Project Gutenberg's L'Illustration, No. 1587, 26 Juillet 1873, by Various

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Title: L'Illustration, No. 1587, 26 Juillet 1873

Author: Various

Release Date: August 7, 2014 [EBook #46525]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 26 JUILLET 1873 ***




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L'ILLUSTRATION
JOURNAL UNIVERSEL
31e Année.--VOL. LXII--N° 1587

DIRECTION, RÉDACTION, ADMINISTRATION
22, RUE DE VERNEUIL, PARIS.
31e Année.VOL. LXII. N° 1587
SAMEDI 26 JUILLET 1873
SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL
60, RUE DE RICHELIEU, PARIS.
Prix du numéro: 75 centimes
La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.; relié et doré sur tranches, 23 fr.
Abonnements Paris et départements: 3 mois, 9 fr.; 6 mois, 18 fr.; un an, 36 fr.;
Étranger, le port en sus.
SOMMAIRE

Texte: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris.--Le peintre Ab-Ovo.--La Cage d'or, nouvelle, par M. G. de Cherville (suite).--Nos gravures.--Revue comique du mois, par Bertall.--Les Théâtres.--Bulletin bibliographique.

Gravures: L'incendie des magasins du Grand-Monge, rue Monge (2 gravures).--Sir Samuel Baker, explorateur de



l'Afrique centrale;--Lady Baker.--La sieste, composition et dessin de J. Millet.--Un nouveau sport; le Paper Hunt, chasse au papier.--La tante à succession, d'après le tableau de M. Worms.--Découverte d'un éléphant fossile à Durford (Gard), 3 gravures.--Revue comique du mois, par Bertall (12 sujets).--La cabine-laboratoire du Challenger, navire chargé d'explorer le fond des mers.--Rébus.


L'INCENDIE DE LA RUE MONGE.--Les pompiers essayant
d'enfoncer la devanture des magasins du Grand-Monge.



HISTOIRE DE LA SEMAINE

FRANCE.

À l'heure où ces lignes paraîtront, l'Assemblée nationale sera sur le point de se séparer pour ne rentrer en session que le 5 novembre. Cette longue interruption des travaux parlementaires a été décidée dans la séance de samedi dernier, d'après les conclusions du rapport présenté par M. Paris et malgré l'opposition de la gauche qui, trouvant l'époque de la prorogation trop éloignée, avait vainement demandé qu'elle fut fixée d'abord au 20 septembre, époque de la libération du territoire, puis au 20 octobre.

La semaine parlementaire a d'ailleurs été bien remplie. L'Assemblée a discuté et voté plusieurs lois importantes, que nous allons successivement passer en revue. C'est d'abord la loi relative à l'organisation de l'armée, dont nous avons résumé, dans notre précédent bulletin, les dispositions principales, et dont l'adoption en deuxième lecture a eu lieu, comme on pouvait le prévoir, à la presque unanimité, sauf quelques modifications secondaires apportées à la rédaction primitive de certains articles, notamment en ce qui concerne la durée des fonctions des généraux dans l'exercice d'un même commandement, et la latitude laissée au ministre de la guerre pour modifier l'habillement et l'équipement des troupes; les changements d'uniforme, abandonnés jusqu'à présent à la discussion du ministre, ne pourront plus avoir lieu, désormais, qu'après le vote d'un crédit spécial.

L'Assemblée s'est ensuite occupée d'une proposition émanant de MM. Fresneau et Carron et ayant pour objet l'organisation du service religieux dans l'armée de terre; cette proposition a eu ce sort singulier d'être soutenue et combattue avec une égale vivacité et avec les arguments les plus opposés, au nom du même principe, celui de la liberté de conscience. Selon les adversaires du projet, dont M. le général Guillemaut s'est fait remarquer comme l'un des plus ardents, cette liberté sera soumise aux plus graves atteintes par l'existence d'un service religieux spécial aux troupes qui, alors même que la fréquentation n'en serait pas obligatoire, aura pour effet de faire remarquer les militaires qui n'y assisteraient pas, et de créer, par suite, entre les pratiquants et les non pratiquants, une différence dont les effets seront funestes à plusieurs points de vue. Selon les généraux Robert et Pélissier, et selon M. Carron, tout au contraire, la proposition dont il s'agit aura précisément pour effet de protéger cette même liberté de conscience en assurant aux croyants les moyens de remplir leurs devoirs religieux, moyens qui leur faisaient trop souvent défaut jusqu'à présent. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que la majorité a été de cet avis, et le projet a été voté par plus de 400 voix.

C'est encore d'une question religieuse que la Chambre s'est occupée dans ses séances de mardi et mercredi. Mgr l'archevêque de Paris a demandé à l'Assemblée de déclarer d'utilité publique la construction d'une église au sommet de la butte Montmartre. Cette construction, dont les frais seraient couverts par une souscription, ne coûterait rien à l'État; la déclaration d'utilité publique a simplement pour but, en ce cas, de donner aux promoteurs de l'entreprise le droit d'acquérir l'emplacement nécessaire par voie d'expropriation. L'utilité publique existe-t-elle; peut-elle être également déclarée dans ce cas particulier? Tel est le terrain purement juridique sur lequel M. Bertauld a placé la question après quelques observations d'ordre religieux et politique présentées par M. de Pressensé. Pour soutenir la négative, M. Bertauld a cité des passages du Cours de droit administratif de M. Batbie, où l'honorable député qui est aujourd'hui ministre des cultes semble se prononcer dans ce sens. M. Batbie a reconnu l'exactitude de la citation, mais en ajoutant que la doctrine jadis soutenue par lui n'avait pas été confirmée par la jurisprudence ultérieure; il a ensuite relevé plusieurs erreurs commises dans l'argumentation de M. Bertauld et, finalement, la Chambre a adopté la déclaration d'utilité publique.

Nous avons, à dessein, réservé pour la fin de notre revue de la semaine parlementaire l'interpellation adressée par M. Jules Favre et plusieurs membres de la gauche au gouvernement sur sa politique intérieure, dans la séance de lundi dernier. Cette interpellation, d'abord retirée par ses auteurs, puis reprise au dernier moment, empruntait à la prochaine prorogation de l'Assemblée, une importance toute particulière.

Elle pouvait fournir au gouvernement l'occasion de s'expliquer sur ce qu'il compte faire pendant ces trois mois où il va se trouver, en quelque sorte, livré à lui-même, et sur la façon dont il entend préparer la solution des graves questions constitutionnelles depuis si longtemps en suspens. Malheureusement, l'orateur qui s'était chargé de la soutenir, gravement discrédité aux jeux de la majorité et même à ceux d'une partie de la gauche, en avait à l'avance compromis le résultat par sa seule intervention. De l'aveu même d'une grande partie des journaux républicains, M. Jules Favre, mal inspiré en prenant la parole, l'a été plus mal encore dans le développement de son discours. Au lieu de maintenir le débat dans la sphère élevée qui lui convenait, il l'a porté sur le terrain des incidents secondaires et des récriminations passionnées. M. de Broglie, dont la réponse était ainsi rendue singulièrement facile, s'est contenté de se reporter au 24 mai et aux circonstances qui avaient amené le différend entre la majorité et M. Thiers; au réquisitoire de M. Jules Favre le sommant de dire si le gouvernement était légitimiste, orléaniste ou bonapartiste, il a simplement répondu que le gouvernement ne préparait pas de solution constitutionnelle, que c'était là le domaine de l'Assemblée, dont il avait reconnu le pouvoir et dont il accepterait la sentence lorsque le jour serait venu. A la suite de ce discours, un ordre du jour exprimant la confiance de l'Assemblée nationale dans la politique du gouvernement et signé du général Changarnier, de M. d'Audiffret-Pasquier et de M. de Larcy, a été adopté à la majorité de 388 voix contre 269, sur 651 volants.

Le mouvement d'évacuation des troupes allemandes, annoncé d'abord comme ne devant commencer que le 25, est déjà effectué en grande partie et sera entièrement terminé le 2 août, moins la place de Verdun. A l'heure où nous écrivons, les villes de Mézières, Charleville, Bar-le-Duc, Sedan, Commercy, Vaucouleurs et Neufchâteau ont vu s'éloigner les troupes allemandes qui les occupaient et qui ont été immédiatement remplacées par des garnisons françaises.

ESPAGNE.

L'Espagne paraît être arrivée à cette période de crise suraiguë qui précède les événements décisifs. Le dictateur Pi y Margall, dont l'inconcevable apathie lui avait valu les attaques les plus violentes au sein des Cortès, se voyant dans l'impossibilité de former un ministère, a fini par donner sa démission et a été immédiatement remplacé par M. Salmeron. Ancien vice-président du Sénat sous le dernier règne, M. Salmeron appartient à la droite de l'Assemblée; son ministère, pris dans la droite également, comprend plusieurs anciens ministres ou fonctionnaires du roi Amédée. Le nouveau gouvernement réussira-t-il mieux que son prédécesseur à rétablir l'ordre et à refouler l'insurrection? Cette simple question a l'air d'une amère ironie en présence de l'effroyable décomposition à laquelle l'Espagne est en proie du Nord au Midi. Nous avons déjà signalé, il y a huit jours, les désordres dont Carthagène, Alcoy, Barcelone et Malaga avaient été le théâtre. Les détails publiés depuis sur les excès commis par les forcenés qui régnent en maîtres à Alcoy et à Carthagène dépassent en horreur tout ce que l'imagination peut concevoir. Du reste, le mouvement fédéraliste gagne chaque jour du terrain; les provinces de Murcie, de Valence et d'Andalousie ont proclamé leur complète autonomie; plusieurs navires de guerre, la frégate la Vittoria entre autres, tombés au pouvoir des insurgés de Carthagène, ont été expédiés par ceux-ci sur Alicante pour aller soulever la population; à Séville, la populace a arrêté le capitaine général nommé par le gouvernement et a pris possession du télégraphe; à Cadix, elle assiège les troupes restées fidèles qui se sont retranchées dans l'arsenal.

Pendant ce temps, les carlistes poursuivent le cours de leurs succès et don Carlos est entré en Espagne, où il a pris le commandement des forces dont il dispose. Dans sa proclamation aux volontaires royalistes, datée du village de Zugarramurdi, don Carlos commence par invoquer le Dieu des armées; puis il annonce que les volontaires auront désormais en abondance les armes qui leur avaient souvent manqué jusqu'à présent; il déplore l'aveuglement de l'armée qui oublie quinze siècles de gloire, et termine en faisant appel au dévouement de ses partisans pour sauver l'Espagne agonisante.

Un des premiers actes du prétendant a été d'adresser au général carliste Antonio Lizarraga, commandant général en Guipuzcoa, une lettre dans laquelle il déclare le curé Santa Cruz traître et rebelle, et donne ordre de traiter comme tels ceux qui à l'avenir serviraient sous ses ordres ou l'admettraient dans leurs rangs. Selon une dépêche de source carliste, Santa Cruz, à la suite de sa disgrâce, aurait déposé son uniforme, abandonné son commandement militaire et, reprenant sa soutane, serait entré en France, d'où il se rendrait à Rome pour se jeter aux pieds du saint-père et demander son pardon.

GRANDE-BRETAGNE.

La Chambre des Communes a voté, la semaine dernière, malgré l'opposition du ministère, une proposition qui peut paraître chimérique, mais qui montre que les idées de progrès et d'humanité ne cessent jamais de perdre complètement leur empire, même aux époques les plus troublées. Aux termes de cette proposition, le gouvernement est invité à faire appel au tribunal arbitral, avant de recourir à la force des armes, chaque fois qu'il s'élèvera un conflit entre lui et une puissance étrangère; il devra en outre s'appliquer par tous les moyens possibles à amener entre les puissances une entente ayant pour but l'institution d'un semblable tribunal pour régler pacifiquement les différends qui pourraient s'élever entre elles. Combattue avec assez de vivacité par M. Gladstone, qui l'a qualifiée d'utopique et en a démontré l'inefficacité, cette motion n'en a pas moins été adoptée comme nous l'avons dit, car elle avait pour elle l'éloquent exemple de la solution dù différend relatif à l'Alabama; remplira-t-elle son objet et réussira-t-elle à délivrer l'humanité du fléau de la guerre? Il faut le souhaiter si l'on n'ose l'espérer.

