Recueil de pièces volantes rares et curieuses
en prose et en vers
Revues et annotées
PAR
M. ÉDOUARD FOURNIER
Tome VII
A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
M.DCCCLVII
À Paris, jouxte la coppie imprimée à Lyon, par Robert Marie, imprimeur et libraire. 1620.
Avec permission. In-8.
Cette année 1620, Saturne sera retrograde, Mercure inconstant, et un tas d'autres planettes n'yront selon la volonté de plusieurs: dont pour ces causes les cordiers iront à reculon; les aveugles ne verront que bien peu, ou rien; les sours oyront fort mal; les muets ne parleront guère; (p. 6) les riches se porteront un peu mieux que les pauvres, et les sains mieux que les malades; plusieurs moutons, beufs, pourceaux, oyseaux, poules et canarts mourront, et ne sera si cruelle mortalité entre les singes, renars et dromadères; vieillesse sera incurable cette année, à cause des années passées; ceux qui seront pluretiques auront grand mal au costé; ceux qui auront mal au ventre yront à la selle persée.
Les cathères descendront du cerveau ès membres inférieurs; le mal des yeux sera fort contraire à la veüe; lors reignera une maladie bien horible et redoutable, maligne, perverse et espouvantable, et malplaisante, laquelle rendra le monde bien estonné, et dont plusieurs ne sauront de quel bois faire flèche, et bien souvent composeront en ravaserie, sillogisant en la pierre phillosophale et ès aureilles de Midas. Je tremble de peur quand j'y pense, car je dy qu'elle sera epidimiale; et l'appelle Averrois faute d'argent[2].
L'avoine fera grand bien aux chevaux. Il ne sera guère plus de lard que de pourceaux.
Mercure nous menace de quelque peu de persil[3], mais ce nonobstant il sera à pris raisonnable. De bled, de vin, de fruitage et legumage, on en aura assés, si les souhaits des pauvres gens sont ouys. (p. 7) Il y aura force poissons en la mer, force estoiles au ciel, force sel en Broüage[4].
Sur l'esté sera à redoubter quelque règne des pusses. Italie, Cicile, Romanie, Naple, demeureront où ils estoient l'an passé; les marchans profiteront s'ils ne perdent. En Angleterre, Escosse, Hibernie, le vin leur sera autant sain que la bierre, pourveu qu'il soit bon et friant.
Au printemps vous verrez plus de fleurs qu'en toutes les trois autres saisons. En esté je ne sais quel vent courera, mais je sçais bien qu'il doit faire chaut et regner vent marin; toutefois, si autrement arrive, ne faudra se desesperer. Beau fera se tenir joyeux, et boire frais. En automne on vendengera, ou devant, ou après, ce m'est tout un pourveu qu'ayons bon vin en abondance. Il se faut garder en automne des arrestes de poissons, et aussi de poison; en hiver, selon mon petit entendement ne seront sages ceux qui venderont leurs fourrures pour acheter du bois. S'il pleut, ne vous en melancolizés: tant moins aurez-vous de poudre par les chemins. Sur tout tenés vous chaudement et redoutés les catherres; beuvés du meilleur, attendant que l'autre amendera. A cecy devés ajouster foy, car j'ay si bien par si devant consideré les planettes que j'ay apris de faire les plats nets, en mangeant tout, ne laissant rien. Escoutés donc ce qui sensuit:
C'este année y aura éclipse de bource, et si le vent ne soufle il y aura grande mortalité de poux à (p. 8) l'hospital; ceux qui yront souvent aux champs humeront plus de vent que d'huistres; les chapeaux monteront sur les testes; les pierres seront dures. Il y aura ceste année plus d'eau que de vin; n'y aura rien plus froid en hiver que la glace, en esté rien plus chaut que le feu.
Ceste année les uns tiendront longtemps scillence; il sera bon de faire plus provision d'argent que de foin; car, encore qu'il soit bien cheir, si est que toutes les bestes n'en mengeront point. Il y aura grande guerre entre les chiens et les lièvres, entre l'eau et le feu; ceux qui boiront devant la soif seront alterés.
Les vierges ne donneront leurs tetins aux enfans. Les fleurs precederont les fruicts aux arbres.
Les boureaux serviront de rubarbe aux larrons qui seront constipés du ventre. Il fera bien froid quand il gellera; plusieurs medecins seront dangereux ceste année, d'autant qu'il changeront R en D: au lieu de RECIPE mettront DECIPE. Les goutteux se porteront mieux des dents que des jambes; l'on ne prendra point les ecrevisses en l'air.
Ceste année l'apetit s'en ira en mangeant et la soif en beuvant. Il y aura ceste année plus de bestes que de picotins d'avoine. Il coutera la vie à ceux qui mourront ceste année. Vous serés contents (s'il vous plaist, Messieurs) de ceci; car, si je disois tout ceste année, ce seroit plus de la moitié.
Vous serez peut estre surprise de recevoir une lettre de la part d'une fille que vous ne visitez jamais et qui n'a l'honneur de vous connoistre que par reputation; mais, en verité, nous autres personnes du grand nom, et personnes extraordinaires, ne devons pas nous attacher (p. 10) aux maximes vulgaires, et ne sommes pas nez pour estre esclaves de ces petites formalitez que le commun observe. Aussi ay-je voulu m'en affranchir en cette rencontre; et, connoissant desjà votre belle humeur et votre bonté, j'ay cru que vous ne seriez pas faschée que la bonne faiseuse de mouches prist la liberté de vous écrire et de vous en envoyer de sa façon. J'appris mesme, il y a quelque temps, que quelques uns de vos galants de Toulouse en avoient donné à mademoiselle votre sœur sans vous en faire part, et je ne sceus pas plus tost cette nouvelle que je resolus de vous en envoyer de plus belles et de meilleures que les siennes, car nous en avons à tout prix et pour toute sorte de gens. J'en ay en mon particulier de toutes les façons,
Pour adoucir les yeux, pour parer le visage,
Pour mettre sur le front, pour placer sur le sein,
Et, pourveu qu'une adroite main
Les sçache bien mettre en usage,
On ne les met jamais en vain.
Si ma mouche est mise en prattique,
Tel galant qui vous fait la nique,
S'il n'est aujourd'huy pris, il le sera demain;
Qu'il soit indiférent ou qu'il fasse le vain,
A la fin la mouche le pique.
Au reste, Mademoiselle, ne vous imaginez pas que mes mouches ne soient differentes que par la taille ou par la figure; elles ont en particulier des qualitez qui les font distinguer les unes des autres; et je vous adverty que parmy celles-ci l'on y trouve de fines mouches, et que toutes ensemble ont l'inclination (p. 11) des abeilles, qui ne se posent d'ordinaire que sur des fleurs. Cependant, pour ne pas faire un grand discours sur un pied de mouche, et pour venir à ce qui est de plus important en cette matière, il faut que je vous apprenne qu'entre celles que je vous envoye, les longues se doivent mettre au bal[6] le plus souvent, parcequ'elles paroissent et se plaisent davantage au flambeau. Les plus grandes et les plus larges sont vraies mouches de cours, et pour les lieux d'où l'on les voit de loin, car elles portent 30 ou 40 pas, pour le moins, et vont attaquer un homme à la portée d'un pistolet. Nous en remarquons encore d'autres par dessus toutes, fort petites et coquettes à merveille, et celles-là sont vraies mouches de ruelle, qui ne tirent qu'à brusle pourpoint, et qu'on doit mestre en jeu quelque jour de collation ou de feste. Il ne dependra maintenant que de vous d'en tirer l'usage qu'il vous plaira; je veux pourtant vous apprendre à vous en servir avec succez quand il vous prendra fantaisie de saisir un (p. 12) cœur dans un moment, ou le prendre d'assaut, s'il faut ainsi dire.
Prenez une mouche de bal
Avec deux mouches de ruelle,
Renoncez un moment à vostre humeur cruelle;
Quand le galant viendra, radoucissez vos yeux;
Lors, d'un ton de voix gracieux
S'il dit qu'il meurt d'amour, et qu'il mourra fidèle,
Répondez en biaisant, flattez un peu son mal;
Que s'il parle encor de son feu,
Taschez de paroistre resveuse,
Et, pour deguiser vostre jeu,
Contrefaite la serieuse,
Dites: Les hommes sont trompeurs,
Ils sont fins et bien dangereux;
Ils feignent d'estre malheureux,
Pour tromper une malheureuse;
Mais une fille est sans excuse
Quand elle croit ces imposteurs!
Que si pour lors le galant jure
Qu'il n'est ny menteur ny parjure,
Qu'il ne feint pas les maux qu'Amour luy fait souffrir,
Sans vous faire tirer l'oreille,
Dites-lui, divine merveille,
Que le temps peut tout decouvrir.
Cependant, blamez l'inconstance,
Dites qu'un vray galant est un tresor de prix;
Au reste, donnez-luy quelque douce esperance,
Et tenez celui-là pour pris.
Cependant je viens de m'adviser, Mademoiselle, que je sème des vers, parcy, par-là, dans une lettre (p. 13) que j'avois resolu d'ecrire en prose; mais n'importe, puis que j'ai commencé, j'ai envie de ne pas me contraindre et de vous envoyer pour le moins autant de vers que de prose: car aussi bien, quand la fantaisie en prend, on ne sçauroit s'empescher d'en faire. Je vais donc vous conter une histoire en rimes; elle est de mon mestier, et vous apprendra d'où sont venuës les mouches et qui en inventa l'usage. Mais avant toutes choses je vous proteste que c'est un grand secret et un grand mystère, que je n'ai encore revélé à personne. Quand vous l'aurez sceu, je vous prie de n'en faire confidence à qui que ce soit qu'à Mademoiselle votre sœur.
Ecoutez, fille divine,
Je vous apprendray l'origine
De ces mouches que vous portez;
Que vous autres, rares beautez,
Mettez si souvent en usage
Pour embellir vostre visage.
Ce dieu redouté des humains,
Qui fait toujours mille desseins
Contre la liberté des hommes,
Mit en vogue, au siècle où nous sommes,
Toutes ces belles mouches-là,
Et voici comme tout alla:
Un jour, près de Venus, sa mère,
Et faute de meilleure affaire,
L'Amour, sans dire un pauvre mot,
Chassoit aux mouches comme un sot;
Si qu'enfin la belle déesse,
En se moquant de sa jeunesse,
(p. 14) Luy dit: «Arreste-toy, fripon,
Et fais quelque chose de bon!»
Mais certes elle eust beau luy dire,
Le badin ne fit qu'en rire,
Et toujours aux mouches chassa.
Venus le vit et s'en fascha,
Et, comme la chose la touche,
Ayant, comme on dit, pris la mouche,
Voulut luy donner sur les doigts,
Mais il esquiva, le matois!
Et, pour eviter la colère
De sa maman, sut si bien faire,
Qu'il lascha du creux de sa main
Une mouche dessus son sein.
Cette mouche à peine fut-elle
Sur le sein de cette immortelle,
Que l'on vit, dans le même instant,
Qu'il en parut plus eclatant,
Comme, quand un sombre nuage
Cache le ciel par son ombrage,
A l'entour de ce corps obscur
Le ciel prend un nouvel azur,
Et, rehaussé par son contraire,
Brille d'une façon plus claire.
Venus, dans ce ravissement,
Benit ce bienheureux moment,
Et fut tout-à-fait satisfaite,
Car elle n'a rien plus en teste
Et ne s'occupe tous les jours
Qu'à chercher de nouveaux atours.
Elle fit cent douces grimaces.
Mais Dieu sait! quand une des Graces,
(p. 15) Qui se trouva là par hazard,
Luy dit que jamais aucun fard
Ne sçauroit la rendre plus belle
Que cette invention nouvelle.
Pour lors, se tournant vers l'Amour:
«Je veux te payer ce bon tour,
Luy dit-elle, et, pour récompence,
Deux tourterelles d'importance
Seront aujourd'huy le prix
De cette mouche icy, mon fils.
—J'aurai donc deux tourterelles?
Dit l'Amour en battant des ailes;
Attendez, je veux faire mieux.»
Lors, de ses doigts industrieux
Découpant une étoffe noire,
Il fit, si l'on en croit l'histoire,
Mille mouches sans se lasser,
Puis aussy tost les vint placer,
Une près de l'œil de sa mère[7]
(La chose icy n'est pas bien claire
Si ce fut le gauche ou le droit);
Il en mit encor dans l'endroit
Où vola la première mouche,
Sur les temples[8], sur la bouche[9],
(p. 16) A costé du nez[10], sur le front[11],
Sur les joues[12], sur le menton.
Cependant la trouppe celeste,
Apercevant Venus si leste,
Mit des mouches pour l'imiter.
Junon, pour plaire à Jupiter,
En mit autant que Venus mesme.
Pallas eut un desir extresme
D'en mettre sur son front guerrier
Et d'abandonner le laurier.
Quand à Mars, pour plaire à Cyprine,
Il en orna sa bonne mine,
Et, depuis, en porta toujours
Une fort grande de velours[13].
Aussy tost, les beautez mortelles
En ayant appris des nouvelles,
(p. 17) Voulurent en mettre à leur tour
Sous le bon plaisir de l'Amour.
D'abord qu'elles furent connues,
Il sembloit qu'il en plût des nues;
La moindre bourgeoise en portoit,
Et la soubrette s'en paroit,
Comme eust pu faire une princesse,
Car c'estoit la belle ajustesse[14];
Enfin tout le monde en voulut,
Et tout le monde en eut[15].
M.DC.XXVII[16]. In-8.
En ce petit discours, tout mon but n'est point de traicter de matière qui puisse ennuyer le lecteur, ains tout au contraire, mon desir n'est que de reciter chose qui luy puisse apporter toute sorte de contentement, comme estant de soy le subject assez bastant de chasser toutes sortes de melancolies, et d'autre part capable de faire estime des femmes sages et prudentes et d'en faire chois parmy celles qui s'abandonnent aux vices, comme vous pourrez entendre de la caballe et ruze de trois notables bourgeoises de (p. 20) ceste ville de Paris, desquelles, pour le respect de leurs alliances et pour ne les point scandaliser, j'en tairay le nom, me contentant seulement de discourir de ce qui s'est nouvellement descouvert touchant leurs ruzes et subtilitez.
Il n'y a celuy qui ne sache que parmy le sexe feminin il se trouve des femmes lesquelles, souz l'apparence d'une simplicité dissimulée, font souvent glisser d'aussi bons tours que plusieurs autres; c'est donc sous cette fausse apparence que les trois bourgeoises dont je veux discourir ont peu jusques à present tromper tous ceux qui ont par cy devant jugé les tenir au rang de celles qui se gouvernent selon Dieu dans la prudence et la sagesse.
Il est donc question de ces trois bourgeoises. S'estant trouvées à ces Rois derniers en une certaine compagnie, dans laquelle se trouvèrent aussi des jeunes hommes, assez capables d'attirer les dames et de leur user de la courtoisie, de telle sorte (comme c'est la coustume) que, venant de propos à autre, ils entrèrent avec mes dames les bourgeoises si avant des termes et des advenemens de l'amour, que, par les charmes amoureux de ces jeunes champions de Venus, elles vinrent, après toutes les considerations qu'elles pouvoient concevoir dans leurs fantastiques esprits, à consentir aux intentions de ces nouveaux courtisans.
De telle sorte que, pour mettre en execution les desirs de leurs volontez, elles firent eslite d'un lieu propre pour le subject, qui fut designé et accordé de part et d'autre; et, pour parvenir à leurs desseins, mes dames les bourgeoises, d'un commun accord, (p. 21) estant d'une mesme partie, obtindrent de leurs maris permission, pendant ceste octave des Rois derniers, d'aller à des nopces près de Senlis[17], desquelles par supposition elles s'estoient faict prier; et, pour tant mieux jouer leurs rolles, sçachant bien que les uns et les autres ne pouvoient quitter la maison, supplièrent infiniment leurs maris de leur vouloir tenir compagnie, pour autant que c'estoient mariages de leurs plus proches parens.
Messieurs leurs maris, n'estant pas ignorans de l'alliance qu'ils pouvoient avoir ensemble, et d'autre part ne pouvant ny les uns ny les autres quitter leurs maisons, permettent à mes dames leurs femmes l'execution de leurs desirs, toutesfois ne se doutans de leurs finesses: car, autrement, je ne pense pas qu'ils eussent en façon quelconque permis à leurs très chères compagnes de leurs donner pour panache les caractes de Moyse.
Ceste permission obtenue, elles ne manquèrent d'en donner advis à leurs courtisans, lesquels à ce (p. 22) subject allèrent les premiers au logis designé afin de faire preparer et donner ordre à tout ce qui estoit necessaire pour joyeusement passer leur temps. D'autre costé, mes dames les bourgeoises, esveillées comme souris, ne furent paresseuses, pour tant mieux jouer leurs personnages, de faire retenir places aux coches de Senlis, et pour les asseurer feirent donner un escu-cars[18] pour advance; cependant elles se parent de leurs plus beaux habits nuptiaux et de tout ce qu'elles avoient de plus exquis.
Le temps venu que le coche de Senlis devoit partir, elles prindrent congé de leurs maris, pour aller monter au dit coche, auquel messieurs les bourgeois ne voulurent manquer de les y aller conduire, et aussi pour les recommander au cocher.
Estant mes dames les bourgeoises arrivées au Bourget, l'une d'icelles commença de faire semblant qu'elle se trouvoit fort mal, tant à cause de l'esbranlement du coche que d'autre part aussi qu'elle estoit grosse de trois mois, ce qui ne luy pouvoit permettre d'avantage le dict esbranlement sans courir du danger de son enfant; ce faisant, supplia le cocher et toute sa compagnie de ne perdre point de temps et qu'elle estoit resolue de ne passer outre, et que, quant à ces compagnes, qu'elles estoient libres de parachever leur voyage; ce qu'elles ne (p. 23) voulurent jamais accorder, disant qu'elles ne la laisseroient jamais en cest estat. Après donc avoir satisfait de ce qui restoit au coche, lequel passe outre, commencèrent de faire bonne vie; et, voyant que leurs courtisans, qui se devoient trouver en ce lieu bien montez à celle fin de les ramener en trousses au dict logis preparé, n'estoient encores arrivez, incontinent commencèrent d'envoyer un homme qui estoit dressé au badinage au devant, lequel n'eut pas fait une lieue et demye qu'il fit rencontre de ces petits mignons tous escretez comme une poire de chiot. Mes dames les bourgeoises, qui estoient continuellement au guet, n'eurent pas si tost descouvert leurs favoris, que ce fut à qui d'entr'eux yroit la plus viste pour donner le baiser à celuy qu'elle affectionnoit; semblablement ces jeunes godelureaux, voyant leurs maistresses approcher, incontinent voulurent commencer à contre-faire les escuyers et de forcer leurs chevaux de faire ce qu'ils n'avoient jamais apris, estant plus propres à tirer un tombereau de boue que de faire des passades. Après avoir mis pié à terre, et de part et d'autre s'estant donné les accolades, ils ne furent si tost arrivez au logis que voilà la table couverte de très bons morceaux que mes dames les bourgeoises avoient faict apprester. Pendant le disner, ce ne fust qu'à rire et folâtrer, discourant de la ruse et finesse de laquelle ils s'estoient servis pour obtenir congé de leurs maris, qui devoient bien avoir pour lors le tintouin aux oreilles[19].
(p. 24) L'heure s'approchant qu'il falloit partir de ce lieu pour venir coucher à Paris, pour autant qu'elles ne desiroient y arriver de jour, crainte d'estre descouvertes, après avoir satisfait au logis, montèrent à cheval, ayant chacune leur conducteur, et en ceste sorte arrivèrent sur les sept à huict heures du soir, au logis designé, où le soupper les attendoit. Estant donc en iceluy, la couratière[20], après leur avoir faict les caresses accoutumées, les conduict dans un petit corps de logis sur le derrière, à cette fin de mieux et plus facilement prendre leurs esbats sans estre inquietés de personne; incontinent on leur apporte le soupper sur la table, pendant lequel on leur prepare trois licts. Il ne faut pas demander si l'issue du soupper fut remplie de gaillardise, où le muscat et l'hypocras n'y fut point epargné, si bien qu'après avoir passé joyeusement une partie de la nuict, la couratière, qui estoit grandement enluminée, se voulant aller retirer dans son cartier, commença sa harangue sur les effets de l'amour, pendant laquelle elle eust assez bonne audience. Estant (p. 25) icelle finie, chacun de messieurs les godelureaux prindrent leurs maistresses et s'allèrent ainsi coucher; la couratière ne fust si tost partie, et eux asseurez dans la chambre, que on eût peu entendre comme les accorts de trois bateurs dans une grange: car je m'asseure qu'il y en avoit un pour chacune de mes dames les bourgeoises, je ne sçay si elles sçavoient la musique, mais elles tenoient grandement bien leur partie; de telle sorte qu'en cet exercice, ou bien à dormir, si bon leur sembloit, ils passèrent leur temps jusques au lendemain dix heures du matin. Ce que voyant madame la couratière, à qui la gueulle gagnoit de desjeuner, alla heurter à leur porte, leur portant à chascun de quoy prendre un bouillon, comme à des nouvelles mariées[21]; ce que voyant messieurs les muguets[22], qui estoient (p. 26) tous fatiguez des courses qu'ils avoient estez, pour montrer leurs courages, contraints de faire, ne sçavoient quelles contenances tenir, ayant les oreilles longues comme celles de Midas; et furent encores plus estonnez lorsque leur hostesse leur demanda à chacun quatre pistolles pour satisfaire tant au rôtisseur pâtissier que pour le muscat, l'yppocras et confitures, sans rien mettre en ligne de compte de ce qu'elle pretendoit avoir, tant pour ses sallaires que pour le bon traictement qu'elle leur avoit fait. Ce fut alors que ces muguets commencèrent à se regarder de plus beau les uns les autres, pendant que mesdames les bourgeoises estoient encore au lict, qui n'attendoient autre chose que le desjeuner fust prest pour sauter en place.
La matrone, voyant le refroidissement de ces personnages, ne les importuna point davantage à bailler de l'argent, sçachant bien que ces bonnes dames avoient de bonnes chaisnes d'or et brasselets qui estoient plus que suffisans de la satisfaire, et seulement se contenta pour lors de leur demander de quoy envoyer querir à déjeuner en attendant le dîner. Parmy eux il y en avoit deux qui estoient de bas aloy, ce qui contraignit les deux autres de jetter chacun une pistolle, lesquelles furent incontinent grippées par cette couratière d'amour, qui une heure après leur fit porter un assez leger dejeuner, si bien qu'ils demeurèrent sur leur appetit, esperant de mieux disner; mais ils furent bien frustrez de leurs esperances, car, voyant deux heures après midy sonner, et que le disné n'avoit point de jambes, furent contraints d'envoyer l'un d'iceux voir si (p. 27) leur disné n'estoit pas encore prest, lequel, ayant trouvé la venerable hostesse les reins devant le feu qui descousoit la doublure d'une bouteille de Muscat, lui commença à dire: «Madame, lorsqu'il vous plaira nous envoyer à dîner, la compagnie est preste et en bonne deliberation de le recevoir.» Ceste vieille sempiternelle, qui n'entendoit point raison, commença à le bien renvoyer chez ses premiers parens, luy chantant plein un tonneau d'injures, en luy disant: «Monsieur le muguet, comme vostre cheval rue! Où sont les pistolles que vous avez données pour vous faire apprester à disner? Allez à tous les diables! Venez-vous en ces lieux sans avoir de quoy satisfaire à vos plaisirs? Soyez diligent, et vostre compagnie aussi, à me trouver trente pistolles pour la depense que vous avez faite et les fraiz de ceans, car autrement vous ne sortiriez en l'estat que vous estes, et outre cela les coups de bastons ne vous seront espargnez.» Qui fut bien penost, ce fut mon pauvre monsieur le muguet, qui s'en retourna un doigt au cul et l'autre en l'oreille devers sa compagnie, dissimulant par devant mesdames les bourgeoises les rodomontades qui lui avoient esté faites par ceste matrone.
Pour consulter amplement de ce qu'ils avoient à faire pour leur retirer du naufrage où ils se voyoient, delibererent en particulier de montrer à mesdames les bourgeoises le meilleur visage qu'il leur seroit possible, à cette fin de ne leur faire concevoir aucune apprehension; et, pour ce faire, il fut arresté que les uns après les autres feroient semblant d'avoir quelques affaires de grande importance ausquelles (p. 28) ils estoient fort obligez de pourvoir, et que par ce moyen deux d'iceux sortiroient de ce tant venerable logis, et que le dernier, voyant que ses deux compagnons retardoient beaucoup à satisfaire à leur promesse (qui estoit de revenir trouver leurs compagnes), feroit en sorte de faire le fasché, et sortît semblablement du dit logis pour aller chercher les deux autres. Ce qu'ils firent si dextrement que mesdames les bourgeoises (tant elles estoient affolées) ne peurent en façon quelconque apercevoir la trousse[23] que leurs nouveaux courtisans avoient envie de leur jouer. D'autre part, la dame matrone ne se mit pas beaucoup en peine de s'opposer à leur sortie, estant très asseurée du depost qui luy demeuroit, estant mesdames les bourgeoises assez solvables pour contenter à tout ce qu'elle desiroit, ou bien que leurs chaisnes d'or et bracelets demeureroient pour les gages.
Voylà donc messieurs les muguets esvadez du labyrinthe où ils s'estoient enfermez, pendant que leurs nouvelles maistresses sont logées sur Nostre-Dame-d'Esperance de les revoir bientost, comme ils avoient promis, et que leurs genests[24] de charue mangent pour sivade[25] une brasse de muraille. Deux jours se passent que ces freluquets ne retournent (p. 29) point visiter leur proye, ce qui commença de faire entrer en quelque doute mes dames les bourgeoises; et, d'un autre costé, estoient grandement importunées de leur hostesse de bailler argent ou gages, à quoy elles reculoient le plus qui leur estoit possible, esperant d'heure à autre revoir leurs favoris qui les viendroient desgager de ce lieu (de quoy elles furent bien frustrées de leurs esperances). Ce que voyant, et ne pouvant aussi plus endurer le tintamare que leur faisoit ceste seconde Megère, furent contrainctes (pour obvier à plus grand scandale) de luy donner chacune quelque asseurance. La première luy donna un diamant de la valeur de cent livres et plus, la seconde un bracelet de perles de la valeur de cinquante escus, et la dernière luy donna la chaisne d'or de son manchon[26], de la valeur de trente escus, à la charge toutesfois qu'elle promettoit leur remettre entre les mains lorsqu'elle seroît satisfaite de ce qu'il luy convenoit payer raisonnablement, soit par messieurs les evadez ou par elles, ce qui leur fut accordé.
Madame la matrone, se voyant les mains garnies comme elle desiroit, commença de monstrer à mesdames les bourgeoises meilleur visage qu'auparavant, les invitant de faire grande chère et beau feu, et qu'elles n'avoient qu'à tinter et qu'incontinent elles seroient obeyes, et qu'il ne leur falloit point engendrer de melancolie pour l'absence de leurs (p. 30) nouveaux serviteurs, et que pour un perdu l'on en recouvroit deux. Elles, qui n'avoient d'autre pensée qu'à leur retour, ayant demeuré toutes trois sur leur appetit du fruict de nature, dissimuloient leurs tristesses le plus qu'elles pouvoient.
Nous lairrons pour un peu de temps mesdames les bourgeoises en leurs frivolles esperances, pour revenir à leurs maris.
Messieurs les bourgeois, qui sont assez bons compagnons, voyans que les feries de la nopce estoient plus longs qu'à l'ordinaire, et que leurs femmes ne venoient point, commencèrent de leur ennuyer. L'un d'iceux disoit: «Il m'a esté impossible de pouvoir reposer depuis l'absence de ma femme.» L'autre disoit: «La première nuit, je la passay de ceste sorte; mais depuis j'ay esté contraint, pour me reschauffer, de faire coucher ma servante avec moy, avec laquelle je me suis assez bien delecté, veu aussi l'aage de dix huit ans tout au plus.» Le dernier, qui n'avoit encore rien dit, commença à dire: «Jusques à present, j'ay passé le temps sans avoir contrevenu en aucune façon à la promesse que j'ay fait à ma femme; mais il m'est impossible de pouvoir plus dominer aux tentations de la chair (car je suis homme); c'est pourquoy, dès à present, je suis deliberé d'aller chercher quelque bonne aventure, et, si vous avez du courage, suyvez-moy; toutesfois, vous sçavez qu'il ne faut point aller aux mûres sans crochet ny aux lieux d'amour sans argent. Les deux autres bourgeois eurent les oreilles fortement ententives à la remonstrance de leur compagnon, si bien qu'après leur estre garny de nombre de pistoles, (p. 31) allèrent chercher leur contentement. Arrive que, le plus corrompu d'iceux ayant autrefois eu advis secret que l'on passoit fort bien le temps sans bruit ny scandale en un certain logis (où, pour lors, estoient leurs femmes, ne se doutans pas de les y trouver), deliberèrent d'y aller.
Arrivez qu'ils furent en ce notable logis (pour sa qualité), celuy qui sçavoit le mot demanda à parler à la dame, laquelle incontinent ne manqua de venir au devant de messieurs les bourgeois, leur faisant dix mille complimens. Celuy qui sçavoit le mot du guet s'advança, et, tirant à quartier la dame, luy dit en particulier le signal, lequel ne fust si tost donné, qu'elle redoubla de mieux ces bien venus, les faisant entrer dans une très belle salle, dans laquelle y a deux cabinets pour servir quelquefois aux occasions. Incontinent la collation est preste, où le meilleur vin qui se peust recouvrir n'y fust point espargné; icelle estant finie, le truchement[27] commença d'entretenir cette couratière sur la perfection de leurs entreprises, laquelle ne se jettoit pas loin à leur rendre toute sorte de courtoisie. La collation faite, messieurs les bourgeois, pour jouyr de leurs pretentions, resolurent d'y demeurer à souper, à la charge que leur hostesse leur fourniroit après iceluy de quoy passer joyeusement la nuict; ce qu'elle leur accorda moyennant deux conditions: la première, qu'ils n'auroient aucune congnoissance de vue de celles qu'elle leur desiroit donner, la crainte qu'elles ne voulussent accorder (les (p. 32) voyant) ce que vous desirez, et aussi que ce sont jeunes femmes de qualité qui ne le font point pour avarice; la seconde et dernière condition estoit qu'elle desiroit avoir de chacun une pistolle, et qu'outre cela ils satisferoient au reste des fraiz. La curiosité de jouyr de ces beaux subjects les fit consentir à tout ce que la couratière d'amour desiroit (bien qu'il leur fust assez fascheux de ne point voir ces nompareilles beautez). Ils jettèrent sur la table chacun leur pistolle, qui furent tost relevées par cette vieille, laquelle incontinent leur fait preparer trois licts en trois divers cabinets, où ils s'allèrent, après souper, rendre chacun au sien. Estant couché, la chandelle esteinte, la messagère d'amour leur amena à chacun l'une de ces bourgeoises, qui avoient estées prattiquées par la dame matrone, à quoy elles avoient consenty, ne pensant à rien moins à l'affaire qui s'ensuyvit.
Ne pensant pour lors messieurs les bourgeois à rien moins que ce fust leurs femmes, d'autant que la fortune pour elles fut qu'il arriva un eschange, et que l'un avoit la femme de son compagnon et aussi les autres, ce qui apporta de la diversité à leur ordinaire en cette sorte, la nuit se passe aux contentements des parties, sans que pour cette fois le pot aux roses fust descouvert.
Madame la matrone, suyvant la promesse qu'elle avoit fait aux bourgeoises de les aller querir devant le jour pour empescher aucune cognoissance, ne manqua dès les quatre heures du matin de les aller lever de sentinelle (ce qui fut contre la volonté des bourgeois) et les ramena en leur cartier sans autre (p. 33) forme de procez. Le reste de la matinée se passe jusques sur les neuf heures que les dits bourgeois, se voulans retourner en leur logis, contentèrent assez honnestement leur hostesse, et payèrent la marchandise qui de long temps leur appartenoit. Comme ils furent hors d'icelle maison, l'un d'eux commença de faire une pose, et dit: «Ma foy, Messieurs, nous sommes veritablement bien bados de nous estre ainsi fiez à cette harpie d'enfer. Où estoient pour lors nos sens? Si elle nous avoit produit de vieilles carcasses pour de jeunes amourettes! L'argent fait tout, dit le proverbe. J'ay encore dix-sept escus pour voir celle qui m'a tins compagnie cette nuict.—C'est une folie, disoit l'autre; si elle nous monstre de vieilles pièces, cela nous crèvera le cœur. Si est-ce pourtant que je ne suis point fils de revendeur, je ne travaille jamais sur vieux drapeaux; mais il seroit bien pire si elle nous envoyoit en Suerie gagner le royaume de Bavière[28].» Cela leur donna une telle apprehension, qu'ils resolurent qu'à quelque prix que ce fust, qu'il falloit avoir la cognoissance de ces remèdes d'amour. Incontinent le harangueur retourne avec les autres sur ses pas, qui trouvèrent cette vieille entre les deux chenets, enluminée comme un Bacus, non moins estonnée qu'un Cesar, qui leur dit: «Que demandez-vous, Messieurs? (Elle faisoit bien tost de l'incogneue.)—C'est, (p. 34) Madame, que nous avons encore chacun dix escus que nous ne desirons pas remporter, mais bien vous les donner, pourveu qu'il vous plaise nous faire voir ces belles dames qu'il vous a pleu nous donner cette nuict pour compagnes.» Elle, cupide d'argent plus que de tous les honneurs du monde, commence d'ouvrir les yeux comme un chat qui boit du vinaigre, leur dit: «Si je vous accorde ce que vous desirez, je fausseray ma foy, et par ce moyen je feray ce que je n'ay jamais fait; et si elles estoient par fortune de vostre cognoissance, qu'en diriez-vous, Messieurs?—Helas! Madame (dirent-ils), cela ne peut estre, car notre cognoissance est bien petite, et, d'autre part, nous sommes etrangers.»
Après le nouveau marché fait, la matrone les conduit dans la chambre des bourgeoises, lesquelles estoient encore toutes endormies du travail de la nuict. Incontinent ils eurent forme de cognoissance, non pas asseurés du premier coup (n'estimans leurs femmes estre telles); toutesfois, l'un d'iceux, qui ne se peut plus tenir, dit à l'un de ses camarades: «Voisin, tu cognois bien ma femme? Je te prie, regarde si ce n'est point celle-cy.» Il ne lui eust sceu respondre le ouy ou le non, voyant la sienne tout proche.
Le troisiesme, un peu plus rusé que les autres deux, ayant certaine cognoissance du jeu, desirant couvrir l'honneur de sa femme, dit (toutesfois bien fasché, comme de raison): «Il se fait tard, allons-nous-en voir si nos femmes ne sont point arrivées.» Celuy qui se voyoit asseuré du fait: «Comment, (p. 35) venues? Elles n'ont par ma foy garde, si ce n'est en dormant, ou bien que ce lict les retournast en carosse.—Et pourquoy? dirent les autres.—Pource que voilà vos deux femmes avec la mienne, et, par ce moyen, nous sommes frappez les uns et les autres d'un mesme coing.»
Leur parler, qui avoit esté jusques alors enroué comme basse-contre, commença, après la chose averée, à crier à qui plus plus pour esveiller leurs femmes, et de crier les uns d'un côté, les autres d'un autre. «Eh bien! disoient-ils, Mesdames, vous estes ici?—Et vous, messieurs les ruffiens, disoient-elles, qui vous y a amenez? N'est-ce pas ce que l'on nous a tousjours dit tant de fois, qu'incontinent que nous estions absentes, que vous veniez en ce bordel depenser tout nostre bien. O! c'est nous, c'est nous qui avons eu maintenant vostre argent!» Et de semer injures à milliers, tellement que mes pauvres bourgeois ne pensent respondre à leurs interrogants. L'autre Proserpine commençoit sa harangue, en sorte qu'ils n'eussent sceu respondre un seul mot, et firent tant qu'eux-mesmes se dirent pour lors avoir le tort, à cette fin de ne point apporter de scandalle en ce lieu, et se retirèrent de la façon, y laissant mesdames les bourgeoises.
Ces pauvres Jonas, estans ensemble, tindrent quelque propos de ce fait. L'un disoit: «Ce ne fut point ma femme qui coucha avec moy, car j'ay quelque peu estudié en la geometrie; je me connois en la longueur, largeur et grosseur.—Vrayment! dit l'autre, je ne vis jamais livre qui traittast de cette matière, et si je ne laisse pas de cognoistre que ce (p. 36) n'estoit pas la mienne et qu'il y avoit du changement à mon ordinaire.—Je ne sçay laquelle j'avois, dit l'autre, mais je n'eus jamais un tel contentement.—Morbleu! tu avois donc la mienne, dit l'un, car c'est la plus subtile qu'il y ait en France, et ne croy pas qu'il se trouve hacquenée qui trotte plus doux?»
Voilà à quoy, pour le present, je desire conclurre ce present discours, laissant pour la seconde partie ce que devinrent messieurs nos courtisans, et les estranges advantages qui leur arrivèrent au sujet des bourgeoises, et de la procedure qui a esté faite, tant de leurs chevaux que contre la matrone, ensemble aussi ce qui s'est passé (depuis le pot aux roses descouvert) entre les bourgeois et leurs femmes, ce qui (m'asseure) donnera autant et plus de contentement aux lecteurs que le contenu de cette première partie.
Omne regnum in se divisum desolabitur.
Quatrain.
Pouvres sots, pourquoy laissez-vous
Un prince quy par trop vous aime?
Responce.
Ne sçavez-vous pas que les fous
Ne se cognoissent pas eux-mesme?
MDCV. In-8.
Puisque vous le voulez, nous le saurons, Madame,
Quand je devrois chercher les papiers sibilins
Qu'un refus de Tarquin feit jeter dans la flamme,
(p. 38) Ou feuilleter dix ans le roolle des villains[30].
Je ne sçaurois trouver ceste charge onereuse:
Si c'est vostre plaisir, c'est mon contentement.
Aussy je l'entreprends, et la peine est heureuse,
Puisqu'elle a pour soutien vostre commandement.
Nous savons son pays, ses parens et sa race,
Non ce qu'ores ils sont, mais ce qu'ils ont esté,
Et si son entretien, ses pompes, son audace,
Sympathisent au moins avec sa qualité.
O Dieu! quy de là-hault contemplez tant de courses
Et donnez tout à coup arrest aux charlatans,
Ou vous, dieux des fripons et des coupeurs de bourses,
Donnez-moy promptement le secours que j'attends.
Apprenez-moy bientost, non pas vostre pratique,
Mais quels sont les parens de vostre favory,
Afin que, le chantant d'un esprit prophetique,
Je fasse voir à tous que vous l'avez chery.
(p. 39) A quy m'adresseray-je, ô dieux! je vous supplie?
Si je suis obligé, vous sçavez bien pourquoy.
Hé! quy voudra de vous ayder à mon envie
Et m'oster maintenant d'un si fascheux esmoy?
Echo.—Moi.
Quelle voix favorable offre à m'oster de peine
Et me rendre sçavant de cela que je veux?
Les deesses quy sont dedans ceste fontaine[31],
Ou bien les Innocens, favorisent mes vœux.
Echo.—Eux.
Peut bien estre vrayment que saint Innocent mesme,
Non tant comme patron que comme son voisin,
Me desire advenir (sçachant bien que je l'ayme)
Que pour estre des siens il est un peu trop fin.
Car la fille de l'air ne seroit pas logée
Parmy les Innocens du quartier Saint-Denys.
Il est vray que peut-estre elle s'y est rengée
Pour voir nostre badin, qu'elle prend pour Narcys.
Je me ry, belle Nymphe, et repare mon crime.
J'ay tort, je le sçay bien, j'ay prophané ton nom;
(p. 40) Mais je l'auray vrayment desormais en estime.
Regardes si tu veux que je m'en aille ou non.
Echo.—Non.
Elegie.
Bien donc, puisque tu veux oublier mon offence,
Je te veux contenter par mon obeissance,
Demeurant avec toy quelque espace de temps,
Car, si je ne te voy, pour le moins je t'entends.
Echo, je te promets de chanter ton miracle
Et de ne vanter plus du Pelien l'oracle,
Si j'ay ceste faveur d'estre rendu certain
De ce que je te veux demander ce matin.
Je m'y suis obligé, mon devoir m'y convie.
Si le devoir me presse, aussi faict mon envie.
Ne me refuse point, et je jure les yeux
Plus reverez par moy que le Styx par les dieux,
De prier que le ciel ta langueur adoucisse
Et blasmer avec toy la rigueur de Narcisse.
Je veux te figurer ce malotru badaut
De qui la voix s'elève et le courage fault,
Afin que, te monstrant seulement sa figure,
Tu donnes les couleurs propres à sa peinture,
Et que par ton moyen je monstre en peu de mots
Qu'Angoulevant n'est pas luy seul prince des sots;
Qu'il en est encore un dont la folle sagesse
(p. 41) Le doibt mettre en procez pour troubler Son Altesse.
Pauvre prince! faut-il qu'un nombre de menteurs,
Pour brouiller ton Estat, soyent tes competiteurs[32]!
Et voicy le grand sot qui s'en vient à ta porte[33]
Disputer à bon droit les armes que tu porte!
Je le voy, tout bouffy de colère, emporté,
Temeraire, attenter contre ta Majesté;
Je le voy, ce grand sot, je le voy qui s'apreste
D'avoir le chaperon que tu porte à la teste;
Et, pour te faire veoir que ce desir le poinct,
Il a de tes couleurs enrichy son pourpoinct.
Il est de toyle blanche et luy servant de voille
Pour cacher son desseing soubs l'ombre de la toile.
Il est vray que la soye ou le taffetas vert[34]
Quy paroît sur la toile a son désir ouvert,
Et monstre clairement qu'il se forme et se mire
A ce grand corps des sots que tout le monde admire;
Il en a les couleurs, il en a les façons,
Et peut dès à present en faire des leçons.
Ce pourpoinct qu'on luy voit à diverses taillades
Ne luy sert pas souvent en des jours de parades;
Un de taffetas gris, enrichy de ruban
(p. 42) Semblable à celuy-là de deffunt Martin Gan[35],
Luy donne, ce dit-il, la façon courtisanne,
Et, bien que sans habit il soit et sot et asne,
Son pourpoinct blanc et vert, aux oreilles de foux,
Fait voir appertement ce quy est le dessoubs.
Il commence dejà de trayner à sa queue
Les asnes et les sots qu'il rencontre à sa veue;
Il n'espargne non plus les grands que les petits.
Les brides et les trous qu'on voit à ses habits[36]
Sont pour les attacher, et je croy qu'il luy semble
Qu'il peut joindre les foux et les asnes ensemble
Soubs l'ombre que luy seul represente tous deux.
Mais, s'il pouvoit encore y assembler les gueux,
Les tirer de Paris, et avec asseurance
Les mener bien avant dans la nouvelle France[37],
(p. 43) Rechercher son Pactole, et là, nouveau Midas,
Flûter comme un bouvier à ceux du Canadas.
Il feroit beaucoup plus de te laisser, grand prince,
Paisible gouverneur des foux de ta province,
Non point chanter aux sots, afin de les renger,
Que ton predecesseur fust fils d'un boulanger,
Et, par droict successif, qu'il doibt estre en ta place,
Ou pour en estre extraict, ou pour ce qu'il te passe
En degrez de folie, et qu'encore il reçoit
L'honneur d'estre dict sot, quelle que part qu'il soit.
Je m'afflige de voir ta Majesté reduitte
Soubs le joug de celuy quy faict ceste poursuitte;
Je m'afflige de voir qu'un sujet de ta loy
Ne fasse point estat d'un prince tel que toy,
Foule aux pieds ta grandeur, et d'une gloire sotte
Te ravisse des mains ton sceptre et ta marotte,
Mesprise ton pouvoir et ne cherche jamais
Que de te contrefaire en tout ce que tu fais.
Je le vy l'autre jour, en la rue de la Harpe,
Quy, pour mieux t'imiter, se bravoit[38] d'une escharpe
Dont les bouts luy passoient par dessus le manteau,
Ainsy que les cordons d'un valet de bourreau
Qui, bien ayse d'aller commencer son espreuve,
Faict voir en les monstrant qu'il va faire chef-d'œuvre
Sur un tel que ce sot qui, prince pretendu,
(p. 44) Pourroit bien estre un jour par chef-d'œuvre pendu.
Ce n'est en cela seul qu'il ose, temeraire,
Offencer ton Altesse et la veut contrefaire;
Il est d'autres forfaicts encore convaincu:
Ce que tu porte au ventre, il l'a souvent au cu;
On te foite devant, et luy c'est par derrière;
Le barbier le va voir, tu vas voir la barbière,
Et, bien que vous soyez en vos maux approchans,
Les remèdes pourtant en sont bien differens.
Je les laisse à penser à tous ceux quy m'entendent,
Aux oreilles de quy ces miens carmes s'estendent,
Car cela sent le feu quy naguère allumé
Sembloit avoir desjà tout le mal consumé.
Mais passe pour ce coup, j'y reviendray peut-estre;
Laissons là mon envie, elle est encore à naistre.
Je m'esloigne un peu trop du desseing que j'ay pris;
Il faut que de respect je borne mes escripts.
Prince, regarde à toy: c'est une chose unique
De te voir gourmandé d'un courtaut de boutique.
Ferme-luy tes palais; commande à tes archers,
A tes gardes du corps, à les asnes legers,
Qu'ils luy courent dessus, et pour telle vergongne
Qu'on en fasse une enseigne[39] à l'hostel de Bourgongne.
J'apprendray cependant de la fille de l'air
Ce que j'en dois savoir avant de m'en aller.
Echo, je te reviens figurer la peinture
De ce prince asne-sot dont j'ay faict la posture,
Te le faire cognoistre, et par enseignemens
(p. 45) Le monstrer à sa trongne ou ses habillemens
Aussy naïvement que si Zeuze ou Paraze[40],
Appelle ou Protogène, avoit depeint un aze[41].
Il a, premièrement, les sourcils retirez,
Les yeux plus que les chats et les foux egarez,
Le front noirement jaune, où la crasse s'escaille
Comme le plastre neuf sur la vieille muraille,
Quand le masson n'a pas haché par quelque endroict
Ou qu'il n'a pas mouillé son mur comme il falloit;
Le rire aussy plaisant comme est une grimace
D'un petit marmiton que son maistre menace,
Le nez long et petit, par le bas racourcy
Comme celuy d'Aelle et de ses sœurs aussy,
Dont le goust en est doux et la senteur friande
Comme de ces trois Sœurs qui gastoient la viande[42]
Du malheureux Phinée avant que Calaïs
Et son frère germain s'en feussent esbahis.
Belle figure à voir, sa gorge est yvoirine
Comme un os que les chiens rongent à la cuisine;
Sa lèvre espoisse est jaune et son bec relevé
Comme sont les bourletz qu'on met sur le privé.
Aussy ne croy-je point qu'un retraict soit si salle,
Bien qu'il soit tout remply de matière fecalle,
Que peut estre sa bouche, où toujours il reçoit
Ce quy de plus vilain se prononce et se voit.
La face assez jaunastre, où, s'il a chaud, il colle
Une jaune sueur à la farine folle;
Ridé par tous endroicts comme les fruicts de Tours[43]
(p. 46) Qu'on faict pour conserver cuire dedans les fours,
Farineux et cendreux comme ces vieilles figues
Dont tous les Provençaulx se rendent si prodigues
Sur le port de Marseille, ou cent fois plus villain,
Flestry, crasseux, ridé, que n'est un parchemin
Qui depuis trois cents ans rode les auditoires
Des sedentaires cours et des ambulatoires;
Le menton comme un os quy sert aux cordonniers
Lorsqu'ils veulent polir et lisser les souliers,
Et, bref, ce quy le rend admirable au possible
Par dessus tous les sots, est sa barbe invisible.
Je t'ay dict, chère Echo, quels estoient ses habits:
Il porte assez souvent un bas d'estame gris,
Un manteau de vinaigre[44] où je pourrois m'estendre,
Si le manteau de cour ne me faisoit entendre
Et n'avoit clairement exprimé celuy-cy,
Quy couvre notre sot et le repare aussy.
Lorsqu'il a quelques fois son chapeau sur l'oreille,
Il s'escoute marcher et se mire à merveille;
Il retourne la teste, et de trois en trois pas,
Pour regarder ses pieds, porte les yeux en bas.
Quand il a bien marché d'un costé de la rue,
(p. 47) Il se tourne de l'autre afin qu'on le salue,
Regarde son chapeau, et de deux en deux tours
Le montre à ses amis du costé du velours,
Se panade à plaisir, et par ses esquipées
Crache à ses ennemys cent mille coups d'espées,
Faict tarir en leur source, au bruict de son tousser,
Les discours quy se vont en torrens amasser,
Fulmine de la langue et met tout en deroute
Lorsqu'il voit que personne à son gré ne l'escoute;
Mais il ne pense pas, le courtaut mal apris,
Si l'on parle de luy, que c'est avec mespris;
Que les petits enfans quy sont à la Licorne[45]
Luy font, pour s'en mocquer, à toute heure les cornes;
Qu'on le chifle partout, et que ses compagnons
Luy donnent en passant tous les jours des lardons;
Ou encor qu'il y songe il a si peu de rate,
Qu'il veult s'esterniser comme fit Erostrate.
Il est si peu rusé qu'au despens du renom
Il veut après sa mort faire vivre son nom.
Ce renom que je dy ne se prend pas au pire:
C'est l'honneur que j'entends, où tout le monde aspire.
Pauvre sot, où cours-tu? que te doivent les cieux,
Pour leur faire savoir le desdain de tes yeux?
(p. 48) Ils n'ont pas descouvert par quelle tromperie
Tu te faisois mignon dedans l'argenterie:
Chacun le sçavoit bien. Estois-tu si peu cault,
Toy quy te dis Cardan, de te monstrer lourdault
En tes inventions, et, jouant de la grippe,
Porter comme un badin des galoches de trippe?
Ne pensois-tu pas bien que tu serois cogneu
Et qu'on t'en chiffleroit comme il est advenu?
Qu'il les faudroit quitter à la porte du vice
Si tu voulois encor te remettre en service?
Et ne jugeois-tu pas qu'un jour on sauroit bien
Comme faict pour braver un homme quy n'a rien,
Et qu'on verroit encor sur tes pieds la poussière
Du règne de laquais que tu laisses derrière?
Ah! que tu fus deceu quand tes inventions
Elevèrent ton vol et tes devotions!
Et que tu fus trompé quand tu meis en pratique
Tes desseings mal tissus dedans une boutique!
Echo, n'est-il pas vray, je says bien qu'aujourd'huy
L'on doibt compter le bien dont il a trop jouy?
Echo.—Ouy.
Mauvais signe pourtant, dont on ne doibt attendre
Que ce quy le fera soubz son vice respandre.
E.—Pendre.
O grand Dieu! tu le juge, et d'où provient cecy?
Cela ne se doibt pas executer ainsy. E.—Si.
Comment! cela se doibt? ô pauvre miserable!
Où t'annoncera t'on ta peine espouvantable?
E.—En table.
En table! qu'est-ce à dire? Après ses passetemps,
On luy donneroit là de beaux allegemens!
E.—Je mens.
(p. 49) Tu mens, je le croy bien; mais dy moy, je te prye,
Comment il doibt mourir, pour passer mon envie.
E.—En vie.
Il doibt mourir en vie! Ah! je ne le croy pas,
Mais bien mourir vivant le jour de son trepas.
E.—Repas.
Le jour de son repas! Quoy! la mort le doibt suyvre
Quand, saoul de tant de vols, il sera las de vivre!
E.—Yvre.
Il doibt mourir yvre; encore est-ce un grand bien
De courir à sa mort et de n'en sentir rien.
E.—Rien.
Le vin luy fera donc ce sinistre message,
Et l'aisle de son vol luy fera ce passage.
E.—Pas sage.
«Ce n'est pas estre sage et vivre comme il faut
Que de n'avoir point d'aisle et vouloir voler hault.
Il se faut mesurer, et donner à sa voille,
Selon les propres vents, ce qu'il y faut de toille,
Non point s'elargir trop et recevoir le vent
Qui nous est plus nuisible et nous pert plus souvent.»
En quoy se reduiront, ce pendant que j'y songe,
Ses fausses verités qui couvrent son mensonge?
E.—En songe.
Mais, puisqu'il doit mourir, ce courtaut desloyal,
Au moins asseure moy quy doibt causer son mal.
E.—Son mal.
Son mal! il en a faict, mais il est plus coulpable
Pour estre marchant feint que larron veritable.
En quel lieu peut bien estre un de qui les discours
Plaisoient à ce badin quant il parloit atours?
E.—A Tours.
(p. 50) Comment! nostre courtaut n'a plus icy personne
Quy des fleurs de bien dire à toute heure luy donne!
Je m'en estonne bien, et voudrois toutefois
Lui pouvoir discourir de ce sot quelques fois,
Car j'apprendrois de luy des nouvelles certaines
Plus que des Innocens, d'Echo ny des fontaines.
Nymphe, je te rends grâce, attendant que le temps
Me face revenger de ce que tu m'apprens.
Si j'en veux savoir plus, il faudra que j'envoie
Mes desirs promptement se pourmener à Bloye.
Toute fois, j'en sçay trop, les dieux m'ont revelé
Ce quy m'avoit esté jusqu'icy recelé.
J'ay tacitement sceu quelle estoit sa patrie
Et veu dans un miroir sa genealogie,
Que je porte à madame, affin de m'acquitter
D'une telle promesse et de la contenter.
Stances.
Je reviens donc à vous, garny de pioleries[46],
Vous dire qu'en un coup l'air, la terre et les cieux,
M'ont conté du badaud toutes les tromperies
Quant je les ay priez seulement par vos yeux.
La terre me portoit, l'air prenoit ma parolle,
Et les cieux mes desirs, des dieux favorisez;
(p. 51) Au bruict de votre nom les postillons d'Eole
Furent (bien que mutins) à l'instant apaisez.
Si bien que j'escoutois d'Echo la resonnance
Et recevois des dieux les revelations:
Grand pouvoir de vos yeux, dont la seule ordonnance
Faict reserrer les vents dedans leurs regions.
Je suis donc faict savant au gré de vostre envie,
De mille plaisans traicts qu'a faict nostre courtaut,
Et l'Echo m'a conté qu'il y va de sa vie
Si, pour s'en exempter, il ne gaigne le haut.
Mais, pour ce que je voy la matière un peu grande
Et qu'il y faut donner du temps et du loisir,
Je vous veux supplier d'accorder ma demande
Et remettre à demain ce discours de plaisir.
Aussy bien je cognois que ce que j'en sçay touche
A ce pauvre chastré dont tout le monde rit:
C'est pourquoy j'ayme mieux vous le dire de bouche,
Pour le favoriser, que non pas par escrit.
(p. 52) Sonnet.
Allusion sur le nom du protecteur de l'Archi-Sot.
Hé bien! te voilà donc plongé dans une fange
Dont tu ne peux sortir si tu n'as mon secours!
Dis ce que tu voudras, il faudra que tu manges
Le remède appresté contre tes beaux discours.
Au mont où ton esprit peu capable se range,
Les ardants ou luisants n'ont quasi plus de cours;
Ou j'estime cela morsure de phalange[47],
Pour laquelle guarir ma voix est mon secours.
Beau fils, dont le visage est pareil au lard jaulne,
Ton pouvoir se mesure à la longueur d'une aulne,
Dont tu ne peux juger que la fin soit le bout.
Tu sais bien que je puis apaiser ton audace;
Si ma parolle a peu te bannir d'une place,
Gardes que mes escrits ne t'exhilent du tout.
Quel est donc ce cahos, et quelle extravagance
Agite maintenant tout l'esprit de la France?
Quel demon infernal, amy des changemens,
Fait tant de nouveautez dans tous nos reglements?
On fait, on redefait, on retablit, on casse;
Rien ne demeure fait, quelque chose qu'on fasse;
On retranche les saints[49], on les refeste après[50];
(p. 54) On plaide au Châtelet quand c'est feste au Palais.
On trouve à reformer même sur la Reforme.
L'ancien code à present est un code de forme;
On ne le connoit point, tant on le voit changé.
Encor si l'on vouloit reformer le clergé,
Si l'on vouloit oster la moitié de leurs dixmes,
La Reforme pourroit reformer bien des crimes.
Les trop grands revenus perdent beaucoup de gens,
Et les riches pasteurs sont toujours negligents.
Pourquoy ceux qui devroient imiter les Apôtres
Ont-ils seuls plus de bien qu'il n'en faut pour dix autres?
On devroit bien regler un tel dereglement
Et montrer aux pasteurs à vivre sobrement;
On ne voit que des gens de mitres et de crosses
Faire aujourd'huy rouler de superbes carosses,
Sans se ressouvenir qu'autrefois l'Eternel
Ne monta qu'un asnon dans un jour solennel.
On parle des impôts dont la France est remplie,
Tout le peuple en murmure et tout le monde en crie;
Qu'est-ce en comparaison de tant d'injustes droits
Qu'aujourd'huy les pasteurs levent en tous endroits?
Tout le monde en naissant doit à la sacristie;
Il faut payer l'entrée et payer la sortie;
Tous les pasteurs enfin, par un fatal accord,
Trouvent de quoy gagner en la vie et la mort[51].
(p. 55) Bonne condition, qui donne de quoy vivre
En lisant seulement quelques feuillets d'un livre;
Recitant tous les jours trois ou quatre oraisons,
Ils gagnent pour fournir aux frais de leurs maisons.
Que le breviaire est bon dans le temps où nous sommes!
Un pasteur est toujours le plus heureux des hommes.
Veut-on se marier, il faut jetter un ban;
On en achète deux, et le pasteur les vend;
Vous ne les auriez pas s'il manquoit une obole.
Comment nommer cela, si ce n'est monopole,
Qu'un sacré partisan a mis injustement
Aux yeux de tout Paris, sur le Saint-Sacrement?
Meurt-il quelque personne, autre supercherie.
Voulez-vous, dira-t-on, la grande sonnerie[52]?
(p. 56) Il faut tant, ou sinon l'on ne sonnera point.
Monopole jamais monta-t-il à ce point[53]?
Entre tous les impôts, quel autre impost approche
De celuy que l'on met sur le son d'une cloche?
On sonne donc enfin, et pour vos cinq escus
On vous donne du son. Sont-ce là des abus?
Un infâme crieur, de qui l'âme inhumaine
Ne voit aucun vivant qu'avec beaucoup de peine,
Ce funeste crieur qui ne vit que de morts[54],
Marchande insolemment pour enterrer des corps.
Choisissez-vous, dit-il, un endroit pour la fosse?
(p. 57) Plus il est près du chœur et plus la somme est grosse[55].
Il faut tant près des fonds, tant près du maître autel.
Entre tous les impots en voyez-vous un tel,
Et qui peut plus choquer les droits de la nature,
Que de vendre à des morts le droit de sépulture?
Je passe volontiers certains tours de baton
Dont un rusé pasteur attrape le teston[56].
Je suis fort catholique, et je n'ay pas envie
De censurer icy les censeurs de ma vie.
Je croy que ce qu'ils font a de bonnes raisons,
Et que tous leurs patrons font bien des guérisons;
Qu'on guerit de tous maux en leur offrant un cierge,
Qu'on en guerit plutost s'il est de cire vierge;
Que qui ne guerit pas n'a pas assez de foy,
Et je croy tout cela parceque je le croy.
Pour moy, je ne veux point penetrer ce mystere;
Mon pasteur me l'a dit, c'est à moy de le croire[57].
(p. 58) Je crois ce qu'il me dit; s'il fait mal, à son dam.
Mais je souffre à regret que l'on achète un ban,
Et que des ornemens qui servent à l'eglise
Soient de differens prix, comme une marchandise.
Si vous voulez les beaux à votre enterrement,
Il faut tant, vous dit-on, pour un tel parement,
Et, pour l'argenterie, un crieur vous demande
Si vous voulez avoir la petite ou la grande[58]:
Le prix est différent, ils vous cousteront tant;
Et si l'on ne fait rien si l'argent n'est comptant.
Jamais aucun credit ne se fait à l'eglise.
N'avez-vous point d'argent, la croix de bois est mise[59];
Enfin, lorsque l'on va porter les sacremens,
Si c'est chez un pauvre homme, on va sans ornemens;
On y va sans flambeau, sans daiz et sans clochette;
En un mot, on diroit qu'on le porte en cachette.
Taisons-nous, toutefois! il est fort dangereux
De parler des pasteurs, et de mal parler d'eux.
(p. 59) Telles gens ne sont pas des sujets de satyre.
Muse, va prendre ailleurs quelque sujet pour rire;
Va t'en au Châtelet voir ces deux conseillers:
Ils etoient l'an passé chez monsieur Desperiers,
Et, comme de seconde on monte en retorique,
Ils furent conseillers sortant de la Logique.
Une explication sur une simple loy
Les abêtit tout deux. Mais, ma muse, tais toy,
J'ay beaucoup de procès. Si tu dis quelque chose,
Tu me mets en danger de voir perdre ma cause;
Et cette liberté trop grande que tu prends
Me feroit pour le moins condamner aux depens;
Trop heureux seulement si ces jeunes novices
Se vouloient moderer en taxant leurs epices.
Je sçais qu'en fait de taxe ils valent bien les vieux,
Qu'ils le font aussi bien, pour ne pas dire mieux.
Mais brisons là dessus, ne faisons point querelle.
Les greffiers, aujourd'huy, font de plus grands abus,
Et ce sont ces gens là qui friponnent le plus.
Je voudrois bien pouvoir les passer sous silence;
Mais quoy! pour quatre mots que porte une sentence,
Pour dire: Un deffendeur payera cent escus,
Ils font en parchemin quatre roles, et plus;
Enfin, ils font si bien, que de quatre paroles
Que prononce le juge ils composent des roles.
Un petit parchemin, plus court de quatre doits
Qu'il ne leur est prescrit par l'ordre de leurs loix,
Une marge plus grande à chaque bout de lignes
Marque que ces gens là sont des fripons insignes;
Sans compter l'à tous ceux qui ces lettres verront,
Qu'ils etendront autant et plus qu'ils ne pourront,
Cent mots reiterez, cent autres synonimes,
(p. 60) Et, toutefois, Paris endure tous ces crimes;
Il aura reformé les pauvres Innocens[60],
Et tous ces criminels recevront de l'encens.
Je ne puis endurer que cette extravagance
Agite maintenant tout l'esprit de la France,
Qu'on fasse en notre etat des nouveaux changemens
Et que l'on laisse encor tant de dereglemens.
A Nosseigneurs de Parlement[61].
Suplient humblement Jacques Motteron, Jacques Rouguon, Guillaume Bourgeois, Jean Nansse, Joseph Boutiffard, Marin David, Edme Farcy, Desprez Jouvellet, François Maurice, Jacques Le Fresne, Jacques Raymault, Jullien de Bray, Claude Mignot, Charles Vaillant, Pierre Bourgeoin, François Philippart, (p. 62) Françoise Chaudun veufve Charles de Combes, Jean Corriasse de Barry, Jacques Mallasye, Michel Filassier, Jacques Bazin, François Vincent, Charles Godefroy, Nicolas le Dreux, Pierre Desmarres, Georges Guillard, Jacques Migoullet, Jacques Chuppin, Jacques de la Mare, Guillaume Dufour, Romain Boutelleux, Pierre Danisy, Dantan, Chenard, Vatin, Mazé, R. Morin, Charles Dutol, Thomas le père, (p. 63) Micloul Maire, Isaac le Fébure, Jean du Foua, Jean Parlot, Antoine Vailly, Gabrielle Bouche, Jacques Prevost, Alexandre Chenet, Hubert Chandellier, Jean Mouppellon, Jérémie Blanchard, Charles Sanse, Lucas Dupuis, Jean Desert, Jean Granveau, Claude Vallerin, Gilbert Charton, Claude Tiphane, Nicolas Lambert, Ctenon, Feuche, Jacques Delihu, Coustellier et Michel Guillaume, Pierre (p. 64) Isenbert, P. Besson, Charles de Lievre, Germain Gobert, Martin Fontaine, Luc Navarte, François Norquier, Pierre Cointerel, Jean Olive, Charles Barbereau, Simon Barteau, Pierre Fromantin, Jean Forestier, Louis Denis, Jacques Tatou, Antoine Mansart, Louis Denis, Alexandre Lesselin, Pierre Poncet, Jeanne Amiot, Nicolas de Combes, Denis Mesnidrieu, Louis Lami, Jean Maglin, Nicolas (p. 65) Lambert, Simon Baudin, François Leclerc, Isaac de l'Estang, Jean Lesselin, Jean Joly, touts marchands bourgeois et artisans de cette ville de Paris, demeurant tant sur les ponts Sainct-Michel, au Change, rue de la Barillerie et ès environs du Palais et lieux adjacents, principaux locataires et sous-locataires des maisons, chambres et boutiques scizes et scituées ès-dits lieux; disans que quelques (p. 66) particuliers, au mois de mars dernier, auroient présenté leur requeste à la Cour, tendante à ce qu'à cause des troubles qui sont dans le royaume et que le commerce a cessé universellement par tout ledit royaume et en autres lieux circonvoisins d'iceluy, au moyen de quoy les supplians, qui n'ont autres revenus pour le maintien de leur famille que leur traficq ordinaire, et lequel n'ayant plus de lieu, (p. 67) ils sont reduits à une extrême disette, ne pouvant avoir moyen de vivre et subsister. Pour raison de quoy ils requeroient par la susdite requeste qu'ils fussent deschargez des loyers qu'ils pouvoient debvoir du terme de Noël à Pasques; mais, la Cour n'ayant voulu prononcer deffinitivement, elle auroit renvoyé lesdits particuliers à eux pourvoir pardevant le prevost de Paris, qui auroit donné jugement (p. 68) tout ambigu et insoustenable, puisque par iceluy il est favorable aux uns, et non aux autres; ce qui auroit donné sujet d'appel tant d'icelle sentence que des exécutions faites sur les biens des supplians; et par ainsi la Cour sera toujours importunée si elle n'en retient la connoissance et ne donne arrest deffinitif. Ce considéré, nos seigneurs, attendu qu'il vous appert de la necessité publique causée par l'effet de la guerre que les supplians n'ont autre moyen de vivre et entretenir leur pauvre famille que leur traficq ordinaire, et lequel ayant cessé, comme il est notoire, ils sont reduits à une disette extrême, joint que la pluspart du temps leurs boutiques sont fermées, estant obligés d'avoir les armes sur le dos et faire garde aux portes; aussi que les proprietaires des maisons et boutiques (p. 69) qu'ils occupent, tirant des louages excessifs, pouvant mieux subsister qu'eux; aussi qu'il ne seroit pas raisonnable qu'ils fussent exempts d'essuyer en partie le mauvais temps present, il vous plaise de vos graces ordonner que lesdits suppliants seront deschargez des loyers dudit terme de Pasques passé, comme aussi de celui de Sainct-Jean mil six cent cinquante-deux, avec deffence ausd. propriétaires et sous-locataires de faire faire aucune contrainte pour lesdits termes de Pasques et Sainct-Jean jusques à ce qu'autrement par la Cour en ayt esté ordonné. Et vous feres bien.
