Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3674, 26 Juillet 1913, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org/license Title: L'Illustration, No. 3674, 26 Juillet 1913 Author: Various Release Date: March 17, 2012 [EBook #39183] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3674 26 JUILLET 1913 *** Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3674, 26 Juillet 1913
Ce numéro contient:
1° Une gravure en couleurs hors texte: Le Calme du soir, par Van der
Weyden;
2° LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Roman, n° 9: Un Roman de Théâtre, de M.
Michel Provins.
3° Un Supplément économique et financier de deux pages.
UN HOMME D'ÉTAT: M. LOUIS BARTHOU
Phot. Gerschel.--Voir
l'article, page 84.
Ne cherchez pas dans le dictionnaire, c'est un mot qui n'y est pas et que j'invente. Je le risque, au petit bonheur, afin de désigner des poupées, oui... les poupées vraiment nouvelles que va fabriquer, paraît-il, pour notre plaisir et celui de tous les enfants, le dessinateur Poulbot.
Je n'ai pas besoin de vous croquer cet artiste savoureux. Vous le connaissez. Même à l'étranger, la verve naïve et spirituelle de son crayon est déjà populaire, et tous ici nous raffolons depuis des années, avec une tendre et joyeuse faiblesse, des gamins et des drôlinettes de Montmartre qu'ont adoptés son esprit et son coeur, qu'il a recueillis sur le papier et fait siens par la persévérance amusée et apitoyée de son talent.
Déboutonnés de partout, empêtrés de gibecières et ayant toujours pour deux sous de nu au vent, peignés à la gratte, les bas retournés en peau de lapin, les nippes retenues par des ficelles, ils vagabondaient, traînassaient, dégringolaillaient le long des pentes de la Butte, marmousets des escaliers et des venelles, galochards du pavé, cavaliers de la rampe en fer, patineurs des glissades, joueurs à cloche-pied des marelles, accroupis pointus des parties de billes, les tout petits avec un hochet de chemise dépassant la culotte et les plus grands laissant sortir de la poche, au bout d'un i grec de bois, l'élastique carré à tuer les pierrots... Ils n'étaient en art à personne et personne ne s'en avisait, quand un jour, dans un terrain vague, Poulbot, qui songeait en foulant le gravât et l'écaille d'huître, entendit «des voix», et tout de suite il reconnut celles de Bastien-Lepage et de Marie Gaskirtcheff qui lui disaient: «Mais va donc. Ramasse donc ces bonshommes dans la rue, et prends-les. Dépêche-toi si tu ne veux pas qu'on te les chipe. Nous les avons nous-mêmes un peu approchés dans le temps que nous venions par ici rêver en silence, le long des palissades... Tu n'imagines pas ce qu'ils sont attachants et tout ce qu'on en peut tirer!»
Il comprit, sans se faire répéter, car il sait que les morts n'aiment pas dire deux fois la même chose. Et, en quinze leçons, il s'affirma brillamment l'historiographe et le poète de la petite humanité buissonnière des faubourgs.
Il ne lui suffit pas alors de célébrer sa marmaille, par le dessin, il voulut aussi en donner quelques échantillons plastiques, et j'ai gardé le souvenir d'avoir vu et tenu naguère certains galopins et mômes d'une impressionnante vérité, modelés, peints et accommodés par Poulbot avec un malicieux génie. Mais c'était là, jusqu'à présent, simple distraction d'artiste qui se dégourdit les doigts entre deux séances. Et puis, aujourd'hui, j'apprends que dans un double but--aussi bien pour écraser sur le marché la concurrence des hideux bébés allemands à stupide figure plate, que pour réveiller le vieux modèle un peu dégénéré en usage chez nous depuis si longtemps--il a conçu le hardi projet de rénover la poupée! Si j'ai bien saisi ses intentions qui m'ont été rapportées, il voudrait créer un autre type s'écartant moins de la vie, offrant avec le corps et le visage humain un rapprochement plus sensé, une poupée dont les bras, le buste et les jambes ne craindraient pas de révéler une anatomie moins rudimentaire que celle dont elle s'est jusqu'ici contentée non sans bravade,... une poupée qui aurait des yeux capables de procurer cette illusion qu'ils renferment un regard, une bouche de forme assez naturelle et assez grande pour que l'on puisse, sans estropier l'enfant, y introduire même avec la plus petite des cuillers, un peu de soupe... des cheveux qu'il serait impossible de ne pas croire poussés pour de bon et qu'ainsi l'on aurait un incomparable plaisir à tirer, à arracher et à démêler tour à tour avec douceur... une poupée plus vivante, susceptible de dégager du charme, de la sympathie, une spéciale attirance, de provoquer avec un peu de trouble et de gêne un sentiment affectif plus étroit, une poupée moins poupée, enfin, qui n'aurait plus l'air d'avoir été achetée, de venir du bazar, mais qui semblerait le don mystérieux de quelque bon génie comme on en voit tant dans les contes, ou de quelque fée, puissante, et vieille comme les pierres...
Poulbot s'est dit qu'il était inadmissible que toutes les poupées se ressemblassent, que toutes elles fussent hydrocéphales, avec le même front vide et bombé, les mêmes joues trop rondes, le même petit trou de bouche, le même oeil inexpressif et béant, les mêmes membres monstrueux. Est-ce que tous les hommes, toutes les femmes, tous les enfants, tous les papas, toutes les mamans, tous les petits garçons et toutes les petites filles sont pareils et uniformes? Non. Alors? pourquoi les poupées seraient-elles, seules dans la création, bâties sur le, même patron et coulées dans le même moule? Je sais bien, comme le font remarquer avec justesse certains partisans du vieux système, que toutes ces poupées qui nous semblent, à nous, la répétition constante d'un seul et unique type, offrent entre elles des différences qui nous échappent et qui ne manquent pas de sauter tout de suite aux yeux plus exercés de l'enfance. Et la preuve en est que jamais, entre dix poupées identiques, vous ne verrez hésiter une fillette sur la reprise de sa progéniture. Vous pouvez mêler les uns aux autres tous les bébés de carton que vous voudrez, chaque petite mère reconnaîtra le sien, à distance, et sans se tromper. Un instinct le lui désigne et crie en elle. C'est la voix du son.
Mais, cependant, je me dis que les petites filles ne seraient pas fâchées non plus de pouvoir, à leur gré, se choisir un poupon (ou une enfant déjà venue au monde avec des bottines et en jupe), selon leur goût et leur envie. Si elles ont une préférence, une idée de derrière la tête, elles trouveraient désormais le moyen de se satisfaire, ce qui doublerait leur joie protectrice et accentuerait le charme de leur naissante maternité. Elles posséderaient ainsi l'enfant spécial et déterminé de leur désir, de leur caprice, blonde ou brune, maigre ou grasse, avec des yeux de telle ou telle nuance, une enfin qui ne serait pas celle de tout le inonde, mais rien que la leur, et répondant bien à l'idée tendre et rêvée qu'elles s'en faisaient à l'avance dans leur lit de mousseline, au cours d'insomnies angéliques. Cette poupée-là serait vraiment pour elles une personne, et ferait davantage partie de la famille. Qu'y aurait-il d'extravagant à ce que même on la commandât, sur renseignements précis et indications, portraits et photographies: «Je veux, monsieur, vous entendez bien? prescrirait l'enfant au marchand, une poupée qui ait le nez de papa,... comme ceci, vous voyez?... les yeux bleus de maman, les bonnes joues de ma grand-mère et l'oreille de mon oncle Edouard, qui est très bien faite.»
De même, je ne verrais aucun inconvénient à ce que, grâce à la prévoyance de Poulbot, nos mignonnes puissent se payer un garçon si le coeur leur en disait, au lieu d'une fille. La poupée-garçon réclame sa place au soleil. Bien des mères, qui n'en sont pas moins pour cela d'excellentes natures, ont une faiblesse marquée pour les garçons, et c'est toujours un fils qu'elles attendent des promesses que leur soumet l'avenir... Or il est bien évident que ces épouses qui avaient la vocation du garçon dès leur jeune âge ont dû beaucoup souffrir autrefois d'être obligées de ne porter leurs soins et leur sollicitude que sur des poupées d'un sexe qui leur déplaisait. Voilà donc aujourd'hui la petite fille bien heureuse, et, privilégiée, puisqu'il lui sera permis d'avoir, à son gré, les enfants qu'elle voudra, et tels de visage et de conformation qu'elle en ressentira l'impatience. Pareillement je ne serais pas étonné que les petits garçons, apercevant leurs soeurs si bien loties, ne se missent de leur côté à s'éprendre des poupées-femelles que celles-ci dédaigneront. Il n'est pas rare que les petits hommes se plaisent, autant et plus que les petites femmes, au jeu si captivant de la poupée. Ils ne peuvent qu'y profiter. Ils y apprendront la gentillesse paternelle, la courtoisie, les doux égards que méritent souvent la faiblesse et la sensibilité féminine, si délicate, si difficile...
A moins... ce qui, après tout, pourrait bien arriver, que les poupées de
Poulbot, les Poulbottes charmantes, pittoresques, et d'un art soigné,
plus soucieuses d'humaine vraisemblance, n'inquiètent les enfants et ne
les déconcertent, ne leur parlent pas autant que la drôle de petite
horreur naïve et à peine dégrossie à laquelle leur préférence un peu
sauvage n'a trouvé jusqu'ici que d'irrésistibles attraits. Notre
inventeur, audacieux et fin, j'en ai la certitude, aura la sagesse de,
ne pas dépasser la mesure et de ne pas prétendre trop bien faire.
Consentant à des sacrifices héroïques, indispensables, il n'ira pas
jusqu'au bout de sa truculence et de sa recherche, et laissera aux
petits jouets humains sortis de ses doigts exigeants ce style fruste et
populaire, cette grâce d'irréel et d'inachevé, ce cachet de comique à
moitié barbare par quoi se reconnaît et veut se distinguer et s'imposer
la poupée, la poupée qui doit être une interprétation, une évocation
divertissante et à demi déformée de la vie, non une copie serrée, ni un
trompe-l'oeil et un trompe-mains... Car, en ce cas, ce serait un jouet
surprenant et délicieux, mais pour ces grandes personnes d'enfants qui
ne les cassent pas, qui les rangent dans des vitrines, et qui
s'appellent: les parents.
Henri Lavedan.
(Reproduction et traduction réservées.)
Un petit port de la Manche--Etaples, dans le Pas-de-Calais--à l'heure crépusculaire. Une lune d'or pâle flotte dans un ciel de défaillant azur. Les chaumières déjà s'allument, et, vers ces phares familiers, les dernières barques errantes se sont hâtées. La pêche de la journée déposée sur la plage, c'est pour les marins la brève halte à terre jusqu'à la marée prochaine, le maigre repas, le sommeil inquiet qu'interrompra avant l'aube le lever de la brise ou le bruissement du flot qui monte.
M. Van der Weyden, dans ce Calme du soir qui était l'un des bons tableaux du dernier Salon (Société des Artistes Français), a noté d'un oeil délicat et exercé les nuances fugaces dont se masquent et s'harmonisent, à cette heure incertaine, les tons les plus criards dans la lumière du jour--ainsi la parure violente des bateaux--et, d'un pinceau habile, il a fait miroiter l'eau prête à s'assoupir et scintiller doucement les paniers lourds de poissons aux reflets nacrés.
[Ici s'intercale une gravure en couleurs hors texte: LE CALME DU SOIR.]
Après la bataille de la Bregalnitza: un convoi de blessés
serbes.
Gradista, 10 juillet.