Les fiançailles du duc d'Édimbourg, second fils de la reine d'Angleterre, avec la grande-duchesse Marie Alexandrowna, fille de l'empereur de Russie, ont été célébrées la semaine dernière au château de Heiligenberg, près de Jugenheim, dans la Hesse. La grande-duchesse, née le 17 octobre 1853, atteindra bientôt sa vingtième année. Le duc d'Édimbourg a vingt-neuf ans; il est né le 6 août 1844.



COURRIER DE PARIS

Il est donc parti, il ne reviendra plus. Je ne le nomme pas; ce ne serait point la peine de le nommer. Vous avez assez vite deviné de qui je veux parler. Il est parti. Qu'Allah soit loué jusqu'à ce ciel de nacre où El Borak, la divine jument du Prophète, va conduire les houris aux grands yeux noirs! On compte de cela sept jours depuis qu'il a pris le chemin de fer qui l'a conduit de Dijon à Genève. De Suisse il va en Italie, du Tyrol à Constantinople. Jamais vagabonde comète n'aura laissé derrière elle une si longue traînée de fêtes et d'étincelles.

En nous quittant, il s'est amusé à faire pleuvoir des croix par poignées. Avez-vous vu sa plaque? Un soleil au milieu duquel se dresse un lion tenant une épée dans ses griffes. Le tout entouré de diamants. Ceux qui s'étaient constitués ses historiographes du jour et de la nuit racontent qu'il a distribué cinq cents de ces soleils. Comment! rien que ça! La belle poussée pour un pays où c'est une maladie de naissance que de porter des rubans! «--Mon Dieu, s'écriait le vieux roi Louis-Philippe, ils demanderaient des croix au choléra, si le choléra en donnait!»

Pour en revenir à celui qui en a semé cinq cents, plus de quatorze cents placets avaient été déposés au Petit-Bourbon; Malcolm-Khan, le premier ministre, a dû mettre une digne à cette inondation de suppliques. Tandis qu'on y était, on aurait bien satisfait à toutes les demandes. Qu'est-ce que ça pouvait leur faire, neuf cents décorations persanes de plus ou de moins! Mais au moment où l'on se disposait à doubler la pluie, à la tripler même, on a découvert avec stupeur qu'on avait usé jusqu'au dernier tous les brevets imprimés et scellés ad hoc. En partant de Téhéran, on avait rempli toute une caisse de ces parchemins, pensant que la cargaison serait suffisante. Cette disette de diplômes a tout arrêté. Ah! si l'on avait su en quoi consiste, sous ce rapport, la furia francese, ce n'est pas une caisse, c'est une demi-douzaine qu'on aurait mêlée aux bagages!

Nassr-ed-Din a emporté Paris avec lui, en Orient. Savez-vous comment? Un peu avant son départ, M. Alphand lui a fait présent de son intéressant ouvrage, Les Promenades de Paris, qu'a publié l'éditeur J. Rotschild.--M. Alphand, vous le savez, est l'habile ingénieur qui a fait le Paris décoratif que vous connaissez.--De retour à Téhéran, le shah feuillettera plus d'une fois ce curieux volume en se rappelant les monuments qu'il a visités, les jardins, les grandes voies et les places qu'il a traversés.--Et qui sait? peut-être ce volume lui servira-t-il, un de ces jours, à décréter un Paris oriental?

Lui parti, l'ambassade japonaise arrive. C'est la douzième que nous voyons entrer dans nos murs. Venez, Japonais! Soyez les bien-venus! On a toujours fait bon accueil à vos devanciers. Pourquoi ne vous ménagerait-on pas, à vous aussi, une réception de première classe? MM. les reporters préparent déjà leurs carnets. On va nous tenir au courant des faits et gestes de l'ambassade nouvelle. A première vue, par malheur, on a pu constater une lacune. Cette douzième ambassade japonaise manque absolument de Taïcoun.

Point de Taïcoun, qu'en dira-t-on?

Il est impossible que nous ayons perdu de vue la figure pain d'épice, imberbe et étonnée de Son Altesse le Taïcoun, comme on appelait cet adolescent venu de leddô. Il n'y avait pas de fête sans le jeune étranger. Comme le palais des Tuileries, alors si souvent en liesse, le mettait savamment en relief, de par M. Feuillet de Conches, dans toutes les cérémonies, dans tous les dîners, dans toutes les chasses, dans tous les bals et jusqu'aux soirées où l'on organisait les tableaux vivants! Qu'est-il devenu, monseigneur le Taïcoun? Les neiges d'autan sont fondues, je le sais. Toutes les grandeurs d'alors se sont évanouies comme la fumée d'un cigare. Ainsi l'a voulu le destin qui semble ne vouloir jamais que des choses bizarres ou pénibles; mais le Taïcoun n'était pour rien dans nos affaires. C'est pour vous dire qu'il avait des droits à être épargné. Où est-il donc? Vit-il encore? An puer Ascanius vivit ne aut vescitur aura? comme dit Virgile. Et s'il arrivait qu'il n'y eut plus de Taïcoun, qui empêchait d'en improviser un autre afin de nous l'envoyer avec la douzième ambassade qui nous fait l'honneur de visiter Paris en ce moment?

Ces visites multipliées démontrent d'ailleurs combien est irrésistible la force qui pousse désormais l'Orient à donner la main à l'Occident. Ce serait à faire croire que les deux mondes ne peuvent plus vivre désormais sans confondre leurs intérêts. Tout justement, sous l'impulsion de M. Léon de Rosny, savant professeur, il s'ouvrira, le 1er septembre prochain, un Congrès international des orientalistes. Toutes les sociétés savantes sont déjà occupées à élire leurs délégués. Pour la première fois, on verra donc réunis en une sorte de diète les égyptologues, les hébraïsants, les indoustanistes, les assyriologues, les sinologues, les océanistes et tous ceux qui étudient les sémites et les néo-grecs. Mais, si j'ai bien compris le sens des statuts, le congrès aura surtout pour programme de mettre en relief ceux qu'on appelle les japonistes.

Il était d'usage autrefois de rire à propos d'un congrès organisé par des savants. Ces savants de jadis ne s'entendaient généralement qu'en une science, celle qui consiste à bien se servir de la fourchette. A la vérité, ils y étaient de première force; un congrès de savants était immanquablement une très-belle manifestation gastronomique. Sous prétexte de vieilles médailles, par exemple, ils se rencontraient en assez bon nombre pour agiter l'intéressante question de savoir si la perdrix rouge est décidément préférable à la perdrix grise, ou bien s'il est possible à l'homme de marier le melon à l'ananas; on discourait avec intrépidité, on buvait sec, on chantait au dessert, et le congrès, une fois la carte payée, ajournait à l'année prochaine la suite de ses travaux.

Rien de semblable, croyez-le, au sujet du Congrès des Orientalistes. Les questions posées sur le tapis pourront toucher à la cuisine, mais seulement en ce sens qu'il faut de mieux en mieux nourrir les peuples. L'archéologie, la production agricole, l'histoire, l'industrie, les langues, l'art sous toutes ses formes, voilà ce qui constituera le fond des délibérations. Un bureau provisoire fonctionne déjà. On y remarque MM. Léon de Rosny, déjà nommé, professeur à l'École spéciale de langues orientales, président de la Société d'ethnographie; Jules Oppert, professeur près le collège de France, président de l'Athénée oriental (il a vécu cinq ans sur les ruines de Babylone); Geslin, architecte et peintre, ancien inspecteur du musée du Louvre; Le Vallois, capitaine du génie; Charles Leclerc, libraire-éditeur pour les langues orientales. Vous voyez que les garanties ne manqueront pas.

Un homme qui, pour sûr, aurait été une très-grande lumière pour l'Assemblée projetée vient de mourir subitement, à Venise, à la grande douleur de ses amis. J'ai nommé Philarète Chasles, professeur au Collège de France, conservateur à la Mazarine, le polygraphe le plus varié, le plus téméraire et le plus coloré du temps. Il était parti pour l'Italie, il y a trois semaines, plein de vigueur et de gaieté.--J'ai reçu de lui, à cette date, une lettre de sa grande écriture si nette, si décidée.--La surveille du jour où il est tombé pour ne plus se relever, il faisait encore de cette critique dont les délicats se montraient friands depuis tant d'années. De quoi est-il mort? D'un rayon de soleil trop brûlant ou de l'air des lagunes? il est mort et une des plus précieuses intelligences de notre pays a cessé d'être.

Philarète Chasles n'était plus jeune. Né en 1798, il touchait à sa soixante-quinzième année. Qui s'en serait douté? De taille exiguë mais fort bien pris dans sa petite taille, mince, fluet même, toujours soigneux de sa personne, il s'était habitué à combattre les atteintes de l'âge autant par l'hygiène sévère du travail que par les artifices de la toilette. Tel il avait été en 1830, tel il paraissait être encore en 1870. Sans être belle, sa figure plaisait à cause de son excessive vivacité. L'œil était plein de malice. «Un œil de pie!» disait un jour M. de Balzac. Pour se faire une idée des causeurs d'il y a quarante ans, race charmante qui s'en va de plus en plus pour céder la place à de grossiers plaisantins, il fallait écouter, ne fût-ce qu'une heure, ce jeune vieillard, l'un des plus prompts à la riposte qu'on ait jamais connus.

Peu d'hommes auront eu des commencements plus dramatiques. Fils d'un ancien chanoine de la cathédrale de Chartres, révolutionnaire ardent, qui avait été un des montagnards inexorables de la Convention nationale, il ne se souvenait pas d'avoir eu un seul jour d'enfance. Racontant ses débuts à moi-même, à la suite d'un dîner d'amis, il disait: «Mon père était un âpre disciple de J. J. Rousseau. Il disait, comme Saint-Just, son collègue et son ami, lequel avait déjà répété le mot d'un fameux janséniste: Un révolutionnaire ne doit se reposer que dans la tombe. Il m'avait donné un état manuel, celui de typographe. Mais, en même temps, il avait mis ma tête d'enfant en serre chaude. Figurez-vous qu'on m'apprenait le latin à huit ans, mais comme on l'a enseigné à Montaigne, c'est-à-dire en le parlant devant moi. Il en est résulté que j'expliquais Tacite à dix ans,--sans le comprendre.» Il a, du reste, mis le public dans la confidence de sa vie intime de cette époque, en écrivant un très-beau chapitre du livre des Cent-et-un, intitulé: la Maison de mon père. C'est une très-curieuse peinture des régicides du temps où la première République avait été renversée par Bonaparte, après le 18 brumaire. On voit défiler là-dedans des physionomies de conventionnels fameux: Vadier, Amar, Mallarmé, Robert, Lindet, Daunou, hommes terribles, selon l'histoire; vieillards pleins de coquetterie et ne parlant que d'idylles, suivant le narrateur.--Le volume des œuvres de Philarète Chasles où se trouve ce morceau est rare au point d'être introuvable.

Ce n'était là qu'une préface à la plus laborieuse des carrières. Tour à tour apprenti imprimeur, correcteur d'une grande maison d'imprimerie à Londres, journaliste improvisé, bibliothécaire, professeur de littérature comparée, voyageur, conférencier, traducteur, reviewer infatigable, nul n'a plus écrit, plus cherché, plus parlé, plus traduit, plus inventé. J'oublie de dire qu'il a été poète, très-hardi dans ses conceptions.--Il avait commencé par faire (1831) les Contes bruns par une tête à l'envers, en collaboration avec M. de Balzac et Ch. Rabou. Le lendemain, il nous faisait connaître Jean-Paul Richter, en publiant Titan et les inénarrables épisodes: La mort d'un Ange, Le carnaval de Jean-Paul.--Que d'autres belles choses! Quelle somme de labeur fournie au Temps, au Journal des Débats, à la Revue Britannique, à la Revue de Paris, à la Revue des Deux-Mondes, à la Revue de Saint-Pétersbourg!