Parlent sommairement les parties à maistre Le Nain, conseiller du roy.
Fait en Parlement, le 19 jour de juin 1652.
A la requeste de maistre François Parent le jeune, procureur en parlement, et de... soit sommé et interpellé maistre... de comparoir à dix heures du matin à la barre de la Cour pardevant monsieur Le Nain, conseiller, pour estre oüys et réglez sur la requestre présentée à ladite Cour le dix-neuf du present mois et an par ledit..... et les y desnommez; de laquelle coppie a esté baillée à ce que ledit..... aye à deffendre si bon luy semble. Dont acte.
A Paris, de l'imprimerie d'Anthoine du Brueil, entre le pont Saint-Michel et la rue de la Harpe, à l'Estoille couronnée.
M.DC.XV. In-8.
Ha! mes frères, vous deshonorez l'Estat. Est-ce ainsi qu'on se comporte à la guerre, où tout d'un coup le vallet veut estre maistre, où le pigeon veut voller avant qu'avoir des aisles, où l'escolier veut sortir de l'escolle avant que d'avoir rendu les actes et les preuves de sa profession?
Du temps que Guillery j'estois, on me voyoit marcher (p. 72) sous les cornettes du feu duc de Mercœur[63], et je me fis tellement sous la conduitte d'un chef si important que je devins fort grand conseiller, suptil aux entreprises, et fort grand de courage; bref, ayant acquis toutes les marques d'un bon soldat, on me donna une compagnie, en la conduite de laquelle je m'acquitay de ma charge avec autant de modestie et vaillance que capitaine de mon temps. J'estois tousjours le premier aux escarmouches, et ne demandois qu'à remuer le fer tousjours au milieu du feu et du sang, et jamais ne m'amusois au pillage, l'estimant une chose indigne de ma valeur.
Ce n'est pas là la vie que vous voulez mener, frères: car je voy bien, par les procedures que vous tenez au commancement de ceste guerre, que vous n'avez le cœur qu'à la volerie, qu'au pillage et butin, poltrons que vous estes, soldats de rapine, oyseaux de proye[64]; aussi ne vous fussiez-vous jamais enrollé sous les chefs qui vous conduisent, n'eût esté la belle esperance qu'on vous donna de demeurer maistres de la campagne et vous laisser vivre avec toute sorte de liberté. O pendards! on en pendra tant[65]!
Quant Guillery j'estois, combattans sous les enseignes de mon maistre et bon seigneur, je n'avois du sang et de la vie que pour despendre liberallement (p. 73) à son service, esperant qu'après avoir souffert une infinité de playes, passé et traversé dix mille dangers, le residu de ma meilleure fortune consisteroit en sa bonne affection. Mais quoy! je fus malheureux: car, pour avoir bien et fidellement servy, le sort de ma fortune me rendit miserable et me precipita aux hazards peu honnestes qui, finallement, m'ont conduit au supplice.
Mais vous ne commencez encore qu'à travailler, et desjà vous vous payez par vos mains; servans vos maistres et chefs par vos actions et menées, vous leur acquerez les plus glorieux tiltres du monde; lesquels, au lieu qu'ils croyent avoir des gens de bien avec eux, ils n'ont que des larrons, que des volleurs et des pendars, qui ne se soucient ny du service ny de la bonne affection de leurs chefs. En recognoissance de leur merite, on leur en pendra tant!
Ainsi, me voyant frustré de mes esperances, m'ayant delaissé, je me laissé emporter au desespoir, laissant abastardir mon courage, ne trouvant plus durant la paix où l'exercer genereusement; je feis ma retraicte, de rage et de despit, aux bois et aux forests, pour avancer ma main sur les passans et abandonner mes desirs aux pillages sur les moyens d'un chacun; mais ce ne fut qu'après avoir perdu la saison et le temps de pouvoir exercer ma valleur.
Mais vous autres qu'on conduit aux exercices des armes, qu'on mène sur les lieux au pretendu service du roy, où vous avez l'ame poltronne et coyonne, qu'au lieu de ce faire vous espiez les pauvres paysans: on en pendra tant!
(p. 74) Bien que Guillery je fusse plongé en ce desespoir et en ce dernier despit, comme fort robuste et redouté, je me trouvay assisté de beaucoup de gens qui attachèrent leur vie et leur fortune au mesme hazard que la mienne, où ramassant l'escume de toute la haute et basse Bretagne, Poictou et autres pays; je me trouvay accompagné de plus de quatre cens hommes, tous de faict et de mise[66].
Mais vous autres estes trop lasches et gourmands: vous avez la peau trop tendre pour l'estendre si loing et pour attirer à vous tant d'adjoints; vous ne voulez pas tant de suitte pour faire vos pilleries; aussi auriez-vous peur que le butin de vol ne fût assez ample; si vous estes seulement douze ou quinze d'une bande après la maison de quelque laboureur, vous entre-mangez encore, comme chiens et chats et villains, à qui montera le premier dessus la fille ou la chambrière de la maison et à qui aura la bourse. Au diable soit la canaille! On en pendra tant!
Quant Guillery j'estois, je me rangeay premierement dans la forest de Machechou en Ray, où je dressé ma puissante forteresse pour la retraicte seure de moy et des miens au retour de nos chasses.
Mais pour vous, vous n'avez pour retraictes bien seures que la campagne et quelques meschantes tavernes, où vous arrivez aujourd'huy en l'une, demain en l'autre, sans prendre garde si les prevosts ne vous suivent point. O frères, vous estes trop (p. 75) impudents en ce mestier! On en pendra tant!
Assuré et resolu que j'estois, je trouvay une fois un homme sur le chemin de Nantes, qui s'en alloit solliciter un procez, et me disant qu'il n'avoit point d'argent. A force de prier Dieu, je decouvray qu'il luy estoit venu quatre cens escus en sa pochette; alors luy et moy nous les comptasmes, et, après les avoir comptés, nous partissons esgallement, comme frères, sans autre bruit ny disputes, telle qu'elle fust.
Voyez, frères, voyez si vous estes de si bonne amitié; jà vous estes bien rogues, et ne vaudriez rien à torcher le cul, car vous estes trop rudes et mal gracieux; aussi n'aurez-vous jamais rien: car, quand vous trouvez le pauvre marchand en chemin, vous le saluez de chair et de mots, et, pour tout gracieux accueil, le colletez et luy vuidez sa pauvre bourse, sans vous soucier ce qu'il peut devenir. Ha! ingrats, meschans et indignes d'estre frères de Guillery, on en pendra tant!
Ainsi redouté que j'estois, me transportant en plusieurs lieux, suivant les forests et attendant le retour des marchands le long des grands chemins, je fus une fois adverty que quelques prevots s'estoient amassez avec leurs archers pour me venir surprendre dans la forest de Mochemont, qui est près de Rouen[67]. Là, j'assemblay mes gens et les tiray à (p. 76) quartier, puis envoyay recognoistre les forces des dicts prevots, et moy-mesme m'y transportay, habillé en paysan; puis, ayant veu que leurs forces n'estoient bastantes pour les miennes, je les allay charger dans la dicte forest de telle furie que je les mis en fuitte, et, ayant tué quelques uns et blessé plusieurs, j'en emmenay six ou sept prisonniers, et, les ayant faict attacher aux arbres, nous prîmes leurs casaques, et nous en allasmes la nuict ensuivant à un chasteau proche de là, appartenant à un president, et, feignant le chercher, luy commandasmes d'ouvrir les portes de par le Roy, à l'instant ouvrir coffres et cabinets, où nous fismes fort bien nos affaires.
Voyez, frères, voyez si vous aurez jamais tant d'esprit de resister aux prevosts comme nous fismes et faire de leurs despouilles si joliment vostre profit; c'est bien au contraire: car, si vous les sentiez venir de loing, quoy que vous fussiez aussi forts, vous auriez la fiebvre au cul. Ha! pauvres escoliers, on en pendra tant!
Moy, estant bien armé et associé de bons et valleureux soldats, j'estois la terreur de toute la campagne, l'espouvante des marchands, et guières les prevosts ne venoient me chercher, pour ce que je leur faisois mauvaise escorte et au gros des bois faisais planter des poicteaux où j'escrivois ces mots: «La mort aux prevosts, la corde aux archers[68]!» Nul n'approche ces lieux qui ne soit bien suivy.
(p. 77) Mais vous, nouveaux picoreurs[69], vous ne vallez rien que pour piller le bon homme, que pour destrousser les marchands et rançonner le monde. Allez, la corde à telles gens que vous, qui n'avez du courage que contre un homme seul. Guillery, de son temps, ne vouloit à sa suitte de si lasches poltrons.
Quand je trouvois quelqu'un parmy les chemins, je luy demandois où il alloit, d'où il venoit et quel il estoit; je m'enquestois en suitte des finances qu'il avoit, et, après l'avoir fouillé et particulierement visité, si je ne luy trouvois argent suffisamment pour accomplir son voyage, je luy en donnois du mien; s'il en avoit plus qu'il n'en avoit besoin pour achever son chemin, nous le comptions et partissions (p. 78) comme frères, et, cela fait, le laissois aller sans luy faire aucun autre tort ny dommage.
Voyez si vous estes de si bonne conscience; je tiens pour tout asseuré que vous n'auriez garde de faire le semblable; je vous tiens d'un tel naturel, et l'experience le monstre, que vous arracheriez volontiers le cœur des pauvres gens, puis que, les ayant tous vollez, pillez et desrobez, encore leur mettez-vous le poignard sous la gorge pour leur faire confesser, de force ou de gré, s'ils n'ont point destourné quelque partye de leur bien; vous leur donnez le fronteau[70], vous leur serrez les poulces (p. 79) avec les rouets[71] d'arquebuze. Ha! quelle desolation! Vous estes des bourreaux sans misericorde, vous en serez payez au double, car il n'y a point de supplice qui puisse esgaller vos forfaits et demerites. On disoit l'an passé que, vous estans en Poictou, après vous avoir rendus souls comme bougres[72], enyvrez jusques à jetter le vin par la gorge, par le nez et par les yeux, miserables que vous estes, vous renversiez les muids de vin dans les puits à faute de contenter vos maudites volontez par argent. Mais, quoy! que dict-on de vous en ceste armée? Je ne sçay si je dois croire: on dit que, pour avoir de l'argent, vous despouillez les hommes à leur chemise, et les battez et outragez de telle sorte que plusieurs en sont morts. Au diable soit donné vostre race; vous aurez bonne issuë de tout cecy un de ces matins.
Moy, Guillery, ayant esté si consciencieux, si fidelle, si accostable et si peu soucieux de ces richesses du monde, si ennemy des meurtriers, pour avoir fui, hay le meurtre, le sang et la cruauté; pour avoir esté si doux et si clement envers les marchands que de ne prendre que la moitié de leur argent, (p. 80) pour leur en avoir donné quand ils n'en avoyent point pour parachever le residu de leur voyage; pour n'avoir fait si bonne composition avec les simples; si, dis-je, pour avoir esté de cet humeur en cet indigne estat de volleur, je n'ay pas laissé d'estre prins, poursuivy et mené par les prevots, archers et sergens dans la ville de La Rochelle, où mon procez me fut faict, et moy condamné à estre rompu tout vif sur une roue[73], que devez-vous estre donc, meurtriers inhumains, volleurs insignes, brigands et larrons, qui sans mercy et sans misericorde vollez et desrobbez tout ce qui se rencontre sous vos mains, qui mettez dehors des maisons les femmes pleurans et gemissans avec leurs petits enfans entre leurs bras, contraintes de s'en aller chercher ailleurs leur meilleure advanture avec un baston blanc en la main; leurs pauvres maris en fuitte, contraints de renoncer à tout, aymant mieux souspirer leur malheur à l'ombre d'un buisson que vivre avec vous toute sorte de tyrannie, de felonnie et de barbarie; et quelle pitié, frère, d'entendre aujourd'huy parler de vous en comparaison:
Guillery fut en sa jeunesse
Carabin remply de valeur;
(p. 81) Puis, declinant vers sa vieillesse,
Devint un insigne volleur.
Mais jamais il ne se dira de luy les choses que quatre des meilleures provinces de nostre France publieront à l'advenir de vous, et je voy l'heure qu'un de ces matins qu'on fera une telle perquisition de vostre vie enragée et de tant de volleries que vous avez faictes contre la volonté des dicts sieurs les princes, car je le croy ainsi, qu'il ce fera une telle execution de vos charongnes qu'il n'y aura rien d'oublié du pareil qu'il se fit durant les derniers troubles, à la penderie de Bretaigne faicte par le comte de Lamoignon, commandant pour lors à un regiment pour feu monsieur le duc de Mercœur. Cela vous est tout acquis, et n'en esperez pas moins, car vous meritez cent fois plus, et ne sçay ce que c'en sera. Sa Majesté en reçoit tous les jours des plaintes et recevra encore plus que jamais d'oresnavant, par tant de familles que vous avez ruinées et mises au blanc. Telle sera vostre fin, telle la recompense de vos beaux faicts, tels les salaires de vos courses, et tel le prix destiné aux plus cruels et felons voleurs du monde, ainsi que chacun vous a recogneus.
M.DC.XIX. In-8.
Moy, la Garde, estant à Naples, je fus traitté plusieurs fois par Charles Hebert, secretaire du feu mareschal de Biron, où estoit Mathieu de la Bruyère[75], lieutenant particulier au Chastelet pendant la Ligue, qui estoit l'un des principaux autheurs de la conspiration, et (p. 84) le sieur Roux, Provençal, et Louys d'Aix, cy devant gouverneur de Marseille au temps de la mort de Casau[76], tous les quels, avec ledit la Garde, estans au logis dudit sieur de la Bruyère, disnans ensemble, s'y trouva Ravaillac, qui dit qu'il tueroit le roy ou qu'il mourroit en la peine[77], et qu'il avoit apporté des lettres du sieur d'Espernon au vice-roy de Naples, comte de Benevente, et qu'après disner il en vouloit aller retirer response du dit vice-roy de Naples.
(p. 85) Quelques jours après, le dit de la Bruyère mena le dit la Garde chez le Père Alagon, jesuite, oncle du duc de Lerme, Espagnol; lequel jesuite luy proposa d'entreprendre l'execution dont s'estoit chargé le dit Ravaillac, comme l'estimant digne d'une telle entreprinse, pour laquelle il luy feroit donner cinquante mil escus et le feroit grand en Espagne[78].
A l'instant que j'eus descouvert ces choses, je fus avertir monsieur Zamet le lendemain au matin à la pointe du jour, le quel fit serment sur les sainctes Evangiles qu'il ne me descouvriroit et ne m'accuseroit point pour le dit advertissement, sous la quelle asseurance je luy racontay toute l'affaire cy-dessus; (p. 86) le quel, aussi tost qu'il l'eut entendue, escrivit au roy et au sieur Zamet[79], son frère, estant lors à Paris, et les advertissant du grand armement qui se faisoit au dit Naples de cent galères et dix ou douze gallions chargez de pouldres, canons, pics, pioches, hottes, pelles, petards, ponts à crochets, poudres pour empoisonner les eaux, force vivres et vingt-cinq mil hommes entretenus pour trois mois, le tout pour s'en venir en France.
Moy, voyant si pernicieux dessein, je partis de Naples ayant lettres dudit sieur Zamet addressantes à monsieur Rabie[80], maistre des courriers de Sa Majesté à Rome, qui est François, le quel me presenta à monsieur de Breves[81], ambassadeur pour Sa Majesté au dit Rome, chez le quel je fus plus d'un mois, et luy declaray le tout.
(p. 87) Pendant le quel sejour je receus lettres du sieur Zamet, qui me conjure au nom de Dieu de parachever mon voyage en France, les quelles lettres sont ès mains de nos seigneurs de Parlement, qui sçavent assez la candeur de mon affection au service de Sa Majesté et les périls et dangers que j'en ay encourus. Il y a d'autres lettres ès mains de mes dits seigneurs de Parlement que le dit sieur de la Bruyère, l'un des sus dits, m'escrivit, les quelles je receus à Gayette, qui declarent tout ce que dessus; mesmes, par mes interrogatoires devant ce celèbre Parlement, par plusieurs fois en ont ouy de ma bouche la verité de ce que dessus; lettres, passeports, lettres-patentes et autres pièces tesmoignent assez cette verité, le zèle et affection que j'ay envers le roy et son Estat.
A mon partement de Rome, je prins lettres du dit sieur de Breves, ambassadeur, addressantes à monsieur de Villeroy, au quel je les donnay à Fontainebleau le lendemain que monsieur le duc de Nevers fut arrivé, avec le quel sieur duc je vins de Rome. Le lendemain, j'eus audience de Sa Majesté, à la quelle je donnay les lettres, qu'il leut en la presence de plusieurs seigneurs que j'ay nommez par mes dits interrogatoires par plusieurs fois, et me commanda sa dicte Majesté de les bien garder, ce que j'ay fait, les ayant depuis mis ès mains de mes dits sieurs du Parlement.
Et, de plus, me commanda sa dicte Majesté d'accompagner monsieur le grand mareschal de Pologne, et faire ce qu'il me commanderoit pour le service de sa dicte Majesté, tant en Flandres, Angleterre, (p. 88) Hollande, Pologne, Allemagne, et de ne parler des choses sus dictes qu'à ceux à qui j'en avois parlé, et qu'il rendroit ses ennemis si petits qu'ils ne luy feroient point de mal, et que ce que Dieu garde est bien gardé[82].
Voilà tout ce qui s'est passé, selon la verité. Si j'ay delinqué en quelque chose, pour quelque crime que ce soit, je supplie Sa Majesté de commander à son Parlement de me faire faire mon procès, ou bien de me donner la liberté, afin de pouvoir employer le reste de mes jours à son service.
Que voulez-vous que je vous die de ce petit homme? Il faudroit avoir autant d'industrie que Heinsius, qui nous a depuis peu donné de si beaux discours sur un (p. 90) pou[84], pour vous pouvoir entretenir de cette petite portioncule de l'humanité. Toutefois, si le proverbe (p. 91) est veritable: Deina peri phachis, il faut esperer que nous en sortirons à nostre honneur.
Premierement, vous devez sçavoir que ce n'est pas de poëte seulement, mais de musicien aussi, que Sibus a joué le personnage dans le monde; et c'est ce qui fait que vous devez moins vous estonner de sa misère, estant doué de ces deux bonnes qualitez, dont une seule ne manque presque jamais à rendre un homme gueux pour toute sa vie. Ce n'est pas qu'à dire le vray il ait jamais possedé ny l'une ny l'autre veritablement; mais tant y a qu'il n'a pas tenu à luy qu'il n'ait passé pour tel, et que quelques-uns mesme, soit pour ne le pas bien connoistre, soit peut-estre aussi pour le voir si gueux, l'ont pris pour ce qu'il desiroit d'estre. Il est vray que, comme il connoissoit son foible, il avoit l'industrie de ne parler jamais de vers devant les poëtes, mais tousjours de musique, et avec les musiciens de ne parler que de vers: de sorte que parmy les poëtes il passoit pour musicien, et parmy les musiciens pour poëte. C'est ce qui me donna bien du plaisir un jour que, m'estant successivement trouvé avec Voiture et Lambert[85], et estant tombez par hazard sur le sujet de ce petit poëte: «Il est vray, me dit Lambert, que le pauvre petit Sibus ne sçait rien du tout en musique; mais, en recompense, pour ce qui est des vers, on dit qu'il en fait à merveille.» Voilà (p. 92) le jugement qu'en faisoit ce musicien. Mais le bon fut qu'incontinent après, ayant rencontré Voiture: «Pour moy, nous dit-il, je ne sçay guère ce que c'est que de la musique, et je croy que Sibus y excelle; mais il a grand tort de se vouloir mesler de faire des vers, où il n'entend rien.»
C'est pourtant à ce dernier mestier qu'il s'est apliqué principalement, et c'est celuy qui l'a le plus fait connoistre dans le monde. Aussi ne vous entretiendray-je guère que de Sibus le poëte, ses principales avantures luy estant arrivées sous ce dernier personnage, ainsi que vous le verrez par le recit que je vais faire de ce que j'ay pû apprendre de sa vie.
Pour commencer donc par la naissance de nostre heros, comme j'ay remarqué dans les bons romans qu'il faut toûjours faire, je vous diray que vous ne pouviez trouver personne qui vous en pût mieux instruire que moy, personne n'en ayant jamais eu connoissance. Vous diriez que ce petit homme ait esté trouvé sous une feuille de chou comme Poussot[86], ou qu'il soit sorty de la terre en une nuit comme un champignon. Tant y a qu'il a esté si heureux qu'il n'a jamais connu d'autre père que Dieu, ny d'autre mère que la Nature. Il coula les (p. 93) premiers jours de sa vie dans Nostre-Dame; ses premières années dans plusieurs autres eglises, sous un habit bleu[87], avec un tronc à la main, et les suivantes dans le collége de Lizieux[88], où il trouva moyen de s'elever à l'estat de cuistre[89]. Ce fut là qu'à force de lire les plus rares chefs-d'œuvre de nos poëtes françois, qu'il rapportoit tous les jours du marché avec le beurre et les autres drogues qu'il achetoit pour le disner de son maistre, il luy prit une si forte passion pour la poësie, qu'il resolut, ainsi qu'il disoit alors, de devouer toutes les reliques du peloton de ses jours au service des neuf pucelles du mont au double coupeau. Mais pour ce qu'à son gré, pour un poëte de cour tel qu'il vouloit estre, il ne se trouvoit pas bien dans un collége, il se resolut de changer l'université pour le fauxbourg Saint-Germain. Il y alla donc loger au haut d'un grenier, et vous ne sçavez pas la belle invention dont il usoit pour y escrire ses beaux ouvrages sans qu'il luy en coustast rien en plume, en encre ny en chandelle. Il avoit l'industrie de laisser tellement (p. 94) croistre l'ongle du doigt qui suit le poulce de la main droite qu'il le tailloit et en ecrivoit après comme d'une plume. «Parbleu! voilà un galand homme! s'escria icy l'amy de Sylon. Ne s'en sert-il point aussi au lieu de chausse-pied, et ne vend-il point les autres pour faire des lanternes?—C'est un trafic dont je ne voudrois pas jurer qu'il ne se soit avisé, continua Sylon; mais tant y a qu'il n'y a rien de si extraordinaire dans la longueur de ses ongles qui ne passe pour une très grande galanterie au royaume de Mangy[90], ou de la Chine et de Cochinchine, comme aussi parmy les naïres[91] de la coste Malabare, où les grands ongles ne se portent que par les nobles, et où c'est une marque de roture de les avoir courts. C'est peut-estre, repliqua l'amy de Sylon, ce qui fut cause de la belle mode qui courut parmy nos godelureaux il y a quelque temps, de laisser ainsi croistre l'ongle du petit doigt[92]. Quoy (p. 95) qu'il en soit, reprit Sylon, ce fut l'artifice dont usa Sibus pour ne point acheter de plume. Au lieu d'encre, il se servoit de suye qu'il détrempoit dans de l'eau: de sorte que, son ecriture roussissant à mesure qu'il la faisoit, il disoit par galanterie à ceux qui l'en railloient que c'estoit qu'il n'ecrivoit qu'en lettres d'or; et il fit un petit trou, qu'il avoit soin de boucher tous les matins d'une cheville, à une meschante cloison qui separoit son galetas de celuy d'une blanchisseuse chez laquelle il logeoit, de manière que, la lueur de la lampe à la faveur de laquelle la blanchisseuse sechoit son linge venant à passer par ce trou, il appliquoit son papier justement au devant, et deroboit ainsi sans pecher ce qu'il n'avoit pas le moyen de payer. Pour le jour, il le passoit ou à corriger les fautes dans une imprimerie[93], ou à se promener dans la court du logis où il demeuroit: car j'oubliois à vous dire qu'il avoit (p. 96) aussi trouvé le moyen de se chauffer à peu de frais. Il avoit remarqué un matin par sa fenestre qu'il sortoit une epaisse fumée d'un gros tas de fumier qui estoit dans la court. Nostre poëte jugea que c'estoit là son fait, et ne manqua pas un seul jour de l'hyver d'y faire son peripatetisme et d'y aller rechauffer le feu de sa veine.
C'estoit sur cette plaisante façon de vivre que, faisant reflexion: «C'est ainsi, disoit-il en luy-mesme, taschant à se persuader qu'il estoit un bien grand personnage, à force de se comparer aux plus grands hommes de l'antiquité, dont il avoit leu quelque chose dans de meschans lieux communs; c'est ainsi que se promenoient Aristote dans son licée, Platon dans son academie, Zenon sous ses portiques, Epicure dans ses jardins, Diogène dans ses cynozarges, Pyrrhon dans ses deserts, Orphée dans ses forests, tant de bons anachorettes dans leur solitude, et nostre premier père Adam dans le paradis terrestre.» Ces pensées le faisoient tomber dans d'autres qui ne luy donnoient pas moins de satisfaction. Il comparoit la peine qu'il prenoit la nuit pour gagner de quoy vivre à celle qu'avoit Cleanthes de tirer de l'eau toutes les nuits pour avoir le moyen de philosopher le reste de la journée, et sa plaisante façon d'ecrire le faisant souvenir de la lanterne d'Epictète, qui fut vendue trois mille drachmes après son deceds[94], il se persuadoit que (p. 97) le petit trou qu'il avoit fait à sa cloison pourroit bien estre quelque jour aussi celèbre. Il est vray que, du commencement, il luy survint un accident qui modera bien sa joye: il remarqua qu'à force de se promener le long de sa court il usoit bien plus de souliers, et qu'une paire de bouts qui avoit coustume de luy durer plus de quinze jours ne luy en servoit plus que douze. Que fit-il? Il se resolut au repos. C'estoit un plaisant spectacle de considerer nostre petit enfant barbu planté comme une fourche devant une montagne de fumier, en humer l'exhalaison, et passer un demy-jour sans se mouvoir. Que s'il entendoit quelque bruit, il se contentoit de tourner la teste, car il n'avoit garde de se remuer tout à fait, de peur d'user toujours ses souliers d'autant. Il s'imagina mesme que ce fumier luy pourroit bien estre utile à moderer les ardeurs de la faim, ayant ouy dire que les cuisiniers mangent beaucoup moins que les autres hommes, à cause des fumées des viandes qui les nourrissent; mais ce ne fut pas le seul artifice dont il se servit pour suppléer au deffaut de nourriture. Par malheur, ayant (p. 98) mis le nez un jour dans Aulu-Gelle, il y leut que le medecin Erasistrate avoit trouvé l'invention de demeurer long-temps sans manger par le moyen d'une corde dont il se serroit le ventre[95]. Sibus jugea que c'estoit là un exemple dont il devoit faire son profit; et pour ce que ce n'estoit pas, à son advis, tant au ventre qu'à la gorge que le mal le tenoit, il voulut encherir sur cette invention, et s'etreignit le col de telle sorte qu'il se pensa etrangler, et en fut long-temps malade.
Ce n'est pas que, quand il pouvoit manger aux despens d'autruy, il ne s'en acquitast de très bonne sorte, car, pour luy, s'il se trouvoit en quelque occasion où il fallût mettre la main à la bourse, il s'en excusoit fort bien, alleguant que, comme Protogène, en faisant à Rhodes le portrait de Jalise, n'avoit vescu que d'eau et de lupins pendant plus de sept ans qu'il y travailla, il estoit obligé de mesme d'observer un regime semblable à cause de son grand poëme auquel il estoit occupé. Toutefois, ce fut une chose bien plaisante, un soir de Saint-Martin, qu'il se servit de cette defaite envers un solliciteur de procez qui logeoit en mesme maison que luy, et qui luy avoit demandé s'il ne vouloit pas qu'ils fissent la Saint-Martin ensemble: car celui-cy, voyant rostre homme si eloigné de la proposition qu'il luy avoit faite, se contenta d'envoyer querir pour son souper un poulet, jugeant que cela suffisoit pour luy. Mais il ne fut pas plutost à table que, Sibus (p. 99) s'en estant approché petit à petit, puis en prenant une cuisse de poulet: «Deussay-je interrompre, luy dit-il, mon travail pour quinze jours, si faut-il que j'en taste, tant je trouve qu'il a bonne mine.—Nous en pouvons encore envoyer querir un autre, repliqua le solliciteur, si le cœur vous en dit.—Ah! mon Dieu! reprit le poëte, que ce discours desesperoit, ne me donnez point occasion de violer ma loy davantage: car, s'il y avoit plus de viande, j'ay si peu de pouvoir sur moy que je ne me pourrois empescher d'en manger.» Il eluda donc ainsi la proposition du solliciteur. Neantmoins, comme celuy-cy, qui n'attendoit pas ce renfort, n'avoit fait acheter à souper que ce qu'il luy en falloit, il se trouva que, sa faim n'estant qu'à demy rassasiée, il fut obligé d'envoyer encore querir un autre poulet. Le poëte ne fit pas semblant de s'en appercevoir; mais, quand il fut sur la table et qu'il eut bien fait de l'etonné: «Ne vous l'avois-je pas bien dit, continua-t-il en se mettant encore après, que je ne me pourrois empescher d'en manger?»
C'est ainsi que Sibus vivoit le moins qu'il pouvoit à ses despens, et le plus qu'il luy estoit possible à ceux d'autruy; et ce fut en ce temps-là qu'à force de vendre ce qui n'estoit pas à luy, c'est-à-dire les sonnets et les odes qu'il avoit derobés, et d'epargner en bois, en chandelle, et principalement en viande, il amassa de quoy acheter d'une crieuse de vieux chapeaux, des canons de treillis[96] et une vieille (p. 100) panne. Il ne faut pas demander s'il se trouva brave quand il l'eut attachée à son manteau, et s'il fit estimer sa marchandise à tous ceux qu'il connoissoit. Tantost, afin d'avoir occasion d'en parler, il disoit qu'il croyoit avoir esté trompé; tantost il demandoit s'il n'avoit pas eu bon marché, et surtout il ne manquoit pas de dire qu'il avoit veu un homme fort bien fait en offrir autant que luy en sa presence. Ces importunes reflections, dont il lassa tout le jour la patience d'un chacun, firent qu'on se resolut de luy faire oster son manteau dès le soir mesme, afin d'avoir le plaisir de voir avec quelle force d'esprit il supporteroit la perte de ce bien-aimé. Pour ce dessein, comme il s'en retournoit chez luy fort tard, on mit dans un coin de rue par où il devoit passer une lanterne, avec un papier tout proche, où estoit escrit en grosse lettre: «Rends le manteau, ou tu es mort.» La poltronnerie du poète estoit si connue qu'on sçavoit bien que, quelque amour qu'il luy portast, il ne laisseroit pas de le quitter aussi tost qu'il auroit leu ce billet. Aussi n'y manqua-t-il pas, et, dès qu'un de ses amis qui s'en retournoit avec luy, et qui estoit de l'intrigue, eust ramassé le papier, il osta bravement son manteau (p. 101) de dessus ses espaules, et, le couchant auprès de la lanterne: «Quelque sot, dit-il, aimeroit mieux un manteau que sa vie.» Son amy, à dessein de l'eprouver, luy dit que, pour luy, il n'estoit pas resolu de laisser ainsi le sien à si bon marché. Sibus ne l'entendit pas seulement, car, dès qu'il avoit eu posé son manteau, il s'estoit mis à fuir de si bonne sorte qu'il estoit dejà bien loin. Je ne vous entretiendray point des lamentations qu'il fit sur sa mauvaise avanture lors qu'il fut chez luy, et que la seureté où il se vit luy permit de faire reflection sur la perte qu'il venoit de faire. Tous ceux qui estoient du complot ne manquèrent pas de le venir voir aussi-tost, disant qu'ils venoient d'apprendre le danger qu'il avoit couru; mais toutes leurs consolations furent inutiles, et il n'y eust que la restitution qu'ils luy firent de son manteau capable d'appaiser son affliction. Faisant tant d'estat de ce bel accoustrement, je vous laisse à penser s'il estoit homme à le prophaner et pour mettre à tous les jours ce beau fruit d'une diette qui avoit plus duré que celle de Ratisbonne[97]. Que pouvoit-il donc faire? Car d'avoir un autre manteau il n'en avoit pas le moyen, et il ne se pouvoit aussi resoudre à porter celuy-cy ordinairement. Il trouva un autre expedient, qui fut de ne bastir sa pane[98] qu'à grands poincts à son manteau, (p. 102) de sorte qu'il luy estoit facile de la mettre et de l'oster quand il luy en prenoit fantaisie. Pour ses canons de treillis, il s'avisa de les passer dans ses bras pour conserver ses coudes et luy servir de gardes-manches.
—Ah! vrayment, interrompit Sylon, c'estoit donc bien le moins que je pusse faire que de luy payer son fil et la peine qu'il avoit prise à se deboter et se harnacher de sa pane! car j'oubliois à vous dire que je l'ay tantost pensé meconnoistre, tant il estoit brave au prix de ce que je le venois de voir à la Grève.—Vous ne luy deviez pas beaucoup pour cela, reprit son amy, car ne vous imaginez pas qu'il change de fil quand il la decout; il ne manque jamais à le serrer pour la prochaine fois.
Avec tout son bon menage, neantmoins, il ne se put empescher de devoir quatre ou cinq termes à son hotesse. Jugez si c'estoit une debte bien asseurée! Il connoissoit un nommé Mamurin[99], par le moyen duquel il se tira de ce fascheux pas. Voyant que sa blanchisseuse refusoit de luy faire credit plus long-temps, et ne vouloit pas pourtant laisser sortir ses meubles, qui consistoient en un meschant lit, un escabeau à trois pieds, un vieux coffre et la moitié d'un peigne, il les fit saisir par ce Mamurin, comme plus ancien creancier: de sorte que la pauvre hostesse, qui n'avoit pas bien consulté son procureur, se resolut à luy faire credit. Il en affronta encore plusieurs autres de diverses façons, et se (p. 103) decredita enfin de telle sorte qu'on luy a souvent entendu dire que, bien que Paris soit très grand, il estoit pourtant fort petit pour luy, n'y ayant plus que trois ou quatre rues par où il osast passer.
Il tascha neantmoins de remedier à cette horrible pauvreté par d'assez plaisans trafics. Un jour, n'ayant point de quoy manger, il alla sur le Pont-Neuf à un charlatan, avec qui il fit marché pour dix sols de se laisser arracher deux dents[100] et de protester tout haut aux assistans qu'il n'avoit senty aucun mal. L'heure dont ils avoient convenu ensemble estant donc venue, Sibus ne manqua pas, ainsi qu'ils avoient arresté, de venir trouver son homme, qu'il rencontra au bout du Pont-Neuf qui regarde la rue Dauphine, divertissant les laquais et les badauts par ses huées, ses tours de passe-passe et ses grimaces; il tenoit un verre plein d'eau d'une main, et de l'autre un papier qui avoit la vertu de teindre l'eau en rouge. «Horçà, Cormier[101], ce disoit ce charlatan (p. 104) en s'interrompant et se repondant luy-mesme, qu'est-ce que tu veux faire de ce verre et de cette yeau?—Hé! je veux changer cette yeau en vin pour donner du divertissement à ces messieurs.—Hé! (p. 105) comment est-ce que tu changeras cette yeau en vin pour donner du divertissement à ces messieurs?—Hé! en y mettant de cette poudre dedans.—Mais, en y mettant de cette poudre dedans, si tu changes (p. 106) cette yeau en vin, il faut donc qu'il y ait là de la magie?—Il n'y a point de magie.—Il n'y a point de magie! Il y a donc de la sorcellerie?—Il n'y a point de sorcellerie. Non, Non.—Il y a donc de l'enchanterie?—Il n'y a point d'enchanterie. Non, Messieurs, il n'y a ny magie, ny sorcellerie, ny enchanterie, ny guianterie; mais il est bien vray qu'il y a peu de guiablerie. Gnian vela le mot.»
Le coquin n'eut pas plutost achevé ces paroles qu'il s'eleva un grand eclat de rire par toute la badauderie, comme s'il eust dit la meilleure chose du (p. 107) monde. Pour luy, après avoir long-temps ry avec les autres, il reprit ainsi sa harangue: «Mais, me dira quelqu'un, viençà, Cormier; je sçay bien que tu es bon frère, tu as la mine de ne te point coucher sans souper, tu ne manges point de chandelle; mais à quoy sert ça de changer ton yeau en vin, elle n'en a speut-il faire pas le goust?—Non, Messieurs, elle n'en a pas le goust. A quoy sert ça de mentir? Je ne suis ny charlatan, ny larron; je suis Cormier, à vostre service et commandement. Ardé! velà ma boutique; n'y a si petit ne si grand qui ne vous l'enseigne. Il y a trente ans, Guieu marcy, que je demeurons dans le carquier.» Il dit tout cecy en ostant son chapeau; puis, en le remettant: «Mais à quoy ça sert-il donc, poursuivit-il, de changer cette yeau en vin, si elle n'en a pas le goust? A quoy ça sert? Ho! voicy à quoy ça sert: Vous vous en allez un dimanche, par magnière de dire, après la grande messe, dans une tavarne. «Holà! Madame de cians, y a-t-il moyen de boire un coup de bon vin?—Ouydà, Messieurs; à quel prix vous en plaist-il? à six ou à huit?» Là-dessus: «Donnez-nous-en, ce faites-vous, à six ou à huit sols, tant du pus que du moins.—Pierre, allez tirer du vin à ces Messieurs, tout du meilleur. Viste, qu'on se depesche!» Velà qui va bien. Vous vous mettez à table, vous mangez une crouste, vous dites à la maistresse: «Madame de cians, faites-nous donner un sciau d'yeau pour nous rafraischir, car aussi bien velà un homme qui ne boit que du vin de la fontaine.» Dame! là-dessus, quand on vous a apporté du vin, vous le beuvez, et, quand vous l'avez beu, vous remplissez la pinte (p. 108) de vostre yeau, et pis vous dites au garçon: «Quel fils de putain est ça? Il nous a donné du vin poussé! Va-t'en nous querir d'autre vin!—Messieurs, c'est tout du meilleur.—Quel bougre est ça? Je te barray sur ta mouffle! je t'envoyeray voir là-dedans si j'y sis! Tu n'es pas encore revenu?» Là-dessus, le pauvre guiable, ayant regardé dans son pot et le voyant plein, emporte son yau et vous raporte en lieu de bon vin. Dame! je vous laisse à penser s'il est de la confrairie de saint Prix[102]!»
Le charlatan ayant ainsi expliqué l'utilité de sa poudre[103], on croyoit qu'il en alloit faire l'experience, quand il changea tout d'un coup de discours pour tenir tousjours son monde d'autant plus en haleine, et se mit à faire une longue digression sur l'experience qu'il avoit acquise par ses voyages, tant par la France qu'autre part, à tirer les dents sans faire aucune douleur. Il n'eust pas plutost achevé la parole, qu'on ouït sortir du milieu de la foule la voix d'un homme qui disoit: «Pardieu! je voudrois qu'il m'eust cousté dix pistoles et que ce qu'il dit fût (p. 109) vray! Il y a plus d'un mois que je ne dors ny nuit ny jour, non plus qu'une ame damnée!» Cette voix estoit celle du poëte, qui prenoit cette occasion de paroistre, ainsi qu'il avoit esté accordé entr'eux. Le charlatan luy dit qu'il falloit donc qu'il eust quelque dent gastée, et qu'il s'approchast. Et pource que Sibus feignoit d'en faire quelque difficulté: «Approchez, vous dis-je, reitera le fin matois; nostre veuë ne vous coustera rien. Je ne sommes pas si guiable que je sommes noir; s'il n'y a point de mal, je n'y en mettrons pas.» Nostre petit homme s'avança donc, et l'autre, luy ayant fait ouvrir la bouche et luy ayant long-temps farfouillé dedans, luy dit qu'il ne s'etonnoit pas s'il ne pouvoit dormir; qu'il avoit deux dents gastées, et que, s'il n'y prenoit garde de bonne heure, il couroit fortune de les perdre toutes. Après plusieurs autres ceremonies que je passeray sous silence, Sibus le pria de les luy arracher; mais quand ce fut tout de bon, et que des paroles on en fut venu à l'execution, quelque propos qu'il eust fait de gagner ses dix sols de bonne grace, la douleur qu'il sentoit estoit si forte qu'elle luy faisoit à tous momens oublier sa resolution. Il se roidissoit contre son charlatan, il s'ecrioit, reculant la teste en arrière; puis, quand l'autre avoit esté contraint de le lascher: «Ouf! continuoit-il, portant la main à sa joue et crachant le sang; ouf! il ne m'a point fait de mal!» C'estoit donc un spectacle assez extraordinaire de voir un homme, les larmes aux yeux, vomissant le sang par la bouche, s'ecriant comme un perdu, protester neantmoins en mesme temps que celuy qui le mettoit en (p. 110) cet estat et le faisoit plaindre de la sorte ne luy faisoit aucune douleur. Aussi, quoy qu'il en dît, y avoit-il si peu d'apparence, que le charlatan luy-mesme, au lieu de deux dents qu'il avoit mises en son marché, ne luy en voulut arracher qu'une. Il ne faut pas demander si le poëte fut aise de s'en voir quitte à si bon compte; mais ce fut bien à dechanter quand, estant allé le soir chez son homme pour toucher son salaire, l'autre le luy refusa, alleguant qu'il avoit tant crié qu'il luy avoit plus nuy que servy; qu'il ne luy avoit rien promis qu'à condition qu'il souffriroit sans se plaindre qu'on luy ostât deux dents, et qu'il n'avoit pas osé les luy arracher, de peur que, par ses cris, il ne le dechalandast pour jamais. Il ne faut pas demander s'il y eust là-dessus une grande querelle entre ces deux personnages. Le poëte, faute d'autres armes, a recours aux injures, et, pour tâcher d'attirer quelqu'un en sa faveur, se plaint que l'autre luy a arraché une gencive et appelle le charlatan bourreau. Celuy-cy s'en moque, et dit en riant qu'il a de bons temoins qui luy ont entendu dire à luy-mesme qu'il ne luy avoit fait aucun mal. Je passois par hazard par là lorsque cette plaisante repartie fut faite au pauvre Sibus, que je decouvris, malgré sa petitesse, au milieu de cent personnes qui l'entouroient. Je demanday ce qu'il y avoit, et l'on m'apprit tout ce que je viens de vous dire. Je vous avoue que cette avanture, toute plaisante qu'elle est, ne laissa pas de m'attendrir et de me donner de la compassion; et, jugeant qu'un homme qui vendoit ses dents pour avoir de quoy manger devoit estre en une etrange necessité, (p. 111) je tiray mon poëte de la foule et le menay souper chez moy. Je ne sçay pas comment il s'en fût acquité s'il eust eu toutes ses dents; mais je vous jure qu'à le voir bauffrer je n'eusse jamais deviné qu'il en eust manqué d'une seule, et qu'il me fit bien rabaisser de l'estime que j'avois pour le miracle de Sanson, qui defit tant d'ennemis avec la maschoire d'un asne, faisant trois fois plus d'execution avec une maschoire moindre pour le moins trois fois. Après le souper, je ne pus m'empescher de luy lascher quelque petit trait de raillerie sur son avanture passée. Mais tournant subitement la chose en galanterie: «Je croy bien, me dit-il; n'ay-je pas eu raison de m'en defaire? Elles n'estoient bonnes qu'à me faire de la depense et vouloient tousjours manger.» Cette reponse me surprit; mais il m'en fit une autre quelques jours après qui, pour n'estre pas si aiguë ny si plaisante, ne laisse pas, selon mon jugement, d'estre aussi adroite.
Contraint comme l'autre fois par la necessité, il alla encore sur le Pont-Neuf chanter quelques chansons qu'il avoit faites. Il esperoit de n'estre pas reconnu, pource qu'il s'estoit deguisé du mieux qui luy avoit esté possible; mais la chose estoit allée contre sa pensée, et, l'ayant encore reconnu en passant par là, il eut bien l'adresse, lors que je l'en pensay gausser, de me dire froidement: «Pardieu! cinquante pistolles sont bonnes à gagner», pour me faire croire que ce qu'il en avoit fait n'avoit esté que par gageure.
Ce sont les moyens par lesquels Sibus taschoit à subsister. Neantmoins, pource qu'il ne pouvoit pas (p. 112) fournir de dents autant qu'il luy en eust fallu tous les jours, je dis quand mesme on les lui auroit payées, voicy encore une autre invention dont il s'avisa: Comme sa veine n'estoit pas des plus fertiles, ny de celles qui portent de l'or, il faisoit faire des vers par quelqu'autre, qu'il vendoit sous main à son libraire, et l'autre avoit pour soy le gain de la dedicace, dont il ne manquoit pas de faire part à Sibus pour le bon office qu'il croyoit qu'il luy eust rendu en faisant imprimer sa pièce[104]. Vous me demanderez comme est-il possible que des libraires voulussent donner un seul teston d'un si miserable travail. Voicy l'artifice dont il usoit pour les attraper: Quelques jours avant que de leur parler de ce qu'il desiroit mettre sous la presse, il envoyoit tous ses amis au Palais s'enquerir à tous les libraires s'ils n'avoient pas un tel ouvrage de monsieur un tel[105]. Ceux-cy, voyant tant de gens venir demander son livre, croyoient qu'indubitablement ce devoit estre quelque chose de bon: de sorte qu'au commencement il en tiroit d'assez bonnes sommes. Mais enfin ils descouvrirent la trame et le firent mettre une fois en prison pource qu'il (p. 113) leur avoit vendu à cinq ou six un mesme ouvrage sous diferent titre, qu'il avoit aussi dedié à diverses personnes pour en tirer plus d'argent.
Vous voyez quelle sorte de vie ce petit homme mène, et combien d'affronts il est sujet à recevoir, jusque là que les petits enfans luy font tourner son chapeau sur la teste et luy donnent des coups d'epingles dans les fesses toutes les fois qu'ils le rencontrent en un certain lieu nommé l'Orvietan[106], où il ne manque jamais de les aller chercher pour un sujet que je ne veux pas dire, et qu'ils le reconduisirent une fois à coups de pierres du terrain de Notre-Dame, où il va aussi tous les soirs de l'esté pour le mesme dessein, jusques au logis d'un chanoine de condition, où il se sauva. Avec tout cela, neantmoins, vous devez sçavoir qu'il n'y eut jamais de vanité pareille à celle de ce petit personnage, et qu'il (p. 114) ne croit pas qu'il y ait au monde d'esprit comparable au sien. Il est si friand de louange, que, luy ayant refusé des vers qu'il m'avoit demandez pour mettre au devant de l'un de ses ouvrages, il a bien eu l'impudence d'en composer qu'il y a appliquez sous mon nom, et que, messieurs..., etc..., luy en ayant donné d'autres où il ne se trouvoit pas assez loué à sa fantaisie, il les changea et gasta tous pour y mettre plus d'eloges. C'est tout ce que je vous apprendray de Sibus, dont je ne feray pas l'histoire plus longue, m'imaginant qu'elle l'est assez pour vous avoir beaucoup ennuyé.»
L'historien du poëte n'eut pas plustost prononcé cecy que Sylon prit la parole pour l'asseurer qu'au contraire il y avoit pris beaucoup de satisfaction. Ils se mirent ensuite à faire diverses reflections sur ce petit personnage, et, pource que l'historien dit qu'il falloit que ce fût une ame bien basse de se mesler ainsi d'une chose où il n'entendoit rien (ils parloient de sa poesie): «Tant s'en faut, repliqua Sylon; je trouve, pour moy, que ce doit estre un habile homme, d'avoir trouvé moyen de vivre d'un mestier qu'il ne sçait pas.—En effet, repartit l'historien avec un souris que cette reponse attira sur ses lèvres, si Diogène eut raison, voyant qu'on se gaussoit d'un miserable musicien, de le louer bien fort de ce qu'entendant si mal son mestier il ne s'estoit point mis à celuy de voleur, ne peut-on pas dire aussi que Sibus ne peut recevoir trop de louange de ce que, gagnant si peu dans sa profession et y reussissant si mal, il a eu neantmoins la constance d'y perseverer jusques à la fin, sans qu'il luy ait jamais pris (p. 115) envie de se faire pendre pour une mauvaise action.—Voulez-vous que je vous die? reprit Sylon; ma foy, moquons-nous de luy tant qu'il nous plaira; si n'en peut-il si peu sçavoir qu'il n'en sçache autant que la pluspart de ceux de sa profession qui passent pour les plus habiles.—Que dites-vous, repondit l'historien, et à quoy pensez-vous? La poesie françoise n'est-elle pas aujourd'huy en un tel poinct qu'il ne s'y peut rien adjouster? Et le poëme dramatique, entr'autres, ne s'est-il pas elevé à un tel degré de perfection que, du consentement de tout le monde, il ne sçauroit monter plus haut? Se peut-il rien voir de plus beau que le sont la Mariane[107], l'Alcionée[108], l'Heraclius[109], les Visionaires[110]?—Aussi ne condamnay-je pas, repliqua Sylon, toutes les pièces de theatre ny tous les poëtes; et je vous (p. 116) avoueray mesme, si vous le voulez, que je ne crois pas que, depuis qu'il y a des vers et des poëtes, il y ait jamais rien eu, pour ce qui est de la beauté de l'invention, de comparable, soit en grec, latin ou françois, aux Visionaires que vous venez de nommer. Mais tant y a que, comme une goute d'eau ne fait pas la mer, vous ne pouvez pas conclure que, pour une pièce peut-estre que nous avons eue exempte des defauts des autres, nostre poesie soit en un si haut point de perfection que vous la mettez: car, je vous prie, le poëme dramatique n'estant qu'une pure, vraye et naïve image de la societé civile, n'est-il pas vray que la vraysemblance n'y peut estre choquée le moins du monde sans commettre une faute essentielle contre l'art? Les poëtes mesmes tombent d'accord de cecy, puis qu'ils ne nous chantent autre chose pour authoriser leur unité de scène et de lieu; et pourtant où m'en trouverez-vous, je dis de ceux-mesmes que vous m'aportez pour modèles, qui ne l'ayent violée une infinité de fois dans leurs plus excellens ouvrages? Montrez-moy une pièce exempte de soliloques; cependant y a-t'il rien de plus ridicule et de moins probable que de voir un homme se parler luy seul tout haut un gros quart d'heure? Cela nous arrive-t'il jamais quand nous sommes en nostre particulier, je dis dans le plus fort de nos passions les plus violentes? Nous pousserons bien quelque fois quelque soûpir, nous ferons bien un jurement; mais de parler long-temps, de resoudre nos desseins les plus importans en criant à pleine teste, jamais. Pour moy, je sçay bon gré à un de mes amis, qui, (p. 117) faisant ainsi parler Alexandre avec luy-mesme dans une pièce burlesque, fait dire en mesme temps par un autre acteur qui le surprend en cette belle occupation: «Helas! vous ne sçavez pas? Alexandre est devenu fol.—Hé! comment cela? repond un autre.—Hé! ne voyez-vous pas, reprend le premier, que le voilà qui parle tout seul?» Ce n'est pas là neantmoins le plus grand de leurs defauts. En voicy encore un autre aussi insupportable à mon gré. Vous y verrez une personne parler à son bras et à sa passion, comme s'ils estoient capables de l'entendre: Courage, mon bras; Tout beau, ma passion. Mettons la main sur la conscience: nous arrive-t'il jamais d'apostropher ainsi les parties de nostre corps? Quand vous avez quelque grand dessein en teste, quand vous vous devez battre en duel, faites-vous ainsi une belle exhortation à vostre bras pour l'y resoudre? Disons nous jamais: Pleurez, pleurez, mes yeux[111]? non plus que: Mouchez, mouchez-vous, mon nez? Çà, courage, mes pieds, allons-nous-en au fauxbourg Saint-Germain? Vous me direz que c'est une figure de rhetorique qui a esté pratiquée de tous les anciens. Je vous repons qu'elle n'en est pas moins ridicule pour estre vieille; que ce n'est pas la première fois que l'on a fait du vice vertu; qu'il n'y a point d'autorité qui puisse justifier ce qui choque le jugement et la vraysemblance, (p. 118) et qu'enfin les anciens ont failly en cecy, comme ils ont manqué quand ils ont fait durer des sujets d'une pièce plusieurs mois, et qu'ils n'observoient ny unité de lieu, ny de scène. Qu'on ne me pense donc point payer d'authorité: il n'y a vice ny defaut que je ne justifie, s'il ne faut pour cela que le trouver dans un ancien autheur. Il n'y a point d'Age, anime! dans Senèque qui puisse rendre bon: «Courage, mon ame!» en françois.
C'est encore une bonne sottise que ces sentimens qu'ils appellent cachez. Ils nomment sentiment caché ce qu'un personnage prononce sur le theatre seulement pour éclaircir l'auditeur de ce qu'il pense, en sorte que les autres acteurs avec qui il parle n'en entendent rien. Par exemple, dans le Belissaire[112], pièce dont je fais d'ailleurs beaucoup d'estat et dont j'estime l'autheur, lors que Leonce le veut tuer, ce dernier, après luy avoir fait un grand conte que Belissaire a fort bien entendu, s'écrie:
Lâche, que tardes-tu? l'occasion est belle[113].
Dans le Telephonte[114], Tindare dit à son rival, qui veut epouser sa maistresse: Traistre, je t'arracheray plutost l'ame, ou quelque chose de semblable; puis (p. 119) il poursuit comme si de rien n'estoit, et l'autre n'y prend pas garde le moins du monde. Or je dis qu'il n'y a rien de plus ridicule que cette sorte de sentimens cachez, pource qu'il n'est nullement probable que Leonce, par exemple, qui vouloit tuer Belissaire, fût si sot, dans une occasion comme celle-là, que de dire tout haut, à moins que de faire son coup à mesme temps: Lâche, que tardes-tu? l'occasion est belle. C'estoit pour se faire decouvrir. En second lieu, quand il seroit assez fol, je demande pourquoy Belissaire, qui a si bien entendu tout ce qu'il luy a dit jusqu'icy, et qui entendra fort bien tout ce qu'il luy dira après, n'entend point ce vers icy aussi bien que les autres. Ces sentimens cachez, dites-vous, sont necessaires pour instruire l'auditeur; mais, si l'auditeur les oit bien du parterre ou des loges, comment Belissaire, qui est sur le theâtre avec Leonce, ne les entend-il pas? Qu'est-ce qui le rend si sourd à poinct nommé? Y a-t-il là aucune probabilité? Il y en a si peu que ce n'est pas la première fois que cette sorte d'impertinence leur a esté reprochée[115]. Aussi, ayant dessein de ne leur porter que des botes nouvelles, c'est-à-dire de ne leur rien reprocher qui leur ait dejà esté objecté, pource qu'autrement cette matière s'etendroit à l'infiny, j'avoue que j'ay tort de m'arrester à une chanson qui leur a esté si souvent rebatue.
Voulez-vous rien de plus ridicule que leurs fins de pièces, qui se terminent toujours par une reconnoissance, (p. 120) le heros ou l'heroïne ne manquant jamais d'avoir un cœur, une flèche ou quelqu'autre marque emprainte naturellement sur le corps[116].
Y a-t'-il rien de plus sot que ces grands badauts d'amoureux qui ne font que pleurer pour une vetille, et à qui les mains demangent si fort qu'ils ne parlent que de mourir et de se tuer. Ils se donnent bien de garde d'en rien faire cependant, quelque envie qu'ils en temoignent; et s'il n'y a personne sur le theatre pour les en empescher, ils se donneront bien la patience de prononcer une cinquantaine de vers, en attendant que quelqu'un survienne qui les saisisse par derrière et leur oste leur poignard. Vous les verrez mesme quelquefois si agreables qu'au moindre bruit qu'ils entendront ils vous remettront froidement leur dague dans le fourreau, quelque dessein de mourir qu'ils eussent montré, donnant pour toute excuse d'un: Mais quelqu'un vient! Au lieu de dire cela, que ne se tuoient-ils s'ils en avoient si grande envie? Un coup est bientost donné. Toutefois, que voulez-vous? les pauvres gens auroient trop de honte de faire une si mauvaise action devant le monde; et puis tousjours ont-ils bonne raison, car il y a bien moins de mal à dire une sottise qu'à se tuer. Ils sçavent bien que ce qu'ils en font ce n'est pas tout de bon, ce n'est que par semblant; (p. 121) ils se souviennent qu'ils ont encore des vers à dire, et que, quelque malheur qui les accable, ils doivent bientost estre heureux et mariez au dernier acte, et ils sçavent trop bien qu'une des principales règles du theatre, c'est de ne pas ensanglanter la scène. Que diroit leur maistresse s'ils avoient esté si hardis que de sortir de la vie sans son congé? Elle est maistresse de toutes leurs actions, elle le doit donc estre de leur mort, car c'est agir que de mourir. Il faut luy aller dire le dernier adieu et la prier de les tuer de sa main; le coup en sera bien plus doux: un coup d'epée qui part du bras d'une maistresse ne fait que chatouiller. Mais elle n'a garde de rendre un si bon office à un homme qui a esté si insolent, si temeraire, si outrecuidé[117], que de l'aimer: il faut qu'il vive pour sa peine. Il voudroit bien la mort, mais ce n'est pas pour son nez, car ce seroit la fin de ses peines, et l'on n'est pas encore reconcilié. Voilà donc un pauvre amant en un pitoyable estat; neantmoins il n'y sera pas longtemps. Chimène luy va dire qu'elle ne ne le hait point. Après cela, qu'y a-t'-il qu'il ne surmonte, quels perils qu'il n'affronte? Paroissez, Navarrois, Mores et Castillans, et tout ce que l'Espagne a nourry de vaillans[118]! Paroissez, don Sanche; il va vous en donner! Il se (p. 122) moque des boulets de canon, car Chimène ne le hait point, et luy a dit qu'elle seroit le prix de son combat[119]. Par vostre foy, ne sont-ce pas là d'etranges conséquences? Toutefois, pourquoy s'etonner s'ils raisonnent autrement que les autres hommes, puis qu'ils ont le don de prophetie, et que la divination, au dire des Pères mesmes, est une allienation d'esprit ou un emportement de l'ame hors de ses bornes ordinaires, aussi bien que la manie. Il ne vient personne sur le theatre dont ils ne predisent l'abord et dont ils n'ayent dit: Mais voicy un tel, avant qu'il ait commencé de paroistre. Et ne voyons-nous pas que depuis la Mariane, où cet artifice ne laissoit pas d'estre beau pource qu'il estoit nouveau, il ne leur arrive pas le moindre malheur qu'ils ne predisent par quelque songe funeste? Le cœur le leur avoit bien dit; ils sentent tousjours je ne sçay quoy là-dedans qui leur presage tout ce qui leur doit arriver. Mais, à propos de deviner, n'est-ce pas encore une chose bien ridicule que leurs oracles, qu'ils prennent tant de peine à faire reussir? Tous les gens d'esprit sçavent que ces oracles n'ont esté que des fourberies des prestres des anciens pour mettre par là leurs temples en vogue, et que, s'ils reussissoient quelquefois, ce n'estoit que par hazard, pource que, disant tant de choses, il estoit impossible qu'ils n'en proferassent quelqu'une de véritable, comme un aveugle decochant (p. 123) un grand nombre de flèches peut donner dans le but par cas fortuit. Il n'y a donc point d'aparence de rendre ces oracles si véritables, et un autre de mes amis a bien meilleure raison dans le dessein qu'il a de mettre veritablement un oracle dans un très beau roman qu'il compose, mais à dessein seulement de surprendre davantage le lecteur en faisant reussir sa catastrophe au rebours de ce qu'avoit predit l'oracle.»
Sylon proferoit cecy d'un fil si contenu qu'il sembloit s'estre preparé sur cette matière, et il avoit encore bien d'autres choses à debiter, lors que son amy, l'interrompant: «Cette façon de surprendre le lecteur, luy dit-il, me fait souvenir d'une autre dont je me suis servy dans une espèce de roman burlesque pour railler et suivre tout ensemble la loy de nos romanistes[120] et contenter aussi le peuple, qui veulent que cette sorte de livres debute tousjours par quelque avanture surprenante. Je commence le mien ainsi: «Il estoit trois heures après midy lors qu'on vit ou que l'on put voir à Rouen, dans la rivière, un homme couronné de joncs et fait en quelque façon de la mesme sorte que les poëtes et les peintres nous representent leurs dieux marins s'elever et sortir du fond de l'eau, «Ne voilà-t'il pas un superbe spectacle, et qui tient fort l'esprit en suspens? Aussi ne manquay-je pas de l'embrouiller de beaucoup d'intrigues, selon la coustume, avant que d'en decouvrir la cause; puis, comme l'on meurt d'envie de la sçavoir, il se trouve enfin que ce Neptune qui (p. 124) a percé l'onde dans un si superbe appareil n'est qu'un escolier qui se baignoit, et qui, s'estant fait un peu auparavant cette couronne de quelques joncs, et l'ayant attachée à sa teste, venoit de se plonger par plaisir. Pour ce qui est de l'unité de scène ou de lieu, que, depuis la Cassandre[121], ils veulent tous faire garder dans les romans aussi bien que dans les comedies, je l'observe d'une assez plaisante façon. Je fais faire tout le tour du monde dans un navire à mon principal personnage, de sorte que, suivant la definition qu'Aristote donne du lieu, locus est superficies corporis ambientis, il se trouve que, n'ayant point sorty de son vaisseau, il n'a par consequent point changé de lieu; et pource que c'est un très mechant homme et qui a fait de très mauvaises actions pendant toute mon histoire, et que, par leurs règles, ils veulent que le vice soit toujours puny à la fin, comme la vertu recompensée, au lieu que les autres font marier leurs heros à leurs heroïnes en recompense de leurs illustres exploits, je punis le mien en luy faisant epouser sa maistresse, alleguant là-dessus qu'après avoir bien resvé au genre de son supplice, je n'ay pas cru luy pouvoir donner de plus rude peine qu'une femme.—Ces artifices sont très agreables, repondit Sylon.—C'est une bagatelle, repliqua l'amy pour faire le modeste, une fadaise, dont vous pouvez bien penser que je ne pretens pas tirer beaucoup de gloire, puis que ce n'est qu'une histoire comique.—Comment! puisque (p. 125) ce n'est qu'une histoire comique! reprit Sylon; hé! croyez-vous, en bonne foy, que le Dom Quichot et le Berger extravagant[122], les Visionnaires, la Gigantomachie[123] et le Pedant joué ayent moins acquis de gloire à leurs autheurs que pourroient avoir fait les ouvrages les plus serieux de la philosophie? Non, non (comme un des plus doctes hommes de ce siècle l'a fort bien sçeu remarquer), l'homme estant egalement bien definy par ces deux attributs de risible et de raisonnable, il n'y a pas moins de gloire ny de dificulté à le faire rire par methode qu'à exercer cette fonction de son ame qui le fait raisonner. Aussi voyons-nous que Ciceron, dans ses livres De oratore, ne s'est pas moins etendu sur le sujet de ridiculo que sur les autres parties d'un orateur qui semblent plus relevées. Si les ouvres et les apophtegmes de Mamurin[124], par exemple...» On ne sçait pas bien ce que Sylon vouloit dire icy, car son amy, l'interrompant: «Que voulez-vous dire d'œuvres et d'apophtegmes de Mamurin? luy dit-il.—Est-il possible, repartit Sylon, qu'en vous racontant (p. 126) la vie de ce parasite, j'aye oublié de vous faire part d'un papier qu'on m'a donné à la Grève où ces choses sont contenues?» L'amy dit qu'il n'en avoit rien veu, et, là dessus, Sylon luy en fit une lecture, à laquelle il temoigna par mille souris qu'il prenoit beaucoup de plaisir. «Il faut advouer, s'ecria-t'il aussi tost qu'elle fut achevée, que la vie du poëte que je viens d'apprendre a quelque chose d'agreable; mais si faut-il confesser qu'elle n'a rien d'approchant de celle de Mamurin.—Pourquoy? reprit Sylon.—Hé! qu'y a-t'il dans ces deux histoires, repondit l'autre, qui approche soit des commes[125], soit des livres et des apophtegmes de celle-cy?—Parbleu! s'ecria Sylon, en voilà d'une bonne! N'y a-t'il pas des beautez de plusieurs formes, de brunes comme de blondes? Quoy! vous estes donc d'humeur à ne vouloir que d'une seule sorte de viande? Je m'attens, pour moy, que, lors qu'on vous racontera les vies d'Alexandre et de Pompée, il ne faudra pas laisser d'y mettre des noms de leurs ouvrages, quoy qu'ils n'en ayent jamais fait, pour vous les faire trouver belles; et qu'il sera necessaire, de plus, que l'historien ait toûjours un homme prest pour l'interrompre, afin de trouver l'occasion d'y mettre des commes: car je gagerois, pour vous montrer comme ce n'est que pure imagination, (p. 127) que, pour ce qui est de vostre histoire du poëte, vous ne la trouveriez pas moins belle si je vous l'avois commée, et si, au lieu du train suivy et continu dont vous me l'avez rapportée, je vous disois à bastons rompus:
«Comme Sybus apprit à faire des vers à force de lire les ouvrages de nos poëtes françois, qu'il rapportoit tous les jours du marché avec le beurre et le fromage qu'il achetoit pour le disner de son maistre;
«Comme, afin de devenir poëte de cour, il quitta l'Université pour le faux-bourg Saint-Germain;
«Comme, au lieu de plume, il ecrivoit avec l'un de ses ongles, qu'il avoit laissé croistre à ce dessein;
«Comme, n'ayant pas le moyen d'acheter de la chandelle, il fit un trou à la cloison de sa chambre, qui repondoit dans celle d'une blanchisseuse;
«Comme les libraires du Palais le firent mettre en prison pour leur avoir vendu à cinq ou six un mesme ouvrage sous differens titres, qu'il dedia aussi à differentes personnes, pour y gagner davantage;
«Comme il ne se chauffoit qu'à un tas de fumier, s'imaginant que, comme la fumée des viandes repaist et engraisse les cuisinières, celle de ce fumier pourroit bien aussi rassasier sa faim; et comme, à force de se promener sur ce fumier, il luy survint un grand malheur, qui fut qu'une paire de bouts qui avoit coustume de luy servir plus de quinze jours ne luy en duroit plus que douze.»