D'Uskub à Kumanovo, trajet que nous avons fait, en deux heures, dans un wagon de première classe réservé à notre transport, nous avons pu nous rendre compte que tout était prévu et exécuté par une organisation de premier ordre. Partout se révèlent des hommes d'initiative et un fonctionnement exact et sans heurt de tous les rouages. A la station de Kumanovo, trois automobiles envoyées par les soins de l'état-major de l'armée du prince royal nous enlèvent rapidement et, en moins d'une heure, par une route excellente, aménagée avec soin par le génie serbe, nous déposent à Gradista, auprès des tentes où se trouve bivouaqué le quartier général de la 1re armée.
Cap. Marinkovitch. Col. Fournier, A. de Penennrun. Cap.
Stoïanovitch. Au quartier général du prince Alexandre de Serbie: le
colonel Fournier et trois camarades de promotion de l'École de guerre.
Les officiers de l'état-major avaient poussé l'amabilité jusqu'à retarder l'heure habituelle du repas pour nous permettre de le prendre en leur compagnie. Mais à peine avais-je mis le pied en dehors de l'auto qui nous transportait, Réginald Kann et moi, que je me trouvais serré vigoureusement dans les bras de deux officiers me saluant des plus vives exclamations de surprise: c'étaient mes anciens camarades de promotion d'École de guerre, les capitaines Stoïanovitch et Marinkovitch, qui n'en revenaient pas de me voir au milieu d'eux. L'impression première de cordialité ne s'en atténue pas, bien au contraire, d'autant que je vois arriver notre très distingué attaché militaire à Belgrade, le colonel Fournier, qu'une faveur spéciale du roi a autorisé, seul parmi tous les autres attachés, à suivre de près les opérations, en accompagnant l'armée du prince royal. Une si précieuse exception pour le représentant officiel de l'armée française prouve, mieux que tout, l'extrême sympathie, dont--depuis le roi, ancien soldat de la France, jusqu'au dernier de ses sujets--est animé le peuple serbe à notre égard.
Nous arrivons au quartier général de Son Altesse Royale le prince Alexandre, un peu comme les carabiniers, c'est-à-dire après la bataille. Il faut nous consoler en allant cueillir sur les champs des combats de la Bregalnitza les miettes de l'histoire.
... Et d'abord, tout en ne ménageant pas mon estime au haut commandement des armées du roi Pierre, en particulier à l'homme remarquable que paraît être le maréchal Poutnik, j'ai eu, depuis Belgrade jusqu'ici, cent occasions d'être frappé de l'admirable matière «homme» que constitue le soldat serbe.
L'homme consent à «se faire tuer», à souffrir... Le commandement sait «vouloir»... Abnégation de l'exécutant, énergique volonté du chef: le secret de la victoire est là!
Cependant, il pourrait paraître étrange que je semble dénier à leurs adversaires des qualités que, l'automne passé, j'affirmais être également l'apanage de l'armée bulgare. C'est précisément parce que cette dernière n'est plus telle que je l'ai connue pendant la campagne de Thrace que son sort paraît se trouver aussi cruellement compromis. Et mon opinion à ce sujet a trouvé de précieuses confirmations dans une conversation fort longue que j'ai eu le très grand honneur d'avoir avec S. A. R. le prince Alexandre.
Front atteint le 30 juin (soir) par les Bulgares et attaques des 1er et 2 juillet des armées serbes. | Attaques des 3 et 4 juillet de la Ire armée serbe; des 6, 7 et 8 juillet de la IIIe armée. |
Croquis de A. de Penennrun.
La bataille décisive de la Bregalnitza (Armées serbes: hachures horizontales--Bulgares: hachures verticales).
Le prince ayant manifesté le désir de me voir, je lui fus présenté par le colonel Fournier. Après un début d'entretien où je lui exprimais mon admiration pour les troupes magnifiques qu'il avait sous son commandement, le prince me posa quelques questions sur l'armée bulgare telle que j'avais pu l'apprécier lors de la campagne dernière contre les Turcs. Et comme j'exprimais l'idée qu'à ce moment les soldats bulgares, le haut commandement que l'on pouvait déjà à ce moment considérer comme synthétisé dans la personne du général Radko Dimitrief, étaient évidemment deux éléments d'une force incomparable, le prince me dit:
--Je partage absolument votre avis sur la très haute valeur morale de l'armée bulgare, pendant la campagne de Turquie. Mais je ne crois pas me tromper, en affirmant que les Bulgares d'aujourd'hui ne sont plus ceux d'il y a un an. L'enthousiasme surchauffé qui les a lancés en ouragan contre les Turcs, l'antique oppresseur, n'existe plus contre nous leurs alliés et leurs frères d'hier, qu'ils veulent spolier injustement. Il arrive maintes fois que leurs prisonniers avouent ne prendre part qu'à contre-coeur à cette guerre ingrate que les Bulgares ont eux-mêmes déchaînée. Leur flamme de belle énergie, leur foi en la sainteté de l'ancienne cause est tombée.
--Cependant, monseigneur, ne pensez-vous pas qu'au moment où les Bulgares se sentiront acculés par vos troupes marchant sur Sofia, ils ne tentent un effort suprême, que leur vieille énergie native ne se réveille et que, somme toute, l'adversaire déjà opiniâtre dont vous avez triomphé sur la Bregalnitza ne devienne plus tenace encore, quand il défendra le sort de la Vieille-Bulgarie?
--Vous avez tout à fait raison, monsieur, répondit le prince, mais, nonobstant la valeur d'adversaires que j'estime très redoutables, souvenez-vous que ces gens-là font une guerre inique, que dans le fond leur moral est vicié par la fourberie même de leur injuste agression vis-à-vis de nous, que de leur puissante et sauvage énergie, de leur endurance au mal, il ne leur reste plus que des vestiges et que, dans la balance morale où Bulgares et Serbes se mesurent actuellement, les uns croient à la victoire et les autres en désespèrent.
Gradista, 11 juillet.
A 4 heures du matin, nous abandonnons nos tentes, et, conduits par mon ami le capitaine Mirko Marinkovitch, nous partons dans d'invraisemblables sapins venus d'Uskub à notre intention et qui doivent nous véhiculer à proximité du terrain des différents combats livrés du 30 juin au 6 juillet sur la Bregalnitza. Nous nous dirigeons tout d'abord vers le Drenek, point capital de la gauche serbe en avant du Tserni-Vrh, un rocher escarpé précédé d'une succession de contreforts.
Du haut du Drenek, Marinkovitch nous explique non seulement le processus de l'attaque, mais aussi l'ensemble des opérations qui ont suivi cette action, à droite, vers deux mamelons au relief nettement indiqué, qui portent les côtes 550 et 650, plus à droite encore vers Istip qu'on devine, plutôt qu'on ne le voit, dans un vague lointain fait de brume et de lumière, en face de nous enfin, sur les pentes étagées de Raïtchani qui séparent la Zletovska de la Bregalnitza nous cachant la ville de Kotchana profondément enfouie au revers des crêtes, dans un thalweg descendant vers le sud.
A notre gauche, un amas énorme de rochers découpés, dentelés bizarrement, déchire les nuées qui l'entourent, semblant menacer le ciel, très haut au-dessus de nous: c'est le Rectki-Bouki, le pivot de gauche des Serbes dont la masse imposante constituait en quelque sorte les gonds, l'axe de cette porte que l'armée du prince royal devait tenir fermée devant l'assaut désespéré des Bulgares.
Toute cette zone se présente fort nettement comme un terrain de très haute montagne, mais, contrairement à ce qu'à première vue l'on pourrait penser, il est assez manoeuvrable. Les croupes et les thalwegs largement ondulés permettent aisément le passage à peu près constant de l'artillerie de campagne et, de fait, nous voyons partout, au milieu des moissons foulées par les combattants, de larges sillons où tout semble fauché, traces, parallèles le plus souvent et accouplées par quatre, du passage d'une batterie marchant à grande allure.
Sur le haut des crêtes du Drenek, nous trouvons en quantités énormes des étuis de cartouches et des chargeurs bulgares, un peu plus loin un amas de douilles de pièces d'artillerie. Je n'exagère pas en estimant à environ 200 au mètre courant le nombre d'étuis trouvés sur la position, des tirailleurs ennemis. L'on jugera par là de l'intensité du feu et l'on s'expliquera les énormes pertes subies.
Puis, tandis que nous restions perdus' dans la contemplation de ce cirque étendu de montagnes et de vallées, où se sacrifièrent près de 30.000 hommes, le capitaine Marinkovitch reprit la parole et nous fit le récit suivant:
«Dans la nuit du 29 au 30, à 2 heures du matin, nous fûmes réveillés par des clameurs sauvages, des cris, des coups de feu de plus en plus nombreux qui venaient de la direction de nos avant-postes. Les Bulgares attaquaient en masse, tout leur monde en ligne, attaque d'une violence extraordinaire, en ordre profond, exécutée avec une brutalité et une énergie sauvages que décuplait chez l'ennemi l'ardent désir de briser d'un coup la résistance de nos armées.
» Tout le long de la Zletovska, devant l'armée du prince royal, de la Bregalnitza et de la Kriva Lakavitza, devant la IIIe armée, les sentinelles, les petits postes situés sur les berges de ces rivières et même les grand'gardes légèrement en arrière, furent non seulement disloqués et refoulés, mais même, en bien des endroits, véritablement égorgés par les Bulgares ivres de fureur et de sang. La première résistance sérieuse ne fut offerte que par notre ligne des réserves d'avant-postes qui, depuis Rectki-Bouki tenait le Drenek, les côtes 550 et 650 devant la Ire armée, les hauteurs de Suchevo et de Hadji Redjebli devant la IIIe. Mais, sur la plupart de ces points, se trouvait à peine la valeur respective d'un bataillon; aussi vers midi, le 30 juin, étaient-ils occupés par les Bulgares. Pour bien saisir toute la violence de l'attaque, une revue rapide des effectifs bulgares mis en ligne à ce moment est nécessaire: sur Rectki-Bouki, c'est le corps de volontaires à 3 brigades du général Guenef qui avait donné l'assaut; devant Drenek et les positions de la Ire armée, c'était la 7e division, renforcée d'une brigade de la 4e; plus au sud enfin là 8e division et la majeure partie de la 2e. En arrière, suivaient des bataillons de territoriale et une partie de la 3e division.
» Mais notre ligne principale de défense avait été, grâce à Dieu, fort sagement établie assez arrière pour nous permettre d'y alerter rapidement nos troupes et non seulement de prendre nos dispositions défensives, mais également d'y préparer notre mouvement ultérieur en avant et notre contre-offensive à l'agression.
» Je ne puis, naturellement, vous donner de détails que sur ce qui se passait dans un champ limité assez étroitement à ce que j'ai pu voir. Tandis que l'une des divisions de la Ire armée avait, concurremment avec l'une de celles qui faisaient face à la direction du nord, la mission de reprendre Rectki-Bouki, l'autre division, celle de droite, attaquait le Drenek et la côte 550.
» L'ordre d'offensive générale fut donné à toutes les troupes le 30 juin à midi. La division qui attaquait le Drenek partait de la ligne principale de résistance que primitivement nous avions organisée à Tserni-Vrh et sur les contreforts de Gradista. Nous avions trois régiments en première ligne: l'un attaquant le Drenek par Stoubla; l'autre attaquant également le Drenek, mais à revers, sur les pentes sud du thalweg de la Belositza; le troisième enfin, en liaison avec la division de cavalerie du prince Arsène, attaquant la côte 550.
» Commencée aussitôt, la marche en avant, malgré l'élan des troupes, eut terriblement à souffrir du feu de l'ennemi. Le soir du 30, nous avions progressé dans une certaine mesure, mais nous n'avions pas encore pu réoccuper le Drenek, ni aucun des autres points qui nous avaient été enlevés.
» Dès l'aube du 1er juillet, le mouvement en avant fut repris et, grâce au concours d'une de nos batteries d'obusiers de 120mm, le Drenek fut enlevé à midi.
