The Project Gutenberg EBook of La vie privée d'autrefois : Arts et métiers : modes, moeurs, usages des, by Alfred Franklin This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. Title: La vie privée d'autrefois : Arts et métiers : modes, moeurs, usages des parisiens du XIIe au XVIIIe siècle Les soins de toilette -- Le savoir vivre Author: Alfred Franklin Release Date: November 28, 2017 [EBook #56072] Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VIE PRIVÉE D'AUTREFOIS : *** Produced by Isabelle Kozsuch, Christian Boissonnas and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)
La couverture de ce livre électronique a été crée par le transcripteur; l’image a été placée dans le domaine public.
Note de Transcription:
LA VIE PRIVÉE
D'AUTREFOIS
L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de traduction et de reproduction à l'étranger.
Ce volume a été déposé au ministère de l'intérieur (section de la librairie) en février 1887.
PARIS. TYPOGRAPHIE E. PLON, NOURRIT ET Cie, RUE GARANCIÈRE, 8.
ARTS ET MÉTIERS
MODES, MŒURS, USAGES DES PARISIENS
DU XIIe AU XVIIIe SIÈCLE
D'APRÈS DES DOCUMENTS ORIGINAUX OU INÉDITS
PAR
ALFRED FRANKLIN
LES SOINS DE TOILETTE
LE SAVOIR-VIVRE
PARIS
LIBRAIRIE PLON
E. PLON, NOURRIT ET Cie,
IMPRIMEURS-ÉDITEURS
RUE GARANCIÈRE, 10
1887
LA
VIE PRIVÉE D'AUTREFOIS
LES SOINS DE TOILETTE.
LE SAVOIR-VIVRE.
Jusqu'au milieu du dix-septième siècle, tout barbier était en même temps chirurgien. Dans sa boutique, obscure et sale, il rasait et saignait, coupait les cheveux et posait des ventouses, pansait les plaies, ouvrait les anthrax, ne reculait même pas devant les opérations les plus compliquées et les plus dangereuses. Un préjugé persistant enveloppait dans le même dédain tout travail manuel, qu'il s'appliquât à un métier, à un art ou à une science. L'ouvrier maçon et l'architecte, le barbouilleur d'enseignes et le peintre qui ornait les palais royaux de chefs-d'œuvre, le barbier et le chirurgien enfin, [Pg 2] appartenaient l'un et l'autre et au même titre à la même corporation ouvrière. Je développerai tout cela ailleurs, lorsque j'aurai à raconter la lutte soutenue pendant cinq cents ans par les barbiers contre les chirurgiens. A vrai dire, il n'y avait guère entre eux de différence, et plusieurs de nos meilleurs chirurgiens, Ambroise Paré entre autres, n'étaient que des barbiers, et furent associés fort tard à la classe des chirurgiens proprement dits.
Ce que l'on reprochait aux barbiers, gens fort serviables et fort aimés du petit peuple, qui ne connaissait guère d'autres médecins, c'était donc surtout le mélange d'attributions disparates, les opérations de chirurgie et les soins de toilette: «Voicy le mal que le barbier ne se contente du poil [1]», était déjà une phrase proverbiale au seizième siècle. Louis XIII voulut donner satisfaction à un vœu si général. En décembre 1637, il autorisa l'établissement d'une nouvelle communauté de barbiers, celle des barbiers-barbants, à laquelle toute pratique chirurgicale était interdite, et qui n'avait dans ses attributions que les bains et la coiffure. Les barbiers-chirurgiens protestèrent, et l'affaire [Pg 3] fut portée au Parlement, qui procéda avec une sage lenteur. Au mois de décembre 1659, Louis XIV intervint et confirma la création faite par son prédécesseur. L'édit rendu à cette occasion ne put encore être exécuté, et fut renouvelé le 23 mars 1673.
En vérité, il n'était que temps, et jamais la nécessité de constituer une corporation ne s'était fait plus vivement sentir. Car enfin, il faut tout dire, depuis près d'un siècle les Parisiens négligeaient fort les soins les plus élémentaires de la toilette; ils avaient perdu à peu près complétement l'habitude de se laver. Esquissons à grands traits l'histoire de la propreté en France.
Par réaction contre le sensualisme païen, l'Église se montra d'abord fort indifférente sur ce point; peu s'en faut même qu'elle ne regardât la propreté comme une pratique dangereuse, une vanité coupable, un péché. En général, les moines ne prenaient de bains que deux fois par an, à Noël et à Pâques. La règle de saint Benoît s'exprime ainsi: «On permettra les bains aux malades toutes les fois qu'on le jugera nécessaire; mais pour ceux qui se portent bien, surtout s'ils sont jeunes, on ne leur en accordera l'usage que rarement [2].» [Pg 4] Dom Calmet, qui a écrit un très-savant commentaire sur la règle de saint Benoît, trouve cette mesure excellente, et montre combien il eût été cruel de refuser ces deux bains annuels aux religieux. Ils leur étaient nécessaires, dit-il, parce «qu'alors ils n'usoient point de linge, comme ils n'en usent point encore aujourd'hui. Couchant tout vêtus et changeant peu souvent d'habits de laine qu'ils portoient sur la chair, ils contractoient beaucoup de crasse par la sueur et le travail, ce qui étoit non-seulement très-incommode aux particuliers pour leur personne, mais aussi étoit à charge aux autres à cause de la mauvaise odeur et de la malpropreté. Aujourd'hui, ajoute-t-il, on a pourvu à ces inconvénients par les chemises de serge qu'on porte, et que l'on peut laver aussi fréquemment que le besoin ou la bienséance le demandent [3].» La seule concession faite sur ce point s'applique donc, non à la personne des religieux, mais à leur chemise, qu'ils étaient autorisés à laver tous les quinze jours [4]. Ce qui tendrait à faire supposer qu'ils [Pg 5] n'abusaient pas de la permission, c'est que la règle leur accordant des pédules ou pantalons à pieds, les moines en coupaient l'extrémité qui, paraît-il, se salissait trop vite; dom Calmet s'exprime ainsi: «A cause de la sueur, ils coupent ce qu'ils mettent dans leurs pieds, pour s'épargner la peine de les laver [5].» Il y a là amphibologie, mais le commentaire qui suit explique la vraie pensée de l'auteur.
La règle de Cluni ordonnait aux moines de se réunir chaque matin dans le cloître, afin d'y faire leur toilette. Celle-ci était sans doute bien sommaire, car trois serviettes pendues au mur constituaient tout le linge mis à la disposition de la communauté; la première était exclusivement réservée aux novices, la deuxième aux profès, et la troisième aux frères lais [6]. Les Bénédictins avaient chacun leur peigne, et, dit dom Calmet, «ils se peignoient et se lavoient assez souvent le visage et la tête». Il explique un peu plus loin ce qu'il faut entendre par ces [Pg 6] mots assez souvent: les religieux, qui avaient tout le crâne rasé et ne conservaient qu'une étroite couronne de cheveux, se lavaient la tête «tous les samedis [7]».
On comptait si peu sur la propreté des séculiers, des évêques même, que l'on exigeait qu'ils se peignassent avant de monter à l'autel. Comme ils ne se décidaient à subir cette opération qu'au dernier moment, «et que l'on étoit bien aise de conserver la chape et la chasuble, et d'empêcher que la crasse ne tombât dessus, on mettoit sur leurs épaules un linge fait en forme de petit manteau [8]».
A l'égard des soins du corps, les couvents de femmes eux-mêmes ne jouissaient d'aucun privilége, bien qu'on y autorisât le rouge et les mouches. Vers la fin du dix-septième siècle, madame de Mazarin, retirée chez les Visitandines de la rue Saint-Antoine, ayant demandé un jour à se laver les pieds, la maison entière s'en émut, et la duchesse essuya un refus fort net. Comme elle tenait à ses idées, elle se procura de l'eau et, faute de mieux, en remplit un grand coffre qui était dans le dortoir; de sorte [Pg 9] que tout cela finit par une inondation générale [9].
Dans son grand Dictionnaire des sciences ecclésiastiques publié en 1760, le Dominicain Richard concède que «l'usage du bain est permis en soi, pourvu qu'on ne le prenne pas par volupté, mais par nécessité [10],» et la récente canonisation de Benoît Labre prouve bien que l'Église n'a jamais entendu faire de la propreté même une demi-vertu. A en croire les panégyristes de ce saint personnage, l'odeur infecte qu'exhalait son corps crasseux et couvert de vermine faisait fuir jusqu'aux mendiants les plus sales [11].
En dehors de l'Église, on fut assez propre au moyen âge, surtout dans la classe aisée. Les croisés avaient rapporté d'Orient le goût des bains, et de bonne heure les étuves s'étaient multipliées à Paris. Leur souvenir s'y est conservé, presque jusqu'à nos jours, dans le nom de plusieurs rues.
Le cul-de-sac des Étuves-Saint-Michel longeait [Pg 10] l'église de ce nom et aboutissait dans la rue de la Barillerie [12], aujourd'hui boulevard du Palais.
La rue des Étuves-Saint-Martin, devenue rue des Vieilles-Étuves, se nommait au treizième siècle rue Geoffroi-des-Bains ou des Étuves, vicus Gauffridi de Balneolis sive stuffarum [13].
La rue Sauval actuelle portait, il y a encore peu d'années, le nom de rue des Vieilles-Étuves-Saint-Honoré.
A gauche de la rue Marivaux, aujourd'hui rue Nicolas-Flamel, s'ouvrait le cul-de-sac des Étuves, ainsi appelé d'un établissement qui y était situé [14], et dont la réputation dura plusieurs siècles.
Le cul-de-sac de la Porte-aux-Peintres, aujourd'hui impasse des Peintres, s'est appelé ruelle sans chef dite des Étuves [15].
La partie de la rue des Bourdonnais qui aboutit au quai de la Mégisserie fut dite d'abord rue de l'Abreuvoir-Thibaut-aux-Dés, puis ruelle des Étuves, et enfin rue de l'Arche-Marion, [Pg 11] du nom de la femme qui y tenait alors des étuves [16].
Un autre cul-de-sac des Étuves aboutissait dans le grand cul-de-sac Gloriette [17], qui lui-même débouchait dans la rue de la Huchette.
La rue du Chat-qui-pêche, située tout près de là, a porté aussi le nom de ruelle des Étuves [18].
On nommait également rue aux Étuves une petite voie qui allait de la rue des Cordeliers, aujourd'hui rue de l'École-de-Médecine, à la rue Mignon [19].
Il est clair que bien d'autres rues de Paris ont possédé des étuves, sans perdre pour cela leur nom primitif. Nous savons, par exemple, qu'à l'angle de la rue Beaubourg, des étuves destinées aux femmes étaient installées dans une maison qui avait pour enseigne le Lion d'argent [20].
Les Juifs, dont la loi prescrit aux femmes l'usage du bain au moins une fois par mois [21], avaient dès 1248 dans la rue de la Pelleterie, [Pg 12] une maison d'étuves à leur usage: domus quæ fuit stuffæ Judæorum [22].
En somme, la Taille de 1292 mentionne vingt-six étuves, réparties à peu près dans tous les quartiers, et parmi lesquelles figurent celles de la rue des Vieilles-Étuves-Saint-Martin[23], de la rue Sauval [24] et de l'impasse Marivaux [25].
Chaque matin, les valets étuveurs parcouraient les rues, annonçant que les bains étaient prêts:
Les statuts des étuveurs sont compris dans le Livre des métiers [29], mais ils y ont été insérés après la mort d'Étienne Boileau, car l'écriture date du quatorzième siècle seulement. Ils offrent, d'ailleurs, un grand intérêt comme peinture des mœurs de l'époque.
Le métier était franc, ce qui signifie que chacun pouvait s'établir étuveur sans payer aucune redevance. On se bornait à exiger l'engagement de respecter les statuts rédigés en commun par les membres de la corporation: «Quiconques veut estre Estuveur en la ville de Paris, estre le peut franchement, pour tant que il euvre selonc les us et les coustumes du mestier, faites par l'acort du commun[30].»
Nul ne devait annoncer ni faire annoncer l'ouverture des étuves avant le point du jour, «pour les perilz qui pevent avenir en ceux qui se lievent audit cri pour aler aus estuves[31]». Ces périls prouvent le peu de sûreté que présentaient les rues pendant l'obscurité.
Il était défendu de recevoir dans les étuves des femmes d'une conduite suspecte, des lépreux ou des lépreuses, des vagabonds, des gens mal famés, coureurs de nuit: «Que nulz dudit mestier ne soustiengne en leurs mesons ou estuves bordiaus de jour ne de nuit, mesiaus ne meseles, reveurs, ne autres genz diffamez de nuit.»
Le prix de l'étuvage était fixé à un franc de notre monnaie, celui du bain à deux francs: [Pg 14] «Et paiera chascunne personne pour soy estuver deus deniers, et se il se baigne il paiera quatre deniers [32].» Cette distinction montre que parmi les personnes qui fréquentaient les étuves, les unes se bornaient à prendre un bain de vapeur, tandis que d'autres y faisaient succéder un bain d'eau chaude; c'est encore ce qui se pratique dans les bains publics de l'Orient. Au siècle suivant, les prix étaient presque doublés: l'étuvage coûtait deux francs, l'étuvage et le bain réunis quatre francs. Le peignoir était fourni moyennant cinquante centimes[33].
L'habitude des étuves était si générale que l'État prenait de grandes précautions pour en prévenir la fermeture. Ainsi, quand un hiver rigoureux faisait hausser le prix du bois et du charbon, le prévôt de Paris admettait les réclamations des étuveurs, et augmentait le prix d'entrée proportionnellement à celui qu'avait atteint le combustible: «Et pour ce que en aucun temps buche, charbon sont plus chiers une fois que autre», le prévôt de Paris pourra élever le prix des étuves, «par le rapport et [Pg 15] serement[34] des bones genz dudit mestier[35].»
Un article, sans doute postérieur à ces premiers statuts[36], nous apprend qu'on allait aux étuves le soir aussi bien que le matin, que souvent on y restait toute la nuit, et que la réputation de ces maisons était déjà fort mauvaise: «Que nuls ne chaufe estuves à Paris que pour hommes tant seullement ou pour fames, lequel qui li plera, car c'est vil chose et honteuse, pour les ordures et pour les perilz qui y pevent avenir; car quant les hommes s'estuvent par devers le soir, aucune foiz ils demeurent et gisent leens jusques au jour qu'il est haute heure. Et les dames viennent au matin es dictes estuves, et aucune foiz vont es chambres aus hommes par ignorance; et assés d'autres choses qui ne sont pas belles à dire.»
Les étuves étaient fermées les dimanches et jours de fête[37].
Trois «preud'ommes du mestier», élus par leurs confrères et acceptés par le prévôt de Paris, prêtaient serment de dénoncer toutes [Pg 16] les contraventions aux statuts, les «mesprentures», dit le texte[38]. Chaque contravention de ce genre était punie d'une amende de dix sols (soixante francs), dont six allaient au Roi, et les quatre autres aux preud'hommes jurés[39].
En dépit de ces sages règlements, les étuves continuèrent à servir de lieux de plaisirs, et rien ne paraît avoir été changé pendant longtemps à leur organisation. Au commencement du seizième siècle, on criait encore l'ouverture des étuves au point du jour:
Ces bains se prenaient dans des baquets de bois, car la baignoire de métal est d'invention récente. Froissart rapporte[41], il est vrai, qu'en 1382, les Gantois pillant les meubles du comte [Pg 19] de Flandre, brisèrent la «cuvelette où on l'avoit d'enfance baigné, qui étoit d'or et d'argent»; mais il s'agit évidemment ici d'une cuvette et non d'une baignoire. Isabeau de Bavière paya en 1416 treize sous pour faire «desassembler et rassembler, recingler et relier tout de neuf deux cuves à baigner» pour son usage[42]. En 1478, Jacques Cadot, menuisier, reçoit trente sous pour une «cuve à baigner» le Roi. En 1481, Mace Pignet, tonnelier, demande vingt-deux sous six deniers, «pour avoir habillé et nectoyé les cuves à baigner» Louis XI[43]. Les peignoirs ou fonds de bain se nommaient baignoères ou baignoires; ils étaient ordinairement de toile très-fine, et on employait jusqu'à douze aunes pour en faire un seul[44].
Les cuvettes de toilette se nommaient alors bassins à laver. Ordinairement on les posait à terre sur une natte, et l'on se lavait à genoux la tête et le haut du corps, c'est-à-dire tout ce que le bain laissait hors de l'eau. Le pot à laver ou pot à eau, différait de l'aiguière, qui s'employait surtout pour le lavage des mains avant et après le repas. On voit dans l'inventaire [Pg 20] dressé après la mort de Charles V, que ce prince possédait vingt-quatre bassins à laver en or, une foule de bassins semblables en argent, et «ung bassin ou vaisseau à laver piez» qui pesait quarante-sept marcs d'argent[45]. Mais l'inventaire ne fait aucune distinction entre les bassins de toilette et ceux qui étaient destinés au service de la table.
Comme chez les Romains, il était d'usage de se baigner avant le repas. Pour qu'une réception parût vraiment luxueuse et cordiale, il fallait offrir un bain à son hôte, qui passait de la baignoire à la salle à manger. Jean de Troyes raconte qu'en septembre 1467 «le Roy et la Royne firent de grans chiers[46] en plusieurs des hostels de leurs serviteurs et officiers. Et entre les aultres, le jeudy dixiesme jour dudit mois, la Royne et plusieurs dames de sa compaignie souppèrent en l'ostel de maistre Jehan Dauvet, premier président au Parlement, et illec furent receuës et festoyées moult noblement et à grant largesse. Et y eut faits quatre moult beaux bains et richement aornez, cuidant que la Royne se y deust baigner, dont elle ne fist rien, pource qu'elle se sentit ung peu mal disposée, et aussi [Pg 21] que le temps estoit dangereux. Mais en l'un desdits baings se y baignèrent madame de Bourbon, madamoiselle Bonne de Savoye; et en l'autre baing se baignèrent madame de Montglat et Perrette de Châlons, bourgoise de Paris[47]: et là firent bonne chière.» Le 22 du même mois, Louis XI alla souper chez le prévôt des marchands Denis Hesselin; «et audit hostel le Roy y fist grande chière, et y trouva trois beaulx baings honnestement et richement attintelez, cuidant que le Roy deust illec prendre son plaisir et se baigner[48].»
Les bains dont il est ici question paraissent avoir été improvisés en vue de la réception des souverains. Cependant, les grandes familles avaient souvent des étuves et des salles de bain dans leur hôtel; les récits du temps nous en fournissent de nombreuses preuves[49]. Des étuves destinées à la maison royale avaient été construites dans le jardin du Palais, à l'extrémité de la Cité[50], et ce petit bâtiment figure encore sur le plan dit de Ducerceau, qui date du milieu du seizième siècle. Il y avait également [Pg 22] des étuves et des bains au Louvre, à l'hôtel Saint-Paul et à celui du Petit-Musc. Sauval nous dit même qu'«ils étoient pavés de pierre de liais, fermés d'une porte de fer treillissé, et entourés de lambris de bois d'Irlande; les cuves étoient de même bois, ornées tout autour de bossetes dorées et liées de cerceaux attachés avec des clous de cuivre doré[51]».
C'est ordinairement aux étuves qu'avait lieu l'épilation, coutume adoptée par toutes les classes de la société. Dans les établissements publics, le barbier, son valet ou quelque vieille matrone se chargeaient de l'opération vis-à-vis des deux sexes. Quand François Ier mit à la mode les cheveux courts et la barbe longue, Clément Marot peignit en vers railleurs le désespoir des barbiers, réduits au métier d'épileurs[52]. Nos anciens poëtes donnent sur ce point des détails fort curieux, mais que je ne puis faire figurer ici.
En somme, les étuves rendaient de réels services, bien qu'elles n'eussent rien perdu au seizième siècle de la mauvaise réputation [Pg 25] qu'elles s'étaient légitimement acquise depuis le quatorzième. Toutefois leur vogue ne se soutint pas. Endroits de perdition, anathématisés à la fois par les prédicateurs catholiques et par les ministres huguenots, elles se virent peu à peu abandonnées, et presque toutes disparurent. La morale y gagna, cela est certain, mais nous allons voir tout ce qu'y perdit la propreté. Les étuves fermées, à qui s'adresser pour les soins du corps? Restaient seulement les barbiers-chirurgiens, dont les boutiques n'avaient rien d'attrayant. Dans un réduit obscur gisaient trois ou quatre baquets destinés surtout aux malades; quant au maître barbier, il était là, prêt à vous rendre ses petits services, essuyant ses mains qui venaient de panser un cautère ou d'ouvrir un abcès. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Les Parisiens prirent leur parti, et sans trop de peine, semble-t-il. On cessa d'aller au bain; puis, l'habitude de l'eau une fois perdue, on finit par ne plus se laver du tout, même chez soi. Une charmante et élégante reine, Marguerite de Navarre, dans un dialogue amoureux composé par elle[53], trouve tout naturel de [Pg 26] dire à son amant: «Voyez ces belles mains; encore que je ne les aye point descrassées depuis huict jours, gageons qu'elles effacent les vostres[54].»
A cette époque, on mangeait encore sans fourchette; aussi recommandait-on de ne pas se moucher avec la main qui prenait la viande. On était libre, d'ailleurs, de se moucher dans ses doigts, pourvu que ce fût de la main gauche:
On constate sur ce point, quelques années plus tard, un progrès sensible. Érasme, en 1530, conseille l'emploi du mouchoir. Cependant, ajoute-t-il, il n'est pas interdit de se moucher avec deux doigts, pourvu que l'on prenne soin de poser aussitôt le pied sur ce qui sera tombé à terre[56]. Cent ans après, on pouvait encore, sans trop offenser la civilité, faire [Pg 27] cette délicate opération avec un seul doigt. Un grand seigneur, d'Hauterive de l'Aubespine, recevait un jour à dîner la fleur de la galanterie française, l'illustre Turenne entre autres, et le marquis de Ruvigny. Au milieu du repas, d'Hauterive ayant eu besoin de se moucher, pressa avec le doigt une de ses narines, et le contenu de l'autre, partant comme une flèche, alla s'aplatir contre la cheminée, «en faisant autant de bruit qu'un pistolet». Ruvigny, qui était assis auprès de Turenne, s'écrie en entendant cette détonation: «Monsieur, n'êtes-vous pas blessé?» Et, ajoute Tallemant des Réaux[57], «ce fut un esclat de rire le plus grand du monde». Cette grave question du mouchoir, qui semble aujourd'hui à peu près résolue, soulevait encore des controverses peu de temps avant la Révolution. De la Mésangère s'exprimait ainsi en 1797: «On faisait un art de se moucher il y a quelques années. L'un imitait le son de la trompette, l'autre le jurement du chat. Le point de perfection consistait à ne faire ni trop de bruit ni trop peu[58].»
Revenons à Érasme. Il nous apprend encore [Pg 28] qu'il fallait éviter autant que possible de conserver dans ses cheveux des lentes et des poux, tout au moins qu'il était peu convenable de les faire tomber sur ses voisins en se grattant la tête[59]; que les personnes désireuses de passer pour très-distinguées, prenaient soin de se peigner avant d'aller dîner chez un homme de qualité[60]; enfin, qu'un homme soucieux de sa santé devait bien se garder de retenir les flatuosités qu'occasionne une digestion difficile, mais que dans le monde il était de bon goût d'en dissimuler le bruit en toussant: «tussi crepitum dissimulet[61].» Il ne s'agit ici, bien entendu, que des bruits intempestifs émis par en bas; ceux d'en haut avaient toute licence de se produire, comme le démontre une belle réponse faite par Louis XIII, alors âgé de huit ans, à M. de Souvré son gouverneur[62].
Le père de cet éloquent petit bonhomme, Henri IV, souverain sans morgue, ne dissimulait [Pg 29] pas qu'il «avoit les pieds et le gousset fins»; et, s'il faut en croire Tallemant des Réaux[63], ordinairement bien informé, madame de Verneuil, dans un moment de colère, lui dit «qu'il puoit comme une charogne». Le bourru d'Aubigné voulait peut-être se moquer de son maître quand il met en scène[64] ce Renardière qui, «à force d'estre noble, dès la première veuë connoissoit fort bien un gentilhomme, et au sentir mesme, car il vouloit qu'un vrai noble eust un peu l'œsselle surette et les pieds fumants».
Ce n'était pourtant pas là, hélas! un privilége exclusif de la noblesse, et la propreté outragée se vengeait de son mieux. Elle livrait les coupables à une foule de cruels parasites chargés de les torturer. Le Ménagier de Paris, composé en 1393, enseigne déjà six manières de se débarrasser des puces, et l'auteur reconnaît qu'en préserver son mari constituait une des sérieuses préoccupations d'une tendre épouse: «Et pour ce, chère seur[65], je vous pry que le mari que vous arez[66], vous le vueillez [Pg 30] ainsi ensorceller, et le gardez de maison maucouverte[67] et de cheminée fumeuse; et ne luy soyez pas rioteuse[68], mais doulce, aimable et paisible. Gardez en yver qu'il ait bon feu sans fumée, et entre vos mamelles bien couchié, bien couvert. Et en esté gardez que en vostre chambre ne en vostre lit n'ait nulles puces, ce que vous pouvez faire en six manières[69]...»
Dans une pièce publiée vers 1520, une puce parlant en vers déclare qu'elle a été créée pour tourmenter la gent animale et se repaître de son sang:
Et l'auteur termine en indiquant un procédé nouveau:
C'était bien, en effet, une guerre incessante et une guerre à mort. Aussi tous les manuels de la vie pratique écrits vers cette époque se font-ils l'écho de ce grave souci. Le Traicté nouveau, intitulé bastiment de receptes[71] fournit, avec d'intéressants détails, cinq procédés infaillibles:
«Pour faire que les punaises ne te nuysent point la nuyt;
«Pour faire un oignement qui tue les punaises en la couche ou couchette;
«Pour faire qu'il n'y aye nulles pusses en une chambre;
«Pour faire un unguent qui tue les punaises ou mortzpions;
«Pour tuer les poulz et lentes.»
Remarquez que, de ce temps, date la fureur des cosmétiques, des fards, des essences, des pâtes, des parfums, qui ne se calma qu'au commencement du règne de Louis XIV. Il faut donc se rendre à l'évidence, et se représenter telle qu'elle était la haute société du seizième siècle. S'il y avait, par exemple, gala au Louvre, gentilshommes et grandes dames, bardés de crasse, mais couverts de parfums, de [Pg 32] perles et de pierreries, montaient sur un cheval ou un mulet, la femme en croupe derrière son mari[72]. On se mettait à table, et les convives, s'aidant un peu du couteau, mangeaient avec les doigts, engluant leur serviette, qu'on était forcé de changer après chaque plat.
Vers 1640, parurent enfin, les Loix de la galanterie[73], code du bon ton à l'usage des petits-maîtres; on y voit avec surprise quels raffinements de soins la mode imposait alors aux galants du grand monde. Lisez: «L'on peut aller quelquefois chez les baigneurs pour avoir le corps net, et tous les jours l'on prendra la peine de se laver les mains. Il faut aussi se faire laver le visage presque aussi souvent, et se faire razer le poil des jouës, et quelquefois se faire laver la teste... Vous aurez un valet de chambre instruit à ce mestier, ou bien vous vous servirez d'un barbier qui n'ait autre fonction, et non pas de ceux qui pansent les playes et les ulcères, et qui sentent toujours le puz et l'onguent. Outre l'incommodité que vous en recevez, il y a danger mesme que venant [Pg 35] de panser quelque mauvais mal, ils ne vous le communiquent; tellement que vous ne les appellerez que quand vous serez malades. Et en ce qui est de vous accommoder le poil, vous aurez recours à leurs compétiteurs, qui sont barbiers-barbans[74].» Notre manuel ne parle pas des femmes, mais la mode est toujours donnée par elles. Si elles eussent eu soin de leur personne, auraient-elles pu souffrir auprès d'elles ces soupirants malpropres?
Lorsque l'excès de la propreté eut été porté à ce point qu'un raffiné dut se laver le visage presque tous les jours, on comprit enfin ce que présentaient de répugnant les multiples attributions des barbiers-chirurgiens, et les barbiers-barbants furent créés. A la suite de l'édit de 1637, quelques industriels avisés avaient déjà adopté cette spécialité, mais la corporation ne fut définitivement instituée que par l'édit du 23 mars 1673. «Nous avons reconnu dès il y a longtemps, dit le Roi, que l'usage de faire le poil et de tenir des bains et étuves, et les soins que l'on apporte à tenir le corps humain dans une propreté honneste, [Pg 36] estant autant utile à la santé que pour l'ornement et la bienséance, par nostre édit du mois de décembre 1659, nous aurions ordonné l'établissement d'un corps et communauté de Barbiers-Baigneurs-Étuvistes-Perruquiers[75], réduits à deux cens, pour en faire profession particulière, distincte et séparée de celle des maistres chirurgiens-barbiers[76].» Ces deux cents charges étaient vendues par le Roi, et déclarées héréditaires.
C'était là, sans nul doute, une utile réforme, mais dans cet ordre de faits il n'eût pas fallu s'arrêter en si beau chemin. Soumise à un examen même bienveillant, la cour brillante qui entourait Louis XIV aurait perdu beaucoup de son prestige. On commençait, il est vrai, à comprendre qu'il était bon de se laver de temps en temps, et l'on revenait peu à peu à l'idée que l'eau pouvait avoir été faite pour cela; on la subissait cependant plus qu'on ne l'aimait. L'usage quotidien d'abondantes ablutions telles que nous les pratiquons aujourd'hui eût certainement paru alors une singularité. [Pg 37] Le plus souvent, les gens soigneux se bornaient à promener le matin sur leur visage un petit tampon de coton trempé dans de l'alcool très-faible et aromatisé. Un manuel des bienséances, imprimé en 1782, prohibe encore l'emploi de l'eau pour la toilette: «Il est de la propreté de se nettoyer tous les matins le visage avec un linge blanc, pour le décrasser. Il est moins bien de le laver avec de l'eau, car cela rend le visage plus susceptible du froid en hiver et du hâle en été[77].» On voit que l'auteur, brave docteur en théologie, n'avait pas sur la physiologie et l'hygiène des notions bien exactes. Madame de Motteville éprouve le besoin de nous dire qu'Anne d'Autriche était «propre et fort nette»; elle ne néglige pas non plus de nous apprendre que, lors de l'arrivée de la reine Christine à Compiègne, les mains de l'auguste souveraine «étoient si crasseuses qu'il étoit impossible d'y apercevoir quelque beauté[78]». On sait, du reste, que la fistule dont fut atteint Louis XIV est parfois le résultat d'un manque de propreté, et que le [Pg 38] roi-soleil avait souvent son sommeil troublé par des punaises[79].