Charles Nodier parle d'un de ses camarades, fils d'un confiseur, qui n'avait jamais croqué un seul bonbon; Philarète Chasles, nourri comme Achille dans l'antre du Centaure, de la moelle des lions et des ours, n'avait pu mordre à la politique. La littérature seule l'aura captivé. Mais quel littérateur! Il nous a ouvert à tous vingt perspectives qui nous étaient fermées avant sa venue: l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne, les pays Scandinaves, l'Orient. Moyennant une tâche si vaillamment achevée, il pouvait compter que l'Académie française lui ouvrirait un jour ses portes à deux battants. Le cant français s'y est opposé. On lui reprochait de n'avoir pas une tenue assez correcte, par exemple de faire des dettes. Oui, il est vrai, autrefois, il y a vingt ans, il faisait quelques dettes, en nous donnant, chaque matin, des trésors. S'il eût été duc, ou marquis, ou millionnaire, le grief n'existait pas, et il aurait pu mourir dans son fauteuil.

Une chose surtout l'affligeait: la décadence si marquée des formes littéraires. Il disait:

--Est-il possible qu'il existe tant de romanciers chez nous? On en compte trois cents en France, pays de l'esprit, du goût, du caprice! Et ces gens-là font chacun cent volumes, au bas mot! Savent-ils ce qu'ils font? J'en doute! Il est si difficile de faire un bon roman! Il est si peu commun de faire sortir trois nouvelles de sa tête! On condamne tous les jours pour un article de politique à la prison, à l'amende, à l'exil, à la mort. Pourquoi pas ces peines pour un mauvais roman?

Philarète Chasles avait commencé par faire des vers,--comme tout le monde.--A la longue, il était devenu si rebelle à la prosodie qu'il ne savait plus par filer un seul distique.

Il se montrait émerveillé d'un tour de prestidigitation poétique qu'il avait vu exécuter à Méry, un soir, chez Orfila, le doyen de l'École de médecine. On jouait à remplir des bouts rimés. Le tour vint à l'auteur d'Héva, qui avait à accoupler ces quatre rimes:

Fête,

Deuil.

Faite

D'œil.

Et voici ce que Méry avait improvisé:

Un jour de fête,

Un jour de deuil.

La vie est faite

En un clin d'œil.

Avant de sortir du territoire français, un général prussien a voulu se signaler.

Le prince de vient donc de publier un ordre du jour dans lequel il reproche aux officiers subalternes de saluer leurs supérieurs avec trop de flegme! En même temps, il leur recommande d'y mettre à l'avenir plus de vivacité.

Un vieux colonel en retraite disait à ce sujet à des jeunes gens du civil:

--Eh bien, ça vous fait rire, messieurs. Croyez pourtant que le prince de *** a raison. Quand on salue bien ses chefs, c'est qu'on les estime. Quand on les estime, on s'arrange avec eux pour ne pas se laisser battre.

Philibert Audebrand.



  
              SIR SAMUEL BAKER,                                                  LADY BAKER
       explorateur de l'Afrique centrale.




L'INCENDIE DE LA RUE MONGE.




LA SIESTE.--Composition et dessin de J. Millet.



LE PEINTRE AB-OVO

COMMENT SE RECRUTENT LES PEINTRES?

On n'a pas oublié sans doute cette caricature de Daumier, représentant un enfant marchant devant ses parents, et le père s'écriant éclairé par une révélation subite: Comme il mange bien son sucre d'orge! J'en ferai un avocat.

La vocation du peintre ne se révèle pas de la même manière: quelquefois, c'est au collège qu'elle se décide après des succès dans la classe de dessin, quand le jeune élève a conquis le prix pour avoir réussi une académie--où la pureté du trait n'en accuse que mieux l'ignorance du contour; c'est encore pour avoir ombré une tête avec des hachures irréprochables qui ressemblent à s'y méprendre aux tableaux que les maîtres de calligraphie suspendent au coin des rues. Ces succès fascinent assez souvent les parents.

Quelquefois, on est le fils d'un artiste.

Où bien son voisin, et l'on a été admis jeune dans son atelier.

Les écoles gratuites de dessin fournissent aussi quelques recrues.

Nous ne parlerons pas ici des vocations irrésistibles; elles se font jour malgré tout.

Il est rare que la manière plus ou moins accentuée de manger un bonbon décide de la carrière d'un artiste futur.

Paris n'a pas le monopole de la production spontanée de cette variété de l'espèce humaine; les départements et l'étranger peuplent d'une manière notable les ateliers de nos maîtres, mais généralement dans ce cas, les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Les élèves sortant du collège, ou ceux qui proviennent des écoles de dessin, s'aperçoivent dès leur arrivée à l'atelier du maître, que ce qu'ils ont appris ne leur servira pas à grand chose, que tout est à recommencer; quelques-uns persistent; c'est que là est la véritable vocation; d'autres, au contraire, reconnaissent leur insuffisance et se hâtent d'abandonner une carrière qui ne leur présente aucune issue. Mais il reste toujours quelque chose à celui qui s'est essayé aux véritables études, quand ce ne serait que d'avoir appris que l'adresse de la main n'est pas le seul mérite à rechercher. De bons critiques d'art peuvent se former par ces études incomplètes, et qui pourrait leur refuser une grande compétence?

Quant aux fils d'artistes, nourris dans le sérail, tout enfant ils ont joué avec la palette de leur père, et pourtant, rarement ils en deviennent les successeurs, nos jours on citerait au plus quatre ou cinq honorables exceptions; on dira, les deux Bellangé, les deux Meissonier, les deux Giraud, etc., etc., et l'on ne compte qu'une seule dynastie qui soit parvenue jusqu'à la troisième génération.--Celle des Vernet.--On connaît ce mot d'une modestie charmante du fils de Joseph, du père d'Horace, de Carie Vernet qui, félicité sur cette succession de talents, disait: Je ne suis que l'anneau qui unit les deux diamants.

Il y aurait une curieuse étude à faire sur ceux qui persévèrent--malgré Minerve--; une visite aux galeries du Musée les jours d'étude éclairerait à ce sujet. A coté des jeunes élèves copiant des fragments de tableaux, faisant des esquisses d'après les chefs-d'œuvre des maîtres, se levant fréquemment pour, disons le mot, flâner, on peut voir des hommes à la chevelure rare ou grisonnante, copiant péniblement des tableaux entiers, travaillant avec assiduité et comme remplissant une tâche; lâche pénible il est vrai, il s'agit pour eux de vivre. Ce sont ces persévérants malheureux qui, revenus trop tard de leurs illusions, n'ont eu ni le courage, ni la possibilité de rompre avec leurs études passées, de chercher une autre carrière, et qui ont à résoudre le difficile problème de vivre de l'art, eux qui ne sont pas artistes.

D'autres, sans abandonner entièrement la peinture, la cultivent concurremment avec un autre art. Le soir, musiciens dans un orchestre, chanteurs des chœurs à l'Opéra, ils redeviennent peintres pendant le jour, trouvant le moyen de manger à deux râteliers; on en trouve quelques-uns parmi ceux que l'on rencontre dans les galeries du Musée. Cette dualité a été dépassée par Henri Monnier. Successivement élève de Girodet et de Gros, dessinateur original, il s'est essayé dans les études sérieuses; tout le monde connaît ses succès de théâtre, son incarnation en monsieur Prudhomme, et il n'est pas un cabinet de lecture qui se considère comme complet s'il ne possède ses Études sur Jean Hiroux, et sur les Cancans des portières, illustrés par l'auteur lui-même.

Parmi ceux qui abandonnent définitivement l'étude des arts, on en trouve dans toutes les professions. Nous en avons connu qui sont devenus commissaires-priseurs, officiers de l'armée, marchands de musique, etc., etc. Un seul est devenu... sénateur.

L'initiation du peintre à ses destinées futures peut compter parmi les plus attrayantes. Ce n'est plus la discipline, le silence du collège ni de l'école du soir, ce n'est plus la retenue de la vie de famille, c'est la liberté la plus absolue, l'indépendance la plus complète. La gaieté est à l'ordre du jour dans les ateliers d'élèves, l'esprit également. On ne pourrait en douter en se souvenant que de là sont sortis les Charlet, les Bellangé, les Eugène Delacroix et tant d'autres dont la liste serait trop longue; c'est là que prennent naissance la plupart des mots heureux, de ces expressions qui parfois transforment le langage français, et que tous nous saluons comme de vieilles connaissances, nous souvenant du jour et de l'occasion où ils sont nés, alors que d'autres en ignorent l'origine.

L'atelier d'élèves ne ressemble en rien à l'atelier du maître. Ce dernier, jadis assez modeste--témoin la gravure si connue de celui d'Horace Vernet--peu à peu s'est enrichi; les meubles moyen âge ont commencé la métamorphose, puis sont venues les belles étoffes, les armes curieuses, les œuvres d'art; on en a fait un salon; les tapis ont couvert le plancher; au classique poêle de faïence a succédé la madone-calorifère; plus de chevalets en bois blanc--du chêne.--Ce n'est plus la blouse de charretier que revêt le maître de ces lieux, c'est l'élégant costume de velours, le saute-en-barque soutaché. Mais le tabac y a acquis droit de bourgeoisie depuis le modeste brûle-gueule, la cigarette espagnole, le cigare de la Havane, jusqu'au chibouque au riche bouquin d'ambre, au narguilé ressemblant à Laocoon dévoré par les serpents, en passant par toutes les variétés de la pipe allemande, hollandaise; tous les moyens sont employés pour activer cette opération chimique qui se nomme la combustion de la nicotiane--vulgo,--fumer, à moins que..., mais quel est de nos jours le peintre qui ne fume pas.

Le contraste est grand entre l'atelier du maître et celui des élèves. Ici, des murailles couvertes d'inscriptions qui ne figureront jamais dans les cours de la bibliothèque, des charges dessinées au fusain, et sur lesquelles on essuie le résidu des palettes, pour tous meubles, quelques bosses, quelques études peintes ou au crayon, la table du modèle, un poêle assez souvent en fer, des tabourets de hauteurs différentes, et une forêt de chevalets enchevêtrés les uns dans les autres, depuis l'aristocratique chevalet à crémaillère jusqu'à celui percé de trous et où deux chevilles supportent la toile. Quelques-uns même sont privés de l'appendice qui sert à les maintenir debout et que l'on nomme la queue; de notre temps, ceux-ci étaient surnommés: à la Titus; on trouve à les utiliser en les appuyant contre le mur; bien qu'invalides, ils font un service aussi actif que les autres. On comprend que la chute d'un chevalet entraîne celle de tous les autres; c'est un véritable jeu de capucins de cartes; ce sinistre se produit rarement, mais quand il arrive, que de toiles crevées, de boîtes à couleurs renversées! chacun cherche à repêcher son bien; peu à peu l'ordre se rétablit, les blessures sont pansées, et on finit par rire..., parce qu'on rit de tout dans un atelier d'élèves.

C'est ici le moment de dire quelques mots sur l'organisation de l'atelier. Il est ouvert toute la journée; mais le véritable travail, celui de l'étude du nu, dure cinq heures par jour, de huit heures du matin à une heure de l'après-midi en hiver, de sept heures à midi en été. D'avance les différentes semaines ont été distribuées aux modèles qui doivent poser, et le lundi matin tout le monde est à son poste, le modèle sur la table, les élèves combinant une pose qui doit être la même pendant toute la semaine. Quand elle est acceptée par la majorité, l'appel commence; les premiers nommés dans cet appel seront les derniers la semaine suivante pour remonter successivement par fractions de cinq ou six. On comprend l'avantage de choisir la place où l'on doit travailler selon l'aspect plus ou moins favorable pour l'étude, mais cet avantage doit être, partagé par tous. Il n'en est pas de même à l'académie du soir dont, plus loin, nous dirons quelques mots.