» A la même heure, notre division de gauche débouchant de Kara-Tas sur Stroms et Kalnista, repoussait la droite de la 7e division bulgare ainsi que la brigade de la 4e division qui l'appuyait. Plus au sud, les côtes 550, 650 tombaient entre nos mains. De toutes parts, les Bulgares refoulés se voyaient contraints de repasser la Zletovska et la Bregalnitza, poursuivis par les nôtres, qui cependant, en aucun point, ne réussirent à franchir ces rivières.
» Après la prise du Drenek, il devenait de toute nécessité de poursuivre sans tarder l'avantage obtenu et d'attaquer les hauteurs de Raïtchani entre la Zletovska et la Bregalnitza, hauteurs que les Bulgares avaient hérissées de fortifications. Mais il était difficile de commencer cette attaque immédiatement, alors que Rectki-Bouki n'était pas encore repris par notre gauche et tant que nos éléments de droite de la Ire armée n'étaient pas reformés, reconstitués, ni ravitaillés en munitions. Aussi l'attaque ne commença-t-elle que le 3 juillet au matin, lorsque la nouvelle de la prise de Rectki-Bouki eut été confirmée dans la soirée du 2.
» Un régiment reçut comme objectif la hauteur du télégraphe et Spantchevo; deux autres, les pentes de Sokolartzi. La division de gauche formée également en deux colonnes attaqua Raïtchani et Rudare Tursko. Mais nous eûmes de grosses difficultés causées non seulement par les obstacles du terrain, mais aussi par le feu de l'ennemi, très bien posté dans des retranchements depuis longtemps préparés. Le soir du 3 juillet, notre ligne de tirailleurs la plus avancée était encore à plus de 700 mètres des tranchées bulgares. La progression avait été pénible bien que toute notre artillerie de campagne en batterie sur les pentes du Drenek, renforcée de pièces lourdes de 120mm, ait paru obtenir d'importants résultats et prendre la supériorité du feu sur celle des Bulgares. L'on pouvait s'attendre à une contre-attaque pendant la nuit, surtout en songeant au goût de l'ennemi pour ce genre d'opérations. Mais rien ne vint, et, le lendemain au petit jour, lorsque nous reprîmes la marche en avant, l'ennemi visiblement épuisé, menacé sur sa droite par un régiment devenu disponible après la prise de Rectki-Bouki, commença de fléchir, battant en retraite dans la direction de Kotchana.
» La division de cavalerie du prince Arsène, avait pour mission d'appuyer au sud l'attaque de la Ire armée, maintenant la liaison avec la IIIe armée dont l'effort s'exerçait sur Istip. S'apercevant de notre succès, elle essaya de franchir la Bregalnitza à hauteur de Krupichte, mais elle ne put y parvenir. Alors, tandis qu'une de ses brigades continuait un combat à pied le long de la rivière, l'autre brigade fut ramenée vers Raïtchani pour prendre part à la poursuite vers l'est.
» Cependant, les Bulgares battaient en retraite en assez bon ordre, bien couverts par une forte arrière-garde d'un régiment d'infanterie, d'un groupe d'artillerie et d'un régiment de cavalerie à hauteur des villages de Koutchitchino et de Bouzitchevo; cette arrière-garde fit front pendant toute la journée du 4 et réussit à ralentir considérablement notre poursuite.
» Pendant ce temps, la IIIe armée avait tenté, elle aussi, de se porter en avant pendant ces deux journées du 3 et du 4 juillet. Mais il lui avait été impossible de déboucher sur la Bregalnitza. Bien plus même, sa division d'extrême droite attaquée furieusement par les Bulgares avait été rejetée des hauteurs d'Ortabajir sur le Vardar et l'ennemi réussissait à pénétrer dans Krivolak sans parvenir toutefois à passer sur la rive droite du fleuve.
» Tout l'intérêt de la bataille se portait donc à ce moment à notre aile droite où il devenait absolument nécessaire d'assurer le succès de la marche en avant de la IIIe armée. Une brigade hâtivement ramenée de Prilep vint soutenir notre division d'extrême droite et, concurremment avec elle, reprit l'offensive dans la direction de Krivolak. Enfin, le 5 juillet, la Ire armée ayant réussi à mettre la main sur Kotchana, puis, le lendemain 6, à établir ses avant-gardes sur les crêtes de Cera et de Betsikovo, le prince Alexandre décida de distraire une de ses divisions et de l'envoyer vers le sud appuyer, dans la direction d'Istip, l'attaque générale de la IIIe armée.
Entrevue, le 16 juillet, à Uskub, des chefs des
deux gouvernements serbe et grec: MM.
Pachitch
et Venizelos.--Phot. Marianovitch.
» Cette attaque commença le 7 juillet, où l'une des divisions du centre de la IIIe armée enlevait les villages de Toplik et d'Enech Oba, puis, conversant au nord, poussait dans la direction de Dragovo. Le même jour, la brigade venue de Prilep entrait dans Krivolak après une suite d'assauts acharnés où le village fut pris et repris deux fois. Elle y trouvait nos blessés abandonnés lors de l'évacuation du village, massacrés, quelques-uns odieusement mutilés, quelques-uns même crucifiés, autant de crimes témoignant que, chez ceux que l'on nomme nos frères slaves, le vieux sang tartare n'est pas mort.
» Le 8 juillet, l'attaque générale sur Istip devait avoir lieu. Toute la IIIe armée, en ordre de bataille, se portait sur la Bregalnitza sur un front allant de Krupichte à la Kriva Lakavitza, lorsque l'on s'aperçut que les Bulgares s'étaient évanouis dans la direction de Radovichta, tandis que, en avant de la Ire armée, vers Cera et Betsikovo, on ne trouvait plus aucun contact, l'ennemi ayant disparu vers Tsarevo-Selo.
» Devant la double pression exercée sur ses deux ailes par les troupes de Krivolak et par la Ire armée, dont une autre division encore avait franchi la Bregalnitza à Mojantzi, marchant sur Kochevo, le général Kovatchef avait donné l'ordre de retraite. La bataille de la Bregalnitza se terminait à notre avantage.»
Tel fut le récit du capitaine Marinkovitch. Nous devons y ajouter ceci:
Le 9 juillet, la division de cavalerie serbe pénétra, presque sans
résistance, à Radovichta. Dans la soirée, ses reconnaissances entraient
en contact avec celles de la cavalerie hellène remontant vers le nord.
L'armée du roi Constantin, victorieuse à Kilkiz et à Doïran, poussait
devant elle les divisions du général Ivanof, et les deux armées bulgares
dans une effroyable confusion se rejetaient au nord des montagnes. L'on
apprenait l'entrée en ligne de la Roumanie, le passage du Danube par ses
troupes, la marche des Turcs sur Andrinople, et la demande
d'intervention à l'Europe de la Bulgarie déjà aux abois...
Alain de Penennrun.
Le triptyque que le Louvre vient d'acquérir de M. Kleinberger pour un prix qui, assure-t-on, approcherait d'un million, est une des oeuvres capitales de Roger Van der Weydon (1), maître de Memling, un des émules les plus remarquables des Van Eyck et qui, jusqu'ici, n'était pas représenté au Louvre par une peinture d'une incontestable authenticité.
Note 1: Une singulière coïncidence amène dans ce numéro de L'Illustration la rencontre du vieux maître flamand Roger Van der Weyden et de son jeune homonyme, dont l'oeuvre délicate que nous reproduisons en couleurs hors texte a été si favorablement appréciée au Salon de 1913.--N. D. L, R.
Ce triptyque fut apporté des Flandres à Londres, au début du dix-neuvième siècle, et figura dans une vente publique. En 1845, un artiste nommé Evans l'acquit dans le Nord de l'Angleterre et le vendit, comme une oeuvre de Memling, au marquis de Westminster, dont la fille, lady Theodora Guest, le possédait encore il y a quelques semaines. Les spécialistes les plus éminents s'accordent à le considérer comme une oeuvre de Roger Van der Weyden, contemporaine du célèbre retable de l'hôpital de Beaune, peint vers 1450.
Des armoiries, peintes au revers des volets et accompagnées d'une curieuse légende en vers français, nous apprennent que notre triptyque a été exécuté pour un seigneur de Braque et pour sa femme, qui appartenait à la famille tournai sienne de Brabant.
La place de ce chef-d'oeuvre est tout indiquée à côté des pièces
capitales de la même école qui font la gloire du Louvre: la Vierge au
Donateur, par Van Eyck, les Noces de Cana, par Gérard David, et le
splendide Memling légué en 1878 par la comtesse Duchâtel.
Seymour de Ricci.
Saint Jean-Baptiste. | Le Christ entre la Vierge et saint Jean. | Sainte Marie-Madeleine. |
Le triptyque, acquis par le Louvre, de Roger Van der Weyden (École Flamande, vers 1450). --Phot. Arundel Club.
La poursuite : Brindejonc des Moulinais, suivi par
Guillaux.--Phot. Bracher.
Audemars virant à sept mètres du sol.
Le monoplan étant à peu de distance de l'opérateur, l'objectif a
nettement enregistré la manoeuvre du gauchissement de l'aile.
--Phot. Bergeron.
Un virage «à la corde» de Brindejonc des Moulinais.
L'inclinaison de l'aéroplane est telle qu'on peut distinguer, du sol,
la tête de l'aviateur aux cheveux ébouriffés par le vent.--Phot.
Bergeron.
Photographies prises, dimanche dernier, à l'aérodrome de Juvisy, pendant le match de vitesse disputé par Brindejonc des Moulinais, Audemars et Guillaux, et gagné par le premier.
Document photographique obtenu, spécialement pour L'ILLUSTRATION, par M. André Schelcher, à bord du dirigeable «Commandant-Coutelle» afin de montrer exactement quels immeubles devront être démolis pour que le boulevard Haussmann rejoigne le boulevard Montmartre.--Voir l'article, page 84.
Une halte sur les terrasses. La promenade matinale dans les jardins du Vatican. Tout récemment, dans L'Illustration du 5 juillet, l'une de nos gravures représentait Pie X se montrant aux pèlerins réunis dans la cour Saint-Damase. Et nous écrivions: «Le pape va mieux, beaucoup mieux». Aujourd'hui, en reproduisant ces photographies prises par notre correspondant de Rome, M. Felici, le 15 juillet dernier, à 8 heures du matin, dans les jardins du Vatican, nous pouvons écrire: «Le pape va bien, tout à fait bien». Le souverain pontife a repris les habitudes régulières de sa vie claustrée dans un palais et dans un parc. Il a recommencé ses promenades matinales au long des allées et sous les verdures des jardins du Vatican. On le conduit en voiture, lentement, jusqu'à l'endroit, choisi par lui, du parc immense. Et là, dans quelque bosquet où d'avance ont été disposés un fauteuil et une table à écrire toute simple, le souverain pontife prend connaissance des nouvelles du monde et donne ses directions pour les affaires de l'Église. |
Le travail dans un bosquet. La dernière photographie du souverain pontife (15 juillet) Photographies Felici. |
Après la victoire grecque de Kilkiz (ou Kilkich): une
tranchée bulgare.--Phot. Jean Leune.
Parti d'Athènes dans les conditions qu'il nous a dites, partout comblé de prévenances, notre collaborateur, M. Jean Leune, a gagné aussi rapidement que possible Salonique d'abord, puis le front. Naturellement, Mme Jean Leune est, en Macédoine comme en Epire, la fidèle et vaillante compagne de son mari, et, au jour le jour, cette toute jeune et jolie femme, grecque de naissance, mais écrivant un bien joli français, rend compte aux siens de ses exploits dans des lettres d'un tour vif, primesautier, charmant enfin. D'une de ces correspondances, nous extrayons ce récit de l'emploi de son temps à Baltza, seconde étape de leur voyage, tandis que son mari procède aux démarches nécessaires:
Baltza, 3 juillet.