Vers cette époque commença la vogue des carrosses et des chaises à porteur, qui facilitèrent les relations sociales dans ce que l'on appelait alors le monde galant. En 1550, il n'y avait guère à Paris que trois ou quatre carrosses, et c'était encore un luxe de faire ses courses en housse, c'est-à-dire sur un cheval de selle couvert d'une housse de drap ou de velours. Sully allait au Louvre en housse, et il n'eut un carrosse que lorsqu'il fut grand maître de l'artillerie[80]. La bourgeoisie, la noblesse pauvre allaient à pied; on marchait avec précaution dans les rues boueuses, et si l'on rendait une visite de cérémonie, on changeait de chaussures dans l'antichambre avant de passer au salon. Les Loix de la galanterie nous fournissent sur ce point des détails curieux: «Lors que la mode a voulu que les seigneurs et hommes de condition allassent à cheval par Paris, il estoit honeste d'y estre en bas de soye sur une housse de velours et entouré de pages et de laquais. Mais maintenant, [Pg 41] veu que les crottes s'augmentent tous les jours dans cette grande ville, avec un embarraz inévitable, nous ne trouvons plus à propos que nos galands de la haute volée soient en cet équipage et aillent autrement qu'en carrosse. Nous sçavons qu'autrefois pour parler d'un qui paroissoit dans le monde, soit financier ou autre, l'on disoit de luy: il ne va plus qu'en housse; mais maintenant cela n'est plus guère propre qu'aux médecins ou à ceux qui ne sont pas des plus relevez. De quelque condition que soit un galand, nous luy enjoignons d'avoir un carrosse s'il en a le moyen, d'autant que lors que l'on parle aujourd'huy de quelqu'un qui fréquente les bonnes compagnies, l'on demande incontinent: a-t-il carrosse? et si l'on respond que oüy, l'on en fait beaucoup plus d'estime. Si les galands du plus bas estage veulent visiter des dames de condition, ils remarqueront qu'il n'y a rien de si laid que d'entrer chez elles avec des bottes ou des souliers crottez, spécialement s'ils en sont logez fort loin; car quelle apparence y a-t-il qu'en cet estat ils aillent marcher sur un tapis de pied et s'asseoir sur un faut-œil de velours? C'est aussi une chose infâme de s'estre coulé de son pied d'un bout de la ville à l'autre, quand mesme [Pg 42] on auroit changé de souliers à la porte, pource que cela vous accuse de quelque pauvreté, qui n'est pas moins un vice aujourd'huy en France que chez les Chinois, où l'on croid que les pauvres soient maudits des Dieux à cause qu'ils ne prospèrent point. Vous pouvez aussi vous faire porter en chaize, dernière et nouvelle commodité, si utile qu'ayant esté enfermé là dedans sans se gaster le long des chemins, l'on peut dire que l'on en sort aussi propre que si l'on sortoit de la boiste d'un enchanteur; et comme elles sont de loüage, l'on n'en fait la despense que quand l'on veut, au lieu qu'un cheval mange jour et nuict[81].»
Il s'agissait donc surtout de briller à peu de frais, et pourvu que le galant eût sa chaussure et ses vêtements à peu près propres, on ne s'inquiétait pas d'autre chose. Un traité de la civilité qui eut un immense succès vers la fin du dix-septième siècle[82] résume ainsi des recommandations d'ordre plus intime faites aux personnes de la cour: «Il faut avoir soin de se tenir la teste nette, les yeux et les dents, les [Pg 43] mains aussi, et même les pieds, particulièrement l'esté, pour ne pas faire mal au cœur à ceux avec qui nous conversons[83].» Le même ouvrage mentionne quelques modifications heureuses apportées dans les usages depuis le commencement du siècle: «Autrefois, dit-il, il estoit permis de cracher à terre devant des personnes de qualité, et il suffisoit de mettre le pied dessus: à présent, c'est une indécence. Autrefois on pouvoit bâiller, et c'estoit assez pourvû que l'on ne parlast pas en bâillant: à présent une personne de qualité s'en choqueroit. Autrefois, on pouvoit tremper son pain dans la sauce, et il suffisoit pourveu que l'on n'y eust pas encore mordu: maintenant ce seroit une espèce de rusticité. Autrefois on pouvoit tirer de sa bouche ce que l'on ne pouvoit pas manger, et le jeter à terre pourveu que cela se fist adroitement: maintenant ce seroit une grande saleté[84].» Mais nous entrons ici dans le cérémonial de la table, dont je m'occuperai ailleurs.
Le salut vint de l'hôtel de Rambouillet, qui, en dépit des justes railleries de Molière, eut la gloire de généraliser en France le bon ton, la politesse, l'urbanité, le savoir-vivre.
Je ne raconterai pas l'histoire de la coiffure et de la barbe, car on la trouve partout. Elle est bien exposée dans l'Histoire du costume de M. Quicherat, relativement exacte dans les Dictionnaires de la conversation et les Encyclopédies[85]; la refaire d'après les sources serait donc me donner beaucoup de peine en pure perte. D'ailleurs, je tiens à rester fidèle au programme que je me suis tracé; il consiste à exclure autant que possible de ces petites notices les faits déjà étudiés de l'histoire des mœurs, pour me borner à recueillir les détails ignorés ou peu connus, et à relever les erreurs accréditées par une longue tradition. Ainsi, des statues qui ne peuvent être antérieures à 1150 ont fait jusqu'ici attribuer aux mérovingiennes la jolie coiffure que portaient les [Pg 47] grandes dames du douzième siècle; leurs cheveux, partagés au milieu de la tête, descendaient par devant en deux longues tresses nattées et galonnées[86].
Au siècle suivant, les nattes ont disparu. Les femmes mariées les ont remplacées par un volumineux chignon attaché derrière le crâne; les jeunes filles laissent pendre leurs cheveux sur le dos, mode qui demeura très-longtemps en France le signe de la virginité, comme en témoignent les anciennes représentations de la Vierge. Le quatorzième siècle adopte les nattes relevées de chaque côté du front sur les tempes. Au quinzième, les cheveux sont sacrifiés à des couvre-chefs fantaisistes, dont le hennin est le type. Le seizième siècle découvre les fronts et inaugure la coiffure dite à la Marie Stuart, dont les différentes variétés nous conduisent jusqu'au règne de Louis XIV. Celui-ci peut être caractérisé par la coiffure à la Sévigné, qui est composée d'une multitude de boucles échelonnées sur les joues.
Pour se faire une idée générale de la forme que les hommes donnèrent successivement à leur chevelure et à leur barbe, il suffit de passer en revue les portraits de nos rois.
La barbe disparaît à partir de Philippe-Auguste; le visage est rasé et les cheveux ne dépassent guère le milieu du cou. La barbe fait une réapparition timide sous Philippe VI et Jean II, mais Charles V et ses successeurs sont imberbes: par derrière, leurs cheveux descendent jusqu'au cou; par devant, ils sont coupés très-courts, c'est la coiffure dite aux enfants d'Édouard. A dater de François Ier, on fait peu de cas des cheveux, mais la barbe est en plein triomphe. Elle reste taillée en pointe jusqu'à Henri IV, dont la riante figure est encadrée de poils touffus et frisés. Richelieu et Louis XIII portent la moustache épaisse et la royale à la lèvre inférieure. Un caprice changea tout cela.
Louis XIII, forcé d'embrasser la même carrière que son père, y réussissait peu. En revanche, il avait des dispositions pour une foule d'autres métiers; il cuisinait très-bien, lardait à ravir, s'entendait à l'élève des oiseaux et au jardinage, composait en musique, peignait un peu, travaillait au besoin le cuir, le bois et le fer. [Pg 49] Un jour, il lui prit fantaisie de faire concurrence aux barbiers-barbants qu'il avait créés; il coupa la barbe à tous les officiers de sa maison, ne leur laissant qu'un petit bouquet de poils au menton. Richelieu, avec qui on ne plaisantait pas ainsi, conserva seul les moustaches retroussées et la royale. La cour et la ville rirent beaucoup de l'étrange distraction qu'avait choisie le mélancolique souverain; on la mit même en chanson:
Les cheveux longs avaient repris faveur sous la minorité de ce roi ennuyé et ennuyeux. Un homme de goût se reconnaissait alors aux moustaches ou cadenettes qui, vite oubliées, furent ressuscitées un siècle plus tard. On appelait ainsi de longues mèches de cheveux, réunies [Pg 50] avec une rosette, et qu'on laissait pendre le long de la joue et même de l'épaule sur le côté gauche. La moustache se portait rarement seule. L'auteur de La promenade du cours[88] nous apprend que les gens désireux de se donner un air terrible en exhibaient jusqu'à six:
Au besoin, les perruquiers pouvaient en fournir: «Potel, écrit Tallemant[89], avoit trois ou quatre moustaches postiches de chaque costé, où il y avoit plus de douze aulnes de ruban noir; car on n'avoit pas trouvé encore les coings de cheveux.» Potel était un original: la moustache se portait à gauche. Le côté droit de la tête ainsi dégagé restait bien visible, et on l'ornait d'une boucle d'oreille, perle ou diamant. Le comte Henri d'Harcourt, cadet de la maison de Lorraine, en fut surnommé Cadet la Perle, sobriquet qu'il garda toute sa vie. Son [Pg 53] beau portrait, exécuté par Antoine Masson, est connu sous le nom de Cadet à la perle; il porte encore cet ornement sur celui qui fut gravé par Édelinck pour les Hommes illustres de Perrault[90], longtemps après que les cadenettes eurent cessé d'être à la mode. Le premier galant qui les mit en faveur fut Honoré d'Albret, seigneur de Cadenet, frère du célèbre Luynes[91]. Quand on fit celui-ci connétable, Cadenet du même coup fut improvisé maréchal de France, mais ses exploits se bornèrent à l'importante innovation que je viens de rappeler: elle a suffi pour transmettre son souvenir à la postérité.
Notre moustache actuelle avait aussi ses partisans. On lit dans les Loix de la galanterie: «Les uns portent les moustaches comme un traict de sourcil, et fort peu au menton; les autres ont une moustache à coquille[92].» Cette dernière était celle dont on relevait les pointes. Au moyen d'un petit instrument appelé bigotère, on la pinçait de manière à ce qu'elle ne perdît pas son pli pendant la nuit. C'est ce [Pg 54] qu'explique très-bien une Mazarinade publiée en 1650:
Sarazin[94], racontant en style burlesque l'enterrement anticipé de Voiture, fait figurer parmi les assistants quelques Amours: «L'un, dit-il, faisoit des grimaces devant le miroir, l'autre se bridoit de la bigotère, l'autre tiroit les poils des sourcils de ses compagnons avec des pincettes[95].» La bigotère était encore employée à la fin du dix-huitième siècle[96].
Depuis Louis XIII, aucun roi de France ne garda sa barbe. Elle ne laissa pas pour cela [Pg 55] d'être honorée et cultivée. Louis Guyon[97], qui a traité agréablement ce sujet, dit que la barbe est utile, non-seulement parce qu'elle protége l'homme contre le froid, mais encore parce qu'elle le rend «plus beau. A cause de quoy nature n'a voulu couvrir les éminences qui sont à chacun costé des yeux, ny le nez, ni autres parties de la face; autrement, l'homme ressembleroit une beste sauvage et approcheroit de la semblance des bestes brutes. Il ne se cognoistroit quand il seroit joyeux ny fasché. La face descouverte de poils appartient à un animal raisonnable, politic, familier et sociable, tel qu'est l'homme.» Mais alors, pourquoi la nature a-t-elle privé de barbe les femmes? Rien n'est plus simple: «La matière de la barbe, aux femmes, monte à la teste, qui leur cause de plus grands cheveux qu'aux hommes; et de vray, la chevelure est bienséante aux femmes et la barbe à l'homme.»
Louis XIV porta d'abord le semblant de moustache dont j'ai parlé, un trait léger sur la lèvre supérieure. Il la fit disparaître en 1680, et tout bon courtisan s'empressa de [Pg 56] l'imiter; aussi les derniers portraits de Corneille et de Molière les représentent-ils sans un poil sur la figure[98]. Je ne parle ici que des courtisans, car il faut rendre cette justice à Louis XIII et à Louis XIV qu'ils respectèrent la tête de leurs sujets (on n'oserait en dire autant de Richelieu); ils laissèrent chacun arranger à sa guise barbe et cheveux. Si ce fut une faiblesse de la part du roi-soleil, elle ne resta pas sans châtiment: la mode, devenue plus impérieuse que l'orgueilleux monarque, finit par lui imposer la perruque et la poudre, qui lui étaient toutes deux antipathiques.
A défaut d'autres libertés, le dix-septième siècle eut donc celle de la barbe. Les beaux portraits gravés par Édelinck et Lubin nous révèlent que:
Le Jésuite Jacques Sirmond,
L'érudit Fabri de Peiresc,
L'historien Papire Masson,
Le savant Scévole de Sainte-Marthe,
Le poëte Malherbe,
Le jurisconsulte Pithou
portaient la barbe entière avec les moustaches.
Le cardinal de Bérulle,
[Pg 57]
Henri de Sponde, évêque de Pamiers,
Le secrétaire d'État Pontchartrain,
Vincent de Paul,
Joseph Scaliger
portaient la barbe en pointe avec les moustaches.
Pierre Camus, évêque de Belley,
Le garde des sceaux du Vair,
Le premier président A. de Harlay,
Le président Jeannin
portaient une magnifique barbe étalée sur la poitrine.
Pierre de Marca, archevêque de Paris,
Antoine Godeau, évêque de Vence,
J. F. Senault, général de l'Oratoire,
Le prince de Condé,
Turenne,
Le chancelier Séguier,
Colbert,
Le premier président Lamoignon,
Le président de Thou,
L'avocat général J. Bignon,
Le théologien Arnauld d'Andilly,
Descartes,
L'avocat Antoine Lemaître,
Le philosophe Gassendi,
Balzac,
Voiture,
[Pg 58]
Sarazin,
Mansart,
Le peintre Nicolas Poussin,
Le graveur Callot,
Le romancier H. d'Urfé,
Le maréchal de Gassion,
Le maréchal Fabert,
L'amiral Duquesne,
Le chancelier Michel Letellier,
Le premier président de Bellièvre,
N. Rigault, garde de la bibliothèque du Roi,
Simon Vouet, premier peintre du Roi,
portaient la moustache et la royale.
Le P. Thomassin, hébraïsant,
L'académicien Pélisson,
Le savant Ducange,
La Fontaine,
L'historien Le Nain de Tillemont,
Le peintre Ch. Lebrun,
Le poëte Santeuil,
Le maréchal de Luxembourg,
Le musicien Lully,
Le philologue Ménage,
Quinault,
Benserade,
Racine
avaient le visage entièrement rasé.
N'oublions pas de faire remarquer que plusieurs de ces personnages portent perruque, une perruque superbe, majestueuse, frisée avec art et qui parfois descend jusqu'à la ceinture. Tout était grand dans le siècle du grand roi.
C'est à ce siècle que revient l'honneur d'avoir ainsi contrefait la nature, mais il y avait longtemps qu'on avait cherché à l'imiter.
L'usage des faux cheveux doit être aussi ancien que la coquetterie féminine, et c'est remonter bien haut. A l'époque romaine, les femmes portaient des nattes postiches, le commerce des cheveux était en pleine activité, et on allait en chercher des cargaisons sur la rive droite du Rhin. Cependant, les Pères de l'Église d'abord, puis les prédicateurs du moyen âge apostrophèrent très durement les femmes qui mettaient des chevelures d'emprunt «des cheveux de mortes[99]», disaient-ils, et ce qui est bien pis, des cheveux de personnes peut-être impures, peut-être criminelles, peut-être condamnées aux peines de l'enfer, capitis forsan immundi, forsan nocentis et gehennæ destinati[100].
C'est sous Charles V qu'Eustache Deschamps composa la célèbre ballade qui a pour refrain:
Sous Henri III et Henri IV, toutes les femmes s'affublaient de faux chignons. La reine Marguerite, écrit Brantôme, «s'habilloit quelques fois avec ses cheveux naturels, sans y adjouster aucun artifice de perruque; elle les sçavoit très bien tortiller, frizonner et accommoder... et pourtant peu souvent s'en accommodoit, si non de perruques bien gentement façonnées[101].» Tallemant des Réaux affirme tout crûment qu'elle fut chauve de bonne heure, et qu'«elle avoit de grands valets de pied blonds que l'on tondoit de temps en temps[102]».
Dès le règne de Louis XII, les élégants imitaient leurs maîtresses:
disait d'eux Guillaume Coquillart[103].
Les gens qui commençaient à perdre leurs cheveux y suppléaient au moyen de coins, fragments de perruque qu'on dissimulait le mieux possible sous la chevelure naturelle. Louis XIII vit tomber la sienne à trente ans, ce qui inaugura le règne de la perruque; «les courtisans, les rousseaux et les teigneux en portèrent les premiers: les courtisans par délicatesse[104], les rousseaux par vanité et les teigneux par nécessité[105].» Comme toutes les modes, celle-ci eut ses détracteurs acharnés et ses admirateurs enthousiastes; parmi ces derniers, il faut citer l'abbé Legendre, qui s'écrie naïvement: «Il est surprenant qu'une coiffure aussi commode qu'est la perruque, n'ait esté en usage que depuis le règne de Louis XIII[106].»
C'est sous Louis XIV qu'elle atteignit son apogée. L'année où il créa les barbiers-barbants (1673) est précisément celle où il consentit à prendre perruque. Il avait trente-cinq ans lorsqu'il se soumit à cette mode, que son opulente chevelure lui donnait le droit de mépriser. On composa pour lui, dit Pélisson[107], [Pg 62] des perruques avec des jours par où passaient les mèches de ses cheveux, dont il ne voulait pas faire le sacrifice. Son fils, le grand Dauphin, n'y mettait pas tant de façons: «Monseigneur, écrit Dangeau, a encore fait raser ses cheveux, qui étoient revenus plus beaux que jamais. Il trouve la perruque plus commode[108].»
Le Livre commode pour 1692[109], nous a conservé les noms de Pascal, de Pelé, de Jordanis, de Vincent, «renommez pour faire les perruques de bon air»; de La Roze, «renommé pour les perruques abbatiales»; de Binet, enfin, le célèbre fournisseur du Roi et le créateur des perruques dites binettes, expression qui a fini par désigner dans le langage populaire la tête elle-même. A Versailles, entre la chambre à coucher et la salle du conseil[110], était le cabinet des perruques du Roi. Elles reposaient dans des armoires vitrées qui entouraient la pièce; de distance en distance se dressaient des têtes d'enfants, au nombre de vingt, qui servaient aux essayages, aux remaniements. Les formes variaient suivant que Louis XIV allait à la [Pg 63] messe ou à la chasse, recevait des ambassadeurs ou restait dans ses appartements. Quant au barbier, il ne quittait guère la cour[111], et comptait parmi les cinq cents personnes distribuées en cinq tables, qui avaient le droit de manger à la cour. «Avant que le Roy se lève, dit un contemporain, le sieur Quentin, qui est le barbier et qui a soin des perruques, se vient présenter devant Sa Majesté, tenant deux perruques ou plus, de différente longueur. Le Roy, suffisamment peigné, le sieur Quentin lui présente la perruque de son lever, qui est plus courte que celle que Sa Majesté porte ordinairement le reste du jour. Sa Majesté aïant mis sa perruque, les Officiers de la Garderobe s'approchent pour habiller le Roy... Le Roy, dans la journée, change de perruque, comme quand il va à la messe, après qu'il a dîné, quand il est de retour de la chasse, de la promenade, quand il va soûper, etc. Le garçon qui est commis pour peigner les perruques du Roy a deux cens écus sur la cassette...» Louis XIV n'était rasé que tous les deux jours: «De deux jours l'un, c'est jour de barbe, c'est-à-dire que [Pg 64] le Roy se fait raser. Les deux barbiers de quartier rasent alternativement de deux jours l'un, et celui qui ne rase point apprête les eaux et tient le bassin. Celui qui est de jour pour raser Sa Majesté met le linge de barbe au Roy, le lave avec la savonnette, le rase, le lave après qu'il est rasé, avec une éponge douce, d'eau mêlée d'esprit de vin, et enfin avec de l'eau pure. Pendant tout le temps qu'on rase le Roy, le premier valet de chambre tient le miroir devant Sa Majesté, et le Roy s'essuie lui-même le visage avec le linge de barbe[112].» On rasait souvent aussi la tête de Louis XIV, car même après qu'il eut passé soixante-dix ans, ses cheveux, triomphant des efforts de la perruque, s'obstinaient à repousser[113]. Sous le règne d'un souverain qui, par sa chevelure, semblait descendre de la race mérovingienne, la perruque poursuivait noblement sa carrière, forçant à l'obéissance jusqu'au maître devant qui tous tremblaient.
L'article 63 des statuts de 1718 accorde aux barbiers-perruquiers le monopole de «la vente [Pg 65] et revente des cheveux»; les marchands en gros devaient, avant d'écouler leurs ballots, les apporter au bureau de la corporation, où ils étaient examinés. Il se faisait alors une incroyable consommation de poil. Les têtes des femmes vivantes et mortes étaient mises à contribution dans les quatre parties du monde, et le commerce des cheveux avait pris une extension considérable. Colbert songea même à en arrêter l'importation qui menaçait, disait-il, de devenir aussi ruineuse pour l'État que l'avait été naguère celle des ouvrages de fil. Mais les perruquiers se montrèrent meilleurs économistes que le ministre. Ils dressèrent des statistiques et démontrèrent, chiffres en mains, que la vente des perruques à l'étranger faisait rentrer plus d'argent dans le royaume qu'il n'en sortait par l'achat des cheveux[114]. En effet, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, etc., étaient nos tributaires; le perruquier français avait acquis déjà dans toute l'Europe la réputation qu'il conserva jusqu'à la fin d'être un artiste inimitable. Le commerce en gros était représenté à Paris par les sieurs Pelé, Vincent, Potiquet, Rossignol, etc.; ces deux derniers demeuraient [Pg 66] «sous la galerie des Innocents[115]». Tous ces commerçants avaient des coupeurs qui parcouraient la Normandie, la Flandre, la Hollande. Certains villages fournissaient jusqu'à dix livres de cheveux, qui devaient toujours avoir de vingt-quatre à vingt-cinq pouces de long. Les cheveux des pays chauds étaient réputés mauvais; les plus estimés étaient ceux de Normandie, que l'on nommait cheveux de pays. L'Angleterre en fournissait fort peu, «le peuple, qui est à son aise, ne consentant pas aisément à laisser couper les cheveux de leurs femmes et de leurs filles». Le prix variait entre quatre francs et cinquante écus la livre; les plus chers étaient les blonds et les blancs. On appelait cheveux vifs, ceux qui avaient été coupés sur la tête de leur propriétaire, vivante ou morte; cheveux morts, ceux qui avaient été arrachés par le peigne ou étaient tombés à la suite de quelque maladie; cheveux naturels, ceux qui frisaient naturellement. Au début du dix-huitième siècle, il y avait à Paris une cinquantaine de marchands de cheveux[116].
La rareté des cheveux était devenue telle à la fin du règne de Louis XIV, qu'on fut obligé de fabriquer en crin les perruques communes. Jean-Paul Marana écrivait vers 1700: «Depuis que la perruque a été reçue, les têtes des morts et celles des femmes se vendent cher, étant la mode que les sépulcres et les femmes fournissent le plus bel ornement à la tête des hommes[117].»
Les premières perruques se composèrent de quelques rangs de cheveux échelonnés autour d'une vaste calotte. On leur donna ensuite la forme exacte d'un bonnet, et c'est ainsi que fut créée la bonnette, dite aussi perruque d'abbé ou perruque ronde; l'abbé de la Rivière, favori de Gaston d'Orléans, fut, dit-on, le premier qui la porta.
Sous Louis XIV paraît enfin la royale ou l'in-folio, privilége de la haute société, crinière pleine de majesté, faite pour des statues plus que pour des vivants. La brigadière fut la coiffure habituelle des militaires, la moutonne bouclée ou bichonne celle des petites-maîtresses et des bambins. Les gens du Palais portaient la robin. La perruque, symbole de [Pg 68] la monarchie, partage sa fortune, s'affaisse avec elle, et, vers la fin du règne, perd beaucoup de son prestige. De l'in-folio, on est tombé à la cavalière, à la financière, à l'espagnole, à la carrée, à la nouée, à la naturelle, etc., vestiges encore imposants d'une splendeur évanouie.
La décadence se précipite sous Louis XV. Les perruques deviennent plus basses et plus étroites; puis on les sépare en trois touffes, qui composent les cadenettes sur les côtés et la queue par derrière. Le dessin, d'ailleurs, varie à l'infini. On peut choisir entre les perruques de chasse, à nœuds, à deux queues, naissante, à la chancelière; à la Sartine, adoptée par ce magistrat; à la régence ou à bourse, portée par la valetaille.
L'Encyclopédie perruquière, que publia en 1757 l'avocat A. H. Marchand, contient une suite de quarante-cinq têtes, coiffées chacune d'une perruque de forme particulière, et distinguée par un nom spécial.
En voici la liste:
A l'ordinaire.
A la Port-Mahon.
A la rinoxerros.
A l'adorable.
A l'oiseau royal.
A la cabriolet.
A l'aile de pigeon.
A la nouvelle mode.
A l'impatient.[Pg 69]
A l'aventure.
A la cavalière.
A la paresseuse.
A la singulière.
Au chasseur.
A l'indifférence.
A la dragonne.
A la comète.
A la Tronchin.
A la mousquetaire.
A la légère.
A la Choisy.
A la gendarme.
Au vieillard.
A la Gentilly.
A la parisienne.
Au petit-maître.
A la françoise.
A l'italienne.
A la plus tôt fait.
Au favori.
A la lunatique.
A ravir.
A l'éléphant.
A l'antiquité.
A l'économe.
Au combattant.
Au conquérant.
A la jalousie.
A la prudence.
A la royale.
A l'envieux.
A la maître-d'hôtel.
A la félicité.
A l'inconstance.
A la Beaumont.
On eut aussi l'idée de composer des perruques en laine, qui devinrent le monopole des matelots, et des perruques de fil de fer, mode économique qui permettait de laisser à ses enfants une coiffure à jamais héréditaire.
Nous voyons fleurir encore, sous Louis XVI, les perruques de palais, à oreilles, à la circonstance, [Pg 70] brisée, à la grecque, en bonnet, à rosette, à cadogan ou catogan, gros nœud descendant sur la nuque; à la Panurge; à trois marteaux[118], qu'affectionnaient surtout les médecins et les apothicaires. Tout le monde alors portait perruque, depuis le vieillard le plus décrépit jusqu'à l'enfant à peine sevré; les nobles comme les roturiers, les bourgeois, les maîtres des métiers, les ouvriers. Le moindre laquais aurait eu honte de se montrer avec ses propres cheveux, et la condition des personnes se reconnaissait à la forme de leur perruque[119].
Elle s'y reconnaissait d'autant mieux que le poids de ces tresses empruntées avait fait presque complétement abandonner l'usage de toute autre coiffure. C'est de là qu'est née notre coutume de rester la tête nue en société. Avant que la perruque fût devenue d'un usage général, on ne se découvrait guère que pour saluer; puis la profusion de faux cheveux dont on se chargea modifia si bien cette habitude, que le tricorne est souvent désigné sous le nom de chapeau de bras, place qu'en effet il ne quittait guère. «Le chapeau est une coiffure infiniment commode, dit J. F. Sobry[120], mais de peu d'agrément. On le porte d'ailleurs fort souvent à la main.»
L'usage de se découvrir dans le monde et pour saluer ne s'introduisit en France que fort tard. Pour les gentilshommes emprisonnés dans un casque solidement lié à l'armure par des courroies, il n'y fallait point songer. La coiffure civile ne s'y prêtait pas beaucoup plus. Le chaperon, fouillis d'étoffes qui resta en honneur jusqu'au quinzième siècle, était difficile à ôter et plus encore à remettre. On saluait alors en repoussant de la main le chaperon, [Pg 74] de manière à découvrir un peu le front[121]. Monstrelet raconte qu'Isabeau de Bavière, exilée à Tours, «avoit en grant haine maistre Laurens du Puis [un de ses gardiens], car il parloit à elle irreveremment, sans mectre main à son chaperon[122].» Jadis, écrit Saint-Simon[123], on restait en toute circonstance la tête couverte, «et quand autour du Roi quelqu'un avaloit[124] son chaperon, les plus près du Roi lui faisoient place, parce que c'étoit une marque qu'il vouloit parler au Roi.»
La décadence des chaperons, l'avénement des bonnets, des toques et des chapeaux modifièrent cet usage, qui semble avoir souvent varié. Il est certain que sous Henri IV, on était tenu de se découvrir non-seulement en présence du roi, mais même en présence du Dauphin. En voici deux preuves irréfutables. Le 6 avril 1606, le petit Louis XIII avait à peine six ans: «Il se fait mettre à la fenêtre, dit Héroard[125]; il passa un nommé Dumesnil [Pg 77] sans le saluer, suivi de son laquais, qui fit de même. Il demande: Qui est cettui-là qui passe sans ôter son chapeau? Bompar, allez arrêter ce laquais! Il y va, l'arrête. L'on disoit derrière M. le Dauphin: Voilà un homme mal avisé et son laquais aussi. Il crie: Laissez, laissez-le aller Bompar; il est aussi sot que son maître.» Au mois d'octobre de la même année, on mène le petit roi à la messe: «M. Birat le portoit ayant la tête nue, et M. de Belmont marchoit auprès, la tête couverte; il dit à M. Birat: Mettez votre chapeau.—Monsieur, je suis bien.—Non, non, mettez votre chapeau, vous êtes vieil. Otez votre chapeau, Belmont[126].» D'un autre côté, on voit par les gravures d'Abraham Bosse, de Sébastien Leclerc, etc., que sous Louis XIV, on restait la tête couverte dans les appartements, devant les femmes, au Conseil du Roi et au bal en dansant. Mais on n'adressait jamais la parole au souverain sans se découvrir, la calotte même des ecclésiastiques n'était pas tolérée en cette circonstance[127].