Sylon n'eust pas manqué d'achever de reduire en commes l'histoire du poëte, ainsi qu'il l'avoit commencée, si son amy ne l'eust encore interrompu en (p. 128) cet endroit: «Hé bien! luy dit-il, voudriez-vous soustenir que ces particularitez des bouts de souliers, que j'ay neantmoins esté obligé de vous raporter pource qu'elles sont veritables, ne fussent pas plustost basses qu'autrement, et qu'elles eussent rien de comparable à celles de l'histoire de Mamurin?—Ah! nous y voicy! repondit Sylon; ma foy, je m'imagine que vous estes de l'humeur de nos poëtes, qui, lors qu'ils ont quelque ouvrage à faire, cherchent dans un dictionnaire tous les gros mots, comme trone, couronne, diadème, palmes, indumées, cèdres du Liban, croissant ottoman, aigle romaine, apotheose, naufrage, ondes irritées, et quantité d'autres belles paroles semblables, dont ils vous massonnent après bravement leurs sonnets et leurs odes, s'imaginant que cela suffit pour rendre une pièce excellente, et que de tant de beaux materiaux il ne peut resulter qu'un parfaitement bel edifice. Ainsi, pource que vous croyez que ces mots extraordinaires font toute la bonté d'un ouvrage, vous estes persuadé aussi que ceux qui sont plus communs ne sçauroient manquer de le gaster.—Ce n'est pas le mot que je reprens, repartit l'amy, c'est la chose: car ne m'avouerez-vous pas que cette circonstance de bouts de souliers est très basse?—Nostre pointu de tantost ne manqueroit pas d'en tomber d'accord, puis qu'il s'agit du dessous des pieds, repliqua Silon; mais, pour moy, je me donneray bien de garde de croire qu'une chose soit basse quand l'imagination en est extraordinaire et qu'elle represente bien l'objet que l'on veut depeindre. Par exemple, posez le cas que vostre histoire du poëte (p. 129) ne fust pas veritable, mais un conte fait à plaisir: je maintiens qu'il n'y auroit pas moins eu d'esprit à trouver cette particularité de bouts de souliers que beaucoup d'autres, qui ont un plus beau nom, pource que celle-cy represente parfaitement bien les mœurs, les desseins et la personne de celuy que l'on veut decrire. Il s'agit d'un poëte crotté; ne voudriez-vous point qu'on luy fît donner des batailles pour fendre des demesurez geans jus les arçons, se precipiter dans la mer pour sauver par generosité une dame qui se noye, et faire cent mille autres bagatelles que vous deguisez du nom de hauts evenemens?—Je ne veux point tout cela, reprit l'amy; mais je veux que, si un sujet n'est pas capable de recevoir d'autres embellissemens que de circonstances basses et qui peuvent facilement tomber dans la teste d'un chacun, on ne se donne point la peine de nous en rompre la cervelle.—Cela est bien, repliqua Sylon, mais il faut tomber d'accord de ce que nous appellerons bas et capable d'entrer dans la teste d'un chacun. Une chose paroist quelquefois abjecte et facile à trouver, quoy que cependant il n'y ait rien de plus elevé ny de mieux imaginé. C'est l'adresse de l'ecrivain de disposer si bien son fait qu'il semble qu'il n'y ait rien que d'absolument necessaire, et que, par consequent, tout autre n'eust mis aussi bien que luy. Cependant, les veaux qui ne reconnoissent pas cet artifice s'imaginent, à cause que la chose est naïfvement representée, qu'il n'y a rien de plus facile à trouver. Quand Christophle Colomb eut decouvert l'Amerique, quantité de (p. 130) sots et d'envieux pensoient bien diminuer de sa gloire en disant: «Voilà bien de quoi! Quoy! n'y avoit-il que cela à faire? qu'à aller là, et puis là; et de là, là; et puis encore là, et de là aborder là? Vrayment, nous en eussions bien fait autant!» Colomb, pour se moquer d'eux, il est vray qu'il n'y avoit que cela à faire: «Messieurs, leur dit-il, mais qui de vous fera bien tenir cet œuf sur ce costé icy[126]»? leur dit-il, en montrant la pointe. Ils se mirent tous incontinent à resver, et, pas un n'en pouvant venir à bout, Colomb cogna doucement la pointe de l'œuf contre la table, et, la cassant, fit ainsi tenir l'œuf dessus. Les voilà tous à dire encore: «Quoy! n'y avoit-il que cela à faire? Vrayment, nous en eussions bien fait autant.—Toutefois, repondit Colomb, pas un pourtant ne s'en est pu aviser. C'est tout comme cela que j'ay decouvert les Indes.» Ce que disoit Colomb de son voyage se doit entendre de la pluspart des belles choses; quand nous les voyons faites, nous n'appercevons plus ce qui les rendoit difficiles. Mais je voy bien ce qui vous tient: il vous faut des livres, des apophtegmes; hé bien! vous en aurez. Imaginez-vous donc, pour trouver vostre histoire du poëte belle, qu'il a composé[127]:
(p. 131) Une invective contre Chrisippus[128], de ce qu'ayant fait un si grand nombre de livres, il n'en dedia jamais pas un.
Commentaire sur le passage de Buscon[129] où il est parlé des chevaliers de l'industrie[130].
Très humbles actions de graces de la part du corps des autheurs à M. de Rangouze, de ce qu'ayant fait un gros tome de lettres, et se faisant donner au moins dis pistolles de chacun de ceux à qui elles sont adressées, il a trouvé et enseigné l'utile invention de gagner autant en un seul volume qu'on avoit accoustumé jusques icy de faire en une centaine[131].
(p. 132) Methode de faire de necessité vertu, ou l'Art de se coucher sans souper.
Recherches curieuses sur le proverbe: «Vaut mieux un tiens que deux tu l'auras».
Le moyen de faire imprimer utilement un livre à ses despens quand le libraire n'en veut pas assez donner à son autheur; ensemble le privilége gratuit. Traitté très utile à tous, tant poëtes que faiseurs de romans, où, par une methode très facile et experimentée, est enseigné l'art de ne rien payer du privilége d'un ouvrage, en gagnant les bonnes graces d'un secretaire du roy par quelque sonnet à sa louange.
Que les premiers philosophes ont esté poëtes.
Chansons nouvelles et recreatives.
Le triomphe des epigrammes, ou Les epigrammes triomphantes.
(p. 133) Le doute resolu, ou La question decidée, sçavoir lequel vaut mieux à un autheur, en payement d'un sonnet, d'une ode, ou d'une epistre dedicatoire mesme, de recevoir un habit complet avec le manteau, ou dix pistolles[132].
Des jours favorables à l'impression.
Le stile des requestes, ou Methode de dresser une requeste en vers pour demander une pension ou autre chose, le tout authorisé par plusieurs exemples tirez des ouvrages de M...... jadis.....
Le may des imprimeurs des années 1658 et 1659[133].
Questions memorables, où il est traitté, entre plusieurs (p. 134) autres recherches curieuses, du prix qu'Auguste et Mecenas donnoient à Horace et Virgile pour une epigramme ou une ode.
Le trebuchet[134] des sonnets, ou Sçavoir si, supposé que les pistolles ne vallussent que huit francs, le sonnet ne vaudroit qu'une pistolle?
Du prix et de la valeur des poëmes epique, elegiaque et dragmatique, et combien il faut de patagons[135] pour faire la monnoye d'un sonnet. Ensemble un discours particulier des sonnets, où il est traitté du sonnet de province, du sonnet façon de Paris, et singulierement du sonnet marqué au coing du Marais.»
Comme Sylon avoit l'esprit vif et imaginatif au dernier point, il n'eust pas terminé si tost cette saillie, si son amy ne l'y eust obligé en l'interrompant: «Ma foy! luy dit-il, vous verrez que le poëte fera tant de livres qu'il y mettra tout ce qu'il sçait, et qu'il ne luy restera plus rien pour ses apophtegmes.—Donnez-vous patience, vous en aurez, reprit Sylon; qu'à cela ne tienne que vous ne soyez satisfait (p. 135) et que son histoire ne soit aussi belle que celle de Mamurin. Figurez-vous donc que,
Un jour qu'on luy parloit de celuy qui brusla le temple de Delphes pour rendre son nom immortel: «Il le pouvoit faire à meilleur marché et avec moins de peine, dit-il: ne connoissoit-il point de poëte?»
Pource qu'on le railloit de ce qu'il portoit des cloux à ses souliers, il repondit qu'il etoit de l'ordre de Pegase.
Une fois, qu'on luy demandoit pourquoy il mangeoit si peu: «C'est de peur de mourir de faim!» repondit-il, voulant dire que c'estoit pour epargner de quoy manger le lendemain.
Mamurin luy demandant un jour: «Comment peux-tu vivre et manger si peu?—Et toy, repondit-il au parasite, comment peux-tu vivre et manger tant?»
Chantant un jour dans une compagnie, il le fit si miserablement qu'on le livra aux pages et aux laquais, qui le pensèrent accabler de pierres. Quand on luy reprochoit cette aventure, il disoit qu'il avoit cela de commun avec Orphée et Amphion d'attirer les pierres et les rochers.
Une autre fois, tout le monde s'estant levé dès qu'il commença à reciter de ses vers, il dit qu'il estoit le coq de tous ceux de sa profession.
Moqué un jour de ce qu'il gratoit sa teste pour faire des vers qu'on luy demandoit: «Comment voulez-vous que je les en tire, dit-il, si ce n'est avec les mains.»
Une autre fois, sur le mesme sujet: «Pour qu'un (p. 136) champ rapporte, repondit-il, il faut bien qu'il soit labouré.»
Encore une autre fois, en une occasion semblable, comme on le railloit de ce qu'il gratoit tant sa teste pour en faire sortir ses vers: «Ho! ho! je croy bien, repliqua-t'il; il fallut bien fendre celle de Jupiter pour en faire sortir Minerve!»
Comme on luy reprochoit qu'il estoit logé bien près des tuilles, il dit qu'ayant à communiquer tous les jours avec les dieux, il estoit bien raisonnable qu'il fît la moitié du chemin.
Un jour qu'on luy disoit qu'il estoit bien mal vestu pour un poëte d'importance, il repartit que souvent Virgile estoit bien relié en parchemin.»
Sylon n'eut pas plustost achevé cette plaisante tirade que son amy fut obligé de prendre congé de luy, pource qu'il se faisoit tard; ils firent encore neantmoins cette reflection avant: que, bien que le caractère de ce personnage fût aussi rare qu'il s'en pust trouver, il n'y avoit neantmoins rien de si ridicule dans sa personne qui ne se rencontre en un degré bien plus haut dans la plus grande partie de nos poëtes, dont il y en a peu qui ne soient plus miserables que Sibus.
A Bordeaux.
M.D.LXXXVI. Pet. in-8.
Discours sur les causes de l'extresme cherté est aujourd'huy en France et sur les moyens d'y remedier.
La cherté de toutes les choses qui se vendent et debitent au royaume de France est non seulement aujourd'huy si grande, mais aussi tant excessive, que, depuis soixante ou quatre-vingts ans, les unes sont encheries de dix fois, et les autres de quatre, cinq et six (p. 138) fois autant que lors elles se vendoient; ce qui est bien aisé à prouver et verifier en toutes, soit en vente de terres, maisons, fiefs, vignes, bois, prez, ou enfin chairs, laines, draps, fruicts et autres denrées necessaires à la vie de l'homme.
Pour venir à la preuve de cela et commencer par les vivres, il faut seulement regarder aux coustumes (p. 139) de toutes les provinces de la France, et on trouvera qu'en la plus part d'icelles les adveuz font foy que la charge de mestail, celle de seigle, celle d'orge et celle de froment, sont evaluées et taxées à moindre pris qu'on ne vend aujourd'huy la dixiesme partie d'icelles, et qu'un chappon, une poulle, un chevreau, et autres choses deues par les subjects aux seigneurs, sont au dixiesme, voire au quinziesme, evaluées à meilleur compte qu'on ne les vend à present[137]. Les coustumes d'Anjou, de Poitou, de la (p. 140) Marche, de Champaigne, de Bourbonnois et de plusieurs autres pays, mettent la poulle à six deniers[138], la perdix à quinze deniers[139], le mouton gras avec la laine à sept sols[140], le cochon à dix deniers[141], le mouton commun et le veau à dix sols, le chevreau à trois sols, la charge de fourment à trente sols[142], la charge de foin pesant quinze quintaux à dix sols, qui sont dix botteaux pour un sol[143], le botteau pesant quinze livres. Par la coustume d'Auvergne et Bourbonnois, les douze quintaux estoient estimez dix sols, le tonneau de vin trente sols[144], le tonneau (p. 141) de miel trente-cinq sols, l'arpent de bois deux sols six deniers, l'arpent de vigne trente sols de rente, la livre de beurre quatre deniers[145], d'huille de noix autant, de suif autant. En plusieurs autres coustumes, la charge de mestail est de vingt-cinq sols, celle de seigle à vingt-deux sols six deniers, celle d'orge à quinze sols; en d'autres coustumes, le septier de fourment est à vingt sols, le seigle à dix sols, l'orge à sept sols, l'avoine à cinq sols, la chartée de foin de douze quintaux à dix sols; prise sur le pré, à cinq sols; la chartée de bois à douze deniers; l'oye à douze deniers[146], la chair entière du mouton, sans laine, à trois sols six deniers, le mouton gras avec la laine à cinq sols, le chevreau à dix-huit deniers, la poulle à six deniers, le connil[147] à dix deniers, l'oyson à six deniers, le veau à cinq sols, le cochon à dix deniers, le paon[148] à deux sols, le pigeon à un denier[149], le faisan à vingt deniers. Voilà quant aux vivres, qui sont aujourd'huy douze ou quinze fois plus chers; et, quant aux courvées (p. 142) et journées des manouvriers, nous voyons, par les coustumes arrestées et corrigées depuis soixante ans, que la journée de l'homme en esté est taxée à six deniers, en hyver à quatre deniers, et avec sa charrette à beufs à xij deniers; peu auparavant la journée de l'homme estoit à douze deniers, celle de la femme à six deniers[150].
Quant aux terres, la meilleure terre roturière n'estoit estimée que au denier vingt ou vingt-cinq, le fief au denier trente, la maison au denier cinquante; l'arpent de la meilleure terre labourable au plat païs ne coustoit que dix ou douze escus, et la vigne que trente. Et aujourd'huy toutes ces choses se vendent trois et quatre fois autant, mesmes en escus pesans un dixiesme moins qu'ils ne pesoient il y a trois cents ans[151].
Par là on peut cognoistre combien les choses sont haussées de pris depuis soixante ans. Ce qui en outre se peut aisement verifier par la recherche des adveuz de la Chambre des comptes, par les contracts particuliers et par ceux du tresor de France, (p. 143) par lesquels on verra que les baronnies, comtez et duchez qui ont esté annexez et reunis à la couronne vallent aujourd'huy autant de revenu qu'elles ont esté pour une fois vendues[152]. Il y a plusieurs historiens qui disent que Humbert, dauphin de Viennois, environ l'an 1349, vendit son païs de Dauphiné au roy Philippe de Valois, lors regnant, pour la somme de quarante mille escus pour une fois, et dix mille florins chacun an sa vie durant, avec quelques autres pactions, à la charge que le premier fils des rois de France, heritier presumptif de la couronne, s'appelleroit Dauphin, attendant la dite couronne durant la vie de son père. Les autres disent, et mesmes il appert par quelque contract, que le dit Humbert donna le dit païs de pur don au dit roy Philippe à la sus dite condition, avec quelques reserves durant sa vie. Mais, s'il vendit le dit païs, le pris de la vendition est si petit qu'aujourd'huy le païs vault de revenu autant que la somme se monte. Bien faut-il penser que, mettant (p. 144) la condition sus dite, que le premier fils des rois s'appelleroit Dauphin, il en fit meilleur marché qu'il n'eust faict autrement. Tant y a que, puisque c'est vendition, elle est à si vil pris que c'est presque donation.
Le mesme roy Philippe de Valois achepta du roy Jacques de Majorque la ville de Mont-Peslier pour la somme de vingt-cinq mille florins d'or. Et dans la dite ville il y a aujourd'huy cinquante maisons dont la moindre se vendroit presque autant, ou pour le moins cousteroit autant à bastir.
Herpin, comte de Berry, voulant aller à la guerre de la Terre-Saincte avec Godeffroy de Bouillon, vendit son comté au roy Philippe premier du nom pour la somme de cent mille sols d'or; et aujourd'huy le dit païs, qui par le roy Jean fut erigé en duché en faveur de Jean, son troisiesme fils, qui en fut le premier duc, vault presque autant de revenu.
Guy de Chastillon, comte de Blois, deuxiesme du nom, l'an 1391, vendit à Louys, duc d'Orléans, frère du roy Charles sixiesme, le dit comté, pour la somme de cent mille florins d'or. Il y en a qui disent que ce fut Marie de Namur, sa femme, qui, aymant d'une amour deshonneste le dit duc d'Orléans, luy donna le dit comté; mais que, pour couvrir ses amours et sa donation d'une honneste couverture, elle fit passer un contract de vendiction.
Qu'on regarde à plusieurs maisons, terres, fiefs, seigneuries, arpens de terres, de bois, de vignes, de prez, et d'autres choses auxquelles on n'a rien augmenté depuis soixante ans: aujourd'huy elles se vendent six fois autant qu'elles furent lors vendues. (p. 145) Une maison dans une ville, à laquelle il n'y a ny rente ny revenu, qui se vendoit il y a soixante ans pour la somme de mille escus, aujourd'huy se vend quinze et seize mille livres, encore qu'on n'y aye pas faict depuis un pied de mur ny aucune reparation. Une terre ou fief qui se vendoit lors 25 ou au plus cher trente mille escus aujourd'huy se vend cent cinquante mille escus. Bien est vray que on me pourra dire que lors ceste terre ne valoit que mille escus de ferme, et maintenant elle en vaut six mille. Mais je respondray à cela qu'aujourd'huy on ne fait pas plus pour six mille escus qu'on faisoit lors pour mille: car ce qui coustoit lors un escu en couste aujourd'huy six, huict, et dix et douze.
Chacun voit ceste extrême et excessive cherté, chacun en reçoit une grande incommodité, et aucun n'y remedie. Il y a plusieurs causes d'icelle, dont la principalle est celle qui est comme mère des autres, qui est le mauvais ordre donné aux affaires et à la police de la France. La première cause de celles qui sont engendrées de celle-là est l'abondance de l'or et de l'argent qui est en ce royaume[153]. Ceste abondance (p. 146) produit le luxe et la despense excessive qu'on fait en vivres, en habits, en meubles, en bastimens, et en toutes sortes de delices. Le degast et la dissipation des choses est une autre cause, lequel procède de la dite abondance: car là où est l'abondance, là est degast. Les monopoles des fermiers, marchans et artisans, est la troisiesme cause[154]. Quant aux fermiers et marchans, il se voit clairement qu'estans aujourd'huy presque tous biens, tant ceux du roy que des particuliers, baillez à ferme, les dits fermiers et marchans arrent les vivres devant qu'ils soient recueillis, puis les serrent, et en les serrant (p. 147) engendrent la disette et la cherté, et en après les vendent à leur mot. La quatriesme cause est la liberalité dont noz rois ont usé à donner les traittes des bleds et des vins, et autres marchandises, pour les transporter hors du royaume[155]: car les marchans, advertis de l'extresme cherté qui est ordinairement en Espagne et en Portugal, et qui souvent advient aux autres lieux, obtiennent, par le moyen des favoris de la cour, des traittes pour y transporter les dits bleds, le transport desquels nous laisse la cherté. La cinquiesme cause est le pris que les rois et princes ont donné aux choses de plaisir, comme aux peintures et pierreries, qui ne s'achètent qu'à l'œil et au plaisir, lesquelles aujourd'huy se vendent dix fois plus qu'elles ne faisoient au temps (p. 148) de noz anciens rois, pource qu'ils n'en tenoient compte[156]. La sixiesme sont les impositions et maletostes mises sur toutes denrées, et les tailles excessives imposées sur le peuple. La septiesme sont les guerres civiles de la France, qui ont mis le feu et la guerre par tout, apporté l'insolence et l'impunité de brusler et saccager et dissiper tout. La huictiesme est le haussement du pris des monnoyes. La neufiesme est la sterilité de cinq ou six années que subsecutivement nous avons eues[157], avec la dissipation de la guerre, qui sont deux causes jointes ensemble depuis le dit temps.
Voilà toutes les causes, ou pour le moins les principalles, (p. 149) qui nous ont amené l'extrême cherté que nous endurons, lesquelles nous deduirons particulièrement l'une après l'autre.
La première cause doncques de la cherté est l'abondance de l'or et de l'argent, qui est en ce royaume plus grande qu'elle ne fut jamais. De quoy plusieurs s'esbahiront, veu l'extrême pauvreté qui est au peuple. Mais en cela il faut dire le vieil proverbe: c'est qu'il y a plus d'or et d'argent qu'il n'y eut jamais, mais qu'il est mal party. Et, pour prouver mon dire par vives raisons, il faut considerer qu'il n'y a que six vingts ans que la France a la grandeur et la longue etendue qu'elle a maintenant. Et, si on veut regarder plus haut, comme du temps du roy saint Loys, et dessoubs après, les rois de France ne tenoient aucune mer en leur puissance et n'avoient nulle province ny ville sur la mer, ains ne tenoient que le nombril[158] de la Gaule, qui encore estoit guerroyé, debattu et oppressé par les Anglois et par plusieurs petits seigneurs particuliers qui estoient comme rois en leur poignée de terre. Les duchez de Guyenne et de Normandie, et le comté de Poictou, et la coste de Picardie, estoient possedées par l'Anglois; la Provence avoit son comte, la Bretaigne (p. 150) son duc, et le Languedoc estoit detenu par les rois de Maiorque. Voilà quant aux païs maritimes. Les autres païs loing de la mer, comme la Bourgogne avoit son duc particulier, le Dauphiné son dauphin; l'Anjou, le Poictou, la Touraine, le Maine, l'Auvergne, le Limosin, le Perigort, l'Angoulmois, le Berry et autres, estoient à l'Anglois; et les autres duchez, comtez et seigneuries de la France, estoient tenus ou par les dits Anglois, ou par princes ou seigneurs particuliers, qui ne permettoient que les rois prinssent en leurs terres aucune chose que les devoirs ordinaires; encores quelques uns les empeschoient de les prendre. Lors doncques il n'y avoit nul trafic sur la mer qui nous apportast en ce royaume l'or ny l'argent des païs estrangers, ains estoient les François contraints de manger leurs vivres et d'user entre eux de la première coustume des hommes, qui estoit de permuter avec leurs voisins à ce qu'ils n'avoient point ce qu'ils avoient, comme de donner du bled et prendre du vin.
Mais, pour revenir à ce que nous avons dit, qu'il n'y a que six vingts ans que la France est en la grandeur qu'elle a, nous n'irons point plus haut ny plus avant que ce temps-là, et redirons que, devant iceluy, les provinces cy dessus nommées n'estoient point aux rois de France, ains avoient les seigneurs que nous avons dit; et les terres que noz rois tenoient en leur puissance estoient si tourmentées des guerres continuelles que tantost les Anglois, tantost les Flamans et tantost les Bretons, et tantost les divisions des maisons d'Orleans et de Bourgongne, faisoient (p. 151) qu'il n'y avoit pas un sol en France. Il n'y avoit aucun trafic ny commerce qui nous apportast l'or ny l'argent. L'Anglois, qui, comme nous avons dit, tenoit les ports de la Guyenne, de la Normandie et de la Picardie, et qui avoit les ports de la Bretaigne à sa devotion, nous fermoit toutes les advenues de la mer et les passages d'Espagne, de Portugal, d'Angleterre, d'Ecosse, de Suède, de Danemarch et des Allemagnes. Les Indes n'estoient encores cogneues, et l'Espagnol ne les avoit encore descouvertes. Quant au Levant, les Barbares et les Alarbes d'Afrique, que noz ancestres appelloient Sarrasins, tenoient tellement la mer Mediterranée en subjection que les chrestiens n'y osoient aller s'ils ne se vouloient mettre en danger d'estre mis à la cadène. Nous n'avions aucune intelligence avec le Turc, comme nous avons du depuis que le grand roy François nous l'a donnée. L'Italie nous estoit interdite par les divisions et querelles des maisons d'Anjou et de Arragon. Donques nous ne trafiquions en lieu du monde, sinon entre nous; mais c'estoit seulement de marchandise à marchandise, comme de bled à vin et de vin à bled, et ainsi des autres[159]: car, d'or et d'argent, il ne s'en parloit point, veu que (p. 152) nous n'avons mine ny de l'un ny de l'autre, que bien peu d'argent en Auvergne, qui couste plus à affiner qu'il ne vault[160].
Aussi alors le François ne s'amusoit point au trafic ny au commerce, ains s'adonnoit seulement à labourer et cultiver sa terre, à nourrir du bestial et à tirer de sa mesnagerie toutes les commoditez qui luy estoient necessaires, comme le bled, le vin, les chairs pour sa nourriture, les laines pour faire ses toiles, et ainsi des autres.
Mais considerons quelles commoditez sont venues à la France depuis six vingts ans. L'Anglois a esté chassé des Gaules; nous sommes devenuz maistres de toutes les terres qu'ils tenoient de deçà. La Bourgongne, la Bretaigne et la Provence se sont attachées à nostre couronne; les autres païs y sont aussi venuz. Le chemin nous a esté ouvert pour trafiquer en Italie, en Angleterre, en Ecosse, en Flandres, et par tout le septentrion. L'amitié et intelligence entre le grand-seigneur et noz rois nous a frayé le chemin du Levant. Le Portugais et Espagnol, qui ne peuvent vivre sans nous venir mendier le pain, sont allez rechercher le Perou, le goulfe de Perse, Indes, l'Amerique et autres terres, et là ont fouillé les entrailles de la terre pour en tirer l'or et nous l'apporter tous les ans en beaux lingots, en portugaises, (p. 153) en doubles ducats, en pistolets et autres espèces, pour avoir noz bleds, toiles, draps, pastel[161], papier[162] et autres marchandises. L'Anglois, pour avoir noz vins, noz pastels et nostre sel, nous porte ses beaux nobles à la rose[163] et à la nau, et ses angelots. L'Allemant nous porte l'or, de quoy nous faisons noz beaux escus, et toutes autres nations de l'Europe nous apportent or et argent pour avoir les commoditez que nostre ciel et nostre terre nous apportent, et qu'ils n'ont pas, et mesmement le sel que nous avons en Xaintonge, le meilleur du monde pour saller, et qui excède en bonté, en valeur et en longue garde, celuy de Lorraine, de Bourgongne, de Provence et de Languedoc[164].
Outre ceste cause de l'abondance d'or et d'argent procedente de l'augmentation du royaume de France et du trafic avec les estrangers, il y en a une autre, (p. 154) qui est le peuple infini qui, depuis le dit temps, s'est multiplié en iceluy, depuis que les guerres civiles d'entre les maisons d'Orleans et de Bourgongne furent assopies et que les Anglois furent rencoignez en leur isle. Auparavant, à cause des dites guerres, qui durèrent plus de deux cents ans, le peuple estoit en petit nombre, les champs par consequent deserts, les villages despeuplez, et les villes inhabitées, desertes et despeuplées. Les Anglois les avoient ruinées et saccagées, bruslé les villages, meurtri, tué et saccagé la plus grande partie du peuple, ce qui estoit cause que l'agriculture, la trafique[165] et tous les arts mechaniques cessoient. Mais depuis ce temps-là, et la longue paix qui a duré en ce royaume jusques aux troubles qui s'y sont esmeuz pour la diversité des religions, le peuple s'est multiplié, les terres désertes ont esté mises en culture, le païs s'est peuplé d'hommes, de maisons et d'arbres; on a défriché plusieurs forests, là des terres vagues; plusieurs villages ont esté bastis, les villes ont esté peuplées, et l'invention s'est mise dedans les testes des hommes pour trouver les moyens de profiter, de trafiquer et d'avoir de l'or et de l'argent.
De ces commoditez donques est venue en France l'abondance de l'or et de l'argent, qui apporte la cherté; car, comme l'or et l'argent des estrangers (p. 155) nous est venu enlever noz denrées de la mer, et par la subtilité et manigance[166] du trafic l'or et l'argent sont venuz abonder en nous, la plus part de noz marchandises s'en sont allées en païs estrangers[167], et ce qui nous est resté s'est encheri, tant pour la rarité que pour le grand moyen que nous avons commencé d'avoir, estant tout certain que l'abondance de l'or et de l'argent rend les hommes plus liberaux, et, si ainsi faut dire, plus larges à donner plus d'une chose et à acheter plus hardiment et plus souvent, et que là où il y a moins d'or et d'argent, là se vendent moins les choses. Ce qui est aux païs où il n'y a point de commerce, ou là où il n'y a pas grand peuple, et que les habitans, à faute de trouver à qui vendre leurs fruicts, soit à faute de ports et de rivières et de peuple, ou pource que chacun en a pour soy, sont contraints de les vendre à vil pris. Mais où il y a abondance d'or et d'argent, et de peuple, et de trafic, comme à Paris, Venise et Gênes, là se vendent les choses cherement: je entends des vivres et autres choses necessaires à l'homme, comme le bled, le vin, la chair, non des (p. 156) choses de plaisir et non necessaires, comme les parfums, les soyes et les petites babioleries des merciers, desquelles il y a une infinité de pauvres artisans qui vivent, et qui sans cela mourroient de faim en quelque païs barbare, comme en Basque, en la basse Gascongne, ou en basse Bretaigne, pource que personne n'acheteroit de ces vanitez, à cause de la faute d'argent qui y est et la barbarie du peuple, qui ne veut rien avoir que ce qui est necessaire. C'est doncques l'abondance d'or et d'argent qui fait que tout s'achète, et qui est une principale partie de la cherté de toutes choses.
Mais, après avoir allegué plusieurs raisons peremptoires de la cherté procedante de l'abondance de l'or et de l'argent, prouvées par les exemples des venditions et des achats, venons à d'autres, qui monstreront combien la France estoit jadis desnuée d'argent.
Noz anciens rois se sont si souvent trouvez en telle necessité d'argent, qu'à faute de ce ils ont perdu de belles entreprises et occasions. Quelquefois ils ont voulu prendre le centiesme, puis le cinquantiesme de tous leurs subjets, pour iceux vendre au plus offrant pour avoir de l'argent; tant le peuple estoit pauvre qu'il estoit contraint d'endurer qu'on vendist une partie de son bien à faute de pouvoir trouver de l'argent.
Le roy Jean estant prins prisonnier à la journée de Poictiers et mené en Angleterre, son fils Charles, duc de Normandie, et depuis roy soubs le nom de Charles-Quint, assembla à Paris les trois Estats pour avoir de l'argent pour racheter son père, et (p. 157) voyant le dit roy que ny son dit fils ne pouvoient obtenir, ny ses bons serviteurs impetrer, ny son peuple donner aucune somme d'argent, luy-mesme y vint en personne, et, quelque prière et remonstrances qu'il fit à son dit peuple, il ne peut trouver argent pour la rançon à laquelle l'Anglois l'avoit mis, et fut contraint s'en retourner en Angleterre pour trouver moyen de la faire moderer et cependant attendre qu'on luy feist deniers. Quelque temps devant que le dit roy fust prins prisonnier, il se trouva en grande necessité, par laquelle il ne peut jamais trouver sur son peuple soixante mille francs d'or, que quelques uns ont voulu evaluer à escus.
Aussi nous lisons en nos histoires qu'à faute d'argent on fit monnoye de cuir avec un clou d'argent[168]. Et, si nous venons à nostre aage, nous trouverons qu'en six mois on a trouvé à Paris plus de quatre millions de francs, et chasque année en tire on plus que jadis le revenu de la France ne valoit en six ans; ce qui vient de l'abondance de l'or et de l'argent qui est en la dite ville, de la bonne volonté des Parisiens envers leur roy et de sa necessité extrême. On dit que l'année 1556 valut au roy Henry quarante (p. 158) millions de francs lorsqu'il fit tous ses offices. En France il n'y a recepte generale qui ne vaille aujourd'huy trois, quatre et cinq fois de plus que elle ne valoit jadis. La Bretagne ne valut jamais aux ducs d'icelle plus de trois cents mille livres; aujourd'huy elle en vaut plus d'un million, sans compter les aydes et les deniers qui proviennent de la vente des offices du dit païs. On peut juger le semblable des autres. Le comté d'Angoulmois ne fut baillé au comte Jean, fils puisné du duc Loys d'Orleans, que pour quatre mille livres de rente en assiette; et aujourd'huy il vaut plus de soixante mille livres. Le dit duc Loys eut pour son appannage le duché d'Orleans et les comtez de Valois et d'Angoulmois pour douze mille livres de rente; et regardons combien cela vault aujourd'huy davantage. Voyons l'aage de Charles septiesme, auquel la France (comme nous avons dit) despouilla son enfance et commença de croistre en sa grandeur. Il ne feit jamais valloir son royaume qu'à un million et sept cents mille livres. Son filz Loys unziesme, ayant augmenté sa couronne des duchez de Bourgongne et de Anjou, et des comtez de Provence et du Maine, print trois millions plus que son père; dequoy le peuple se sentit si foullé qu'à la venue de Charles huictiesme, son fils, à la couronne, il fut ordonné, à la requeste et instance des esleuz, que la moitié des charges seroient retranchées.
Depuis, la Bretaigne estant venue à la couronne, plusieurs nouvelles impositions ont esté mises sur le peuple, et les anciennes, comme les tailles, les aydes et les gabelles, sont augmentées; ce qui est (p. 159) un signe très evident d'abondance d'argent plus grande qu'elle n'a autrefois esté.
Il y a encores deux autres causes de la dite abondance, dont l'une est la banque de Lyon[169], du profit de laquelle les Luquois, Florentins, Genevois, Suisses et Allemans affriandez, apportent une infinité d'argent et d'or en France; l'autre cause est l'invention des rentes constituées sur la ville de Paris[170], lesquelles ont alleché un chacun à y mettre son argent. Bien est vray qu'elles ont fait cesser le trafic de la marchandise et les arts mechaniques, qui auroient bien plus grand cours s'ils n'estoient diminuez par ce trafic d'argent qu'on faict[171]. Voilà (p. 160) donc plusieurs raisons et exemples de l'abondance de l'or et de l'argent de ce royaume, de laquelle procède en partie la cherté et haut pris de toutes choses.
Le degast est la seconde cause de la dite cherté, laquelle procède de l'abondance et dissipe ce qu'on devroit manger; et de là procède la dite cherté. Car, s'il faut commencer par les vivres, pour puis après venir aux bastimens, aux meubles et aux habits, vous voyez qu'on ne se contente pas[172] en un disner ordinaire d'avoir trois services ordinaires: premier de bouilly, le second de rosty et le troisiesme de fruict; et encore il faut d'une viande en avoir cinq ou six façons, avec tant de saulses, de hachis, de pasticeries de toutes sortes, de salemigondis et d'autres diversitez de bigarrures, qu'il s'en fait une grande dissipation. Là où, si la frugalité ancienne continuoit[173], qu'on n'eust sur sa table en un festin que cinq ou six sortes de viandes, une de chacune (p. 161) espèce, et cuittes en leur naturel, sans y mettre toutes ces friandises nouvelles, il ne s'en feroit pas telle dissipation, et les vivres en seroient à meilleur marché. Et bien que les vivres soient plus chers qu'ils ne furent onques, si est-ce que chacun aujourdhuy se mesle de faire festins, et un festin n'est pas bien fait s'il n'y a une infinité de viandes sophistiquées, pour aiguiser l'apetit et irriter la nature. Chacun aujourd'huy veut aller disner chez le More, chez Sanson, chez Innocent et chez Havart[174], ministres de volupté et despense, qui, en une chose publique bien policée et reglée, seroient bannis et chassez comme corrupteurs des mœurs[175].
Et est certain que, si ceux qui tiennent les grandes tables, et font ordinairement festins et banquets, (p. 162) moderoient et retranchoient la superfluité, et qu'au lieu de quatre plats ils se contentassent de deux ou au lieu de vingt mets de dix, et que pour quatre ou six chappons ils n'en missent que la moitié, ce seroit un gain de cent pour cent, et doublement des vivres, au grand profit du public. Le semblable se peut dire du vin, l'usage duquel, ou plutost l'abuz, est plus commun en ce royaume qu'en nul autre. On blasme les Allemans pour leurs carroux[176] et grands excez en leur façon de boire; et neantmoins ils sont mieux reiglez pour ce regard que nous: car en leurs maisons et ordinaire il n'y a que les chefs des maisons qui boivent du vin; et quant aux enfans, serviteurs et chambrières, il (p. 163) leur est osté. Le Flamand, l'Anglois et l'Ecossois usent de bière; le Turc s'est entierement privé de l'usage du vin, mesmes l'a introduit en religion. Ils sont grands, puissans, martiaux, et exempts de plusieurs maladies causées par le frequent usage du vin. Au contraire nous voyons qu'en France le vin est commun à tous, aux enfans, filles, serviteurs, chambrières, chartiers et tous autres; et où anciennement on estoit seulement curieux de garnir le grenier, maintenant il faut remplir la cave. Dont advient que la quantité des bleds est diminuée en France par moitié, d'autant que le bourgeois ou laboureur qui avoit cent arpens de terres labourables est contraint en mettre la moitié en vigne[177]. Cest abuz est de tel poix, que, si bientost n'y est remedié par quelque bon reglement, tant sur l'usage du vin que quantité de vignes, nous ne pouvons espérer que perpétuelle cherté de grains en ce royaume.
Venons aux bastimens de ce temps, puis aux meubles d'iceux. Il n'y a que trente ou quarante ans que ceste excessive et superbe façon de bastir est venue en France. Jadis noz pères se contentoient de faire bastir un bon corps d'hostel, un pavillon ou une tour ronde, une bassecourt de mesnagerie et autres pieces necessaires à loger eux et leur famille, sans faire des bastimens superbes comme (p. 164) aujourd'huy on fait, grands corps d'hostel, pavillons[178], courts, arrièrecourts, bassecourts, galleries, salles, portiques, perrons, ballustres et autres. On n'observoit point tant par dehors la proportion de la geometrie et de l'architecture, qui en beaucoup d'edifices a gasté la commodité du dedans; on ne sçavoit que c'estoit de faire tant de frises, de cornices, de frontespices, de bazes, de piedestals, de chapiteaux, d'architraves, de soubassemens, de canelures, de moulures[179] et de colonnes; et brief, on ne cognoissoit toutes ces façons antiques d'architecture qui font despendre beaucoup d'argent, et qui le plus souvent, pour trop vouloir embellir le dehors, enlaidissent le dedans; on ne sçavoit que c'estoit de mettre du marbre ni du porphyre aux cheminées ny sur les portes des maisons, ny de dorer les festes[180], les poutres et les solives; on ne faisoit point de telles galleries enrichies de peintures et riches tableaux; on ne despendoit point excessivement comme on fait aujourdhuy en l'achapt d'un tableau; on n'achetoit point tant de riches et precieux meubles pour accompagner la maison; on ne voyoit point tant de licts de (p. 165) drap d'or, de velours, de satin et de damas, ny tant de bordures exquises[181], ny tant de vaisselle d'or et d'argent; on ne faisoit point faire aux jardins tant de beaux parterres et compartimens, cabinets, allées, canals et fontaines. Les braveries apportent une excessive despense, et ceste despense une cruelle cherté, car des bastimens il faut venir aux meubles, à fin qu'ils soient sortables à la maison, et la manière de vivre convenable aux vestemens, tellement qu'il faut avoir force vallets, force chevaux, et tenir maison splendide, et la table garnie de plusieurs mets. Outre ce, chacun a aujourdhuy de la vaisselle d'argent, pour le moins la plus part ont des couppes, assiettes, aiguières, bassin, autres menuz meubles, au lieu que noz pères n'avoient pour le plus, j'entends des plus riches, que une ou deux tasses d'argent. Ceste abondance de vaisselle d'or et d'argent, et des chaînes, bagues et joyaux, draps de soye et brodures avec les passemens d'or et d'argent, a fait le haussement du pris de l'or et de l'argent, et par conséquent la cherté de l'or et de l'argent, qu'on employe en autres choses vaines, comme à dorer le bois[182], ou le cuivre, ou l'argent, et celuy qui se devoit employer aux monnoyes a esté mis en degast.
(p. 166) La dissipation des draps d'or, d'argent, de soye et de laine, et des passemens d'or et d'argent et de soye, est très grande[183]; il n'y a chappeau, cappe, manteau, collet, robe, chausses, pourpoint, juppe, cazaque, colletin ny autre habit, qui ne soient couverts de l'un ou de l'autre passement, ou doublé de toile d'or ou d'argent. Les gentilshommes ont tous or, argent, velours, satin et taffetas; leurs moulins, leurs terres, leurs prez, leurs bois et leurs revenuz se coulent et consomment en habillemens[184], desquels la façon excède souvent le prix (p. 167) des estoffes, en broderies, pourfileures, passemens, franges[185], tortis, canetilles, recameures[186], chenettes, bords, picqueures, arrièrepoins, et autres pratiques qu'on invente de jour à autre. Mais encore on ne se contente pas de s'en accoustrer modestement et d'en vestir les laquais et les vallets, que mesmes on le decouppe de telle sorte qu'il ne peut servir qu'à un maistre. Ce que les Turcs nous reprochent à bon droit, comme nous appellans enragez, de gaster, comme en despit de la nature et de l'art, les biens que Dieu nous donne[187]. Ils en ont sans comparaison plus que nous, lorsqu'ils defendent sur la vie que on osast en decoupper. Autant en advient-il pour la (p. 168) drapperie, et principalement pour les chausses, où l'on employe le triple de ce qu'il en faut, avec tant de balaffres et chiqueteures, que personne ne s'en peut servir après. Outre ce, on use trois paires de chausses pour une; et pour donner grace aux chausses, il faut une aulne d'etoffe plus qu'il ne falloit auparavant à faire une cazaque. Et bien qu'on aye fait de beaux edits sur la reformation des habits, si est-ce qu'ils ne servent de rien[188]: car puis qu'à la (p. 169) cour on porte ce qui est deffendu, on en portera partout, car la cour est le modelle et le patron de tout le reste de la France. Joinct aussi qu'en matière d'habits on estimera toujours sot et lourdaut celuy qui ne s'accoustera à la mode qui court. Doncques il faut conclure que de tels degats et superfluitez vient en partie la cherté des vivres et des autres choses, que nous voyons. Sur quoy il ne faut passer sous silence beaucoup de choses qui se font au grand detriment d'une chose publique: car, pour entretenir ces excessives despenses, il faut jouer, (p. 170) emprunter, vendre et se desborder en toutes voluptez, et enfin payer ses creanciers en belles cessions ou en faillites[189]. Voilà comment la cherté nous provient du degast.
Les monopoles des marchans, fermiers et artisans, sont la troisiesme cause de la cherté. Car premierement, quant aux artisans, lors qu'ils s'assemblent en leurs confrairies pour asseoir le pris des marchandises, ils encherissent tout, tant leurs journées que leurs ouvrages; dont par plusieurs ordonnances lesdites confrairies ont esté ostées[190]. Mais comme en France il n'y a point faute de bonnes loix, aussi n'y a-t'il point faute de la corruption et contravention à icelles.
Et quant aux fermiers et marchands, on voit ordinairement que dès que les bleds se recueillent, les marchans vont par païs, et arrent et achetent tous les bleds; et mesmement depuis quatre mois cela s'est veu, que les marchans ont enlevé, arré et retenu tous les bleds et toutes les granges des champs. Ils ont veu que les deux ou trois années precedentes ont esté presque aussi steriles que ceste-cy, et que sur leur sterilité est survenue la guerre de la (p. 171) dernière année, qui a pourmené le gendarme et le soldat impunément et silentieusement par tout le royaume, et qui a non seulement mangé, mais dissipé ce peu qui restoit des reliques de ladite sterilité. Ces deux accidens ont ruiné tellement le païsan, que depuis trois ans il s'est engagé année sur année, et principalement depuis la feste de Pasques dernière a esté reduit en telle necessité, qu'il n'a vescu que d'emprunts, ayant emprunté le blé au pris que le boisseau, ou le setier, ou autre mesure (et selon la coustume des lieux), se vendoit lors au marché le plus prochain de son domicile. Il a pareillement emprunté l'argent, le drap, la toile et autres choses, à icelles rendre en bled, ou à payer à la valeur susdite, esperant (comme l'apparence de l'année dernière a esté fort belle jusques au mois de juing) que sa recolte luy donroit moyen de payer ses debtes, d'avoir du bled pour semer, et pour vivre tout le reste de l'année. Mais qui a veu jamais une plus mauvaise recolte, ny une année plus sterile? Le pauvre paisant, en plusieurs endroits, n'a pas recueilly sa semence, et quant aux vignes, qui est une pauvre richesse, là où il y en a, les paisans se sont engagez de mesme, et y a eu si peu de vin qu'ils n'ont pas de quoy payer leurs debtes, tant s'en faut qu'ils puissent en avoir de quoy achepter du bled pour vivre ny pour semer. Les deux ordinaires minières de la vie des hommes sont les bleds et les vins, car les autres moyens ne sont si ordinaires. Voilà donc le paisant ruiné; il faut qu'il paye le marchant son creancier, et qu'il luy donne bled pour bled ou la valleur d'iceluy, au pris qu'il se vendoit lorsqu'il (p. 172) le luy emprunta. L'espace de six mois il n'a mangé bled qu'il n'ayt emprunté; il a vescu, et n'a pas recueilly du bled ou du vin pour en payer les quatre. Outre ce il faut qu'il vive et passe le reste de ceste année, qui ne fait presque que commencer, et faut qu'il sème. Nonobstant tout cela le marchant se fait payer, prend le bled du paisant, ne luy en laisse pas un grain pour vivre ny pour vendre aux marchez ordinaires, lesquels demeurent vuides, car aucun n'y porte du bled que bien peu, et celuy qui est porté est desjà si cher qu'on prevoit bien qu'il sera devant le commencement du mois de may prochain (si on n'y met ordre) aussi cher ou plus qu'il a esté l'année dernière, pource qu'il n'y en aura plus à vendre: car cependant les marchans, qui ont leurs greniers pleins de bleds, guettent ceste faulte et disette pour vendre les leurs à leur mot. On dira qu'il faut qu'il y ait des marchans de bled, autrement seroit empesché le commerce. A cela y a response que, lors que l'abondance est telle qu'il n'y a cherté ny danger d'icelle, on peut tolerer les marchans de bleds; mais en temps de cherté, le commerce du bled, achapt et revente d'iceluy, n'apportent sinon augmentation de pris, au detriment du public: car celuy qui l'a bien acheté cent le veut vendre cent cinquante, et bien souvent doubler et tripler le prix de son achapt.
La quatriesme cause de la cherté sont les traittes, desquelles toutesfois nous ne nous pouvons passer; mais il seroit necessaire d'aller plus moderement en l'ottroy d'icelles. Chacun sçait que le bled, en France, n'est pas si tost meur, que l'Espagnol ne (p. 173) l'emporte, d'autant que l'Espagne, hormis l'Aragon et la Grenade, est fort sterile; joint la paresse qui est naturelle au peuple d'icelle[191]. D'autre part le païs de Languedoc et de Provence en fournit presque la Tuscane et la Barbarie. Ce qui cause l'abondance d'argent et la cherté du bled. Car nous ne tirons quasi autres marchandises de l'Espagnol que les huilles et les espiceries, avec des oranges; encores (p. 174) les meilleures drogues nous viennent du Levant. La paix avec l'estranger nous donne les traittes, et par consequent la cherté, qui n'est si grande en temps de guerre[192], durant laquelle nous ne trafiquons point avec l'Espagnol, le Flamand et l'Anglois, et ne leur donnons ny bled ny vin, et à ceste occasion il faut qu'ils nous demeurent et que nous les mangions. Lors les fermiers en partie sont contraints de faire argent. Le marchand n'ose charger ses vaisseaux, les seigneurs ne peuvent longuement garder ce qui est perissable, et consequemment il faut qu'ils vendent et que le peuple vive à bon marché. En temps de guerre donc, que les traittes sont interdites, nous vivons à meilleur pris qu'en temps de paix. Toutefois les traittes nous sont necessaires, et ne nous en sçaurions passer, bien que plusieurs se soient efforcez de les retrancher du tout, croyans que nous pouvons vivre heureusement et à grand marché sans rien bailler à l'estranger ny sans rien recevoir de luy. Ce qui sera deduit cy-après en l'article des moyens de remedier à la cherté. Et n'y a qu'une faute aux traittes: c'est que sans considerer la sterilité des années et l'extresme disette des bleds, on les donne aussi liberalement que si les grains en rapportoient six vingts, comme jadis on a veu en Sicile, là où, si on les donnoit avec consideration de la saison, elles nous apporteroient plusieurs grandes commoditez; et si elles nous enlevoient le bled et le vin, en recompense elles nous rendroient à bon marché plusieurs choses dont nous avons besoing (p. 175) et qu'il faut necessairement avoir de l'estranger, comme les metaux et autres que nous deduirons cy-après.
La cinquiesme cause de la cherté provient du plaisir des princes, qui donnent le pris aux choses. Car c'est une règle generale en matière d'Estats, que non seulement les roys donnent loy aux subjets, ains aussi changent les mœurs et façons de vivre à leur plaisir, soit en vice, soit en vertu, soit ès choses indifferentes. Ce qui merite un long discours, qui pourroit estre accompagné de plusieurs exemples. On a veu que par ce que le roy François premier aimoit fort les pierreries, à l'envy du roy Henry d'Angleterre et du pape Paul III, de son regne tous les François en portoient. Depuis, quand on vit que le feu roy Henry les mesprisa[193], on n'en vit jamais si grand marché. Maintenant qu'elles sont aimées et cheries de noz princes, chacun en veut avoir, et elles haussent de pris.
La sixiesme cause de la cherté provient des impositions mises sur le peuple[194]. En quoy il faut premièrement (p. 176) excuser la calamité du temps et les guerres que les rebelles de ce royaume ont suscitées contre le roy, qui pour la soustenir a esté, contre son bon et clement naturel, contraint de charger de (p. 177) quelques impositions son peuple[195], lequel doit esperer une decharge d'icelles quand Sa Majesté aura purgé son royaume des divisions qui y ont jusques icy esté, et doit le peuple avoir consideration à cela, comme pour sa bonté et patience accoustumée il a eu jusques icy. Les charges donc qui sont survenues sur les calamitez des guerres et sur cinq ou six années, qui subsequutivement ont esté steriles, sont si grandes, que le pauvre laboureur n'a plus aucun moyen de les supporter; il n'a (comme il a esté dit) ny bled pour vivre, ny pour semer, ny pour payer ses debtes. S'il a du bled pour semer, il n'a point de chevaux pour labourer: car, ou les collecteurs des tailles les luy enlèvent pour le payement d'icelles, ou le soldat, auquel tout est permis, les luy volle, ou il est contraint de les vendre, pour n'avoir moyen de les nourrir. Ainsi les terres demeurent à estre semées à faute de semence, et à labourer à faute de chevaux, et n'estans les terres ensemencées il n'y a point de bled, et de là vient la (p. 178) cherté, et celles qui le sont apportent peu, comme a esté dit, pource qu'à cause de la pauvreté du laboureur elles n'ont les façons necessaires et accoustumées.
La huitiesme cause est la sterilité et infertilité de cinq ou six années, que subsequemment nous avons eues par tout ce royaume, esquelles nous n'avons recueilly ny bled, ny vin, ny foin, que bien peu, et ce peu qui s'est recueilly a esté dissipé par la guerre, et les chairs pareillement ont esté dissipées, et l'engeance d'icelles mangée et perdue; de façon que la dissipation frequente par la frequence des guerres venant sur la frequente sterilité de plusieurs années estant jointe à la sterilité presente est cause de la dite cherté.
Voilà les huict causes les principales de nostre cherté, avec lesquelles nous pourrons mettre le haussement du pris des monnoyes, et les changemens particuliers qui ordinairement adviennent et qui font encherir les choses de leur pris ordinaire, comme les vivres en temps de famine, les armes en temps de paix, le bois en hyver, les ouvrages de main, comme peintures et quinquaillerie aux lieux où il ne s'en fait point. Mais ces choses particulières ne sont pas considerables au cas qui s'offre, qui est general. Icy on pourra mettre en avant que, si les choses alloient en encherissant, en partie pour le degast, en partie aussi pour l'abondance d'or et d'argent, et pour les causes susdites, nous serions enfin tous d'or, et personne ne pourroit vivre pour la cherté. Cela est bien vray; mais il faut considerer que les guerres et calamitez qui ordinairement (p. 179) adviennent aux choses publiques arrestent bien le cours de la fortune[196]; comme nous voyons que jadis noz pères ont vescu fort escharcement[197] par l'espace de cinq cens ans, sans cognoistre que c'estoit que d'avoir vaisselle d'argent, ny tapisseries, ny autres meubles exquis, ny sans avoir tant de friandes viandes, comme aujourd'huy nous en usons. Et si on considère le pris des choses de ce temps-là, nous trouverons que ce qui se vendoit alors quinze sols aujourd'huy en couste cent, voire davantage.
Donc, puis que nous sçavons que les choses sont encheries et que nous avons discouru les causes de l'encherissement, il reste maintenant à trouver les moyens d'y remedier au moins mal qui sera possible, sans vouloir blasmer aucunement ce que les (p. 180) magistrats ont fait jusques icy pour trouver quelques remèdes à ceste cherté, ny sans vouloir par trop imputer cela à la mauvaise police de la France. Et commencerons par l'abondance de l'or et d'argent, laquelle, combien qu'elle soit cause du grand pris et haussement des choses, neantmoins c'est la richesse d'un païs, et doit en partie excuser la cherté: car, si nous avions aussi peu d'or et d'argent qu'il y en avoit le temps passé, il est bien certain que toutes choses seroient d'autant moins prisées et acheptées que l'or et l'argent seroit plus estimé.
Quant au degast et à la dissipation, tant des biens que des habits, on a beau faire et reiterer si souvent tant de beaux edits sur les vivres, et mesmement sur les habits, sur les draps et passemens d'or et d'argent, si on ne les fait estroitement observer. Mais on diroit que tant plus on fait de belles deffenses d'en porter et plus on en porte, et jamais elles ne seront bien observées ny executées si le roy ne les fait garder aux courtisans: car le reste du peuple se gouverne à l'exemple du courtisan en matières de pompes et d'excez, et jamais n'y eut aucun Estat auquel la bonne ou mauvaise disposition ne decoulast du chef à tous les membres. Mais ce degast n'est rien à la comparaison de celuy que fait le gendarme et soldat, vagant et ravageant impunement toute la France: chose veritablement lamentable, et laquelle, entre toutes les causes de la cherté, il faut cotter la principale; estant comme monstrueux de voir le François, contre tout droict et obligation naturelle, devorer, piller, (p. 181) rançonner le François, et exercer sur luy cruauté plus grande qu'il ne feroit sur un estranger, un barbare ou un infidèle. Le roy mande sa gendarmerie et lève le soldat pour son service et pour conserver et garentir ses subjets de l'oppression de ses ennemis; mais tant s'en faut que le soldat face ce pourquoy il est levé[198], qu'au contraire, autant qu'il y a de soldats, autant sont-ce d'ennemis qui se licentient et desbordent par ce royaume, et mettent tout en proye comme en païs de conqueste. Si une troupe de deux cens soldats passe par un païs, ils y font un tel degast qu'ils consumeront plus de vivres que ne feroient trois ou quatre mille hommes vivans à leurs despens avec raison. Non contens de manger et devorer au pauvre laboureur sa poulle, son chappon, son oyson, son veau, son mouton, sa chair salée, et luy consumer ses provisions, ils le rançonnent, battent, emportent ce qui se trouve de reste et emmeinent ses chevaux, ou son bœuf, ou son asne: tellement que le pauvre homme, desnué de tous moyens, entre en un desespoir de se pouvoir plus remonter, ou s'il essaye et vend à vil pris une pièce de terre, ou ce peu de meubles qui luy est resté, il n'a pas (p. 182) plustost acheté une poulle, un oyson, un cheval, ou mis quelque chose en son grenier ou salloir qu'incontinent il luy est ravy. Par ce moyen, estant desnué de tous biens, il se resoult de ne plus nourrir de bestial; il delaisse son trafic; il quitte sa ferme, ou, s'il la continue, il ne peut labourer ses terres, et ce qu'il laboure est mal labouré, mal fumé, mal ensemencé; de sorte que la moitié des terres demeure en friche, et l'autre moitié est si mal cultivée qu'elle ne rapporte que le tiers et le quart de ce qu'elle rapportoit auparavant. Voilà les fruicts et effets des guerres civiles, lesquelles nous apportent ceste grande calamité et cherté, sans esperance ny apparence d'aucun profit.
Quant aux monopoles des marchans et artisans, qui s'assemblent en leurs confrairies pour asseoir le pris à leurs marchandises et à leurs ouvrages et journées, il faudroit deffendre les dites confrairies[199], et suivre en cela ce qui fut sur la deffense d'icelles ordonné aux estats d'Orléans. Et pour parler des monopoles des marchans et fermiers qui portent la cherté du bled, nous suivrons en cest article les articles comprins en la belle et docte remonstrance (p. 183) que M. de Bailly, second president en la Chambre des comptes à Paris, a depuis quelques années faicte au roy, et dirons que pour eviter la cherté du bled, qui a souvent cours en ce royaume, et empescher que les marchans fermiers (qui ne cherchent que leur profit) gardent et reservent trop long-temps leurs grains au grenier, comme ils sont coutumiers, attendans le temps cher à leur advantage, les ventes s'en feront d'an en an, et au temps porté par l'ordonnance, et qu'à ce faire les dits fermiers seront contraints par les juges et officiers des lieux, afin que le pauvre peuple, qui a tant de peine et de travail à labourer et cultiver la terre, et duquel le roy tire ses tailles, aydes et subsides, en puisse estre secouru pour son argent, et au temps porté par l'ordonnance, auquel le bled est volontiers le plus cher.
Que, suivant les anciennes ordonnances des rois, nul estranger ne soit admis ny receu à encherir et prendre les fermes du domaine, aydes et gabelle, ny à en estre associé, afin que le profit qui en pourra provenir ne sorte hors du royaume, comme il se voit qu'il en sort plusieurs deniers par le moyen des annates, banques et draps de soye, subsides des procez, imposition foraine, la doüane de Lyon, fermes d'eveschez, abbayes et priorez et autres moyens, qui passent tous par la main des fermiers estrangers. Et outre ce nous pouvons dire une chose qui advient ordinairement, et qui depuis naguères est advenue, comme nous avons cy-dessus dit: c'est que dès que les bleds et les vins sont recueilliz, ou quelquefois devant, les marchans vont par les (p. 184) champs, arrent tous les fruicts ou les achètent à beaux deniers, ou les prennent en payement de ce qui leur est deu par le pauvre païsant, et les serrent, et en les serrant en engendrent la disette, de laquelle vient la cherté, et après cela ils les vendent à leur mot, quand ils voyent qu'on ne peut vivre sans passer par leurs mains. A quoy il faudroit remedier par rigoureuses ordonnances, deffenses et arrests, et empescher tels monopoles, et qui portent un prejudice inestimable.
Les fermes seules, sans les monopoles de ceux qui les tiennent, eussent bien peu servir d'une cause de la cherté. Il n'y a pas cinquante ans qu'en France il n'y avoit guère de gens qui donnassent leurs biens à ferme, chacun les tenoit en recepte; et surtout les rois ne donnoient pas leur domaine et autres droicts à ferme, de la façon avec laquelle on a depuis procedé, et quelques ordonnances qu'ayent ci-devant faites les rois sur le fait, ordre et distribution de leurs finances, jamais n'ont voulu bailler tout le corps des recettes de leur domaine à ferme, mais seulement le domaine muable et casuel, pour trois, six ou neuf années, ainsi qu'il a esté advisé pour le mieux, ains les ont fait exercer et manier ès receptes pour la conservation de leurs droits, qui ne gisent en daces[200] ny intrades, comme ès autres païs, mais en cens, rentes foncières, tenues feodalles, terres, prez, moulins, estangs et autres fermes particulieres et emolumens de seigneuries directes; pour la conservation desquels droicts a (p. 185) esté trouvé utile et nécessaire qu'il y eust receveurs particuliers, pour en compter par le menu et tenir registre fidelle, afin aussi que les procureurs generaux de Leurs Majestez en leurs cours souveraines, et autres, ayent recours ausdits comptes, qui sont les seuls tiltres du domaine, pour deffendre les dits droicts, dont y a ordinairement plusieurs procez, pource que chacun s'essaye et s'efforce d'entreprendre sur ledit domaine et l'usurper. Ce que la chambre des comptes à Paris a cy devant amplement remonstré au roy et à messieurs de son conseil, et les inconveniens qui peuvent advenir en baillant ledit domaine à ferme, dont il semble estre raisonnable que pour le bien de ce royaume et commodité des subjects du roy, son bon plaisir fust ordonner, en faisant les baux à ferme dudit domaine, ce que cy dessus a esté dit.
Quant aux traittes, elles nous seroient grandement profitables si on y alloit plus modestement qu'on ne fait. Chacun sçait que le commerce ès choses consiste en permutation, et, quoy que veuillent dire plusieurs grands personnages, qui se sont efforcez de retrancher du tout les traittes, croyans que nous pourrions bien nous passer des estrangers, cela ne se peut faire[201], car nous avons affaire d'eux (p. 186) et ne sçaurions nous en passer. Et si nous leur envoyons du bled, vin, sel, saffran, pastel, papier, draps, toiles, graisses et pruneaux[202], aussi avons-nous d'eux en contr'eschange tous les metaux (hormis le fer), or, argent, estain, cuyvre, plomb, acier, vif argent, alun, soulphre, vitriol, couperoze, cynabre, huilles, cire, miel, poix, brezil, ebene, fustel[203], gayac, yvoire, marroquins, toiles fines, couleur de couchenil, escarlate, cramoisi, drogues (p. 187) de toutes sortes, espiceries, sucres, chevaux, saleures de saumons, sardines, maquereaux, molues, bref une infinité de bons vivres et excellens ouvrages de main.
Et quand bien nous nous pourrions passer d'eux, ce que nous ne pouvons faire, encore devons-nous faire part à noz voisins de ce que nous avons, tant pour le devoir de la charité, qui nous commande de secourir autruy de ce qu'il n'a point et que nous avons, que pour entretenir une bonne amitié et intelligence avec eux. Bien seroit-il bon et raisonnable de deffendre le trafic des choses non necessaires, et qui ne servent que de volupté, comme des faulses pierres, des parfums et autres choses, desquelles nous nous pourrions bien passer. Mais il faudroit que, quant aux traittes des bleds, aucunes n'en fussent accordées ny octroyées aus dits marchans, fermiers, et leurs associez, durant le temps de leurs fermes, afin que par le moyen des dites traittes et intelligences des dites fermes et marchans, les bleds ne peussent estre transportez hors du royaume; et davantage, faire en sorte que les traittes ne fussent si liberalement accordées comme elles sont aux favoris de cour, mesme durant l'extrême cherté qui règne, afin que le transport de noz bleds ne nous amène une cherté excessive et dommageable au public.
Pour toucher le moyen de remedier à la cherté du prix des choses ausquelles les princes prennent plaisir, comme aux peinctures et pierreries, cela consiste en eux-mesmes. Et pour le moins s'ils en (p. 188) veulent avoir beaucoup et se faire voir tous luisans en pierreries, ils doivent faire deffenses à leurs subjects d'en porter. Mais c'est la coustume de France que le gentilhomme veut faire le prince, et, s'il voit que son maistre se pare de pierreries, il en veut aussi avoir, deust-il vendre sa terre, son pré, son moulin, son bled ou son bois, ou s'engager chez le marchant. Les princes ne devroient tant reluire ny paroistre par pierreries que par la vertu, et sont assez cogneuz, respectez et regardez par leur rang et authorité, sans desirer d'estre davantage veuz par la lueur des pierreries precieuses. Les grands princes de jadis ne s'en soucioient pas beaucoup; mais depuis, ayans gousté les délices du monde, ils en ont voulu avoir en abondance et s'en parer, pensans par là se rendre plus vénérables à leurs peuples. Cela est bon en eux, si les petits compagnons ne vouloient les ensuivre en ceste despense, laquelle il faudroit deffendre bien estroittement, et lors on ne verroit point tant de pierreries faulses qu'on en voit aujourd'huy, et si ne seroient pas si chères, pource qu'il n'y auroit guères d'hommes qui en achetassent.
