The Project Gutenberg EBook of Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face, by Sainte Thérèse de Lisieux This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face Histoire d'une âme écrite par elle-même Author: Sainte Thérèse de Lisieux Release Date: July 11, 2011 [EBook #36708] [Last updated: December 7, 2020] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK SOEUR THÉRÈSE *** Produced by Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)
TABLE DES MATIÈRES | TABLE DES GRAVURES |
Conformément au décret du Pape Urbain VIII, nous déclarons que les titres de Saint ou de Vénérable qui, dans le cours de cet ouvrage, s'appliqueraient à des personnes sur lesquelles la sainte Eglise ne s'est pas prononcée, n'ont qu'une valeur purement humaine et privée.
De même, dans les différents portraits de la servante de Dieu que nous avons publiés, comme dans l'exposé des événements et des grâces extraordinaires qui sont rapportés, nous n'entendons pas prévenir le jugement du Souverain Pontife, auquel nous nous soumettons sans réserve.
O Mon Dieu, Votre amour m'a prévenue dés mon enfance, il a grandi avec moi et maintenant c'est un abîme dont je ne puis sonder la profondeur.
IMPRIMATUR:
A. QUIRIÉ, vic. gen.
Bajocis, 18ª Februarii 1911.
————
TOUS DROITS RÉSERVÉS
————
EN VENTE AUX ADRESSES SUIVANTES
Carmel de LISIEUX (Calvados). | |
Librairie Saint-Paul, PARIS 6, rue Cassette. |
Imprim. St-Paul, BAR-LE-DUC 36, Boulevard de la Banque. |
LETTRE
DE
Sa Grandeur Monseigneur Lemonnier,
ÉVÊQUE DE BAYEUX ET LISIEUX
Bayeux, le 2 février 1909.
Ma Révérende Mère,
J'approuve votre dessein de faire une nouvelle édition de la Vie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face. Vous savez comme moi combien de faits merveilleux semblent montrer que le bon Dieu veut mettre en lumière cette petite fleur du Carmel qui s'est épanouie dans votre cloître, puis a été cueillie vite pour être transplantée au Ciel.
Elle a été, suivant l'expression de l'Apôtre, la bonne odeur de Jésus-Christ. Que son parfum mystique embaume beaucoup d'âmes!
Je vous bénis, ma Révérende Mère, et je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments paternellement dévoués en Notre-Seigneur.
† THOMAS,
Ev. de Bayeux et Lisieux.
LETTRES
DE
SON ÉMINENCE LE CARDINAL GOTTI
Préfet de la Sacrée Congrégation de la Propagande.
J. † M.
Rome, le 5 janvier 1900.
Ma Très Révérende Mère,
Le magnifique exemplaire de l'Histoire d'une ame qui m'avait été adressé pour être offert à Notre Saint-Père le Pape Lui a été remis samedi, 30 décembre dernier.
Sa Sainteté, qui a voulu en prendre connaissance sur-le-champ, a prolongé sa lecture pendant un temps notable avec une satisfaction marquée, et m'a chargé de vous écrire en son nom, pour vous dire qu'Elle agrée cet hommage de votre piété filiale, et vous donne, ainsi qu'à votre Communauté, la Bénédiction apostolique.
En m'acquittant aujourd'hui de l'agréable mission qui m'est confiée par Sa Sainteté, je suis heureux de pouvoir vous exprimer en même temps, ma très Révérende Mère, ma vive gratitude pour le riche exemplaire du même ouvrage que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Ce que j'en ai pu voir m'a paru si attachant, que j'attends les premières heures de loisir pour en achever la lecture.
Veuillez agréer l'expression du religieux respect avec lequel j'ai la satisfaction de me dire, Très Révérende Mère,
De votre Révérence
le tout dévoué en Notre-Seigneur.
Fr. Jérome-Marie, Card. GOTTI.
Rome, le 19 mars 1900.
Ma Très Révérende Mère,
J'ai reçu, avec un sentiment de vive gratitude, le riche coffret et son précieux contenu[1], que vous avez eu la bonté de m'adresser. Cette attention délicate m'a d'autant plus touché que votre Révérence et sa communauté ont dû faire un grand sacrifice en se dépossédant en ma faveur de ces souvenirs de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face, qui leur sont si justement chers.
Je les ai montrés au Très Révérend Père Général des Carmes déchaussés, et nous avons pensé qu'il convenait de les garder dans la caisse de la Postulation des Causes de nos Vénérables. C'est là qu'ils seront mieux sauvegardés, et l'on sera heureux de les y trouver, s'il plaît à Dieu de glorifier un jour sa fidèle servante, en lui faisant décerner les honneurs d'un culte public dans son Eglise.
Veuillez agréer, ma Révérende Mère, avec l'hommage de mon religieux dévouement, l'expression de ma vive gratitude.
Votre tout dévoué en Notre-Seigneur.
Fr. Jérome-Marie, Card. GOTTI.
LETTRE
DE
Son Eminence le Cardinal Amette,
ARCHEVÊQUE DE PARIS
Alors Evêque de Bayeux et Lisieux.
ÉVÊCHÉ
DE
BAYEUX
24 mai 1899.
Ma Révérende Mère,
L'esprit-Saint a dit que «s'il est bon de cacher le secret du roi, c'est rendre honneur à Dieu que de révéler et de publier ses œuvres».
Vous vous êtes sans doute souvenue de cette parole lorsque vous avez résolu de donner au public l'Histoire d'une ame. Dépositaire des secrets intimes de votre fille bien-aimée, Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, vous n'avez pas cru devoir garder pour vous seule et pour vos Sœurs ce qu'elle n'avait écrit que pour vous. Vous avez pensé, et de bons juges avec vous, qu'il serait glorieux à Notre-Seigneur de faire connaître les opérations merveilleuses de sa grâce dans cette âme si pure et si généreuse.
Vos espérances n'ont pas été trompées, la rapidité avec laquelle s'est épuisée la première édition de votre livre le montre assez.
Les parfums tout célestes qu'exhalent les pages écrites par votre angélique enfant ont ravi les âmes admises à les respirer, et en ont sans nul doute attiré plus d'une à la suite de l'Epoux divin.
Je demande à Notre-Seigneur de donner une bénédiction semblable et plus abondante encore à la nouvelle édition que vous préparez, et je vous prie d'agréer, ma Révérende Mère, l'expression de mon religieux et paternel dévouement.
† Léon-Adolphe,
Evêque de Bayeux et Lisieux.
LETTRE
DE
Monseigneur Jourdan de la Passardière,
ÉVÊQUE DE ROSÉA
Paris, 12 mars 1899.
Ma Révérende Mère,
Vous avez bien voulu m'envoyer l'Histoire d'une ame écrite par elle-même, et voici ma pensée sur ses pages si attachantes dans leur surnaturelle et lumineuse simplicité:
Il est impossible de lire ces pages sans y toucher du doigt, en quelque sorte, la palpable réalité de la vie surnaturelle, et rien ne vaut, aujourd'hui surtout, une telle prédication.
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, dans une des pages les plus éloquentes sorties de sa plume, se représentait son Epoux divin comme un aigle qui venait fondre sur elle des hauteurs du Ciel et l'emportait dans la lumière et dans la flamme, vers la patrie des clartés sans ombres et sans déclin.—Or, il me semble que déjà deux grands aigles de la sainteté, en l'abritant sous leurs puissantes ailes, l'avaient préparée à monter vers ces hauteurs: ce sont sainte Thérèse et saint François d'Assise; et il est difficile de n'être pas frappé des similitudes qui rapprochent cette enfant de ces deux âmes vraiment séraphiques, ainsi que l'Eglise se plaît à les appeler l'une et l'autre dans son incomparable langage.
Sainte Thérèse, «la fleur et la gloire du Carmel: flos et decor Carmeli», ne revit-elle pas dans votre «petite fleur»? C'est la même atmosphère de forte et rayonnante piété dans sa vie de famille, quand sa mère s'endort en bénissant ses enfants, comme le fit celle de sainte Thérèse, les confiant, à l'heure de sa mort, à la Reine du Ciel, et que son père, avec une énergie de foi qui rappelle celle des Saints des jours antiques, donne quatre filles au Carmel, avec une joie qui le transfigure au travers de ses larmes.—C'est dans l'âme elle-même de l'enfant privilégiée de la grâce une ardeur incroyable pour tout ce qui est grand, noble et pur. La flamme de l'apostolat s'est allumée dans ce cœur de quinze ans, et le consume; elle ne veut respirer, vivre et souffrir que pour l'Eglise, et en particulier (signe caractéristique de sainte Thérèse et de ses filles) pour la sanctification des prêtres. Sans cesse, la pensée de cette œuvre par excellence est vivante et ardente dans ses paroles toutes brûlantes de charité, dans son attrait pour les missions lointaines, dans sa dévorante passion pour la conquête des âmes et pour le martyre de l'amour divin, à défaut de celui où elle pourrait verser son sang.
Et le séraphique saint François d'Assise, qui apparut plus d'une fois à sainte Thérèse pour l'encourager dans sa réforme du Carmel, ne revit-il pas, lui aussi, dans cette nature si délicate et si pure, éprise d'admiration et de tendresse pour toute la création qui lui parle de l'éternelle beauté, aimant le soleil et la neige, les oiseaux et les fleurs; souriant encore, sur son lit de mort, à un petit oiseau qui vient chanter dans sa cellule un dernier cantique, et mêlant aux plus ardentes paroles de l'amour divin un souvenir attendri pour sa famille de la terre, et la maison où s'écoulèrent les années de son enfance?
N'eussiez-vous pas pu chanter sur sa tombe virginale cette strophe de l'une des hymnes de la liturgie franciscaine du 4 octobre, jour de son inhumation: «Dans le jardin de roses des saints, une nouvelle fleur s'est épanouie»?
Suivons donc par la pensée et les saints désirs, l'âme de notre chère enfant, là où les grands aigles qui l'ont prise sur leurs ailes l'ont emportée dans les éternelles splendeurs: «Sicut aquila provocant ad volandum pullos suos, extendit alas suas et assumpsit eos.»—Ne pouvons-nous pas lui redire: «Vous êtes bienheureuse, vous que le Seigneur a choisie et élevée jusqu'à lui; vous habitez dans ses tabernacles»?—Maintenant: «Attirez-nous vers vous», afin que nous ne vivions aussi nous-mêmes que pour Jésus, l'Eglise et les âmes, les membres attachés à la croix que le Seigneur nous a choisie, mais le cœur en haut et les yeux au ciel pour y chercher la radieuse vision de la Face de Dieu.
Agréez, je vous prie, ma Révérende Mère, tous mes respectueux et dévoués sentiments en Notre-Seigneur.
† F.-J. Xavier,
Evêque de Roséa.
LETTRE
DU
T. Rme Père Bernardin de Sainte-Thérèse,
Général des Carmes Déchaussés.
J. † M.
P. C.
Rome, Corso d'Italia, 39,
31 août 1899.
Ma Très Révérende Mère,
Que je suis reconnaissant envers votre Révérence de ce qu'elle a eu la bonté de me faire envoyer cette ravissante «Histoire d'une ame»! L'on ne saurait parcourir ces pages sans se sentir remué jusqu'au fond de l'âme par le spectacle d'une vertu si simple, si gracieuse et en même temps si élevée et si héroïque.
Il faut que Notre-Seigneur chérisse singulièrement votre Carmel pour lui avoir fait don d'un tel trésor. Il est vrai que cet ange terrestre n'a fait, pour ainsi dire, que s'y montrer un instant, tant il avait hâte d'aller rejoindre ses frères du Ciel et de se reposer sur le Cœur de son unique Amour; mais le cloître qui a eu le bonheur de l'abriter reste embaumé du parfum et éclairé de la trace lumineuse qu'il laisse après lui.
Vous avez cru, ma Très Révérende Mère, que votre Carmel ne devait pas être seul à respirer ce parfum; que cette lumière si brillante et si pure ne pouvait rester cachée dans l'étroite enceinte d'un monastère, mais qu'elle devait étendre au loin son rayonnement bienfaisant: six mille exemplaires enlevés en l'espace d'un petit nombre de mois disent assez que vous ne vous êtes point trompée. Je me suis réjoui en apprenant qu'une nouvelle édition se préparait: elle aura, sans nul doute, le même succès que les précédentes. S'il m'était permis d'exprimer ici un vœu, ma Très Révérende Mère, je demanderais que des plumes exercées s'essayassent bientôt à rendre, en plusieurs langues, la grâce presque inimitable de celle qui a écrit l'Histoire d'une âme: l'Ordre du Carmel tout entier serait ainsi mis en possession de ce que je regarde comme un précieux joyau de famille.
Veuillez agréer, ma Très Révérende Mère, avec la nouvelle expression de ma vive gratitude, l'hommage du religieux respect avec lequel j'ai l'honneur de me dire
De votre Révérence
l'humble serviteur en Notre-Seigneur.
Fr. Bernardin de Sainte-Thérèse,
Préposé général des Carmes Déchaussés.
LETTRE
DU
Révérendissime Père Godefroy Madelaine,
Abbé des Prémontrés de Saint-Michel de Frigolet (Bouches-du-Rhône)[2].
Abbaye de Mondaye (Calvados), Vendredi Saint, 8 avril 1898.
Ma Révérende Mère,
Vous avez à plusieurs reprises sollicité de moi un mot qui pût être comme le passeport de cette biographie d'une de vos filles, auprès de ceux qui la liront. A vrai dire, je n'ai ni titre ni qualité pour vous le donner; mais comment pourrais-je refuser de vous dire tout haut que la première lecture du précieux manuscrit me charma, et que la seconde me laisse dans un ravissement inexprimable? Cette double impression, j'ose le prédire, sera éprouvée par tous ceux qui feront connaissance avec l'Histoire d'une ame.
Ce livre, en effet, est de ceux qui se recommandent par eux-mêmes. De la première ligne à la dernière, on y respire une atmosphère qui n'est plus celle de notre milieu terrestre. La chère petite sœur Thérèse aime tout ce qui lui offre un reflet de l'immatérielle Beauté de Dieu. Elle aime sa famille d'abord; elle aime la belle nature, les fleurs, les oiseaux, la goutte de rosée, la neige, le soleil, le ciel étoilé, «les espaces infinis»; elle aime les pécheurs, véritables enfants prodigues du Père céleste; elle aime Jeanne d'Arc, la libératrice de la patrie; elle aime la Vierge Immaculée; surtout elle aime d'amour pur, Jésus, son immortel Epoux.
Il y a là des pages si vivantes, si chaudes, si suggestives qu'il est presque impossible de n'en être pas saisi. On y trouve une théologie que les plus beaux livres spirituels n'atteignent que rarement à un degré aussi élevé. En les parcourant, nous ne pouvions nous défendre de penser à la Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même. Même ton, même accent de simplicité, et parfois même profondeur. Si l'envolée de notre petite Sœur est moins puissante, si son coup d'aile est moins vigoureux que celui de la grande sainte d'Avila, on admire dans le récit de Sœur Thérèse une candeur d'enfant, une exquise naïveté jointe à une rare maturité de jugement, un fini de pensée et souvent de style qui charment l'esprit et qui vont droit au cœur.
N'est-ce pas merveille de voir comment une jeune fille de vingt et quelques années se promène avec aisance dans le vaste champ des Ecritures inspirées, pour y cueillir, d'une main sûre, les textes les plus divers et les mieux appropriés à son sujet? Parfois elle s'élève à des hauteurs mystiques surprenantes; mais toujours son mysticisme est aimable, gracieux et tout évangélique.
Il y a telle page sur l'Evangile, sur la Vierge Marie, sur la charité que pourrait signer un écrivain de race. Qu'elle raconte en prose l'histoire de son enfance et de sa vocation, ou qu'elle chante en vers ravissants l'amour de Dieu, le ciel, l'Eucharistie, elle est constamment poète, et poète du meilleur aloi. Il se peut que les règles de la prosodie ne soient pas toujours fidèlement gardées dans ces poésies improvisées; en revanche, on y sent passer un souffle d'une élévation extraordinaire.
Soulevée par l'ange qui passe près d'elle, l'âme secoue sa poussière, et s'élève doucement vers l'idéal, je veux dire vers le Dieu qui est l'éternel Amour. A lire cette suave histoire ou ces poésies si pures, vous vous croiriez volontiers devant une fresque de Fra Angelico; pour me servir d'une gracieuse expression de notre Sœur elle-même, vous croiriez entendre «une mélodie du ciel». Bref, je défie un esprit droit et pur de parcourir ces pages intimes sans se sentir pressé de devenir meilleur. N'est-ce pas le plus bel éloge que l'on puisse tracer d'un écrit de cette nature?
Laissez-moi donc vous remercier, ma Révérende Mère, d'avoir permis aux profanes de respirer le parfum de cette fleur bénie de votre Carmel. Les lecteurs de l'Histoire d'une ame—et je me persuade qu'ils seront fort nombreux—vous sauront gré de leur avoir ouvert pour un instant les grilles de votre monastère habituellement fermées au monde.
Que dis-je? Si par hasard ces délicieuses pages viennent à tomber entre les mains de quelque incroyant, j'aime à penser qu'après un premier mouvement de surprise, il voudra les lire jusqu'au bout, et qu'elles seront pour lui comme la découverte d'un monde nouveau. Qui sait si la chère petite sœur, continuant dans ce cœur son apostolat préféré d'autrefois, ne l'amènera pas doucement à Dieu et à l'Evangile?
Que si, de son mystérieux séjour, la chère sainte peut encore discerner ce qui se passe sur notre petite planète, elle sera sans doute surprise tout d'abord de voir son manuscrit ouvert au grand jour de la publicité; car vous le savez, ma Révérende Mère, c'est «pour vous seule» qu'elle y avait consigné, au courant de sa pensée et de sa plume, ou, comme elle disait, «au courant de son cœur», ces mille détails intimes de la vie de la famille ou de la vie du cloître, devant lesquels elle eût peut-être reculé, si elle eût pu deviner que le public les lirait un jour.
Mais, à n'en pas douter, son grand amour de Jésus et des âmes lui ferait accepter ce sacrifice de bon cœur; et pour la conversion de quelques pécheurs obstinés, volontiers elle ratifierait ce que vous faites, ma Révérende Mère. Vous-même, d'ailleurs, n'avez pas eu d'autre but.
Qu'il aille donc, ce cher volume, emporté sur les ailes de la divine charité. Qu'il fasse sourire, qu'il fasse pleurer, qu'il apprenne à souffrir et à aimer, à aimer Dieu, la religion et les âmes! Et qu'à tous ceux qui l'ouvriront, il répète son doux refrain: Sursum corda! En haut les cœurs!
Agréez, ma Révérende Mère, l'hommage de mon religieux dévouement en Notre-Seigneur.
Fr. G. Madelaine,
Prieur.
LETTRE
DU
Révérendissime Père dom Etienne,
Abbé de la Grande-Trappe de Mortagne (Orne).
21 janvier 1899.
Ma Révérende Mère,
Je me ferais volontiers le propagateur et l'apologiste des écrits et des vertus admirables de votre sainte enfant; mais, il faut l'avouer, cette petite gâtée de Notre-Seigneur n'a besoin de l'éloge de personne; son mérite lui suffit devant Dieu et devant les hommes.
Cependant d'autres ascètes, vous pouvez vous y attendre, ne manqueront pas, en lisant de si belles pages, de vous apporter le tribut de leurs félicitations et de leur approbation; pour moi, ma Révérende Mère, je reste sous le charme de cet écho du Ciel, de cet ange terrestre qui a passé ici-bas d'un vol rapide, sans ternir ses ailes, et qui nous a enseigné, autant par son langage que par ses actes, le chemin qu'il faut suivre pour aller à Dieu.
Je ne suis pas surpris de la rapidité de l'écoulement de la première édition. Quand on a lu le précieux volume de l'Histoire d'une ame, on voudrait que tout le monde le lût, tant il renferme de charmes, de piété, de doctrine, de naturel et de surnaturel, d'humain et de divin. C'est Notre-Seigneur humanisé, rendu palpable, sensible, cultivant avec un amour incessant cette fleurette du Carmel qu'il fait germer, grandir, et qu'il embaume des plus suaves parfums, pour les délices de son Cœur et le ravissement du nôtre.
Il y a là une spiritualité douce, vivante, pratique, entraînante, enviable, qui fait comprendre et aimer la parole de Jésus: «Mon joug est doux, et mon fardeau léger.» Il n'est personne qui ne se délecte dans cette lecture et qui n'y trouve une lumière et un encouragement.
Je vous remercie pour mes religieux et pour moi. Elle nous a fait le plus grand bien.
Veuillez agréer, ma Révérende Mère, l'hommage de mon religieux respect.
F.-M. Etienne,
Abbé de la Grande-Trappe.
LETTRE
DU
Très Révérend Père Le Doré,
Supérieur Général des Eudistes.
Paris, 14 février 1899.
Nos cum Prole pia benedicat Virgo Maria!
Ma Révérende Mère,
Vous voulez rééditer, me dites-vous, ce délicieux volume qu'on a si bien nommé l'Histoire d'une âme. C'est là, ma Révérende Mère, une pensée excellente que seul le bon Dieu a pu vous inspirer.
Pendant la vie de votre jeune sœur Thérèse, la Providence a jugé bon de la réserver tout entière à ses sœurs en religion. Il était bien juste que le Carmel de Lisieux fût le premier à jouir, dans l'intimité de la famille, de ses qualités aimables et à s'édifier de ses vertus. Mais désormais les limites d'un monastère sont trop étroites pour renfermer un si précieux trésor. Bien des âmes dans les Congrégations religieuses, dans les rangs du Clergé, et même dans le monde, seront ravies, comme vous, de pouvoir goûter les charmes de cette petite fleur qui s'est épanouie si délicieusement dans votre Carmel.
Elle offre à la fois la blancheur du lis, le suave parfum de la violette et l'éclat embaumé de la rose. Elles sont rares les natures aussi riches et aussi complètes; et même dans la série de nos saintes catholiques, on en rencontre peu qui soient un modèle aussi accompli de toutes les vertus. Par certains côtés, elle se rapproche de votre Fondatrice, Thérèse de Jésus; par d'autres, elle rappelle Agnès, la jeune martyre de Rome. Elle est de l'école de sainte Gertrude et de sainte Hildegarde.
Son caractère conserve jusqu'à la fin les grâces naïves et la franche droiture du jeune âge. Elle est l'idéal de cette petitesse, de cette enfance si recommandée par Notre-Seigneur. Son imagination est d'une fraîcheur exquise. Quelle largeur dans son intelligence; quelle finesse dans son coup d'œil; quelle sûreté dans son jugement! Rien de poétique comme ses aspirations et son langage; rien de noble, de généreux, de délicat et d'aimant comme son cœur; et cependant, dans une enveloppe fragile, elle sait montrer la force d'âme d'un héros. C'est dans le Cœur de Jésus qu'elle a puisé son humilité et sa douceur; c'est le Cœur de Marie qui lui a appris à être si pleine d'abandon et de confiance dans la bonté de Dieu. Avec quelle candeur vraie, avec quelle loyauté faite de détachement et de sincérité, elle nous retrace dans un style limpide l'histoire de sa vie, et, ce qui est encore plus attrayant, l'histoire de son âme!
Même au point de vue littéraire, pour le style et pour la composition, ses mémoires forment un véritable petit chef-d'œuvre.
Quiconque aura ouvert ce livre le lira jusqu'au bout; il fera comme moi, il le relira, il le goûtera, je puis même ajouter, il le consultera. Les heures coulent rapides à parcourir des pages où la vertu se montre sans fard ni recherche, et pourtant avec des formes pleines de charmes. On suit sœur Thérèse, sans s'en douter, dans son vol vers l'idéal, on plane avec elle aux sommets de la perfection; dans sa compagnie on aime plus ardemment le bon Dieu; on est plus disposé à servir et à supporter son prochain; les souffrances deviennent presque aimables, et dans l'épreuve, on se sent plus fort. L'Histoire et l'Héroïne plaisent et rendent meilleur.
J'ai déjà fait lire à des prêtres, à des dames du monde, ici aux novices de notre Congrégation, l'exemplaire que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Tous en ont été enchantés, et tous en ont tiré profit.
Veuillez agréer, ma Révérende Mère, l'expression de mon plus religieux et profond respect.
Ange Le Doré,
Supérieur des Eudistes.
LETTRE
DU
T. R. P. Louis Th. de Jésus agonisant,
De l'Ordre des Passionnistes.
Ce vénérable religieux, remarquable par ses écrits et plus encore par la sainteté de sa vie, souvent prouvée par des faits surnaturels, mourut en 1907 à l'âge de quatre-vingt-neuf ans, après avoir exercé, à plusieurs reprises, les premières charges de son Ordre.
J. P.
†
Mérignac, 30 novembre 1898.
Ma Révérende et chère Mère,
Merci!... Ah! c'est un grand merci que je vous dois... Pendant trois jours, grâce à vous, j'ai vécu avec un Ange!
Que Dieu est admirable! quelle nouvelle invention de sainteté, j'ose dire, inconnue jusqu'à ce jour! Quelle révélation est faite au monde! C'est bien un genre de sainteté suscité par l'Esprit-Saint pour l'heure présente où tant d'âmes, même chrétiennes, ne voient dans les sacrifices du cloître que les horreurs de la Croix.
Quelle gloire pour le Carmel et quelle espérance pour tous!
Cette petite étoile, sous le souffle d'en haut, est sortie de sa petite nuée; et déjà elle brille comme un arc-en-ciel, annonçant la fin des orages... fleur des roses... lis de la vallée; encens du Carmel: Arcus refulgens inter nebulas... flos rosarum, lilium... thus... Ce parfum virginal embaume le Calvaire de toutes les fleurs du Carmel.
De plus, cette Histoire d'une ame, en offrant un modèle accompli de la paternité chrétienne, fera autant de bien à la société qu'au cloître. C'est la famille surtout qui a besoin d'être sanctifiée, et elle le sera: Joachim et Anne ont donné avec joie leur Marie au Seigneur.
Le Carmel, lui, a ses anges; et combien de jeunes âmes accourront sur la montagne sainte, aux rayonnements de ce nouvel astre qui monte au firmament!
J'en ai l'intime conviction, cette petite étoile deviendra de plus en plus radieuse dans l'Eglise de Dieu... Ce n'est encore que l'étoile du matin au milieu d'une petite nuée: STELLA MATUTINA IN MEDIO NEBULÆ. Mais un jour, elle remplira la Maison du Seigneur: implebit domum Domini. Si Dieu l'a envoyée en nos jours de ténèbres, en nos jours de nuages et de tourbillons, croyons bien que c'est pour nous apporter la lumière, la paix, l'espérance, le ciel!
Non, au ciel, aucune des aspirations de cette vierge apostolique n'est oubliée; et le divin Epoux, en faisant de sa petite reine une grande Reine, a déjà remis en sa main le sceptre de sa toute-puissance.
C'est maintenant que, dans les bras de son Amour, elle lui répète avec un charme qui le ravit: «Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre.»—Quelles grâces pourrait-il lui refuser?
Aussi l'ai-je invoquée avec je ne sais quel irrésistible attrait. Mes forces, je veux les ranimer aux énergies de sa vertu, et réchauffer mon cœur aux flammes de ce Séraphin. Je l'ai priée, cette privilégiée de Marie, de venir à mon aide quand j'adresse à la Vierge Immaculée la prière qui fut la sienne:
«Toi qui vins me sourire au matin de ma vie,
Viens me sourire encor, Mère, voici le soir...»
Je m'arrête... mais, que ne faudrait-il pas dire de ses poésies, si gracieuses, si fraîches, si limpides; j'ajoute, si célestes! on croirait une lyre touchée par la main d'un ange.
Il a été dit en cette fin de siècle: «La poésie est morte.» Non, elle n'est pas morte, elle est immortelle; fille du ciel, avec sa sœur la prière, elle s'élèvera toujours du cloître vers Dieu en aspirations brûlantes, en harmonieux élans!...
Et vous, ma Révérende et chère Mère, priez pour moi cette triomphante fille de Thérèse, priez-la de m'obtenir du divin Epoux le bonheur et la grâce d'aller célébrer avec elle la gloire de la Trinité Sainte.
In Christo Jesu.
P. Louis Th., Passionniste.
Extraits de plusieurs autres Lettres
de personnages éminents.
J'espère fermement qu'un jour (et plût à Dieu que ce fût bientôt), cette enfant sera vénérée sur nos autels.
Comme dans les écrits de l'insigne Réformatrice du Carmel, on respire dans ceux de sa fille le plus délicieux mysticisme,—non un mysticisme vague, aérien et sentimental—mais un mysticisme solide, légitime, «avec sa croix et ses épines», comme disait Bossuet au sujet de saint François de Sales. L'âme de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, comme celle de sainte Thérèse de Jésus, ne vivait que du pur amour, de l'ardente charité, et voilà pourquoi elle se nourrissait de souffrance et n'aspirait qu'au martyre, qui est l'expression suprême de l'amour et de la souffrance.
On peut dire de l'une et de l'autre, avec autant de vérité, qu'elles furent martyres mystiques, qu'elles moururent de leur pur amour.
Béni soit le Seigneur, dont la main toujours ouverte et bienfaisante fait resplendir encore de nos jours, dans le jardin de son Eglise, ces extraordinaires et merveilleuses fleurs!
Mgr l'Archevêque d'Evora.
(Edition portugaise de l'«Histoire d'une Ame».)
——
Séraphin, elle l'était de visage et d'âme, et l'on peut dire d'elle ce que saint Bonaventure dit de saint François: qu'elle était tout entière un charbon embrasé. «L'amour divin est feu et flamme», nous dit le Cantique des cantiques, et Jésus, l'amour substantiel, déclare qu'il est «venu jeter ce feu sur la terre et qu'il veut qu'il s'allume». Le cœur de sœur Thérèse en est un brandon très ardent, une pure flamme du Paradis dont jamais l'ardeur ne s'est ralentie, et qui a embrasé et embrasera bien d'autres cœurs. Et cela avec quelle force et en même temps quelle douceur! On peut dire d'elle en vérité, avec un petit changement du texte sacré: «Elle nous entraîne et nous courons à l'odeur de ses parfums.»
Heureuse victime qui, non seulement a été consumée par le feu et les flammes de l'amour divin, mais a encore reçu le don si beau de les communiquer puissamment aux âmes! Les vies de Saints nous racontent les feux de l'amour divin: la vie de sœur Thérèse nous les fait voir et sentir; les autres nous donnent envie d'aimer Dieu, mais celle-là met le feu dans l'âme.
——
En lisant cette vie, ne croirait-on pas lire les paroles de feu et de science divine d'un des docteurs les plus élevés, les plus profonds et les plus suaves de l'Eglise?
Et il n'y a pas que les personnes consacrées à Dieu qu'elle ranime et entraîne; les personnes du monde elles-mêmes ne peuvent se dérober à son influence apostolique. Oh! que Jésus soit mille et mille fois béni de nous l'avoir donnée!
——
Si j'en juge par le spectacle des étonnantes transformations opérées par cette petite sainte, il me semble qu'elle sera à son siècle ce que les Gertrude, les Thérèse, les Marguerite-Marie ont été au leur, avec cette différence que, plus encore que ces hérauts de Dieu, Thérèse de l'Enfant-Jésus a montré la voie qui conduit à l'amour, voie petite et sublime à la fois qui, loin d'effrayer, encourage et attire.
——
Je ne puis assez vous dire avec quelles délices j'ai lu l'«Histoire d'une âme»; je préférerais la disparition des chefs-d'œuvre d'Homère, Virgile ou Raphaël à celle de ce livre où l'amour divin resplendit si vivement.
——
Aux yeux du monde, je suis un homme de science qui a épuisé sa vie dans l'étude des lettres ecclésiastiques et profanes; mais dans la vie intime, aux yeux de Dieu, je veux imiter Thérèse et me faire un tout petit enfant. Voilà ce qui, dans la chère «petite reine», m'a ravi d'une manière irrésistible.
Heureuse enfant qui a compris pleinement l'amour! Tant d'âmes, même bien saintes, le comprennent si mal! Sous ce rapport le cœur de Thérèse est un des plus beaux de l'Eglise.
PRIÈRE
pour obtenir la béatification
de la Servante de Dieu THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS
et de la SAINTE FACE
O Jésus, qui avez voulu vous faire petit enfant, pour confondre notre orgueil, et qui, plus tard, prononciez cet oracle sublime: «Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume des cieux», daignez écouter notre humble prière, en faveur de celle qui a vécu, avec tant de perfection, la vie d'enfance spirituelle et nous en a si bien rappelé la voie.
O petit Enfant de la Crèche! par les charmes ravissants de votre divine enfance; ô Face adorable de Jésus! par les abaissements de votre Passion, nous vous en supplions, si c'est pour la gloire de Dieu et la sanctification des âmes, faites que bientôt l'auréole des Bienheureuses rayonne au front si pur de votre petite épouse Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face. Ainsi soit-il.
——
Imprimatur:
21 novembre 1907. † Thomas, év. de Bayeux et Lisieux.
O Dieu, qui avez embrasé de votre Esprit d'amour l'âme de votre servante, Thérèse de l'Enfant-Jésus, accordez-nous de vous aimer, nous aussi, et de vous faire beaucoup aimer.
——
50 jours d'indulgence.
17 juillet 1909. † Thomas, év. de Bayeux et Lisieux.
——
Voulez-vous un moment vivre entre ciel et terre,
Respirer, à plein cœur, un air délicieux,
Voir le monde à vos pieds, planer dans la lumière,
Et croire près de vous quelqu'un venu des cieux?
Lisez ce chant d'amour... Le regard du vulgaire
N'en pénétrerait pas le sens mystérieux;
Vous verrez, vous, comment on aime au monastère,
Et, dans ces murs sacrés, combien l'on est heureux.
A quinze ans! Tendre fleur, petite âme idéale,
Thérèse offre à Jésus sa candeur virginale;
Le Saint-Père a béni ce beau lis pour l'autel:
La douceur de l'agneau, le céleste sourire,
Les lyriques accents, tout en elle a fait dire:
C'est un ange qu'on vit passer par le Carmel.
P. N.
Abbaye de Mondaye, 8 avril 1898.
Si l'on nous demande pourquoi nous avons levé le voile mystérieux qui doit recouvrir ici-bas l'existence ignorée d'une humble carmélite, nous le dirons simplement:
Connaissant depuis son enfance cette âme privilégiée, et l'ayant vue grandir chaque jour en sagesse et en grâce, nous lui demandâmes de mettre par écrit les miséricordes du Seigneur à son égard. Nous n'avions point d'arrière-pensée; nous ne songions qu'à notre édification personnelle. Mais en parcourant ce pieux manuscrit, miroir si fidèle d'une âme séraphique, le doute ne fut pas possible; il ne nous fallait plus réserver pour nous seule ce trésor. Une source nouvelle était ouverte aux pauvres altérés de ce monde: c'était notre devoir d'en répandre les eaux vives. Nous l'avons fait. En buvant la première à cette source pure, nous ne pensions pas, hélas! que l'heure fût déjà venue d'en partager les délices... Mais le blanc lis de cette âme virginale s'était épanoui dès les premiers jours d'un printemps radieux; la grappe était mûre avant le temps ordinaire des vendanges. Et le Seigneur se pencha, il cueillit doucement la fleur embaumée, il détacha sans effort sa grappe chérie du cep amer de l'exil, la trouvant totalement dorée des feux de l'Amour divin.
Quelles actions héroïques ou éclatantes avait donc pu accomplir, à l'âge de 24 ans, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face? écrit François Veuillot. La jeune carmélite avait simplement servi Dieu avec une fidélité constante et assidue dans les plus petites choses.
Tout enfant, née dans une famille admirablement chrétienne, elle s'était sentie attirée vers le cloître. Dès l'âge de quinze ans, à force de démarches et de supplications, elle avait obtenu la permission d'entrer au Carmel.
A vingt-quatre ans, minée par une maladie de poitrine, elle s'y éteignait dans la paix du Seigneur.
Voilà toute sa carrière. A la conter par les événements extérieurs, on en remplirait tout au plus une dizaine de pages. Mais, si l'on veut pénétrer dans la vie intime de cette âme, un volume entier paraît encore trop court.
Or, cette vie intime a été écrite par la main la plus propre à composer une telle œuvre: la main de Sœur Thérèse elle-même.
On devine que ce n'est point d'après son inspiration personnelle que l'humble carmélite entreprit cet ouvrage. Ce fut sa supérieure qui, admirant cette vertu modeste et appréhendant la fin prématurée de cette existence angélique, donna l'ordre à la sainte enfant de se raconter elle-même. Obéissante avant tout et sincère par-dessus tout, Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus écrivit tout. Une vertu médiocre aurait été troublée; une humilité de mauvais aloi eût voulu diminuer ses mérites aux dépens du vrai. Mais l'humilité réelle ne se propose point de cacher ses mérites; elle ignore si elle en possède. Les vertus qu'on admire en sa conduite, elle les expose avec simplicité, comme des bienfaits du Ciel. Les grâces extraordinaires où chacun reconnaît la prédilection de Dieu pour une âme d'élite, elle les révèle avec une candeur presque naïve comme des miséricordes imméritées. Mais, ni ces vertus, ni ces grâces, elle ne songe à les dissimuler. Voilà dans quel esprit Sœur Thérèse écrivit l'histoire de son âme.
Aux hommes de goût, fatigués des complications et des raffinements de la littérature contemporaine, nous indiquerions volontiers ces mémoires d'une carmélite: ils y trouveraient, au seul point de vue de la jouissance artistique et intellectuelle, un rafraîchissement délicieux, un bain d'innocence, de fraîcheur et de pureté.
Quant aux âmes chrétiennes, est-il besoin de dire que nous leur conseillons vivement cette lecture angélique? Elles y trouveront un essor, à la fois puissant et doux, vers le Ciel.
Ce qui caractérise la sainteté de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, c'est une simplicité d'enfant dans son commerce avec Dieu. La jeune religieuse a retenu le conseil de Notre-Seigneur: «Si vous ne devenez semblable à ces petits, vous n'entrerez pas dans le royaume des Cieux.» Elle se fait toute petite auprès du divin Maître. Elle lui parle, elle l'écoute, elle le sert avec la familiarité, l'obéissance et l'empressement d'une enfant docile et aimante. Elle ne le quitte pas de la main, elle s'abandonne à lui tout entière, elle professe envers lui cette confiance aveugle et illimitée des tout petits pour les très grands. Quelque souhait qu'elle forme, elle le confie sans crainte à Jésus; quelque désir que Jésus lui exprime, elle l'accomplit avec joie. Et c'est ainsi que, sans effort apparent, comme en se laissant conduire, elle atteint le sublime.
Sans effort apparent, mais non sans peine et sans labeur réels. Cette innocence eut à soutenir des luttes quotidiennes; elle eut à subir plusieurs fois dans le secret de son âme des épreuves terribles. Epreuves et luttes, elle les a consignées dans son «histoire», avec la même franchise et la même sérénité que les grâces et les miséricordes.
Et qu'on ne croie pas que cette constance à vouloir être enfant devant Dieu imprimât à la vertu de Sœur Thérèse un caractère puéril! Cette religieuse adolescente, qui s'appliquait à se faire toute petite, avait acquis au contraire, en peu de temps, par l'oraison et par l'étude, une telle maturité d'intelligence et une telle vigueur de jugement, que sa supérieure n'hésitait pas à lui confier la direction des novices, à un âge où elle aurait pu être encore leur compagne[3].
Chère Elue, qui êtes devenue si bienfaisante, écrit un autre auteur, qui redescendez du sein de la gloire comme vous l'avez promis, pour faire du bien, vous avez crû en ce monde dans le parterre choisi de l'Epoux, et là vous fûtes vraiment le lys de la vallée, singulièrement protégé contre les orages du monde et les vents mauvais qui, hélas! trop souvent effeuillent et brisent les plus beaux chefs-d'œuvre de Dieu. Mais, pour le réconfort de beaucoup, vous êtes devenue la fleur des champs, que les pauvres passants, tout couverts de la poussière du chemin, peuvent admirer et dont la suave odeur les vivifie et les réjouit. C'est une grâce que nous ne laisserons pas passer sans nous l'approprier; nous admirerons en vous l'œuvre du divin Jardinier, lui demandant de la continuer, de la renouveler dans beaucoup d'autres âmes.
La physionomie de la jeune carmélite a été admirablement dépeinte par Mgr Gay, et on dirait vraiment qu'elle posait devant lui quand il écrivit ces pages lumineuses sur l'Abandon:
«L'âme abandonnée vit de foi, elle espère comme elle respire, elle aime sans interruption. Chaque volonté divine, quelle qu'elle soit, la trouve libre. Tout lui semble également bon. N'être rien, être beaucoup, être peu: commander, obéir; être humiliée, être oubliée; manquer ou être pourvue, vivre longtemps, mourir bientôt, mourir sur l'heure, tout lui plaît. Elle veut tout, parce qu'elle ne veut rien, et elle ne veut rien, parce qu'elle veut tout. Sa docilité est active, et son indifférence amoureuse. Elle n'est à Dieu qu'un oui vivant.
«Dirai-je le dernier mot de ce bienheureux et sublime état? C'est la vie des enfants de Dieu, c'est la sainte enfance spirituelle. Oh! que cela est parfait! plus parfait que l'amour des souffrances, car rien n'immole tant l'homme que d'être sincèrement et paisiblement petit. L'esprit d'enfance tue l'orgueil bien plus sûrement que l'esprit de pénitence.
«... L'âpre rocher du Calvaire offre encore quelque pâture à l'amour-propre; à la crèche, tout le vieil homme meurt forcément d'inanition. Or, pressez ce béni mystère de la crèche, pressez ce fruit de la sainte enfance, vous n'en ferez jamais sortir que l'abandon. Un enfant se livre sans défense et s'abandonne sans résistance! Que sait-il? Que peut-il? Que prétend-il savoir et pouvoir? C'est un être dont on est absolument maître. Aussi avec quelles précautions on le traite et quelles caresses on lui fait...»
C'est jusque-là que Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus s'était donnée; aussi connut-elle la suavité des caresses divines, et sur le Cœur du Maître, dans ses doux battements, elle comprit le secret du Roi, qui est l'amour. L'esprit d'enfance lui communiqua aussi cette liberté que le P. Gratry a si bien définie, l'état d'une âme «qui est sortie des bornes rétrécies de son horizon personnel, qui a quitté l'étroite prison de l'habitude, pour prendre une vie large et puissante, toujours renouvelée en Dieu.» Cette épouse fidèle avait si bien su réduire sa nature fière et ardente et l'extrême sensibilité de son cœur que, peu de temps avant de mourir, elle pouvait se rendre ce témoignage: «Depuis l'âge de trois ans, je n'ai jamais rien refusé au bon Dieu.» Certes, elle avait beaucoup reçu, mais elle donna beaucoup aussi, et le mérite sortit d'elle comme le ruisseau sort de sa source.