Les courtisans, entrant dans la chambre du [Pg 78] Roi, saluaient son lit, et sa nef si le couvert était mis[128]. Mais c'eût été une inconvenance de paraître tête nue à un repas: «Quand on est à table, dit un manuel de civilité imprimé en 1618, c'est assez de faire quelque signe de reverence avec la teste, car il n'est pas bienséant de se descouvrir à table[129].» Soixante-dix ans après, cette coutume subsistait encore, quoique déjà affaiblie: «Il ne faut pas violer la maxime de la table, qui est de ne se point découvrir, l'usage l'ayant tellement établi que l'on passeroit pour un nouveau venu dans le monde d'en user autrement[130].» Un peu plus tard, on put, sans manquer aux lois de la politesse, garder ou ôter sa coiffure: «C'étoit autrefois un manque de respect et une incivilité grossière d'être à table sans chapeau, surtout devant des femmes d'un certain rang et d'un certain caractère, pour qui on étoit obligé d'avoir des ménagemens et des égards; il est libre maintenant de prendre son chapeau à table ou de le quitter, sans que personne s'en [Pg 79] formalise[131].» Enfin le duc de Luynes écrivait en 1738: «On sait qu'il y a longtemps qu'il est en usage, lorsqu'on a l'honneur de manger avec le Roi, d'ôter son chapeau. Ce n'étoit pas autrefois le respect, et madame la maréchale de Villars m'a dit que, dans le temps qu'elle suivoit M. le maréchal dans ses campagnes, les officiers qui mangeoient avec elle et M. le maréchal gardoient leur chapeau sur la tête. J'ai vu aussi cet usage, et il n'y a pas grand nombre d'années qu'il est supprimé. Cependant, il faut qu'il ait varié, car M. de Polastron m'a dit qu'à une des campagnes de M. le duc de Bourgogne, à la table de M. le duc de Bourgogne, on mangeoit sans chapeau, et quand quelqu'un ignorant cet usage gardoit son chapeau, on l'en avertissoit. M. le maréchal de Boufflers, dans la même campagne, disoit à ceux qui dînoient chez lui d'ôter leur chapeau, parce qu'il faisoit chaud, ce qui prouveroit que la règle étoit de l'avoir[132].» La vérité est que l'influence de l'hôtel de Rambouillet commençait à se faire sentir, même dans les camps. Néanmoins, jusqu'à la Révolution, [Pg 80] la politesse exigeait que l'on restât couvert à table; je lis, en effet, dans un traité de la civilité imprimé en 1782: «Il est contre la bienséance de se découvrir lorsqu'on est à table, à moins qu'il n'y survienne quelque personne qui mérite beaucoup d'honneur. S'il y a à table quelque personne de haute qualité qui soit sans chapeau pour sa commodité, il ne la faut pas imiter, cela seroit trop familier, mais on doit toujours demeurer couvert[133].»
C'était là, bien entendu, un cas particulier. Bussy, ami des précieuses, voulant peindre le désordre d'esprit où l'amour jette Marsillac en présence de madame d'Olonne, s'exprime ainsi: «La première chose qu'il fit après s'être assis, ce fut de se couvrir, tant il étoit hors de lui; un instant après, s'étant aperçu de sa sottise, il ôta son chapeau et ses gants, puis en remit un, et tout cela sans dire un mot[134].» Écoutons maintenant Antoine de Courtin, qui écrivait vers 1675: «Il est de la civilité d'avoir la teste nuë dans les salles et dans les antichambres; et avec cela il faut remarquer que celuy qui entre est toujours obligé de saluer le [Pg 81] premier ceux qui sont dans la chambre. Il y en a même qui ayant appris le rafinement de la civilité dans quelque païs étranger, n'osent en compagnie ni se couvrir ni s'asseoir le dos tourné au portrait de quelque personne de qualité éminente. C'est s'exposer à un affront que d'avoir son chapeau sur la teste dans la chambre où l'on a mis le couvert du Roy ou de la Reyne, et même il faut se découvrir lorsque les officiers portent la nef et le couvert, et passent devant vous. Dans la chambre où est le lit, on demeure aussi découvert; et même, chez la Reyne, les dames en entrant saluent le lit, et personne n'en doit approcher quand il n'y a point de balustre[135].»
Au dix-septième siècle, il était d'usage de saluer une dame en l'embrassant. Fitelieu, vers 1642, blâme déjà cette mode, fort dangereuse, dit-il, pour «la pudicité des filles[136]»; et Courtin recommande de n'embrasser une «dame de haute qualité que si elle-même tend la joue, et alors même il faut seulement faire semblant de la baiser, et approcher le visage de ses coëffes[137].»
Les gravures du temps nous montrent avec quel respect les hommes se saluaient alors; le corps était courbé en deux et la plume du chapeau balayait la terre. S'il s'agissait d'un supérieur, la main elle-même devait toucher le sol. «Mais surtout, ajoute avec prudence un maître en civilité, il faut faire ce salut sans précipitation ni embarras, ne se relevant que doucement, de peur que la personne que l'on saluë, venant aussi à s'incliner, on ne luy donne quelque coup de teste.» Tout salut devait être rendu, même aux personnes de la plus petite condition: manquer à cette règle, vous reléguait dans la classe des gens «très-incivils et très-mal élevés[138]».
Entre hommes, le salut le plus humble consistait à s'incliner devant son supérieur, et à lui baiser la cuisse, qu'on entourait de ses bras. Henri IV adorait le melon; son maître-d'hôtel Parfait lui en apporta un jour pendant qu'il était à table, «et commença à crier par deux fois: Sire, embrassez-moi la cuisse, car j'en ai de fort bons[139]». Louis de Brienne raconte que lors des amours de Louis XIV avec [Pg 85] mademoiselle de La Vallière, ayant avoué au Roi qu'il avait du goût pour elle, celui-ci le pria de cesser de la voir: «Ah, mon cher maître! dis-je en lui accolant la cuisse, je ne lui parlerai de ma vie[140].»
Pour saluer la Reine ou les princesses, on baisait le bas de leur robe[141]. L'ambassadrice de Venise, reçue par la Reine, fit une révérence en entrant, une deuxième au milieu de la chambre, une troisième auprès de Sa Majesté, baisa le bas de sa robe, fit une quatrième révérence et un compliment[142]. La Reine ne saluait que Monsieur, frère du Roi, et sa femme: «Lorsque Marie-Thérèse arriva en France, et qu'on lui proposa de saluer Monsieur, frère du Roi, elle pleura à cette proposition, et dit qu'en Espagne elle n'avoit coutume de saluer que le Roi son père et la Reine sa mère[143].» En présence du Roi ou des princes du sang, on ne devait saluer personne[144], et il était interdit de s'embrasser ou de se tutoyer[145].
Je relève encore dans les Manuels du temps quelques préceptes de civilité qui montrent quels progrès s'étaient accomplis sous la double influence des raffinements inventés par l'hôtel de Rambouillet et de l'étiquette imposée par Louis XIV.
Les convenances exigeaient que l'on ne heurtât pas trop fort à la porte d'un grand. Il fallait aussi ne pas frapper plus d'un coup.
Si une dame venait vous rendre visite, vous deviez ceindre votre épée, mettre votre manteau, aller jusqu'au carrosse de votre visiteuse, la faire descendre, l'introduire dans le lieu le plus honorable de votre demeure, lui offrir un fauteuil et vous asseoir sur une chaise ou un placet[146]. A son départ, vous étiez tenu de la reconduire à son carrosse, de l'aider à y monter, [Pg 87] et de ne pas vous retirer avant que la voiture se fût éloignée.
Dans l'intérieur des appartements, il était interdit de frapper à une porte. On se contentait d'y gratter doucement, et en général avec l'ongle du petit doigt; aussi les raffinés le conservaient-ils d'une longueur démesurée afin de prouver leur savoir-vivre. Scarron dit du prince de Tarente qu'«il étoit propre en sa personne, curieux en perruques, se piquoit de belles mains, et s'étoit laissé croître l'ongle du petit doigt de la gauche jusqu'à une grandeur étonnante, ce qu'il croyoit le plus galant du monde[147].» Molière n'a pas oublié ce ridicule, et c'est le Clitandre du Misanthrope[148] qu'il en gratifie:
Peut-être y avait-il un petit instrument destiné à tenir lieu de l'ongle. C'est au moins [Pg 88] ce que semblent indiquer ces deux vers:
Si un huissier vous demandait votre nom, il ne fallait jamais le faire précéder du mot monsieur, mais répondre: le marquis ou le comte de X.
Se promener dans l'antichambre en attendant qu'on vous introduisît était d'un goujat.
On devait, en visite, garder son manteau, mais il était défendu de s'y envelopper.
Si l'on vous offrait un objet, vous deviez vous déganter pour le prendre, et baiser la main qui vous l'offrait.
Si quelqu'un, fût-ce un laquais, venait vous parler de la part d'un supérieur, vous deviez vous lever et recevoir l'envoyé debout et découvert.
C'était une incivilité de joindre au mot monsieur le nom ou le titre de la personne à qui on s'adressait. Il ne fallait donc pas dire: oui, monsieur Cicerville, ou oui, monsieur le duc; mais simplement: oui, monsieur.
Un homme parlant de sa femme devait dire [Pg 89] seulement: ma femme; y ajouter son nom ou son titre, l'appeler madame X ou madame la présidente, etc., était du plus mauvais goût. Une femme devait également dire: mon mari, jamais monsieur tout court. «C'est une faute pourtant, écrit Courtin, qui est assez ordinaire et sur tout parmy les bourgeoises.»
Si l'on parlait d'une femme à son mari, il fallait au contraire faire suivre le mot madame d'un nom ou d'un titre: Je suis bien aise que madame X soit heureusement accouchée, ou Je souhaite que madame la maréchale reprenne vite ses forces.
On voit que la plupart des règles de politesse observées aujourd'hui dans la conversation remontent à plus de deux siècles.
Les enfants parlant de leurs parents devaient dire: mon père, ma mère. Seuls les enfants de haute qualité pouvaient dire et écrire: monsieur le comte, monsieur le duc, etc.
Quand une personne éternuait, il ne fallait pas lui dire tout haut: Dieu vous assiste! On était tenu de se découvrir et de faire une profonde révérence, sans parler.
On avait déjà le droit de quitter une société sans saluer personne, en se retirant le plus discrètement possible. Gui Patin écrivait le [Pg 90] 8 juin 1660: «Je fus hier souper chez M. le premier président... Comme nous achevions de souper survint le comte d'Albon, puis sa femme, et puis d'autre monde, ce qui fut cause que je m'en vins tout doucement, sans dire adieu à personne, comme on fait chez les grands[150].»
Dans un carrosse, la place la plus honorable était celle du fond; puis, par ordre: le fond à gauche, le devant à droite, le devant à gauche.
Si étant en carrosse vous rencontriez un enterrement, un prince, un légat, votre cocher devait s'arrêter et vous étiez tenu de vous découvrir. Si le Saint-Sacrement venait à passer, vous deviez descendre de voiture et vous agenouiller par terre.
Je réserve pour d'autres notices ce qui est relatif aux actes de l'état civil, aux repas, aux parfums, aux gants, aux siéges, aux formules de politesse à la fin des lettres, etc., etc. Quand on avait appris cela et quelques autres petites choses, on avait le droit de se dire honnête homme. Un honnête homme alors, c'était un homme poli, bien élevé, de bonnes manières, possédant les qualités et les connaissances nécessaires pour figurer dans la haute société [Pg 91] et pour s'y rendre agréable. L'académicien Nicolas Faret a publié un petit volume assez curieux qui a pour titre: L'honneste homme ou l'art de plaire à la cour[151]. Antoine de Courtin, dans un Traité du point d'honneur et de ses règles[152], ne fait pas grande différence entre l'honnête homme et l'homme d'honneur. Enfin Hamilton, voulant peindre un gentilhomme accompli, lui fait dire: «Tu sais que je suis le plus adroit homme de France; j'eus bientôt appris tout ce qu'on y montre; et, chemin faisant, j'appris encore ce qui perfectionne la jeunesse et rend honnête homme, car j'appris encore toutes sortes de jeux aux cartes et aux dés[153].»
Mais nous voici bien loin des perruques. Rappelons que la Révolution eut la gloire de détrôner cette mode ridicule. Encore lui résista-t-elle longtemps. Les vieillards, que l'usage des faux cheveux avait rendus chauves, s'obstinèrent surtout dans les vieilles coutumes, et la jeunesse les qualifia fort impertinemment de têtes à perruque.
On ne sait quelle est la Parisienne au teint [Pg 92] bruni qui eut la première l'idée de se coller sur la figure des petits morceaux de taffetas noir; mais je suis assez fier d'avoir retrouvé dans un livre peu connu l'origine de cette coutume. A la fin du seizième siècle, on soignait les maux de dents en appliquant sur les tempes de mignons emplâtres étendus sur du taffetas ou du velours[154]. Il ne fallut pas longtemps à une coquette pour remarquer que ces taches noires faisaient ressortir la blancheur de sa peau, et que si le remède était inefficace contre l'odontalgie, il jouissait d'une vertu bien autrement précieuse, celle de donner de l'éclat au visage le plus fané. Les mouches firent ainsi leur entrée dans le monde, réunirent tous les suffrages, et triomphèrent des obstacles suscités contre elles par de sévères confesseurs et par des moralistes ennemis de la beauté.
Sous Henri IV, toutes les femmes en portaient[155], même à l'église, car on lit dans un couplet satirique du temps:
L'austère Fitelieu s'en indigne, et déclare aux coquettes qui se couvrent de mouches «qu'il y en a bien davantage dans leurs cervelles[158].» Les hommes pouvaient prendre leur part de ce compliment, puisque les Loix de la galanterie permettent aux «galands de la meilleure mine de porter des mouches rondes et longues, ou bien l'emplastre noire assez grande sur la temple, ce que l'on appelle l'enseigne du mal de dents[159]». La mode finit par gagner jusqu'au clergé: une mazarinade, écrite en 1649, menace de la colère de Dieu «les abbés frisez, poudrez, le visage couvert de mouches[160].» Parmi les lots de la Loterie d'amour, publiée vers 1654, figure «un traité excellent de la situation des mouches sur le visage des dames; avec des observations exactes de leur grandeur et de leur figure, selon les lieux où elles sont placées[161].»
On portait des mouches même dans les [Pg 94] couvents. Madame de Mazarin, plaidant en séparation, s'était réfugiée chez les religieuses de Sainte-Marie, dans la rue Saint-Antoine. Son mari étant venu lui rendre visite, elle le reçut avec le visage couvert de mouches. Le duc, élevé dans les bons principes, déclara «qu'il ne lui parleroit point qu'elle ne les ôtât»; et la bonne petite femme ajoute: «Jamais homme ne demanda les choses avec une hauteur plus propre à les faire refuser, surtout quand il croyoit que la conscience y étoit intéressée, comme en cette occasion; et ce fut aussi ce qui me fit obstiner à demeurer comme j'étois, pour lui faire bien voir que ce n'étoit ni mon intention ni ma croyance d'offenser Dieu par cette parure[162].» On sait que la folle duchesse finit par courir le monde déguisée en homme.
En 1661, un poëte, peu soucieux de la vérité historique, eut l'idée d'écrire l'origine de cette mode, et il n'hésita pas à lui attribuer une généalogie tout à fait fantaisiste. Il suppose que, resté un beau jour auprès de sa mère:
Vénus, impatientée, se fâche. L'Amour ne fait qu'en rire,
La déesse est ravie. Elle promet à son fils deux tourterelles pour récompense, et celui-ci
Chacune de ces mouches avait un nom.
Placée | |
Près de l'œil, elle se nommait | la passionnée; |
Au coin de la bouche | la baiseuse; |
Sur les lèvres | la coquette; |
Sur le nez | l'effrontée; |
Sur le front | la majestueuse; |
Au milieu de la joue | la galante; |
Sur le pli de la joue en riant | l'enjouée; |
Sous la lèvre inférieure | la discrète; |
Sur un bouton | la voleuse. |
On comprend que des insectes jusqu'alors méprisés, chassés, persécutés, furent remplis d'orgueil en apprenant qu'ils avaient donné naissance à un artifice de coquetterie féminine, auquel leur nom restait attaché. Ils contèrent tout cela à La Fontaine, qui voulut immortaliser tant de gloire, et fit dire fièrement à la fourmi par la mouche:
En 1692, «la bonne faiseuse de mouches» demeurait rue Saint-Denis, à la perle des [Pg 97] mouches[165]. Sous Louis XV, toutes les femmes avaient dans leur poche une boîte à mouches, petit coffret d'or, d'argent, d'ivoire ou d'écaille, qui renfermait un miroir, du rouge et des mouches. Ces dernières, faites en général de taffetas gommé, affectaient toutes les formes: il y en avait de rondes, de carrées, d'ovales. On s'amusa même à les découper de manière à imiter les étoiles, la lune, le soleil, un croissant, un cœur, des personnages, surtout des animaux, ce qui permettait d'avoir toute une ménagerie sur la figure. Pendant un moment, la grande mode fut de se coller sur la tempe droite une large mouche ronde en velours noir, qui ressemblait à un emplâtre[166] et que l'on ornait parfois de petits brillants[167].
L'usage de se poudrer les cheveux date également du seizième siècle. Henri III allait par les rues de Paris, fardé comme une vieille coquette, le visage empâté de blanc et de rouge, les cheveux couverts de poudre[168] de violette musquée. Mais les Parisiens, si faibles pourtant en [Pg 98] présence de toute mode nouvelle, ne l'imitèrent pas. C'est seulement à la toilette des mignons que l'on voyait un valet «ayant en ses mains une boiste pleine de poudre semblable à celle de Chipre[169], avec une grosse houppe de soye, laquelle il plongeoit dans cette boiste, et en saupoudroit la teste du patient[170]». Lestoile parle en 1593 de religieuses qui se montrèrent publiquement «masquées, fardées et pouldrées[171]». Cette fois, c'en était fait, et pour longtemps, en dépit de l'Église et des sermonnaires qui, comme le petit Père André[172], reprochaient aux femmes de se présenter dans le saint lieu «poudrées comme des meuniers[173]».
Dès 1624, il était entendu qu'
La poudre la plus recherchée était l'argentine. [Pg 99] Mais on en faisait de toutes les couleurs, et l'engouement était si grand, que les filles pauvres, n'osant montrer leurs cheveux tels que les avait faits la nature, les «saupoudroient de poudre de bois pourri qu'on trouve parmy les vieux bastimens aux poutres et pièces de bois sur lesquels il n'a point pleu[175].» Quand un irréparable malheur venait à frapper une femme, et qu'elle prétendait renoncer, momentanément au moins, à ce que l'existence offre de plus agréable, si elle devenait veuve par exemple, elle cessait de se poudrer[176]. Ce sacrifice modifiait tout à fait l'aspect d'une toilette, car une élégante ou un petit-maître ne se bornaient pas à poudrer leur tête, les vêtements devaient participer à la distribution:
dit une très-curieuse mazarinade[177] que j'ai déjà citée.
Louis XIV avait une répugnance instinctive [Pg 100] pour ces cheveux blanchis, cette vieillesse anticipée, et il ne se soumit que fort tard à une mode, inutilement maltraitée par les poëtes satiriques:
Le monopole de la fabrication de la poudre ne tarda pas à être accordé aux gantiers, qui eurent à ce sujet de fréquents démêlés avec les merciers[179], les barbiers[180] et les amidonniers[181]. Sous Louis XV et sous Louis XVI, tout [Pg 103] le monde, hommes, femmes, enfants[182], portait de la poudre; elle faisait même partie de la tenue militaire. Afin de ne pas être obligées de se poudrer tous les jours, les femmes couchaient avec une coiffe de taffetas blanc qui emprisonnait leur chevelure. La fureur pour cette mode inepte et sale était telle encore en 1786 que Sobry écrivait très-sérieusement: «L'usage modéré de la poudre tient autant à la bienséance qu'à la commodité, et il a été regardé comme de première nécessité chez tous les peuples policés[183].»
Aussi se fit-il pendant deux siècles une effroyable consommation de poudre. Les philantrophes en gémissaient, disant qu'avec la farine ainsi employée «on nourriroit dix mille infortunés[184].» M. Paul Boiteau, qui a le tort de ne pas citer ses sources, écrit qu'en 1789, au moment où la farine était si rare, on transformait chaque année en poudre à poudrer vingt-quatre millions de livres d'amidon[185]. «L'accommodage, [Pg 104] dit M. Quicherat[186], était devenue une véritable opération de meunerie. Elle avait lieu au milieu d'un nuage épais que le coiffeur faisait voler sur la tête du patient, enveloppé d'un peignoir et le visage fourré dans un cornet de carton, afin de n'être point aveuglé.» Et comme les industriels qui distribuaient si généreusement la farine à leurs pratiques en prenaient une bonne part pour eux-mêmes, ils justifièrent le nom de merlans qui leur fut donné par le peuple. Dans l'exercice de leur profession, ils ressemblaient en effet à des merlans qu'on va mettre à la poêle.
La Révolution eut grand'peine à détrôner la poudre. L'élégant Robespierre était toujours fraîchement poudré, et Bonaparte n'abandonna cette mode qu'après sa campagne d'Italie.
La corporation des Barbiers-Perruquiers-Baigneurs-Étuvistes ou Barbiers-barbants avait reçu, le 14 mars 1674, des statuts qui furent renouvelés le 26 avril 1718[187]. Ces derniers sont composés de soixante-neuf articles que je vais rapidement analyser.
Comme l'ancienne communauté des barbiers-chirurgiens, la nouvelle était placée sous l'autorité du premier chirurgien du Roi, «chef et garde des chartes, statuts et priviléges de la barberie du royaume». En cette qualité, il avait sur tous les barbiers de France «inspection et juridiction». Ne pouvant exercer en personne, il se faisait représenter par un mandataire ou lieutenant, qu'il était tenu de choisir parmi les anciens jurés de la corporation[188].
Celle-ci se composait du premier chirurgien [Pg 106] du Roi, de son lieutenant, d'un greffier, de six jurés ou prévôts-syndics, des anciens syndics retirés du métier et des maîtres[189].
Les jurés étaient élus pour deux ans[190], par une délégation formée du premier chirurgien du Roi, de son lieutenant, des six jurés en charge, de tous les maîtres anciens et de quinze modernes[191].
Tout le monde sait quel rôle jouaient les jurés dans l'administration des communautés; je dirai donc seulement ici un mot des Anciens et des Modernes, dont l'origine est moins connue. Les sentiments de fraternité qui avaient servi de base aux corporations ouvrières s'affaiblirent peu à peu[192], et, vers le commencement du seizième siècle, on vit s'introduire parmi les maîtres une hiérarchie que finirent par accepter presque toutes les communautés. Les maîtres furent alors divisés en trois classes:
Les Jeunes, qui comptaient moins de dix ans de maîtrise;
Les Modernes, reçus depuis plus de dix ans;
Les Anciens, qui exerçaient depuis vingt ans [Pg 107] au moins ou avaient rempli la charge de juré.
En général, les Jeunes ne prenaient aucune part à l'administration de la communauté: ils ne pouvaient être élus jurés, et n'avaient même pas en cette circonstance le droit de vote. Ils n'étaient pas admis non plus dans les commissions appelées à juger les chefs-d'œuvre. En réalité, le temps passé parmi les Jeunes était une sorte de stage imposé au compagnon après sa réception à la maîtrise.
Comme on le voit ici, les Modernes eux-mêmes, bien qu'éligibles, ne figuraient pas tous parmi les électeurs des jurés.
Les Anciens formaient dans la corporation une véritable aristocratie, très-jalouse de ses prérogatives. Au reste, chaque communauté avait sur ce point ses usages particuliers. En 1680, la corporation des couteliers se composait de quatre-vingt-onze maîtres, qui étaient ainsi classés[193]:
22 Anciens,
32 Modernes,
33 Jeunes,
4 veuves, continuant le commerce de leur mari. [Pg 108]
Je reviens à nos statuts.
Les jurés avaient droit de visite chez les barbiers-chirurgiens, et ces derniers droits de visite chez les barbiers-perruquiers[194]. Assistés d'un sergent à verge, il devaient faire au moins quatre visites par an chez chaque maître, «pour voir si les perruques et cheveux qui seront exposés en vente au public sont bons et marchands». Il était dû aux jurés quinze sous par visite[195]. D'une manière générale, on appelait article royal ou marchand celui qui était de bonne qualité, sans tare, sans défaut caché.
Le conseil de la corporation était composé de trente personnes: le premier chirurgien du Roi, son greffier, son lieutenant, le doyen, les six jurés et vingt anciens[196]. Il se réunissait tous les mardis, à deux heures, «pour délibérer sur les affaires communes, police et discipline concernant les maîtres, veuves[197], aspirans, locataires, apprentifs, garçons, ouvriers, et tous [Pg 109] ceux qui sont soumis à la communauté[198].»
La profession de barbier-perruquier était non un métier, mais un office héréditaire. Payé fort cher par les acquéreurs, il devenait leur entière propriété: ils pouvaient le céder et le sous-louer[199], quoique le nom seul du titulaire figurât sur l'enseigne de la boutique. Pour avoir le droit d'exercer, il ne suffisait pas à celui-ci d'obtenir après apprentissage des lettres de maîtrise, il lui fallait acheter une charge, et il était mis en possession par le premier chirurgien du Roi. Tout cela était bien fait pour remplir d'orgueil une communauté, mais ne la mettait pas plus qu'une autre à l'abri des créations de maîtrises ordonnées directement et à prix d'argent par le Roi. Pour faire face à ses embarras financiers, Louis XIV augmentait sans cesse le nombre des offices de barbiers. En 1689, d'un trait de plume il le double, le porte à quatre cents. La communauté, redoutant une pareille concurrence, rachète ces deux cents charges moyennant cent dix mille livres versées au Trésor. C'était tout ce que demandait le Roi; [Pg 110] aussi, encouragé par le succès, il crée de nouveau cinquante charges en février 1692. Le prix fut fixé au-dessous de trois cents livres, et on eut grand'peine à les vendre, ce qui prouve que le besoin ne s'en faisait guère sentir. Pourtant, en juillet et en août 1706, on crée d'un seul coup encore quatre cents charges: la communauté terrifiée voulut les racheter, et ne le put. En somme, le nombre des titulaires était de six cent dix à la fin de 1712[200] et de sept cents en 1719[201]. Je raconterai ailleurs l'histoire navrante des créations royales de maîtrises et d'offices, qui en vinrent à ruiner toutes les corporations.
Aux acquéreurs de charges créées par le Roi, on ne demandait que de payer. Mais si l'on voulait acheter ou louer une charge de barbier à l'un des titulaires, il fallait avoir été apprenti pendant trois ans et compagnon pendant deux ans [202].
Chaque maître ne pouvait avoir à la fois qu'un seul apprenti. Il était cependant autorisé [Pg 111] à en prendre un second quand le premier avait achevé sa deuxième année[203].
Les fils de maître et les compagnons épousant une fille de maître étaient tenus seulement de l'Expérience, épreuve facile pour laquelle on se montrait plus qu'indulgent. Les autres aspirants à la maîtrise devaient parfaire le Chef-d'œuvre, travail dont la durée était limitée à deux jours[204].
Il était interdit à un maître d'avoir plus d'une boutique dans Paris[205]. Un apprenti ne pouvait, durant les deux années qui suivaient son admission à la maîtrise, ouvrir boutique dans le quartier des maîtres chez qui il avait été soit apprenti, soit compagnon[206]. Les apprentis ou compagnons changeant de maison ne pouvaient, avant une année, se replacer dans le quartier du maître qu'ils venaient de quitter[207].
Afin d'établir une distinction bien apparente entre les boutiques des barbiers-perruquiers et celle des barbiers-chirurgiens, les [Pg 112] premiers devaient avoir «des boutiques peintes en bleu, fermées de châssis à grands carreaux de verre, et mettre à leurs enseignes des bassins blancs pour marque de leur profession et pour faire différence de ceux des chirurgiens, qui en ont des jaunes». L'enseigne devait être ainsi conçue: X, Barbier, Perruquier, Baigneur, Étuviste. Céans on fait le poil et on tient bains et étuves[208].
Les barbiers-perruquiers étaient autorisés à «vendre des poudres, opiats pour les dents, savonnettes, pommades et autres senteurs et essences, pâtes à laver les mains, et généralement tout ce qui est propre pour l'ornement, propreté et netteté du corps humain[209]».
A eux seuls appartenait «le droit de faire le poil, bains, perruques, étuves et toutes sortes d'ouvrages de cheveux, tant pour hommes que pour femmes, sans préjudice du droit que les chirurgiens ont de faire le poil et les cheveux, et de tenir bains et étuves pour leurs malades seulement[210]». Il était défendu à tous particuliers, ainsi qu'aux «soldats servans dans les Gardes Françoise et Suisse, de faire aucuns ouvrages [Pg 113] de cheveux, mais seulement la barbe aux soldats desdits régimens[211]».
La police soumettait à des règlements spéciaux les perruquiers en vieux. Il leur était interdit de tenir boutique ailleurs que sur le quai de l'Horloge. Ils réparaient les vieilles perruques, mais on ne leur permettait pas d'en fabriquer de neuves, à moins qu'ils n'y fissent entrer du crin, et la coiffe devait porter ces mots: perruque mêlée. Ils n'avaient point de bassins pour enseigne: leur étalage était seulement orné d'une tête de bois appelée marmot.
Bien que les anciens étuveurs eussent eu, selon toute apparence, saint Michel pour patron[212], la corporation des barbiers-perruquiers fut placée sous le patronage de saint Louis[213].
A cette époque, il y avait encore à Paris deux établissements installés sur le modèle des anciennes étuves. Ils étaient situés rue Marivaux[214] et rue du Cimetière-Saint-Nicolas[215], et les anciennes traditions s'y étaient conservées. On [Pg 114] pouvait y prendre à la fois des bains d'eau chaude et des bains de vapeur, et la séance était souvent terminée par l'application d'une ou deux ventouses dans le dos. Voici, au reste, d'après un livre devenu rare[216], comment les choses se passaient alors:
«Celuy qui veut se baigner dans l'eau froide va à la rivière.
