Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3646, 11 Janvier 1913, by Various

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Title: L'Illustration, No. 3646, 11 Janvier 1913

Author: Various

Release Date: September 15, 2011 [EBook #37428]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3646, 11 ***




Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque







L'Illustration, No. 3646, 11 Janvier 1913

LA REVUE COMIQUE, par Henriot.


(Agrandissement)


Ce numéro contient deux suppléments:

1° L'Illustration Théâtrale avec deux pièces: Les Phares Soubigou, de M. Tristan Bernard, et Dozulé, de M. André Picard;
2° Le 7e fascicule d'Un double amour, par Claude Ferval.


UNE ATTITUDE DE CONQUÉRANT


Le tsar des Bulgares, marquant sa part de la Macédoine, gravit les ruines
de la forteresse de Kavala, l'antique Néopolis de Philippe et d'Alexandre.

Phot. G. Woltz.--Droits réservés. Voir l'article, page 22.

NOS SUPPLÉMENTS

THÉÂTRE

Le prochain numéro de L'Illustration contiendra:

Faust, de Goethe,
traduction et adaptation, en trois parties,
de M. Emile Vedel (Odéon).

Paraîtront ensuite:

Bagatelle
de M. Paul Hervieu (Comédie-Française);

Kismet
de M. Edward Knoblauch,
texte français de M. Jules Lemaitre
(Théâtre Sarah-Bernhardt, direction Lucien Guitry);

La Prise de Berg-op-Zoom
de M. Sacha Guitry (Vaudeville);

Les Flambeaux
de M. Henry Bataille (Porte-Saint-Martin);

La Femme seule
de M. Brieux (Gymnase);

L'Homme qui assassina
de M. Pierre Frondaie,
d'après le roman de M. Claude Farrère
(Théâtre Antoine, direction Gémier);

L'habit vert
de MM. Robert de Flers et G.-A. de Caillevet
(Variété).

ROMAN
Après une nouvelle série de Récits de Guerre, du général Bruneau (récits d'Algérie cette fois, et qui comprendront aussi des récits de chasse), nous commencerons, le 1er mars, la publication d'une importante oeuvre inédite de M. Marcel Prévost:
Les Anges gardiens.


COURRIER DE PARIS

LE COSTUME

C'est un mot à moitié mort, que l'on ne dit guère qu'au passé... Il n'est plus d'aujourd'hui. Et pourtant... Le costume!... Aussitôt voilà des soies, des satins, des velours, de la dentelle et du fer. Vous palpez des tissus et vous remuez des couleurs... Vous ramassez des pourpoints ballants et vous secouez des jupes vides. Ah! le joli mot, puissant et avantageux, de prompte élégance, qui pare, pince à la taille et plaque si bien! Quand on le prononce, on regarde sa manche. Il donne le même plaisir qu'à enfiler une culotte dont la craquante étoffe se casse et chatoie comme il faut, dont la boucle d'acier brille et pique au coin du jarret. Le costume! et l'on se redresse avec le regret de ne plus avoir à le porter! Le costume! et l'on se toise dans la glace, en face et de côté, par-dessus l'épaule. Le costume! et le bras s'arrondit, la jambe se tend, le pied se cambre en se faisant plus étroit, plus long, et plus pointu. Le costume! et l'on se sent tout de suite agile ou imposant, souple, aimable, ou aimé, plus jeune et plus fier... Le costume! il vous monte du courage, de l'esprit, de l'arrogance... l'air est tout rafraîchi par des souffles de plumes et des passages de chapeaux... Les traînes balaient le parquet... Les épées barrent les hanches... Le mollet triomphe, et les talons sont hauts, de maroquin blanc, ou de laque rouge. Le costume... et c'est la cour et la ville, les carrosses, les grands chevaux, la chaise à porteurs, les laquais... et les femmes diaprées, en tenue de bal éternel, et les tableaux fameux, et les galas et les batailles, et les mariages royaux, les fêtes populaires, et c'est toute l'histoire... que peint d'un coup, dans une fresque immense et d'alerte bigarrure, ce vieux mot fringant et français de costume!

Après quoi, quand il a bien produit son effet, il retombe dans une flasque tristesse, avec la nonchalance d'un manteau quitté, retenu, avant de choir, par le bras du fauteuil.

*
* *

Tel nous apparaît-il, de temps à autre, quand les circonstances le mettent par hasard sous nos yeux, à notre époque où il n'est plus question que de «vêtement» et «d'habit». Or un vêtement n'a rien de commun avec un costume. C'en est l'antipode. Le costume nous est rappelé et rendu seulement par l'art. Il n'existe à présent que dans les musées, sur la toile où les peintres en sont demeurés les tailleurs prestigieux, les immortels couturiers. Là, nous nous repaissons de ce luxe oublié, de ces somptuosités ordonnées et choisies qui recouvraient et atténuaient les ennuis journaliers des hommes d'autrefois, qui ornaient leurs joies en les étourdissant. On devait--si galamment et brillamment traité par les rares tissus--se comporter avec plus d'entrain, aimer et se battre mieux, vivre dans une expansion plus large et plus reconnaissante. Un costume était un bain de velours tiède où l'on restait plongé, d'où l'on ne sortait que pour se jeter dans celui du lit, des draps et du sommeil. Un costume était un autre «soi-même» que l'on pouvait créer et composer à son image et à sa ressemblance, aux couleurs de son esprit, à la marque et aux galons de son coeur, à la façon de son désir, à la nuance de son rêve, à la livrée de toute sa personne... C'était un ami, un confident, un valet qui vous désignait franchement, de loin, par sa coupe, les détails et l'originalité de sa tournure, qui vous faisait reconnaître à cent pas, qui vous signait et vous obligeait comme une noblesse extérieure. C'était votre ombre, lumineuse, qui, réfugiée en vous, et s'y confondant, était cependant toujours prête à s'en écarter pour aller répéter sur la toiture, la muraille ou le sol, votre silhouette magnifique, vos gestes exaltés, déclamer la prestance exquise et incomparable de votre personnage. Qui de nous n'a fréquemment soupiré devant un tableau de Porbus ou de Vélasquez, de Largillière ou de Van Loo, de n'être pas en état de fournir aux pinceaux de ce temps une aussi vaniteuse matière, un modèle aussi opulent? Et cette désolation s'accroît encore, lorsque, au cours des battues et des chasses que nous risquons dans les broussailles du passé, il nous arrive de rencontrer le costume... le vrai costume lui-même, surprenant, émouvant, inouï, et nous donnant--frais encore ou ravagé--par la vue incomplète de ce qu'il est, l'image en pied de ce qu'il fut. Ah! l'habit Louis XV, tombé en avant, culbuté d'amour, comme s'il avait été percé d'un coup d'épée, et renversé sur le dos d'une bergère, dans le magasin plein des débris et de la poussière d'autrefois!... La robe à fleurs d'une marquise, accrochée par le cou à la clef d'une porte vitrée! Les culottes à raies bleues et roses que l'on tire à genoux avec effort, en les arrachant, du tiroir bourré de la commode!... Les gilets aux aisselles rousses, les corsets rompus où ne bat plus rien, le soulier glissé d'un pied fondant... les bas qui pendent comme une peau morte,... les gants aux doigts mous, les gants sans mains... les chapeaux sans tête,... que tout cela parle et nous fait souvenir des jours, qu'avant d'être nés à nouveau, nous avons vécus! Ces loques sont aussi impressionnantes que des portraits. Elles ont enveloppé des corps, accoutré des âmes, dont elles ne sont plus que les suaires frivoles. Elles ont gardé les plis de l'habitude et des passions, les plis imposés qui en s'accusant sont devenus leurs rides. Elles survivent aux anciens vivants qui les occupaient, leur donnaient l'air d'être quelque chose, les remplissaient, les animaient, les fatiguaient, les ont menées partout, dont il ne reste plus rien, car elles durent souvent plus que les os qui en étaient l'armature apparente, la fragile solidité. N'est-il pas dès lors coupable et d'un cruel manque de sensibilité artistique et humaine de les abandonner, de se détourner d'elles, de dédaigner le méritoires effort qu'elles font pour résister aux morsures de la destruction et se prolonger plus que des cadavres? Quand ils viennent s'échouer dans nos mains qui leur en rappellent d'autres, pensez que toujours les vieux costumes du temps passé nous demandent la vie, la seule qu'il nous soit possible de leur accorder, une vie de repos, de collection et de musée.

*
* *

Le musée du costume!... On en parlait depuis des années. Il était toujours sur le point de se faire et ne se faisait jamais, en dépit de l'obstiné dévouement que mettaient à le préparer et à le construire, à travers tous les obstacles, ses parrains désignés et naturels, le peintre Leloir et le dessinateur Vallet, et beaucoup d'autres artistes acharnés, comme ces deux vaillants, à la réussite de l'idée. Et voici que tout à coup, grâce à la généreuse décision testamentaire de Detaille, le beau projet est virtuellement réalisé. Nous aurons un musée du costume. Bien mieux, nous en aurons deux, qui, quoique séparés et distincts, se complétant et s'achevant l'un par l'autre, n'en feront qu'un, pour la joie instructive de tous ceux qui en seront les visiteurs assidus et familiers. L'État aura le musée Detaille, musée du costume militaire, et la Ville de Paris, le musée du costume civil, tous les deux sous la direction d'une même pensée artistique et éducatrice. Et vraiment il était incroyable, quand presque toutes les capitales d'Europe ont leur rétrospective de la parure, que nous n'eussions pas même un modeste local affecté à l'histoire documentaire de notre habillement. Les beaux vieux habits de soie, les robes à paniers ne savaient plus depuis des centaines d'années où se mettre. Elles n'avaient pendant longtemps trouvé asile que chez les peintres et les costumiers de théâtre. Mais bientôt ceux-ci eux-mêmes les méprisèrent, comme inutiles ou hors d'usage. Les pauvres hardes, éclatantes ou fanées, s'en furent alors chez l'antiquaire qui avait grand'peine à les placer, qui ne consentait à les admettre dans son bric-à-brac que parce qu'elles faisaient, jetées çà et là, un joli effet de pittoresque décoratif... Et puis, quand la mode vint peu à peu de les acheter, ce ne fut que pour les détruire, pour en recouvrir des fauteuils, en employer l'étoffe à la confection de mille objets, pour les coupasser et les déshonorer dans ces innombrables petits massacres que l'on appelle «des travaux de dames». Ils finissaient donc, ils allaient disparaître,... quand le bon Detaille et son ami Maurice Leloir leur ouvrirent ensemble et toute grande la porte des hôtels et des salons hospitaliers où ils vont enfin, dans des décors d'époque, cesser d'être dépaysés et se retrouver entre eux, en bonne compagnie... ayant de quoi parler, disant tout bas les choses qu'ils ont vues, auxquelles ils ont participé et qu'hélas! nous ne saurons jamais. Si nous pouvions connaître seulement le quart de ce qui leur est arrivé, nous serions fous... Henri Lavedan.

(Reproduction et traduction réservées.)



M. Antonin Dubost.                     M. Paul Deschanel.
AVANT LE CONGRÈS.--Les présidents du Sénat et de la Chambre des députés.

LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE

Un décret présidentiel signé mardi dernier, 7 janvier, en conseil des ministres, a définitivement fixé au 17 courant la réunion du Sénat et de la Chambre des députés en Assemblée nationale, afin de procéder à l'élection du président de la République.