Il était impossible de mieux analyser et de mieux comprendre cette âme choisie, à la fois enfantine et héroïque.
Avant d'introduire le lecteur dans ce sanctuaire intime, nous devons le prévenir, comme aux éditions précédentes, des modifications que nous avons cru devoir apporter au Manuscrit original, le divisant en plusieurs chapitres pour la clarté du récit.
Suivront: Conseils et Souvenirs, quelques Lettres, puis un recueil de ses Poésies, dernière révélation d'une âme tout embrasée du céleste amour.
Et, dès maintenant, qu'il nous soit permis de faire connaître en quelques mots les aspirations de cette «vierge apostolique», et comment Notre-Seigneur se plaît à les combler.
«Je ne compte pas rester inactive au Ciel, disait-elle; mon désir est d'y travailler encore pour l'Eglise et les âmes...
Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses. Je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre.»
Ces espérances et ces promesses se réalisent en effet d'une manière touchante et souvent prodigieuse. Depuis l'apparition de l'«Histoire de son Ame», actuellement tirée en France à 125.000 exemplaires, sans compter les 350.000 de l'édition abrégée (Appel aux Petites âmes), nous ne cessons d'en recevoir de toutes parts les témoignages les plus précieux.
Cette «Histoire d'une Ame», sous différents titres, est traduite en neuf langues étrangères; et les traductions portugaise et anglaise—privilège singulier—sont enrichies d'indulgences par le cardinal-patriarche de Lisbonne, huit prélats de la même nation et par Mgr Bourne, archevêque de Westminster.
Depuis quatorze ans, les pèlerinages à la tombe de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus deviennent de plus en en plus nombreux. On baise respectueusement cette terre sainte, on en garde des fleurs comme de véritables reliques; et, ce qui vaut mieux que des fleurs éphémères, on emporte de ce lieu béni des consolations durables, des grâces de toutes sortes. Un évêque missionnaire, revenant de ce tombeau, «qui bientôt, dit-il, sera glorieux», nous confiait qu'il avait vu par trois fois la «petite Thérèse» lui sourire.
Mais cette «petite Thérèse» ne fait point acception de personnes: si elle sourit à un prince de l'Eglise, elle essuie aussi volontiers les larmes des pauvres. Tant de fois elle nous l'a fait savoir! Citons simplement l'exemple de cette femme en haillons, surprise là, tout en pleurs, dans l'attitude et l'expression du plus affreux désespoir, et tout à coup changée, souriante, comme irradiée par une vision céleste. Etonné d'un tel contraste, le témoin caché de cette scène, qui ne connaissait ni Sœur Thérèse, ni sa tombe, osa s'approcher pour interroger la mendiante et connaître la cause d'une si subite transformation: «J'ai prié la petite sainte du Carmel, répondit la pauvre femme émue et confuse... Oh! comme elle m'a bien consolée!...»
Les grands et les petits sont donc les clients de cet ange.
Nous suffisons à peine à contenter les pieux désirs de tous ceux qui demandent une parcelle de ses vêtements, une «relique» quelconque, si minime soit-elle, de «la petite reine», de la «petite sainte Thérèse», de «la petite grande sainte», comme chacun l'appelle tour à tour. Nous ne comptons plus les souvenirs distribués.
Et c'est ainsi que, par son intercession, on obtient les faveurs les plus signalées.
Nous en donnerons d'autres exemples à la fin de ce volume, mais nous savons bien que le livre d'or du Ciel pourra seul nous révéler l'abondance et le parfum de cette pluie de roses qui tombe aujourd'hui silencieuse...
C'est encore dans ce livre du Ciel que nous apprendrons chacun des noms bénis de cette «légion de petites âmes» demandées par Thérèse, victimes comme elle de l'«Amour Miséricordieux», entraînées à sa suite dans sa «petite voie d'enfance spirituelle», voie de simplicité, de confiance et de paix dont l'Esprit-Saint a dit par la bouche du Prophète: «Il y a une route, une voie qu'on appelle la voie sainte, les simples même la suivront et ne s'égareront pas.» (Is., XXXV.)
O Thérèse, vous qui avez reçu de Dieu le don de comprendre si parfaitement cette «voie sainte», d'y marcher si fidèlement et d'y appeler si suavement les âmes; vous qui nous disiez sur votre lit de mort: «Je n'ai jamais donné au Bon Dieu que de l'amour, il me rendra de l'amour...», votre parole était une prophétie. Oui, nous en sommes les heureux témoins, le Seigneur vous rend de l'amour! Combien d'autels vous sont élevés dans les cœurs! et de quels ardents désirs ces cœurs qui vous aiment appellent le jour où se termineront heureusement les démarches qui doivent amener votre glorification sur la terre.
En effet, la cause de béatification de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, soumise à la Sainte Eglise en 1909, a déjà vu s'instruire, dans les premiers mois de 1910, le Procès diocésain des Ecrits. Le Procès dit de Réputation de Sainteté, commencé en août 1910, ayant été rapidement conduit, fut déposé à Rome en février 1912 et subit actuellement un examen préparatoire devant la Sacrée Congrégation des Rites.
Nous demandons humblement aux nombreux amis de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus de bien vouloir unir leurs prières aux nôtres, pour assurer le succès de cette œuvre entreprise uniquement pour la plus grande gloire de Dieu.
La Mère Prieure des Carmélites.
Monastère du Carmel de Lisieux,
dédié au Sacré-Cœur de Jésus et à l'Immaculée Conception.
Au mois de septembre 1843, un jeune homme de vingt ans gravissait, pensif et rêveur, la cime élevée du Grand Saint-Bernard: son regard profond et mélancolique brillait d'un pieux enthousiasme. Les beautés majestueuses de cette nature grandiose des Alpes faisaient naître en son âme mille pensées généreuses; et son cœur, ardent et pur comme la neige éternelle des montagnes, ne pouvant plus contenir le flot toujours croissant de son amoureuse louange, il s'arrêta longtemps et versa des larmes... Puis, reprenant sa marche interrompue, il arriva bientôt au but de son voyage, au monastère béni qui, du haut de ce sommet dangereux, rayonne au loin comme un phare d'espérance et d'exquise charité.
Le vénérable Prieur, tout d'abord frappé de la beauté remarquable de son hôte, de l'expression loyale de ses traits, le reçut avec une particulière bienveillance. Il s'informa de sa famille, du lieu de sa naissance, et connut ainsi ses noms: Louis-Joseph-Stanislas Martin, né à Bordeaux le 22 août 1823[4], alors que son père, brave capitaine[5], type de foi, de vaillance et d'honneur, y était en garnison. Il sut que, depuis quelque temps, ses parents habitaient Alençon, dans la Basse-Normandie, et que là, présentement, Louis était chéri comme le benjamin de ses frères et sœurs, le préféré entre tous.
Avait-il donc entrepris un si long voyage pour le seul motif de visiter en passant les beautés pittoresques de ce pays enchanteur? Il y a si loin de la Normandie à la Suisse, surtout par les diligences, et plus souvent le bâton à la main!—Non, ce n'était pas un asile pour une nuit, pour quelques heures seulement qu'il venait solliciter en ces lieux: c'était un abri pour la nuit un peu plus longue de la vie...
«Mon bon jeune homme, lui dit alors le respectable religieux, vos études de latin sont-elles terminées?» Et sur la réponse négative de Louis:
«Je le regrette, mon enfant, car c'est une condition essentielle pour être admis parmi nos frères; mais ne vous découragez pas, retournez dans votre pays, travaillez avec ardeur, et nous vous recevrons ensuite à bras ouverts.»
Notre voyageur reprit donc, un peu désenchanté, le chemin de sa patrie: ce jour-là, ne l'eût-il pas nommé plutôt le chemin de l'exil? Cependant, il ne tarda pas à sentir que le monastère antique du Grand Saint-Bernard devait être seulement pour sa vie entière, un doux et lointain souvenir; que, sur lui, le Seigneur avait d'autres desseins, également miséricordieux, également ineffables.
D'un autre côté, dans la même ville d'Alençon,—quelques années plus tard—une pieuse jeune fille, au visage agréablement empreint d'une rare énergie de caractère, Mlle Zélie Guérin, se présentait, accompagnée de sa mère, à l'Hôtel-Dieu des Sœurs de Saint-Vincent de Paul. Elle voulait, depuis longtemps déjà, solliciter son admission dans cet asile de charité; mais dès la première entrevue, la Mère Supérieure, guidée par l'Esprit-Saint, lui répondit sans hésiter que telle n'était pas la volonté de Dieu. Zélie rentra donc sous le toit paternel, dans la douce compagnie de ses chers parents, de sa sœur aînée[6] et de son jeune frère, dont il sera plus d'une fois question dans le cours de ce récit.
Or, depuis sa démarche infructueuse, la jeune fille faisait bien souvent dans son cœur cette naïve prière: «Mon Dieu, puisque je ne suis pas digne d'être votre épouse comme ma sœur chérie, j'entrerai dans l'état du mariage pour accomplir votre volonté sainte. Alors, je vous en prie, donnez-moi beaucoup d'enfants, et qu'ils vous soient tous consacrés.»
Dans sa miséricordieuse bonté, le Seigneur réservait à cette âme d'élite le vertueux jeune homme dont nous avons parlé; et, par un concours de circonstances vraiment providentielles, le 12 juillet 1858, se célébraient, dans l'église Notre-Dame d'Alençon, leurs noces bénies.
Le soir même de cet heureux jour,—une lettre intime nous l'a révélé—Louis confia à sa jeune compagne son désir de la regarder toujours comme une sœur bien-aimée. Mais, après de longs mois, partageant le rêve de son épouse, il désira comme elle voir leur union porter des fruits nombreux, afin de les offrir au Seigneur. Il put redire alors l'admirable prière du chaste Tobie: «Vous le savez, mon Dieu, si je prends une épouse sur la terre, c'est par le seul désir d'une postérité dans laquelle soit béni votre nom dans les siècles des siècles.»
Sa condescendance plut au Seigneur. De ce parterre choisi germèrent neuf blanches fleurs, dont quatre, dès le bas âge, allèrent s'ouvrir dans les jardins célestes, tandis que les cinq autres s'épanouirent plus tard, soit dans l'Ordre du Carmel, soit dans celui de la Visitation. Ainsi se réalisa le vœu de leur pieuse mère.
Toutes furent, dès le berceau, consacrées à la Reine des lis, la Vierge Immaculée. Nous donnons ici leurs noms, faisant remarquer le neuvième et dernier comme privilégié entre tous, ainsi que, dans les chœurs des Anges, on distingue au neuvième celui des séraphins.
Marie-Louise, Marie-Pauline, Marie-Léonie, Marie-Hélène, morte à quatre ans et demi, Marie-Joseph-Louis, Marie-Joseph-Jean-Baptiste, Marie-Céline, Marie-Mélanie-Thérèse, morte à trois mois, Marie-Françoise-Thérèse.
Les deux enfants du nom de Joseph furent obtenus par la prière et les larmes. Après la naissance des quatre filles aînées, il fut demandé à Dieu, par l'intercession de saint Joseph, un petit missionnaire; et bientôt parut ici-bas, plein de sourires et de charmes, le premier Marie-Joseph. Hélas! il ne fit que se montrer à sa mère... Après cinq mois d'exil, il s'envolait au sanctuaire des cieux! Suivirent alors d'autres neuvaines, plus pressantes. A tout prix, il fallait obtenir à la famille un prêtre, un missionnaire. Mais «les pensées du Seigneur ne sont pas nos pensées, ses voies ne sont pas nos voies». Un nouveau petit Joseph arriva plein d'espérances; et neuf mois s'étaient à peine écoulés qu'il s'enfuyait de ce monde, et rejoignait son frère aux Tabernacles éternels.
Alors ce fut fini. On ne demanda plus de missionnaire. Ah! si, dès ce temps-là, le voile de l'avenir s'était soulevé un instant, quels élans de reconnaissance et de joie! Oui, malgré les apparences, le désir de ces chrétiens d'un autre âge était entièrement comblé; il l'était surtout dans leur dernière enfant, âme bénie, reine entre ses sœurs, choisie et privilégiée par excellence. N'a-t-on pas écrit d'elle avec vérité: «Thérèse est maintenant un remarquable missionnaire à la parole puissante et irrésistible, sa vie a un charme qui ne se perdra jamais; et toute âme qui se laissera prendre à cet hameçon ne restera ni dans les eaux de la tiédeur, ni dans celles du péché.».......
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ses parents eux-mêmes ne sont-ils pas aussi devenus missionnaires?... Nous lisons aux premières pages de la traduction portugaise de l'«Histoire d'une Ame» cette touchante dédicace d'un pieux et savant religieux de la Compagnie de Jésus[7]:
A la sainte et éternelle mémoire de Louis-Joseph-Stanislas Martin et de Zélie Guérin, bienheureux parents de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, pour servir d'exemple a tous les parents chrétiens.
Bien loin de soupçonner cet apostolat futur, ils le préparaient cependant à leur insu par une vie toujours plus parfaite.
L'épreuve les visita bien des fois, mais une résignation pleine d'amour était leur seule réponse au Dieu, toujours Père, qui n'abandonne jamais ses enfants.
Chaque aurore les voyait au pied des saints autels. Ils s'agenouillaient ensemble au banquet sacré, observaient rigoureusement les abstinences et jeûnes de l'Eglise, gardaient avec une fidélité absolue le repos du dimanche et faisaient des lectures saintes leurs délassements préférés. Ils priaient en commun, à la façon touchante du vénérable aïeul, le capitaine Martin, qu'on ne pouvait, sans pleurer, entendre réciter le Pater.
Les grandes vertus chrétiennes brillaient à ce foyer. L'aisance n'y introduisait pas le luxe, on ne s'y départait jamais d'une simplicité toute patriarcale.
«Dans quelle illusion vivent la plupart des hommes! répétait souvent Madame Martin, possèdent-ils des richesses? ils veulent aussitôt des honneurs; et s'ils les obtiennent, ils sont encore malheureux; car jamais le cœur qui cherche autre chose que Dieu n'est satisfait.»
Toutes ses ambitions maternelles regardaient les Cieux. «Quatre de mes enfants sont déjà bien placés, écrivait-elle, et les autres, oui, les autres iront aussi dans ce royaume céleste, chargés de plus de mérites puisqu'ils auront plus longtemps combattu...»
La charité, sous toutes ses formes, devenait l'écoulement de cette pureté de vie et de ces sentiments généreux. Les deux époux prélevaient chaque année, sur le fruit de leurs travaux, une forte somme pour l'œuvre de la Propagation de la Foi. Ils soulageaient les pauvres dans leur détresse et les servaient de leurs propres mains. On a vu le père de famille, à l'exemple du bon Samaritain, relever sans honte un ouvrier, gisant ivre-mort dans une rue fréquentée, prendre sa boîte d'outils, lui offrir l'appui de son bras et, tout en lui faisant une douce remontrance, le conduire à sa demeure.
Il en imposait aux blasphémateurs qui, sur une simple observation, se taisaient en sa présence.
Jamais les petitesses du respect humain ne diminuèrent les grandeurs de son âme. En quelque compagnie qu'il fût, il saluait toujours le Saint Sacrement en passant devant une église. Il saluait de même, par respect pour le caractère sacerdotal, tout prêtre qu'il rencontrait sur son chemin.
Citons enfin un dernier exemple de la bonté de son cœur:
Ayant vu dans une gare un malheureux épileptique, mourant de faim, sans argent pour regagner son pays, Monsieur Martin fut ému de compassion, prit son chapeau, y déposa une première aumône, et s'en alla quêter à tous les voyageurs. Les pièces pleuvaient dans la bourse improvisée, et le malade, touché de tant de bonté, pleurait de reconnaissance.
En récompense de si rares vertus, toutes les bénédictions de Dieu s'attachaient aux pas de son fidèle serviteur. Dès l'année 1871, il put quitter sa maison de bijouterie et se retirer dans sa nouvelle habitation, rue Saint-Blaise. La fabrication de dentelles, dites «point d'Alençon», commencée par Madame Martin, fut alors uniquement continuée.
C'est dans cette maison de la rue Saint-Blaise que devait éclore notre céleste fleur; nous l'appelons ainsi, parce qu'elle-même donna pour titre au manuscrit de sa Vie: «Histoire printanière d'une petite fleur blanche.» Elle ne devait pas, en effet, connaître d'automne, encore moins d'hiver avec ses nuits glacées...
Pourtant ce fut en plein hiver, le 2 janvier 1873, qu'elle prit naissance au sein de la famille bénie dont nous avons parlé. Par une délicatesse toute providentielle pour ses deux sœurs aînées,—alors pensionnaires à la Visitation du Mans—cette date tombait pendant les vacances; aussi, quel ne fut pas leur bonheur lorsque, vers minuit, le bon père, montant d'un pas léger jusqu'à leur chambre, s'écria d'un ton joyeux: «Enfants, vous avez une petite sœur!» Cependant, cette fois encore, il espérait, sans trop se l'avouer, un petit missionnaire! Mais la déception ne fut pas grande, et l'on reçut cette dernière enfant comme un présent du Ciel. «C'était le bouquet», disait plus tard son bien-aimé père. Il l'appelait encore et surtout «sa petite reine», quand il n'ajoutait pas ces titres pompeux: «de France et de Navarre».
La petite reine, on le voit, fut bien accueillie; et, comme elle venait au monde dans le temps de Noël, les anges chantèrent aussi sur son berceau; ils empruntèrent pour cet office la voix d'un enfant pauvre qui vint, ce jour-là même, sonner timidement à la porte de l'heureuse demeure, remettant un papier sur lequel étaient écrits ces vers:
Souris et grandis vite,
Au bonheur tout t'invite:
Tendres soins, tendre amour...
Oui, souris à l'aurore,
Bouton qui viens d'éclore:
Tu seras rose un jour!...
C'était un doux présage, une prophétie gracieuse; en effet, le bouton devint une rose d'amour, mais pour de courts instants, «l'espace d'un matin!»
En attendant, il souriait à la vie, et tout le monde lui rendait ses sourires. Le 4 janvier, on le porta solennellement à l'église Notre-Dame pour recevoir la divine rosée du baptême, lui donnant pour marraine sa sœur aînée Marie, avec les noms déjà désignés de Marie-Françoise-Thérèse. Jusque-là, tout était joie et bonheur; mais bientôt, sur sa tige délicate, le tendre bouton se pencha. Plus d'espoir! on devait s'attendre à le voir tomber et mourir... «Il faut s'adresser à saint François de Sales, écrivait la tante Visitandine, et promettre, si l'enfant guérit, de l'appeler de son second nom: «Françoise». Ce fut un glaive pour le cœur de sa mère. Penchée sur le berceau de sa Thérèse chérie, elle attendait, pour ainsi dire, le dernier moment, se disant en elle-même: «Lorsque tout espoir va me sembler perdu, alors seulement je vais faire cette promesse de l'appeler Françoise.»
Le doux François de Sales déclina l'honneur à la sainte Réformatrice du Carmel: l'enfant revint à la vie et s'appela définitivement Thérèse. Il fallut néanmoins assurer sa guérison par un grand sacrifice: l'envoyer à la campagne et lui trouver une nourrice. Alors le «petit bouton de rose» se redressa sur sa tige, il devint fort et vigoureux, les mois de l'exil passèrent vite; puis on le remit frais et charmant dans les bras de sa vraie mère.
HISTOIRE D'UNE AME
ÉCRITE PAR ELLE-MÊME
1873-1897
«Je suis venu apporter le feu sur la terre, et quel est mon désir, sinon qu'on l'allume?» Lucæ, XII, 49.
Rappelle-toi cette très douce flamme
Que tu voulais allumer dans
les cœurs;
Ce feu du ciel, tu l'as mis en mon âme,
Je veux aussi
répandre ses ardeurs.
Une faible étincelle, ô mystère de vie!
Suffit pour allumer un immense incendie.
Que je veux, ô mon Dieu,
Porter au loin ton feu,
Rappelle-toi!
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Les premières notes d'un cantique d'amour.
Le cœur d'une mère.
Souvenirs de deux à quatre ans.
——
C'est à vous, ma Mère vénérée, que je viens confier l'histoire de mon âme. Le jour où vous me l'avez demandée, il me semblait que cela dissiperait mon cœur; mais depuis, Jésus m'a fait sentir qu'en obéissant simplement je lui serais agréable. Je vais donc commencer à chanter ce que je dois redire éternellement: les miséricordes du Seigneur!...
Avant de prendre la plume, je me suis agenouillée devant la statue de Marie[8]: celle qui a donné à ma famille tant de preuves des maternelles préférences de la Reine du ciel; je l'ai suppliée de guider ma main, afin de ne pas tracer une seule ligne qui ne lui soit agréable. Ensuite, ouvrant le saint Evangile, mes yeux sont tombés sur ces mots: «Jésus, étant monté sur une montagne, appela à lui ceux qu'il lui plut.»[9] Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière; et surtout le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme. Il n'appelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux qu'il lui plaît. Comme le dit saint Paul: «Dieu a pitié de qui il veut, et il fait miséricorde à qui il veut faire miséricorde[10]. Ce n'est donc pas l'ouvrage de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde.»[11]
Longtemps je me suis demandé pourquoi le bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas une égale mesure de grâces. Je m'étonnais de le voir prodiguer des faveurs extraordinaires à de grands pécheurs comme saint Paul, saint Augustin, sainte Madeleine et tant d'autres qu'il forçait, pour ainsi dire, à recevoir ses grâces. Je m'étonnais encore, en lisant la vie des saints, de voir Notre-Seigneur caresser du berceau à la tombe certaines âmes privilégiées, sans laisser sur leur passage aucun obstacle qui les empêchât de s'élever vers lui, ne permettant jamais au péché de ternir l'éclat immaculé de leur robe baptismale. Je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple, mouraient en grand nombre sans même avoir entendu prononcer le nom de Dieu.
Jésus a daigné m'instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de la nature, et j'ai compris que toutes les fleurs créées par lui sont belles, que l'éclat de la rose et la blancheur du lis n'enlèvent pas le parfum de la petite violette, n'ôtent rien à la simplicité ravissante de la pâquerette. J'ai compris que, si toutes les petites fleurs voulaient être des roses, la nature perdrait sa parure printanière, les champs ne seraient plus émaillés de fleurettes.
Ainsi en est-il dans le monde des âmes, ce jardin vivant du Seigneur. Il a trouvé bon de créer les grands saints qui peuvent se comparer aux lis et aux roses; mais il en a créé aussi de plus petits, lesquels doivent se contenter d'être des pâquerettes ou de simples violettes destinées à réjouir ses regards divins lorsqu'il les abaisse à ses pieds. Plus les fleurs sont heureuses de faire sa volonté, plus elles sont parfaites.
J'ai compris autre chose encore... J'ai compris que l'amour de Notre-Seigneur se révèle aussi bien dans l'âme la plus simple, qui ne résiste en rien à ses grâces, que dans l'âme la plus sublime. En effet, le propre de l'amour étant de s'abaisser, si toutes les âmes ressemblaient à celles des saints Docteurs qui ont illuminé l'Eglise, il semble que le bon Dieu ne descendrait point assez bas en venant jusqu'à elles. Mais il a créé l'enfant qui ne sait rien et ne fait entendre que de faibles cris; il a créé le pauvre sauvage n'ayant pour se conduire que la loi naturelle; et c'est jusqu'à leurs cœurs qu'il daigne s'abaisser!
Ce sont là les fleurs des champs dont la simplicité le ravit; et, par cette action de descendre aussi bas, le Seigneur montre sa grandeur infinie. De même que le soleil éclaire à la fois le cèdre et la petite fleur; de même l'Astre divin illumine particulièrement chacune des âmes, grande ou petite, et tout correspond à son bien: comme dans la nature, les saisons sont disposées de manière à faire éclore, au jour marqué, la plus humble pâquerette.
Sans doute, ma Mère, vous vous demandez avec étonnement où je veux en venir; car, jusqu'ici, je n'ai rien dit encore qui ressemble à l'histoire de ma vie; mais ne m'avez-vous pas ordonné d'écrire sans contrainte ce qui me viendrait naturellement à la pensée? Ce n'est donc pas ma vie proprement dite que vous trouverez dans ces pages; ce sont mes pennées sur les grâces que Notre-Seigneur a daigné m'accorder.
Je me trouve à une époque de mon existence où je puis jeter un regard sur le passé; mon âme s'est mûrie dans le creuset des épreuves intérieures et extérieures. Maintenant, comme la fleur après l'orage, je relève la tête, et je vois que se réalisent pour moi les paroles du psaume:
«Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manquerai de rien. Il me lait reposer dans des pâturages agréables et fertiles; Il me conduit doucement le long des eaux. Il conduit mon âme sans la fatiguer... Mais, lors même que je descendrais dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, parce que vous serez avec moi, Seigneur[12]!»
Oui, toujours le Seigneur a été pour moi compatissant et rempli de douceur, lent à punir, et abondant en miséricordes[13]! Aussi, j'éprouve un réel bonheur à venir chanter près de vous, ma Mère, ses ineffables bienfaits. C'est pour vous seule que je vais écrire l'histoire de la petite fleur cueillie par Jésus; cette pensée m'aidera à parler avec abandon, sans m'inquiéter ni du style, ni des nombreuses digressions que je vais faire; un cœur de mère comprend toujours son enfant, alors même qu'il ne sait que bégayer. Je suis donc sûre d'être comprise et devinée.
Si une petite fleur pouvait parler, il me semble qu'elle dirait simplement ce que le bon Dieu a fait pour elle, sans essayer de cacher ses dons. Sous prétexte d'humilité, elle ne dirait pas qu'elle est disgracieuse et sans parfum, que le soleil a terni son éclat, que les orages ont brisé sa tige, alors qu'elle reconnaîtrait en elle-même tout le contraire.
La fleur qui va raconter son histoire se réjouit d'avoir à publier les prévenances tout à fait gratuites de Jésus. Elle reconnaît que rien n'était capable en elle d'attirer ses divins regards; que sa miséricorde seule l'a comblée de biens. C'est lui qui l'a fait naître en une terre sainte et comme tout imprégnée d'un parfum virginal; c'est lui qui l'a fait précéder de huit lis éclatants de blancheur. Dans son amour, il a voulu la préserver du souffle empoisonné du monde: à peine sa corolle commençait-elle à s'entr'ouvrir, que ce bon Maître la transplanta sur la montagne du Carmel, dans le jardin choisi de la Vierge Marie.
Je viens, ma Mère, de résumer en peu de mots ce que le bon Dieu a fait pour moi; maintenant je vais entrer dans le détail de ma vie d'enfant: je sais que, là où tout autre ne verrait qu'un récit ennuyeux, votre cœur maternel trouvera des charmes.
Dans l'histoire de mon âme jusqu'à mon entrée au Carmel, je distingue trois périodes bien marquées: la première, malgré sa courte durée, n'est pas la moins féconde en souvenirs; elle s'étend depuis l'éveil de ma raison jusqu'au départ de ma mère chérie pour la patrie des cieux; autrement dit: jusqu'à mon âge de quatre ans et huit mois.
Le bon Dieu m'a fait la grâce d'ouvrir mon intelligence de très bonne heure, et de graver si profondément dans ma mémoire les souvenirs de mon enfance que ces événements passés me semblent d'hier. Sans doute, Jésus voulait me faire connaître et apprécier la mère incomparable qu'il m'avait donnée. Hélas! sa main divine me l'enleva bientôt pour la couronner dans le ciel.
Toute ma vie, le Seigneur s'est plu à m'entourer d'amour; mes premiers souvenirs sont empreints des sourires et des caresses les plus tendres. Mais s'il avait placé près de moi tant d'amour, il en avait mis aussi dans mon petit cœur, le créant affectueux et sensible. On ne peut se figurer combien je chérissais mon père et ma mère; je leur témoignais ma tendresse de mille manières, car j'étais très expansive; toutefois, les moyens que j'employais alors me font rire aujourd'hui quand j'y pense.
Vous avez voulu, ma Mère, me mettre entre les mains les lettres de maman, adressées en ce temps-là à ma sœur Pauline, pensionnaire à la Visitation du Mans; je me souviens parfaitement des traits qu'elles contiennent; mais il me sera plus facile de citer simplement certains passages de ces lettres charmantes, souvent trop élogieuses à mon égard, étant dictées par l'amour maternel.
A l'appui de ce que je disais sur la manière de témoigner mon affection à mes parents, voici un mot de ma mère:
Le bébé est un lutin sans pareil, qui vient me caresser en me souhaitant la mort! «Oh! que je voudrais bien que tu mourrais, ma pauvre petite mère!» On la gronde, mais elle s'excuse d'un air tout étonné en disant: «C'est pourtant pour que tu ailles au ciel, puisque tu dis qu'il faut mourir pour y aller!» Elle souhaite de même la mort à son père quand elle est dans ses excès d'amour.
Cette pauvre mignonne ne veut point me quitter; elle est continuellement près de moi et me suit avec bonheur, surtout au jardin. Quand je n'y suis pas, elle refuse d'y rester et pleure tant qu'on est obligé de me la ramener. De même, elle ne monterait pas l'escalier toute seule, à moins de m'appeler à chaque marche: Maman! maman! Autant de marches, autant de maman! et si par malheur j'oublie de répondre une seule fois: «Oui, ma petite fille!» elle en reste là, sans avancer ni reculer.
J'allais atteindre ma troisième année, quand ma mère écrivait:
... La petite Thérèse me demandait l'autre jour si elle irait au ciel: «Oui, si tu es bien sage», lui ai-je répondu.—«Ah! maman, reprit-elle alors, si je n'étais pas mignonne, j'irais donc en enfer? mais moi je sais bien ce que je ferais: je m'envolerais avec toi qui serais au ciel; puis tu me tiendrais bien fort dans tes bras. Comment le bon Dieu ferait-il pour me prendre?» J'ai vu dans son regard qu'elle était persuadée que le bon Dieu ne lui pouvait rien, si elle se cachait dans les bras de sa mère.
Marie aime beaucoup sa petite sœur. C'est une enfant qui nous donne à tous bien des joies; elle est d'une franchise extraordinaire: c'est charmant de la voir courir après moi pour me faire sa confession. «Maman, j'ai poussé Céline une fois, je l'ai battue une fois; mais je ne recommencerai plus.»
Aussitôt qu'elle a fait le moindre malheur, il faut que tout le monde le sache: hier, ayant déchiré sans le vouloir un petit coin de tapisserie, elle s'est mise dans un état à faire pitié; puis il fallait bien vite le dire à son père. Lorsqu'il est rentré quatre heures après, personne n'y pensait plus; mais elle est accourue vers Marie, lui disant: «Raconte vite à papa que j'ai déchiré le papier.» Elle se tenait là, comme une criminelle qui attend sa condamnation; mais elle a dans sa petite idée qu'on va lui pardonner plus facilement si elle s'accuse.
En trouvant ici le nom de mon cher petit père, je suis amenée naturellement à certains souvenirs bien joyeux. Quand il rentrait, je courais invariablement au-devant de lui et m'asseyais sur une de ses bottes; alors il me promenait ainsi, tant que je le voulais, dans les appartements et dans le jardin. Maman disait en riant qu'il faisait toutes mes volontés: «Que veux-tu, répondait-il, c'est la reine!» Puis il me prenait dans ses bras, m'élevait bien haut, m'asseyait sur son épaule, m'embrassait et me caressait de toutes manières.
Cependant je ne puis dire qu'il me gâtait. Je me rappelle très bien qu'un jour où je me balançais en folâtrant, mon père vint à passer et m'appela, disant: «Viens m'embrasser, ma petite reine!» Contre mon habitude, je ne voulus point bouger et répondis d'un air mutin: «Dérange-toi, papa!» Il ne m'écouta pas et fit bien. Marie était là. «Petite mal élevée, me dit-elle, que c'est vilain de répondre ainsi à son père!» Aussitôt je sortis de ma fatale balançoire; la leçon n'avait que trop bien porté! Toute la maison retentit de mes cris de contrition; je montai vite l'escalier, et cette fois je n'appelai point maman à chaque marche; je ne pensais qu'à trouver papa, à me réconcilier avec lui, ce qui fut bien vite fait.
Je ne pouvais supporter la pensée d'avoir affligé mes bien-aimés parents; reconnaître mes torts était l'affaire d'un instant, comme le prouve encore ce trait d'enfance raconté si naturellement par ma mère elle-même:
Un matin, je voulus embrasser la petite Thérèse avant de descendre; elle paraissait profondément endormie; je n'osais donc la réveiller, quand Marie me dit: «Maman, elle fait semblant de dormir, j'en suis sûre.» Alors je me penchai sur son front pour l'embrasser; mais elle se cacha aussitôt sous sa couverture en me disant d'un air d'enfant gâté: «Je ne veux pas qu'on me voie.»—Je n'étais rien moins que contente, et le lui fis sentir. Deux minutes après je l'entendais pleurer, et voilà que bientôt, à ma grande surprise, je l'aperçois à mes côtés! Elle était sortie toute seule de son petit lit, avait descendu l'escalier pieds nus, embarrassée dans sa chemise de nuit plus longue qu'elle. Son petit visage était couvert de larmes.—«Maman, me dit-elle en se jetant à mes genoux, maman, j'ai été méchante, pardonne-moi!» Le pardon fut vite accordé. Je pris mon chérubin dans mes bras, le pressant sur mon cœur et le couvrant de baisers.
De Maman j'aimais le sourire;
Son regard profond semblait dire:
"L'Eternité me ravit et m'attire...
Je vais aller dans le Ciel bleu
Voir Dieu!"
Je me souviens aussi de l'affection bien grande que j'avais dès ce temps-là pour ma sœur aînée, Marie, qui venait de terminer ses études à la Visitation. Sans en avoir l'air, je faisais attention à tout ce qui se passait et se disait autour de moi; il me semble que je jugeais les choses comme maintenant. J'écoutais attentivement ce qu'elle apprenait à Céline; pour obtenir la faveur d'être admise dans sa chambre pendant des leçons, j'étais bien sage et je lui obéissais en tout; aussi me comblait-elle de cadeaux qui, malgré leur peu de valeur, me faisaient un extrême plaisir.
Je puis dire que mes deux grandes sœurs me rendaient bien fière! Mais, comme Pauline me paraissait si loin, je ne rêvais qu'elle du matin au soir. Lorsque je commençais seulement à parler, et que maman me demandait: «A quoi penses-tu?» la réponse était invariable: «A Pauline!» Quelquefois j'entendais dire que Pauline serait religieuse; alors, sans trop savoir ce que c'était, je pensais: «Moi aussi, je serai religieuse!» C'est là un de mes premiers souvenirs; et depuis je n'ai jamais changé de résolution. Ce fut donc l'exemple de cette sœur chérie qui, dès l'âge de deux ans, m'entraîna vers l'Epoux des vierges.
O ma Mère, que de douces réflexions je voudrais vous confier ici, sur mes rapports avec Pauline! mais ce serait trop long.
Ma chère petite Léonie tenait aussi une bien grande place dans mon cœur; elle m'aimait beaucoup. Le soir, en revenant de ses leçons, elle voulait me garder quand toute la famille était en promenade; il me semble entendre encore les gentils refrains qu'elle chantait de sa douce voix pour m'endormir. Je me souviens parfaitement de sa première communion. Je me rappelle aussi la petite fille pauvre, sa compagne, que ma mère avait habillée, suivant l'usage touchant des familles aisées d'Alençon. Cette enfant ne quitta pas Léonie un seul instant de ce beau jour; et, le soir au grand dîner, on la mit à la place d'honneur. Hélas! j'étais trop petite pour rester à ce pieux festin; mais j'y participai un peu, grâce à la bonté de papa qui vint lui-même, au dessert, apporter à sa petite reine un morceau de la pièce montée.
Maintenant il me reste à parler de Céline, la petite compagne de mon enfance. Pour elle, les souvenirs sont en telle abondance que je ne sais lesquels choisir. Nous nous entendions parfaitement toutes les deux; mais j'étais bien plus vive et bien moins naïve qu'elle. Voici une lettre qui vous montrera, ma Mère, combien Céline était douce, et moi méchante. J'avais alors près de trois ans et Céline six ans et demi.
Ma petite Céline est tout à fait portée à la vertu; pour le petit furet, on ne sait pas trop comment ça fera; c'est si petit, si étourdi! C'est une enfant très intelligente; mais elle est bien moins douce que sa sœur, et surtout d'un entêtement presque invincible. Quand elle dit non, rien ne peut la faire céder; on la mettrait une journée dans la cave sans obtenir un oui de sa part; elle y coucherait plutôt!
J'avais encore un défaut dont ma mère ne parle pas dans ses lettres: c'était un grand amour-propre. En voici seulement deux exemples:
Un jour, voulant connaître sans doute jusqu'où irait mon orgueil, elle me dit en souriant: «Ma petite Thérèse, si tu veux baiser la terre je vais te donner un sou.» Un sou, cela valait pour moi toute une fortune. Pour le gagner dans la circonstance, je n'avais guère besoin d'abaisser ma grandeur, car ma petite taille ne mettait pas une distance considérable entre moi et la terre; cependant ma fierté se révolta, et, me tenant bien droite, je répondis à maman: «Oh! non, ma petite mère, j'aime mieux ne pas avoir de sou.»
Une autre fois, nous devions aller à la campagne chez des amis. Maman dit à Marie de me mettre ma plus jolie toilette, mais de ne pas me laisser les bras nus. Je ne soufflai mot, et montrai même l'indifférence que doivent avoir les enfants de cet âge; mais intérieurement je me disais: «Pourtant, comme j'aurais été bien plus gentille avec mes petits bras nus!»
Avec une semblable nature, je me rends parfaitement compte que, si j'avais été élevée par des parents sans vertu, je serais devenue très méchante, et peut-être même aurais-je couru à ma perte éternelle. Mais Jésus veillait sur sa petite fiancée; il fit tourner à son avantage tous ses défauts, qui, réprimés de bonne heure, lui servirent à grandir dans la perfection. En effet, comme j'avais de l'amour-propre et aussi l'amour du bien, il suffisait que l'on me dît une seule fois: «Il ne faut pas faire telle chose», pour que je n'eusse plus envie de recommencer. Je vois avec plaisir dans les lettres de ma chère maman, qu'en avançant en âge je lui donnais plus de consolation; n'ayant sous les yeux que de bons exemples, je voulais naturellement les suivre. Voici ce qu'elle écrivait en 1876:
Jusqu'à Thérèse qui veut se mêler de faire des sacrifices. Marie a donné à ses petites sœurs un chapelet fait exprès pour compter leurs pratiques de vertu; elles font ensemble de véritables conférences spirituelles très amusantes. Céline disait l'autre jour: «Comment cela se fait-il que le bon Dieu soit dans une si petite hostie?» Thérèse lui a répondu: «Ce n'est pas si étonnant, puisque le bon Dieu est tout-puissant!»—«Et qu'est-ce que ça veut dire tout-puissant?»—«Ça veut dire qu'il fait tout ce qu'il veut!»
Mais le plus curieux encore, c'est de voir Thérèse mettre la main cent fois par jour dans sa petite poche pour tirer une perle à son chapelet toutes les fois qu'elle fait un sacrifice.
Ces deux enfants sont inséparables et se suffisent pour se récréer. La nourrice a donné à Thérèse un coq et une poule de la petite espèce; vite le bébé a donné le coq à sa sœur. Tous les jours, après le dîner, celle-ci va prendre son coq, elle l'attrape tout d'un coup ainsi que la poule; puis les voilà qui viennent s'asseoir au coin du feu; elles s'amusent ainsi fort longtemps.
Un matin, Thérèse s'est avisée de sortir de son petit lit pour aller coucher avec Céline; la bonne la cherchait pour l'habiller; elle l'aperçoit enfin, et la petite lui dit, en embrassant sa sœur et la serrant bien fort dans ses bras: «Laissez-moi, ma pauvre Louise, vous voyez bien que toutes les deux, on est comme les petites poules blanches, on ne peut pas se séparer!»
Il est bien vrai que je ne pouvais rester sans Céline; j'aimais mieux sortir de table avant d'avoir fini mon dessert que de ne pas la suivre aussitôt qu'elle se levait. Me tournant alors dans ma grande chaise d'enfant, je voulais descendre bien vite et puis nous allions jouer ensemble.
Le dimanche, comme j'étais trop petite pour aller aux offices, maman restait à me garder. En cette circonstance, je montrais une grande sagesse, ne marchant que sur le bout des pieds; mais aussitôt que j'entendais la porte s'ouvrir, c'était une explosion de joie sans pareille; je me précipitais au-devant de ma jolie petite sœur, et je lui disais: «O Céline! donne-moi bien vite du pain bénit!» Un jour, elle n'en avait pas!... comment faire? Je ne pouvais m'en passer; j'appelais ce festin, ma messe. Une idée lumineuse me traversa l'esprit: «Tu n'as pas de pain bénit, eh bien, fais-en!» Elle ouvrit alors le placard, prit le pain, en coupa une bouchée, et, récitant dessus un Ave Maria d'un ton solennel, me le présenta triomphante. Et moi, faisant le signe de la croix, je le mangeai avec une grande dévotion, lui trouvant tout à fait le goût du pain bénit.
Un jour, Léonie, se trouvant sans doute trop grande pour jouer à la poupée, vint nous trouver toutes les deux avec une corbeille remplie de robes, de jolis morceaux d'étoffe et autres garnitures, sur lesquels ayant couché sa poupée, elle nous dit: «Tenez, mes petites sœurs, choisissez!» Céline regarda et prit un peloton de ganse. Après un moment de réflexion, j'avançai la main à mon tour en disant: «Je choisis tout!» et j'emportai corbeille et poupée sans autre cérémonie.
Ce trait de mon enfance est comme le résumé de ma vie entière. Plus tard, lorsque la perfection m'est apparue, j'ai compris que pour devenir une sainte il fallait beaucoup souffrir, rechercher toujours ce qu'il y a de plus parfait et s'oublier soi-même. J'ai compris que, dans la sainteté, les degrés sont nombreux, que chaque âme est libre de répondre aux avances de Notre-Seigneur, de faire peu ou beaucoup pour son amour; en un mot, de choisir entre les sacrifices qu'il demande. Alors, comme aux jours de mon enfance, je me suis écriée: «Mon Dieu, je choisis tout! je ne veux pas être sainte à moitié; cela ne me fait pas peur de souffrir pour vous, je ne crains qu'une chose, c'est de garder ma volonté; prenez-la, car je choisis tout ce que vous voulez!»