«Nous lavons la crasse dans les bains chauds, soit assis dans la cuve, soit en montant en haut aux bancs à suer, et nous nous frottons de la pierre ponce ou d'une estamine.
«Nous quittons nos habits dans la garde-robe, et nous prenons des caleçons.
«Nous mettons un bonnet sur nostre tête et nos pieds dans le bassin.
«La servante des bains sert de l'eau dans un seau, qu'elle puise dans l'auge où elle coule par les tuiaux.
«Le maistre ou valet des estuves scarifie la peau avec sa lancette en y appliquant des ventouses, pour en tirer du sang qui est entre chair et cuir, et l'essuye avec une éponge.»
Les établissements de ce genre portaient en général le nom de bains, et on réservait celui [Pg 115] d'étuves pour les maisons où des bains de vapeur étaient administrés par ordre du médecin, à titre de remède. La mieux organisée était celle de Popincourt: «Les douleurs de la sciatique, celles qui sont causées par le mercure qui a été donné en panacée, en sublimez et en précipitez, celles de la goutte des pieds et des mains, les paralisies universelles et particulières, les tumeurs froides et beaucoup d'autres maladies sont infailliblement guéries par l'usage des étuves vaporeuses de nouvelle invention qui se tiennent au jardin médicinal de Pincourt.» Le Livre commode qui nous fournit ces renseignements ajoute: «C'est une sorte de machine en laquelle on est baigné sans être dans l'eau, en laquelle on suë aussi abondamment que l'on veut sans être à sec, ce qui fait que son usage ne cause ni la constipation du ventre et la foiblesse de poitrine comme les bains ordinaires, ni les évanouissemens, la chaleur intérieure et la difficulté de respirer qui sont les suites ordinaires des étuves échauffées par le feu de bois ou d'esprit de vin. Les malades y sont couchez sur un lit suspendu, où ils reçoivent une vapeur nouvelle, anodine et fortifiante[217].»
Il y avait encore, à l'usage du grand monde, une troisième catégorie de bains. Maisons meublées fort suspectes, endroits de luxe et de débauche, le bain n'y figurait le plus souvent que comme accessoire. L'hôtel de Zamet, devenu hôtel de Lesdiguières, dans la rue de la Cerisaie, avait eu cette destination sous Henri IV, qui le fréquentait si assidûment qu'on l'appelait sa «maison des menus plaisirs» et son «palais d'amour[218]». On se rendait chez le baigneur, dit M. Walckenaer[219], «par différents motifs; c'était la que l'on prenait les meilleurs bains, les bains épilatoires, les bains mêlés de parfums et de cosmétiques. La maison était pourvue d'un grand nombre de domestiques soumis, réservés, discrets, adroits. On s'y enfermait la veille d'un départ[220] ou le jour même d'un retour, afin de se préparer aux fatigues que l'on alloit éprouver, ou pour se remettre de celles qu'on avoit essuyées. Voulait-on disparaître un instant du monde, fuir les importuns [Pg 117] et les ennuyeux, échapper à l'œil curieux de ses gens, on allait chez le baigneur. On s'y trouvait chez soi, on était servi, choyé, on s'y procurait toutes les jouissances qui caractérisent le luxe et la dépravation d'une grande ville. Le maître de l'établissement et tous ceux qui étaient sous ses ordres devinaient à vos gestes, à vos regards, si vous vouliez garder l'incognito; et tous ceux qui vous servaient et dont vous étiez le mieux connu paraissaient ignorer jusqu'à votre nom.»
Dans la Coquette, comédie jouée vers 1720, Baron nous montre le conseiller Durcet sortant de l'audience et venant, encore en robe, voir Cidalise. Marton, suivante de la belle, l'accueille par ces mots: «Monsieur ne seroit pas de ces gens qui, au retour d'un voyage, vont descendre chez le baigneur pour ne pas dégoûter leur maîtresse[221]?»
Prud'homme fonda une maison de ce genre qui devint surtout à la mode sous son successeur La Vienne. Saint-Simon[222] raconte que «le Roi, du temps de ses amours, s'alloit baigner et parfumer chez lui... On prétendoit, [Pg 118] ajoute-t-il, que le Roi, qui n'avoit pas de quoi fournir à ce qu'il désiroit, avait trouvé chez La Vienne des confortatifs qui l'avoient rendu plus content de lui-même.» Louis XIV se montra reconnaissant: le père de La Vienne devint, après Prud'homme, son premier barbier, et La Vienne fut nommé premier valet de chambre[223]. Le Roi n'en avait pas moins encore huit barbiers servant par quartier. Leurs fonctions étaient «de peigner le Roy, tant le matin qu'à son coucher, luy faire le poil, et l'essuyer aux bains et étuves, et après qu'il a joué à la paume[224].»
L'établissement de Prud'homme était situé rue Neuve-Montmartre. On en trouvait d'autres, célèbres aussi, rue Richelieu, rue d'Orléans, rue Vieille-du-Temple et rue des Marmouzets[225].
Les bourgeois qui voulaient prendre des bains à domicile pouvaient louer, moyennant [Pg 119] vingt sous par jour, une baignoire en cuivre chez un chaudronnier, ou moyennant dix sous par jour une baignoire de bois chez un tonnelier[226]. L'eau était chauffée à la bouilloire; il y avait donc intérêt à construire des baignoires qui n'en exigeassent pas un trop grand volume. Celles de cuivre représentaient le plus souvent un sabot à tige élevée, disposition aussi économique qu'incommode, car le corps y était presque moulé, et l'on dépensait ainsi moitié moins de liquide qu'en employant un cuvier oblong. La baignoire dans laquelle fut assassiné Marat, et qui vient d'être acquise par le musée Grévin, est un sabot de ce genre. Les grands seigneurs avaient dans leur hôtel des salles de bain fort luxueuses, où les baignoires affectaient la forme de canapés, de chaises longues, de lits de repos, etc. Il paraît qu'on s'y baignait parfois de compagnie, puisqu'il existait au château de Genlis une baignoire assez vaste pour contenir quatre personnes[227].
Au dix-huitième siècle, les dames recevaient volontiers leurs visiteurs, femmes ou hommes, [Pg 120] pendant qu'elles étaient au bain. Dans ces circonstances, on avait soin de blanchir l'eau soit avec «une pinte ou deux de lait[228], soit avec de l'essence: c'est ce que l'on appelait un bain de lait.» M. le comte de Reiset possède une baignoire Louis XVI, munie d'un couvercle canné qui empêchait de voir la personne dans son bain, tout en permettant l'évaporation[229]. Le jour même du retour de Varennes, la Reine dictait à un des huissiers de sa chambre une lettre destinée à madame Campan, et qui commence ainsi: «Je vous fais écrire de mon bain, où je viens de me mettre pour soulager au moins mes forces physiques[230].» Marie-Antoinette, élevée dans les sévères principes de la cour de Vienne, se baignait vêtue d'une longue robe de flanelle boutonnée jusqu'au cou, et tandis que ses deux baigneuses l'aidaient à sortir du bain, elle exigeait que l'on tînt devant elle un drap destiné à la cacher à ses femmes[231]. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque, les grandes dames en agissaient souvent [Pg 121] encore avec leurs gens comme les Romaines vis-à-vis de leurs esclaves, et regardaient un valet comme un animal en présence duquel la plus craintive pudeur pouvait tout se permettre[232].
Les Parisiens amateurs de bains froids les prenaient dans la Seine, sans se préoccuper des exhibitions dont ils gratifiaient les riverains et les passants. Une chanson[233] de Coulange nous a décrit l'effroi de la Précieuse qui passe en carrosse, par un chaud jour d'été, près de la porte Saint-Bernard:
Il y avait aussi au dix-septième siècle des piscines où les femmes, à qui «il n'est point permis de se baigner dans la rivière», pouvaient aller se plonger dans l'eau froide. Le recueil des Caquets de l'accouchée[234] nous en fournit la preuve. Le soleil «estant au signe [Pg 122] du Cancre, je me résolus, avec quelques-unes de mes voisines, d'aller aux étuves pour me rafraîchir.... Comme je fus arrivée aux baings où d'ordinaire nous avons coustume entre nous autres de rafraîchir, je me trouvay au milieu d'une bonne et agréable compagnie de bourgeoises et dames de Paris qui estoient venues au mesme lieu pour ce subject.»
Au siècle suivant, nous trouvons des bains froids installés sur la Seine:
A la Râpée;
Près de l'archevêché;
Quai des Morfondus, aujourd'hui quai de l'Horloge;
Port Saint-Nicolas, en face de la rue des Poulies;
Quai des Quatre-Nations, aujourd'hui quai Conti;
Près de la barrière des Invalides[235].
Ces bains, entièrement recouverts d'une toile, avaient douze toises de long sur deux de large. Ils étaient formés par une vingtaine de pieux enfoncés dans la rivière, et que des planches reliaient ensemble. On y descendait au moyen d'une échelle attachée à un bateau [Pg 123] dans lequel les baigneurs se déshabillaient et laissaient leurs vêtements. Le prix du bain était de trois sous. Le linge se payait à part: un sou pour une serviette du côté des hommes, trois sous pour une chemise du côté des femmes.
Ce n'était pas précisément là que se donnaient les rendez-vous de noble compagnie. Pour celle-ci, des bateliers avaient établi dans la rivière, au-dessus et au-dessous de Paris, de petites cabanes appelées gores. Elles se composaient de quatre pieux ombragés par une toile; un autre pieu planté au milieu permettait de se soutenir sur l'eau. «Les dames, dit le Journal du citoyen[236], sont conduites et descendues dans ces gores, sûrement, commodément et secrettement. Les femmes de mariniers conduisent les baigneuses. On fait marché de gré à gré pour se faire conduire. Il en coûte communément vingt-quatre ou trente sols par heure du loyer d'un bateau.»
Cette façon de se baigner sans bouger inspira, vers 1781, une idée assez étrange à un sieur Turquin. Sur le petit bras du fleuve, près du pont de la Tournelle, il plaça dans un bateau plusieurs baignoires maintenues par un [Pg 124] plancher à une certaine profondeur; leurs parois étaient percées de trous qui permettaient au courant de les traverser et d'y renouveler l'eau sans cesse. Chaque baignoire, installée dans un cabinet, était assez grande pour recevoir jusqu'à trois personnes. Cet établissement, qui subsistait encore en 1787[237] reçut le nom de Bains chinois. Le succès qu'il obtint décida Turquin à en ouvrir un autre où les baignoires disparurent, où l'on ne put se montrer sans caleçon, et où l'on disposa des cabines pour se déshabiller. Turquin fut ainsi le véritable créateur des écoles de natation telles que nous les voyons organisées aujourd'hui. La première, située près des Bains chinois, fut inaugurée le 16 juillet 1785, en présence de plusieurs membres du corps municipal, de l'Académie des sciences et de la Société de médecine[238]. Turquin ne tarda pas à établir une seconde école de ce genre à la pointe de l'île Saint-Louis; puis une troisième au-dessous du Pont-Royal[239], [Pg 127] sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui l'embarcadère du Touriste.
Paris ne comptait encore qu'une dizaine de bains chauds, possédant chacun de douze à quinze baignoires, quand un sieur Poitevin imagina d'en établir un sur la Seine même. Ce projet, patronné par la municipalité, reçut sa réalisation en 1761. Le bateau organisé par Poitevin fut amarré près du Pont-Royal, en face des Tuileries. Long de cent quarante et un pieds et large de vingt-huit, il était divisé en deux étages. Un côté était réservé aux femmes. Les cabinets ouvraient sur un couloir central, et l'eau, puisée dans le fleuve par deux pompes à bras, était filtrée avant d'arriver aux baignoires[240]. [Pg 128] Un autre bateau, appartenant au même propriétaire, et disposé de la même façon bien qu'il n'eût qu'un rez-de-chaussée, stationnait pendant l'été à l'extrémité de l'île Saint-Louis, au bas du quai d'Anjou. Poitevin eut pour successeur un sieur Guignard, qui finit par diriger plusieurs établissements de ce genre. Dans un d'entre eux, situé à l'angle du Pont-Royal et du quai d'Orsay, les pauvres étaient reçus gratuitement sur un certificat du médecin ou du curé de leur paroisse.
Des bains plus complets occupaient une maison qui faisait le coin de la rue de Bellechasse et du quai. Outre des bains de vapeur et des douches, on y trouvait une vaste piscine dans laquelle on pouvait se livrer à la natation. Les prix étaient ainsi fixés:
Bain simple | 3 livres. |
— — par abonnement | 2 — |
— russe | 7 — 4 sols. |
— dépilatoire et de propreté | 12 — |
Douche composée | 12 — |
— simple | 9 — |
— ascendante | 3 — |
Les anciens bains du dix-septième siècle, où l'on venait ordinairement chercher tout autre chose que de l'eau, étaient représentés par l'Hôtel des Bains de S. A. R. Mgr le duc d'Orléans, [Pg 129] situé au Palais-Royal, et dont l'entrée était rue de Valois. On y trouvait «des appartemens garnis, propres à recevoir des personnes de la première distinction[241].»
Tous les établissements de bains chauds étaient tenus par des maîtres barbiers-perruquiers-baigneurs-étuvistes, dont la corporation avait pris d'autant plus d'importance que la communauté des barbiers-chirurgiens disparaissait peu à peu. Mais une redoutable concurrence vint troubler la quiétude dans laquelle ils vivaient.
Dès le quinzième siècle, il y avait eu des coiffeuses pour les femmes. On les trouve nommées atourneresses, atourneuses, achemeresses, etc., elles n'étaient guère employées d'ailleurs que dans les grandes occasions: bals, mariages, etc. Le soin des chevelures féminines restait donc en général réservé aux chambrières, et les barbiers-chirurgiens n'avaient jamais élevé aucune prétention à cet égard. Un homme de génie en son genre, le sieur Champagne, créa cette spécialité. «Ce faquin, dit Tallemant des Réaux[242], par son [Pg 130] adresse à coiffer et à se faire valoir, se faisoit rechercher et caresser de toutes les femmes. Leur foiblesse le rendit si insupportable, qu'il leur disoit tous les jours cent insolences: il en a laissé telles à demy coiffées; à d'autres, après avoir fait un costé, il disoit qu'il n'acheveroit pas si elles ne le baisoient; quelquefois il s'en alloit, et disoit qu'il ne reviendroit pas si on ne faisoit retirer un tel qui luy desplaisoit, et qu'il ne pouvoit rien faire devant ce visage-là. J'ay oüy dire qu'il dit à une femme qui avoit un gros nez: «Voys-tu, de quelque façon que je te coiffe, tu ne seras jamais bien tant que tu auras ce nez-là.» Avec tout cela, elles le couroient, et il a gaigné du bien passablement; car, comme il n'est pas sot, il n'a pas voulu prendre d'argent, de sorte que les présens qu'on luy faisoit luy valoient beaucoup. Lorsqu'il coiffoit une dame, il disoit ce que telle et telle luy avoit donné, et quand il n'estoit pas satisfait, il adjoustoit: «Elle a beau m'envoyer quérir, elle ne m'y tient plus.» L'idiote qui entendoit cela, trembloit de peur qu'il ne lui en fist autant, et luy donnoit deux fois plus qu'elle n'eust fait. Avec cela, il estoit mesdisant comme le diable; il n'y avoit personne à sa fantaisie. De Pologne, il alla en [Pg 131] Suède, et revint icy avec la reyne Christine.»
Ce singulier personnage eut une fin tragique. Il fut assassiné au cours d'un voyage, et Loret raconta cet événement tout au long dans sa gazette rimée:
Champagne n'eut pas aussitôt de successeur digne de lui[244], mais les dames continuèrent à rechercher des mains plus habiles que celles de leurs femmes de chambre, et l'industrie des Coiffeurs de dames et des Coiffeuses fut fondée. Madame de Sévigné a transmis à la postérité le nom de la Martin, qui inventa la coiffure hurluberlu ou hurlupée, dite aujourd'hui coiffure à la Maintenon, parce que c'est celle que porte la grande favorite sur ses premiers portraits. [Pg 132] Cette mode date de 1671. Le 18 mars, madame de Sévigné écrit à sa fille de s'en garder; elle lui déclare que «c'est la plus ridicule chose qu'on puisse s'imaginer», et la supplie de rester fidèle à la jolie coiffure que sa femme de chambre Montgobert fait si bien[245].
Quinze jours après, la cour a adopté la nouvelle coiffure, et dès lors madame de Sévigné en raffole. Elle mande aussitôt à sa fille que, frisée ainsi, elle sera «comme un ange», et que décidément «la coiffure que fait Montgobert n'est plus supportable[246]».
Le Livre commode pour 1692 cite parmi «les coiffeuses fort employées, mesdemoiselles Canilliat, place du Palais-Royal; Poitier, près les Quinze-Vingts; le Brun, au Palais; de Gomberville, rue des Bons-Enfans; et d'Angerville, devant le Palais-Royal[247]».
Depuis le règne de Louis XV, les coiffeurs l'emportèrent sur les coiffeuses. Frison fut mis à la mode par la marquise de Prie; Dagé, coiffeur de madame de Châteauroux et de madame de Pompadour, avait équipage; Larseneur était le confident de Mesdames, filles [Pg 133] du Roi[248]; Legros[249] publiait L'art de la coëffure des dames françoises, qui eut trois éditions en trois ans, et fut suivi de plusieurs suppléments.
On trouve dans ces volumes de curieux spécimens de coiffures, précédés d'avertissements dans lesquels l'auteur étale naïvement sa bouffonne vanité. Il s'exprime ainsi en tête de son deuxième supplément, imprimé en 1769: «J'avois autrefois pour passion la pêche, la chasse, la cuisine[250], et courir les armées, tant en Flandres qu'en Allemagne, changeant souvent d'état, et remarquant toujours le bon d'avec le mauvais, faisant ma cour aux vieillards de tout état, afin qu'ils me racontassent ce qu'ils sçavoient de leurs anciens temps. Voilà la seule étude que j'ai faite pour acquérir de l'expérience et connoître à peu près l'esprit et le caractère des hommes. Il s'agissoit donc de connoître un peu celui des Dames, chose bien difficile, qui m'a causé [Pg 134] bien de l'embarras, ne sçachant comment m'y prendre. Enfin, le moyen le plus juste selon moi étoit de me mettre Coëffeur, talent où il faut sçavoir se taire et parler, être sage et honnête, tout voir et ne rien dire, et avec ces bonnes qualités et l'art de la coëffure, on est bien reçu des Dames en tout pays. La coëffure des Dames m'a causé bien des tourmens; il n'y a que moi qui sçais la peine qu'elle m'a donnée. Ce n'est point l'argent qui m'a engagé à suivre cet état au milieu d'un champ rempli d'épines pour moi, mais c'est l'ambition et le zèle que j'ai de prouver aux Dames que tant que le monde subsistera, elles porteront de mes coëffures. C'est avec preuve que je ne ressemble point à bien des coëffeurs et perruquiers, qui étalent leurs talents avec leur langue, mais moi c'est avec mes doigts que je fais voir à tout le monde ce que je sçais. Malgré la contrariété, tant que je vivrai je donnerai toujours des preuves que je serai le premier de mon état pour la coëffure des Dames en tous genres, comme on le verra par mon livre...»
Legros eut la prétention de fonder une académie
de coiffure, et il y réussit à peu près. Il
avait des prêteuses de tête qui permettaient à
[Pg 135]
[Pg 136]
[Pg 137]
ses élèves d'étudier sur nature et de reproduire
les estampes publiées par lui. L'élève parvenu
à copier les onze premiers modèles, recevait
un certificat portant le cachet dit de l'étoile.
Pour obtenir le cachet de l'étoile et celui des
trois croissants de la lune, il fallait avoir imité
exactement les vingt-huit premières estampes.
Quant à l'habile homme qui reconstituait sur
le vif trente-huit planches, son certificat portait
à la fois le cachet de l'étoile, celui des
trois croissants et le grand cachet du soleil; en
outre, on le proclamait «maître professeur
et académicien de l'art de la coëffure des
Dames».
Legros ne se dissimule pas que son mérite et sa gloire lui ont créé bien des ennemis. «Il y aura peut-être, dit-il, des personnes qui trouveront mauvais que mon livre ait pour titre L'art de la coëffure des Dames, et mes classes le nom d'Académie. En voici la raison: la coëffure des Dames est devenu un Art pour moi, parce que j'ai composé et fait les plans de toutes mes Coëffures, et que voilà le quatrième goût que je change depuis neuf ans, que j'ai coëffé les Dames de cinquante-deux sortes de goûts différents, et que je leur ai fait avec des cheveux faux trois cents pièces d'ouvrages [Pg 138] tous différens pour leurs coëffures... Puisque je suis le seul dans le monde qui ai poussé la coëffure des Dames à son dernier degré, et qui ai fait tant d'ouvrages en cheveux imitant le naturel, ce que personne ne s'était jamais avisé de faire, ainsi que le traité des cheveux naturels qui n'a jamais paru, je crois qu'il m'est bien permis de me dire le premier des Artistes pour la Coëffure des Dames.»
Tant de soins ne furent pas perdus. Legros nous apprend qu'il reçut «les applaudissemens des Reines et Princesses de toutes les Cours et de toutes les Dames en général.»
Mais ce succès et celui qu'obtinrent ses nombreux confrères, suscitèrent aux coiffeurs de femmes, dont le nombre s'élevait alors à douze cents, des jalousies et des haines. La corporation des barbiers-perruquiers leur intenta des procès; ces derniers soutenaient avec raison qu'ils avaient seuls le droit de vendre des cheveux, et il était prouvé que les coiffeurs fournissaient des chignons à leurs clientes. L'avocat des coiffeurs publia en faveur de ceux-ci un factum fort gai[251] qui, écrit Bachaumont [Pg 139] le 8 janvier 1769, «se trouve également sur les bureaux poudreux des gens de loix et sur les toilettes élégantes des femmes[252].»
L'auteur s'efforce de prouver que ses clients sont, non pas des artisans, mais des artistes dont la profession doit rester libre: «Par les talents qui nous sont propres, leur fait-il dire, nous donnons des grâces nouvelles à la beauté que chante le poëte. C'est souvent d'après nous que le peintre et le statuaire la représentent; et si la chevelure de Bérénice a été mise au rang des astres, qui nous dira que pour parvenir à ce haut degré de gloire elle n'a pas eu besoin de notre secours?... Un front plus ou moins grand, un visage plus ou moins rond demandent des traitements bien différents: partout il faut embellir la nature ou réparer ses disgrâces. Il convient encore de concilier avec le ton de chair la couleur sous laquelle l'accommodage doit être présenté. C'est ici l'art du peintre; il faut connaître les nuances, l'usage du clair-obscur et la distribution des ombres pour donner plus de vie au teint et plus d'expression aux grâces. Quelquefois la blancheur de la peau sera relevée par la teinte [Pg 140] rembrunie de la chevelure, et l'éclat trop vif de la blonde sera modéré par la couleur cendrée dont nous revêtirons ses cheveux.» Notre art, ajoutent-ils, ne se borne pas à disposer avec goût les cheveux et les boucles; nous avons aussi la mission de placer les diamants, les croissants, les aigrettes; notre habileté assure et étend sans cesse l'empire de la beauté. Les coiffeurs ne se dissimulent point qu'on les accuse d'encourager le luxe et la coquetterie; mais leur appartient-il de s'ériger en censeurs des mœurs et de réformer leur siècle? «Ce n'est pas à nous de juger si les mœurs de Sparte étoient préférables à celles d'Athènes, et si la bergère qui se mire dans la fontaine, met quelques fleurs dans ses cheveux et se pare de ses grâces naturelles, mérite plus d'hommage que de brillantes citoyennes qui usent de tous les raffinemens de la parure... Il faut prendre le siècle dans l'état où il est; c'est au ton des mœurs actuelles que nous devons notre existence, et tant qu'elles subsisteront, nous devons subsister avec elles.» Cet éloquent plaidoyer ne désarma point les magistrats. Deux arrêts, rendus le 27 juillet 1768 et le 7 janvier 1769, enjoignirent aux coiffeurs de se faire inscrire dans la corporation des barbiers; ils résistèrent [Pg 141] longtemps, et ne se soumirent définitivement que sous Louis XVI. Au mois de septembre 1777, celui-ci créa six cents coiffeurs de femmes, qui payèrent leur privilége six cents livres et furent agrégés à la corporation des barbiers[253]. L'Almanach Dauphin[254] mentionne alors parmi les coiffeurs en vogue: la veuve de Legros, établie rue Saint-Honoré, en face de la rue de l'Arbre-Sec; Frédérik, rue Thibautodé, qui «tient école de coëffure, place des femmes et valets de chambre coëffeurs, et fournit un rouge de Portugal accrédité par la finesse et la douceur de ses nuances»; Audis, quai de l'École, qui «tient assortiment d'ouvrages méchaniques en cheveux, pour faciliter aux dames la commodité de se coëffer elles-mêmes et de varier en un instant leur coëffure;» madame Desmares, au coin de la rue Saint-Louis du Louvre, coiffait «avec beaucoup de goût et de légèreté»; enfin, Durand, dit Legoût, logé quai de la Ferraille, vendait «toutes sortes de postiches de différens genres, [Pg 142] tocques montées en fil de laiton, peignes garnis de cheveux, et généralement tout ce qui concerne le talent de la coëffure».
Legros n'avait pas donné de nom aux créations de son génie; ses émules furent moins modestes, et les recueils du temps nous signalent les coiffures suivantes parmi celles qui se partagèrent, de 1770 à 1780, la faveur des plus folles têtes:
A la Henri IV.
A la Minerve.
A la Sylphide.
A la Harpie.
A la Diane.
A la Corne d'abondance.
A la Glaneuse.
Au Levant.
A la Frivolité.
Au Caprice.
Au Haut rang.
A la Daphné ou la Demi-conquête.
A la Conquête assurée.
Le Papillon constant.
Le Lever de la Reine ou le Triomphe de l'aurore.
Le Témoin discret.
La Sapho moderne.
En Bandeau d'amour.
Au Hérisson.
Au Demi-hérisson.
Au Hérisson à crochets.
Au Chien couchant ou au Mystère.
A la Zodiacale.
A la Bourgeoise.
A la Colombe.
A la Conseillère.
En Crochets.
A l'Ingénue.
A la Cérès.[Pg 145]
A la Recherche.
A la Modestie.
A la Distinction.
A la Candeur.
Au Parterre galant.
A la Janot.
A la Pierrot.
En Échelle.
En Rouleaux.
Au Croissant.
Au Vol d'amour.
En Corbeille.
A la Flore.
Au Parc anglais.
A l'Anglaise.
A l'Irlandaise.
A l'Espagnole.
A la Circassienne moderne.
A la Turque.
A la Grecque.
A la Persane.
A la Phrygienne.
En Baigneuse.
En Gondole.
En Moulin à vent.
Au Cerf-volant.
Sans redoute.
A l'Espoir.
A la Nation.
Aux Charmes de la liberté[255]. Etc., etc.
Je ne cite ici, bien entendu, que les coiffures. Je triplerais cette liste si je voulais y comprendre les noms donnés pendant la même période aux bonnets et aux chapeaux.
Dès 1723, l'abbé de Bellegarde écrivait: «Depuis que les femmes se sont avisées de se servir de fers pour soutenir la pyramide de leur coëffure, qui est une espèce de bâtiment à [Pg 146] plusieurs étages, elles ont tellement enchéri sur cette mode qu'il n'y a plus de porte assez élevée pour leur donner passage sans baisser la tête[256].» On sait jusqu'à quelle démence cette mode fut portée sous Louis XVI. Une élégante devait avoir alors sur le crâne un échafaudage de chiffons et de cheveux qui égalât le tiers de sa taille, et il entrait dans cet édifice tant de fil de fer qu'on était en droit de demander à une dame quel était l'adroit serrurier qui l'avait coiffée. Je ne crois pas qu'en aucun temps et sous aucun ciel, la mode ait jamais imposé à ses esclaves rien de plus niaisement prétentieux que le pouf. Décrire une de ces parures, je n'y pense point, on m'accuserait d'exagération, je laisse donc la parole à un contemporain qui écrivait au jour le jour et dont le témoignage est inattaquable. Voici, d'après les Mémoires dits de Bachaumont[257], comment était composé le pouf au sentiment. «On l'appelle pouf, à raison de la confusion d'objets qu'il peut contenir, et au sentiment, parce qu'ils doivent être relatifs à ce qu'on aime le plus. La description de celui [Pg 147] de madame la duchesse de Chartres rendra plus sensible cette définition. Dans celui de Son Altesse Sérénissime, au fond est une femme assise sur un fauteuil et tenant un nourrisson, ce qui désigne M. le duc de Valois et sa nourrice. A la droite est un perroquet becquetant une cerise, oiseau précieux à la princesse. A gauche est un petit nègre, image de celui qu'elle aime beaucoup. Le surplus est garni de touffes de cheveux de M. le duc de Chartres, son mari; de M. le duc de Penthièvre, son père; de M. le duc d'Orléans, son beau-père, etc., etc. Toutes les femmes veulent avoir un pouf et en raffolent.»
On vit dès lors paraître successivement les poufs:
A la Turque.
A l'Asiatique.
A l'Assyrienne.
A la Chinoise.
A la Sophie.
A l'Art de plaire.
En Crête.
A la Grande prêtresse.
A la Puce.
En Rocher.
En Gueule de loup.
Au Globe fixé.
A Bandelettes.
Etc., etc., etc.
La fortune des poufs fut plus brillante que durable. Dans la fureur de nouveauté qui hantait les cerveaux féminins, une coiffure vieille de trois mois n'était plus bonne qu'à [Pg 148] orner ridiculement quelque crâne provincial. Faute de mieux et à bout d'imagination, on s'empara des événements du jour et on les figura en cheveux sur la tête des élégantes. Les romans, le théâtre, les succès de nos armées, les moindres faits divers, tout fut exploité.
En 1778, après le célèbre combat livré aux Anglais par la Belle-Poule, les femmes surmontèrent leurs cheveux d'une frégate avec sa mâture, ses voiles, ses agrès, ses canons, ses pavillons, et cette coiffure prit le nom du glorieux bâtiment qu'elle représentait. Beaumarchais la fit oublier. La vogue de ses Mémoires; le ridicule qu'il jetait sur le gazetier Marin, le succès du Quès-aco, Marin? qui termine le portrait de ce personnage[258], inspirèrent la création du quesaco, trois panaches plantés derrière un chignon composé de huit boucles.