Nous voici à Baltza,--petit village grec, malgré les protestations bulgares qui veulent que toute la Macédoine soit bulgare. Des femmes m'accueillent, veulent m'emmener chez elles, prendre le café et le gliko (café turc) traditionnels. Je m'y rends pendant que Jean va voir les officiers de l'état-major.
J'y suis accueillie sur l'éternelle terrasse à colonnes antiques,--de bois, parce que les gens sont pauvres. Elle donne sur un jardin plein de figuiers et d'oliviers. Des poules, une vache, un métier à tisser: la fortune des pauvres. J'aime ces demeures rustiques. J'y vivrais volontiers, simple parmi les simples.
La jeune fille de la maison est fiancée. Son fiancé est soldat dans l'armée bulgare. On l'a pris de force: «Il refusait d'y aller. Un Grec peut-il tirer sur des Grecs? Il a été battu, blessé, puis 'emporté à moitié mort. Que devient-il?» La petite sanglote.
Hier encore on se battait en arrière du village. «Les Bulgares s'étaient bien fortifiés, dans un bois protégé par des marais. Beaucoup d'enfants (ils appellent ainsi les Grecs) sont morts. Il en est passé, des blessés! Des blessés contents de leurs blessures, madame... J'offre du cognac. Le blessé lève son verre: Ké s'ti Sofia (A Sofia) et Ké s'tin Hoje! (A Constantinople)... Et il rit. D'autres se plaignent d'avoir été blessés trop tôt... Oh! madame, maintenant qu'ils ont la victoire dans les jambes ils ne s'arrêteront plus.»
--Et vous êtes vraiment Grecs?
--Comment?--ils sont étonnés, indignés de ma question--si nous sommes Grecs?... Des nobles, madame, tous les Grecs sont nobles. Avec un passé comme celui que nous avons! Et l'avenir! quand nous aurons repris tout ce que les Turcs et les Bulgares nous ont volé, quand la Grèce sera grande comme une puissance...
Les yeux de la jeune fille se mouillent. Son regard devient fixe. On dirait qu'elle voit la Grèce future. Comment ces gens ont-ils su conserver pour leur patrie un amour si grand?
--Alors vous n'avez pas oublié les Grecs?
--Mais comment les oublier? La patrie est une idée, madame. Oublier l'idée, c'est perdre l'esprit.
Je regarde la jeune fille aux grands yeux noirs. Les traits ne sont pas beaux, mais le coeur et l'esprit les illuminent. L'expression est celle du grand amour, celui qu'on a pour sa patrie, pour sa race.
Après la retraite des Bulgares: un village
macédonien.
--Phot. J. Leune.
--Quand les bandes grecques venaient lutter pour la conservation de notre nation, il fallait les cacher. Quelles ruses alors nous avons employées! Nous les habillions en femmes,--ou encore on les enfouissait dans des matelas! Les Turcs venaient, s'asseyaient sur l'antarte (franc-tireur) et il ne fallait pas que celui-ci se trahît... De temps en temps ces antartes nous apportaient des journaux grecs. Ah! vous ne savez pas ce qu'a été pour, nous, le journal grec! Un baiser de la patrie, à nous, ses enfants qui en pleurions la perte... Avec quels battements de coeur nous avons suivi la réorganisation de l'armée! Enfin la Grèce se fortifiait! Nous pouvions espérer! Et la délivrance est venue. Une seule ombre: que faisaient les Bulgares à Salonique, alors que les Grecs y étaient entrés en vainqueurs? Comme on craint le voleur pour le trésor trop chèrement payé, ainsi nous tremblions à la pensée que les Bulgares pouvaient nous enlever notre liberté. Nous les connaissions par les récits de nos frères de Macédoine. C'était massacre sur massacre des populations grecques, que vite ils remplaçaient par des mendiants bulgares, afin de pouvoir dire à l'Europe: «Regardez comme la Macédoine est bulgare!» Mais les pierres des églises volées aux communautés grecques parlent encore. Lisez les inscriptions, elles sont grecques. Fouillez la terre qui les entoure, on trouve des livres sacrés que les Bulgares ont eu peur de brûler. Et surtout... Ah! madame, si les champs de la Macédoine pouvaient parler!...»
... Cette jeune fille m'a donné un choc. Comme ils en savent plus que nous, ces gens!...
Les Grecs attaquent Kilkiz (qu'on écrit aussi Kilkich), que les Bulgares défendent énergiquement. M. et Mme Jean Leune, toujours curieux de tout voir, et de près, vont jeter, d'une hauteur, un coup d'oeil à la bataille, en attendant qu'ils la suivent le lendemain. Mais ils regagnent, le soir, leurs quartiers à Baltza. Et voici maintenant le récit de notre correspondant:
Jeudi, 3 juillet.
Nous rentrons à Baltza à la nuit tombante. Nous apercevons, sur la place du village, au milieu de ses officiers d'état-major, le roi Constantin, toujours nerveux, remuant, incapable de rester en place. Il est vêtu d'une tunique et d'une casquette blanches, d'une culotte kaki, les jambes serrées dans des bandes molletières. Les mains dans les poches, il va et vient, interroge l'un, rit et plaisante avec l'autre, très simple, sans garde, tout pareil à l'un de ceux qui l'entourent.
Les premiers secours aux blessés sur le champ de bataille
de Kilkiz.
Phot. J. Leune.
Un peu plus tard dans la soirée, le roi nous faisait le grand honneur de nous recevoir, dans la salle rustique où deux longues planches non rabotées, posées sur des tréteaux, servent tantôt de table de travail pour lui et son état-major, tantôt de table à manger.
Il portait la même tunique blanche toute simple et une casquette blanche à galon d'or. Il vint vers nous et nous tendit la main.
Il parla... Et voici que, maintenant, j'ai peine à me rappeler ses paroles, tant j'étais sous le charme étrange qui émane de toute sa personne.
Le roi voulut bien d'abord s'inquiéter de savoir si nous avions trouvé à nous loger ici, si nous étions contents... Puis, sans transition, de sa voix aux intonations rapides et mouvementées, il me dit: «Eh bien, vous voyez maintenant quelque chose de plus grand... et de plus dur aussi. Car cette guerre est rude, et c'est pour cela qu'elle m'intéresse... Les Bulgares résistent bien, mais l'enthousiasme de mes troupes est incroyable, indescriptible... Oui, Kilkiz sera dur à prendre, mais nous le prendrons.»
Puis, comme nous parlons de la diplomatie, de son impuissance à éviter la guerre, seul moyen, bien souvent, de régler définitivement les différends entre Etats: «Vous croyez, s'écrie le roi, que j'aime la guerre, moi! Certes, pas du tout... Mais il y a évidemment des cas où elle est parfaitement excusable, nécessaire... Il y a parfois des ballons très gros, qu'il faut un jour crever parce qu'ils deviennent encombrants. Leur enveloppe est souvent dure à percer... mais, dès qu'on y a pu faire un tout petit trou, le ballon se dégonfle tout d'un coup...»
Et, donnant tout à coup à la conversation un tour différent:
--Ah! si vous voulez des nouvelles, dit le roi, en voilà: la 7e division sur notre droite a pris Nigrita qu'elle a trouvé en flammes. Tous les habitants en ont été affreusement massacrés. Ce n'est, par toute la plaine, que cadavres mutilés de femmes, d'enfants et de vieillards. Voilà comment agissent les Bulgares vaincus. Ils sont pires que les Turcs. Enfin, nous leur avons pris beaucoup de canons et fait beaucoup de prisonniers...
L'audience se terminait sur ces paroles. Sa Majesté nous tendait de nouveau la main et s'en allait retrouver ses officiers qui l'attendaient penchés sur la carte.
Vendredi, 4 juillet.
La canonnade, vers Kilkiz, s'est fait entendre une bonne partie de la nuit.
Ce matin elle n'a point cessé. Donc la ville n'est pas encore tombée. Et aujourd'hui nous voulons voir la bataille de près.
A 7 heures, nous montons à cheval et nous partons avec deux soldats qu'on nous a donnés et un guide, pour Yeni-Machala, où doit se trouver la 2e division et l'état-major du général Kalaris.
Au loin on aperçoit Kilkiz, au pied de la colline que couronne un monastère de Saint-Georges pareil à une acropole. Les éclatements de shrapnells sont plus nombreux à l'est de la ville qu'ailleurs. Ce doit être de ce côté que va se décider le sort du combat.
Comme nous atteignons un sommet de colline, nous apercevons, cette fois, et très distinctement, l'attaque d'infanterie qui se dessine merveilleusement au sud de la ville. Le terrain gris jaunâtre monte en pente douce vers les positions bulgares. Sur la partie de ces pentes la plus raide et la plus rapprochée de nous, un fourmillement humain: les réserves. En avant, vers les positions ennemies, deux lignes sombres d'infanterie, avançant par bonds. La première ligne comporte deux fractions; la deuxième, en arrière et à gauche, en comporte quatre. Plus à gauche encore, c'est-à-dire à l'ouest, derrière une crête, des pièces de canon, deux batteries environ.
Des shrapnells éclatent encore. Des hommes tombent. Mais les camarades continuent d'avancer bravement. Sur notre droite, à l'est, la canonnade se fait, à un moment donné, plus acharnée que jamais. Il n'y a pas de doute, c'est de ce côté, ce matin, que se produit l'attaque décisive.
Nous arrivons encore à temps. D'une nouvelle crête que nous venons de gagner, nous distinguons maintenant, et très nettement, une partie des positions des Bulgares, avec leurs tranchées et leurs redoutes. Mais leur artillerie, bien défilée, est invisible. Sur les tranchées les shrapnells et les obus font rage.
Enfin, une ligne d'infanterie de la 2e division s'avance à l'assaut, d'un élan furieux que rien ne saurait arrêter. Elle progresse régulièrement, merveilleusement, sans une hésitation, sans une défaillance. Et pourtant ses pertes sont énormes. On voit officiers et soldats tomber à chaque instant, demeurer en arrière... La troupe magnifique fond, littéralement. Mais elle gagne toujours; elle escalade ce terrain effrayant, en glacis. Elle ne peut pas tirer: son feu serait inutile contre cet ennemi invisible, tapi dans ses tranchées. Qu'importe! Baïonnette au canon elle va. Mais de leur côté les Bulgares ne fuient pas encore. Ils résistent désespérément...
Enfin la ligne grecque est sur les tranchées. Un effroyable corps à corps s'engage, à l'arme blanche. On s'entr'égorge. Des hommes tombent des deux côtés... Puis le combat farouche s'arrête; les Bulgares, épuisés, finissent par lâcher pied; ils se retirent en courant, poursuivis l'épée dans les reins. Ils s'en vont vers le nord, disparaissent au loin... Plus rien... Kilkiz est maintenant aux mains des Grecs.
Nous gagnons alors Yeni-Machala, péniblement, après beaucoup de détours, car notre guide ne sait pas la route.
Par le chemin qui vient de Sarikeuy, de longues files de blessés montent lentement vers l'ambulance de la 2e division. Il y a déjà là un millier de blessés. Et presque tous sont grièvement atteints d'horribles entailles faites par l'arme blanche ou de blessures non moins graves produites par les balles, car les balles bulgares, d'un modèle plus ancien que les balles grecques, sont beaucoup plus dangereuses: elles déchirent horriblement les tissus et font éclater les os.
Médecins et infirmiers vont et viennent parmi toutes ces souffrances. Avec infiniment de soins ils pansent les plaies d'où le sang coule encore à flots, rougissant l'uniforme déchiré des blessés, les brancards. Du sang partout. A terre, de tous côtés, des linges sanglants, de l'ouate rouge. Ici c'est un malheureux dont on a dû déchirer le pantalon jusqu'à la ceinture, parce qu'il a une plaie à la cuisse. Un autre soutient lui-même sa jambe: il est blessé au mollet. Pas une plainte. Au contraire, il est de ces hommes qui chantent, tant est grand l'enthousiasme qui les a poussés contre l'ennemi héréditaire de leur race!