Mais je m'oublie, ma Mère bien-aimée; je ne dois pas encore vous parler de ma jeunesse, j'en suis au petit bébé de trois et quatre ans.
Je me souviens d'un songe que j'ai fait à cet âge et qui s'est gravé profondément dans ma mémoire:
J'allais me promener seule au jardin, quand j'aperçus tout à coup, auprès de la tonnelle, deux affreux petits diables qui dansaient sur un baril de chaux avec une agilité surprenante, malgré des fers pesants qu'ils avaient aux pieds. Ils jetèrent d'abord sur moi des yeux flamboyants; puis, comme saisis de crainte, je les vis se précipiter en un clin d'œil au fond du baril, sortir ensuite par je ne sais quelle issue, courir et se cacher finalement dans la lingerie qui donnait de plain-pied sur le jardin. Les trouvant si peu braves, je voulus savoir ce qu'ils allaient faire; et, dominant ma première frayeur, je m'approchai de la fenêtre... Les pauvres diablotins étaient là, courant sur les tables et ne sachant comment fuir mon regard. De temps en temps ils s'approchaient, guettaient par les carreaux d'un air inquiet; puis, voyant que j'étais toujours là, ils recommençaient à courir comme des désespérés.
Sans doute, ce rêve n'a rien d'extraordinaire; je crois, cependant, que le bon Dieu s'en est servi, afin de me prouver qu'une âme en état de grâce n'a rien à craindre des démons qui sont des lâches, capables de fuir devant le regard d'un enfant.
O ma Mère, que j'étais heureuse à cet âge! Non seulement je commençais à jouir de la vie; mais la vertu avait pour moi des charmes. Je me trouvais, il me semble, dans les mêmes dispositions qu'aujourd'hui, ayant déjà un très grand empire sur toutes mes actions. Ainsi, j'avais pris l'habitude de ne jamais me plaindre quand on m'enlevait ce qui était à moi; ou bien, lorsque j'étais accusée injustement, je préférais me taire que de m'excuser. Il n'y avait en cela aucun mérite de ma part; je le faisais naturellement.
Ah! comme elles ont passé rapidement ces années ensoleillées de ma petite enfance, et quelle douce et suave empreinte elles ont laissée dans mon âme! Je me rappelle avec bonheur les promenades du dimanche où toujours ma bonne mère nous accompagnait. Je sens encore les impressions profondes et poétiques qui naissaient dans mon cœur à la vue des champs de blé émaillés de coquelicots, de bleuets et de pâquerettes. Déjà, j'aimais les lointains, l'espace, les grands arbres; en un mot, toute la belle nature me ravissait et transportait mon âme dans les cieux.
Souvent, pendant ces longues promenades, nous rencontrions des pauvres, et la petite Thérèse était toujours chargée de leur porter l'aumône; ce qui la rendait bien heureuse. Souvent aussi, mon bon père, trouvant la route un peu longue pour sa petite reine, la ramenait au logis, à son grand déplaisir! Alors, pour la consoler, Céline remplissait de pâquerettes son joli petit panier et les lui donnait au retour.
Oh! véritablement, tout me souriait sur la terre. Je trouvais des fleurs sous chacun de mes pas, et mon heureux caractère contribuait aussi à rendre ma vie agréable; mais une nouvelle période allait s'ouvrir. Devant être si tôt la fiancée de Jésus, il m'était nécessaire de souffrir dès mon enfance. De même que les fleurs du printemps commencent à germer sous la neige et s'épanouissent aux premiers rayons du soleil, de même la petite fleur dont j'écris les souvenirs a-t-elle dû passer par l'hiver de l'épreuve, et laisser remplir son tendre calice de la rosée des pleurs...
Mort de sa mère.—Les Buissonnets.—Amour paternel.
Première confession.
Les veillées d'hiver.—Vision prophétique.
——
Tous les détails de la maladie de ma mère sont encore présents à mon cœur. Je me souviens surtout des dernières semaines qu'elle a passées sur la terre. Nous étions, Céline et moi, comme de pauvres petites exilées! Tous les matins Madame X*** venait nous chercher, et nous passions la journée chez elle. Une fois, nous n'avions pas eu le temps de faire notre prière avant de partir, et ma petite sœur me dit tout bas pendant le trajet: «Faut-il avouer que nous n'avons pas fait notre prière?—Oh! oui», lui ai-je répondu. Alors, bien timidement, elle confia son secret à cette dame qui nous dit aussitôt: «Eh bien, mes petites filles, vous allez la faire»; puis, nous laissant dans une grande chambre, elle partit. Céline me regarda stupéfaite; je ne l'étais pas moins et m'écriai: «Ah! ce n'est pas comme maman! toujours elle nous faisait faire notre prière.»
Dans la journée, malgré les distractions qu'on essayait de nous donner, la pensée de notre mère chérie nous revenait sans cesse. Je me rappelle que ma sœur ayant reçu un bel abricot, se pencha vers moi et me dit: «Nous n'allons pas le manger, je vais le donner à maman.» Hélas! notre mère bien-aimée était déjà trop malade pour manger les fruits de la terre; elle ne devait plus se rassasier qu'au ciel de la gloire de Dieu et boire avec Jésus le vin mystérieux dont il parla dans sa dernière Cène, promettant de le partager avec nous dans le royaume de son Père.
La cérémonie touchante de l'Extrême-Onction s'est imprimée dans mon âme. Je vois encore l'endroit où l'on me fit agenouiller, j'entends encore les sanglots de mon pauvre père.
Ma mère quitta ce monde le 28 août 1877, dans sa quarante-sixième année. Le lendemain de sa mort, mon bon père me prit dans ses bras: «Viens, me dit-il, embrasser une dernière fois ta chère petite mère.» Et moi, sans prononcer un seul mot, j'approchai mes lèvres du front glacé de ma mère chérie.
Je ne me souviens pas d'avoir beaucoup pleuré. Je ne parlais à personne des sentiments profonds qui remplissaient mon cœur; je regardais et j'écoutais en silence. Je voyais aussi bien des choses qu'on aurait voulu me cacher: un moment, je me trouvai seule en face du cercueil, placé debout dans le corridor; je m'arrêtai longtemps à le considérer; jamais je n'en avais vu, cependant je comprenais! J'étais si petite alors qu'il me fallait lever la tête pour le voir tout entier, et il me paraissait bien grand, bien triste...
Quinze ans plus tard, je me trouvai devant un autre cercueil, celui de notre sainte Mère Geneviève[14]; et je me crus encore aux jours de mon enfance! Tous mes souvenirs se pressèrent en foule dans ma mémoire. C'était bien la même petite Thérèse qui regardait, mais elle avait grandi, et le cercueil lui paraissait petit; elle ne levait pas la tête pour le regarder, elle ne la levait plus que pour contempler le ciel qui lui paraissait bien joyeux, car l'épreuve avait mûri et fortifié son âme de telle sorte que rien ici-bas ne pouvait plus l'attrister.
Le jour où la sainte Eglise bénit la dépouille mortelle de ma mère, le bon Dieu ne me laissa pas tout à fait orpheline; il me donna une autre mère et me la fit choisir librement. Nous étions réunies toutes les cinq, nous regardant avec tristesse. En nous voyant ainsi, notre bonne fut émue de compassion et se tournant vers Céline et vers moi: «Pauvres petites, nous dit-elle, vous n'avez plus de mère!» Alors Céline se jeta dans les bras de Marie en s'écriant: «Eh bien, c'est toi qui seras maman!» Moi, toujours habituée à suivre Céline, j'aurais bien dû l'imiter dans une action si juste; mais je pensai que Pauline allait peut-être avoir du chagrin et se sentir délaissée, n'ayant pas de petite fille; alors je la regardai avec tendresse, et cachant ma petite tête sur son cœur, je dis à mon tour: «Pour moi, c'est Pauline qui sera maman!»
Comme je l'ai écrit plus haut, c'est à partir de cette époque qu'il me fallut entrer dans la seconde période de mon existence, la plus douloureuse, surtout depuis l'entrée au Carmel de celle que j'avais choisie pour ma seconde mère. Cette période s'étend à partir de l'âge de quatre ans et demi jusqu'à ma quatorzième année, où je retrouvai mon caractère d'enfant, tout en comprenant de plus en plus le sérieux de la vie.
Il faut vous dire, ma Mère vénérée, qu'aussitôt la mort de maman, mon heureux caractère changea complètement. Moi, si vive, si expansive, je devins timide et douce, sensible à l'excès; un regard suffisait souvent pour me faire fondre en larmes; il fallait que personne ne s'occupât de moi; je ne pouvais souffrir la compagnie des étrangers et ne retrouvais ma gaieté que dans l'intimité de la famille. Là, je continuais à être entourée des délicatesses les plus grandes. Le cœur déjà si affectueux de mon père semblait enrichi d'un amour vraiment maternel, et je sentais mes sœurs devenues pour moi les mères les plus tendres, les plus désintéressées. Ah! si le bon Dieu n'avait pas prodigué ses bienfaisants rayons à sa petite fleur, jamais elle n'aurait pu s'acclimater sur la terre. Encore trop faible pour supporter les pluies et les orages, il lui fallait de la chaleur, une douce rosée et des brises printanières; ces bienfaits ne lui manquèrent pas, même sous la neige de l'épreuve.
Bientôt, mon père résolut de quitter Alençon pour venir habiter Lisieux et nous rapprocher ainsi de mon oncle, frère de ma mère. Il fit ce sacrifice dans le but de confier mes sœurs, encore jeunes, à la direction de ma chère tante, afin qu'elle les guidât dans leur nouvelle mission et nous servît en quelque sorte de mère. Je ne ressentis aucun chagrin en abandonnant ma ville natale; les enfants aiment le changement et ce qui sort de l'ordinaire; ce fut donc avec plaisir que je vins à Lisieux. Je me souviens du voyage, de l'arrivée le soir chez mon oncle; je vois encore mes petites cousines, Jeanne et Marie, nous attendant sur le seuil de la maison avec ma tante. Oh! que je fus touchée de l'affection que nos chers parents nous témoignèrent!
Le lendemain, on nous conduisit dans notre nouvelle demeure, je veux dire aux Buisson nets, quartier solitaire situé tout près de la belle promenade nommée «Jardin de l'étoile». La maison louée par mon père me parut charmante: un belvédère d'où la vue s'étendait au loin, le jardin anglais devant la façade, et derrière la maison un autre grand jardin potager; tout cela pour ma jeune imagination fut du nouveau heureux. En effet, cette riante habitation devint le théâtre de bien douces joies, de scènes de famille inoubliables. Ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, j'étais exilée, je pleurais, je sentais que je n'avais plus de mère! Là, mon petit cœur s'épanouissait et je souriais encore à la vie.
Dès le réveil, je trouvais les caresses de mes sœurs et puis à leurs côtés je faisais ma prière. Je prenais ensuite avec Pauline ma leçon de lecture; je me rappelle que le mot cieux fut le premier que je pus lire seule. Aussitôt ma classe finie, je montais au belvédère, résidence habituelle de mon père; ah! combien j'étais heureuse lorsque j'avais de bonnes notes à lui annoncer!
Tous les après-midi j'allais faire avec lui une petite promenade, visiter le Saint Sacrement, un jour dans une église, le lendemain dans une autre. C'est ainsi que j'entrai pour la première fois dans la chapelle du Carmel. «Vois-tu, ma petite reine, me dit papa, derrière cette grande grille, il y a de saintes religieuses qui prient toujours le bon Dieu.» J'étais bien loin de penser que, neuf ans plus tard, je serais parmi elles; que là, dans ce Carmel béni, je recevrais de si grandes grâces!
Après la promenade, je rentrais à la maison où je faisais mes devoirs; puis, tout le reste du temps, je sautillais dans le jardin autour de mon bon père. Je ne savais pas jouer à la poupée; mon plus grand plaisir était de préparer des tisanes avec des graines et des écorces d'arbres. Quand mes infusions prenaient une belle teinte, je les offrais vite à papa, dans une jolie petite tasse qui donnait vraiment envie d'en savourer le contenu. Ce tendre père quittait aussitôt son travail et puis, en souriant, faisait semblant de boire.
J'aimais aussi à cultiver des fleurs; je m'amusais à dresser de petits autels dans un enfoncement qui se trouvait, par bonheur, au milieu du mur de mon jardin. Quand tout était prêt, je courais vers papa qui s'extasiait, pour me faire plaisir, devant mes autels merveilleux, admirant ce que j'estimais un chef-d'œuvre! Je ne finirais pas, si je voulais raconter mille traits de ce genre dont j'ai gardé le souvenir. Ah! comment dirais-je toutes les tendresses que mon incomparable père prodiguait à sa petite reine?
Ils étaient pour moi de beaux jours ceux où mon roi chéri—comme j'aimais à l'appeler—m'emmenait avec lui à la pêche. Quelquefois j'essayais moi-même de pêcher avec ma petite ligne; plus souvent je préférais m'asseoir à l'écart sur l'herbe fleurie. Alors mes pensées devenaient bien profondes; et, sans savoir ce que c'était que méditer, mon âme se plongeait dans une réelle oraison. J'écoutais les bruits lointains, le murmure du vent. Parfois la musique militaire m'envoyait de la ville quelques notes indécises, et «mélancolisait» doucement mon cœur. La terre me semblait un lieu d'exil et je rêvais le ciel!
L'après-midi passait vite; bientôt il fallait revenir aux Buissonnets; mais, avant de plier bagage, je prenais la collation apportée dans mon petit panier. Hélas! la belle tartine de confiture préparée par mes sœurs avait changé d'aspect. Au lieu de sa vive couleur, je ne voyais plus qu'une légère teinte rose toute vieillie et rentrée. Alors la terre me semblait plus triste encore, et je comprenais qu'au ciel seulement la joie serait sans nuages.
A propos de nuages, je me souviens qu'un jour le beau ciel bleu de la campagne s'en couvrit; bientôt l'orage se mit à gronder avec force, accompagné d'éclairs étincelants. Je me tournais à droite et à gauche pour ne rien perdre de ce majestueux spectacle; enfin je vis la foudre tomber dans un pré voisin, et, loin d'en éprouver la moindre frayeur, je fus ravie; il me sembla que le bon Dieu était tout près de moi! Mon père chéri, moins content que sa reine, vint la tirer de son ravissement; déjà l'herbe et les grandes pâquerettes, plus hautes que moi, étincelaient de pierres précieuses, et nous avions à traverser plusieurs prairies avant de gagner la route. Il me prit donc dans ses bras, malgré son attirail de lignes, et de là, je regardais en bas les beaux diamants, regrettant presque de n'en être pas couverte et inondée.
Il me semble ne pas avoir dit que, pendant mes promenades journalières, à Lisieux comme à Alençon, je portais souvent l'aumône aux malheureux. Un jour, nous vîmes un pauvre vieillard qui se traînait péniblement sur des béquilles. Je m'approchai pour lui donner ma petite pièce; il fixa sur moi un long et triste regard, puis, secouant la tête avec un douloureux sourire, il refusa mon aumône. Je ne puis dire ce qui se passa dans mon cœur. J'aurais voulu le consoler, le soulager; au lieu de cela, je venais peut-être de l'humilier, de lui faire de la peine!
Sans doute il devina ma pensée, car je le vis bientôt se détourner et me sourire de loin. A ce moment, mon bon père venait de m'acheter un gâteau, j'avais grande envie de courir pour le donner au vieillard; je me disais: «Il n'a pas voulu d'argent, mais bien sûr, un gâteau lui ferait plaisir.» Puis je ne sais quelle crainte me retint; j'avais le cœur si gros que je pouvais à peine cacher mes larmes; enfin je me rappelai avoir entendu dire que le jour de la première communion on obtenait toutes les grâces demandées: cette pensée me consola aussitôt. Bien que je n'eusse alors que six ans, je me dis: «Je prierai pour mon pauvre, le jour de ma première communion;» et, cinq ans plus tard, je tins fidèlement ma résolution. J'ai toujours pensé que ma prière enfantine pour ce membre souffrant de Notre-Seigneur avait été bénie et récompensée.
En grandissant, j'aimais le bon Dieu de plus en plus, et je lui donnais bien souvent mon cœur, me servant de la formule que ma mère m'avait apprise; je m'efforçais de plaire à Jésus en toutes mes actions et je faisais grande attention à ne l'offenser jamais. Cependant, un jour, je commis une faute qui vaut bien la peine d'être rapportée ici; elle me donne un grand sujet de m'humilier, et je crois en avoir eu la contrition parfaite.
C'était au mois de mai 1878. Mes sœurs me trouvant trop petite pour aller aux exercices du mois de Marie tous les soirs, je restais avec la bonne, et faisais avec elle mes dévotions devant mon autel à moi, que j'arrangeais à ma façon. Tout était si petit, chandeliers, pots de fleurs, etc., que deux allumettes-bougies suffisaient pour l'éclairer parfaitement. Quelquefois Victoire, pour économiser ma provision d'allumettes, me faisait la surprise de deux véritables bouts de bougie; mais c'était rare.
Un soir, nous allions nous mettre en prière, je lui dis: «Voulez-vous commencer le Souvenez-vous, je vais allumer.» Elle fit semblant de commencer, puis me regarda en riant très fort. Moi, qui voyais mes précieuses allumettes se consumer rapidement, je la suppliai encore une fois de dire bien vite le Souvenez-vous. Même silence! mêmes éclats de rire! Alors, au comble de l'indignation, je me levai, et, sortant de ma douceur habituelle, je frappai du pied avec force en criant bien haut: «Victoire, vous êtes une méchante!» La pauvre fille n'avait plus envie de rire; elle me regardait, muette d'étonnement, et me montrait, mais trop tard, la surprise de ses deux bouts de bougie cachés sous son tablier. Après avoir pleuré de colère, hélas! je versai des larmes de contrition; j'étais toute honteuse et désolée et je pris la ferme résolution de ne plus jamais recommencer.
Peu de temps après, j'allai me confesser. Bien doux souvenir pour moi! Pauline me disait: «Ma petite Thérèse, ce n'est pas à un homme, mais au bon Dieu lui-même que tu vas avouer tes péchés.» J'en devins si persuadée que je lui demandai sérieusement s'il ne fallait pas dire à M. l'abbé D*** que je l'aimais de tout mon cœur, puisque c'était au bon Dieu que j'allais parler en sa personne.
Bien instruite de tout ce que je devais faire, j'entrai au confessionnal, et, me tournant juste en face du prêtre pour mieux le voir, je me confessai et reçus sa bénédiction avec un grand esprit de foi;—ma sœur m'ayant assuré qu'à ce moment solennel les larmes du petit Jésus allaient purifier mon âme.—Je me souviens de l'exhortation qui me fut adressée: elle m'invitait surtout à la dévotion envers la sainte Vierge; et je me promis de redoubler de tendresse pour celle qui tenait déjà une bien grande place dans mon cœur.
Enfin, je passai mon petit chapelet pour le faire bénir, et je sortis du confessionnal si contente et si légère que jamais je n'avais senti autant de joie. C'était le soir. Arrivée sous un réverbère je m'arrêtai, et tirant de ma poche le chapelet nouvellement bénit, je le tournai et retournai dans tous les sens. «Que regardes-tu, ma petite Thérèse?» me dit Pauline. «Mais, je regarde comment c'est fait, un chapelet bénit!» Cette naïve réponse amusa beaucoup mes sœurs. Pour moi, je restai bien longtemps pénétrée de la grâce que j'avais reçue; depuis, je voulais me confesser aux grandes fêtes, et cette confession, je puis le dire, remplissait d'allégresse tout mon petit intérieur.
Les fêtes!... Ah! que de souvenirs embaumés ce simple mot me rappelle!... Les fêtes!... je les aimais tant! Mes sœurs savaient si bien m'expliquer les mystères cachés en chacune d'elles! Oui, ces jours de la terre devenaient pour moi des jours du ciel. J'aimais surtout les processions du Saint Sacrement. Quelle joie de semer des fleurs sous les pas du bon Dieu! Mais, avant de les y laisser tomber, je les lançais bien haut et je n'étais jamais aussi heureuse qu'en voyant mes roses effeuillées toucher l'ostensoir sacré.
Les fêtes! Ah! si les grandes étaient rares, chaque semaine en ramenait une bien chère à mon cœur: le dimanche. Quelle journée radieuse! C'était la fête du bon Dieu, la fête du repos. D'abord, toute la famille partait à la grand'messe; et je me rappelle qu'au moment du sermon,—notre chapelle étant éloignée de la chaire—il fallait descendre et trouver des places dans la nef, ce qui n'était pas très facile. Mais, pour la petite Thérèse et son père, tout le monde s'empressait de leur offrir des chaises. Mon oncle se réjouissait en nous voyant arriver tous les deux; il m'appelait son petit rayon de soleil, et disait que, de voir ce vénérable patriarche conduisant par la main sa petite fille, c'était un tableau qui le ravissait.
Moi, je ne m'inquiétais guère d'être regardée, je ne m'occupais que d'écouter attentivement le prêtre. Un sermon sur la Passion de Notre-Seigneur fut le premier que je compris et qui me toucha profondément; j'avais alors cinq ans et demi, et depuis je pus saisir et goûter le sens de toutes les instructions.
Quand il était question de sainte Thérèse, mon père se penchait et me disait tout bas: «Ecoute bien, ma petite reine, on parle de ta sainte patronne.» J'écoutais bien, en effet, mais je l'avoue, je regardais plus souvent papa que le prédicateur. Sa belle figure me disait tant de choses! Parfois ses yeux se remplissaient de larmes qu'il s'efforçait vainement de retenir. En écoutant les vérités éternelles, il semblait déjà ne plus habiter la terre; son âme me paraissait plongée dans un autre monde. Hélas! sa course était loin, bien loin d'être à son terme: de longues et douloureuses années devaient s'écouler encore avant que le beau ciel s'ouvrît à ses yeux et que le Seigneur, de sa main divine, essuyât les larmes amères de son fidèle serviteur.
Je reviens à ma journée du dimanche. Cette joyeuse fête qui passait si rapidement avait bien aussi sa teinte de mélancolie: mon bonheur était sans mélange jusqu'à complies; mais, à partir de cet office du soir, un sentiment de tristesse envahissait mon âme: je pensais que le lendemain il faudrait recommencer la vie, travailler, apprendre des leçons, et mon cœur sentait l'exil de la terre, je soupirais après le repos du ciel, le dimanche sans couchant de la vraie patrie!
Avant de rentrer aux Buissonnets, ma tante nous invitait, les unes après les autres, à passer la soirée chez elle: j'étais bien heureuse quand venait mon tour. J'écoutais avec un plaisir extrême tout ce que mon oncle disait; ses conversations sérieuses m'intéressaient beaucoup; il ne se doutait pas certainement de l'attention que j'y prenais. Toutefois, ma joie était mêlée de frayeur quand il m'asseyait sur un seul de ses genoux, en chantant Barbe-bleue d'une voix formidable!
Vers huit heures, mon père venait me chercher. Alors je me souviens que je regardais les étoiles avec un ravissement inexprimable... Il y avait surtout au firmament profond un groupe de perles d'or (le baudrier d'Orion) que je remarquais avec délices, lui trouvant la forme d'un T et je disais en chemin à mon père chéri: «Regarde, papa, mon nom est écrit dans le ciel!» Puis, ne voulant plus rien voir de la vilaine terre, je lui demandais de me conduire; et, sans regarder où je posais les pieds, je mettais ma petite tête bien en l'air, ne me lassant pas de contempler l'azur étoilé.
Que pourrais-je dire des veillées d'hiver aux Buissonnets? Après la partie de damier, mes sœurs lisaient l'Année liturgique: puis quelques pages d'un livre intéressant et instructif à la fois. Pendant ce temps, je prenais place sur les genoux de mon père; et, la lecture terminée, il chantait, de sa belle voix, des refrains mélodieux comme pour m'endormir. Alors j'appuyais ma tête sur son cœur, et lui me berçait doucement...
Enfin nous montions pour faire la prière; et, là encore, j'avais ma place auprès de mon bon père, n'ayant qu'à le regarder pour savoir comment prient les saints. Ensuite, Pauline me couchait; après quoi je lui disais invariablement: «Est-ce que j'ai été mignonne aujourd'hui?—Est-ce que le bon Dieu est content de moi?—Est-ce que les petits anges vont voler autour de moi?...» Toujours la réponse était oui: autrement, j'aurais passé la nuit tout entière à pleurer. Après cet interrogatoire, mes sœurs m'embrassaient, et la petite Thérèse restait seule dans l'obscurité.
Je regarde comme une vraie grâce d'avoir été habituée dès l'enfance à surmonter mes frayeurs. Parfois, Pauline m'envoyait seule le soir chercher quelque chose dans une chambre éloignée; elle ne souffrait point de refus, et cela m'était nécessaire, car je serais devenue très peureuse; tandis qu'à présent, il est bien difficile de m'effrayer. Je me demande comment ma petite mère a pu m'élever avec tant d'amour, sans me gâter, car elle ne me passait aucune imperfection: jamais elle ne me faisait de reproches sans sujet, mais jamais non plus,—je le savais bien—elle ne revenait sur une chose décidée.
Cette sœur chérie recevait mes confidences les plus intimes; elle éclairait tous mes doutes. Un jour, je lui témoignais ma surprise de ce que le bon Dieu ne donne pas une gloire égale dans le ciel à tous les élus; j'avais peur que tous ne fussent pas heureux. Alors elle m'envoya chercher le grand verre de papa et le mit à coté de mon petit dé; puis, les remplissant d'eau tous deux, elle me demanda lequel paraissait le plus rempli. Je lui dis que je les voyais aussi pleins l'un que l'autre, et qu'il était impossible de leur verser plus d'eau qu'ils n'en pouvaient contenir. Pauline me fit alors comprendre qu'au ciel le dernier des élus n'envierait pas le bonheur du premier. C'est ainsi que, mettant à ma portée les plus sublimes secrets, elle donnait à mon âme la nourriture qui lui était nécessaire.
Avec quelle joie je voyais arriver chaque année la distribution des prix! Bien que toute seule à concourir, la justice, comme toujours, n'en était pas moins gardée; je n'avais que les récompenses absolument méritées. Le cœur me battait bien fort en écoutant ma sentence, en recevant des mains de mon père, devant toute la famille réunie, les prix et les couronnes. C'était pour moi comme une image du jugement!
Hélas! en voyant papa si radieux, je ne prévoyais pas les grandes épreuves qui l'attendaient. Un jour cependant, le bon Dieu me montra dans une vision extraordinaire l'image vivante de cette douleur à venir.
Mon père était en voyage et ne devait pas revenir de si tôt; il pouvait être deux ou trois heures de l'après-midi: le soleil brillait d'un vif éclat et toute la nature semblait en fête. Je me trouvais seule à une fenêtre donnant sur le jardin potager, l'esprit tout occupé de pensées riantes; quand je vis devant la buanderie, en face de moi, un homme vêtu absolument comme papa, ayant la même taille élevée et la même démarche, mais de plus très courbé et vieilli. Je dis vieilli, pour dépeindre l'ensemble général de sa personne; car je ne voyais point son visage, sa tête étant couverte d'un voile épais. Il s'avançait lentement, d'un pas régulier, longeant mon petit jardin. Aussitôt, un sentiment de frayeur surnaturelle me saisit et j'appelai bien haut d'une voix tremblante: «Papa! Papa!...» Mais le mystérieux personnage ne semblait pas m'entendre; il continua sa marche sans même se détourner, et se dirigea ainsi vers un bouquet de sapins qui partageait l'allée principale du jardin. Je m'attendais à le voir reparaître de l'autre côté des grands arbres; mais la vision prophétique s'était évanouie!
Tout cela n'avait duré qu'un instant: un instant qui se grava si profondément dans ma mémoire, qu'aujourd'hui encore, après tant d'années, le souvenir m'en est aussi présent que la vision elle-même.
Mes sœurs étaient ensemble dans une chambre voisine. M'entendant appeler papa, elles ressentirent elles-mêmes une impression de frayeur. Dissimulant son émotion, Marie accourut vers moi: «Pourquoi donc, me dit-elle, appelles-tu ainsi papa qui est à Alençon?» Je racontai ce que je venais de voir, et, pour me rassurer, on me dit que la bonne, voulant sans doute me faire peur, s'était caché la tête avec son tablier.
Mais Victoire interrogée assura n'avoir pas quitté sa cuisine; d'ailleurs, la vérité ne pouvait s'obscurcir dans mon esprit: j'avais vu un homme, et cet homme ressemblait absolument à papa. Alors nous allâmes toutes derrière le massif d'arbres, et, n'ayant rien trouvé, mes sœurs me dirent de ne plus penser à cela. Ne plus y penser! Ah! ce n'était pas en mon pouvoir. Bien souvent mon imagination me représentait cette vision mystérieuse. Bien souvent je cherchais à soulever le voile qui m'en dérobait le sens, et je gardais au fond du cœur la conviction intime qu'il me serait un jour entièrement révélé.
Et vous connaissez tout, ma Mère bien-aimée! Vous le savez maintenant: c'était bien mon père que le bon Dieu m'avait fait voir, s'avançant courbé par l'âge, et portant sur son visage vénérable, sur sa tête blanchie, le signe de sa grande épreuve. Comme la Face adorable de Jésus fut voilée pendant sa Passion, ainsi la face de son fidèle serviteur devait être voilée aux jours de son humiliation, afin de pouvoir rayonner avec plus d'éclat dans les cieux. Ah! combien j'admire la conduite de Dieu nous montrant d'avance cette croix précieuse, comme un père fait entrevoir à ses enfants l'avenir glorieux qu'il leur prépare, et se complaît, dans son amour, à considérer lui-même les richesses sans prix qui doivent être leur héritage!
Mais une réflexion me vient à l'esprit: «Pourquoi le bon Dieu a-t-il donné cette lumière à une enfant qui, si elle l'avait comprise, serait morte de douleur?» Pourquoi?... Voilà un de ces mystères impénétrables que nous comprendrons seulement au ciel pour en faire le sujet de notre éternelle admiration! Mon Dieu, que vous êtes bon! Comme vous proportionnez les épreuves à nos forces! Je n'avais pas même le courage en ce temps-là de penser, sans effroi, que papa pouvait mourir. Il était un jour monté sur le haut d'une échelle et, comme je restais là tout près, il me dit: «Eloigne-toi, ma petite reine, car, si je tombe, je vais t'écraser.» Aussitôt je ressentis une révolte intérieure et, m'approchant plus près encore de l'échelle, je pensai:»Au moins, si papa tombe, je ne vais pas avoir la douleur de le voir mourir, je vais mourir avec lui.»
Non, je ne puis dire combien j'aimais mon père! Tout en lui me causait de l'admiration. Quand il m'expliquait ses pensées sur des choses très sérieuses,—comme si j'avais été une grande fille—je lui disais naïvement: «Bien sûr, papa, que si tu parlais ainsi aux grands hommes du gouvernement, ils te prendraient pour te faire roi, alors la France serait heureuse comme jamais elle ne l'a été; mais toi, tu serais malheureux, puisque c'est le sort de tous les rois; et puis tu ne serais plus mon roi à moi toute seule, aussi j'aime mieux qu'ils ne te connaissent pas.»
Vers l'âge de six ou sept ans, je vis la mer pour la première fois. Ce spectacle me causa une impression profonde, je ne pouvais en détacher mes yeux. Sa majesté, le mugissement de ses flots, tout parlait à mon âme de la grandeur et de la puissance du bon Dieu. Je me rappelle que, sur la plage, un monsieur et une dame me regardèrent longtemps, et, demandant à papa si je lui appartenais, ils dirent que j'étais une bien jolie petite fille. Aussitôt mon père leur fit signe de ne pas m'adresser de compliment. J'éprouvai du plaisir en entendant cela, car je ne me trouvais pas gentille; mes sœurs faisaient une si grande attention à ne tenir jamais aucun langage capable de me faire perdre ma simplicité et ma candeur enfantines! Aussi, comme je les croyais uniquement, je n'attachai pas grande importance aux paroles et aux regards admiratifs de ces personnes, et je n'y pensai plus.
Le soir de ce jour, à l'heure où le soleil semble se baigner dans l'immensité des flots, laissant devant lui un sillon lumineux, j'allai m'asseoir avec Pauline sur un rocher désert; je contemplai longtemps ce sillon d'or qu'elle me disait être l'image de la grâce illuminant ici-bas le chemin des âmes fidèles. Alors je me représentai mon cœur au milieu du sillon, comme une petite barque légère à la gracieuse voile blanche, et je pris la résolution de ne jamais l'éloigner du regard de Jésus, afin qu'il pût voguer en paix et rapidement vers le rivage des cieux.
Le pensionnat.—Douloureuse séparation.
Maladie étrange.
Un visible
sourire de la Reine du Ciel.
——
J'avais huit ans et demi lorsque Léonie sortit de pension et je la remplaçai à l'Abbaye des Bénédictines de Lisieux. Je fus placée dans une classe d'élèves toutes plus grandes que moi: l'une d'elles, âgée de quatorze ans, était peu intelligente, mais savait cependant en imposer aux pensionnaires. Me voyant si jeune, presque toujours la première aux compositions, et chérie de toutes les religieuses, elle en éprouva de la jalousie et me fit payer de mille manières mes petits succès. Avec ma nature timide et délicate, je ne savais pas me défendre et me contentais de pleurer sans rien dire. Céline, aussi bien que mes sœurs aînées, ignorait mon chagrin; mais je n'avais pas assez de vertu pour m'élever au-dessus de ces misères et mon pauvre petit cœur souffrait beaucoup.
Chaque soir, heureusement, je retrouvais le foyer paternel; alors mon âme s'épanouissait, je sautais sur les genoux de mon père, lui disant les notes qui m'avaient été données, et son baiser me faisait oublier toutes mes peines. Avec quelle joie j'annonçai le résultat de ma première composition! J'avais le maximum, et pour ma récompense je reçus une jolie petite pièce blanche que je plaçai dans ma tirelire pour les pauvres, et qui fut destinée à recevoir presque chaque jeudi une nouvelle compagne. Ah! j'avais un réel besoin de ces gâteries; il était bien utile à la petite fleur de plonger souvent ses tendres racines dans la terre aimée et choisie de la famille, puisqu'elle ne trouvait nulle part ailleurs le suc nécessaire à sa subsistance.
Tous les jeudis nous avions congé; mais je ne reconnaissais plus les congés donnés par Pauline, que je passais en grande partie au belvédère avec papa. Ne sachant pas jouer comme les autres enfants, je ne me sentais pas une compagne agréable; cependant je faisais de mon mieux pour imiter les autres, sans jamais y réussir.
Après Céline, qui m'était pour ainsi dire indispensable, je recherchais surtout ma petite cousine Marie, parce qu'elle me laissait libre de choisir des jeux à mon goût. Nous étions déjà très unies de cœur et de volonté, comme si le bon Dieu nous eût fait pressentir qu'un jour, au Carmel, nous embrasserions la même vie religieuse[15].
Bien souvent,—la scène se passait chez mon oncle—Marie et Thérèse devenaient deux anachorètes très pénitents, ne possédant qu'une pauvre cabane, un petit champ de blé, et un jardin pour y cultiver quelques légumes. Leur vie s'écoulait dans une contemplation continuelle; c'est-à-dire que l'un remplaçait l'autre à l'oraison, quand il fallait s'occuper de la vie active. Tout se faisait avec une entente, un silence et des manières parfaitement religieuses. Si nous allions en promenade, notre jeu continuait même dans la rue: les deux ermites récitaient le chapelet, se servant de leurs doigts, afin de ne pas montrer leur dévotion à l'indiscret public. Cependant, un jour, le solitaire Thérèse s'oublia: ayant reçu un gâteau pour sa collation, il fit, avant de le manger, un grand signe de croix; et plusieurs profanes du siècle ne se privèrent pas de sourire.
Notre union de volonté passait quelquefois les bornes. Un soir, en revenant de l'Abbaye, nous voulûmes imiter la modestie des solitaires. Je dis à Marie: «Conduis-moi, je vais fermer les yeux.—Je veux les fermer aussi», me répondit-elle; et chacune fit sa volonté.
Nous marchions sur un trottoir, nous n'avions donc pas à craindre les voitures. Mais, après une agréable promenade de quelques minutes, où les deux étourdies savouraient les délices de marcher sans y voir, elles tombèrent ensemble sur des caisses placées à la porte d'un magasin et les renversèrent du même coup. Aussitôt, le marchand sortit tout en colère pour relever sa marchandise; mais les aveugles volontaires s'étaient bien relevées toutes seules et marchaient à pas précipités, les yeux grands ouverts et les oreilles aussi, pour entendre les justes reproches de Jeanne qui paraissait aussi fâchée que le marchand.
Je n'ai rien dit encore de mes nouveaux rapports avec Céline. A Lisieux, les rôles avaient changé: elle était devenue le petit lutin rempli de malice, et Thérèse une petite fille bien douce, mais pleureuse à l'excès! Aussi avait-elle besoin d'un défenseur, et qui pourra dire avec quelle intrépidité ma chère petite sœur se chargeait de cet office? Nous nous faisions souvent de petits cadeaux, qui, de part et d'autre, causaient un bonheur sans pareil. Ah! c'est qu'à cet âge nous n'étions pas blasées; notre âme, dans toute sa fraîcheur, s'épanouissait comme une fleur printanière, heureuse de recevoir la rosée du matin; la même brise légère faisait balancer nos corolles. Oui, nos joies étaient communes: je l'ai bien senti au jour si beau de la première communion de ma Céline chérie!
J'avais sept ans alors, et n'allais pas encore à l'Abbaye. Qu'il m'est doux le souvenir de sa préparation! Chaque soir, pendant les dernières semaines, mes sœurs lui parlaient de la grande action qu'elle allait faire; moi j'écoutais, avide de me préparer aussi, et lorsqu'on me disait de me retirer, parce que j'étais trop petite encore, j'avais le cœur bien gros; je pensais que ce n'était pas trop de quatre ans pour se préparer à recevoir le bon Dieu.
Un soir, j'entendis ces paroles adressées à mon heureuse petite sœur: «A partir de ta première communion, il faudra commencer une vie toute nouvelle.» Aussitôt je pris la résolution de ne pas attendre ce temps-là pour moi, mais de commencer une vie nouvelle avec Céline.
Pendant sa retraite préparatoire, elle resta tout à fait pensionnaire à l'Abbaye et son absence me parut bien longue. Enfin son beau jour arriva. Quelle impression délicieuse il laissa dans mon cœur! C'était comme le prélude de ma première communion à moi! Ah! que de grâces j'ai reçues ce jour-là! je le considère comme un des plus beaux de ma vie.
Je suis retournée un peu en arrière pour rappeler cet ineffable souvenir. Maintenant je dois parler de la douloureuse séparation qui vint briser mon cœur, lorsque Jésus me ravit ma petite mère si tendrement aimée. Je lui avais dit un jour que je voulais m'en aller avec elle dans un désert lointain; elle me répondit alors que mon désir était le sien, mais qu'elle attendrait que je fusse assez grande pour partir. Cette promesse irréalisable, la petite Thérèse l'avait prise au sérieux, et quelle ne fut pas sa peine d'entendre sa chère Pauline parler avec Marie de son entrée prochaine au Carmel! Je ne connaissais pas le Carmel; mais je comprenais qu'elle me quitterait pour entrer dans un couvent, je comprenais qu'elle ne m'attendrait pas!
Comment pourrais-je dire l'angoisse de mon cœur? En un instant, la vie m'apparut dans toute sa réalité: remplie de souffrances et de séparations continuelles, et je versai des larmes bien amères. J'ignorais alors la joie du sacrifice; j'étais faible, si faible, que je regarde comme une grande grâce d'avoir pu supporter sans mourir une épreuve en apparence bien au-dessus de mes forces.
Je me souviendrai toujours avec quelle tendresse ma petite mère me consola. Elle m'expliqua la vie du cloître; et voilà qu'un soir, en repassant toute seule dans mon cœur le tableau qu'elle m'en avait tracé, je sentis que le Carmel était le désert où le bon Dieu voulait aussi me cacher. Je le sentis avec tant de force qu'il n'y eut pas le moindre doute dans mon esprit; ce ne fut pas un rêve d'enfant qui se laisse entraîner, mais la certitude d'un appel divin. Cette impression que je ne puis rendre me laissa dans une grande paix.
Le lendemain, je confiai mes désirs à Pauline qui, les regardant comme la volonté du ciel, me promit de m'emmener bientôt au Carmel pour voir la Mère Prieure, à qui je pourrais dire mon secret.
Un dimanche fut choisi pour cette solennelle visite. Mon embarras fut grand quand j'appris que ma cousine Marie, encore assez jeune pour voir les Carmélites, devait m'accompagner. Il me fallait cependant trouver le moyen de rester seule; et voici ce qui me vint à la pensée: Je dis à Marie qu'ayant le privilège de voir la Révérende Mère, nous devions être bien gentilles, très polies, et pour cela lui confier nos secrets; donc, l'une après l'autre, il faudrait sortir un moment. Malgré sa répugnance à confier des secrets qu'elle n'avait pas, Marie me crut sur parole; et ainsi je pus rester seule avec vous, ma Mère chérie. Ayant entendu mes grandes confidences et croyant à ma vocation, vous me dîtes néanmoins qu'on ne recevait pas de postulantes de neuf ans, et qu'il faudrait attendre mes seize ans. Je dus me résigner, malgré mon vif désir d'entrer avec Pauline et de faire ma première communion le jour de sa prise d'Habit.
Enfin le 2 octobre arriva! Jour de larmes et de bénédictions où Jésus cueillit la première de ses fleurs, la fleur choisie qui devait être, peu d'années après, la Mère de ses sœurs. Pendant que mon père bien-aimé, accompagné de mon oncle et de Marie, gravissait la montagne du Carmel pour offrir son premier sacrifice, ma tante me conduisit à la messe avec mes sœurs et mes cousines. Nous fondions en larmes, si bien qu'en nous voyant entrer dans l'église, les personnes nous regardaient avec étonnement; mais cela ne m'empêchait pas de pleurer. Je me demandais comment le soleil pouvait luire encore sur la terre!