Les impositions et gravesses mises sur le peuple, et les tailles excessives, aydent grandement à la cherté, comme il a esté dit cy dessus; le remede desquelles aussi consiste en la benignité du roy, en laquelle nous devons tant esperer, qu'estans ostées les causes pour lesquelles il les a imposées, qui sont les guerres civiles et le payement de ses debtes, il en deschargera son pauvre peuple, qui de ceste (p. 189) esperance allége sa pauvreté; et quant aux guerres, qui ont enseigné au soldat l'insolence pour brusler, piller, ravager et dissiper, tout cela requiert de belles ordonnances militaires sur le reglement de la vie des gens de guerre.
La cherté de cinq ou six années que nous avons eues stériles l'une après l'autre, causée par les moyens cy dessus declarez, peut estre corrigée et y peut estre remedié par bonnes ordonnances sur la distribution, ordre, reserve, vente et taux des vivres, lesquelles suppléeront aucunement à ladite stérilité, et nous apporteront, sinon un grand marché de toutes choses, pour le moins meilleur que nous ne l'avons: car il n'y eut jamais si grande stérilité ny disette de biens que la bonne police n'y ait suppléé; mais là où elle defaut, on pourroit avoir des vivres en abondance que la cherté y sera tousjours. Mais il y a un moyen lequel, quand tous les autres cesseroient, nous peut seul oster la grande cherté et couper broche à tous monopoles: c'est qu'aux principales villes de chacune province on dresse un grenier public dans lequel on pourra assembler telle quantité de bleds qu'on verra estre nécessaire pour partie de la nourriture des habitans de la dite province, lesquels greniers seront ouverts et le bled distribué au peuple à mesure qu'on verra la nécessité et que le marché ordinaire n'y fournira plus, ou que le bled y sera trop cher par le monopole du marchant[204]. Et où une ville se trouvera necessiteuse, (p. 190) les autres villes seront tenues la secourir, ou ceux des dites villes qui auront charge de la police advertir souvent les uns les autres de la quantité et pris de leurs grains, et pourront contraindre tous gentilshommes, fermiers, marchands et autres, de vendre leurs bleds, et n'en faire autre réserve que pour leur provision; et si aucun marchant veut acheter des bleds en une province pour les transporter en l'autre, il sera tenu advertir les officiers de la dicte police de la quantité du bled qu'il veut acheter et du lieu où il le veut transporter, afin que les dits officiers puissent donner advertissement aux autres de l'achapt, quantité, pris et transport des dits bleds. Par ce moyen le gentilhomme, l'abbé, le fermier, seront contraints de vendre leurs bleds au mesme pris qu'il se vendra au grenier public, le marchant ne pourra monopoler, les bleds seront conservez aus dits greniers publics, bien mesnagez, et eschangez d'an en an. Tellement que, si les moyens et remèdes à la cherté cy dessus deduits sont pratiquez et joints avec ce dernier, nous ne pouvons sinon esperer une prompte abondance de toutes choses en ce royaume, lequel par ce moyen nous verrons florissant, craint, redouté et remis en sa première splendeur, voire plus grande qu'il ne fut jamais. Voylà ce que nous pouvons dire des causes de la cherté et des moyens d'y donner un bon remède, après ce que depuis cinq ans en a bien doctement et encore plus discouru M. Jean Bodin, advocat en la cour, en un bel œuvre qu'il a fait, duquel nous avons tiré une grande partie de cestuy avec quelques articles de la susdite (p. 191) remonstrance du dit sieur president Bailly, y ayans mis du nostre ce que nous a semblé convenable et propre à la matière que nous avions deliberé de traiter.
M.D.C.XX. In-8.
Au Roy.
Recalme ton lustre, ô Paris!
Cesse tes pleurs et tes orages,
Ton roy, ton vrai soleil, te rend les adventages
Qui t'ont donné le prix[205].
A bon droict tu sechois d'ennuy,
Perdant les rays de sa lumière,
Car des bords du Levant jusqu'à l'autre barrière
Il n'est rien tel que luy.
Depuis Clovis tu n'eus jamais
Un roy si comblé de merveille,
(p. 194) Ny pour régir ton cours une vertu pareille
Ne luyra désormais.
La douceur et la probité,
L'amour et la recognoissance,
La valeur et l'honneur avecques la prudence,
Ornent sa Majesté.
C'est la vray ame de Henry,
De qui tu fus la bien-aymée,
Un phœnix qui renaist de la cendre animée
D'un père tant chery.
Père qui te sceut delivrer
Du frein de la guerre homicide,
Et te fit (se baignant dans les gloires d'Alcide)
Ton bon-heur recouvrer.
Que donc tu reprennes vigueur;
Que tes ennuys gaignent la fuitte,
Et que maints doux plaisirs d'une meilleure suitte
Relogent dans ton cœur.
Belle, que tes cheveux espars
R'aquèrent leur grace et leurs charmes,
Que tes yeux languissants tesmoignent, pour des larmes,
Des ris de toutes parts.
Que ce teint de royales fleurs,
Où la tempeste fait ombrage,
Comme devant remette, en brisant son nuage,
Ses premières couleurs.
Relève ce front et ce port,
Que mesmes l'estranger admire,
(p. 195) Puis que ton grand soleil heureusement aspire
A te donner confort.
Aussi bien, reyne des citez,
Il n'est chose qui n'embellisse
Ores que le printemps dans les campagnes glisse
Mille diversitez.
La terre, que l'hyver obscur
Transissoit de neige couverte,
Des-ombrage son teint, reprend sa robbe verte,
Et l'air redevient pur.
Tout brille, tout est embasmé,
Dans le sein des molles prairies,
De parfums odorans, comme de pierreries
Largement parsemé.
De branche en branche les oyseaux
Leurs chansonnettes apparient;
Les ruisselets d'argent aux zephires marient
Les concerts de leurs eaux.
Et l'amour, pour entretenir
Les vives escences du monde,
Voltige en s'esbatant d'une aisle vagabonde,
Faisant tout r'ajeunir.
En ce temps, parmy tant de feux
Que la nuict range sur nos testes,
Les Gemeaux, qui sur l'onde accroissent les tempestes,
Ont leur règne tous deux.
Mais pour les faveurs dont ce roy
T'honore d'une ame benigne,
(p. 196) Que luy veux-tu donner, ô Paris! qui soit digne
De luy comme de toy?
Voicy le plus beau mois de tous,
Mois gaillard, où d'accoustumance
On fait present d'un may[206], quand il reprend naissance
Par un mouvement doux.
Ha! que luy presenterois-tu,
Quel arbre ou quelle fleur d'eslite,
Si les plus excellents ont voué leur merite
A sa digne vertu?
Sa main toute de palmes rompt,
Et pour une tierce couronne
Maint tortis de laurier plainement environne
Ses temples[207] et son front.
L'œillet est compris en son teint,
Le beau lys en son armoirie,
(p. 197) Et sa lèvre, imitant une jeune prairie,
De la rose se peint.
Arrière tous ces vains presens,
Qu'ailleurs s'anime leur victoire;
Ils manquent pour un roy si renommé de gloire,
En de si nouveaux ans.
Le present, le may qu'il luy faut,
D'une vraye recognoissance,
Est l'arbre de l'amour et de l'obeissance,
A qui rien ne deffaut.
C'est la vive fleur de renom
Que le devoir a mis en estre,
Et la fidelité que l'on void apparoistre
En l'esclat de ton nom.
Sus donc, astre de l'univers,
En qui tant de bien se descouvre,
Porte luy maintenant jusqu'au chasteau du Louvre
Sur l'aisle de mes vers.
A Paris, par Guillaume Sausse, à la rue des Trois-Citrouilles, à l'enseigne des trois Poireaux, vis-à-vis des trois Navets.
Il y a tousjours des personnes de si bon naturel et d'une humeur si joviale qui apprestent à rire sans y penser à plusieurs, pour ce que le desir et la curiosité des choses estant animées, et auquel on appette avec un desir extrême de voir: c'est là où nous nous trompons insensiblement dedans nostre imagination, et cecy est à remarquer, que certains quidans ayans fait (p. 200) partie d'aller se promener au Cours[209], prirent jour auquel ils avoient plus de loisir dans la semaine de (p. 201) se recréer, et devisans par ensemble sur le chemin des affaires du temps et de la guerre, chacun se plaignant de sa condition, quelqu'un d'entre eux rompit ces discours, et les fit deliberer d'aller jusques au bois de Vincennes, à cause qu'il y avoit (p. 202) (disoit-il) quelque cognoissance, et à dessein aussi d'y veoir le sieur Jean de Werth et de boire à sa santé; mais ils furent deçeus de leur intention, et leur advint toute autre chose qu'ils ne s'estoient proposez; car dès aussi tost qu'ils furent entrez dans le chasteau, on les receut assez courtoisement, firent quelques promenades dedans le parc, là où ils furent rencontrez de quelqu'un des soldats, qui en advertirent l'un des principaux officiers de là dedans; et ne voulant manquer à son devoir parce qu'en ces lieux de conséquence les chefs veulent sçavoir qui va et vient, afin qu'il ne se practique quelques secrettes entreprises dans ces lieux contre leur honneur, commande à quelques-uns de ses gens de les mener devant lui, ce qui fut fait, et lors il les interroge pourquoy et quelles affaires ils avoient dans ce lieu, de quelle condition ils estoient, s'ils n'estoient pas serviteurs du roy? Repondirent qu'ouy, et qu'ils estoient naturels François, et qu'ils exposeroient leurs vies et moyens pour son service. Dieu sçait si pas un d'eux n'eussent pas voulu estre à dix lieues de là, ne sçachans à quelle sausse manger ce poisson, et s'ils n'eussent pas couru comme si le diable leur eût promis trente sous. Je crois qu'ils eussent donné au diable les jambes s'ils n'eussent sauvé le corps, tant y a qu'on ne les epouvanta (p. 203) aucunement, pour ce qu'on n'avoit point dessein de leur faire tort ny déplaisir; ains il leur fut fait un commandement un peu d'importance, si vous le trouvez bon: que, puisqu'ils estoient si serviables, de vouloir prendre la peine de porter et monter trois ou quatre voyes de bois jusques au haut du donjeon. Qui fut bien ébahy? ce fut ces messieurs; et dès aussi tost se regardant l'un l'autre, se resolurent enfin de se mettre en devoir, chacun mettant la main à l'œuvre et à qui mieux se dépescheroit, d'autant qu'on leur promettoit toute sorte de satisfaction et contentement, pour ce qu'on leur avoit promis trois pistoles pour boire, et leur faire voir aussi Jean de Werth, ce qui leur donna quelque consolation dans leurs travaux. Vous pouvez croire qu'il n'y en avoit pas un d'eux qu'il ne maudist de bon cœur celuy qui estoit la cause de leur faire tel office, d'autant qu'ils n'estoient accoustumez à faire telles corvées, chacun se prenant à son compagnon, et c'estoit à donner à autant de diables qu'il y a de pommes en Normandie celuy qui y en avoit donné le premier conseil; mais comme un mal n'est jamais seul qu'il ne soit suivy d'un autre, c'est que leur besogne estant achevée, ils furent honnestement remerciez, tellement qu'on leur fit voir les trois pistoles, qui avoient esté delivrées entre les mains d'un soldat de la garnison, qui avoit ordre de les mener rejoüir, avec plusieurs autres des camarades de son escouade, à la meilleure taverne du village. Chacun estant preparé à piller à deux mains, à qui mieux mieux, l'on choisit des viandes les meilleures qui estoient dans le lieu; ceux qui les firent apprester (p. 204) s'y peuvent cognoistre, chacun se met en devoir et de boire et de faire des santés à l'allemande. La collation faite et la besogne estant thoisée, il survint un mandement de la garnison, par lequel il fut commandé de se ranger à son devoir, ce qui troubla la feste, d'autant qu'il falloit obeyr aux commandemens, prindrent congé de la compagnie, les remerciant très affectueusement, n'oublians rien de toutes choses, sinon qu'à compter leur écot, laissant payer à ces messieurs qui avoient esté si serviables et officieux, qui en tindrent pour leur comte chacun cinquante-neuf sols, et un sou pour le garçon. Voilà ce que j'en ay appris par relation de ceux qui estoient témoins oculaires, mon dessein n'estant d'ailleurs de blasmer personne, estant tousjours d'une si gaye humeur, que tous ceux qui me font l'honneur de m'aymer ne peuvent se fascher, ny engendrer melancolie dans ma compagnie. Sur ce, je me recommande ad vestras reverentias, jusques à revedere. Vale.
1565. In-8.
Charles, par la grace de Dieu Roy de France, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut.
L'une des choses qui nous semble estre bien necessaire au libre et seur repos de nos subjects, ayans mesnage, famille et serviteurs, seroit de pourveoir à ce que leurs maisons fussent bien et loyalement administrées, parce qu'il advient souvent que les chefs des familles sont, par les mauvaises mœurs et conditions de leurs serviteurs, le plus souvent delaissez et abandonnez d'eux, se desbauchans de leurs services; qui est cause que plusieurs maisons de toutes qualitez sont le plus souvent volées, pillées et desrobées par lesdicts serviteurs. Aucuns desquels ayans laissé leursdicts maistres craignans d'être remarquez és malefices qu'ils y ont commis, attilttent et donnent addresse (p. 206) à d'autres par secrette intelligence, pour y commettre tels larrecins et voleries[211].
A quoy voulans pourveoir, afin de préserver nostre peuple, en tant que possible sera, de tels maulx et inconveniens, si pernicieux et dommageables qu'ils sont à la chose publique de nostre royaume:
Nous, à ces causes, après avoir eu sur ce l'advis et conseil de la Roine nostre très honorée dame et mère, princes de nostre sang et gens de nostre conseil privé, avons dict, declairé et ordonné, disons, declairons et ordonnons par ces presentes,
Que doresnavant tous serviteurs domestiques, cherchans ou estans appellez en commencement de service, ne seront receus en service d'homme ou de femme quel qu'il soit qu'ils ne facent apparoir à leurs maistres par acte vallable et authentique de quelle part, maison et lieu, et pour quelle occasion, ils sont sortis. Comme en semblable ceux ayans jà servi maistre quelque temps, et estans hors de leurs services, ne seront receus en services d'autres maistres ou maistresses que au preallable ne leur soit aussi apparu, par suffisante attestation susdicte de leursdicts premiers maistres, de l'occasion pour laquelle ils sont sortis.
Defendant très expressement à tous chefs de maisons (p. 207) et famille, de quelque estat, qualité ou condition qu'ils soyent, de ne les recevoir en leur service sans avoir ledict acte et certification, et aussi de ne les licentier et mettre hors de leursdicts services sans leur bailler aussi acte de l'occasion de leur congé. Et ne sera loisible au serviteur, sur peine d'estre puni comme vagabond, de sortir sans avoir ledit acte et certification, pour le representer où besoin sera, afin que la fidelité et loyauté du serviteur soit d'autant mieux cogneue à un chascun[212]. Ce dont nous chargeons très expressement lesdicts maistres et chefs de famille respectivement, sur peine de cent livres tournois d'amende, applicable un tiers au Roy, un tiers aux pauvres, et l'autre tiers à l'accusateur, que nous voulons être levée promptement et sans deport sur lesdicts contrevenans.
(p. 208) Si donnons en mandement par ces mesmes presentes à tous nos baillifs, seneschaux, prevosts, juges, prevosts de nostre hostel, où leurs lieutenans, et autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra, que cesdictes presentes ils facent lire, publier et enregistrer et le contenu d'icelles entretenir, garder et observer inviolablement, à peine de s'en prendre à eux, et encourir en l'amende susdicte. Car tel est nostre plaisir. En tesmoin de ce nous avons faict mettre nostre seel à cesdictes presentes.
Donné à Tholouse le vingtunième jour de febvrier, l'an de grace mil cinq cens soixante cinq, et de nostre règne le cinquième.
Ainsi signé sur le reply:
Par le Roy en son Conseil,
Et seellé du grand seel de cire jaune sur double queue.
Leues et publiées en l'auditoire et par Civil du Chastelet de Paris, seant noble homme et sage M. Nicolas Luillier, escuyer, conseiller du Roy nostre Sire, lieutenant civil de la prevosté de Paris, en la presence du conseil et du procureur du Roy, commissaires et examinateurs, advocats, procureurs et autres practiciens audict Chastelet. Et ordonné qu'elles seront enregistrées ès registres ordinaires dudict Chastelet, publiées à son de trompe et cry public par les quarrefours de ceste ville de Paris, lieux et endroicts accoustumez à faire cris et proclamations, et par la prevosté et viconté de ladicte (p. 209) ville de Paris. Et est enjoint aux prevosts et soubs baillifs de ceste dicte prevosté et viconté faire estroictement garder et observer chascun en son esgard, destroict et jurisdiction le contenu esdictes lettres. Faict audict Chastelet le lundi huictième jour de mars, l'an mil cinq cens soixante quatre.
Leues et publiées à son de trompe et cry public par les quarrefours de ceste ville de Paris, lieux et places accoustumez à faire cris et proclamations, par moy Claude Adam, commis de Hilaire de Briou, crieur juré et sergent royal du Roy nostre Sire, prevosté et viconté de Paris, accompaigné de Claude Malassigné, trompette juré dudict seigneur, et autre trompette, le samedi dixième jour de mars mil cinq cens soixante quatre.
A Paris, pour la veufve de Laurent du Coudret, suyvant la coppie imprimée à Poitiers.
Le roy desirant sur toutes choses que ses subjects vivent toujours en la crainte de Dieu, en union, paix et tranquilité, pour y parvenir a cherché et cherche encores tous les jours tous les moyens à luy possibles; (p. 212) neantmoins, au mespris et contemnement de ses edicts et ordonnances, en certains et divers endroits de son royaume plusieurs perturbateurs du repos public se sont eslevez, qui par voye et soubs vœu d'hostilité se sont mis aux champs, lesquels ont saisy et prins aucuns chasteaux, places et villes, principalement au pays de Poictou. Car ayant cherché et amassé quelques forces jusques au nombre de quatre ou cinq mille hommes de pied et bien peu de cavallerie, ont couru jusques sur les limites du pays d'Anjou, ransonnant et pillant les villages et bourgs; et, ayant fait cela, taschèrent et essayèrent par tous moyens à eux possibles de surprendre la ville de Saulmur, afin d'avoir un passage et entrée sur la rivière de Loire à leur commandement et devotion. Mais tout aussi tost que la noblesse du pays eust esté advertie de telle chose (qui avoient et ont fort grand interest en la conservation et deffence d'icelle ville), se jetta dedans pour la garder et deffendre à l'encontre des dicts rebelles. Messieurs de Tours et d'Angers, en ayant ouy parler et en estans aussi advertis, y envoyèrent pareillement quelque bon nombre d'hommes bien armez et force munitions de guerre, comme voisins et bons amis sont tenuz faire l'un pour l'autre; ce que possible fut cause (et n'en faut douter) que les dicts rebelles laissèrent leur chemin et mechante entreprinse, et, prenans autre route, commencèrent à se retirer et cheminer le plus diligemment qu'ils purent vers le pays de Mayne, menaçant ceux de la dicte ville de Saulmeur de les venir revoir quand ils auroient auguementé et aggrandy leurs forces. Toutesfois, (p. 213) Dieu ne voulant permettre que leurs menaces eussent lieu, a permis que monsieur le duc de Joyeuse les en a bien empeschez, comme vous sera dit cy après[216].
Vous devez entendre qu'en ce pays de Mayne ils ont commis et faict tant d'execrables cruautez, mesme en une petite ville qui s'appelle Chevillé[217] où ils pillèrent tout et mesme violèrent femmes et filles, estimans estre bien vengez et satisfaits de la rage et fureur qu'ils avoient en leurs mauvais courages, et mesmes s'attribuans telles cruautez et forfaits (fort detestables à Dieu et au monde) à grand honneur et reputation. Depuis encores ils se sont emparez et investiz de Sainct-Maixant, Fontenay, Maillezant[218] et plusieurs autres bonnes places, et par ce moyen leur puissance, fureur et outrecuidance s'augmentoit et accroissoit tousjours de plus en plus; ce que le roy voyant avec grande patience, a esté enfin comme contraint y envoyer monseigneur le duc de Joyeuse.
Lequel s'achemina en la plus grande diligence qu'il peut au pays de Poictou, et feit dresser son (p. 214) camp à Loudun par monsieur de Lavardin, son lieutenant. Les ennemis, voyant les preparatifs qui se dressoient à l'encontre d'eux, deliberèrent de garder les villes qu'ils avoient prinses, pour le moins s'ils n'estoient assez forts pour faire teste et resister à la campagne. Ils envoyèrent donc deux regimens de leur armée, conduits par le sieur de Bourie, conducteur d'un regiment de Gascons, et Charbonnière, conducteur d'un autre regiment de François[219], pour se jetter dedans Sainct-Maixant; quoy entendu par monseigneur de Joyeuse, vint au devant et les rencontra en un bourg et chasteau nommé La Motte Sainct-Eloy, appartenant à monsieur de Lansac, à deux lieues de Sainct-Maixant. Là, les combat et en deffait cinq cens, qui se deffendirent vaillamment par l'espace de vingt-quatre heures, soustenans tousjours le choc, pensant avoir du secours; mais se sentans trop foibles, firent tant qu'ils gaignèrent l'eglise dudit La Motte Sainct-Eloy, où ils (p. 215) se renfermèrent et firent tout effort de se deffendre. Or la fin a esté qu'ils se sont renduz prisonniers; le dit sieur Bourie a esté tué et le capitaine Charbonnière prins prisonnier, et plus de soixante autres[220]. Il a esté tué, du costé de monseigneur le duc de Joyeuse, le sieur de Massé, un seigneur signalé. Les enseignes furent apportées par monsieur de Fumel au roy, estant à Meaux, le samedy vingt-septiesme jour de juin mil cinq cens quatre vingt-sept, six jours après la victoire obtenuë par monseigneur duc de Joyeuse, auquel Dieu donne la grace de le perseverer et vaincre les ennemis du roy, perturbateurs du repos public[221].
Suivant la copie imprimée à La Rochelle par Estienne du Rosne, imprimeur et libraire. 1641.
Avec permission.
In-8.
A Monseigneur Monseigneur de la Porte, grand prieur de France, ambassadeur de l'ordre de Saint-Jean de Jerusalem, intendant general de la navigation et commerce de France, et gouverneur pour Sa Majesté de Broüage, La Rochelle, pays d'Aulnis et isles adjacentes.
Cher objet de tous les François,
Grand protecteur des Rochellois,
Exerce en mon endroit ta bonté coutumière;
Permets à cet esprit naissant
(p. 218) D'aller le front baissé rechercher la lumière,
A la faveur de ton croissant.
Pasteurs qui menez vos troupeaux
Parmy des routes si cachées
Et qui les abreuvez des eaux
Que l'enfer semble avoir crachées,
Cessez de suivre ces sentiers
Au bout desquels vos devanciers
Ont veu des loups et des vipères
De qui la fureur et l'efort
Leur ont fait rechercher le port
Dedans la gueule des cerbères.
Le grand bruit de ces leopards
Vous forcera d'ouvrir l'oreille,
Et vous serez de toutes parts
Attains d'une peur nompareille.
Si vous jettez vos souliers vieux
Pour mieux fuir devant leurs yeux,
Ils vous poursuivront plains de rage,
Et, après vous avoir vaincus,
Puisque vous semblez aux cocus
Ils vous feront entrer en cage.
Les libertez que vous prisez
Se separeront de vos ames,
(p. 219) Et tout ce que vous meprisez
Vous tallonnera dans les flammes;
Les jeusnes, les austeritez,
Contre qui vous vous irritez,
Seront vos plus doux exercices,
Et, tous rongez de desplaisir,
Vous sentirez qu'un fol desir
Peut engendrer mille supplices.
Parmy les tenebreux cachos
Où vous mettront ces Poliphèmes,
Dieu, vous privant de tout repos,
Se vangera de vos blasphèmes;
Vos crimes, qui luy font horreur,
Porteront sa juste fureur
A faire esclatter son tonnerre
Dessus vos corps chargez de fers;
Vous sentirez dans les enfers
Celuy que vous niez sur terre.
Vous ne pourrez jamais le voir,
Jamais vous ne l'aurez pour père,
Puisque vous refusez d'avoir
Sa très chère espouse pour mère.
La douceur de ce Roy des Roys
(De qui vous violez les loix
Et que vous appelés barbare
Le faisant autheur de tous maux)
Pour faire place à nos travaux
Se retirera du Tartare.
Son bras, qui ne peut se tenir
De secourir et de bien faire
(p. 220) S'exercera lors à punir
Ceux qui sont enclins à mal faire.
Sous la pesanteur de sa main,
Combattus de soif et de faim,
Si vous ouvrez vos bouches grandes,
Soudain les serpens, les aspics,
Les crapaux et les basilics
Les rempliront de leurs viandes[222].
Les orfrayes et les corbeaux
Tiendront le haut bout à vos tables;
Vous n'oirez point des chants plus beaux
Que leurs cris très espouvantables;
Dans ces contagieux festins,
Vous serez serviz de lutins,
De Mégère et de Tysiphone,
Qui, vous presantant du poison,
Vous feront dire avec raison:
«Jusqu'au bord pleine tasse on donne.»
Vostre dessert sera du fiel
Force pommes de colloquinte;
L'on vous presentera le miel
Qui se rencontre dans l'absinte,
Et, quoy que pour n'en goûter pas
Vous meditiez de grands combats,
Votre deffence sera vaine:
L'on a delibération
(p. 221) Non par commemoration
Que vous ferez ainsi la cène.
Là on viendra vous inviter
A faire compagnie à Baize
Qui disne du corps de Luther
Qu'on a fait rostir sur la braize;
Vous verrez l'infame Astarot
Traitter le confrère Marot
Avec une main meurtrière;
C'est là qu'il dit à ce boureau:
«Je suis fait semblable à un veau
Qui boult au fond d'une chaudière.»
Luy-mesme se ronge le cœur
Et fulmine contre ses crimes,
Et cet escervelé mocqueur
Pleure au plus profond des abismes.
Les seuls dont il oit les sermons
Sont les Furies, les Demons,
Qui luy livrent dix mille allarmes,
Et dans son chaleureux tourment
Il n'a de rafraîchissement
Que le seul torrent de ses larmes.
Et moy, malheureux apostat,
Qui ay fait passage a leurs vices,
L'on m'a reduit en un estat
Où je les surpasse en supplices;
Eux-mêmes me lancent des dars,
Et, tournant leurs affreux regars
Vers mon corps brulant et difforme,
Ils crient à perte de voix
(p. 222) Que c'est dans l'enfer où je dois
Faire une seconde réforme.
Je le voudrois, mais je ne puis;
La justice veut que je souffre
Les misères et les ennuis
Que vomit cet horrible gouffre,
Où je suis mort pour les plaisirs,
Où mes horreurs et mes desirs
Me tiennent toujours dans l'orage,
Où tout bute[223] à me désoler,
Où rien ne vient me consoler
Que le désespoir et la rage.
Mes yeux ardans et enfumez
N'aperçoivent que des potences
Des roües, des feux allumez,
Instruments de mes pénitences.
Les cyclopes de ces fourneaux
Ne mettent l'acier en carreaux[224]
(p. 223) Qu'afin d'en escraser ma teste;
Mon esprit s'abisme en des flots
Sur qui le vent de mes sanglots
Fait souslever une tempeste.
Les gesnes qu'on me fait sentir
Emplissent d'horreur ma caverne,
Mes desespoirs font retentir
Toutes les places de l'Alverne,
Les Mores, les Egyptiens,
Les Barbares, les Indiens,
Sont icy sains et sans divorce,
Car tous les maux rongent mes os
Et les demons dessus mon dos
Lassent leur colère et leur force.
Ces antres nourrissent des ours
Qui conspirent mes funerailles,
Et, pour les haster, les vautours
Viennent arracher mes entrailles.
J'envie une seconde mort;
Mais celuy qui regist mon sort
Avec le fer et la balance
Me fait vivre, et, tout irrité,
Il veut bien que l'éternité
Soit plus courte que ma souffrance.
(p. 224) O tourment! ô rage! ô fureur!
O parents qui me vistes naistre,
Que ne m'arrachiez-vous le cœur
Au moment que je receus l'estre.
Mère qui m'avez enfanté,
Vous m'eussiez alors exempté
Des malheurs sous qui je succombe
Si par le tranchant d'un cousteau
Vous m'eussiez tiré du berceau
Pour me porter dessous la tombe.
Que faisiez-vous dans les deserts,
Tygres, où cherchiez-vous des vivres,
Alors que mon esprit pervers
Diminuoit les sacrez livres?
Quand je voulus les effacer,
Et que je les osay placer
Au rang des choses apocriphes,
Vous deviez déchirer mon flanc;
Ce forfaict de mon propre sang
Devoit estre escrit par vos griffes.
Helas! si je pouvois trouver
La sortie de ce dedale
Où mon sort me fait repreuver
Tout ce que l'on feint de Tantale,
J'irois vous revoir, ô mortels!
Pour immoler sur vos autels
Mon cœur et mon visage blesme.
Ils brusleroient au lieu d'encens
Et de tout le cours de mes ans
Je ne ferois qu'un seul caresme.
(p. 225) Vous qui recevrez cet escrit
Cherchez desormais les saints temples,
Recognoissez y Jesus-Christ;
Servez à vos troupeaux d'exemples;
Embrassez la devotion;
Quittez vostre religion
Très mal fondée et mal acquise;
Qu'elle ne soit plus vostre but,
Puisqu'on ne trouve aucun salut
Separé du seing de l'Eglise.
A Paris, pour Laurens du Coudret, maistre imprimeur.
1586. In-8.
La perfection de l'homme (sans laquelle il ne peut estre politique, et moins apte pour se nommer membre du corps mystique de Jesus-Christ) consiste en l'obeyssance deue à Dieu, et par consequent à ceux lesquels il a establis sur nous, quels sont les prelats et ministres de l'Eglise, les roys, princes et aultres par eux deleguez pour la vengeance des (p. 228) malfaiteurs et asseurance de ceux qui chemineront selon la loy. De sorte que ceux qui, ou de fait ou de propos, contreviennent à ceste ordonnance, semblent d'autant indignes du nom chrestien qu'ils se reculent de la trace de l'Escriture saincte, et refusent suyvre celuy Jesus-Christ duquel ils se denomment et glorifient, voire mesme se bandent contre Dieu, autheur et protecteur de la dignité royale. Quand tu viendras en la terre que le Seigneur ton Dieu te donne, et que tu possederas, et y demeureras et diras: «Je mettray un roy sur moy comme toutes les nations qui sont à l'entour de moy», lors tu constituras sur toi le roy que le Seigneur ton Dieu eslira du nombre de tes frères. Quoy considerant, l'homme chrestien rejettera tout pretexte et couleur que puissent prendre les rebelles, puisque, suyvant la doctrine de l'apostre sainct Pierre, les subjets se doivent en toute crainte soubmettre à leurs maistres, non seulement bons et humains, mais aussi rigoureux. Car cela est aggreable si quelqu'un, à cause de la conscience qu'il a envers Dieu, endure fascherie, souffrant injustement: car ne permet aucunement nostre Dieu se bander contre son maistre, ne le vassal prendre (p. 229) les armes contre son roy. Qu'ainsy soit pour le vous donner à entendre de deux capitaines: ne craignant Dieu, ne roy, ny justice, se sont mis à lever des hommes sans permission ni commission du roy (nostre très souverain seigneur et maistre), et pilloient, ransçonnoient tous les pauvres laboureurs d'entour la ville de Montargy, jusques à violer femmes et filles, et mesme jusque à battre et tuer et meurdrir leurs hostes et hostesses.
Dont Dieu ne lessans les meschans impunis, et la sainte justice en estant advertie, M. le prevost de l'hostel et grand prevost de France, ayant entendu les plaintes et advertissement des pauvres laboureurs des cruaultez et tirannies faites par Jehan Bellange, dict capitaine Chapeau, et par Jehan du Dont, dict capitaine La Calande, et les soldats de leurs suittes, les a fait prendre trois lieues près Montargy, près Osouy, et furent amenez dans la ville de Montargy, et condamnez par juste sentence de M. le prevost de l'autel, grand prevost de France:
Que le capitaine Chapeau-Rouge et le capitaine La Calande seroient rompus dans la halle, le lundy dix-septième jour de mars mil cinq cens quatre vingts six, et leurs testes apportées devant le chasteau du Louvre à Paris.
Remonstrance.
Que pourront donc alleguer les rebelles, veu que les exactions que les princes pourroient faire ne sont suffisantes causes d'esmouvoir leurs sujets contr'eux? On peut faire des remontrances, requerir (p. 230) des estats et rechercher autres voyes raisonnables, non lever les armes, assassiner son prince; joinct que, quand on auroit regardé toutes choses d'œil sain et droict, on verroit que plusieurs causes légitimes, voire comme necessitez urgentes, contraignent quelquefois les rois requerir de leurs sujets aides et subsides plus que de coustume, parquoy il faut que ceux qui se glorifient du nom de chrestien, qu'ils regardent à prier Dieu pour leur roy, selon la doctrine de sainct Paul.
Miracle, citoyens! celuy dont la fureur
Remplit toute l'Europe et de sang et d'horreur,
Met les grands à l'aumône et le peuple en chemise[229],
Profane les autels et ravage l'Eglise,
Bourrelé de l'excès de son ambition,
S'alambique l'esprit de la religion,
(p. 232) Recherche les saints lieux, reclame les reliques,
Couvre de pieté ses humeurs tyranniques.
Demons, souffrirez-vous que ce faux Capelan
Puisse vivre en repos, qui commande en tyran?
Que ce fameux ingrat, cet infame corsaire,
Loge dedans les cieux son ame sanguinaire?
Non, je n'estime pas que ce soit son dessein;
Vous êtes ses tuteurs, il suit votre destin.
Tous les deguisemens sont de votre fabrique;
Il sçait tous les secrets de votre politique,
Embrasse vos conseils, se régit par vos loix,
Et brouille comme vous l'etat des plus grands roys.
Sous luy les plus vaillans conduisent les armées,
La France a pris le nom des Isles fortunées.
Un moine, un renégat, l'un blanc et l'autre gris[230],
Servent insolemment ce cruel Phalaris;
Le plus gros des voleurs dispose des finances,
Et le plus corrompu tient en main la balance.
Enfin la cruauté, la rage et le depit
Ont mis sous ce bon chef les bourreaux en credit;
Mais toutes les vertus de cette ame bien née,
Ne se pouvant asseoir, s'en iront en fumée.
Les rares qualitez de ce grand favory
S'etoufferont bientôt, s'il a le cul pourry[231].
Chirurgiens affronteurs, dont la vaine science
A trompé ce puissant ministre de la France,
(p. 233) Vous ne meritez pas d'avoir part aux honneurs,
Vous n'aurez plus ce digne objet de vos labeurs:
Vos consultations ne sont que des chimères.
Pour guerir ce derrière, il faut de grands mystères.
La terre ne peut plus soulager ses douleurs,
Elle ne peut souffrir l'eclat de ses grandeurs.
Le ciel, qui seul fournit à ses hautes pensées,
Prolongera le cours de ses belles années,
Forcera les destins, fera cesser ses maux,
Luy rendra la santé pour prix de ses travaux.
Il importe fort peu que le peuple malade
Des corps resçuscitez nous presente en parade.
Retirez-vous d'icy, podagres et teigneux,
Saint Fiacre[232] n'a plus de vertu dans ces lieux.
Membres cicatrisez par des anciens ulcères,
Vous n'aurez plus de quoy soulager vos misères;
(p. 234) Ce bon saint, delaissant son temple et ses autels[233],
Abandonne le soin du reste des mortels.
Encor son entremise et sa sainte prière
Auront assez de peine à sauver ce derrière.
Son ulcère, vengeur du sang des innocens,
De leurs rudes prisons, de leurs cruels tourmens,
Ne peut quitter son maitre en luy laissant la vie,
Ny amoindrir son mal, augmentant sa folie.
Ce traitre neanmoins, en depit de son sort,
Et malgré le destin, fait un dernier effort,
Implore les secours d'une main souveraine,
Puisqu'elle a rendu son esperance vaine.
Nogent[234], le plus falot de tous les favoris,
Avec un plein pouvoir est party de Paris,
Pour ravir cet ancien protecteur de la Brie,
Enlever saint Fiacre du sein de sa patrie.
Mechant! c'etoit assez de ruiner tant d'estats,
(p. 235) De troubler le repos de tant de potentats,
Qu'un prêtre scelerat eût ravagé la terre,
Qu'il eût porté partout le flambeau de la guerre;
Ton insolence va jusques dedans les lieux,
Tu fais venir les saints au lieu d'aller à eux,
Tu les assujettis aux loix de ton caprice,
Tu veux qu'ils soient temoins de tes noires malices.
Mais, helas! tout fait joug sous cet enlevement;
L'evêque, le clergé, sont sans ressentiment,
Et les peuples, reduits à un triste servage,
Souffrent sans murmurer voler leur heritage,
Piller leurs saints tresors, prendre leurs ossemens,
Fouiller au plus sacré de tous leurs monumens.
Deux graves deputez chargez de la conduite
Mettent par les chemins tous les galleux en fuite,
Reservant la vertu de ce vol pretieux
Pour donner guerison à ce cul glorieux.
Thetis, doyen de Meaux, en habit magnifique,
Doit estre le premier porteur de la relique;
Le bon docteur Julien, quoy qu'en très grand emoy,
Suivra cet harangueur au mepris de sa foy,
Et, quoy qu'il soit le plus zelé de la Sorbonne,
Quitte son serieux, et prend l'humeur boufonne,
Prête son ministère à ce plaisant esbat,
Qui ressemble à celui qui se fait au Sabbat.
Armand dedans son lit reçoit cet ambassade,
Et, la face tournée, offre son cul malade,
Surpassant la fierté des princes ottomans,
Qui presentent leurs dos à leurs chers courtisans.
L'orateur, étonné de cette pourriture,
Ateste ciel et terre et toute la nature;
Dit que l'on fait grand tour à la vertu du saint;
(p. 236) Du voyage inutile et du travail se plaint;
Qu'il est vray qu'un teigneux, un galeux, un podagre,
Sont objets du pouvoir de monsieur saint Fiacre;
Mais qu'il ne guerit pas un phantôme sans corps;
Que sa vertu ne peut resusciter les morts;
Qu'il ne peut pas ôter le butin à la terre,
Ny sauver ce mechant, plus digne de tonnerre;
Que ce cul est dejà le partage des vers,
Et que l'ame d'Armand est le prix des enfers.
Ainsi, tous murmurans, deputez et reliques
Crient qu'on les a pris pour de vrais empiriques;
Qu'on les a fait venir pour soulager un mal
Dont le ciel, juste auteur, punit ce cardinal,
Dompte ce furieux et venge l'arrogance
Qui lui fait mepriser les princes de la France,
Qui fait porter son trône au dessus de nos lys;
Mais l'insolent ne peut y demeurer assis.
Ce cruel Philistin a senty la vengeance
Du grand Dieu protecteur de l'arche d'alliance,
Cet impie est frappé, mais non pas dans le cœur:
Un poltron n'eut jamais cette marque d'honneur;
Son dos, son cul, rongez, serviront de victimes
Et d'expiation aux horreurs de ses crimes.
Comme le carnaval a été de tout temps la saison de la joye et des divertissemens, il semble que ce seroit être ennemi de soy-même que de passer dans la tristesse un temps consacré aux jeux et à la bonne chère; c'est dans cette pensée que le sage instituteur de cet ordre a pretendu bannir par une agreable societé la melancolie qui règne si fort dans cette ville, et faire (p. 238) couler cet heureux temps dans des plaisirs continuels et toujours nouveaux.
Pour eviter la confusion dans une si belle entreprise, il a luy même donné les règles qui suivent, telles qu'elles luy ont eté inspirées par Bacchus et par l'Amour, protecteurs de cet ordre.
On a d'abord jugé à propos d'establir trois dignitez, qui seront remplies par trois personnes d'un merite distingué, ennemies mortelles du chagrin et capables d'inspirer de la joye dans les cœurs qui en sont les moins susceptibles. Ceux qui possederont ces dignitez enivrantes seront:
L'eminentissime grand maistre, le grand commandeur de l'ordre, le grand prieur.
Ils seront distinguez: le grand maistre, par un ruban vert, large de deux doigts, qu'il portera en (p. 239) bandoulière, au bout duquel sera attachée une medaille d'argent, relevée des armes de l'ordre, qui representera Bacchus et l'Amour avec leurs attributs, qui s'embrasseront pour marque de leur union et seront couronnés d'une mesme couronne, composée de pampre et de mirthe, avec cette devise autour de la medaille: La joye nous unit.
Le grand commandeur et le grand prieur porteront une mesme medaille[236] au bout d'un ruban vert qui leur pendra au col. Les simples chevaliers et officiers subalternes la porteront aussi avec un ruban vert, attaché à la boutonnière du juste-au-corps; sur les revers de la médaille de l'ordre les chevaliers feront graver la devise qui conviendra le plus à la disposition de leurs cœurs.
L'eslection des trois premières dignitez de l'ordre se fera à la pluralité des voix dans la première assemblée, où, après une ample effusion de vin, on implorera le secours et l'inspiration des divinitez protectrices.
Règles des Chevaliers de la Joye.
I.
Ceux qui voudront être reçus dans l'Ordre de la Joye seront obligés de fournir des certificats en bonne forme de leur belle humeur, de leur gayeté et de leur honnesteté avec les dames, et s'obligeront d'executer à la lettre les statuts de l'Ordre.
Chacun des chevaliers fera choix d'une dame qu'il fera recevoir chevalière avec luy; elle donnera les mêmes preuves et jouira des prerogatives de son chevalier, sera obligée de porter comme lui une medaille et de se conformer religieusement aux statuts.
III.
L'on ne recevra dans l'Ordre aucun chevalier qui ne soit gentil-homme, ou qui ne vive noblement.
IV.
Pour entretenir la bonne union, qui fait une des principales parties de l'Ordre, les chevaliers s'assembleront deux fois la semaine, le dimanche et le jeudy, pour deliberer sur les affaires de l'Ordre.
V.
Les jours d'assemblée, les chevaliers regaleront leurs confrères chacun à leur tour, avec abondance de vin, de toutes sortes de liqueurs, de violons et de bonne chère; surtout la joye fera l'ornement de leur repas.
VI.
Pour eviter la confusion, l'on donnera un bouquet au chevalier qui sera obligé par son tour de regaler ses confrères.
VII.
Dans les repas que se donneront les chevaliers, (p. 241) feront un carillon perpetuel de verres, qui ne sera interrompu que par des chansons bachiques, et les plus divertissantes.
VIII.
Les chevaliers porteront toute sorte de respect au grand maistre, et à ses officiers, lesquels seront assis, dans les repas, par distinction, sur des chaises élevées au dessus du reste des chevaliers, et le grand maistre aura la sienne au dessus de la leur.
IX.
La dame du grand maistre et celles des premiers officiers observeront la mesme elevation des rangs que leurs chevaliers auront dans les assemblées.
X.
Lorsque le grand maistre commandera à quelqu'un de chanter ou de regaler la compagnie par quelques comptes agréables, il ne s'en pourra defendre sous quelque pretexte que ce puisse estre.
XI.
La dame du grand maître aura le même empire sur les chevaliers.
XII.
Les chevaliers et leurs dames vivront dans une parfaite union et soutiendront envers eux et autres tout l'honneur de l'ordre, au peril de leur vie et de leurs biens.
XIII.
S'il arrivoit par malheur quelque different entre (p. 242) les chevaliers ou leurs dames, le grand maître et ses officiers le termineront sur le champ de leur propre authorité, et ceux qui ne voudront pas obeir à leur decision seront chassés honteusement de l'ordre comme perturbateurs de la joye publique.
XIV.
Les chevaliers et chevalières seront obligés de porter en tous temps leur medaille; ceux qui seront surpris sans en avoir seront privés pour la première fois des plaisirs de deux assemblées, pour la seconde seront interdits de l'ordre si longtemps qu'il plaira au grand maître, et à la troisième fois seront exclus sans retour de la societé de leurs confrères et livrés en proye à leurs remords.
XV.
Un chevalier, le jour de sa réception, après avoir fait choix d'une chevalière, s'attachera à elle, la proviendra en tout ce qu'elle pourroit exiger de luy, et luy ôtera tout sujet de jalousie, en ne marquant point d'empressement pour d'autres que pour elle, sans neantmoins manquer à la civilité, qui demande un accueil riant pour tout le monde.
Formulaire des vœux d'un chevalier de la Joye.
Jay, tel fait vœu, en presence de Bacchus et de l'Amour, d'observer religieusement les statuts de l'ordre illustre de la Joye, et promets de garder jusqu'au dernier soupir la belle humeur, qui est une des plus belles qualitez d'un chevalier (p. 243) accompli; je promets de conserver toute ma vie une complaisance et une honnesteté inviolable pour les dames, et de regarder d'un œil tranquile la perte de nos biens, plutôt que de sortir du caractère d'un veritable chevalier de la joye. En foy de quoy j'ay signé le présent serment d'une encre de couleur de vin.
Fait à Mezières, ce.....
jour de.....
Manière de recevoir un chevalier de la Joye.
Après que l'on aura fait lecture des statuts au chevalier que l'on voudra recevoir, le grand maître, accompagné de ses officiers et suivi de tous les chevaliers et chevalières de l'ordre, le fera mettre un genoüil en terre et recevra son serment, qu'il fera en la manière cy-dessus; on luy fera passer ensuite par trois fois un verre de vin sur la tête des plus grands qui se trouveront, qu'il avalera d'un seul trait sans chanceler; cette ceremonie etant faite, le grand maître prendra une médaille que l'on luy apportera dans un bassin d'argent, laquelle le grand commandeur et le grand prieur attacheront au nouveau chevalier, après quoy il embrassera tous les chevaliers et chevalières qui seront présents, et l'on lui expediera ses lettres de reception. La même chose s'observera à la reception de la dame que le chevalier presentera à la dame du grand maître pour sa chevalière.
(p. 244) Lettres patentes à la réception d'un chevalier.
Nous, ennemi capital du chagrin, ami de la liberté et grand maistre de l'ordre de la joye, sur preuves à nous données de la belle humeur, complaisance pour les dames et bonne appetit de tel , l'avons trouvé digne de participer aux plaisirs de notre ordre; enjoignons à nos bons et feaux amis rotisseurs, cabaretiers, traiteurs, patissiers, caffetiers, marchands de rataffia et violons, d'avoir à le reconnoître pour membre de notre corps, dès ce jour et à l'avenir, et de luy fournir, sitôt qu'il se presentera, tout ce qui peut contribuer à la joye, à la bonne chère et aux cadeaux qu'il voudra donner aux dames; car tel est notre plaisir. Fait à Mezières, etc.
Jour de
Et au bas:
Collationné à l'original, par moy, secretaire de l'ordre de la Joye.
Noms des chevaliers de l'ordre de la Joye.
A Paris.
M.DC.XXII. In-8[238].
Perfide et abominable ville, qui par tes impies et damnables revoltes penses faire teste long temps à ce grand Monarque qui te tient assiegée[239], c'est maintenant que tu peux recognoistre à bon droit que tes trahisons ne te servent qu'à advancer ta ruyne, tes mutineries n'enclinent qu'à ta cheute, tes revoltes ne panchent qu'à ton renversement.
Et bien que tu sois la demeure ordinaire des medecins, tu n'en trouveras pourtant pas un si expert qui puisse remedier aux playes journalières qu'on donne aux tiens, ny remplastrer les bresches que les canons du Roy font continuellement à tes bastions (p. 248) et murailles; ton Mont sera Pillé[240] si tu ne plies sous le joug de l'obéissance; les divisions qui sont parmi tes Citadins le peuvent tesmoigner, et les desordres continuels qui sont au milieu de ton enclos en pourront porter suffisante preuve.
Dernièrement, que les habitans de Montpellier voulurent mettre le né au vent pour faire une sortie, et qu'on leur tailla de si belles croupières, où mesme un de leurs principaux capitaines fust estendu sur la place, les femmes et les filles de la dite ville ayans eu le bruit de cecy s'assemblèrent en un lieu pour ensemblement deplorer leurs malheurs et abjurer la guerre cause de tant de maux.
Se caussam clamant, crimenque, ca utque malorum,
Filia quæque manu flavos Mons pessula crines,
Et roseas trahit ungue genas[241].
Il semble que Virgile eût prophetisé ces vers sur Montpellier, veu qu'on ne les sçauroit adapter à chose où il y ait plus de correspondance: car les bourgeoises de ceste ville, qui ont de coustume de voir un nombre infini de jeunes godelureaux qui y vont estudier en medecine, estant privées de leurs douces compagnies et des joyeux passe-temps que leur entretien leur donnoit auparavant ceste revolte, (p. 249) jointe à une infinité de pertes qu'ils ont faites depuis qu'ils se sont souslevez contre les armes de leur souverain, ne peuvent tenir les sanglots qui se crevent dans leurs bouches, ny boucher le passage aux soupirs qu'ils ressentent pour ce subjet.
Et quoy! dit une vieille chappronière[242] qui tenoit le haut bout en l'assemblée, serons-nous toujours misérables? Faut-il que nos maris soyent cause de nos malheurs? Ne suffisoit il jusques icy de nous avoir deschirez par lambeaux? Nous mesmes nous nous plantons le couteau dans le sein. Nous mesmes nous courons à bride abatue à nostre mort, et semble à voir qu'il nous tarde que nous ne soyons toutes dans nostre propre ruyne ensevelies miserables et mal-heureuses, pour ne revoir jamais la lumière du ciel. Faut-il, dis-je, que nos maris soient tellement oublieux de leur salut et du nostre, que de se precipiter dans les hazards et les dangers pour lutter contre les destins qui n'ont premedité autre chose que nostre totale perte? Ha! les larmes me crevent le cœur? les soupirs me bouchent les conduits de la parolle, les sanglots m'etouffent. Mon pauvre mary, hélas! ou es-tu? ou es-tu, ma seule consolation?
Tu m'as donc quitté, pauvre et infortunée, pour estre la proie du destin! Tu m'as delaissée languissante pour survivre à l'esclendre[243], tu m'as abandonnée, (p. 250) hélas! pour voir ceste ville renversée de fond en comble si elle poursuit davantage en ses revoltes. Que pleut à Dieu que ce lien se fust rompu en une mesme heure, puis qu'en un instant il se desnoue! Falloit-il que nous sortissions de Montauban[244] l'an passé pour estre traités de la sorte dans Montpellier? O grand et invincible Diomède, ainçois grand colosse de guerre, M. de Mayenne[245], que ne suis-je morte par vos mains!
Ainsi parloit la femme d'un medecin de Montauban, qui l'an passé estoit sortie avec son mary au (p. 251) commencement du siége, et se vinrent refugier à Montpellier, pensans avoir meilleur marché; mais, de malheur, son mary avoit esté tué en ceste seconde escarmouche.
La femme d'un jeune advocaceau sans cause, qui deux jours auparavant, voulant aller plaider sur la muraille, fut salué d'une pilule au travers du corps, à cause peut estre qu'il estoit constipé, va dire: «Hola! Mamie, vous parlés encore, vous qui estes vieille, et qui desja avez un pied dans la fosse! N'avez-vous point tant sujet de vous plaindre que moy, qui ay perdu mon mary depuis deux jours en ça? Vostre mari estoit vieil et caduc: quand la queue commence à se secher le fruict tombe; mais le mien estoit encor en sa verte jeunesse et bon advocat, qui bailloit tousjours le droict à sa partie, et de qui la compagnie m'estoit douce: avec combien de regrets et de ressentiments de douleurs croyez-vous que je me ressouvienne de ceste perte?»
—Et moy (dit une fille de haut goust, qui estoit au coin), pensez-vous que je ne me ressente point de tous ces troubles icy? Avant qu'on eût bloqué ceste ville, et que le bruit des reistres[246] fût venu aux (p. 252) oreilles des François, il y avoit un jeune Parisien logé chés nous qui estudioit en medecine, en la compaignie duquel je passois une partie de mon temps. C'estoit le plus doux et le plus affable qui se vit jamais; il m'avoit promis mariage, et mesmes nous en avions passé les patentes dans ma chambre. Maintenant à ces nouveaux troubles je ne l'ai peu retenir, et ne sçay s'il n'est point mort par les chemins; je crains qu'il ne revienne jamais.
—Encor y a-il quelque peu d'esperance en vos affaires, respondit une de ses voisines: mais pour moy il n'y en a plus. J'avois un jeune gars qui quelquefois se venoit rafraischir chez moy et prenoit une heure de recreation en mon logis; mais dernierement, las! il pensoit sortir avec les autres, il fut tué d'un soldat de M. Zamet[247]. Si vous sçaviez combien j'en suis attristée et quelle amertume m'en est restée en l'âme, vous en seriez esmerveillée.
(p. 253)—Aussi en avez-vous du subjet, respondit une noirette qui ne s'affectionnoit pas trop; chacun vous cognoist bien pour telle que vous estes: on sçait bien que celuy dont vous parlez n'alloit point en vostre logis que pour faire de belles affaires; mais il n'en faut mot dire. Nous sommes en un temps où il n'y a pas à rire pour tout le monde; il y en a de bien bleuds[248], n'y eût-il que de nos confrères de la Rochelle, qui n'ont rien despouillé ceste année.
—Mais qui eût creu (dit la femme d'un conseiller de la dite ville) qu'on nous eût reduit au petit pied en si peu de temps? Qui eût creu que ceste ville eût si tost succombé à la ruyne comme elle fait? Il n'y a pas un pan de muraille entier, tous nos bastions nouveaux qu'on avoit fait edifier de la demolition des esglises sont tantost tous en poudre; à peine s'ose on trouver dans les rues pour les canonades qu'on tire continuellement du cartier du Roy. J'ay une petite fille qui, allant l'autre jour en nostre grenier, fut escrasée d'une balle qui tomba sur les thuilles de la maison.
—Ma commère, repliqua une grosse dame, on dit (p. 254) que la ville de Troye eût esté imprenable si les Grecs n'eussent derrobé le Palladium qui estoit dans le temple de Minerve, tout le destin de ceste ville n'estoit attaché qu'à ceste petite image; mais nous ne devons encor craindre: la robbe de Rabelais est nostre Palladium[249]; tandis quelle sera en ceste ville, jamais elle ne peut estre prise.
(p. 255)—Ah! Madame, dit alors une damoiselle de qualité, de qui le mary estoit au lict blessé d'un coup de mousquet au bras, il ne se faut pas fier à la robbe de Rabelais; le plus beau Palladium qu'on puisse souhaiter pour la deffence d'une ville, c'est le nombre des gens et de soldats qui y sont. Si Troye ne se fust laissé ensevelir dans le vin et dans le sommeil, nonobstant le Palladium des Grecs, jamais elle n'eust été prise; mais quel Palladium et quelle sauve garde pouvons nous avoir, puis que nous n'avons tantost plus personne pour nous deffendre? (p. 256) Toute nostre garnison est presque taillée en pièces; personne ne s'ose adventurer d'aller aux murailles ny aux coups. Nous avons des capitaines lasches et de peu de courage. Nostre ennemy est puissant, nos forces foibles, sans esperance de secours. Que pouvons-nous esperer, si non qu'une funeste et triste journée où nous passerons toutes au fil de l'espée, si nos maris soutiennent plus longtemps l'effort, des armes royalles?
—Ma cousine dit vray (fit une autre de moyenne taille), mon aisné y est mort aussi bien que les autres, et a payé la folle enchère de son imprudence. De l'excuser, je ne le puis, cela me touche de près; car nonobstant que mon mary soit de la religion pretendue et qu'il tienne le party des rebelles, je ne peux advoüer pourtant qu'il se faille cantonner contre son maistre.
Une assés âgée, qui estoit debout au milieu de l'assemblée, print la parolle. A la verité, dit-elle, nos maris vont trop avant, c'est trop se bander contre le roy. J'ay peur enfin qu'il y en ait quelques-uns qui portent la paste au four pour leurs compaignons. Le roy en endure trop, il est trop doux et trop benin; je ne sçay comment il ne nous a desja fait abismer et ensevelir dans nos propres ruynes.
—De mon jeune temps on ne parloit point de cela, dit une vieille qui n'avoit plus que deux dents. J'ay bien veu des guerres, j'ay veu des grandes expeditions; mais il ne s'est jamais remarqué qu'on eût fait tant d'efforts contre son roy. Il est de droit divin et humain de luy obeyr, non pas de lui resister; pour moy, je n'approuveray jamais le conseil de tous (p. 257) ceux qui delibèrent de fermer la porte à ses trouppes: car, outre que nous encourerons un blasme universel parmy les nations voisines et une tasche qui jamais ne se pourra effacer, nous sommes en grand danger de subir de grands maux par nostre propre imprudence.
—Madame a raison, repliqua une autre fraischement arrivée de la Rochelle, nous avons tous un très mauvais horoscope ceste année; elle nous est climaterique[250] et malheureuse, ces jours derniers nous sont fort caniculaires[251]. Ce n'est point seulement à Montpellier où on a sujet de se plaindre, la Rochelle en a eu sa part. Nous avons esté entierement (p. 258) ruynez des troupes de monsieur le comte de Soissons, qui ont fouragé tous les environs, et n'avons peu ceste année recueillir un seul grain de bled. Encor nous avions espérance en M. de Soubise à son retour d'Angleterre qu'il nous rafraischiroit de vivres; mais, hélas! nous avons esté bien frustrez, car on nous a dit que luy-mesmes avoit esté chassé honteusement de Londres, et que, s'estant mis sur mer, ses vaisseaux avoient esté fracassez[252]. Si cela est, je vous laisse penser quel bon succès il donnera aux Rochelois.
—Ah! ma commère (dit sa voisine) vous me faites crever le cœur quand vous me parlez de M. Soubise! Il est bien cause de mon malheur: j'avois une jeune fille l'hiver passé, lorsque je demeurois à La Rochelle, belle et en bon point; un de ses capitaines devint amoureux esperduement de sa beauté et la ravit. Mon mari poursuivit ledit capitaine pour tirer raison d'un acte si impie; mais M. de Soubise, qui avoit peut-estre mouillé son pain au pot, n'en fit aucun conte, si non qu'on me renvoya ma pauvre fille quinze jours après. Je voulus voir si on l'avoit violée; c'est pourquoy, en ayant commis la charge à deux matrones et sages-femmes de La Rochelle, après l'avoir veue et visitée, elles me dirent que, tout estant considéré, elles avoient trouvé que (p. 259) la babole estoit abatue, l'arrière-fosse ouverte, l'entre-fesson ridé, le guillevart eslargy, le braquemart escrouté, la babaude relancée, le ponnant debiffé, le halleron demis, le quilbuquet fendu, le lipion recoquillé, la dame du milieu retirée, les toutons desvoyez, le lipondis pilé, les barres froissées, l'enchenart retourné; bref, pour le faire court, qu'il y avoit trace de v...; d'où vient que tout la cure que j'y aye pu apporter, et nonobstant la peine que j'aye prise à recoudre son canipani brodimaujoin, elle est demeurée despucellée[253].
—Voylà comme en font les capitaines de deux liarts, dit une femme de medecin; tout nostre trafic n'est attaché qu'à ces cures; quand ils sont dans une (p. 260) maison, ils croyent qu'ils ont permission de faire tout ce qu'ils voudront.»
La niepce du docteur Rabelais aloit dire son mot; mais on vint advertir l'assemblée qu'il y avoit une grande rumeur en l'Hostel-de-Ville; aussi tost les femmes sortirent de leur congrégation pour participer au conseil qui se tenoit en la ville. Cela fust cause que je ne peus escrire davantage de leurs babils.
A Paris, pour Jacques Gregoire, imprimeur.
M.D.LXXXIX. In-8[254].
Les sectaires mahometans ne se montrèrent jamais en si grand' contumelie ny outrage contre la nation des chrestiens, ny si temeraires, que se sont monstrez parmy la France en plusieurs malignes actes ces barbares Italiens: car, combien qu'en plusieurs raisons ayent essayé par quelques alleguations fardées tascher à se pouvoir esgaler aux Romains, qui de tout temps se sont montrez preux, vaillans et magnanimes, ainsi que mesmement par les histoires du temps jadis nous cognoissons par le lustre des antiques Romains, (p. 262) lesquelz estoient si adextres[255] en leurs faictz que leurs gestes demonstroient et signifioient pouvoir commander sur toutes les nations du monde, que seulement par leur ombre et prudence demonstroient estre invincibles, par ce qu'en leurs entreprinses sçavoient juger jusques à la fin d'une cause à qui le droict pouvoit appartenir de la cause qui leur estoit proposée, et se gouvernoient en toute qualité et preeminence de justice, qui est la vraye force de pouvoir dompter et vaincre en tout et par tout à qui en faict l'exercice, tant aux grandz que aux petitz, que celuy qui mesme s'y attend et s'y appuye ne luy reste en semblable qualité plus que la force, qui est de Dieu, pour pouvoir vaincre et dompter seul en son particulier celuy à qui elle defaut, sans attenter contre l'autruy, que contre celuy qui lui faict temeraire poursuyte, ou qui ne luy rend ce qu'il luy a usurpé à tort et sans cause, et se sçait maintenir en telle action de grace que pour la deffense de sa maison mesme, de tout temps agitée, n'attend autre force que celle de Dieu mesme, qui est la cause que le delinquant est pour le jourd'huy en route[256], et en la plus grande confusion ou jamais ilz se virent, s'estans eux-mesmes mis la hart[257] au col, ne pouvans trainer après eux un si pesant fardeau de rapines, larrecins et volleries; dont pour le jourd'huy (p. 263) se trouvans prins au piége, fuyent de nuict des lieux où ils s'estoient habituez; mais comme ayanz encore la corde au col, ne pouvant trainer les maisons où ilz s'estoient liez, d'où ilz ont ravy les tresors et richesses qui estoient en icelles et en celles de leurs voisins, il s'en pourroit par aventure bien recourre quelque chose; le malefice des dessusdictz Italiens vient mal à propos pour le terme allegué des somptueux Romains et de leur justice, à l'injustice de telle canaille: car les Romains publient la justice aux humains, les Italiens vilains; les Romains usent de droicture, Italiens de forfaicture; Romains sont de grand renom, et les Italiens non; les Romains sont pleins de bombance, Italiens prisent leur pance; les Romains sont vertueux, les Italiens morveux; les Romains sont preux à l'espée, Italiens à la pipée; les Romains font à chacun raison, Italiens de trahison; les Romains sont magnanimes, Italiens font la mine; les Romains sont preux et vaillans, Italiens malveillans; Romains ont conquis la toison d'or, Italiens ont dérobé la mine d'or; les Romains constans en toute saison, Italiens en toute poison[258]; les Romains ont acquis victoire, Italiens perdent memoire; les Romains sont gens illustres, Italiens de faux lustre; les Romains gardent equité, Italiens l'iniquité; Romains (p. 264) amateurs de science, Italiens faux en conscience; les Romains ont acquis loz immortel et louange de durée, l'Italie n'a plus de durée.
Adieu France, adieu,
Qui estes le lieu
D'où iniquement
Avons prins la fuyte,
L'heure soit maudicte
De notre partement.
Les regretz que font ceste maudicte gent de quicter un si noble pays en sont à la desesperade, car, combien qu'ilz en ayent emporté les trésors, il leur fasche d'y laisser les maisons; et tout ainsi qu'ilz ont traicté les François par leur injustice, Dieu les traicte par sa justice. Car, de pleine arrivée qu'ilz entrèrent en France, le moien qu'ilz conceurent en celuy pays pour se prevaloir, ce fut de descouvrir les plus riches cuisines, et où gisoient les plus grandz tresors, et faire tant par fas et par nefas que de s'y habituer, et quelque chose qu'il y eust s'y faire tousjours les plus grands; non obeyr, mais toujours commander; à l'appetit se renommer du Prince, et par le tesmoignage de trois ou quatre pallefreniers atiltrez pour ce faire, asseuroient qu'un gueux de leur pays estoit un grand gentilhomme, lequel avoit esté destruict par fortune de gueule, di-je de guerre; et mettoient en admiration si grande les faictz et gestes de telz couards, que plusieurs croyans la vérité estre telle qu'on leur rapportoit, estoient par aucuns subitement nommez monsieur; lors, se sentans honorez si à coup de telz honneurs, estoit par subite poursuyte enjoinct à (p. 265) leurs faux-tesmoings de venir de fois à autre promptement leur dire qu'ilz vinssent incontinent parler à la Royne, qui estoit un sujet envers le peuple de les faire entrer en credit, car dès ceste heure là commencèrent à faire de cent solz quatre livres, et de quatre livres rien, envers ceux qui leur prestoient de leur bien, et eux ne se soucians point des plainctifs et remonstrances qu'on faisoit, s'ingerèrent contrefaisans les habiles à pindariser[259], sur tous les estatz (p. 266) et mestiers de la France, comme par manière de soubresault, intentionner le Roy et les Princes à la manutention et correction des abus qui se pouvoient commettre en iceux, comme s'estimans gens plus capables et cognoissans à telles faciendes[260] et subtilitez y prevenir les plus habiles, plus capables et de meilleur esprit que les plus vaillans qui s'y peussent rencontrer, s'estimant supportéz du Prince, devant lequel on n'eust osé dire du contraire, combien qu'à chaque fois ilz s'y trouvoient vaincuz: et pour autant que telles entreprinses ne se faisoient par eux que pour descouvrir la source du traffic, procedant du debit, se tailloient un revenu prins sur iceux, pour autant qu'estans sortis et chassez de leur pays comme gens bandoliers[261] et abandonnez à tous vices, et venuz (p. 267) en la France comme belistres, pour se monstrer capables de respect plus qu'autres nations, pour cause du grand support dont ilz estoient, appuyez par la benevolence et bien-vueillance que la Royne mère leur portoit, donnoient à entendre que sur le traffic de toutes sortes de marchandises il se pouvoit lever certains deniers sans interesser les opposans qui se pourroient complaindre, et pour mettre leur larrecin en evidence sans pouvoir descouvrir leur felonnie et cautelle, accostoient un banquier de Venise[262], lequel faisoit offre de grand somme de deniers (p. 268) au Roy, à ce qu'il luy pleut luy octroier certain denier sur cent de quelle marchandise que ce fust au poix pesant, ou tant sur livre, lequel poix semblant de petite valeur, leur estoit soudainement octroyé, et remonstrant aussi le dict suppliant, lequel avoit sa part du butin, que c'estoit pour l'entretement d'iceux belistres destruictz par fortune de gueule, di-je de guerre, pour la vie et le vestement, lesquelz par ce moyen du petit venant au plus grand, de serviteurs sont devenuz grands maistres, et ont tellement poursuivy telz imposts et enchères sur les dictes marchandises, que pour maintenant il s'en lève un denier inestimable, au detriment de plusieurs personnes.
