institution des sourds-muets, et non l’Institution des sourds et muets. Si cette dernière expression est plus usitée, c’est qu’il existe une erreur dans l’esprit de la plupart de ceux qui s’en servent; c’est qu’ils croient que le mutisme de ceux qu’ils appellent sourds et muets est, chez eux, indépendant, et seulement concomitant de la surdité. Sur ce point, l’expression est exacte, le jugement seul qu’elle énonce est faux. Qu’on rectifie les idées, et le langage prendra la forme convenable à la rectitude des conceptions.» (M. Butet, Journal de la langue française.)

Nous ne pensons pas, comme quelques grammairiens, que sourd-muet doive faire au féminin sourd-muette, parce que sourde-muette est un peu dissonant. Une règle fondamentale ne doit pas être sacrifiée à une vaine susceptibilité de l’oreille.


SOUS DE PIED, DESSOUS DE PIED.

Locut. vic. J’ai perdu mes sous de pieds, mes dessous de pieds.
Locut. corr. J’ai perdu mes sous-pieds.

Le sous-pied est une petite lanière de cuir ou d’étoffe, qui passe sous le pied et se rattache au pantalon ou à la guêtre.

M. Raymond a écrit soupied dans son dictionnaire. La dernière édition du Dictionnaire de Boiste n’a pas suivi cette singulière orthographe, mais celle que nous adoptons dans cet article.


408 SOUVENIR (SE).

Locut. vic. Vous souvenez-vous l’avoir vu?
Locut. corr. Vous souvenez-vous de l’avoir vu?

Le verbe se souvenir doit toujours être suivi de la préposition de, quand on le joint à un autre verbe.

Ne dites pas: Faites-leur souvenir qu’ils m’ont promis de m’écrire, mais faites-les souvenir, etc.

On fait souvenir quelqu’un et non à quelqu’un.


SOYE.

Locut. vic. Il faut qu’il soye enlevé.
Locut. corr. Il faut qu’il soit enlevé.

Le subjonctif du verbe être est: que je sois, que tu sois, qu’il soit, que nous soyons, que vous soyez, qu’ils soient, et non que je soye, que tu soyes, qu’il soye, etc. Avoir et être sont les deux seuls verbes dont la troisième personne singulière du subjonctif ne se termine pas par un e muet. De là vient que tant de personnes disent toujours: Il faut qu’il aie, il faut qu’il soye. Ce n’est vraiment pas la logique qui manque à ces personnes-là; c’est la connaissance de quelques conventions grammaticales, assez ridicules au fond, mais que l’usage, en les couvrant de sa sanction, a malheureusement rendues sacrées et irrévocables.

Il ne faut pas écrire, que nous soyions, que vous soyiez, pour distinguer le subjonctif de l’impératif. Ces deux temps s’écrivent de même dans le verbe être.


409 SPIRALE.

Locut. vic. La spirale de ma montre est cassée.
Locut. corr. Le spiral de ma montre est cassé.

Spiral, terme d’horlogerie, signifiant un petit ressort en spirale, est masculin; dans ses autres acceptions il est féminin. C’est probablement l’idée du mot ressort qui aura ici déterminé ce genre.


STAGNANT.

Pron. vic. Un marais stagnant.
Pron. corr. Un marais stag-nant.

STALLE.

Locut. vic. Gardez-moi un stalle près de vous.
Locut. corr. Gardez-moi une stalle près de vous.

D’après l’Académie, ce mot est masculin, quand il est seul, et féminin, quand il est suivi d’un adjectif. Il vaut mieux ici s’en rapporter à M. Boiste, qui dit que le féminin est maintenant seul adopté.

L’étymologie est, il est vrai, contraire à l’usage, puisqu’on dit en latin stallus; mais qu’y faire? L’usage ne renverse-t-il pas tout ce qu’il y a de plus respectable en grammaire, la raison, l’étymologie, l’analogie, etc. C’est un anarchiste de premier ordre.


STE.

Pron. vic. Avez-vous vu st’homme; ste femme.
Pron. corr. Avez-vous vu cet homme, cette femme.

M. de Wailly dit, dans sa grammaire (p. 314, 6e éd.), 410 que, dans la conversation, cet et cette se prononcent comme st, ste: st’ homme, ste femme, et ne blâme nullement cette prononciation tronquée. Nous pensons qu’un grammairien ne devrait pas donner, en invoquant l’usage, une espèce de consécration à des fautes avérées de langage.

On prononce, il est vrai, ste à Paris, dans la plus haute société comme dans la plus basse: les extrêmes se touchent. Mais les gens instruits, de quelque société qu’ils soient, et ce sont ceux-là qui doivent faire loi, se donnent la peine d’ouvrir la bouche pour prononcer ce mot régulièrement.

Comment ferait-on pour persuader à un étranger que le mot que l’on prononce ste s’écrit cette. N’y a-t-il pas là de quoi le dégoûter d’apprendre notre langue?


STOMACAL, STOMACHIQUE.

Locut. vic. Ce vin est un bon stomacal.
Locut. corr. Ce vin est un bon stomachique.

Stomacal ne s’emploie jamais comme substantif.

Comme adjectif il signifie: qui est bon à l’estomac et le fortifie; stomachique signifie qui appartient à l’estomac.

«Stomacal se dit plutôt des choses naturelles, bonnes à l’estomac, et stomachique des compositions artificielles.» (Féraud, Dict. crit.)


SUCCÉDER.

Orth. vic. Les révolutions qui se sont succédées en France.
Orth. corr. Les révolutions qui se sont succédé en France.

Succéder étant un verbe neutre, son participe ne 411 peut être soumis à l’accord. On ne dit pas succéder quelqu’un, mais succéder à quelqu’un. Cette phrase: Les deux hommes qui se sont succédé au pouvoir, signifie: Les deux hommes qui ont succédé l’un à l’autre et non l’un l’autre, comme dans cette autre phrase: Les deux hommes qui se sont remplacés au pouvoir. L’analyse grammaticale donne ici l’un l’autre, c’est-à-dire un régime direct, donc il doit y avoir accord. Dans le premier exemple, elle donne un régime indirect, pas d’accord.

Comme il n’entre pas dans le plan de notre ouvrage de relever les nombreuses fautes que l’on peut faire dans l’emploi des participes, nous ne nous serions pas occupé du participe succédé, sans les fréquentes erreurs auxquelles nous voyons qu’il donne lieu, dans les journaux surtout.


SUCRER.

Locut. vic. Sucrez-vous, messieurs.
Locut. corr. Sucrez votre café, etc., messieurs.

Sucrez-vous s’emploie par ellipse; mais il y a une limite à tout, et l’on conviendra que l’ellipse est ici un peu trop forte, d’autant plus qu’elle offre un double sens.


SUISSESSE.

Locut. vic. Je connais une Suissesse.
Locut. corr. Je connais une Suisse.

«Boiste indique suissesse comme féminin de suisse; Regnard, dans sa comédie des Souhaits, met au nombre de ses personnages une Suissesse; et Voltaire appelle la Julie de Saint-Preux, une grosse Suissesse.» (Glossaire génevois.)

412 Suissesse nous paraît être plutôt une expression comique qu’une expression sérieuse. Du moins nous souvenons-nous de l’avoir presque toujours vue employée comme telle. Regnard et Voltaire viennent ici à l’appui de notre remarque.

Trévoux donne suisse comme substantif masculin et féminin.

Si l’on disait une Suissesse, pourquoi ne dirait-on pas aussi une Russesse pour une Russe?


SUITE (DE).

Locut. vic. L’affaire est pressée, partez de suite.
Locut. corr. L’affaire est pressée, partez tout de suite.

De suite signifie l’un après l’autre, sans interruption. «Il a marché deux jours de suite. De suite, précédé de l’adverbe tout, signifie incontinent, sur l’heure. Il faut que les enfans obéissent tout de suite.» (Laveaux, Dict. des diff.)

M. Ch. Nodier, qui regarde, avec raison, de suite, employé dans le sens de tout de suite, comme un solécisme insupportable (Examen crit. des Dict.), nous a raconté, à ce sujet, l’anecdote suivante. (Le Temps, feuilleton, nov. 1831.)

«Il y avait une fois cinq ou six académiciens qui avaient de l’esprit. Ces messieurs n’étaient pas d’accord sur la signification des quasi-adverbes de suite et tout de suite, contre lesquels la chambre élective avait failli la veille trébucher si lourdement, et ils étaient convenus de vider la question entre eux au Rocher de Cancale. J’y déjeûnais tout seul dans un coin.

«—Servez-nous tout de suite vingt-cinq douzaines d’huîtres, dit le classique.

413 «—Et ouvrez-les de suite, dit le néologue, enchanté de sa variante.

«—Expliquez-vous, messieurs, répondit l’écaillère, bonne et grosse réjouie, à la figure rubiconde, qui ne s’était jamais informée des finesses du bon français qu’autant que l’on s’en informe à Étretat ou à Granville. Si je les ouvre de suite, nous y mettrons un peu de temps. Si vous les voulez tout de suite, je ferai monter quelqu’un pour m’aider.

«Les académiciens la regardèrent bouche béante et les bras pendans. Elle ouvrit les huîtres comme il lui plut. Je payai ma carte, et un instant après je retrouvai l’écaillère à la porte. Digne et respectable femme, m’écriai-je, en lui serrant la main avec cet élan d’affection que produisent quelquefois les sympathies de l’esprit, je vous passe procuration pour soutenir les intérêts de notre belle langue française par-devant la commission du Dictionnaire. N’y manquez pas, je vous prie, car ils sont bien capables de faire quelque sottise!»


SUPPLÉER.

Locut. vic. Les qualités du cœur peuvent suppléer celles de l’esprit.
Locut. corr. Les qualités du cœur peuvent suppléer à celles de l’esprit.

«Suppléer une chose, c’est ajouter en objets de la même nature ce qui manque; c’est fournir ce qu’il faut de surplus, pour que cette chose soit complète: ce sac doit être de mille francs, et ce qu’il y a de moins, je le suppléerai; je suppléerai le reste. (L’Académie.) Suppléer à une chose, c’est remplacer une chose par une autre chose qui en tient lieu, quoique 414 d’une nature différente; et alors suppléer signifie tenir lieu de:

«Souvent, dans les disputes, les injures suppléent aux raisons. (L’Académie.)

«Le titre de brave et franc chevalier annonçait l’honneur, et ne le suppléait jamais. (Thomas.) Il fallait: et n’y suppléait jamais.