Peut-être trouverez-vous, ma Mère vénérée, que j'exagère un peu ma peine. Je me rends bien compte, en effet, que ce départ n'aurait pas dû m'affliger à ce point; mais, je dois l'avouer, mon âme était loin d'être mûrie; et je devais passer par bien des creusets avant d'atteindre le rivage de la paix, avant de goûter les fruits délicieux de l'abandon total et du parfait amour.
L'après-midi de ce 2 octobre 1882, je vis ma Pauline chérie, devenue sœur Agnès de Jésus, derrière les grilles du Carmel. Oh! que j'ai souffert à ce parloir! Puisque j'écris l'histoire de mon âme, je dois tout dire, il me semble! eh bien, j'avoue que je comptai pour rien les premières souffrances de la séparation, en comparaison de celles qui suivirent. Moi, qui étais habituée à m'entretenir cœur à cœur avec ma petite mère, j'obtenais à grand'peine deux ou trois minutes à la fin des parloirs de famille; bien entendu, je les passais à verser des larmes et m'en allais le cœur déchiré.
Je ne comprenais pas qu'il eût été impossible de nous donner souvent à chacune une demi-heure, et qu'il fallait réserver les plus longs moments à mon petit père et à Marie; je ne comprenais pas, et je disais au fond de mon cœur: Pauline est perdue pour moi! Mon esprit se développa d'une façon si étonnante au sein de la souffrance, que je ne tardai pas à tomber gravement malade.
La maladie dont je fus atteinte venait certainement de la jalousie du démon, qui, furieux de cette première entrée au Carmel, voulait se venger sur moi du tort bien grand que ma famille devait lui faire dans l'avenir. Mais il ne savait pas que la Reine du Ciel veillait fidèlement sur sa petite fleur, qu'elle lui souriait d'en haut et s'apprêtait à faire cesser la tempête, au moment même où sa tige délicate et fragile devait se briser sans retour.
A la fin de cette année 1882, je fus prise d'un mal de tête continuel, mais supportable, qui ne m'empêcha pas de poursuivre mes études; ceci dura jusqu'à la fête de Pâques 1883. A cette époque, mon père étant allé à Paris avec mes sœurs aînées, il nous confia, Céline et moi, à mon oncle et à ma tante.
Un soir que je me trouvais seule avec mon oncle, il me parla de ma mère, des souvenirs passés, avec une tendresse qui me toucha profondément et me fit pleurer. Ma sensibilité l'émut lui-même; il fut surpris de me voir à cet âge les sentiments que j'exprimais, et résolut de me procurer toutes sortes de distractions pendant les vacances.
Le bon Dieu en avait décidé autrement. Ce soir-là même, mon mal de tête devint d'une violence extrême, et je fus prise d'un tremblement étrange qui dura toute la nuit. Ma tante, comme une vraie mère, ne me quitta pas un instant; elle m'entoura pendant cette maladie de la plus tendre sollicitude, me prodigua les soins les plus dévoués, les plus délicats.
On devine la douleur de mon pauvre père, lorsqu'à son retour de Paris il me vit tombée dans cet état désespérant. Il crut bientôt que j'allais mourir; mais Notre-Seigneur aurait pu lui répondre: «Cette maladie ne va pas à la mort, elle est envoyée afin que Dieu soit glorifié.»[16] Oui, le bon Dieu fut glorifié dans cette épreuve! Il le fut par la résignation admirable de mon père, il le fut par celle de mes sœurs, de Marie surtout. Qu'elle a souffert à cause de moi! Combien ma reconnaissance est grande envers cette sœur chérie! Son cœur lui dictait ce qui m'était nécessaire, et vraiment un cœur de mère est bien plus puissant que la science des plus habiles docteurs.
Cependant la prise d'habit de sœur Agnès de Jésus approchait, et l'on évitait d'en parler devant moi de peur de me faire de la peine; pensant bien que je n'y pourrais pas aller. Au fond du cœur, je croyais fermement que le bon Dieu m'accorderait la consolation de revoir, ce jour-là, ma chère Pauline. Oui, je savais bien que cette fête serait sans nuages, je savais que Jésus n'éprouverait pas sa fiancée par mon absence; elle qui déjà avait tant souffert de la maladie de sa petite fille. En effet, je pus embrasser ma mère chérie, m'asseoir sur ses genoux, me cacher sous son voile et recevoir ses douces caresses; je pus la contempler, si ravissante sous sa blanche parure! Vraiment ce fut un beau jour au milieu de ma sombre épreuve; mais ce jour, ou plutôt cette heure, passa vite, et bientôt il me fallut monter dans la voiture qui m'emporta loin du Carmel!
En arrivant aux Buissonnets, on me fit coucher, bien que je ne ressentisse aucune fatigue; mais le lendemain je fus reprise violemment et la maladie devint si grave que, suivant les calculs humains, je ne devais jamais guérir.
Je ne sais comment décrire un mal aussi étrange: je disais des choses que je ne pensais pas, j'en faisais d'autres comme y étant forcée malgré moi; presque toujours je paraissais en délire, et cependant je suis sûre de n'avoir pas été privée un seul instant de l'usage de ma raison. Souvent, je restais évanouie pendant des heures, et d'un évanouissement tel qu'il m'eût été impossible de faire le plus léger mouvement. Toutefois, au milieu de cette torpeur extraordinaire, j'entendais distinctement ce qui se disait autour de moi, même à voix basse, je me le rappelle encore.
Et quelles frayeurs le démon m'inspirait! J'avais peur absolument de tout: mon lit me semblait entouré de précipices affreux; certains clous, fixés au mur de la chambre, prenaient à mes yeux l'image terrifiante de gros doigts noirs carbonisés, et me faisaient jeter des cris d'épouvante. Un jour, tandis que papa me regardait en silence, son chapeau qu'il tenait à la main se transforma tout à coup en je ne sais quelle forme horrible, et je manifestai une si grande frayeur que ce pauvre père partit en sanglotant.
Mais, si le bon Dieu permettait au démon de s'approcher extérieurement de moi, il m'envoyait aussi des anges visibles pour me consoler et me fortifier. Marie ne me quittait pas, jamais elle ne témoignait d'ennui, malgré toute la peine que je lui donnais; car je ne pouvais souffrir qu'elle s'éloignât de moi. Pendant les repas, où Victoire me gardait, je ne cessais d'appeler avec larmes: «Marie! Marie!» Lorsqu'elle voulait sortir, il fallait que ce fût pour aller à la messe ou pour voir Pauline; alors seulement, je ne disais rien.
Et Léonie! et ma petite Céline! Que n'ont-elles pas fait pour moi! Le dimanche, elles venaient s'enfermer des heures entières avec une pauvre enfant qui ressemblait à une idiote. Ah! mes chères petites sœurs, que je vous ai fait souffrir!
Mon oncle et ma tante étaient aussi pleins d'affection pour moi. Ma tante venait tous les jours me voir et m'apportait mille gâteries[17]. Je ne saurais dire combien ma tendresse pour ces chers parents augmenta pendant cette maladie. Je compris mieux que jamais ce que nous disait souvent mon père: «Rappelez-vous toujours, mes enfants, que votre oncle et votre tante ont à votre égard un dévouement peu ordinaire.» Aux jours de sa vieillesse, il l'expérimenta lui-même; et maintenant, comme il doit protéger et bénir ceux qui lui prodiguèrent des soins si dévoués!
Dans les moments où la souffrance était moins vive, je mettais ma joie à tresser des couronnes de pâquerettes et de myosotis pour la Vierge Marie. Nous étions alors au beau mois de mai, toute la nature se paraît de fleurs printanières; seule, la petite fleur languissait et semblait à jamais flétrie! Cependant elle avait un soleil auprès d'elle, et ce soleil était la statue miraculeuse de la Reine des Cieux. Souvent, bien souvent, la petite fleur tournait sa corolle vers cet Astre béni.
Un jour, je vis mon père entrer dans ma chambre; il paraissait très ému, et, s'avançant vers Marie, il lui donna plusieurs pièces d'or avec une expression de grande tristesse, la priant d'écrire à Paris pour demander une neuvaine de messes au sanctuaire de Notre-Dame des Victoires, afin d'obtenir la guérison de sa pauvre petite reine. Ah! que je fus touchée en voyant sa foi et son amour! Que j'aurais voulu me lever et lui dire que j'étais guérie! Hélas! mes désirs ne pouvaient faire un miracle, et il en fallait un bien grand pour me rendre à la vie! Oui, il fallait un grand miracle, et, ce miracle, Notre-Dame des Victoires le fit entièrement.
Un dimanche, pendant la neuvaine, Marie sortit dans le jardin, me laissant avec Léonie qui lisait près de la fenêtre. Au bout de quelques minutes, je me mis à appeler presque tout bas: «Marie! Marie!» Léonie étant habituée à m'entendre toujours gémir ainsi n'y fit pas attention; alors je criai bien haut et Marie revint à moi. Je la vis parfaitement entrer; mais hélas! pour la première fois, je ne la reconnus pas. Je cherchais tout autour de moi, je plongeais dans le jardin un regard anxieux, et je recommençais à appeler: «Marie! Marie!»
C'était une souffrance indicible que cette lutte forcée, inexplicable, et Marie souffrait peut-être plus encore que sa pauvre Thérèse! Enfin, après de vains efforts pour se faire reconnaître, elle se tourna vers Léonie, lui dit un mot tout bas, et disparut pâle et tremblante.
Ma petite Léonie me porta bientôt près de la fenêtre; alors je vis dans le jardin, sans la reconnaître encore, Marie, qui marchait doucement, me tendant les bras, me souriant, et m'appelant de sa voix la plus tendre: «Thérèse, ma petite Thérèse!» Cette dernière tentative n'ayant pas réussi davantage, ma sœur chérie s'agenouilla en pleurant au pied de mon lit, et, se tournant vers la Vierge bénie, elle l'implora avec la ferveur d'une mère qui demande, qui veut la vie de son enfant. Léonie et Céline l'imitèrent, et ce fut un cri de foi qui força la porte du ciel.
Ne trouvant aucun secours sur la terre et près de mourir de douleur, je m'étais aussi tournée vers ma Mère du ciel, la priant de tout mon cœur d'avoir enfin pitié de moi.
Tout à coup la statue s'anima! la Vierge Marie devint belle, si belle, que jamais je ne trouverai d'expression pour rendre cette beauté divine. Son visage respirait une douceur, une bonté, une tendresse ineffable; mais, ce qui me pénétra jusqu'au fond de l'âme, ce fut son ravissant sourire! Alors toutes mes peines s'évanouirent, deux grosses larmes jaillirent de mes paupières et coulèrent silencieusement...
Ah! c'étaient des larmes d'une joie céleste et sans mélange! La sainte Vierge s'est avancée vers moi! elle m'a souri... que je suis heureuse! pensai-je; mais je ne le dirai à personne, car mon bonheur disparaîtrait. Puis, sans aucun effort, je baissai les yeux, et je reconnus ma chère Marie! elle me regardait avec amour, semblait très émue, et paraissait se douter de la grande faveur que je venais de recevoir.
Ah! c'était bien à elle, à sa prière touchante, que je devais cette grâce inexprimable du sourire de la sainte Vierge! En voyant mon regard fixé sur la statue, elle s'était dit: «Thérèse est guérie!» Oui, la petite fleur allait renaître à la vie, un rayon lumineux de son doux soleil l'avait réchauffée et délivrée pour toujours de son cruel ennemi! «Le sombre hiver venait de finir, les pluies avaient cessé[18]», et la fleur de la Vierge Marie se fortifia de telle sorte que, cinq ans après, elle s'épanouissait sur la montagne fertile du Carmel.
Comme je l'ai dit, Marie était persuadée que la sainte Vierge en me rendant la santé m'avait accordé quelque grâce cachée; aussi, lorsque je fus seule avec elle, je ne pus résister à ses questions si tendres, si pressantes. Etonnée de voir mon secret découvert sans que j'eusse dit un seul mot, je le lui confiai tout entier. Hélas! je ne m'étais pas trompée, mon bonheur allait disparaître et se changer en amertume. Pendant quatre ans, le souvenir de cette grâce ineffable devint pour moi une vraie peine d'âme; et je ne devais retrouver mon bonheur qu'aux pieds de Notre-Dame des Victoires, dans son sanctuaire béni. Là, il me fut rendu dans toute sa plénitude; je parlerai plus tard de cette seconde grâce.
Voici comment ma joie se changea en tristesse:
Marie, après avoir entendu le récit naïf et sincère de ma grâce, me demanda la permission de tout dire au Carmel; je ne pouvais refuser. A ma première visite à ce Carmel béni, je fus remplie de joie en voyant ma petite Pauline avec l'habit de la sainte Vierge. Quels doux instants pour nous deux! Il y avait tant de choses à se dire! Nous avions tant souffert! Pour moi, je pouvais à peine parler, mon cœur était trop plein...
Vous étiez là, ma Mère bien-aimée, et de combien de marques d'affection ne m'avez-vous pas comblée? Je vis encore d'autres religieuses, et vous devez vous souvenir qu'elles me questionnèrent sur le miracle de ma guérison: les unes me demandèrent si la sainte Vierge portait l'Enfant Jésus; d'autres, si les anges l'accompagnaient, etc. Toutes ces questions me troublèrent et me firent de la peine; je ne pouvais répondre qu'une chose: «La sainte Vierge m'a semblé très belle, je l'ai vue s'avancer vers moi et me sourire.»
M'apercevant que les carmélites s'imaginaient tout autre chose, je me figurai avoir menti. Ah! si j'avais gardé mon secret, j'aurais aussi gardé mon bonheur. Mais la Vierge Marie a permis ce tourment pour le bien de mon âme; sans cela, peut-être, la vanité se serait glissée dans mon cœur; au lieu que, l'humiliation devenant mon partage, je ne pouvais me regarder sans un sentiment de profonde horreur. Mon Dieu, vous seul savez ce que j'ai souffert!
Première Communion.—Confirmation.—Lumières
et ténèbres.—Nouvelle
séparation.
Gracieuse délivrance de ses peines intérieures.
——
En racontant cette visite au Carmel, je me souviens de la première qui eut lieu après l'entrée de Pauline. Le matin de ce jour heureux, je me demandais quel nom me serait donné plus tard. Je savais qu'il y avait une sœur Thérèse de Jésus; cependant mon beau nom de Thérèse ne pouvait m'être enlevé. Tout à coup, je pensai au petit Jésus que j'aimais tant, et je me dis: «Oh! que je serais heureuse de m'appeler Thérèse de l'Enfant-Jésus!» Je me gardai bien toutefois, ma Mère vénérée, de vous exprimer ce désir; et voilà que vous me dîtes au milieu de la conversation: «Quand vous viendrez parmi nous, ma chère petite fille, vous vous appellerez Thérèse de l'Enfant-Jésus!» Ma joie fut grande; et cette heureuse rencontre de pensées me sembla une délicatesse de mon bien-aimé petit Jésus.
Je n'ai pas encore parlé de mon amour pour les images et la lecture; et pourtant, je dois aux belles images que Pauline me montrait, une des plus douces joies et des plus fortes impressions qui m'aient excitée à la pratique de la vertu. J'oubliais les heures en les regardant. Par exemple, «la petite fleur du divin Prisonnier» me disait tant de choses, que j'en restais plongée dans une sorte d'extase; je m'offrais à Jésus pour être sa petite fleur, je voulais le consoler, m'approcher moi aussi tout près du tabernacle, être regardée, cultivée et cueillie par lui.
Comme je ne savais pas jouer, j'aurais passé ma vie à lire. Heureusement j'avais pour me guider des anges visibles qui me choisissaient des livres à la portée de mon âge, capables de me récréer, tout en nourrissant mon esprit et mon cœur. Je ne devais prendre pour cette distraction choisie qu'un temps très limité, et c'était là souvent le sujet de grands sacrifices; parce qu'aussitôt l'heure passée, je me faisais un devoir d'interrompre immédiatement, au milieu même du passage le plus intéressant.
Quant à l'impression produite par ces lectures, je dois avouer qu'en lisant certains récits chevaleresques, je ne comprenais pas toujours le positif de la vie. C'est ainsi qu'en admirant les actions patriotiques des héroïnes françaises, particulièrement de la Vénérable Jeanne d'Arc, je sentais un grand désir de les imiter. Je reçus alors une grâce que j'ai toujours considérée comme l'une des plus grandes de ma vie; car, à cet âge, je n'étais pas favorisée des lumières d'en haut comme je le suis aujourd'hui.
Jésus me fit comprendre que la vraie, l'unique gloire est celle qui durera toujours; que, pour y parvenir, il n'est pas nécessaire d'accomplir des œuvres éclatantes, mais plutôt de se cacher aux yeux des autres et à soi-même, en sorte que la main gauche ignore ce que fait la droite. Pensant alors que j'étais née pour la gloire, et cherchant le moyen d'y parvenir, il me fut révélé intérieurement que ma gloire à moi ne paraîtrait jamais aux regards des mortels, mais qu'elle consisterait à devenir une sainte.
Ce désir pourrait sembler téméraire, si l'on considère combien j'étais imparfaite, et combien je le suis encore après tant d'années passées en religion; cependant je sens toujours la même confiance audacieuse de devenir une grande sainte. Je ne compte pas sur mes mérites, n'en ayant aucun; mais j'espère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté même. C'est lui seul qui se contentant de mes faibles efforts m'élèvera jusqu'à lui, me couvrira de ses mérites et me fera sainte. Je ne pensais pas alors qu'il fallait beaucoup souffrir pour arriver à la sainteté; le bon Dieu ne tarda pas à me dévoiler ce secret par les épreuves racontées plus haut.
Maintenant je reprends mon récit au point où je l'avais laissé.
Trois mois après ma guérison, mon père me fit faire un agréable voyage; là, je commençai à connaître le monde. Tout était joie, bonheur autour de moi; j'étais fêtée, choyée, admirée; en un mot, ma vie pendant quinze jours ne fut semée que de fleurs. La Sagesse a bien raison de dire que «l'ensorcellement des bagatelles séduit l'esprit même éloigné du mal[19].» A dix ans, le cœur se laisse facilement éblouir; et j'avoue que cette existence eut des charmes pour moi. Hélas! comme le monde s'entend bien à allier les joies de la terre avec le service de Dieu! Comme il ne pense guère à la mort!
Et cependant, la mort est venue visiter un grand nombre des personnes que j'ai connues alors, jeunes, riches et heureuses! J'aime à retourner par la pensée aux lieux enchanteurs où elles ont vécu, à me demander où elles sont, ce qui leur revient aujourd'hui des châteaux et des parcs où je les ai vues jouir des commodités de la vie. Et je pense que «tout est vanité sur la terre[20], hors aimer Dieu et le servir lui seul[21].»
Peut-être, Jésus voulait-il me faire connaître le monde avant sa première visite à mon âme, afin de me laisser choisir plus sûrement la voie que je devais lui promettre de suivre.
Ma première communion me restera toujours comme un souvenir sans nuages. Il me semble que je ne pouvais être mieux disposée. Vous vous rappelez, ma Mère, le ravissant petit livre que vous m'aviez donné, trois mois avant le grand jour? Ce moyen gracieux me prépara d'une façon suivie et rapide. Si, depuis longtemps, je pensais à ma première communion, il fallait néanmoins donner à mon cœur un nouvel élan et le remplir de fleurs nouvelles, comme il était marqué dans le précieux manuscrit. Chaque jour, je faisais donc un grand nombre de sacrifices et d'actes d'amour qui se transformaient en autant de fleurs; tantôt c'étaient des violettes, une autre fois des roses; puis des bluets, des pâquerettes, des myosotis; en un mot, toutes les fleurs de la nature devaient former en moi le berceau de Jésus.
Enfin, j'avais Marie qui remplaçait Pauline pour moi.
Chaque soir, je restais bien longtemps près d'elle, avide d'écouter ses paroles; que de belles choses elle me disait! Il me semble que tout son cœur si grand, si généreux, passait en moi. Comme les guerriers antiques apprenaient à leurs enfants le métier des armes, ainsi m'apprenait-elle le combat de la vie, excitant mon ardeur et me montrant la palme glorieuse. Elle me parlait encore des richesses immortelles qu'il est si facile d'amasser chaque jour, du malheur de les fouler aux pieds quand il n'y a, pour ainsi dire, qu'à se baisser pour les recueillir.
Qu'elle était éloquente cette sœur chérie! J'aurais voulu n'être pas seule à entendre ses profonds enseignements; je croyais dans ma naïveté que les plus grands pécheurs se seraient convertis en l'écoutant, et que, laissant là leurs richesses périssables, ils n'eussent plus recherché que celles du ciel.
A cette époque, il m'eût été bien doux de faire oraison; mais Marie, me trouvant assez pieuse, ne me permettait que mes seules prières vocales. Un jour, à l'Abbaye, une de mes maîtresses me demanda quelles étaient mes occupations les jours de congé, quand je restais aux Buissonnets. Je répondis timidement: «Madame, je vais bien souvent me cacher dans un petit espace vide de ma chambre, qu'il m'est facile de fermer avec les rideaux de mon lit, et là, je pense...—Mais à quoi pensez-vous? me dit en riant la bonne religieuse.—Je pense au bon Dieu, à la rapidité de la vie, à l'éternité; enfin, je pense!» Cette réflexion ne fut pas perdue, et plus tard ma maîtresse aimait à me rappeler le temps où je pensais, me demandant si je pensais encore... Je comprends aujourd'hui que je faisais alors une véritable oraison, dans laquelle le divin Maître instruisait doucement mon cœur.
Les trois mois de préparation à ma première communion passèrent vite; bientôt je dus entrer en retraite et pendant ce temps devenir grande pensionnaire. Ah! quelle retraite bénie! Je ne crois pas que l'on puisse goûter une semblable joie ailleurs que dans les communautés religieuses: le nombre des enfants étant petit, il est d'autant plus facile de s'occuper de chacune. Oui, je l'écris avec une reconnaissance filiale: nos maîtresses de l'Abbaye nous prodiguaient alors des soins vraiment maternels. Je ne sais pour quel motif, mais je m'apercevais bien qu'elles veillaient plus encore sur moi que sur mes compagnes.
Chaque soir, la première maîtresse venait avec sa petite lanterne ouvrir doucement les rideaux de mon lit, et déposait sur mon front un tendre baiser. Elle me témoignait tant d'affection, que, touchée de sa bonté, je lui dis un soir: «O Madame, je vous aime bien, aussi je vais vous confier un grand secret.» Tirant alors mystérieusement le précieux petit livre du Carmel, caché sous mon oreiller, je le lui montrai avec des yeux brillants de joie. Elle l'ouvrit bien délicatement, le feuilleta avec attention et me fit remarquer combien j'étais privilégiée. Plusieurs fois, en effet, pendant ma retraite, je fis l'expérience que bien peu d'enfants, comme moi privées de leur mère, sont aussi choyées que je l'étais à cet âge.
J'écoutais avec beaucoup d'attention les instructions données par M. l'abbé Domin, et j'en faisais soigneusement le résumé. Pour mes pensées, je ne voulus en écrire aucune, disant que je me les rappellerais bien; ce qui fut vrai.
Avec quel bonheur je me rendais à tous les offices comme les religieuses! Je me faisais remarquer au milieu de mes petites compagnes par un grand crucifix donné par ma chère Léonie; je le passais dans ma ceinture à la façon des missionnaires, et l'on crut que je voulais imiter ainsi ma sœur carmélite. C'était bien vers elle, en effet, que s'envolaient souvent mes pensées et mon cœur! Je la savais en retraite aussi; non pas, il est vrai, pour que Jésus se donnât à elle, mais pour se donner elle-même tout entière à Jésus, et cela le jour même de ma première communion. Cette solitude passée dans l'attente me fut donc doublement chère.
Enfin le beau jour entre tous les jours de la vie se leva pour moi! Quels ineffables souvenirs laissèrent dans mon âme les moindres détails de ces heures du ciel! Le joyeux réveil de l'aurore, les baisers respectueux et tendres des maîtresses et des grandes compagnes, la chambre de toilette remplie de flocons neigeux, dont chaque enfant se voyait revêtue à son tour; surtout l'entrée à la chapelle et le chant du cantique matinal:
O saint autel qu'environnent les anges!
Mais je ne veux pas et ne pourrais pas tout dire... Il est de ces choses qui perdent leur parfum dès qu'elles sont exposées à l'air; il est des pensées intimes qui ne peuvent se traduire dans le langage de la terre, sans perdre aussitôt leur sens profond et céleste!
Ah! qu'il fut doux le premier baiser de Jésus à mon âme! Oui, ce fut un baiser d'amour! Je me sentais aimée, et je disais aussi: «Je vous aime, je me donne à vous pour toujours!» Jésus ne me fit aucune demande, il ne réclama aucun sacrifice. Depuis longtemps déjà, lui et la petite Thérèse s'étaient regardés et compris... Ce jour-là, notre rencontre ne pouvait plus s'appeler un simple regard, mais une fusion. Nous n'étions plus deux: Thérèse avait disparu comme la goutte d'eau qui se perd au sein de l'océan, Jésus restait seul; il était le Maître, le Roi! Thérèse ne lui avait-elle pas demandé de lui ôter sa liberté? Cette liberté lui faisait peur; elle se sentait si faible, si fragile, que pour jamais elle voulait s'unir à la Force divine.
Et voici que sa joie devint si grande, si profonde, qu'elle ne put la contenir. Bientôt des larmes délicieuses l'inondèrent, au grand étonnement de ses compagnes qui, plus tard, se disaient l'une à l'autre: «Pourquoi donc a-t-elle pleuré? N'avait-elle pas une inquiétude de conscience?—Non, c'était plutôt de ne pas avoir près d'elle sa mère ou sa sœur carmélite qu'elle aime tant!» Et personne ne comprenait que toute la joie du ciel venant dans un cœur, ce cœur exilé, faible et mortel, ne peut la supporter sans répandre des larmes...
Comment l'absence de ma mère m'aurait-elle fait de la peine le jour de ma première communion? Puisque le ciel habitait dans mon âme: en recevant la visite de Jésus, je recevais aussi celle de ma mère chérie... Je ne pleurais pas davantage l'absence de Pauline; nous étions plus unies que jamais! Non, je le répète, la joie seule, ineffable, profonde, remplissait mon cœur.
L'après-midi, je prononçai au nom de mes compagnes, l'acte de Consécration à la Sainte Vierge. Mes maîtresses me choisirent sans doute, parce que j'avais été privée bien jeune de ma mère de la terre. Ah! je mis tout mon cœur à me consacrer à la Vierge Marie, à lui demander de veiller sur moi! Il me semble qu'elle regarda sa petite fleur avec amour et lui sourit encore. Je me souvenais de son visible sourire qui m'avait autrefois guérie et délivrée; je savais bien ce que je lui devais! Elle-même, le matin de ce 8 mai, n'était-elle pas venue déposer dans le calice de mon âme, son Jésus, la Fleur des champs et le Lis des vallées[22]?
Au soir de ce beau jour, papa, prenant la main de sa petite reine, se dirigea vers le Carmel; et je vis ma Pauline devenue l'épouse de Jésus: je la vis avec son voile blanc comme le mien et sa couronne de roses. Ma joie fut sans amertume; j'espérais la rejoindre bientôt, et attendre à ses côtés le ciel...
Je ne fus pas insensible à la fête de famille préparée aux Buissonnets. La jolie montre que me donna mon père me fit un grand plaisir; et cependant mon bonheur était tranquille, rien ne pouvait troubler ma paix intime. Enfin, la nuit termina ce beau soir; car les jours les plus radieux sont suivis de ténèbres: seul, le jour de la première, de l'éternelle communion de la patrie sera sans couchant!
Le lendemain fut couvert à mes yeux d'un certain voile de mélancolie. Les belles toilettes, les cadeaux que j'avais reçus ne remplissaient pas mon cœur! Jésus seul désormais pouvait me contenter, et je ne soupirais qu'après le moment bienheureux où je le recevrais une seconde fois. Je fis cette seconde communion le jour de l'Ascension, et j'eus le bonheur de m'agenouiller à la Table sainte entre mon père et ma bien-aimée Marie. Mes larmes coulèrent encore avec une ineffable douceur; je me rappelais et me répétais sans cesse les paroles de saint Paul: «Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus qui vit en moi[23]!» Depuis cette seconde visite de Notre-Seigneur, je n'aspirais plus qu'à le recevoir. Hélas! les fêtes alors me paraissaient bien éloignées!...
La veille de ces heureux jours, Marie me préparait comme elle l'avait fait pour ma première communion. Une fois, je m'en souviens, elle me parla de la souffrance, me disant qu'au lieu de me faire marcher par cette voie, le bon Dieu, sans doute, me porterait toujours comme un petit enfant. Ces paroles me revinrent à l'esprit après ma communion du jour suivant, et mon cœur s'enflamma d'un vif désir de la souffrance, avec la certitude intime qu'il m'était réservé un grand nombre de croix. Alors mon âme fut inondée de telles consolations que je n'en ai point eu de pareilles en toute ma vie. La souffrance devint mon attrait, je lui trouvai des charmes qui me ravirent, sans toutefois les bien connaître encore.
Je sentis un autre grand désir: celui de n'aimer que le bon Dieu, de ne trouver de joie qu'en lui seul. Souvent, pendant mes actions de grâces, je répétais ce passage de l'Imitation: «O Jésus! douceur ineffable, changez pour moi en amertume toutes les consolations de la terre.»[24] Ces paroles sortaient de mes lèvres sans effort; je les prononçais comme une enfant qui répète, sans trop comprendre, ce qu'une personne amie lui inspire. Plus tard je vous dirai, ma Mère, comment Notre-Seigneur s'est plu à réaliser mon désir; comment il fut toujours, lui seul, ma douceur ineffable. Si je vous en parlais maintenant, il faudrait anticiper sur ma vie de jeune fille; et j'ai beaucoup de détails à vous donner encore sur ma vie d'enfant.
Peu de temps après ma première communion, j'entrai de nouveau en retraite pour ma confirmation. Je m'étais préparée avec beaucoup de soin à la visite de l'Esprit-Saint; je ne pouvais comprendre qu'on ne fît pas une grande attention à la réception de ce sacrement d'amour. La cérémonie n'ayant pas eu lieu au jour marqué, j'eus la consolation de voir ma solitude un peu prolongée. Ah! que mon âme était joyeuse! Comme les Apôtres, j'attendais avec bonheur le Consolateur promis, je me réjouissais d'être bientôt parfaite chrétienne, et d'avoir sur le front, éternellement gravée, la croix mystérieuse de ce sacrement ineffable.
Je ne sentis pas le vent impétueux de la première Pentecôte; mais plutôt cette brise légère dont le prophète Elie entendit le murmure sur la montagne d'Horeb. En ce jour, je reçus la force de souffrir, force qui m'était bien nécessaire, car le martyre de mon âme devait commencer peu après.
Ces délicieuses et inoubliables fêtes passées, je dus reprendre ma vie de pensionnaire. Je réussissais bien dans mes études et retenais facilement le sens des choses; j'avais seulement une peine extrême à apprendre mot à mot. Cependant, pour le catéchisme, mes efforts furent couronnés de succès. Monsieur l'Aumônier m'appelait son petit docteur, sans doute à cause de mon nom de Thérèse.
Pendant les récréations, je m'amusais bien souvent à contempler de loin les joyeux ébats de mes compagnes, me livrant à de sérieuses réflexions. C'était là ma distraction favorite. J'avais aussi inventé un jeu qui me plaisait beaucoup: je recherchais avec soin les pauvres petits oiseaux tombés morts sous les grands arbres, et je les ensevelissais honorablement, tous dans le même cimetière, à l'ombre du même gazon. D'autres fois je racontais des histoires, et souvent de grandes élèves se mêlaient à mes auditeurs; mais bientôt notre sage maîtresse me défendit de continuer mon métier d'orateur, voulant nous voir courir et non pas discourir.
Je choisis pour amies, en ce temps-là, deux petites filles de mon âge; mais qu'il est étroit le cœur des créatures! L'une d'elles fut obligée de rentrer dans sa famille pour quelques mois; pendant son absence je me gardai bien de l'oublier, et je manifestai une grande joie de la revoir. Hélas! je n'obtins qu'un regard indifférent! Mon amitié était incomprise; je le sentis vivement, et ne mendiai plus désormais une affection si inconstante. Cependant le bon Dieu m'a donné un cœur si fidèle, que, lorsqu'il a aimé, il aime toujours; aussi je continue de prier pour cette compagne et je l'aime encore.
En voyant plusieurs élèves s'attacher particulièrement à l'une des maîtresses, je voulus les imiter, mais ne pus y réussir. O heureuse impuissance! qu'elle m'a évité de grands maux! Combien je remercie le Seigneur de ne m'avoir fait trouver qu'amertume dans les amitiés de la terre! Avec un cœur comme le mien, je me serais laissé prendre et couper les ailes; alors comment aurais-je pu «voler et me reposer[25]»? Comment un cœur livré à l'affection humaine peut-il s'unir intimement à Dieu? Je sens que cela n'est pas possible. J'ai vu tant d'âmes, séduites par cette fausse lumière, s'y précipiter comme de pauvres papillons et se brûler les ailes, puis revenir blessées vers Jésus, le feu divin qui brûle sans consumer!
Ah! je le sais, Nôtre-Seigneur me connaissait trop faible pour m'exposer à la tentation; sans doute, je me serais entièrement brûlée à la trompeuse lumière des créatures: mais elle n'a pas brillé à mes yeux. Là, où des âmes fortes rencontrent la joie et s'en détachent par fidélité, je n'ai rencontré qu'affliction. Où est donc mon mérite de ne m'être pas livrée à ces attaches fragiles, puisque je n'en fus préservée que par un doux effet de la miséricorde de Dieu? Sans lui, je le reconnais, j'aurais pu tomber aussi bas que sainte Madeleine; et la profonde parole du divin Maître à Simon le pharisien retentit dans mon âme avec une grande douceur. Oui, je le sais, «celui à qui on remet moins, aime moins[26]». Mais je sais aussi que Jésus m'a plus remis qu'à sainte Madeleine. Ah! que je voudrais pouvoir exprimer ce que je sens! Voici du moins un exemple qui traduira un peu ma pensée:
Je suppose que le fils d'un habile docteur rencontre sur son chemin une pierre qui le fasse tomber et lui casse un membre. Son père vient promptement, le relève avec amour, soigne ses blessures, employant à cet effet toutes les ressources de l'art; et bientôt son fils, complètement guéri, lui témoigne sa reconnaissance. Sans doute, cet enfant a bien raison d'aimer un si bon père; mais voici une autre supposition:
Le père, ayant appris qu'il se trouve sur le chemin de son fils une pierre dangereuse, prend les devants et la retire sans être vu de personne. Certainement ce fils, objet de sa prévoyante tendresse, ne sachant pas le malheur dont il est préservé par la main paternelle, ne lui témoignera aucune reconnaissance, et l'aimera moins que s'il l'eût guéri d'une blessure mortelle. Mais, s'il vient à tout connaître, ne l'aimera-t-il pas davantage? Eh bien, c'est moi qui suis cet enfant, objet de l'amour prévoyant d'un Père «qui n'a pas envoyé son Verbe pour racheter les justes, mais les pécheurs[27]». Il veut que je l'aime, parce qu'il m'a remis, non pas beaucoup, mais tout. Sans attendre que je l'aime beaucoup, comme sainte Madeleine, il m'a fait savoir comment il m'avait aimée d'un amour d'ineffable prévoyance, afin que maintenant je l'aime à la folie!
J'ai entendu dire bien des fois, pendant les retraites et ailleurs, qu'il ne s'était pas rencontré une âme pure aimant plus qu'une âme repentante. Ah! que je voudrais faire mentir cette parole!
Mais je suis bien loin de mon sujet, je ne sais plus trop où le reprendre...
Ce fut pendant ma retraite de seconde communion que je me vis assaillie par la terrible maladie des scrupules. Il faut avoir passé par ce martyre pour le bien comprendre. Dire ce que j'ai souffert pendant près de deux ans me serait impossible! Toutes mes pensées et mes actions les plus simples me devenaient un sujet de trouble et d'angoisse. Je n'avais de repos qu'après avoir tout confié à Marie, ce qui me coûtait beaucoup; car je me croyais obligée de lui dire absolument toutes mes pensées les plus extravagantes. Aussitôt mon fardeau déposé, je goûtais un instant de paix; mais cette paix passait comme un éclair, et mon martyre recommençait! Mon Dieu, quels actes de patience n'ai-je pas fait faire à ma sœur chérie!
Cette année-là, pendant les vacances, nous allâmes passer quinze jours au bord de la mer. Ma tante, toujours si bonne, si maternelle pour ses petites filles des Buissonnets, leur procura tous les plaisirs imaginables: promenades à âne, pêche à l'équille, etc. Elle nous gâtait même pour notre toilette. Je me souviens qu'un jour elle me donna des rubans bleu ciel. J'étais encore si enfant, malgré mes douze ans et demi, que j'éprouvai de la joie en nouant mes cheveux avec ces jolis rubans. J'en eus tant de scrupule ensuite que je me confessai, à Trouville même, de ce plaisir enfantin qui me semblait être un péché.
Là, je fis une expérience très profitable:
Ma cousine Marie avait bien souvent la migraine; et ma tante en ces occasions la câlinait, lui prodiguait les noms les plus tendres, sans obtenir jamais autre chose que des larmes, avec l'invariable plainte: «J'ai mal à la tête!» Moi, qui presque chaque jour avais aussi mal à la tête et ne m'en plaignais pas, je voulus un beau soir imiter Marie. Je me mis donc en devoir de larmoyer sur un fauteuil, dans un coin du salon. Bientôt ma grande cousine Jeanne que j'aimais beaucoup s'empressa autour de moi; ma tante vint aussi et me demanda quelle était la cause de mes larmes. Je répondis comme Marie: «J'ai mal à la tête!»
Il paraît que cela ne m'allait pas de me plaindre: jamais je ne pus faire croire que ce mal de tête me fît pleurer. Au lieu de me caresser, ainsi qu'elle le faisait d'habitude, ma tante me parla comme à une grande personne. Jeanne me reprocha même, bien doucement, mais avec un accent de peine, de manquer de confiance et de simplicité envers ma tante, ne lui disant pas la vraie cause de mes larmes, qu'elle pensait être un gros scrupule.
Finalement, j'en fus quitte pour mes frais, bien résolue à ne plus imiter les autres, et je compris la fable de l'âne et du petit chien. J'étais l'âne qui, témoin des caresses prodiguées au petit chien, avait mis son lourd sabot sur la table pour recevoir aussi sa part de baisers. Si je ne fus pas renvoyée à coups de bâton, comme le pauvre animal, je n'en reçus pas moins pourtant la monnaie de ma pièce, et cette monnaie me guérit pour toujours du désir d'attirer l'attention.
Je reviens à ma grande épreuve des scrupules. Elle finit par me rendre malade, et l'on fut obligé de me faire sortir de pension dès l'âge de treize ans. Pour terminer mon éducation, mon père me conduisait, plusieurs fois la semaine, chez une respectable dame de laquelle je recevais d'excellentes leçons. Ces leçons avaient le double avantage de m'instruire et de m'approcher du monde.
Dans cette chambre meublée à l'antique, entourée de livres et de cahiers, j'assistais souvent à de nombreuses visites. La mère de mon institutrice faisait, autant que possible, les frais de la conversation; cependant, ces jours-là, je n'apprenais pas grand'chose. Le nez dans mon livre, j'entendais tout, même ce qu'il eût mieux valu pour moi ne pas entendre. Une dame disait que j'avais de beaux cheveux, une autre en sortant demandait quelle était cette jeune fille si jolie. Et ces paroles, d'autant plus flatteuses qu'on ne les prononçait pas devant moi, me laissaient une impression de plaisir qui me montrait clairement combien j'étais remplie d'amour-propre.
Que j'ai compassion des âmes qui se perdent! Il est si facile de s'égarer dans les sentiers fleuris du monde! Sans doute, pour une âme un peu élevée, la douceur qu'il offre est mélangée d'amertume, et le vide immense des désirs ne saurait être rempli par des louanges d'un instant; mais, je le répète, si mon cœur n'avait pas été élevé vers Dieu dès son premier éveil, si le monde m'avait souri dès mon entrée dans la vie, que serais-je devenue? O ma Mère vénérée, avec quelle reconnaissance je chante les miséricordes du Seigneur! Suivant une parole de la Sagesse, ne m'a-t-il pas «retirée du monde avant que mon esprit ne fût corrompu par sa malice, et que les apparences trompeuses n'eussent séduit mon âme[28]»?
En attendant, je résolus de me consacrer tout particulièrement à la très sainte Vierge, en sollicitant mon admission parmi les Enfants de Marie; pour cela, je dus rentrer deux fois par semaine au couvent, ce qui me coûta un peu, je l'avoue, à cause de ma grande timidité. J'aimais beaucoup, sans doute, mes bonnes maîtresses, et je leur garderai toujours une vive reconnaissance; mais, je l'ai déjà dit, je n'avais pas, comme les autres anciennes élèves, une maîtresse particulièrement amie, avec laquelle il m'eût été possible de passer plusieurs heures. Alors je travaillais en silence jusqu'à la fin de la leçon d'ouvrage; et, personne ne faisant attention à moi, je montais ensuite à la tribune de la chapelle jusqu'à l'heure où mon père venait me chercher.
Je trouvais à cette visite silencieuse ma seule consolation. Jésus n'était-il pas mon unique Ami? Je ne savais parler qu'à lui seul; les conversations avec les créatures, même les conversations pieuses, me fatiguaient l'âme. Il est vrai, dans ces délaissements, j'avais bien quelques moments de tristesse et je me rappelle que, souvent alors, je répétais avec consolation cette ligne d'une belle poésie que nous récitait mon père:
Le temps est ton navire et non pas ta demeure.
Toute petite, ces paroles me rendaient le courage. Maintenant encore, malgré les années qui font disparaître tant d'impressions de piété enfantine, l'image du navire charme toujours mon âme et lui aide à supporter l'exil. La Sagesse aussi ne dit-elle pas que «la vie est comme le vaisseau qui fend les flots agités et ne laisse après lui aucune trace de son passage rapide[29]?»
Quand je pense à ces choses, mon regard se plonge dans l'infini; il me semble toucher déjà le rivage éternel! Il me semble recevoir le embrassements de Jésus... Je crois voir la Vierge Marie venant à ma rencontre avec mon père, ma mère, les petits anges mes frères et sœurs! Je crois jouir enfin, pour toujours, de la vraie, de l'éternelle vie de famille!