Au même ordre d'idées se rattachent les coiffures suivantes:
A la Frégate.
A la Junon.
A la Victoire.
A la Philadelphie.
A la Voltaire.
A la Raucourt.
A l'Iphigénie en Tauride.
A l'Eurydice.[Pg 149]
A l'Irène.
A la Cléopâtre.
A l'Armide ou la Grande prétention.
A la Gabrielle de Vergy.
A l'Almaviva.
Au Colisée.
A la Montgolfier.
C'étaient là les grands soucis des dames de la cour quinze ans avant la Révolution; la jeune et belle Dauphine donnait l'exemple, sourde aux reproches de son époux[259], insensible aux railleries dont elle commençait à être l'objet. Nous possédons un curieux spécimen de celles-ci dans une assez plate comédie, que publia en 1778 l'avocat Marchand.
Au début, le coiffeur Duppefort et sa femme sont en scène, et le dialogue s'établit ainsi:
DUPPEFORT.
Ouf! je suis harassé comme un général d'armée le jour d'une action. Les femmes veulent être servies toutes à la fois et dans la même minute; l'on ne sait à laquelle entendre. L'une veut de la fourrure, l'autre un plumage; celle-ci des fleurs et des émaux, celle-là des arbres et des diamants. Il faudroit, en vérité, [Pg 150] avoir sous la main tous les élémens et les quatre parties du monde. Elles veulent apparemment toucher à la lune. Elles ne sont occupées que de coëffures, et chacune en veut trois pouces de plus que sa voisine. En vérité, je ne sais pas à quoi cette manie aboutira à la fin. Si l'émulation augmente, il faudra exhausser les lanternes dans les rues... Eh bien, qui est-ce qui est venu pendant mon absence?
MADAME DUPPEFORT.
Un monde étonnant. D'abord ce riche banquier qui a fait venir des plumes de colibris pour sa filleule; en second lieu, ce petit abbé qui a fait un poëme sur la coëffure des odalisques; troisièmement, madame la comtesse de Cavecreuse, qui veut absolument que vous lui fournissiez sur sa garniture le jardin du Palais-Royal, avec le bassin, la forme des maisons et surtout sa grande allée avec la grille et le café.
M. DUPPEFORT.
En vérité, elle n'y pense pas. Une autre me demandera bientôt les Thuilleries, le Luxembourg, le boulevard; les femmes du Marais voudront avoir la place Royale ou l'hôtel de [Pg 151] Soubise. Mais n'importe, il faut satisfaire les gens pour leur argent.
MADAME DUPPEFORT.
«Il est encore venu cette grande marquise sèche, qu'on appelle madame de la Brasse, et qui est veuve depuis trois mois. Elle vous prie de mettre sur sa garniture un catafalque de goût[260].»
Ce court extrait suffira pour donner une idée de la pièce, où l'esprit n'abonde pas et qui ne fut jamais représentée.
A la cour et dans l'entourage même de la Reine, les gens sensés blâmaient les exagérations qu'ils avaient sous les yeux: «Les coiffures, dit madame Campan, parvinrent à un tel degré de hauteur, par l'échafaudage des gazes, des fleurs et des plumes, que les femmes ne trouvoient plus de voitures assez élevées pour s'y placer, et qu'on leur voyoit souvent pencher la tête ou la placer à la portière. D'autres prirent le parti de s'agenouiller pour ménager d'une manière plus certaine encore le ridicule édifice dont elles étaient surchargées[261].» [Pg 152] En février 1776, Marie-Antoinette honora de sa présence un bal donné par la duchesse de Chartres. Les Mémoires secrets de Bachaumont racontent qu'à cette occasion «la Reine ayant redoublé la hauteur de son panache, il fallut le baisser d'un étage pour qu'elle pût entrer dans son carrosse, et le lui remettre quand elle en est sortie». Comme on imitait la Reine, même dans la bourgeoisie, les théâtres étaient troublés par des querelles sans cesse renaissantes, à ce point que de Visme, directeur de l'Opéra, dut interdire l'entrée de l'amphithéâtre aux coiffures trop élevées[262].
Ce n'est pas tout. Ces pyramides gonflées de crin, bourrées de coussins, chargées de poudre, baignées de pommade, maintenues par une forêt d'épingles dont la pointe atteignait la peau, devenaient l'origine d'une foule de malaises; en même temps que la vermine engendrée par la poudre causait aux malheureuses victimes de la coquetterie d'insupportables démangeaisons. La civilité permit d'abord de se frapper doucement la tête avec un doigt pour calmer le prurit qu'occasionnaient les indiscrètes bestioles[263]. [Pg 153] Puis on inventa en faveur de ces martyres volontaires le grattoir, longue tige terminée par un crochet d'ivoire, d'argent ou d'or, secours bien doux, mais impuissant contre «la crasse infecte qui séjournait sous les brillants diadèmes[264].» Je m'arrête. Ne nous montrons pas trop sévères pour nos aïeules; s'il prenait fantaisie à quelque cerveau fêlé de ressusciter cette mode aujourd'hui, est-il bien sûr que la tentative échouerait?
Rien n'égale la burlesque vanité, le naïf orgueil dont était rempli le cœur des hommes qui élevaient ces monuments éphémères. Dutens raconte que le prince Lanti, se trouvant à Paris et ayant demandé un coiffeur, on introduisit dans sa chambre un personnage bien mis et l'épée au côté. Le prince s'assit, en lui recommandant de se dépêcher. «Mon prince, lui dit cet homme, je suis le physionomiste, [Pg 154] permettez que je fasse entrer mon second.» Et il fait entrer un garçon perruquier avec tout son appareil. Plaçant ensuite le prince à sa fantaisie, il l'observe avec attention, le prenant par le menton pour mieux examiner son visage. Puis, s'adressant à son second: «Visage à marrons[265], dit-il; marronnez monsieur.» Et il se retira en faisant une humble révérence[266].
De si grands artistes rougissaient d'appartenir à la corporation des barbiers. Ils tentèrent encore une fois de s'en séparer pour former une communauté indépendante; mais un arrêt du 25 janvier 1780 repoussa cette prétention, et leur interdit de mettre sur leur enseigne les mots: Académie de coiffure[267]. Il est certain d'ailleurs que les boutiques de certains barbiers avaient alors un aspect peu séduisant. Voici la description que nous en a conservée Mercier: «Imaginez tout ce que la malpropreté peut assembler de plus sale. Les carreaux des fenêtres, enduits de poudre et de [Pg 157] pommade, interceptent le jour; l'eau de savon a rongé et déchaussé le pavé; le plancher et les solives sont imprégnés d'une poudre épaisse; les araignées pendent mortes à leurs longues toiles blanchies, étouffées en l'air par le volcan éternel de la poudrerie[268].»
Un grand événement se produisit en 1780. A la suite d'une couche, Marie-Antoinette perdit ses cheveux. Dès lors, disent les Mémoires secrets, «l'art est continuellement occupé à réparer les vuides qui se forment sur cette tête auguste». Cette tête auguste finit par adopter une coiffure très-basse, dite à l'enfant. Aussitôt, les dames de la cour, «empressées de se conformer au goût de leur souveraine, ont sacrifié leur superbe chevelure[269].»
La reine de France, reine surtout des poufs et des chiffons, avait pour ministres la Bertin, sa marchande de modes, et Léonard Autier, son coiffeur, qui avait porté le génie jusqu'à faire entrer quatorze aunes d'étoffes dans une coiffure. Elle les comblait de faveurs, ne sachant rien refuser à des personnages dont le concours lui était si précieux. Il était de règle que tout artisan pourvu d'une charge à la cour cessât de servir le public; mais Marie-Antoinette, craignant que le goût de son coiffeur se perdît s'il cessait de pratiquer son état, voulut qu'il conservât sa clientèle, «ce qui, dit très-bien madame Campan[270], multiplia les occasions de connaître les détails de l'intérieur de la Reine et souvent de les dénaturer.» Quand l'infortunée princesse, décidée à quitter la France, préparait la fuite de Varennes, sa folle coquetterie survivait tellement aux dangers de sa situation, aux angoisses endurées, aux humiliations subies, qu'elle ne put se résoudre à se séparer de Léonard, serviteur au reste fidèle et dévoué; elle le fit partir quelques heures avant elle, sous la protection de de Choiseul[271].
Léonard ne revint pas à Paris avec sa souveraine; il émigra et alla mettre ses talents au service des grandes dames russes. En France, le temps des futilités était passé, et plus d'une des belles chevelures qu'avait abandonnées Léonard devait être maniée pour la dernière fois dans une prison et par un aide du bourreau.
Extrait de la CIVILITÉ de Jean Sulpice,
traduite en français par Guillaume Durand, en 1545[272].
[1483]
O enfant de bonne nature, devant que de t'exposer et bâiller mes preceptes, je t'admoneste que tu ayes à les garder et que tu faces en sorte que tousjours ils te soyent devant les yeux.
Ta robe soit nette et sans ordure.
N'aye point le visage ou les mains ordes.
Donne toy de garde que aucune morve ou roupie ne te sorte du nez et y pende, comme ceste glace longue que l'on void pendre en hyver aux chevrons et gouttières des maisons.
Tes ongles ne soyent point trop longs, ny pleins d'ordure.
Tes cheveux soyent bien peignez, et que ta perrucque[273] ne soit pleine de plumes ou autre ordure.
Tes souliers soyent nets et non boueux ou fangeux.
Que ta langue ne soit point couverte d'ordure et immundicité accumulée dessus.
Aye les dents nettes et sans rouille, c'est à dire sans matière jaulne attachée contre, par faute de les nettoyer et mundifier souvent.
Estime qu'il est peu seant et peu honneste de soy grater la teste à table; et prendre au col ou au doz poulx, ou puces, ou autre vermine, et la tuer devant les gens; se grater, ou crever, ou percer sa roigne[274] en quelque partie du corps qu'elle soit.
Si tu viens à te moucher, tu ne doibs prendre tel excrement avec les doigts, mais les doibs recevoir dedans un mouchoir. Et si tu craches ou tousses, il ne fault pas avaller ce que tu as desjà attraict en la gorge, mais faut cracher en terre ou en un mouchoir ou serviette.
Si, par contrainte, tu es provoqué à roter, fay le avec le moindre son de la bouche que faire se pourra, et tousjours en détournant la face.
Combien que nature te presse fort de peter ou vessir, il te faut du tout efforcer de bien serrer les fesses et ne lascher rien de mauvais goust. Et en ce, il se faut garder de suyvre l'opinion des stoïciens, qui tenoient que les pets et les rots estoient permis et loysibles en toutes compagnies et en toutes actions.
Extrait de la CIVILITÉ d'Érasme[275],
traduite en français par Pierre Saliat en 1537[276].
[1530]
Des rencontres et entregent.—Si tu rencontres quelqu'un en ton chemin, qui à cause de sa vieillesse soit venerable, ou pour sa saincteté reverend, ou pour sa dignité grave, ou aultrement digne d'honneur, sois souvenant de luy ceder, de te détourner et luy faire voie, en descouvrant la teste reveremment et en ployant aulcunement[277] le genoil.
Que l'enfant ne dise jamais ainsi: Que ay-je affaire d'ung que je ne cognois point? Que ay-je affaire d'ung qui ne me feit jamais bien? Cest honneur n'est point faict à ung homme, non aux merites et bienfaicts, mais à Dieu... Celluy qui previent à faire honneur à son pareil ou à moindre que luy, il n'en est point pourtant fait moindre, mais plus civil, et pour ce plus honnorable.
Il fault parler reveremment et en peu de parolles avec ses superieurs, avec ses pareils amiablement et affablement. En parlant, la main gauche doit tenir le bonnet, la droicte estant doulcement posée sur le nombril; ou, ce qui est reputé plus honneste, le bonnet pendant aux deux mains joinctes, les deux poulces apparoissans, couvrira le dessoubs de la ceincture.
Tenir son livre ou son bonnet dessoubs son aisselle, c'est chose rusticque.
Il fault que l'enfant ait une honte qui luy donne grace, non point qui le rende estonné. Les yeulx doivent regarder celuy à qui tu parles, mais posement et simplement, sans qu'ilz montrent rien de lascif ou de meschant. Baisser la veue, ainsi que font les catoblepes[278], porte soupson de maulvaise conscience. Regarder de travers semble d'un qui veult mal. Tourner la face çà et là, c'est signe de legiereté. Il est aussy laid de changer sa face en diverses sortes, tellement que tu fronces puis [Pg 167] le nez, puis le front, que tu haulses maintenant les sourcils, maintenant tu remues les lèvres, et que la bouche soit puis estendue, puis serrée.
Il est aussy laid de jecter les cheveulx en secouant la teste, de toussir sans necessité, de cracher ou de gratter sa teste, fouiller en ses oreilles, moucher son nez, applanir son visaige avec la main, car cela semble d'ung qui torche sa honte; frotter le chaisnon du col[279], serrer les espaules, laquelle chose nous voyons en d'aulcuns italiens; nier en tournant la teste, ou en la hochant appeler quelqu'un; et affin que je ne poursuyve tout, parler par signes, encores qu'il siée bien quelque fois à l'homme, toutesfois il ne sied point bien à l'enfant.
C'est chose laide de jouer des bras, faire singeries des doigts, se bercer sur ses pieds, bref non point parler de la langue, mais de tout le corps, qui est le propre des tourtereles ou des balaqueues[280], et assez approchant des pies.
La voix soit doulce et posée, non haultaine qui appartient aux paysans, ne si basse et si sombre qu'elle ne parvienne jusques aux oreilles de cestuy à qui tu parles. Que le parler ne soit trop hatif et allant devant la pensée, mais tout à loisir, et qu'il soit entendible.
En parlant à quelqu'un, c'est civilité de repeter souvent son tiltre honorable. Si tu ne sçays point les tiltres particuliers d'ung chascun, tous gens savans [Pg 168] vans te doivent estre maistres très honorés, tous prestres et moynes pères reverends, tous tes semblables frères et amys: bref tous hommes incogneus, seigneurs; toutes femmes incongneues, dames.
C'est chose villeine et deshonneste d'ouyr ung jurement de la bouche de l'enfant, soit par jeu ou à bon escient. Qu'est-il plus villain que la coustume dont en d'aulcuns pays à chascun mot, mesmes les filles jurent par le pain, par le vin, par la chandelle; bref, qu'est-il qu'elles ne jurent?
Que l'enfant ne mesle point sa langue parmy paroles villeines, et qu'il n'y preste point l'oreille, finablement à tout ce qui se descouvre deshonestement aux yeulx des hommes, et se presente indecentement à leurs oreilles. Si le cas requiert qu'il faille nommer quelque membre honteux, il le fault signifier par ung desguisement modeste.
Davantaige, s'il eschet quelque chose qui puisse faire mal au cueur à l'escoutant, comme si quelqu'un parle d'ung vomissement, d'ung retret[281] ou de merde[282], qu'il prie premièrement qu'il ne desplaise aux oreilles.
S'il veult contredire à quelque chose, qu'il se garde de dire: Vous ne dictes point vray, specialement s'il parle à personne eagée, mais prie avant, qu'il ne luy desplaise, et dise: Je l'ay aultrement entendu d'ung tel.
Rompre le propos d'ung qui parle devant qu'il ait achevé, c'est chose incivile.
Ne sois point fort curieux des affaires d'aultruy, et si tu as veu ou entendu quelque chose, fais semblant que tu ne saiches point ce que tu sçais.
Regarder du coing des yeulx les lettres qui ne te sont point offertes, c'est chose peu civile. Si quelqu'un ouvre son coffre et escrin en ta presence, retire toy; car il est plus incivil de regarder dedens, et est encores plus d'en manier quelque chose.
Si tu apperçois qu'il survienne quelques propos secrets entre quelques ungs, retire toy sans en faire semblant, et ne te mesle à tel propos sans y estre appellé.
Extrait de la CIVILITÉ d'Érasme,
imitée en français par C. Calviac en 1560[283].
[1530]
Il faut que l'enfant tourne la face de costé quand il voudra cracher, de peur qu'il ne crache sur personne, ou qu'il ne face mal au cueur de ceux qui le verront cracher: pour laquelle raison il doit aussi effacer ce qu'il a craché en mettant le pied dessus. [Pg 170] Que s'il ne luy est commode de se tourner ny de cracher en terre ou autre lieu propre à cela, il pourra cracher dans son mouchoir plus tost que d'en avaler l'ordure, car cela est vilain et ord.
Comme aussi de cracher ou de tousser à tous propos sans necessité, mais aussi par une mauvaise coustume; cela est propre aux menteurs, qui en parlant songent ce qu'ilz doibvent dire. Toutefois à aucuns cela sert de cherche-memoire, car en ce faisant, ilz pensent mieux à ce qu'ilz doivent dire, combien qu'en nulle sorte cela n'est point honeste.
Il est fort vilain de s'accoustumer à roter, veu que mesme quand cela advient par inadvertance, peut estre tenu pour autre.
S'il advient que l'enfant veuille tousser par necessité, qu'il se tourne en arrière la face, et qu'il se garde que ce ne soit sur la face d'autruy, ou sur la viande s'il est à table.
Le vomir, peter, roter et faire telles ordures, quoy que les autres en jugent, il me semble que se doyvent faire si secretement, si on y est contrainct, que personne n'en oye rien, ou pour bien faire s'en abstenir du tout.
Il faut que les dens soyent nettes et blanches. Que si il demeure quelque chose entr'elles après le repas, il les faut nettoyer avec un cure-dens de boys propre à cela, ou bien avec un des petits os de ceux qu'on tire des ergotz des chappons. Et non point avec le cousteau ou avec les ongles, comme les chiens, ne avec la serviette.
Il faut que tous les matins l'enfant lave sa bouche et ses yeux avec de l'eau fraische et nette, et qu'il [Pg 171] se peigne en menant le peigne du devant en arrière de la teste, pour tousjours renvoyer en derrière les humeurs qui descendent sur les yeux et le visage.
Il faut que les cheveux d'un enfant ne viennent jamais si grans qu'ilz luy tombent jusques aux yeux et aux espaules. Et ne les doit point secouer en hochant sa teste, car cela appartient aux chevaux qui se pompent. Il ne se doit point grater la teste ne le reste du corps avec ses ongles, car cela est vilain et ord, et principalement s'il le fait par accoustumance plus que par nécessité.
Du corps et de sa contenance.—L'enfant ne doyt point baisser la teste entre les deux espaules, car c'est signe de paresse; ne se renverser aussi, car c'est signe d'arrogance. Mais se doyt tenir droict et sans effort, car cela ha bonne grâce. Et ne faut point aussi que sa teste penche d'un costé ne d'un autre dessus son corps, à la mode des hypocrites, si ce n'est que le propos ou chose semblable requiert telles contenances à gester.
Il faut que l'enfant tienne ses espaules avec un juste contrepoix, sans en hausser l'une et baisser l'autre sans aucune modestie ny honesteté.
Il n'est guière bien seant à un jeune enfant de tenir les bras au sein ny en croix l'un sur l'autre, car c'est signe de paresse; ne de les tenir derrière le dos, car cela donne à penser qu'il soyt ou larron ou paresseux, ou tenant quelque chose en la main qu'il ne veut point qu'on voye.
Aucuns trouvent beau de tenir une main au costé et présenter le coude à costé, à la mode des souldats, mais cela n'est point bienséant à un enfant.
Il est fort honeste à un petit enfant de ne manier point ses parties honteuses, mesme quand la necessité le requerra et qu'il sera seul, qu'avec honte et comme vergogne: car cela denote grande pudicité et honesteté. Et quand il luy faut qu'il rende son urine, il se doict separer et tirer à part que nul ne le voye, et pour le moins faut qu'il y procede le plus secretement et modestement qu'il pourra, sans toutes fois la retenir si longtemps que cela luy puisse engendrer la pierre.
Il faut que quand l'enfant sera assis qu'il tienne ses genoux joinctz et les pieds aussi, non point ouvers et estallés, car cela n'est point modeste. Et quand il sera droyt, il luy sera bien seant de les tenir moyennement ouvers. Il n'est point honeste qu'estant assis il tienne l'un genoux sur l'autre et les jambes en croix; ne qu'estant debout il tienne ses jambes serrées et les bras croysés, car c'est le propre de ceux qui sont pensifs.
Il ne fault point que l'enfant bransle les jambes estant assis, comme les folz; ne qu'il face un tas de frectillemens des mains, qui demonstrent que l'entendement est peu sain et entier.
Il y a plusieurs façons de faire la reverence, selon les pays où on se trouve et les coustumes d'iceux. Mais les Françoys ployent seulement le genouil droyt, se tenant autrement plus droyctz que enclinés, avec un doux contournement et mouvement du corps; et estant le bonet de la main droyte, le tenant ouvert par le devant, l'obeissent au mesme costé droyt.
Après, s'il fault faire plusieurs reverences tenant [Pg 173] tousjours bas le bonet, dessous la jambe droicte font la rentrance de la gauche en la mesme sorte qu'ilz ont faict de la droicte, et ainsi de l'une puis de l'autre, autant qu'il en sera de besoin, et selon que le personnage à qui on adressera et le propos ou recueil le requerrent.
Il fault que l'alleure de l'enfant soit asseurée droitte et par pas de mediocre grandeur, et non point comme rompue et feinte, car c'est le propre des gens effeminés et de nul courage; ne trop hastée, comme celle des gens furieux ou impatiens; ne bersante ou chancellante d'un costé ou d'autre, car cela donne à penser qu'on soit verollé ou infecté de quelque telle maladie; ne par des grans pas, qui signifient prodigalité et arrogance; ne par trop petis, qui signifient avarice et chifeté; mais mediocres, ou de mesme, poursuivie tousjours d'un mesme train.
Extrait de la CIVILITÉ d'Érasme,
traduite en français par Claude Hardy en 1613[284].
[1530]
Du nez.—Les enfants ne doibvent aucunement laisser de morve en leur nez, qui est le propre des [Pg 174] ords et salles; duquel vice et salleté Socrates a esté blasmé. Mais se moucher à son bonnet ou à sa manche appartient aux rustiques; se moucher au bras et au coulde convient aux patissiers; et se moucher de la main, si d'aventure au mesme instant tu la portes à ta robbe, n'est chose beaucoup plus civile. Mais recevoir les excrements du nez avec un mouchoir, en se retournant un petit des gens d'honneur, est chose honneste. Et si d'aventure quelque chose tomboit à terre en se mouchant de deux doigs, il faut incontinent marcher dessus.
Souffler du nez.—C'est chose indecente de souffler haut du nez, qui est un tesmoignage de cholère; et est encores chose plus laide de ronfler, car il appartient aux furieux seulement, principallement si cela se fait avec accoustumance. Mais il faut pardonner à ceux qui ont la courte haleine, et qui ne respirent qu'avec difficulté. C'est aussi chose ridicule de parler du nez, qui convient aux corneilles et elephans. Froncer le nez appartient aux mocqueurs et gausseurs.
De l'esternuement.—S'il advient qu'il te faille esternuer en la presence d'autruy, c'est chose honneste de se tourner un petit, et à l'instant après que la violence est passée, faire le signe de la croix, et puis après oster son bonnet et saluer ceux qui t'auront salué ou deu saluer: car l'esternuement et le baailler prive l'oreille de sentiment. Il te faut aussi prier la compagnie de t'excuser ou la remercier.
C'est chose religieuse de saluer celuy qui esternuë. Si plusieurs gens eagez saluent quelque homme ou femme d'honneur à qui il soit arrivé d'esternuer, le debvoir de l'enfant est d'oster son chappeau. Davantage, c'est le propre des fols et glorieux de s'efforcer à esternuer hault, et de redoubler pour monstrer ses forces. Retenir le son que la nature excite, c'est marque de folie, et attribuer plus à la civilité qu'à la santé.
Des jouës.—Que les jouës de l'enfant soient teintes d'une honte naïfve, sans fard et faulse couleur, combien qu'il la faille tellement temperer qu'elle ne se tourne en meschanceté et trop grande hardiesse, ne qu'elle apporte trop grand estonnement, et comme dit le proverbe, le quatriesme degré de folie. Car il y en a qui de leur naturel sont tellement timides, qui sont presque semblables à celuy qui radote. Ce deffault se peut corriger, si l'enfant s'accoustume à vivre avec gens plus eagez que luy, et s'il est exercé à joüer des comedies. Enfler les joües est un tesmoignage d'orgueil, et les retirer est un signe de meffiance: l'un est pour le glorieux, et l'autre pour le traistre.
De la bouche.—Que la bouche ne soit serrée, [Pg 176] chose qui convient à celuy qui craint de prendre l'haleine d'autruy; qu'elle ne soit aussi ouverte, comme appartient aux incensez. Mais que les lèvres soient conjoinctes, s'entrebaisants doucement l'une-l'autre. C'est aussi chose peu decente de faire des lèvres comme si tu applaudissois à un cheval en sifflant, combien que cela se doibve pardonner aux grands qui marchent en quelque grande foulle: car rien ne leur messiet. Mais nous voulons icy dresser seulement les enfants.
Du baaillement.—Si d'aventure le baailler te presse, et si tu ne peux te tourner ou demarcher un petit, il te fault mettre ton mouchoir ou ta main devant ta bouche, et faire le signe de la croix.
Du rire.—C'est le propre des fols de rire à tout propos; et de ne rire d'aucune chose appartient aux stupides; de rire de choses vilaines et deshonnestes, c'est meschanceté. Outre plus, ceste manière et façon de rire qui esmeut tout le corps, que les Grecs appellent [Greek: synkrousion], n'est honneste et decente à aucun eage, non pas mesme à la jeunesse. C'est aussi chose deshonneste de rire en hennissant; comme il n'est pas decent et seant de rire en eslargissant la bouche et en retirant les joües et descouvrant les dents, car proprement c'est un ris de chien et sardonien; mais il faut que le visage soit tellement composé qu'il demonstre une alegresse et non pas un esprit dissolu, ny aucune difformité de la bouche. Ce sont propos de fols de dire: je pisse ou crève de rire; je pasme de rire, ou j'ay cuidé mourir de rire.
Et si le subject qui se presente nous force malgré [Pg 177] nous à rire, alors il faudra se couvrir le visage ou de la serviette ou de la main. Rire tout seul sans aucune apparente raison est un acte de sottise ou de pure folie. Et le cas advenant qu'il soit eschappé de rire à l'enfant, cela dependera de la civilité de declarer ouvertement la raison qui l'aura meu à rire; ou s'il n'est à propos de le dire, il fault controuver quelque cassade, afin que nul de la compagnie n'aye quelque soupçon que l'on veuille se moquer de luy.
De ne mordre ses lèvres.—C'est une mauvaise contenance que de mordre ses lèvres d'embas avec les dents de dessus, et les lèvres de dessus avec les dents d'embas: car c'est le geste d'un homme qui menace quelqu'un. C'est aussi chose indecente de lescher le bord de ses lèvres avec la langue. Advancer ses lèvres, et comme les preparer à un baiser, estoit jadis une coustume bien receuë entre les Alemans, comme il se peult remarquer par des tableaux anciens. C'est un tour de bouffonnerie en tirant la langue se moquer de quelqu'un.
Du cracher.—Tourne ton visage quand tu voudras cracher, afin que nul de la compagnie ne soit offensé de ton crachement. Si tu as craché par terre ou si tu t'y es mouché, il convient marcher dessus, comme j'ay cy-devant dit, afin que personne n'en aye mal au cœur. Si tu n'as moyen de te tourner, reçoy le crachat en ton mouchouer.
Avaller sa salive est une chose deshonneste; comme pareillement de cracher à chacun mot, comme nous en voyons beaucoup ausquels cela arrive d'ordinaire, plustost par mauvaise accoustumance [Pg 178] que par necessité qu'ils en ayent.
D'abondant, il y en a qui toussent en parlant, par une habitude qu'ils ont contractée, sans qu'il en soit besoin. Mais telle façon de faire est propre à ceux qui se proposent de mentir, et qui se veulent donner du temps pour penser à ce qu'ils doivent dire.
Aucuns, encores plus incivils, ne sçauroient dire trois mots sans roter. Que si le jeune enfant dès son bas eage prend ceste mauvaise coustume, elle luy demeurera. Il en faut autant dire du cracher, dont le Clitipho de Terence[285] est blasmé par un serviteur.
Si tu es pressé de la toux, garde toy de tousser en la bouche d'autruy, et prens bien garde de commettre ceste ineptie que de tousser plus hault que la nature ne le requiert.
Du vomissement.—Quand tu auras volonté de vomir, tire toy à quartier; car le vomissement n'est pas deshonneste, mais bien de le provoquer par gourmandise.
Des dents.—Il faut soigneusement prendre garde d'avoir les dents nettes; car de les blanchir avec des poudres, il n'appartient qu'aux filles; les frotter de sel ou d'alun est fort dommageable aux gencives; et se servir de son urine au mesme effet c'est aux Espagnols à ce faire.
S'il te reste entre les dents quelque chose, ne te sers du cousteau ou de tes ongles pour les tirer, comme les chiens et les chats; ny avec la serviette; mais avec la pointe d'un cure-dent de lentisque, ou [Pg 179] d'une plume, ou de petits os tirez des pieds de chappons ou des poulles bouillies.
De laver la bouche.—C'est une chose civile et salubre de laver sa bouche d'eau nette le matin. Mais de la laver souvent, c'est un acte qui est impertinent. De la langue, nous en parlerons en son lieu.
De nettoyer la teste.—C'est à faire aux gens de village de ne se peigner la teste. Il faut que la teste soit tellement nette qu'elle ne soit pas pourtant atiffée comme celle d'une fille. C'est chose deshonneste d'y voir des pouds et des lentes.
En après, grater sa teste devant quelqu'un et faire tomber l'ordure qui en sort sur luy, c'est chose peu decente; tout ainsi que se grater avec les ongles les autres parties du corps, c'est chose vilaine, principalement s'il le fait avec accoustumance et non par necessité.
Les cheveux ne doivent tomber sur le front, ny couvrir les espaules. Esbranler ses cheveux en secouant la teste, c'est le propre des chevaux qui se panadent. De relever les cheveux du front en hault avec la main gauche, c'est chose peu seante, mais il est plus à propos de les demesler avec la main droite.