Aucune candidature nouvelle n'a officiellement surgi depuis que M. Raymond Poincaré et M. Alexandre Ribot ont si courageusement fait connaître leur résolution de se présenter aux suffrages du Congrès, se jetant, de propos délibéré, en proie aux polémiques inévitables. Mais, comme nous l'indiquions en présentant, la semaine dernière, ces deux candidats nettement déclarés, ils auront des concurrents: il est certain, dès à présent, comme nous l'avons dit, que M. Antonin Dubost, président du Sénat, et M. Paul Deschanel, président de la Chambre, seront avec eux sur les rangs. Toutefois, l'un comme l'autre, sollicités de faire connaître leurs intentions à cet égard, se sont défendus de faire aux journalistes aucune confidence. M. Paul Deschanel, soumis à la réélection comme président de la Chambre à la rentrée, le 14 janvier, a estimé que les convenances, un sentiment de déférence vis-à-vis de ses collègues, lui interdisaient «de porter ses regards au delà de cette date». Pour les mêmes raisons M. Antonin Dubost déclare vouloir observer pareille attitude. Et cette réserve s'explique parfaitement. Entre la réunion des Chambres et celle de l'Assemblée nationale auront lieu, d'ailleurs, maints conciliabule, parlementaires d'où peut surgir plus d'une candidature encore.



LA CEINTURE DE PARIS APRÈS LA DÉMOLITION
DES FORTIFICATIONS: DEUX EXEMPLES


(Agrandissement)
A L'OUEST, ENTRE LA PORTE DES TERNES ET LA PORTE DE COURCELLES.--Sur la largeur des fortifications (environ 130 mètres), dont le fossé sera remblayé au niveau des boulevards extérieurs actuels, s'élèveraient, le long de voies larges et aérées, des immeubles qui, dans le quartier représenté ici après sa transformation, offriraient tout le confort moderne. Au delà, la bande de 250 mètres de largeur qui constitue la zone militaire serait convertie intégralement en parcs et terrains de jeux et formerait, autour de Paris, une ceinture d'espaces libres de 35 kilomètres et de plus de 500 hectares.


(Agrandissement)
A L'EST, ENTRE LES PORTES DE MONTREUIL ET DE BAGNOLET.--Dans certains quartiers, comme celui-ci, la Ville imposerait aux acquéreurs des terrains des fortifications l'obligation de construire des cottages ouvriers entourés de jardins.--
D'après le projet de M. Louis Dausset, président du Conseil municipal.--Voir l'article, page 32.



LES GRECS DEVANT JANINA

Sans y attribuer le même prix, peut-être, qu'ils attachent à la conservation d'Andrinople, les Turcs tiennent fermement à garder aussi Janina, que les Grecs ne convoitent pas moins ardemment Et la lutte autour de cette place forte se poursuit avec un acharnement égal de part et d'autre. Notre collaborateur, M. Jean Leune, continue d'en suivre les phases, partageant toujours avec Mme Jean Leune les fatigues comme les sentiments des assiégeants, toujours pleins de foi patriotique et débordants de furia dans l'action. Et sa sympathie, son admiration pour ses compagnons d'armes, on peut bien employer ce mot, n'ont point faibli.


Un moderne héros grec: le lieutenant aviateur
Montoussis, après un vol au-dessus de Pisani.

Il apparaît bien, toutefois, dans ses dernières lettres, que Janina est une proie plus difficile à saisir qu'on ne l'avait cru au premier abord, puisque l'entrain, la résolution, la vaillance des soldats hellènes sont, jusqu'à présent, et depuis un grand mois, tenus en échec par des forces supérieures en nombre sans doute, mais animées d'une conviction pareille et d'un courage égal.

Quoi qu'il en soit, cette lutte prolongée nous vaut, de M. Jean Leune, d'excellentes photographies, commentées par d'intéressantes notes que nous allons résumer ici.

Le cadre demeure le même, à Philippias, au Hani Imin Aga ou à Pentepigadia (les Cinq-Fontaines). C'est un pays abrupt dont la rudesse, elle seule, constitue aux assiégés une solide défense, et, d'autre part, dans plus d'un cas, les gêne, car la configuration de ce terrain montagneux, en tout sens hérissé de crêtes, creusé de ravins, permet à leurs adversaires d'abriter parfaitement leurs batteries.

Mais aussi, pour les Grecs, quelles difficultés, quand il s'agit d'établir des canons sur l'une quelconque de ces collines escarpées!

Ils ont trouvé un emplacement admirable, en avant d'Imin Aga: «Pour en permettre l'accès, écrit notre correspondant, le génie a dû, sous la pluie, dans la boue, tailler à flanc de coteaux un chemin en zigzags, d'un mètre, au plus, de large. Avec des poutres et des planches, on avait fait une série de solides brancards. Puis on a démonté, les uns après les autres, canons et caissons, et l'on a lié leurs parties séparées, pièce, affût, frein pneumatique, etc., sur les brancards, que sapeurs et canonniers ont ensuite placés sur leurs épaules. Il avait plu toute la nuit. Le chemin de fortune établi par le génie était couvert d'une boue gluante, où la moindre glissade d'un seul devenait périlleuse pour l'équipe entière. Il fallait marcher à pas lents, rythmés à la cadence que marquait un sous-officier.


       Le duel d'artillerie entre Grecs et
       Turcs: éclatement d'un obus turc
       en arrière des lignes grecques.--
       Photographies Jean Leune.

» Pour porter le seul canon, vingt hommes étaient nécessaires; pour une roue, deux; et deux autres pour un demi-bouclier. Le transport des munitions s'effectua à raison de deux obus par homme. Et il y avait 2 kilomètres à parcourir ainsi. Tous allaient gaiement, montrant toujours leur inaltérable belle humeur. Là-haut, les pièces remontées étaient remises en batterie à la corde, avec le même allant.» Après quoi, les duels d'artillerie se poursuivent, sans autres interruptions que celles que nécessitent d'aussi difficiles manoeuvres. A de certains moments, c'est jour et nuit qu'on se bat, et l'on va dans un fracas d'enfer, où la voix grave des grosses pièces soutient en basse les crépitements de la fusillade, qui fait comme des pizzicati, et le ronflement mécanique des mitrailleuses. Pour ceux qui vivent ces journées, le spectacle du coup de canon doit commencer à devenir banal. Il donne de bien curieux clichés: au départ, à la gueule de la pièce, un petit nuage blanc, qui, en un dixième de seconde, se dissipe, dissous dans l'air. Et puis le bruit fusant du projectile, qui disparaît bientôt derrière la crête la plus prochaine.

A l'arrivée--et c'est sur les obus ennemis qu'on peut le mieux l'observer--une boule de vapeur, soyeuse, jolie comme un éclat de fusée, et la pluie des balles répandues par le shrapnell, ou encore un nuage de poussière.

A ces visions désormais monotones, banales, une diversion de temps à autre: un aviateur part en reconnaissance. C'est un événement.

Un beau jour, le lieutenant Montoussis prend son vol, de Nicopolis, sur son Maurice-Farman, et, d'un élan, gagne l'altitude de 1.600 mètres. Or, les forts de Pisani, qu'il doit survoler, sont à 800 mètres. Il peut donc voir et repérer admirablement l'emplacement des ouvrages. Seulement, il se trouve aussi à bonne portée, et les Turcs ne manquent pas de diriger sur lui un feu nourri. Il riposte en lançant quatre bombes qui--on l'apprendra plus tard de prisonniers--causent de graves dommages. En revanche, une balle atteint l'un des montants de son appareil. Ce n'était rien, et peu après, le vaillant aviateur atterrissait sur un minuscule terrain, tout bosselé, près d'Imin Aga, était accueilli par le général Sapoundsakis qui l'emmenait en hâte dans son automobile, afin de recueillir de sa bouche les renseignements qu'il rapportait. Car désormais, adieu, pour tout de bon, «le cheval blanc que César éperonne», et c'est d'une confortable limousine que le commandant en chef d'une armée bien organisée préside à la victoire.


A son passage à Sérès, le tsar Ferdinand
s'entretient avec le chef révolutionnaire
Nikolof, dit «le roi du mont Rhodope».

A quelques jours de là, le lieutenant Montoussis renouvelait le même exploit et s'en retournait reconnaître les positions turques devant Janina. Cette fois, c'étaient des obus qui le saluaient au passage. Il fut près de sa perte. Un shrapnell éclatant au-dessus de sa tête creva en plusieurs points les ailes de l'appareil et blessa légèrement le pilote à la main. Enfin, voici, pour finir, des visions non moins glorieuses et plus émouvantes encore, quelque chose comme le revers d'une sévère médaille: «Sous la pluie battante, des blessés sont amenés de la ligne de feu, étendus sur des brancards que portent avec infiniment de peine et de précautions des soldats dont la boue glissante fait la lourde marche très dangereuse. Ils vont cependant une heure, deux heures durant, par les sentiers rocailleux ou la plaine inondée coupée de ruisseaux. Et les blessés, sous la couverture qui les couvre tout entiers laissent à peine échapper de temps à autre: «O Panagia mou!» (O Vierge sainte!)

»Un evsone très grièvement blessé, qu'on transportait ainsi, s'est tout à l'heure évanoui. Dès qu'il s'en aperçut, un des brancardiers lui fit avaler du cognac et le fit revenir à lui. «Merci, » petit frère, dit l'evsone d'une voix douce. J'ai 10 lepta (10 centimes) dans ma poche, prends-les pour le cognac!...»

»...Des blessés ainsi arrivent toujours... Aussitôt pansés, on les évacue sur Philippias, dans des voitures à deux roues, sur des petits chevaux, sur les camions automobiles ou dans les automobiles mêmes de l'état-major. L'horrible spectacle que le rassemblement, au bord de la route, de toutes ces misères, de toutes ces souffrances, de ces hommes, hier encore joyeux, pleins de vie et d'entrain, aujourd'hui brisés, mutilés, couverts de sang, se traînant encore, ou étendus sur des brancards! Pas une plainte, cependant, ne s'échappe de leurs lèvres. A peine des crispations de leurs mâles visages trahissent leur souffrance...

» Quelques-uns meurent en chemin, ou dans les ambulances provisoires. Alors, des camarades, des frères, s'en vont non loin, dans un champ, creuser une fosse. On y couche la triste dépouille. Puis, bien vite, de la terre la recouvre. Une croix et des pierres sur le petit monticule... et c'est tout. Cela dure quelques minutes poignantes. Un héros obscur dort là, maintenant, pour toujours, après avoir rempli son devoir... «Pour la patrie!»... Et, quand l'armée aura quitté ces bords, que la paix sera revenue sourire sur ce pays aujourd'hui saccagé, le soldat, au fond de son étroite couche, demeurera tout seul, oublié, inconnu de ceux qui fouleront sa tombe, tandis que là-bas, en Grèce, la patrie, la mère pour laquelle il se sacrifia dans quelque petit village, une place à jamais sera vide à un foyer.»

Et à lire, selon l'expression du poète, «la rude attaque et la fière défense», on se rend compte qu'au jour des négociations de paix, la lutte diplomatique, évidemment, ne sera pas moins âpre entre les représentants de vainqueurs et de vaincus également héroïques, tous aussi violemment férus d'amour patriotique pour Janina!