Mais avant de me voir assise au foyer paternel des cieux, je devais souffrir encore bien des séparations sur la terre. L'année où je fus reçue enfant de la sainte Vierge, elle me ravit ma chère Marie[30], l'unique soutien de mon âme. Depuis le départ de Pauline, elle restait mon seul oracle, et je l'aimais tant que je ne pouvais vivre sans sa douce compagnie.
Aussitôt que j'appris sa détermination, je résolus de ne plus prendre aucun plaisir ici-bas; je ne puis dire combien de larmes je versai! D'ailleurs, c'était mon habitude en ce temps-là: je pleurais non seulement dans les grandes occasions, mais dans les moindres. En voici quelques exemples:
J'avais un grand désir de pratiquer la vertu, toutefois je m'y prenais d'une singulière façon: je n'étais pas habituée à me servir; Céline faisait notre chambre, et moi je ne m'occupais d'aucun travail de ménage. Il m'arrivait quelquefois, pour faire plaisir au bon Dieu, de couvrir le lit, ou bien le soir d'aller, en l'absence de ma sœur, rentrer ses boutures et ses pots de fleurs. Comme je l'ai dit, c'était pour le bon Dieu tout seul que je faisais ces choses; ainsi, je n'aurais pas dû attendre le merci des créatures. Hélas! il en était tout autrement; si Céline avait le malheur de ne pas paraître heureuse et surprise de mes petits services, je n'étais pas contente et le lui prouvais par mes larmes.
S'il m'arrivait de causer involontairement de la peine à quelqu'un, au lieu d'en prendre le dessus, je me désolais à m'en rendre malade, ce qui augmentait ma faute plutôt que de la réparer; et, lorsque je commençais à me consoler de la faute elle-même, je pleurais d'avoir pleuré.
Je me faisais vraiment des peines de tout! C'est le contraire maintenant; le bon Dieu me fait la grâce de n'être abattue par aucune chose passagère. Quand je me souviens d'autrefois, mon âme déborde de reconnaissance; par suite des faveurs que j'ai reçues du ciel, il s'est fait en moi un tel changement que je ne suis pas reconnaissable.
Lorsque Marie entra au Carmel, ne pouvant plus lui confier mes tourments, je me tournai du côté des cieux. Je m'adressai aux quatre petits anges qui m'avaient précédée là-haut, pensant que ces âmes innocentes, n'ayant jamais connu le trouble et la crainte, devaient avoir pitié de leur pauvre petite sœur qui souffrait sur la terre. Je leur parlai avec une simplicité d'enfant, leur faisant remarquer qu'étant la dernière de la famille, j'avais toujours été la plus aimée, la plus comblée de tendresses, de la part de mes parents et de mes sœurs; que, s'ils étaient restés sur la terre, ils m'eussent donné sans doute les mêmes preuves d'affection. Leur entrée au ciel ne me paraissait pas être pour eux une raison de m'oublier; au contraire, se trouvant à même de puiser dans les trésors divins, ils devaient y prendre pour moi la paix, et me montrer ainsi que là-haut on sait encore aimer.
La réponse ne se fit pas attendre; bientôt la paix vint inonder mon âme de ses flots délicieux. J'étais donc aimée, non seulement sur la terre, mais aussi dans le ciel! Depuis ce moment, ma dévotion grandit pour mes petits frères et sœurs du paradis; j'aimais à m'entretenir avec eux, à leur parler des tristesses de l'exil et de mon désir d'aller bientôt les rejoindre dans l'éternelle patrie.
La grâce de Noël.—Zèle des âmes.—Première conquête.—Douce
intimité avec sa sœur Céline.—Elle obtient
de son père la
permission d'entrer au Carmel à quinze ans.—Refus du
Supérieur.—Elle en réfère à S. G. Mgr Hugonin,
évêque de Bayeux.
——
Si le ciel me comblait de grâces, j'étais loin de les mériter. J'avais constamment un vif désir de pratiquer la vertu; mais quelles imperfections se mêlaient à mes actes! Mon extrême sensibilité me rendait vraiment insupportable; tous les raisonnements étaient inutiles, je ne pouvais me corriger de ce vilain défaut.
Comment donc osais-je espérer mon entrée prochaine au Carmel? Un petit miracle était nécessaire pour me faire grandir en un moment; et, ce miracle tant désiré, le bon Dieu le fit au jour inoubliable du 25 décembre 1886. En cette fête de Noël, en cette nuit bénie, Jésus, le doux Enfant d'une heure, changea la nuit de mon âme en torrents de lumière. En se rendant faible et petit pour mon amour, il me rendit forte et courageuse; il me revêtit de ses armes, et depuis je marchai de victoire en victoire, commençant pour ainsi dire une course de géant. La source de mes larmes fut tarie et ne s'ouvrit plus que rarement et difficilement.
Je vous dirai maintenant, ma Mère, en quelle circonstance je reçus cette grâce inestimable de ma complète conversion:
En arrivant aux Buissonnets, après la Messe de minuit, je savais trouver dans la cheminée, comme aux jours de ma petite enfance, mes souliers remplis de gâteries.—Ce qui prouve que, jusque-là, mes sœurs me traitaient comme un petit bébé.—Mon père lui-même aimait à voir mon bonheur, à entendre mes cris de joie lorsque je tirais chaque nouvelle surprise des souliers enchantés, et sa gaieté augmentait encore mon plaisir. Mais l'heure était venue où Jésus voulait me délivrer des défauts de l'enfance et m'en retirer les innocentes joies. Il permit que mon père, contre son habitude de me gâter en toutes circonstances, éprouvât cette fois de l'ennui. En montant dans ma chambre, je l'entendis prononcer ces paroles qui me percèrent le cœur: «Pour une grande fille comme Thérèse, c'est là une surprise trop enfantine; je l'espère, ce sera la dernière année.»
Céline, connaissant ma sensibilité extrême, me dit tout bas: «Ne descends pas tout de suite, attends un peu; tu pleurerais trop en regardant les surprises devant papa.» Mais Thérèse n'était plus la même... Jésus avait changé son cœur!
Refoulant mes larmes, je descendis rapidement dans la salle à manger; et, comprimant les battements de mon cœur, je pris mes souliers, les posai devant mon père, et tirai joyeusement tous les objets, ayant l'air heureux comme une reine. Papa riait, il ne paraissait plus sur son visage aucune marque de contrariété, et Céline se croyait au milieu d'un songe! Heureusement c'était une douce réalité: la petite Thérèse venait de retrouver pour toujours sa force d'âme, autrefois perdue à l'âge de quatre ans et demi.
En cette nuit lumineuse commença donc la troisième période de ma vie, la plus belle de toutes, la plus remplie des grâces du ciel. En un instant, l'ouvrage que je n'avais pu faire pendant plusieurs années, Jésus l'accomplit, se contentant de ma bonne volonté. Comme les Apôtres, je pouvais dire: «Seigneur, j'ai péché toute la nuit sans rien prendre[31].» Plus miséricordieux encore pour moi qu'il ne le fut pour ses disciples, Jésus prit lui-même le filet, le jeta et le retira plein de poissons; il fit de moi un pêcheur d'âmes... La charité entra dans mon cœur avec le besoin de m'oublier toujours, et depuis lors je fus heureuse.
Un dimanche, en fermant mon livre à la fin de la Messe, une photographie représentant Notre-Seigneur en croix glissa un peu en dehors des pages, ne me laissant voir qu'une de ses mains divines percée et sanglante. J'éprouvai alors un sentiment nouveau, ineffable. Mon cœur se fendit de douleur à la vue de ce sang précieux qui tombait à terre sans que personne s'empressât de le recueillir; et je résolus de me tenir continuellement en esprit au pied de la croix, pour recevoir la divine rosée du salut et la répandre ensuite sur les âmes.
Depuis ce jour, le cri de Jésus mourant: «J'ai soif!» retentissait à chaque instant dans mon cœur, pour y allumer une ardeur inconnue et très vive. Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé; je me sentais dévorée moi-même de la soif des âmes, et je voulais à tout prix arracher les pécheurs aux flammes éternelles.
Afin d'exciter mon zèle, le bon Maître me montra bientôt que mes désirs lui étaient agréables. J'entendis parler d'un grand criminel,—du nom de Pranzini—condamné à mort pour des meurtres épouvantables, et dont l'impénitence faisait craindre une éternelle damnation. Je voulus empêcher ce dernier et irrémédiable malheur. Afin d'y parvenir, j'employai tous les moyens spirituels imaginables; et, sachant que de moi-même je ne pouvais rien, j'offris pour sa rançon les mérites infinis de Notre-Seigneur et les trésors de la sainte Eglise.
Faut-il le dire? je sentais au fond de mon cœur la certitude d'être exaucée. Mais afin de me donner du courage pour continuer de courir à la conquête des âmes, je fis cette naïve prière: «Mon Dieu, je suis bien sûre que vous pardonnerez au malheureux Pranzini; je le croirais même s'il ne se confessait pas et ne donnait aucune marque de contrition, tant j'ai confiance en votre infinie miséricorde. Mais c'est mon premier pécheur; à cause de cela, je vous demande seulement un signe de repentir pour ma simple consolation.»
Ma prière fut exaucée à la lettre!—Jamais mon père ne nous laissait lire les journaux; cependant je ne crus pas désobéir en regardant les passages qui concernaient Pranzini. Le lendemain de son exécution, j'ouvre avec empressement le journal «la Croix» et que vois-je?... Ah! mes larmes trahirent mon émotion et je fus obligée de m'enfuir. Pranzini, sans confession, sans absolution, était monté sur l'échafaud; déjà les bourreaux l'entraînaient vers la fatale bascule, quand, remué tout à coup par une inspiration subite, il se retourne, saisit un Crucifix que lui présentait le prêtre et baise par trois fois ses plaies sacrées!...
J'avais donc obtenu le signe demandé; et ce signe était bien doux pour moi! N'était-ce pas devant les plaies de Jésus, en voyant couler son sang divin, que la soif des âmes avait pénétré dans mon cœur? Je voulais leur donner à boire ce sang immaculé, afin de les purifier de leurs souillures; et les lèvres «de mon premier enfant» allèrent se coller sur les plaies divines! Quelle réponse ineffable! Ah! depuis cette grâce unique, mon désir de sauver les âmes grandit chaque jour; il me semblait entendre Jésus me dire tout bas comme à la Samaritaine: «Donne-moi à boire!»[32] C'était un véritable échange d'amour: aux âmes je versais le sang de Jésus, à Jésus j'offrais ces mêmes âmes rafraîchies par la rosée du Calvaire; ainsi je pensais le désaltérer; mais plus je lui donnais à boire, plus la soif de ma pauvre petite âme augmentait, et je recevais cette soif ardente comme la plus délicieuse récompense.
En peu de temps, le bon Dieu m'avait conduite au delà du cercle étroit où je vivais. Le grand pas était donc fait; mais hélas! il me restait encore un long chemin à parcourir.
Dégagé de ses scrupules, de sa sensibilité excessive, mon esprit se développa. J'avais toujours aimé le grand, le beau; à cette époque, je fus prise d'un désir extrême de savoir. Ne me contentant pas des leçons de ma maîtresse, je m'appliquais seule à des sciences spéciales; et, par ce moyen, j'acquis plus de connaissances en quelques mois seulement que pendant toutes mes années d'études. Ah! ce zèle n'était-il pas vanité et affliction d'esprit?
Avec ma nature ardente, je me trouvais au moment de la vie le plus dangereux. Mais le Seigneur fit à mon égard ce que rapporte Ezéchiel dans ses prophéties:
«Il a vu que le temps était venu pour moi d'être aimée; il a fait alliance avec moi, et je suis devenue sienne; il a étendu sur moi son manteau; il m'a lavée dans les parfums précieux; il m'a revêtue de robes étincelantes, me donnant des colliers et des parfums sans prix. Il m'a nourrie de la plus pure farine, de miel et d'huile en abondance. Alors je suis devenue belle à ses yeux, et il a fait de moi une puissante reine.»[33]
Oui, Jésus a fait tout cela pour moi! Je pourrais reprendre chaque mot de cet ineffable passage et montrer qu'il s'est réalisé en ma faveur; mais les grâces rapportées plus haut en sont déjà une preuve suffisante. Je vais donc seulement parler de la nourriture que le divin Maître m'a prodiguée «en abondance».
Depuis longtemps je soutenais ma vie spirituelle avec «la plus pure farine» contenue dans l'Imitation. C'était le seul livre qui me fît du bien; car je n'avais pas découvert les trésors cachés dans le saint Evangile. Ce petit livre ne me quittait jamais. Dans la famille on s'en amusait beaucoup; et souvent, ma tante, l'ouvrant au hasard, me faisait réciter le chapitre tombé sous ses yeux.
A quatorze ans, avec mon désir de science, le bon Dieu trouva nécessaire de joindre à «la plus pure farine, du miel et de l'huile en abondance». Ce miel et cette huile, il me les fit goûter dans les conférences de M. l'abbé Arminjon sur la fin du monde présent et les mystères de la vie future. La lecture de cet ouvrage plongea mon âme dans un bonheur qui n'est pas de la terre; je pressentais déjà ce que Dieu réserve à ceux qui l'aiment; et, voyant ces récompenses éternelles si disproportionnées avec les légers sacrifices de cette vie, je voulais aimer, aimer Jésus avec passion, lui donner mille marques de tendresse pendant que je le pouvais encore.
Céline était devenue, depuis Noël surtout, la confidente intime de mes pensées. Jésus, qui voulait nous faire avancer ensemble, forma dans nos cœurs des liens plus forts que ceux du sang. Il nous fit devenir sœurs d'âmes.
En nous se réalisèrent les paroles de notre Père saint Jean de la Croix, dans son Cantique spirituel:
En suivant vos traces, ô mon Bien-Aimé,
Les jeunes filles parcourent légèrement le chemin.
L'attouchement de l'étincelle,
Le vin épicé,
Leur font produire des aspirations divinement embaumées.
Oui, c'était bien légèrement que nous suivions les traces de Jésus! Les étincelles brûlantes semées par lui dans nos âmes, le vin délicieux et fort qu'il nous donnait à boire faisaient disparaître à nos yeux les choses passagères d'ici-bas; et de nos lèvres sortaient des aspirations toutes d'amour.
Avec quelle douceur je me rappelle nos conversations d'alors! Chaque soir, au belvédère, nous plongions ensemble nos regards dans l'azur profond semé d'étoiles d'or. Il me semble que nous recevions de bien grandes grâces. Comme le dit l'Imitation: «Dieu se communique parfois au milieu d'une vive splendeur, ou bien, doucement voilé sous des ombres ou des figures.»[34] Ainsi daignait-il se manifester à nos cœurs; mais que ce voile était transparent et léger! Le doute n'eût pas été possible; déjà la foi et l'espérance quittaient nos âmes: l'amour nous faisant trouver sur la terre Celui que nous cherchions. L'ayant trouvé seul, il nous avait donné son baiser, afin qu'à l'avenu-personne ne pût nous mépriser[35].
Ces divines impressions ne devaient pas rester sans fruit; la pratique de la vertu me devint douce et naturelle. Au début, mon visage trahissait le combat; mais, peu à peu, le renoncement me sembla facile, même au premier instant. Jésus l'a dit: «A celui qui possède on donnera encore, et il sera dans l'abondance.»[36] Pour une grâce fidèlement reçue, il m'en accordait une multitude d'autres. Il se donnait lui-même à moi dans la sainte communion, plus souvent que je n'aurais osé l'espérer. J'avais pris pour règle de conduite de faire, bien fidèlement, toutes les communions permises par mon confesseur, sans lui demander jamais d'en augmenter le nombre. Aujourd'hui, je m'y prendrais d'une autre façon; car je suis bien sûre qu'une âme doit dire à son directeur l'attrait qu'elle sent à recevoir son Dieu. Ce n'est pas pour rester dans le ciboire d'or qu'il descend chaque jour du ciel, mais afin de trouver un autre ciel: le ciel de notre âme où il prend ses délices.
Jésus, qui voyait mon désir, inspirait donc mon confesseur de me permettre plusieurs communions par semaine; et ces permissions, venant directement de lui, me comblaient de joie. En ce temps-là, je n'osais rien dire de mes sentiments intérieurs; la voie par laquelle je marchais était si droite, si lumineuse, que je ne sentais pas le besoin d'un autre guide que Jésus. Je comparais les directeurs à des miroirs fidèles qui reflétaient Nôtre-Seigneur dans les âmes; et je pensais que, pour moi, le bon Dieu ne se servait pas d'intermédiaire, mais agissait directement.
Lorsqu'un jardinier entoure de soins un fruit qu'il veut faire mûrir avant la saison, ce n'est jamais pour le laisser suspendu à l'arbre; c'est afin de le présenter sur une table richement servie. Dans une intention semblable, Jésus prodiguait ses grâces à sa petite fleurette. Il voulait faire éclater en moi sa miséricorde; lui qui s'écriait dans un transport de joie, aux jours de sa vie mortelle: «Mon Père, je vous bénis de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux plus petits.»[37] Parce que j'étais petite et faible, il s'abaissait vers moi et m'instruisait doucement des secrets de son amour. Comme le dit saint Jean de la Croix dans son Cantique de l'âme:
Je n'avais ni guide, ni lumière,
Excepté celle qui brillait dans mon cœur.
Cette lumière me guidait,
Plus sûrement que celle du midi,
Au lieu où m'attendait
Celui qui me connaît parfaitement.
Ce lieu, c'était le Carmel; mais avant de me reposer à l'ombre de Celui que je désirais[38], je devais passer par bien des épreuves. Et toutefois l'appel divin devenait si pressant que, m'eût-il fallu traverser les flammes, je m'y serais élancée pour répondre à Notre-Seigneur.
Seule, ma sœur Agnès de Jésus m'encourageait dans ma vocation; Marie me trouvait trop jeune, et vous, ma Mère bien-aimée, essayiez aussi, pour m'éprouver sans doute, de ralentir mon ardeur. Dès le début, je ne rencontrai qu'obstacles. D'un autre côté, je n'osais rien dire à Céline, et ce silence me faisait beaucoup souffrir; il m'était si difficile de lui cacher quelque chose! Bientôt cependant, cette sœur chérie apprit ma détermination, et, loin d'essayer de m'en détourner, elle accepta le sacrifice avec un courage admirable. Puisqu'elle voulait être religieuse, elle aurait dû partir la première; mais, comme autrefois les martyrs donnaient joyeusement le baiser d'adieu à leurs frères, choisis les premiers, pour combattre dans l'arène: ainsi me laissa-t-elle m'éloigner, prenant la même part à mes épreuves que s'il se fût agi de sa propre vocation.
Du côté de Céline je n'avais donc rien à craindre; mais je ne savais quel moyen prendre pour annoncer mes projets à mon père. Comment lui parler de quitter sa reine, lorsqu'il venait de sacrifier ses deux aînées? De plus, cette année-là, nous l'avions vu malade d'une attaque de paralysie assez sérieuse dont il se remit promptement, il est vrai, mais qui ne laissait pas de nous donner pour l'avenir bien des inquiétudes.
Ah! que de luttes intimes n'ai-je pas souffertes avant de parler! Cependant il fallait me décider: j'allais avoir quatorze ans et demi, six mois seulement nous séparaient encore de la belle nuit de Noël, et j'étais résolue d'entrer au Carmel à l'heure même où, l'année précédente, j'avais reçu ma grâce de conversion.
Pour faire ma grande confidence je choisis la fête de la Pentecôte. Toute la journée, je demandai les lumières de l'Esprit-Saint, suppliant les Apôtres de prier pour moi, de m'inspirer les paroles que j'allais avoir à dire. N'étaient-ce pas eux, en effet, qui devaient aider l'enfant timide que Dieu destinait à devenir l'apôtre des apôtres par la prière et le sacrifice?
L'après-midi, en revenant des Vêpres, je trouvai l'occasion désirée. Mon père était allé s'asseoir dans le jardin; et là, les mains jointes, il contemplait les merveilles de la nature. Le soleil couchant dorait de ses derniers feux le sommet des grands arbres, et les petits oiseaux gazouillaient leur prière du soir.
Son beau visage avait une expression toute céleste, je sentais que la paix inondait son cœur. Sans dire un seul mot, j'allai m'asseoir à ses côtés, les yeux déjà mouillés de larmes. Il me regarda avec une tendresse indéfinissable, appuya ma tête sur son cœur et me dit: «Qu'as-tu, ma petite reine? Confie-moi cela...» Puis, se levant comme pour dissimuler sa propre émotion, il marcha lentement, me pressant toujours sur son cœur.
«Qu as tu ma petite reine?... confie-moi cela...»
A travers mes larmes je parlai du Carmel...
A travers mes larmes je parlai du Carmel, de mes désirs d'entrer bientôt; alors il pleura lui-même! Toutefois, il ne me dit rien qui pût me détourner de ma vocation; il me fit simplement remarquer que j'étais encore bien jeune pour prendre une détermination aussi grave; et, comme j'insistais, défendant bien ma cause, mon incomparable père avec sa droite et généreuse nature fut bientôt convaincu. Nous continuâmes longtemps notre promenade; mon cœur était soulagé, papa ne versait plus de larmes. Il me parla comme un saint. S'approchant d'un mur peu élevé, il me montra de petites fleurs blanches, semblables à des lis en miniature; et, prenant une de ces fleurs, il me la donna, m'expliquant avec quel soin le Seigneur l'avait fait éclore et conservée jusqu'à ce jour.
Je croyais écouter mon histoire tant la ressemblance était frappante entre la petite fleur et la petite Thérèse. Je reçus cette fleurette comme une relique; et je vis qu'en voulant la cueillir, mon père avait enlevé toutes ses racines sans les briser: elle paraissait destinée à vivre encore dans une autre terre plus fertile. Cette même action, papa venait de la faire pour moi, en me permettant de quitter, pour la montagne du Carmel, la douce vallée témoin de mes premiers pas dans la vie.
Je collai ma petite fleur blanche sur une image de Notre-Dame des Victoires: la sainte Vierge lui sourit, et le petit Jésus semble la tenir dans sa main. C'est là qu'elle est encore, seulement la tige s'est brisée tout près de la racine. Le bon Dieu, sans doute, veut me dire par là qu'il brisera bientôt les liens de sa petite fleur et ne la laissera pas se faner sur la terre...
Après avoir obtenu le consentement de mon père, je croyais pouvoir m'envoler sans crainte au Carmel. Hélas! mon oncle, après avoir entendu à son tour mes confidences, déclara que cette entrée à quinze ans, dans un ordre austère, lui paraissait contre la prudence humaine; que ce serait faire tort à la religion de laisser une enfant embrasser une pareille vie. Il ajouta qu'il allait y mettre de son côté toute l'opposition possible, et qu'à moins d'un miracle, il ne changerait pas d'avis.
Je m'aperçus que tous les raisonnements étaient inutiles, et je me retirai, le cœur plongé dans la plus profonde amertume. Ma seule consolation était la prière; je suppliais Jésus de faire le miracle demandé, puisqu'à ce prix seulement je pouvais répondre à son appel. Un temps assez long s'écoula; mon oncle ne semblait plus se souvenir de notre entretien; mais j'ai su plus tard que, tout au contraire, je le préoccupais beaucoup.
Avant de faire luire sur mon âme un rayon d'espérance, le Seigneur voulut m'envoyer un autre martyre bien douloureux qui dura trois jours. Oh! jamais je n'ai si bien compris la peine amère de la sainte Vierge et de saint Joseph, cherchant à travers les rues de Jérusalem le divin Enfant Jésus. Je me trouvais dans un désert affreux; ou plutôt mon âme ressemblait au fragile esquif livré sans pilote à la merci des flots orageux. Je le sais, Jésus était là, dormant sur ma nacelle, mais comment le voir au milieu d'une si sombre nuit? Si l'orage avait éclaté ouvertement, un éclair eût peut-être sillonné mes nuages. Sans doute, c'est une bien triste lueur que celle des éclairs; cependant, à leur clarté, j'aurais aperçu un instant le Bien-Aimé de mon cœur.
Mais non... c'était la nuit! la nuit profonde, le délaissement complet, une véritable mort! Comme le divin Maître, au Jardin de l'Agonie, je me sentais seule, ne trouvant de consolation ni du côté de la terre, ni du côté des cieux. La nature semblait prendre part à ma tristesse amère: pendant ces trois jours, le soleil ne montra pas un seul de ses rayons et la pluie tomba par torrents. J'en fis toujours la remarque: dans toutes les circonstances de ma vie la nature était l'image de mon âme. Quand je pleurais, le ciel pleurait avec moi; quand je jouissais, l'azur du firmament ne se trouvait obscurci d'aucun nuage.
Le quatrième jour qui se trouvait un samedi, j'allai voir mon oncle. Quelle ne fut pas ma surprise en le trouvant tout changé à mon égard! D'abord, sans que je lui en eusse témoigné le désir, il me fit entrer dans son cabinet; puis, commençant par m'adresser de doux reproches sur ma manière d'être, un peu gênée avec lui, il me dit que le miracle exigé n'était plus nécessaire; qu'ayant prié le bon Dieu de lui donner une simple inclination de cœur, il venait de l'obtenir. Je ne le reconnaissais plus. Il m'embrassa avec la tendresse d'un père, ajoutant d'un ton bien ému: «Va en paix, ma chère enfant, tu es une petite fleur privilégiée que le Seigneur veut cueillir, je ne m'y opposerai pas.»
Avec quelle allégresse je repris le chemin des Buissonnets sous le beau ciel dont les nuages s'étaient complètement dissipés! Dans mon âme aussi la nuit avait cessé. Jésus se réveillant m'avait rendu la joie, je n'entendais plus le bruit des vagues: au lieu du vent de l'épreuve, une brise légère enflait ma voile et je me croyais au port! Hélas! plus d'un orage devait encore s'élever, me faisant craindre à certaines heures, de m'être éloignée sans retour du rivage si ardemment désiré.
Après avoir obtenu le consentement de mon oncle, j'appris par vous, ma Mère vénérée, que M. le Supérieur du Carmel ne me permettait pas d'entrer avant l'âge de vingt et un ans. Personne n'avait pensé à cette opposition, la plus grave, la plus invincible de toutes. Cependant, sans perdre courage, j'allai moi-même avec mon père lui exposer mes désirs. Il me reçut très froidement, et rien ne put changer ses dispositions. Nous le quittâmes enfin sur un non bien arrêté: «Toutefois, ajouta-t-il, je ne suis que le délégué de Monseigneur; s'il permet cette entrée, je n'aurai plus rien à dire.» En sortant du presbytère, nous nous trouvâmes sous une pluie torrentielle; hélas! de gros nuages aussi chargeaient le firmament de mon âme. Papa ne savait comment me consoler. Il me promit de me conduire à Bayeux si je le désirais; j'acceptai avec reconnaissance.
Bien des événements se passèrent avant qu'il nous fût possible d'accomplir ce voyage. A l'extérieur, ma vie paraissait la même: j'étudiais, et surtout je grandissais dans l'amour du bon Dieu. J'avais parfois des élans, de véritables transports...
Un soir, ne sachant comment dire à Jésus que je l'aimais et combien je désirais qu'il fût partout servi et glorifié, je pensai avec douleur qu'il ne monterait jamais des abîmes de l'enfer un seul acte d'amour. Alors je m'écriai que, de bon cœur, je consentirais à me voir plongée dans ce lieu de tourments et de blasphèmes, pour qu'il y fût aimé éternellement. Cela ne pourrait le glorifier, puisqu'il ne désire que notre bonheur; mais, quand on aime, on éprouve le besoin de dire mille folies. Si je parlais ainsi, ce n'était pas que le ciel n'excitât mon envie; mais alors, mon ciel à moi n'était autre que l'amour, et je sentais, dans mon ardeur, que rien ne pourrait me détacher de l'objet divin qui m'avait ravie...
Vers cette époque, Nôtre-Seigneur me donna la consolation de voir de près des âmes d'enfants. Voici en quelle circonstance: pendant la maladie d'une pauvre mère de famille, je m'occupai beaucoup de ses deux petites filles dont l'aînée n'avait pas six ans. C'était un vrai plaisir pour moi de voir avec quelle candeur elles ajoutaient foi à tout ce que je leur disais. Il faut que le saint baptême dépose dans les âmes un germe bien profond des vertus théologales puisque, dès l'enfance, l'espoir des biens futurs suffit pour faire accepter des sacrifices. Lorsque je voulais voir mes deux petites filles bien conciliantes entre elles, au lieu de leur promettre des jouets et des bonbons, je leur parlais des récompenses éternelles que le petit Jésus donnera aux enfants sages. L'aînée, dont la raison commençait à se développer, me regardait avec une expression de vive joie et me faisait mille questions charmantes sur le petit Jésus et son beau ciel. Elle me promettait ensuite avec enthousiasme de toujours céder à sa sœur, ajoutant que, jamais de sa vie, elle n'oublierait les leçons de «la grande demoiselle»—c'est ainsi qu'elle m'appelait.
Considérant ces âmes innocentes, je les comparais à une cire molle sur laquelle on peut graver toute empreinte; celle du mal, hélas! comme celle du bien; et je compris la parole de Jésus: Qu'il vaudrait mieux être jeté à la mer que de scandaliser un seul de ces petits enfants[39]. Ah! que d'âmes arriveraient à une haute sainteté si, dès le principe, elles étaient bien dirigées!
Je le sais, Dieu n'a besoin de personne pour accomplir son œuvre de sanctification; mais, comme il permet à un habile jardinier d'élever des plantes rares et délicates, lui donnant à cet effet la science nécessaire, tout en se réservant le soin de féconder; ainsi veut-il être aidé dans sa divine culture des âmes. Qu'arriverait-il si un horticulteur maladroit ne greffait pas bien ses arbres? s'il ne savait pas reconnaître la nature de chacun et voulait faire éclore, par exemple, des roses sur un pêcher?
Cela me fait souvenir qu'autrefois, parmi mes oiseaux, j'avais un serin qui chantait à ravir; j'avais aussi un petit linot auquel je prodiguais des soins particuliers, l'ayant adopté à sa sortie du nid. Ce pauvre petit prisonnier, privé des leçons de musique de ses parents et n'entendant du matin au soir que les joyeuses roulades du serin, voulut l'imiter un beau jour.—Difficile entreprise pour un linot!—C'était charmant de voir les efforts de ce pauvre petit, dont la douce voix eut bien du mal à s'accorder avec les notes vibrantes de son maître. Il y arriva cependant, à ma grande surprise, et son chant devint absolument le même que celui du serin.
O ma Mère, vous savez qui m'a appris à chanter dès l'enfance! Vous savez quelles voix m'ont charmée! Et maintenant j'espère un jour, malgré ma faiblesse, redire éternellement le cantique d'amour dont j'ai entendu bien des fois moduler ici-bas les notes harmonieuses.
Mais où en suis-je? Ces réflexions m'ont entraînée trop loin... Je reprends vite le récit de ma vocation.
Le 31 octobre 1887, je partis pour Bayeux, seule avec mon père, le cœur rempli d'espérance, mais aussi bien émue à la pensée de me présenter à l'évêché. Pour la première fois de ma vie, je devais aller faire une visite sans être accompagnée de mes sœurs; et cette visite était à un Evêque! Moi qui n'avais jamais besoin de parler que pour répondre aux questions qui m'étaient adressées, je devais expliquer et développer les raisons qui me faisaient solliciter mon entrée au Carmel, afin de donner des preuves de la solidité de ma vocation.
Qu'il m'en a coûté pour surmonter à ce point ma timidité! Oh! c'est bien vrai que jamais l'amour ne trouve d'impossibilité, parce qu'il se croit tout possible et tout permis[40]. C'était bien, en effet, le seul amour de Jésus qui pouvait me faire braver ces difficultés et celles qui suivirent; car je devais acheter mon bonheur par de grandes épreuves. Aujourd'hui, sans doute, je trouve l'avoir payé bien peu cher, et je serais prête à supporter des peines mille fois plus amères pour l'acquérir, si je ne l'avais pas encore.
Les cataractes du ciel semblaient ouvertes quand nous arrivâmes à l'évêché. M. l'abbé Révérony, Vicaire général, qui lui-même avait fixé la date du voyage, se montra très aimable, bien qu'un peu étonné. Apercevant des larmes dans mes yeux, il me dit: «Ah! je vois des diamants, il ne faut pas les montrer à Monseigneur!»
Nous traversâmes alors de grands salons où je me faisais l'effet d'une petite fourmi et me demandais ce que j'allais oser dire! Monseigneur se promenait en ce moment dans une galerie, avec deux prêtres; je vis M. le Grand Vicaire échanger avec lui quelques mots, et revenir en sa compagnie dans l'appartement où nous attendions. Là, trois énormes fauteuils étaient placés devant la cheminée où pétillait un feu ardent.
En voyant entrer Monseigneur, mon père se mit à genoux près de moi pour recevoir sa bénédiction, puis Sa Grandeur nous fit asseoir. M. Révérony me présenta le fauteuil du milieu: je m'excusai poliment; il insista, me disant de montrer si j'étais capable d'obéir. Aussitôt je m'exécutai sans la moindre réflexion, et j'eus la confusion de lui voir prendre une chaise, tandis que je me trouvais enfoncée dans un siège monumental où quatre comme moi auraient été à l'aise—plus à l'aise que moi, car j'étais loin d'y être!—J'espérais que mon père allait parler; mais il me dit d'expliquer le but de notre visite. Je le fis le plus éloquemment possible, tout en comprenant très bien qu'un simple mot du Supérieur m'eût plus servi que mes raisons. Hélas! son opposition ne plaidait guère en ma faveur.
Monseigneur me demanda s'il y avait longtemps que je désirais le Carmel.
«Oh! oui, Monseigneur, bien longtemps.
—Voyons, reprit en riant M. Révérony, il ne peut toujours pas y avoir quinze ans de cela!
—C'est vrai, répondis-je, mais il n'y a pas beaucoup d'années à retrancher; car j'ai désiré me donner au bon Dieu dès l'âge de trois ans.»
Monseigneur, croyant être agréable à mon père, essaya de me faire comprendre que je devais rester quelque temps encore près de lui. Quelles ne furent pas la surprise et l'édification de Sa Grandeur de voir alors papa prendre mon parti! ajoutant, d'un air plein de bonté, que nous devions aller à Rome avec le pèlerinage diocésain et que je n'hésiterais pas à parler au Saint-Père, si je n'obtenais auparavant la permission sollicitée.
Cependant, un entretien avec le Supérieur fut exigé comme indispensable, avant de nous donner aucune décision. Je ne pouvais rien entendre qui me fît plus de peine; car je connaissais son opposition formelle et bien arrêtée. Aussi, sans tenir compte de la recommandation de M. l'abbé Révérony, je fis plus que montrer des diamants à Monseigneur, je lui en donnai. Je vis bien qu'il était touché; il me fit des caresses comme jamais, paraît-il, aucune enfant n'en avait reçu de lui.
«Tout n'est pas perdu, ma chère petite, me dit-il; mais je suis bien content que vous fassiez avec votre bon père le voyage de Rome: vous affermirez ainsi votre vocation. Au lieu de pleurer, vous devriez vous réjouir! D'ailleurs, la semaine prochaine je vais aller à Lisieux; je parlerai de vous à M. le Supérieur, et, certainement, vous recevrez ma réponse en Italie.»
Sa Grandeur nous conduisit ensuite jusqu'au jardin; mon père l'intéressa beaucoup en lui racontant que, ce matin même, afin de paraître plus âgée, je m'étais relevé les cheveux. Ceci ne fut pas perdu! Aujourd'hui, je le sais, Monseigneur ne parle à personne de sa petite fille, sans raconter l'histoire des cheveux.—J'aurais préféré, je l'avoue, que cette révélation ne se fît point. M. le Grand Vicaire nous accompagna jusqu'à la porte, disant que jamais chose pareille ne s'était vue: un père aussi empressé de donner son enfant à Dieu, que cette enfant de s'offrir elle-même.
Il fallut donc reprendre le chemin de Lisieux sans aucune réponse favorable. Il me semblait que mon avenir était brisé pour toujours; plus j'approchais du terme, plus je voyais mes affaires s'embrouiller. Cependant je ne cessai point d'avoir au fond de l'âme une grande paix, parce que je ne cherchais que la volonté du Seigneur.
Voyage de Rome.—Audience de S. S. Léon XIII.
Réponse de
Monseigneur l'Evêque de Bayeux.
Trois mois d'attente.
——
Trois jours après le voyage de Bayeux, je devais en faire un beaucoup plus long: celui de la Ville éternelle. Ce dernier voyage m'a montré le néant de tout ce qui passe. Cependant j'ai vu de splendides monuments, j'ai contemplé toutes les merveilles de l'art et de la religion; surtout, j'ai foulé la même terre que les saints Apôtres, la terre arrosée du sang des Martyrs, et mon âme s'est agrandie au contact des choses saintes.
Je suis bien heureuse d'être allée à Rome; mais je comprends les personnes qui supposaient ce voyage entrepris par mon père dans le but de changer mes idées de vie religieuse. Il y avait certainement de quoi ébranler une vocation mal affermie.
Nous nous trouvâmes d'abord, ma sœur et moi, au milieu du grand monde qui composait presque exclusivement le pèlerinage. Ah! bien loin de nous éblouir, tous ces titres de noblesse ne nous parurent qu'une vaine fumée. J'ai compris cette parole de l'Imitation: «Ne poursuivez pas cette ombre que l'on appelle un grand nom[41].» J'ai compris que la vraie grandeur ne se trouve point dans le nom, mais dans l'âme.
Le Prophète nous dit que le Seigneur donnera UN AUTRE NOM à ses élus[42]; et nous lisons dans saint Jean: «Le vainqueur recevra une pierre blanche, sur laquelle est écrit un NOM NOUVEAU que nul ne connaît, hors celui qui le reçoit»[43]. C'est donc au ciel que nous saurons nos titres de noblesse. Alors chacun recevra de Dieu la louange qu'il mérite[44], et celui qui, sur la terre, aura choisi d'être le plus pauvre, le plus inconnu pour l'amour de Notre-Seigneur, celui-là sera le premier, le plus noble et le plus riche.
La seconde expérience que j'ai faite regarde les prêtres. Jusque-là, je ne pouvais comprendre le but principal de la réforme du Carmel; prier pour les pécheurs me ravissait, mais prier pour les prêtres dont les âmes me semblaient plus pures que le cristal, cela me paraissait étonnant! Ah! j'ai compris ma vocation en Italie. Ce n'était pas aller chercher trop loin une aussi utile connaissance.
Pendant un mois, j'ai rencontré beaucoup de saints prêtres; et j'ai vu que, si leur sublime dignité les élève au-dessus des Anges, ils n'en sont pas moins des hommes faibles et fragiles. Donc, si de saints prêtres, que Jésus appelle dans l'Evangile: le sel de la terre, montrent qu'ils ont besoin de prières, que faut-il penser de ceux qui sont tièdes? Jésus n'a-t-il pas dit encore: «Si le sel vient à s'affadir, avec quoi l'assaisonnera-t-on?»[45]
O ma Mère, qu'elle est belle notre vocation! C'est à nous, c'est au Carmel de conserver le sel de la terre! Nous offrons nos prières et nos sacrifices pour les apôtres du Seigneur; nous devons être nous-mêmes leurs apôtres, tandis que, par leurs paroles et leurs exemples, ils évangélisent les âmes de nos frères. Quelle noble mission est la nôtre! Mais je dois en rester là, je sens que, sur ce sujet, ma plume ne s'arrêterait jamais...
Je vais, ma Mère chérie, vous raconter mon voyage avec quelques détails:
Le 4 novembre, à trois heures du matin, nous traversions la ville de Lisieux encore ensevelie dans les ombres de la nuit. Bien des impressions passèrent en mon âme: je me sentais aller vers l'inconnu, je savais que de grandes choses m'attendaient là-bas!
Arrivés à Paris, mon père nous en fit visiter toutes les merveilles; pour moi, je n'en trouvai qu'une seule: Notre-Dame des Victoires. Ce que j'éprouvai dans son sanctuaire, je ne pourrais le dire. Les grâces qu'elle m'accorda ressemblaient à celles de ma première Communion: j'étais remplie de paix et de bonheur... C'est là que ma Mère, la Vierge Marie, me dit clairement que c'était bien elle qui m'avait souri et m'avait guérie. Avec quelle ferveur je la suppliai de me garder toujours et de réaliser mon rêve, en me cachant à l'ombre de son manteau virginal! Je lui demandai encore d'éloigner de moi toutes les occasions de péché.
Je n'ignorais pas que, pendant mon voyage, il se rencontrerait bien des choses capables de me troubler; n'ayant aucune connaissance du mal, je craignais de le découvrir. Je n'avais pas expérimenté que tout est pur pour les purs[46], que l'âme simple et droite ne voit de mal à rien, puisque le mal n'existe que dans les cœurs impurs, et non dans les objets insensibles. Je priai aussi saint Joseph de veiller sur moi; depuis mon enfance, ma dévotion pour lui se confondait avec mon amour pour la très sainte Vierge. Chaque jour, je récitais la prière: «O saint Joseph, père et protecteur des vierges...» Il me semblait donc être bien protégée et tout à fait à l'abri du danger.
Après notre consécration au Sacré-Cœur, dans la basilique de Montmartre, nous partîmes de Paris, le 7 novembre. Comme il s'agissait de mettre chaque compartiment de wagon sous le vocable d'un saint, il était convenu de décerner cet honneur à l'un des prêtres qui habitaient ce compartiment: soit en adoptant son patron ou celui de sa paroisse.
Et voici qu'en présence de tous les pèlerins, nous entendîmes appeler le nôtre: Saint Martin. Mon père, très sensible à cette délicatesse, alla remercier immédiatement Mgr Legoux, grand Vicaire de Coutances et directeur du pèlerinage. Depuis, plusieurs personnes ne l'appelaient pas autrement que monsieur Saint Martin.
M. l'abbé Révérony examinait soigneusement toutes mes actions; je l'apercevais de loin qui m'observait. A table, lorsque je n'étais pas en face de lui, il trouvait moyen de se pencher pour me voir et m'entendre. Je pense qu'il dut être satisfait de son examen; car, à la fin du voyage, il parut bien disposé en ma faveur. Je dis, à la fin, parce qu'à Rome il fut loin de me servir d'avocat, comme je le dirai bientôt.—Néanmoins, je ne voudrais pas faire croire qu'il voulût me tromper, en n'agissant plus d'après les bonnes intentions manifestées à Bayeux. Je suis persuadée, au contraire, qu'il resta toujours pour moi rempli de bienveillance; s'il contraria mes désirs, ce fut uniquement pour m'éprouver.