Jadis, les nouveaux venus étaient obligés de subir sous le nom de charges des vexations sans nombre. Nous mentionnerons à peine les moustaches au bleu de Prusse, la couleur la plus difficile à enlever, et dont les traces subsistent pendant quelques jours, les fumigations faites avec les torche-pinceaux enduits d'une huile nauséabonde que l'on brûlait dans le nez du récipiendaire, et autres plaisanteries d'un goût plus contestable encore, pour arriver au supplice de l'échelle. Il consistait à attacher fortement le patient sur une échelle renversée que l'on redressait ensuite, de façon qu'il eût la tête en bas, et on le laissait ainsi presque jusqu'à la suffocation... Ces épreuves n'ont heureusement plus cours aujourd'hui; ainsi que les brimades des écoles militaires, elles ont disparu pour ne renaître jamais.

Ce n'est pas dans les écoles que nous essayons de décrire que les élèves apprennent l'a, b, c, du métier; pour y entrer, il faut avoir déjà une certaine pratique, être capable de copier assez correctement un modèle dessiné, de faire une étude d'après la bosse; et pourtant, avant d'arriver à ce grand desiderata--de tout commençant--peindre une figure d'après nature--faire une académie--selon le mot admis--hors des ateliers--il faut pendant quelques mois se borner à dessiner. Il y a une hiérarchie parmi les étudiants. Ceux que le maître n'a pas jugé assez avancés pour leur permettre d'aborder encore l'étude de la nature, doivent se contenter de copier quelques bons dessins originaux, soit du professeur, soit d'un autre maître. A ce moment l'élève prend le nom d'asticot ou de rapin, non le rapin de vaudeville, espèce de domestique gouailleur, moitié voyou, moitié artiste, véritable gamin de Paris, affublé d'un nom grotesque.--Ceux-là, nous ne les avons jamais connus.--Ce sont généralement des jeunes gens timides, n'osant élever la voix devant leurs anciens et faisant ainsi la première partie de leur noviciat.

De rapin, on passe--dessinateur.--On n'a pas encore le droit de saisir la palette. Au premier rang, devant la table du modèle, on voit un demi-cercle de tabourets bas sur lesquels sont assis ceux qui sont promus à cette dignité. Le carton sur les genoux, ce n'est encore que sur du papier qu'ils peuvent essayer de reproduire le modèle qui pose devant eux. Là, plus de belles hachures, plus de traits imperturbables comme au collège; on commence à comprendre qu'il y a autre chose à chercher que l'adresse de la main, que la forme n'existe pas seulement dans le contour extérieur. C'est un commencement de révélation.

P. Blanchard.

(La fin prochainement.)



LA CAGE D'OR

NOUVELLE

(Suite)

Lorsqu'on a trouvé de si bonnes raisons pour justifier des démarches qui auraient pu devenir compromettantes, on ne doit pas en manquer lorsqu'il ne s'agit plus que d'accorder le tribut de quelques larmes au sort du malheureux qu'on aurait voulu sauver, et Alexandra en découvrait auxquelles il n'y avait réellement rien à répondre.

Ces larmes la ramenaient insensiblement aux événements des jours précédents, et une lois livrée à ces souvenirs, elle leur appartenait; son imagination reconstruisait alors tous les accidents de ses deux rencontres avec le jeune gentilhomme; elle en revivait, pour ainsi dire, un à un, jusqu'aux moindres détails; il lui semblait entendre encore cette voix si vibrante et si douce parfois; elle se sentait si troublée, comme elle l'avait été devant la singulière ardeur du regard du proscrit.

Nécessairement, elle se permettait, quelques corrections dans cette nouvelle édition de ce drame; elle se montrait notamment beaucoup plus sévère qu'elle ne l'avait été pour l'inconcevable légèreté avec laquelle le jeune homme avait exposé sa vie pour la revoir. Mais, si condamnable que soit une folie, elle flatte toujours un peu la femme qui en est l'objet; et puis le malheureux expiait trop cruellement son étourderie pour que son censeur, si rigide qu'il fût, ne se sentit pas désarmé. Alors, comme elle n'ignorait pas qu'en matière de complots politiques il n'est point dans les habitudes du gouvernement moscovite de laisser ses victimes languir dans les cachots de la forteresse, comme elle ne doutait pas que le condamné de la veille n'eût été déjà acheminé vers la Sibérie, c'était dans les steppes désolées de la terre d'exil que la conduisaient ses rêveries; elle y cherchait, elle y retrouvait son protégé. Mais, hélas! ce n'était déjà plus celui qui, beau de sa jeunesse et de son intrépide audace, s'était imposé à son admiration; elle le revoyait hâve, défait, l'œil morne, éteint, succombant à cet effroyable travail des mines auquel sa naissance, son éducation, sa vie de luxe et d'oisiveté l'avaient si peu préparé; elle le suivait, marchant d'un pas chancelant à travers ces déserts de neige pour regagner une misérable cabane, seul asile que la munificence du tsar accorde aux infortunés qu'il relègue dans cet enfer de glace. C'était surtout l'évocation de ces tristes tableaux qui avait le don de l'émouvoir; elle commença à mêler à ses tristes réflexions quelques malédictions contre les tyrans.

Alexandra se trouvait sous ces impressions lorsque son mari était revenu de Kalouga. Nous avons dit que, dans le désespoir que lui avaient causé les menaçantes paroles du comte Laptioukine, Nicolas Makovlof n'avait pas eu le courage d'annoncer à sa femme l'insuccès de la tentative que celle-ci avait conseillée. Mais, dans la situation où se trouvaient les deux époux vis-à-vis l'un de l'autre, ce silence avait son éloquence, et Alexandra avait deviné ce qui avait dû se passer.

A sa grande surprise, après avoir si ardemment souhaité cette émancipation, elle en perdait l'espoir avec colère, mais sans que sa douleur fût violente, et elle commença de marcher d'étonnement en étonnement.

Emue de l'accablement du pauvre serf, elle essaya de le consoler; mais ces quelques mots de tendresse émue qui avaient autrefois le privilège de ramener le sourire sur ce visage morose, qui étaient le rayon vivifiant auquel s'épanouissait ce cœur désolé, elle ne les trouvait plus. Elle remarqua elle-même que son cœur n'avait aucune part aux phrases banales et froides qui tombaient de ses lèvres.

Le lendemain elle essaya de rentrer dans la régularité de sa vie, de reprendre les occupations de son ménage et de son négoce; elle s'aperçut avec stupeur qu'elle n'était plus dans la possession de sa volonté. Dominée par les visions, par les souvenirs qu'elle avait si imprudemment caressés, elle ne pouvait plus s'y soustraire. Ils se représentaient à elle non-seulement dans la solitude recueillie de sa chambre à coucher, mais à tous les instants de la journée. L'image du proscrit la poursuivait au milieu des travaux de son intérieur aussi bien que des préoccupations de son comptoir; tantôt elle la voyait apparaître sur la page blanche du grand-livre sur lequel elle enregistrait les cuirs secs, salés, verts, etc., débités par la maison Makovlof; tantôt elle tressaillait, relevait la tête, se figurant qu'elle allait le voir derrière le carreau où, une fois déjà, il s'était montré; et, même en présence de son mari, elle se surprit plus d'une fois songeant encore à l'exilé.

La révélation de cet état de son cerveau n'excita d'abord, chez Alexandra, que de l'humeur et du dépit. Si flagrante que fût maintenant l'obsession, elle ne se décidait pas à lui accorder la moindre importance. Celui dont la pensée se représentait à son esprit, trop souvent sans doute, n'était-il pas pour elle un étranger dont elle ignorait même le nom? Si elle cédait si aisément à ce souvenir, c'était bien moins à la personne de l'exilé qu'il fallait attribuer cette faiblesse, qu'à la cause même pour laquelle celui-ci aurait souffert; et cette cause n'était-elle pas assez noble pour mériter encore davantage? Et puis, enfin, ne pouvait-elle pas, sans être répréhensible, s'occuper d'un homme que probablement, hélas! elle ne reverrait jamais en ce monde?

Mais Alexandra était si sincèrement honnête que les plaidoyers qu'elle s'adressait à elle-même avaient perdu le pouvoir de la convaincre. Sérieusement alarmée, bien que doutant encore de la réalité de ses appréhensions, elle essaya de lutter contre l'envahissement de sa pensée, d'en écarter tout ce qui se rattachait à ce jeune homme, de se roidir dans la plus complète indifférence. La journée ne s'était pas écoulée qu'elle avait vingt fois constaté l'inutilité de ses efforts; alors elle fut bien forcée de reconnaître la vanité de ses résolutions, et une idée traversa son esprit avec la rapidité et la violence foudroyante de l'éclair.

--Le méchant prêtre aurait-il donc dit la vérité? Un sentiment coupable s'était-il emparé de son cœur sous le masque de cette sollicitude?

Ce n'était plus là une question qu'elle s'adressait à elle-même; c'était un cri d'angoisse contre lequel sa conscience ne savait plus la rassurer. Les illusions dans lesquelles elle s'était entretenue jusqu'alors se dissipaient peu à peu, et peu à peu aussi elle passait de l'excès de la confiance à l'exagération du remords.

Sa faute, celle d'avoir accordé à un étranger une part dans ses pensées et peut-être aussi dans ses affections, eût certainement semblé des plus vénielles à la plupart de nos femmes de l'occident; mais, en sa qualité de demi-sauvage, la belle Moscovite était absolument étrangère à l'art de composer avec ses devoirs; pour elle, les exigences de ces devoirs étaient absolues; si légère qu'eût été l'infraction qu'elle avait été forcée de reconnaître, bien que son cœur en eût été le seul confident, elle prenait à ses yeux les proportions d'un crime; elle se la reprochait avec une amertume que l'on n'a pas toujours à constater chez les charmants éditeurs de péchés autrement corsés. Dans sa confusion, elle fuyait le pauvre Nicolas, qui lui-même, comme nous l'avons vu, en proie à un désespoir d'un autre ordre, ne la recherchait guère; il lui semblait qu'il n'était pas jusqu'aux indifférents qui ne dussent remarquer sur son visage les traces du trouble de son âme, et, se sentant rougir sous leurs regards, elle se confinait dans sa chambre, où elle restait enfermée pendant des journées entières; et ce fut ainsi qu'elle tomba, à son tour, dans cette prostration dont son mari nous a déjà fourni un exemple.

Mais, avec le caractère d'Alexandra, cet affaissement ne devait pas se prolonger; il ne pouvait pas davantage, comme cela était arrivé à Nicolas Makovlof, aboutir à une défaillance; la réaction ne se fit pas attendre.

Dans ces heures de méditations où Alexandra se montrait si sévère pour elle-même, si rigoureuse pour un entraînement de sa charité, elle essayait également d'étendre ses ressentiments à celui qui avait jeté le désordre dans son âme et le trouble dans son existence; mais elle n'y parvenait pas. Plus d'une fois, au contraire, il lui arriva de surprendre son imagination, réfractaire aux rigueurs qu'elle entendait lui imposer, s'élançant de plus belle vers l'exilé. La fréquence de ces rechutes souleva non-seulement son indignation, mais une irritation violente; et décidée à dompter la rébellion de son esprit, à étouffer le dernier vestige de souvenirs si dangereux pour son repos, elle se rejeta avec une sorte de rage fiévreuse dans un ordre d'idées qui lui apparaissaient comme un sûr bouclier pour sa faiblesse; afin de mieux fermer son cœur à l'amour, elle le donna à la haine.

Si Nicolas Makovlof avait longtemps porté la chaîne héréditaire avec une parfaite insouciance, s'il avait fallu des circonstances exceptionnelles pour donner aux vagues regrets, aux sourdes hontes que lui inspirait sa condition les proportions d'un désespoir, nous savons déjà qu'il était loin d'en être de même de celle qu'il avait prise pour femme.