La bataille d'hier et d'aujourd'hui fut extrêmement meurtrière. La 2e division seule compte plus de 1.200 blessés et 500 tués; 28 officiers, dont 3 colonels, sont hors de combat, car, comme toujours, selon les belles traditions de l'armée grecque, les officiers marchaient en tête de leurs hommes.
Parmi ces morts, il en est qui furent cruellement victimes de la barbarie bulgare. Des officiers, comme le sous-lieutenant Marcandonakis, des soldats, blessés au cours d'une attaque suivie d'un léger mouvement de recul, ont été retrouvés, moins d'une heure après, lorsque les troupes eurent de nouveau repris l'offensive, lâchement égorgés.
Maintenant nous descendons vers Sarikeuy. En chemin encore, des blessés, toujours souriants. «Tu souffres, mon enfant?»--«Bah! Pour la patrie!» Mais le plus inattendu, peut-être, dans ce spectacle, c'est de voir que les brancardiers qui emportent ces héroïques blessés sont... des paysans turcs.
C'est la grande réconciliation. Ces Turcs se sont offerts d'eux-mêmes pour cet office, tellement ils sont contents de voir les Grecs venir prendre la place des Bulgares qui avaient mis tout le pays à feu et à sang... Les soldats, de leur côté, sont ravis. Ils fraternisent gaiement avec les paysans et partagent avec eux tout ce qu'ils ont...
Nous passons le fleuve Galikos, presque à sec. Nous joignons sur sa rive droite l'état-major du général Kalaris qui nous accueille bien. Nous pourrons rester auprès de lui ce soir.
Mais, pour finir notre journée, nous voulons voir Kilkiz de près, et nous voici à notre tour escaladant les pentes en glacis, maintenant calmes, que dut franchir l'infanterie grecque sous les feux combinés de l'infanterie et de l'artillerie bulgares.
Nous atteignons les premières tranchées ennemies. Elles sont admirablement placées pour donner le champ de tir le plus parfait qui se puisse imaginer. Et elles sont aussi admirablement construites, selon toutes les règles de l'art militaire. La façon dont on leur a fait épouser le terrain est très intéressante. Elles se flanquent les unes les autres. Elles forment de véritables redoutes.
En avant de ces tranchées, le terrain est jonché de morts. Où que l'on regarde, on en voit étendus dans l'herbe sèche, tombés en des poses diverses, parce que, surpris par la mort dans leur course infernale. C'est effroyable. Cette hécatombe était fatale, en raison de la configuration du terrain en glacis sur plusieurs centaines de mètres en avant des tranchées.
Sur le remblai même des tranchées ou à leur intérieur, des cadavres encore, cadavres de soldats grecs et de soldats bulgares, tombés les uns sur les autres, la plupart horriblement percés de coups de baïonnette... Ici c'est un capitaine dont une lame bulgare, entrée sous le menton, a percé la tête de part en part... Là ce sont des soldats dont la poitrine fut rageusement percée quatre, cinq et dix fois.
Nous avançons vers la ville, maintenant en flammes. L'une après l'autre, les maisons en bois vermoulu, desséché encore par la chaleur de ces derniers jours, prennent feu. Tout d'abord, on voit une petite fumée bleuâtre courir sur le toit de tuiles. Cela dure quelques instants, puis, brusquement, un craquement sinistre, le toit s'affaisse, une épaisse fumée brune jaillit, pailletée de débris de toutes sortes. Une gerbe d'étincelles, de grandes flammes. Le toit s'est effondré... Plus loin, c'est un pan de mur qui s'écroule sur la rue. Et le feu se communique de maison en maison. Telle qui ne brûle pas encore va s'enflammer toute, dans quelques instants, au contact de sa voisine à moitié consumée.
De tous côtés, des détonations. Des débris sifflent à nos oreilles. Ce sont des munitions ou des bombes qui éclatent, car Kilkiz était un nid à comitadjis, c'est-à-dire un arsenal toujours bien garni.
Les Bulgares diront: «Ce sont les Grecs qui ont incendié la ville.»--Voici ce qu'impartialement je dois dire, moi qui ai vu les choses de près.
Hier soir même, des environs de Baltza, nous avons vu à la jumelle des obus tomber sur la ville, et déjà quelques fumées d'incendie s'élever, vers le soir. Ce matin, dès 7 h. 1/2 (les choses ont pu commencer plus tôt, mais je ne veux dire que ce que j'ai vu), à mesure que de nouveaux obus tombaient sur la ville, d'autres incendies se produisaient. Vers 9 h. 1/2, les fumées se firent plus nombreuses et plus épaisses. Les soldats bulgares avaient déjà évacué la ville, qu'avait également quittée toute la population bulgare, ou peu s'en faut. Des paysans turcs restèrent les seuls maîtres de Kilkiz jusqu'à son occupation par les troupes grecques, vers 11 heures. Je tiens donc à certifier, en tant que témoin, que le feu avait déjà commencé en ville et avec une grande intensité, une heure et demie au moins avant l'entrée d'un seul soldat grec, et que, durant que nous étions dans la ville, l'après-midi, nous n'avons pas vu un seul soldat mettre le feu à une maison.
A Sarikeuy, que nous regagnons le soir, nous trouvons la 2e division et son état-major, dont nous serons les hôtes pour cette nuit. Demain, nous rejoindrons l'état-major général du roi.
Samedi, 5 juillet.
La 2e division a reçu l'ordre de partir pour Kiourkout. Nous quittons Sarikeuy en même temps qu'elle et nous nous dirigeons tout de suite vers Kilkiz.
Nous traversons de nouveau le champ de bataille, cette fois en son centre. Les cadavres sont innombrables ici comme sur les autres points.
Nous passons rapidement les ruines fumantes de la ville et nous nous dirigeons vers Sarigol, station de Kilkiz sur la ligne ferrée de Salonique à Constantinople.
De ce côté, la lutte a été très chaude aussi. Lutte d'infanterie extrêmement intéressante. En effet, sur plusieurs kilomètres, on peut «lire» positivement sur le terrain toutes les phases du combat et de la retraite des Bulgares. Ceux-ci ont combattu et se sont retirés selon toutes les règles de l'art. En avant, vers le village, c'est d'abord une ligne continue de trous de tirailleurs, formant une longue tranchée pour tireurs couchés. Puis, à 25 mètres en arrière, une ligne de trous de tirailleurs d'une longueur de section. A la même hauteur, mais plus loin encore, une ligne pour une section. Et ainsi de suite les unes derrière les autres, à 25, 30 ou 50 mètres, suivant la configuration du terrain, les lignes se succèdent. Ces trous de tirailleurs sont bien faits. On voit que le soldat bulgare est habitué à remuer la terre.
Devant les lignes, l'incendie a noirci la terre. Ce sont les Bulgares qui, au fur et à mesure de leur retraite, mettaient le feu devant la ligne qu'ils abandonnaient. Le vent, en effet, chassait la fumée vers les Grecs qu'elle aveuglait, tandis que les cendres chaudes rendaient leur marche très difficile, précaution savante mais vaine, puisqu'elle n'a pu empêcher les vainqueurs d'avancer.
De tout ce que nous venons de voir, il y a des conclusions à tirer:
D'abord, en ce qui concerne le soldat grec en particulier. Il vient cette année de s'affirmer un soldat incomparable parce qu'en premier lieu d'une résistance à toute épreuve, tant au froid qu'à la chaleur. Nous l'avons vu rester, en Epire, des mois entiers dans la neige et l'immobilité d'un siège, par des froids de 15° et 20° au-dessous de zéro. Il ne s'est jamais plaint, et les maladies l'ont très peu visité. Jamais ce froid ne l'a empêché de combattre ni de donner tous les efforts que ses chefs lui demandaient.
Maintenant, c'est le contraire. La chaleur est torride. Nous avons, au milieu de la journée, de 30° à 35° à l'ombre, ce qui fait des 45° et 50° au soleil. Par ces températures effrayantes, il marche, il se bat, il poursuit... Ses chefs eux-mêmes sont étonnés.
Le secret de cette résistance?--Sa sobriété extrême.
Le soldat grec ne boit jamais que de l'eau. Il éprouve un irrésistible dégoût physique pour l'alcool. Cette sobriété fait qu'il est aussi sain d'esprit que de corps. Son moral est donc parfait, son enthousiasme indescriptible.
C'est pour toutes ces raisons que la marche en avant d'une armée composée de tels soldats, au surplus d'une rare intelligence et d'une grande souplesse d'esprit, est si foudroyante et tellement irrésistible.
Une constatation d'ordre plus général est encore à faire:
Nous avons vu que les Bulgares se sont partout désespérément accrochés au terrain et l'ont même fait avec beaucoup d'art. Pourtant, les Grecs ont enlevé toutes leurs positions d'assaut, sans, de leur côté, faire le moindre travail de sape, sachant seulement utiliser le terrain. L'élan a donc triomphé du retranchement. Et il en sera toujours ainsi lorsque l'assaillant sera intelligent et souple. C'est seulement s'il est lourd et de mouvements massifs et lents, qu'il se laissera fatiguer par cette suite ininterrompue de petites résistances inattendues, qui finiront très vite par briser son élan et le mettront à la merci du défenseur passant alors résolument à l'offensive.
Dimanche, 6 juillet.
Doïran est pris. L'extrême gauche de l'armée grecque est donc victorieuse comme l'aile droite et comme le centre. Dix canons de 87mm ont été enlevés, des munitions en quantité et tous les vivres amassés à la gare et dans la ville de Doïran, soit 400.000 oques de farine (l'oque fait environ 1.200 gr.), 200.000 de fourrages, 100.000 de galettes, 50.000 de riz, 20.000 de haricots, 20.000 de sucre.
Les hommes, ici, trouvent cela tout naturel. Comme nous nous étonnons que l'annonce de cette nouvelle victoire semble n'impressionner nullement quelques evsones: «Eh quoi? nous répondent-ils. Pourquoi ferait-on la guerre, alors, si ce n'était pour prendre des canons, du matériel et toutes sortes d'autres choses à son adversaire?»
Si la victoire semble aux soldats grecs une chose toute naturelle, il
faut cependant bien remarquer qu'elle n'était pas si facile à obtenir,
et qu'elle constitue pour l'armée grecque un triomphe sans précédent
encore pour elle, triomphe dont la préparation scientifique place son
roi-généralissime et son état-major sur la même ligne que les tout
meilleurs généraux d'Europe, et dont la réalisation pratique met
l'officier et le soldat grec au niveau des officiers et soldats des
meilleures armées modernes.
Jean Leune.
Le beau raid de l'aviateur suisse Bider, qui, tout récemment, a réussi à voler de Berne à Milan en traversant les Alpes, comptera parmi les plus audacieuses prouesses aériennes de ces derniers mois, qui en furent prodigues. Par bonne fortune, le passage de l'aviateur au-dessus de la cime célèbre de la Jungfrau, à une heure fort matinale, eut un témoin muni d'un appareil photographique: grâce à lui, il nous est aujourd'hui permis de montrer par l'image l'instant le plus solennel peut-être de la périlleuse randonnée. Le cliché reproduit ici, dont nous devons la communication, accompagnée d'intéressants commentaires, à M. Ed. Bauty, directeur de la Tribune de Genève, a été pris par M. Liechti, directeur du chemin de fer de la Jungfrau, à la station du Jungfraujoch, qui se trouve à 3.457 mètres d'altitude, au milieu des glaciers et des neiges.
L'aviateur suisse Bider survolant la Jungfrau.