De première arrivée qu'ilz entrèrent en France, s'estant faict recevoir en grace envers la Royne mère[263] qui ne leur manquoit de rien, se ruèrent sur les plus grands tresors qui fussent en la France, ou les deniers estoient tous comptéz, sçachant qu'ayant ceux là incontinent auroient les autres, sans dissimulation, et qu'ayant les chemins ouverts à leur volonté, fust pour entrer ou pour sortir de la France, (p. 269) ilz ne pouvoient manquer de mettre en execution tous leurs desseins, et emporter d'iceluy royaume tout ce qu'ilz avoient à souhait d'enlever et d'avoir.
Dont à leur arrivée ayant descouvert la plus belle prinse qui fust en la ville de Paris, estans conduicts par celuy banquier de Venise qui faisoit les premières advances au Roy, appuyez de la Royne mère, s'advancèrent d'usurper et ravir les trois parts du revenu de l'hostel Dieu de Paris, sans exception de ce que le reste pourroit devenir, comme disant: «Si pour ce coup nous n'en avons assez nous prendrons le reste.» Et avec les registres changez et le numero aussi, rechangèrent les dattes pour au temps advenir ne s'appercevoir de leurs larrecins, sans avoir aucun soucy de la vie ou de la mort des pauvres malades qui y surviennent tous les jours, qui a faute d'estre traictez humainement, ceux qui pourroient eschaper y demeurent et meurent, mais non pas des Italiens, car il ne s'en trouve point de pauvres, sinon que de François qui ont esté appauvris par le pillage fait par telz goulfarins, lesquels pauvres François errans ça et là par le pays, deshabituez de leurs maisons par l'execrable outrage commis par iceux, que souz un semblant se prevaloir de telles calamitéz, ont esté si rudement traictez par ceux qui les soustenoient, qu'il a fallu que plusieurs ayent quicté la terre pour le cens. Or, Dieu ayant maintenant sceu l'insolente poursuyte que telle maligne gent exerçoient contre ses serviteurs, les a rendus esvanouys de sa lumière, s'enfuyans plus tost de nuict que de jour, sont tellement eshontez de leurs larcins si manifestes que rien plus, qui est la cause (p. 270) de leur fuyte et route, sans avoir nulle discretion du lieu où ilz se doivent arrester, et sont pour le jourd'huy en telle confusion, que ne se sentans seurement en leur pays, se delibèrent se retirer en Turquie, qui est le lieu où leur devotion est du tout adonnée, pour lesquelz ilz ont tant deceuz de chrestiens, parce que le schisme qui y est apposé, et le scandale par eux y advenu, dont le Roy, le peuple et les princes sont en telle dissention, n'est du commencement jusques à la fin provenu de leur malefice, dont pour se sauver passent les mers pour s'en venir ès sus dictz lieux de Barbarie, pource que c'est un pays propre à desniaiser et là où il y a bien à prendre, et sans rendre compte sourdement desrober, tromper et decevoir les plus fins et habiles, et à faire sauts et gambades.
Ilz ont par leur ruse et cautelle
Deceu l'ame de maint fidelle,
Pippé le Roy, trompé les princes
Et pillé toutes les provinces.
A Paris, chez Jean Brunet, ruë Neufve-Sainct-Louis, au Trois de chifre[265].
1634. In-8.
Il faut confesser avec verité que la France et tous ceux de la lignée de ce grand et très pieux Roy sainct Louis ont des graces et des faveurs du ciel qui ne sont communiquées à aucun empire du monde, et des (p. 272) prérogatives par dessus tous les autres princes de la terre.
Si jamais nous avons remarqué les effets de la providence divine dans la conduitte d'aucuns de nos Rois, il nous faut admirer ceux que nous voyons journellement dans les heureux succez des justes entreprises et affaires (puis que d'autres il n'entreprend) de notre monarque françois Louis XIII.
C'est Louis le Juste, autant heritier de la piété et de la devotion de ce grand Roy sainct Louis, que de son sceptre et de sa couronne, puis que par ses bonnes vie et mœurs, nous voyons autant et plus de prosperitez dans la France que soubs ce grand sainct son ayeul.
Ce pieux Roy (parangon de toute saincteté) estoit grandement zelateur de la justice, et judicieux à mesnager de son espargne pour le soulagement de son peuple. Ne voyons-nous pas aussi que nostre cher Louis a un singulier soing de ses sujets, tel que celuy qu'un bon père a de ses enfans?
(p. 273) Toutes les nations de la terre sçavent combien il a ruiné de mauvais desseins pour asseurer la paix dans son Estat, et la tranquillité parmy ses peuples.
Sainct Louis, voyant quantitez de desordres et de dissolutions effrenés de vivres, sans religion, sans justice, sans police, et sans aucune consideration des sujects, voulut (comme il fit), ayant donné la paix à son peuple, y apporter un meilleur ordre, ce qui luy succeda doucement et heureusement: aussi Dieu fortifioit de son assistance ses sainctes inspirations.
Ne voyons-nous pas les mesmes procedures en ce genereux Roy Louis XIII, lequel par ses indicibles travaux a terrassé l'heresie qui troubloit son royaume, et (ainsi que son ayeul S. Louis) a restably la religion en sa gloire et donné la plus parfaite paix qui aye jamais esté souhaitée à son peuple, et que maintenant avec ses très illustres ministres, vrais conservateurs de son Estat, que sa Majesté n'a plus grande recommandation que d'establir un bon ordre dans son royaume, d'y entretenir la vraye religion de ses pères, et faire regner la justice pour la conservation de ses sujets?
Ainsi par la consideration de ses belles, genereuses et pieuses actions, son peuple le doit justement appeler leur père, la noblesse son prince, les lois leur gardien et tuteur, la France son Roy, son eglise galicane son protecteur et deffenseur, et les pauvres l'autel commun des affligez.
Entre toutes les vertus de sainct Louis, son historiographe rapporte qu'il estoit fort judicieux à bien recognoistre et recompenser les bons offices, et (p. 274) services qui luy estoient rendus avec affection et fidelité.
Se peut-il trouver aucun qui ayant tant soy peu manifesté son affection au service de nostre bon prince qui n'aye reçu de sa Majesté toutes sortes de contentement, d'amour et de recompenses, et voire mesme plus que jamais ils n'en eussent esperé, tant son bon et royal naturel est porté à recognoistre par ses bienfaits ses bons et fidèles serviteurs?
Se peut-il voir encore un plus grand amour de charité que celuy que sa Majesté a de nouveau estably d'une commenderie fondée au nom de son ayeul sainct Louis, au lieu et place du chasteau de Bissestres[266], en laquelle, par l'ordre et conduitte de ce prudent et très genereux cardinal duc de Richelieu, judicieux pilote de son Estat, y doit estre admis pour estre nourris et entretenus tous les pauvres soldats que le sort de la guerre a rendu infirmes, et hors de pouvoir gaigner leurs vies[267]?
(p. 275) Or, comme les principales intentions de ce grand Roy et de cet esminent cardinal sont de commencer toutes choses pour la gloire de Dieu, à celle fin que tout ce qui reste à faire en succèdent mieux, Sa Majesté auroit donc voulu qu'après les enlignements de cète charitable place auroient estez pris, suivant le dessein qui en a esté faict par l'ordre de Monseigneur l'eminentissime cardinal, à qui elle a confié la conduite de ceste piété, qu'on commença à la construction d'une petite chapelle qui seroit nommée du nom de son ayeul sainct Louis, à celle (p. 276) fin que dans icelle, en atendant le bâtiment de l'eglise qui doibt estre dans le lieu, que les ouvriers et autres y fissent leurs exercices de devotion, et voulant sa dite Majesté que, pour ce faire, le service divin commençast à s'y dire le jour et feste de Sainct-Louis.
Pour mettre en exécution la pieuse devotion du Roy, le sieur de Saint-Germain, choisi pour ses merites, tant par sa Majesté que par mon dit seigneur l'eminentissime cardinal, pour la direction et conduite du bastiment de ceste commenderie, auroit en toute diligence fait bastir et eslever une chapelle dans le milieu du dessein, où doit estre basty la grande eglise de ceste place, et par la grande diligence qu'il auroit fait apporter, ceste chapelle a esté en cinq à six jours en estat d'un lieu de dévotion.
Or, comme il faut que toutes choses soient reglées selon les cas, et notamment celles qui regardent le culte divin, cette chapelle, ainsi promptement ediffiée, et en estat d'y celebrer la sainte messe, suivant la volonté du Roy, ledit sieur de Saint-Germain en auroit donné advis à Monseigneur l'illustrissime archevesque de Paris, pour obtenir de luy la permission de faire celebrer en cette dite chapelle le service divin, et de nommer qui luy plairoit pour ce faire.
Son illustrissime reverance, pour satisfaire à la devotion de sa Majesté, auroit commis messieurs le Grand Penitentier et Promoteur pour se transporter sur les lieux du chasteau de Bissestre, avec monsieur Davou, l'un des chanoines de l'eglise Nostre-Dame, pour voir et visiter si ladite chapelle, (p. 277) bastie dans ce dit lieu, estoit en estat requis d'y celebrer la sainte messe, pour à leur rapport en ordonner ce que de raison, attendu l'importance de ceste place, qui a esté par cy-devant l'azille et le receptacle des mauvaises actions de personnes mal vivantes.
Pour ce faire, les dits sieurs Grand Penitentier, Promoteur et Davou, se transportèrent sur les dits lieux du chasteau de Bissestre, le mercredy sur les quatre heures après midy, 23 juillet 1634, et après que ledit sieur de Sainct-Germain leur eust fait entendre qu'elle estoit la volonté du Roy et de Monseigneur l'eminentissime cardinal duc, il leur fit voir en quel estat ladite chapelle estoit.
Les dits sieurs commissaires voyant le peu qui restoit à faire pour mettre en estat ladite chapelle, pour y celebrer la saincte messe le jour et feste de Sainct-Louys, ainsi qu'estoit la volonté de sa Majesté, et sur les asseurances que leur auroit données ledit sieur de Sainct-Germain de faire orner richement la dite chapelle de tout ce qui seroit necessaire pour une si celèbre action, lesdits sieurs commissaires en auroient fait leur rapport au dit seigneur archevesque.
Surquoy il a esté ordonné que le curé de Gentilly, comme estant pasteur dans l'estenduë de ceste chapelle du chasteau de Bissestre, commenceroit, avec ses prestres habituez et autres, les ceremonies de l'establissement de la devotion dans ce lieu, par une benediction, suivant ce qui est prescript dans le manuel de l'eglise de Paris, et en suitte de ce, les (p. 278) premières vespres de l'office de sainct Louys, dont la dite chapelle doit porter le nom, le lendemain les matines du jour et la grand'messe, et ainsi tout le reste de l'office de la ferie.
Pour l'ornement de ceste chapelle, ledit sieur de Sainct-Germain y a fait porter une quantité de ses riches tableaux de devotion; plus, a aussi par sa vigilance recherché les plus beaux et riches ornemens qui luy a esté possible, pour la celebration du service divin.
Et le tout estant ainsi richement paré de tapisseries, beaux tableaux, et d'exquis ornements, les ceremonies se sont devotement faictes, suivant l'ordonnance dudit seigneur archevesque.
A cet establissement de devotion y est accouru un nombre infini de peuples, tant de la ville que des faux-bourgs de Paris, qui y ont fait prières à Dieu pour le Roy, et ont admiré et loué la grande charité de sa Majesté, et le grand zèle dudit seigneur cardinal duc.
Ce grand Roy imitant donc les actions du debonnaire et pieux sainct Louis, elles seront tousjours agréables à Dieu, et regnera selon son cœur.
Ce qui nous oblige estroitement (pour ne rien oublier de ce qui est de nostre devoir) de considerer tout ce que nous luy devons, et luy offrir en holocauste d'amour nos cœurs impollus de toutes affections estrangeres, n'estant nez François que pour luy et ses successeurs; que nos vœux et nos prières fructifient du germe d'un sainct amour, pour les porter droict au ciel, pour impetrer de ceste sagesse (p. 279) immense qui tient le cœur des Roys en sa main qu'elle conserve tousjours son cher Louis, nostre Salomon françois, nourrisson des anges, et que son regne soit tousjours rempli de gloire et de prosperité.
Les maistres entrepreneurs et ouvriers de ce superbe bastiment, voulans contribuer de leur part à cette devote ceremonie, ont presenté à leur patron sainct Louis, dans ce lieu, un haut et puissant May, auquel sont attachées en grands tableaux les armes de sa Majesté d'un costé, et celles dudit seigneur cardinal duc de l'autre.
Maistre Guillaume est amoureux
Pour le jourd'huy, las! quand j'y pense,
Car de recueillir est soigneux
Des femmes les belles sciences.
M.D.C.XXII[268]. In-8.
Maistre Guillaume, c'est donc maintenant, à ce que je voy, que vous estes amoureux. A ce que je peux estimer en moy mesme, vous y mettez vostre esprit et amitié, pour ce jour'huy, car je ne vous avois point encor ouy tant les exalter de leurs sciences, comme vous (p. 282) faites à present, tous les prisez plus que n'a fait un Draco le sevère, ny un Solon le sage, mesme plus qu'un Lycurgue l'austère, ny un Charondas le prudent. Bref, maistre Guillaume, vous les prisez plus que n'ont jamais fait les poëtes anciens; toutes fois, maistre Guillaume, je vous en scay bon gré, car je represente à mes yeux l'obeissance de Griselidis, laquelle estoit si remplie de tant d'honorable science envers Gautier, marquis de Saluces, qui estoit son mary et espoux, et aussi la belle Gillette, qui estoit fille d'un medecin de Narbonne, qui a par sa belle science montré une infinité de beaux enseignemens et de belle doctrine. Vous avez leu, maistre Guillaume, à ce que je vois, l'hystoire du roy Chilperic, lequel ne fit difficulté d'espouser Fredegonde, ores qu'elle fust fille d'un pauvre homme de basse qualité. (p. 283) Ce souverain personnage la prist, voyant sa belle science; toute fois, M. Guillaume, je vous supplie m'excuser, vous suppliant très affectueusement de me declarer le contenu de vostre discours, vous baisant et demeurant vostre très affectionné, I. G.
—Qui es-tu, amy lecteur, qui pour ce jourd'huy m'interroge par tes supplications, que je t'aye à discourir de la science des femmes? Il me semble à ton parler que tu te veux sentir, soit du lignage ou autrement, de ce Soldat françois[269], car à t'ouyr parler me semble qu'il te faudroit bailler une hallebarde, car il t'avient bien à commander. Va, va estudier, demandeur de science, ce n'est pas à toy à qui j'en dois rendre responce. Toy qui n'as jamais fait qu'escumer la marmite, penses-tu sçavoir que c'est que la science? Et va, va estudier, sans t'amuser à la cuisine, puis tu trouveras comme moy la grande science des femmes, que j'ay si soigneusement recueillie dans plusieurs livres, et si très soigneusement conservée et gardée dans l'un de mes sabots, et enfermée souz la clef dans mon cabinet, tant peur j'avois de la perdre. Lis, mon amy, avec une grande affection ce beau passage de saincte Susane, qui remplit de tant de belle science; elle n'appeloit jamais son mary que son seigneur. Saint Hierosme raconte aussi de la grande science des femmes des Indiens, et de l'amitié qui portoient à leurs maris. (p. 284) Entr'autres il recite de la femme d'Asdrubal, voyant le feu en une maison où estoit son mary, de la grande amour qu'elle portoit à son mary, se jetta dedans le feu; Nicerat en fit autant quand elle vit son mary mort; Tisbée en fit autant quand elle vit son amy Piramus mort. Croy, mon amy, qu'il y a bien de la science à d'aucunes femmes, les unes au bien et les autres au mal. Les unes ont une science parfaite en gouvernant honorablement leur mesnage, vivent avec un amour enrichi d'une ferme foy, d'un courage invincible et d'une amitié non-pareille. Bref, mon amy, il ne te faut user de tel propos envers moy, car tu te trompes fort de dire que je suis amoureux.
Le Lecteur.
Mais, maistre Guillaume, ne vous faschés contre moy, je vous prie, car je sçay veritablement que je ne suis pas digne de disputer contre un tel personnage que vous, car je vous tiens pour un homme docte et sçavant et pour un homme qui a autant leu qu'homme de vostre robe; parquoy, maistre Guillaume, je vous voudrois bien demander, puis que les femmes ont de tant belle science, si s'est science à d'aucune femme de laisser leurs maris, comme je vous veux faire entendre. C'est que j'estois dernierement en la bonne ville de Paris, où je beuvois à un cabaret chopinette; j'escoutois la complainte de trois pauvres savetiers, qui disoient l'un à l'autre que leurs femmes les avoient laissez. L'un se plaignoit bien plus que les autres, car il disoit que sa femme s'en estoit allée avec son valet, et qu'elle luy avoit (p. 285) emporté ses habillemens et l'argent qu'il avoit espargné pour avoir du cuir. L'autre aussi se plaignoit que la sienne luy avoit tout son meuble et mesmes qu'elle avoit jusques au custode[270] du lict vendu, et qu'il ne sçavoit où elle estoit allée. L'autre se plaignoit que la sienne avoit trop de cousins et qu'il n'estoit par maistre en sa maison, et que le plus souvent estoit chargé. Bref, c'est tout autant que l'on fait d'ouyr parler des femmes qui ont delaissé leurs maris. Je ne trouve pas, maistre Guillaume, que c'est belle science, mais bien plustost c'est une science vilaine et deshonnete.
Maistre Guillaume.
Je n'entends pas parler, parlant de la science,
Des femmes abandonnées à la volupté;
Je parle de ceux-là qui ont fidelité,
Qui ayment leurs maris avecque patience.
A Paris, chez Jean Camusat, rue Sainct-Jacques, à la Toison d'Or.
M.DC.XXXVII. In-8.
Avec privilége du Roy[271].
Animé du beau feu d'une gentille audace,
D'un pied libre je cours aux vallons du Parnasse,
Et la Muse, en riant, me conduit par la main,
Où ne marcha jamais le Grec ny le Romain.
Richelieu, dont les soins embrassent tout le monde,
(p. 288) Merveille de nos jours en merveilles feconde,
Et des temps à venir futur estonnement,
Au recit de mes jeux donne quelque moment,
Imitant le soleil, quand mille espaisses nues
Trainent parmy les airs leurs flottes continues,
Qui, sans voir les mortels, n'esclairant que les cieux,
Par fois perce le voile et se montre à nos yeux.
Dedale n'avoit pas de ses rames plumeuses
Encore traversé les ondes escumeuses,
Par un art qui d'un Roy le rendit triomphant,
Du père le salut et la mort de l'enfant[272];
Il n'avoit pas encor, pour la lubrique rage,
Assemblé de cent bois l'incestueux ouvrage[273]
Qui fut du lict royal le reproche éternel
Et rendit l'artisan celèbre criminel,
Quand sa sœur, admirant sa subtile nature,
Luy presenta Perdix, sa douce nourriture,
Pour polir son neveu par ses doctes leçons
Et le rendre sçavant entre ses nourrissons.
L'enfant monstra soudain une ame industrieuse,
Capable de conseil, prompte, laborieuse;
(p. 289) Et le soleil, passant par ses claires maisons,
A peine eut quatre fois produit quatre saisons,
Que ses habiles mains, heureusement guidées
Par un esprit fertil en nouvelles idées,
Formèrent un amas d'ouvrages curieux.
Que Dedale admira, puis en fut envieux.
Perdix, un jour, épris de l'amour de l'estude,
Cherchant pour en jouyr l'heur de la solitude,
Après mille détours, coucha ses membres las
Sur le sueil bien-aymé du temple de Pallas;
Soudain (qui le croira?), comme de sa cervelle
Jupiter fit sortir cette docte pucelle,
Nasquirent du cerveau du jeune vertueux
La scie et le compas, deux enfans monstrueux,
Mais dont l'utilité, dans les arts secourable,
Rend du père à jamais la mémoire adorable.
La scie, en forme d'arc, d'un cry continuel,
D'un naturel entrant, et mordant, et cruel,
Monstroit un rang de dents, long suplice des arbres,
Et capable d'ouvrir le cœur mesme des marbres.
Son frère le compas fut pourveu seulement
De jambes et de teste, et marcha justement,
Tournant de tous costez par ordre et par mesure,
Et toujours de ses pas traçant quelque figure.
Dedale, qui cherchoit l'apprentif egaré,
Enfin l'appercevant sur le seuil adoré,
Vid le moment natal de ces monstres utiles
Qu'enfantoit son neveu de ses temples[274] fertiles.
Une rougeur jalouse en son front s'épandit,
Et, craignant que par eux il n'entrast en credit,
(p. 290) Soudain de la raison il rejetta l'usage.
L'impiété naquit en son triste courage.
Le respect de sa sœur en vain fit son effort,
Du gentil innocent il medita la mort.
(D'une aspre jalousie abominable exemple!)
Il le precipita de la voute du temple.
Mais Pallas, qui prend soin des esprits vertueux,
De la cheute arresta le cours impetueux;
Transformant en oyseau cet ouvrier admirable
Que la fecondité seule avoit fait coupable[275].
La scie et le compas, temoins de son malheur,
Sentirent l'aiguillon d'une vive douleur;
Puis redoutant les traits de l'envieuse rage,
Afin de garantir les restes du naufrage,
Changèrent leur regret au soin de se sauver.
La scie, estant sans pieds, ne peût se soulever;
Et, grondant de dépit de se voir eschoüée,
En accusa le ciel d'une voix enroüée.
Dedale, qui la vid avec ses yeux ardens,
Par mille longs travaux usa toutes ses dents,
Puis retailla d'un fer ses bresches abbatues.
Le compas se sauva sur ses jambes pointues,
Et d'un soin prevoyant, s'estant mis à courir,
Un seul trait ne marqua qui le peût découvrir.
Dedale, trop subtil, eust reconnu ses traces;
Mais, comme un giboyeur monté sur des eschasses,
Qui sans mouiller ses pieds traverse les marests,
D'un pas viste et leger arpenta les guerets.
(p. 291) Enfin, se trouvant las et loin de la tempeste,
Contre le tronc d'un chesne il appuya sa teste,
Pleurant son père mort et le sort de sa sœur;
Puis d'un sommeil paisible il sentit la douceur.
Le soleil, connoissant sa gentille nature,
Et prevoyant l'eclat de sa race future,
Par un songe luy dit: «Lève toy de ce lieu:
Tu seras digne espoux de la fille d'un Dieu.»
(Souvent contre l'espoir les Deitez prospères
Font naistre le bonheur au fort de nos misères.)
Le compas glorieux se reveille en sursaut,
Emeu de cette veüe et d'un honneur si haut.
Il rend grace au soleil, et, ferme comme un aigle,
Le regarde et s'en va, puis rencontre la règle,
Droitte, d'un grave port, pleine de majesté,
Inflexible, et surtout observant l'equité.
Il arreste ses yeux, la contemple et s'estonne.
Aussi tost, pour l'aymer, son ame l'abandonne.
Et, sans se souvenir des propos du soleil,
Adore ce miracle et le croit sans pareil.
Il l'abborde, et, remply d'un honneste assurance,
Tournant la jambe en arc, luy fait la reverence.
Pour rendre le salut qu'il donnoit humblement,
Elle ne daigna pas se courber seulement.
Pour vaincre ses rigueurs, il luy tint ce langage:
«O vous dont la beauté dans ses chaisnes m'engage,
Soulagez, par pitié, mes desirs vehemens,
Et mille biens naistront de nos embrassemens.
Perdix, ce rare esprit, me donna la naissance;
N'ayez pas à mepris mon utile alliance.»
La règle, pour regler ses vœux ambitieux,
Luy dit: «Mon origine est mesme dans les cieux;
(p. 292) Celuy dont je tiens l'estre entre les Dieux se nombre,
Je nâquis des baisers du soleil et de l'ombre.
«Un jour, parmy les Dieux mon père se vantoit
Que rien dans l'univers ses regards n'evitoit:
Celui des immortels qui preside aux messages
Luy dit: «As-tu veu l'ombre en tous tes longs voyages,
«Cette brune agreable, et de qui les douceurs
«Sont les plus chers plaisirs des doctes, des chasseurs,
«Et de tant de mortels qui la trouvent plus belle
«Que tes plus beaux rayons, que l'on quitte pour elle?»
Le soleil fut surpris, et ce père du jour
Sentit naistre en son cœur et la honte et l'amour;
Du desir de la voir son âme est embrasée.
Il la cherche partout, croit sa conqueste aisée.
Mais l'ombre habilement evitoit ses regards.
Cette froide beauté fuyoit de toutes parts.
Sa course s'avançoit d'une invisible adresse.
Il la suit, elle fuit d'une egale vistesse.
Il double en son ardeur ses efforts vainement,
Tous les corps s'opposoient à son contentement.
Il pense la tenir, sans la voir il la touche,
De ses rayons aigus il joint cette farouche.
Enfin, ne pouvant mieux soulager sa langueur,
En courant il la baise en toute sa longueur.
Et parmy les baisers de cette douce guerre,
De leur droite union je naquis sur la terre.»
Le compas ressentit un plaisir nompareil,
La connoissant alors pour fille du soleil.
Il vid naistre l'espoir d'acquerir sa maistresse,
Roulant en son esprit la divine promesse.
Doncques, remply d'audace, il luy tint ce discours:
«Et ce mesme soleil m'a promis vos amours.
(p. 293) —Quoy! dit-elle en riant, je serois la conqueste
D'un amant qui n'auroit que les pieds et la teste?
Mon père, si puissant, m'imposeroit la loy
De recevoir pour maistre un tel monstre que toy?
Va presenter ailleurs tes impuissantes flammes,
Amant trop inhabile au service des dames.
—Toutefois nos amours, repliqua le compas,
Produiront des enfans qui vaincront le trepas.
De nous deux sortira la belle architecture,
Et mille nobles arts pour polir la nature.
—N'espère pas, dit-elle, ébranler mon repos,
Ou, pour authoriser tes estranges propos,
Tache à plaire à mes yeux par quelques gentillesses,
Et monstre des effets pareils à tes promesses.»
Le compas aussi tost sur un pied se dressa,
Et de l'autre, en tournant, un grand cercle traça.
La règle en fut ravie, et soudain se vint mettre
Dans le milieu du cercle, et fit le diamètre.
Son amant l'embrassa, l'ayant à sa mercy,
Tantost s'elargissant et tantost raccourcy;
Et l'on vid naistre alors de leurs doctes postures
Triangles et quarrez, et mille autres figures.
Richelieu, c'est assez, j'abuse de ton temps,
Repren le fil laissé de tes soins importans.
France, son cher soucy, pardon si je l'amuse
De contes enfantez d'une riante muse[276].
M.DC.XIIII. In-8.
Madame,
La crainte que nous avions que le peu de merite de noz rustiques personnes destournat vos oreilles pour oüyr et entendre les echoz pitoyables de nos particulieres plaintes et generalles complaintes rendoit du commencement nos attentes suspectes de recevoir de là nos consolations esperées. Mais estant ainsi que Vostre Majesté tant humaine reçoit si volontiers les très-humbles requestes et supplications de ses sujects, ceste seule consideration nous donne presentement l'asseurance de luy parler et faire grossièrement entendre la cause de nos ennuys. Nous pensions pour long-temps estre bien asseurez en nos cabanes rurales, jouyssant de l'amiable repos que ce grand et invincible guerrier, nostre deffunct et très-honoré maistre, avoit procuré à son (p. 296) peuple[277]. Mais ne pouvant les envieux de nostre prosperité longuement entretenir en France ce (p. 297) bien inestimable de la paix, de la quelle nous respirions si doucement les doux zephires avec une (p. 298) extrême crainte de la perdre, nous voyons presentement, helas! des presages dangereux de sa prochaine ruyne. Les ressentimens que nous avons encore des afflictions passées et des anciennes guerres intestines nous debilitent entierement le cœur et le courage en l'apprehension des futures, de telle sorte et manière que nous n'avons aucun goust pour savourer les biens que liberalement le ciel en ceste presente année eslargira aux enfans de la France. Nous parlerons à vous, Madame, encore que ne soyons que pauvres paysans et gens rustiques nourris à la champestre, de vile et basse condition, des quels la pointe et la portée du jugement au respect de celuy de vos experimentez Conseillers d'Estat ne s'estend et n'outrepasse la veüe des clochers de nos villages, mais pourtant nous avons ceste maxime bien avant engravée en l'ame, ressentant le naturel des simples; mais des bons et legitimes François, que quiconque se dit subjet du roy ne se doit jamais forligner de la fidelité qui luy doit inviolablement garder; et comme il est vray que les vrays sujets d'un prince ne peuvent estre tels que par l'obeïssance et par la foy solide qui les rend obligez à son service, il faut estimer ceux-là n'estre legitimes sujets, qui abandonnent le soing qu'ils doivent avoir de l'Estat et de la personne de leur souverain pour embrasser leur propre lucre de leur particulier interest, et la seule elevation de leur gloire; et alors, ainsi desguisez, n'estans plus que serviteurs affectionnez entre deux levres, delaissent ce qu'ils devroient estre et deviennent comme noircis, amoureux de leurs vaines et frivolles intentions. Nous nous garderions bien d'ecrire et (p. 299) de parler de ceste sorte, n'estoient les misères de la guerre que nous apprehendons[278], et particulierement l'affection que nous portons au roy, nostre bon seigneur et maistre, la quelle, par force et de son authorité, extorque et attire toutes ces parolles du cœur, de bouche et de la plume. Nous ne craignons point tant les esclairs ny les bruits des effroyables tonnerres, qui souventes fois esbranlent nos maisons et renversent les tours et clochers de nos paroisses, que les espouvantables alarmes qui s'engendrent au son du tocsin, le plus souvent de nuict au milieu de nostre repos, ores de jour au milieu de nos sueurs, peines, labeurs et travaux. Point tant ne nous attristent les gresles, ny les gelées de may, ny les coulanges[279] de juing, qui nous apportent coustumierement la cherté des vivres, que l'inhumanité des soldats et desloyauté des goujards[280] (p. 300) qui tuent, qui molestent, qui violent, qui bruslent, qui destruisent, rançonnant le bon-homme[281], et luy font dix mille violences, pour luy faire, à force de coups, qui de pieds, qui de mains, qui de bastons, qui de glaives, qui de dagues, qui de poignards, confesser où est son pauvre bien caché, mussé, enterré et transporté hors de sa maison. Nous ne pouvons alors nous servir contre ces cruautez barbaresques d'autres armes ny moyens que d'obeyssance, force de larmes inutiles et de vaines prières. Cela destournant tout le cours de nos petites intentions, estant la cause le plus souvent de la sterilité de nos terres, de la vente de nos biens et heritages à vil prix, de la perte de nos causes et procez, faute d'avoir de quoy faire presens à nos advocats et procureurs pour la recommandation de nos affaires; bref, de tout nostre malheur. Et puis qu'il plaist maintenant à la fortune et inconstance des temps de nous faire payer à usures l'interest de l'aise de Bontems et du repos duquel elle nous avoit faict joüyr par l'espace de vingt années et plus, nous ne pouvons avoir autre recours qu'à vous, Madame; nous vous offrons maintenant nostre cœur affligé, qui parle à vous, et vous représente, malgré que nous ayons, les registres des maux que desjà nous font ressentir les estincelles de ces esmotions intestines, (p. 301) qui s'allument en ce royaume et se trament sur la division de nos princes. Que si Dieu veut tant affliger la France de permettre, pour nos offenses, qu'elle se voye ensanglantée du sang de ses enfans par l'entremise d'une guerre civile, ce que nous prions journellement qu'il n'advienne, à tout le moins vos vrays et legitimes sujets vous feront aysement cognoistre en tout lieu, place et occurrence, par leur constance genereuse, que leurs volontez n'auront jamais pour guides que les commandemens de Vos Majestez, pour loy que vos desirs, et pour but que vostre contentement et service, protestant dès à present aux pieds du roy et de Vostre Majesté, Madame, qu'ils auront autant de courage pour mourir en la deffence de leur prince, qu'ils ont eu de cœur à vivre durant la paix, en vous servant, affectionnant et craignant.
Par Barthelemy de Laffemas, sieur de Bauthor, controolleur general du commerce de France[282].
A Paris, chez Pierre Pautonnier, libraire, imprimeur du Roy, demeurant au Mont S. Hilaire.
1603. In-8.
I.
Chacun doibt cognoistre et avoir pour maxime qu'il faut labourer et semer avant que venir à la moisson, planter les arbres et les enter pour l'esperance d'avoir les fruicts. Aussi faut-il planter et eslever (p. 304) les meuriers pour nourrir les vers. Et lors on fera (p. 305) telle quantité de soye que ce royaume en aura (p. 306) pour sa provision, et en fournira aux estrangers[283].
Sur le bruit que beaucoup de vers à soye sont venuz à mourir ceste année en divers lieux, et sur ce allèguer que le climat de la France n'est propre: il sera remonstré au vray la faute pourquoy ils sont morts, et que à l'advenir le remède est facile de les conserver par bonnes espreuves, et faire cognoître qu'iceluy climat est aussi bon que celuy des estrangers.
III.
En premier lieu, faut remarquer que les vers à soye sont comme espèces de chenilles qui meurent aux grandes chaleurs, et aussi par les pluyes, tant en Italie qu'autres pays: car s'ils mangent seullement des fueilles mouillées, ils viennent malades et meurent.
IV.
La faute pourquoy sont venuz à mourir lesdits vers en aucuns lieux, ce n'a point esté le climat, ains ç'a esté de ne les avoir fait esclorre de bonne heure, et autres qui ne pouvoient avoir des fueilles à commandement pour les nourrir, n'y ayant chose qui leur fasse plus de tort que de les retarder[284]. Car (p. 308) au contraire il les faut faire advancer pour faire leurs soyes avant les grandes chaleurs, qui ont esté trop vehementes, et faict mourir les vers cette présente année, et aussi que les fueilles estant venues par trop dures, qui sont les deux occasions qui les faict mourir.
V.
Et pour exemple et preuve veritable, au jardin de l'Hostel de Retz[285] l'on a faict cette année, des (p. 309) meuriers de leurs jardins, dix-huict livres de soye, sans que les vers soient nullement morts, et les ont (p. 310) vendus quatre-vingtz-quatre escus, et ny sçauroit avoir de fraiz environ pour vingt escus, et à l'advenir ne se fera la moictié des dits fraiz. De façon que ceux qui avoient quatre fois autant de meuriers n'ont point faict la quarte partie d'autant de soye pour n'avoir faict esclorre leurs vers de bonne heure ny avoir les fueilles à commandement, comme ceux qui les avoient en leur dict jardin. Et au semblable, tous ceux qui les ont faict esclorre de bonne heure ont faict même quantité de soye.
VI.
Et ne faut oublier tenir lesdits vers chaudement (p. 311) estant petits; car ils feront leurs soyes dans deux mois au plus tost, et alors que le peuple des champs a le moins d'afaire, et sans qu'il en couste un seul denier à ceux qui auront leur preparatif, et noter que lesdits vers seront plus sujets de mourir en Italie qu'en France, à cause de leurs grandes chaleurs: car les froidures ne font aucun mal que de les retarder comme il est dit.
VII.
Plusieurs qui ont voullu nourrir les vers dans les villes et aillieurs, acheptant les fueilles, les tables[286], et loüant les personnes, cela leur a faict faire des fraiz extraordinaires, qui en pourroit dégouster beaucoup; mais ce qui leur a cousté un escu ne coustera pas un sol aux villages, ayant une fois leur équipage dressé et les fueilles sur les lieux. Ce qui donnera extresme plaisir et proffict à la noblesse et autres des champs qui auront planté nombre desdicts meuriers. Et faut notter qu'à l'advenir ceux qui en feront aux villages ne leur coustera du tout rien, attendu que les pauvres femmes et enfans qui n'ont point d'occupation nourriront lesdicts vers, ainsi qu'on faict en tous lieux.
Parlant des soyes de la France, il sera représenté les belles estoffes qui s'en fabriquent, et mesmes enrichies de l'or et argent façon de Milan faict dans Paris[287], et les ouvriers qui font lesdites estoffes sont aucuns d'iceux François et la pluspart enfans de ceste ville. Ce qui monstre que ce royaume a esté grandement abusé en toutes sortes de manufactures estrangères, attendu qu'il n'y a sorte d'estoffe au monde, difficille qu'elle soit, que les dits ouvriers françois ne facent en perfection.
IX.
Or est-il que depuis que Sa Majesté a veu le nombre et quantité des belles soyes qui se sont faictes ceste année à luy présentées de plusieurs eslections, et après en avoir veu les estoffes qui en sont provenues, il en a esté fort satisfait, et ayant gousté ceste belle et notable entreprise, se sont presentez des hommes cappables, et de jugement, qui font réussir la fabrication des dites estoffes, qui redondera par tout ce royaume, nonobstant les calomnies de ceux qui n'ont l'entendement ny le courage de telles entreprises. Et faut croire que toute la France aura une obligation perpetuelle aux entrepreneurs et autres grands et notables personnages qui y travaillent continuellement que sa dite Majesté y a commis.
X.
Ceste entreprise à Paris monstre le chemin sur (p. 313) ce qui se poura dresser des magasins de toutes sortes de marchandises aux meilleures villes des Provinces[288], ainsi que font tous les pays qui fabriquent grand nombre d'estoffes, lesquels magasins se maintiennent en richesses, attendu qu'ils ne prestent jamais, ains ce font les marchans qui acheptent dans les dits magasins, qui font crédit aux autres marchands forains, lesquels sont subjects aux naufrages de banqueroutte, et non iceux magazins. C'est pourquoy leur fondz et proffict est infaillible. Ce qui servira pour donner advis à ceux qui voudront faire telles entreprises pour faire proffiter leur argent, (p. 314) attendu qu'il sera en plus de seureté que non poinct les bailler aux changes et rechanges damnables et autres usures contre Dieu et ses lois.
XI.
Sur ce qu'il est traicté d'establir des bureaux publicqs et magazins pour le traffic et negoce, sera faict une comparaison de sa police à une ville, maison ou édifice ruiné qui se doibt rebastir jusques aux fondements. Ainsi est-il de la police des marchands, arts et mestiers, n'y voyant qu'abuz et tromperies aux marchandises, ne les faisant bonnes ny loyalles, et les ouvrages et manufactures au semblable. C'est pourquoy Messieurs les commissaires redressent les reiglemens et polices avec tel ordre et douceur que le public en sera soulagé, puis que Dieu par sa grâce a donné sa saincte paix, par laquelle se remettra tout ledict commerce et negoce au bien et soullagement du peuple et de l'Estat.
M.D.LXXVI[289]. In-8.
Les prelats, seigneurs, gentilshommes, capitaines, soldats, habitans des villes et plat pays de Picardie, n'estimans estre besoin de representer les preuves de leur très humble fidélité, servitude et obeissance, dont (p. 316) leurs grands, anciens et recommandables services ont rendu tant de suffisans et certains tesmoignages, que l'on n'en peut aucunement douter, supplient tous les bons sujets du roy de croire (comme la verité est) que le seul zèle et entière devotion qu'ils ont à l'honneur de Dieu, service de Sa Majesté, repos public et conservation de leur vie, biens et fortunes, et celles de leurs femmes et enfans, avec la prevoyance de leur inevitable malheur et ruine (s'il n'y estoit proprement pourveu), les a non seulement induits et poussez, mais davantage necessitez, à la resolution qu'ils ont esté contraints de prendre, (p. 317) laquelle ne tend à aucun changement ou innovation de l'ancienne et première institution et establissement de ce royaume, et pourtant ne peut estre notée et sugillée d'aucune mauvaise façon, soupçon ou defiance, ains sera tousjours cognu et demonstré par les effects que leurs conseils et intentions ne regardent que la seule manutention et entretenement du service de Dieu, de l'obeissance du roy et la seureté de son Estat.
Et voyant bien, par ce qui s'est passé jusques ici, que les ennemis n'ont et n'eurent onques autre but, sinon d'establir leurs erreurs et heresies en ce royaume, de tout temps très chrestien et catholique, aneantir la religion ancienne, exterminer ceux qui en font inviolable profession, miner peu à peu la puissance et auctorité du roy, changer en tout et partout son estat, y introduire autre et nouvelle forme, eux n'ont peu moins faire, pour le devoir de leur honneur et conscience, que d'obvier, par commun accord et saincte union[290], aux sinistres desseins des rebelles, conjurez ennemis de Dieu, des majestés et de la couronne.
Mesme que pour le regard du faict particulier qui se presente, ils ont esté bien advertis et informez par les gentilshommes et soldats qui ont accompagné le prince de Condé, que si tost que la ville de Peronne seroit saisie et emparée de ses troupes, le dessein estoit d'y dresser le magasin des deniers et amas de ceux de la nouvelle opinion.
Que de là l'on proposoit envoyer et elancer les (p. 318) ministres par toutes les villes du gouvernement, despescher les mandemens et ordonnances, en cas du moindre refus proceder par arrests, emprisonnement des catholiques, saisies et degats de leurs biens, et toutes autres rigueurs que ledict sieur prince cognoistroit la promotion et avancement de sa cause le requerir.
De l'execution duquel dessein ne pouvans attendre que la totale ruine de la province et conséquemment de la capitale ville de Paris, le plus certain et ordinaire refuge du roy, et consideré qu'avec l'interest de Sa Majesté et du public leur subsistance y est très estroitement conjointe et que l'on peut dire Sa Majesté et ses bons sujets courre inseparablement une mesme fortune, outre ce qui est du zèle de l'honneur de Dieu, qui doit estre bien avant engravé et imprimé en nos cœurs: pour ces raisons très justes et plus que necessaires occasions, les susdicts prelats, seigneurs, gentilshommes, bons habitans, tous confrères et associez en la presente très chrestienne union, se sont resolu (après avoir preallablement appelle l'aide de Dieu, avec l'inspiration de son Saint-Esprit, par la communion et participation de son precieux corps) d'employer leurs biens et vies jusques à la dernière goute de leur sang, pour la conservation de ladite ville et de toute la province, en l'obeissance du roy et en l'observation de l'Eglise catholique, apostolique et romaine[291].
(p. 319) Pour cest effect supplient Sa Majesté, avec toute l'humble reverence, respect et humilité qu'ils doyvent, que son bon plaisir soit de se ramentevoir avec quelle fidelité et devotion la noblesse de Picardie et citoyens de Peronne luy ont conservé et à ses predecesseurs icelle ville qui est frontière, tant contre les sieges et entreprises des ennemis estrangers, que des embuches et conspirations domestiques.
Tellement que pour marque et recognoissance de cette ancienne et incorruptible fidelité, les feus roys et Sa Majesté à present regnant ont honoré les habitans de plusieurs grands et speciaux priviléges, (p. 320) entre lesquels leur est ottroyé qu'ils ne peuvent estre distraits ny desmembrez de la couronne.
C'est donc en substance qu'ils desirent demeurer très humbles, très obeissans serviteurs et sujets du roy zelateur de l'ancienne et vraye religion: en laquelle eux et leurs majeurs, depuis le règne de Clovis[292], ont esté baptisez, nourris et enseignez, et (p. 321) pour ces deux occasions protestent ne vouloir non plus espargner leurs vies à l'avenir, comme nostre Sauveur très liberalement s'est offert à exposer la sienne pour nostre redemption, nous conviant et appelant à l'imitation de son exemple.
C'est qu'ils somment et interpellent les bons sujets du roy de continuer et perseverer en ceste mesme recognoissance de l'honneur de Dieu et du service de Sa Majesté, sans ceder pour peu que soit aux vents, orages et tempestes de rebellion et desobeissance, et encore moins s'estonner des empeschemens et traverses que les ministres de Satan donnent journellement à la liberté de la saincte catholique religion, à l'authorité du roy et au repos de la France.
Pour lesquelles choses remettre et restablir en leur dict premier estat, splendeur et dignité, et rompre toutes les pratiques qui se bastissent à leur ruine, ils croyent leurs biens ne pouvoir estre mieux employez ny leur sang plus justement et sainctement respandu; et estant en ceste ferme deliberation, à laquelle l'evident péril de cest estat les (p. 322) a finalement attirez, ils s'asseurent, outre les graces et faveurs qu'ils esperent recevoir de Dieu, suyvant ses infaillibles promesses et la profession du roy leur souverain seigneur, d'estre assistez, soustenus, aidez et confortez universellement par toutes les provinces, prelats, seigneurs de ce royaume, d'autant que la mort des Majestez et de Monsieur fils et frère de roy, l'aneantissement de la saincte religion, la ruine du peuple françois estant conjurée, monopollée et designée par les rebelles, et le royaume par eux exposé en proye à tous les barbares du monde, il est desormais plus que temps d'empescher et destourner leur finesse et conspiration par une saincte et chrestienne union, parfaicte intelligence et correspondance de tous les fidèles, loyaux et bons sujets du roy, qui est aujourd'huy le vray et seul moyen que Dieu nous a reservé entre nos mains pour restaurer son sainct service, et l'obeissance de Sa Majesté, pour la manutention de laquelle nous ne pouvons que bien prodiguer nos vies et acquerir une mort très glorieuse et asseuré repos à jamais.
Fin.
A Paris, chez Jean de Bordeaux, rue Daufine, au bout du pont Neuf, à la fleur de Lys[293].
In-8.
La Defaicte des Croquans en Quercy, le vij juin 1624, par Monsieur le mareschal de Themines.
Le Roy ayant estably une eslection au pays du haut et bas Quercy, qui auparavant procedoient à l'assiette des tailles et département d'icelles sur les parroisses de la dite province par assemblée des Estats et (p. 324) aussi pour tout ce qui concernoit les affaires dudit païs particulierement, quelques esprits de discorde, ennemis du repos public, firent passer secrettement des avis de paroisse en paroisse, figurant au pauvre peuple des chimères en l'air, disant que le clergé, la noblesse et tiers estat leur tiendroient la main si l'on vouloit prendre les armes et s'assembler pour abolir ceste eslection, qu'on leur representoit estre la ruine du pays [comme si c'estoit à (p. 325) ceste canaille de se devoir opposer aux volontez de Sa Majesté, qui pour éviter tant de foulle qui se fait à l'imposition des taxes desdites assemblées, et ce qui s'en ensuit, par l'advis de son conseil, et pour soulager son pauvre peuple de la dite province, qui a par cy devant receu assez d'incommoditez durant les derniers troubles de la rebellion, avoit doncques creé et estably cette eslection[294]].
Là dessus, après que les offices furent levés, et qu'on se vouloit instaler[295], un nommé Doüat, natif de Quercy, autrement Anniac, homme aagé de cinquante cinq ans ou plus, qui se mesloit de faire des horoscopes, grand physionomiste et chiromancien, qui a tousjours dit qu'il mourroit entre deux (p. 326) airs, après avoir commandé 5,000 hommes, practiqué secrettement beaucoup de feneans qui avoient esté congédiez des compagnies depuis la paix, et ceux cy d'autres, qu'en moins de quatre jours, sur la fin du mois de may, ils furent en nombre de huict mille hommes de pied. Leur pretexte estoit (bien que faux) que le païs seroit chargé de nouveau des tailles, pour les gages, esmolumens, signature de roolles et autres droits de ceste nouvelle eslection; et en outre, que les plus riches de la dite province, qui ont les plus grands taux, jusqu'à trois ou quatre cens livres, achepteroient des offices pour estre exempts, et que pour cela on n'osteroit cette taille du païs, ains qu'on la cottiseroit sur le menu peuple, avec les cruës tant vieilles que nouvelles à l'équipolent, et autres semblables raisons irraisonnables, de point de valeur et d'effect; ces pauvres gens ne considerans pas qu'il leur faut aller baiser le baboïn tout le long de l'année à ces estats, faire de grands presens, payer leurs frais, et de leur train, la plus part y amenant toute leur maison, donner des pierreries à leurs femmes, des estoffes, des chevaux à d'autres, et enfin de l'argent pour la taxe de chacun de ceux qui y ont sceance, et tant d'autres incommoditez au prejudice des habitans de ceste province, etc[296]. Ces huict mille hommes[297] (p. 327) (portans chacun vivres pour trois jours et de l'argent pour en achepter d'autres après avoir despendu leur provision), sans autrement fouler ny faire aucun ravage au peuple, s'acheminent vers les maisons de quelques particuliers, qui avoient achepté des dits offices[298], les pensans surprendre en personne pour en faire leur volonté; mais ne les trouvant point, ils ont abatu leurs maisons, arraché les fondemens, bruslé leurs meubles et leurs métairies ou domaines, arraché les vignes, labouré les prés, couppé les bleds estans encore en fleur, enfin exercé tout ce qui se pouvoit imaginer d'indignité sur les biens de ces messieurs les esleuz. Sur ce commencement, un nommé Barrau, natif de Gramat en Quercy, qui a esté nourry et eslevé parmy la noblesse du dit païs, et qui a porté les armes à ces derniers troubles dans les regimens devant Montauban et ailleurs, s'en allant pour certains affaires d'un de ses amis hors la province[299], ayant rencontré ces supprimeurs d'eslection, renvoyé ses memoires et depesches, se joinct à eux, qu'enfin les voila en nombre de seize mille hommes armez la plus grand'part de faux, manchées à rebours, bastons à deux bouts, et autres longs bois; quelques-uns avoient des mousquets et des picques, desquels ils avoient dressé des compagnies assés bien rangées (p. 328) pour l'offensive et deffensive; ils envoyent à Cahors[300], demandent deux de ces nouveaux esleuz pour leur estre baillez entre leurs mains et en faire leur volonté, autrement qu'on leur ouvrist la porte pour y entrer et les prendre; ils en mandent autant à Figeac, au refus de quoy l'on menace de se venir loger ès environs et y faire le degast. Le menu peuple de ces villes commence à gronder, se resout de prendre les armes pour faire ouvrir les portes, aymant mieux perdre ce qu'on demandoit que souffrir le dégast de leurs domaines et deperition de leurs maisons champestres; le conseil de la maison de ville[301] delègue des habitans pour advertir en diligence monsieur le mareschal de Themines, gouverneur pour le roy dans le pays, qui tout aussi tost s'achemine à Cahors avec le peu de monde qu'il avoit, prend une cinquantaine de soldats de la dite ville[302], employe bien peu de noblesse; enfin tout ce qu'il avoit ne faisoit pas deux cens hommes à pied ou à cheval; employe entre autres monsieur le vicomte d'Arpajon son gendre[303], qui en deffit trois compagnies en chemin, venant se joindre avec mon dit sieur le mareschal, lequel cognoissant ceste formillière de reformateurs, indigne de (p. 329) voir le lustre de son espée, qu'il ne vouloit aussi profaner avec le sang de ces misérables, alla au combat avec ce qui est dit, un baston à la main, les charge, les met en desordre et en route[304]. Dieu, qui favorise les justes querelles, donne une telle espouvante à ces croquans, que si monsieur le mareschal de Themines n'eust crié qu'on ne tue plus, toute leur armée y eust demeuré sur la place; il se contente des chefs Doüat et Barrau, qui furent ses prisonniers, et désarme le reste. C'estoit le septiesme juin dernier.
Tout le dommage qui fust de son costé fut un coup de mousquet par une espaule à l'un de ses gentilshommes nommé Bousquet, qui a esté à monsieur le comte de Clermont, et un gendarme de la compagnie de monsieur de Limiers eust un coup de picque dans une cuisse, de quoy ils ne sont point en danger de plus grand mal[305]. Le lendemain huictiesme juin, monsieur le mareschal fait conduire les prisonniers à Figeac, les met entre les mains du prevost, qui ce jour même fait exécuter Doüat par la main du bourreau, auquel l'on coupa la teste, et après luy avoir sorti le ventre fust mis à quatre quartiers; la teste est sur un poteau à Figeac, le reste dispersé par les villes de Quercy. Et le lundy dixiesme du dit mois, Barrau fut pendu à Gramat (p. 330) lieu de sa naissance. Il y en a quelques autres de prisonniers, ausquels l'on faisoit le procez. Voilà comment il fait bon se jouer avec son maistre et manger des cerises avec son seigneur: c'est cracher vers le ciel; qui s'oppose au roy, s'oppose à Dieu, car c'est son oingt qu'il nous a donné pour estre nostre Dieu en terre, lequel (après Dieu) nous devons craindre, honorer et luy obeyr avec toute fidelité. Ceux de Montauban commencèrent à lever l'oreille, et donnoient des advis secrettement à leurs voisins, car ils pensoient que ce fust un pretexte pour leur venir faire le desgast, tant ils se cognoissent coulpables[306]. Doüat dit sur l'échafaut que, si on l'eust laissé faire, il alloit commander à soixante mille hommes. Il avoit de pernicieux desseins, que Dieu luy a estouffez; car il pensoit entrer dans Cahors et en amener le canon pour faire de plus grandes executions; mais l'on a mis le cerveau au vent, afin qu'il emportast quand et luy les frivoles conceptions.
25 juillet 1576.
C'est assez chanté de l'amour,
Il faut une nouvelle corde,
Qu'un son plus tonnant nous accorde
Les indignitez de la cour;
Car chantant un accord semblable,
On n'est pas tousjours agréable
A toutes espèces d'humeurs:
L'abeille le doux miel compose
Du thin, du lys et de la rose,
Et non tousjours de mesmes fleurs.
(p. 332) Ainsi qu'au printemps bien souvent
Une saison mal temperée,
Pour nostre malheur, fait et crée,
Par un trop chaut humide vent,
La chenille et la sauterelle,
Ennemis de l'herbe nouvelle,
Des boutons jadis fleurs-naissans,
Qui, bestes du tout inutiles,
Rongeans l'espoir des champs fertiles,
Donnent la cherté aux paysans.
Tout ainsi les trop libres lois
De la serve et esclave France
Ont permis de prendre accroissance,
Autour de nos princes et roys
(Et c'est pour vengence divine)
A je ne sçay quelle vermine
De mignons venus en trois nuicts,
Qui, comme les chenilles, paissent
Nos fleurs sitost comme elles naissent,
Et mangent en herbe nos fruicts.
Nostre roy doit cent millions,
Et faut, pour acquiter les debtes
Que messieurs les mignons ont faites,
Rechercher les inventions
(p. 333) Du nouveau tyran de Florence[308],
Et les pratiquer en la France;
Avant que l'argent en soit prest
Monsieur le mignon le consomme,
Et fait-on party de la somme[309]
A cent pour cent pour l'interest.
Et cependant que les liens
De ces tyranniques gabelles,
Et les faix des daces nouvelles
Qu'inventent les Italiens,
Cruellement tuent et accablent
Le peuple françois miserable[310],
Ces beaux mignons prodiguement
Se veautrent parmi leurs délices,
Et peut estre dedans tels vices
Qu'on ne peut dire honnestement.
Leur parler et leur vestement
Se voit tel qu'une honneste femme
Auroit peur de recevoir blasme[311]
(p. 334) S'habillant si lascivement.
Le col ne se tourne à leur aise
Dans le long reply de leur fraise[312].
Desja le froment n'est pas bon
Pour l'empoix blanc de leur chemise;
Il faut, pour façon plus exquise,
Faire de ris leur amidon.
Leur poil est tondu par compas,
Mais non d'une façon pareille,
Car en avant, depuis l'oreille,
Il est long, et derrière bas.
Il se tient droit par artifice,
Car une gomme le herisse
Ou retord ses plis refrisez,
Et dessus leur teste legère
Un petit bonnet par derrière
Les monstre encor plus desguisez[313].
(p. 335) Je n'ose dire que le fard
Leur soit plus commun qu'à la femme:
J'aurois peur de leur donner blasme[314]
Qu'entre eux ils pratiquassent l'art
De l'impudique Ganimede.
Quant à leur habit, il excede
Leur bien, et un plus grand encor[315];
Car le mignon, qui tout consomme,
Ne se vest plus en gentil-homme,
Mais (comme un prince) de drap d'or.
Pensez-vous que ces vieux François[316]
(p. 336) Qui, par leurs armes valeureuses,
En tant de guerres dangereuses
Ont fait retentir autrefois
Le bruit espandu de leur gloire,
Avec le nom de leur victoire,
De çà, de là, de toutes parts[317],
Eussent leur chemise empoisée,
Eussent la perruque frisée,
Eussent le taint blanchi de fard[318]?
Hector ainsi ne s'atteintoit,
Ainsi ne s'atteintoit Achille,
L'un qui, preux, défendoit sa ville,
Et l'autre qui la combattoit.
Mais ainsi le mol Alexandre,
Qui ne savoit pas se defendre,
S'accoustroit d'un atour mignard
Et fuyoit au bruit des armes;
Et au grand conflict des alarmes
Se cachoit, poltron et couard.
(p. 337) Et toutefois ce mol troupeau,
Ces faces ganymediennes,
Ces ames epicuriennes,
Qui ne sont qu'un pesant fardeau
Et faix inutile à la France,
Consomment toute la substance
De l'eglise et du noble aussy.
Et le tiers estat miserable
Gemit sous le faix importable
De ces prodigues sans soucy.
Les premiers et plus grands honneurs
De vous, anciens capitaines,
Pour la couronne de vos peines,
Sont pour ces delicats seigneurs,
Qui, pour le guerdon de leurs vices,
Sont jouissans en leurs delices
De l'honneur par vous merité.
Que vous sert d'aller à la guerre,
Puisqu'on peut tels degrez acquerre
Par une molle oisiveté?
Les grands biens à Dieu destinez
Et consacrez à son service
Sont, pour nourrissiers de leur vice,
Baillez à ces effeminez,
Qui trocquent, eschangent et vendent
Les bénéfices, et despendent
Les biens vouez au crucifix,
Que l'on leur baille en mariage,
En guerdon de maquerellage,
Ou pour chose de plus vil prix.
Et, pour pouvoir mieux contenter
(p. 338) Leur pompe, leur jeu, leur bombance
Et leur trop prodigue despense,
Il faut tous les jours inventer
Nouveaux estats[319], nouvelles tailles,
Qu'il faut du profond des entrailles
Des povres sujets arracher,
Qui traînent leurs chetives vies
Sous les griffes de ces harpies
Qui avallent tout sans mascher.
Ouvrez les yeux, peuples françois,
Voyez vostre estat miserable,
Vous de qui le nom redoutable
Faisoit peur aux plus puissans rois
Et aux nations les plus braves;
Ores, miserables esclaves,
Sous tel joug cois vous vous tenez,
Et laissez manger la substance
De tous les estats de la France
A ces mols et effeminez.
Anecdote extraite du journal manuscrit de J. de Banne[320].
Le 24 août 1642, Monseigneur l'eminentissime cardinal duc de Richelieu vint coucher en cette ville de Viviers avec une cour royale[321]. Il se faisoit tirer contre-mônt la rivière du Rhône, dans un bateau où (p. 340) l'on avoit bati une chambre de bois, tapissée de velours rouge cramoisi à feuillages, le fond étant d'or. Dans le même bateau il y avoit une antichambre de même façon; à la proue et au derrière du bateau il y avoit quantité de soldats de ses gardes portant la casaque d'écarlate, en broderie d'or, d'argent et de soie, ainsi que beaucoup de seigneurs de marque. Son Eminence étoit dans un lit garni de taffetas pourpre. Monseigneur le cardinal de Bigni et messieurs les evêques de Nantes et de Chartres y étoient avec quantité d'abbés et de gentilshommes en d'autres bateaux; au devant du sien, une frégate faisoit la découverte des passages, et après montoit un autre bateau chargé d'arquebusiers et d'officiers pour les commander. Lorsqu'on abordoit en quelque île, on mettoit des soldats en icelle pour voir s'il y avoit des gens suspects, et, n'y en rencontrant point, ils en gardoient les bords, jusques à ce que (p. 341) deux bateaux qui suivoient eussent passé: ils étoient remplis de noblesse et de soldats bien armés.
En après venoit le bateau de Son Eminence, à la queue duquel étoit attaché un petit bateau couvert, dans lequel étoit M. de Thou, prisonnier[322], gardé par un exempt des gardes du roi et douze gardes de Son Eminence. Après les bateaux venoient trois barques, où étoient les hardes et vaisselle d'argent de Son Eminence, avec plusieurs gentilshommes et soldats. Sur le bord du Rhône, en Dauphiné, marchoient deux compagnies de chevau-légers, et autant sur le bord du côté du Languedoc et Vivarais; il y avoit un très beau regiment de gens de pied, qui entroit dans les villes où Son Eminence devoit entrer ou coucher.
Son bateau prit terre contre la calme de Bonneri, en cette ville[323], où quantité de noblesse l'attendoit, (p. 342) entr'autres M. le comte de Suze. Monseigneur de Viviers le salua à la sortie de son bateau; mais il fallut attendre de lui parler jusques à ce qu'il fut au logis qu'on lui avoit preparé dans la ville. Quand son bateau abordoit la terre, il y avoit un pont de bois qui du bateau alloit au bord de la rivière; après qu'on avoit vu s'il étoit bien asseuré, on sortoit le lit dans lequel le dit seigneur étoit couché, car il étoit malade d'une douleur ou ulcère au bras[324]; il y avoit six puissans hommes qui portoient le lit avec deux barres[325], et les liens où les hommes mettoient les mains étoient rembourés et garnis de buffeteries. Ils portoient sur leurs epaules et autour du cou certaines trapointes garnies en dedans de coton, et la couverte de buffe; si bien que les sangles ou surfaix qu'ils mettoient au cou étoient comme une etole qui descendoit jusques aux barres dans lesquelles elles étoient passées. Ainsi ces hommes portoient le lit et le dit seigneur dans les villes ou aux maisons auxquelles il devoit loger. Mais ce dont tout le monde étoit étonné, c'est qu'il (p. 343) entroit dans les maisons par les fenêtres: car, auparavant qu'il arrivât, les maçons qu'il menoit abattoient les croisées des maisons ou faisoient des ouvertures aux murailles des chambres où il devoit loger[326], et en après on faisoit un pont de bois qui venoit de la rue jusque aux fenêtres ou ouvertures de son logis[327]. Ainsi étant dans son lit portatif, il passoit par les rues et on le passoit sur le pont jusques dans un autre lit qui lui étoit préparé dans sa chambre, que ses officiers avoient tapissée de damas incarnat et violet, avec des ameublemens très riches. Il logea, à Viviers, dans la maison de Montarguy qui est à present à l'université de notre Eglise. On abattit la croisée de la chambre qui a sa vue sur la place, et le pont de bois pour y monter venoit depuis la boutique de Noël de Vielh, sous la maison d'Ales, du côté du nord, jusques à l'ouverture des fenêtres, où le Seigneur cardinal fut porté de la manière expliquée. Sa chambre (p. 344) étoit gardée de tous côtés, tant sous les voûtes qu'ès côtés et sur le dessus des logemens où il couchoit.
Sa cour ou suite étoit composée de gens d'importance; la civilité, affabilité et courtoisie étoient avec eux; la devotion y étoit très grande: car les soldats, qui sont ordinairement indevots et impies, firent de grandes devotions; le lendemain de son arrivée, qui étoit un dimanche, plusieurs d'iceux se confessèrent et communièrent avec demonstration de grande pieté; ils ne firent aucune insolence dans la ville, vivant quasi comme des pucelles. La noblesse aussi fit de grandes devotions. Quand on étoit sur le Rhône, quoiqu'il y eût quantité de bateliers tant dans les barques qu'après les chevaux, on n'osoit jamais blasphêmer, qu'est quasi un miracle que de telles gens demeurassent dans une telle retention; on ne leur voyoit proferer que les mots qui leur étoient nécessaires pour la conduite de leurs barques, mais si modestement que tout le monde en etoit ravi.
Monseigneur le cardinal Bigni logea à l'archidiaconé. On avoit preparé la maison de M. Panisse pour monseigneur le cardinal Mazarin; mais, au partir du Bourg-Saint-Andéol, il prit la poste pour aller trouver le roi; le dimanche 25, le dit seigneur fut reporté dans son bateau avec le même ordre. Il étoit venu tout environné de noblesse et de ses gardes; il y avoit plaisir d'oüir les trompettes qui jouoient en Dauphiné avec les reponses de celles du Vivarais, et les redits des echos de nos rochers: on eût dit que tout jouoit à mieux faire.