L'horreur de la servitude existait pour ainsi dire chez Alexandra à l'état d'instinct. Elle n'était encore qu'une enfant que cette loi d'iniquité, qui faisait de tant de ses semblables les esclaves de quelques-uns, révoltait cette nature à la fois fière et tendre, ardente et généreuse. Lorsque sa soumission aux volontés de son père l'eut précipitée à son tour dans le terrible engrenage, à mesure qu'elle en sentait les dents entrer dans sa chair, ces sentiments s'étaient accentués de plus en plus; ils lui avaient inspiré la résolution dans laquelle nous l'avons vue persister avec tant de fermeté en se refusant à fournir de nouvelles victimes à un état social aussi odieux. Les événements qui venaient de s'écouler les avaient élevés à la hauteur d'une passion farouche que fortifiait encore chacune de ses réflexions. Elle voyait dans ce régime de tyrannie, sous lequel son mari et elle avaient eu le malheur de naître, la cause unique de toutes ses peines, de toutes ses douleurs, de toutes ses angoisses; elle faisait remonter à lui jusqu'à la lutte intime qu'elle subissait en ce moment.

Ce fut dans ces préoccupations généreuses qu'elle se réfugia, et, convaincue qu'elles absorberaient celles auxquelles elle se reprochait de céder encore, son cerveau s'enflamma. Dans l'exaltation qu'engendrait cette espérance parallèlement avec ses aspirations pour la liberté, elle ne songea à rien moins qu'à reprendre et à poursuivre l'œuvre glorieuse qui venait d'avoir de nouveaux martyrs, et à sacrifier sa fortune et, s'il le fallait, sa vie, à l'affranchissement de ses compatriotes.

Lorsqu'elle réfléchit aux moyens, elle reprit le sentiment de sa faiblesse, et elle mesura plus froidement la grandeur de la tâche qu'elle embrassait. Si effrayante que fût la disproportion, elle persévéra néanmoins dans ses résolutions; se contentant du rôle d'Épicharis dans la conjuration qui devait abattre le colosse, elle chercha Volusius.

Naturellement, c'était sur son mari le premier que devaient s'arrêter ses regards.

XII

En dépit du soin jaloux avec lequel un écrivain s'attache ordinairement à conserver un certain vernis poétique à son héros, nous sommes bien forcés de reconnaître que le nôtre ne se trouvait pas, en ce moment, dans des dispositions très-favorables à l'emploi qui lui avait été destiné par sa compagne.

Ainsi que nous l'avons vu, fou d'amour et de chagrin, à bout de ressources et d'expédients, l'ivresse avait été le remède héroïque auquel Nicolas Makovlof avait demandé l'oubli, et au moment même où Alexandra songeait à l'associer à son noble projet, il était occupé à se matérialiser avec la conscience que les mougiks ses aïeux apportaient dans cette sorte d'opération.

Cependant, l'adoration passionnée de sa femme ne cessait pas de dominer le malheureux au milieu même de ses excès; le souci de les lui cacher survivait à l'égarement de sa raison; il y parvenait d'autant plus aisément qu'il s'en fallait de beaucoup que son opulence l'eût affranchi des goûts et des affinités de sa classe. La maxime du serf russe, la meilleure des liqueurs est celle qui tue d'un seul verre, cri de damné qui peint l'enfer d'où il est sorti, était restée pour lui un article de foi. Il dédaignait les vins de France et d'Espagne, boissons insipides à son palais, sans action sur son cerveau, et quand la nuit était venue, s'échappant de sa demeure, il gagnait quelque taverne des faubourgs, où des alcools corrosifs avaient bientôt raison des pensées qui l'obsédaient. Alors chancelant, mais conservant rigoureusement le dernier vestige d'intelligence qui lui était indispensable pour retrouver son chemin, il regagnait sa maison, se laissait tomber dans quelque coin et s'assoupissait de ce sommeil tourmenté, mais lourd, presque léthargique, qui caractérise les ébriétés de cette catégorie.

Un jour que le marchand avait peut-être moins rigoureusement observé les doses de son élixir que de coutume, il ne put dépasser un certain hangar qui servait à abriter ses marchandises et qui se trouvait dans une cour qu'il devait traverser pour gagner son appartement. Là, le dieu des ivrognes lui ménageait, dans un tas de rognures de cuirs, une couche peu moelleuse à la vérité, mais où, en dépit de la neige que le vent amoncelait sur son corps en guise de couverture, il sommeilla avec l'indifférence du bon temps, alors qu'il ne connaissait point d'autres soucis que ceux que lui donnaient les jambes du comte Laptioukine.

Il était déjà tard lorsqu'il se réveilla; quand il sortait de ces anéantissements, ce n'était ni sans peine ni sans effort qu'il recouvrait ses facultés éteintes; mais ce jour-là une vision soudaine précipita cette espèce de résurrection; il venait d'apercevoir sa femme assise à ses côtés, le coude appuyé sur ses genoux, la tête reposant sur sa main et fixant sur lui un regard chargé d'une expression douloureuse.

Nicolas s'attendait si peu à la trouver là à cette heure encore matinale, que, pendant quelques secondes, il crut rêver. Il frotta ses paupières tuméfiées et alourdies, il se redressa en éparpillant les blancs flocons de son manteau de frimas, et, grimaçant un sourire:

--Pardonnez-moi, Sacha, murmura-t-il d'une voix étranglée.

Elle s'était déjà levée et grave, presque solennelle, les yeux pleins de flammes, les lèvres contractées, la narine frémissante; d'un geste, elle lui fit signe de la suivre. Elle le conduisit dans sa chambre; quand la porte en fut fermée, elle se laissa tomber sur un siège et la douleur qui l'oppressait déborda en sanglots.

Nous n'avons pas à revenir sur l'impression que les larmes d'Alexandra produisaient, sur le pauvre Makovlof; il était déjà à genoux devant elle et les mains jointes, il répétait encore:

--Sœur, sœur, pardonnez-moi si j'ai fléchi sous le poids de mon malheur?

La jeune femme ne le laissa pas achever.

--Oh! s'écria-t-elle avec un accent vibrant et saccadé, je savais bien que j'avais épousé un serf, mais je gardais encore cette illusion que celui dont je portais le nom était un homme!

Le marchand courba la tête sous cette sanglante apostrophe, et Alexandra continua avec une nouvelle véhémence.

--N'étions-nous pas assez misérables, et faut-il que vous ajoutiez vous-même à l'avilissement auquel la destinée nous condamne? Voulez-vous donc me ravir jusqu'à la consolation de vous plaindre? Votre malheur, eh! n'en ai-je pas la moitié? Moi aussi j'ai quelquefois trouvé le fardeau bien lourd; moi aussi j'ai pu fléchir, mais, ajouta-t-elle avec une légère altération dans la voix, je n'ai jamais demandé qu'à Dieu de venir en aide à ma faiblesse.

Nicolas atterré balbutia quelques paroles inintelligibles.

--Écoutez-moi, frère, reprit-elle en se calmant et en faisant signe à son mari de s'asseoir à ses côtés; je ne vous adresserai aucun reproche; vos torts dans le passé, l'aveuglement avec lequel, malgré mes loyales déclarations, vous avez poursuivi une union qui nous a été si fatale, je l'ai oublié, je vous le pardonne. Si Dieu a décidé que je ne serais jamais pour vous qu'une amie, je n'en tiendrai pas moins les serments que vous avez reçus de moi devant les autels; je tâcherai que cette affection que je vous dois toute entière, que je m'efforcerai de faire encore plus grande, adoucisse les rigueurs de vos épreuves; à votre tour, frère, ne me réduisez pas à détourner la tête du cher compagnon auprès duquel je dois marcher; élevez-vous au-dessus de votre infortune par la dignité et le courage avec lesquels vous la soutenez, et...

Cette fois ce fut Nicolas qui interrompit sa femme.

--Sacha, mon adorée Sacha, s'écria-t-il avec l'accent d'une contrition sincère, j'ai péché, j'ai mérité votre colère, mais par la très-sainte Trinité, par le non moins saint patron de la Russie, je m'abstiendrai désormais de ces liqueurs infernales; s'il le faut même, je me condamnerai à ne boire que de l'eau.

--Ce n'est point assez, répondit Alexandra, dans le regard de laquelle passa un éclair.

--Parlez-donc, parlez vite, qu'exigez-vous, chère âme?

--Hélas! j'espérais que tu ne l'avais pas oublié! Ce que je veux, ce que j'exige, c'est que tu sois libre afin que je puisse t'appeler autrement que mon frère.

Ces derniers mots, la jeune femme les avait prononcés à demi-voix, mais avec une expression de chaste tendresse qui, un peu forcée peut-être, n'en caressa pas moins l'oreille du marchand plus doucement que la plus harmonieuse des musiques et le plongea dans une sorte d'extase; son visage pâle s'était empourpré, ses yeux rayonnaient, des gouttes de sueur perlaient sur son front.

Quand il fut parvenu à dominer cette émotion, il recommença le récit quelque peu diffus et fortement accentué d'imprécations, de malédictions, de cette visite au comte Laptioukine, dont sa femme connaissait déjà quelques détails.

--Oui! dit-il en terminant, je l'ai prié, je l'ai conjuré, je l'ai invoqué comme on ne doit invoquer que Dieu, et le barbare ne m'a répondu que par des sarcasmes.

--Je veux que tu sois libre, répéta avec plus de force la belle Moscovite, qui avait, donné de nombreux signes d'impatience pendant la narration de son mari.

--Soit, dit Nicolas avec une angélique résignation; je vais repartir pour Kalouga, je braverai les railleries comme j'ai bravé la colère du seigneur; ce ne sera plus la moitié de ma fortune que je lui offrirai en échange de cet affranchissement qui me vaudra ton amour, ce sera toutes nos richesses.

--Tes richesses, insensé, tes richesses! Ce vieillard qui a déjà un pied dans la tombe les repoussera d'une main dédaigneuse! Tes richesses, mais il leur préfère une seule des jouissances qu'il trouve dans nos tortures.

--Mais que faire? que faire alors? s'écria le marchand éperdu.

--Écoute, frère: Si l'un des mougiks de tes magasins choisissait sous tes yeux le plus beau de tes cuirs et s'enfuyait en l'emportant, me demanderais-tu ce qu'il faut faire?

--Que voulez-vous dire? répondit Nicolas étonné; par l'archange! il est clair que je n'aurais pas besoin de vous consulter; mon premier mouvement aurait été de courir après le larron et de lui reprendre mon bien.

G. de Cherville.

(La suite prochainement.)




UN NOUVEAU SPORT.--Le Paper Hunt, chasse au papier.


LA TANTE A SUCCESSION.--D'après le tableau de M. Worms.



NOS GRAVURES

L'incendie de le rue Monge

Cet incendie, qui rappelle celui des magasins du Grand-Condé, a été le drame le plus effroyable que nous connaissions.

L'immeuble incendié est situé à l'extrémité de la rue Monge, entre celle-ci et la rue Mouffetard. En face s'étend l'avenue des Gobelins. Il forme donc la pointe d'un pâté de maisons séparant ces deux rues. C'est une très-belle construction de cinq étages, dont les vastes magasins du Grand-Monge occupaient le rez-de-chaussée et l'entresol. Intérieurement les appartements recevaient le jour par une cour étroite, un puits, mieux encore un grand tuyau de cheminée, appelé à jouer un rôle fatal dans l'incendie qui allait éclater.

C'est vers onze heures du soir que des passants aperçurent le feu et donnèrent l'alarme. Les magasins étaient fermés depuis quelque temps déjà, et c'est dans l'intérieur que le feu avait pris. Comment? On ne sait pas encore. Par suite d'une explosion de gaz, croit-on. Toujours est-il qu'à l'heure que nous avons dite, l'intérieur des magasins, encombrés de marchandises, flambait, et que l'intensité de la chaleur faisait voler en éclats les vitres des impostes sur la rue et sans doute aussi celles des ouvertures donnant sur la cour. Aussitôt un courant s'établit de l'extérieur à l'intérieur. Les flammes entraînées suivirent ce courant, envahirent la cour, et violemment attirées de bas en haut, embrasèrent successivement tous les étages, malgré les secours apportés par les pompiers, les gardiens de la paix et 500 hommes de la ligne envoyés sur les lieux à la première nouvelle du sinistre. Les sauveteurs se voyant impuissants à arrêter les progrès de l'incendie, tournèrent leurs efforts du côté des locataires, qui avaient été surpris pour la plupart pendant le premier sommeil, et parvinrent heureusement à les sauver tous.