Qu'il ne faut retenir son urine, ny le son du ventre.—Se garder d'uriner est dommageable à la santé; mais se tirer à part pour rendre l'urine est chose digne de la honte requise à un enfant.
Il y en a quelques uns qui commandent que l'enfant retienne la ventosité du ventre, serrant les fesses. Mais ce n'est pas chose civile de se causer une [Pg 180] maladie pour avoir la reputation d'estre bien apprins. S'il luy est loisible de s'esloigner de la compagnie, qu'il lasche son vent estant ainsi à l'escart, sinon qu'il desguise, selon l'ancien proverbe, le son du ventre par un toussement. Autrement pourquoy n'ordonnent ils pas, par semblable raison, qu'ils s'empeschent d'aller à la garderobbe, veu qu'il est plus dangereux de retenir son vent que de s'abstenir des necessitez de nature[286].
De se tenir droict.—C'est imiter le glorieux Trason de Terence[287] que de se seoir les genouils ouverts, et de brandiller ou entortiller ses jambes. Quand tu seras assis, prends garde à joindre tes genouils, et quand tu seras debout tiens tes pieds proches l'un de l'autre, au moins qu'ils ne soient que moyennement esloignez. Aucuns sont assis avec ceste mauvaise grace qu'ils font passer la jambe par dessus le genouil; les autres sont debout, ayans les bras croisez et les jambes joinctes estroictement: desquelles façons de faire, l'une est propre aux resveurs et l'autre aux gens grossiers et mal apprins. Se seoir ayant la jambe droicte jettée sur la gauche estoit une ancienne coustume des Rois, mais maintenant [Pg 181] elle est reprouvée. Les Italiens, par respect, mettent un pied sur l'autre, et se soustiennent quasi sur une jambe, à la mode des cigongnes, mais je ne sçaurois bonnement dire si cela est decent à l'enfant.
Comment il convient faire la reverence.—Pareillement, en un païs une façon de fleschir les genouils et faire la reverence est bien receuë, laquelle en autre païs donneroit subject de rire et de se moquer. Quelques-uns ployent les deux genouils ensemble, et entre ceux-là, les uns tiennent le reste du corps droit et les autres le panchent aucunement. Il y en a d'autres qui estimans ceste façon de faire la reverence n'estre seulement convenable qu'à la femme, ployent en premier lieu le genouil droit, et puis le gauche au mesme instant, et ceste manière de reverence est recommendable en la jeunesse de Bretaigne. Les François, contournant doucement le corps, fleschissent seulement le genouil droit. Es choses ou la varieté n'a rien de repugnant à la bienséance, il sera en la liberté de chacun de practiquer l'usance du païs, ou suivre les façons estrangères, comme il s'en trouve aucuns ausquels elles plaisent davantage que celles de leur païs[288].
Extrait du Nouveau Traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnestes gens.
Par Antoine de Courtin[289].
[1675]
L'audience d'un Grand.—A l'égard d'un Grand, lors que l'on entre dans sa chambre ou dans son cabinet, il faut marcher doucement, et faire une inclination du corps et une profonde révérence, s'il est présent. Que s'il ne paroissoit personne, il ne faut point fureter çà et là, mais sortir sur-le-champ, et attendre dans l'antichambre.
Si cette personne est malade et au lit, il faut s'abstenir de la voir, si elle ne le demande; et si nous la voyons, il faut faire la visite courte, parce que les malades sont inquiets et sujets aux remèdes et aux temps. Il faut de plus parler bas, et ne l'obliger que le moins qu'il se peut à parler.
Mais sur tout, il faut observer que c'est une très-grande indécence de s'asseoir sur le lit, et particulièrement si c'est d'une femme. Et même il est en tout temps très-mal séant et d'une familiarité de gens de peu, lors que l'on est en compagnie de personnes sur qui on n'a point de supériorité, ou avec [Pg 183] qui on n'est pas tout à fait familier, de se jetter sur un lit, et de faire ainsi conversation.
Si cette personne écrivoit, lisoit, ou étudioit, il ne faut pas la détourner, mais attendre qu'elle ait achevé ou qu'elle se détourne elle-même, afin que nous luy parlions.
Si elle nous ordonne de nous asseoir, il faut obéir avec quelque petite démonstration de la violence que souffre notre respect, et observer de se mettre au bas bout, qui est toujours du costé de la porte par la quelle nous sommes entrez, comme le haut bout est toujours où la personne qualifiée se met.
De même, il faut prendre un siége moins considérable que le sien, s'il y en a. Le fauteuil est le plus honorable, la chaise à dos après, et ensuite le siége pliant.
C'est une chose tout à fait indécente de se présenter devant des personnes au-dessus de nous, et particulièrement devant des Dames, et de montrer la peau à travers la chemise et le pourpoint; ou d'avoir quelque chose d'entr'ouvert qui doit estre clos par honnesteté, comme nous avons déjà dit.
Quand on s'assiet, il ne faut pas se mettre coste à coste de la personne qualifiée, mais vis-à-vis, afin qu'elle voye que l'on est tout prest à l'écouter. Il faut avec cela se tourner le corps un peu de costé et de profil, parce que cette posture est plus respectueuse que de se tenir de front.
Il faut luy laisser entamer le discours, quand elle ne diroit qu'un mot qui nous donnât lieu de parler. A moins qu'on ne vist cette personne en passant, [Pg 184] pour l'informer promptement d'une affaire, ou la faire ressouvenir de quelque chose qu'elle sçûst déjà.
Il ne faut pas se couvrir si elle ne le commande. Il faut avoir ses gands aux mains, et se tenir tranquille sur son siége, ne point croiser les genoux, ne point badiner avec ses glands, son chapeau, ses gands, etc., ni se fouiller dans le nez, ou se grater autre part.
Il faut éviter de bâiller, de se moucher et de cracher. Et si on y est obligé, là et en d'autres lieux que l'on tient proprement, il faut le faire dans son mouchoir, en se détournant le visage, et se couvrant de sa main gauche, et ne point regarder après dans son mouchoir.
A propos de mouchoir, on doit dire qu'il n'est pas honneste de l'offrir à quelqu'un pour quelque chose, quand même il seroit tout blanc, si on ne vous y oblige absolument.
Il ne faut point prendre de tabac en poudre, ni en mâcher, ni s'en mettre des feuilles dans le nez, si la personne qualifiée, qui est en droit d'en prendre devant nous, ne nous en présentoit familièrement. Auquel cas il faut en prendre, ou en faire le semblant si on y avoit répugnance.
Si on est assis près du feu, il faut bien se donner de garde de cracher dans le feu, sur les tisons, ni contre la cheminée; moins encore faut-il s'amuser à badiner avec des pincettes, ou tisonner le feu. Que si cette personne témoignoit de vouloir accommoder le feu, alors il faut se saisir promptement des tenailles ou pincettes pour la prévenir, à moins [Pg 185] qu'elle ne le voulust faire absolument elle-même pour son divertissement. Il ne faut pas aussi se lever de dessus son siége pour se tenir debout le dos au feu; mais si cette personne se levoit, il faudra se lever aussi.
Que si par avanture il ne se trouvoit qu'un écran chez cette personne, et qu'elle vous contraignist de le prendre: après luy avoir témoigné la confusion que vous avez de l'accepter, il ne le faut pas refuser. Mais incontinent après, sans qu'elle s'en apperçoive, il faut le mettre doucement de costé, et ne s'en point servir.
De même, si par quelque occasion cette personne se trouvoit chez vous près du feu, il ne faut pas souffrir qu'un laquais luy présente un écran, mais vous devez le luy présenter vous-même.
Et pour ce qui est des Dames, c'est une immodestie très-grande de trousser leurs jupes près du feu, aussi-bien qu'en marchant par les ruës.
Il ne faut pas, quand on parle, faire de grands gestes des mains: cela sent d'ordinaire les diseurs de rien, qui ne sont pathétiques qu'en mouvemens et en contorsions de corps.
Mais il est ridicule, en parlant à un homme, de luy prendre et tirer ses boutons, ses glands, son baudrier, son manteau, ou de luy donner des coups dans l'estomac, etc.
Il s'en fait quelquefois un spectacle des plus divertissans, quand celuy qui se sent poussé et tiraillé, recule, et que l'autre, n'appercevant pas son incivilité, le poursuit et le recogne jusqu'à luy faire demander quartier.
Il est mal-séant aussi de faire de certaines grimaces d'habitude, comme de rouler la langue dans la bouche, de se mordre les lèvres, de se relever la moustache, de s'arracher le poil, de cligner les yeux, de se frotter les mains de joye, de se faire craquer les doigts en se les tirant l'un après l'autre, de se grater, de hausser les épaules, etc. Il ne faut pas avoir non plus une contenance toute d'une pièce, fière, arrogante et dédaigneuse.
Il est de même très mal-séant, quand on rit, de faire de grands éclats de rire, et encore plus de rire de tout et sans sujet.
Que si par hazard cette personne laissoit tomber quelque chose, il faut en cette rencontre comme en toute autre, le ramasser promptement, et ne pas souffrir qu'elle ramasse rien de ce qui nous seroit tombé, mais il le faut ramasser vistement nous-même.
Que si elle éternuoit, il ne faut pas luy dire tout haut Dieu vous assiste; mais il faut seulement se découvrir, et faire une profonde révérence, faisant ce souhait intérieurement.
Et si la nécessité nous oblige nous-même d'éternuer, il faut tâcher de le faire doucement, et non comme certaines gens qui en ébranlent la maison par les fondemens: ce qui est très-importun aux personnes qui nous entendent.
S'il arrivoit qu'elle se mist en peine d'appeler quelqu'un qui ne fust pas proche d'elle, il faut sortir pour l'aller appeller soy-même: ce qu'il ne faut pas faire tout haut sur le degré ou par la fenestre, mais envoyer quelqu'un le chercher où il [Pg 187] sera pour le faire venir: autrement c'est pécher contre le respect[290].
Une autre incivilité fort mal-plaisante est de ceux qui ne croyent pas qu'on les entende s'ils ne parlent bouche à bouche, crachant au nez des gens, et les infectant bien souvent de leur haleine. Les personnes qui ont de la civilité en usent autrement, et si elles ont quelque rapport à faire ou quelque chose de secret à dire à quelque personne qualifiée, elles luy parlent à l'oreille.
Au reste, il faut avoir grand soin de ne pas faire sa visite trop longue; mais observer, en cas que la personne qualifiée ne vous congédiast point elle-même, de prendre le temps pour sortir lors qu'elle demeure dans le silence, lors qu'elle appelle quelqu'un, ou lors qu'elle donne quelque autre indice qu'elle a affaire ailleurs. Et alors il faut se retirer sans grand appareil, et même sans rien dire s'il arrivoit quelque tiers qui prist votre place, ou si la personne s'appliquoit à autre chose. Que si votre retraite est apperceuë, et que ce grand Seigneur voulust vous faire quelque civilité au sortir de sa chambre, il ne faut pas l'en empêcher, parce que ce ne seroit pas paroistre assez persuadé qu'il sçait ce qu'il fait, et que souvent il arriveroit que nous nous défendrions d'une chose que l'on ne fait pas à notre sujet. On peut bien seulement témoigner par quelque petite action, qu'en cas que cet honneur [Pg 188] s'adressast à nous, nous ne nous l'attribuons pas, et cela se fait en poursuivant son chemin sans regarder derrière soy, ou même en se tournant ou en s'arrestant, comme pour le laisser passer, et montrer par là que l'on croit qu'il a affaire autre part.
Que si on ne peut éviter que la civilité ne se manifeste, et que cette personne sorte de sa chambre, il faut s'arrester tout court, se tirer à costé, et ne point sortir de cette place qu'après qu'elle sera rentrée dans sa chambre.
De même, si par rencontre cette personne avoit à aller quelque part et que nous nous trouvassions devant, il faut se tirer à costé, s'arrester tout court, la saluer, et la laisser passer.
Et même, si c'estoit le Roy, la Reine, Monseigneur le Dauphin, Monseigneur le Duc d'Orléans, et autres Enfans de France qui dûssent passer, il faut s'arrester d'aussi loin que l'on entend le bruit, pour les laisser passer, soit que l'on fust à pied ou à cheval, en chaise ou en carrosse.
Que si la personne qualifiée nous menoit à une fenestre, ou que même il y eust quelque spectacle à voir de là, il ne faut point prendre place, ni s'approcher de cette fenestre, qui nous seroit commune avec elle, pour regarder. Il ne faut pas non plus cracher par la fenestre, ni en cette rencontre-là, ni en aucune autre.
Que si la personne qualifiée nous reconduisoit jusqu'à la porte de la ruë, il ne faut point monter, ni à cheval, ni en chaise, ni en carrosse en sa présence, mais la prier de rentrer dans sa maison avant que d'y monter. Que si elle s'obstinoit, il faut s'en [Pg 189] aller à pied et laisser suivre le carrosse, etc., jusqu'à ce que cette personne ne paroisse plus.
Que si en présence de cette personne qualifiée, il en arrivoit une autre qui fust notre supérieure, mais inférieure à l'autre, il ne faut pas quitter la personne qualifiée à qui nous faisons la cour, pour aller au nouveau venu, mais il faut faire simplement quelque signe de civilité muette. Que si ce dernier estoit supérieur à la personne à qui nous rendons visite, alors il faut que comme celle-cy se rangera vray-semblablement à son devoir, nous nous y rangions de même, et que nous quittions le premier pour honorer le dernier.
Que si avec cela la personne qualifiée parloit à une autre, il ne faut pas se servir de ce temps-là pour faire conversation à part avec quelqu'un qui seroit près de nous: cette familiarité est mal-séante. Outre que si on parle bas, cela est suspect et défendu, et si on parle haut, ce bruit l'interrompt et l'importune.
Que si on est obligé d'accompagner cette personne supérieure dans sa maison, ou même en la nôtre, il faut, s'il y a lieu de cela, passer devant, pour ouvrir les portes et pour relever les tapisseries s'il y en a à relever. Même si c'est un homme qui ait de mauvaises jambes et qui marche avec peine, il est de la civilité de luy donner la main pour l'aider à marcher.
Pour marcher avec un Grand et pour le salut.—Que si nous sommes obligez d'aller dans les ruës à costé de personnes qualifiées, il faut leur laisser le haut du pavé, et observer de ne pas se tenir directement [Pg 190] coste à coste, mais un peu sur le derrière, si ce n'est quand elles nous parlent et qu'il faut répondre, et alors il faut avoir la teste nuë.
Sur quoy il est bon d'avertir ceux qui ont droit de souffrir qu'on leur cède toujours le haut du pavé[291], d'avoir un peu de considération pour ceux qui leur rendent cet honneur, et de se dispenser le plus qu'ils peuvent de passer et de repasser le ruisseau, pour ne pas les incommoder en les obligeant de faire une espèce de manége autour d'eux pour leur laisser le lieu d'honneur.
Que si quand nous sommes dans la ruë avec une personne qualifiée, il passoit ou s'il se rencontroit quelqu'un de connoissance, ou un laquais de quelque amy, il faut bien se garder de les appeler tout haut: Holà, hé? Comment se porte ton maistre? Mes baise-mains à Madame, etc. Il n'y a rien de si mal poli, aussi-bien que de quitter la compagnie de cette personne pour aller à eux. Mais si on a affaire à ces personnes-là, et que l'on ne soit pas engagé à l'entretien de la personne qualifiée, on peut faire signe secrètement, et leur dire à l'écart et promptement ce qu'on a à leur dire, ou les saluer de loin simplement, sans que la personne qualifiée l'apperçoive trop.
De même, c'est une grande incivilité, rencontrant dans les ruës une personne avec qui on n'est pas familier, de luy demander où elle va ou d'où elle vient.
Que si on se promène avec cette personne supérieure dans une chambre ou dans une allée, il faut observer de se mettre toujours au-dessous. Dans une chambre, la place où est le lit marque le dessus, si la disposition de la chambre le permet, sinon il faut se régler sur la porte.
Que si c'est dans un jardin, il faut se mettre à main gauche de la personne, et avoir soin sans affectation de regagner cette place à tous les tournans.
Que si on est trois à se promener, le milieu est le lieu d'honneur et, partant, celuy de la personne qualifiée; la droite est le second, et la gauche est le troisième. De là vient que le haut bout dans un jardin, et ailleurs où l'usage n'a rien déterminé, est la droite de la personne qualifiée.
Que si, par exemple, deux grands Seigneurs faisoient mettre un inférieur au milieu d'eux pour pouvoir mieux écouter quelque récit qu'il auroit à leur faire, il faut à chaque retour d'allée que l'inférieur se tourne du costé du plus qualifié de ces Seigneurs. Que s'ils sont tous deux égaux, il faut qu'il se tourne à un bout d'allée du costé de l'un, et à l'autre bout du costé de l'autre; observant de quitter luy-même le milieu quand il aura achevé son récit.
Que si la personne qualifiée garde sa place, qui est le milieu, et que les deux autres personnes qui sont à ses costez soient d'une assez égale condition, il sera de son honnesteté de se tourner à chaque retour d'allée tantost vers l'un et tantost vers l'autre.
En général, quand on se promène deux à deux, il faut observer qu'au bout de chaque longueur de [Pg 192] promenade, on doit tourner en dedans du costé de la personne avec laquelle on se promène, et non en dehors, de peur de luy tourner le dos.
Que si on se promène trois ensemble, et que l'on soit égaux, on peut se quitter le milieu alternativement à chaque retour d'allée, celuy qui estoit au milieu se reculant à costé pour laisser entrer au milieu un de ceux qui estoient à costé.
Que si la personne qualifiée s'asseoit pour se reposer, il ne faudroit point s'asseoir près d'elle qu'elle ne nous y conviast, et en ce cas-là on doit prendre le bas bout, c'est-à-dire sa gauche, en laissant un espace raisonnable entre deux. Mais si nous nous trouvions avec d'autres gens, ce seroit une grande incivilité de se promener en la présence et à la veuë de la personne qualifiée pour laquelle on doit avoir du respect; comme aussi de se tenir assis devant elle si elle se promenoit.
De même, c'est une grande incivilité, quand on est dans le jardin d'une personne que l'on doit respecter, d'y cueillir ou des fruits, ou des fleurs, ou autre chose. Si on en présente, on peut les accepter, sinon il ne faut toucher à rien que des yeux.
Que si on rencontre dans les ruës teste à teste une personne de qualité, il faut prendre le bas où est le ruisseau. S'il n'y a point de haut ni de bas dans un chemin, il faut se poster en sorte que nous passions sous sa main gauche pour luy laisser la main droite libre. Et cela se doit aussi observer dans la rencontre des carrosses.
Que s'il s'agit de la saluer comme venant de la campagne, il faut le faire en se courbant humblement, [Pg 193] ostant son gand et portant la main jusqu'à terre. Mais sur tout il faut faire ce salut sans précipitation ni embarras, ne se relevant que doucement, de peur que la personne que l'on saluë venant aussi à s'incliner, et peut-estre par honnesteté à embrasser celuy qui la saluë, on ne luy donne quelque coup de teste.
Que si c'est une Dame de haute qualité, il faut par respect ne la pas baiser, si elle-même par honnesteté ne tend la jouë, et alors même il faut seulement faire semblant de la baiser, et approcher le visage de ses coëffes. Et de quelque façon qu'on la saluë, soit qu'on la baise ou non, il faut que toutes les révérences se fassent avec de très-profondes inclinations de corps.
Que si, en la compagnie de cette Dame, il s'en rencontre quelques autres qui soient d'égale condition ou indépendantes d'elle, alors il les faut saluer de même. Que si elles luy sont inférieures ou dépendantes, c'est une incivilité de les saluer, parce que c'est faire quelque injure à leur supérieure que de les traiter de leur égale.
Extrait de La civilité puérile et honneste, dressée par un missionnaire[292].
[1749]
La manière de saluer en se rencontrant.—Si [Pg 194] dans le chemin vous rencontrez une personne qui vous semble de mérite, ou par son âge ou par sa qualité, vous la saluerez honnestement, sans beaucoup vous retourner vers elle, si ce n'est que vous la connoissiez particulièrement.
Il ne faut pas qu'un jeune enfant fasse de difficulté de saluer les personnes qu'il rencontre, particulièrement si ces rencontres ne sont pas fréquentes, parce qu'il y a de l'honneur à honorer les autres.
La coutume de Paris est de ne saluer que ceux que l'on connoist, à cause du luxe et de la braverie[293] qui règne dans cette ville, où la qualité des personnes est méconnoissable. Il ne faut pas néanmoins refuser ce devoir aux ecclésiastiques et aux religieux.
Si une personne vous salue et vous arreste dans le chemin, il faut lui rendre au moins autant qu'il vous donne, pourveu qu'il ne vous soit pas tout à fait inférieur. Il ne faut pas dire à toutes personnes: Comment vous portez-vous? mais seulement à ceux qui vous sont à peu près semblables, et que vous connoissez particulièrement.
Dans la rencontre d'une personne d'honneur ou qui vous est semblable, donnez-lui le haut bout, et vous retirez tant soit peu au milieu de la rue pour lui faire honneur[294].
Il est de mauvaise grâce de dire à une personne Couvrez-vous, monsieur, si ce n'est qu'il soit inférieur. A vos semblables, vous pouvez dire Couvrons-nous.
Si vous avez besoin de vous couvrir en présence d'une personne à qui vous voulez faire de la civilité, vous pouvez lui dire: Monsieur, j'attends votre ordre pour me couvrir.
Si on vous dit de vous couvrir, il le faut faire incontinent, sans attendre qu'on vous l'ait dit trois fois; et si la personne qui vous parle est aussi découverte, ne vous couvrez pas le premier, mais faites-le ensemble.
Du port ou du maintien extérieur.—Il ne faut point baisser le dos comme si vous aviez un gros fardeau sur les épaules; mais tenez-vous toujours droit, et accoutumez-vous à cette posture.
Ne mettez pas votre chapeau sur l'oreille, ni trop sur le devant de la teste comme si vous vouliez cacher votre visage; voyez comme font les honnestes gens.
Portez votre manteau sur les deux épaules, et non pas retroussé sous le bras; il est encore plus ridicule de le porter sur le coude.
Ne mettez pas les bras aux costés, comme ces femmes qui sont en colère et qui disent des injures à leurs voisines.
Il est incivil de branler les jambes quand on est assis, comme font les petits enfans qui ne peuvent s'en empescher.
Il ne faut pas aussi mettre une jambe sur l'autre: cela n'appartient qu'aux grands Seigneurs et aux Maistres; mais tenez-les fermes et arrestées, les pieds également joints et non croisés l'un sur l'autre.
La manière de donner ou de recevoir quelque [Pg 196] chose.—Si vous présentez quelque chose à quelqu'un, il faut baiser la chose si cela se peut; et la lui ayant présentée, il faut faire la révérence.
Si on vous présente quelque chose, telle qu'elle puisse estre, il faut baiser la main avant que de la recevoir, et puis baiser la chose que vous avez reçue. Il ne faut pas néanmoins mettre la main ou la chose si près de la bouche: il suffit de faire semblant de la baiser.
Quand vous présentez quelque chose à quelqu'un, il la faut tellement tenir qu'il la puisse prendre facilement par où elle doit estre prise. Ainsi, lorsque vous présentez un couteau ou une cuillière, il faut tourner le manche vers celui qui doit la recevoir.
C'est contre la bienséance de faire des éloges du présent que vous faites, comme si vous vouliez que l'on eût plus de reconnoissance. Que si d'autres le louoient, il faut répondre que vous souhaiteriez qu'il fust plus beau et plus digne du mérite de celui à qui vous le présentez.
Il est de la civilité, au contraire, de témoigner de l'estime du présent que l'on vous fait, et de ne le point cacher incontinent.
C'est une très-grande faute d'y trouver à redire, particulièrement devant celui qui vous l'a fait, parce qu'il ne faut jamais faire honte à personne.
La manière de se moucher, cracher et éternuer sans manquer à la civilité.—Bien que toutes les actions soient naturelles et quelquefois nécessaires, il y a néanmoins la manière de les faire pour ne point pécher contre les règles de la civilité.
Quand vous avez besoin de cracher, tournez-vous [Pg 197] tant soit peu le visage à costé, en sorte que vous n'incommodiez personne. Mettez incontinent le pied dessus, avant qu'il puisse estre apperçu, si le phlegme est considérable.
Il est de mauvaise grâce de cracher par la fenestre dans la rue, ou sur le feu, et en tout autre lieu où on ne pourroit marcher sur le crachat.
Ne crachez point si loin qu'il faille aller chercher le crachat pour mettre le pied dessus, et encore moins ne crachez point vis-à-vis de personne.
Gardez-vous bien de vous moucher avec les doigts ou sur la manche, comme les enfans; mais servez-vous de votre mouchoir, et ne regardez pas dedans après vous estre mouché.
Il ne faut pas aussi faire un grand bruit en se mouchant, comme pour sonner de la trompette. Mais on doit se comporter tellement qu'à peine ceux qui sont présens puissent s'en appercevoir.
Si vous vous sentez disposé à éternuer, tournez-vous tant soit peu de costé, couvrez votre visage avec le mouchoir, et remerciez la compagnie qui vous aura salué, en lui faisant la révérence.
Il faut s'abstenir de bâiller en compagnie autant que l'on peut, parce que c'est une marque d'une personne ennuyée. Que si néanmoins on y étoit contraint, il faudroit s'abstenir de parler pour lors, mettre le mouchoir ou la main devant la bouche, après avoir tourné la teste.
Comme l'enfant doit se comporter auprès du feu.—Apprenez à vous comporter auprès du feu comme en toute autre rencontre, et que l'honnesteté veut que l'on cède toujours la place la plus honorable et [Pg 198] la plus commode aux personnes de plus grand mérite.
La place d'honneur est celle du milieu, quoique à présent, dans les familles, celle du coin qui regarde la porte soit celle d'ordinaire que le maistre choisit pour voir ceux qui entrent et qui sortent; mais ce doit estre une place de son choix, non pas qu'elle puisse estre honnestement présentée à un honneste homme.
Ne vous approchez pas si près du feu, crainte de vous brûler les jambes; et encore moins ne mettez pas les mains dans la flamme.
Toucher au feu sans cesse, pour approcher les tisons les uns des autres ou pour changer la disposition du feu, c'est la marque d'un esprit turbulent et qui ne peut se tenir en repos.
En présence d'honneste compagnie, vous ne devez pas tourner le dos au feu; et si quelqu'un se donnoit cette liberté à cause de sa prééminence, il ne faudroit pas l'imiter en cela.
La charité, aussi bien que la civilité, veut que l'on fasse place à ceux qui viennent de nouveau, et que l'on s'incommode un peu en faveur de ceux qui ont plus besoin de se chauffer.
Si quelqu'un jette quelque chose dans le feu, comme lettres, papiers, ou autres choses semblables, il est de très-mauvaise grâce de les retirer pour quelque raison que ce puisse estre.
Extrait des Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne.
Par de la Salle[295].
[Édition de 1782]
De la tête.—Gratter sa tête lorsqu'on est en compagnie, cela est d'une très-grande indécence, et indigne d'une personne bien née. C'est aussi l'effet d'une grande négligence et malpropreté, car cela vient ordinairement de ce qu'on n'a pas assez de soin de se bien peigner et de se tenir la tête nette. C'est à quoi doit prendre garde une personne qui n'a point de perruque de ne laisser ni ordure, ni crasse sur sa tête, car il n'y a que des personnes mal élevées qui tombent dans cette négligence.
La modestie et l'honnêteté demandent qu'on ne laisse pas amasser beaucoup d'ordure dans ses oreilles; ainsi il faut de temps en temps les nettoyer avec un instrument fait exprès, qu'on nomme pour ce sujet cure-oreille. Il est d'usage à présent que les oreilles ne soient pas entièrement couvertes de cheveux; c'est pourquoi il faut avoir grand soin de les tenir fort nettes.
Il n'y a qu'une nécessité indispensable qui puisse obliger un homme à pendre des anneaux à ses oreilles. C'est une marque d'esclavage qui l'avilit, [Pg 200] et qui ne peut convenir qu'aux femmes qui, selon la loi de Dieu, doivent être assujetties à leurs maris, et à qui la vanité fait croire que c'est un ornement d'avoir des pendants d'oreilles.
Le plus bel ornement des oreilles d'un chrétien est qu'elles soient bien disposées et toujours prêtes à écouter avec attention et à recevoir avec soumission les instructions qui regardent la religion...
Quoiqu'il ne faille pas facilement mettre de la poudre sur ses cheveux, et que cela ressent un homme efféminé, on doit cependant prendre garde de ne les pas avoir gras. C'est pourquoi, lorsqu'ils le deviennent, on peut les dégraisser avec du son, ou mettre de la poudre dans le peigne pour les rendre secs et leur ôter leur humidité, qui pourroit gâter le linge et les habits.
On ne doit jamais sortir du logis qu'après avoir peigné et arrangé proprement ses cheveux. On y peut mettre de la pommade et de la poudre en très-petite quantité.
Il est de la modestie et de l'honnêteté de ne pas toucher ses cheveux sans nécessité. C'est pourquoi il n'y faut mettre que très-peu de poudre, parce que la trop grande quantité engendre de la vermine, qui engage quelquefois les jeunes gens à imiter certaines dames qui frappent la tête avec le doigt dans les endroits où cette vermine se fait sentir.
Il est de la propreté de se nettoyer tous les matins le visage avec un linge blanc pour le décrasser. Il est moins bien de le laver avec de l'eau, car cela rend le visage plus susceptible du froid en hiver et du hâle en été.
C'est une chose très-messéante de mettre des mouches sur son visage, et de le farder en y mettant du blanc ou du vermillon. Cette vanité prouve que ceux qui en usent ainsi n'ont pas de beauté naturelle.
Il n'est pas à propos de se couper les sourcils fort courts: ce seroit s'exposer à s'attirer quelque fluxion sur les yeux.
Un homme sage ne doit jamais lever la main pour donner sur la joue à quelqu'un. La bienséance et l'honnêteté ne le permettent pas, à l'égard même d'un domestique.
Il est de la bienséance de tenir le nez fort net; car il est l'honneur et la beauté du visage, et la partie de nous-même la plus apparente.
Il est vilain de se moucher avec la main nue en la passant dessous le nez, ou de se moucher sur sa manche ou sur ses habits.