(p. 345) Monseigneur de Viviers traita au Bourg-Saint-Andéol et à Viviers les plus apparens prelats de cette troupe, comme messeigneurs cardinaux Bigni, Mazarin, les evêques et abbés, ainsi que quantité de seigneurs. Monseigneur le cardinal-duc lui fit mille caresses et demonstrations d'amitié. Je le vis dans sa chambre: il portoit fort pauvres couleurs, à cause de son mal, qui toutesfois s'alentit étant dans cette ville. Ce seigneur étoit fort affable, savant au possible, et grandissime homme d'Etat. Les consuls firent poser ses armoiries sur les portes de la ville et de son logis; il ne voulut pas qu'on lui fît entrée en aucune part, ni qu'on tirât canon ni mousquet. Lorsqu'il fut arrivé à Lyon, le sieur de Cinq-Mars, grand ecuyer, et le sieur de Thou, furent executés à mort[328].
In-8.
Les grandes ceremonies qui se sont faictes depuis deux mois ençà dedans les frontières des Allemaignes, où se sont assemblez une grande quantité de personnes, voyant les signes de feu qui se sont apparus tombans du ciel sur deux montaignes du mesme pays[329], le feu estant si aspre et vehement, dont le pauvre (p. 348) peuple fut si estonné et effrayé, qu'ils ne sçavoient que faire ne que dire, sinon que de se mettre en prières et oraisons pour invoquer la grâce et misericorde de Dieu. Ils se sont tous mis tant hommes que femmes et petits enfans, se sont habillez bien simplement, de quoy sur eux portoient de beaux linges blancs, depuis le dessus de leur teste jusques aux pieds; lesquels avoient, autant grands que petitz, des croix en leurs mains, dont il y avoit des petits chandeliers là où estoient des cierges[330], cheminans tous en grande devotion, portant le Sainct-Sacrement de l'autel, par dessus lequel y avoit un beau ciel blanc, qu'ils portoient tant de jour que de nuit, chantant fort melodieusement de beaux cantiques et oraisons. Estans en nombre de quatre mille personnes, se recommandans à la grace et misericode de Dieu, sont allez en grandes processions dedans les Ardennes[331], à M. sainct Hubert[332], y faisant leurs bonnes prières et oraisons dans son eglise, où ils feirent chanter bien honorablement une grande messe, laquelle oyant tous les pelerins (p. 349) étoient prosternez à genoux. Ayant faict leurs prières, ont prins congé de Messieurs du dit sainct Hubert et prins leur chemin à Monsieur sainct Servais[333], qui est une fort bonne place et digne de memoire, y faisant aussi leurs prières en la forme sus dite. De là ont reprins leur chemin à Sainct-Nicolas en Lorraine[334], où ils auroient fait leurs devotions, tenant chacun en leurs mains un cierge allumé, durant le service divin. Tellement que les habitans du dit lieu de Saint-Nicolas en Lorraine les receurent fort honorablement, leur presentant de leurs biens. Ils remercièrent les dits habitans, mais ce neantmoins, pour ce que l'obscurité de la nuit les pressoit, furent contraints d'y demeurer jusques au lendemain matin, prenant congé d'eux en les remerciant très humblement de leurs biens; de là s'en sont retournez en leur païs. Ce fait, les dits habitans du dit Sainct-Nicolas, quatre jours après, se sont assemblez avec ceux de leurs lieux circonvoisins, jusques au nombre de sept mil personnes, ayant des habits blancs et des croix semblables aux autres estrangers cy dessus declarés, et chantans aussi beaux cantiques et oraisons, et portant bannières, croix, torches et cierges allumés, et de ce conduisant le Sainct Sacrement de l'autel dessous un beau ciel blanc que portoient les quatre principaux de la ville de Sainct-Nicolas en la dite Lorraine, faisoient leurs prières et oraisons en invocquant la grace de Dieu et de sa sainte mère. De là ont prins leur (p. 350) chemin à monsieur sainct Marcou[335], faisants leurs prières et devotions, à leur manière accoustumée. Le lendemain, qui estoit le jour de la Nostre-Dame de my-aoust, se sont acheminez à Notre-Dame de Liesse[336], où estantz arrivez feirent celebrer une belle messe à la louange de Dieu et de Nostre-Dame de Liesse. Durant le service de laquelle ilz estoient tous à genoux, tenantz en leurs mains joinctes chacun leur croix et cierges allumez, rendant graces à Dieu et à nostre Dame de Liesse, qu'il les vueille preserver et garder de telle fortune que celle dont ils ont ouy reciter aux pelerins d'Allemaigne. Laquelle chose faite, ont prins leur chemin passant près la ville de Reims en Champagne pour aller droit à Nostre-Dame de l'Espine[337], près la ville de Chalons, (p. 351) en la dite Champagne. Les habitans d'icelle ville voyant la devotion en quoy ils estoient versez, eulz esmeuz de compassion, les prierent fort si c'estoit leur plaisir de passer par la dite ville de Chalons, qu'ils les recevroient fort honorablement, dont les dits pelerins les remercièrent, disant qu'ils avoient affection d'eux en retourner en leur pays, pensant avoir accomply leur voyage, et ne vouloient entrer en la dite ville, de peur de retarder leur voyage, auquel ils avoient donné fin. Ce que voyans les habitans de la dite ville de Chalons, se retirèrent dedans icelle, en prenant congé d'eux; les aucuns se prindrent à plourer de la compassion qu'ils avoient de les veoir en si bon ordre, prière et devotion, tellement que dès là les dits pelerins prindrent leur chemin pour retourner en leurs païs. Après la departie des dits pelerins, les habitans de Chalons se sont resoluz de faire semblable procession comme eux, avec ceux de leurs lieux circonvoisins, presque de dix lieux à la ronde, marchants nuds pieds, chantans à haute voix de fort beaux cantiques à la louange de Dieu et de la Vierge Marie; (p. 352) faisantz laquelle procession prindrent leur chemin droict à Nostre-Dame de Lespine, où ilz feirent leurs prières et oraisons. De là prindrent leur chemin à Nostre-Dame de Liesse, où ils feirent aussi de mesme façon, et puis s'en allèrent en la dicte ville de Reims, le premier dimanche de septembre, au nombre de douze mille personnes; beaucoup desquelles estans de la religion pretendue reformée furent convertis à celle des catholiques[338], où ils feirent leurs prières et devotions dedans l'église Nostre-Dame, entre lesquels estoient plusieurs de la ville de Vitry le Bruslé, de la dite religion pretendue reformée, qui tous ensemble chantoient melodieusement en la dite eglise de fort beaux cantiques, dont messieurs les habitans de la ville de Reims, les voyans en si bon ordre, les receurent bien honorablement et leurs presentèrent de leurs biens, les larmes leur tombans des yeux de crève-cueur qu'ils avoient par leur compassion de les veoir faire telles prières et oblations, avec oraisons fort pitoiables, et ny avoit hommes ny femmes et enfans qui ne plourassent à grosses larmes; et depuis ces (p. 353) choses faictes, les dits pelerins s'en retournèrent en leurs pays, et le dimanche mesme se trouva une grosse assemblée de monde qui arriva dez le matin dans Saint-Fiacre en Brie[339], laquelle estoit en nombre dix huict cens personnes, lesquelles feirent chanter une belle grande messe, faisans leurs prières et devotions ainsi que les autres pelerins dont est faict mention cy dessus; le service divin de laquelle messe estant accomply, elles allèrent prendre leur refection, puis après prindrent leur chemin à tirer droict dans la ville de Meaux, sur les cinq heures du soir, dont depuis leur arrivée s'en allèrent à la grande eglise, où ilz feirent leurs oraisons et oblations devant la châsse de monsieur saint Fiacre, chantans tous de beaulx cantiques ensemblement; dont messieurs les habitans de la ville de Meaux, voians leur procession si honorable, les retindrent une nuict en les traitant bien honnestement de leurs biens, chacun selon son pouvoir; le soir estant venu, prindrent congé de messieurs de la dite ville de Meaux, reprenans leur chemin droit à Chateau-Tierry, d'où ils estoient. Le jeudy ensuyvant, sur les trois heures après midy, arriva encores une procession d'alentour de La Ferté sur Jouarre et de la ville mesme, laquelle fust mise en tel estat que ceux qui estoient venuz à Sainct-Fiacre, jusques au nombre de mil personnes, arrivèrent dans la ville de Meaux sur les trois heures après midi, où estant les dites personnes, elles allèrent en l'eglise Sainct-Estienne (p. 354) de Meaux faire leurs prières et oraisons, en la sorte sus dite; lesquelles accomplies, tyrèrent droict à monsieur sainct Prins[340], où icelles personnes estans arrivées feirent celebrer une belle messe, laquelle ayant esté parachevée, le vendredy d'après s'en allèrent à Sainct-Denis en France, où ils reposèrent la nuict du dit jour de vendredy; le lendemain, qui estoit le samedy, dès la pointe du jour, sont partis de Sainct-Denis pour venir à Nostre-Dame de Paris[341] (dont de la dite procession il y en avoit plusieurs qui estoient de la nouvelle religion, et se sont retournez à Jesus-Christ, et croyant à l'eglise catholique), tousjours chantant melodieusement (p. 355) par la ville, jusques à ce qu'ils furent en la dite eglise, où ils feirent chanter une belle messe, estans tous à genoux pendant le divin service, chacun d'eux ayant leurs croix en leurs mains et un cierge ardant; laquelle dicte, furent remerciez par messieurs les chanoines de Nostre-Dame de Paris, qui leur feirent present de luminaires et torches pour reconduire le Sainct-Sacrement de l'autel jusques en leurs païs. Pour retourner auquel ils allèrent passer à Sainct-Maur-des-Fossez, où, ayants faict leurs prières et oraisons, prindrent leur chemin pour tirer droict à Sainct-Fiacre en Brie, depuis lequel lieu, après qu'ils y furent arrivez et faict leurs devotions, ils s'en retournèrent en leurs pays. Puis le depart desquelles personnes du dit Sainct-Fiacre, les habitans de la ville de Meaux, se mettans en bon ordre et grande devotion, se sont preparez à faire procession et aller pour ce faire à Nostre-Dame de la Victoire, près de Senlis[342], jusques au nombre de quinze cens, tant grands que petits. Ceux pareillement de Crecy, la Chapelle, et de quelques autres villages de la Brye, jusques au nombre de quatre mil deux cens, imitans leurs copatriaux et voisins, après avoir visité plusieurs lieux de devotion, sont enfin arrivez à la Saincte-Chapelle du Palais à Paris, conduisans comme les autres la saincte (p. 356) Eucharistie, le lundy XIX septembre 1583[343], où fut celebrée devotement la messe, après laquelle s'acheminans de là à l'eglise de Nostre-Dame, et passant pardevant la maison de monsieur le tresorier de la dite Saincte-Chapelle et evesque de Meaux, ils furent receuz fort honnorablement par un bon nombre de gentils-hommes qui pour ce faire avoient esté ordonnez par le dit sieur tresorier, lesquels offrirent à tous les habitans pain, vin et viande, à la mesure qu'ils passoient. Et ayans faict leur devotion et chanté quelques antiennes en l'eglise Nostre-Dame, ont repris leur chemin droit à Sainct-Fiacre, chantans hymnes et cantiques à la (p. 357) louange de Dieu et de la glorieuse Vierge Marie, sa mère.
Priant nostre Seigneur Jesus-Christ (amy lecteur) qu'il nous vueille preserver et garder des astres qui nous menassent, dont l'experience s'est montrée, ainsi que verrez par ce present discours.
Fin.
J'ai connu très particulièrement, mon cher oncle, un colonel au service de Hollande, fort gourmand, et même un peu goulu; ce brave militaire avoit imaginé une manière peu commune de manger des canards excellens, et voici quelle etoit sa methode:
Ce fier Batave faisoit chercher six canetons, que (p. 360) l'on plaçoit dans un endroit où ils pouvoient barboter à leur aise, et trouver de quoi s'empifrer comme des chanoines. Lorsque le gourmand s'appercevoit que sa troupe choisie commençoit à avoir une demarche lourde et embarrassée, il examinoit avec soin celui qui avoit le mieux profité, et, quand il voyoit qu'il y en avoit un qui avoit un ventre qui touchoit presque à terre, il lui attachoit un ruban rouge à la patte. Le cuisinier savoit ce que cela vouloit dire, et, en consequence, le lendemain, il prenoit un des cinq compagnons, le tuoit, le plumoit, (p. 361) le coupoit par morceaux, et le faisoit manger par celui qui avoit été honoré du cordon. Cet honnête frère auroit fort bien expedié dans un jour toute la chambrée; mais comme ce n'etoit pas tout à fait pour lui faire fête qu'on le nourrissoit de cette façon, on avoit soin de lui menager sa bonne fortune, et ordinairement ce n'etoit que le neuf ou le dixième jour qu'il avaloit le dernier.
Le mangeur avoit son tour; mais sa destinée etoit plus noble, puisqu'il étoit reservé pour la bouche du colonel: aussi, avant d'être sacrifié, il avoit l'avantage (p. 362) d'être loué par l'etat-major du regiment; j'en ai même vu quelques-uns qui ont eté assez heureux pour paroître au gala couronnés avec autant d'eclat que l'echappé des isles Sainte-Marguerite.
Mais, mon cher neveu, me direz-vous, qu'ont de commun vos canards et votre colonel hollandois avec les affaires importantes que nous traitons dans ce moment? Le voici, mon cher oncle:
J'etois hier au soir au Jardin du Roi, lorsqu'un petit chirurgien qui arrivoit de Versailles nous dit: «Messieurs, je vous apporte une nouvelle bien singulière: on assure que MM. les évêques deputés sont convenus de manger chacun par jour un curé; et, d'après le calcul de M. de Lalande, ces prélats avaleront les derniers le 12 de ce mois[345]. Or, s'il est vrai, comme je n'en doute pas, que messeigneurs, après avoir empifré nos bons pasteurs, les croquent, j'ose me flatter que vous ne révoquerez pas en doute la petite friandise de mon colonel hollandois, puisque, par sa nature, un canard, à ce que disent les (p. 363) Italiens, est comme un cardinal, c'est-à-dire un animal vorax et rapax.»
Réponse de M. le Curé à son neveu.
Vous avez cru, mon cher neveu, me faire une plaisanterie; eh bien, il faut que je vous avoue que nous avons parmi nous beaucoup de canetons, et qu'à l'exception de quatre ou cinq de nos prélats députés, les autres cherchent à nous faire barboter et à nous empifrer. Je connois même plusieurs de mes confrères qui, après avoir mangé deux ou trois de leurs camarades, ont été avalés par nos messeigneurs; mais, Dieu merci, jusqu'à présent, on n'a pas encore enlevé de mes ailes une seule plume. Je lis tous les matins mes instructions, et je dis: Louis XVI t'a rendu tes droits; souviens-toi que le curé de V..... est assis à côté de ce pontife orgueilleux, qui, l'année dernière, le faisoit attendre deux heures dans son anti-chambre, qui croyoit qu'il étoit du bon ton de ne pas l'admettre à sa table, et qui souvent, sans vouloir l'écouter, le renvoyoit à un jeune grand vicaire, nourri de vanité, pétri de suffisance et moins instruit qu'un enseigne des gardes françoises. Rappelle-toi que la dignité de ton sacerdoce ne te permet aucune complaisance, et que tu ne dois jamais oublier que le Roi te regarderoit comme le plus vil des esclaves, si après avoir eu la bonté de rompre tes chaînes, tu les reprenois. Soyez donc, mon cher neveu, tranquille sur mon sort, et dites à votre carabin que je ne permettrai pas qu'on (p. 364) m'attache le ruban à la patte, quand bien même l'on me flatteroit de l'honneur d'être croqué par une éminence.
Nous avons, vous et moi, deux tâches bien difficiles à remplir: si vous tuez votre malade, c'est pour toujours; et moi, si je n'ai pas soin de son ame, il est perdu pour l'éternité. Travaillons donc avec zèle, et marchons avec fermeté et courage chacun dans notre état.
Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.
Fin.
FIN DU TOME VII.
1: Grand faiseur de bourdes. On jouoit volontiers sur ce mot. «Monsieur L. D. S., lit-on dans l'Esprit de Guy-Patin, p. 278, turlupinoit quelquefois contre son fils, qu'il reconnoissoit pour un insigne menteur, en lui disant que, quelque part qu'il allât, il étoit toujours dans la rue des Bourdonnois, que sa canne lui sembloit un bourdon, et qu'il croyoit l'avoir fait à Bourdeaux plutôt qu'à Paris; il rioit ensuite après ces dictons, et personne ne rioit que lui.»
2:
Faute d'argent est douleur non pareille.
Sur ce refrain, V. notre t. 5, p. 224.
3: Il y a ici quelque jeu de mot, peu à l'honneur du dieu voleur, sur le verbe pesciller ou perciller, qui en argot signifie prendre.
4: On sait que nos meilleurs marais salants sont autour de Brouage, dans la Basse-Saintonge.
5: Nous trouvons cette pièce dans la quatriesme partie, p. 54-63, du Recueil de pièces en prose les plus agreables de ce temps, composées par divers autheurs. Paris, Ch. Sercy, MDCLXI, in-12.—La faiseuse dont il s'agit ici est sans doute celle chez qui il étoit de bon ton d'aller se fournir, et qui se trouve vantée dans le dernier couplet d'une chanson sur les mouches que Tallemant cite dans son historiette du P. André (1re édit., t. 3, p. 326):
Mais surtout soyez curieuse
Et difficile au dernier point,
Et gardez de n'en porter point
Que de chez la bonne faiseuse.
Sur cette mode, on peut lire la note 368e du Palais Mazarin.
6: Les mouches rondes étoient les plus vantées. On les appeloit assassins. On lit dans la chanson que cite Tallemant:
Vous auriez beau être frisée
Par anneaux tombant sur le sein,
Sans un amoureux assassin
Vous ne serez guère prisée.
Les hommes eux-mêmes en portoient: «Il sera encore permis à nos galants de la meilleure mine de porter des mouches rondes et longues.» (Les lois de la galanterie 1644, édit. Aug. Aubry, p. 18.)
7: La mouche collée près de l'œil s'appeloit la passionnée.
8:
Portez-en à l'œil, à la temple,
Ayant le front chamarré,
Et sans craindre votre curé
Portez-en jusque dans le temple.
Les hommes portoient «l'emplastre noire assez grande sur la temple, ce que l'on appelle l'enseigne du mal de dent; mais pour ce que les cheveux la peuvent cacher, plusieurs ayant commencé depuis peu de la porter au-dessous de l'os de la joue, nous y avons trouvé beaucoup de bienséance et d'agrément. Que si les critiques nous pensent reprocher que c'est imiter les femmes, nous les estonnerons bien lorsque nous leur respondrons que nous ne scaurions faire autrement que de suivre l'exemple de celles que nous admirons et adorons.» (Les loix de la galanterie, p. 19.)
9: Au coin de la bouche, c'étoit la baiseuse; sur les lèvres, la coquette.
10: Sur le nez, c'étoit l'effrontée.
11: La majestueuse.
12: Au milieu de la joue, la galante; sur le pli de la joue en riant, l'enjouée.
13: C'est l'emplâtre dont il est parlé dans l'une des précédentes notes.
14: Parure. «Elle estoit tousjours quatre heures à sa toilette à compasser son ajustesse.» (Contes de la reine de Navarre, nouv. 36e.)
15: Tout le monde en eut, si bien que dans une mazarinade, Maximes morales et chrétiennes pour le repos des consciences dans les affaires présentes, etc., 1649, in-4., il est dit qu'on voit «abbés frisés, poudrés, le visage couvert de mouches, tous les jours dans un habit libertin parmi les cajoleries des Cours et des Tuileries.»
16: Je suis porté à croire que cette pièce a beaucoup de ressemblance avec celle qui a pour titre: Le voyage raccourci de trois bourgeoises de Paris, avec leurs ruses et finesses, nouvellement découvertes par leurs maris; Paris, veuve du Carroy (vers 1618), in-8 de 24 feuillets. Malheureusement, je n'ai pu la retrouver pour faire la comparaison.
17: Il se trouve dans les Caquets de l'accouchée, p. 217, une histoire à peu près pareille, où deux femmes, pour jouer un tour semblable à leurs maris, feignent d'aller non plus à la noce, comme ici, mais en pèlerinage. Dans les anciennes poésies françoises des XVe et XVIe siècles, publiées par M. A. de Montaiglon, se trouve, t. 3, p. 331-334, une chanson qui roule aussi sur une aventure du même genre, au moins par le scandale: Chanson nouvelle de certaines bourgeoises de Paris qui, feignant d'aller en voyage ès fauxbourg Saint-Germain-des-Prez, furent surprinses en la maison d'une maquerelle et menées en prison à leur deshonneur et confusion.
18: On appeloit ainsi les plus forts écus, les seuls que les juges voulussent recevoir pour leurs épices. Chaque quart d'écu étoit de 16 sols, et, par conséquent, l'écu quart valoit 3 livres 4 sols.
19: C'est-à-dire que les oreilles leur tintoient, comme aux gens de qui l'on parle mal. Cela nous donne l'étymologie du mot tintouin, qui d'abord ne s'employoit pas autrement. On trouve même dans Montaigne le verbe tintouiner.
20: On sait que couratier, couratière, sont les anciennes formes des mots courtier, courtière. Ils se prenoient souvent, comme ici, en mauvaise part, pour désigner de bas entremetteurs:
Il devint en un jour savant en tel metier,
Maquignon, revendeur, affronteur, couratier.
(Ronsard, Hymnes, liv. 2, 10.)
21: C'est ce qu'on appelle encore le chaudeau dans quelques villes de province où cet usage s'est gardé. Les convives de la noce l'apportoient de bon matin en grande cérémonie, à la suite d'une aubade sous la fenêtre des époux. V. notre Histoire des lanternes de Paris, p. 12, et une très curieuse chanson qui se trouve dans le Recueil du Savoyard. En Ecosse, on appeloit cette boisson nuptiale le sack-posset. Il y entroit du vin, de la crème, du sucre, de la muscade. V. W. Scott, Quentin Durward, conclusion.
22: Ce mot, avec le sens de galant, étoit depuis long-temps dans la langue. V. Rabelais, liv. 1, ch. 8, et liv. 4, ch. 43. Ce passage de Roger de Collerye, édit. Ch. d'Héricault, p. 286, semble en donner l'étymologie:
Cy-gist le bon honorable Huguet...
Qui en son temps ne feist jamais le guet
Aux amoureux qui cueillent le muguet.
23: Imposture, tromperie. Mairet fait dire à l'un des personnages de sa comédie, Le duc d'Olonne:
Indubitablement l'on m'a donné la trousse
24: Chevaux de main, dont les plus fins venoient d'Espagne.
25: On sait que c'est un des noms de l'avoine.
26: Jusqu'au dernier siècle le manchon se portoit attaché au corps avec une ceinture serrée par une boucle, ou bien, comme ici, avec une chaîne d'or ou d'argent.
27: Interprète.
28: On sait qu'on disoit alors de gens attaqués de maladies honteuses qu'ils alloient en Bavière voir sacrer l'Empereur (V. Francion), ou qu'ils revenoient de Suerie ou de Suède.
29: Cette pièce est dirigée contre quelque farceur qui vouloit faire concurrence au Prince des sots (Angoulevent), et qui, pour prendre un titre au dessus du sien, s'étoit adjugé celui d'archi-sot. Peut-être est-ce la même querelle sur laquelle le Parlement fut appelé à statuer, et qui s'étoit élevée au sujet de la Principauté des Sots, entre Angoulevent, qui la déclaroit sa propriété exclusive, et Valentin le Comte (Valeran), qui, avec Jacques Resneau (Rameau) prétendoit la lui disputer. Angoulevent, défendu par maistre Julien Peleus, obtint gain de cause; mais le procès fut très long, si l'on en juge par la date des arrêts successivement rendus. Le premier est du 2 mars 1604, le dernier du 19 février 1608. Cette grave affaire étoit donc pendante, en 1605, quand parut cette pièce. On peut consulter, pour les détails, le Recueil des plaidoyers de maître Julien Peleus, les Récréations historiques de Dreux du Radier, t. 1, p. 41-42, et de la Place, Choix des Mercures, t. 56, p. 158-160, et 5 pour Valeray, Tallem., édit. in-12, t. 10, p. 40; l'Estoille, édit. du Panthéon, II, p. 424; l'Espadon satyrique, 1680, in-12, p. 25.
30: C'est-à-dire les registres énormes où se trouvoient portés les noms de tous ceux qui payoient l'impôt.
31: Ces déesses sont les nymphes de Jean Goujon à la fontaine des Innocents, placée alors au coin de la rue aux Fers et de la rue Saint-Denis. L'auteur les invoque ici parceque c'est à leur pied qu'Angoulevent, avec la troupe des farceurs de l'hôtel de Bourgogne, venoit faire sa montre ou parade. Il devoit aller aussi au carrefour de la Pointe-Saint-Eustache, près de ce Pont-Alais qui avoit donné son nom à un autre farceur. V. Nouvelles de Des Periers, édit. Louis Lacour, p. 133-134, et notre tome 3, p. 142.
32: Ceci donne raison à notre première note.
33: L'entrée par la grande porte étoit un des points en litige. Angoulevent prétendoit qu'il y avoit seul droit, et l'arrêt du 19 février 1608 lui conserva en effet ce privilége. Il y est dit que Nicolas Joubert (c'étoit le vrai nom d'Angoulevent) sera «maintenu et gardé en sa possession et jouissance de sa Principauté de Sots et des droits appartenant à icelle, même du droit d'entrée par la grande porte dudit hôtel de Bourgogne, etc.»
34: Le vert étoit, comme on sait, la couleur des fous.
35: Je ne sais ce qu'étoient ce Martin Gan et l'espèce de pourpoint dont il semble avoir amené la mode; mais je suppose que celui-ci auroit pu fort bien s'assortir avec les fameuses chausses à la martingale dont parle Rabelais. Le Duchat pense qu'on les appeloit ainsi parceque la forme en étoit empruntée aux mariniers de Martègue en Provence. C'est donc peut-être Martéguan, et non Martin Gan, qu'il faut lire ici. V. Rabelais, l. 1, ch. 20, et l. 2, ch. 7.
36: C'est-à-dire que son haut de chausses étoit attaché au pourpoint avec des aiguillettes, et qu'il étoit aiguilleté, comme l'Harpagon de Molière.
37: On faisoit alors rafle de tous les gueux irlandois et autres qui se trouvoient à Paris, et on les embarquoit pour le Canada ou Nouvelle-France. Les quartiers qui en fournissoient le plus étoient ceux des Fossés-Montmartre (V. Tallemant, édit. in-12, t. 2, p. 23), de la Ville-Neuve-sur-Gravois, où se trouvoit, comme on sait, l'une des plus fameuses cours de Miracle, etc. C'est sans nul doute à cause des nombreuses bandes de mendiants qui en partoient pour le Canada que cette partie de Paris commença de s'appeler alors la Nouvelle-France, nom qui s'est étendu au faubourg Poissonnière, qui en étoit la continuation. La caserne qui s'y trouve l'a seule gardé.
38: Se parer avec forfanterie. Ce mot est dans Montaigue, liv. 3, ch. 10.
39: C'est-à-dire un tableau bouffon, une affiche-caricature, qu'on mettra à la porte du théâtre de l'hôtel de Bourgogne.
40: Les peintres Zeuxis et Parashius.
41: Un âne.
42: Les harpies.
43: On voit que les farceurs se couvroient le visage de farine, comme notre Pierrot, qui a seul gardé la tradition. De là le sobriquet d'enfarinés qu'on leur donne partout. On voit par un passage de Montaigne (liv. 3, en. 10), que c'étoit déjà l'usage des apprentis badins de son temps. On lit dans les Jeux de l'inconnu (1645, in-8, p. 158), au sujet de Jean Farine, qui, lui non plus, ne doit pas son nom à autre chose: «A le voir si blanchastre, il semble qu'il soit déjà enfariné.»
44: On appeloit habit de vinaigre, selon le Dictionnaire de Trévoux, tout habit trop léger porté en hiver, sans doute parcequ'il n'empêchoit pas le froid de vous piquer.
45: Sans doute le cabaret de la Licorne, qui a donné son nom à l'une des rues de la Cité. En 1816, selon la Tynna, il s'y trouvoit encore, au no 8, un marchand de vin ayant une licorne pour enseigne. On disoit, pour prédire à quelqu'un quelque bonne raillerie: Les petits enfants en iront au vin et à la moutarde, d'où le nom trivial de moutard donné à ceux-ci. Ce que disent ces deux vers répond évidemment à cette locution, qui se trouve déjà dans Villon, et que Malherbe, dans ses lettres à Peiresc, employoit encore.
46: C'est-à-dire couvert de bigarrures. On connoît le proverbe: «Piolé riolé comme la chandelle des Rois», qui étoit en effet de deux couleurs. Un fol, comme celui qui parle dans ces stances, pouvoit bien s'exprimer ainsi. Les badins, selon Henri Estienne, dans la préface de son Apologie pour Hérodote, portoient des «robes bigarrées de bandes larges.»
47: Sorte d'insecte. Voy. Ronsard, éd. Jannet, t. 1, p. 395, note 4.
48: Cette pièce se trouve, p. 278-282, dans le curieux recueil Le tableau de la vie et du gouvernement de MM. les cardinaux Richelieu et Mazarin, et de M. Colbert, représenté en diverses satyres et poésies ingénieuses, etc. Cologne, P. Marteau, 1694, in-12. Seulement, elle est fautive dans cette édition; nous l'avons rétablie d'après celle qui avoit paru l'année précédente, et qui est bien plus correcte.
49: Il s'agit encore ici du retranchement des fêtes, au sujet duquel nous avons déjà publié une pièce (t. 5, p. 245), et qui avoit été ordonné par le roi, en 1666, sur un Mémoire de Colbert, reproduit dans la Revue rétrospective, 2e série, t. 4, p. 257-258.
50: On n'avoit pas retranché moins de dix-sept fêtes. V. Journal ms. d'Olivier d'Ormesson, 2e partie, fol. 139. Le peuple, qui tenoit à quelques-unes, cria fort et si bien qu'on finit par les rétablir. Celle de saint Roch étoit du nombre. V. notre t. 5, p. 249-250. C'est pour celle-ci surtout qu'il commença sa désobéissance: «Le mardy 16 août (1667), feste de saint Roch, dit encore M. d'Ormesson, fol. 151, tout le monde festa nonobstant le retranchement.»
51: C'est ce que Marigny a développé avec tant de verve et d'esprit dans son charmant poème du Pain bénit, où se trouve entr'autres ce vers:
Il fait cher mourir à Paris,
repris par Regnard lorsqu'il fait dire par le Crispin du Légataire, à la scène du testament:
Il fait trop cher mourir.
52: Il faut encore entendre Marigny faisant expliquer par les marguilliers de Saint-Paul les détails d'un convoi de première classe, avec les beaux ornements que leur avoit donnés M. de la Rivière, évêque de Langres, leur riche paroissien de la place Royale. La grosse sonnerie n'y est pas non plus oubliée:
Tout le convoi fut fort heureux,
Aucun critique n'y peut mordre;
Les enfants, gris, rouges et bleux,
Marchèrent dans un fort bel ordre.
Grande cour, chambres, escalier
Bien garnis de tapisserie,
Vous eûtes nos grands chandeliers
Et notre belle argenterie.
Nos beaux ornements bien brodés,
Que monsieur de Langre a donnés;
Et puis qu'il faut qu'on vous le die,
La croix de Fieubet a marché
Avec sa grosse sonnerie.
53: C'est aussi le propos de Marigny:
Cette sorte d'exaction
Est un infâme monopole
Honteux à la Religion.
54: Les frais du crieur étoient compris dans ceux de l'enterrement:
Vous ignorez, pour le certain,
Qu'il faut les droits de la fabrique,
D'un crieur et du sacristain.
C'étoit lui qui apportoit dans les maisons l'attirail des convois, comme dit Regnard dans le Légataire, acte IV, scène dernière, et qui régloit le tarif, comme on le voit ici.
55: On sait qu'alors tout paroissien d'importance se faisoit enterrer dans l'église.
56: Sur cette expression, v. notre t. 5, p. 250, note.
57: Alors on prononçoit craire. C'est ce qui donne raison à la singulière rime qui se trouve ici. Toutefois, dans les vers il étoit d'usage d'employer la prononciation qui a prévalu. V. Journal de l'Académie françoise, par l'abbé de Choisy (1696), fol. 7. On ne vouloit pas sans doute que l'accident qui arriva un jour à une actrice de province pût se renouveler. Elle avoit à dire ce vers:
Le prince vit encore! ô ciel! puis-je le croire?
Elle le prononça suivant la mode admise dans la conversation; aussi son interlocuteur, pour ne pas manquer la rime à craire, riposta tout aussitôt:
Oui, princesse, il arrive, et tout couvert de glaire.
58: V. l'une des notes précédentes.
59: Mais, dit encore Marigny, dans la discussion qu'il établit entre les marguilliers de Saint-Paul et un parent révolté de la somme énorme des frais:
—Mais, s'il meurt sans laisser de bien,
Qu'avez-vous coutume de faire,
Suivant votre honnête métier
De ne faire rien pour rien?...
—Sans prière ni luminaire
On le fait porter, comme un chien,
Dans quelque coin du cimetière;
Et, de plus, sachez qu'en ce cas
L'exactitude est si précise,
Que même nous ne souffrons pas
Que le corps passe par l'église.
60: La fête des Saints-Innocents étoit au nombre de celles qu'on avoit retranchées. V. notre t. 6, p. 249.
61: Cette pièce, qui n'a été publiée que par le Journal de l'Institut historique, avril 1841, p. 133-134, n'est pas la seule du même genre que nous trouvions dans la première moitié du 17e siècle. Lorsque les temps devenoient durs pour les pauvres gens, il n'étoit pas rare de voir s'élever de pareilles requêtes, et, comme on en va voir la preuve, le Parlement y faisoit presque toujours droit, du moins dans une certaine mesure. Voici, par exemple, ce que nous trouvons à l'une des époques les plus difficiles du règne de Louis XIII: Sentences et réglement donnés par monsieur le prevost de Paris ou monsieur le lieutenant civil, le present mois d'aoust mil six cent vingt deux, contenant les diminutions ordonnées pour les loyers des maisons de la ville et fauxbourgs de Paris. A Paris, chez la veuve Hubert Velut, rue de la Tannerie, près de la Grève, 1628, in-8. Il s'agit d'un certain nombre de maîtres de logis et chambres garnies qui, après avoir demandé vainement à leurs propriétaires une diminution pour le loyer des maisons qu'ils sous-louoient en détail, ont adressé au Parlement la même rère, exaucée alors, mais à condition toutefois que la diminution accordée entraîneroit d'elle-même la résiliation des baux. Les demandeurs, pour appuyer la requête à laquelle on faisoit droit ainsi, avoient dit: «Que, pour essayer à gagner quelque chose pour subvenir à leurs familles, ils avoient pris à ferme les logis où ils sont, demeurant siz au quartier du Louvre, pour y loger en chambre garnie et prendre des pensionnaires; mais, à cause de la longue absence du roy qui rend ledit quartier du Louvre, voire toute la ville de Paris, déserte de monde, au prix de ce qu'il y en a lorsque Sa Majesté est résidente, ils n'ont personne de logé chez eux, soit en pension, soit en chambre garnie, tellement que lesdits logements, dont ils payent de grands loyers, leur sont du tout inutiles et à grandes charges.» La même année parut Sentence de monsieur le prévost de Paris, ou monsieur son lieutenant civil, commissaire député de la Cour, portant réglement sur la diminution des loyers des maisons de celle ville et faulxbourgs de Paris, requise par les locataires contre les propriétaires. A Paris, chez Isaac Mesnier, rue Saint-Jacques, 1622. L'année suivante, autre arrêt, mais d'une importance plus grande: Règlement général pour le rabais des loyers des maisons. A Paris, chez P. Rocolet, libraire et imprimeur de la ville, 1623, in-8. Il est rendu, «veu l'arrêt de la Cour de Parlement obtenu sur la requeste présentée par les pauvres locataires qui tiennent logis et chambres garnies en la dicte ville de Paris, le 27 octobre 1623, portant que, pour leur estre pourveu sur la diminution par eux requise à cause de la maladie contagieuse advenue en ceste dite ville et fauxbourgs, ils se pourvoyroient par devers nous, et que ce qui seroit par nous ordonné seroit exécuté, nonobstant opposition ou appellation quelconques... et, tout veu, nous disons, par délibération du conseil, ouy sur ce le procureur du roy, que diminution est faicte aux dits locataires qui n'ont payé, du quart du terme de Saint-Jean à la Saint-Remy, et du demi-quart du terme de Saint-Remy à Noël prochain.» Deux ans après, un arrêt du même genre fut encore rendu, mais nous ne savons sur quels motifs; nous ne le connoissons, en effet, que par son titre, reproduit ainsi, sous le no 818 du Catalogue des livres de M. Leroux de Lincy: Règlement général pour le rabais des loyers des maisons du 22 août 1625, signé Musnier. Paris, 1625, in-8.—Au temps de la Fronde, les plaintes recommencèrent avec la misère des pauvres gens, et le Parlement, plus que jamais souverain, ne manqua pas d'y faire droit. La pièce donnée ici est de cette époque, mais dans la dernière période. Les années qui avoient précédé furent celles où les arrêts de cette nature se multiplièrent le plus. Nous n'en comptons pas moins de cinq pour la seule année 1649. En voici les titres et le résumé: 1o Arrêt de la Cour de parlement pour la diminution des loyers des maisons dans la ville et fauxbourgs de Paris, du 10 avril 1649, in-4. Il est rendu sur neuf requêtes présentées par les locataires des maisons du faubourg Saint-Antoine; par quelques habitants du faubourg Saint-Marcel; par les pauvres bourgeois et chambrelans (logeurs en chambre) de cette ville et fauxbourgs; par les marchands de la salle Dauphine et des autres parties du Palais, notamment Réné Autié; par les hôteliers du quartier Saint-Martin; par les locataires des environs du Palais-Royal, rues des Petits-Champs, Coquillière, des Vieux-Augustins; par ceux qui louent en chambre garnie au quartier du Louvre et du Palais-Royal; enfin par les habitants du faubourg Saint Germain.—2o Arrêt de la Cour de Parlement pour la descharge entière des loyers des maîtres du quartier de Pasques, en la ville et fauxbourgs de Paris, rendu en interprétation de celui du 10 avril dernier, avec réglement pour les baux du 14 avril 1649, in-4. Cette sentence, que M. Moreau a consignée sous le no 264 de son excellente Bibliographie des mazarinades, est rendue sur requête présentée par des habitants de la Draperie, de la Barillerie, par des marchands du Palais, «par Florent Martel, chirurgien ordinaire du roy en son artillerie, et autres, tous particuliers demeurant en l'isle Notre-Dame»; par les locataires des maisons sises rues Saint-Honoré, Frementeau (sic), des Bons-Enfants; par Jean Lemoine et autres locataires principaux des maisons «baties sur le pont Marie et esles d'iceluy»; et ceux qui louent en chambres garnies rues des Poulies, du Louvre, du Coq, de Champfleury, du Chantre, de Jean-Saint-Denis, Frementeau, de Beauvais, Saint-Thomas du Louvre; par les cabaretiers de la place Maubert et environs; par les pauvres bourgeois «demeurant en la Villeneuve-sur-Gravois, les Petits-Carreaux aboutissant en la rue Mont-Orgueil, cour de Miracle, rue appelée la rue Neuve-Saint-Sauveur, rues de Cléry, de Bourbon, et autres rues adjacentes, sur le chemin qui conduit vers la Nouvelle-France et Montmartre».—3o Arrest de la Cour de Parlement en faveur des locataires et sous-locataires des maisons de la ville et fauxbourgs de Paris, pour leur descharge du loyer de Pasques dernier, avec reglement pour les baux, rentes foncières et autres constituées pour la construction des bâtiments, donné sur les requestes des proprietaires des dites maisons, et pour l'execution des arrêts precedents, des 10 et 14 du present mois et an, du 27 avril 1649, in-4.—4o Arrêt de la Cour de Parlement portant confirmation des arrêts des 10 et 14 de ce mois, pour la descharge du terme de Pasques, avec deffense aux propriétaires de presenter aucune requeste. Paris, Michel Metayer, demeurant isle Notre-Dame, sur le pont Marie, au Cygne, in-4. C'est d'abord la supplique de P. Chaoues, marchand fripier, artisan bourgeois de Paris, locataire d'une portion de maison sise au coin de la Petite-Friperie. Elle est dirigée contre maître Charles Fustel, bourgeois de Paris, qui, «en depit des arrêts precedemment rendus pour la descharge du loyer echu à Pasques», a fait saisir les meubles du requérant. Vient ensuite l'arrêt qui donne droit à la supplique, dans un dispositif où se trouve cette phrase, dejà en substance sur le titre: «Faict deffense de presenter aucune requeste en nom collectif des propriétaires.»—5o Arrest de la Cour de Parlement pour la descharge entière des loyers des maisons du quartier de Noël, escheu à Pasques dernier, du 19 may 1649. A Paris, chez Jean Brunet, rue Neuve-Saint-Louys, au Canon-Royal, près le Palais. Il est rendu sur une requête signée par un grand nombre des marchands qui figurent aussi dans celle que nous reproduisons. Ils ont leurs boutiques au Palais, aux grandes et petites salles, aux galeries des prisonniers en la Cour, «et aux environs des gros murs du Palais, rue Barillerie, et sur le Pont-aux-Changeurs». Ils objectent que ce qui les a engagés à se charger desdits loyers «a esté l'esperance qu'ils ont eue que le commerce et les manufactures, ausquels ils se sont appliqués les années dernières, continueroient comme du passé; mais il en arrive autrement dans les rencontres des barricades, suivies du blocus de Paris; et le malheur de ce temps a esté tel que tout le commerce des suppliants a esté ruiné; ils ont mesme perdu l'occasion des foires Saint-Germain, de Rennes et de Caen, pour lesquelles ils auroient preparé et où ils avoient accoustumé de debiter grand nombre de marchandises, qui leur sont demeurées inutiles pour estre changées de mode et de prix; et les suppliants ont encore souffert beaucoup de pertes au sujet des assemblées presque continuelles de la Cour, occupée aux affaires publiques, pendant lesquelles lesdits suppliants ont esté obligés de tenir presque toujours leurs boutiques fermées.»—En 1652, époque de la dernière Fronde, qui fut signalée par une nouvelle crise de misère, les requêtes des locataires recommencent. Celle que nous publions ici en est un exemple. Mais nous n'avons pu trouver l'arrêt qu'elle dut motiver, non plus que celui qui donna sans doute raison à une autre supplique du même genre, signée de Lefèvre, avocat au Conseil. Voici le titre de cette pièce, rappelée par M. Moreau, sous le no 3504 de sa Bibliographie des mazarinades: Requête presentée au roi, en son château du Louvre, par les pauvres locataires de la ville et faubourgs de Paris, le jeudi 24 octobre 1652, pour les exempter du paiement des termes de Pâques, Saint-Jean et Saint-Remy derniers. Paris, Noël Poulletier, 1604, in-4. On ne s'en étoit pas tenu alors à ces requêtes contre les propriétaires; quelques uns, notamment un nommé de Verneuil, avoient eu le projet de les faire financer par force pour les fonds nécessaires à l'expulsion du Mazarin. M. Moreau (no 2772) a donné une curieuse analyse du placet où se trouve émise cette singulière idée: Placet presenté à Son Altesse Royale par Jean Le Riche, sieur de Verneuile (sic), bourgeois et habitant de Paris, sur le moyen qu'il a donné à messieurs les princes de faire le dernier effort pour chasser le cardinal Mazarin sans fouler les peuples. Paris, veuve Marette, 1652, 7 pages, très rare, signé Verneuil. «Ce Verneuil, dit M. Moreau, propose de prendre aux propriétaires le quart du quartier échu à Pâques dernier, et offre d'en faire la recette. Il offre en outre de vendre deux maisons, l'une à la ville et l'autre à la campagne, pour les frais de la guerre et pour le prix de la tête de Mazarin!»
62: V. sur ce chef de bandes une pièce de notre t. 1er. Celle-ci contient quelques faits nouveaux sur lui et sur les bandits qui pilloient à son exemple et renchérissoient même sur ses ravages. On peut voir, au sujet de ces picoreurs du parti des princes, notre t. 5, p. 215, et le t. 6, p. 324, note 2.
63: V. t. 1er, p. 293, note.
64: Ce que fit le brigand Carrefour, enrôlé quelque temps dans le parti du duc de Nevers, est bien une preuve de la vérité de ce qu'on lit ici.
65: Cette exclamation revient comme une sorte de refrain à la fin de plusieurs paragraphes.
66: C'est à peu près ce qu'on lit textuellement dans la pièce de notre t. 1er, p. 294.
67: Guillery poussoit en effet ses entreprises jusqu'à Rouen; v. t. 1er, p. 298. Le coup de main dont le récit suit ne se trouve pas raconté dans la première pièce que nous avons donnée.
68: Cette devise de Guillery est donnée autrement dans le Journal de l'Estoille (11 sept. 1608): «Ils avoient pris pour devise, qu'ils avoient affichée en plusieurs arbres de grands chemins: Paix aux gentilshommes, la mort aux prevosts et archers et la bourse aux marchands. Ce qu'ils ont réellement exécuté maintefois, ayant tué tous les prevosts et archers qui estoient tombés entre leurs mains et devalisé les marchands. En sorte que, dans ces derniers temps, personne n'ose negotier ni aller aux foires à trente et quarante lieues de la retraite de ces voleurs.»
69: Les mots picoreur, picorer, que Ménage, d'accord en cela avec le Dictionnaire des rimes de La Noue, p. 35, dérive du latin pecorare, enlever des troupeaux, étoient arrivés dans la langue vers le temps d'Estienne Pasquier. Voir ses Recherches de la France, livre 3, ch. 8. On se rappelle la jolie phrase des contes d'Eutrapel sur ces gens de maraude «accoustrés de bons habillements que la damoiselle Picorée avoit faits et filés». Ce n'étoit pas seulement au temps des guerres que les soldats vivoient de ces pillages, ils n'en faisoient pas moins lorsqu'ils alloient pacifiquement par les provinces à la suite du roi. Un des Nouveaux satires d'Angot, sieur de l'Eperonnière, intitulé Les picoreurs, nous apprend ce que le voyage de Louis XIII, en 1620, coûta ainsi aux riches campagnes de la Normandie:
..... Un jeune pitaut me dit tout esperdu,
Les soldats sont au bourg, Monsieur, tout est perdu!
Cette engeance d'enfer, que la faim espoinçonne,
Froisse tout, pille tout, sans respect de personne;
Ils ont le diable au corps, et jurent devant tous
Que, par la digne tête, ils logeront chez vous.
J'aurois, j'aurois horreur de vous dire de bouche
Le desastre qu'ils font et dont le cœur me touche.
Ce ne sont point soudars, ce sont des picoreurs,
Qui sont de l'Ante-Christ les vrais avan-coureurs;
Leurs buletins sont faits, et déjà par la voie,
Comme loups affamés, ils courent à la proie.
Ils ont presque tué Flipin d'un coup d'estoc,
En defendant Janet, ses poules et son coq;
Ils ont rompu son meuble, et sa feme Isabelle
A perdu son sanfaix, son fil et sa cordelle;
Ils ont mangé sa cresme, ils ont son lard ravy.
Jamais un tel desordre au monde je ne vy.
70: C'étoit un genre de torture exercé sur les paysans par ces bandits, et qui consistoit à serrer violemment avec de fortes cordes le front du patient jusqu'à ce qu'il eût dit où se trouvoit tout ce qu'il avoit d'argent.
71: C'est-à-dire qu'ils leur serroient les pouces dans les ressorts de leurs arquebuses à rouets. Les locutions, encore populaires, serrer les pouces, faire mettre les pouces à quelqu'un, pour le faire céder, doivent venir de là.
72: C'est-à-dire comme Bulgares. Ils partageoient alors la réputation d'ivrognerie des Polonais, leurs voisins.
73: Il fut, en effet, rompu vif à La Rochelle; v. t. 1er, p. 300. La destruction de la bande de Guillery fut considérée comme un si grand bienfait pour les provinces ainsi délivrées que Henri IV accorda des lettres d'anoblissement à A. Legeay, l'un de ceux qui y avoient le plus contribué. Ces lettres ont été publiées par M. B. Fillon dans la Revue des provinces de l'ouest, no de décembre 1856.
74: Ce capitaine de la Garde nous est connu par une pièce non moins rare que celle-ci, et dans laquelle tous les faits curieux dont il ne donne ici qu'un résumé sont expliqués en détail. Cette pièce a pour titre: Factum de Pierre du Jardin, sieur et capitaine de la Garde, natif de Rouen, province de Normandie, prisonnier en la Conciergerie du Palais de Paris, contenant un abrégé de sa vie et des causes de sa prison, pour oster à un chacun les mauvais soupçons que sa détention pourroit avoir donnez, in-8, s. l. n. d. Il ne dit pas ici les causes de cette détention, mais son factum en parle longuement. Il paroît qu'il avoit été pourvu d'un office de contrôleur général, et que, pour quelques malversations dans l'exercice de cette charge, il avoit été arrêté et mis à la Bastille en 1615. Afin de donner une autre raison à son emprisonnement, et surtout pour attirer sur lui l'attention et la clémence du roi, il s'étoit mis à rappeler ou plutôt à imaginer de toutes pièces, au sujet du crime de Ravaillac, les révélations contenues ici, et dont une explication plus détaillée, mais non pas plus curieuse, se trouve dans son factum. Je ne pense pas qu'il soit question ailleurs de ces faits, qui, si l'on pouvoit en constater l'authenticité, seroient si intéressants pour l'histoire de l'assassinat de Henri IV.
75: C'est ce fameux ligueur dont on prétendoit que son homonyme, l'auteur des Caractères, étoit le descendant. Il avoit été lieutenant civil, et, en 1592, il avoit entamé des négociations particulières pour faire sa paix avec le roi. V. l'excellente édition donnée par M. Victor Luzarche du Journal historique de P. Fayet, p. 118-119.
76: V. sur ces faits notre t. 2, p. 296-297, notes.
77: Dans son Factum, le capitaine place cette visite chez Charles Hébert, après, et non pas avant, cette qu'il fit chez le jésuite Alagon. Voici comment il y raconte l'arrivée de Ravaillac, qu'il ne nomme pas, comme ici: «Pendant qu'ils estoient à table survint un certain homme à luy incogneu, vestu d'escarlatte violette, qui fut receu de la compagnie avec grandes caresses, et prié de manger avec eux. Il s'assit à table, et, enquis par quelqu'un des sus nommez quelles affaires l'amenoient à Naples, respond qu'il apportoit des lettres au vice-roy de Naples de la part d'un seigneur françois, lequel nomma, et dont le sieur de la Garde a déclaré le nom devant nos seigneurs du Parlement, lorsqu'il a esté interrogé, desquelles lettres il vouloit retirer responce après disner pour s'en retourner en France, où estant, il falloit qu'aux despens de sa vie il tuast le roy, et qu'il s'asseuroit de faire le coup. Le sieur de la Garde, estonné de ce discours, s'informa du plus proche de soy qui estoit cet homme. Il le luy nomma. Durant le disner furent tenuz plusieurs autres propos entremeslez de ce damnable dessin.»
78: D'après le Factum, la Garde auroit eu deux entrevues avec le jésuite. Dans la seconde, il lui auroit demandé de quelle manière il entendoit qu'il falloit tuer le roi. «Alagon respond que cela se pourroit faire d'un coup de pistolet à la chasse du cerf.»
79: Le fameux Sébastien Zamet, dans l'hôtel duquel Gabrielle d'Estrées sentit les premières atteintes du mal dont elle mourut. Il a déjà été souvent parlé de lui dans les notes de ces Variétés.
80: Dans le Factum, ce nom est écrit Rabbi. Suivant la même pièce, le capitaine, se rendant de Naples à Rome, se seroit arrêté à Gaëte, et c'est là qu'il auroit reçu, toujours au sujet du complot, des lettres de La Bruyère dont il sera parlé plus loin.
81: Savary, sieur de Brèves, qui fut en effet pendant six ans, de 1608 à 1614, notre ambassadeur à Rome. Les pièces relatives à son ambassade forment 3 vol. in-fol., conservés parmi les manuscrits de la Bibliothèque impériale. Gaillard en a donné des notices très curieuses. (Notices des manuscrits, t. 1.) V., sur M. de Brèves, Walckenaër, Vies de plusieurs personnages célèbres, in-8, t. 1, p. 232-238.
82: Sauf cette dernière phrase, si bien dans le caractère de Henri IV, tout ce qui précède se trouve, mais en d'autres termes, dans le Factum.
83: Nous trouvons cette pièce, si intéressante pour l'histoire des mœurs littéraires au XVIIe siècle, dans l'ouvrage très rare auquel nous avons déjà fait plusieurs emprunts: Recueil de pièces en prose les plus agréables de ce temps, par divers autheurs; à Paris, chez Charles de Sercy, M. DC. LXI, in-12, deuxiesme partie. Nous ne savons quel est le pauvre diable, à la fois poète et musicien, double métier de gueuserie, qui se trouve représenté ici sous le nom de Sibus. Il étoit d'autant plus difficile de le découvrir qu'un grand nombre de poètes de ce temps-là partageoient la même misère, et que c'est à peine si la plupart nous ont fait parvenir leurs noms. Est-ce Maillet, le Mytophilacte du Roman bourgeois, le poète crotté de Saint-Amant? Plus d'un détail le donneroit à penser; mais il étoit mort vieux en 1628, et il n'eût plus été en 1661 une figure de circonstance, surtout auprès de tant de pauvres diables qui n'avoient que trop bien rajeuni le type déguenillé. Je pencherois plutôt pour quelqu'un de ceux qui traînoient leur vie mendiante au milieu du Paris de la Fronde, comme cet auteur de Mazarinades qui, dans la pièce Les généreux sentiments de Mademoiselle, etc., Paris, 1652, in-4, raconte de quelle façon, «ayant été présenter des vers mal fagotés à un prince, il fut égratigné par un singe parcequ'il étoit mal vêtu»; comme Gomez encore et comme Civart, dont il est parlé dans une autre Mazarinade, La fourberie découverte, ou Le renard attrapé, 1650, in-4, p. 7:
Paris, qui m'a vu destiné
A cultiver la poésie...
Mais ce métier plein de folie,
Combien qu'il ait beaucoup d'appas,
N'apporte pas un bon repas.
Soyez-m'en témoin, je vous prie,
Et vous Gomès, et vous Civart,
Qu'on montre au doigt dedans le Louvre.
Le nom de Civart—si ce n'est pas encore un pseudonyme—est celui qui se rapproche le plus de celui de Sibus. C'est tout ce que nous pouvons dire, car ce Civart ne nous est connu que par cette seule pièce, et nous ne pouvons savoir si son existence eut quelque ressemblance avec celle qui est racontée ici, et qui semble avoir été plutôt faite à plaisir que d'après la réalité. Parmi les grands déguenillés de ce temps, n'oublions pas le géomètre Vaulezard, dont G. Naudé nous a fait le portrait à la page 270 du Mascurat.
84: Ce singulier traité de Heinsius a été traduit par Mercier de Compiègne; un autre du même genre, écrit par Th. Canterius, a été mis en françois par Simon, de Troyes. Le poème burlesque de J. Wolcott, the Lousiad, roule sur un sujet pareil. L'insecte chanté s'appelle, comme on sait, louse en anglois. Sur des facéties de même espèce, on peut chercher dans le recueil de Dornau, Amphitheatrum sapientiæ socraticæ jocoseriæ, Hanau, 1670, en deux parties.
85: Ce musicien, beau-père de Lulli, est trop connu depuis la 3e satire de Boileau et par quelques anecdotes de Tallemant pour qu'il soit besoin d'entrer sur son compte dans quelques détails.
86: C'est-à-dire comme Poucet, qui portoit, à ce qu'il paroît, dans les contes de nourrice, le nom qu'on lui donne ici, avant que Perrault eût immortalisé l'autre. Il n'a pas respecté cette particularité de sa naissance, mais elle a été religieusement conservée dans l'histoire de Tom-Thumb (Tom-Pouce), le petit Poucet des Anglois.
87: «C'estoit ainsi qu'on habilloit, dit Furetière (Roman bourgeois, édit. elzev., p. 330), les pauvres orphelins et les enfans de l'hospital, témoin ceux du Saint-Esprit et de la Trinité.»
88: Ce collége, l'un des plus fameux de l'ancienne Université de Paris, se trouvoit alors, non pas rue Saint-Jean-de-Beauvais, où il fut dans les derniers temps qui précédèrent la Révolution, et où il fut remplacé par une caserne, mais rue Saint-Etienne-des-Grès.
89: C'est-à-dire valet de classe, de l'allemand küster. Dans les Cent nouvelles nouvelles, on lit coustre.
90: Il faut lire ici, je crois, Manchy, abréviation de Mantchourie.
91: Les naïres sont, parmi les Indiens, les nobles qui portent les armes.
92: On connoît ces vers d'Alceste à Célimène sur cette mode des muguets du XVIIe siècle (le Misanthrope, acte 2, sc. 2):
Mais au moins, dites-moi, Madame, par quel sort
Votre Clitandre a l'heur de vous plaire si fort?
Sur quel fonds de mérite et de vertu sublime
Appuyez-vous en lui l'honneur de votre estime?
Est-ce par l'ongle long qu'il porte au petit doigt
Qu'il s'est acquis chez vous l'estime où l'on le voit?
On lit aussi dans la nouvelle tragi-comique de Scarron, Plus d'effet que de paroles, au sujet du prince de Tarente: «Il s'étoit laissé croître l'ongle du petit doigt de la gauche jusqu'à une grandeur étonnante, ce qu'il trouvoit le plus galant du monde.» Cette mode venoit sans doute de ce qu'il falloit gratter avec l'ongle, et non pas frapper, à la porte de la chambre du roi, pour annoncer qu'on désiroit entrer. Porter l'ongle long, c'étoit donc montrer indirectement qu'on étoit reçu chez Sa Majesté. Par flatterie, on grattoit aussi chez les gens les plus puissants. Tallemant, voulant donner une preuve du crédit de Desnoyers lorsqu'il mourut, dit: «On grattoit déjà à sa porte comme à celle du cardinal.» (Edit. in-12, t. 3, p. 78.)
93: C'étoit souvent alors le métier des pauvres diables d'auteurs ou de prêtres. V. dans notre tome 2, p. 79, le Factum du procez de messire Jean contre dame Renée.
94: C'est Lucien qui nous donne ce détail dans sa satire contre un ignorant qui faisoit une bibliothèque: «Mais pourquoi, dit-il, te rapporter les exemples d'Orphée et de Neanthus? De notre temps, il s'est trouvé un homme, et il est encore en vie, qui a acheté la lampe de terre d'Epictète trois mille drachmes: car il espéroit qu'en lisant les nuits à la lueur de cette lampe, la sagesse d'Epictète viendroit incontinent à lui pendant son sommeil, et qu'il deviendroit tout semblable à ce merveilleux vieillard.» Lucien parle encore du collectionneur qui acheta le bâton de Protée le cynique moyennant un talent (5,500 fr. à peu près). De notre temps, la canne de Voltaire, je dis la vraie, n'auroit pas été à la moitié de ce prix.
95: Ce sont les fragments mêmes d'un livre d'Erasistrate qu'Aulu-Gelle cite à ce sujet. (Noctes atticæ, lib. 16, cap. 3.)
96: C'est-à-dire de grosse toile, comme celle dont les paysans et les maçons avoient des habits. (Dict. de Trévoux.) Ce mot est mis ici par ironie, à cause de sa ressemblance avec celui de trélis, fine étoffe depuis très long-temps célèbre. (V. Fr. Michel, Recherches sur les étoffes de soie, t. 1, p. 115), et dont on fait encore l'habillement de jambe des gens à la mode:
Puis le bas de trélis honnête
Lui fait la jambe encor mieux faite.
(Vers à la Fronde sur la mode des hommes, 1650, in-4.)
97: C'est à Ratisbonne que se tenoient alors les diètes de l'Empire, à cause de la commodité qu'avoient les princes allemands d'y faire venir de leurs Etats des vivres à peu de frais.
98: C'étoit une étoffe de soie à longs poils dont on doubloit les manteaux.
99: C'est un des noms donnés à Montmaur dans l'une des nombreuses satires dont Sallengre a publié le recueil.
100: Nous avons vu Turlupin le souffreteux presque réduit à la même extrémité (V. t. 6, p. 62).
101: Cormier étoit l'un des fameux opérateurs du Pont-Neuf, l'une des célébrités populaires du Paris de la Fronde, époque badaude s'il en fut. Il est parlé de lui dans l'Agréable récit des barricades, dans le Ministre d'Etat flambé (1649, in-4), où il est mis au nombre des gens que les événements avoient ruinés:
Sur le Pont-Neuf, Cormier en vain
Plaint sa gibecière engagée.
Une autre mazarinade de la même année le met en scène: Les entretiens du sieur Cormier avec le sieur La Fleur, dit le Poitevin, sur les affaires du temps. Enfin, tout me porte à croire que c'est de lui qu'il est aussi question dans les Mémoires de Daniel de Cosnac (t. 1, 127-128), au sujet d'une querelle de préférence que Molière eut à soutenir pour être admis à jouer au château de la Grange, près de Pézenas, devant M. le prince de Conti. Cormier est en effet le nom du directeur dont on opposoit la troupe à la sienne. Or, notre opérateur devoit en avoir une. Tous ceux de son métier, surtout s'ils avoient sa célébrité et son importance, n'y manquoient pas alors. On le sait par l'Histoire de Barry, que le fils de ce grand charlatan a écrite à la suite du rarissime petit volume le Voyage de Guibray, etc., p. 146 et suiv.: «Mon père, dit-il, étoit à ces belles foires avec une troupe d'acteurs et d'actrices si excellents et si bien faits qu'on ne pouvoit les voir sans admiration... Il avoit les plus belles femmes de l'Europe et le plus magnifique théâtre qui fut jamais, soit pour les acteurs, soit pour les riches décorations qu'il avoit apportées de Venise.» Plus loin, il parle aussi du théâtre d'un autre illustre charlatan, de Mondor, qui avoit, dit-il, «fait le dessein de venir passer l'hiver à Rouen avec les débris de sa troupe, dont on avoit enlevé presque tout ce qu'il y avoit de bon pour l'hôtel de Bourgogne... La comédie, ajoute-t-il, n'étoit pas sur le pied qu'elle est aujourd'hui; les comédiens et les opérateurs vivoient amis et se voyoient très familièrement, comme gens qui avoient une très grande relation.» Cela dit, il ne vous semblera plus étonnant que Cormier eût, comme Barry, comme Mondor, une belle troupe, avec laquelle, lorsqu'il désertoit Paris, à l'exemple encore de ces grands opérateurs, il faisoit des caravanes par les provinces; et il vous paroîtra très vraisemblable que, dans une de ses courses à travers le midi, il ait pu se rencontrer avec Molière. Voici maintenant ce qui arriva lors de cette rencontre, où le grand comique, à ses commencements, faillit être obligé de céder le pas à un arracheur de dents, comme peu auparavant, à Nantes, il avoit vu pâlir son succès devant celui des marionnettes du Vénitien Segalla! (A. Guépin, Hist. de Nantes, p. 317.) Dans le récit de l'abbé de Cosnac, qui seul a parlé du fait, Cormier n'est que nommé, et personne ne s'étoit encore occupé de savoir qui il pouvoit être. «J'appris, dit l'abbé, que la troupe de Molière et de la Béjart étoit en Languedoc; je leur mandai qu'ils vinssent à La Grange. Pendant que cette troupe se disposoit à venir sur mes ordres, il en arriva une autre à Pézenas, qui étoit celle de Cormier. L'impatience naturelle de M. le prince de Conti et les présents que fit cette dernière troupe à Mme de Calvimont engagèrent à les retenir. Lorsque je voulus représenter à M. le prince de Conti que je m'étois engagé à Molière sur parole, il me répondit qu'il s'étoit depuis long-temps engagé à la troupe de Cormier, et qu'il étoit plus juste que je manquasse à ma parole que lui à la sienne. Cependant Molière arriva, et, ayant demandé qu'on lui payât au moins les frais qu'on lui avoit fait faire pour venir, je ne pus jamais l'obtenir, quoiqu'il y eût beaucoup de justice; mais M. le prince de Conti avoit trouvé bon de s'opiniâtrer à cette bagatelle. Ce mauvais procédé me touchant de dépit, je résolus de les faire monter sur le théâtre à Pézenas et de leur donner mille écus de mon argent plutôt que de leur manquer de parole. Comme ils étoient prêts de jouer à la ville, M. le prince de Conti, un peu piqué d'honneur par ma manière d'agir, et pressé par Sarazin, que j'avois intéressé à me servir, accorda qu'ils viendroient jouer une fois sur le théâtre de La Grange. Cette troupe ne réussit pas, dans sa première représentation, au gré de Mme de Calvimont, ni par conséquent au gré de M. le prince de Conti, quoiqu'au jugement de tout le reste des auditeurs elle surpassât infiniment la troupe de Cormier, soit par la bonté des acteurs, soit par la magnificence des habits. Peu de jours après, ils représentèrent encore, et Sarazin, à force de prôner leurs louanges, fit avouer à M. le prince de Conti qu'il falloit retenir la troupe de Molière, à l'exclusion de celle de Cormier. Il les avoit suivis et soutenus dans le commencement à cause de moi; mais alors, étant devenu amoureux de la Du Parc, il songea à se servir lui-même. Il gagna Mme de Calvimont, et non seulement il fit congédier la troupe de Cormier, mais il fit donner pension à celle de Molière.» M. Sainte-Beuve (Causeries du lundi, t. 6, p. 240) a écrit avec raison qu'après «ce passage, qui nous touche par la destinée du grand homme qui y est mis en jeu et s'y agite si indifféremment, on se sent pénétré d'une amère pitié». Qu'eût-il dit s'il eût été amené à savoir que le chef de troupe qu'on faillit lui préférer n'étoit, comme je le crois, qu'un arracheur de dents!