Avant d'atteindre le but de notre pèlerinage, nous traversâmes la Suisse avec ses hautes montagnes dont le sommet neigeux se perd dans les nuages, ses cascades, ses vallées profondes remplies de fougères gigantesques et de bruyères roses.
Ma Mère bien-aimée, que ces beautés de la nature, répandues ainsi à profusion, ont fait de bien à mon âme! Comme elles l'ont élevée vers Celui qui s'est plu à jeter de pareils chefs-d'œuvre sur une terre d'exil qui ne doit durer qu'un jour!
Parfois nous étions emportés jusqu'au sommet des montagnes: à nos pieds, des précipices dont le regard ne pouvait sonder la profondeur, semblaient vouloir nous engloutir. Plus loin, nous traversions un village charmant avec ses chalets et son gracieux clocher, au-dessus duquel se balançaient mollement de légers nuages. Ici, c'était un vaste lac aux flots calmes et purs, dont la teinte azurée se mêlait aux feux du couchant.
Comment dire mes impressions devant ce spectacle si poétique et si grandiose? Je pressentais les merveilles du ciel... La vie religieuse m'apparaissait telle qu'elle est, avec ses assujettissements, ses petits sacrifices quotidiens accomplis dans l'ombre. Je comprenais combien alors il devient facile de se replier sur soi-même, d'oublier le but sublime de sa vocation; et je me disais: «Plus tard, à l'heure de l'épreuve, lorsque, prisonnière au Carmel, je ne pourrai voir qu'un petit coin du ciel, je me souviendrai d'aujourd'hui; ce tableau me donnera du courage. Je ne ferai plus cas de mes petits intérêts en pensant à la grandeur, à la puissance de Dieu; je l'aimerai uniquement et n'aurai pas le malheur de m'attacher à des pailles, maintenant que mon cœur entrevoit ce qu'il réserve à ceux qui l'aiment.»
Après avoir contemplé les œuvres de Dieu, je pus admirer aussi celles de ses créatures. La première ville d'Italie que nous visitâmes fut Milan. Sa cathédrale en marbre blanc, avec ses statues assez nombreuses pour former un peuple, devint pour nous l'objet d'une étude particulière.
Laissant les dames timides se cacher le visage dans leurs mains, après avoir gravi les premiers degrés de l'édifice, nous suivîmes, Céline et moi, les pèlerins les plus hardis, et atteignîmes le dernier clocheton, ayant ensuite le plaisir de voir à nos pieds la ville de Milan tout entière, dont les habitants ressemblaient à de petites fourmis. Descendues de notre piédestal, nous commençâmes nos promenades en voiture qui devaient durer un mois, et me rassasier pour toujours du désir de rouler sans fatigue.
Le Campo Santo nous ravit. Ses statues de marbre blanc, qu'un ciseau de génie semble avoir animées, sont semées sur le vaste champ des morts, avec une sorte de négligence qui ne manque point de charme. On serait presque tenté de consoler les personnages allégoriques qui vous entourent. Leur expression est si vraie de douleur calme et chrétienne! Et quels chefs-d'œuvre! Ici, c'est un enfant qui jette des fleurs sur la tombe de son père; on oublie la pesanteur du marbre: les pétales délicats semblent glisser entre ses doigts. Ailleurs, le voile léger des veuves et les rubans dont sont ornés les cheveux des jeunes filles paraissent flotter au gré du vent.
Nous ne trouvions pas de paroles pour exprimer notre admiration; lorsqu'un vieux monsieur français, qui nous suivait partout, regrettant sans doute de ne pouvoir partager nos sentiments, dit avec mauvaise humeur: «Ah! que les Français sont donc enthousiastes!» Je crois que ce pauvre monsieur aurait mieux fait de rester chez lui. Loin d'être heureux de son voyage, toujours des plaintes sortaient de sa bouche: il était mécontent des villes, des hôtels, des personnes, de tout.
Souvent, mon père, qui se trouvait bien n'importe où,—étant d'un caractère diamétralement opposé à celui de son désobligeant voisin—essayait de le réjouir, lui offrait sa place en voiture et ailleurs, lui montrait, avec sa grandeur d'âme habituelle, le bon côté des choses; rien ne le déridait! Que nous avons vu de personnages différents! Quelle intéressante étude que celle du monde, quand on est à la veille de le quitter!
A Venise, la scène changea complètement. Au lieu du tumulte des grandes cités, on n'entend, au milieu du silence, que les cris des gondoliers et le murmure de l'onde agitée par les rames. Cette ville a bien ses charmes, mais elle est triste. Le palais des doges avec toutes ses splendeurs est triste lui-même. Depuis longtemps, l'écho de ses voûtes sonores ne répète plus la voix des gouverneurs, prononçant des arrêts de vie ou de mort dans les salles que nous avons traversées. Ils ont cessé de souffrir, les malheureux condamnés, enterrés vivants dans les oubliettes obscures.
En visitant ces affreuses prisons, je me croyais au temps des martyrs. Cet asile ténébreux, je l'aurais avec joie choisi pour demeure, s'il se fût agi de confesser ma foi; mais bientôt la voix du guide me tira de ma rêverie, et je passai sur le pont des soupirs, ainsi appelé à cause des soupirs de soulagement des pauvres prisonniers, en se voyant délivrés de l'horreur des souterrains auxquels ils préféraient la mort.
Après avoir dit adieu à Venise, nous vénérâmes à Padoue la langue de saint Antoine; puis, à Bologne, le corps de sainte Catherine, dont le visage conserve l'empreinte du baiser de l'Enfant Jésus.
Je me vis avec bonheur sur la route de Lorette. Que la sainte Vierge a bien choisi cet endroit pour y déposer sa Maison bénie! Là, tout est pauvre, simple et primitif: les femmes ont conservé le gracieux costume italien, et n'ont pas, comme celles des autres villes, adopté la mode de Paris. Enfin, Lorette m'a charmée.
Que dirai-je de la sainte Maison? Mon émotion fut bien profonde en me trouvant sous le même toit que la sainte Famille, en contemplant les murs sur lesquels Notre-Seigneur avait fixé ses yeux divins, en foulant la terre que saint Joseph avait arrosée de ses sueurs, où Marie avait porté Jésus dans ses bras, après l'avoir porté dans son sein virginal. J'ai vu la petite chambre de l'Annonciation. J'ai déposé mon chapelet dans l'écuelle de l'Enfant Jésus. Que ces souvenirs sont ravissants!
Mais notre plus grande consolation fut de recevoir Jésus dans sa maison et de devenir ainsi son temple vivant, au lieu même qu'il avait honoré de sa divine présence. Suivant l'usage romain, la sainte Eucharistie ne se conserve dans chaque église que sur un autel; et, là seulement, les prêtres la distribuent aux fidèles. A Lorette, cet autel se trouve dans la basilique où la sainte Maison est renfermée, comme un diamant précieux, en un écrin de marbre blanc. Cela ne fit pas notre affaire. C'était dans le diamant, et non dans l'écrin, que nous voulions recevoir le Pain des Anges. Mon père, avec sa douceur ordinaire, suivit les pèlerins, tandis que ses filles moins soumises se dirigeaient vers la santa Casa.
Par un privilège spécial, un prêtre se disposait à y célébrer sa messe; nous lui confiâmes notre désir. Immédiatement, ce prêtre dévoué demanda deux petites hosties qu'il plaça sur sa patène, et vous devinez, ma Mère, le bonheur ineffable de cette communion! Les paroles sont impuissantes à le traduire. Que sera-ce donc quand nous communierons éternellement dans la demeure du Roi des cieux? Alors nous ne verrons plus finir notre joie, il n'y aura plus pour l'assombrir la tristesse du départ, il ne sera pas nécessaire de gratter furtivement, comme nous l'avons fait, les murs sanctifiés par la présence divine; puisque sa maison sera la nôtre pendant tous les siècles.
Il ne veut pas nous donner celle de la terre, il se contente de nous la montrer, pour nous faire aimer la pauvreté et la vie cachée; celle qu'il nous réserve est son palais de gloire, où nous ne le verrons plus voilé sous l'apparence d'un enfant ou d'un peu de pain, mais tel qu'il est dans l'éclat de sa splendeur infinie!
Maintenant, c'est de Rome que je vais parler: de Rome, où je croyais rencontrer la consolation; où, hélas! je trouvai la croix! A notre arrivée, il faisait nuit; et, m'étant endormie dans le wagon, je fus réveillée au cri des employés de la gare, répété avec enthousiasme par les pèlerins: Roma! Roma! Ce n'était pas un rêve, j'étais à Rome!
Notre première journée, peut-être la plus délicieuse, se passa hors les murs. Là, tous les monuments ont conservé leur antique cachet; tandis qu'au centre de Rome, devant les hôtels et les magasins, on pourrait se croire à Paris.
Cette promenade dans les campagnes romaines m'a laissé un souvenir particulièrement embaumé. Comment pourrais-je traduire l'impression qui me fit tressaillir devant le Colysée? Je la voyais donc enfin cette arène, où tant de martyrs avaient versé leur sang pour Jésus! Déjà je m'apprêtais à baiser la terre sanctifiée par leurs combats glorieux. Mais quelle déception! Le sol ayant été exhaussé, la véritable arène est ensevelie à huit mètres environ de profondeur. Par suite des fouilles, le centre n'est qu'un amas de décombres; une barrière infranchissable en défend l'entrée. D'ailleurs, personne n'ose pénétrer au sein de ces ruines dangereuses.
Fallait-il être venue à Rome sans descendre au Colysée?—Non, c'était impossible! Je n'écoutais plus déjà les explications du guide; une seule pensée m'occupait: descendre dans l'arène!
Il est dit dans le saint Evangile, que Madeleine restant toujours auprès du Tombeau, et se baissant à plusieurs reprises pour regarder à l'intérieur, finit par voir deux anges. Comme elle, continuant de me baisser, je vis, non pas deux anges, mais ce que je cherchais; et, poussant un cri de joie, je dis à ma sœur: «Viens! suis-moi, nous allons pouvoir passer!» Aussitôt nous nous élançons, escaladant les ruines qui croulaient sous nos pas; tandis que mon père, étonné de notre audace, nous appelait de loin. Mais nous n'entendions plus rien.
De même que les guerriers sentent leur courage augmenter au milieu du péril, ainsi notre joie grandissait en proportion de notre fatigue et du danger que nous affrontions pour atteindre le but de nos désirs.
Céline, plus prévoyante que moi, avait écouté le guide. Se rappelant qu'il venait de signaler un certain petit pavé croisé, comme étant l'endroit où combattaient les martyrs, elle se mit à le chercher. L'ayant trouvé bientôt, et nous étant agenouillées sur cette terre bénie, nos âmes se confondirent en une même prière..... Mon cœur battait bien fort lorsque j'approchai mes lèvres de la poussière empourprée du sang des premiers chrétiens. Je demandai la grâce d'être aussi martyre pour Jésus, et je sentis au fond de mon âme que j'étais exaucée.
Tout ceci dura très peu de temps. Après avoir ramassé quelques pierres, nous nous dirigeâmes vers les murs pour recommencer notre périlleuse entreprise. Mon père nous voyant si heureuses ne put nous gronder; je m'aperçus même qu'il était fier de notre courage.
Après le Colysée, nous visitâmes les Catacombes. Là, Céline et Thérèse trouvèrent le moyen de se coucher ensemble jusqu'au fond de l'ancien tombeau de sainte Cécile, et prirent de la terre sanctifiée par ses reliques bénies.
Avant ce voyage, je n'avais pour cette sainte aucune dévotion particulière; mais en visitant sa maison, le lieu de son martyre, en l'entendant proclamer «reine de l'harmonie», à cause du chant virginal qu'elle fit entendre au fond de son cœur à son Epoux céleste, je sentis pour elle plus que de la dévotion: une véritable tendresse d'amie. Elle devint ma sainte de prédilection, ma confidente intime. Ce qui surtout me ravissait en elle, c'étaient son abandon, sa confiance illimitée, qui l'ont rendue capable de virginiser des âmes n'ayant jamais désiré que les joies de la vie présente. Sainte Cécile est semblable à l'épouse des Cantiques. En elle, je vois un chœur dans un camp d'armée[47]. Sa vie n'a été qu'un chant mélodieux au milieu même des plus grandes épreuves; et cela ne m'étonne pas, puisque l'Evangile sacré reposait sur son cœur[48], et que dans son cœur reposait l'Epoux des vierges.
La visite à l'église de Sainte-Agnès me fut aussi bien douce. Là, je retrouvais une amie d'enfance. J'essayai, mais sans succès, d'obtenir une de ses reliques afin de la rapporter à ma petite mère Agnès de Jésus. Les hommes me refusant, le bon Dieu se mit de la partie: une petite pierre de marbre rouge, se détachant d'une riche mosaïque dont l'origine remonte au temps de la douce martyre, vint tomber à mes pieds. N'était-ce pas charmant? Sainte Agnès me donnait elle-même un souvenir de sa maison!
Six jours se passèrent à contempler les principales merveilles de Rome; et le septième, je vis la plus grande de toutes: Léon XIII. Ce jour, je le désirais et le redoutais à la fois, de lui dépendait ma vocation; car je n'avais reçu aucune réponse de Monseigneur, et la permission du Saint-Père devenait mon unique planche de salut. Mais, pour obtenir cette permission, il fallait la demander! Il fallait devant plusieurs cardinaux, archevêques et évêques, oser parler au Pape! Cette seule pensée me faisait trembler.
Ce fut le dimanche matin, 20 novembre, que nous entrâmes au Vatican dans la chapelle du Souverain Pontife. A huit heures nous assistions à sa messe; et, pendant le saint Sacrifice, il nous montra par son ardente piété, digne du Vicaire de Jésus-Christ, qu'il était véritablement le saint Père.
L'Evangile de ce jour contenait ces ravissantes paroles: «Ne craignez rien, petit troupeau; car il a plu à mon Père de vous donner son royaume.»[49] Et mon cœur s'abandonnait à la confiance la plus vive. Non, je ne craignais pas, j'espérais que le royaume du Carmel m'appartiendrait bientôt. Je ne pensais pas alors à ces autres paroles de Jésus: «Je vous prépare mon royaume comme mon Père me l'a préparé.»[50]—C'est-à-dire, je vous réserve des croix et des épreuves; ainsi vous deviendrez digne de posséder mon royaume.—«Il a été nécessaire que le Christ souffrît avant d'entrer dans sa gloire[51]. Si vous désirez prendre place à ses côtés, buvez le calice qu'il a bu lui-même.»[52]
Après la messe d'action de grâces qui suivit celle de Sa Sainteté, l'audience commença.
Léon XIII était assis sur un fauteuil élevé, vêtu simplement d'une soutane blanche et d'un camail de même couleur. Près de lui se tenaient des prélats et autres grands dignitaires ecclésiastiques. Suivant le cérémonial, chaque pèlerin s'agenouillait à son tour, baisait d'abord le pied, puis la main de l'auguste Pontife, et recevait sa bénédiction; ensuite deux gardes-nobles le touchant du doigt, lui indiquaient par là de se lever pour passer dans une autre salle et donner sa place au suivant.
Personne ne disait mot; mais j'étais bien résolue à parler quand, tout à coup, M. l'abbé Révérony qui se tenait à la droite de Sa Sainteté, nous fit avertir bien haut qu'il défendait absolument de parler au Saint-Père. Je me tournai vers Céline, l'interrogeant du regard; mon cœur battait à se rompre...—«Parle!» me dit-elle.
Un instant après, j'étais aux genoux du Pape. Ayant baisé sa mule, il me présenta la main. Alors, levant vers lui mes yeux baignés de larmes, je le suppliai en ces termes:
«Très Saint Père, j'ai une grande grâce à vous demander!»
Aussitôt, baissant la tête jusqu'à moi, son visage toucha presque le mien; on eût dit que ses yeux noirs et profonds voulaient me pénétrer jusqu'à l'intime de l'âme.
«Très Saint Père, répétai-je, en l'honneur de votre Jubilé, permettez-moi d'entrer au Carmel à quinze ans!»
M. le grand Vicaire de Bayeux, étonné et mécontent, reprit bientôt:
«Très Saint Père, c'est une enfant qui désire la vie du Carmel; mais les supérieurs examinent la question en ce moment.
—Eh bien, mon enfant, me dit Sa Sainteté, faites ce que les supérieurs décideront.»
Joignant alors les mains et les appuyant sur ses genoux, je tentai un dernier effort:
—«O Très Saint Père, si vous disiez oui, tout le monde voudrait bien!»
Il me regarda fixement, et prononça ces mots en appuyant sur chaque syllabe d'un ton pénétrant:
—«Allons... Allons... vous entrerez si le bon Dieu le veut.»
J'allais parler encore, quand deux gardes-nobles m'invitèrent à me lever. Voyant que cela ne suffisait pas, ils me prirent par les bras et M. Révérony leur aida à me soulever, car je restais encore les mains jointes appuyées sur les genoux du Pape. Au moment où j'étais ainsi enlevée, le bon Saint-Père posa doucement sa main sur mes lèvres, puis, la levant pour me bénir, il me suivit longtemps des yeux.
Mon père eut bien de la peine en me trouvant tout en pleurs au sortir de l'audience: ayant passé avant moi, il ne savait rien de ma démarche. Pour lui, M. le grand Vicaire s'était montré on ne peut plus aimable, le présentant à Léon XIII comme le père de deux carmélites. Le Souverain Pontife, en signe de particulière bienveillance, avait posé sa main sur sa tête vénérable, semblant ainsi le marquer d'un sceau mystérieux au nom du Christ lui-même.
Ah! maintenant qu'il est au ciel, ce père de quatre carmélites, ce n'est plus la main du représentant de Jésus qui repose sur son front, lui prophétisant le martyre, c'est la main de l'Epoux des vierges, du Roi des cieux; et plus jamais cette main divine ne se retirera du front qu'elle a glorifié.
Mon épreuve était grande; mais, ayant fait absolument tout ce qui dépendait de moi pour répondre à l'appel du bon Dieu, je dois avouer que, malgré mes larmes, je ressentais au fond du cœur une grande paix. Toutefois cette paix résidait dans l'intime, et l'amertume remplissait mon âme jusqu'aux bords... Et Jésus se taisait... Il semblait absent, rien ne me révélait sa présence.
Ce jour-là encore, le soleil n'osa pas briller; et le beau ciel bleu d'Italie, chargé de nuages sombres, ne cessa de pleurer avec moi. Ah! c'était fini! Mon voyage n'avait plus aucun charme à mes yeux, puisque le but venait d'en être manqué. Cependant les dernières paroles du Saint-Père auraient dû me consoler comme une véritable prophétie. En effet, malgré tous les obstacles, ce que le bon Dieu a voulu s'est accompli: il n'a pas permis aux créatures de faire ce qu'elles voulaient, mais sa volonté à lui.
Depuis quelque temps, je m'étais offerte à l'Enfant-Jésus pour être son petit jouet. Je lui avais dit de ne pas se servir de moi comme d'un jouet de prix que les enfants se contentent de regarder sans oser y toucher; mais comme d'une petite balle de nulle valeur, qu'il pouvait jeter à terre, pousser du pied, percer, laisser dans un coin, ou bien presser sur son cœur si cela lui faisait plaisir. En un mot, je voulais amuser le petit Jésus et me livrer à ses caprices enfantins.
Il venait d'exaucer ma prière! A Rome, Jésus perça son petit jouet... il voulait voir sans doute ce qu'il y avait dedans... et puis, content de sa découverte, il laissa tomber sa petite balle et s'endormit. Que fit-il pendant son doux sommeil, et que devint la balle abandonnée?—Jésus rêva qu'il s'amusait encore; qu'il la prenait, la laissait tour à tour; qu'il l'envoyait bien loin rouler et finalement la pressait sur son Cœur, sans plus jamais permettre qu'elle s'éloignât de sa petite main.
Vous comprenez, ma Mère, la tristesse de la petite balle en se voyant par terre! Cependant elle ne cessait d'espérer contre toute espérance.
Quelques jours après le 20 novembre, mon père étant allé rendre visite au vénéré Frère Siméon,—directeur et fondateur du Collège Saint-Joseph—rencontra dans l'établissement M. l'abbé Révérony, et lui reprocha aimablement de ne m'avoir pas aidée dans ma difficile entreprise; puis il raconta l'histoire au Cher Frère Siméon. Le bon vieillard écouta ce récit avec beaucoup d'intérêt, en prit même des notes et dit avec émotion: «On ne voit pas cela en Italie!»
Au lendemain de la mémorable journée de l'audience, il nous fallut partir pour Naples et Pompéi. Le Vésuve, en notre honneur, fit entendre de nombreux coups de canon, laissant échapper de son cratère une épaisse colonne de fumée. Ses traces sur Pompéi sont effrayantes! Elles montrent la puissance de Dieu qui regarde la terre et la fait trembler, qui touche les montagnes et les réduit en cendres[53]. J'aurais désiré me promener seule au milieu des ruines, méditant sur la fragilité des choses humaines; mais il ne fallut pas songer à cette solitude.
A Naples, nous fîmes une magnifique promenade au monastère de San Martino, situé sur une haute colline dominant la ville entière. Mais, au retour, nos chevaux prirent le mors aux dents, et je n'attribue qu'à la protection de nos anges gardiens d'être arrivés sains et saufs à notre splendide hôtel. Ce mot splendide n'est pas de trop; pendant tout le cours de notre voyage, nous sommes descendus dans des hôtels princiers. Jamais je n'avais été entourée de tant de luxe. C'est bien le cas de le dire: la richesse ne fait pas le bonheur. Je me serais trouvée plus heureuse mille fois sous un toit de chaume, avec l'espérance du Carmel, qu'auprès des lambris dorés, des escaliers de marbre, des tapis de soie, avec l'amertume dans le cœur.
Ah! je l'ai bien senti, la joie ne se trouve pas dans les objets qui nous entourent, elle réside au plus intime de l'âme. On peut aussi bien la posséder au fond d'une obscure prison que dans un palais royal. Ainsi je suis plus heureuse au Carmel, même au milieu des épreuves intérieures et extérieures, que dans le monde où rien ne me manquait, surtout les douceurs du foyer paternel.
Bien que mon âme fût plongée dans la tristesse, au dehors j'étais la même; car je croyais cachée ma demande au Saint-Père. Bientôt je pus me convaincre du contraire. Restée seule un jour dans le wagon avec ma sœur, tandis que les pèlerins descendaient au buffet, je vis Mgr Legoux se présenter à la portière. Après m'avoir bien regardée, il me dit en souriant: «Eh bien, comment va notre petite carmélite?» Je compris alors que tout le pèlerinage connaissait mon secret; d'ailleurs je m'en aperçus à certains regards sympathiques, mais heureusement personne ne m'en parla.
A Assise il m'arriva une petite aventure. Après avoir visité les lieux embaumés par les vertus de saint François et de sainte Claire, j'égarai dans le monastère la boucle de ma ceinture. Le temps de la chercher et de l'ajuster au ruban me fit perdre l'heure du départ. Lorsque je me présentai à la porte, toutes les voitures avaient disparu, à l'exception d'une seule: celle de M. le grand Vicaire de Bayeux! Fallait-il courir après les voitures que je ne voyais plus, m'exposer à manquer le train, ou demander une place dans la calèche de M. Révérony? Je me décidai à ce parti le plus sage.
Essayant de paraître très peu embarrassée, malgré mon extrême embarras, je lui exposai ma situation critique et le mis dans l'embarras lui-même; car sa voiture était absolument au complet. Mais un de ces messieurs se hâta de descendre et, me faisant monter à sa place, alla s'asseoir modestement près du cocher. Je ressemblais à un écureuil pris dans un piège! J'étais loin de me sentir à l'aise, entourée de tous ces grands personnages, juste vis-à-vis du plus redoutable! Il fut cependant très aimable pour moi, interrompant de temps à autre la conversation pour me parler du Carmel, et me promettant de faire tout ce qui dépendrait de lui pour réaliser mon désir d'entrer à quinze ans.
Cette rencontre mit du baume sur ma plaie, sans toutefois m'empêcher de souffrir. J'avais perdu confiance en la créature, et ne pouvais plus m'appuyer que sur Dieu seul.
Cependant ma tristesse ne m'empêcha pas de prendre un vif intérêt aux saints lieux que nous visitions. A Florence, je fus heureuse de contempler sainte Madeleine de Pazzi au milieu du chœur des Carmélites. Tous les pèlerins voulaient faire toucher leurs chapelets au tombeau de la sainte; mais ma main se trouva seule assez petite pour passer dans les trous de la grille. Ainsi je me vis chargée de ce noble office qui dura longtemps et me rendit bien fière.
Ce n'était pas la première fois que j'obtenais des privilèges. A Rome, dans l'église Sainte-Croix de Jérusalem, nous vénérâmes plusieurs fragments de la vraie Croix, deux épines et l'un des clous sacrés. Afin de les considérer à mon aise, je fis en sorte de rester la dernière; et comme le religieux chargé de ces précieux trésors s'apprêtait à les remettre sur l'autel, je lui demandai si je pouvais y toucher. Il me répondit affirmativement, paraissant douter que j'y réussisse; je passai alors mon petit doigt dans une ouverture du reliquaire, et pus toucher ainsi au clou précieux qui fut baigné du sang de Jésus. On le voit, j'agissais avec lui comme une enfant qui se croit tout permis et regarde les trésors de son père comme les siens.
Après avoir passé par Pise et Gênes, nous revînmes en France sur un parcours des plus splendides. Tantôt nous longions la mer; et, par suite d'une tempête, le chemin de fer, un jour, s'en trouva si près, que les vagues semblaient arriver jusqu'à nous. Plus loin, nous traversions des plaines couvertes d'orangers, d'oliviers, de palmiers gracieux. Le soir, les nombreux ports de mer s'éclairaient de lumières éclatantes, tandis qu'au firmament d'azur scintillaient les premières étoiles. Ce féerique tableau, c'était sans regret que je le voyais s'évanouir; mon cœur aspirait à d'autres merveilles!
Cependant, mon père me proposait encore un voyage à Jérusalem; mais, malgré l'attrait naturel qui me portait à visiter les lieux sanctifiés par le passage de Notre-Seigneur, j'étais lasse des pèlerinages de la terre, je ne désirais plus que les beautés du ciel; et, pour les donner aux âmes, je voulais au plus tôt devenir prisonnière.
Hélas! avant de voir s'ouvrir les portes de ma prison bénie, je le sentais, il me fallait encore lutter et souffrir; toutefois ma confiance ne diminuait pas, et j'espérais entrer le 25 décembre, jour de Noël.
A peine de retour à Lisieux, notre première visite fut pour le Carmel. Quelle entrevue! Vous vous en souvenez, ma Mère! Je m'abandonnai complètement à vous, ayant de mon côté épuisé toutes les ressources. Vous me dîtes d'écrire à Monseigneur et de lui rappeler sa promesse: j'obéis aussitôt. La lettre jetée à la poste, je croyais recevoir sans aucun retard la permission de m'envoler. Chaque jour, hélas! nouvelle déception! La belle fête de Noël arriva, et Jésus dormait encore. Il laissa par terre sa petite balle sans même jeter sur elle un regard!
Cette épreuve fut bien grande; mais Celui dont le Cœur veille toujours m'enseigna que, pour une âme dont la foi égale seulement un petit grain de sénevé, il accorde des miracles, dans le but d'affermir cette foi si petite; mais que, pour ses intimes, pour sa Mère, il ne fit pas de miracles avant d'avoir éprouvé leur foi. Ne laissa-t-il pas mourir Lazare, bien que Marthe et Marie lui eussent envoyé dire qu'il était malade? Aux noces de Cana, la sainte Vierge ayant demandé à Jésus de secourir le maître de la maison, ne lui répondit-il pas que son heure n'était point venue? Mais après l'épreuve, quelle récompense! L'eau se change en vin, Lazare ressuscite... Ainsi le Bien-Aimé agit-il avec sa petite Thérèse: après l'avoir longtemps éprouvée, il combla tous ses désirs.
Pour mes étrennes du 1er janvier 1888, Jésus me fit encore présent de sa croix. Vous me dîtes, ma Mère vénérée, que vous aviez en main la réponse de Monseigneur depuis le 28 décembre, fête des saints Innocents; que cette réponse autorisait mon entrée immédiate, cependant que vous étiez décidée à ne m'ouvrir qu'après le carême! Je ne pus retenir mes larmes à la pensée d'un si long délai. Cette épreuve eut pour moi un caractère tout spécial: je voyais mes liens rompus du côté du monde, et maintenant l'Arche sainte à son tour refusait de recueillir la pauvre petite colombe!
Comment se passèrent ces trois mois, si riches pour mon âme en souffrances, mais plus encore en grâces de toutes sortes? D'abord il me vint à l'esprit de ne pas me gêner, de mener une vie moins réglée que d'habitude; puis le bon Dieu me fit comprendre le bienfait du temps qui m'était offert, et je résolus de me livrer plus que jamais à une vie sérieuse et mortifiée.
Lorsque je dis mortifiée, je n'entends pas les pénitences des saints. Loin de ressembler aux belles âmes qui, dès leur enfance, pratiquent toute espèce de macérations, je faisais uniquement consister les miennes à briser ma volonté, à retenir une parole de réplique, à rendre de petits services autour de moi sans les faire valoir, et mille autres choses de ce genre. Par la pratique de ces riens, je me préparais à devenir la fiancée de Jésus, et je ne puis dire combien cette attente me fit grandir dans l'abandon, l'humilité et les autres vertus.
Entrée de Thérèse dans l'Arche bénie.—Premières
épreuves.—Les
fiançailles divines.—De la neige.
Une grande douleur.
——
Le lundi, 9 avril 1888, fut choisi pour mon entrée.—C'était le jour où l'on célébrait au Carmel la fête de l'Annonciation, remise à cause du Carême.—La veille, nous nous trouvions tous réunis autour de cette table de famille où je devais m'asseoir une dernière fois. Que ces adieux sont déchirants! Alors que l'on voudrait se voir oublié, les paroles les plus tendres s'échappent de toutes les lèvres, comme pour faire sentir davantage le sacrifice de la séparation.
Le matin, après avoir jeté un dernier regard sur les Buissonnets, ce nid gracieux de mon enfance, je partis pour le Carmel. J'assistai à la sainte Messe, entourée comme la veille de mes parents chéris. Au moment de la communion, quand Jésus fut descendu dans leur cœur, je n'entendis que des sanglots. Pour moi, je ne versai pas de larmes; mais en marchant la première pour me rendre à la porte de clôture, mon cœur battait si violemment que je me demandais si je n'allais pas mourir. Ah! quel instant! quelle agonie! Il faut l'avoir éprouvée pour la comprendre.
J'embrassai tous les miens et je me mis à genoux devant mon père pour recevoir sa bénédiction. Il s'agenouilla lui-même et me bénit en pleurant. C'était un spectacle qui dut faire sourire les anges que celui de ce vieillard présentant au Seigneur son enfant, encore au printemps de la vie. Enfin, les portes du Carmel se fermèrent sur moi... je tombai dans vos bras, ma Mère bien-aimée; et là, je reçus les embrassements d'une nouvelle famille dont on ne soupçonne pas dans le monde le dévouement et la tendresse.
Mes désirs étaient donc enfin réalisés; mon âme ressentait une paix si douce et si profonde qu'il me serait impossible de l'exprimer. Et, depuis 8 ans et demi, cette paix intime est restée mon partage; elle ne m'a pas abandonnée, même au milieu des plus grandes épreuves.
Tout dans le monastère me parut ravissant; je me croyais transportée dans un désert; notre petite cellule surtout me charmait. Cependant, je le répète, mon bonheur était calme, le plus léger zéphyr ne faisait pas onduler les eaux tranquilles sur lesquelles voguait ma petite nacelle. Aucun nuage n'obscurcissait mon ciel d'azur. Ah! je me trouvais pleinement récompensée de toutes mes épreuves! Avec quelle joie profonde je répétais: «Maintenant je suis ici pour toujours!»
Ce bonheur n'était pas éphémère, il ne devait pas s'envoler avec les illusions des premiers jours. Les illusions! le bon Dieu m'en a préservée dans sa miséricorde. J'ai trouvé la vie religieuse telle que je me l'étais figurée, aucun sacrifice ne m'étonna; et pourtant, vous le savez, ma Mère, mes premiers pas ont rencontré plus d'épines que de roses.
D'abord je n'avais pour mon âme que le pain quotidien d'une sécheresse amère. Puis le Seigneur permit, ma Mère vénérée, que, même à votre insu, je fusse traitée par vous très sévèrement. Je ne pouvais vous rencontrer sans recevoir quelque reproche. Une fois, je me rappelle qu'ayant laissé dans le cloître une toile d'araignée, vous m'avez dit devant toute la communauté: «On voit bien que nos cloîtres sont balayés par une enfant de quinze ans! c'est une pitié! Allez donc ôter cette toile d'araignée, et devenez plus soigneuse à l'avenir.»
Dans les rares directions où je restais près de vous pendant une heure, j'étais encore grondée presque tout le temps; et ce qui me faisait le plus de peine, c'était de ne pas comprendre la manière de me corriger de mes défauts: par exemple, de ma lenteur, de mon peu de dévouement dans les offices; défauts que vous me signaliez, ma Mère, dans votre sollicitude et votre bonté pour moi.
Un jour, je me dis que, sans doute, vous désiriez me voir employer au travail les heures de temps libre, ordinairement consacrées à la prière, et je fis marcher ma petite aiguille sans lever les yeux; mais, comme je voulais être fidèle et n'agir que sous le regard de Jésus, personne n'en eut jamais connaissance.
Pendant ce temps de mon postulat, notre Maîtresse m'envoyait le soir, à quatre heures et demie, arracher de l'herbe dans le jardin: cela me coûtait beaucoup; d'autant plus, ma Mère, que j'étais presque sûre de vous rencontrer en chemin. Vous dîtes en l'une de ces circonstances: «Mais enfin, cette enfant ne fait absolument rien! Qu'est-ce donc qu'une novice qu'il faut envoyer tous les jours à la promenade?» Et, pour toutes choses, vous agissiez ainsi à mon égard.
O ma Mère bien-aimée, que je vous remercie de m'avoir donné une éducation si forte et si précieuse! Quelle grâce inappréciable! Que serais-je devenue si, comme le croyaient les personnes du monde, j'avais été le joujou de la communauté? Peut-être au lieu de voir Notre-Seigneur en mes supérieures, n'aurais-je considéré que la créature, et mon cœur si bien gardé dans le monde se serait attaché humainement dans le cloître. Heureusement, par votre sagesse maternelle, je fus préservée de ce véritable malheur.
Oui, je puis le dire, non seulement pour ce que je viens d'écrire, mais pour d'autres épreuves plus sensibles encore, la souffrance m'a tendu les bras dès mon entrée et je l'ai embrassée avec amour. Ce que je venais faire au Carmel, je l'ai déclaré dans l'examen solennel qui précéda ma profession: Je suis venue pour sauver les âmes, et surtout afin de prier pour les prêtres. Lorsqu'on veut atteindre un but, il faut en prendre les moyens; et Jésus m'ayant fait comprendre qu'il me donnerait des âmes par la croix, plus je rencontrais de croix, plus mon attrait pour la souffrance augmentait. Pendant cinq années, cette voie fut la mienne; mais j'étais seule à la connaître. Voilà justement la fleur ignorée que je voulais offrir à Jésus, cette fleur dont le parfum ne s'exhale que du côté des cieux.
Le Révérend Père Pichon[54], deux mois après mon entrée, fut surpris lui-même de l'action de Dieu sur mon âme; il croyait ma ferveur tout enfantine et ma voie bien douce. Mon entretien avec ce bon Père m'eût apporté de grandes consolations, sans la difficulté extrême que j'éprouvais à m'épancher. Je lui fis cependant une confession générale, après laquelle il prononça ces paroles: «En présence de Dieu, de la sainte Vierge, des Anges et de tous les Saints, je déclare que jamais vous n'avez commis un seul péché mortel; remerciez le Seigneur de ce qu'il a fait pour vous gratuitement, sans aucun mérite de votre part.»
Sans aucun mérite de ma part! Ah! je n'avais pas de peine à le croire! Je sentais combien j'étais faible, imparfaite: seule, la reconnaissance remplissait mon cœur. La crainte d'avoir terni la robe blanche de mon baptême me faisait beaucoup souffrir, et cette assurance, sortie de la bouche d'un directeur comme le désirait notre Mère sainte Thérèse, c'est-à-dire «unissant la science à la vertu», me paraissait venir de Dieu lui-même. Le bon Père me dit encore: «Mon enfant, que Notre-Seigneur soit toujours votre Supérieur et votre Maître des novices.» Il le fut en effet, et aussi mon Directeur. Par là, je ne veux pas dire que mon âme ait été fermée à mes supérieurs; bien loin de leur cacher mes dispositions, j'ai toujours essayé d'être pour eux un livre ouvert.
Notre Maîtresse était une vraie sainte, le type achevé des premières carmélites; je ne la quittais pas un instant, car elle m'apprenait à travailler. Sa bonté pour moi ne se peut dire, je l'aimais beaucoup, je l'appréciais; et cependant mon âme ne se dilatait pas. Je ne savais comment exprimer ce qui se passait en moi, les termes me manquaient, mes directions devenaient un supplice, un vrai martyre.
Une de nos anciennes Mères sembla comprendre un jour ce que je ressentais. Elle me dit à la récréation: «Ma petite fille, il me semble que vous ne devez pas avoir grand chose à dire à vos supérieurs.
—Pourquoi pensez-vous cela, ma Mère?
—Parce que votre âme est extrêmement simple; mais, quand vous serez parfaite, vous deviendrez plus simple encore; plus on s'approche de Dieu, plus on se simplifie.»
La bonne Mère avait raison. Cependant la difficulté extrême que j'éprouvais à m'ouvrir, tout en venant de ma simplicité, était une véritable épreuve. Aujourd'hui, sans cesser d'être simple, j'exprime mes pensées avec une très grande facilité.
J'ai dit que Jésus m'avait servi de directeur. A peine le Révérend Père Pichon se chargeait-il de mon âme, que ses supérieurs l'envoyèrent au Canada. Réduite à ne recevoir qu'une lettre par an, la petite fleur transplantée sur la montagne du Carmel se tourna bien vite vers le Directeur des directeurs et s'épanouit à l'ombre de sa croix, ayant pour rosée bienfaisante ses larmes, son sang divin, et pour soleil radieux sa Face adorable.
Jusqu'alors je n'avais pas sondé la profondeur des trésors renfermés dans la sainte Face; ce fut ma petite Mère Agnès de Jésus qui m'apprit à les connaître. De même qu'autrefois elle avait précédé ses trois sœurs au Carmel; de même elle avait pénétré la première les mystères d'amour cachés dans le Visage de notre Epoux; alors, elle me les a découverts, et j'ai compris... J'ai compris mieux que jamais ce qu'est la véritable gloire. Celui dont le royaume n'est pas de ce monde[55], me montra que la royauté seule enviable consiste à vouloir être ignorée et comptée pour rien[56], à mettre sa joie dans le mépris de soi-même. Ah! comme celui de Jésus, je voulais que mon visage fût caché à tous les yeux, que sur la terre personne ne me reconnût[57]: j'avais soif de souffrir et d'être oubliée.
Qu'elle est miséricordieuse la voie par laquelle le divin Maître m'a toujours conduite! Jamais il ne m'a fait désirer quelque chose sans me le donner; c'est pourquoi son calice amer me parut délicieux.
A la fin de mai 1888, après la belle fête de la Profession de Marie, notre aînée, que Thérèse, le Benjamin, eut la faveur de couronner de roses au jour de ses noces mystiques, l'épreuve vint de nouveau visiter ma famille. Depuis sa première attaque de paralysie, nous constations que notre bon père se fatiguait très facilement. Pendant notre voyage de Rome, je remarquais souvent que son visage trahissait l'épuisement et la souffrance. Mais surtout ce qui me frappait, c'étaient ses progrès admirables dans la voie de la sainteté; il était parvenu à se rendre maître de sa vivacité naturelle et les choses de la terre semblaient à peine l'effleurer.
Permettez-moi, ma Mère, de vous citer à ce propos un petit exemple de sa vertu:
Pendant le pèlerinage, les jours et les nuits en wagon paraissaient longs aux voyageurs, et nous les voyions entreprendre des parties de cartes qui parfois devenaient orageuses. Un jour, les joueurs nous demandèrent notre concours: nous refusâmes, alléguant notre peu de science en cette matière; nous ne trouvions pas comme eux le temps long, mais trop court pour contempler à loisir les magnifiques panoramas qui s'offraient à nos yeux. Le mécontentement perça bientôt; notre cher petit père prenant la parole avec calme nous défendit, laissant à entendre qu'étant en pèlerinage la prière ne tenait pas une assez large place.
Un des joueurs, oubliant alors le respect dû aux cheveux blancs, s'écria sans réflexion: «Heureusement, les pharisiens sont rares!» Mon père ne répondit pas un mot, il parut même saintement joyeux et trouva le moyen un peu plus tard de serrer la main de ce monsieur, accompagnant cette belle action d'une parole aimable qui pouvait faire croire que l'invective n'avait pas été entendue, ou du moins qu'elle était oubliée.
D'ailleurs, cette habitude de pardonner ne datait pas de ce jour. Au témoignage de ma mère et de tous ceux qui l'ont connu, jamais il ne prononça une parole contre la charité.
Sa foi et sa générosité étaient également à toute épreuve. Voici en quels termes il annonça mon départ à l'un de ses amis: «Thérèse, ma petite reine, est entrée hier au Carmel. Dieu seul peut exiger un tel sacrifice; mais il m'aide si puissamment qu'au milieu de mes larmes mon cœur surabonde de joie.»
A ce fidèle serviteur, il fallait une récompense digne de ses vertus, et cette récompense il la demanda lui-même à Dieu. O ma Mère, vous souvient-il de ce jour, de ce parloir, où mon père nous dit: «Mes enfants, je reviens d'Alençon, où j'ai reçu dans l'église Notre-Dame de si grandes grâces, de telles consolations, que j'ai fait cette prière: «Mon Dieu, c'en est trop! oui, je suis trop heureux, il n'est pas possible d'aller au ciel comme cela, je veux souffrir quelque chose pour vous! Et je me suis offert...» Le mot victime expira sur ses lèvres, il n'osa pas le prononcer devant nous, mais nous avions compris!