«Remarquez qu’avec un nom, ou un pronom de personne qui lui sert de régime, suppléer ne prend jamais la préposition à: on dit suppléer quelqu’un.—S’il ne vient pas, je le suppléerai; et ce verbe signifie, dans ce cas, représenter une personne absente, en faire les fonctions.» (Grammaire des gramm.)


SUR.

Locut. vic.   J’irai chez vous sur les deux heures.
J’ai lu cela sur le journal.
Elle demeure sur le 10e arrondissement.
Ma fille va sur dix ans.
 
Locut. corr.   J’irai chez vous vers deux heures.
J’ai lu cela dans le journal.
Elle demeure dans le 10e arrondissement.
Ma fille aura bientôt dix ans.

On fait un usage très fréquent et très abusif de la préposition sur pour la préposition dans surtout. Un peu de raisonnement suffit pour éviter cette faute.


SIBYLLE.

Locut. vic. Achetez une sibylle de bois.
Locut. corr. Achetez une sébile de bois.

Une sébile est une écuelle ordinairement en bois, dans laquelle on met de la poudre pour sécher l’écriture, des 415 monnaies, etc. Une sibylle est une devineresse; la sibylle de Cumes. C’est de ce dernier mot que vient l’adjectif sibyllin; les oracles sibyllins.


SYLPHE, SILPHE.

«Sylphe, génie de l’air, est fait du grec σύρφος, une créature aérienne, un moucheron; et par conséquent il doit s’écrire comme il est écrit en tête de cet article.

«Silphe, insecte, est un substantif féminin, et on doit l’écrire silphe, parce qu’il vient du latin, silpha, qui vient du grec σίλφη.» (M. Ch. Nodier, Exam. crit. des Dict.)

Sylphide se rapportant à sylphe, dont il est le féminin, doit être évidemment écrit par un y.


TABAC.

Pron. vic. Tabak.
Pron. corr. Taba.

Le c ne doit pas se faire sentir dans ce mot, à moins qu’il ne soit suivi d’un mot commençant par une voyelle. Nous croyons qu’il est mieux de dire du tabak étranger que du taba étranger. De cette manière, on évite un hiatus.

«Les Génevois, dit J.-J. Rousseau, articulent le marc du raisin comme Marc, nom d’homme; ils disent exactement du tabak, et non pas du taba

Quelques personnes disent tabakière. C’est une faute aujourd’hui. Du temps de Ménage, c’était tout le contraire; tabatière était la mauvaise locution, et tabakière était la bonne. (Observations sur la langue française, ch. CLIV.)


416 TACHER.

Locut. vic. Je tâcherai qu’il soit content.
Locut. corr. Je tâcherai de le contenter.

Tâcher étant un verbe neutre, ne peut être suivi du conjonctif que, qui constitue un régime direct.

«Tâcher de se dit quand il s’agit d’une action qui n’a pas un but marqué hors du sujet. Je tâcherai d’oublier cette injure, l’action s’opère dans le sujet même; je tâche de me débarrasser de mes dettes, l’action s’opère sur le sujet même; je tâcherai de vous satisfaire, c’est-à-dire de faire tout ce qui dépendra de moi pour que vous soyez satisfait. Il y a bien là un but hors du sujet, mais ce but n’est pas marqué distinctement, le sens de je tâcherai tombe particulièrement sur les efforts faits par le sujet. On emploie tâcher à quand il s’agit d’une action qui a un but marqué hors du sujet. Il tâche au but, il tâche à m’embarrasser, ici les esprits tendent directement à un but qui est hors du sujet, il tâche à me nuire.» (Laveaux, Dict. des diff.)


TACT.

Pron. vic. Elle a du tac.
Pron. corr. Elle a du tacte.

TAIRE.

Locut. vic. Taisez donc votre langue.
Locut. corr. Faites donc taire votre langue.

Taire ne peut être employé activement que comme synonyme de cacher, céler. Il faut taire cette chose-là, c’est-à-dire, il faut cacher, céler cette chose-là. Dans notre phrase d’exemple, taisez est un barbarisme.


417 TAISANT.

Locut. vic. Nous dirons, pour rendre ces messieurs taisans, etc.
Locut. corr. Nous dirons, pour réduire ces messieurs au silence, etc.

Nous n’avons jamais vu qu’en style de palais le participe taisant employé de cette burlesque manière. Pourquoi le sanctuaire de la justice est-il si souvent le sanctuaire du barbarisme? Pourquoi messieurs les légistes savent-ils si peu leur langue maternelle? Ont-ils oublié qu’il y a nécessité de connaître parfaitement la grammaire quand on veut écrire clairement, et qui, plus qu’eux, a besoin de le faire? Nous ne leur dirons pas: Étudiez un peu moins la législation et un peu plus la grammaire; chaque étude a son importance, et nous sommes si disposés à reconnaître celle de leur étude spéciale, que voici ce que nous leur dirons: Étudiez un peu plus la législation et beaucoup plus la grammaire. Est-ce là un conseil qui puisse nuire aux intérêts de ces messieurs ou à ceux du public? «La grammaire», a dit M. Ch. Nodier, «est le premier, le plus essentiel de nos enseignemens.» (Le Temps, feuilleton du 13 septembre 1833.)


TALENT (HOMME DE), HOMME A TALENS.

Locut. vic.   C’est un homme à talent pour l’écriture.
Il sait mille choses; c’est un homme de talent.
 
Locut. corr.   C’est un homme de talent pour l’écriture.
Il sait mille choses; c’est un homme à talens.

Ces deux locutions, que l’on confond assez généralement, ont entre elles une grande différence. La première 418 signifie un homme qui a du talent, et demande le singulier; la seconde, un homme doué de talens, et veut le pluriel. Si l’on a des talens différens, on est un homme à talens; si on n’en a qu’un seul, on est un homme de talent.


TANNANT.

Locut. vic. Que vous êtes tannant!
Locut. corr. Que vous êtes ennuyeux!

Ce mot, que M. Boiste, dans son Dictionnaire (8e édit.), traite, avec raison, de barbarisme, est un des plus bas du patois parisien. Nous avons été fort surpris de le trouver dans le Dictionnaire de M. Raymond, qui, à la vérité, l’a noté comme familier, mais qui n’aurait même pas dû lui accorder cet honneur. Représenter un homme qui vous ennuie comme un homme qui vous tanne, est réellement, quoi qu’en dise Mercier, une idée dégoûtante. «Ce mot est très-expressif», dit-il, «un homme fâcheux ressemble à un misérable tanneur.» (Néologie, t. II.) Comment se fait-il que beaucoup de gens du monde, d’une délicatesse excessive sur tous les genres de convenances, ne se fassent aucun scrupule d’employer une semblable expression? C’est qu’ils ne l’ont probablement jamais examinée, et nous croyons leur rendre un véritable service en la signalant à leur dédain.

Ménage dit que cette locution est normande; c’est possible, mais nous l’avons trouvée aussi dans un vieux poète franc-comtois.

Je suis tanné d’estre vicaire,
Mieux aymeroye estre au grand Caire,
Ou varlet d’un appoticaire.
(Jehan Molinet, le dictier de Vert-Jus.)

419 Ce qui prouve qu’elle a été autrefois en usage, mais ce qui ne prouve pas qu’elle doive l’être encore aujourd’hui. Il serait possible qu’on eût dit autrefois être tanné pour dire être dans une situation analogue à celle d’un animal piqué par un taon, qu’on a écrit tan.

Quand le tan importun lui tourmente les flancs.
Ronsard, Réponse à quelque ministre.

«Tanner signifie aussi fatiguer, ennuyer, molester. C’est un homme tannant. C’est un homme qui me tanne.» (Acad.) «Certes, dit Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.), la langue française ne serait pas la plus belle langue de l’Europe et la plus durable, si cet article était vrai. On dit quelquefois d’un homme qui ennuie, qu’il est hennant, par la seule raison que l’ancien mot hennant signifiait ennuyeux. Et comme cette vieille phrase, il est hennant, se prononce à peu près, il est tannant, le rédacteur de l’article sur le mot tanner y aura été trompé.»


TANT, AUTANT. (Voyez SI, AUSSI.)


TANT QU’A ÇA, CELA.

Locut. vic. Tant qu’à ça, je m’en charge.
Locut. corr. Quant à cela, je m’en charge.

Il faut aussi, au lieu de tant qu’à moi, tant qu’à vous, tant qu’à lui, dire quant à moi, quant à vous, quant à lui.


TAON.

Prononc. vic. Il fut piqué par un ta-on, par un tan.
Prononc. corr. Il fut piqué par un ton.

L’usage veut aujourd’hui que l’on écrive un taon et 420 que l’on prononce: un ton. On a écrit autrefois et prononcé tan, comme on le voit par les vers suivans:

On voit un grand taureau, forcené de furie,
Qui court et par rochers, par bois et par estangs
Quand le tan importun lui tourmente les flancs.
(Ronsard, Rép. à quelque min., édit. 1604.)

TARTARES, TATARS.

«Les savans sont partagés sur le nom qu’il faut donner à ces peuples: les uns, comme M. Klaproth, n’admettent que celui de Tatars; les autres, comme M. Remusat, conservent le nom de Tartares, usité depuis long-temps dans les écrits latins et français. Les Russes, qui, par leur position de voisinage, semblent faire autorité, disent Tatars: leurs anciennes chroniques portent Tatari. M. Abel Remusat assigne l’origine de l’altération de ce nom à un jeu de mots que Mathieu Pâris prête au roi Saint-Louis, à qui la Reine Blanche témoignait ses craintes sur les progrès de l’invasion de ces peuples: Ma mère, dit-il, soyons soutenus par cette consolation qui nous vient du ciel: s’ils arrivent ces Tartares, ou nous les ferons rentrer dans le Tartare, d’où ils sont sortis, ou bien ils nous enverront nous-mêmes jouir dans le ciel du bonheur promis aux élus. Le jeu de mots de Saint-Louis n’eut cependant pas la vogue de celui de l’empereur Frédéric: Tartari, imò Tartarei, comme les appela ce prince, qui refusa de se reconnaître pour leur vassal, fut la dénomination qui se répandit dans l’Occident.» (Hist. de la Géographie, par Malte-Brun. Note.)

«Tatares est le nom le plus exact de ce peuple, et il est bon à conserver exclusivement pour éviter l’homonymie.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)


421 TEL.

Locut. vic. Que m’importe ce que pense M. tel.
Locut. corr. Que m’importe ce que pense M. un tel.