Un seul périt par sa faute: M. Gauthier, professeur au collège Rollin, qui demeurait au quatrième étage. Ce malheureux, qui n'était pas chez lui au moment du sinistre, voulut pénétrer jusqu'à son appartement pour y prendre les objets précieux qui s'y trouvaient. Il réussit à le faire, en effet; mais, presque aussitôt, cerné par les flammes, il fut réduit à se précipiter par une fenêtre et se tua sur le coup. Mort déplorable, que l'on doit cependant encore trouver douce, en comparaison de celle que subissaient dans le même moment, au rez-de-chaussée, trois infortunés commis des magasins du Grand-Monge.

Il est d'usage, paraît-il, dans les grandes maisons de nouveautés, de faire coucher quelques jeunes gens dans les magasins, afin de garder ces derniers. Cela s'explique. Ce qui s'explique moins, c'est que l'on y mette sous clef ces mêmes jeunes gens. Cela peut être par défiance, cela peut être aussi pour les empêcher d'aller courir la nuit, au lieu de rester à leur poste. Quelle que soit la raison de cette claustration absolue, elle vient d'avoir de trop terribles conséquences pour que l'on n'y renonce pas à jamais. D'autant plus qu'il n'est rien moins qu'impossible de trouver des gens en qui l'on puisse avoir tout à fait confiance, à quelque point de vue que l'on se place. Trois jeunes commis, MM. Gilet, Caillet et Lecomte, se trouvaient donc enfermés dans les magasins du Grand-Monge le soir de l'incendie. Et ce n'est pas sans frémir horriblement que l'on songe au drame terrible qui s'est accompli entre ces murailles que le feu dévorait. Ce ne sont point des cris que poussaient ces malheureux, mais des hurlements. On les entendait aller, venir, appeler au secours. Ils cherchaient à enfoncer la devanture, frappant à coups redoublés, mais inutilement. Longtemps même du dehors, ceux qui entendaient, les cheveux hérissés, la lutte désespérée de cette jeunesse en pleine sève contre la plus terrible mort, ne purent vaincre l'obstacle: la puissante armature de tôle avec laquelle on ferme aujourd'hui la plupart des magasins. Et quand enfin, au moyen de poutres portées en bélier, on put se faire un chemin pour arriver jusqu'à eux, il était trop tard, on ne trouva plus que trois cadavres entièrement carbonisés.

Au moment où nous écrivons, trois jours après l'événement, rien n'est plus triste encore que l'aspect de la rue Monge sur le point de l'incendie, où la foule ne cesse d'affluer. La maison dresse lugubrement dans le ciel ses murs noircis et ravagés par les flammes. Au pied gisent des débris de toutes sortes. Et l'éclat d'un soleil resplendissant qui éclaire en se jouant ces ruines, ajoute encore à l'effet poignant que produit ce tableau.

Les obsèques de M. Gauthier ont eu lieu lundi dernier. Celles des trois jeunes commis, mardi. Une foule immense a accompagné à leur dernière demeure ces malheureuses victimes du plus terrible des fléaux.

L. C.


Sir Samuel Baker et Lady Baker

Sir Samuel Baker, le célèbre explorateur dont les dramatiques aventures préoccupent vivement le public européen, est né en juin 1821, dans le comté de Sommerset.

A peine avait-il pris ses grades qu'il quitta l'Angleterre pour exécuter de grands voyages dans les régions tropicales. Déjà à cette époque il avait l'intention bien arrêtée de se vouer à la découverte des sources du Nil, et il cherchait à s'habituer aux terribles fatigues inséparables d'une si dangereuse expédition.

En 1848, il se fixa pour quelque temps dans l'île de Ceylan, où régnait alors ce qu'on a appelé la fièvre du café. Il dirigea avec son frère, le colonel Baker, une plantation dans l'intérieur de l'île, et revint en Angleterre après huit ans d'absence.

En 1855, il publia son premier ouvrage, dans lequel il raconte avec humour les nombreuses péripéties de sa carrière tropicale.

Cet ouvrage commença sa réputation et lui permit de commencer ses recherches des sources du Nil dans le courant de l'année 1861. Il se proposait alors d'aller au-devant des capitaines Grant et Speke, qui prenant le grand problème à rebours, cherchaient à revenir au Caire en descendant le cours du Nil, qu'ils devaient rejoindre à l'endroit où ce fleuve se rapproche le plus de l'Océan indien.

Cette première tentative n'est pas heureuse. Après avoir suivi pendant quelque temps le fleuve Atbara, il est obligé de revenir à Kartoun, non point découragé, mais enhardi par sa précédente tentative, il se décide à recommencer ses recherches en fouillant les rives du Nil blanc.

Cette fois sir Samuel Baker ne partait pas seul. Il était accompagné de sa jeune femme, qui avait refusé de le quitter. Il commandait une véritable caravane, à laquelle s'étaient joints quelques Européens, qui tous devaient succomber les uns après les autres aux fatigues de l'expédition.

Mais sir Samuel avait réussi complètement. Non-seulement il avait rencontré Grant et Speke dans la station de Gondokoro, mais il avait eu le bonheur inouï de reconnaître que ces deux grands voyageurs s'étaient complètement trompés.

Le lac Victoria-Nyanza, qu'ils ont découvert, n'était point comme ils le pensaient le principal bassin du Nil, mais seulement un bassin tributaire, qui se jette par une immense cataracte dans la véritable mer intérieure, celle qui donne, naissance au Nil blanc.

Une si brillante découverte est récompensée avant même que les deux époux ne soient de retour au Caire.

Sir Samuel trouve dans cette capitale la grande médaille d'or, que d'urgence la Société de géographie de Londres s'est fait un devoir de lui décerner.

Lorsqu'il s'agit de publier le récit de ses étonnantes aventures, la reine d'Angleterre en accepte la dédicace. De plus, elle le nomme baronnet, pour plaire, paraît-il, à sa femme, que cette distinction séduisait.

Ecrite dans cette langue facile qui plaît aux Anglais, l'odyssée des deux époux se lit avec plus de plaisir dans l'original que dans la traduction. Il nous faudrait la plume d'un Alexandre Dumas pour peindre d'une façon qui nous séduise tout à fait, la stupéfaction des populations nègres, à la vue des cheveux blonds de Mme Baker. Comment faire comprendre la grossière convoitise des grands chefs, qui croyant que toute femme est une marchandise à vendre, offraient vingt éléphants, trente girafes ou cinquante autruches au mari.

Mais la gloire d'avoir découvert le lac Albert ne suffisait point à l'ambition des deux époux. Aussi, en sir Samuel accepta-t-il les propositions du khédive, qui lui donna le titre de pacha et le commandement d'une armée de 1,500 hommes, à la tête desquels il partit pour la conquête des sources du Nil.

Aucun des événements extraordinaires qui se sont déroulés dans le cours du haut Nil, depuis le mois de novembre 1859 jusqu'au commencement du mois de juillet 1873, n'est connu en Europe autrement que par de vagues rumeurs ou des télégrammes tronqués. Cependant nous ne chercherons point à devancer le récit que le grand explorateur ne tardera point à nous faire.

Puissions-nous avoir réussi à donner les détails indispensables pour apprécier le caractère de ce couple étrangement hardi, de ces deux êtres qui ont pris la plus audacieuse de toutes les missions, faire briller l'amour civilisé aux yeux de populations abruties par le despotisme et la polygamie.

W. de Fonvielle.


La sieste

L'heure de la moisson a sonné. Le grain n'est plus en lait et facilement se coupe avec l'ongle; le chaume est devenu blanc. C'est le bon moment. Aussi, dès l'aube, en ce chaud mois de juillet et dans le mois suivant, selon la région, des essaims de moissonneurs, comme des nuées de sauterelles, s'envolant de tous les villages, vont-ils s'abattre à travers la plaine où ondulent les épis. Tous sont armés de l'arme du pays; ici, de l'antique faucille à la lame finement dentée; là, de la sape ou fauchon et de son crochet; ailleurs, de la grande faulx. Ces autres s'avancent, entourant quelqu'une de ces machines nouvelles inventées par celui-ci ou perfectionnées par celui-là, véritables mitrailleuses du sillon qui d'un seul coup couchent par terre les épis par milliers. Mais ces bataillons-là sont rares. Tout le monde ne peut pas se payer le luxe ni s'assurer les avantages de cette grosse artillerie. Sur bien des points, le petit fermier et le petit propriétaire tiennent encore pour la faucille. Cela va moins vite, il est vrai, mais cause moins de perte. Et le temps importe peu, quand la main-d'œuvre est à bas prix. Par exemple, la fatigue est double, mais on ne s'en aperçoit pas quand on a du cœur au travail, à preuve Mathurin et Mathurine sa femme, qui jamais n'ont boudé devant la besogne. Et nul mieux qu'eux ne sait habilement trancher sa poignée d'épis, égaliser une javelle, lier une gerbe, former une moyette et la coiffer. Toujours à leur affaire, sans s'arrêter une minute, sinon pour manger la soupe, et, comme de juste, faire la méridienne. A ce moment là, d'ailleurs, la chaleur est grande aux champs, le travail presque impossible. Le soleil darde d'aplomb sur la terre ses rayons de feu qui semblent mordre. Bon gré, mal gré, il faut donc fuir, chercher l'ombre, prendre quelques instants d'un indispensable repos, dont la nature elle-même paraît éprouver le besoin. Tout cède au sommeil; le fauve se retire en son gîte; l'oiseau sous le buisson se cache et se tait. Insensiblement tous les bruits s'éteignent, et bientôt le silence n'est plus troublé que par le cri strident de la cigale claquetant seule dans l'espace immense...

C. P.


Le "Paper Hunt" de Fontainebleau

Depuis quelques années le sport a fait en France des progrès incontestables. En ce qui concerne ses branches principales--les courses, la chasse à courre, la chasse à tir, le canotage--nous ne passons plus aujourd'hui pour des écoliers aux yeux de nos maîtres d'outre-Manche; c'est probablement ce qui nous encourage--ayant si bien réussi--à faire du sport au petit pied.

C'est dans cette dernière catégorie qu'il convient de classer le tir aux pigeons, le drag et le paper-hunt, trois nouveau-nés dont M. Adolphe Dennetier peut revendiquer l'honneur d'être le père nourricier. M. Dennetier, clary of the course des réunions de La Marche, de Porchefontaine et du Vésinet, s'endort généralement en rêvassant au genre de sport dont il dotera la France le lendemain matin. Il a mis des steeple-chases partout, et partout où il en a mis il a installé des tirs aux pigeons. Il a la steeple-chasomanie poussée à un tel degré, que je m'étonne de ne l'avoir pas encore vu organiser des courses d'obstacles, la nuit, dans le goût de celle qui eut lieu en Angleterre, à la suite d'un souper: course fantastique, aux flambeaux, à laquelle prirent part une vingtaine de gentlemen en chemise, coiffés d'un bonnet de coton.

En attendant, comme il n'y a pas d'hippodrome à steeple-chases à Fontainebleau, il y a tenté, dimanche dernier, l'essai d'un paper-hunt.

Rappelez-vous le conte du Petit-Poucet et les cailloux blancs sur le chemin, et vous aurez l'explication de cette nouvelle course.

Les cavaliers, réunis à rendez-vous au carrefour de la Croix de Toulouse, sont tous en costume de chasse. Ils se préparent à courir dans une direction inconnue. Tout au plus s'ils savent à quel endroit aboutira le parcours. Au signal du starter, ils vont s'élancer et galoper partout où ils verront des cartons blancs et rouges collés aux arbres et des papiers blancs par terre. C'est la fantaisie de M. Dennetier qui a semé les papiers le long du chemin et garni les arbres de leurs cartons-indicateurs.