102: C'est-à-dire s'il est pris. Le plus souvent cette locution s'employoit pour un homme marié. V. Oudin, Curiosités françoises.
103: On peut rapprocher de cet éloquent boniment, pour employer l'expression argotique en cours aujourd'hui, les discours que Sorel, dans le Francion (1673, in-12, p. 530 et 562), fait tenir sur le Pont-Neuf à un arracheur de dents et à un charlatan. C'est de la réclame de même force et de même style. Cette ressemblance et quelques autres détails de fait et de forme me donneroient presque à penser que cette histoire du poète Sibus pourroit bien être de Sorel.
104: Furetière, dans sa satire les Poètes, parle aussi des procédés de ces mendiants à la dédicace:
Il espéroit tirer cent écus du libraire,
Et vendre cent louis l'epistre liminaire,
Prenant pour protecteur quelqu'orgueilleux faquin
Qui payroit chèrement l'or et le maroquin.
105: C'est justement la manœuvre que M. Scribe a renouvelée dans son Charlatanisme pour faire vendre le livre de son intéressant médecin, le docteur Rémy.
106: C'est sans doute le lieu, voisin du Pont-Neuf, où se tenoit le charlatan qui vendoit la drogue fameuse dont nous avons déjà parlé dans une note de notre édition du Roman bourgeois (p. 106), et qui lui devoit son surnom. L'Orviétan est souvent rappelé dans les Mazarinades; il y est même mis en scène, témoin les Sanglots de l'Orviétan sur l'absence du cardinal Mazarin et son adieu, en vers burlesques, 1649, in-4; Dialogue de Jodelet et de l'Orviatan (sic) sur les affaires de ce temps, 1649, in-4.—Je dois à une obligeante communication de M. J. Ravenel de savoir le véritable nom de cet homme célèbre. Voici la mention qu'il a trouvée à l'Hôtel-de-Ville, dans les registres de la paroisse de Saint-Jacques-du-Haut-Pas: «Christophe Contugi, dit de Lorvietan (il signe Lorvietano), temoin (4 janvier 1652) au mariage de Jean-Baptiste Valeri et Catherine Marcovis.»
107: Tragédie de Tristan Lhermite, qui, jouée en 1636, balança le succès du Cid (Histoire du théâtre français, t. 5, p. 191). Mondory jouoit le rôle d'Hérode, qui lui coûta bon, comme dit Tallemant, «car, comme il avoit l'imagination forte, dans le moment il croyoit quasi être ce qu'il representoit, et il lui tomba, en jouant ce rôle, une apoplexie sur la langue qui l'a empêché de jouer depuis.» (Edit. in-12, t. 10, p. 45.)
108: Tragédie de du Ryer, jouée en 1639. C'est là que M. le duc de La Rochefoucauld prit les deux vers dont il fit la devise de son amour pour Mme de Longueville:
Pour obtenir un bien si grand, si précieux,
J'ai fait la guerre aux rois, je l'aurois faite aux dieux.
109: C'est la tragédie de Corneille, jouée en 1647.
110: Comédie de Desmarets, représentée en 1637 avec un immense succès. On l'appeloit l'inimitable comédie.
111: On sait que c'est l'exclamation de Chimène, dans le Cid:
Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau:
La moitié de ma vie a mis l'autre au tombeau.
112: C'est la tragédie de Rotrou, jouée en 1643, imprimée l'année suivante, Paris, Anthoine de Sommaville, in-8.
113: Ce vers est en a parte dans la scène 2 du 1er acte.
114: Tragi-comédie de Gabriel Gilbert, imprimée en 1642, puis réimprimée plus tard sous le titre de Philoclée et Téléphonte. «Cette pièce, où Richelieu déposa quelques pensées et quelques vers, fut jouée par les deux troupes royales.» (Catal. Soleinne, t. 1, p. 265.) La Chapelle en reprit le sujet en 1682, et en tira une tragédie qui eut quelque succès.
115: C'étoit l'opinion de La Fontaine, et l'on sait comment un jour, au milieu même d'une discussion à ce sujet, Boileau lui prouva par un argument ad hominem la vraisemblance des a parte. (V. Walckenaer, Histoire de la vie et des ouvrages de J. de La Fontaine, 1re édit., p. 78-79.)
116: Ces dénoûments étoient de tradition antique. Il est rare que les pièces de Térence ou de Plaute finissent autrement.
117: «Qui cuide estre plus qu'il n'est, dit Nicot, qui a trop grande opinion de soi.» Montaigne l'a employé dans une phrase où, comme le remarque Coste, il avoit mis vain dans la première édition. C'est établir au mieux la synonymie très prochaine de ces deux mots.
118: C'est, comme vous savez, le beau mouvement de la 1re scène du 5e acte du Cid.
119: C'est parodier sans bonne foi l'admirable vers de cette même pièce:
Sors vainqueur d'un combat dont Chimène est le prix.
120: Huet, dans son traité de l'Origine des romans, a aussi employé ce mot, en même temps que celui de romancier.
121: C'est le roman en 10 vol. de La Calprenède. Son grand succès avoit commencé en 1642.
122: C'est le roman satirique décoché par Sorel contre les ridicules de l'Astrée et autres pastorales prétentieuses. L'éloge qu'on en fait ici me confirme dans l'opinion que Sorel pourroit bien être l'auteur de cette Histoire de Sibus. On n'est jamais si bien loué que par soi-même. Et qui alors auroit loué Sorel, si ce n'est Sorel?
123: Typhon, ou la Gigantomachie, poème burlesque de Scarron.
124: Ici Mamurin est bien Montmaur. Ces apophthegmes ne se trouvent pas dans le recueil de Sallengre, Histoire de P. de Montmaur.
125: C'est-à-dire une série de sommaires commençant par ce mot comme. C'étoit un des procédés adoptés dans les ouvrages burlesques en prose. Sarrazin l'a employé pour la Pompe funèbre de Voiture. On en trouvera un exemple plus loin.
126: On a raconté cette anecdote de beaucoup d'autres et avant Colomb. V. notre petit livre l'Esprit dans l'histoire, p. 10, note.
127: Ce qui va suivre rentre dans la catégorie des Bibliothèques imaginaires, et il se pourroit que Furetière s'en fût inspiré pour le Catalogue des livres de Mytophylacte (Roman bourgeois, édit. elzev., p. 312).
128: Fameux stoïque, trop fidèle aux doctrines de sa secte pour tomber dans cette mendicité des dédicaces.
129: L'Aventurier Buscon, histoire facetieuse, et le Chevalier de l'Epargne, traduit de l'espagnol de Francisco Quevedo (par de la Geneste). Paris, P. Billaine, 1633, in-8.
130: C'est ainsi qu'on disoit alors. V. Fr. Michel, Etudes de philologie comparée sur l'argot, p. 107-108.—Pour les fameux de l'ordre, il y avoit même un titre plus élevé; on disoit un marquis de l'industrie. Le 25 janvier 1698 le Théâtre-François joua une pièce sous ce titre.
131: On peut lire sur Rangouze un intéressant chapitre des Essais de littérature de l'abbé Trigaud (1703, in-12, t. 2, p. 72), et sur ses procédés louangeurs une bonne note de la Bibliographie des mazarinades, par M. Moreau (t. 1, p. 421). C'est Tallemant surtout qui nous édifie au mieux sur les mille subtilités de son négoce et sur les profits qu'il y fit: «Il n'en a plus montré, dit-il en parlant de ses Lettres, que celles qu'il a écrites en son nom à toutes les personnes de l'un et l'autre sexe qui pouvoient lui donner quelque paraguante; il en fit un volume imprimé de ces nouveaux caractères qui imitent la lettre bastarde, et, par subtilité digne d'un gascon, il ne fit point mettre de chiffre aux pages, afin que, quand il presentoit son livre à quelqu'un, son livre commençant toujours par la lettre qui estoit addressée à celui à qui il le presentoit, car il change les feuillets comme il veut en le faisant relier. Vous ne sçauriez croire combien cela luy a vallu. Il y a dix ans qu'il advoua à un de ses amys qu'il y avoit gaigné quinze mille livres, qu'il employa fort bien en son pays, car je crois qu'il a famille; depuis, il a toujours continué. Le comte de Saint-Aignan lui donna cinquante pistoles.» (Edit. P. Paris, t. 5, p. 2.)—On peut se convaincre de la vérité de ce que dit Tallemant par l'examen de quelques exemplaires du recueil de Rangouze. V., sur ses dédicaces, le Roman comique, édit. V. Fournel, Biblioth. elzev., t. 1, p. 253.
132: Ces dons d'habits plus ou moins complets étoient fort bien de mise en ce temps-là. Les comédiens, qui ne s'affubloient guère qu'avec des défroques prises à la friperie, comme dit Tallemant aux premières lignes de l'Historiette de Mondory, s'en accommodoient mieux que personne. L'Eslite des bons vers, choisis dans les ouvrages des plus excellents poëtes de ce temps (Cardin Besongne, 1653, 2e partie, Recueil de diverses poésies, p. 15), contient des «stances adressées au duc de Guise sur les presents qu'il avoit faits de ses habits aux comediens de toutes les troupes». Parmi les comédiens nommés se trouvent Beys, la Béjart et Molière.
133: Ce may des imprimeurs étoit un placard en vers, assez maigrement payé sans doute à quelque rimeur famélique, comme Sibus, et que les membres de la corporation affichoient dans leur boutique, auprès du rameau de verdure détaché du mai annuel et votif de la confrérie. A Lyon, l'arbre consacré étoit planté devant la porte du gouverneur. On connoît les vers que Clément Marot fit pour le may de 1529, en l'honneur de Théodore de Trivulce, alors gouverneur de Lyon. V. Delandine, De la milice et garde bourgeoise de Lyon, 1767, in-4; Œuvres de Marot, édit. Longlet Dufresnoy, in-12, t. 3, p. 36.
134: C'est-à-dire la balance à mettre les sonnets, pour voir s'ils avoient le poids, comme les pistoles bien trébuchantes dont parle l'Harpagon de Molière.
135: Le patagon ou patacon étoit une monnoie d'argent en cours en Espagne, et de la valeur d'une once. De là vient, selon M. Francisque Michel, l'origine de la locution populaire sur la poudre de patagon, qui fait courir les filles après les garçons. (Etudes de philologie comparée sur l'argot, p. 314.)
136: Cette pièce, à en croire le P. Le Long, est de du Haillan. Rien ne répugne à cette opinion. On retrouve en effet dans les pensées et dans le style, avec plus de concision toutefois et plus de logique, les procédés de l'historiographe de Charles IX et de Henri III. Du Haillan d'ailleurs étoit de Bordeaux, et c'est ce qui expliqueroit pourquoi c'est dans cette ville que parut la première édition de son Discours, qui ne fut réimprimé à Paris que huit ans plus tard, c'est-à-dire en 1594. Le titre de cette édition parisienne, donnée par P. L'Huillier, pet. in-8, porte 1574, mais à tort: car le Discours de Jean Bodin, dont l'auteur de celui-ci déclare s'être inspiré, n'avoit paru qu'en 1578, c'est-à-dire l'année même où l'extrême cherté de toutes choses avoit ému le gouvernement et lui avoit donné l'idée de réunir, afin d'y aviser, tous les notables du commerce, de la bourgeoisie et de la magistrature. Ces assemblées, sortes d'états généraux de l'économie politique, comme l'a fort bien dit M. Paul Lacroix dans un récent et remarquable travail sur cette matière (Rev. contemporaine, 31 déc. 1856), se tinrent à Sain-Germain-des-Prés. Elles n'aboutirent à rien, sinon à faire prouver, en paradoxes, par les gens du roi, les sieurs de Malestroit et François Garrault, sieur de Gorges, «que rien n'estoit enchery depuis trois cents ans». Les gouvernements sont toujours les mêmes: dire que le mal n'existe pas, voire le faire prouver, au besoin, leur paroît plus facile que d'y remédier. Le meilleur avis qui fut donné étoit, comme toujours, de ceux qu'on ne demandoit pas: c'est celui de Jean Bodin. De lui-même, et un peu à l'instigation du duc d'Alençon, frère du roi, qui, là comme partout, ne cherchoit qu'à jouer un rôle d'opposition, Bodin eut à cœur de dire leur fait à M. de Malestroit et à ses paradoxes, comme ledit sieur intituloit lui-même sa façon de penser, tant il la savoit opposée à la manière de voir de tout le monde, autant dire au sens commun. De là l'origine du Discours de Bodin, dont, encore une fois, celui de du Haillan n'est qu'une sorte de résumé venu après coup, mais non pas inutilement toutefois. En 1586, en effet, le mal avoit empiré, et, à défaut de Jean Bodin lui-même, alors perdu dans la Démonomanie, il falloit bien que quelqu'un reprît sa thèse. M. P. Lacroix, dans l'article cité plus haut, pense (p. 361) que l'auteur qui se cache ici pourroit bien être Michel Montaigne. Il est vrai qu'il n'insiste pas. Cette idée lui étoit venue sans doute en voyant que Bordeaux étoit le lieu de première publication. Mais nous avons dit que cette particularité s'explique fort bien pour du Haillan.
137: Pour tout ce qui suit, Bodin donne les mêmes chiffres (Discours de Jean Bodin sur le rehaussement et diminution des monnoyes tant d'or que d'argent, et le moyen d'y remédier; et responce aux paradoxes de M. de Malestroict. Paris, 1578, in-8, sans pagination); seulement, non plus que du Haillan, il ne complète pas la comparaison en disant à quel prix les choses se payoient de son temps. Tout le monde le savoit si bien qu'il croyoit oiseux d'en donner le détail. Nous allons tâcher de remplir cette lacune, en ne nous éloignant que le moins possible de l'époque dont il est question.
138: En 1567, jugez de l'augmentation: elle se vendoit 5 sols, et cela d'après l'ordonnance donnée cette année-là, le 4 février, et relative à la police générale du royaume, chap. pour la volaille.
139: Dans l'ordonnance de février 1567, le prix de la perdrix est marqué à 5 sols.
140: En 1601, d'après l'Essai sur les monnoies, par Dupré de Saint-Maur, un mouton se vendoit 4 livres.
141: Un porc, d'après un livre de 1582, le Miroir des François, par de Montaud, chap. Taux des vivres, se vendoit 15 livres vers l'époque dont il s'agit.
142: Loysel dit que de son temps, c'est-à-dire toujours à l'époque dont il est question, le setier de froment, mesure de Paris, se vendoit 5 livres 12 sols. Voy., dans ses opuscules, Remontrances à M. Dupin sur les magasins de blé.
143: En 1577, le botteau ou la botte de foin se vendoit dix fois autant. L'ordonnance donnée cette année-là, le 21 novembre, sur la police générale, marque, au chapitre Police pour le foin, que la botte se payoit 1 sol.
144: En 1582, d'après de Montaud (Miroir des François, chap. Taux des vivres), le prix du muids de vin, mesure de Paris, étoit de 12 livres.
145: En 1600, d'après Dupré de Saint-Maur, Essai sur les monnoies, elle étoit de 5 sols.
146: Nous ne savons quel étoit alors le prix de l'oie, mais, d'après de Montaud (Ibid.), celui du dindon étoit de 20 sous en 1582.
147: Lapin. D'après l'ordonnance de février 1567 sur la police des tavernes et cabarets, le prix du connil de garenne est marqué à six sous, et celui du connil de clapier à trois.
148: On sait qu'au moyen âge on servoit sur les tables des paons rôtis.
149: En 1567, le gros ramier se vend trois sols, et le bizet vingt deniers. Ce sont les prix de l'ordonnance du mois de février.
150: D'après le Reglement du prevost de Paris donné le 17 octobre 1601, on payoit 45 livres de gages au premier valet de charrue, 25 livres aux autres valets, 12 livres à la ménagère, 36 au maître berger.
151: L'altération des monnoies étoit aussi alors un des grands sujets de plainte. Jean Bodin, qui veut entre autres choses qu'on réduise «toutes les monnoies à trois sortes et au plus haut titre qu'il sera possible», s'occupe longuement de cette question. Elle est abordée avec plus de détail et de compétence encore dans le Traicté et advis sur les poincts controversez au faict des monnoyes (par François Le Bogue, advocat général du roy en la Cour des monnoyes). Paris (1600), in-8. On y trouve, p. 12-14, un chapitre des Pieces fausses et altérées. Les monnoies du cardinal de Bourbon, ayant, dit l'auteur, «l'effigie et legende d'un roi imaginaire», sont du nombre. Elles avoient cours, «à notre grande confusion», dit Le Bogue, et, à ce qu'il paroît, en grand nombre.
152: La plupart des détails qui suivent se trouvent aussi dans le Discours de Jean Bodin, mais avec moins d'étendue. Du Haillan, contre son ordinaire, développe au lieu de résumer. Il s'agit de faits historiques, et l'historiographe, s'y laissant prendre, bavarde malgré lui.
153: Du Haillan s'inspire ici directement et presque textuellement de Jean Bodin, qui voit, lui aussi, dans l'abondance de l'or circulant alors en France, une des grandes raisons du renchérissement général, la cause «principale et presque seule, que, dit-il, personne jusques icy n'a touchée»... M. H. Baudrillart (J. Bodin et son temps, Paris, 1853, in-8, p. 169) loue en cela la sagacité de ses appréciations et la portée de ses vues. M. Paul Lacroix, qui ne peut nier que, sous le rapport de l'accroissement du numéraire, cette période du XVIe siècle ressemble beaucoup à notre époque inondée par l'or de la Californie et de l'Australie, trouve aussi beaucoup de justesse dans le raisonnement de Bodin, dans les expédients qu'il propose, lesquels, dit M. Lacroix, «l'économie politique du XIXe siècle ne sauroit repousser ni dédaigner complétement». (Revue contemporaine, 31 déc. 1856, p. 357.)
154: Bodin parle ainsi du monopole organisé en véritable conspiration contre l'acheteur, et qu'il propose d'anéantir, comme le vouloit le chancelier Poyet, par le retranchement des confréries: «Rien, dit-il, n'est aussi considerable comme occasion de cherté que les monopoles des marchands, artisans et gaigne-deniers; lorsqu'ils s'assemblent pour asseoir le pris des marchandises ou pour encherir leurs journées et ouvrages, et parceque telles assemblées se couvrent ordinairement du voile de religion, le chancelier Poyet avoit sagement advisé qu'on devoit oster et retrancher les confrairies, ce qui a esté confirmé à la requeste des Estats d'Orléans, tellement qu'il n'y a point faute de bonnes loix.» Seulement il faudroit les exécuter. Bodin ne le dit pas, mais ce n'est pas faute de le penser. Du Haillan reviendra plus loin lui-même sur cette idée de supprimer les confrairies.
155: Encore une idée de Bodin. Il en vient à dire qu'en raison des dégâts de la traitte qui fait passer en Espagne et en Flandre tout le blé françois, on doit presque souhaiter d'avoir la guerre avec les Espagnols; tant qu'elle dure, en effet, le grain ne sort pas de France et le pain est à meilleur marché. Il s'explique ainsi sur l'avidité des Espagnols et des Portugais à se jeter sur nos grains, leurs terres étant presque toutes incultes, à cause des expéditions d'outre-mer, qui enlevoient tous les bras disponibles: «Or, dit-il, il est certain que le blé n'est pas si tost en grain que l'Espagnol ne l'emporte, d'autant que l'Espagne, hormis l'Aragon et la Grenade, est fort sterile, joint la paresse qui est naturelle au peuple, comme j'ay dit, tellement qu'en Portugal les marchands blattiers ont tous les priviléges qu'il est possible, et, entr'autres, il est défendu de prendre prisonnier quiconque porte du blé à vendre, autrement le peuple accableroit le sergent, pourvu que celuy qui porte le blé dise tout haut: Traho trigo, c'est-à-dire je porte du blé.»
156: J. Bodin parle aussi du goût croissant pour les tableaux et du haut prix qu'on y mettoit: «Nous en avons, dit-il, de Michel-Ange, Raphaël Durbin, de Durel (Durer), et, sans aller plus loing, un de M. de Clagny (P. Lescot) en la galerie de Fontaine-Beleau, qui est un chef-d'œuvre admirable que plusieurs ont parangonné aux tableaux d'Appelles... C'est donc, en partie, ajoute-t-il, le plaisir des grands seigneurs qui fait les choses enchérir.»
157: Du Haillan, remarquez-le, écrit en 1586; or, en 1578, Malestroit se plaignoit de même, ce qui prouve qu'alors les années se suivoient et se ressembloient, c'est-à-dire étoient toutes désastreuses. Selon Malestroit, l'année 1578 avoit été tellement mauvaise qu'il eût été injuste d'évaluer d'après elle le prix courant des denrées. «Pour en faire le compte, dit-il, parlant des marchandises qui sont plus périssables, comme bled, vins, etc., il n'est pas raisonnable de nous fonder sur cette année, qui est la plus estrange et irregulière qui ait, par aventure, jamais été vue en France, que les bleds et vins ont esté quasi tous perdus, voire le bois des vignes et les noyers gelez.» (Les paradoxes du seigneur de Malestroict, conseiller du roy et maistre ordinaire de ses comptes, sur le faict des monnoyes, presentez à Sa Majesté au moys de mars MD. LXXVI. Paris, 1578, in-8, sans pagination.)
158: Aujourd'hui l'on diroit le cœur. Léon Trippault, dans ses Antiquités d'Orléans, se sert de la même expression pour la ville dont il parle, quand il dit qu'elle est le nombril de Loyre.
159: Ce commerce d'échange se faisoit surtout pour les menus objets. A Rome, les petits marchands d'allumettes ne demandoient pas d'argent, mais seulement du verre cassé. V. Juvenal, sat. 5, v. 47; Stace, Sylves, liv. 1, sylv. 6, v. 72. A Paris, au moyen âge, le pain se vendoit comme monnoie courante: on le voit par les Crieries de Guillaume de Villeneuve. A Londres, on entendoit partout crier: L'eau pour le pain; les fagots pour le pain; l'aiguille pour le vieux fer; des balais pour de vieux souliers (Old shoes for some broom)!
160: Aussi ces mines, comme la plupart de celles de l'Europe, avoient-elles été abandonnées. V. Monteil, Hist. des François des divers états, édit. Lecou, XVIe siècle, p. 257, et aux notes, p. 73-74.
161: Sur la richesse de ce commerce en France, voy. notre t. 3, p. 3, note.
162: Le meilleur venoit de France, surtout d'Angoulême. C'est là que les Elzeviers se fournissoient. Jusqu'au 18e siècle l'Angleterre s'approvisionnoit encore chez nous. V., sur la cherté du papier dans ce pays à cette époque, Le pour et le contre, de l'abbé Prevost, t. 1, p. 323.
163: Sur cette précieuse monnoie, dont on attribuoit la fabrication à Raymond Lulle, V. la Notice de M. de Lécluze sur cet alchimiste, p. 28, et le Rabelais, édit. Variorum, t. 2, p. 344.
164: Bodin dit la même chose: «Cela fait, écrit-il, que l'Anglois, le Flameng et l'Ecossois, qui font grande trafique de poissons salez, chargent bien souvent de sables leurs vaisseaux, à faute de marchandises, pour venir acheter notre sel à beaux deniers comptant.»
165: Ce mot étoit alors du féminin. La citation donnée dans la note précédente en est un exemple. On lit aussi dans Des Periers (conte XI): «Une jeune femme... fut mariée à un marchand d'assez bonne traficque.»
166: Sur l'importance et l'étendue de notre commerce d'exportation à cette époque, voyez plusieurs pages très curieuses de la Galerie philosophique du XVIe siècle, par de Mayer, t. 2, p. 323-326. V. aussi le Discours de Bodin.
167: C'étoit un mot importé d'Espagne depuis quelque cinquante ans. Dans le Moyen de parvenir, il est parlé du conte de Madame des Manigances, édit. 1757, t. 1, p. 130. «Le mot manganilla (intrigue, tour d'adresse), mot à peu près perdu en Espagne aujourd'hui, dit M. Philarète Chasles, devient manigance et se conserve parmi nous.»
168: Ceci est pris à peu près textuellement dans le Discours de Bodin. Dans le Traicté et advis de François de Bogue, p. 43, il est aussi parlé de ces monnoies qu'on peut appeler de nécessité: «Les princes, dit-il, se sont servi, pour la fabrication de leurs monnoies, de matière vile et de peu de valeur, comme de cuyvre-cuir dont parle Senèque, et comme il fut fabriqué par Frideric, qui la retira par après, plomb et papier, comme il se veoit en quelques autheurs.»
169: C'est le cardinal de Tournon qui, en 1543, à son retour d'Italie, avoit conçu le projet de cette banque. François Ier l'adopta et, sur le conseil du cardinal, ouvrit l'emprunt à huit pour cent. (De Mayer, Galerie philosophique, t. 1, p. 144.) On ne s'en tint pas là. «Le roy François Ier, dit Bodin, commença à prendre l'argent à huict, et son successeur à dix, puis à seize, et jusques à vingt pour cent, pour sa nécessité.» Jugez dès lors de l'empressement des Italiens à venir verser leur argent dans cette caisse, par préférence à toute autre.
170: Les rentes constituées sur la ville de Paris montoient alors, selon Bodin, à trois millions trois cent cinquante mille livres tous les ans.
171: Mêmes réflexions dans le discours de J. Bodin, mais appuyées d'exemples: «Vray est, dit-il, avec une sûreté de raison dont du Haillan n'a fait que s'inspirer et qui seroit bonne encore à écouter aujourd'hui, vray est que les ars mecaniques et la marchandise auroient bien plus grand cours, à mon advis, sans être diminués par la traficque d'argent qu'on fait; et la ville seroit beaucoup plus riche si on faisoit comme à Gênes, où la maison Saint-Georges prend l'argent, de tous ceux qui en veulent apporter, au denier vingt, et le baille aux marchands, pour trafiquer, au denier douze ou quinze, qui est un moyen qui a causé la grandeur et richesse de cette ville-là, et qui me semble fort expedient pour le public et pour le particulier.»
172: Tout le passage qui suit est cité par de Mayer, dans la Galerie philosophique du XVIe siècle, t. 2, p. 162, mais sans indication de la source, ce qui embarrasse beaucoup les lecteurs de son livre très curieux.
173: Du Haillan est tout près de demander ici qu'on en revienne à l'édit somptuaire de Philippe-le-Bel, rappelé un peu plus tard, comme on sait, dans les Caquets de l'accouchée. V. notre édition, p. 12.
174: C'étoient les fameux cabaretiers du temps. Dans le Discours de Bodin, le More est seul cité; il étoit de tous le plus en vogue; L'Estoille en parle. Un peu plus tard il y eut le cabaret du Petit-More, où alloit Saint-Amand, et dont l'enseigne: Av peti Mavre, se voit encore au dessus d'un marchand de vin faisant le coin de la rue de Seine et de celle des Marais-Saint-Germain. Sur ces cabarets à gros écots, dont le prix ne fit qu'augmenter au 17e siècle, V. notre édit. des Caquets, p. 28, note, et notre t. 3, p. 318.
175: Le chancelier de L'Hospital en avoit pensé ainsi. Sa proscription s'étoit étendue jusqu'aux petits pâtés, jusqu'aux brioches et pains d'épices, qu'en 1568 il avoit défendu à toutes personnes de vendre en leurs maisons, par la ville et fauxbourgs de Paris. Au mois de janvier 1563, il avoit rendu un édit par lequel sont réglementées de la façon la plus sévère toutes les choses dont du Haillan déplore ici la prodigalité et l'abus. On voit par-là de quelle manière l'édit avoit été observé: «On a fait de beaux édits, mais ils ne servent de rien», dit Bodin dans son Discours, et c'est vrai là, comme partout à cette époque, la plus sagement réglée en théorie et la plus déréglée en pratique.
176: Plus tard on dit carrousse, faire carrousse; le premier mot se rapprochoit davantage de la racine allemande gar-auss (tout vidé). H. Etienne (Dialogue du nouveau langage françois italianizé) se moque de l'introduction de ce mot, auquel il donne l'orthographe qu'il a ici:
«Nous pouvons en certains cas, dit-il, non seulement italianizer, mais aussi hespagnolizer, voire germanizer; ou (si vous aimez mieux un autre mot) alemanizer, comme aussi nous faisons, et notamment en un mot qui est introduit depuis peu de temps. Phil. Quel mot? Celtoph. Carous. Car j'ay ouy dire souvente fois depuis mon retour faire carous; et quelquefois tout en un mot aussi carousser. Et n'est-ce pas la raison de retenir le mot propre des Allemands, puisque le mestier vient d'eux, comme aussi desjà nos ancestres avoient pris d'eux ce proverbe: Bon vin, bon cheval.»
177: Il en fut ainsi dans plusieurs parties de la France, à ce point que, la quantité de blé s'en trouvant trop diminuée, «quelques parlements, dit Lemontey (Histoire de la régence), ordonnèrent qu'on arrachât les vignes plantées depuis 1700.»
178: V., sur la mode des pavillons qui remplaça alors celle des tours rondes, du Cerceau, Des bastiments de la France, 1576, chap. Chambord.
179: Sur ces belles boiseries à cannelures et à moulures dont du Haillan a tort de médire ici, V. l'Architecture de Philibert Delorme, liv. 2, ch. 5.
180: Rabelais parle déjà lui-même de ces beaux faîtiers en plomb, avec ornements dorés. V. Gargantua, liv. 1, ch, 53, Comment feust bastie l'abbaye de Thelesmes.
181: Sur tout ce luxe de tapisseries, V. encore Rabelais, ibid., ch. 55; V. encore Antiquités de Paris, liv. 9, ch. Tapisseries.
182: On doroit alors déjà le bois des fauteuils, ou bien on l'argentoit. V. Description de l'isle des Hermaphrodites, au chap. Suite de la relation.
183: On faisoit alors des crêpes de soie d'or et d'argent, des satins rayés d'or, des velours à ramages d'or. V. Statuts des tissatiers, rubanniers, ouvriers en draps d'or, homologués par le roi, en août 1585, art. 26; v. aussi l'Ordonnance du roy pour le règlement et réformation de la dissolution et superfluité qui est ès habillements et ornements d'iceux, 24 mars 1583.
184: On diroit qu'il y a dans ce passage un souvenir de celui-ci, de Martin du Bellay, au sujet de la magnificence des seigneurs lors de l'entrevue de François Ier et de Henri VIII: «On nomma la dite assemblée le Camp du drap d'or..., tellement que plusieurs y portèrent leurs moulins, leurs forêts et leurs prez sur leurs espaules.» (Mémoires de sire Martin du Bellay, coll. Petitot, 1re série, t. 17, p. 286.) La même chose avoit été mise en farce, comme on le voit par le Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier, publié par M. Lud. Lalanne. On lit à la date du 24 avril 1515: «En ce temps, lorsque le roy estoit à Paris, y eust un prestre qui se faisoit appeler Monsr Cruche, grand fatiste, lequel, parce que un peu devant, avec plusieurs autres, avoit joué publiquement à la place Maubert, sur eschafaulx, certains jeux et novalitez, c'est assavoir sottye, sermon, moralité et farce, dont la moralité contenoit des seigneurs, qui portoient le drap d'or à Credo, et emportoient leurs terres sur leurs espaules, avec autres choses morales et bonnes remonstrations; et à la farce fut le dit Monsr Cruche, et avec ses complices, qui avoit une lanterne par laquelle voyoit toutes choses.» Maître Cruche se trouvoit déjà nommé dans les poésies de P. Grognet: De la louange et excellence des bons facteurs, mais on ne savoit ce qu'il avoit fait, et M. de Paulmy pensoit qu'il ne pouvoit avoir que son nom de remarquable. (Mélanges tirés d'une grande bibliothèque, t. 7, p. 61.)
185: Tous ces ornements sont les mêmes qui sont nommés dans l'édit de Henri III que nous avons cité plus haut.
186: Broderies, de l'italien ricamare. Les Nanni d'Udine avoient dû à leur habileté dans cette industrie le surnom de Recamatori. Le nom de Recamier en vient aussi sans doute. V. Fr. Michel, Recherches sur le commerce, la fabrication et l'usage des étoffes de soie, t. 2, p. 369.
187: Ceci est encore presque textuellement tiré du Discours de Jean Bodin.
188: Depuis Henri II jusqu'à l'époque où écrivoit du Haillan, il n'y avoit pas eu moins de dix règlements contre le luxe des habits. On voit à quoi ils avoient servi. En voici la date et les titres: 1o (12 juillet 1549) Itérative prohibition de ne porter habillement de drap d'or, d'argent et de soye, etc. Un an après, l'ordonnance étoit si mal exécutée que le Parlement étoit obligé d'en donner avis au roi par des Doutes... sur l'interprétation de l'ordonnance de 1549 sur la réformation des habillements. Ces Doutes portent la date du 17 octobre 1550.—2o (22 avril 1561) Règlement sur la modestie que doivent garder ès habillements tous les sujets du roy, tant de la noblesse, du clergé, que du peuple, avec défense aux marchands de vendre draps de soye à crédit à qui que ce soit.—3o (17 janvier 1563) Ordonnance du roy sur le reiglement des usaiges de draps, toilles, passements et broderies d'or, d'argent et soye, et autres habillements superfluz.—4o La même année, le même mois (21 janvier 1563), Défense d'enrichir les habillements d'aucuns boutons, plaques, grands fers ou esguillettes d'or et d'orfèvrerie, et prohibition du transport hors du royaume des laines qui ne sont mises en œuvre.—5o (janvier 1563) Ordonnance du roy sur le taux et imposition des soyes, florets et fillozelles entrant dans son royaulme, outre tout autre gabelle cy-devant ordonnée.—6o (10 avril 1563) Interprétation et ampliation de l'article onzième de l'ordonnance du 17 janvier 1563. Ici pourtant il ne s'agit pas d'une défense, mais au contraire d'une permission donnée aux femmes et filles des officiers royaux «qui sont damoyselles», pour qu'elles puissent porter «taffetas et samis de soye en robbes». Il est certain que ce commentaire de l'ordonnance fut mieux exécuté que l'ordonnance elle-même.—7o (25 avril 1573) Arrest de la Cour de Parlement, et lettres patentes du roy prohibitives à toutes personnes de porter sur eux en habillement n'autre ornement aucuns draps, ne toilles d'or et d'argent, profileures... et aussi de porter soye sur soye (excepté ceux auxquels il a pleu à Sa Majesté en réserver), avec defense aux bourgeois de changer leur estat.—8o (2 janvier 1574) Lettres patentes du roy à messieurs de la Cour de Parlement, leur enjoignant très expressément de faire garder et observer de poinct en poinct l'ordonnance faicte par Sa Majesté pour reprimer la supperfluité de ses sujets en leurs habits et accoustrements.—9o (juillet 1576) Declaration du roy sur le faict et reformation des habits, avec defense aux non nobles d'usurper le tiltre de noblesse et à leurs femmes de porter l'habit de damoyselle, sur les peines y contenues.—10o Enfin l'ordonnance du 24 mars 1583, dont nous avons déjà parlé.
189: C'étoit l'expression déjà consacrée. La banqueroute n'étoit que la conséquence de la faillite. Quand celle-ci étoit constante, par l'aveu même du marchand, qui s'étoit déclaré faillito, le banc qu'il avoit le droit d'avoir à la place du Change étoit rompu (banco rotto, banca rotta). «Ces glorieux de cour, dit Rabelais, les quels voulant en leurs divises signifier bancqueroupte, font pourtraire un banc rompu.»
190: V. une des notes précédentes.
191: Bodin entre dans quelques autres détails sur cette paresse des Espagnols, qui avoit si bien trouvé son compte dans la vie facile que lui faisoit l'or d'Amérique, et qui étoit cause qu'un grand nombre de nos travailleurs émigroient continuellement vers ses provinces. On y trouvoit tout à faire et au meilleur prix, «même le service et les œuvres de main», ce qui, dit Bodin, attire nos Auvergnats et Limosins en Espagne, comme j'ay seu d'eux-mêmes, par ce qu'ils gaignent le triple de ce qu'ils font en France: car l'Espagnol, riche, hautain et paresseux, vend sa peine bien cher, tesmoing Clénard, qui met en ses epistres, au chapitre de despense, en un seul article, pour faire sa barbe, en Portugal, quinze ducats par an.» Ce n'étoient pas seulement des Limosins et des Auvergnats dont l'émigration continuelle alimentoit l'Espagne de travailleurs. Le Gevaudan en fournissoit beaucoup, surtout pour les bas métiers, auxquels répugne la dignité castillane. De là le sens méprisant que les Espagnols ont donné au mot gavasche, qui est le nom de ces laborieux montagnards. V. le Lougueruana, p. 39; de Méry, Hist. des proverbes, t. 1, p. 306; Fr. Michel, Hist. des races maudites, t. 1, p. 346. Encore aujourd'hui l'Andalousie est pleine d'Auvergnats; ce sont eux surtout qui font le vin. Quand Olavidès établit dans la Sierra Morena, à la fin du 18e siècle, la petite colonie de la Caroline, c'est en partie avec des François qu'il la peupla.
192: V. une des premières notes.
193: Bodin dit la même chose, avec quelques détails de plus. Il est certain que Henri II n'aimoit pas le luxe des vêtements et le combattit autant qu'il put, surtout par son exemple. Lorsqu'on a écrit dans toutes les histoires de France qu'il fut le premier à porter des bas de soie, on a dit tout le contraire de la vérité. Il fut le seul de sa cour qui n'en voulut pas porter. V. notre livre L'esprit dans l'histoire, p. 152-53, note.
194: Par exemple, pour ne parler que de la taille, impôt dont le peuple étoit souvent grevé, il est certain que depuis Louis XII le chiffre en avoit triplé: de quatre millions il s'étoit élevé à douze. V. Guy Coquille, Hist. du Nivernois, au chapitre Assiette et naturel du Nivernois. De même pour la gabelle, dont on avoit trouvé moyen de faire un impôt fixe, comme la taille, en forçant les particuliers à manger ou à prendre une quantité de sel déterminée, ou tout au moins à payer comme s'ils le prenoient ou le mangeoient, ce dont Bodin se plaint fort dans sa République, liv. 6, ch. 2. V. aussi Journal de Henri III, 1er août 1581. Sur l'accroissement excessif des impôts à cette époque, on peut consulter avec fruit un livre paru en même temps que le Discours de du Haillan, c'est le Traité de taille, par Jean Combes; Poitiers, 1586.—Dans la première moitié du 17e siècle, les impôts augmentèrent dans une proportion encore plus sensible. On le voit par une très intéressante et très sérieuse mazarinade: La promenade ou les entretiens d'un gentilhomme de Normandie avec un bourgeois de Paris sur le mauvais ménage des finances; Paris, 1649, in-4.—Une élection qui, en 1628, payoit 40,000 livres pour les tailles, en payoit 200,000 en 1645 ou 1646. «Mais le roi, dit M. Moreau avec beaucoup de raison, n'en recevoit pas davantage.» (Bibliographie des mazarinades, t. 2, p. 384.) En effet, il ne falloit, en 1528, que 6,000 fr. de frais de perception, tandis qu'en 1646 «les traitants percevoient 50,000 livres pour les gages des officiers, qui ne les touchoient pas; puis 50,000 livres de non-valeurs, à cause de la pauvreté des paroisses; enfin 5 sous pour livre en payant le quart comptant et 50,000 livres en promesses à plusieurs termes. Les ministres traitoient de ces 50,000 livres avec des sous-fermiers à un tiers de remise. C'étoient des prête-nom.»
195: Du Haillan oublie, dans les causes de la misère publique, la mauvaise administration des finances. On diroit qu'il craint d'en parler. N. Froumenteau, dans son très curieux livre Le secret des finances de France descouvert et departi en trois livres, etc., paru à la même époque, n'avoit pas eu pareille retenue. Ses plaintes se font jour jusque dans l'Epistre au roy, en tête de son ouvrage. Il y montre les finances «merveilleusement altérées, et tout par faute de n'avoir été fermées sous une bonne et asseurée clef; car il y a, dit-il, des crochets de tous calibres: crochets tortus, crochets mignards, crochets prodigues, crochets subtils, crochets de femmes.»
196: Dans son livre Secret des finances, cité tout à l'heure, Froumenteau fait le compte des pertes de toutes sortes que fit la France pendant les guerres de religion: «36,300 preudhommes y ont été massacrés, dit-il; 1,200 femmes ou filles y ont été estranglées ou noyées; 650,000 soldats, tous naturels françois, y ont perdu la vie. Bref, cette litière est couverte de plus de 765,000 livres perdues, à l'entour de laquelle vous y voyez 12,300 femmes et filles violées; elle est esclairée de plus de 7,000 ou 8,000 maisons qui ont esté brûlées.»
197: Chichement. Pour donner du mot échars et de ses dérivés un exemple qui se rapporte aux faits contenus dans cette pièce, nous rappellerons qu'on se servoit du verbe écharser pour exprimer la diminution imposée au titre d'une pièce de monnoie. V. Ordonnances des rois de France, t. 2, p. 428.
198: Sur les dégâts commis par les gens de guerre dans les pays qu'ils étoient chargés de défendre, V. plusieurs pièces des tomes précédents, et, dans celui-ci, p. 77, note. V. aussi Journal de Henri III, édit. Petitot, p. 292, 293. «Les soldats en étoient venus à un tel degré d'insolence, dit l'ambassadeur vénitien Jérôme Lippomano, qu'ils prétendoient pouvoir vivre de pillage.» Relat. des ambassad. vénitiens (docum. inédits, t. 2, p. 380.)
199: V. l'une des notes précédentes, au sujet de la mesure prise par Poyet contre les confrairies. C'est aussi en haine de ces corporations engraissées par le monopole que parut l'ordonnance royale déclarant qu'un maître reçu à Paris pourroit exercer son métier dans toute la France. (Isambert, Anciennes lois françoises, t. 14, p. 399.)—«C'étoit presque affranchir l'industrie du monopole des corporations», dit M. Chéruel (Histoire de l'administration monarchique, etc., t. 1, p. 225).
200: Taxes.
201: Tout ce que du Haillan va dire sur la liberté du commerce: et l'utilité du libre échange est encore emprunté au Discours de Bodin, dont M. H. Baudrillart ne peut, en cela, trop louer la hardiesse et l'élévation des vues (J. Bodin et son temps, p. 176-177). Le système prohibitif, qui s'est si bien perpétué en France, y étoit nouveau alors. Il a pour vrai parrain chez nous le ministre de Charles IX, René de Birague, qui fut chancelier depuis la mort de Lhôpital jusqu'en 1578. Il importoit d'Italie ces idées qui sont aujourd'hui si difficiles à extirper de notre sol. «Il posa le premier en principe, dit M. Baudrillart, la double defense de faire sortir du pays les matières propres à la fabrication et d'y faire entrer les produits des manufactures étrangères.» (Id., p. 14.)
202: Du Haillan ne donne guère ici que le détail des choses que nous exportions alors en Angleterre, et dont on trouve le compte plus étendu et plus circonstancié dans la Galerie philosophique de de Mayer, t. 2, p. 323. Quelques unes des marchandises que l'Angleterre nous envoie aujourd'hui, couteaux, peignes, clincailleries (sic), figurent parmi celles que nous lui envoyions alors. On y trouve aussi des miroirs, du papier, comme nous l'avons déjà dit, des cartes. Ce dernier commerce, dont le centre étoit à Rouen, s'étendoit très loin. L'Espagne ne s'approvisionnoit que chez nous, pour elle et ses colonies. V. Archives curieuses, 2e série, t. 12, p. 230, année 1695.
203: Lisez fustet. C'est un arbre qui croît en Provence et en Languedoc, et dont la racine et l'écorce servent pour la teinture, tandis que les feuilles sont employées par les corroyeurs.
204: Sur l'abus du monopole des marchands de blé, dont il a déjà été parlé, V. notre t. 3, p. 316-317.
205: A la fin d'avril 1620, Louis XIII s'étoit mis en route pour aller jusqu'à Tours se réconcilier avec sa mère. A peine étoit-il à Orléans, que Luynes, qui le conduisoit, changea de pensée et le ramena brusquement à Paris; de là ce compliment poétique. Le départ avoit du reste soulevé bien des plaintes. V. notre édition des Caquets de l'Accouchée, p. 57, note 2.
206: C'étoit en effet l'usage, mais il commençoit à se perdre alors. Au XVe siècle, personne n'y manquoit, pas un amant surtout. On lit dans le Sermon joyeux auquel est contenu tous les maux que l'homme a en mariage, nouvellement composé à Paris:
Quand vient le premier jour de may
A son huys fault planter le may,
Et le premier jour de l'année
Faut-il qu'elle soit estrennée.
Cette coutume galante avoit fait créer le joli verbe émayoler, qui se trouve dans ces vers de Froissard:
Pour ce vous veux, Madame, émayoler.
En lieu de may, d'un loyal cœur que j'ay.
207: Pour tempes. V. plus haut, p. 15.
208: C'est le soudard Brabançon, rendu si fameux par le dicton populaire. Né dans la Gueldre, simple soldat de fortune, il étoit arrivé au commandement de l'armée bavaroise après la mort d'Aldringer, en 1634. Il n'y avoit pas de chef de bandes que l'on redoutât plus en France, aussi ce fut une véritable panique à Paris, lorsqu'on y sut, en 1636, que la prise de Corbie par les Espagnols venoit de lui ouvrir un libre passage jusqu'aux portes de la capitale. V. notre t. 5, p. 338, note. C'est alors que Scarron écrivoit au chant du Typhon:
On dit que quelques bons esprits
Ordonnèrent qu'on fît des grilles
Pour se garentir des soudrilles
Du redoutable Jean de Vert.
Deux ans après, les Parisiens prirent leur revanche de cette belle frayeur. Jean de Werth et le duc de Bernard de Weimar, qui commandoit pour la France, se rencontrèrent près de Rheinfeld. Il y eut deux actions. Dans la première, le 18 février, les François furent défaits; mais dans la seconde, cinq jours après, c'étoit le tour de Jean de Werth, qui fut complètement battu et fait prisonnier. Pour que les Parisiens n'en doutassent point, on le leur amena. C'est à Vincennes qu'il fut enfermé. Tout le monde l'alla voir, et beaucoup sans doute eurent des déconvenues pareilles à celle des curieux dont on raconte ici le voyage. Les chansons allèrent leur train, chacune ramenant à la fin des couplets le nom du chef qu'on avoit tant redouté, mais dont on se moquoit à présent qu'on ne le craignoit plus. De là le dicton: Je m'en moque comme de Jean de Werth. Lui cependant ne se moquoit pas moins des moqueurs. Il passoit ses journées en véritable Allemand, c'est-à-dire à boire, et, dit Bayle, «à prendre du tabac en poudre, en cordon et en fumée.» V. son Dictionnaire, art. Werth. On le garda jusqu'en 1642, et ces quatre ans, dit Mlle Lhéritier, l'une des dernières qui l'aient chansonné, furent appelés le Temps de Jean de Werth. V. Mercure galant, mai 1702, p. 77. A peine libre, il ne chercha qu'une revanche; il la trouva bientôt à Tudlingen, où, le 25 novembre, il aida vigoureusement Merci et le duc Charles à battre le maréchal de Rantzau.
209: Il ne s'agit pas ici du Cours la Reine, mais de celui qui se trouvoit bien loin de là, près de l'Arsenal, où il longeoit la Seine, puis en retour les fossés de la Bastille. Le mail, planté par Henri IV, et qui est devenu le quai Morland, en occupoit une partie, et le quai des Ormes en étoit le prolongement. Les carrosses s'y promenoient en revenant de Vincennes, comme au Cours la Reine en revenant du bois de Boulogne. Il fut abandonné lorsque, vers 1670, Louis XIV eut fait planter le Cours de la porte Saint-Antoine, aujourd'hui le boulevard Beaumarchais. V. Piganiol, t. 5, p. 33, 54, et G. Brice, édit. de 1752, t. 2, p. 242.—C'est de ce Cours, voisin de l'Arsenal, qu'il est parlé dans une pièce de cette époque, la Promenade du Cours à Paris, 1630, in 8. On y lit entre autres détails:
A voir du haut de la Bastille
Tant de carrosses à la fois,
Qui ne croiroit que quatre roys
Font leur entrée en ceste ville?...
Puis voici les reines qui viennent, et toutes les dames qui se démasquent et les saluent:
Amy, voicy venir les reines
Avec autant de majestez
Que toutes les divinitez,
Qui sortent du bois de Vincennes;
Il faut que tant d'astres errans
Qui paroissent dessus les rangs
Deviennent fixes à leur veue:
Il se faut descouvrir icy,
Que Cloris n'est-elle veneue!
Je la verrois sans masque aussy.
Ces ombrages autour de l'Arsenal faisoient dire à Cl. Le Petit dans son Paris ridicule:
Le sujet quadre-t-il au nom?
On y compte plus de mille arbres,
Et l'on n'y voit pas un canon.
210: Cette ordonnance est du 21 février 1565. Je ne sache pas qu'elle ait jamais été recueillie.
211: Sur la conduite des domestiques au XVIe et au XVIIe siècle, on peut lire avec fruit: De ceux qui servent à gages ès maisons des grands seigneurs et bourgeois, par Jean des Gouttes, Lyon, Fr. Juste, 1537, in-16; Flaminio et Colomana, ou Miroir de la fidélité des domestiques, par J. P. Camus, Lyon, 1626, in-12.
212: En 1628, ces sortes de livrets exigés des domestiques et des maîtres furent remplacés par d'autres formalités. On créa un bureau où tout serviteur devoit être enregistré et avoir son signalement; en 1690 ce bureau existoit encore dans la cour Lamoignon; toute personne venant à Paris pour exercer un métier devoit, aussi bien que les domestiques, aller s'y faire inscrire. (Hurtaut, Dict. histor. de la ville de Paris, t. 1, p. 701-702.) Il étoit défendu aux domestiques de rester hors de service. La fille de chambre trouvée sans condition étoit fouettée et on lui coupoit les cheveux; l'homme de chambre étoit envoyé «en galère». L'hôtelier qui les logeoit étoit condamné à de fortes amendes; après une double récidive, on confisquoit sa maison au profit de l'Hôtel-Dieu. (Delamare, Traité de la Police, tit. 9, Juridict. du prévôt de Paris, ch. 3.)
213: V., sur la famille, Colletet, notre t. 4, p. 161.
214: Anne de Joyeuse, duc, pair et amiral de France, l'un des favoris de Henri III. Il fut tué cette même année, le 20 octobre, à Coutras.
215: Jean de Beaumanoir, marquis de Lavardin, fait plus tard maréchal de France. Il avoit d'abord servi dans les rangs des huguenots. Il étoit colonel de l'infanterie françoise depuis 1580; il mourut en 1614.
216: «Le dit sieur duc de Joyeuse, lit-on dans les Œconomies royales, avec une grande et belle armée abondamment pourvue de toutes choses, et luy accompagné de tous les principaux seigneurs et plus galands hommes de la cour, s'achemina en Poitou.» (Collect. Petitot, 2e série, t. 1, p. 383.)
217: Lisez Chemillé. C'est un important chef-lieu de canton du département de Maine-et-Loire, arrondissement de Beaupréau.
218: Lisez Maillezais.
219: «Le roi de Navarre, lit-on encore dans les Œconomies Royales, avoit quatre ou cinq régiments, dont les deux premiers estoient ceux des sieurs Charbonnières et Desbories, lesquels il destina pour estre mis en garnison dans la ville de Saint-Maixent, en cas de siége; et pour éviter qu'ils ne mangeassent les vivres de la place et les tenir neantmoins tout prêts à se jeter dedans lorsqu'il en seroit besoin, il les fit loger à La Motte Sainct-Eloy, appartenant ce nous semble à M. de Lansac, leur ordonnant de s'assurer du chasteau; mais, à la prière du sieur de Saint-Gelais, qui estoit parent du seigneur d'iceluy et qui leur en respondit, ils n'y mirent personne dedans.» (Collect. Petitot, ibid.)
220: Le roy de Navarre étoit à La Rochelle, dit encore Sully, «lorsqu'il eut nouvelles de la defaite de ses deux régimens dans la butte Sainct-Eloy, où il fut exercé des cruautés inouyes, ce malheur estant arrivé par faute de s'estre logé dans le chasteau, dans lequel on logea des hommes peu à peu par lesquels ils furent attaquez.»
221: Ce qu'on souhaite ici n'arriva pas, puisque, comme je l'ai dit en commençant, Joyeuse, quelques mois après, fut tué à Coutras. Ce furent les représailles du massacre dont vient de nous parler Sully. Lorsqu'il fut pris, il demanda grâce en offrant cent mille écus de rançon. Les soldats huguenots lui crièrent: «La Mothe Sainct-Eloy!» et le tuèrent sans merci. Il est fait mention du massacre de La Mothe et de la vengeance qui en fut prise dans une pièce très curieuse du temps de Louis XIII: Pasquil satyrique du duc de (***) sur les affaires de France, depuis l'année 1585 jusques en l'année présente 1623, in-8:
Les Anglois qu'on deffit en bières (sic)
Furent tous tués de sang-froit
Il se fict un semblable exploict
A La Mothe de Sainct-Eloy.
Il fait bon maintenir sa foy,
L'on s'en repentit à Coutras.
222: Viande alors, comme victus, dont il est le dérivé, se prenoit pour toute espèce de vivres. V., pour divers exemples, L. de Laborde, Glossaire, p. 541.
223: Buter dans le sens de tendre à. Quelquefois on se servoit d'une autre expression dont celle-ci n'est que l'abréviation:
Voilà bien frappé en la butte
Pour les faire tous tourmenter.
(L'Apocalypse saint Jean Zébédée, etc.
1541, in-fol. goth., feuillet X.)
224: C'est-à-dire en foudres. Les carreaux étoient de grosses flèches à fer carré qui se lançoient avec l'arbalète. Les carreaux du jeu de cartes viennent de là; comme les piques, ils ont été empruntés aux armes de la chevalerie. On leur a donné la couleur rouge, parceque le trait qu'ils rappellent étoit souvent rougi au feu avant d'être lancé. Le vireton et le matras étoient des projectiles d'une plus grande force encore que les carreaux. V. Etudes sur le passé et l'avenir de l'artillerie, par Louis-Napoléon Bonaparte, t. 1er, p. 18.
225: C'étoient deux des capitaines de ces troupes ligueuses qui l'année précédente s'étoient emparées du château de Montargis.
226: Chef lieu de canton du département du Loiret, arrondissement de Montargis; Anquetil en étoit prieur. On montre encore la tour du château où il écrivit une partie de son Histoire de France. (Boyard, Statist. de l'arrondiss. de Montargis, p. 67.)
227: Commune du même arrondissement, canton de Lorris.
228: Nous trouvons cette pièce dans le Tableau de la vie et du gouvernement de messieurs les cardinaux Richelieu et Mazarin et de monsieur Colbert, representé en plusieurs satyres et poésies ingenieuses, etc. Cologne, P. Marteau, 1694, in-12, p. 29-33. Elle avoit été publiée séparément, sous un titre moins atténué que celui qui se lit ici: Sur l'enlevement des reliques de saint Fiacre, pour la guerison du cul de M. le cardinal de Richelieu, 1643, in-8.
229: C'est le mot de François Ier sur les Guise, mot mis ainsi en quatrain par Passerat:
Françoys premier predit ce point,
Que ceux de la maison de Guise
Mettroient ses enfants en pourpoinct
Et son pauvre peuple en chemise.
230: Je n'ai pas besoin de faire remarquer qu'il s'agit ici du P. Joseph, l'éminence grise.
231: «Le cardinal estoit sujet aux hemorroïdes, dit Tallemant, et Juif l'avoit une fois charcuté à bon escient.» (Edit. in-12, t. 2, p. 229.) C'est de Jean-Jacques Juif que Tallemant parle ici. Il étoit chirurgien du roi, et célèbre pour ces sortes d'opérations. Il en avoit fait une pareille à Voiture, qui l'en remercia dans ces vers:
J'ai reçu deux coups de ciseau
Dans un lieu bien loin du museau,
Landerirette
Je m'en porte mieux, Dieu merci!
Landeriri.
Juif mourut en 1658.
232: La maladie dont souffroit le cardinal se rapprochoit de celle qu'on appeloit fic ou ficus, et que la ressemblance de son nom avec celui de saint Fiacre avoit fait placer sous l'invocation de ce patron. V. Gloss. de du Cange, au mot Ficus, t. 3, p. 280, col. 3, et Le Duchat, remarques sur le chap. 2, liv. 2, de la Confession de Sancy. On lit dans l'Etymologie des proverbes françois de Fleury de Bellingen, p. 317, un plaisant passage de l'Hippocrate dépaysé, au sujet de cette maladie et de son opération:
Grand bien fait ce mal de saint Fiacre.
Qui veut dire autant que fi atre
Quand on vuide le sang du cul
A gens mornes comme un cocu,
A la phrenesie arrangée;
Par le cul la teste est purgée.
233: Saint Fiacre avoit vécu en solitaire dans le diocèse de Meaux, et c'est dans cette ville que sont encore ses reliques. V. Mabillon, Acta SS. Benedict., t. 2, p. 599.
234: C'est Bautru, l'un des amuseurs du cardinal. Sa femme, qui craignoit que la reine Marie de Médicis et plus tard Mazarin ne prononçassent son nom à l'italienne, ne se faisoit appeler que madame de Nogent. (Menagiana, 1715, in-8, t. 1, p. 267. Fr. Barrière, La Cour et la ville, p. 32-33.)
235: Cette pièce est citée dans les Curiosités littéraires; Paris, Paulin, 1845, in-12, p. 373. C'est la seule chose que nous connoissions de l'ordre burlesque dont elle est la charte. Ces sortes de chevaleries bouffonnes étoient alors un amusement à la mode. Nous en citerons quelques unes des moins connues, sans nous éloigner de la fin du XVIIe siècle et du commencement du XVIIIe: Les Chevaliers de la Grappe, institués à Arles par Damas de Gravaison; les statuts ont été publiés en 1697, in-12; l'Ordre de la Meduse, fondé à Toulon par M. de Vibray, et dont les prouesses se trouvent racontées dans le rare petit volume: Les agreables divertissemens de la table, ou Le reglement de l'illustre societé des frères et sœurs de l'Ordre de Meduse; Marseille, de l'imprimerie de l'Ordre, s. d., in-12. Mère Meduse, c'est la bouteille. Les mystères ou banquets de l'ordre avoient lieu tous les mois; chaque membre avoit un surnom significatif, par lequel seul on devoit le désigner. Il étoit défendu de se servir des mots vin, boire, monsieur et madame; on les remplaçoit par huile, lamper, mon frère et ma sœur. Citons encore l'Ordre de la mouche à miel, créé à la cour de madame la duchesse du Maine, à Sceaux, et sur lequel on peut lire de très curieux détails dans les Mémoires de madame de Staal, édit. Collin, in-12, t. 1, p. 129; l'Ordre des Allumettes, le moins connu de tous, fondé vers 1643 à Chaumont en Bassigny, dans la société de la marquise d'Eseau (V. Mém. de l'abbé Arnauld, coll. Petitot, 2e série, t. 34, p. 209-210); enfin l'Ordre des Baise-Cul, qui ne nous est connu que par un passage des Lettres de madame du Noyer, t. 1, p. 304.
236: L'ordre de la Mouche à miel avoit aussi sa médaille; elle a été gravée dans les Récréations numismatiques de Duby.
237: Nous avons déjà publié plusieurs pièces du genre de celle-ci, notamment dans notre t. 3, p. 147, 159, 297; t. 5, p. 69. On peut voir d'ailleurs, sur «ces divers ordres de plaisir institués pour l'amusement des oisifs», le Rabelais de l'Aulnaye, Paris, 1820, in-12, t. 3, p. 7-8.
238: Cette pièce est tout à fait dans le goût des Caquets de l'accouchée, et paroîtroit sortie de la même plume. Elle est d'ailleurs du même temps, et traite de faits dont il y avoit été dit un mot, p. 158.
239: Louis XIII étoit venu mettre le siége devant Montpellier en août 1622.
240: Ce mauvais jeu de mots sur le nom de Montpellier se trouvoit presque justifié par les menaces que le prince de Condé prêtoit au roi: «Il avoit dit, en plusieurs endroits, que si le roy entroit dans Montpellier, il donneroit la ville au pillage.» (Abrégé chronol. de l'Hist. de France, pour faire suite à celui de Franç. de Mezeray, t. 1, p. 308.)
241: Ces vers sont une altération de ceux de Virgile, Æneid., lib. 12, v. 600-605.
242: C'est-à-dire portant chaperon, ce qui étoit la marque de la petite bourgeoisie. V. notre t. 1, p. 306, et les Caquets de l'Accouchée, p. 21.
243: Ce mot se prenoit alors dans le sens de malheur, accident fâcheux. Dolet, dans son Epistre au très chrestien et très puissant roy Françoys, a dit:
Prends garde icy, Françoys, vertueux roy,
Car c'est le point qui te faira entendre
Trop clairement l'abuz de mon esclandre.
Loret l'employa plus tard dans le sens de déroute:
Car on dit que dans cette esclandre
Plusieurs Hollandois firent Flandre, etc.
Aujourd'hui on ne l'emploie plus que pour une querelle, une rixe et on l'a rapproché ainsi de l'étymologie qu'en donne du Cange. Il le fait venir de scandalum.
244: Le siége de Montauban, dont il est parlé à plusieurs reprises dans les Caquets de l'Accouchée, p. 53, 157, 256, avoit été tenté sans succès en 1621. Après trois mois d'attaques infructueuses, on l'avoit abandonné.
245: Henri, duc de Mayenne, fils du chef de la Ligue. Après avoir agi avec vigueur dans la haute Guienne, il étoit venu se mettre sous les ordres du connétable de Luynes, qui commandoit devant Montauban. En qualité de lieutenant général, c'est lui qui fit la seconde attaque, l'une des plus vigoureuses. Il y fut tué d'un coup de mousquet dans l'œil. Il avoit 43 ans.
246: Ces bandes de cavaliers allemands (reiter), après avoir long-temps ravagé la France, finirent par se mettre à notre solde. Au siége de Juliers, en 1610, il y en avoit que le prince d'Anhalt avoit amenés, et qui combattoient de concert avec nos troupes, commandées par M. de La Châtre. Il s'en trouvoit aussi, comme on le voit, au siége de Montpellier, où on leur donnoit pour adversaires ces mêmes réformés qu'ils étoient venus secourir au temps de Coligny. Autre temps, autre drapeau. Sur les premiers de ces condottieri allemands qui vinrent en France pendant les règnes de Charles IX et de Henri III, on ne peut rien lire de plus curieux que le livre rarissime ayant pour titre: Mémoires non encore veus du sieur Fery de Guyon, escuyer. Tournay, 1664, in-8.
247: Jean Zamet, fils légitimé du fameux financier Sébastien Zamet et de Madelaine Leclerc du Tremblay, sœur du père Joseph. Les calvinistes, contre lesquels il fut toujours un enragé guerroyeur, l'appeloient le grand Mahomet. Il fut tué à ce siége de Montpellier. (Mémoires de Bassompierre, collection Petitot, 2e série, t. 20, p. 462, et Mémoires de Pontis, ibid., t. 31, p. 369.) Son tombeau se trouvoit, avec celui de sa famille, dans la nef des Célestins de Paris. On lisoit sur l'épitaphe: «Etant mestre de camp du régiment de Picardie, il mérita la charge de maréchal de camp dans l'armée du roi, laquelle exerçant au siége de Montpellier, il marchoit à grands pas aux premiers honneurs militaires, lorsqu'un boulet, lui brisant la cuisse, arrêta le cours de sa vie, pour le faire jouir dans le ciel de la vraie gloire, dont il n'eût pu recevoir que les ombres sur la terre. Il fut blessé un samedi, jour dédié à la Sainte-Vierge, le troisiesme septembre 1622, et mourut le jeudi ensuivant de la Nativité de la même Vierge.» (Piganiol de la Force, Description de Paris, t. 4, p. 247-248.)
248: C'est-à-dire maltraités, meurtris, couverts de bleus.
249: Cette fameuse robe de Rabelais étoit, comme toutes celles des clercs de médecine a celle époque, faite de drap rouge, à larges manches, avec un collet de velours noir sur lequel étoient brodées en or les initiales F. R. C. (Franciscus Rabelœsus Chinonensis). En 1610, à force d'être dépecée par la vénération des bacheliers, dont chacun vouloit son lambeau, elle étoit si courte qu'elle descendoit à peine à la ceinture des récipiendaires. On en mit une neuve. Lazare Meyssonnier, qui l'endossa, ne déclare pas moins avec onction qu'il a revêtu la robe de Rabelais «dans la salle où se font les actes publics et où se donne le bonnet a ceux qui y prennent leurs degrez en médecine.» (Almanach illustré, composé de plusieurs pièces curieuses, pour l'an 1639.) Avec toutes les précautions possibles, chaque vénérable robe ne pouvoit pas durer plus d'un siècle. En 1720, celle de 1610 n'étoit qu'un lambeau. François Ranchin, chancelier de la Faculté, en donna une nouvelle à ses frais (Astruc, Mémoires pour l'Histoire de la Faculté de médecine de Montpellier, liv. 2, p. 329). Depuis lors, je ne sais combien de fois on a dû faire la même dépense, mais il paroît qu'à la fin on mettoit, pour renouveler la précieuse robe, moins de soin que n'en avoit mis Jeannot pour son fameux couteau. On la reproduisoit sans souci d'exactitude. Ainsi, celle des derniers temps ne portoit plus les initiales, ce qui fait que M. Kuhnholtz a nié qu'elles aient jamais existé sur le collet du vêtement doctoral (Notice hist., bibliogr. et crit. sur Fr. Rabelais, Montpellier, 1827, in-12, p. 32). Desgenette, dans le curieux article de la Biog. médicale qu'il a consacré à Rabelais, parle ainsi de sa robe et des rajeunissements, dont il exagère peut-être le nombre: «Nous sommes réputés nous-mêmes avoir porté cette robe, mais c'étoit une pure commémoration, car elle avoit été renouvelée au moins vingt fois, puisque environ cinquante docteurs annuellement reçus à Montpellier en ont constamment emporté des lambeaux, avant, pendant ou après l'acte probatoire dit de rigueur (punctum rigorosum)». C'est dans la grande salle, comme nous l'avons dit, qu'on l'endossoit, et qu'elle étoit toujours pendue (Degrefeuille, Hist. de Montpellier, liv. 12, ch. 1). Piron la prit pour sujet de cette épigramme où il apostrophe Montpellier:
Secourable mont des Pucelles,
Puissiez-vous long temps prospérer!