«Il ne faut pas dire M. tel, madame telle; il faut absolument dire M. un tel, madame une telle.» (Laveaux, Dict. des diff., art. UN.)


TEL QUE.

Locut. vic.   Donnez-m’en un, tel qu’il soit.
On le vante trop, tel mérite qu’il ait.
 
Locut. corr.   Donnez-m’en un, quel qu’il soit.
On le vante trop, quelque mérite qu’il ait.

Tel que, employé pour quel que, quelque, est une faute que tous nos grammairiens ont signalée, que nos bons auteurs ont presque toujours évitée, mais qui se trouve assez souvent chez nos écrivains modernes de second ordre, parce qu’ils aiment beaucoup tout ce qui a un petit air d’étrangeté. Il y a fort long-temps, du reste, qu’on fait cette faute; mais ce n’en est pas moins une faute. On a si souvent réclamé à ce sujet, que la prescription n’a certainement pu être encourue. Qui oserait d’ailleurs prescrire contre le bon sens?

Jamais ne nous plaignons des sacrés potentats,
Telles que soient leurs mœurs, tels que soient leurs éclats;
S’ils sont bons, pourquoi s’en plaindre?
S’il est vrai qu’ils ne le soient pas,
Nous devons nous taire et les craindre.

M. le chevalier d’Aceilly n’a pas écrit ici très correctement, ni raisonné très noblement.

«Les détails qu’on va lire, tels affreux qu’ils soient, etc.» (Eugène Sue, Atar-Gull.) Lisez quelque affreux qu’ils soient.


422 TÉMOIN.

Orth. vic. Il est querelleur, témoins les coups qu’il m’a donnés.
Orth. corr. Il est querelleur; témoin les coups qu’il m’a donnés.
Quand avons-nous manqué d’aboyer au larron?
Témoin trois procureurs, dont icelui Citron
A déchiré la robe.
(Racine, Les Plaideurs, act. III, sc. 3.)

«Luneau de Boisgermain observe que témoin n’est point adverbe, mais un ablatif absolu, et que, par conséquent, il est plus que probable que l’auteur avait écrit témoins au pluriel. Ce qu’il est important de remarquer, c’est l’erreur de Luneau; toutes les bonnes éditions de Racine portent témoin au singulier, pris adverbialement. A l’autorité de Racine se joint celle du Dictionnaire de l’Académie, qui contredit formellement cet étrange commentateur.» (Geoffroy, Œuvres de Racine.)

Notre langue a de la répugnance à faire subir l’accord aux mots qui en précèdent d’autres qui les régissent. L’esprit n’aime pas, comme le dit M. Laveaux, à revenir en arrière. Témoin les mots feu, nu, etc., qui restent invariables quand ils sont suivis des substantifs auxquels ils se rapportent.


TEMPLE.

Locut. vic. Il a été blessé aux temples.
Locut. corr. Il a été blessé aux tempes.

Du temps de Vaugelas (161e rem.), on disait la temple et non la tempe. Ce dernier mot est le seul reçu maintenant.

423 «Les tempes ont, dit-on, été ainsi nommées (tempora, en latin), parce qu’elles indiquent le temps ou l’âge de l’homme, à cause de la blancheur des cheveux qui commence à cet endroit.» (De Roquefort, Dict. étym.)


TEMPS (DANS LE).

Locut. vic. Cela m’a coûté mille francs dans le temps, dans les temps.
Locut. corr. Cela m’a coûte mille francs autrefois.

Cette expression: dans le temps est beaucoup trop vague pour être satisfaisante. Dans le temps de quoi? dans le temps de qui? pourrait-on demander. Si vous ne voulez ou ne pouvez préciser aucune époque, employez autrefois, et tout est dit.


TENDON.

Locut. vic. Nous avons mangé des tendons de veau.
Locut. corr. Nous avons mangé des tendrons de veau.

Les tendons sont des extrémités de muscles et ne peuvent guère servir à faire des ragoûts; mais les tendrons, cartilages qui se trouvent à l’extrémité des os de la poitrine de certains animaux, fournissent un mets fort recherché par les personnes qui aiment ce qui croque sous la dent. «Une fricassée de tendrons de veau.» (Acad.)


TENDRESSE.

Locut. vic. Rien n’égale la tendresse, la tendreur de ce gigot.
Locut. corr. Rien n’égale la tendreté de ce gigot.

«Tendreur, en parlant des viandes, n’a pas passé. 424 On dit tendreté. Quelques-uns avaient voulu introduire tendre, subst. masc., dans ce sens: Cette viande est d’un grand tendre: l’usage ne l’a point admis.» (Féraud, Dict. crit.)

L’Académie a adopté tendreté.

L’auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie fait la guerre à ce mot. «Ce fut, dit-il, au moins un siècle après la première apparition de Mascarille et de Jodelet chez mesdemoiselles Gorgibus, qu’on osa inventer chez madame de T*** ou de L*** la tendreté d’un gigot; tant il est vrai que c’est un des priviléges du génie de contenir pour long-temps la sottise!

«A peine tendreté eut-il frappé les oreilles d’une coterie, qu’une coterie jalouse lui opposa la tendreur. Les avis se partagèrent long-temps entre les gourmets des deux tablées; mais enfin le secrétaire de l’Académie française crut devoir décider la question.

«Cependant la décida-t-il bien, en adoptant tendreté, au préjudice de tendreur, ou même de tendresse? Je laisse à juger ce point aux gens de goût; et je ferai seulement la réflexion suivante. Supposons que la servante de Gorgibus eût entendu ses maîtresses lui parler de la tendreté d’un gigot ou d’une botte de raves, je m’imagine qu’elle leur eût allégué la creuseur de ses sabots, la rougeur ou l’écarlatesse de sa jupe; ce qui semble contredire formellement la décision académique.»

Il est certain que, malgré la critique de M. Feydel, personne ne voudrait maintenant appliquer le mot tendresse à un gigot, à des légumes. Passe encore pour la salade: là, au moins, il y a un cœur.—Plaisanterie à part, tendresse, dans l’acception que veut lui conserver le critique de l’Académie, est considéré généralement comme un barbarisme, et n’est guère employé que par ces espèces 425 de maraîchers qui courent les rues de Paris en criant à gorge déployée: La tendresse! la verduresse!


TERRORIFIER.

Locut. vic. Cette nouvelle les terrorifia.
Locut. corr. Cette nouvelle les terrifia.

M. Boiste a cru devoir donner le verbe terrorifier, et nous en sommes surpris, car il n’est jamais employé par les gens qui parlent bien. Terrorifier vaudrait sans doute mieux, en ce que le verbe terrifier a déjà une autre acception, celle de convertir en terre, et qu’il serait très désirable que chaque idée fût représentée par un mot propre, mais le ridicule s’est attaché au verbe terrorifier, et nous devons actuellement le regarder comme mort.

M. Boiste renvoie d’ailleurs à terrifier.


TÊTE D’OREILLER.

Locut. vic. Voici une tête d’oreiller.
Locut. corr. Voici une taie d’oreiller.

On a dit et écrit autrefois: un tet d’oreiller; c’est de là que sera venue, par corruption, le mot populaire tête d’oreiller.


TIMONNIER.

Locut. vic. Ce cheval fera un bon timonnier.
Locut. corr. Ce cheval fera un bon limonnier.

On dit plus communément les limons d’une voiture que le timon. Il vaut donc mieux ne se servir de l’expression limonnier qu’en parlant d’un cheval, et laisser 426 timonnier exclusivement à sa signification de personne qui gouverne le timon d’un vaisseau, comme l’a fort sagement fait le Dictionnaire de l’Académie (1802), et comme auraient dû le faire les lexicographes qui l’ont suivi.

Dans cette phrase, par exemple: Le timonnier était tout en sueur, comment saura-t-on s’il est question d’un homme ou d’un cheval, à moins qu’il ne demeure bien convenu qu’un timonnier est un homme, et un limonnier un cheval? La propriété des termes mérite vraiment plus d’importance qu’on n’y en attache généralement.


TISSER.

Locut. vic. Elle a tissé elle-même cette toile.
Locut. corr. Elle a tissu elle-même cette toile.

On a dit autrefois tistre; on dit aujourd’hui tisser, dont le participe est tissu.

Moi seule j’ai tissu le lien malheureux,
Dont tu viens d’éprouver les détestables nœuds.
(Racine, Bajazet, acte V, sc. 12.)

TOAST.

Pron. vic. Porter un to-ast.
Pron. corr. Porter un toste.

Ce mot nous est donné comme un mot anglais, transporté dans notre langue avec sa signification de choc d’un verre à boire contre un autre verre. Ne serait-il pas plutôt pris du vieux mot français toster, qui signifiait choquer, joûter, et ne serait-il pas du nombre des mots de notre langue, introduits dans l’anglais par les 427 Normands? On lit dans Clotilde de Surville, poète du quinzième siècle, le vers suivant:

Contre le tempz, eh! quoi donc peult toster?

M. Berchoux nous paraît avoir eu tort de faire deux syllabes de ce mot:

De porter des toasts suivez l’antique usage...
Écoutez les toasts que j’ose vous prescrire.
(La Gastronomie, poëme.)

Il faudrait donc aussi faire quatre syllabes du mot roast-beef.


TOMBÉE.

Locut. vic. Nous arrivâmes à la tombée de la nuit.
Locut. corr. Nous arrivâmes à la nuit tombante.

Pourquoi tous nos dictionnaires ont-ils oublié l’adjectif tombant?


TOMBER.

Locut. vic. Mon fils est tombé hier.
Locut. corr. Mon fils a tombé hier.

«L’Académie et la plupart des grammairiens disent que le verbe tomber ne prend pour auxiliaire que le verbe être, et qu’on ne peut jamais le conjuguer avec le verbe avoir. Cependant en donnant cette règle avec beaucoup d’assurance, ils ne peuvent se dispenser de convenir que plusieurs écrivains, dans certains cas, ont conjugué tomber avec l’auxiliaire avoir; mais ils appellent ces locutions des distractions ou des fautes, et n’en regardent pas moins leur règle comme infaillible.