          Roi de Grèce.           Tsar Ferdinand. Princes Boris et Cyrille.
UNE RENCONTRE D'ALLIÉS.--Le roi Georges de Grèce et le tsar des Bulgares à Salonique.--Photographies g. Woltz.--Droits réserves.



LE VOYAGE DU TSAR DES BULGARES A SALONIQUE

Avant d'arriver à Salonique, le 19 décembre dernier, et d'avoir, avec le roi des Hellènes, cette rapide et utile entrevue dont on n'a peut-être pas assez souligné l'importance, le roi Ferdinand avait traversé, sans hâte, à petites étapes de son train spécial, comme en tournée d'inspection, les régions de la Thrace côtière et de la Macédoine occupées, de Dimotika à Salonique, par ses troupes victorieuses.

De Drama, où on lui présenta quelques fameux comitadjis, le souverain s'en alla visiter le port de Kavala qui, au pied du Pangée et en face de Ihasos, sera le prochain débouché bulgare sur l'Égée. Kavala, c'est l'antique Néopolis qui fut le port de Philippe», la capitale reconstruite par le grand roi macédonien, et dont les ruines, à moins de quinze kilomètres de là, sont un but d'excursions traditionnelles. Le roi Ferdinand, qui joint au souci des réalisations présentes un goût assez vif pour les reconstitutions symboliques du passé, dut certainement songer, tandis que ses bottes foulaient les vestiges millénaires des anciennes fortifications de Kavala, qu'il renouait, lui premier roi chrétien depuis la catastrophe byzantine, les traditions oubliées de l'Occident victorieux. Pouvait-il ne point évoquer, à quelques lieues de là, ce fameux champ de bataille de Philippes, où César, maître de l'Occident, et entraînant avec lui les légions européennes, triompha de Brutus et de Cassius, qui, maîtres de l'Orient, revenaient, avec leurs soldats asiatiques, par la route ordinaire des invasions?...

De Kavala, le roi Ferdinand gagna Sérès, et de là, sans avoir averti officiellement les Grecs de son arrivée, il débarqua assez brusquement à Salonique, où ses fils, seuls prévenus, l'attendaient à la gare, tandis que, simplement, un détachement envoyé là à tout hasard lui rendait les honneurs. Ainsi se trouvaient évitées les difficultés assez délicates d'un protocole incertain. Car, si le roi Ferdinand se rendait à Salonique pour s'y rencontrer avec le roi des Hellènes, son intention n'était point de faire une visite officielle au roi des Hellènes, exerçant déjà des droits souverains et définitifs sur cette ville. Et la nuance a son prix.

Après avoir été salué à la gare par les princes Boris et Cyrille, le ministre plénipotentiaire bulgare, M. Stanciof, qui les avait accompagnés, et les officiers supérieurs des troupes bulgares casernées dans la ville, le roi Ferdinand descendit au consulat général de Bulgarie à Salonique. Peu après, le roi Ferdinand alla rendre visite au roi de Grèce auquel, dès les premiers mots, il dit: «Je suis venu ici en simple touriste.» Puis il reçut à son tour le roi des Hellènes et la photographie ci-dessous fut prise à l'issue de cette seconde entrevue.

Le lendemain, qui était la Saint-Nicolas, une messe solennelle fut célébrée à l'église russe en l'honneur du prince Nicolas de Grèce, et le roi Ferdinand tint à assister à cette cérémonie avant de se rendre au déjeuner qui lui était offert par le roi Georges, et où la conversation entre les deux alliés--au lendemain des âpres contestations au sujet de la prise de Salonique et des différents autres incidents gréco-bulgares, très vifs, qui se sont élevés dans la ville même, après l'occupation--fut, assure-t-on, des plus cordiales et certainement des plus opportunes.

Le soir même, le souverain bulgare prenait le train pour Sofia où le rappelaient d'importantes dépêches.


      Rechid pacha.             M. Novakovitch.       M. Danef.                   M. Venizelos.       M. Miouchkovitch.
LES CONVERSATIONS DIFFICILES DE LONDRES: LE DERNIER MARCHANDAGE
Dessin de L. Sabattier.

Aux délégués de la coalition balkanique exigeant de la Turquie l'abandon de tout son empire d'Europe, sauf le maigre hinterland de Constantinople, le premier plénipotentiaire ottoman Rechid pacha a fini par consentir la cession de ces vastes territoires, à l'exception cependant d'Andrinople, encore défendue bien qu'affamée, et des îles de l'archipel turc dont l'empire ottoman refuse désespérément de se dessaisir. Les alliés n'ont pas admis ces réserves et ils ont adressé, le 3 janvier, aux Turcs, un ultimatum qui, faute d'entente définitive, dans la séance de lundi sous la présidence à poigne du délégué serbe, a entraîné une suspension des négociations,--qui doit permettre au conseil des puissances d'utilement intervenir. Car on ne croit plus guère maintenant à la reprise des hostilités: «Dans ces sortes de marchandages, dit irrespectueusement le Times, qu'il s'agisse de la vente d'un tapis dans un souk de Bagdad ou de la vente d'un cochon à la foire de Connaught, il arrive fatalement, au moins en apparence, un moment d'extrême tension. Les parties haussent le ton. L'acheteur sort de la boutique, de la façon la plus énergique. Le vendeur, de son côté, jette son tapis d'un air non moins résolu. Mais généralement ce moment critique est celui où le marché est le plus près de se conclure...»


LES OPÉRATIONS DE L'ARMÉE GRECQUE CONTRE JANINA.--La bataille de Pesta (15 décembre 1912): une pièce de 105, en batterie sur la route, tire à un angle de 45 degrés, par-dessus une colline, sur les ouvrages turcs de Pisani. Photographie Jean Leune.--Voir l'article, page 21.

ENTRE LES TURCS ET LES BULGARES

Depuis la signature de l'armistice, notre envoyé spécial à l'armée turque, Georges Rémond, était resté à Constantinople. Tout l'intérêt de la guerre, suspendue, mais non terminée, se reportait désormais sur la dernière place forte opposée aux troupes bulgares, Andrinople, au sujet de laquelle s'engageait, à Londres, entre les délégués des peuples ennemis, un âpre débat sans issue. Notre correspondant avait formé le projet de s'y rendre,--non pas qu'il pût espérer nous faire part, une fois entré dans la ville assiégée, de ses impressions; mais, s'offrant à y demeurer jusqu'au dernier jour et à partager le sort de ses habitants, il nous eût apporté, la paix conclue, le plus précieux témoignage sur la défense de la grande forteresse de Thrace. Muni d'une recommandation de l'ambassade de Russie pour l'état-major bulgare et d'une lettre pour Choukri pacha, gouverneur d'Andrinople, acceptant de voyager sans domestique, avec un léger bagage, et de traverser les lignes les yeux bandés, il pensait ne point rencontrer d'obstacle à son dessein: on ne pouvait même craindre qu'il transmît des nouvelles au commandant de la place investie, puisque celle-ci n'a pas cessé de communiquer avec Constantinople par la télégraphie sans fil. Les autorités militaires bulgares n'ont point cru devoir, cependant, laisser passer notre envoyé spécial.

Il nous adresse du moins un bien pittoresque et vivant récit des incidents qui ont marqué son excursion aux positions extrêmes de Tchataldja, entre les Turcs et les Bulgares.
Constantinople, 30 décembre 1912.


Parti le jeudi 26, au matin, de Constantinople, j'ai, cette fois, comme compagnon de route le colonel Djemal bey, qui commande une des divisions du 2e corps d'armée à Nakkaskeui. C'est un des hommes les plus intelligents que j'aie rencontrés ici, un homme de la trempe de Fethi bey, d'Enver bey, des bons officiers avec qui j'ai vécu en Tripolitaine: fermeté de jugement, activité d'esprit, clarté dans les idées, il possède à un haut degré tous ces dons si rares en ce pays.

Je lui demande s'il croit à la paix prochaine. Il ne la désire pas, jugeant que l'armée turque est enfin sur pied.--«Mais l'attaque est-elle possible contre les formidables retranchements élevés par les Bulgares sur les positions de Tchataldja, au moment où les mois rigoureux d'hiver vont rendre ce pays sans chemins plus impraticable encore?» Bien qu'il évite de me répondre, il me semble qu'il partage mes doutes...


Les bourbiers d'Hademkeui.

Nous traversons le village d'Hademkeui envahi par la boue: elle est si épaisse, si gluante, qu'on a peine à s'en arracher. Je n'ai vu chose semblable qu'en Abyssinie durant la saison des pluies; fantassins, cavaliers, charrettes, tout s'embourbe jusqu'aux genoux, au poitrail, aux essieux. Des corvées de soldats, armés de pelles, tâchent d'enlever le plus épais, aux endroits les plus parcourus, de déblayer et de combler avec des cailloux les fondrières où l'on risque de disparaître. De même que la neige s'amoncelle en hiver au bord des routes, on voit s'élever ici des montagnes, des murailles de boue; et elle colle aux pieds, aux sabots des chevaux, aux roues des chars, aux vêtements, on la traîne avec soi, sur soi, sans pouvoir s'en débarrasser.

Je revois le général Ahmed Abouk pacha, toujours accueillant. Il me fera conduire demain matin à Bachtchekeui par le train qui y amène les munitions et les ravitaillements; de là, des chevaux me porteront en compagnie d'un officier et de quelques soldats d'escorte jusqu'aux lignes bulgares.

l'extraordinaire aventure d'une française

Mais où coucher? La moindre maison regorge de soldats qui s'y empilent les uns sur les autres. Je vais dresser mon lit dans la chambre où travaillent les officiers d'état-major, qui veulent bien me recevoir, lorsqu'on vient m'avertir qu'Ahmed Abouk pacha m'a fait chercher une chambre dans le village. Un soldat m'y conduit. J'entre chez un bacal (épicier grec); et, après avoir monté un escalier branlant, je pénètre dans une petite pièce, où, à ma grande stupéfaction, une dame m'accueille et m'offre l'hospitalité en si bons termes et en si pur français que je ne puis douter un instant d'avoir affaire à une compatriote: «Monsieur, je n'ai plus que cette petite chambre qui est moins grande qu'un mouchoir de poche turc (et les Turcs n'ont pas de mouchoir), vous la partagerez avec moi. J'aurais voulu vous donner la chambre voisine, mais quatre docteurs m'en ont délogée et s'en sont emparés par force.»

Mon hôtesse est une femme âgée, aux traits énergiques, aux yeux clairs qui ne doivent pas se laisser intimider; et de fait, pour avoir passé la guerre ici, au milieu des soldats, de la bataille, du choléra, il faut un certain courage. Je m'excuse comme je puis, propose de coucher dans l'escalier ou dans le magasin, mais elle insiste, assurant qu'il lui suffira de tendre un voile autour de son divan, et qu'ainsi les convenances seront sauvegardées. Je lui avoue mon étonnement de rencontrer ici une Française et dans de telles circonstances. Aussitôt elle me conte son histoire, qui n'est pas sans pittoresque.

--Je suis, monsieur, fille d'un Français du nom de Renelmann qui vint à Constantinople comme soldat durant la campagne de Crimée, y demeura la guerre finie, et épousa une Italienne. Je suis née à Constantinople; quelques années après, mes parents m'emmenèrent à Paris, où j'ai vécu seize ans et vu le siège. Nous étions abonnés au Figaro; j'aimais surtout les articles d'Albert Millaud et d'un certain Ignotus qui avait bien de l'esprit. Mais j'ai toujours suivi avec autant d'intérêt que le Figaro lui-même votre journal, que me prêtait une amie, et, depuis que je suis en Turquie, je n'ai pas cessé de recevoir les Lectures pour tous. J'en avais une grande caisse ici, toute pleine, que des officiers amoureux des lettres françaises m'ont volée...