--Phot. de
M. l'ingénieur Liechti.
Oscar Bider, qui est d'origine bernoise, a voulu avant tout, par cet exploit, accomplir une oeuvre patriotique. Sans le moindre esprit de réclame, sans tapage aucun, il a tenu à montrer le rôle que pouvait jouer l'aviation en Suisse et à prouver que les sommets les plus élevés n'étaient pas un obstacle pour un pilote résolu. Aussi bien son monoplan, un Blériot, portait-il, en manière de symbole, sur chacune de ses ailes, la croix fédérale sur champ rouge.
C'est le dimanche 13 juillet, à 4 h. 08 du matin, que Bider a quitté Berne. Il s'élevait immédiatement à une grande hauteur. A 6 h. 07. il passait au-dessus du col de la Jungfrau, à 6 h. 11, au-dessus de la cabane Concordia, à 6 h. 20, au-dessus de l'Eggishorn. Puis, il disparaissait dans la vallée pour atterrir à 6 h. 40 à Domodossola, en Italie, à l'endroit même où l'infortuné Chavez et Bielovucic étaient arrivés, après avoir décrit trois immenses cercles en vol plané.
Réapprovisionné en huile et en benzine, et son appareil mis au point, quatre minutes plus tard, Bider repartait pour Milan où il atterrissait à 8 h. 42: il avait couvert environ 280 kilomètres, en quatre heures et demie.
L'aviateur avait eu beaucoup à souffrir du froid, ayant rencontré des températures de 10° à 15° au-dessous de zéro. Mais la réception enthousiaste qu'il reçut, à Milan, du maire et des principales notabilités le récompensa de tous ses efforts.
Le raid de Bider a été très remarqué en Suisse, et il n'est pas douteux qu'il ne donne un grand élan à l'oeuvre de l'aviation militaire, qui est en ce moment même l'objet d'une grande souscription nationale.
X... les-Bains. C'est une chose deux fois bienfaisante pour un Parisien qu'un séjour de trois semaines au bord d'une source. Il s'y repose, et il s'y instruit. Il s'y instruit en regardant les gens, en écoutant les propos de la rue, du petit café, de la boutique; en explorant tout doucement, le bâton de marche à la main, le coin de pays où l'ont provisoirement fixé tantôt les prescriptions du médecin, tantôt une simple fantaisie, l'idée fixe d'essayer sur soi-même ces eaux de X...-les-Bains, dont tant d'amis vous ont vanté les bienfaits... Mais le moins d'automobile possible, n'est-ce pas, si nous avons la curiosité sincère de nous instruire. On ne se renseigne pas en courant, et l'homme qui vraiment veut voir est un piéton. L'automobiliste, c'est surtout quelqu'un qui veut avoir vu.
Je vous disais, il y a huit jours, quel émouvant et délicat plaisir peut éprouver un voyageur, venu de nos boulevards, à se promener parmi des paysans, à causer avec eux, sur le bord de la route, ou sous une tonnelle de village, devant une bouteille de vin frais. Ces gens «qui ne savent rien» savent tant de choses que nous ne savons pas, et leurs seules façons d'exister sont déjà pour nous des leçons d'idées si intéressantes! Je commence cependant à m'apercevoir qu'après un livre sur le Paysan il y en aurait un autre, bien curieux aussi,--mais curieux de tout autre manière, à écrire sur le Provincial; j'entends le citadin, l'habitant de nos préfectures ou de nos chefs-lieux d'arrondissement.
L'une de ces préfectures est toute proche d'X...-les-Bains; et je ressentis comme une stupeur, la première fois que j'en vis se précipiter vers nous les habitants. C'était un dimanche; et, mélancolique, un peu dédaigneux, mon hôtelier me dit: «C'est comme ça tous les dimanches, monsieur.» Les hôteliers d'X...-les-Bains n'aiment pas leurs voisins de «la ville». Les gens du Casino non plus. Ils leur reprochent d'être en ce tranquille coin d'Auvergne un peu trop «chez eux»; d'y tenir, les jours de fête surtout, un peu trop de place; d'y faire un peu trop de bruit. Ils étaient assez bruyants, en effet, nos envahisseurs; et il fut visible, dès le commencement de l'après-midi, que les baigneurs s'étaient enfuis devant cette cohue, la laissant maîtresse des terrasses, de la «Restauration, des bancs du jardin, des chaises de la Musique. Et je considérai ce spectacle avec surprise, vraiment. Quoi! c'est ainsi que s'endimanchait une foule de grande ville, à la fin de juillet 1913? Où donc les modistes de Z... ont-elles la tête, et qu'est-ce qu'ont appris, depuis un an, les couturières de ce chef-lieu, si elles ignorent: les unes, que les chapeaux parasols qui obligeaient les femmes à ne monter en voiture que de biais, et tête baissée, ne se portent plus depuis près d'un an et demi; les autres, qu'une toilette n'est rendue jolie ni par la complication des ornements, ni par la juxtaposition de couleurs qui ne demandaient qu'à ne pas se rencontrer? Ah! ces dômes de feutre et de paille, enguirlandés de tant de fruits! Ah! ces «drapés»! Et ces revers de jaquette, et ces martingales, dont on a pensé: «C'est vif de ton, mais cela égayé une toilette»--et qui égayent surtout ceux qui les regardent passer. Je pensai: «Allons à la ville regarder leurs magasins. Ce doit être extraordinaire.» Et je m'en fus à la ville. Et je vis quelque chose d'extraordinaire, en effet.
Je vis des devantures où s'offraient, disposés avec un goût très sûr, les plus agréables échantillons des dernières modes de Paris; des magasins dont quelques-uns pourraient être transportés tels quels en nos plus élégants quartiers, et qui y feraient bonne figure; des étalages de chemisier, de lingère, de modiste où s'affirmaient la connaissance la plus exacte, le plus minutieux souci des prescriptions de nos modes, et non pas de celles d'hier, mais bien de celles d'aujourd'hui,--voire de demain. Je vis mieux encore: je vis passer des femmes d'élégance charmante, vêtues et parées comme le sont les plus averties des nôtres.
--Des Parisiennes, peut-être? demandai-je à l'ami qui m'accompagnait.
--Du tout. Des femmes d'ici. Je les connais.
--Alors je ne comprends pas. Mon ami se mit à rire.
--Vous n'entendez rien à la Province, dit-il. Vous la connaissez mal, et vous ne la comprenez pas. Vous ne l'avez pas vue évoluer.
» Il n'y avait autrefois, hors Paris, qu'une Province... c'est-à-dire une masse homogène qui avait, en chaque région, son caractère propre, ses habitudes de vie, sa physionomie, et que marquaient, en dehors de ces traits particuliers, un certain nombre de traits généraux qui étaient ceux de la «Province» française. Qu'un bourgeois provincial habitât une toute petite ville ou une importante préfecture, et qu'il y fût un gros industriel ou un petit marchand, il était un type reconnaissable, et parfaitement distinct du type parisien. Et ces particularités d'aspect, de manières, de mentalité, on les retrouvait autour de lui, chez sa femme, chez ses enfants, chez ses domestiques, la vie de province ne marquait pas seulement les personnes de son empreinte; elle la mettait sur les choses. Un auteur dramatique préoccupé de vérité n'eût pas permis qu'à la scène le salon d'une riche dame de Valenciennes ou de Libourne et celui d'une bourgeoise aisée de l'avenue de Villiers fussent meublés et décorés de façon pareille. Il lui eût semblé nécessaire que, dans le détail de sa toilette, si l'on peut dire, le premier retardât un peu sur le second. Ces distinctions ont cessé, en partie du moins, d'être vraies.
--Pourquoi «en partie»?
--Parce qu'il y a aujourd'hui deux Provinces: une Province de moyenne et petite condition, dont la physionomie n'a presque point changé; qui retarde un peu sur Paris, de toutes sortes de manières; celle qui vient promener, le dimanche, à X...-les-Bains, les toilettes et les chapeaux qui vous font tant souffrir, et dont Huard continue d'être--implacablement!--le portraitiste fidèle... Et puis il y a l'autre Province, qui compose en chaque ville comme un groupe nettement distinct et détaché du premier, et en constitue, pour ainsi parler, la partie parisienne.
--Les riches?
--Oui, les riches; et puis aussi tous ceux et toutes celles qui, par leur éducation, leur origine, les conditions de leur métier et de leurs fonctions, leur peuvent être assimilés. Cette élite-là n'ignore rien des modes de Paris, de vos toilettes, de vos pièces à succès; elle suit vos journaux, reçoit vos livres; elle a, parmi vous, des amis et de la famille; elle vous fait visite plusieurs fois par an; et, si la ville qu'on habite est à moins de deux cents kilomètres de Paris, les femmes les plus raisonnables de cette «élite» n'hésiteront pas à faire le voyage une fois par semaine, pour essayer une robe, voir la pièce nouvelle, et se faire bousculer dans le magasin de nouveautés où d'exceptionnelles occasions leur sont promises par quelque irrésistible catalogue, reçu la veille...
» Cette Province-là en traînera-t-elle l'autre à sa suite, et verrons-nous nos villes, petit à petit, se parisianiser tout entières? C'est bien possible.
--Ne le souhaitons pas, dis-je. Une toilette ridicule, un chapeau dont
la mode est passée sont des choses pénibles à voir... Mais n'oublions
pas que ces laideurs sont l'indice d'ingénuités, d'indifférences,
d'ignorances qui ont leur prix; et qu'il y a des vertus qui se
concilient ma! avec un souci trop minutieux de l'élégance. Le jour où
toutes les Françaises sauraient au juste quel chapeau «il faut porter»,
je crois que pas mal de Français seraient à plaindre...
Un Parisien.
Expositions artistiques.--Paris: Galerie Georges Petit (8, rue de Sèze): le 31 juillet, clôture de l'exposition des petits maîtres de 1830.--Province: expositions à Vichy, Douai.--Etranger: Ostende, Spa, Cand, Florence.
Congrès.--Le 6e congrès international d'aéronautique s'ouvrira le 4 août à Gand.
Concours hippique.--Le concours hippique de Caen, organisé par la Société hippique de la basse Normandie, se tiendra les 27, 28 et 29 juillet. Le 27 juillet, concours militaire (prix des Unitorrnes); le 28, prix de classe; concours militaire, prix des Dames; le 29, prix de la Coupe.
Sports.--Courses de chevaux: le 26 juillet, le Tremblay; le dimanche 27, Maisons-Laffitte (prix Eugène Adam, Omnium de deux ans); le 28, le Tremblay; le 29, Chantilly; le 30, Vincennes; le 31, le Havre; le 2 août, Deauville.--Automobile: le grand meeting automobile de la Sarthe s'ouvrira le 2 août par la coupe internationale des motocyclettes et motocycles; le 5, Grand Prix de France.--Yachting: les régates de la baie de la Somme auront lieu le 3 août, à Saint-Valery-en-Caux.--Athlétisme: le 27 juillet, au Parc des Princes, challenges nationaux de la Fédération des Sociétés athlétiques professionnelles de France;--Tennis: le 28 juillet, à Dieppe, tournoi annuel, championnats internationaux.--Cyclisme: le 27 juillet, au Parc des Princes, arrivée de la course du tour de France; course de primes, prix du tour de France, match de tandems; le 31 juillet, au Vélodrome Buffalo, réunion nocturne, course à l'Américaine.--Natation: le 26 juillet, à l'île des Cygnes, championnats militaires, prix du Ministre de la Guerre; le 3 août, de l'écluse de la Monnaie à l'île des Cygnes, championnat féminin de Grand Fond.--Tir aux pigeons: le tir aux pigeons de Deauville fera sa réouverture le 29 juillet.