Puissent de vos plantes nouvelles
Les vertus toujours opérer,
Et ne jamais dégénerer,
Comme la robe mémorable
Qui fut un harnois honorable
Tant que Rabelais l'eut sur lui,
Mais qui, par un sort déplorable,
N'est plus qu'un bât d'âne aujourd'hui.
250: Sur les époques climatériques, v. notre t. 2, p. 212.
251: Les jours caniculaires passoient pour être funestes aux plaisirs de l'amour. Cette Rochelloise a donc raison de les donner comme très néfastes. Camerarius a écrit un gros livre sur cette thèse-là. Molière fait très vertement maudire par la Cléanthis de son Amphitryon (acte 2, scène 3) cette superstition médicale:
Je me moque des médecins,
Avec leurs raisonnements fades;
Qu'ils règlent ceux qui sont malades,
Sans vouloir gouverner les gens qui sont bien sains.
Ils se mêlent de trop d'affaires,
De prétendre tenir nos chastes jeux gênés;
Et sur les jours caniculaires
Ils nous donnent encore, avec leurs lois sévères,
De cent sots contes par le nez.
Chez les anciens, c'est le mois de mai qui étoit néfaste pour l'amour. V., sur le scrupule qu'ils avoient de se marier ce mois-là, une lettre publiée dans l'Esprit des journaux, sept. 1786, p. 215.
252: M. de Soubise avoit été malheureux partout: le 25 juin 1621, il avoit capitulé dans Saint-Jean-d'Angely; l'hiver suivant, il avoit été complétement défait dans les Sables d'Olonne, et avoit dû quitter la France. V. Caquets de l'accouchée, p. 35, 56.
253: Tous ces détails semblent avoir été pris textuellement dans une pièce publiée quelques années avant celle-ci: Le reveil du chat qui dort, par la cognoissance de la perte du pucellage de la pluspart des chambrières de Paris; avec le moyen, de le raccoutrer, suivant le rapport des plus signalées matrones, tant béarnoises que françoises, appelées à cet effet; avec les noms des ustencilles par elles trouvées dans leurs bas guichets; mis en lumière en faveur des bons compagnons à marier. A Paris, jouxte la copie imprimée par Pierre Le Roux, M. DC. XVI, in-8. Le passage si curieusement technique qu'on a repris ici se trouve après ces mots: «Voyons maintenant la deposition des Parisiennes qui font leur rapport d'une qui estoit deflorée: «Nous Marie Teste, Jane de Meaux, Jane de la Guignans et Magdelaine la Lippue, matrones jurées de la ville de Paris, certifions à tous qu'il appartiendra que, le quatorzième jour de juin dernier, par ordonnance de ladicte ville, nous sommes transportées en la rue de Frepault, où pend pour enseigne la pantoufle, où nous avons veue et visitée Henriette Pelicière, jeune fille aagée de dix-huit ans ou environ, sur la plaincte par elle faicte à justice contre Simon le Bragard, duquel elle dict avoir esté forcée et deflorée, et le tout veu et visité au doigt et à l'œil, nous trouvons, etc.» Le reste est comme ici.
254: Cette pièce est dirigée, comme son titre le donne à entendre, contre les intrigants d'Italie qui étoient venus à la suite des Médicis, et qui infestoient la cour et la ville. On y apprend, au sujet de leurs manœuvres, notamment contre les revenus de l'Hôtel-Dieu de Paris, des choses qui ne se trouvent point ailleurs.
255: Adroit. Il y avoit aussi le verbe adextrer. V. Nicolas Pasquier, lettre 8, liv. 6.
256: C'est-à-dire en déroute.
257: Sur le mot hart, V. notre édition des Caquets de l'accouchée, p. 172.
258: Poison, comme on sait, étoit alors du féminin (V. t. 4, p. 7). C'est d'Italie qu'on nous expédioit ces substances dangereuses, avec la manière de s'en servir. Bodin, dans son Discours sur le rencherissement de toutes choses, dit avec raison que nous aurions bien pu nous passer de faire de tels emprunts à l'Italie, en échange de choses saines et profitables.
259: C'est-à-dire faire les beaux parleurs sur des choses dont ils ne savoient pas le premier mot. On a cru longtemps que ce mot étoit de Ronsard. Jacques Pelletier, dans son Art poétique, lui en a même fait honneur, mais à tort. Le mot est dans Rabelais, liv. 2, ch. 6: «Seigneur, sans nulle doubte, ce gallant veut contrefaire la langue des Parisiens; mais il ne fait que escorcher le latin, et cuide ainsi pindariser.»
MM. Burgaud des Marets et Rathery, dans leur excellente édition de Rabelais, t. 1, p. 254, sont les premiers qui lui ont fait cette restitution. Au 17e siècle, ce mot avoit vieilli. (Vigneul-Marville, Mélanges d'hist. et de littérature, 1re édit., p. 102.) M. J. Chenier le rajeunit avec esprit dans son épigramme contre La Harpe, qui, «dans un écrit sur la langue révolutionnaire, avoit proscrit le verbe fanatiser, et avoit posé, comme règle générale, qu'aucun adjectif en ique ne peut produire un verbe en iser»:
Si par une muse électrique
L'auditeur est électrisé.
Votre muse paralytique
L'a bien souvent paralysé;
Mais quand il est tyrannisé,
Souvent il devient tyrannique:
Il siffle un auteur symétrique,
Il rit du vers symétrisé,
D'un éloge pindarisé
Et d'une ode anti-pindarique.
Vous avez trop dogmatisé:
Renoncez au ton dogmatique;
Mais restez toujours canonique,
Et vous serez canonisé.
260: Intrigues, cabales. Le recteur Rose, dans sa harangue, dit au duc de Mayenne: «Ces politiques ont des dragons sur les champs qui prennent tous vos pacquets et devinent par politique tous vos chiffres..., si bien qu'ils sçavent toutes vos faciendes, et à Rome, et à Madrid, et en Savoye, et en Allemagne...» (Satire Menippée, édit. Charpentier, p. 106.) De ce mot étoit venu celui de faciendaire, que Pasquier (Recherches de la France, liv. 6, ch. 27) a employé au sujet du pape Pie II: «Homme grand faciendaire, dit-il, ainsi qu'il l'avoit bien fait paroître par ses déportements.»
261: Mot que celui de bandit a remplacé depuis. V. notre t. 6, p. 323, note.
262: Quoiqu'on eût mis des entraves à l'établissement des banquiers italiens à Paris, ils s'y étoient bientôt trouvés en grand nombre. Ils avoient payé la pension de 15,000 écus sols qu'on exigeoit d'eux au préalable, d'après l'ordonnance de Saint-Germain-en-Laye de 1561, et ainsi autorisés ils s'étoient mis en mesure de la reprendre par fractions sur ceux qui vouloient bien se faire leurs clients. Pendant la régence de Marie de Médicis, le nombre des banques italiennes augmenta encore à Paris. V. notre édition des Caquets, p. 40, note, et notre t. 6, p. 279-280, note. Toutes les grosses affaires de France étoient aux mains de ces hommes d'argent, «sortis du fin fond de la Lombardie», comme il est dit dans une pièce de notre t. 3, p. 174. Cette pièce, qui roule toute sur les malversations des gens de finance à cette époque, Lombards ou autres, a pour titre: La rencontre merveilleuse de Piedaigrette avec maistre Guillaume, etc. Le nom de l'auteur nous avoit échappé. Notre ami Ch. d'Héricault nous a fait remarquer qu'il se trouve en acrostiche dans les vers qui terminent la pièce. Toutes les initiales réunies forment Noel Mauraisin.—Pour en finir avec ces banquiers d'Italie, nous nommerons encore l'un des plus célèbres, Lumagna, qui a déjà été cité au passage dans une pièce de notre t. 2, p. 99. Mademoiselle de Polaillon, veuve de notre résident à Raguse et fondatrice de l'institut des filles de la Providence, au faubourg Saint-Victor, en 1630 (Tallem., in-12, t. 10, p. 114-116), étoit de cette famille, sur laquelle on trouvera de très intéressants détails dans les Œuvres posthumes de Grosley, Biographie des Troyens célèbres, à l'article des Colbert, qui furent les correspondants des Lumagna.
263: Catherine de Médicis.
264: Ce château, bâti au XIIIe siècle, sur l'emplacement de la Grange aux Queux, par Jean, évêque de Wincester, dont le nom, altéré dans le langage parisien, devint celui de Vicestre ou Bicestre, étoit passé, au siècle suivant, entre les mains du duc de Berry, frère de Charles VI, qui en avoit fait don au chapitre de Notre-Dame. Jusqu'en 1632, il ne changea plus de propriétaire. C'est Louis XIII qui l'acheta alors. Il tomboit en ruine, et il fallut le rebâtir tout entier. «L'an 1632, lit-on dans le Supplément des Antiquités de Paris de Du Breuil, 1639, in-4, p. 87, ce château fut entièrement rasé jusqu'aux fondements, et de la grande place où il estoit on desseigna y faire un lieu pour y loger et recevoir les soldats estropiez aux guerres pour le service du Roy, et, dès lors, on commença la closture des murailles, avec quatre pavillons aux quatre coings, où on fit bastir une chapelle qui fut béniste par l'archevesque.»
265: Sur cette enseigne, V. notre t. 6, p. 5, note.
266: «L'an 1633, lit-on encore dans le Supplément de Du Breul, p. 87, le Roy fit une déclaration par laquelle il se déclaroit fondateur d'une commanderie qui se commençoit avoir lieu sous le nom de Sainct-Louys, et dès lors les allignements furent pris pour les bastiments, qui doivent être en quarré...»
267: La maison de la Charité chrestienne, fondée par Nicolas Houel, rue de Lourcine, avec le patronage royal de Henri III et de son successeur, avoit été le premier asile qu'on eût ouvert aux soldats invalides. V. notre t. 6, p. 64-65, note, et Isambert, Anciennes lois franç., t. 14, p. 599; t. 15, p. 301. Pendant la Fronde, Bicêtre leur servoit encore de refuge; mais une partie des bâtiments, qui s'étoient construits à grand peine et surtout lentement, car en 1639 ils étoient loin d'être achevés, souffrirent beaucoup des troubles: ils furent presque démolis. Les invalides, réfugiés dans ce qui avoit été respecté, furent sollicités à la révolte par les Frondeurs. Ils s'y seroient laissé entraîner si, lit-on dans une mazarinade, l'influence factieuse n'eût été heureusement combattue «par un ecclésiastique de grande maison, qui, avec un autre ecclésiastique et un maréchal de France, avoit été chargé de la conduite de Bicêtre.» (Remontrance au peuple par L. S. D. N. L. S. C. E. T., 1649, in-4.)—Jusqu'en 1656 les invalides y restèrent. Cette année-là, par ordonnance royale en date du 27 avril, les enfants trouvés durent prendre leur place, «en attendant, lit-on dans l'ordonnance, que les pauvres fussent renfermez, à quoy les lieux et bastiments de Bicestre ont été par nous affectez, revoquant, en tarit que de besoin seroit, tous autres brevets et concessions qui pourroient en avoir été obtenus en faveur des pauvres soldats estropiez.» Quelque temps après, Bicestre recevoit sa part des dix mille pauvres dont on avoit fait raffle dans les rues de Paris. V. notre édit. du Roman bourgeois, p. 311, note.
268: Nous donnons cette pièce, beaucoup moins à cause de son intérêt, qui, nous en convenons, est à peu près nul, que comme un nouveau spécimen du genre de plaisanteries lourdes et pédantes alors populaires à Paris. Cette pièce, en effet, est de celles qui se crioient par les rues et sur le Pont-Neuf, où maistre Guillaume les vendoit lui-même. V. notre t. 4, p. 53-84. L'Estoile, qui aimoit à faire collection de ces sortes de niaiseries, n'a pas oublié celle-ci: «On m'a donné, dit-il, trois fadèzes nouvelles, qu'on crioit par les rues, D'un gentilhomme de Savoye defendu des voleurs par son chien; LA SCIENCE DES FEMMES, TROUVÉE DANS UN DES SABOTS DE MAISTRE GUILLAUME; et un nouveau miracle avenu près de Barcelonne, de deux enfans mangés d'un pourceau, et de deux autres brûlés par la mère, dans son four, sans y penser.» C'est sous la date du 13 mars 1607 qu'il a écrit cela dans son Journal, et notre pièce porte celle de 1622. Ainsi, non seulement ces sottises se vendoient, mais se vendoient bien, et l'on en faisoit de nouvelles éditions! M. G. Brunet a consacré à ces canards du temps passé un intéressant article dans le Bulletin de l'alliance des arts. (25 décembre 1843.)
269: Le livre du Soldat françois, qui, en 1607, époque de la première edition de cette pièce, faisoit beaucoup de bruit.
270: Rideaux de lit. On lit dans Du Lorens, satire VII, p. 167:
Ils lui baillent souvent le fouet sous la custode.
V. aussi p. 176. Ce mot étoit du féminin, et non du masculin, comme on le donne ici. Peut-être vient-il de cultz, couche, qui se trouve dans la Chanson de Roland, ch. 3, v. 686. Avant que le mot alcôve nous fût arrivé d'Espagne et eût été introduit dans notre langue par les Précieuses (V. Walckenaer, Mém. sur la vie de Madame de Sévigné, t. 2, p. 387), c'est custode qui se prenoit dans le même sens. La mazarinade qui a pour titre: La custode du lit de la reine, est fameuse. On devine les scandales qu'elle raconte.
271: M. Leber possédoit cette pièce, qui se trouve comprise sous le no 4320 du Catalogue de sa bibliothèque, t. 2, p. 300. Il n'a pas dit de qui elle est, nous ne le dirons pas davantage. On en trouva une copie dans les papiers de Charles Perrault, ce qui fit croire par quelques personnes qu'il en étoit l'auteur; mais c'est tout simplement impossible: la date du poème suffit pour le prouver. En 1637, Charles Perrault n'avoit que neuf ans, et il n'y avoit alors que le petit Beauchâteau capable de faire, surtout de pareils vers, à cet âge-là. C'est à cause de la singularité du poème et de sa rareté que Ch. Perrault en avoit sans doute pris copie. L'autographe de 8 pages in-fol. accompagné d'un dessin représentant le génie de la règle se trouve indiqué dans le Catalogue d'une belle collection d'autographes, etc. (16 avril 1846), p. 53, no 363.
272: On sait qu'enfermé avec son fils Icare dans le Labyrinthe, il parvint à se sauver avec les ailes qu'il inventa, tandis que son fils périt.
273: C'est lui qui avoit fabriqué la fameuse vache dans laquelle s'enferma Pasiphaé, amoureuse du taureau.
274: C'est-à-dire de ses tempes, de sa tête.
275: V., pour le meurtre de Perdix par Dedale, et sa métamorphose en perdrix, les Métamorphoses d'Ovide, liv. 8, v. 244 et suiv.
276: Ce poëme, dont il n'est pas besoin de faire remarquer l'académique ingéniosité, est bien du temps où l'on sembloit s'évertuer à refaire des Métamorphoses à la façon de celles d'Ovide; où l'on voyoit Habert de Cerizy composer la Métamorphose des yeux de Philis en astres, 1639, in-8 (V. Roman bourgeois, édit. elzevir., p. 149, note); où l'abbé Cotin écrivoit Uranie ou la Métamorphose d'une nymphe en orange, poëme à la suite duquel il donnoit les Amours du Jour et de la Nuit, par le comte de Cramail. V. notre travail sur celui-ci, Revue française, t. 2, p. 287.
277: Il est bien vrai que les dernières années du règne de Henri IV furent l'époque la plus heureuse pour les campagnes. On trouve un tableau délicieux de cette prospérité des champs aux premières pages des Mémoires de l'abbé de Marolles. M. Sainte-Beuve l'a déjà cité dernièrement dans un article sur l'Histoire d'Henri IV, par M. Poirson (Moniteur universel, 16 février 1857); nous ne pouvons mieux faire que de le reproduire aussi à propos des regrets de ces pauvres paysans champêtres: «Je revois, dit l'abbé de Marolles, avec un plaisir non pareil, la beauté des campagnes d'alors; il me semble qu'elles étoient plus fertiles qu'elles n'ont été depuis, que les prairies étoient plus verdoyantes qu'elles ne sont à présent, et que nos arbres avoient plus de fruit... Le bétail étoit mené sûrement aux champs, et les laboureurs versoient les guérets pour y jeter les blés que les leveurs de taille et les gens de guerre n'avoient pas ravagés. Ils avoient leurs meubles et leurs provisions nécessaires, et couchoient dans leur lit. Quand la saison de la récolte étoit venue, il y avoit plaisir de voir les troupes de moissonneurs, courbés les uns près des autres, dépouiller les sillons, et ramasser au retour les javelles, que les plus robustes lioient ensemble, tandis que les autres chargeoient les gerbes dans les charrettes et que les enfants, gardant de loin les troupeaux, glanoient les épis, qu'une oubliance affectée avoit laissés pour les réjouir. Les robustes filles de village scioient les blés, comme les garçons, et le travail des uns et des autres étoit entrecoupé de temps en temps par un repas rustique, qui se prenoit à l'ombre d'un cormier ou d'un poirier qui abattoit ses branches chargées de fruits jusqu'à la portée de leurs bras.» Le bon abbé donne un peu plus loin quelques détails particuliers à cette belle province de Touraine, où il étoit né en 1610. Il avoit donc dix ans à l'époque fortunée dont il fait la description, et c'est ce qui en explique le charme. Son style prosaïque ne pouvoit se colorer qu'aux souvenirs de l'enfance: «Après la moisson, dit-il, les paysans choisissoient un jour de fête pour s'assembler et faire un petit festin qu'ils appeloient l'Oison de métive (moisson); à quoi ils convioient non seulement leurs amis, mais encore leurs maîtres, qui les combloient de joie s'ils se donnoient la peine d'y aller. Quand les bornes gens faisoient les noces de leurs enfans, c'étoit un plaisir d'en voir l'appareil; car, outre les beaux habits de l'épousée, qui n'étoient pas moins que d'une robe rouge et d'une coiffure en broderie de faux clinquant et de perles de verre, les parents étoient vêtus de leurs robes bleues bien plissées, qu'ils tiroient de leurs coffres parfumés de lavande, de roses sèches et de romarin; je dis les hommes aussi bien que les femmes, car c'est ainsi qu'ils appeloient le manteau froncé qu'ils mettoient sur leurs épaules, ayant un collet haut et droit comme celui du manteau de quelques religieux; et les paysannes, proprement coiffées, y paroissoient avec leurs corps de cotte de deux couleurs. Les livrées des épousailles n'y étoient point oubliées; chacun les portoit à sa ceinture ou sur le haut de manche. Il y avoit un concert de musettes, de flûtes et de hautbois, et, après un banquet somptueux, la danse rustique duroit jusqu'au soir. On ne se plaignoit point des impositions excessives; chacun payoit sa taxe avec gaîté, et je n'ai point de mémoire d'avoir ouï dire qu'alors un passage de gens de guerre eût pillé une paroisse, bien loin d'avoir désolé des provinces entières, comme il ne s'est vu que trop souvent depuis par la violence des ennemis.—Telle étoit la fin du règne du bon roi Henri IV, qui fut la fin de beaucoup de biens et le commencement de beaucoup de maux, quand une furie enragée ôta la vie à ce grand prince...» (Mémoires de Michel de Marolles, 1755, in-12, t. 2, p. 20-24.)
278: La guerre civile, en effet, étoit imminente. Les princes, mécontents, venoient de se retirer de la cour et commençoient à armer. Pour obtenir une paix, qui ne fut que très peu durable, il fallut leur accorder tout ce qu'ils voulurent, par le traité signé le 15 mai à Sainte-Menehould.
279: Lisez coulage. Il arrive souvent qu'en juin, la vigne étant en fleur, des pluies froides surviennent et empêchent les raisins de se former. C'est ce qu'on veut dire ici.
280: Valets d'armée. V. t. 4, p. 364. Ils étoient aux campagnes ce qu'alors les laquais étoient aux villes, de vrais pillards. Peu de temps après l'époque où ceci fut écrit, on ne dit plus que goujat, forme sous laquelle le mot est resté, mais avec un autre sens. «Je me souviens bien, lit-on dans le Francion, que les soirs, auprès du feu, il contoit à ma mère qu'en sa jeunesse il s'étoit débauché pendant quelques troubles de la France, et avoit servy de goujat à un cadet d'une compagnie d'infanterie.» (Edit. 1663, in-8, p. 198.)
281: Le pauvre peuple s'appeloit toujours ainsi. V. t. 6, p. 53, note.
282: Barthélemy de Laffémas est l'un des hommes que notre siècle d'industrie doit glorifier avant tout autre de cette époque, voire presque à l'égal de Sully, et cela d'autant mieux que pendant deux cents ans ses services, si appréciables pour nous, ont été à peu près méconnus. C'est en 1558, comme on le sait par le Mémoire présenté au Roy le 17 avril 1598, qu'il naquit, dans le Dauphiné, au village de Beausemblant, dont le nom resta longtemps son sobriquet. Il avoit pour père Isaac Laffémas et pour mère Marguerite Bautor. Quoiqu'on puisse croire, en lisant ici ses titres et qualités, et ce nom de sieur de Bauthor qui donneroit à penser qu'il étoit de noblesse, Laffémas ne fut d'abord qu'un simple artisan, un tailleur. En 1582, il est attaché comme tel, avec vingt livres de gages, à la maison du roi de Navarre. (Champollion-Figeac, Documents histor. inéd., t. 4, 2e part., p. 2.) Laffémas étoit de la religion; ce dernier fait nous le donneroit à penser si déjà la France protestante, t. 6, ne nous l'avoit appris.—Dès 1576 il étoit dans les grandes affaires. On sait par deux de ses écrits: Advertissement à MM. les commissaires du Roy pour estre instruits en ceste œuvre publicque, etc., et Lettres et exemples de la feue Royne mère, que, cette année-là, profitant de ce qu'il étoit chargé de la fourniture des estoffes de soie de l'argenterie, en qualité de tailleur, et ne se contentant point de cette fourniture secondaire, il avoit étendu ses visées et avoit levé lui-même, à ses risques et périls, «la boutique d'argenterie du Roy». A cet effet, lui-même nous le dit dans son Avertissement à MM. les commissaires, «il avoit emprunté plus de deux cent mille escus, soit à Paris, à Tours, Lyon, etc.» En 1601, ajoute-t-il, «il ne devoit plus que mille cinq cents escus, ayant tout payé, même les intérêts, et ayant fait cet emprunt parcequ'il vouloit satisfaire à son superbe entendement.» Qu'entend-il par ces derniers mots? Le grand dessein de son propre avancement, et surtout des entreprises qu'il projette et qui, suivant ce qu'il espère, doivent tourner à la prospérité du commerce et au progrès de l'industrie. Quand il s'en ouvrit à Henri IV, dans un écrit qu'il présenta lui-même, il paroîtroit qu'il fut d'abord assez mal reçu par sa goguenarde majesté. Se riant de la profession de l'utopiste, le roi dit seulement «qu'il entendoit, puisque les tailleurs comme lui faisoient les livres, que ses chanceliers dorénavant lui fissent ses chausses.» C'est L'Estoile (11 janvier 1607) qui raconte l'anecdote, mais en la mettant à tort sur le compté de Laffémas le fils, qui ne fut jamais tailleur. Ce dédain ne dura guère. Chez Henri IV le bon sens l'emportoit vite sur la goguenardise, celle-ci une fois satisfaite. Laffémas fut lu, encouragé. En 1597 parut son premier écrit, du moins Brunet (Manuel, t. 3, p. 13) n'en connoît-il pas de plus ancien. Il a pour titre: Règlement général pour dresser les manufactures en ce royaulme et couper le cours des draps de soye, etc., ensemble les moyens de faire la soye par toute la France. Paris, Cl. Montrœil et Jean Riche, 1597, petit in-8. Ce sont deux traités réunis. Le dernier est signé Laffemas, dit Beausemblant, tailleur varlet de chambre du roy Henry IV. Le résultat de ces deux écrits ne se fit pas attendre, du moins pour l'auteur. Le 15 novembre 1602, il obtint du roi le titre de contrôleur général du commerce de France, qui lui est donné ici. L'ordonnance qui le nomme se trouve dans les Docum. hist. inéd., t. 4, 2e part., p. 30-31. Cette faveur y est motivée par le désir qu'avoit le roi «de recognoistre les longs services faits par ledit Laffémas depuis quarante ans.» Par son nouveau titre, Laffémas se trouvoit appelé à la présidence de l'assemblée du commerce, convoquée par Henri IV l'année précédente, et qui étoit, ainsi que l'a fort bien remarqué M. Champollion-Figeac, un véritable comité consultatif du commerce et de l'industrie. Le volume cité tout à l'heure en contient les procès-verbaux, et un Mémoire de Laffémas, publié dans les Archives curieuses, 1re série, t. 14, p. 221, en explique au mieux le but et la portée. La dernière séance de ce comité eut lieu le 22 octobre 1604. Laffémas mourut l'année suivante, épuisé, brisé de travail, comme l'a bien dit M. Poirson dans sa récente Histoire du règne de Henri IV, t. 2, 1re partie, p. 80. M. Champollion-Figeac, M. Philarète Chasles (Etudes sur le XVIe siècle, p. 20), M. Chéruel (Hist. de l'administration monarchique en France, t. 1, p. 350), avoient dignement apprécié son caractère et ses efforts, mais personne ne lui a rendu une aussi entière justice que M. Poirson, lorsqu'il a écrit: «Laffémas, le plus intelligent et le plus actif ministre des projets du roi, qui demandoit solennellement, en janvier 1597, qu'on étendît à la France entière l'industrie séricicole; qui, de sa propre personne, répandoit le mûrier et la soie dans les quatre provinces qui les reçurent les premières; qui inspiroit et dirigeoit à Paris toutes les délibérations de ce conseil des manufactures et du commerce chargé des détails de l'entreprise; qui succomba en 1605, épuisé par la fatigue de tant de travaux, et qui, littéralement, mourut à la peine.»—La pièce reproduite ici semble être le plus rare des écrits de Laffémas. Son peu de volume a fait qu'il a échappé à tout le monde, même à M. Champollion, qui a donné la liste la plus complète de ses traités. Il n'en compte pas moins de quinze. M. Weiss, dans sa Biographie universelle, en avoit oublié plusieurs, y compris, bien entendu, celui-ci, qui a trait, comme la plupart des autres, à l'industrie que Laffémas avoit le plus à cœur. Dans les derniers temps de sa vie, le titre que lui avoit accordé Henri IV s'étoit compliqué de celui de contrôleur du plant des meuriers. Il l'a pris en tête d'une pièce qui sera souvent citée plus loin: La façon de faire et semer la graine de meuriers, etc. Paris, 1604, in-8.
283: C'est à quoi tendoient les plus constants efforts de Laffémas. Henri IV l'y avoit secondé, et, en 1603, le but se trouvoit presque atteint. V. notre t. 3, p. 112, note 2, V. aussi le premier écrit de Laffémas, dont nous avons parlé tout à l'heure: Règlement général pour dresser les manufactures en ce royaume, etc.
284: Laffémas dit la même chose, mais avec quelques détails de plus, dans le Traité dont cette pièce n'est pour ainsi dire que la préface, ou plutôt le résumé par anticipation: «Les expers envoyez aux généralitez et eslections de Paris, Orléans, Tours et Lyon, pour faire la nourriture des dits vers, en l'année mil six cent trois, ont apperceu que ceux qui ne les avoient faict esclorre de bonne heure, la pluspart sont morts. Ce qui a donné sujet faire courir faux bruitz que le climat de France n'estoit propre, et allèguent les dits expers que ceux qui prennent trop grande quantité de vers à nourrir, n'ayant des personnes propres pour leur aider, cela est cause qu'ils retardent et ne peuvent venir à perfection.» (La façon de faire et semer la graine de meuriers, etc., p. 27.)
285: Cet hôtel de Retz étoit dans le faubourg Saint-Honoré. (Laffémas, La façon de faire et semer la graine de meuriers, p. 27.) Il devint plus tard l'hôtel de Vendôme, et la place de ce nom en occupe le terrain. Il ne faut le confondre ni avec l'hôtel de Retz de la rue des Poulies, qui étoit voisin du premier hôtel de Longueville, ni avec l'hôtel de Gondi, situé dans le faubourg Saint-Germain, rue de Condé.—Le maréchal de Retz y étoit mort le 12 avril 1602. (L'Estoille, édit. Michaud, t. 2, p. 332.) C'est sans doute ce qui l'avoit rendu disponible pour les plantations dont il est parlé ici. Ce n'étoit pas le seul lieu de Paris où l'on eût tenté alors la culture du mûrier. Dès l'année 1696 Henri IV avoit consacré à cet utile essai une grande partie du jardin des Tuileries. La plantation avoit prospéré, et sans tarder le roi l'avoit étendue encore, avec l'aide d'Olivier de Serres et de Claude Mollet, son premier jardinier. V. Théâtre d'agriculture d'Oliv. de Serres, édit. in-4, t. 2, p. 110, et P. Paris, Catal. des mss. franç., t. 5, p. 290. En 1601, nouvelle plantation et nouveau succès. Laffémas en parle ainsi à la page 29 de la pièce citée tout à l'heure et publiée en 1604: «Le principal est d'avoir des meuriers en abondance, et les faire semer, ainsi qu'a faict le sieur de Congis, gouverneur du jardin du roy aux Thuilleries, en ayant fait semer il y a trente mois qui sont creuz si haut qu'il n'y a homme qui les puisse atteindre, et ceux que Sa Majesté a fait planter aux allées il y a huit ans, et trois ans qu'ils avoient, on juge qu'ils en ont plus de vingt-cinq, tant qu'ils sont grands et beaux.» Toute la partie du jardin située à l'extrémité de la terrasse des Feuillants étoit occupée par des constructions où les magniaux (vers à soie) étoient élevés et où logeoient les hommes qui en avoient le soin. Laffémas fait un grand éloge de la femme qui les dirigeoit: «Dame Jule, Italienne, dit-il, qui nourrit les vers pour Sa Majesté au jardin des Thuilleries, femme des plus entendues qui se puisse trouver.» (Id., p. 28.) Plus tard, les bâtiments furent remplacés par une orangerie. Elle existoit déjà en 1640, et la rue Saint-Florentin, qui venoit y aboutir, lui dut son premier nom de rue de l'Orangerie. Les constructions, occupées en dernier lieu par la galerie de tableaux du comte de Vaudreuil ne disparurent qu'après la révolution. V. les Mémoires du marquis de Paroy, Revue de Paris, 14 août 1836, p. 106. On a vu tout à l'heure que c'étoit une Italienne qui dirigeoit la magnanerie royale des Tuileries. Il en étoit partout ainsi. Celle du château de Madrid étoit aussi aux mains d'ouvriers italiens. Selon M. Poirson, c'est l'un d'eux, Balbani, qui donna son nom à la route qui fut alors percée dans le bois de Boulogne pour faciliter les communications entre Paris et le château de Madrid. (Hist. du règne d'Henri IV, t. 2, 1re part., p. 65, note.) Claude Mollet, que nous ayons déjà nommé, et qui avoit pris part à la plantation du jardin des Tuileries en mûriers, ne s'en étoit pas tenu là: «En l'an mil six cent six, dit-il à la p. 340 de son livre: Théâtre des plans et jardinages, 1652, in-4, j'estois logé à l'hostel de Matignon, derrière Saint-Thomas-du-Louvre, où il y avoit une belle et grande place, laquelle est pour ce jourd'huy toute pleine de bastiments. De cette place j'en ai fait un très bon jardin, auquel j'avois eslevé une grande quantité de meuriers blancs...» Les vers qu'il nourrit avec les seuls émondages de ses arbres lui donnèrent, en 1606, jusqu'à douze livres de soie, aussi belle, dit-il, que celle d'Italie, et qu'il vendit 4 écus la livre.
286: Olivier de Serres, dont Laffémas ne fait souvent que répéter les préceptes, parle ainsi des tables sur lesquelles il conseille d'élever des magniaux: «Seront transportez, dit-il, dans une chambrete chaude et bien close, hors de la puissance du vent, sur des tables bien nettes et polies, couvertes de papier, pour commencer à y tenir rang.» La cueillette de la soie, etc., édit. annotée par M. Martin Bonafous. Paris, 1843, in-8, p. 70.
287: V. notre t. 3, p. 112-113.
288: A Lyon et à Tours, cette industrie étoit déjà en pleine prospérité. Vers 1582, Catherine de Médicis avoit voulu aussi en doter la ville d'Orléans, sa cité la plus chère, «à laquelle, comme elle écrit de Fontainebleau aux eschevins, le 4 août 1582, elle avoit toujours eu à cœur de procurer en tout ce qu'elle a peu la décoration, accroissement et enrichissement; depuis, ajoute-t-elle, qu'il a pleu aux roys messieurs mes enfants m'en delaisser la possession et jouissance»; mais les guerres de religion mirent tout à néant. En 1585, la manufacture, déjà bien établie, dut cesser son travail. «Ce qui accrut le mal, selon Laffémas, ce fut la jalousie et les actes haineux et coupables d'aucuns envieux estrangers ou revendeurs de leurs dits draps de soie.» (Lettres et exemples de la feue royne mère, Archives curieuses, 1re série, t. 9, p. 123-136.) Laffémas ajoute que ces envieux «allèrent jusqu'à jeter, d'animosité, en sa chaudière de teinture, un pot de résine ou de poix, et gâtèrent toutes les soies, ainsi qu'apert par les procédures sur ce faites, de sorte qu'enfin les pauvres ouvriers furent contraints tout quitter.» Ces ouvriers avoient été attirés de Flandre, et ils avoient reçu des échevins Orléanois un excellent accueil.
289: Au mois de mai de cette année-là, la paix s'étant faite entre le nouveau roi Henri III et les huguenots, un édit de pacification, très favorable à ceux-ci, avoit été rendu à Paris. Le prince de Condé, l'un des chefs du parti calviniste, avoit obtenu, entre autres avantages, le droit d'occuper Péronne, ce qui privoit de son gouvernement M. d'Humières, déjà fort attaché à la maison de Lorraine. Le due de Guise profita de cette nouvelle cause de mécontentement pour envoyer au gouverneur dépossédé la copie du traité d'union, qu'il avoit depuis long-temps élaboré, et dans lequel se trouvoient jetées les premières bases de la Sainte-Ligue. Il le prioit d'y souscrire. M. d'Humières n'eut garde d'y manquer. Sa signature entraîna celle de la plupart des gentilshommes de la noblesse picarde. On en fit grand bruit dans le parti du roi, car l'on crut voir dans cette adhésion une sorte de révolte contre la volonté royale, dont l'édit étoit l'expression. C'est alors que fut lancée, comme justification et en même temps comme manifeste, la pièce que nous reproduisons ici. Elle est la première qu'il faille placer dans les archives de la Ligue. Elle précède en effet l'acte d'association faite entre les princes, seigneurs, gentilshommes et autres, tant de l'état ecclésiastique que de la noblesse et tiers etat, et habitans du païs de Picardie, acte signé à Péronne par plus de deux cents gentilshommes, et qui fut la véritable charte de l'Union. Maimbourg l'a donné à la fin de son Histoire de la Ligue, 1683, in-4, p. 129; mais, comme nous le montrerons plus loin, il semble avoir eu aussi connaissance de ce premier manifeste. Dès lors, les progrès de la Sainte-Union ne s'arrêtèrent plus. Du Midi, où depuis 1550 on lui recrutoit des adhérents pour un premier formulaire conservé dans les manuscrits de Béthune, no 8823, elle s'étendit par toute la France. La nouvelle charte, copiée sur parchemin, fut portée de maison en maison et couverte de signatures. (Ruby, Hist. de Lyon, liv. 3, ch. 64.) Ce fut à qui mettroit le ruban noir sur son habit (L'Estoille, 6 juin 1591) et la croix blanche à son chapeau. (Ruffi, Hist. de Marseille, liv. 7, ch. 2.)
290: Voici bien déjà la Ligue toute créée et baptisée.
291: Dans cette résolution de la noblesse picarde nous retrouvons les instigations de M. d'Humières, jaloux de conserver le gouvernement que l'édit de pacification faisoit passer au prince de Condé. «Il fit si bien, dit Maimbourg, p. 26, par le grand crédit qu'il s'étoit acquis dans toute la province, que, comme d'ailleurs les Picards ont toujours été fort zelez pour l'ancienne religion, il obligea presque toutes les villes et la noblesse de Picardie à declarer hautement qu'on ne vouloit point du prince de Condé, parceque, disoit-on dans le manifeste que l'on publia pour justifier ce refus, on sçavoit de toute certitude que ce prince avoit résolu d'abolir la foy catholique et d'établir universellement le calvinisme dans la Picardie. En effet, on ne voulut jamais le recevoir ni dans Péronne, ni dans le reste du gouvernement; et pour se maintenir contre tous ceux qui voudroient entreprendre de faire observer par force cet article de paix, qu'on ne vouloit pas accepter, les Picards furent les premiers à recevoir d'un commun accord et à publier dans Péronne le traité de la Ligue en douze articles, où les plus sages mesme d'entre les catholiques, après l'illustre Christophe de Thou, remarquèrent beaucoup de choses qui choquoient directement les plus saintes loix divines et humaines.»
292: Dans l'acte signé le 10 février 1577, cette époque de Clovis est aussi rappelée. Les associés jurent de défendre la religion, «de remettre les provinces aux mêmes droits et franchises et liberté qu'elles avoient au temps de Clovis.» (Coll. Petitot, 2e série, t. 1, p. 66.) C'est une chose à remarquer que les ligueurs, dans leurs actes solennels, affectoient toujours de parler des dynasties mérovingienne et carlovingienne, et jamais de celle de Hugues-Capet. Il étoit, en effet, dans les idées des Guise de faire passer celle-ci pour usurpatrice et de préparer ainsi l'avénement au trône de leur propre famille, qu'ils donnoient pour la descendante directe de Charles de Lorraine, dernier héritier de Charlemagne. Partout ils faisoient répéter ce qui se trouvoit en substance dans le Discours qu'avoit prononcé l'avocat David, l'année précédente, à la petite assemblée des quarteniers tenue dans le Parloir aux Bourgeois: «Combien que la race des Capet ait succédé à l'administration temporelle du royaume de Charlemagne, elle n'a point toutefois succédé à la bénédiction apostolique affectée à la postérité de Charlemagne tant seulement, mais au contraire, en usurpant la couronne par outrecuidance téméraire, elle avoit acquis sur soi et sur les siens une malédiction perpétuelle... Au contraire, les rejetons de Charlemagne sont verdoyants, aimant la vertu, pleins de vigueur en esprit et en corps; ils rentreroient dans l'ancien héritage du royaume avec le gré, consentement et eslection de tout le peuple.» C'est assez clair. Voici qui l'est davantage encore: «On fera punition exemplaire du frère du roy, et finalement, par l'advis et permission de Sa Sainteté, on enfermera le roy et la reine dedans un monastère..., et, par ce moyen, M. de Guise réunira l'héritage temporel de la couronne à la bénédiction apostolique qu'il possède pour tout le reste de la succession de Charles-le-Grand.» Tels étoient les desseins, d'abord clandestins, puis bientôt hautement déclarés, de la Ligue.
293: Cette pièce est indiquée dans le Catalogne de la Bibliothèque Impériale (Hist. de France, t. 1, p. 547, no 1232). Sauf quelques variantes, et surtout quelques amplifications de récit, elle n'est guère autre chose qu'une reproduction de ce qui se lit, sur cette même échauffourée, dans le Mercure françois, t. 10, p. 473-478. De ci de là se trouvent pourtant quelques détails nouveaux. Nous les noterons au passage. Cette tentative des croquants est la moins connue de celles qu'ils hasardèrent; il n'en est parlé que dans cette pièce et dans le Mercure. Leur entreprise du mois de juin 1594 avoit été plus sérieuse et avoit eu plus de retentissement. C'est alors que ces Jacques de la fin du XVIe siècle avoient pris le nom qu'on leur donne ici, et qu'ils gardèrent. L'Estoille, à la date que nous venons de donner, parle de cette Ligue des crocans, «qui, dit-il, fust presque aussitost dissipée qu'eslevée, comme les vieilles Jacqueries de Beauvoisis et autres semblables, sans teste et sans chef. Ils en vouloient surtout aux gouverneurs et aux tresoriers, qui estoient cause que le roy dit, jurant son ventre-saint-Gris et gossant à sa manière accoustumée, que, s'il n'eust point esté ce qu'il estoit, et qu'il eust eu un peu plus de loisir, qu'il se fust faict volontiers crocan.» (L'Estoille, coll. Michaud, t. 2, p. 239.) Palma-Cayet parle aussi de ce grand remuement qui eut lieu dans les pays de Limousin, Périgord, Agenois, Quercy (coll. Petitot, 1re série, t. 42, p. 222): «Du commencement, dit-il, on appela ce peuple mutiné les tard-avisez, parceque l'on disoit qu'ils s'advisoient trop tard de prendre les armes, veu que chacun n'aspiroit plus qu'à la paix, et ce peuple appeloit la noblesse croquans, disant qu'ils ne demandoient qu'à croquer le peuple; mais la noblesse tourna ce sobriquet de croquant sur le peuple mutiné, à qui le nom de croquant demeura.» Le P. Daniel admet cette étymologie (Hist. de France, règne de Henri IV, t. 3, p. 1648). Le Dictionnaire de Trévoux pense, au contraire, que le nom de ces révoltés vient du croc dont ils s'étoient fait une arme. Le plus probable, c'est qu'on les nomma ainsi à cause d'une paroisse, non pas du Limousin, mais de la Marche (arrondissement d'Aubusson), appelée Crocq, et qui auroit été le point de départ du premier mouvement. En mai 1637, ils s'agitèrent du côté de Bergerac, mais le duc de La Valette les anéantit. On peut lire à ce sujet: La prise de la ville de Bergerac et entière dissipation des croquants par le duc de La Valette, 1637, in-8. Le mot croquant resta pour désigner un paysan. V. La Fontaine, fable la Colombe et la Fourmi.
294: Tout ce paragraphe manque dans le Mercure françois.
295: «Et que les pourveus se voulurent instaler.» (Mercure françois.)
296: Tout le passage qui précède, depuis «ces pauvres gens, etc.», est beaucoup moins étendu dans le Mercure françois.
297: «Qui se firent appeler les nouveaux croquans.» (Mercure fr., p. 475.)
298: «d'esleus.» (Mercure fr.)
299: Ce détail manque dans le Mercure françois. Il y est dit seulement que Barau (sic), «ayant assemblé plusieurs autres troupes de paysans et fainéants, s'alla joindre à celles de Douat.»
300: «et à Figeac», ajoute le Mercure françois. Il sembleroit faire croire ensuite que les révoltés demandèrent qu'on leur livrât, non pas deux, mais tous les nouveaux esleus.
301: «de Cahors.» (Mercure fr.)
302: Ce détail manque dans le Mercure.
303: «Qui avoit aussi assemblé quelques uns de ses amis.» (Mercure fr.)
304: «Ayant pris l'epouvante, dit le Mercure, ils se laissoient tuer en bestes, sans se defendre.»
305: Ces derniers faits sont moins circonstanciés dans le récit du Mercure françois. Le dernier blessé n'y est pas désigné.
306: Ces dernières phrases ne se trouvent pas dans le Mercure, mais les paroles prêtées à Douat sur l'échafaud et les lignes qui terminent le récit sont, les mêmes que celles qui se lisent ici.
307: Cette satire en couplets «fut semée en ce temps à Paris et divulguée partout soubs ce titre.» L'Estoille, qui en parle ainsi (édit. Michaud, t. 1, p. 74), ne manqua pas de la recueillir. Elle se trouve parmi les manuscrits qui sont à la Bibliothèque impériale, mais les anciens éditeurs de son Journal ont eu la pruderie de ne pas l'y joindre à sa date. M. Champollion l'a seul osé à moitié. A la suite du passage que je viens de citer, il a donné six des couplets. Les autres méritoient le même honneur, M. V. Luzarche l'a pensé; aussi a-t-il publié toute la pièce dans une note de son excellente édition du Journal historique de P. Fayet, 1852, in-12, p. 151-160; nous le pensons comme lui, et c'est ce qui nous la fait reproduire ici. Nous en prenons le texte dans un volume très rare: Le cabinet du roy de France, dans lequel il y a trois perles précieuses d'inestimable valeur, par le moyen desquelles Sa Majesté s'en va le premier monarque du monde, et ses sujets pas du tout soulagez, 1581, in-8. Elle y porte pour titre: Les indignitez de la cour, et il existe quelques différences entre son texte et celui du manuscrit de L'Estoille. Nous indiquerons les principales.
308: François de Médicis étoit alors grand-duc de Toscane. On sait quelle étoit son habileté pour l'invention de nouveaux impôts et sa rigueur à les exiger. Quatre ans après l'époque dont on parle ici, il ne fut arrêté ni par la famine, ni par la peste, qui désoloient ses états, et leva des contributions plus que jamais exorbitantes.
309: Var.:
Et fait un party de la somme.
310: V. l'une des précédentes pièces sur les impositeurs italiens.
311: Var.:
Auroit peur d'en recevoir blasme
En usant si lascivement.
312: Var.:
Leur œil ne se trouve à son aise
Dedans le reply de leur freize.
Le premier vers vaut mieux en ce qu'il donne une idée de la hauteur des fraises, qui alloient jusqu'aux yeux.
313: «Ces beaux mignons, dit L'Estoille (t. 1, p. 74), portoient les cheveux longuets, frisés et refrisés par artifice, remontant par-dessus leurs petits bonnets de velours, comme font les putains, et leurs fraizes de chemise de toile d'atour empesez et longues de demi-pied, de façon qu'a voir leurs testes dessus leurs fraizes, il sembloit que ce fust le chef de saint Jean dans un plat.» Une anecdote qui se trouve dans le Peroniana (Cologne, 1691, in-12, p. 145) donne mieux que tout ce que nous pourrions dire une idée de la largeur des fraises qui se portoient alors: «La reyne, lisons-nous..., ayant mis une fort grande fraize, voulut manger de la bouillie et se fit apporter une cuiller qui avoit un fort grand manche, si bien qu'elle pouvoit manger sa bouillie sans gâter sa fraize.» Henri III s'en étoit lassé quelque temps: «Au commencement de novembre (1575), dit l'Estoille, le roi laissa sa chemise à grands godrons, dont il étoit autrefois si curieux, pour en prendre à collet renversé à l'italienne.» Mais en 1578 la mode des fraises «d'un tiers d'aulne» reprit plus que jamais fureur. (Mém. de P. Fayet, p. 2.) Les collets revinrent et restèrent. Sous Louis XIV pourtant, les arriérés, comme le Sganarelle de l'Ecole des maris, jouée en 1661, ne s'y étoient pas encore conformés. «Ma foi, dit Lisette de ce suranné,
Ma foi, je l'enverrois au diable avec sa fraize.»
V., sur les collets et rabats à godrons, t. 1, p. 163.
314: Var.:
J'avois peur d'en recevoir blasme.
315: Var.:
Tout leur bien et tout leur trésor.
316: Var.:
Pensez-vous que nos beaux François.
317: Var.:
En tant de périlleux hazards.
318: Longtemps ce fut le blanc dont on se placardoit la figure qui s'appela fard. V. Notice des manuscrits, t. 5, p. 163. L'usage universel du rouge au 18e siècle, où la poudre dont on se couvroit la tête rendoit le blanc impossible pour le visage, a seul fait donner au mot fard le sens que nous lui donnons. Regnier (sat. 9, v. 8) parle aussi de la céruse dont on se fardoit. Cette mode de teinture faciale étoit venue d'Italie, comme tous les vices et les ridicules du même temps. V., dans un livret très rare publié vers 1500, Bazelletta del preclarissimo poeta Faustino de Rimine, un sonnet moral sur la manie de se farder (Catal. Libri, p. 238, no 1481).
319: Var.:
Nouveaux imposts.
320: Ce fragment très curieux, qui contient sur l'un des plus intéressants épisodes de la fin de la vie du cardinal de Richelieu des détails fort circonstanciés, n'a été publié que dans le no 5 de la Revue trimestrielle, p. 200-202. Il est à peu près inconnu, presque inédit, car le numéro dans lequel il a été inséré est le plus rare de cette publication, que Buchon dirigeoit, et qui a été interrompue par la révolution de juillet. Nous ne savons quel est le J. de Banne dont le journal manuscrit contenoit cette anecdote.
321: Richelieu tenoit Cinq-Mars et de Thou. Louis XIII, avant de s'en retourner à Paris, malade et presque mourant lui-même, les lui avoit livrés en passant par Tarascon. Il lui avoit aussi laissé «le pouvoir d'agir, durant son absence, avec la même autorité que sa propre personne.» (Mém. de Monglat, coll. Petitot, 2e série, t. 49, p. 380.) Le cardinal se hâtoit d'en profiter, et il entraînoit ses deux captifs vers Lyon, où le chancelier, muni des preuves de leurs intelligences avec l'Espagne, préparoit déjà leur procès. Rien n'avoit pu arrêter l'implacable ministre. Le mal qui le dévoroit, et dont une des pièces précédentes vous a dit le détail, ne fut pas un obstacle pour lui. «Ne pouvant souffrir ni litière ni carrosse, dit Monglat, ibid., p. 390, il vouloit remonter le Rhône jusqu'à Lyon, ce que personne n'avoit jamais entrepris, à cause de la rapidité du fleuve. Il ne laissa pas de s'y embarquer, et avoit si peur que les prisonniers ne se sauvassent qu'il fit attacher le bateau où ils étoient au sien, et les mena en triomphe jusqu'à Lyon, pour être sacrifiés à sa vengeance. Il ne faisoit que deux lieues par jour, tant l'eau étoit rapide.»
322: Cinq-Mars étoit avec lui, et c'est par oubli que J. de Banne ne le nomme pas ici. Puisqu'il est question de de Thou, à qui l'on a voulu faire dans tout ceci un rôle beaucoup trop intéressant, il est bon, je crois, de renvoyer à une lettre qui lui fut écrite peu de temps avant la découverte du complot par Alexandre de Campion, qu'il avoit voulu y entraîner. Par cette lettre, qui le pose en véritable recruteur de conjurés, sa part de complicité semble fort bien définie: «Il est certain, dit M. Moreau dans une note, que de Thou avoit fait un peu plus que de garder le secret de son ami.» (Mémoires de H. de Campion, édit. elzev., p. 379.) Pour un autre fait très curieux de cette conspiration, V. Mém. de d'Argenson, coll. elzevir., t. 1, p. 71-72.
323: Viviers, sur le Rhône, autrefois capitale de la province de Vivarais, qui lui doit son nom, aujourd'hui simple chef-lieu de canton du département de l'Ardèche.
324: Ce n'étoit là que la moindre de ses maladies. Monglat en parle plus en détail: «Le cardinal, dit-il, étoit fort malade d'un abcès qui lui etoit venu au bras..., aussi bien qu'au fondement, où il avoit un ulcère.»
325: Monglat dit qu'il y avoit douze personnes pour le porter (ibid., p. 391); Pontis en compte seize (coll. Petitot, 2e série, t. 32, p. 342). Tallemant va jusqu'à vingt-quatre, mais qui se relayoient, dit-il (édit. P. Pâris, t. 2, p. 70-71).
326: «M. des Noyers, l'un de ses plus fidèles serviteurs, faisant pour ainsi dire le maréchal-des-logis, alloit devant et avoit soin de faire faire une ouverture à l'endroit des fenêtres de la chambre où il devoit reposer.» (Mém. de Pontis, p. 342.)
327: «Il avoit aussi, dit Monglat, un pont sur des chariots, qu'on appliquoit si adroitement aux lieux où il logeoit qu'on le montoit dans sa chambre sans passer par aucun degré.» Tallemant dit à peu près la même chose: «Pour ne le pas incommoder, on rompoit les murailles des maisons où il logeoit, et, si c'étoit par trop haut, on faisoit un rempart dez la cour, et il entroit par une fenestre dont on avoit osté la croisée.»
328: Le coup fait, sa vengeance prise, le cardinal ne songea plus qu'à se rapprocher du roi. «On le porta dans sa machine jusqu'à Roanne, où il s'embarqua sur la rivière de Loire, et en sortit à Briare, où il entra dans le canal jusqu'à Montargis. Il joignit dans ce lieu la rivière du Loing, sur lequel il descendit à Nemours, et, rentrant dans sa machine, il fut coucher à Fontainebleau. Le lendemain, il se remit sur la Seine à Valvin, et, dans son bateau, il arriva à Paris.» (Mém. de Monglat.) Tallemant donne quelques autres détails: «Une fois, dit-il, qu'il eut attrapé la Loire, on n'avoit que la peine de le porter du bateau à son logis. M. d'Aiguillon le suivoit dans un bateau à part; bien d'autres gens en firent de mesme. C'estoit comme une petite flotte. On eut soin de faire des routes pour réunir les eaux, qui estoient basses; et, pour le canal de Briare, qui estoit presque tary, on y lascha les escluses. M. d'Anghien eut ce bel employ.» Singulier office en effet pour Condé, qui, à un an de là, devoit être le vainqueur de Rocroy. En allant dans le midi, Richelieu s'étoit déjà arrêté à Briare. Le roi, toute la cour, y étoient avec lui, et il s'en étoit fallu de peu qu'il ne fût alors assassiné par les conjurés. (Mémoires de Brienne, édit. Fr. Barrière, t. 1, p. 264.) Il avoit su le complot et le danger qu'il avoit couru. Au retour, en se retrouvant dans cette même ville, sans crainte et vengé, il dut éprouver une singulière satisfaction. Monglat vient de vous dire qu'il arriva jusqu'à Paris dans cet équipage. Pontis, qui le vit passer du coin de la rue de la Verrerie, décrit ainsi sa marche à travers la grande ville: «On tendit les chaînes dans toutes les rues par où il devoit passer, afin d'empêcher la grande confusion du peuple, qui accouroit de toutes parts pour voir cette espèce de triomphe d'un cardinal, d'un ministre couché dans son lit, qui retournoit avec pompe, après avoir vaincu ses ennemis.»
329: L'Estoille, qui parle aussi très longuement de ces processions, leur donne pour motif les mêmes signes extraordinaires: «Ils disoient, écrit-il, parlant des pèlerins, avoir esté menez à faire ces penitences et pelerinages pour quelques feux apparents en l'air et autres signes, comme prodiges veuz au ciel et en la terre, mesme vers les quartiers des Ardennes, d'où étoient venus tels pelerins et penitents jusqu'au nombre de dix ou douze mille, à Notre-Dame de Reims et de Liesse pour même occasion.» (Journal de L'Estoille, coll. Michaud, t. 1, p. 165.)
330: «Vêtus de toile blanche, dit L'Estoille (ibid.), avec mantelets aussi de toile sur leurs epaules, portant chapeaux ou de feutre gris chamarrés de bandes de toile, ou tout couverts de toile, sur leurs testes; et, en leurs mains, les uns des cierges et chandelles de cire ardente, les autres des croix de bois; et marchoient deux à deux, chantant en la forme des penitents ou pèlerins allant en pèlerinage.»
331: V. la première note.
332: Ville du grand-duché de Luxembourg, dans la forêt des Ardennes. L'église de l'abbaye, qui est fort belle, n'étoit pas encore reconstruite telle qu'on la voit aujourd'hui.
333: Village à une lieue de Namur.
334: Saint-Nicolas-du-Port, dans le diocèse de Toul.
335: L'église de Saint-Marcou se trouve à Corbeny, dans le département de l'Aisne, sur la route de Laon à Reims. Elle dépendoit de la cathédrale de cette dernière ville. Les rois y alloient faire une neuvaine après leur sacre, et avant de toucher les écrouelles. C'est à l'intercession de saint Marcou qu'ils devoient de les guérir.
336: Lieu de pèlerinage dans le département de l'Aisne, arrondissement de Laon.
337: Nous avons déjà parlé de ce célèbre lieu de pèlerinage, situé à deux lieues de Châlons-sur-Marne, dans une note de notre édition des Caquets de l'accouchée, p. 275. On peut consulter aussi Pavillon-Pierrard (Description historique de l'église de Notre-Dame-de-l'Epine, Châlons, 1825, in-8), et le Magasin Pittoresque, (t. 20, p. 233), qui a donné une excellente gravure de ce bijou de notre architecture gothique. Des érudits d'outre-Rhin avoient prétendu que cette chapelle avoit été construite par un prêtre de Cologne (Coloniensis sacerdos), et ils partoient de là pour soutenir que le style gothique étoit chez nous d'importation allemande. Leur principal argument étoit une inscription qu'ils lisoient en latin, mais qu'il falloit lire en patois champenois, comme M. Didron s'en avisa le premier. La voici: Guichart Anthoine tos catre nos at fet. Il s'agit des piliers du rond-point de l'église, que ce Guichart, maçon très champenois, avoit réédifiés tous quatre au 15e siècle. V. la belle introduction du livre de M. L. Dussieux: Les artistes françois à l'étranger. Paris, Gide et Baudry, 1856, gr. in-8, p. XI-XII.
338: Ceci nous explique le motif de ces processions, manifestation évidente des catholiques contre ceux de la religion. Nous y trouvons aussi la raison de ces promenades de pénitents que Henri III conduisoit à la même époque dans les rues de Paris. Où l'on n'a voulu voir que des mômeries ridicules, il faut reconnoître une démonstration catholique exigée par les besoins du moment. Cette année même, au mois de mars, Henri III avoit donné à ces sortes de professions de foi un caractère pour ainsi dire officiel, par la création de la confrérie des Pénitents. (Journal de P. Fayet, p. 28.)
340: Village du département de Seine-et-Oise, canton de Montmorency. Les fidèles y affluoient autour de la châsse du saint qui lui avoit donné son nom. C'est surtout le dimanche après le 12 juillet que les gens de Paris y couroient en foule.
341: «Le 10 septembre, dit L'Estoille, vindrent à Paris, en forme de procession, huict ou neuf cens qu'hommes que femmes, que garçons que filles. Ils estoient habitants des villages de Saint-Jean, des deux Gémeaux et d'Ussy en Brie, près La-Ferté-Gaucher, et estoient conduits par les deux gentilshommes des deux villages susdits, vestus de mesme parure, qui les suivoient à cheval, et leurs damoiselles aussi, vestues de mesme, dedans un coche. Le peuple de Paris accourut à grande foule pour les voir venans faire leurs prières et offrandes en la grande eglise de Paris, esmeu de pitié et commiseration, leur voiant faire tels penitentieux et devocieux voyages, pieds nuds et en longueur et rigueur des chemins.»
342: L'abbaye de la Victoire, à une demi-lieue environ au levant de Senlis. Elle avoit été fondée en 1214 par Philippe-Auguste, après la bataille de Bouvines. V. Vatin, Senlis et Chantilly, 1847, in-8, p. 173.
343: «Les 19 et 20 du dit mois de septembre, écrit L'Estoille, cinq autres compagnies de semblables penitents et pelerins vestus et accommodés, chantans et marchans de mesme façon que les precedents pour mesme occasion, habitans des villages et bourgs de Cerci, Villemarœil, Saint-Clerc, Jouarre et autres lieux de la Brie, et de Roissy en France, et firent leurs prières et offrandes à la Sainte-Chapelle, et à Notre-Dame, et à Sainte-Geneviève. En plusieurs autres endroits de Brie, Champagne, Valois et Soissonnois, se firent de plusieurs villages pareilles peregrinations et processions de lieu à autre, en grande devotion, pour mesme occasion, et encore à ce qu'il pleust à Dieu et à Nostre-Seigneur, par l'intercession de la bienheureuse Vierge Marie, sa mère, que ces bonnes gens alloient prians et invoquans par leurs cantiques et oraisons, appaiser son ire et preserver le pauvre peuple de la contagion de la peste, qui fut aspre et grande par tout ce royaume, nommement à Paris et aux environs, tout au long de l'automne.»
344: Cette pièce singulière, qui sous son titre burlesque cache une sorte d'apologue dont le sens avoit alors une grande portée, date des premiers temps de l'Assemblée constituante. Nous l'avons trouvée à la Bibliothèque impériale: V. Catalogue de l'histoire de France, t. 2, p. 528, no 1767. Il n'étoit pas rare, à l'époque de Necker et de Calonne, de voir personnifier sous la piètre figure de dindons ou de canards plumés et prêts à mettre en broche, le non moins piètre sort des gens frappés par les impôts. Ainsi, c'est alors qu'on avoit mis en vers la parabole de ces misérables volatiles, consultés pour savoir non pas s'ils seroient mangés, mais à quelle sauce ils devroient l'être. V. Sallier, Annales françoises, 1re édit., p. 62, note. On en avoit fait aussi une caricature assez amusante, dont voici la légende: c'est Calonne, sous la figure d'un singe à la tribune, qui préside et qui parle; ce sont les canards et les dindons qui répondent: «Mes chers administrés, je vous ai assemblés pour savoir à quelle sauce vous voulez être mangés.—Mais nous ne voulons pas être mangés du tout!!!—Vous sortez de la question!...» (A. Challamel, Histoire musée de la Révolution, 3e édit., p. 11-12.)—De toutes ces facéties, au crayon et à la plume, celle que nous donnons ici n'est pas la moins curieuse. Il en fut fait plus tard une contrefaçon par un journaliste belge, Norbert Cornelissen, le même «qui, pendant cinquante ans, dit M. de Reiffenberg, eut, comme Diderot, de l'esprit pour tout le monde, et défraya la ville de Gand de discours, d'improvisations, de notices, de programmes, etc.» (Annuaire de la Bibliothèque royale de Belgique, 1850, p. 28.) Un jour il publia qu'on venoit de faire une expérience intéressante bien propre à constater l'étonnante voracité des canards: «On avoit, écrit-il, réuni vingt de ces volatiles; l'un d'eux avoit été haché même avec ses plumes et servi aux dix-neuf autres, qui en avoient avalé gloutonnement les débris; l'un de ces derniers à son tour avoit servi immédiatement de pâture aux dix-huit suivants, et ainsi de suite jusqu'au dernier, qui se trouvoit par le fait avoir dévoré ses dix-neuf confrères, dans un temps déterminé très court.» C'est tout à fait notre histoire, avec cette différence que, dans la pièce de 1789, le mangeur finit par être mangé et que le massacre de canards n'est pas aussi considérable; l'un dans l'autre, il n'y en a que six plumés et dévorés. L'écrivain belge, qui attribue l'invention à Cornelissen, ajoute: «Cette petite histoire fut répétée de proche en proche par tous les journaux et fit le tour de l'Europe. Elle étoit à peu près oubliée depuis une vingtaine d'années, lorsqu'elle nous revint d'Amérique, avec tous les développements qu'elle n'avoit point dans son origine, et avec une espèce de procès-verbal de l'autopsie du dernier survivant, auquel on prétendoit avoir trouvé des lésions graves dans l'œsophage. On finit par rire de l'histoire du canard, mais le mot resta.» L'étymologie nous sembleroit curieuse et acceptable si nous ne savions que dès le 16e siècle on disoit, dans le sens de mentir: vendre ou donner un canard à moitié, et pour menteur: un donneur de canards. V. Les Néapolitaines de Fr. d'Amboise (anc. Th., t. 6, p. 301); Cotgrave, cité par Oudin, Curiositez françoises, au mot Canard. V. aussi la Comédie de proverbes, acte 3, se. 7; Venéroni, Dictionnaire françois-italien, 1723, in-4, au mot Canard; et surtout Francisque-Michel, Etudes de philologie comparée sur l'argot, p. 88.
345: Il est fait allusion ici aux discussions élevées dans le sein de l'Assemblée constituante au sujet du sort des curés, dont un grand nombre fut piètrement réduit à la portion congrue, tandis que le magnifique traitement des évêques étoit maintenu et que plusieurs de leurs pareils continuoient à s'engraisser en d'opulents bénéfices. V. le Moniteur du 23 au 28 sept. 1789. Sélis, dans son intéressante brochure: Lettre d'un grand vicaire à un évêque sur les curés de campagne, in-8 de 32 pages, 1789, met en regard le sort d'un curé à portion congrue et celui d'un curé voisin dont le bénéfice vaut 10,000 fr.
346: Depuis l'impression de cette pièce nous avons trouvé une note curieuse à y ajouter. Le 15 avril 1722 fut rendu un arrêt statuant sur les loyers de la ville de Versailles, dans lequel il est dit: «Se réserve Sa Majesté de pourvoir à la fixation des loyers, en cas d'excès de la part des propriétaires.» (Journal de Marais, Revue rétrospective, 30 nov. 1836, p. 203.)
—Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe de l'auteur a été conservée.
—Les dates suivantes ont été remplacées:
—— (10 avril 1653)—> (10 avril 1563)
—— 24 mars 1483,—> 24 mars 1583