» Je revins en Turquie après la guerre, et, de même que mon père avait épousé une Italienne, j'épousai, moi, un Italien, M. Romano, Napolitain et violoncelliste. C'était le temps du sultan Hamid. Celui-ci voulut organiser au palais un conservatoire de musique: il fit engager mon mari et quelques autres instrumentistes. Nous étions bien payés: trente livres osmanlis par mois et, en plus, «les rations». Comme le sultan Hamid ne supportait autour de lui que des militaires, il avait fait donner des grades à ses musiciens; mon mari était commandant (bim-bachi). Il avait lin très gros ventre, une figure réjouie, et le sultan Hamid se plaisait à lui faire des farces et à le voir tourner en ridicule par un de ses bouffons, un Français nommé M. Bertrand, dont l'emploi était de le tenir en bonne humeur. La verve de celui-ci ne tarissait pas sur l'embonpoint de mon mari; mais c'était un homme excellent qui entendait la plaisanterie, et ne se fâchait point. Nous fûmes toujours heureux tant que régna le sultan Hamid. Mon mari souffrait seulement de ne pouvoir exercer son art comme il aurait voulu et former des élèves dignes de lui. Il lui fallait donner des leçons dans une salle où jouaient et répétaient en même temps que lui des trombones, des saxophones, des cornets à piston, qui empêchaient d'entendre les sons du violoncelle. Au reste, le sultan Hamid n'aimait que la musique très bruyante et que les chanteurs qui beuglaient et hurlaient à déchirer les oreilles.

» La constitution vint, qui chassa du palais les musiciens, les bouffons, les comédiens; mon mari mourut, et je n'ai pu obtenir encore une pension. J'avais pourtant quelques petites économies, et j'allai m'établir dans un village de la mer Noire, à Iénikeui, près de Derkos et de Karabournou, où la vie ne coûte rien. Je louais une maison pour une livre osmanli par an, j'élevais des poules, des lapins, et j'avais des arbres fruitiers. Mais, privée de journaux et surtout de mes Lectures pour tous, je souffris trop, au bout d'un an, de la solitude, de l'éloignement où je me trouvais. J'emportai mes poules, mon chat et mes lapins, et vins l'an dernier réinstaller à Hademkeui, qui est relié avec Constantinople par le chemin de fer, et où l'on peut avoir quelques rapports avec le monde. Je m'associai avec l'épicier grec qui possède cette maison, et nous fîmes un peu d'affaires avec les paysans de ce village et des environs.

» Au moment où la guerre éclata, nous ne pouvions penser que les Turcs seraient battus et que les Bulgares viendraient jusqu'aux portes de Constantinople. Un jour, nous vîmes arriver les premiers émigrants fuyant de Kirk-Kilissé. Monsieur, il n'a pas arrêté d'en passer durant plus d'un mois, et ils étaient affamés, et il y avait des femmes derrière les voitures qui, sous mes yeux, tendaient leurs enfants au bout de leurs bras et criaient: «Pitié, pitié, prenez nos enfants, nous ne pouvons plus les nourrir!» Et, ensuite, ce fut le défilé des soldats. D'abord, ils se montraient très doux et timides. Ils venaient à ma porte: «Madame, un peu de pain, nous n'avons pas mangé depuis trois, quatre jours. Madame, nous laisserez-vous mourir de faim?» Je leur disais que je n'avais rien, de peur qu'ils n'envahissent ma maison; quelquefois je leur apportais un peu de galette ou de salade de haricots, et ils se jetaient dessus comme des bêtes. Une nuit, des hommes pénétrèrent dans mon jardin, et se mirent à frapper à la porte, jusqu'à vouloir l'enfoncer. Alors je me montrai à la fenêtre, et leur criai: «Vous m'ennuyez, à la fin, je suis Française, j'irai réclamer à vos chefs. N'avez-vous pas honte de vouloir pénétrer dans la maison d'une femme?» Ils furent stupéfaits d'entendre parler une langue étrangère et s'arrêtèrent; et l'un d'eux, un sous-officier, s'avança et me dit en français: «Pardon, madame, nous ne voulons pas vous faire de mal, mais voyez! nous sommes très malheureux. Il pleut, nous sommes là dans la boue, donnez-nous abri.» Mais, craignant toujours le pillage, je n'ouvris pas. Ils prirent les planches de mon poulailler et en firent du feu; pourtant, ils ne tuèrent pas les poules. Le lendemain, mon associé vint dès le matin, très effrayé; il ne voulut plus que j'habitasse seule désormais et me fit venir chez lui, où il me donna une chambre. Aussitôt, ma maison fut occupée, et mon poulailler acheva de brûler. Mais j'avais auparavant vendu mes poules.

» C'est alors que commença le choléra. Là, sons mes fenêtres, devant ma porte, sur toute cette grande place vide qui va jusqu'à la gare, des soldats se couchaient par terre pour mourir. Il y en avait par centaines. Tout le jour, toute la nuit, ils demandaient de l'eau et du secours, sans que personne s'occupât d'eux. Mon associé partit pour Constantinople; moi, je voulus rester seule pour sauver ce qui restait dans la boutique. Un matin, je trouvai cinq cadavres devant ma porte: ils étaient bleus, contractés par les convulsions, presque couchés les uns sur les autres. Enfin, ayant vendu à peu près toutes mes marchandises, je décidai de partir, moi aussi.

» Je demeurai à Constantinople jusqu'au jour de l'armistice; puis, j'obtins de Nazim pacha la permission de revenir à Hademkeui. Mon associé et; moi nous avons rapporté ici quelque pacotille, et nous faisons des affaires avec les soldats. Le malheur est que l'autorité s'en mêle, nous fait fermer boutique s'il lui plaît, met des tarifs absurdes sur les marchandises, perquisitionne chez nous, nous empêche de vendre le raid et le cognac. Mais je suis là, je tiens ferme, je parle français à ces gens-là pour les intimider. Je vais acheter un drapeau et le planter au-dessus de ma porte,--un drapeau français, cela fait meilleur effet qu'un drapeau italien... Mais voyez! ces docteurs turcs m'ont pris ma grande chambre, menaçant de me faire enlever de force. Ah! j'aurais bien résisté, je ne tiens pas à la vie, mais j'ai pensé qu'on allait piller le magasin, voler les marchandises. J'ai cédé; puis, une fois dans cette autre petite chambre, j'ai éclaté en sanglots; alors, ces docteurs, ils ont été émus tout de même, et deux d'entre eux se sont mis à pleurer aussi, et un de leurs soldats voyant que je ne me calmais pas est venu m'apporter une pastille de menthe...»


Le passage à gué du Karasou, près du pont de
Bachtchekeui, que les Turcs ont fait sauter.

VERS LES LIGNES BULGARES

Comme il était entendu avec Ahmed Abouk pacha, nous partons le lendemain 27 décembre pour Bachtchekeui: le train de réapprovisionnement nous y dépose à midi. Nos chevaux nous attendent. Voici les dernières tranchées turques; on travaille activement à les renforcer encore, partout on remue la terre, partout on tend de longs et épais réseaux de fils ronceux. Puis voici les maisons de Bachtchekeui brûlées, rasées dès avant la bataille, afin qu'elles ne pussent servir d'abri aux Bulgares avançant vers les lignes turques. Seule la petite mosquée et son minaret sont demeurés debout, mais perforés de toute part par les obus; à l'intérieur, les grandes lampes, les lustres de verre sont suspendus à leur place, sinon intacts, en dépit de la furieuse canonnade, et déjà les pigeons familiers ont repris leur place accoutumée sur les toits et dans le sanctuaire. Nous arrivons au pont, que les Turcs ont fait sauter après leur passage. La rivière qui coule au-dessous, le Karasou, n'est ni très profonde ni très large, mais le fond en est vaseux et glissant et l'on a peine à la traverser. J'en fais tout de suite l'expérience. Au beau milieu, mon cheval perd pied dans la vase, fait le plongeon, je saute de côté pour éviter d'être pris sous lui et me voilà dans l'eau jusqu'aux épaules. Les soldats turcs m'aident à m'en tirer, ramènent le cheval qui a déjà atteint l'autre bord; je remonte et je traverse cette fois sans encombre. Mais mon matériel photographique a quelque peu souffert de cette baignade.

Du Karasou à la colline de Tchataldja, c'est la plaine nue sans un arbre, sans autre pli de terrain que la ligne du chemin de fer; les troupes bulgares qui avancèrent là durant les journées du 17 et du 18 étaient sacrifiées d'avance. Aussi n'est-ce pas de ce côté que l'effort principal a été tenté. A un kilomètre de la rivière, on voit encore les tranchées creusées par les Bulgares durant la nuit du 17 au 18. Près de la voie, la terre fraîchement remuée indique les points où les corvées de soldats turcs envoyées au moment de l'armistice ont enterré les morts ennemis. Plusieurs cependant sont demeurés là, abominablement déformés, à demi dévorés par les chiens et les oiseaux, loques méconnaissables où les débris humains ne se distinguent plus des restes d'uniforme qui les enveloppent. L'un est couché sur le nez et n'a plus de jambes; l'autre, la face au ciel, a les mains sanglantes, soit qu'elles aient été mordues par les chiens, soit qu'au moment où l'homme a été frappé, il les ait mises sur sa blessure; enfin un autre--et le cadavre de celui-ci a été certainement mutilé, car la nature, ni le temps, ni les animaux carnassiers n'outragent de cette façon--un autre est aux trois quarts enterré, ses deux bras étendus comme s'il faisait effort pour retirer son corps de la terre qui l'étreint, la tête abandonnée, renversée en arrière, les lèvres découvrant les dents, et la peau noire comme si on l'avait rôtie.


Entre Bachtchekeui et Tchataldja: cadavres
bulgares abandonnés le long de la ligne du
                          chemin de fer.

A deux kilomètres de la rivière finissent les territoires turcs, marqués de petits drapeaux et, à cinq cents mètres au delà, des drapeaux blancs bulgares leur font face. Nous les dépassons; et bientôt, à deux kilomètres de nous à peine, apparaît Tchataldja. Dans la plaine, du côté d'Ezetin, personne, point de campements. Cependant une toile rouge de tente s'aperçoit à un kilomètre environ; deux soldats en sortent, se dirigent vers nous, et nous font signe de nous arrêter. Ils parlent turc tous deux et appartiennent, l'un au 10e, l'autre au 25e régiment d'infanterie. Un troisième les rejoint, et part à la recherche des officiers. Ceux-ci arrivent vers 3 heures: ils sont quatre, deux capitaines, un sous-lieutenant de réserve et un cadet de l'école militaire. On se serre la main très cordialement. Tous s'expriment assez bien eh français; l'un enlève son manteau, l'étend sur le talus et, nous invitant à nous asseoir, dit: «Voilà notre canapé.» Le cadet reste debout, raide, au port d'armes, la figure épanouie, regardant avec admiration cette rencontre cordiale entre officiers turcs et bulgares. J'ai malheureusement épuisé toutes mes pellicules sèches, et je ne puis plus prendre de photographies. On se fait toutes sortes de politesse; le lieutenant turc dit en français à l'un des capitaines bulgares: «Votre figure m'est très sympathique»,--et de fait celui-ci est un Slave blond, aux yeux bleus, souriant, avec ce quelque chose de doux et d'enveloppant dans l'expression qu'ont les hommes de cette race. Il rit, et on se serre la main encore une fois.