428 «Je conviendrai qu’il faut toujours dire: je suis tombé, si par cette locution on peut exprimer toutes les nuances, toutes les vues de l’esprit, que peuvent présenter les temps composés du verbe tomber; mais s’il est des cas où cette locution confond une vue de l’esprit avec une autre, je serai fondé à croire qu’elle ne suffit pas. Une mère voit son enfant près de tomber, elle dit: il va tomber; elle le voit tombant, elle dit: il tombe; elle le voit à terre après sa chûte, elle dit: il est tombé; mais si elle le relève, et qu’elle veuille indiquer à quelqu’un l’accident qui lui est arrivé, comment dira-t-elle? Dira-t-elle encore: mon enfant est tombé? Elle se servira donc de la même locution pour exprimer deux vues différentes de l’esprit.—Mon enfant est tombé; on lui répondra: courez vîte le relever.—Mais je ne veux pas dire qu’il est actuellement par terre, par suite de sa chûte: on l’a relevé.—Que voulez-vous donc dire?—Il n’y a point de femme qui, pressée par ces questions, ne réponde alors: je veux dire qu’il a tombé.—Il y a des choses dont on peut dire qu’elles ont tombé, et dont on ne peut jamais dire, exactement parlant, qu’elles sont tombées. Telles sont les choses qui, ayant un nom dans leur chûte, le perdent quand la chûte est consommée. On appelle pluie l’eau qui tombe du ciel; la pluie tombe, la pluie a tombé, mais strictement parlant, on ne devrait pas dire que la pluie est tombée; car quand l’eau du ciel est sur la terre, ce n’est plus de la pluie, c’est de l’eau de pluie. Ainsi, la pluie, qui peut être ou avoir été dans un état de chose tombante, ne peut être dans un état de chose tombée. On peut donc dire la pluie tomba, la pluie a tombé; mais on ne devrait pas dire la pluie est tombée. Cependant on le dit, en parlant d’une période qui n’est pas encore 429 écoulée: la pluie est tombée ce matin à verse. Mais il serait ridicule de dire: la pluie est tombée à verse il y a six jours; il faut dire: a tombé. On peut appliquer les mêmes observations aux mots foudre et tonnerre. L’année dernière, le tonnerre a tombé sur plusieurs édifices; le tonnerre est tombé ce matin, ou a tombé ce matin dans la Seine. Vouloir absolument que l’on emploie également l’auxiliaire être pour signifier et l’action, et l’état qui résulte de l’action, c’est confondre dans une seule expression deux choses réellement distinctes, c’est bannir de la langue une locution nécessaire pour exprimer une vue particulière de l’esprit, c’est apauvrir la langue. On a sans doute exclu cette locution de la langue, parce que l’Académie a omis de la mettre dans son Dictionnaire. Voilà comme l’Académie, à plusieurs égards, a contribué à apauvrir et à corrompre la langue. On a fait des règles de ses omissions et de ses bévues.» (Laveaux, Dict. des diff.)

L’Académie, qui prépare en ce moment une nouvelle édition de son dictionnaire, ne dédaignera sans doute pas d’avoir égard à la remarque de Laveaux, sur l’emploi de l’auxiliaire avoir avec tomber, et à tant d’autres observations non moins sensées, faites par plusieurs de nos meilleurs grammairiens sur les défauts malheureusement trop nombreux de son ouvrage. Espérons qu’un mesquin esprit de corps ne l’emportera pas sur l’intérêt de la langue française.


430 TOMBER A TERRE, TOMBER PAR TERRE.

Locut. vic.   Ce grand chêne est tombé à terre.
La girouette de notre maison est tombée par terre.
 
Locut. corr.   Ce grand chêne est tombé par terre.
La girouette de notre maison est tombée à terre.

«Tomber par terre se dit de ce qui, étant déjà à terre, tombe de sa hauteur; et tomber à terre, de ce qui, étant élevé au-dessus de terre, tombe de haut.

«Un homme, par exemple, qui passe dans une rue et qui vient à tomber, tombe par terre, et non à terre, car il y est déjà; mais un couvreur, à qui le pied manque sur un toit, tombe à terre, et non par terre.

«Un arbre tombe par terre; mais les fruits de l’arbre tombent à terre.» (Girard, Synonymes.)


TONTON.

Locut. vic. Il le fait tourner comme un tonton.
Locut. corr. Il le fait tourner comme un toton.

Toton est le mot latin totum, francisé, sous le double rapport de la prononciation et de l’orthographe.

«Le toton est une sorte de dé à quatre et à cinq faces, sur l’une desquelles est la lettre T, qui désigne le mot latin totum, tout; parce que, lorsque le dé présente cette face, le joueur gagne tout.» (De Roquefort, Dict. étym.)

Enfin voilà ce qu’aime
Le triste auteur de ce pauvre tonton.
(Em. Debraux, Ch.)

Lisez toton.


431 TOUCHER.

Locut. vic. Nous sommes réconciliés; touchons-nous la main.
Locut. corr. Nous sommes réconciliés; touchons-nous dans la main.

L’usage veut toucher dans la main, et non toucher la main. Le régime direct de toucher est le pronom personnel. Dans ces phrases du Dictionnaire de l’Académie (1802), nous nous sommes touchés dans la main, ils se sont touchés dans la main, l’analyse démontre clairement que le verbe toucher est actif. Il faut donc conséquemment dire toucher quelqu’un dans la main, et non toucher à quelqu’un dans la main.

Molière nous paraît avoir eu tort de faire toucher verbe neutre, dans ce vers:

Otez ce gant; touchez à monsieur dans la main.
(Femmes savantes.)

TOUCHER. (Voyez PINCER.).


TOURNER.

Locut. vic. Je crois qu’il tourne cœur.
Locut. corr. Je crois qu’il retourne cœur.

La carte que l’on retourne se nomme la retourne. De quelle couleur est la retourne?


432 TOUS DEUX, TOUS LES DEUX.

Locut. vic.   Nous partîmes tous les deux sur le même navire.
Nous ne partirons pas tous deux le même jour.
 
Locut. corr.   Nous partîmes tous deux sur le même navire.
Nous ne partirons pas tous les deux le même jour.

Deux individus qui font la même action, ensemble, dans le même lieu, la font tous deux; mais si cette action est faite séparément par ces deux individus, on dira qu’ils l’ont faite tous les deux.

Corneille et Voltaire ont régné tous les deux sur la scène tragique, et non tous deux. Je les ai rencontrés tous deux bras dessus, bras dessous, et non tous les deux.

La même remarque s’applique aux autres noms de nombre, excepté toutefois à ceux qu’on ne peut employer sans l’article. Ils sont morts tous trois, tous quatre, signifie que les trois, les quatre, sont morts ensemble, dans le même lieu. Ils sont morts tous les trois, tous les quatre, signifie que les trois, les quatre, sont morts à des époques différentes, et en différens lieux.


TOUT.

Locut. vic. Cet homme, tout spirituel qu’il soit, ne me plaît pas.
Locut. corr. Cet homme, tout spirituel qu’il est, ne me plaît pas, ou quelque spirituel qu’il soit, etc.

«On met toujours l’indicatif après tout, et toujours le subjonctif après quelque, et l’exemple d’un de nos bons écrivains ne doit pas l’emporter sur l’usage.

433 «Tous les bons auteurs que j’ai lus, mettent l’indicatif après tout, hors celui que j’ai cité d’abord.» (Bouhours, Nouv. rem., p. 319.)


TOUT.

Locut. vic.   Vous avez les mains toutes écorchées.
Prenez cette portion toute entière.
Il le ferait pour tout autre personne que vous.
Elle est toute autre que je ne croyais.
 
Locut. corr.   Vous avez les mains tout écorchées.
Prenez cette portion tout entière.
Il le ferait pour toute autre personne que vous.
Elle est tout autre que je ne croyais.

Tout, placé devant un adjectif féminin, singulier ou pluriel, commençant par une consonne ou un h aspiré, s’accorde en genre et en nombre avec cet adjectif. Il a la main toute sanglante. L’euphonie est la raison de cette anomalie qui soumet un adverbe à la loi de l’accord. M. Barthélemy a écrit:

Force reste à la loi: l’inflexible assemblée,
Tout palpitante encor de la chaude mêlée,
Se change en tribunal..........
(Journées de la Révol., 10e j.)

La licence est trop forte. Il fallait toute.

Tout est invariable, si l’adjectif qu’il précède est masculin pluriel, commençant par une voyelle ou une consonne: les doigts tout écorchés, les doigts tout sanglans, ou bien si cet adjectif est féminin, singulier ou pluriel, et commençant seulement par une voyelle ou un h muet: la main tout écorchée, les mains tout écorchées.

Tout, suivi de l’adjectif entière, est un adverbe, et doit toujours être invariable. Quand on dit: la maison 434 tout entière, c’est comme si l’on disait: la maison absolument entière.

Tout, joint à l’adjectif autre, est tantôt variable et tantôt invariable. Dans cette phrase, par exemple: Il le ferait pour toute autre personne que vous; on voit que tout doit être variable, parce qu’il est adjectif. C’est comme s’il y avait: il le ferait pour toute personne autre que vous.

Mais dans cette autre phrase: Elle est tout autre que je ne croyais; tout, ne pouvant être qu’un adverbe, reste invariable. Tout a ici la valeur de tout-à-fait.


TOUT (UNE FOIS POUR).

Locut. vic. Nous l’avons dit une fois pour tout.
Locut. corr. Nous l’avons dit une fois pour toutes.

C’est à-dire une fois pour toutes (les autres fois.)


TOUT PLEIN.

Locut. vic. J’ai tout plein d’appétit.
Locut. corr. J’ai beaucoup d’appétit.

Tout plein pour beaucoup est une mauvaise expression, parce qu’elle manque d’exactitude. Vaugelas, qui l’a chaudement défendue, tout en convenant à peu près qu’elle n’a point de sens ni de raison (Nouv. Rem., 1690), dit qu’il ne faut pas s’amuser à en faire l’anatomie. Quelle valeur peut donc avoir cette expression qui craint tant l’analyse? Aucune.

Il y a des cas où tout plein peut être fort bien placé; mais on remarquera qu’il n’a pas alors la signification de beaucoup, qui doit lui être toujours refusée. Y a-t-il de l’eau dans ce tonneau? Oui, il y en a tout plein. 435 Tout plein a au moins ici une valeur déterminée. Ce qui est vague ne convient pas à notre langue, qui aime tant la précision!


TRAINTRAIN.

Locut. vic. Vous connaissez bien le traintrain de la maison.
Locut. corr. Vous connaissez bien le trantran de la maison.

«C’est un mot factice et populaire; le cours de certaines affaires; la manière ordinaire de les conduire. Entendre, savoir le trantran. Il sait le trantran des affaires du palais.» (Féraud, Dict. crit.)


TRAVERS (A), TRAVERS (AU).