Hop! les voilà partis. Hélas, la pluie tombe à torrents! Piteux temps d'inauguration! Le pauvre Dennetier se démène comme un lapin dans un collet. Ah! s'il pouvait boire toute cette eau qui noie sa fête!

Cependant, quelques dames dévouées et suffisamment «waterproofées» sont venues, dans leurs équipages transformés en chars de Neptune, se grouper aux environs du but pour fêter le vainqueur.

La fin de la course a été loin de réaliser ce qu'on en attendait. Ah! si quelques rayons avaient éclairé à point la vallée de la Solle. Mais la pluie tombait toujours. On a vu tout à coup se dessiner dans la brume trois petits points noirs: c'était l'arrivée du paper-hunt.

Quant à ceux qui ont eu le malheur d'être désarçonnés, on les a relevés, transformés en terres cuites!

Heureusement qu'un paper-hunt en appelle d'autres, et je suis persuadé qu'on en organise dès à présent dans toutes les forêts voisines d'un champ de courses.


La tante à succession

Jamais Greuze et ses scènes d'intérieur n'ont été plus à la mode qu'aujourd'hui; jamais les œuvres du maître contemporain de Diderot n'ont atteint, dans les ventes publiques, des prix aussi élevés; il n'est donc point étonnant de rencontrer nombre d'artistes qui s'engagent à sa suite dans cette voie gracieuse et sentimentale; mais un défaut commun à la plupart d'entre eux, c'est l'exagération de ce sentimentalisme un peu banal, qui les mène droit au maniérisme et à l'afféterie.

M. Worms est trop heureusement doué pour ne pas éviter cet écueil; au lieu de parler à l'âme un langage commun et vulgaire, il s'adresse à l'esprit, et réussit admirablement à se faire comprendre; sa Tante à succession, si remarquée au dernier Salon, est certainement une des plus charmantes compositions dues à son pinceau facile et ingénieux; point de recherche, point de prétention, rien qu'une scène vraie, rendue avec sincérité. Autour d'une dame âgée, assise dans son vieux fauteuil, s'empresse la foule des aspirants héritiers, neveux et nièces, cousins et cousines; celle-ci lui presse la main d'un air affectueux, tandis qu'un autre lui présente une tasse avec un empressement contraint; plus loin, un troisième fait son entrée, le jarret tendu avec affectation, le dos courbé en avant, la bouche en cœur.

La vieille tante reçoit tous ces hommages d'une figure maussade et désagréable; on sent qu'elle en connaît la valeur. Mais la philosophie du tableau est tout entière dans la physionomie du domestique, dont le regard impassible embrasse toute la scène, et dans celle d'un abbé, familier de la maison, qui prend tranquillement sa prise de tabac; sans doute il connaît mieux que personne les dispositions du testament, et il a de bonnes raisons pour ne pas s'inquiéter et laisser tous ces avides parents faire leur cour aux écus de la douairière.

Tous ces petits personnages sont peints d'une façon harmonieuse et dessinés avec soin; ils forment un ensemble des plus complets. M. Worms a su se garder de l'exagération; tous les traits de son tableau sont finement exprimés et concourent dans une juste mesure à l'effet général. Ce serait surtout l'œuvre d'un homme d'esprit, si ce n'était auparavant celle d'un excellent peintre.


Découverte d'un éléphant fossile à Durfort (Gard)

S'il est une science dont les progrès aient été rapides pendant ces dernières années, c'est la paléontologie. Depuis que l'attention du monde scientifique s'est portée sérieusement sur ces questions, elle ne s'en est plus détachée; l'étude de la faune antédiluvienne et de l'homme antéhistorique a été poussée avec une extrême vigueur; les recherches, les fouilles, les travaux incessants de la science officielle ont donné un élan que les volontaires de la science se sont empressés de suivre; ils l'ont suivi avec tant de succès que, par exception à ce qui se passe d'habitude, les savants «amateurs» ont fait autant pour la science que les corps savants constitués.

Les découvertes les plus précieuses, les plus rares trouvailles depuis quelques années, ont été dues le plus souvent à ces modestes champions de la science, collectionneurs isolés ou sociétés libres, spontanément formées.

Aujourd'hui, c'est une société de ce genre la Société scientifique d'Alais (Gard)--qui vient d'obtenir, après deux ans de recherches, un double succès en fouillant, sur le territoire de la même commune, à trois kilomètres de distance l'un de l'autre, un ossuaire humain de l'âge de pierre (fin de l'âge de pierre et commencement de l'âge de bronze) et un dépôt de fossiles.

Dans quelques jours nous donnerons le résumé des découvertes de la première fouille; ce que nous soumettons aujourd'hui à nos lecteurs, c'est le résultat de la seconde, résultat exceptionnel et qui, sauf les découvertes faites dans les glaces de la Sibérie, n'a été nulle part obtenu si complet; c'est le squelette entier, intact, d'un éléphant antédiluvien, tel que n'en possède aucun musée, sauf celui de Saint-Pétersbourg.

Je laisse la parole à M. Cazalis de Fondouce, l'un des membres de la Société qui va nous dire comment il a été conduit à cette découverte:

«Au mois de novembre 1869, je me rendais à Durfort (Gard) pour continuer les fouilles entreprises dans la «Grotte des morts»--(l'ossuaire dont j'ai déjà parlé plus haut)--lorsque, à un kilomètre environ du village, j'aperçus au-dessus d'un tas de pierres, sur le bord de la route, quelque chose qui me parut être une dent d'éléphant. Je ramassai l'objet et constatai que c'était bien, en effet, une molaire d'éléphant fossile. J'appris du cantonnier que ces pierres avaient été extraites sur place. Examinant le terrain, je reconnus qu'il y avait là un dépôt de transport local qui avait dû combler autrefois toute la vallée, mais dont il ne restait plus aujourd'hui qu'un lambeau de trois ou quatre cents mètres carrés de surface.

«Je fis faire immédiatement des fouilles, etc.»

Je résume maintenant les observations auxquelles ont donné lieu ces fouilles:

«Il y avait là un petit bassin marécageux, où croissaient les espèces végétales des fonds humides. Ce bassin, séparé du cours du ruisseau, n'était envahi par les eaux qu'au moment des crues et par remous. Ces eaux mortes n'y déposaient que du limon; peu ou point de graviers. Les couches successives du limon, déposées sur le talus assez escarpé qui borde la route, sont encore reconnaissables.»

«Les eaux, n'arrivant que mortes et par remous, n'ont pu charrier là que des cadavres flottés; et les ossements qui s'y rencontrent proviennent ou d'animaux échoués dans le remous ou morts sur place.»

C'est ce qui explique comment les squelettes trouvés là sont entiers.

Le premier qu'on ait découvert et extrait intégralement, c'est le squelette d'un éléphant--Elephas meridionalis. C'est le plus colossal des éléphants de cette espèce dont on ait retrouvé les restes; en voici les dimensions:

        Apophyses dépassant
        l'omoplate d'environ     0.30 c.
        Omoplate                 1.10
        Humérus                  1.25
        Cubitus. ......          0.95
        Os du pied (carpe,
        métacarpe, phalanges).   0.50
        Ce qui donne pour
        hauteur de l'animal au
        garrot                   4.40 c.


Squelette de l'éléphant fossile trouvé à Durfort.

L'éléphant du musée de Bruxelles n'a que 2 mètres 60 centimètres; le mammouth du même musée n'a que 3 mètres 60; celui du musée de Saint-Pétersbourg 3 mètres 45.

L'éléphant de Durfort appartient à l'espèce la plus ancienne, l'Elephas meridionalis, antérieur au mammouth ou mastodonte, et qui a vécu à la fin de l'époque tertiaire. C'est un spécimen unique au monde.

Voici ses autres dimensions;

D'une extrémité d'une crête iliaque à l'autre, le bassin mesure 2 mètres 05 de largeur, ce qui donne le développement prodigieux de la croupe.

Le fémur a 1 mètre 45; le tibia 0 mètre 85.

Les dimensions de la tête sont indiquées sur notre dessin.


DÉCOUVERTE D'UN ÉLÉPHANT FOSSILE A DURFORT (Gard).

Il ne manque à l'éléphant de Durfort que l'extrémité des défenses qui, venant aboutir dans le talus, au bord de la route, ont été coupées lors de l'élargissement de cette route par les ouvriers qui n'y ont point pris garde. Ce qui reste des défenses n'a pas moins de 1 mètre 80 de longueur, et les dimensions de la partie conservée accusent une longueur probable de 3 mètres 65. Le diamètre de la défense à son origine est de 0 mètre 23; l'éléphant de Saint-Pétersbourg n'a que 0 mètre 19 au même endroit. Le crâne de l'éléphant de Durfort mesure 1 mètre 65, du sommet au bord des alvéoles; celui de l'éléphant de Saint-Pétersbourg 1 mètre 30 seulement.


L'éléphant fossile de Durfort (restauration).

L'animal est certainement mort sur place et pour ainsi dire debout. La position du squelette équivaut à un récit. Elle raconte avec une évidente certitude le drame qui s'est passé là il y a plusieurs dizaines de milliers d'années--des centaines peut-être. L'animal était acculé sur le train de derrière, cabré contre le talus et agenouillé des jambes de devant contre l'escarpement de la rive; la tête relevée, tendue en haut, les défenses presque verticales; le squelette serré, ramassé en bas, distendu en haut.

Venu à l'abreuvoir et embourbé, ou surpris par une crue, l'animal est mort là, essayant de gravir le talus, épuisé, acculé, la tête élevée pour prendre au-dessus des eaux une dernière respiration.

Extrait en entier et remonté par les soins de la Société scientifique d'Alais--dont, avec M. Cazalis de Fondouce, sont membres MM. Ollier de Marichard, Destremx (député de l'Ardèche), docteur Auphand, etc.--l'éléphant de Durfort offre maintenant à la science un magnifique sujet d'études.



REVUE COMIQUE DU MOIS, PAR BERTALL


A la fête, le Bouquet.
--Eh bien! Auguste, si tu veux savoir mon idée, la voilà; je suis bien content qui soit pas mort!
--Qui ça?
--Le fils du citoyen Darti.
--Comment?
--Oui, puisqu'on disait feu d'arti fils.
--Canaille!
Après la fête.
--Voyez-vous la mère Michel, qué chance qu'on ne l'ait pas perdu celui-là! les affaires sont les affaires; il y a plus de quatre ans que le coco n'avait été aussi fort!
La voix des femmes.
--On dit qu'il a cent cinquante femmes, je vous demande un peu ce que ça lui aura fait d'en prendre trois ou quatre de plus; en tout bien tout honneur.
Nouvelles modes.
Coiffure à la shah.--Une coiffure qui ne manque pas de chien.
Débuts aux bains de mer.
--Allons! allons! la petite mère, ça surprend, je ne dis pas; mais l'eau ne sera pas plutôt à votre Océan, révérence parler, que vous ne vous en apercevrez plus.
--Belle femme! Combien vous a-t-elle coûté?
--Dites à M. Lamouroux, dites au généreux conseil municipal que je suis S. M. Tounens, roi d'Araucanie, que moi aussi j'ai une aigrette, et que je réclame ma petite fête; je serai arrangeant pour les détails. La station militaire.
--Ayez pas peur sargent, c'est le caporal; je lui apprends à rester longtemps sous l'eau, sans vous commander.
Un feu de vacances.
--Ils ne l'ont pas volé.
--Enterrement civil du citoyen Balcon.
En Espagne.
--S. M. le shah vous envoie sa carte; il aurait été enchanté de voir tous ces messieurs, mais il craint de les déranger.
Églogue.
(Tythiere, tu patulæ recubans sub tegmine fagi...) Virg. --Tythiers, assis mollement à l'ombre du hêtre, tu te reposes, quand fuyant notre ville natale nous errons de balcons en balcons! C'est pas gentil!