J'explique mon intention d'aller à Andrinople; je montre la lettre russe demandant aux autorités royales bulgares, soit militaires, soit civiles, de me laisser passer et de m'aider au besoin, ma lettre pour Choukri pacha, commandant la place d'Andrinople; je déclare que je resterai dans cette ville jusqu'à la fin de la guerre, que j'accepte de traverser les lignes les yeux bandés, sans domestique et avec aussi peu de bagages que possible, si tout ceci leur semble nécessaire. Ils me disent qu'ils ne peuvent me donner de réponse catégorique, mais qu'ils ne pensent pas que leur général fasse d'objection sérieuse à ma demande, que peut-être il en référera au général Savof, et qu'en ce cas je serai obligé de revenir demain. Ils envoient un homme porter ma lettre à Tchataldja. Nous causons de la guerre, de la paix; ils demandent des nouvelles, font quelques jeux de mots pour me montrer qu'ils sont initiés aux finesses du français... L'estafette revient; impossible d'avoir une réponse ce soir. Nous prenons rendez-vous pour le lendemain matin, à 10 heures.


        Pendant l'attente dans les lignes bulgares: la
        petite escorte turque de Georges Rémond.

... Je ne puis être à l'endroit convenu qu'à 11 heures 1/2; les fondrières de la route m'ont retardé. Après un moment d'attente, deux soldats bulgares s'approchent, nous font signe de faire volte-face, et se rangent de chaque côté de la voie, baïonnette au canon. A 2 heures seulement, nous voyons venir un officier: il parle à peine quelques mots de français, mais nous comprenons qu'il va aller s'informer de notre affaire à Tchataldja, auprès du général. A 4 heures, comme la nuit tombe, nous décidons de nous en aller, après avoir remis aux soldats un mot avertissant le quartier général que nous nous présenterons demain à la même heure. Au moment où nous allons partir, l'officier revient enfin: «Je regrette, me dit-il, mais c'est impossible», et il me rend la lettre de l'ambassade de Russie. J'essaie de parlementer, mais en vain: il ne comprend rien à ce que je dis. S'approchant de l'officier turc, il lui demande: «C'est bien le correspondant de L'Illustration?»--et c'est le dernier mot.

Nous rentrons à Hademkeui. Mme Romano nous a préparé des boulettes de pomme de terre et une salade de haricots à l'ail, puissante, parfumée, que je, mange avec délices. Après le repas, les associés, trois Grecs et la dame, se réunissent pour faire leurs comptes du samedi soir. C'est un beau spectacle, les trois hommes, l'un d'une maigreur squelettique, à la peau verte, aux traits saturniens, les deux autres diversement gras, aux faces lumineuses, et la Française, celle-ci présidant du haut de son binocle, et les quatre paires d'yeux fixées sur le tas d'or et d'argent, les quatre nez qui le flairent, les huit mains qui le tâtent, et les quatre cerveaux qui supputent le gain, comptent les paris, cherchent le para, le centime, la piastre qui manque. A cette vue, mon domestique est enivré et s'écrie: «Je m'associe avec vous, je mets quarante livres dans le commerce.»--«C'est le bénéfice fait sur les correspondants de guerre, et l'argent chapardé sur mes comptes, animal!»--«Ah! me répond-il, médiocre métier, on mettrait cent ans à s'y enrichir; mieux vaut piller en Macédoine.»

Le lendemain, 29, le train parti à midi m'amène à 4 heures 1/2 à Constantinople, ayant vaillamment franchi dans ce temps 50 kilomètres.
Georges Rémond.



SCÈNE DE LA RUE PARISIENNE.--Un contraste en blanc et noir.
Dessin de L. Sabattier.

C'est une rencontre piquante, observée un jour dans la rue et prise sur le vif, qui a fourni le sujet de ce plaisant tableautin en deux couleurs, blanc et noir, et à deux personnages, la Parisienne et le charbonnier... Par ce doux hiver, qui n'a de neigeux que l'hermine dont se couvrent les épaules élégantes, la fourrure délicate et fragile entre toutes, celle qu'une goutte de pluie tacherait, mais qu'un rayon de soleil fait briller d'un soyeux éclat, s'offre comme le luxe préféré. Elle est la parure précieuse, aristocratique, l'objet de la plus chère convoitise, dont la possession vaut un titre de noblesse, et qui «classe» une femme... Celle-ci, à défaut du manteau rêvé, porte une étole d'hermine, large et longue à souhait, et si ingénieusement disposée qu'elle semble en être habillée tout entière. De l'hermine, elle en a voulu jusque sur son chapeau; et ses mains disparaissent dans un vaste manchon, qui est d'hermine, lui aussi.

Ainsi vêtue de blancheur épaisse et molle, elle est sortie de chez elle, ce matin-là; et, dans la rue, elle s'est rappelé qu'ayant omis, distraite ménagère, de faire sa commande à son fournisseur habituel, elle avait «un mot à dire» au charbonnier du coin, providence des journées d'hiver. La voici devant son étroite boutique, dont l'enseigne avertit qu'on y vend tout ensemble de quoi se chauffer et de quoi boire: le charbonnier reconnaît sa jolie cliente, et, de la voir si blanche en face de lui, si noir, il a un étonnement familier et joyeux. Elle aussi, surprise d'abord, a remarqué l'imprévu de la rencontre. Tous deux, oubliant, pour un instant, les distances--peut-être moins grandes qu'il ne paraît--qui séparent un brave charbonnier d'une fine Parisienne, tous deux s'amusent de la petite comédie dont ils sont les acteurs. Et, enfin, c'est en riant qu'elle le prie de monter chez elle «un sac de charbon et des margotins pour allumer le feu».




Le premier instantané d'un empereur du Japon.--Le mikado Yoshi Hito, précédé d'un officier de son état-major, se rendant à cheval au parc d'aviation militaire de Tokorozawa.
--Comm. par le Kokumin Shimbun.

AU JAPON

Lorsque se produisit, au mois d'août dernier, le changement de règne au Japon, nous avions indiqué que le nouvel empereur Yoshi Hito, moins respectueux que son père des traditions et des rites consacrés, entendait se mêler davantage à la vie extérieure de son peuple, et ne point s'entourer du mystère presque impénétrable qui dérobait aux regards la personne de Mutsu Hito. On se souvient peut-être que, pour évoquer ici, le plus fidèlement possible, les traits du défunt mikado, qui jamais ne posa devant l'objectif, nous avons dû, à défaut d'autre document, publier la photographie d'un ancien portrait officiel, corrigé en 1904 «d'après les indications d'un membre du corps diplomatique qui pouvait approcher l'empereur». Le jeune souverain qui préside aux destinées du Japon ne donnera jamais si grand souci à ses historiographes.

Déjà, dans notre numéro du 24 août 1912, nous l'avons montré en tenue de général de division,-image peu familière encore, où il apparaissait hautain et raide, la tunique chargée de décorations, une main sur la garde de son épée. Voici un instantané, pris aux dernières grandes manoeuvres, qui le représente dans un plus simple appareil: vêtu d'un correct et sobre uniforme, le mikado se rend à Tokorozawa, près de Tokio, pour visiter le parc d'aviation militaire. L'héritier de celui que ses sujets nommaient le Fils du Ciel, et qu'ils vénéraient à l'égal d'un dieu, se montre ici sous l'aspect d'un souverain très moderne: le règne de Yoshi Hito marquera une singulière évolution dans les coutumes impériales du Japon.

C'est du Japon également que nous vient la photographie reproduite ci-dessous. Au pays des chrysanthèmes, la fleur nationale est l'objet d'un culte attentif et charmant, qui prend les formes les plus imprévues: dans le parc de Dangosaka. A Tokio, on l'utilise pour figurer, en grandeur naturelle, les héros du vieux théâtre japonais.

A regarder la scène que représente notre gravure, on dirait d'acteurs véritables, tant l'illusion a été habilement obtenue. En réalité, ce ne sont même point des mannequins que de multiples chrysanthèmes, adroitement disposés, habillent de leurs riches couleurs: sans leurs tiges, ces fleurs coupées se faneraient vite. L'art du jardinier se montre ici plus savant: il a réussi à donner aux plantes, taillées par ses soins, et soutenues par d'invisibles armatures, l'apparence humaine. Seules, la tête et les mains des personnages sont sculptées en bois. Tout le reste est chrysanthème. Et, comme les racines plongent dans la terre, la fleur merveilleuse s'épanouit, toujours vivace.


Une fantaisie de l'horticulture nippone.--Plantation et floraison de chrysanthèmes sur des armatures à forme humaine.--phot. K. Sakamoto.



LES LIVRES & LES ÉCRIVAINS

Voyages. Études sociales.



Il existes de par le monde une grandis et riche cité qui est le «Paradis des jeunes filles». Presque toute la vie familiale et sociale y est, en effet, soumise aux exigences de leur plaisir et de leur avenir. «Les mères, effacées de parti pris, les jeunes femmes, tout à leur mari et à leurs enfants, ne comptent pour ainsi dire plus pour le monde. Certains soirs, on n'aperçoit aux premiers rangs des loges des théâtres que de fraîches et ravissantes figures de jeunes filles de seize à vingt ans. Les pièces à succès sont celles qu'elles peuvent entendre, et les impresarii consentent à donner la première place dans leur répertoire aux «oeuvres convenables». Les réunions, les bals, les soirées, les dîners, n'ont pour but que de les amuser, que d'aider le hasard en préparant d'heureuses rencontres qui favoriseront leur mariage. On les voit aux courses, à toutes les fêtes de charité, aux thés des grands hôtels, dans les équipages, promenant dans toutes ces sorties un luxe aussi raffiné que celui de leurs mères, parées déjà comme des femmes, portant bijoux, perles et vraies dentelles. Cette sorte de conspiration unanime qui les entoure de distractions, qui subordonne tout au rayonnement de leurs attraits et les conduit au mariage dans la joie et les plaisirs, semble toute naturelle aux parents, aux aînées déjà mariées et aux amis. Cette royauté incontestée, la certitude où elles sont que, pendant trois ou quatre ans, au moins, elles peuvent être d'adorables despotes, leur donnent une assurance et une aisance qui relèvent encore leur beauté. Et voici, j'en suis sûr, que nombre de nos jeunes lectrices sont impatientes déjà de savoir sous quel ciel se situe cette cité bénie. Le paradis de la jeune fille, mesdemoiselles, c'est Buenos-Ayres, et vous trouverez bien d'autres précieux et charmants détails dans les nouvelles études--qui enchanteront aussi vos parents--de M. Jules Huret sur l'Argentine (De la Plata à la Cordillère des Andes, Fasquelle). Selon sa manière, au cours de ce récent itinéraire, le voyageur a tout noté: les moeurs, la société, la femme, la jeune fille, les paysages, les grandes fermes, les usines à viande et les marchés de la laine et des peaux, les immigrants, et, aussi--car il n'est plus aujourd'hui une terre au monde qui ne souffre de ce mal--les bouffonneries politiques.