Locut. vic.   Il se sauva à travers du jardin.
Je passai au travers les rangs ennemis.
 
Locut. corr.   Il se sauva à travers le jardin.
Je passai au travers des rangs ennemis.

A travers doit être suivi d’un régime direct, au travers d’un régime indirect.

A travers exprime l’action de passer par un milieu qui n’offre aucun obstacle, aucune résistance: au travers marque au contraire l’action de passer par un milieu qu’il faut pour ainsi dire percer. On passe une épée au travers du corps; on passe à travers les champs. Le fil passe à travers l’aiguille qui est percée; l’aiguille passe au travers de la peau qu’elle perce.


TRAVERS (DE), TRAVERS (EN).

Locut. vic. Posez cette planche de travers.
Locut. corr. Posez cette planche en travers.

De travers signifie à contre-sens ou de mauvais sens, en travers, d’un côté à l’autre, suivant la largeur.


436 TRAVERSAL.

Locut. vic. C’est une ligne traversale.
Locut. corr. C’est une ligne transversale.

«Constantin Varole, Boulonais, premier médecin du pape Grégoire XIII, mort en 1570, a donné son nom à l’alongement transversal du cervelet, appelé Pont de Varole.» (Dict. de Trévoux.)


TRAVERSER LE PONT.

Locut. vic. Traversez le pont qui est devant vous.
Locut. corr. Passez le pont qui est devant vous.

«Traverser, dit un grammairien, signifie parcourir l’étendue d’un corps considérée dans sa largeur d’un côté à l’autre; mais lorsqu’on parcourt un objet d’un bout à l’autre dans sa longueur, on ne le traverse pas. Le pont traverse la rivière, il en occupe l’étendue en largeur. Vous n’avez pas parcouru le pont dans sa largeur; vous avez traversé, il est vrai, la rivière, mais c’a été en parcourant le pont dans sa longueur; vous n’avez pas traversé le pont, vous y avez passé.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)

Le badaud qui, appuyé sur le parapet d’un pont, voit un train de bois disparaître sous une arche, se hâte de traverser le pont, pour jouir encore du délicieux spectacle de ce train de bois suivant le courant de la rivière, et se jette, comme un étourneau, dans les jambes de l’homme pressé qui passe le pont pour vaquer à ses affaires.


437 TRÉFOUILLER, TRIFOUILLER.

Locut. vic. Vous êtes toujours à tréfouiller.
Locut. corr. Vous êtes toujours à farfouiller.

Ce mot, d’un usage fort commun, mais non de bon usage, ne se trouve dans aucun dictionnaire. On pourrait le remplacer parfaitement par le verbe farfouiller, qui n’est pas élégant, mais qui est du moins français.


TREMBLER LA FIÈVRE.

Locut. vic. Je tremble la fièvre.
Locut. corr. La fièvre me fait trembler.

L’Académie n’a pas dédaigné d’enregistrer cette mauvaise locution dans son dictionnaire, et l’Académie nous paraît avoir tort. Si elle voulait rapporter toutes les expressions devant lesquelles elle pourrait mettre: on dit populairement, il lui faudrait augmenter du double le volume de son dictionnaire, et nous doutons réellement que nous en fussions plus avancés. Trembler, verbe actif, est un barbarisme qui ne méritait pas du tout la bienveillance de MM. les quarante.


TRÉMONTADE, TRÉMONTANE.

Locut. vic. Nous perdîmes la trémontade, la trémontane.
Locut. corr. Nous perdîmes la tramontane.

Le nord se nomme tramontane dans la Méditerranée. Perdre la tramontane, c’est perdre le moyen de s’orienter, de savoir où l’on est. Cette expression s’emploie figurément en parlant de quelqu’un qui ne sait plus ce qu’il dit, ni ce qu’il fait, par suite d’un trouble qui lui est survenu.


438 TRÈS.

Locut. vic. J’ai très soif.
Locut. corr. J’ai une grande soif.

Très ne peut pas se placer devant un substantif. Marivaux a écrit: Nous étions partis très matin de cette ville. Il fallait: de très grand matin.


TRÉSORISER.

Locut. vic. Voulez-vous donc trésoriser?
Locut. corr. Voulez-vous donc thésauriser?

Trésoriser est un barbarisme. On peut voir là un nouvel exemple des contradictions choquantes introduites dans notre langue par les changemens qu’on y a faits sans discernement. Le plus simple bon sens ne prouve-t-il pas qu’avec notre mot moderne de trésor, nous devrions dire trésoriser, ou que si nous voulons dire thésauriser, il faut revenir au substantif thésaur, tiré du latin thesaurus, et dont on se servait autrefois. Adoncques chascun membre se prepare et sesvertue de nouveau à purifier et affiner cestuy thesaur. (Rabelais, Pantagruel.)


TRESSAILLIR.

Locut. vic.   Voyez comme il tressaillit de joie!
J’ai un nerf tressaillé.
 
Locut. corr.   Voyez comme il tressaille de joie!
J’ai un nerf tressailli.

Je tressaille, tu tressailles, il tressaille, nous tressaillons, vous tressaillez, ils tressaillent.—Je tressaillais, 439 nous tressaillions.—Je tressaillis, nous tressaillîmes.—Je tressaillirai.—Je tressaillirais.—Tressaille, tressaillons.—Que je tressaille, que nous tressaillions.—Que je tressaillisse, que nous tressaillissions.—Tressaillir.—Tressaillant.—Tressailli, tressaillie.

«Il tressaillit, prend cette main, la porte à son cœur.» (J.-J. Rousseau, Pygmalion.)

Cette faute a disparu dans les dernières éditions de J.-J. Rousseau.

Un nerf tressailli est un nerf déplacé.


TROIS-PIEDS.

Locut. vic. Mettez ce trois-pieds sur le feu.
Locut. corr. Mettez ce trépied sur le feu.

Trois-pieds ne se trouve dans aucun dictionnaire.

D’autres sur le trépied placent l’airain bouillant,
Que la flamme rapide embrasse en pétillant.
(Delille, Énéide, liv. 1.)

TROUPE.

Locut. vic. Son fils est dans la troupe.
Locut. corr. Son fils est dans les troupes.

Il ne faut pas dire la troupe pour désigner les soldats d’un pays. Ce mot ne s’emploie au singulier, en parlant de gens de guerre, que pour signifier un corps détaché. Cet officier va partir pour l’armée avec sa troupe.


440 TRUBLE.

Locut. vic. Pêchez avec cette truble.
Locut. corr. Pêchez avec cette trouble.

La plupart des dictionnaires, celui de M. Boiste, entre autres, laissent le choix entre truble et trouble, filet de pêche. Cet instrument étant destiné particulièrement à pêcher en eau trouble, trouble nous paraît mieux convertir sous le rapport de l’analogie. Mais d’un autre côté, tous les compilateurs de cacologies ayant crié haro sur ce pauvre mot, c’est peut-être faire preuve de témérité que de chercher à le faire prévaloir. N’importe! cette témérité, nous l’aurons, et comme elle est basée sur la raison, nous comptons même sur des approbateurs.


TRUFFLE.

Locut. vic. Aimez-vous les truffles?
Locut. corr. Aimez-vous les truffes?

Ménage donne les deux orthographes (Origines de la langue française) et ne met qu’un f. Mais Ménage écrivait il y a près de deux siècles.

Le pis de tout, c’est qu’avec son air buffle,
Il porte un cœur aussi noir qu’une truffle.
(J.-B. Rousseau, Allég. v.)

TUER LA CHANDELLE.

Locut. vic. Avez-vous tué la chandelle?
Locut. corr. Avez-vous éteint la chandelle?

Tuer le feu est aussi une mauvaise manière de parler. 441 «On dit à Paris: éteindre un flambeau. Tuer un flambeau, une chandelle, est de province.» (Ménage, Obs. sur la langue française, ch. 188.)


TUTAYER.

Locut. vic. Vous vous tutayez donc?
Locut. corr. Vous vous tutoyez donc?

«Il est encore assez commun de dire tutayer», dit M. Ch. Nodier, dans son savant et spirituel ouvrage intitulé Notions de linguistique; «et Dieu garde de mal les honnêtes lexicographes qui écrivent ce barbarisme comme je viens de l’écrire.» (Chap. IX, p. 162.)

«De tu, toi, on a fait tutoyer. L’orthographe qui écrit tutayer est donc souverainement ridicule.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)


ULCÈRE.

Locut. vic. Il a une ulcère à la jambe.
Locut. corr. Il a un ulcère à la jambe.

«On le faisait autrefois féminin, et quelques-uns lui donnent encore ce genre; mais ce ne devrait pas être des médecins. Ces ulcères ne furent point si rebelles que les premières.» (Féraud, Dict. crit.)


UN.

Locut. vic. C’est un des hommes qui a le mieux servi la patrie.
Locut. corr. C’est un des hommes qui ont le mieux servi la patrie.

Le bon sens devrait suffire pour indiquer comment les 442 phrases construites d’une manière analogue à celle que nous venons de citer, doivent s’écrire; et cependant cette faute est très fréquente. N’est-il pas évident ici que l’homme dont il est question, n’est pas le seul qui ait le mieux servi la patrie, mais bien un de ceux qui ont le mieux servi la patrie.

Supposons que plusieurs déserteurs, passant par un village, aient été vus par un paysan. Ce paysan, interrogé sur cette circonstance, en présence de l’un d’eux, ne doit-il pas dire: Voilà un des déserteurs qui ont passé par tel village. Mais si, parmi les déserteurs qu’il voit juger, il ne s’en trouve qu’un seul qui ait passé par son village, il devra dire alors: Voilà un des déserteurs qui a passé par mon village. Qui ne voit, par cet exemple, la différence qui existe dans l’emploi du singulier ou du pluriel après le pronom relatif qui, précédé de la locution un de, un des. Ainsi, dans cet autre exemple, tiré d’un journal: Leur pays (le grand-duché de Nassau) est un de ceux qui a refusé de recevoir le tarif prussien, il fallait le verbe avoir au pluriel. Si plusieurs pays ont refusé, etc., et que le duché de Nassau soit un de ces pays, pourquoi ne pas dire: Ce pays est un de ceux qui ont refusé, etc. Si ce pays est le seul qui ait refusé, etc., pourquoi ne pas dire: Ce pays a refusé, etc. Il n’y a là qu’une exactitude de langage tout-à-fait indispensable pour être compris, et pas du tout de purisme.