Vous connaissez, ma Mère, toutes nos amertumes! Ces souvenirs déchirants, je n'ai pas besoin d'en écrire les détails...
Cependant l'époque de ma prise d'habit arriva. Contre toute espérance, mon père s'étant remis d'une seconde attaque, Monseigneur fixa la cérémonie au 10 janvier. L'attente avait été longue; mais aussi, quelle belle fête! Rien n'y manquait, pas même la neige.
Vous ai-je parlé, ma Mère, de ma prédilection pour la neige? Toute petite, sa blancheur me ravissait. D'où me venait ce goût pour la neige? Peut-être de ce qu'étant une petite fleur d'hiver, la première parure dont mes yeux d'enfant virent la terre embellie fut son blanc manteau. Je voulais donc voir, le jour de ma prise d'habit, la nature comme moi parée de blanc. Mais la veille, la température était si douce qu'on aurait pu se croire au printemps et je n'espérais plus la neige. Le 10, au matin, pas de changement! Je laissai donc là mon désir d'enfant, irréalisable, et je sortis du monastère.
Mon père m'attendait à la porte de clôture. S'avançant vers moi, les yeux pleins de larmes, et me pressant sur son cœur: «Ah! s'écria-t-il, la voilà donc ma petite reine[58]!» Puis, m'offrant son bras, nous fîmes solennellement notre entrée à la chapelle. Ce jour fut son triomphe, sa dernière fête ici-bas! Toutes ses offrandes étaient faites[59], sa famille appartenait à Dieu. Céline lui ayant confié que plus tard elle abandonnerait aussi le monde pour le Carmel, ce père incomparable avait répondu dans un transport de joie: «Viens, allons ensemble devant le Saint Sacrement remercier le Seigneur des grâces qu'il accorde à notre famille, et de l'honneur qu'il me fait de se choisir des épouses dans ma maison. Oui, le bon Dieu me fait un grand honneur en me demandant mes enfants. Si je possédais quelque chose de mieux, je m'empresserais de le lui offrir.» Ce mieux, c'était lui-même! Et le Seigneur le reçut comme une hostie d'holocauste, il l'éprouva comme l'or dans la fournaise et le trouva, digne de lui[60].
Après la cérémonie extérieure, quand je rentrai au monastère, Monseigneur entonna le Te Deum. Un prêtre lui fit remarquer que ce cantique ne se chantait qu'aux professions, mais l'élan était donné et l'hymne d'action de grâces se continua jusqu'à la fin. Ne fallait-il pas que cette fête fût complète, puisqu'en elle se réunissaient toutes les autres?
Au moment où je mettais le pied dans la clôture, mon regard se porta d'abord sur mon joli petit Jésus[61] qui me souriait au milieu des fleurs et des lumières; puis me tournant vers le préau, je le vis tout couvert de neige! Quelle délicatesse de Jésus! Comblant les désirs de sa petite fiancée, il lui donnait de la neige! Quel est donc le mortel, si puissant soit-il, qui puisse en faire tomber du ciel un seul flocon pour charmer sa bien-aimée?
Tout le monde s'étonna de cette neige comme d'un véritable événement, à cause de la température contraire; et depuis, bien des personnes instruites de mon désir parlèrent souvent, je le sais, «du petit miracle» de ma prise d'habit, trouvant que j'avais un singulier goût d'aimer la neige... Tant mieux! cela faisait ressortir davantage encore l'incompréhensible condescendance de l'Epoux des vierges, de Celui qui chérit les lis blancs comme la neige.
Monseigneur entra après la cérémonie et me combla de toutes sortes de bontés paternelles: il me rappela, devant tous les prêtres qui l'entouraient, ma visite à Bayeux, mon voyage à Rome, sans oublier les cheveux relevés; puis, me prenant la tête dans ses mains, Sa Grandeur me caressa longtemps. Notre-Seigneur me fit alors penser avec une ineffable douceur aux caresses qu'il me prodiguera bientôt devant l'assemblée des Saints, et cette consolation me devint comme un avant-goût de la gloire céleste.
Vivre d'amour, ce n'est pas sur la terre
Fixer sa tente au sommet du Thabor
Avec Jésus, c'est gravir le Calvaire
C'est regarder la Croix comme un trésor!...
Je viens de le dire, la journée du 10 janvier fut le triomphe de mon bon père; je compare cette fête à l'entrée de Jésus à Jérusalem, le dimanche des Rameaux. Comme celle de notre divin Maître, sa gloire d'un jour fut suivie d'une passion douloureuse; et de même que les souffrances de Jésus percèrent le cœur de sa divine Mère, de même nos cœurs ressentirent bien profondément les blessures et les humiliations de celui que nous chérissions le plus sur la terre...
Je me rappelle qu'au mois de juin 1888,—au moment où nous craignions pour lui une paralysie cérébrale—je surpris notre Maîtresse en lui disant: «Je souffre beaucoup, ma Mère, mais je le sens, je puis souffrir davantage encore.» Je ne pensais pas alors à l'épreuve qui nous attendait. Je ne savais pas que, le 12 février, un mois après ma prise d'habit, notre père vénéré s'abreuverait à un calice aussi amer!... Ah! je n'ai pas dit alors pouvoir souffrir davantage! Les paroles ne peuvent exprimer mes angoisses et celles de mes sœurs; je n'essaierai pas de les écrire...
Plus tard, dans les cieux, nous aimerons à nous entretenir de ces jours sombres de l'exil. Oui, les trois années du martyre de mon père me paraissent les plus aimables, les plus fructueuses de notre vie, je ne les échangerais pas pour les plus sublimes extases; et mon cœur, en présence de ce trésor inestimable, s'écrie dans sa reconnaissance: «Soyez béni, mon Dieu, pour ces années de grâces que nous avons passées dans les maux.»[62]
O ma Mère bien-aimée, qu'elle fut précieuse et douce notre croix si amère, puisque de tous nos cœurs ne se sont échappés que des soupirs d'amour et de reconnaissance! Nous ne marchions plus, nous courions, nous volions dans les sentiers de la perfection.
Léonie et Céline n'étaient plus du monde, tout en vivant au milieu du monde. Les lettres qu'elles nous écrivaient à cette époque sont empreintes d'une résignation admirable. Et quels parloirs je passais avec ma Céline! Ah! loin de nous séparer, les grilles du Carmel nous unissaient plus fortement: les mêmes pensées, les mêmes désirs, le même amour de Jésus et des âmes nous faisaient vivre. Jamais un mot des choses de la terre ne se mêlait à nos conversations. Comme autrefois aux Buissonnets, nous plongions, non plus nos regards, mais nos cœurs, jusque par delà les espaces et le temps; et, pour jouir bientôt d'un bonheur éternel, nous choisissions ici-bas la souffrance et le mépris.
Mon désir de souffrances était comblé. Toutefois mon attrait pour elles ne diminuait pas, aussi mon âme partagea-t-elle bientôt l'épreuve du cœur. La sécheresse augmenta; je ne trouvais de consolation ni du côté du ciel, ni du côté de la terre; et cependant, au milieu de ces eaux de la tribulation que j'avais appelées de tous mes vœux, j'étais la plus heureuse des créatures.
Ainsi s'écoula le temps de mes fiançailles, hélas! trop long pour mes désirs. A la fin de mon année, vous me dîtes, ma Mère, de ne pas songer à faire profession, que M. le Supérieur s'y opposait formellement; et je dus attendre encore huit mois! Au premier moment, il me fut difficile d'accepter un pareil sacrifice; mais bientôt la lumière divine pénétra dans mon âme.
Je méditais alors les Fondements de la Vie spirituelle par le P. Surin. Un jour, pendant l'oraison, je compris que mon si vif désir de prononcer mes vœux était mélangé d'un grand amour-propre; puisque j'appartenais à Jésus comme son petit jouet, pour le consoler et le réjouir, je ne devais pas l'obliger à faire ma volonté au lieu de la sienne. Je compris de plus que, le jour de ses noces, une fiancée ne serait pas agréable à son époux si elle n'était parée de magnifiques ornements, et moi, je n'avais pas encore travaillé dans ce but. Alors je dis à Notre-Seigneur: «Je ne vous demande plus de faire profession, j'attendrai autant que vous le voudrez; seulement je ne pourrai souffrir que, par ma faute, mon union avec vous soit différée; je vais donc mettre tous mes soins à me faire une robe enrichie de diamants et de pierreries de toutes sortes: quand vous la trouverez assez riche, je suis sûre que rien ne vous empêchera de me prendre pour épouse.»
Je me mis à l'œuvre avec un courage nouveau. Depuis ma prise d'habit, j'avais reçu déjà des lumières abondantes sur la perfection religieuse, principalement au sujet du vœu de pauvreté. Pendant mon postulat, j'étais contente d'avoir à mon usage des choses soignées et de trouver sous ma main ce qui m'était nécessaire. Jésus souffrait cela patiemment; car il n'aime pas à tout montrer aux âmes en même temps, il ne donne ordinairement sa lumière que petit à petit.
Au commencement de ma vie spirituelle, vers l'âge de treize à quatorze ans, je me demandais ce que je gagnerais plus tard, je croyais alors impossible de mieux comprendre la perfection; mais j'ai reconnu bien vite que plus on avance dans ce chemin, plus on se croit éloigné du terme. Maintenant je me résigne à me voir toujours imparfaite, et même j'y trouve ma joie.
Je reviens aux leçons que me donna Notre-Seigneur. Un soir, après complies, je cherchai vainement notre lampe sur les planches destinées à cet usage; c'était grand silence, impossible de la réclamer. Je me dis avec raison qu'une sœur croyant prendre sa lanterne avait emporté la nôtre. Mais fallait-il passer une heure entière dans les ténèbres, à cause de cette méprise? Justement ce soir-là je comptais beaucoup travailler. Sans la lumière intérieure de la grâce, je me serais plainte assurément; avec elle, au lieu de ressentir du chagrin, je fus heureuse, pensant que la pauvreté consiste à se voir privée, non seulement des choses agréables, mais indispensables. Et dans les ténèbres extérieures, je trouvai mon âme illuminée d'une clarté divine.
Je fus prise à cette époque d'un véritable amour pour les objets les plus laids et les moins commodes: ainsi j'éprouvai de la joie lorsque je me vis enlever la jolie petite cruche de notre cellule, pour recevoir à sa place une grosse cruche tout ébréchée. Je faisais aussi bien des efforts pour ne pas m'excuser, ce qui m'était très difficile surtout avec notre Maîtresse à laquelle je n'aurais rien voulu cacher.
Ma première victoire n'est pas grande, mais elle m'a bien coûté. Un petit vase, laissé par je ne sais qui derrière une fenêtre, se trouva brisé. Notre Maîtresse me croyant coupable de l'avoir laissé traîner, me dit de faire plus attention une autre fois, que je manquais totalement d'ordre; enfin elle parut mécontente. Sans rien dire, je baisai la terre, ensuite je promis d'avoir plus d'ordre à l'avenir. A cause de mon peu de vertu, ces petites pratiques, je l'ai dit, me coûtaient beaucoup, et j'avais besoin de penser qu'au jour du Jugement tout serait révélé.
Je m'appliquais surtout aux petits actes de vertu bien cachés; ainsi j'aimais à plier les manteaux oubliés par les sœurs, et je cherchais mille occasions de leur rendre service. L'attrait pour la pénitence me fut aussi donné; mais rien ne m'était permis pour le satisfaire. Les seules mortifications que l'on m'accordait consistaient à mortifier mon amour-propre; ce qui me faisait plus de bien que les pénitences corporelles.
Cependant la sainte Vierge m'aidait à préparer la robe de mon âme; aussitôt qu'elle fut achevée, les obstacles s'évanouirent, et ma profession se trouva fixée au 8 septembre 1890. Tout ce que je viens de dire en si peu de mots demanderait bien des pages; mais ces pages ne se liront jamais sur la terre...
... «Avant de partir, mon Jésus m'a demandé dans quel pays je
voulais voyager, quelle route je désirais suivre. Je lui ai répondu
que je n'avais qu'un seul désir, celui de me rendre au sommet de la
montagne de l'AMOUR.
Et Notre-Seigneur me prit par la main...»
Les Noces divines.—Une retraite de grâces.—La dernière larme d'une sainte.—Mort de son père.—Comment Notre-Seigneur comble tous ses désirs.—Une victime d'Amour.
——
Faut-il vous parler, ma Mère, de ma retraite de profession? Bien loin d'être consolée, l'aridité la plus absolue, presque l'abandon, furent mon partage. Jésus dormait comme toujours dans ma petite nacelle. Ah! je vois que bien rarement les âmes le laissent dormir tranquillement en elles. Ce bon Maître est si fatigué de faire continuellement des frais et des avances, qu'il s'empresse de profiter du repos que je lui offre. Il ne se réveillera pas sans doute avant ma grande retraite de l'éternité; mais au lieu d'en avoir de la peine, cela me fait un extrême plaisir.
Vraiment, je suis loin d'être sainte; rien que cette disposition en est une preuve. Je devrais, non pas me réjouir de ma sécheresse, mais l'attribuer à mon peu de ferveur et de fidélité, je devrais me désoler de dormir bien souvent pendant mes oraisons et mes actions de grâces. Eh bien, je ne me désole pas! Je pense que les petits enfants plaisent autant à leurs parents lorsqu'ils dorment que lorsqu'ils sont éveillés; je pense que, pour faire des opérations, les médecins endorment leurs malades; enfin je pense que le Seigneur voit notre fragilité, qu'il se souvient que nous ne sommes que poussière[63].
Ma retraite de profession fut donc, comme celles qui suivirent, une retraite de grande aridité. Cependant, sans même que je m'en aperçusse, les moyens de plaire à Dieu et de pratiquer la vertu m'étaient alors clairement dévoilés. J'ai remarqué bien des fois que Jésus ne veut pas me donner de provisions. Il me nourrit à chaque instant d'une nourriture toute nouvelle; je la trouve en moi, sans savoir comment elle y est. Je crois tout simplement que c'est Jésus lui-même, caché au fond de mon pauvre petit cœur, qui agit en moi d'une façon mystérieuse et m'inspire tout ce qu'il veut que je fasse au moment présent.
Quelques heures avant ma profession, je reçus de Rome, par le vénéré Frère Siméon, la bénédiction du Saint-Père, bénédiction bien précieuse qui m'aida certainement à traverser la plus furieuse tempête de toute ma vie.
Pendant la pieuse veille, ordinairement si douce, qui précède l'aurore du grand jour, ma vocation m'apparut tout à coup comme un rêve, une chimère; le démon—car c'était lui—m'inspirait l'assurance que la vie du Carmel ne me convenait aucunement, que je trompais les supérieurs en avançant dans une voie où je n'étais pas appelée. Mes ténèbres devinrent si épaisses que je ne compris plus qu'une seule chose: n'ayant pas la vocation religieuse, je devais retourner dans le monde.
Ah! comment dépeindre mes angoisses! Que faire dans une semblable perplexité? Je me décidai au meilleur parti: découvrir sans retard cette tentation à notre Maîtresse. Je la fis donc sortir du chœur; et, remplie de confusion, je lui avouai l'état de mon âme. Heureusement elle vit plus clair que moi, se contenta de rire de ma confidence et me rassura complètement. D'ailleurs, l'acte d'humilité que je venais de faire avait mis en fuite le démon comme par enchantement. Ce qu'il voulait, c'était m'empêcher de confesser mon trouble et, par là, m'entraîner dans ses pièges. Mais je l'attrapai à mon tour: pour rendre mon humiliation plus complète, je voulus aussi tout vous dire, ma Mère bien-aimée, et votre réponse consolante acheva de dissiper mes doutes.
Dès le matin du 8 septembre, je fus inondée d'un fleuve de paix et, dans cette paix qui surpasse tout sentiment[64], je prononçai mes saints vœux. Que de grâces n'ai-je pas demandées! Je me sentais vraiment la «reine», et je profitai de mon titre pour obtenir toutes les faveurs du Roi envers ses sujets ingrats. Je n'oubliai personne: je voulais que ce jour-là tous les pécheurs de la terre se convertissent, que le purgatoire ne renfermât plus un seul captif. Je portais aussi sur mon cœur ce petit billet contenant ce que je désirais pour moi:
«O Jésus, mon divin Epoux, faites que la robe de mon baptême ne soit jamais ternie! Prenez-moi, plutôt gué de me laisser ici-bas souiller mon âme en commettant la plus petite faute volontaire. Que je ne cherche et ne trouve jamais que vous seul! Que les créatures ne soient rien pour moi, et moi, rien pour elles! Qu'aucune des choses de la terre ne trouble ma paix.
«O Jésus, je ne vous demande que la paix!... La paix, et surtout l'AMOUR sans bornes, sans limites! Jésus! que pour vous je meure martyre; donnez-moi le martyre du cœur ou celui du corps. Ah! plutôt donnez-les-moi tous deux!
«Faites que je remplisse mes engagements dans toute leur perfection, que personne ne s'occupe de moi, que je sois foulée aux pieds, oubliée comme un petit grain de sable. Je m'offre à vous, mon Bien-Aimé, afin que vous accomplissiez parfaitement en moi votre volonté sainte, sans que jamais les créatures y puissent mettre obstacle.»
A la fin de ce beau jour, ce fut sans tristesse que je déposai, selon l'usage, ma couronne de roses aux pieds de la sainte Vierge; je sentais que le temps n'emporterait pas mon bonheur...
La Nativité de Marie! quelle belle fête pour devenir l'épouse de Jésus! C'était la petite sainte Vierge d'un jour qui présentait sa petite fleur au petit Jésus. Ce jour-là, tout était petit; excepté les grâces que j'ai reçues, excepté ma paix et ma joie en contemplant le soir les belles étoiles du firmament, en pensant que bientôt je m'envolerais au ciel pour m'unir à mon divin Epoux, au sein d'une allégresse éternelle.
Le 24 eut lieu la cérémonie de ma Prise de Voile. Cette fête fut tout entière voilée de larmes. Papa était trop malade pour venir bénir sa reine; au dernier moment, Mgr Hugonin qui devait présider en fut empêché lui-même; enfin, à cause de plusieurs autres circonstances encore, tout fut tristesse et amertume... Cependant la paix, toujours la paix se trouvait pour moi au fond du calice. Ce jour-là, Jésus permit que je ne pusse retenir mes larmes... et mes larmes ne furent pas comprises... En effet, j'avais supporté sans pleurer des épreuves beaucoup plus grandes; mais alors, j'étais aidée d'une grâce puissante; tandis que, le 24, Jésus me laissa à mes propres forces, et je montrai combien elles étaient petites.
Huit jours après ma Prise de Voile, ma cousine, Jeanne Guérin, épousa le Dr La Néele. Au parloir suivant, l'entendant parler des prévenances dont elle entourait son mari, je sentis mon cœur tressaillir: «Il ne sera pas dit, pensai-je, qu'une femme du monde fera plus pour son époux, simple mortel, que moi pour mon Jésus bien-aimé.» Et, remplie d'une ardeur nouvelle, je m'efforçai plus que jamais de plaire en toutes mes actions à l'Epoux céleste, au Roi des rois qui avait bien voulu m'élever jusqu'à son alliance divine.
Ayant vu la lettre de faire-part du mariage, je m'amusai à composer l'invitation suivante que je lus aux novices, pour leur faire remarquer ce qui m'avait tant frappée moi-même: combien la gloire des unions de la terre est peu de chose, comparée aux titres d'une épouse de Jésus:
Le Dieu Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, souverain Dominateur du monde, et la Très Glorieuse Vierge Marie, Reine de la cour céleste, veulent bien vous faire part du mariage spirituel de leur auguste Fils, Jésus, Roi des rois et Seigneur des seigneurs, avec la petite Thérèse Martin, maintenant Dame et Princesse des royaumes apportés en dot par son divin Epoux: l'Enfance de Jésus et sa Passion, d'où lui viennent ses titres de noblesse: de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face.
N'ayant pu vous inviter à la fête des Noces qui a été célébrée sur la Montagne du Carmel, le 8 septembre 1890,—la cour céleste y étant seule admise—vous êtes néanmoins priés de vous rendre au Retour de Noces qui aura lieu Demain, jour de l'Eternité, auquel jour Jésus, Fils de Dieu, viendra sur les nuées du ciel, dans l'éclat de sa majesté, pour juger les vivants et les morts.
L'heure étant encore incertaine, vous êtes invités à vous tenir prêts et à veiller.
Et maintenant, ma Mère, que vous dirai-je? C'est entre vos mains que je me suis donnée à Jésus, vous me connaissez depuis mon enfance, ai-je besoin de vous écrire mes secrets? Ah! je vous en prie, pardonnez-moi si j'abrège beaucoup l'histoire de ma vie religieuse.
L'année qui suivit ma profession, je reçus de grandes grâces pendant la retraite générale. Ordinairement les retraites prêchées me sont très pénibles; mais cette fois il en fut autrement. Je m'y étais préparée par une neuvaine fervente, il me semblait que j'allais tant souffrir! Le Révérend Père, disait-on, s'entendait plutôt à convertir les pécheurs qu'à faire avancer les âmes religieuses. Eh bien, je suis donc une grande pécheresse, car le bon Dieu se servit de ce saint religieux pour me consoler.
J'avais alors des peines intérieures de toutes sortes que je me sentais incapable de dire; et voilà que mon âme se dilata parfaitement, je fus comprise d'une façon merveilleuse et même devinée. Le Père me lança à pleines voiles sur les flots de la confiance et de l'amour qui m'attiraient si fort, mais sur lesquels je n'osais avancer. Il me dit que mes fautes ne faisaient pas de peine au bon Dieu: «En ce moment, ajouta-t-il, je tiens sa place auprès de vous; eh bien, je vous affirme de sa part qu'il est très content de votre âme.»
Oh! que je fus heureuse en écoutant ces consolantes paroles! Jamais je n'avais entendu dire que les fautes pouvaient ne pas faire de peine au bon Dieu. Cette assurance me combla de joie; elle me fit supporter patiemment l'exil de la vie. C'était bien là, d'ailleurs, l'écho de mes pensées intimes. Oui, je croyais depuis longtemps que le Seigneur est plus tendre qu'une mère, et je connais à fond plus d'un cœur de mère! Je sais qu'une mère est toujours prête à pardonner les petites indélicatesses involontaires de son enfant. Que de fois n'en ai-je pas fait la douce expérience? Nul reproche ne m'aurait autant touchée qu'une seule des caresses maternelles; je suis d'une nature telle que la crainte me fait reculer; avec l'amour, non seulement j'avance, mais je vole!
Deux mois après cette retraite bénie, notre vénérée Fondatrice, Mère Geneviève de Sainte-Thérèse, quitta notre petit Carmel pour entrer au Carmel des Cieux.
Mais, avant de vous parler de mes impressions au moment de sa mort, je veux, ma Mère, vous dire mon bonheur d'avoir vécu plusieurs années avec une sainte non point inimitable, mais sanctifiée par des vertus cachées et ordinaires. Plus d'une fois j'ai reçu d'elle de grandes consolations.
Un dimanche, en entrant à l'infirmerie pour lui faire ma petite visite, je trouvai près d'elle deux sœurs anciennes; je me retirais discrètement, lorsqu'elle m'appela et me dit d'un air inspiré: «Attendez, ma petite fille, j'ai seulement un mot à vous dire: vous me demandez toujours un bouquet spirituel, eh bien, aujourd'hui, je vous donne celui-ci: «Servez Dieu avec paix et avec joie; rappelez-vous, mon enfant, que notre Dieu est le Dieu de la paix.»
Après l'avoir simplement remerciée, je sortis, émue jusqu'aux larmes et convaincue que le bon Dieu lui avait révélé l'état de mon âme. Ce jour-là, j'étais extrêmement éprouvée, presque triste, dans une nuit telle que je ne savais plus si j'étais aimée de Dieu. Mais la joie et la consolation qui remplacèrent ces ténèbres, vous les devinez, ma Mère chérie...
Le dimanche suivant, je voulus savoir quelle révélation Mère Geneviève avait eue; elle m'assura n'en avoir reçu aucune. Alors mon admiration fut plus grande encore, voyant à quel degré éminent Jésus vivait en son âme et la faisait agir et parler. Ah! cette sainteté-là me paraît la plus vraie, la plus sainte; c'est elle que je désire, car il ne s'y rencontre aucune illusion.
Le jour où cette vénérée Mère quitta l'exil pour la patrie, je reçus une grâce toute particulière. C'était la première fois que j'assistais à une mort; vraiment ce spectacle était ravissant! Mais pendant les deux heures que je passai au pied du lit de la sainte mourante, une espèce d'insensibilité s'était emparée de moi; j'en éprouvais de la peine, lorsqu'au moment même de la naissance au ciel de notre Mère, ma disposition intérieure changea complètement. En un clin d'œil, je me sentis remplie d'une joie et d'une ferveur indicibles, comme si l'âme bienheureuse de notre sainte Mère m'eût donné, à cet instant, une partie de la félicité dont elle jouissait déjà; car je suis bien persuadée qu'elle est allée droit au ciel.
Pendant sa vie, je lui dis un jour: «O ma Mère, vous n'irez pas en purgatoire.»—«Je l'espère!» me répondit-elle avec douceur. Certainement le bon Dieu n'a pu tromper une espérance si remplie d'humilité; toutes les faveurs que nous avons reçues en sont la preuve.
Chaque sœur s'empressa de réclamer quelque relique de notre Mère vénérée; et vous savez, ma Mère, celle que je conserve précieusement. Pendant son agonie, je remarquai une larme qui scintillait à sa paupière comme un beau diamant. Cette larme, la dernière de toutes celles qu'elle répandit sur la terre, ne tomba pas; je la vis encore briller lorsque la dépouille mortelle de notre Mère fut exposée au chœur. Alors, prenant un petit linge fin, j'osai m'approcher le soir, sans être vue de personne, et j'ai maintenant le bonheur de posséder la dernière larme d'une sainte.
Je n'attache pas d'importance à mes rêves, d'ailleurs j'en ai rarement de symboliques, et je me demande même comment il se fait que, pensant toute la journée au bon Dieu, je ne m'en occupe pas davantage pendant mon sommeil. Ordinairement je rêve les bois, les fleurs, les ruisseaux et la mer. Presque toujours je vois de jolis petits enfants, j'attrape des papillons et des oiseaux comme jamais je n'en ai vu. Si mes rêves ont une apparence poétique, vous voyez, ma Mère, qu'ils sont loin d'être mystiques.
Une nuit, après la mort de Mère Geneviève, j'en fis un plus consolant. Cette sainte Mère donnait à chacune de nous quelque chose qui lui avait appartenu. Quand vint mon tour, je croyais ne rien recevoir, car ses mains étaient vides. Me regardant alors avec tendresse, elle me dit par trois fois: «A vous, je laisse mon cœur.»
Un mois après cette mort si précieuse devant Dieu, c'est-à-dire dans les derniers jours de l'année 1891, l'épidémie de l'influenza sévit dans la communauté; je ne fus que légèrement atteinte et restai debout avec deux autres sœurs. Il est impossible de se figurer l'état navrant de notre Carmel en ces jours de deuil. Les plus malades étaient soignées par celles qui se traînaient à peine; la mort régnait partout; et lorsqu'une de nos sœurs avait rendu le dernier soupir, il fallait, hélas! l'abandonner aussitôt.
Le jour de mes 19 ans fut attristé par la mort de notre vénérée Mère Sous-Prieure; je l'assistai avec l'infirmière pendant son agonie. Cette mort fut bientôt suivie de deux autres. Je me trouvais seule alors à la sacristie et je me demande comment j'ai pu suffire à tout.
Un matin, au signal du réveil, j'eus le pressentiment que sœur Madeleine n'était plus. Le dortoir[65] se trouvait dans une obscurité complète; personne ne sortait des cellules. Je me décidai pourtant à pénétrer dans celle de sœur Madeleine que je vis, en effet, habillée et couchée sur sa paillasse dans l'immobilité de la mort. Je n'eus pas la moindre frayeur; et, courant à la sacristie, j'apportai bien vite un cierge, et lui mis sur la tête une couronne de roses. Au milieu de cet abandon, je sentais la main du bon Dieu, son Cœur qui veillait sur nous! C'était sans effort que nos chères sœurs passaient à une vie meilleure; une expression de joie céleste se répandait sur leur visage, elles semblaient reposer dans un doux sommeil.
Pendant ces longues semaines d'épreuves, je pus avoir l'ineffable consolation de faire tous les jours la sainte communion. Ah! que c'était doux! Jésus me gâta longtemps, plus longtemps que ses fidèles épouses. Après l'influenza, il voulut venir à moi quelques mois encore, sans que la communauté partageât mon bonheur. Je n'avais pas demandé cette exception, mais j'étais bien heureuse de m'unir chaque jour à mon Bien-Aimé.
Je l'étais aussi de pouvoir toucher aux vases sacrés, de préparer les petits langes destinés à recevoir Jésus. Je sentais qu'il me fallait être bien fervente, et je me rappelais souvent cette parole adressée à un saint diacre: «Soyez saint, vous qui touchez les vases du Seigneur.»[66]
Que vous dirai-je, ma Mère, de mes actions de grâces en ce temps-là et toujours? Il n'y a pas d'instants où je sois moins consolée! Et n'est-ce pas bien naturel, puisque je ne désire pas recevoir la visite de Notre-Seigneur pour ma satisfaction, mais uniquement pour son plaisir à lui?
Je me représente mon âme comme un terrain libre, et je demande à la sainte Vierge d'en ôter les décombres, qui sont les imperfections; ensuite je la supplie de dresser elle-même une vaste tente digne du ciel, et de l'orner de ses propres parures. Puis j'invite tous les Anges et les Saints à venir chanter des cantiques d'amour. Il me semble alors que Jésus est content de se voir si magnifiquement reçu; et moi, je partage sa joie. Tout cela n'empêche pas les distractions et le sommeil de venir m'importuner; aussi n'est-il pas rare que je prenne la résolution de continuer mon action de grâces la journée entière, puisque je l'ai si mal faite au chœur.
Vous voyez, ma Mère vénérée, que je suis loin de marcher par la voie de la crainte; je sais toujours trouver le moyen d'être heureuse et de profiter de mes misères. Notre-Seigneur lui-même m'encourage dans ce chemin. Une fois, contrairement à mon habitude, je me sentais troublée en me rendant à la sainte Table. Depuis plusieurs jours le nombre des hosties n'étant pas suffisant, je n'en recevais qu'une parcelle; et, ce matin-là, je fis cette réflexion bien peu fondée: «Si je ne reçois aujourd'hui que la moitié d'une hostie, je vais croire que Jésus vient comme à regret dans mon cœur!» Je m'approche... O bonheur! le prêtre, s'arrêtant, me donna deux hosties bien séparées! N'était-ce pas une douce réponse?
O ma Mère, que j'ai de sujets d'être reconnaissante envers Dieu! Je vais vous faire encore une naïve confidence: Le Seigneur m'a montré la même miséricorde qu'au roi Salomon. Tous mes désirs ont été satisfaits; non seulement mes désirs de perfection, mais encore ceux dont je comprenais la vanité sans l'avoir expérimentée. Ayant toujours regardé Mère Agnès de Jésus comme mon idéal, je voulais lui ressembler en tout. La voyant peindre de charmantes miniatures et composer de belles poésies, je pensais que je serais heureuse de savoir peindre aussi[67], de pouvoir exprimer mes pensées en vers et de faire du bien autour de moi. Cependant je n'aurais pas voulu demander ces dons naturels, et mes désirs restaient cachés au fond de mon cœur.
Jésus, caché lui aussi dans ce pauvre petit cœur, se plut à lui montrer une fois de plus le néant de ce qui passe. Au grand étonnement de la communauté, je réussis plusieurs travaux de peinture, je composai des poésies, il me fut donné de faire du bien à quelques âmes. Et de même que Salomon se tournant vers les ouvrages de ses mains, où il avait pris une peine si inutile, vit que tout est vanité et affliction d'esprit sous le soleil[68], je reconnus, par expérience, que le seul bonheur de la terre consiste à se cacher, à rester dans une totale ignorance des choses créées. Je compris que, sans l'amour, toutes les œuvres ne sont que néant, même les plus éclatantes. Au lieu de me faire du mal, de blesser mon âme, les dons que le Seigneur m'a prodigués me portent vers lui, je vois qu'il est seul immuable, seul capable de combler mes immenses désirs.
Mais, puisque je suis sur le chapitre de mes désirs, il en est d'un autre genre que le divin Maître s'est plu à combler encore: désirs enfantins, semblables à celui de la neige de ma prise d'habit. Vous savez, ma Mère, combien j'aime les fleurs. En me faisant prisonnière à quinze ans, je renonçai pour toujours au bonheur de courir dans les campagnes émaillées des trésors du printemps. Eh bien, jamais je n'ai possédé plus de fleurs que depuis mon entrée au Carmel!
Il est d'usage dans le monde que les fiancés offrent de jolis bouquets à leurs fiancées; Jésus ne l'oublia pas... Je reçus à foison pour son autel des bluets, des coquelicots, de grandes pâquerettes, toutes les fleurs qui me ravissent le plus. Une petite fleurette de mes amies, la nielle des blés, avait seule manqué au rendez-vous; je souhaitais beaucoup la revoir, et voilà que dernièrement elle vint me sourire et me montrer que, dans les moindres choses comme dans les grandes, le bon Dieu donne le centuple dès cette vie aux âmes qui pour son amour ont tout quitté.
Un seul désir, le plus intime de tous et le plus irréalisable pour bien des motifs, me restait encore. Ce désir était l'entrée de Céline au Carmel de Lisieux. Cependant j'en avais fait l'entier sacrifice, confiant à Dieu seul l'avenir de ma sœur chérie. J'acceptais qu'elle partît au bout du monde, s'il le fallait, mais je voulais la voir comme moi l'épouse de Jésus. Ah! que j'ai souffert en la sachant exposée dans le monde à des dangers qui m'avaient été inconnus! Je puis dire que mon affection fraternelle ressemblait plutôt à un amour de mère, j'étais remplie de dévouement et de sollicitude pour son âme. Un certain jour, elle dut aller avec ma tante et mes cousines à une réunion mondaine. Je ne sais pourquoi j'en éprouvai plus de peine que jamais, et je versai un torrent de larmes, suppliant Notre-Seigneur de l'empêcher de danser... Ce qui arriva justement! Il ne permit pas que sa petite fiancée pût danser ce soir-là—bien que d'habitude elle ne fût pas embarrassée pour le faire gracieusement.—Son cavalier s'en trouva lui-même incapable, il ne put faire autre chose que marcher très religieusement avec mademoiselle, au grand étonnement de toute l'assistance. Après quoi, ce pauvre monsieur s'esquiva tout honteux sans oser reparaître un seul instant de la soirée. Cette aventure, unique en son genre, me fit grandir en confiance et me montra clairement que le signe de Jésus était aussi posé sur le front de ma sœur bien-aimée.
Le 29 juillet 1894, le Seigneur rappela à lui mon bon père si éprouvé et si saint! Pendant les deux ans qui précédèrent sa mort, la paralysie étant devenue générale, mon oncle le gardait près de lui, comblant sa douloureuse vieillesse de toutes sortes d'égards. Mais à cause de son état d'infirmité et d'impuissance, nous ne le vîmes qu'une seule fois au parloir pendant tout le cours de sa maladie. Ah! quelle entrevue! Au moment de nous séparer, comme nous lui disions au revoir, il leva les yeux et, nous montrant du doigt le ciel, il resta ainsi bien longtemps, n'ayant pour traduire sa pensée que cette seule parole prononcée d'une voix pleine de larmes: «Au ciel!!!»
Ce beau ciel étant devenu son partage, les liens qui retenaient dans le monde son ange consolateur se trouvaient rompus. Mais les anges ne restent pas sur la terre: lorsqu'ils ont accompli leur mission ils retournent aussitôt vers Dieu, c'est pour cela qu'ils ont des ailes! Céline essaya donc de voler au Carmel. Hélas! les difficultés semblaient insurmontables. Un jour, ses affaires s'embrouillant de plus en plus, je dis à Notre-Seigneur après la sainte communion: «Vous savez, mon Jésus, combien j'ai désiré que l'épreuve de mon père lui servît de purgatoire. Oh! que je voudrais savoir si mes vœux sont exaucés. Je ne vous demande pas de me parler, je vous demande seulement un signe: Vous connaissez l'opposition de Sœur*** à l'entrée de Céline; eh bien, si désormais elle n'y met plus d'obstacles, ce sera votre réponse, vous me direz par là que mon père est allé droit au ciel.»
O miséricorde infinie! condescendance ineffable! Le bon Dieu, qui tient en sa main le cœur des créatures et l'incline comme il veut, changea les dispositions de cette sœur. La première personne que je rencontrai aussitôt après l'action de grâces, ce fut elle-même qui, m'appelant, les larmes aux yeux, me parla de l'entrée de Céline, ne me témoignant plus qu'un vif désir de la voir parmi nous! Et bientôt Monseigneur, tranchant les dernières difficultés, vous permettait, ma Mère, sans la moindre hésitation, d'ouvrir nos portes à la petite colombe exilée[69].
Maintenant je n'ai plus aucun désir, si ce n'est d'aimer Jésus à la folie! Oui, c'est l'AMOUR seul qui m'attire. Je ne désire plus ni la souffrance, ni la mort, et cependant je les chéris toutes deux! Longtemps je les ai appelées comme des messagères de joie... J'ai possédé la souffrance et j'ai cru toucher le rivage du ciel! J'ai cru, dès ma plus tendre jeunesse, que la petite fleur serait cueillie en son printemps; aujourd'hui, c'est l'abandon seul qui me guide, je n'ai point d'autre boussole. Je ne sais plus rien demander avec ardeur, excepté l'accomplissement parfait de la volonté de Dieu sur mon âme. Je puis dire ces paroles du cantique de notre Père saint Jean de la Croix:
Dans le cellier intérieur
De mon Bien-Aimé, j'ai bu... et quand je suis sortie,
Dans toute cette plaine
Je ne connaissais plus rien,
Et je perdis le troupeau que je suivais auparavant.
Mon âme s'est employée
Avec toutes ses ressources à son service;
Je ne garde plus de troupeau,
Je n'ai plus d'autre office,
Car maintenant tout mon exercice est d'AIMER.
Ou bien encore:
Depuis que j'en ai l'expérience,
L'amour est si puissant en œuvres
Qu'il sait tirer profit de tout,
Du bien et du mal qu'il trouve en moi,
Et transformer mon âme en soi.
O ma Mère, qu'elle est douce la voie de l'amour! Sans doute on peut tomber, on peut commettre des infidélités; mais l'amour, sachant tirer profit de tout, a bien vite consumé tout ce qui peut déplaire à Jésus, ne laissant plus au fond du cœur qu'une humble et profonde paix.
Ah! que de lumières n'ai-je pas puisées dans les œuvres de saint Jean de la Croix! A l'âge de dix-sept et dix-huit ans je n'avais pas d'autre nourriture. Mais plus tard, les auteurs spirituels me laissèrent tous dans l'aridité; et je suis encore dans cette disposition. Si j'ouvre un livre, même le plus beau, le plus touchant, mon cœur se serre aussitôt et je lis sans pouvoir comprendre; ou, si je comprends, mon esprit s'arrête sans pouvoir méditer.
Dans cette impuissance, l'Ecriture sainte et l'Imitation viennent à mon secours; en elles je trouve une manne cachée, solide et pure. Mais c'est par-dessus tout l'Evangile qui m'entretient pendant mes oraisons; là je puise tout ce qui est nécessaire à ma pauvre petite âme. J'y découvre toujours de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux. Je comprends et je sais par expérience que le royaume de Dieu est au dedans de nous[70]. Jésus n'a pas besoin de livres ni de docteurs pour instruire les âmes; lui, le Docteur des docteurs, enseigne sans bruit de paroles. Jamais je ne l'ai entendu parler; mais je sais qu'il est en moi. A chaque instant, il me guide et m'inspire; j'aperçois, juste au moment où j'en ai besoin, des clartés inconnues jusque-là. Ce n'est pas le plus souvent aux heures de prière qu'elles brillent à mes yeux, mais au milieu des occupations de la journée.
Parfois cependant, une parole comme celle-ci—que j'ai tirée ce soir, à la fin d'une oraison passée dans la sécheresse—vient me consoler: «Voici le Maître que je te donne, il t'apprendra tout ce que tu dois faire. Je veux te faire lire dans le Livre de vie où est contenue la science d'amour[71].» La science d'amour! Ah! cette parole résonne doucement à l'oreille de mon âme. Je ne désire que cette science-là! Pour elle, ayant donné toutes mes richesses, comme l'épouse des cantiques, j'estime n'avoir rien donné[72].
O ma Mère, après tant de grâces, ne puis-je pas chanter avec le Psalmiste, que le Seigneur est bon, que sa miséricorde est éternelle[73]! Il me semble que si toutes les créatures recevaient les mêmes faveurs, Dieu ne serait craint de personne, mais aimé jusqu'à l'excès; par amour, et non pas en tremblant, jamais aucune âme ne commettrait la moindre faute volontaire.
Mais enfin, je comprends que toutes les âmes ne peuvent pas se ressembler; il faut qu'il y en ait de différentes familles, afin d'honorer spécialement chacune des perfections divines. A moi, il a donné sa MISÉRICORDE INFINIE, et c'est à travers ce miroir ineffable que je contemple ses autres attributs. Alors tous m'apparaissent rayonnants d'AMOUR: la justice même, plus que les autres peut-être, me semble revêtue d'amour. Quelle douce joie de penser que le Seigneur est juste, c'est-à-dire qu'il tient compte de nos faiblesses, qu'il connaît parfaitement la fragilité de notre nature! De quoi donc aurais-je peur? Le bon Dieu infiniment juste qui daigne pardonner avec tant de miséricorde les fautes de l'enfant prodigue, ne doit-il pas être juste aussi envers moi qui suis toujours avec lui[74]?
En l'année 1895, j'ai reçu la grâce de comprendre plus que jamais combien Jésus désire être aimé. Pensant un jour aux âmes qui s'offrent comme victimes à la justice de Dieu, afin de détourner, en les attirant sur elles, les châtiments réservés aux pécheurs, je trouvai cette offrande grande et généreuse, mais j'étais bien loin de me sentir portée à la faire.