M. Philippe Millet, qui vient d'écrire un livre si fin, si vrai, si ingénieusement spirituel sur les suffragettes (2), ne veut cependant pas de mal à ces adversaires--organisés et conscients--du sexe fort. Même, il déplore, en sa préface, que des gens, de plus en plus nombreux, expriment pieusement le souhait de voir fouetter en place publique ces dames agitées. Il s'attendrit, et nous devons le croire sincère, sur le sort des militantes «qui expient aujourd'hui, dans les prisons de Sa Majesté, des délits relativement inoffensifs». Car, vous entendez bien, M Philippe Millet qualifie ces délits de relativement inoffensifs. Et cela vous paraîtrait sans doute d'une redoutable indulgence si ce n'était plutôt d'une inlassable galanterie. Incendier des villas même habitées, anéantir des oeuvres d'art, oublier des bombes dans des établissements publics, ou dans des boîtes aux lettres, se jeter dans les jambes d'un cheval de course et sacrifier sa vie pour faire panacher le jockey du roi, tout cela n'est que jeu de dames, sans conséquence et sans malice. D'avance, M. Millet absout.
Note 2: Jenny s'en va-t-en guerre, Bernard Grasset, éditeur, 3 fr. 50.
Eh bien, lisez le livre de M. Philippe Millet et vous aurez bien sûr cette conviction que Jenny s'en va-t-en guerre ne pardonnera pas de si tôt, elle, à M. Philippe Millet tout le talent qu'il lui consacre. Car, vraiment, si le suffragisme résiste aux coups droits de tant de verve, c'est que le suffragisme est fort, très fort, et qu'il aura raison de la raison des hommes.
Une autre partie du livre de M. Philippe Millet s'intitule «la Mort du Roi». Ce sont encore des scènes anglaises vues et bien vues par un observateur qui sent à merveille le pittoresque populaire de Londres dans le deuil comme dans la joie. «Un Français qui s'arrête sur le trottoir de Londres sourit parfois en regardant passer la foule: il finit toujours, s'il est sincère, par trouver quelque raison d'admirer.» M. Philippe Millet a regardé passer la foule anglaise. Il a souri et n'a point voulu garder pour lui seul ce sourire. Mais, si l'on en juge par la sincérité de son humour, on sent bien qu'il n'a point cessé d'admirer.
Le Beau couchant, Au Soleil couchant(3), tels sont les titres presque identiques de deux livres qui, chacun avec sa forme et son art personnels, évoquent le romanesque atténué et tendrement mélancolique des amours d'automne.
Note 3: Plon, éditeur, chaque vol. 3 fr. 50.
Le Beau couchant, de M. Georges Delaquys, fut publié par L'Illustration il y a peu d'années. Nos lecteurs n'ont pas oublié cette aventure, chastement passionnée, de deux âmes d'élite qui, sur le tard, entreprennent de rattacher à la réalité leurs illusions déclinantes sous le couvert de la grave archéologie et se trompent quelque peu l'une l'autre à l'aide de touchants mensonges épistolaires. Il se trouve que la correspondante de M. Gérard Landrillon, préhistorien réputé, engagé au fatal tournant de la cinquantaine, mais peu soucieux de l'avouer, est elle-même une beauté mûrissante, mais peu encline à confesser son âge et que le devoir a confinée dans un intérieur claustral de Provence. Vous devinez que tout s'arrange et qu'il y a pour dénouer l'idylle une rencontre attendrissante. Mais le tableau de ces amours attardées conserve la grâce joliment surannée d'un pastel ancien. Du livre de Mlle Mathilde Alanie: Au Soleil couchant, nous ne pouvons aussi penser que le plus grand bien, puisque deux des sept ou huit exquis petits romans contenus dans ce volume: «Bal blanc» et «la Soutane de l'abbé Constantin», ont été publiés par nous en leur inédit. Dans «Bal blanc», le délicat et charmant écrivain nous explique, avec son tact amusé, l'épanouissement tardif d'un roman de jeunesse.
--Vous êtes, dit le commandant Lafarède à Mlle Aurore Tiercin, vous êtes la première femme que j'ai aimée... Il y a vingt-cinq ans, je vous demandai en mariage. Vous m'auriez accepté si mes intentions vous avaient été transmises... Reprenons les choses au point où elles en sont restées... Mademoiselle Aurore, j'ai l'honneur de solliciter votre main.
Et voici que là encore la vie, après un long arrêt, recommence avec
l'amour. Ces amours d'automne, les romanciers trop souvent les ont
cruellement raillées, car l'automne, disent-ils, n'est plus le temps des
amours. Il s'agirait plutôt de s'entendre sur le caractère et la qualité
des amours. Les amours d'automne ne sont point les amours de printemps.
On ne saurait les humilier par une comparaison ni les diminuer en les
soumettant à une mesure. Les amours d'automne sont autre chose, voilà
tout!
Albéric Cahuet.
Pierre Cusset.--Phot. Pierre.
Les journaux ont conté, récemment, l'acte de courage de ce garçon de treize ans, dont nous donnons ici la photographie. Le jeune Pierre Cusset, fils du capitaine de frégate Cusset, chef de la 2e section de la Préfecture maritime, à Brest, se trouvait aux bains du casino de Kermor, et allait regagner le rivage, lorsque des cris, des appels désespérés, l'arrêtèrent: un baigneur, à 50 mètres au large, se noyait. Sans hésiter, Pierre Cusset se mit à nager vigoureusement et parvint à rejoindre l'homme qu'une soudaine congestion venait de frapper: le capitaine Favarelli, du 6e régiment d'infanterie coloniale. Et l'on put voir l'enfant, dont les forces, peu à peu, s'épuisaient, soutenir l'officier, jusqu'au moment où le maître nageur de l'établissement arriva en barque pour recueillir le vaillant sauveteur et celui que son énergie, son sang-froid avaient conservé à la vie.
Le latin devenu la langue des Peaux-Rouges.
Les Peaux-Rouges se civilisent de plus en plus, et ceux que l'on rencontre parfois dans les cirques européens sont peut-être encore moins dégénérés que leurs grands frères parqués par le gouvernement des États-Unis dans la réserve du Yellowstone Park, dans l'espoir de conserver la race.
Détail peu connu et qui frappe particulièrement les Européens voyageant au Canada, les Peaux-Rouges du Nord ont totalement oublié l'idiome d'Oeil de Faucon. Ils parlent à peine l'anglais et guère mieux le français; mais ils s'expriment correctement en latin. Et c'est dans la langue de Cicéron que les touristes conversent avec les jeunes squaw, habillées comme des Parisiennes, qui leur montrent les curiosités du pays, dont une des principales est un grand chef Peau-Rouge établi à Indian Laurette, à 80 kilomètres au nord de Québec... comme notaire.
La chose s'explique par l'influence du clergé dans la province de Québec, lequel s'efforce de vulgariser parmi ses ouailles la langue des psaumes jusqu'ici dédaignée par les auteurs modernes qu'il considère comme dangereux.
Le pont, interdit à la circulation, quelques minutes avant l'accident: de profondes fissures sont visibles, à droite et à gauche de la pile.--Phot. Girard. |
L'effondrement, dans la Loire, de la dernière pile, entraînant celui de tout l'ouvrage.--Phot. Girard. |
Après la chute du pont: seule la dernière pile émerge, tandis que les rails du tramway, les câbles électriques et les conduites d'eau relient toujours les deux rives.--Phot. Thuret. |
Un pont s'écroule a Nantes.
Un accident d'une nature assez rare vient de se produire, la semaine dernière, à Nantes: un des vieux ponts de la ville, appelé le pont Maudit, s'est écroulé mercredi, dans la Loire. Comme depuis la veille il menaçait ruine, qu'une des pierres de sa voûte déjà s'était détachée, la circulation y avait été interdite. Mais il est heureux que l'accident ne se soit pas produit le 14 juillet, où, le soir, une foule énorme était massée sur le pont pour contempler le feu d'artifice: c'eût été une catastrophe effroyable.
Il va toutefois résulter de cet accident une gêne considérable pour le grand port. Le pont Maudit faisait partie, on effet, d'une ligne de ponts qui réunit le centre de la ville, établi sur la rive droite de la Loire, au quartier commerçant et industriel de la Prairie aux Ducs, où sont installés nombre d'usines, d'entrepôts, de grandes maisons de négoce.
Le nom, assez étrange, de l'ouvrage détruit avait une amusante origine. Son établissement avait été réclamé, en 1779, par les habitants de l'île Feydeau, située au milieu de la Loire, tous gens opulents, grands armateurs, et plus ou moins marchands de «bois d'ébène», bâtisseurs des magnifiques hôtels qu'on admire encore aujourd'hui sur ce point de la vieille cité, qui se plaignaient d'être isolés, demandaient l'établissement d'une passerelle en charpente entre leur rive et celle de l'île Gloriette, leur voisine, elle-même réunie à la rive du fleuve; ils offraient de payer une, partie des frais de la construction. L'administration municipale ne put s'entendre avec eux. Le pont cependant fut construit, aux seuls frais des intéressés qui se vengèrent de leur déconvenue en l'appelant le Maudit Pont.
L'ouvrage qui vient de disparaître, pont de pierre d'une seule arche qui avait remplacé l'ancienne passerelle et dont les débris encombrent maintenant le lit de la Loire, ne remontait pas si haut. Il avait été reconstruit, en dernier lieu, en 1841,--mais, chose curieuse, toujours aux frais des habitants, en grande partie du moins.
Un médicament nouveau: la S. T. C.
Un médecin allemand, le docteur Hammer, de Stuttgart, assure qu'il obtient couramment les meilleurs résultats curatifs en pansant les plaies suppurantes et les lésions ulcérées avec une poudre de son invention, à laquelle il a donné le nom de S. T. C. Ces trois lettres dont l'assemblage a quelque chose de mystérieux sont les initiales de trois mots latins, scobis tosta cribrata qui signifient «sciure de bois grillée passée au crible». Il s'agit, en effet, tout simplement de sciure de bois dur, asséchée au four, puis finement tamisée et qui possède, paraît-il, des propriétés absorbantes tout à fait remarquables. Après avoir employé systématiquement ce produit pendant plusieurs années, M. Hammer publie à son sujet des observations de malades tout à fait concluantes et des statistiques de guérisons devant lesquelles on ne peut moins faire que s'incliner. La S. T. C. détrônera-t-elle la poudre de charbon de bois et la cendre de paille de riz dont les médecins japonais ont fait usage pendant la guerre contre les Russes? Fera-t-elle une concurrence heureuse au sucre en poudre que préconisent certains chirurgiens d'Amérique? Arrivera-t-elle à supplanter le pansement à la tourbe séchée qui eut naguère des défenseurs enthousiastes? On ne saurait se prononcer sur ce point, mais la S. T. C. de Hammer a pour elle l'originalité de son nom de baptême: il n'en faut pas davantage pour l'imposer à l'attention.
Emploi du sel marin comme engrais.
Les agronomes s'accordent généralement à admettre que le sel marin joue, vis-à-vis des plantes, le rôle d'un véritable poison. Cependant, il semble bien que cette opinion doive être tenue pour excessive, ou tout au moins trop absolue: on effet, malgré la salure qui les caractérise, les terrains bas avoisinant la mer ne sont pas nécessairement stériles, puisque certaines plantes peuvent y vivre et s'y développer, probablement en vertu d'une sorte d'accoutumance, grâce à laquelle elles finissent par s'adapter à leur milieu. Il est, du reste, très vraisemblable a priori qu'il en doit être du sel comme de la plupart des substances médicamenteuses; néfastes quand on les absorbe à doses massives, elles sont au contraire bienfaisantes quand elles sont données on quantité convenable à l'organisme.