Romans et fantaisies littéraires. Le nouveau livre de M. Jules Huret est l'une des rares publications de ce début d'année. La trêve des éditeurs succède à celle des confiseurs. On sort peu de livres nouveaux dans la première quinzaine de janvier. Mais, comme la production de décembre est toujours considérable et que les rubriques bibliographiques d'avant Noël sont plus généralement consacrées aux volumes d'étrennes, les oeuvres de l'année qui finit gardent toute leur valeur d'actualité dans les premières revues des livres de l'année nouvelle. Par exemple, il vous suffira de lire l'extraordinaire préface du Voyage au pays de quatrième dimension, de M. G. de Pawlowski (Fasquelle), pour vous persuader que telles idées exprimées à la fin de 1912 conserveront encore sans doute, dans cent ans d'ici, toute leur savoureuse nouveauté. M. G. de Pawlowski est un précurseur des philosophies d'après-demain. Sous une forme originale et toujours inattendue, M. de Pawlowski accommode le document à la mesure de son esprit. Il nous fait voyager dans le temps et dans l'espace, tout en nous présentant une critique amusée mais bien nouvelle des idées scientifiques contemporaines, et si d'abord vous écoutez avec un peu de stupeur ses propos imprévus sur «l'Ame silencieuse», «les Abstractions d'espaces», sur «le Voyage instantané», sur «l'Escalier horizontal», sur «la Maison plate», sur «la Vision de l'invisible» et sur «les Gares de l'infini», vous vous accoutumez cependant peu à peu à cet enseignement à nul autre pareil, et ne vous lassez point de ces révélations qui ne sont pas simplement le jeu d'un homme d'esprit, mais qui comportent une morale actuelle avec de saines conclusions.

Quand il donne à l'expression de ses idées' la forme romanesque, M. Léon Daudet abandonne un instant la plume ardente du polémiste fougueux. Il a le souci de solidement édifier avec équilibre et méthode; il traite avec une adroite courtoisie sans fanatisme et même sans hostilité préconçue, semble-t-il, tout ce que, dans le domaine social, il veut combattre et abattre. Dans le Lit de Procuste (Fasquelle), l'auteur des Primaires et de la Lutte met en scène un littérateur formaliste, Ludovic Tavel, un littérateur social, Martial Epervent, leurs disciples, leurs manies et leurs deux écoles. Au dilettantisme infécond des uns s'oppose l'illuminisme dangereux des autres qui créent de l'anarchie, de la révolte et de la douleur. Et de ce choc entre le génie inutile et le génie destructeur naît une étincelle de vérité, une pure et vivifiante flamme captée par deux êtres d'amour qui seront les éloquents défenseurs de la tradition et de la race.
Théâtres.


«Critiques auteurs» est un sujet d'actualité piquante qui devait particulièrement tenter M. Robert de Flers. Nul ne pouvait le traiter avec plus d'esprit et d'autorité que ne l'a fait le brillant écrivain dans la préface du dernier volume des Annales du Théâtre et de la Musique,--l'inappréciable publication de notre excellent confrère Edmond Stoullig.

La très originale revue Mil-neuf-cent-douze, que firent jouer en avril dernier, au théâtre des Arts, MM. Charles Muller et Régis Gignoux, vient de paraître (Bernard Grasset); on en savoure complètement à la lecture la fantaisie philosophique.
Divers.


On étonnerait beaucoup de personnes en leur parlant de tremblements de terre dans le bassin de Paris. Ces phénomènes sont pourtant assez fréquents. Depuis 1800, Paris a ressenti 14 secousses, Poitiers 6, Saumur 6, Dijon 7, Angers 7, Bourbonne-les-Bains 4, Plombières 5, Caen 5, le Havre 9. D'ailleurs, aucun de ces séismes ne fut grave; aucun n'affecta la cuvette du bassin de Paris dans son entier. Ces oscillations, appelées sans doute à se renouveler, paraissent en relation étroite avec la géologie de la région sur laquelle M. Paul Lemoine (Géologie du bassin de Paris, Hermann), nous offre une étude très fouillée qu'il a su rendre attrayante.



LA POLICE INTERNATIONALE

A CONSTANTINOPLE

Tandis qu'à Londres les délégués des coalisés balkaniques marchandent à la Turquie les derniers vestiges de son empire en Europe, l'ordre continue de régner à Constantinople. On avait pu redouter un instant qu'une dangereuse effervescence se produisît dans la grande ville cosmopolite. L'histoire nous rappelle, en effet, qu'à diverses époques la population musulmane y manifesta son mécontentement de la tournure des affaires de l'empire par des massacres, surtout de Grecs ou d'Arméniens. Aussi y eut-il une grosse alerte dans les quartiers chrétiens de Constantinople lorsque, le 17 novembre, on perçut les échos des canons de marine qui coopéraient à la défense des lignes de Tchataldja. Mais, déjà, d'accord avec les autorités ottomanes, toutes les dispositions avaient été prises par les commandants des escadres étrangères dans le Levant pour réprimer instantanément, s'il y avait eu lieu, la moindre tentative de désordre et de pillage. En fait, le soin de maintenir l'ordre à Constantinople a été confié à deux officiers généraux français qui disposent à l'heure actuelle des forces internationales de terre et de mer sur le Bosphore, et grâce auxquels se renouent ainsi les anciennes traditions de la France protectrice de la chrétienté dans le Levant.

Son ancienneté de grade a valu à l'amiral Dartige du Fournet la direction des opérations de débarquement et des mouvements de la flotte des puissances. Le général Baumann, qui, avec le titre d'inspecteur général, s'appliquait, avant la guerre, à perfectionner l'organisation de la gendarmerie ottomane et avait pu voir de près en Macédoine les exploits des comitadjis grecs ou bulgares pour lesquels il manifeste assez peu de tendresse, était tout désigné pour prendre la direction du service général de sécurité dans la capitale. Auparavant, lorsque les coalisés se furent emparés de Salonique, il avait réclamé énergiquement et obtenu qu'on lui rendît ses gendarmes non combattants qui, avec leurs officiers européens, se trouvaient alors dans la ville prise et ne pouvaient être traités en prisonniers de guerre. Ces forces de police renvoyées à Constantinople y sont en ce moment fort utiles pour assurer l'ordre à côté des 3.000 marins débarqués depuis le 18 novembre.


       Le général Baumann.--Phot. Apollon.                Le contre-amiral Dartige du Fournet.       

Les deux officiers généraux français qui assurent l'ordre à
Constantinople et sur le Bosphore
.




L.-P. Cailletet. Portrait par Jacques
Weissmann.
(Collection de l'Aéro-Club
de France.
)

UN GRAND PHYSICIEN

M. Cailletet, membre de l'Académie des sciences, président de l'Aéro-Club de France, vient de mourir à l'âge de quatre-vingts ans. Avec lui disparaît un des plus grands physiciens de l'époque, en même temps qu'une des figures les plus originales et les plus sympathiques de la science contemporaine.

Seul, en effet, ou presque seul parmi les membres de l'Institut, M. Cailletet n'avait appartenu à aucun corps officiel; il était maître de forges. Né à Châtillon-sur-Seine (Côte-d'Or) en 1832, il dirigea de bonne heure des usines importantes; faisant marcher de front les recherches scientifiques et l'exploitation commerciale.

En 1877, il s'attaqua à la liquéfaction des gaz jusqu'alors considérés comme permanents: azote, oxygène, hydrogène, oxyde de carbone, méthane. Ces gaz avaient résisté à des pressions de 2.800 atmosphères.

M. Cailletet imagina de les soumettre à une température très basse en même temps qu'il les comprimait. Il constata qu'il existe un point critique, c'est-à-dire un degré de température au-dessus duquel la liquéfaction d'un gaz est impossible, quelle que soit la pression. Ce point critique est -242° pour l'hydrogène. Pour obtenir ces températures extrêmement basses, Cailletet utilisa la détente brusque d'un gaz comprimé lentement sous haute pression. Il réussit ainsi à liquéfier les cinq gaz cités plus haut.

Ces expériences curent un retentissement considérable. Elles apportaient la solution d'un problème scientifique qui avait passionné nombre de physiciens, et elles préparaient de nombreuses applications pratiques. Ce fut, notamment, le point de départ de l'industrie du froid.

Du jour au lendemain, M. Cailletet fut célèbre, et, pour rendre hommage à ses travaux, l'Académie des sciences le nomma membre libre en 1884.

Vers cette époque, l'illustre physicien quittait l'industrie pour s'offrir un repos bien gagné. Il continuait à s'intéresser aux progrès de la science, s'occupant spécialement des questions d'aéronautique dans lesquelles il avait acquis une compétence qui lui valut d'être choisi comme président de l'Aéro-Club de France. Très vert, malgré son grand âge, l'esprit ouvert à toutes les idées modernes, jouissant en sage de l'aisance qu'il avait conquise par son travail, ce Bourguignon de pure race, toujours affable et souriant, apparaissait comme un type accompli du savant français.



DOCUMENTS et INFORMATIONS

Les stations de télégraphie sans fil dans le monde.

D'après le dernier relevé du Bureau international, il existerait actuellement, dans les divers pays du monde, 375 stations côtières de télégraphie sans fil ouvertes au public.

Sur ce nombre, on compte 142 stations aux Etats-Unis, 33 au Canada, 43 en Angleterre, 22 en Allemagne et dans les colonies allemandes, 19 en Italie, 19 en Russie, 17 en France, 10 en Espagne 9 en Danemark, etc.

Dans les colonies on remarque: 5 postes dans l'Afrique française, 3 en Indo-Chine, 2 à Madagascar, 7 au Maroc, 1 à Tunis, 10 dans les Indes Anglaises, 3 à Curaçao, 5 à Fidji, etc.

Pour les postes installés à bord des navires de guerre, les Etats-Unis tiennent encore la tête avec 247 postes. Viennent ensuite l'Angleterre avec 213 postes; la France, 141; l'Allemagne, 112; l'Italie, 77; le Japon, 70; la Russie, 70; l'Autriche, 37, etc.

Sur les navires de commerce, on trouve 455 postes pour l'Angleterre; 253 pour les Etats-Unis; 206 pour l'Allemagne; 68 pour la France; 47 pour l'Italie, etc.

Le rendement du vignoble français en 1912.

L'année 1912 aura été exceptionnellement heureuse pour la viticulture. Le rendement et la qualité de la récolte ont dépassé les prévisions les plus optimistes.

Le vignoble français a subi comme tous les ans les atteintes, variables suivant les régions, de la gelée, de la grêle, du mildiou, de l'oïdium; mais les maladies cryptogamiques n'ont pas produit, malgré une humidité parfois persistante, les effets désastreux que l'on observe généralement dans des conditions atmosphériques semblables; le prix élevé du vin a encouragé les viticulteurs à mieux soigner leurs vignobles et à pratiquer, d'une façon régulière et méthodique, les traitements préventifs.

Les vendanges faites parfois trop hâtivement, par suite d'un temps pluvieux au début, ont pu s'exécuter ensuite pendant une très belle période, qui a permis aux raisins restés sur les souches d'arriver à la maturité nécessaire pour donner au vin du bouquet, de la couleur, du degré et lui assurer une bonne conservation.