C'est une pratique assez en usage de prendre du tabac en poudre. Il est cependant beaucoup mieux de ne le pas faire, particulièrement lorsqu'on est en compagnie, et il ne faut jamais le faire lorsqu'on est avec des personnes à qui on doit du respect. Mais il est très-indécent d'en mâcher, et de s'en mettre des feuilles dans le nez. Il ne l'est pas moins de le prendre en pipe, surtout en présence des femmes.
Si une personne de haute qualité prend du tabac devant ceux qui sont avec elle, et qu'elle leur en présente, le respect qu'ils lui doivent les empêche de le refuser, ou du moins faire semblant. Mais de toute autre personne on peut le refuser, en la remerciant honnêtement.
Lorsqu'on prend du tabac en compagnie, il faut que cela soit rare, et qu'on n'ait pas toujours une tabatière ou un mouchoir entre les mains et les doigts pleins de tabac. On doit aussi prendre garde qu'il n'en tombe pas sur le linge ni sur les habits, car il est malhonnête qu'on y en apperçoive; et afin que cela n'arrive pas, il en faut prendre peu à la fois.
Il faut bien prendre garde de ne pas se servir de ses ongles, de ses doigts ou d'un couteau pour nettoyer ses dents. Il est de la bienséance de le faire avec un instrument fait exprès, qu'on nomme cure-dent, ou avec un bout de plume taillée à propos pour le faire, ou avec un gros linge.
C'est une incivilité très-grande de se prendre une dent avec l'ongle du pouce pour exprimer un dédain ou un mépris de quelque personne ou de quelque chose; et il est encore plus mal de dire en le faisant: Je m'en soucie non plus que de cela.
Il n'est pas moins incivil de mettre la langue ou la lèvre d'en bas sur la lèvre d'en haut pour en tirer de l'eau qui seroit tombée du nez, et de la rapporter ensuite dans la bouche.
Du chapeau et de la manière de s'en servir.—Le chapeau sert à l'homme pour orner sa tête, aussi bien que pour la garantir de plusieurs incommodités. Le porter sur son oreille, ou sur le derrière de la tête, ou le mettre trop fort sur le devant, comme si on vouloit cacher son visage, sont toutes manières ridicules et indécentes.
Lorsqu'on salue quelqu'un, il faut prendre son chapeau avec la main droite et l'ôter entièrement [Pg 203] de dessus sa tête, et d'une manière qui soit honnête, en portant le bras jusqu'en bas et en tenant le chapeau par le bord, et le côté qui doit couvrir la tête tourné vers la cuisse, sans la toucher.
Si on ôte son chapeau dans les rues, ou en passant devant quelque personne pour la saluer, on doit le faire un peu avant que d'être auprès d'elle, et ne pas se recouvrir qu'on ne soit un peu éloigné de cette personne.
Et si on salue quelqu'un en l'abordant, il faut ôter son chapeau cinq ou six pas avant que d'en approcher.
Lorsqu'on entre dans une place où il y a une personne de qualité ou à qui on doit beaucoup de respect, il faut toujours ôter son chapeau avant que d'entrer dans cette place. Si ceux qui sont dans la place sont debout et découverts, on est obligé de se tenir dans la même posture. Après avoir ôté son chapeau avec bien de l'honnêteté, il faut tourner le dedans vers soi, et le mettre sur le bras gauche ou devant soi sur l'estomac du côté gauche.
Lorsqu'étant assis, on est obligé d'avoir le chapeau bas, il est de la bienséance de le tenir sur ses genoux, le dessus tourné vers soi.
C'est une grande incivilité, lorsqu'on parle à quelqu'un, de tourner son chapeau, de gratter dessus avec les doigts, de battre le tambour dessus, de toucher la laisse ou le cordon, de regarder dedans ou tout autour, de le mettre devant son visage ou sur sa bouche.
Les occasions dans lesquelles il faut se découvrir et ôter son chapeau, sont:
1o Lorsqu'on se trouve dans un lieu où il y a des personnes considérables;
2o Quand on salue quelqu'un;
3o Quand on donne ou qu'on reçoit quelque chose;
4o En se mettant à table;
5o Quand on entend prononcer le saint nom de Jésus et de Marie[296]; excepté lorsqu'on est à table, car il faut seulement baisser la tête;
6o Lorsqu'on est devant des personnes à qui on doit beaucoup de respect; comme lorsqu'on est avec des ecclésiastiques, des magistrats, et d'autres personnes considérables. A l'égard de ces personnes, on doit se découvrir d'abord, mais il n'est pas nécessaire de se tenir découvert, à moins que l'on ne leur soit beaucoup inférieur.
On doit aussi se découvrir devant toutes les personnes qui sont supérieures, et ne pas se recouvrir que par leur ordre. Et aussitôt qu'elles le disent, il faut se recouvrir sans différer, parce que c'est un ordre; mais, après s'être couvert, il ne faut plus se découvrir qu'en les quittant.
Il est contre la bienséance de se découvrir lorsqu'on est à table, à moins qu'il ne survienne quelque personne qui mérite beaucoup d'honneur.
S'il y a à table quelque personne de haute qualité qui soit sans chapeau pour sa commodité, il ne la faut pas imiter, cela serait trop familier, mais on doit toujours demeurer couvert.
Lorsque quelqu'un parle le chapeau bas, il faut toujours ordinairement le faire couvrir si on lui est supérieur; et on peut alors lui dire: Couvrez-vous, monsieur. Cette manière de parler n'est cependant permise qu'à l'égard des personnes qui sont beaucoup au-dessous de soi.
Faire couvrir quelqu'un qui est au-dessus de soi, c'est une grande incivilité. Cela se peut bien faire à l'égard des personnes avec qui on est familier et qui sont d'égale condition; mais il ne faut pas que ce soit par manière de commandement, ni qu'on se serve de paroles qui en expriment aucun. On doit le faire, ou seulement par signe et se couvrir en même temps, ou par quelque circonlocution, en disant par exemple: Vous pouvez, monsieur, être incommodé d'être découvert; ou en se servant de paroles familières, comme de celles-ci: Sans doute, monsieur, que vous restez découvert pour votre commodité.
De la manière dont on doit saluer les personnes qu'on visite ou qu'on rencontre.—La première chose qu'on doit faire en entrant dans la chambre d'une personne qu'on visite est de la saluer et de lui faire la révérence.
On peut saluer quelqu'un de trois manières différentes.
Il y a une manière de saluer qui est fort ordinaire, qui se fait:
Premièrement, en se découvrant de la main droite en portant le chapeau jusqu'en bas, étendant tout à fait le bras jusque sur la cuisse droite et laissant la main gauche dans sa liberté.
Secondement, en regardant doucement et honnêtement la personne qu'on salue.
Troisièmement, baissant la vue et inclinant le corps.
Quatrièmement, en tirant le pied. Si on veut avancer, il faut couler le pied droit en avant. Si on veut reculer, en tirant le pied gauche en arrière. Si l'on passe à côté, en glissant le pied en avant du côté de la personne qu'on veut saluer, et en se courbant et saluant la personne quelques pas avant que d'être vis-à-vis d'elle. Si on salue une compagnie tout entière, on doit couler le pied en avant pour saluer la personne la plus considérable, et tirer le pied gauche en arrière pour saluer de côté et d'autre toute la compagnie.
La seconde manière de saluer est de saluer dans la conversation, c'est ce qu'on nomme ordinairement une honnêteté. Cela se fait simplement en se découvrant, en se courbant tant soit peu, et en glissant le pied en avant d'une manière imperceptible.
La troisième manière de saluer, qui est extraordinaire, se fait quand quelqu'un vient du dehors, ou lorsqu'on prend congé de quelqu'un avant son départ pour un voyage. Cette manière de saluer se fait comme la première; mais il faut ôter son gant de là main droite, se courber humblement, et après avoir porté la main presque à terre, la rapporter ensuite doucement vers sa bouche, comme pour la baiser.
Une autre manière extraordinaire de saluer est d'embrasser la personne qu'on aborde. Ce qui se fait en portant la main droite dessus l'épaule et la [Pg 207] gauche dessous, et en se présentant l'un à l'autre la joue gauche, sans se la toucher ni la baiser.
Le baiser est encore une autre manière de saluer, qui ne se fait ordinairement que par des personnes qui ont quelque union entre elles et quelque amitié particulière.
Dans Paris, on ne salue ordinairement que les personnes qu'on connoît ou qui sont d'une qualité éminente et beaucoup élevée au-dessus du commun, comme sont les princes et les évêques.
Lorsque dans la rue on rencontre tête à tête quelque personne de qualité, il est à propos de se détourner un peu et de passer au-dessous d'elle, en se retirant du côté du ruisseau.
S'il n'y a point de haut ni de bas, mais un chemin uni, il faut passer à gauche de la personne qu'on rencontre et lui laisser la main droite libre. Et quand elle passe, il faut s'arrêter et la saluer avec respect, et même avec un profond respect si sa qualité le demande.
Lorsqu'étant en carrosse, on se rencontre en un lieu par où passe le Saint-Sacrement, on en doit descendre et se mettre à genoux. Si c'est une procession ou un enterrement, ou bien le Roi, la Reine, les Princes les plus proches du sang Royal, ou des personnes d'un caractère ou d'une dignité éminente, il est du devoir et du respect de faire arrêter le carrosse jusqu'à ce qu'elles soient passées, et avoir la tête nue.
Il n'est pas de la bienséance de monter en carrosse ou à cheval devant une personne pour qui on doit avoir quelque considération, à moins qu'elle [Pg 208] n'en fasse un commandement; et alors il faut éloigner un peu le carrosse ou le cheval, ou bien on peut faire avancer le carrosse ou le cheval jusqu'à ce qu'on ne la voie plus, et y monter ensuite.
Page 28, après: qu'elles effacent les vostres, la phrase suivante a été oubliée:
Rabelais[297] raconte comme chose fort ordinaire que Panurge cueillit un pou sur le sein de la belle lingère du Palais. Panurge l'y avait mis, c'est vrai; mais la belle lingère ne semble pas s'être étonnée le moins du monde de la découverte.
Page 82, ajouter le passage suivant, que j'emprunte à Saint-Simon. C'est de Louis XIV qu'il est ici question:
«Jamais homme si naturellement poli, ni d'une politesse si fort mesurée, si fort par degrés, ni qui distinguât mieux l'âge, le mérite, le rang, et dans ses réponses quand elles passoient le je verrai, et dans ses manières. Ces étages divers se marquoient exactement dans sa manière de saluer et de recevoir les révérences, lorsqu'on partoit ou qu'on arrivoit. Il étoit admirable à recevoir différemment [Pg 222] les saluts à la tête des lignes de l'armée ou aux revues. Mais surtout pour les femmes, rien n'étoit pareil. Jamais il n'a passé devant la moindre coiffe sans soulever son chapeau, je dis aux femmes de chambre, et qu'il connoissoit pour telles, comme cela arrivoit souvent à Marly. Aux dames, il ôtoit son chapeau tout à fait, mais de plus ou moins loin; aux gens titrés, à demi, et le tenoit en l'air on à son oreille quelques instants plus ou moins marqués. Aux seigneurs, mais qui l'étoient, il se contentoit de mettre la main au chapeau. Il l'ôtoit comme aux dames pour les princes du sang. S'il abordoit des dames, il ne se couvroit qu'après les avoir quittées. Tout cela n'étoit que dehors, car dans la maison il n'étoit jamais couvert. Ses révérences, plus ou moins marquées, mais toujours légères, avoient une grâce et une majesté incomparables, jusqu'à sa manière de se soulever à demi à son souper pour chaque dame assise[298] qui arrivoit, non pour aucune autre, ni pour les princes du sang; mais sur les fins cela le fatiguoit, quoiqu'il ne l'ait jamais cessé, et les dames assises évitoient d'entrer à son souper quand il étoit commencé.» Mémoires, édit. de 1881, t. XII, p. 75.
Ajouter, p. 60, après la citation de Guillaume Coquillart:
«Les rois de France portaient autrefois une longue chevelure, ce qui n'était permis qu'aux princes du sang. Tous les anciens portraits des rois [Pg 223] sont ainsi chevelus: il y a peu de temps que cette coutume a été abandonnée. Le Roi (Henri III), d'après les conseils de ses médecins, s'est fait raser tous les cheveux; il porte un béret semblable de forme au bonnet polonais, qu'il n'ôte jamais, ni en présence des ambassadeurs ni même à l'église. Il a une chevelure postiche très riche et très belle[299].» Voyage de Jérôme Lippomano, ambassadeur en France en 1577, dans les Relations des ambassadeurs vénitiens, t. II, p. 568.
PARIS. TYPOGRAPHIE E. PLON, NOURRIT ET Cie, RUE GARANCIÈRE, 8.
AVERTISSEMENT
Mon intention, en écrivant ces petits volumes, a été de pénétrer dans la vie privée de nos pères, de les montrer tels qu'ils étaient dans l'intimité, de mettre en lumière les petits côtés de leur existence, ceux qu'ont systématiquement négligés tous les historiens.
De là, la nécessité d'aborder parfois certains sujets scabreux, difficiles à traiter aujourd'hui. Il est clair, par exemple, que, recherchant les secrets de la toilette, je ne pouvais passer sous silence la coutume de l'épilation; que voulant reconstituer les règles du savoir-vivre, j'étais bien forcé de rappeler qu'au seizième siècle le meilleur monde autorisait sur beaucoup de points un laisser aller qui révolterait notre société actuelle[300].
Afin de concilier le respect des bienséances avec mes devoirs d'écrivain consciencieux, j'ai pris le parti de réserver pour un Appendice facile à détacher du volume, les renseignements qui s'adressent surtout aux érudits. On y trouvera aussi certaines pièces que notre pruderie moderne,—pruderie dans les mots, s'entend,—ne m'eût pas pardonné de produire au trop grand jour.
A tort ou à raison, nos pères n'y regardaient pas de si près. Ainsi, au seizième siècle, les vers de Pierre Broë étaient répandus dans toutes les écoles, et on les faisait apprendre par cœur aux enfants; ils n'ont même été composés que pour cela. Et qu'on ne suppose pas que ce soit là un fait isolé. En veut-on une preuve? Le vertueux Mathurin Cordier, le pédagogue le plus accompli du seizième siècle, celui qui avait pris pour devise: Pietas et boni mores cum litterarum elegantia, publia vers 1563 des entretiens destinés à former les mœurs des enfants, en même temps qu'à les familiariser avec la langue latine. Le livre eut un immense succès, les éditions s'en multiplièrent, et deux ou trois amis de la jeunesse se chargèrent de le traduire en français.
J'ai sous les yeux une de ces traductions, donnée en 1672 sous ce titre: Nouvelle traduction des colloques de Mathurin Cordier. Corrigée d'un grand nombre de fautes, et mise dans la pureté des deux langues, pour la plus grande facilité des enfans. J'en extrait trois passages, qui suffiront pour donner une idée de l'ensemble.
LE MAISTRE.—D'où venez-vous?
L'ENFANT.—Je viens d'en bas.
LE MAISTRE.—Quelle affaire aviez-vous en bas?
L'ENFANT.—J'estois allé pour pisser[301].
Livre I, colloque 23, page 33.
ROSSET.—Je vous diray encore un autre usage du papier, et très-fréquent au collége.
LE MOINE.—Quel?
ROSSET.—Je n'oserois pas le dire sans compliment[302].
LE MOINE.—Qu'est-il besoin de faire des compliments entre amis, car les paroles ne puent pas.
ROSSET.—Je le diray donc, puisque vous le voulez.
LE MOINE.—Dites librement.
ROSSET.—Pour torcher son derrière au privé[303].
Livre I, colloque 27, page 41.
LE MAISTRE.—A quelle heure vous êtes-vous éveillé ce matin?
L'ENFANT.—Avant le jour; je ne sçay à quelle heure.
LE MAISTRE.—Qui vous a éveillé?
L'ENFANT.—Le réveilleur de la semaine est venu avec sa lanterne, il a heurté fort à la porte de ma chambre...
LE MAISTRE.—Dites moy par ordre tout ce que vous avez fait depuis ce temps-là. Vous autres, enfans, écoutez avec soin des oreilles et de l'esprit, afin que vous appreniez à imiter vostre compagnon.
L'ENFANT.—Estant éveillé, je me suis levé du lit, j'ay mis ma camisole avec mon pourpoint... je me suis bien peigné, j'ay mis mon chapeau, j'ay mis ma robe; ensuite je suis sorty de ma chambre, j'ay descendu en bas, et j'ay pissé contre la muraille[304].
Livre II, colloque 54, page 210.
C'est ainsi qu'au seizième siècle, et même à la fin du dix-septième, on entendait l'éducation des enfants. Nous en sommes revenus, et un peu trop peut-être. A une si grande licence, innocente en somme, a succédé une pudeur exagérée qui explique l'oubli dans lequel ont été laissés les usages et la vie privée d'autrefois. L'histoire s'est faite trop chaste et trop fière pour s'occuper de pareils détails. Laissez-moi en citer un curieux exemple. Vers 1828, un homme de talent, M. F. Barrière, découvre [Pg 5] et publie les très intéressants Mémoires de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne. Il y rencontre cette phrase: «Sa Majesté, me voyant entrer si matin dans sa chambre, dont toutes les entrées m'étoient permises, même de sa garde-robe, où j'entrois à toute heure, sans avoir eu besoin de brevet d'affaires, même quand elle étoit sur sa chaise percée...» Ces derniers mots révoltent M. Barrière, qui les supprime. Il en éprouve pourtant quelque remords, et, dans une note perdue à la fin du volume, il avoue qu'il n'a pas reproduit cette ligue parce qu'elle «figurait assez mal dans une scène d'amour». Mais, barbare, notre littérature n'est que trop riche en scènes d'amour; ce qui importait, c'était de nous montrer dans quelle position, en dépit de l'étiquette, le grand roi consentait à recevoir ses secrétaires d'État. Saint-Simon, heureusement, a été moins réservé.
En voici assez, j'espère, pour excuser mon éditeur et moi. Les lecteurs sont donc prévenus que je ne reculerai devant aucune des exigences de mon sujet. C'est, d'ailleurs, une nécessité que je subirai, n'ayant aucune envie de courir au-devant des occasions, et, dans les moments difficiles, je m'effacerai autant que possible [Pg 6] pour laisser parler les documents contemporains. A cet égard, les Appendices me seront d'une grande utilité. J'aurai soin, cependant, de n'y insérer que des pièces historiques ayant directement trait à la question et susceptibles de l'éclaircir. Quant aux gens qui y chercheraient autre chose, je les avertis qu'ils chercheront en vain.
Extrait de la Civilité de Jean Sulpice[305],
imitée en français par Pierre Broë en 1552.
Nous avons vu plus haut[307] qu'Érasme prêchait une doctrine contraire à celle qui est si poétiquement exposée ici, et qu'en 1613 encore on enseignait aux enfants à NE PAS retenir la ventosité du ventre. Il faut dire, à la louange de nos mœurs, qu'au milieu du dix-septième siècle cette théorie n'était plus en faveur. Je n'en veux pour preuve que les vers suivants, attribués à Saint-Évremont, et que j'extrais d'un petit volume rare publié en 1661[308].
SUR UN PET QU'UN AMANT FIT EN PRÉSENCE DE SA MAISTRESSE.
Sur l'épilation.
Clément Marot raille ainsi les barbiers réduits au rôle d'épileurs:
Parmi les talents variés que prétend posséder le Varlet à tout faire de Christophe de Bordeaux[310], figure l'art de manier dextrement le rasoir:
La Chambrière à tout faire[311] est prête à rendre le même service aux dames plus réservées. Je suis, dit-elle,
L'auteur du Banquet des chambrières[312] nous introduit dans des étuves où viennent d'entrer trois jeunes servantes délurées, Perrette, Alizon et Ysabeau, conduites par une vieille commère, servante comme elles. Les quatre femmes ont apporté de quoi déjeuner, mais on les invite à se baigner auparavant:
Après le bain, la vieille se rendit dans un petit cabinet où
Elle fut remplacée par Perrette, puis par Alizon,
Mais Ysabeau avait peur, et refusait de se laisser raser. Elle finit cependant par céder:
Le poëte, qui n'a pas eu tort de garder l'anonyme, nous apprend ensuite que Babeau, ayant remis sa chemise, le repas commença:
Au chapitre des redevances curieuses, Sauval raconte que la comtesse d'Auge recevait chaque année de ses vassaux un rasoir[313], dont l'usage n'est d'ailleurs pas indiqué. Il est certain que, dans le peuple et la bourgeoisie, la mode de l'épilation disparut en même temps que l'habitude d'aller aux étuves. Un passage des Facétieuses paradoxes de Bruscambille[314], passage que je ne veux pas reproduire, montre bien qu'au seizième siècle la plupart des femmes y avaient renoncé. Mais parmi les recherches de la coquetterie à cette époque, il faut mentionner la coutume de s'épiler les sourcils, de manière à ne conserver au-dessus des yeux qu'une ligne à peine visible[315].
Dans le grand monde, l'épilation resta en honneur jusqu'à la fin du dix-huitième siècle. En 1766, quand le duc d'Orléans épousa madame de Montesson, l'époux reçut la chemise, le soir des noces, [Pg 12] avec le cérémonial usité à la cour. Le marquis de Valençay la présenta, et le prince, se dépouillant de celle qu'il portait, offrit à tous les assistants le spectacle d'une épilation complète, suivant les règles de la plus brillante galanterie du temps. «Les princes et les grands, ajoute Soulavie[316], ne consommaient des mariages ou ne recevaient les premières faveurs d'une maîtresse qu'après cette opération préalable.»
Voici le passage auquel je fais allusion, page 121:
«Le lendemain, j'entrai chez elle en même temps que sa femme de chambre; elle fit tirer les rideaux et se leva. Tandis que ma sœur préparait une chemise, madame, qui se trouvait debout vis à vis de moi, laissa subitement couler celle qu'elle avait sur le corps, et resta nue comme une statue de marbre. J'étais interdit et n'osais lever les yeux sur elle... Quand je fus seul avec ma sœur, je lui demandai si madame du Châtelet changeait ainsi de chemise devant tout le monde; elle me dit que non, mais que devant ses gens elle ne se gênait nullement, et elle m'avertit qu'une autre fois, quand pareille chose arriverait, je ne fisse pas semblant de m'en apercevoir.
«Cependant, quelques jours après, au moment où elle était, dans son bain, elle sonna. Je m'empressai [Pg 13] d'accourir dans sa chambre; ma sœur, occupée ailleurs, ne s'y trouvait point alors. Madame du Châtelet me dit de prendre une bouilloire qui était devant le feu, et de lui verser de l'eau dans son bain, parce qu'il se refroidissait. En m'approchant, je vis qu'elle était nue, et qu'on n'avait point mis d'essence dans le bain, car l'eau en était parfaitement claire et limpide. Madame écartait les jambes, afin que je versasse plus commodément et sans lui faire mal l'eau bouillante que j'apportais. En commençant cette besogne, ma vue tomba sur ce que je ne cherchais pas à voir. Honteux et détournant la tête autant qu'il m'était possible, ma main vacillait et versait l'eau au hasard: «Prenez donc garde, me dit-elle brusquement d'une voix forte, vous allez me brûler.» Force me fut d'avoir l'œil à mon ouvrage, et de l'y tenir, malgré moi, plus longtemps que je ne voulais.
«Cette aventure me parut encore plus singulière que le changement de chemise. Je n'étais pas encore familiarisé avec une telle aisance de la part des maîtresses que je servais... J'ai été à même de juger que les grandes dames ne regardaient leurs laquais que comme des automates. Je suis convaincu que madame du Châtelet dans son bain, en m'ordonnant de la servir, ne voyait pas même en cela une ombre d'indécence, et que mon individu n'était alors à ses yeux ni plus ni moins que la bouilloire que j'avais à la main[317].»
Soulavie[318], de son côté, raconte le fait suivant, bien invraisemblable de toute manière, et qui ne se concilie guère avec ce que madame Campan nous dit de la réserve que montra toujours sur ce point Marie-Antoinette: «Un ecclésiastique remarquable par son âge, ses vertus et sa réputation dans une des parties de l'art de guérir, appelé auprès de la Reine, la trouva nue, étendue dans un bain. Le vieillard recule, elle le rappelle, et il est obligé de lui répondre et de rester dans une situation où il pouvait admirer le plus beau corps qu'eût jamais produit la nature.»
J'ai parlé des colères de l'Église contre l'usage des faux cheveux et les autres artifices de la coquetterie féminine. Mais les théologiens s'exprimaient alors en tel style qu'il est difficile, même ici, de citer la plupart d'entre eux, et en particulier les sermons de Menot et de Maillard. J'emprunte l'extrait suivant à un moraliste plus réservé, le brave père Arnoux, chanoine de Riez:
«Les filles vaines, les femmes hautaines, les veuves mignardes, les damoiselles pompeuses et les dames superbes, pour punition de l'ornement débordé qu'elles font à leurs cheveux et déguisement de leurs sourcilleuses perruques, elles auront la [Pg 15] teste pelée, car là on ne verra plus ces belles perruques, ces cheveux blonds en forme de casamate sur la teste esparpillez et ondoyans sur ces fronts emperlez... Et pour punition du desbordement de vos superbes habits, en enfer vous serez toutes nuës à vostre grande honte et confusion, de quoy les diables feront de très grandes risées, vous reprochant haut et clair devant tous toutes vos lubricitez, crimes et paillardises, et tout ce que vous aurez fait de plus voluptueux et deshonneste, et découvrant ignominieusement à la veuë de tous tout ce qu'en vostre corps vous aurez de plus honteux, vous traînant toutes nuës par tout l'enfer, à la veuë d'un chacun.
«Ha femmes! ha filles! ha damoiselles! ha mes dames que ne pensez-vous à cela? Hélas, vous estes si vergongneuses et craignez tant la honte, que pour rien au monde vous ne voudriez permettre qu'un homme vous vist nuës une seule fois, et fut-il celuy que vous estimez qui vous ayme le plus; et cependant vous n'avisez pas que pour punition de vos vanitez et débordemens, mille et autres mille fois on vous traînera nuës par tout l'enfer, non devant un homme, mais devant cent mille qui à gorge déployée se mocqueront et riront de vous, voyant vos hontes et vergongnes. De quelle confusion serez-vous saisies quand vous vous verrez ainsi traînées toutes nuës, monstrant à découvert tout ce que vous aurez de plus honteux, et menées en tel équipage par tout l'enfer mille et mille fois le jour, avec le fanfare des trompettes que les diables sonneront avec grandes risées et mocqueries, [Pg 16] et criant: Voyez, voyez, voicy la paillarde, voicy la p....n, voicy telle dame de tel lieu, la nommant par son propre nom et surnom, laquelle tant et tant de fois a paillardé, disant le nombre, avec un tel, et tant avec un tel, et plusieurs fois avec beaucoup d'autres; voicy la paillarde, voicy la p....n, venez, venez la voir!
«Et alors, cent mille et autres cent mille, qui très bien te cognoistront, puis tous tes parens, ton père, ta mère, ton mary, et tous tes voisins passionnez d'une haine mortelle à l'encontre de toy, accourront te voir pour se rire et se mocquer de toy, disant l'un à l'autre, la voilà la p....n! la voilà! Puis, s'accordans avec les diables pour entièrement te confondre, tous ensemble crieront: Voicy la paillarde, voicy la p....n, qu'elle soit donc tourmentée; sus, sus les diables! sus démons, sus! sus furies infernales! jetez-vous sur cette p....n, et qu'on luy rende autant de tourmens et de supplices qu'elle a eu de plaisirs en sa vie!
«Femmes, ce n'est pas moy, mais c'est sainct Jean l'Évangéliste, qui dit en son Apocalypse cela estre très véritable[319].»
[1] Larivey, Les tromperies, scène 4.
[2] «Sanis autem, et maxime juvenibus, tardius concedatur.»
[3] Dom Calmet, Commentaire sur la règle de saint Benoît, t. I, p. 563.
[4] Dom Calmet, Commentaire sur la règle de saint Benoît, t. II, p. 260.
[5] Dom Calmet, Commentaire sur la règle de saint Benoît, t. II, p. 236.
[6] «Lotis manibus et facie, cum tria manutergia pendeant simul in claustro, non tergit ad aliud quam quod suis similibus est deputatum, quia unum est pueris, alterum cantoribus, tertium idiotis.» Antiquiores consuetudines Cluniacensis monasterii, lib. II, cap. X, p. 62.
[7] Commentaire, etc., t. II, p. 275 et 276.
[8] Claude de Vert, Explication des cérémonies de l'Église, t. II, p. 370.
[9] Voy. les Mémoires de la duchesse de Mazarin, dans les Œuvres de Saint-Réal, t. III, p. 578.
[10] Tome I, p. 487.
[11] Voy. J.-B. Alegiani, Abrégé de la vie de B. Labre, p. 48.— Marconi, Vie de B. Labre, p. 127.
[12] Jaillot, Recherches sur Paris, quartier de la Cité, p. 26.
[13] Archives de Saint-Martin des Champs, citées par Jaillot, quartier Saint-Martin, p. 15.
[14] Jaillot, quartier Saint-Jacques-la-Boucherie, p. 65.
[15] Jaillot, quartier Saint-Denis, p. 37.
[16] Jaillot, quartier Sainte-Opportune, p. 10.
[17] Jaillot, quartier Saint-Benoît, p. 103.
[18] Jaillot, quartier Saint-André, p. 46.
[19] Jaillot, quartier Saint-André, p. 48.
[20] Jaillot, quartier Saint-Martin, p. 15.
[21] Lévitique, chap. XV.
[22] Censier, cité par Jaillot, quartier de la Cité, p. 155.
[23] Alors rue des Estuves.
[24] Alors rue de Vernueil.
[25] Alors rue Aussel d'Argenteuil.
[26] Jour.
[27] Sans différer.
[28] Voy. dans cette collection le volume intitulé: L'annonce et la réclame.
[29] Titre LXXIII.
[30] Article 1.
[31] Article 2.
[32] Article 4.
[33] Manuscrit du fonds de Saint-Germain, cité par V. Gay, Glossaire archéologique, p. 105.
[34] Serment.
[35] Article 4.
[36] Il se trouve seulement dans le manuscrit le moins ancien du Livre des métiers.
[37] Article 4.
[38] Article 6.
[39] Article 5.
[40] Les cent et sept cris, que l'on crie journellement à Paris, etc., 1545, in-12.