C'est ce que paraissent démontrer des recherches poursuivies depuis quatre ans en Hongrie, à la station agronomique royale de Magyarovar et dont M. Janesco Bêla vient de publier le compte rendu. Sans vouloir entrer dans le détail des expériences instituées à ce sujet, il convient de noter qu'en terre meuble, complantée de betteraves à sucre, l'épandage en ligne de 175 kilos de sel brut par hectare a fait accroître de 14.000 kilos le rendement en poids des tubercules récoltés: si l'avenir confirme les espérances des observateurs hongrois en démontrant que le rondement en sucre est augmenté, lui aussi, ou tout au moins qu'il n'est pas diminué, nul doute que l'emploi du sel comme engrais ne se généralise très vite. Pour le moment, tout ce qu'il est permis d'en dire, c'est qu'un important problème agricole se trouve désormais posé et qu'il faut souhaiter pour lui une solution aussi prochaine que possible.
La durée des rails en acier.
On tend de plus en plus à substituer l'acier au fer dans toutes les branches d'industrie, et le P.-L.-M. vient d'annoncer qu'après 1913 il n'existera plus de voies principales en fer sur son réseau.
Les rails en acier résistent au moins deux ou trois fois plus longtemps que les rails en fer. On a calculé, en effet, que, sur les sections en palier ou en pente légère, ils s'usent d'environ 1 millimètre de hauteur par 110.000 trains. Le rail pouvant rester en service jusqu'à ce qu'il ait perdu 15 millimètres d'épaisseur, cette durée correspond au passage de 1.500.000 trains.
Lampe pour percer le brouillard.
On expérimente en ce moment un dispositif de lampe qui permettrait aux rayons lumineux de traverser le brouillard beaucoup plus facilement que le fait la lumière des lampes proposées jusqu'ici. Le résultat est obtenu simplement en plaçant devant une lampe à incandescence un verre d'une teinte vert jaune spéciale.
D'autre part, un réflecteur parabolique on verre argenté projette, en même temps que la lumière, une chaleur suffisante pour éviter la formation du givre sur le verre qui sépare la lampe de l'atmosphère. Un joint hermétique en tresse de chanvre empêche en outre la pénétration de l'humidité.
A propos de la légion étrangère.
Nous avons, dans l'article de notre dernier numéro sur la légion étrangère, cité les belles paroles prononcées au cours d'un des derniers banquets de l'Alliance coloniale française par le président des Anciens de la légion étrangère, M. Maurer,--et non point M. Candau-Maurer, comme il avait été inexactement écrit.
La bénédiction des automobiles, à
Saint-Christophe-le-Jajolet (Orne).
Saint Christophe est, nul n'en ignore, le patron des automobilistes. Or, bien longtemps avant que roulât le plus démodé des «tacots», plusieurs communes, paroisses et localités de France étaient placées sous la protection du charitable Christophore. Or, le curé de l'une de ces paroisses, Saint-Christophe-le-Jajolet, dans l'Orne, M. l'abbé Thuault, inaugurant, dimanche dernier, une statue érigée au saint patron de son église, avait eu l'idée d'organiser, ce jour-là et à cette occasion, un pèlerinage de chauffeurs. Nombreux furent ceux qui répondirent à son invite, et, à la date fixée, la petite bourgade, qui n'a guère, en tout, que quatre cents habitants, était soudain envahie par les véhicules automobiles les plus divers, limousines ou landaulets aristocratiques, teufs-teufs sans prétention, et jusqu'à de robustes camions automobiles.
Processionnellement, de la petite église on se rendit à la place où s'érige la statue du saint, au-dessus de laquelle flottaient, en ce dimanche de fête, des étendards tricolores. Les autos, à petite vitesse, suivaient, en longue théorie, au chant des hymnes et d'un cantique de circonstance, la foule des fidèles, les gymnastes de la localité, portant eux-mêmes sur un brancard, une statuette de saint Christophe. C'était un spectacle infiniment pittoresque et original.
Le cortège s'arrêta tout autour de la place. L'encens monta dans l'air, les chants se lurent, et l'abbé Thuault bénit, avec la foule agenouillée, les autos rangées, immobiles et silencieuses, en demi-cercle devant lui.
Les chauffeurs ont désormais leur Mecque.
La loi militaire fixant de nouveau à trois ans la durée du service a été enfin votée, à la Chambre des députés, samedi dernier, en une séance de nuit, par une imposante majorité: 358 Voix contre 204. Les clameurs qui, au delà des frontières, ont ponctué sa longue discussion et salué son adoption sont le plus sûr indice de sa nécessité, de son excellence.
Le pays, en ces temps derniers, avait à maintes reprises manifesté à cet égard son sentiment. Il ne sera point parcimonieux de sa reconnaissance envers ceux qui viennent de lui assurer cette garantie de paix dans la dignité: on en peut voir la preuve dans la popularité grandissante qui, depuis le commencement des débats parlementaires sur ce grave sujet, s est attachée au nom de M. Louis Barthou, président du Conseil, dès qu'on reconnut en lui, dans cette discussion de près de deux mois--elle commença le 2 juin--le défenseur le plus convaincu, le plus chaleureux, le plus vaillant du projet déposé le 6 mars par le cabinet Aristide Briand, et qu'il avait énergiquement fait sien.
Cette victoire patriotique, en effet, est pour la plus grande part l'oeuvre de M. Louis Barthou.
Pendant cette longue bataille, il eut à tenir tête à des adversaires non moins résolus qu'il l'était lui-même, intelligents, d'ailleurs, et bien armés, qui lui ont opposé, après des violences calculées, d'insidieuses théories et des arguties de casuistes. A leurs attaques furieuses il a fait tête avec un sang-froid magnifique, un esprit d'à-propos jamais en défaut, une rare vigueur d'intelligence, et, par-dessus tout, une crânerie superbe, un courage civique qu'on ne saurait trop louer; car quelle vraie bravoure ne lui fallut-il pas, pour opposer, à des arguments de réunion publique souvent, d'autres fois à une obstruction qui eût paru puérile si elle n'avait été si dangereuse, le langage de la saine raison, de la conscience, et résister victorieusement à cette tactique de surenchères démagogiques dont nous n'avons déjà que trop éprouvé les désastreux résultats.
De toute la bataille, il n'a pas abandonné un moment le poste le plus périlleux qui fût, face à l'ennemi irréductible, le chargeant avec une furia toute française, intervenant à chaque séance, à chaque instant, soutenant avec une étonnante vigueur la tâche la plus écrasante, tour à tour spirituel, éloquent, émouvant, persuasif enfin, et témoignant d'une endurance physique égale à sa verdeur intellectuelle, soutenu, exalté par l'idée du noble devoir qu'il assumait devant la France.
Certes, bien avant cette épreuve, les magistrales qualités d'homme politique de M. Louis Barthou n'étaient point méconnues, même de ses rivaux ni de ses adversaires. Dans les circonstances graves, décisives pour l'avenir de la patrie, où il vient de jouer ce rôle éminent, il s'est révélé comme l'égal des plus grands parlementaires dont s'enorgueillissent les fastes de nos assemblées.
A diverses reprises nous avons entretenu nos lecteurs du projet d'achèvement du boulevard Haussmann; nous avons, notamment, indiqué la combinaison financière agréée par le Conseil municipal et nous avons donné un plan détaillé montrant le périmètre des immeubles à exproprier et les alignements de la voie future. La photographie, prise en dirigeable, que nous publions d'autre part achève de fixer les idées; mieux que le plus précis des plans, elle montre, tel qu'il se présente aujourd'hui, le groupe d'immeubles à abattre entre le terminus actuel du boulevard Haussmann et le boulevard Montmartre.
Rappelons que les immeubles atteints par le tracé sont les suivants:
Boulevard des Italiens: nos. 2, 4, 6, 8, 10, 12;
Rue Le Peletier: nos. 6, 2, 4, 9, 7, 5;
Rue Laffitte: nos. 8, 10, 12, 14, 11, 9, 7, 5;
Rue Taitbout: nos 10, 14, 16, 18, 20, 22, 24.
Dans quelques semaines, sans doute, les démolitions vont commencer. Le 24 avril dernier, la concession de cette vaste opération a été prononcée au profit de MM. Rivaud, Hesse et Gravelotte; et, ces jours derniers, le Conseil d'État a donné l'avis favorable nécessaire pour prendre le décret approuvant l'adjudication et autorisant les expropriations.
Aux termes du cahier des charges, le concessionnaire payera les immeubles acquis à l'amiable ou par voie d'expropriation; il effectuera tous les travaux de démolition, et supportera les frais des travaux d'établissement de la voie publique, ces derniers devant être exécutés par la ville. Enfin, sur les parcelles expropriées, non utilisées pour le boulevard et qui deviendront sa propriété, il sera tenu d'élever dans le délai de trois ans, à partir de la mise en possession, des immeubles répondant aux nécessités esthétiques que comporte le contre de Paris.
La Ville lui allouera une subvention de 25 millions, si la dépense totale de l'opération atteint 50 millions. Si ce chiffre est dépassé, la subvention sera augmentée d'une fraction qui ne pouvait être supérieure aux 40/100 de la dépense, et que l'adjudication a fixée à 5/100. Grâce au rabais énorme consenti par le concessionnaire, l'opération présente pour la Ville un aléa minime. En admettant, en effet, que la dépense atteigne 100 millions au lieu de 50, le supplément de subvention sera seulement de 2.500.000 fr.
Ajoutons que toutes les indemnités, fixées à l'amiable ou réglées devant le jury, seront acquittées par la Caisse municipale avec les fonds préalablement versés par les concessionnaires.
Le dimanche 20 juillet, un monument consacré à Jean-Léon Gérôme a été inauguré à Vesoul, sa ville natale. Il se compose d'un buste sur une stèle,--celui-là même que sculpta Carpeaux, précédé par une des oeuvres les plus nobles du célèbre artiste: cette Tanagra hiératique dont l'original en marbre figure au musée du Luxembourg.
Ce monument, dont la simple et classique ordonnance fait grand honneur à l'architecte Legrand, a le rare mérite d'être dû à la collaboration de deux maîtres incontestés et d'évoquer aussi fidèlement que possible l'art et l'esprit de celui qu'il commémore. Il s'élève dans la cour de l'hôpital de Vesoul, futur hôtel de ville dont le musée occupera l'une des annexes.
M. Paul Morel, sous-secrétaire d'État à l'Intérieur, maire de Vesoul, MM. Dagnan Bouveret, François Flameng et Raoul Verlet, membres de l'Institut, Mmes Teyssier, Morot et Boussod, filles de Gérôme, M. Masson son gendre, et leurs familles assistaient à la cérémonie, ainsi que toutes les autorités du département et de la ville et de nombreuses personnalités artistiques parmi lesquelles on remarquait MM. Muenier, Courtois, Trochsler.
Plusieurs beaux discours furent prononcés: par M. Dagnan-Bouveret, président du comité Gérôme, par M. Paul Morel, au nom de la ville de Vesoul, par M. Flameng, représentant l'Académie des beaux-arts, par, M. Verlet, représentant la sculpture française; et le bon poète Charles Grandmougin lut une ode à Gérôme, pleine de noblesse et d'élévation.
Grâce à l'heureuse initiative de M. Paul Morel, grâce à l'intelligente émulation des Vésuliens, cette inauguration eut un éclat vraiment exceptionnel. Chaque maison de la petite ville, chaque fenêtre, jusqu'à la plus humble, s'était enguirlandée de feuillages et de fleurs, et pavoisée de drapeaux. Une fête fleurie, un cortège de fanfares, de chars et de voitures succédèrent à la cérémonie officielle.
Et cette journée en l'honneur de Gérôme, qui fut un si joli témoignage de patriotisme local, s'acheva par des illuminations et par des concerts qui avaient attiré un très grand nombre de curieux.
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Note du transcripteur: Les suppléments mentionnés
en titre ne nous ont pas été fournis
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