Finalement, la récolte, qui devait être d'après certains à peine supérieure à la moyenne, a atteint pour la France, selon M. J.-M. Guillon, inspecteur de la viticulture, auquel nous devons ces précieux renseignements, le chiffre de 59.339.035 hectolitres en 1912, contre 44.885.550 hectolitres en 1911. La production de 1912 est donc de 15 millions d'hectolitres supérieure à celle de 1911 et de 7 millions d'hectolitres au-dessus de la moyenne des dix dernières années, estimée à 52 millions environ.

Les régions les plus favorisées sont celles de la Méditerranée; le Bordelais et la vallée de la Loire comptent aussi parmi les mieux partagés. Quelques départements de l'Est sont à peu près les seuls à présenter un rendement inférieur à 1911. Quant à la récolte de l'Algérie, elle accuse également un notable déficit: elle a été en 1912 de 6.671.181 hectolitres, au lieu de 8.883.667 hectolitres en 1911.

A PROPOS DU RAYONNEMENT VITAL.

En 1908, quelques expérimentateurs eurent l'idée d'appliquer contre leur front ou leur épigastre une feuille de papier manuscrit ou imprimé posée elle-même sur la face émulsionnée d'une plaque photographique; ils obtinrent une reproduction plus ou moins complète, en positif ou en négatif, des caractères que portait la feuille de papier. Ils attribuèrent cette transcription au rayonnement d'un certain fluide vital émanant de l'organisme.

L'hypothèse rencontra d'autant plus de créance dans certains milieux que des expériences «amusantes» tendaient à la confirmer. Si l'on confiait des sachets renfermant une plaque et une feuille de papier convenablement disposées à diverses personnes qui les actionnaient dans des conditions différentes, on constatait au développement des résultats eux-mêmes très variés.

Dès cette époque, M. Guillaume de Fontenay montra qu'on obtenait des transcriptions semblables de caractères manuscrits en utilisant, comme source de chaleur, un bain-marie à 35° ou 40°, ce qui ruinait l'hypothèse d'un rayonnement vital nécessaire pour produire le phénomène.

Toutefois, M. de Fontenay n'avait pu obtenir la transcription de caractères imprimés. Ses nouvelles expériences, signalées à l'Académie des sciences par M. d'Arsonval, éclairent singulièrement la question.

Le phénomène paraît subordonné à un assez grand nombre de facteurs physiques et chimiques, parmi lesquels il faut citer d'abord la durée du contact et la température.

D'autre part, les encres à écrire et les encres typographiques agissent sur les plaques sensibles de façons différentes, suivant la composition chimique de ces encres, et aussi suivant l'état de division moléculaire qui leur est communiquée par le papier où on les a déposées. Certaines encres se transcrivent toujours en positif, d'autres se transcrivent toujours en négatif. Nombre d'encres typographiques sont à peu près inactives dans les circonstances ordinaires de l'expérimentation; un trait de plume peut se transcrire partiellement en négatif et partiellement en positif, selon que la plume, ici ou là, a déposé plus ou moins de liquide, ou selon qu'elle a plus ou moins égratigné l'encollage superficiel du papier et incorporé l'encre à la fibre même de la pâte. Si le métal de la plume est attaqué par l'encre, la transcription est modifiée; si l'on emploie des émulsions couchées sur celluloïd, on se heurte souvent à des phénomènes électriques.

Dans un autre ordre d'idées, il faut remarquer que la transpiration varie beaucoup d'un individu à l'autre. En outre, chez la même personne, au même instant, elle est en général acide au visage et au creux de l'aisselle, alcaline au pli de l'aine. Elle diffère énormément suivant la nourriture, l'état de maladie ou de santé. On doit donc se défier à l'extrême de toute observation faite au moyen de sachets actionnés par un organisme vivant: la transpiration joue alors un rôle dont il est difficile de déterminer le sens et l'ampleur.

M. de Fontenay conclut qu'il n'a pu déceler l'intervention d'aucun rayonnement nouveau et qu'il n'a jamais rencontré d'effet qui ne pût être attribué légitimement à une réaction chimique des corps mis en présence.

Utilité des serins pour éviter l'asphyxie.

On a jadis proposé d'utiliser la souris pour nous éviter l'asphyxie par l'oxyde de carbone. Ce gaz éminemment dangereux est, en effet, peu sensible aux réactifs chimiques, et l'on n'a pas encore trouvé de moyen simple et pratique pour constater sûrement sa présence dans l'air que nous respirons.

M. Burrell a été chargé par le Bureau des mines des Etats-Unis d'étudier l'influence de l'oxyde de carbone sur les petits animaux. Il conclut à la sensibilité extrême du canari:

Voici, d'ailleurs, le résumé de ses observations sur la souris et sur le canari.

Souris: 0,16 d'oxyde de carbone contenu dans l'air, très léger malaise au bout d'une heure; 0,20, malaise en 8 minutes; 0,31, malaise en 4 minutes; 0,46, malaise en 2 minutes; 0,57, malaise en une minute; mort en 16 minutes; 0,77, malaise en une minute, mort en 12;5 minutes.

Canari: 0,09, très léger malaise au bout d'une heure; 0,15, malaise en 3 minutes; tombe de son perchoir au bout de 8 minutes; 0,20, malaise en 1,5 minute; tombe de son perchoir en bout de 5 minutes; 0,29, tombe de son perchoir en 2,5 minutes.

Le serin serait donc l'accessoire hygiénique indispensable de tout poêle à combustion lente.

M. Burrell propose de l'employer pour explorer l'air des mines après explosion.

La pluie à Paris.

Les météorologistes sont fort divisés au moins sur une question: celle de l'augmentation de la fréquence de la pluie en nos régions. Les uns estiment, avec le bon peuple, qu'il pleut plus en France qu'autrefois; d'autres affirment que la moyenne n'a pas sensiblement changé.

Nous signalions, il y a quelque temps, l'opinion de M. Camille Flammarion à cet égard. Notre éminent collaborateur a fait un relevé des pluies à Paris depuis le règne de Louis XIV; il conclut à une augmentation, augmentation bien marquée surtout depuis le début du dix-neuvième siècle, époque à laquelle ont commencé les mesures pluviométriques bien précises.

M. Angot, directeur du Bureau central météorologique, n'est point de cet avis.

M. Flammarion a pris les chiffres fournis par le pluviomètre de l'observatoire de Paris jusqu'en 1872; à partir de là, il s'en rapporte aux chiffres de l'observatoire de Montsouris, estimant que les conditions restent à peu près les mêmes.

Or, d'après M. Angot, l'augmentation apparente de pluie résulte de ce changement de station. La comparaison des observations faites au cours des trente dernières années montre que la quantité de pluie tombée à Montsouris est d'environ un dixième supérieure à celle recueillie à Paris.

M. Angot établit un relevé de 1806 à 1910 en prenant uniquement les chiffres de l'observatoire de Paris. Ce relevé donne, pour la pluie tombée dans la capitale, une moyenne générale de 510 millimètres par an. Pendant le premier tiers de cette période, la moyenne ressort à 502 millimètres; pendant le second, elle s'élève à 521; pendant le dernier tiers, c'est-à-dire pendant les trente dernières années, elle retombe à 508.

M. Angot conclut que, contrairement aux affirmations de M. Flammarion, il n'y a aucune apparence d'augmentation progressive de pluie à Paris depuis 1880.

Ce désaccord des deux savants sur une question assez simple est un peu troublant. La vérité ne serait-elle pas que, finalement, il ne tombe guère plus d'eau à Paris qu'autrefois, mais... qu'il pleut ou qu'il «brouillasse» plus souvent.



L'ATTITUDE DU DISCOBOLE

La méthode française d'éducation physique préconisée par M. le lieutenant de vaisseau Hébert, que nous avons été des premiers à signaler dans ce journal (numéro du 13 avril 1912). et qui bénéficie aujourd'hui d'une vogue méritée, a donné un intérêt, si l'on peut dire, actuel, à la célèbre statue du Discobole antique: on sait que le «lancer» du disque est un des huit exercices naturels «indispensables» indiqués par cette méthode. Sur l'attitude du Discobole, qu'a reproduite si heureusement le lieutenant de vaisseau Hébert, M. le commandant R. Debax, ancien instructeur à l'école de gymnastique de Joinville-le-Pont, nous adresse ces lignes illustrées de croquis probants:


Position initiale.                                              Position finale.                                                      
comment le dictionnaire LAROUSSE a interprété le geste du discobole antique

Dans le grand dictionnaire Larousse, à l'article Discobole, on lit:

«Discobole lançant le disque, ou Discobole en action, statue antique au palais Massimi, à Berne. Le corps incliné et appuyé sur la jambe droite placée en avant, le Discobole porte la main gauche sur le genou droit et élève en arrière, plus haut que la tête, la main droite qui tient le disque. Cette attitude a été imaginée pour donner au disque la plus forte impulsion possible. Ce n'était qu'après avoir balancé le bras plusieurs fois et lui avoir fait décrire plusieurs tours, presque circulairement, que le Discobole lâchait le disque qui partait en sifflant. En même temps qu'il ramenait ainsi une dernière fois le bras droit en avant il retirait la main gauche et son corps se redressait vivement comme la corde d'un arc détendu.»

A l'appui de son explication, l'auteur de la notice cite des textes latins qui, probablement, sont sujets à controverses. Nous nous garderons bien de le suivre sur ce terrain. Et nous nous fonderons sur l'expérience et sur le mouvement de la statue pour contester cette interprétation.

Si le disque était lancé comme l'indique Larousse, la force de projection serait produite par le mouvement de rotation du bras droit, suivi de l'extension du corps tout entier prenant appui sur la seule jambe droite, extension favorisée d'ailleurs, par une légère rotation du buste de droite à gauche. L'ensemble du mouvement ne paraît pas suffisant pour donner l'impulsion nécessaire au disque, et nous pouvons affirmer que pas un de nos athlètes modernes n'opère de cette façon.

Il est d'ailleurs fort probable que, dans ce cas, le disque devant être lancé en avant de la statue, le Discobole aurait eu malgré lui le regard fixé dans cette direction, c'est-à-dire droit devant lui.

Or, c'est précisément le contraire. Le Discobole a, d'une façon indiscutable, le regard dirigé en arrière de lui.

On a prétendu qu'il regardait son bras droit pour voir si le disque était bien placé dans sa main. Il est bien plus naturel de penser que le Discobole regarde le but et, si l'on admet cette manière de voir, le mouvement de la statue s'explique très facilement et se décompose comme l'indiquent les croquis ci-dessous.

Faisant d'abord face au but ou à la direction (position initiale), le pied gauche en avant, le pied droit en arrière et près du précédent, le bras droit tendu horizontalement, le Discobole pivote ensuite sur le pied droit, fait face en arrière en portant le poids du corps sur la jambe droite, le genou gauche se plaçant contre le droit, le pied gauche ne faisant que se soulever en pivotant sur le gros orteil. En même temps, il se baisse légèrement et exécute un mouvement de torsion très prononcé du, buste autour du bassin de gauche à droite. Le bras droit reste tendu et le disque vient se placer à hauteur de l'endroit où il va être abandonné à la fin du mouvement suivant (position de la statue).