[41] Chroniques, liv. II, chap. CLXIII; édit. Buchon, t. II, p. 215.
[42] Voy. le Glossaire archéologique de Gay, p. 104.
[43] Douët-d'Arcq, Comptes de l'hôtel, p. 353 et 390.
[44] Douët-d'Arcq, Comptes de l'argenterie, p. 230 et 350.
[45] Inventaire publié par J. Labarte, p. 75, 184 et 199.
[46] Firent grande chère.
[47] Maîtresse du Roi.
[48] Chronique, édit. Michaud, 1re série, t. IV, p. 280 et 281.
[49] Voy. entre autres, dans les Cent nouvelles nouvelles, les contes I et III.
[50] Il ne faut pas oublier que la Cité finissait alors à peu près à l'endroit où s'élève aujourd'hui le grand escalier du Palais, sur la rue de Harlay.
[51] Antiquités de Paris, t. II, p. 273, 274 et 280.
[52] Édition de 1731, t. VI, p. 257.
[53] Voy. Tallemant des Réaux, Historiettes, t. I, p. 147.
[54] La ruelle mal assortie, dans le Nouveau recueil des pièces les plus agréables de ce temps, p. 114.
[55] La contenance de la table, in-8o goth. de 8 pages.
[56] «Si quid in solum dejectum est, emuncto duobus digitis naso, mox pede proterendum est.» De civilitate morum, p. 12.
[57] Historiettes, t. I, p. 493.
[58] Le voyageur à Paris, tableau pittoresque et moral de cette capitale, t. II, p. 95.
[59] «Subinde scabere caput apud alios parum decet.» P. 22.
[60] Page 44.
[61] Page 26.
[62] Journal de Jean Héroard, t. I, p. 386.—Sur ce sujet, voy. aussi Tallemant des Réaux, t. I, p. 37, et le Journal de la santé de Louis XIV, p. 329.
[63] Historiettes, t. I, p. 8.
[64] Aventures du baron de Fæneste, liv. IV, chap. VII.
[65] Sœur.
[66] Aurez.
[67] Mal couverte.
[68] Querelleuse.
[69] Tome I, p. 171.
[70] Le procès des femmes et des pulces. Paris, in-8o goth.
[71] Paris, 1539, in-32, p. 18.
[72] Voy. B. de Montfaucon, Monumens de la monarchie françoise, t. V, p. 314.
[73] Dans le Nouveau recueil des pièces les plus agréables de ce temps, p. 1 et suiv.
[74] Pages 15 à 17.
[75] Les actes officiels les nomment dans la suite Barbiers, Perruquiers, Baigneurs, Étuvistes.
[76] Bibliothèque nationale, manuscrits Delamarre, Arts et métiers, t. II, fo 112.
[77] J. B. de la Salle, Les règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, p. 11.
[78] Mémoires, édition Petitot, t. XXXVI, p. 354, et t. XXXIX, p. 384.
[79] Journal de la santé de Louis XIV, p. 320.
[80] Tallemant des Réaux, t. I, p. 112, et t. IX, p. 370.
[81] Pages 10 à 15.
[82] Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnestes gens, par Ant. de Courtin, 1675, in-12. Je cite la huitième édition, imprimée en 1695.
[83] Page 75.
[84] Page 263.
[85] Voy. aussi l'Histoire de la coiffure des dames en France, par G. d'Èze et A. Marcel, qui vient de paraître chez Ollendorff.
[86] Galonner la barbe ou les cheveux, c'était les diviser en plusieurs touffes autour desquelles on enroulait des fils d'or ou d'argent. Le sens actuel du mot galonner est venu de là. On nommait gallon l'instrument employé pour galonner la barbe ou la chevelure.
[87] Tallemant des Réaux, t. II, p. 246.
[88] Dans Éd. Fournier, Variétés historiques, t. X, p. 29.
[89] Tome VII, p. 164.
[90] Tome II, p. 23.
[91] Voy. Ménage, Dictionnaire étymologique, édit. de 1750, au mot Cadenette; et Tallemant des Réaux, t. Ier, p. 399.
[92] Page 17.
[93] Vers à la Fronde sur la mode des hommes.
[94] La pompe funèbre de Voiture, dans les Œuvres de Sarazin, édit. de 1696, p. 259.
[95] C'était là un usage déjà ancien, car on lit dans la Description de l'isle des Hermaphrodites: «Quand cela estoit parachevé, il en venoit un autre (un homme) ayant en la main un petit pinceau de fer, duquel il se servoit pour tirer l'abondance des poils des sourcils, et n'y laisser qu'un traict fort délié pour faire l'arcade.» Page 10.
[96] Dictionnaire de Trévoux, édit. de 1771.
[97] Diverses leçons [1625], liv. Ier, chap. XXI; t. II, p. 141 et 148.
[98] Voy. Les hommes illustres de Perrault, édit. de 1696.
[99] Clément d'Alexandrie, Pædagogus, lib. III, cap. XI.
[100] Tertullien, De cultu feminarum, lib. II, cap. VII.—M. Quicherat, qui traduit inexactement ce passage, en tire la conclusion inexacte que l'exploitation des têtes vivantes n'était pas alors pratiquée. Voy. son Histoire du costume, p. 189.
[101] Édit. Lalanne, t. VIII, p. 35.
[102] Édit. Téchener, t. I, p. 148.
[103] Edit. elzévirienne, t. II, p. 292.—Voyez aussi la Description de l'isle des Hermaphrodites, p. 114.
[104] L'auteur n'a pas osé dire: par courtisanerie.
[105] J. B. Thiers, Histoire des perruques, p. 28.
[106] Mœurs des François, p. 233.
[107] Lettres historiques, 13 août 1673, t. I, p. 396.
[108] Journal, 27 novembre 1687, t. II, p. 71.
[109] Tome II, p. 40.
[110] Comte d'Hésecques, Souvenirs d'un page, p. 152.
[111] Binet demeurait rue des Petits-Champs. Legrain, premier barbier de Monsieur, logeait au Palais-Royal.
[112] Trabouillet, État de la France pour 1712, t. Ier, p. 255, 258, 262 et 307.
[113] Journal de la santé de Louis XIV, p. 261, 304, 311, 331, 335 et 338.
[114] Encyclopédie méthodique, Arts et métiers, t. VI, p. 259.
[115] Nicolas de Blegny, Le livre commode pour 1692, t. II, p. 41.
[116] Voy. Savary, Dictionnaire du commerce, t. Ier, p. 746.
[117] Lettre d'un Sicilien, édit. V. Dufour, p. 42.
[118] Terminée par une longue boucle entre deux nœuds.
[119] Chiffres de renvois de la gravure ci-contre:
Fig. 1-2, intérieur et extérieur d'une perruque en bonnet.
— 3-4, intérieur et extérieur d'une perruque à bourse.—A, la bourse. BB, les jarretières.
— 5-6, intérieur et extérieur d'une perruque à nœuds.—AA, les nœuds. B, le boudin.
— 7, nœud de la même perruque.
— 8, boudin.
— 9, bourse à rosette.—BB, les cordons.
— 10-11, intérieur et extérieur d'une perruque naissante.
— 12-13, intérieur et extérieur d'une perruque d'abbé.—AA, la tonsure.
— 14-15, intérieur et extérieur d'une perruque à la brigadière.—AA, les boudins. B, la rosette.
— 16, boudins de la même perruque.
— 17, rosette.—AA, les cordons.
[120] Le mode françois, p. 418.
[121] Voy. Bonav. d'Argonne, Mélanges de littérature, t. III, p. 443.—Dictionnaire de Trévoux, t. II, p. 444.
[122] Chronique, liv. I, année 1417; édit. Douët-d'Arcq, t. III, p. 228.
[123] Édit. de 1881, tome II, p. 275.
[124] Repoussait.
[125] Journal sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII, t. I, p. 181.
[126] Journal sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII, t. I, p. 221.
[127] Voy. Th. Raynaud, De pileo, dans Grævius, Thesaurus antiquitatum, t. VI, p. 1230.
[128] Voy. Extrait inédit des mémoires du baron de Breteuil, dans Éd. Fournier, Variétés historiques, t. X, p. 107.
[129] Les bienséances de la conversation entre hommes, p. 10.
[130] Antoine de Courtin, édition de 1695, p. 126.
[131] Abbé de Bellegarde, Modèles de conversations pour les personnes polies (1723), p. 484.
[132] Mémoires, 28 août 1738; t. II, p. 201.
[133] J. B. de la Salle, Les règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, p. 54.
[134] Histoire amoureuse des Gaules, édit. elzévir, t. Ier, p. 47.
[135] Traité de la civilité, p. 19 et 21.
[136] La contre-mode, p. 78 et suiv.
[137] Traité de la civilité, p. 104.
[138] Antoine de Courtin, p. 14 et 104.
[139] Mémoires de Sully, édit. de l'abbé de l'Écluse, t. II, p. 603.
[140] Mémoires de Loménie de Brienne, t. II, p. 168.
[141] Voy. le Dictionnaire de Trévoux, t. VII, p. 517.
[142] Duc de Luynes, Mémoires, 27 décembre 1735; t. I, p. 55.
[143] Duc de Luynes, Mémoires, 18 octobre 1736; t. I, p. 112.
[144] Voy. une lettre de mad. de Sévigné du 26 mai 1683, t. VII, p. 238.
[145] Mad. de Genlis, Étiquette de la cour, t. I, p. 187.
[146] Le placet était un large tabouret. J. Nicot le définit ainsi: «Façon de petit siége sans dossier ni accoudoir.» (Thrésor de la langue françoise, édition de 1621, p. 483.) On trouve un de ces siéges représenté dans les Blasons domestiques de Gilles Corrozet, édit. de 1539. On enviait fort le droit au placet à l'époque où l'étiquette de la cour tenait assises par terre les plus grandes dames. Le placet est encore cité dans le Lutrin:
[147] Nouvelles tragi-comiques, édit. de 1727, t. II, p. 96.
[148] Acte II, sc. 1.
[149] Molière, l'Impromptu de Versailles, remercîment au Roi.
[150] Lettres, t. III, p. 219.
[151] Paris, 1639, in-12. Réimprimé en 1681.
[152] Paris, 1675, in-12, p. 352.
[153] Mémoires de Grammont, chap. III.
[154] Louis Guyon, Diverses leçons (1625), t. II, p. 138, liv. I, ch. XX.
[155] Voir le Journal d'Héroard, t. I, p. 49 et 380.
[156] A la tempe.
[157] Tallemant des Réaux, Historiettes, t. IV, p. 335.
[158] La contre-mode (1642), p. 373.
[159] Page 27.
[160] Suite des maximes morales et chrestiennes, p. 22.
[161] Recueil de pièces en prose les plus agréables de ce temps, p. 16.
[162] Mémoires de madame la duchesse de Mazarin, dans les Œuvres de Saint-Réal, t. III, p. 577.
[163] Voy. La faiseuse de mouches, dans le recueil cité ci-dessus.
[164] La mouche et la fourmi, liv. IV, fable 3.
[165] Livre commode, t. II, p. 76.
[166] Madame de Genlis, Mémoires, t. IX, p. 222.
[167] Madame de Genlis, Dictionnaire des étiquettes, t. I, p. 406.
[168] D'Aubigné, Tragiques, liv. II, édit. Réaume et de Caussade, t. IV, p. 94.
[169] Poudre parfumée.
[170] Description de l'isle des Hermaphrodites, édit. de 1724, p. 10.
[171] Journal du règne de Henri IV, 8 décembre 1593.
[172] André Boullanger, religieux Augustin.
[173] Tallemant des Réaux, t. IV, p. 333.
[174] Le satyrique de la court (1624), dans Éd. Fournier, Variétés historiques, t. III, p. 253.
[175] L. Guyon, Diverses leçons, t. II, p. 137.
[176] Madame de Genlis, Dictionnaire des étiquettes, t. II, p. 68.
[177] Vers à la Fronde sur la mode des hommes.
[178] Vengeance des femmes contre les hommes, satyre nouvelle contre les petits-maîtres, 1704, in-8o.
[179] Voir un arrêt du 4 juillet 1689, rendu contre Jean Fournereau et Jean Furon, marchands merciers, chez qui on avait saisi «un grand mortier et quatre tamis à battre et passer la poudre à poudrer les cheveux».—Un autre arrêt, daté du 9 juillet 1715, est plus explicite encore.
[180] Voir un arrêt du 18 mai 1726, qui confirme le droit accordé aux barbiers par leurs statuts de «faire fabriquer chez eux des poudres, savonnettes, opiats, essences, quintessences, pâtes, etc.», mais à la condition que tous ces produits seront «pour leur usage particulier et consommés dans leurs boutiques et maisons, sans qu'il leur soit permis d'en pouvoir vendre et débiter, ni même d'en faire étalage à leur boutique.»
[181] L'article 33 des statuts des amidonniers-cretonniers leur interdit de vendre l'amidon en poudre, leur défend même d'«avoir aucun outil ou ustensile propre à réduire l'amidon en poudre».
[182] Mercier, Tableau de Paris, ch. CVII, t. V, p. 131.
[183] Le mode françois, p. 419.
[184] Voir Mercier, Tableau de Paris, t. I, p. 100.—«Tel aristocrate dépensait en farine autant pour ses cheveux que pour son estomac.» Nouveau Paris, t. II, p. 156.
[185] État de la France en 1789, p. 510.
[186] Histoire du costume en France, p. 619.
[187] Statuts et règlemens pour la communauté des Barbiers-Perruquiers-Baigneurs-Étuvistes de la ville, fauxbourgs et banlieuë de Paris. In-4o. Souvent réimprimés.
[188] Article 1.
[189] Article 3.
[190] Article 9.
[191] Article 8.
[192] Voy. dans cette collection: L'annonce et la réclame.
[193] Bibliothèque nationale, manuscrits Delamarre, Arts et métiers, t. IV, p. 59.
[194] Article 44.
[195] Article 46.
[196] Article 14.
[197] Elles étaient autorisées à continuer le commerce de leur mari.
[198] Article 17.
[199] Article 48.
[200] Arrêt du 29 novembre.
[201] Arrêt du 16 septembre.—C'est encore le chiffre que fournit Savary en 1740. Voy. Dictionnaire du commerce, t. II, p. 424.
[202] Article 26.
[203] Article 28.
[204] Articles 29, 30, 39.
[205] Article 55.
[206] Article 47.
[207] Article 54.
[208] Article 42.
[209] Article 60.
[210] Article 58.
[211] Article 59.
[212] Voy. Forgeais, Numismatique des corporations, p. 93.
[213] Article 21.
[214] Aujourd'hui rue Nicolas-Flamel.
[215] Aujourd'hui rue Chapon.
[216] De Franqueville, Le miroir de l'art et de la nature, p. 197.
[217] Tome I, p. 183.
[218] Sauval, Antiquitez de Paris, t. II, p. 146 et 245.
[219] Mémoires sur la vie de madame de Sévigné, t. II, p. 39.
[220] «Je suis trop raisonnable pour trouver étrange que, la veille d'un départ, on couche chez des baigneurs.» Lettre de madame de Sévigné à Bussy, 26 juin 1655.
[221] Acte I, scène 5.
[222] Mémoires, édition de 1881, t. I, p. 499.
[223] La Vienne, devenu gentilhomme ordinaire de la maison du Roi, mourut en 1710, à l'âge de quatre-vingts ans. Il fut remplacé par son fils Champcenetz, qui avait depuis longtemps la survivance de cette charge. Voy. le Journal de Dangeau, 13 mars 1702, t. VIII, p. 351; et 12 août 1710, t. XIII, p. 225.
[224] État de la France pour 1672, t. I, p. 92.
[225] Le livre commode pour 1692, t. I, p. 182.
[226] Hurtaut et Magny, Dictionnaire historique de Paris, t. I, p. 513 et 517.
[227] Madame de Genlis, Mémoires, t. I, p. 256.
[228] Meurisse, L'art de saigner, p. 382.
[229] Comte de Reiset, Livre-Journal de madame Éloffe, t. I, p. 250.
[230] Madame Campan, Mémoires; éclaircissements historiques, t. II, p. 323.
[231] Madame Campan, Mémoires, ch. IV, t. I, p. 104.
[232] Voir une curieuse anecdote racontée par Longchamp et Wagnière, Mémoires sur Voltaire, t. II, p. 119 et suiv.
[233] Tome I, p. 128.
[234] Édit. elzévirienne, p. 196.
[235] Jèze, État ou tableau de la ville de Paris, p. 336.
[236] Paris, 1754, in-8o, p. 187.
[237] Thiéry, Guide des amateurs et des étrangers, t. II, p. 136.
[238] Voy. les Mémoires secrets dits de Bachaumont, 18 juin et 16 juillet 1785, et 10 septembre 1786; t. XXIX, p. 79 et 121; t. XXXIII, p. 19.
[239] Thiéry, Guide des amateurs et des étrangers, t. II, p. 133 et suiv.
[240] Voy. l'Encyclopédie méthodique, arts et métiers, t. VI, p. 311.—Voici l'explication des lettres de renvoi qui figurent sur la planche ci-contre:
FF | passages, |
GG | escaliers pour monter au premier, |
H | aisances, |
M | chambres de bains, |
N | chambres à lit, |
O | chaudière, |
R | fourneau, |
S | dessous du fourneau, |
T | baignoires, |
V | lits, |
XX | réservoirs, |
c | logement du concierge, |
dd | lingerie des hommes, |
gg | lingerie des femmes, |
hh | fond du bateau. |
[241] Thiéry, Guide des amateurs, etc., t. I, p. 286; t. II, p. 593 et 595.
[242] Historiettes, t. V, p. 412.
[243] Muze historique du 12 novembre 1658.
[244] Après sa mort, une comédie, intitulée Champagne le Coiffeur, fut représentée sur le théâtre du Marais. Elle a été publiée en 1663.
[245] Tome II, p. 117.
[246] Lettre du 4 avril 1671; t. II, p. 143.
[247] Tome II, p. 41.
[248] Voy. madame de Genlis, Mémoires, t. II, p. 224.
[249] Il finit aussi malheureusement que Champagne. Il mourut étouffé, en 1770, aux fêtes données à l'occasion du mariage du Dauphin. Voir les Mémoires secrets dits de Bachaumont, 4 juin 1770, t. XIX, p. 187.
[250] Il avait été cuisinier chez le marquis de Bellemare; c'est Legros lui-même qui nous l'apprend, et il ajoute: «J'ai fait un livre de cuisine qui n'est point imprimé, parce que je n'ai point encore eu le temps de le finir.»
[251] Pour les Coëffeurs de dames de Paris contre la communauté des maîtres Barbiers-Perruquiers-Baigneurs-Étuvistes.
[252] Mémoires secrets, t. IV, p. 184.
[253] Mémoires secrets dits de Bachaumont, 5 septembre 1777, t. X, p. 213.—La somme de six cents livres fut réduite à trois cents par arrêt du conseil du 9 avril 1778. Voy. Recueil de règlemens pour les corps et communautés d'arts et métiers, 1779, in-4o, p. 193 et 248.
[254] Paris, 1777, Supplément, p. 15.
[255] Voy. les gravures de modes conservées à la Bibliothèque de la Ville de Paris et à la Bibliothèque nationale; et, pour les années 1785 à 1788, le Magasin des modes.
[256] Modèles de conversations pour les personnes polies, p. 454.
[257] 26 avril 1774, t. VII, p. 165.
[258] Quatrième mémoire à consulter, p. 111.
[259] Voir la Correspondance secrète de Métra, 9 janvier 1775, t. I, p. 158.
[260] Les panaches ou les coëffures à la mode, comédie en un acte. Paris, 1778, in-8o.
[261] Mémoires, ch. IV, t. I, p. 96.
[262] Bachaumont, 6 novembre 1778, t. XII, p. 154.
[263] «Il est de la modestie et de l'honnêteté de ne pas toucher ses cheveux sans nécessité. C'est pourquoi il n'y faut mettre que très-peu de poudre, parce que la trop grande quantité engendre de la vermine, qui engage quelquefois les jeunes gens à imiter certaines dames qui frappent la tête avec le doigt dans les endroits où cette vermine se fait sentir.» J. B. de la Salle, Règles de la bienséance, p. 8.
[264] Mercier, Tableau de Paris, chap. CCCXXXIX, t. IV, p. 212.
[265] On appelait marron une grosse boucle de cheveux ordinairement nouée avec un cordon. Marronner, c'était friser à grosses boucles; le mot est dans Littré.
[266] Mémoires d'un voyageur qui se repose, t. III, p. 42.
[267] Mercier, Tableau de Paris, t. II, p. 192.
[268] Tableau de Paris, t. VI, p. 46.
La gravure de Cochin, que nous reproduisons ci-contre, prouve que toutes les boutiques de barbiers ne ressemblaient pas à celle décrite par Mercier. Voici l'explication des lettres de renvoi:
a, | garçon occupé à faire la barbe. |
b, | garçon occupé à accommoder une perruque. |
c, | une femme occupée à tresser. |
d, | deux ouvriers occupés à monter des perruques. |
e, | un ouvrier occupé à faire chauffer des fers à friser. |
f, | particulier qui ôte la poudre de dessus son visage. |
[269] 26 juin 1780, t. XV, p. 210.
[270] Mémoires, chap. IV, t. I, p. 100.
[271] Duc de Choiseul, Relation du départ de Louis XVI, p. 69 et suiv.
[272] Libellus de moribus in mensa servandis, Joanne Sulpitio Verulano authore. Cum familiarissima et rudi juventuti aptissima elucidatione gallicolatina Gulielmi Durandi. Comme tous les traités de civilité, celui-ci est d'une extrême rareté. L'édition dont je me suis servi est celle de 1577 (Paris, Buon, in-12).
[273] Coma.
[274] Scabies.
[275] La première édition de ce livre parut à Bâle en 1530, sous ce titre: De civilitate morum puerilium, per Des. Erasmum nunc primum et conditus et æditus.
[276] Declamation contenant la manière de bien instruire les enfans dès leur commencement. Avec un petit traicté de la civilité puérile. Le tout translaté nouvellement de latin en françois par Pierre Saliat. Paris, Simon de Colines, 1537, in-12.
[277] Le mot aucunement signifiait alors un peu, en quelque façon, etc. C'est la traduction littérale du latin aliquatenus.
[278] Catoblepæ, petits animaux originaires d'Éthiopie, et dont le regard tue; aussi ont-ils soin de tenir toujours la tête baissée. C'est Pline qui affirme tout cela (lib. VIII, cap. XXXII).
[279] Le derrière de la tête. Le texte porte sufficare occipitium.
[280] Motacillarum, des hochequeue.
[281] Lieux d'aisances.
[282] C'est la traduction brutale mais exacte du mot oletum.
[283] La civile honesteté pour les enfans, par C. Calviac. Paris, 1560, in-12.—Calviac ne cite pas le nom d'Érasme, et on l'a jusqu'ici regardé comme l'auteur de cette plaquette très-rare, dont un exemplaire a été vendu 505 francs à la vente Pichon. C'est la première Civilité qui ait été imprimée avec les caractères dits de civilité.
[284] La civilité morale des enfans, composée en latin par Érasme, traduicte en françois par Claude Hardy, parisien, eagé de neuf ans. Paris, Jean Sara, 1613, in-8o.—La dédicace au Roi se termine ainsi: «Depuis que j'ay eu le bon-heur d'avoir, par un heureux rencontre, parlé à vostre Majesté dedans vostre jardin des Thuilleries, par deux diverses fois, et après avoir remarqué tant de rares perfections que le ciel prodigue a thesaurisé en vostre personne, j'ay mille fois pensé combien est heureuse la condition de ceux qui sont proches de vous, et sont employez à vostre service, sans esperer jamais de ma bonne fortune autre chose, sinon que d'avoir l'heur d'estre recongneu de vous comme celuy qui desire estre toute sa vie, Sire, de vostre royale Majesté, tres-humble serviteur et subjet, Claude Hardy.»
[285] Voy. l'Heautontimorumenos.
[286] «Lotium remorari valetudini perniciosum, secreto reddere verecundum. Sunt qui præcipiant ut puer, cumpressis natibus, ventris flatum retineat. Atqui civile non est, dum urbanus videri studes, morbum accersere. Si licet secedere, solus id faciat; sin minus, juxta vetustissimum proverbium tussi crepitum dissimulet. Alioqui cur non eadem opera præcipiunt ne alvum dejiciant, quum remorari flatum periculosius sit quam alvum stringere?»
[287] Voy. l'Eunuque.
[288] Je ne donne aucun extrait de l'ouvrage suivant, qui n'est qu'une mauvaise imitation d'Érasme: La civilité honneste pour l'instruction des enfans. En laquelle est mis au commencement la manière d'apprendre à bien lire, prononcer et escrire. A Paris, par Pierre Ménier, portier de la porte Sainct Victor. 1625, in-12.
[289] Dès 1685, cet ouvrage avait eu huit éditions. Il n'en est pas moins rare.
[290] Les sonnettes mises en mouvement par des fils de fer ne remontent pas au delà du règne de Louis XV; mais on avait depuis longtemps dans les appartements des timbres et des sonnettes posées sur les tables.
[291] Le ruisseau étant au milieu de la rue, la politesse voulait que l'on abandonnât la partie de la chaussée qui bordait les maisons. C'est ce que l'on appelait céder le haut du pavé.
[292] Souvent réimprimée.
[293] Dépense en habits, penchant à se vêtir richement.
[294] Voy. ci-dessus, p. 190.
[295] Ouvrage qui a eu un nombre considérable d'éditions, et qui se réimprime encore aujourd'hui.
[296] Il ne faut pas oublier que l'auteur était «prêtre, docteur en théologie, et instituteur des Frères des écoles chrétiennes».
[297] Pantagruel, liv. II, chap. XVI.
[298] Ayant droit de s'asseoir.
[299] Il y a dans le texte: «Anzi porta una capigliata finta, per il più tutta ricca e bella.»
[300] Voyez ci-dessus, p. 26 et suivantes.
[301] Il y a dans le texte: Iveram redditum urinam.
[302] Non ausim dicere sine præfatione honoris.
[303] Usui est ad tergendum nates in latrina.
[304] Deinde egressus cubiculo, descendi infra, urinam in aera reddidi ad parietem.
[305] Voyez ci-dessus, p. 163.
[306] Quoi qu'en disent les stoïciens.
[307] Pages 28 et 179.
[308] Recueil de poësies de divers autheurs. In-18. Deuxième partie, p. 4.
[309] Édition de 1731, t. VI, p. 257.
[310] Anciennes poésies françoises (bibliothèque elzévirienne), t. I, p. 84.
[311] Anciennes poésies françoises, t. I, p. 103.
[312] Ibid., t. II, p. 284.
[313] Antiquitez de Paris, t. II, p. 465.
[314] Rouen, 1615, in-18, p. 24.
[315] Voy. A. d'Embry, Description de l'isle des hermaphrodites, p. 10, et Gabriel de Minut, De la beauté, p. 145.
[316] Mémoires du règne de Louis XVI, t. II, p. 99.
[317] Longchamp et Wagnière, Mémoires sur Voltaire, t. II, p. 119 et suiv.
[318] Mémoires du règne de Louis XVI, t. VI, p. 9.
[319] Les merveilles de l'autre monde, 1665, in-18, p. 65.
Page | |
I | 1 |
II | 44 |
III | 105 |
ÉCLAIRCISSEMENTS | 163 |
IEXTRAIT DE LA CIVILITÉ DE JEAN SULPICE | 163 |
II EXTRAIT DE LA CIVILITÉ D'ÉRASME | 165 |
III EXTRAIT DE LA CIVILITÉ D'ÉRASME | 169 |
IV EXTRAIT DE LA CIVILITÉ D'ÉRASME | 173 |
VEXTRAIT DU NOUVEAU TRAITÉ DE LA CIVILITÉ QUI SE PRATIQUE EN FRANCE PARMI LES HONNESTES GENS | 182 |
VI EXTRAIT DE LA CIVILITÉ PUÉRILE ET HONNESTE, DRESSÉ PAR UN MISSIONAIRE | 193 |
VII EXTRAIT DES RÈGLES DE LA BIENSÉANCE ET DE LA CIVILITÉ CHRÉTIENNE | 199 |
INDEX ALPHABÉTIQUE | 209 |
ADDITIONS | 209 |
APPENDICE | 1 |
IEXTRAIT DE LA CIVILITÉ DE JEAN SULPICE | 6 |
IISUR L'ÉPILATION | 9 |
III | 12 |
IV | 14 |
End of the Project Gutenberg EBook of La vie privée d'autrefois : Arts e métiers : modes, moeurs, usages d, by Alfred Franklin *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VIE PRIVÉE D'AUTREFOIS : *** ***** This file should be named 56072-h.htm or 56072-h.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/5/6/0/7/56072/ Produced by Isabelle Kozsuch, Christian Boissonnas and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. They may be modified and printed and given away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. 1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be used on or associated in any way with an electronic work by people who agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works even without complying with the full terms of this agreement. See paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is unprotected by copyright law in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. 1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country outside the United States. 1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: 1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed: This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. 1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not contain a notice indicating that it is posted with permission of the copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in the United States without paying any fees or charges. If you are redistributing or providing access to a work with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the permission of the copyright holder found at the beginning of this work. 1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm License terms from this work, or any files containing a part of this work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. 1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this electronic work, or any part of this electronic work, without prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with active links or immediate access to the full terms of the Project Gutenberg-tm License. 1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any word processing or hypertext form. However, if you provide access to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1. 1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided that * You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has agreed to donate royalties under this paragraph to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid within 60 days following each date on which you prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty payments should be clearly marked as such and sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." * You provide a full refund of any money paid by a user who notifies you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm License. You must require such a user to return or destroy all copies of the works possessed in a physical medium and discontinue all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm works. * You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the electronic work is discovered and reported to you within 90 days of receipt of the work. * You comply with all other terms of this agreement for free distribution of Project Gutenberg-tm works. 1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. 1.F. 1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread works not protected by U.S. copyright law in creating the Project Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGE. 1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a written explanation to the person you received the work from. If you received the work on a physical medium, you must return the medium with your written explanation. The person or entity that provided you with the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a refund. If you received the work electronically, the person or entity providing it to you may choose to give you a second opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy is also defective, you may demand a refund in writing without further opportunities to fix the problem. 1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. 1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any provision of this agreement shall not void the remaining provisions. 1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director [email protected] Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.