«Ce fut une des choses qui contribua davantage à les lier étroitement avec elle. (Restaut.) Dans cette phrase, le singulier, dit M. Chapsal, serait regardé aujourd’hui comme une hérésie grammaticale; aussi tous nos modernes auteurs n’emploient-ils que le pluriel: L’empereur Antoine est regardé comme un des plus grands princes qui aient régné.» (Rollin.)

«Il paraîtra bientôt une nouvelle vie de Charles VII; 443 elle a été composée par un des hommes qui possèdent le mieux l’histoire générale de notre monarchie.» (Fréron.)

«Quintilien, un des hommes de l’antiquité qui ont le plus de sens et de goût, examine si l’éducation publique doit être préférée à l’éducation privée.» (D’Alembert.)

(Nouv. Dict. gramm.)


UN.

Locut. vic. J’irai chez vous vers les une heure.
Locut. corr. J’irai chez vous vers une heure.

L’usage (et l’on doit par là, nous présumons, entendre celui des bons auteurs) n’a jamais, comme le prétend le Dictionnaire de M. Raymond, autorisé le solécisme: vers les une heure.


UN CHACUN, UN QUELQU’UN.

Locut. vic. Un chacun le fera à son tour.
Locut. corr. Chacun le fera à son tour.

«Il n’y a plus que les vieillards qui aient droit de se servir de cette expression jadis fort en usage.» (M. Marle, Omnibus du langage.)

La même remarque peut s’appliquer à un quelqu’un.


UN (L’) ET L’AUTRE, NI L’UN NI L’AUTRE.

Locut. vic.   L’un et l’autre vous a offensé.
Ni l’un ni l’autre n’y manquera.
 
Locut. corr.   L’un et l’autre vous ont offensé.
Ni l’un ni l’autre n’y manqueront.

Doit-on mettre le verbe au singulier ou au pluriel 444 après l’un et l’autre? C’est une question controversée depuis fort long-temps par nos grammairiens, et non résolue par nos meilleurs écrivains.

L’un et l’autre à mon sens ont le cerveau troublé.
(Boileau, Sat. IV.)
L’un et l’autre ont promis Atalide à ma foi.
(Racine, Bajazet, act. I, sc. 1.)
L’un et l’autre à ces mots ont levé le poignard.
(Voltaire, Mérope, act. II, sc. 2.)
Étudiez la cour et connaissez la ville;
L’une et l’autre est toujours en modèles fertile.
(Boileau, Art poét., ch. III.)
A demeurer chez soi l’un et l’autre s’obstine.
(Lafontaine, Fab. 7, liv. III.)
L’un et l’autre bientôt voit son heure dernière.
(Voltaire, Orph. de la Ch., act. V, sc. 1.)

«Comme presque tous les grammairiens se sont prononcés pour le pluriel, nous pensons, dit M. Girault-Duvivier (Gramm. des Gramm.), qu’on doit employer ce nombre plutôt que le singulier

Quand nous voyons l’expression l’un et l’autre, qui exprime nécessairement un pluriel, suivie d’un verbe au singulier, il nous semble réellement entendre quelque cuisinière, ou quelque maître d’école de village, faisant une addition, et disant fort correctement: Un et un fait deux.

—«Dans cette phrase: ni l’un ni l’autre n’ont fait leur devoir, il y a deux sujets; aucun des deux n’a fait son devoir, c’est ce que cette phrase signifie; l’exclusion est commune à l’un et à l’autre, et cette exclusion ne peut être marquée que par le pluriel.

«Les deux sujets concourent-ils à l’action? il y a pluralité dans l’idée, il doit y avoir pluralité dans les 445 mots, et, par conséquent, il faut donner au verbe la forme plurielle. Ainsi, je dirai: ni l’un ni l’autre n’ont fait leur devoir; ni la douceur, ni la force ne peuvent rien. Si, au contraire, un des deux sujets seulement fait l’action, il y a unité, et dès-lors le verbe doit être mis au singulier: ni l’un ni l’autre n’est mon père, parce qu’on n’a qu’un père.» (Gramm. des Gramm.)


UNIR.

Locut. vic. J’ai uni mes destinées avec les vôtres.
Locut. corr. J’ai uni mes destinées aux vôtres.

On lit dans Féraud (Dict. crit., art. Aise): «Le genre de ce mot est incertain au singulier; on ne l’unit qu’avec des pronoms.» Il fallait: qu’à des pronoms.

Avec, après le verbe unir, est évidemment battologique, puisqu’il exprime particulièrement l’union; à convient beaucoup mieux, parce qu’il n’exprime guère que la tendance pure et simple.


UNIR ENSEMBLE.

Locut. vic. Unissez-vous ensemble contre eux.
Locut. corr. Unissez-vous contre eux.

«Vaugelas, dans ses Remarques (160e) sur la langue française, trouve cette locution correcte, et cite à l’appui cette phrase tirée de la vie d’Auguste: Antoine et Lépidus s’étaient unis ensemble d’une façon assez étrange.

«Aujourd’hui l’usage a fait raison de cette remarque de Vaugelas; on dirait: Antoine et Lépidus s’étaient unis d’une façon assez étrange.

446 «Unir ensemble est une véritable périssologie, puisque le mot ensemble n’ajoute rien à l’idée exprimée par unir.» (M. Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)


USAGE.

Locut. vic. Cette étoffe est d’un bon usage.
Locut. corr. Cette étoffe est d’un bon user.

«Usage pour user, substantif, est mis, par M. Desgrouais, au nombre des gasconismes.» (Féraud, Dict. crit.)

C’est un si bon user qu’on n’en voit pas la fin.
(Furetière, Sat. 1.)

VA.

Locut. vic.   J’accepte ce que vous me proposez; cela me va.
Comment ça va-t-il aujourd’hui?
 
Locut. corr.   J’accepte ce que vous me proposez; cela me convient.
Comment vous portez-vous aujourd’hui?

Il ne faut qu’un peu de raisonnement pour voir combien sont défectueuses les expressions que nous signalons ici.—Elles appartiennent au langage familier, nous dira-t-on.—Eh! bon Dieu! tâchons donc de laisser de côté cette distinction de langage familier et de langage relevé. Avons-nous réellement aujourd’hui ces deux espèces de langage? N’en fait-on pas tous les jours et partout un continuel mélange? Le parleur le plus illettré ne manque jamais maintenant de placer dans le discours le plus prosaïque, et à côté des expressions les plus triviales, tous les mots les plus ronflans que peut lui fournir sa mémoire. Au tribunal de commerce, en demandant 447 le paiement d’un effet, on évoque tout-à-coup l’élégant et poétique mot alors que; au théâtre, vous entendez dans une tragédie moderne, ou un drame, si vous voulez, l’humble mot guignon. Tous les rangs sont confondus parmi les mots comme parmi les hommes. Les mots bien nés courent les rues comme les mots roturiers, et ceux-ci même supplantent quelquefois les premiers. Voulez-vous, par exemple, savoir des nouvelles du charmant mot épouse? Allez en chercher au faubourg Saint-Marceau, et gardez-vous d’aller aux Tuileries; ce serait le froid et positif mot femme que vous y trouveriez à sa place. Souvenez-vous que le roi maintenant a une femme, le chiffonnier n’a qu’une épouse.

Il nous semble résulter de ce chaos que nous devons nous efforcer de nous faire un seul et unique langage, élégant, si nous le pouvons, et rationnel surtout; cela vaudra infiniment mieux que d’avoir une langue vulgaire et une langue sacrée; car, avec ces deux langues-là, nous ressemblons passablement à des gens qui s’affublent en même temps de beaux habits et de guenilles, et ces gens-là ne peuvent être, ne nous en déplaise, que des fous.


VACILLANT.

Prononc. vic. Son courage est vaccillant.
Prononc. corr. Son courage est vacillant.

Vaciller, vacillant, vacillation, se prononcent sans mouiller les deux ll, et en donnant au c le son de deux ss.


448 VAGISTAS.

Locut. vic. Ouvrez le vagistas.
Locut. corr. Ouvrez le vasistas.

«Le vasistas est une petite partie d’une porte ou d’une fenêtre, laquelle partie s’ouvre et se ferme à volonté. Ce mot vient des trois mots allemands Was ist das? (Quoi est cela?) que l’on a estropiés comme la plupart des mots qui nous viennent des langues étrangères.

«Vagistas, qui est dans la bouche d’une infinité de personnes, se trouve, on ne sait pourquoi, dans le Dictionnaire de Gattel; mais il ne se trouve que là.» (Gramm. des gramm.)

M. Laveaux, dans son Dictionnaire des difficultés, a aussi écrit vagistas, quoiqu’il assigne à ce mot l’étymologie que nous venons de rapporter, qui nous paraît d’autant plus plausible que la phrase allemande: Was ist das? dans la bouche d’un Allemand, se prononce exactement comme notre mot vasistas, au moyen de l’assimilation du son du double w au son du v simple, et de la rudesse du t transportée au d.


VAILLE QUI VAILLE.

Locut. vic. Je l’accepte, vaille qui vaille.
Locut. corr. Je l’accepte, vaille que vaille.

Vaille que vaille signifie (qu’il) vaille (ce) que (il) vaille, c’est-à-dire n’importe quoi.


449 VAS (JE), VAIS (JE).

Locut. vic. Je vas lui parler.
Locut. corr. Je vais lui parler.

«Tous les deux se disent, comme l’atteste le mot connu du père Bouhours agonisant.

«Du temps de Vaugelas, la cour disait: je vas, et la ville: je vais. L’avis du peuple a prévalu sur celui de la cour, ce qui arrive souvent en matière de goût.

«On ne dirait plus: je vas, comme dans ces vers de Lafontaine:

Mais plutôt qu’elle considère,
Que je me vas désaltérant
Dans le courant.

«Mais, je m’en vas se dit toujours, et Girard le trouve même préférable à: je m’en vais. Je partage là-dessus l’opinion du père Bouhours, qui était très indifférent sur le choix.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.) Voyez Aller.


VÉNÉNEUX, VENIMEUX.

Locut. vic.   Ne touchez pas cette bête; elle est vénéneuse.
Prenez garde à cette plante venimeuse.
 
Locut. corr.   Ne touchez pas cette bête; elle est venimeuse.
Prenez garde à cette plante vénéneuse.

Vénéneux vient directement de venenum, et se dit des plantes, des herbes, etc. Venimeux vient de venin, autrefois venim, qui lui-même vient aussi de venenum, et se dit des êtres animés. «On prétend même qu’ils (les crapauds de Carthagène et de Porto-Bello) y font des morsures d’autant plus dangereuses, qu’indépendamment 450 de leur grosseur, ils sont, dit-on, très venimeux.» (Lacépède, Hist. nat., tome 3.)