Immédiatement après, par un mouvement de réaction, le Discobole, pivotant sur les deux pieds, fait face à la direction primitive en imprimant au buste un mouvement violent de torsion de droite à gauche qui, par l'intermédiaire du bras, donne l'impulsion au disque à la façon d'une fronde. Le disque est abandonné au moment où il se trouve dans la direction. Par suite de l'impulsion communiquée au corps, le pied droit se porte généralement en avant du gauche. Compris de cette manière, le lancement du disque exige une grande coordination dans les mouvements. C'est le triomphe de l'adresse unie à la force et c'est ce symbole qu'a voulu exprimer le statuaire antique.
R. Debax.



Position initiale.
Le discobole fait face à la direction.
Position intermédiaire (celle de la statue).
Le discobole a pivoté et fait face en arrière.
Position finale.
Le discobole revient face en avant et abandonne le disque.

COMMENT LE DISCOBOLE ANTIQUE LANÇAIT LE DISQUE, D'APRÈS L'ÉCOLE DE JOINVILLE-LE-PONT



LA CEINTURE DE PARIS

APRÈS LA DÉMOLITION DES FORTIFICATIONS (Voir les projets, page 20.)

«A la place des vilaines murailles des fortifications qui entourent Paris, on voyait un beau parc ininterrompu où les arbres, les arbustes et les fleurs faisaient à notre ville une ceinture de santé et de beauté aussi; songez donc, 35 kilomètres de pelouses, avec ponts rustiques, cascatelles et ruisselets, toute une longue série de paysages au pastel; Paris vêtu et couronné de toutes les roses et de toutes les fleurs était salué comme la reine souveraine du monde.

Vivant au milieu de cette belle fête des yeux et de l'esprit, les hommes devenaient meilleurs, les femmes plus jolies.

Si mon rêve vous agrée et si vous voulez en commencer la réalisation, beaux conseillers, ne vous endormez pas.»

Ainsi rêvait, en ouvrant, en 1909, la première session ordinaire du Conseil municipal de Paris, M. Lampué, doyen d'âge de cette laborieuse assemblée où, comme on voit, les soucis budgétaires ou politiques n'ont point atrophié la fibre poétique.

Ce rêve sera bientôt une réalité. Sur le rapport de M. Louis Dausset, récemment élevé à la présidence du Conseil municipal, nos édiles viennent d'approuver le contrat passé entre l'État et la Ville de Paris pour l'aliénation de l'enceinte fortifiée. La sanction législative ne saurait tarder.

Cette convention, dont nous n'avons pas le loisir d'examiner les détails, peut se résumer ainsi:

1° Acquisition par la Ville, en un seul et unique lot, de la totalité de l'enceinte fortifiée, moyennant un prix de 100 millions payables par annuités, par paiements échelonnés;

2° Maintien sur la zone militaire de la servitude non oedificandi, pour cause d'hygiène et de salubrité publiques;

3° Expropriation des terrains de cette zone, devenue zone sanitaire en vue de la création d'espaces libres, parcs et terrains de jeux;

4° Annexion à Paris des terrains expropriés.

Il y a plus de trente ans que s'est posée pour la première fois la question de la suppression de l'enceinte fortifiée de Paris; la divergence des intérêts ou même des simples opinions en présence rendait la solution fort difficile. Grâce à l'énergie persévérante de M. Dausset et de son collègue, M. Chérioux; grâce à l'esprit libéral de MM. Klotz et Millerand, la solution intervenue apparaît comme la plus logique et la plus satisfaisante à tous égards. La désaffectation de l'enceinte fortifiée n'est plus considérée, ni par la Ville, ni par l'État, comme un prétexte à spéculations immobilières, on l'envisage avant tout comme un moyen de doter Paris et sa banlieue des champs d'air et de lumière devenus indispensables à leur hygiène et à leur santé.

Nos plans de la page 20, empruntés à un travail de M. Dausset, donnent une idée exacte de la transformation que va subir la ceinture de Paris.

Actuellement, l'espace libre des fortifications et de la zone qui entoure la capitale présente environ 380 mètres de profondeur: 130 mètres de fortifications et 250 mètres de zone frappée d'une servitude non oedificandi, c'est-à-dire où les propriétaires du sol ne sont autorisés à élever que des constructions précaires, pouvant être démolies à première réquisition.

Le terrain occupé par les fortifications, après avoir été mis au niveau des boulevards actuels, sera loti pour l'édification d'immeubles de rapport groupés entre deux larges boulevards circulaires, le boulevard extérieur étant flanqué d'un chemin de ronde et d'une grille pour garantir le fonctionnement de l'octroi.

Les terrains de la zone, formant un total de plus de 500 hectares, seront aménagés en espaces libres, tels que parcs publics, pelouses ou terrains de jeux; M. Dausset prévoit onze grands parcs entourés de grilles. «Aucune portion ne pourra être distraite en vue d'y élever des constructions, si ce n'est pour l'établissement des édifices nécessaires à la surveillance et à l'utilisation de ces espaces libres, lesquelles constructions ne pourront, dans leur ensemble, occuper une superficie de plus d'un vingtième desdits espaces et devront être réparties également sur l'ensemble de la zone à aménager.»

On a objecté que la zone n'offre pas une largeur suffisante pour y dessiner des parcs intéressants. Or, le parc Monceau, considéré avec raison comme un des plus beaux spécimens de l'art des jardins, ne mesure pas plus de 250 mètres dans sa plus grande largeur. C'est précisément celle de la zone.

Ajoutons que la Ville de Paris s'est engagée à prélever 4% sur l'ensemble des terrains à provenir de l'enceinte fortifiée, pour les affecter exclusivement à la construction d'habitations à bon marché.

Combien de temps exigeront les travaux destinés à modifier si heureusement l'aspect des abords de la capitale? Il serait téméraire de hasarder des chiffres.

La remise à la Ville, par tronçons successifs, des terrains déclassés; la démolition du mur d'enceinte, le nivellement général du sol, demanderont plusieurs années. L'expropriation des terrains de la zone qui forment une surface de 4.962.000 mètres carrés répartis entre un nombre considérable de propriétaires sera sans doute encore plus laborieuse; on a prévu, pour la mener à bien, un délai maximum de trente-huit ans.

Faisons toutefois crédit à la diligence de l'administration et souhaitons qu'entre les maisons dites «à bon marché» et les immeubles pour pseudo-millionnaire on voie pousser, baignés d'air et entourés de verdure, de modestes mais riants cottages pour simples bourgeois. Et s'il paraît audacieux d'admettre, comme M. Lampué, que la suppression des fortifications rendra les hommes meilleurs et les femmes plus jolies, espérons du moins qu'elle contribuera à enrayer un instant la hausse démesurée des loyers parisiens et, peut-être, aussi, à améliorer les moeurs de messieurs les apaches.
F. Honoré.



LA NAVIGATION SUR L'OUED SEBOU

On a dit maintes fois combien il serait important de pouvoir utiliser l'oued Sebou pour les transports de matériel de guerre et de marchandises, de la côte à Fez. Malheureusement, le fleuve est peu navigable, presque à sec par endroits en été, démesurément grossi en hiver, coupé de nombreux seuils. Pourtant, l'an dernier, grâce à des prodiges d'énergie, d'adresse, de persévérance, l'enseigne de vaisseau Le Dantec parvint, en un voyage d'un mois (24 décembre 1911-30 janvier 1912), à le remonter avec un canot automobile jusqu'au pont de Fez, à 5 kilomètres de la capitale chérifienne.

Cette exploration devait donner un résultat pratique, puisqu'elle a amené une compagnie, l'Omnium français, à étudier et à construire un bateau à vapeur spécialement aménagé pour cette difficile navigation.


La navigation fluviale au Maroc.--Le premier vapeur qui ait remonté l'oued Sebou:
la canonnière Sebou à Bel Ksiri.

Le Sebou, c'est le nom qu'elle a donné à ce bateau, l'aîné d'une flottille qu'il faut souhaiter de voir devenir nombreuse, effectue en ce moment son premier voyage, et déploie sur l'oued si fantasque le pavillon français. C'est une sorte de canonnière très légère, ne calant pas plus de 80 centimètres à l'arrière, ce qui lui permettra de franchir sans trop de difficultés les hauts fonds. Au 24 décembre dernier, le Sebou était à Bel Ksiri où fut prise la photographie que nous reproduisons. Il a depuis continué, et, aux dernières nouvelles, avait atteint Souk el Djema, à 120 kilomètres environ de Méhédya.

Un ingénieur, M. Turgan, est à la tête de cette entreprise. Le directeur technique de la navigation, le «capitaine d'armement» si l'on veut, est M. Le Peillon, à qui une longue pratique des rivières indo-chinoises a donné une expérience précieuse.



UNE MÉDAILLÉE DE LA GUERRE

C'est un document émouvant, évocateur d'une époque déjà lointaine, que cette photographie d'une famille de soldats, prise quelques années après la guerre. Celle qui y figure aux côtés de son mari et de ses enfants, Mme Gombert, vient de recevoir la médaille de 1870, à Rodez, dans une touchante cérémonie, comme il y en a eu tant en France ces temps derniers, qui réunissait d'anciens combattants de l'Année terrible, Mgr de Ligonnès, évêque de. Rodez, alors capitaine des mobiles de la Lozère, le contre-amiral et le général Boisse, le général Joubert, et, leur doyen à tous, un beau vieillard de quatre-vingt-sept ans, M. Vidal.


Une femme médaillée de 1870: Mme Gombert,
ancienne cantinière, et sa famille.

(D'après une photographie faite quelque temps après la guerre.)

Mme Gombert, qui portait crânement l'uniforme de cantinière, fit la campagne avec son mari, soldat au 3e bataillon de chasseurs à pied; elle emmenait dans sa voiture ses trois enfants en bas âge, qu'elle n'avait pas voulu quitter. Blessée sur le champ de bataille de Rezonville, la courageuse femme fut recueillie à l'hôpital de Metz; elle y demeura jusqu'à la reddition de la place, et partagea ensuite la captivité de l'armée. Le bel exemple d'énergie française qu'elle a donné devait avoir sa récompense. Il ne manque désormais à cette vaillante, femme et mère de soldats--ses deux fils ont été retraités comme adjudants--que la médaille militaire.



THÉÂTRES

L'Opéra s'est honoré en remontant avec des soins exceptionnels le grand drame lyrique de M. Vincent d'Indy, Ferval. Créé à la Monnaie de Bruxelles en 1897, il avait eu, l'année suivante, une série de représentations à l'Opéra-Comique; on ne l'avait pas rejoué depuis. M. Vincent d'Indy a choisi son héros parmi ceux qui empruntent à la légende et aux anciennes traditions nationales leurs valeurs symboliques (car, fidèle au principe wagnérien, il a lui-même composé le livret de ses oeuvres); il a enveloppé son poème d'une musique qui est d'un raffinement, d'une richesse, d'une habileté, d'une beauté technique extraordinaires. M. Muratore et Mlle Bréval ont brillamment tenu la tête d'une interprétation remarquable. M. Messager lui-même, aux premières représentations de cette reprise, s'est fait un devoir de conduire l'orchestre.

Signalons, à la Comédie-Royale, une comédie--fort légère--de MM. André Sylvane et Mouezy-Eon: les Samedis de monsieur, et une piquante petite revue de M. Jean Bastia: Ce qu'il ne faut pas taire.



LES CENTENAIRES DU CONSCRIT, par Henriot.


(Agrandissement)








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1913, by Various

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electronic work or group of works on different terms than are set
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both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

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effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
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property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
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that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
[email protected].  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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