L'expédition du "Challenger"

ET LA VIE DU FOND DES OCÉANS

La riche mythologie des anciens avait horreur du vide et du néant. Elle peuplait les hautes plages atmosphériques de dieux, de déesses, de demi-dieux, de génies, et le fond du fleuve Océan n'était pas moins brillamment partagé. Le vent ne pouvait souffler sur les falaises sans que leurs poètes reconnussent la voix des sirènes se mélangeant avec le bruit de la conque des Tritons. Quand l'éclair illuminait la nue aux points où elle se confond avec la vague, ils croyaient apercevoir le char de Neptune traîné par une légion de chevaux marins.

Les savants matérialistes qui croient avoir découvert le secret de la nature ne sont pas moins ennemis de tout ce qui recule les bornes du règne de la vie. Ils ont dépeuplé les deux abîmes, celui que recouvrent les vagues et celui que traverse la lumière du soleil pour pénétrer jusqu'à nous.

Vainement Ossian Sars, un de ces vaillants naturalistes Scandinaves qui explorent les régions boréales, avait protesté contre ces stérilisantes théories, en montrant qu'une faune particulière se développe à mesure que l'Océan devient plus profond. Inutilement, dès 1850, il avait retiré des gouffres de l'Océan norvégien des êtres spéciaux, incapables de vivre sans la compression énorme à laquelle les habitants des abîmes marins sont forcément soumis.

Hier encore, on enseignait avec audace, en Allemagne et même en Angleterre, qu'il n'y a pas d'animal qui puisse vivre au delà de 2 à 300 mètres de la surface des eaux.

Mais les navires chargés de poser les câbles transatlantiques, ayant été obligés de fouiller le sous-sol des mers profondes, ont rapporté des coquillages presque microscopiques dont l'organisation, d'une délicatesse idéale, a détruit sans retour tous ces préjugés.

Encouragés par ces brillants débuts, les lords de l'amirauté ont agrandi le champ des investigations sous-marines, bornées dans ces trois premières campagnes à la portion du Gulf-Stream qui s'étend depuis les Bermudes jusqu'aux Orcades.

La corvette à vapeur le Challenger, désignée pour exécuter ces étonnants sondages, pendant toute la durée d'un voyage de circumnavigation, a quitté Porstmouth le 21 décembre dernier, emportant avec elle tous les vœux des amis des sciences.

Grâce à l'obligeance de M. Norman-Lockyer, le savant rédacteur en chef du journal anglais Nature, qui doit servir de moniteur à l'expédition, nous serons à même de donner à nos lecteurs de curieux détails authentiques sur un voyage sans précédent dans l'histoire scientifique; car c'est la première fois que l'on voit un laboratoire d'études aussi complet que ceux des grandes universités d'Europe parcourir successivement tous les océans.

Le pont du Challenger porte un treuil à vapeur destiné à soutenir et remonter les sondes qui, ayant un poids de plusieurs quintaux, ne sauraient être maniées par l'équipage.

Pour atteindre le fond de gouffres aussi creux que les Alpes sont hautes, on doit calculer en moyenne sur deux heures de travail d'une puissante machine. C'est à peu près le temps qu'il faudrait à un aéronaute habile, bien servi par les circonstances, pour aller puiser de l'air à une altitude aussi grande que cette mer est profonde.

Les opérations du Challenger offrent une grande analogie avec celles que le Great-Eastern a si brillamment exécutées dans le milieu de l'Atlantique. Les sondes qu'il emploie sont à peu près pareilles à celles dont le Lightning et la Porcupine se sont servi dans leurs précédentes croisières.

M. Wyville Thompson, le capitaine scientifique de cette expédition modèle, est précisément le savant hardi qui a organisé les croisières précédentes auxquelles il a pris la plus large part. Un de nos compatriotes, qui garde modestement l'incognito, a l'honneur de lui servir de secrétaire. Nous ne pouvons point encore révéler le nom de ce savant, mais nous sommes heureux de dire que l'élément français est représenté à bord d'un navire où tout est préparé pour assurer le triomphe de la science.

Ce qui excite encore l'admiration des connaisseurs, ce sont les dispositions adoptées pour l'installation des laboratoires. Dans l'impossibilité où nous nous trouvons de les représenter tous, nous avons choisi le principal, celui qui a déjà servi à de grandes observations physiologico-chimiques.

Le lecteur voit à main droite une bibliothèque peu nombreuse, mais renfermant tous les ouvrages techniques de nature à aider les expérimentateurs. En face se trouvent des piles voltaïques construites avec soin, et maintenues dans un parfait état d'entretien. Au-dessus des piles sont rangés les hameçons et les lances dont on fera usage pour capturer les géants des mers. Déjà on a saisi des oiseaux qui se sont imprudemment approchés du Challenger, et qui paient leur curiosité en servant à assouvir celle de leurs vainqueurs. Sur la table se trouvent les loupes, les microscopes droits, les microscopes obliques et même les microscopes binoculaires.

Nous avons représenté le moment où l'on apporte au laboratoire un des plus curieux habitants de l'abîme. Il passera sans transition pour ainsi dire de l'Océan dans un bocal d'esprit de vin.

À la sortie du port, le Challenger a été secoué par une violente tempête, qui a forcément empêché pendant quelque temps l'inauguration des travaux scientifiques. Si Camoëns eût été à bord, il eût déclaré qu'il avait aperçu Adamastor se dressant sur les vagues et conjurant M. Wyville Thompson, nouveau Gama, de ne point voler les secrets de l'abîme!

Mais l'ouragan s'est calmé sans que le capitaine d'armes du laboratoire ait eu à enregistrer la perte d'une éprouvette ou d'un entonnoir!

Après avoir touché aux Açores et à Saint-Thomas, le Challenger a relâché à New-York, où son arrivée a fait événement. Fort des conseils et de l'adhésion de l'élite des savants américains, le capitaine scientifique Wyville Thompson se rend vers l'Atlantique austral; il croisera dans les nouvelles Shetland, afin de tâter ce climat, et de dire si les savants anglais peuvent espérer d'y voir Vénus dans le soleil de décembre 1874.

W. de Fonvielle.



LES THÉÂTRES

On ne manque pas de vaillance au Gymnase. Voilà quinze jours qu'on s'occupe de rajeunir l'affiche à ce théâtre si peu endormi. Je vous ai dit Madame Honora, qui était et qui est encore une fleuriste pour rire, léguée avant sa mort par Brisebarre à M. Montignv. Le Numéro 13 arrive à son tour, et l'on trouve en lui une action qui se passe en plein hiver, en temps de fourrures et de carnaval, raison pour laquelle on la joue au cœur de l'été. Tel est chez nous l'amour du paradoxe, qu'on cherche sans cesse à ne trouver de possible que l'impossible.

Ce Numéro 13 est situé chez Paul Brébant, le restaurateur des masques et des artistes. Une femme du monde veut savoir ex-professo comment il faut s'y prendre pour se faire faire la cour dans un cabinet particulier. Au bal de l'Opéra, où elle est allée convenablement défigurée, elle avise un cavalier, se fait inviter par lui à souper d'une douzaine d'huîtres et d'un poulet froid (il y en a toujours d'excellents chez Paul Brébant). Pendant le souper, le galant fait sa cour et, dès le lendemain, on se met en passe de se marier. Voilà le Numéro 13. Il n'est pas tout à fait sorti du sac à la malice, comme vous voyez.

Si ce lever de rideau est une idylle un peu frappée, en revanche la Marquise, de MM. Eugène Nus et Adolphe Belot, est un drame un peu bien compliqué. Vu la chaleur tropicale qu'il fait en ce moment, dispensez-moi d'entrer dans la dissection de l'ouvrage. Quelques paroles d'analyse, et, en conscience, ce sera bien assez.

Voilà une trentaine d'années, une des célébrités du demi-monde d'alors a pris tout à coup la vie à grandes guides en dégoût. On l'avait surnommée la Marquise. Marquise de qui? marquise de quoi? il n'importe. Le monsieur qui veillait sur elle étant venu à mourir, elle s'était tournée du côté d'une jeune fille qu'elle avait et, pour l'élever, avait dit adieu aux prouesses de la cocotterie. Bien mieux, cachant et son passé et son nom, elle avait donné à sa fille une dot de 200,000 fr., ce qui fait comprendre qu'elle l'avait mariée très-honorablement à un excellent et très-loyal garçon. Y a-t-il des secrets dans le monde? Un proverbe italien prétend que non. Il est toujours très-certain que ni l'ombre de la province, ni le temps, ni l'habileté, n'ont pu réussir à garantir la Marquise des conséquences de sa vie d'autrefois. Au fond de la Bretagne, dans la province la plus calme de la France, un galantin sur le retour, que le hasard pousse par là, rencontre l'exilée volontaire et s'écrie: «Eh! c'est la Marquise!» Tout le château de cartes de l'ancienne belle s'écroule en un instant.

Vous voyez d'ici ce qui en résulte. Si l'ex-marquise avait seule à souffrir de cet état de chose, ce serait juste, partant d'une moralité saisissante. Mais le gendre qui a reçu les 200,000 francs de dot a plus à souffrir qu'elle encore. Cet argent, il veut le rendre; il cherche et il finit par trouver les moyens de s'en défaire. C'est donc pour le mieux; mais il me semble que cette surabondance d'épisodes finit par refroidir l'intérêt. On dira sans doute avec quelque raison: «Mais tout cela est pris dans les mœurs du Paris moderne. Tel procès, qu'on n'a pas oublié, a justement révélé au public des faits absolument semblables à ceux-là.» D'accord.--Le Palais de Justice, bien plus que le théâtre, nous fait voir clair dans les coulisses du monde actuel, mais tout ce qui se fait dans l'enceinte des tribunaux n'est pas forcément bon à être reproduit au théâtre.

Il y a évidemment du talent et beaucoup d'habileté scénique dans la Marquise. On se rappelle Miss Multon, des mêmes auteurs, qui a bien une lointaine parenté avec la pièce nouvelle. Mais, voyons, n'en finira-t-on pas sur les scènes de genre avec cette poétique si sombre? Comment! toujours de l'horrible! Là où, jadis, on était sûr de trouver à s'égayer, le spectateur n'ose plus s'aventurer aujourd'hui qu'avec une demi-douzaine de mouchoirs de poche pour essuyer un torrent de larmes.--Il n'est pas agréable de pleurer au théâtre,--surtout en été. Si vous ne savez plus nous faire rire, ne nous condamnez pourtant pas au larmoiement à perpétuité.

Philibert Audebrand.




LA CABINE-LABORATOIRE DU CHALLENGER, NAVIRE CHARGÉ
D'EXPLORER LE FOND DES MERS.



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

Rouen, promenades et causeries, par M. Eugène Noël (1 volume in-18. E. Schneider à Rouen.)--Encore un livre de voyage! Non, de promenades tout au plus. M. Eug. Noël, ce lettré exquis, éditeur et annotateur de Rabelais, peintre de la vie des fleurs, s'est attaché à nous donner la monographie même de Rouen, sa ville natale, de ses coins curieux, de ses souvenirs, de ses grands hommes. Ces sortes de travaux sont des plus intéressants et instruisent même les érudits. Il y a par exemple dans ce livre de M. Eug. Noël un chapitre capital sur Corneille, ses relations avec la famille Pascal et sa maison de Petit Couronne. Le chapitre qui porte pour titre Molière à Rouen est aussi d'un très-grand intérêt. Notez que l'érudition de M. Noël n'a rien de rébarbatif, quelle est avenante au contraire et parée de toutes les grâces d'un style qui ne fait point sans raison penser à Michelet. C'est dire ce que vaut un tel livre, un des plus agréables à coup sûr que j'aie rencontrés depuis longtemps.

Récits de l'infini: Lumen, par M. Camille Flammarion (1 vol. Didier).--C'est un roman, un roman astronomique et il en est déjà à sa 3e édition. M. Flammarion a un public. Il conte, on l'écoute. Il vous promène à travers les mondes on le suit. Il conférencie, on se presse autour de sa chaire. Lumen m'a étonné et m'a amusé. C'est du Fontenelle à la contemporaine. On ne saurait s'en fatiguer.

Jules Claretie.



RÉBUS

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:

Les Hollandais auront leur tour de revanche aux Indes.










End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 1587, 26 Juillet
1873, by Various

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     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]

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