«Les crapauds sont beaucoup plus venimeux, à mesure qu’ils habitent des pays plus chauds et plus convenables à leur nature.» (Lacépède, Hist. nat., tom. 3.)

«Le suc de la ciguë est vénéneux.» (Dict. de l’Acad.)

Il n’y a pas fort long-temps que l’usage a fixé l’emploi particulier de chacun de ces adjectifs. Du temps du P. Bouhours on disait également: «Les scorpions et les vipères sont des bêtes vénéneuses ou venimeuses.» (Rem. nouv. pag. 264, 1692.)


VENIR.

Locut. vic. Viens nous en.
Locut. corr. Allons nous en.

Viens nous en n’est pas plus régulier que ne le serait: Va nous en. Le verbe ne peut pas être au singulier, quand il a un sujet pluriel.


VÊPRES.

Locut. vic. Irez-vous aujourd’hui à vêpres?
Locut. corr. Irez-vous aujourd’hui aux vêpres?

On doit dire: aller aux vêpres, comme on dit: aller à la messe. Vêpres, au nominatif, au génitif et à l’accusatif, ne s’emploie presque jamais sans article: les vêpres sont sonnées, la fin des vêpres, sonner les vêpres (Acad.), pourquoi n’en serait-il pas de même au datif? Remarquons bien que si l’on dit: aller à prime, à tierce, à sexte, à none, c’est parce que ces mots s’emploient toujours sans article, l’office de prime, de tierce, de sexte, de 451 none[3], est commencé. Matines et complies doivent s’employer aussi sans article; chanter matines, aller à matines, réciter complies, aller à complies.—Vêpres est féminin: Les vêpres siciliennes.

[3] Un grammairien prétend que le mot nones n’a pas de singulier. Nous pensons au contraire que c’est le pluriel qui manque, et que l’on doit toujours écrire none. None est une francisation du latin nona (sous-entendu horá), comme tierce l’est de tertia, sexte de sexta, etc.


VERMICHELLE, VIOLONCHELLE.

Prononc. vic. Vermichelle, violonchelle.
Prononc. corr. Vermicelle, violoncelle.

Plusieurs grammairiens veulent que l’on prononce vermichelle, violonchelle, parce que les mots vermicelle, violoncelle, viennent de l’italien, et que, dans cette langue, le c devant une voyelle liquide se prononce comme notre ch. Pour réfuter victorieusement, il nous semble, cette opinion, il suffit de faire remarquer que ces mots, en passant dans notre langue, ont perdu la terminaison italienne, qu’ils sont actuellement tout-à-fait français, et qu’il serait par conséquent absurde de vouloir leur appliquer une prononciation étrangère. Le naturalisé ne perd-il pas ses droits aux privilèges de sa première patrie? Si ces mots avaient conservé toute leur physionomie italienne comme Mezzo-termine, par exemple, il serait fort raisonnable de les prononcer comme en italien. Mezzo-termine n’est qu’un étranger qui voyage en France, et n’est pas, Dieu merci, encore naturalisé. Mais vermicelle et violoncelle ne sont pas dans le même cas que Mezzo-termine, et l’on ne doit pas plus prononcer vermichelle, violonchelle à l’italienne, que Mézotermine à la française. Et pour revenir 452 à cette dernière expression, comment le Dictionnaire de l’Académie de 1802 a-t-il pu croire enrichir notre langue en lui faisant ce cadeau, quand nous avons déjà celle de terme-moyen qui traduit exactement la première, et que nous devrions préférer, quand ce ne serait que par esprit national. Mais parlez de cela à certaines gens! ils ne vous écouteront pas. Ils aiment infiniment mieux faire étalage d’un mauvais lambeau d’érudition, que de se rendre aux conseils du bon sens.


VERS.

Prononc. vic. Votre ami fait des ver se.
Prononc. corr. Votre ami fait des ver.

Les méridionaux prononcent le mot vers conformément à l’axiôme suivant qui jouit d’une grande autorité parmi eux: Toutes les lettres sont faites pour être prononcées, axiôme fort raisonnable au fond, mais qui est cependant encore fort hétérodoxe en France. En attendant qu’il triomphe, nous engageons nos compatriotes les méridionaux à le mettre un peu moins en pratique; ils n’en paraîtront que plus Français.


VESSICATOIRE.

Locut. vic. On lui appliquera un vessicatoire.
Locut. corr. On lui appliquera un vésicatoire.

Le vésicatoire fait venir des vessies; de là l’erreur des gens fort nombreux qui prononcent ce mot comme s’il était écrit par un double ss.

Vésicatoire vient du latin vesica, et l’on a dit autrefois vésie pour vessie.


453 VÊTIR. (Voyez REVÊTIR.)

Locut. vic. Elle se vêtit à la hâte, et sort.
Locut. corr. Elle se vêt à la hâte, et sort.

VIDER.

Locut. vic. La cour le condamne à vider les lieux.
Locut. corr. La cour le condamne à évacuer les lieux, le local qu’il occupe.

Nos codes n’ont certainement pas le pouvoir de forcer personne à remplir les fonctions de vidangeur. On conviendra cependant que, sans tourmenter en aucune façon le sens des mots, c’est exactement ce qu’on pourrait inférer de l’arrêt que nous venons de citer, en le prenant à la lettre. Aussi sommes-nous persuadé que cette dégoûtante expression de vider les lieux disparaîtra quelque jour du style judiciaire.

«La langue française, a dit fort judicieusement Andry de Boisregard (Réfl. sur l’usage prés. de la langue française), est, à proprement parler, la plus modeste de toutes les langues; elle rejette non seulement toutes les expressions qui blessent la pudeur, mais encore celles qui peuvent recevoir un mauvais sens. Nos écrivains les plus polis vont en cela jusqu’au scrupule, et un mot devient insupportable parmi nous dès qu’il peut être interprété en mal.


VIE.

Locut. vic. C’est défendu sous peine de vie, sous peine de la vie.
Locut. corr. C’est défendu sous peine de mort.

La mort est une peine qu’on peut infliger; la vie n’en 454 est pas une. C’est donc sous peine de mort que l’on doit dire.

L’Académie regarde l’expression sous peine de la vie comme elliptique, et elle a raison: cela signifie sous peine de perdre la vie. Mais pourquoi préférer une construction elliptique à une construction pleine? La peine de la perte de la vie n’est-elle pas la peine de mort?


VIN.

L’abbé Delille questionnait un jour l’abbé Cosson sur la manière dont il s’était comporté dans un grand dîner auquel il avait assisté chez l’abbé de Radonvilliers. Le premier de ces abbés était, comme on sait, un homme de cour; le second un simple professeur, peu au fait des usages du grand monde. Aussi l’abbé Delille trouva-t-il dans les réponses de son ami un ample sujet de critique. Après maintes questions: «Vous ne dites rien de votre manière de demander à boire», ajouta-t-il. «J’ai, comme tout le monde, demandé du Champagne, du Bordeaux, aux personnes qui en avaient devant elles.—Sachez donc qu’on demande du vin de Champagne, du vin de Bordeaux.» (Berchoux, la Gastronomie, poëme, ch. II, notes.)

Madame de Genlis blâme aussi l’emploi de cette manière de parler, qu’elle attribue bien gratuitement au langage révolutionnaire. (Mém., t. V, p. 92.) Il y a ici parachronisme. Mille exemples pourraient servir à prouver qu’avant la révolution nos bons auteurs ont fait usage de ces locutions elliptiques, et nous pensons que ces autorités peuvent bien balancer avec quelque avantage celle d’un sot purisme qui repose uniquement sur un caprice de grand monde.


455 VIS-A-VIS.

Locut. vic.   Je demeure vis-à-vis son hôtel.
Il a été ingrat vis-à-vis de moi.
 
Locut. corr.   Je demeure vis-à-vis de son hôtel.
Il a été ingrat envers moi.

Vis-à-vis doit toujours être suivi de la préposition de, et ne peut jamais se placer devant un nom de personne, avec la signification de envers, à l’égard de.

Dans les vers suivans:

Déjà placé vis-à-vis sa servante,
Le bon pasteur a saisi son couteau.
(Désaugiers, Rien qu’une, conte.)

Vis-à-vis est bien placé, parce qu’il signifie: en face de; mais il fallait vis-à-vis de.

«Y a-t-il, dit Voltaire, un seul des écrivains du grand siècle de Louis XIV qui ait dit ingrat vis-à-vis de moi, au lieu de, ingrat envers moi; il se ménageait vis-à-vis ses rivaux, au lieu de dire, avec ses rivaux; il était fier vis-à-vis de ses supérieurs, pour fier avec ses supérieurs, etc.? Dès qu’une expression vicieuse s’introduit, la foule s’en empare.» (Lettre à M. d’Olivet.)

«D’Arnaud vient de tenir vis-à-vis de moi la même conduite que Cotin, son devancier, a tenue vis-à-vis de Boileau.» (Ecouchard Le Brun.) Lisez envers dans ces deux endroits.


VIVE.

Orth. vic. Vive les gens d’esprit!
Orth. corr. Vivent les gens d’esprit!

Presque tous nos dictionnaires, excepté celui de 456 l’Académie, donnent au mot vive le nom d’interjection! Cette désignation est tout-à-fait inexacte, car on écrit vivent au pluriel, et une chose bien connue du plus petit écolier, c’est que l’interjection est une des quatre parties du discours qui ne changent jamais. Dans cette phrase: Meure le tyran, ce mot meure, qui ferait meurent au pluriel, meurent les tyrans, est donc un verbe. Périssent les colonies plutôt qu’un principe, périssent est encore un verbe. En voilà assez, nous croyons, pour démontrer que le mot vive est un véritable verbe au subjonctif. Cette phrase: Vivent les gens d’esprit, n’est autre chose qu’une ellipse de cette autre phrase: Je désire que les gens d’esprit vivent. L’usage est d’ailleurs en faveur de l’orthographe que nous défendons; il paraît même avoir en cette circonstance un caractère qu’il revêt assez rarement, celui de l’unanimité. On lit dans Ronsard:

Vivent, Seigneur, nos terres fortunées,
Vive ce Roy, et vivent ses guerriers
Qui de Poictiers remportent les lauriers.
(Edit. de 1604, tom. IX.)

Dans Palissot: Il est charmant, ma foi; vivent les gens d’esprit!

Dans Peluche: Vivent les gens qui ont de l’industrie!

Dans le Dictionnaire de l’Académie: Vivent la Champagne et la Bourgogne pour les bons vins!

Les Latins en faisaient un verbe: Vivant qui pro nobis favent. Les Espagnols ont suivi cet exemple.

Vivan los esposos,
Alegres, dichosos,
Vivan siglos mil.
(Melendez Valdes, Bodas de Camacho.)

M. Thiers a fait une faute dans le passage suivant: 457 Ils se précipitent alors sur les groupes où l’on criait: Vive les Jacobins! (Hist. de la Rév., t. VII, p. 281.)


VOIR.

Locut. vic. Voyons voir, regardons voir si c’est lui.
Locut. corr. Voyons, regardons si c’est lui.

Voir est si ridiculement employé dans ces phrases, qu’il est très rare de le trouver ailleurs que dans la bouche de gens complètement dépourvus d’instruction. Le pléonasme est un peu trop grossier.


VOISIN, VOITURE.

Prononc. vic. Vouésin, vouéture.
Prononc. corr. Voasin, voature.

VOLTE.

Locut. vic. Avez-vous fait la volte?
Locut. corr. Avez-vous fait la vole?
Puis, sur une autre table, avec un air plus sombre,
S’en aller méditer une vole au jeu d’hombre.
(Boileau, Sat. IX.)

VOTRE. (Voyez NOTRE.)


VOULOIR.

Locut. vic.   Oh! ne m’en voulez pas!
Croit-on que nous veuillons reculer?
 
Locut. corr.   Oh! ne m’en veuillez pas!
Croit-on que nous voulions reculer?

«Quoique l’Académie, et d’après elle plusieurs grammairiens, 458 aient décidé que le verbe vouloir n’a point d’impératif, l’usage a établi le mot veuillez pour seconde personne de ce mode; on le trouve dans plusieurs écrivains distingués, et on le dit journellement dans la conversation.

Veuillez vous souvenir
Que les événemens régleront l’avenir.
(Corneille, Pompée.)
Veuillez être discret,
Et n’allez pas, de grâce, éventer mon secret.
(Molière, École des femmes.)
Veuillez du moins nous dire qui nous devons suivre.
(Volney.)
Veuillez, monsieur, rendre hommage au mérite.
(Voltaire.)

«D’après ces autorités et l’usage, on peut, je pense, donner un impératif au verbe vouloir, et employer le mot veuillez.» (Laveaux, Dict. des diff.)

On trouve souvent veuillons et veuillez employés comme personnes du subjonctif. C’est une énorme faute. Il faut dire: Ne croyez pas que nous voulions, je ne crois pas que vous vouliez. Les phrases suivantes sont condamnables: Votre impartialité ne me laisse aucun doute que vous ne veuillez bien donner place, etc.—J’espère que personne ne pourra penser que, lorsque nous sommes accusés nous-mêmes, nous veuillons méconnaître le caractère de ceux qui nous accusent. (Casimir Périer, Séance du 26 nov. 1831.)

Il fallait: Que vous ne vouliez, que nous voulions.


459 VOUS, TE.

Locut. vic. Nous vous le tancerons vertement.
Locut. corr. Nous le tancerons vertement.

Je vous le ferai joliment courir; je te le secouerai joliment. Dans ces phrases, et autres semblables, employées journellement, par des gens instruits même, quel rôle peut-on grammaticalement assigner à ces pronoms vous et te? Qu’ajoutent-ils au discours sous quelque rapport que ce soit? Lui donnent-ils plus d’élégance, plus de clarté, plus d’énergie? Nous ne le pensons pas; bien plus, nous ne considérons ces pronoms que comme des mots parasites qui nuisent au style, loin de l’embellir, et nous recommandons à ceux qui tiennent à s’énoncer purement de ne jamais en faire usage.

Un ancien grammairien, l’auteur des Réflexions sur l’usage présent de la langue française (année 1689), a déjà relevé cette faute. «Une personne, spirituelle d’ailleurs, tenait un jour ce discours, en bonne compagnie, à un homme de la première qualité, à qui il parlait des formules de la justice pour convaincre les criminels: Premièrement, monsieur, disait-il, on vous fait mettre sur une cellette; quand vous êtes là, on vous questionne; on vous demande souvent les mêmes choses sous divers termes, pour vous faire couper, en cas que vous ne disiez pas la vérité; et quand on ne peut plus rien tirer de votre bouche, on vous donne la question jusqu’à ce que vous ayez tout avoué. Après quoi on fait votre procès selon les formes ordinaires. Il fut interrompu à ces mots; mais si on l’eût écouté davantage, je ne doute point qu’après un si beau début, il n’eût continué de la même force, et qu’il n’eût enfin terminé son discours par dire: On vous pend, ou on 460 vous fouette par la ville. La compagnie cependant s’en divertit, et notre homme apprit à se servir une autre fois plus à propos du mot de vous.» Notre grammairien, Andry de Boisregard, trouve, comme on le voit, dans son anecdote un exemple de quelque chose de bien plus grave qu’une inconvenance grammaticale. Ce qui le frappe et le préoccupe, c’est le manque de respect pour un homme de qualité, et sa vénération pour le rang est telle, que, dans le même article, il qualifie d’excès de grossièreté la demande: Comment vous portez-vous? faite directement à un homme de qualité, au lieu d’être exprimée fort indirectement comme: Oserais-je m’informer de la santé de Monsieur?


VRAI.

Locut. vic.   Je l’ai fait, vrai.
Il est sorti, pas vrai?
 
Locut. corr.   Je l’ai fait, en vérité.
Il est sorti, n’est-ce pas?

Vrai est quelquefois employé comme substantif, mais il ne l’est jamais comme adverbe dans nos bons auteurs. L’Académie autorise cette locution: Cela est conclu? vrai? Nous aimerions infiniment mieux là l’adverbe vraiment.—Quant à pas vrai, c’est une expression d’une si grande trivialité, que personne, à notre connaissance du moins, n’a encore osé la défendre. C’est bien heureux!


WISK.

Locut. vic. Faisons une partie de Wisk.
Locut. corr. Faisons une partie de Whist.

Nous préférons la dernière orthographe, suivie par 461 Boiste, à la première, qui est celle de l’Académie, parce que nous sommes assez disposé à reconnaître l’étymologie généralement assignée à ce mot. Whist dérive de l’interjection anglaise Whist! silence! Dans tous les cas, ce nom de jeu s’écrit ainsi en anglais, et cela doit nous suffire pour en déterminer l’orthographe; car il est, nous croyons, reconnu que nous avons emprunté et le jeu et son nom à l’Angleterre. La question d’étymologie est donc purement ici de la compétence du philologue Bayley, c’est-à-dire du Ménage anglais.


Y.

Locut. vic.   Plaignez le malheureux qui n’y voit goutte.
Je crois qu’il y ira.
 
Locut. corr.   Plaignez le malheureux qui ne voit goutte.
Je crois qu’il ira.

L’Y doit être supprimé dans ces deux phrases. Dans la première, il est complètement inutile, parce que ne voir goutte signifie là tout autant que n’y voir goutte. Mais si l’y est superflu dans la première phrase, il n’en est pas de même dans la seconde, et si on le retranche ici, c’est uniquement pour éviter un hiatus assez désagréable, quoiqu’on en ait trouvé des exemples dans le correct et élégant Fénelon.

«Quand le verbe qui suit le pronom y, dit Laveaux, commence par un i, on supprime ce pronom pour éviter la rencontre des deux i, qui formeraient un son désagréable. Ainsi, au lieu de dire: il m’a dit qu’il y irait, on dit: il m’a dit qu’il irait.» (Dict. des diff.)

Si l’on voulait dire que quelqu’un ne comprend rien à une affaire, on dirait cependant: il n’y voit goutte, parce que cette phrase équivaudrait ici à: il ne voit goutte à cela, là-dedans.


462 YEUX.

Locut. vic. Ce bouillon, ce fromage a des yeux.
Locut. corr. Ce bouillon, ce fromage a des œils.

Plusieurs grammairiens ont pensé que, dans plusieurs cas, le substantif œil doit avoir pour pluriel œils et non pas yeux. Nous nous rangeons à cet avis, parce que nous désirons contribuer à faire disparaître la déclinaison hybride de ce mot, comme dit M. Ch. Nodier. Quand il s’agit d’ouvrir la porte à la raison, il faut se garder de se faire prier.

On dit aussi des œils de bœuf (terme d’architecture) et non des yeux de bœuf. Œil fait yeux au pluriel, dans le sens propre, et œils dans le sens analogique.


YEUX.

Prononc. vic. Zieux noirs, que je vous aime!
Prononc. corr. Hieux noirs, que je vous aime!

Bien des gens, en lisant ce mot placé au commencement d’une phrase, comme dans un signalement par exemple: front haut, yeux noirs, etc., le prononcent zyeux, parce qu’ils sont accoutumés à le trouver presque toujours précédé d’un s ou d’un x, comme dans ces locutions: mes yeux, tes yeux, ses yeux, vos yeux, leurs yeux, les yeux, aux yeux, etc. Un peu de réflexion doit faire voir que le mot yeux doit être prononcé hyeux, toutes les fois qu’il n’est pas précédé d’un s on d’un x.


463 ZÉRO.

Locut. vic. Il est là comme un zéro en chiffre.
Locut. corr. Il est là comme un zéro sans chiffre.

Nous pensons comme M. Marle que l’expression zéro sans chiffre offre un sens plus raisonnable que l’expression zéro en chiffre. Un zéro sans chiffre qui le précède, n’a effectivement aucune valeur.


ETC.

Locut. vic. Il y avait là Jean, Simon, Pierre et cetera.
Locut. corr. Il y avait là Jean, Simon, Pierre et autres.

Et cætera ne peut se rapporter qu’à des choses. Cætera est un adjectif neutre qui se rapporte au substantif neutre negotia, sous-entendu, et qui ne peut, par conséquent, avoir aucune relation avec des personnes.

FIN.

Au lecteur.

Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original, et l’orthographe d’origine a été conservée. Seules quelques erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. La liste de ces corrections se trouve ci-dessous. Dans le texte les corrections sont soulignées en pointillés gris. Placez le curseur sur le mot pour voir l'original imprimé.

Également les corrections indiquées dans l'Errata on été effectuées, et la ponctuation a été corrigée par endroits.

Corrections.







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 langage vicieux ou réputé vicieux, by Louis Platt de Concarneau

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