«O mon divin Maître! m'écriai-je au fond de mon cœur, n'y aura-t-il que votre justice à recevoir des hosties d'holocauste? Votre amour miséricordieux n'en a-t-il pas besoin lui aussi? De toutes parts il est méconnu, rejeté... les cœurs auxquels vous désirez le prodiguer se tournent vers les créatures, leur demandant le bonheur avec une misérable affection d'un instant, au lieu de se jeter dans vos bras et d'accepter la délicieuse fournaise de votre amour infini.
«O mon Dieu, votre amour méprisé va-t-il rester en votre Cœur? Il me semble que si vous trouviez des âmes s'offrant comme VICTIMES D'HOLOCAUSTE A VOTRE AMOUR, vous les consumeriez rapidement, que vous seriez heureux de ne point comprimer les flammes de tendresse infinie qui sont renfermées en vous.
«Si votre justice aime à se décharger, elle qui ne s'étend que sur la terre, combien plus votre amour miséricordieux désire-t-il embraser les âmes, puisque votre miséricorde s'élève jusqu'aux cieux[75]! O Jésus, que ce soit moi cette heureuse victime, consumez votre petite hostie par le feu du divin amour.»
Ma Mère, vous savez les flammes, ou plutôt les océans de grâces qui vinrent inonder mon âme, aussitôt après ma donation du 9 juin 1895. Ah! depuis ce jour, l'amour me pénètre et m'environne; à chaque instant, cet amour miséricordieux me renouvelle, me purifie et ne laisse en mon cœur aucune trace de péché. Non, je ne puis craindre le purgatoire; je sais que je ne mériterais même pas d'entrer avec les âmes saintes dans ce lieu d'expiation; mais je sais aussi que le feu de l'amour est plus sanctifiant que celui du purgatoire, je sais que Jésus ne peut vouloir pour nous de souffrances inutiles, et qu'il ne m'inspirerait pas les désirs que je ressens s'il ne voulait les combler.
«Je suis trop petite pour gravir le rude escalier de la perfection... L'ascenseur qui doit m'élever jusqu'au ciel, ce sont vos bras, ô Jésus!»
L'Ascenseur divin.—Premières invitations aux joies éternelles.—La nuit obscure.—La Table des pécheurs.—Comment cet ange de la terre comprend la charité fraternelle.—Une grande victoire.—Un soldat déserteur.
——
Mère bien-aimée, je croyais avoir fini, et vous me demandez plus de détails sur ma vie religieuse. Je ne veux pas raisonner, mais je ne puis m'empêcher de rire en prenant de nouveau la plume pour vous raconter des choses que vous savez aussi bien que moi; enfin j'obéis. Je ne veux pas chercher quelle utilité peut avoir ce manuscrit; je vous l'avoue, ma Mère, si vous le brûliez sous mes yeux avant même de l'avoir lu, je n'en éprouverais aucune peine.
Dans la communauté, on croit généralement que vous m'avez gâtée de toute façon depuis mon entrée au Carmel; mais l'homme ne voit que l'apparence, c'est Dieu qui lit au fond des cœurs[76]. O ma Mère, je vous remercie une fois encore de ne m'avoir pas ménagée; Jésus savait bien qu'il fallait à sa petite fleur l'eau vivifiante de l'humiliation, elle était trop faible pour prendre racine sans ce moyen, et c'est à vous qu'elle doit cet inestimable bienfait.
Depuis quelques mois, le divin Maître a changé complètement sa manière de faire pousser sa petite fleur: la trouvant sans doute assez arrosée, il la laisse maintenant grandir sous les rayons bien chauds d'un soleil éclatant. Il ne veut plus pour elle que son sourire, qu'il lui donne encore par vous, ma Mère vénérée. Ce doux soleil, loin de flétrir la petite fleur, la fait croître merveilleusement. Au fond de son calice, elle conserve les précieuses gouttes de rosée qu'elle a reçues autrefois; et ces gouttes lui rappelleront toujours qu'elle est petite et faible. Toutes les créatures pourraient se pencher vers elle, l'admirer, l'accabler de leurs louanges; cela n'ajouterait jamais une ombre de vaine satisfaction à la véritable joie qu'elle savoure en son cœur, se voyant aux yeux de Dieu un pauvre petit néant, rien de plus.
En disant que tous les compliments me laisseraient insensible, je ne veux pas parler, ma Mère, de l'amour et de la confiance que vous me témoignez; j'en suis au contraire bien touchée, mais je sens que je n'ai rien à craindre, je puis en jouir maintenant à mon aise, rapportant au Seigneur ce qu'il a bien voulu mettre de bon en moi. S'il lui plaît de me faire paraître meilleure que je ne le suis, cela ne me regarde pas, il est libre d'agir comme il veut.
Mon Dieu, que les voies par lesquelles vous conduisez les âmes sont différentes! Dans la vie des Saints, nous en voyons un grand nombre qui n'ont rien laissé d'eux après leur mort: pas le moindre souvenir, pas le moindre écrit. Il en est d'autres, au contraire, comme notre Mère sainte Thérèse, qui ont enrichi l'Eglise de leur doctrine sublime, ne craignant pas de révéler les secrets du Roi[77], afin qu'il soit plus connu, plus aimé des âmes. Laquelle de ces deux manières plaît le mieux à Notre-Seigneur? Il me semble qu'elles lui sont également agréables.
Tous les bien-aimés de Dieu ont suivi le mouvement de l'Esprit-Saint qui a fait écrire au prophète: «Dites au juste que tout est bien.»[78] Oui, tout est bien lorsqu'on ne recherche que la volonté divine; c'est pour cela que moi, pauvre petite fleur, j'obéis à Jésus en essayant de faire plaisir à celle qui me le représente ici-bas.
Vous le savez, ma Mère, mon désir a toujours été de devenir sainte; mais hélas! j'ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu'il existe entre eux et moi la même différence que nous voyons dans la nature entre une montagne dont le sommet se perd dans les nuages, et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants.
Au lieu de me décourager, je me suis dit: «Le bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables; je puis donc, malgré ma petitesse, aspirer à la sainteté. Me grandir, c'est impossible! Je dois me supporter telle que je suis, avec mes imperfections sans nombre; mais je veux chercher le moyen d'aller au ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d'inventions: maintenant ce n'est plus la peine de gravir les marches d'un escalier; chez les riches, un ascenseur le remplace avantageusement. Moi, je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m'élever jusqu'à Jésus; car je suis trop petite pour gravir le rude escalier de la perfection.»
Alors j'ai demandé aux Livres saints l'indication de l'ascenseur, objet de mon désir; et j'ai lu ces mots sortis de la bouche même de la Sagesse éternelle: «Si quelqu'un est TOUT PETIT, qu'il vienne à moi.»[79] Je me suis donc approchée de Dieu, devinant bien que j'avais découvert ce que je cherchais; voulant savoir encore ce qu'il ferait au tout petit, j'ai continué mes recherches et voici ce que j'ai trouvé: «Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein, et je vous balancerai sur mes genoux.»[80]
Ah! jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses ne sont venues réjouir mon âme. L'ascenseur qui doit m'élever jusqu'au ciel, ce sont vos bras, ô Jésus! Pour cela je n'ai pas besoin de grandir, il faut au contraire que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. O mon Dieu, vous avez dépassé mon attente, et moi je veux chanter vos miséricordes! Vous m'avez instruite dès ma jeunesse, et jusqu'à présent j'ai annoncé vos merveilles: je continuerai de les publier dans l'âge le plus avancé[81].
Quel sera-t-il pour moi cet âge avancé? Il me semble que ce pourrait être aussi bien maintenant que plus tard: deux mille ans ne sont pas plus aux yeux du Seigneur que vingt ans... qu'un seul jour!
Mais ne croyez pas, ma Mère, que votre enfant désire vous quitter, estimant comme une plus grande grâce de mourir à l'aurore plutôt qu'au déclin du jour; ce qu'elle estime, ce qu'elle désire uniquement, c'est de faire plaisir à Jésus. Maintenant qu'il semble s'approcher d'elle pour l'attirer au séjour de la gloire, son cœur se réjouit; elle le sait, elle l'a compris, le bon Dieu n'a besoin de personne, encore moins d'elle que des autres, pour faire du bien sur la terre.
En attendant, ma Mère vénérée, je connais votre volonté: vous désirez que j'accomplisse près de vous une mission bien douce, bien facile[82]; et cette mission je l'achèverai du haut des cieux. Vous m'avez dit, comme Jésus à saint Pierre: «Pais mes agneaux»; et moi, je me suis étonnée, je me suis trouvée trop petite, je vous ai suppliée de faire paître vous-même vos petits agneaux et de me garder par grâce avec eux. Répondant un peu à mon juste désir, vous m'avez plutôt nommée leur première compagne que leur maîtresse, me commandant toutefois de les conduire dans les pâturages fertiles et ombragés, de leur indiquer les herbes les meilleures et les plus fortifiantes, de leur désigner avec soin les fleurs brillantes, mais empoisonnées, auxquelles ils ne doivent jamais toucher sinon pour les écraser sous leurs pas.
Ma Mère, comment se fait-il que ma jeunesse, mon inexpérience ne vous aient point effrayée? Comment ne craignez-vous pas que je laisse égarer vos agneaux? En agissant ainsi, peut-être vous êtes-vous rappelé que souvent le Seigneur se plaît à donner la sagesse aux plus petits.
Sur la terre, elles sont bien rares les âmes qui ne mesurent pas la puissance divine à leurs courtes pensées! Le monde veut bien que, partout ici-bas, il y ait des exceptions; seul, le bon Dieu n'a pas le droit d'en faire. Depuis longtemps, je le sais, cette manière de mesurer l'expérience aux années se pratique parmi les humains; car, en son adolescence, le saint roi David chantait au Seigneur: «Je suis jeune et méprisé.» Dans le même psaume cependant il ne craint pas de dire: «Je suis devenu plus prudent que les vieillards, parce que j'ai recherché votre volonté. Votre parole est la lampe qui éclaire mes pas; je suis prêt à accomplir vos ordonnances, et je ne suis troublé de rien.»[83]
Vous n'avez pas même jugé imprudent, ma Mère, de me dire un jour que le divin Maître illuminait mon âme et me donnait l'expérience des années. Je suis trop petite maintenant pour avoir de la vanité, je suis trop petite encore pour savoir tourner de belles phrases afin de laisser croire que j'ai beaucoup d'humilité; j'aime mieux convenir simplement que le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses[84]; et la plus grande, c'est de m'avoir montré ma petitesse, mon impuissance à tout bien.
Mon âme a connu bien des genres d'épreuves, j'ai beaucoup souffert ici-bas! Dans mon enfance, je souffrais avec tristesse; aujourd'hui, c'est dans la paix et la joie que je savoure tous les fruits amers. Pour ne pas sourire en lisant ces pages, il faut, je l'avoue, que vous me connaissiez à fond, ma Mère chérie; car est-il une âme apparemment moins éprouvée que la mienne? Ah! si le martyre que je souffre depuis un an apparaissait aux regards, quel étonnement! Puisque vous le voulez, je vais essayer de l'écrire; mais il n'y a pas de termes pour expliquer ces choses, et je serai toujours au-dessous de la réalité.
Au carême de l'année dernière, je me trouvai plus forte que jamais, et cette force, malgré le jeûne que j'observais dans toute sa rigueur, se maintint parfaitement jusqu'à Pâques; lorsque le jour du Vendredi Saint, à la première heure, Jésus me donna l'espoir d'aller bientôt le rejoindre dans son beau ciel. Oh! qu'il m'est doux ce souvenir!
Le jeudi soir, n'ayant pas obtenu la permission de rester au Tombeau la nuit entière, je rentrai à minuit dans notre cellule. A peine ma tête se posait-elle sur l'oreiller, que je sentis un flot monter en bouillonnant jusqu'à mes lèvres; je crus que j'allais mourir et mon cœur se fendit de joie. Cependant, comme je venais d'éteindre notre petite lampe, je mortifiai ma curiosité jusqu'au matin et m'endormis paisiblement.
A cinq heures, le signal du réveil étant donné, je pensai tout de suite que j'avais quelque chose d'heureux à apprendre; et, m'approchant de la fenêtre, je le constatai bientôt en trouvant notre mouchoir rempli de sang. O ma Mère, quelle espérance! J'étais intimement persuadée que mon Bien-Aimé, en ce jour anniversaire de sa mort, me faisait entendre un premier appel, comme un doux et lointain murmure qui m'annonçait son heureuse arrivée.
Ce fut avec une grande ferveur que j'assistai à Prime, puis au Chapitre. J'avais hâte d'être aux genoux de ma Mère pour lui confier mon bonheur. Je ne ressentais pas la moindre fatigue, la moindre souffrance, aussi j'obtins facilement la permission de finir mon carême comme je l'avais commencé; et, ce jour du Vendredi Saint, je partageai toutes les austérités du Carmel, sans aucun soulagement. Ah! jamais ces austérités ne m'avaient semblé aussi délicieuses... l'espoir d'aller au ciel me transportait d'allégresse.
Le soir de cet heureux jour je rentrai pleine de joie dans notre cellule, et j'allais encore m'endormir doucement, lorsque mon bon Jésus me donna, comme la nuit précédente, le même signe de mon entrée prochaine dans l'éternelle vie. Je jouissais alors d'une foi si vive, si claire, que la pensée du ciel faisait tout mon bonheur; je ne pouvais croire qu'il y eût des impies n'ayant pas la foi, et me persuadais que, certainement, ils parlaient contre leur pensée en niant l'existence d'un autre monde.
Aux jours si lumineux du temps pascal, Jésus me fit comprendre qu'il y a réellement des âmes sans foi et sans espérance qui, par l'abus des grâces, perdent ces précieux trésors, source des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses ténèbres et que la pensée du ciel, si douce pour moi depuis ma petite enfance, me devînt un sujet de combat et de tourment. La durée de cette épreuve n'était pas limitée à quelques jours, à quelques semaines; voilà des mois que je la souffre, et j'attends encore l'heure de ma délivrance. Je voudrais pouvoir exprimer ce que je sens; mais c'est impossible! Il faut avoir voyagé sous ce sombre tunnel pour en comprendre l'obscurité. Cependant je vais essayer de l'expliquer par une comparaison.
Je suppose que je suis née dans un pays environné d'épais brouillards; jamais je n'ai contemplé le riant aspect de la nature, jamais je n'ai vu un seul rayon de soleil. Dès mon enfance, il est vrai, j'entends parler de ces merveilles, je sais que le pays où j'habite n'est pas ma patrie, qu'il en est un autre vers lequel je dois sans cesse aspirer. Ce n'est pas une histoire inventée par un habitant des brouillards, c'est une vérité indiscutable; car le Roi de la patrie au brillant soleil est venu trente-trois ans dans le pays des ténèbres... Hélas! et les ténèbres n'ont point compris qu'il était la lumière du monde[85].
Mais, Seigneur, votre enfant l'a comprise votre divine lumière! elle vous demande pardon pour ses frères incrédules, elle accepte de manger aussi longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur, elle s'assied pour votre amour à cette table remplie d'amertume, où les pauvres pécheurs prennent leur nourriture et dont elle ne veut point se lever avant le signe de votre main. Mais ne peut-elle pas dire en son nom, au nom de ses frères coupables: «Ayez pitié de nous, Seigneur, car nous sommes de pauvres pécheurs[86]?» Renvoyez-nous justifiés! Que tous ceux qui ne sont point éclairés du flambeau de la foi le voient luire enfin! O mon Dieu, s'il faut que la table souillée par eux soit purifiée par une âme qui vous aime, je veux bien y manger seule le pain des larmes, jusqu'à ce qu'il vous plaise de m'introduire dans votre lumineux royaume; la seule grâce que je vous demande, c'est de ne jamais vous offenser!
Je vous disais, ma Mère, que la certitude d'aller un jour loin de mon pays ténébreux m'avait été donnée dès mon enfance; non seulement je croyais d'après ce que j'entendais dire, mais encore je sentais dans mon cœur, par des aspirations intimes et profondes, qu'une autre terre, une région plus belle, me servirait un jour de demeure stable, de même que le génie de Christophe Colomb lui faisait pressentir un nouveau monde. Quand, tout à coup, les brouillards qui m'environnent pénètrent dans mon âme et m'enveloppent de telle sorte, qu'il ne m'est plus possible même de retrouver en moi l'image si douce de ma patrie... Tout a disparu!...
Lorsque je veux reposer mon cœur, fatigué des ténèbres qui l'entourent, par le souvenir fortifiant d'une vie future et éternelle, mon tourment redouble. Il me semble que les ténèbres, empruntant la voix des impies, me disent en se moquant de moi: «Tu rêves la lumière, une patrie embaumée, tu rêves la possession éternelle du Créateur de ces merveilles, tu crois sortir un jour des brouillards où tu languis; avance!... avance!... réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant!...»
Mère bien-aimée, cette image de mon épreuve est aussi imparfaite que l'ébauche comparée au modèle; cependant je ne veux pas en écrire plus long, je craindrais de blasphémer... j'ai peur même d'en avoir trop dit. Ah! que Dieu me pardonne! Il sait bien que, tout en n'ayant pas la jouissance de la foi, je m'efforce d'en faire les œuvres. J'ai prononcé plus d'actes de foi depuis un an que pendant toute ma vie.
A chaque nouvelle occasion de combat, lorsque mon ennemi veut me provoquer, je me conduis en brave: sachant que c'est une lâcheté de se battre en duel, je tourne le dos à mon adversaire sans jamais le regarder en face; puis je cours vers mon Jésus, je lui dis être prête à verser tout mon sang pour confesser qu'il y a un ciel, je lui dis être heureuse de ne pouvoir contempler sur la terre, avec les yeux de l'âme, ce beau ciel qui m'attend, afin qu'il daigne l'ouvrir pour l'éternité aux pauvres incrédules.
Aussi, malgré cette épreuve qui m'enlève tout sentiment de jouissance, je puis m'écrier encore: «Seigneur, vous me comblez de joie par tout ce que vous faites.»[87] Car est-il une joie plus grande que celle de souffrir pour votre amour? Plus la souffrance est intense, moins elle paraît aux yeux des créatures, plus elle vous fait sourire, ô mon Dieu! Et si, par impossible, vous deviez l'ignorer vous-même, je serais encore heureuse de souffrir, dans l'espérance que, par mes larmes, je pourrais empêcher ou réparer peut-être une seule faute commise contre la foi.
Vous allez croire sans doute, ma Mère vénérée, que j'exagère un peu la nuit de mon âme. Si vous en jugez par les poésies que j'ai composées cette année, je dois vous paraître inondée de consolations, une enfant pour laquelle le voile de la foi s'est presque déchiré! Et cependant... ce n'est plus un voile, c'est un mur qui s'élève jusqu'aux cieux et couvre le firmament étoilé!
Lorsque je chante le bonheur du ciel, l'éternelle possession de Dieu, je n'en ressens aucune joie; car je chante simplement ce que je veux croire. Parfois, je l'avoue, un tout petit rayon de soleil éclaire ma sombre nuit, alors l'épreuve cesse un instant; mais ensuite, le souvenir de ce rayon, au lieu de me consoler, rend mes ténèbres plus épaisses encore.
Ah! jamais je n'ai si bien senti que le Seigneur est doux et miséricordieux; il ne m'a envoyé cette lourde croix qu'au moment où je pouvais la porter; autrefois je crois bien qu'elle m'aurait jetée dans le découragement. Maintenant elle ne produit qu'une chose: enlever tout sentiment de satisfaction naturelle dans mon aspiration vers la patrie céleste.
Ma Mère, il me semble qu'à présent rien ne m'empêche de m'envoler: car je n'ai plus de grands désirs, si ce n'est celui d'aimer jusqu'à mourir d'amour... Je suis libre, je n'ai aucune crainte, même celle que je redoutais le plus, je veux dire la crainte de rester longtemps malade et par suite d'être à charge à la communauté. Si cela fait plaisir au bon Dieu, je consens volontiers à voir ma vie de souffrances, du corps et de l'âme, se prolonger des années. Oh! non, je ne crains pas une longue vie, je ne refuse pas le combat: «Le Seigneur est la roche où je suis élevée, qui dresse mes mains au combat et mes doigts à la guerre; il est mon bouclier, j'espère en lui.»[88] Jamais je n'ai demandé à Dieu de mourir jeune; il est vrai, je n'ai pas cessé de croire qu'il en serait ainsi, mais sans rien faire pour l'obtenir.
Souvent le Seigneur se contente du désir de travailler pour sa gloire; et mes désirs, vous le savez, ma Mère, ont été bien grands! Vous savez aussi que Jésus m'a présenté plus d'un calice amer par rapport à mes sœurs chéries! Ah! le saint roi David avait raison lorsqu'il chantait: «Qu'il est bon, qu'il est doux à des frères d'habiter ensemble dans une parfaite union[89]!» Mais c'est au sein des sacrifices que cette union doit s'accomplir sur la terre. Non, ce n'est pas pour vivre avec mes sœurs que je suis venue dans ce Carmel béni; je pressentais bien, au contraire, que ce devait être un sujet de grandes souffrances lorsqu'on ne veut rien accorder à la nature.
Comment peut-on dire qu'il est plus parfait de s'éloigner des siens? A-t-on jamais reproché à des frères de combattre sur le même champ de bataille, de voler ensemble pour cueillir la palme du martyre? Sans doute on a jugé avec raison qu'ils s'encouragent mutuellement; mais aussi que le martyre de chacun devient celui de tous.
Ainsi en est-il dans la vie religieuse que les théologiens appellent un martyre. En se donnant à Dieu, le cœur ne perd pas sa tendresse naturelle: cette tendresse, au contraire, grandit en devenant plus pure et plus divine. C'est de cette tendresse que je vous aime, ma Mère, et que j'aime mes sœurs. Oui, je suis heureuse de combattre en famille pour la gloire du Roi des cieux; mais je serais prête aussi à voler sur un autre champ de bataille, si le divin Général m'en exprimait le désir: un commandement ne serait pas nécessaire, mais un simple regard, un signe suffirait!
Depuis mon entrée au Carmel, j'ai toujours pensé que, si Jésus ne m'emportait bien vite au ciel, le sort de la petite colombe de Noé serait le mien: qu'un jour le Seigneur, ouvrant la fenêtre de l'arche, me dirait de voler bien loin vers des rivages infidèles, portant avec moi la branche d'olivier. Cette pensée m'a fait planer plus haut que tout le créé.
Comprenant que, même au Carmel, il pouvait y avoir des séparations, j'ai voulu par avance habiter dans les cieux; j'ai accepté, non seulement de m'exiler au milieu d'un peuple inconnu, mais, ce qui m'était bien plus amer, j'ai accepté l'exil pour mes sœurs. Deux d'entre elles, en effet, furent demandées par le Carmel de Saïgon, que notre monastère avait fondé. Pendant quelque temps, il fut sérieusement question de les y envoyer. Ah! je n'aurais pas voulu dire une parole pour les retenir, bien que mon cœur fût brisé à la pensée des épreuves qui les attendaient...
Maintenant tout est passé, les supérieurs ont mis des obstacles insurmontables à leur départ; à ce calice, je n'ai fait que tremper mes lèvres, juste le temps d'en goûter l'amertume.
Laissez-moi vous dire, ma Mère, pourquoi, si la sainte Vierge me guérit, je désire répondre à l'appel de nos Mères d'Hanoï. Il paraît que pour vivre dans les Carmels étrangers, il faut une vocation toute spéciale; beaucoup d'âmes s'y croient appelées sans l'être en effet. Vous m'avez dit, ma Mère, que j'avais cette vocation, et que ma santé seule mettait obstacle à son accomplissement.
Ah! s'il me fallait un jour quitter mon berceau religieux, ce ne serait pas sans blessure. Je n'ai pas un cœur insensible; et c'est justement parce qu'il est capable de souffrir beaucoup, que je désire donner à Jésus tous les genres de souffrances qu'il pourrait supporter. Ici, je suis aimée de vous, ma Mère, de toutes mes sœurs, et cette affection m'est bien douce: voilà pourquoi je rêve un monastère où je serais inconnue, où j'aurais à souffrir l'exil du cœur. Non, ce n'est pas dans l'intention de rendre service au Carmel d'Hanoï que je quitterais tout ce qui m'est cher, je connais trop mon incapacité; mon seul but serait d'accomplir la volonté du bon Dieu et de me sacrifier pour lui au gré de ses désirs. Je sens bien que je n'aurais aucune déception; car, lorsqu'on s'attend à une souffrance pure, on est plutôt surpris de la moindre joie; et puis, la souffrance elle-même devient la plus grande des joies, quand on la recherche comme un précieux trésor.
Mais je suis malade maintenant, et je ne guérirai pas. Toutefois je reste dans la paix; depuis longtemps je ne m'appartiens plus, je suis livrée totalement à Jésus... Il est donc libre de faire de moi tout ce qui lui plaira. Il m'a donné l'attrait d'un exil complet, il m'a demandé si je consentais à boire ce calice: aussitôt je l'ai voulu saisir, mais lui, retirant sa main, me montra que l'acceptation seule le contentait.
Mon Dieu, de quelles inquiétudes on se délivre en faisant le vœu d'obéissance! Que les simples religieuses sont heureuses! Leur unique boussole étant la volonté des supérieurs, elles sont toujours assurées d'être dans le droit chemin, n'ayant pas à craindre de se tromper, même s'il leur paraît certain que les supérieurs se trompent. Mais, lorsqu'on cesse de consulter la boussole infaillible, aussitôt l'âme s'égare dans des chemins arides où l'eau de la grâce lui manque bientôt.
Ma Mère, vous êtes la boussole que Jésus m'a donnée pour me conduire sûrement au rivage éternel. Qu'il m'est doux de fixer sur vous mon regard et d'accomplir ensuite la volonté du Seigneur! En permettant que je souffre des tentations contre la foi, le divin Maître a beaucoup augmenté dans mon cœur l'esprit de foi qui me le fait voir vivant en votre âme et me communiquant par vous ses ordres bénis. Je sais bien, ma Mère, que vous me rendez doux et léger le fardeau de l'obéissance; mais il me semble, d'après mes sentiments intimes, que je ne changerais pas de conduite et que ma tendresse filiale ne souffrirait aucune diminution, s'il vous plaisait de me traiter sévèrement, parce que je verrais encore la volonté de mon Dieu se manifestant d'une autre façon pour le plus grand bien de mon âme.
La fenêtre marquée d'une croix est celle de la cellule que St Thérèse de l'Enfant-Jésus habita pendant les dernières années de sa vie.—A gauche la salle du Chapitre où elle fit Profession.
Parmi les grâces sans nombre que j'ai reçues cette année, je n'estime pas la moindre celle qui m'a donné de comprendre dans toute son étendue le précepte de la charité. Je n'avais jamais approfondi cette parole de Notre-Seigneur: «Le second commandement est semblable au premier: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.»[90] Je m'appliquais surtout à aimer Dieu, et c'est en l'aimant que j'ai découvert le secret de ces autres paroles: «Ce ne sont pas ceux qui disent: Seigneur! Seigneur! qui entreront dans le royaume des deux: mais celui qui fait la volonté de mon Père.»[91]
Cette volonté, Jésus me l'a fait connaître, lorsqu'à la dernière Cène il donna son commandement nouveau, quand il dit à ses Apôtres de s'entr'aimer comme il les a aimés lui-même[92]... Et je me suis mise à rechercher comment Jésus avait aimé ses disciples; j'ai vu que ce n'était pas pour leurs qualités naturelles, j'ai constaté qu'ils étaient ignorants et remplis de pensées terrestres. Cependant il les appelle ses amis, ses frères, il désire les voir près de lui dans le royaume de son Père et, pour leur ouvrir ce royaume, il veut mourir sur la croix, disant qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime[93].
En méditant ces paroles divines, j'ai vu combien mon amour pour mes sœurs était imparfait, j'ai compris que je ne les aimais pas comme Jésus les aime. Ah! je devine maintenant que la vraie charité consiste à supporter tous les défauts du prochain, à ne pas s'étonner de ses faiblesses, à s'édifier de ses moindres vertus; mais surtout, j'ai appris que la charité ne doit point rester enfermée dans le fond du cœur, car personne n'allume un flambeau pour le mettre sous le boisseau, mais on le met sur le chandelier, afin qu'il éclaire tous ceux qui sont dans la maison[94]. Il me semble, ma Mère, que ce flambeau représente la charité qui doit éclairer, réjouir, non seulement ceux qui me sont le plus chers, mais tous ceux qui sont dans la maison.
Lorsque le Seigneur, dans l'ancienne loi, ordonnait à son peuple d'aimer son prochain comme soi-même, il n'était pas encore descendu sur la terre; et, sachant bien à quel degré l'on aime sa propre personne, il ne pouvait demander davantage. Mais lorsque Jésus fait à ses Apôtres un commandement nouveau, son commandement à lui[95], il n'exige plus seulement d'aimer son prochain comme soi-même, mais comme il l'aime lui-même, comme il l'aimera jusqu'à la consommation des siècles.
O mon Jésus! je sais que vous ne commandez rien d'impossible; vous connaissez mieux que moi ma faiblesse et mon imperfection, vous savez bien que jamais je n'arriverai à aimer mes sœurs comme vous les aimez, si vous-même, ô mon divin Sauveur, ne les aimez encore en moi. C'est parce que vous voulez m'accorder cette grâce que vous avez fait un commandement nouveau. Oh! que je l'aime! puisqu'il me donne l'assurance que votre volonté est d'aimer en moi tous ceux que vous me commandez d'aimer.
Oui, je le sens, lorsque je suis charitable c'est Jésus seul qui agit en moi; plus je suis unie à lui, plus aussi j'aime toutes mes sœurs. Si je veux augmenter en mon cœur cet amour et que le démon essaie de me mettre devant les yeux les défauts de telle ou telle sœur, je m'empresse de rechercher ses vertus, ses bons désirs; je me dis que, si je l'ai vue tomber une fois, elle peut bien avoir remporté un grand nombre de victoires qu'elle cache par humilité; et que, même ce qui me paraît une faute peut très bien être, à cause de l'intention, un acte de vertu. J'ai d'autant moins de peine à me le persuader que j'en fis l'expérience par moi-même.
Un jour, pendant la récréation, la portière vint demander une sœur pour une besogne qu'elle désigna. J'avais un désir d'enfant de m'employer à ce travail, et justement le choix tomba sur moi. Aussitôt je commence à plier notre ouvrage, mais assez doucement pour que ma voisine ait plié le sien avant moi, car je savais la réjouir en lui laissant prendre ma place. La sœur qui demandait de l'aide, me voyant si peu pressée, dit en riant: «Ah! je pensais bien que vous ne mettriez pas cette perle à votre couronne, vous alliez trop lentement!» Et toute la communauté crut que j'avais agi par nature.
Je ne saurais dire combien ce petit événement me fut profitable et me rendit indulgente. Il m'empêche encore d'avoir de la vanité quand je suis jugée favorablement, car je me dis: Puisque mes petits actes de vertu peuvent être pris pour des imperfections, on peut tout aussi bien se tromper en appelant vertu ce qui n'est qu'imperfection; et je répète alors avec saint Paul: «Je me mets fort peu en peine d'être jugée par aucun tribunal humain. Je ne me juge pas moi-même. Celui qui me juge, c'est le Seigneur.» [96]
Oui, c'est le Seigneur, c'est Jésus qui me juge! Et pour me rendre son jugement favorable, ou plutôt pour ne pas être jugée du tout, puisqu'il a dit: «Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés[97]», je veux toujours avoir des pensées charitables.
Je reviens au saint Evangile où le Seigneur m'explique bien clairement en quoi consiste son commandement nouveau.
Je lis en saint Matthieu: «Vous avez appris qu'il a été dit: Vous aimerez votre ami, et vous haïrez votre ennemi. Pour moi, Je vous dis: Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent.»[98]
Sans doute, au Carmel, on ne rencontre pas d'ennemis, mais enfin, il y a des sympathies; on se sent attiré vers telle sœur, au lieu que telle autre vous ferait faire un long détour pour éviter sa rencontre. Eh bien, Jésus me dit que cette sœur il faut l'aimer, qu'il faut prier pour elle, quand même sa conduite me porterait à croire qu'elle ne m'aime pas: «Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on? car les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment.»[99] Et ce n'est pas assez d'aimer, il faut le prouver. On est naturellement heureux de faire plaisir à un ami; mais cela n'est point de la charité, car les pécheurs le font aussi.
Voici ce que Jésus m'enseigne encore: «Donnez à quiconque vous demande; et si l'on prend ce qui vous appartient, ne le redemandez pas.»[100] Donner à toutes celles qui demandent, c'est moins doux que d'offrir soi-même par le mouvement de son cœur; encore, lorsqu'on vous demande avec affabilité, cela ne coûte pas de donner; mais si par malheur on use de paroles peu délicates, aussitôt l'âme se révolte quand elle n'est pas affermie dans la charité parfaite; elle trouve alors mille raisons pour refuser ce qui lui est ainsi demandé, et ce n'est qu'après avoir convaincu la solliciteuse de son indélicatesse qu'elle lui donne par grâce ce qu'elle réclame, ou qu'elle lui rend un léger service qui lui prend vingt fois moins de temps qu'il n'en a fallu pour faire valoir des obstacles et des droits imaginaires.
S'il est difficile de donner à quiconque demande, il l'est encore bien plus de laisser prendre ce qui appartient sans le redemander. O ma Mère, je dis que c'est difficile, je devrais plutôt dire que cela semble difficile; car le joug du Seigneur est suave et léger[101]: lorsqu'on l'accepte, on sent aussitôt sa douceur.
Je disais: Jésus ne veut pas que je réclame ce qui m'appartient; cela devrait me paraître tout naturel, puisque réellement rien ne m'appartient en propre: je dois donc me réjouir lorsqu'il m'arrive de sentir la pauvreté dont j'ai fait le vœu solennel. Autrefois je croyais ne tenir à quoi que ce soit; mais, depuis que les paroles de Jésus me sont lumineuses, je me vois bien imparfaite. Par exemple si, me mettant à l'ouvrage pour la peinture, je trouve les pinceaux en désordre, si une règle ou un canif a disparu, la patience est bien près de m'abandonner et je dois la prendre à deux mains pour ne pas réclamer avec amertume les objets qui me manquent.
Ces choses indispensables je puis sans doute les demander, mais en le faisant avec humilité je ne manque pas au commandement de Jésus; au contraire, j'agis comme les pauvres qui tendent la main pour recevoir le nécessaire; s'ils sont rebutés, ils ne s'en étonnent pas, personne ne leur doit rien. Ah! quelle paix inonde l'âme lorsqu'elle s'élève au—dessus des sentiments de la nature! Non, il n'est pas de joie comparable à celle que goûte le véritable pauvre d'esprit! S'il demande avec détachement une chose nécessaire, et que non seulement cette chose lui soit refusée, mais encore que l'on essaie de prendre ce qu'il a, il suit le conseil de Nôtre-Seigneur: «Abandonnez même votre manteau à celui qui veut plaider pour avoir votre robe.»[102]
Abandonner son manteau, c'est, il me semble, renoncer à ses derniers droits, se considérer comme la servante, l'esclave des autres. Lorsqu'on a quitté son manteau, c'est plus facile de marcher, de courir, aussi Jésus ajoute-t-il: «Et qui que ce soit qui vous force défaire mille pas, faites-en deux mille de plus avec lui.»[103] Non, ce n'est pas assez pour moi de donner à quiconque me demande, je dois aller au-devant des désirs, me montrer très obligée, très honorée de rendre service; et, si l'on prend une chose à mon usage, paraître heureuse d'en être débarrassée.
Toutefois je ne puis pas toujours pratiquer à la lettre les paroles de l'Evangile; il se rencontre des occasions où je me vois contrainte de refuser quelque chose à mes sœurs. Mais lorsque la charité a jeté de profondes racines dans l'âme, elle se montre à l'extérieur: il y a une façon si gracieuse de refuser ce qu'on ne peut donner, que le refus fait autant de plaisir que le don. Il est vrai qu'on se gêne moins de mettre à contribution celles qui se montrent toujours disposées à obliger; cependant, sous prétexte que je serais forcée de refuser, je ne dois pas m'éloigner des sœurs qui demandent facilement des services, puisque le divin Maître a dit: «N'évitez point celui qui veut emprunter de vous.»[104]
Je ne dois pas non plus être obligeante afin de le paraître ou dans l'espoir qu'une autre fois la sœur que j'oblige me rendra service à son tour; car Nôtre-Seigneur a dit encore: «Si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir quelque chose, quel gré vous en saura-t-on? les pécheurs même prêtent aux pécheurs afin d'en recevoir autant. Mais pour vous, faites du bien, prêtez sans en rien espérer, et votre récompense sera grande.»[105]
Oh! oui, la récompense est grande, même sur la terre. Dans cette voie, il n'y a que le premier pas qui coûte. Prêter sans en rien espérer, cela paraît dur; on aimerait mieux donner, car une chose donnée n'appartient plus. Lorsqu'on vient vous dire d'un air tout à fait convaincu: «Ma sœur, j'ai besoin de votre aide pendant quelques heures; mais soyez tranquille, j'ai permission de notre Mère, et je vous rendrai le temps que vous me donnez.» Vraiment, lorsqu'on sait très bien que jamais le temps prêté ne sera rendu, on aimerait mieux dire: «Je vous le donne!» Cela contenterait l'amour-propre; Car c'est un acte plus généreux de donner que de prêter, et puis on fait sentir à la sœur que l'on ne compte pas sur ses services.
Ah! que les enseignements divins sont contraires aux sentiments de la nature! Sans le secours de la grâce, il serait impossible, non seulement de les mettre en pratique, mais encore de les comprendre.
Ma Mère chérie, je sens que, plus que jamais, je me suis très mal expliquée. Je ne sais quel intérêt vous pourrez trouver à lire toutes ces pensées confuses. Enfin je n'écris pas pour faire une œuvre littéraire; si je vous ennuie par cette sorte de discours sur la charité, du moins vous verrez que votre enfant a fait preuve de bonne volonté.
Hélas! je suis loin, je l'avoue, de pratiquer ce que je comprends; et cependant le seul désir que j'en ai me donne la paix. S'il m'arrive de tomber en quelque faute contraire, je me relève aussitôt; depuis quelques mois, je n'ai plus même à combattre, je puis dire avec notre Père saint Jean de la Croix: «Ma demeure est entièrement pacifiée», et j'attribue cette paix intime à un certain combat dans lequel j'ai été victorieuse. A partir de ce triomphe, la milice céleste vient à mon secours, ne pouvant souffrir de me voir blessée après avoir lutté vaillamment dans l'occasion que je vais décrire.
Une sainte religieuse de la communauté avait autrefois le talent de me déplaire en tout; le démon s'en mêlait, car c'était lui certainement qui me faisait voir en elle tant de côtés désagréables; aussi, ne voulant pas céder à l'antipathie naturelle que j'éprouvais, je me dis que la charité ne devait pas seulement consister dans les sentiments, mais se laisser voir dans les œuvres. Alors je m'appliquai à faire pour cette sœur ce que j'aurais fait pour la personne que j'aime le plus. A chaque fois que je la rencontrais, je priais le bon Dieu pour elle, lui offrant toutes ses vertus et ses mérites. Je sentais bien que cela réjouissait grandement mon Jésus; car il n'est pas d'artiste qui n'aime à recevoir des louanges de ses œuvres, et le divin Artiste des âmes est heureux lorsqu'on ne s'arrête pas à l'extérieur, mais que, pénétrant jusqu'au sanctuaire intime qu'il s'est choisi pour demeure, on en admire la beauté.
Je ne me contentais pas de prier beaucoup pour celle qui me donnait tant de combats, je tâchais de lui rendre tous les services possibles; et quand j'avais la tentation de lui répondre d'une façon désagréable, je m'empressais de lui faire un aimable sourire, essayant de détourner la conversation; car il est dit dans l'Imitation qu'il vaut mieux laisser chacun dans son sentiment que de s'arrêter à contester[106].
Souvent aussi, quand le démon me tentait violemment et que je pouvais m'esquiver sans qu'elle s'aperçût de ma lutte intime, je m'enfuyais comme un soldat déserteur.... Et sur ces entrefaites, elle me dit un jour d'un air radieux: «Ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, voudriez-vous me confier ce qui vous attire tant vers moi? Je ne vous rencontre pas que vous ne me fassiez le plus gracieux sourire.» Ah! ce qui m'attirait, c'était Jésus caché au fond de son âme, Jésus qui rend doux ce qu'il y a de plus amer!
Je vous parlais à l'instant, ma Mère, de mon dernier moyen pour éviter une défaite dans les combats de la vie, je veux dire la désertion. Ce moyen peu honorable, je l'employais pendant mon noviciat, il m'a toujours parfaitement réussi. Je vais vous en citer un éclatant exemple qui, je crois, vous fera sourire:
Vous étiez malade depuis plusieurs jours d'une bronchite qui nous donna bien des inquiétudes. Un matin, je vins tout doucement remettre à votre infirmerie les clefs de la grille de communion, car j'étais sacristine. Au fond, je me réjouissais d'avoir cette occasion de vous voir, mais je me gardais bien de le faire paraître. Or, l'une de vos filles, animée d'un saint zèle, crut que j'allais vous éveiller et voulut discrètement me prendre les clefs. Je lui répondis, le plus poliment possible, que je désirais autant qu'elle ne point faire de bruit, et j'ajoutai que c'était mon droit de rendre les clefs. Je comprends aujourd'hui qu'il eût été plus parfait de céder tout simplement, mais je ne le comprenais pas alors et voulus entrer à sa suite, malgré elle.
Bientôt le malheur redouté arriva, le bruit que nous faisions vous fit ouvrir les yeux, et tout retomba sur moi! La sœur à laquelle j'avais résisté se hâta de prononcer tout un discours, dont le fond était ceci: «C'est ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus qui a fait le bruit.» Je brûlais du désir de me défendre; mais heureusement il me vint une idée lumineuse; je me dis que, certainement, si je commençais à me justifier j'allais perdre la paix de mon âme; de plus, que ma vertu étant trop faible pour me laisser accuser sans rien répliquer, je devais choisir la fuite pour dernière planche de salut. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Je partis... mais mon cœur battait si fort qu'il me fut impossible d'aller loin, et je m'assis dans l'escalier pour jouir en paix des fruits de ma victoire. Sans doute, c'était là une singulière bravoure; cependant il vaut mieux, je crois, ne pas s'exposer au combat lorsque la défaite est certaine.
Hélas! quand je pense au temps de mon noviciat, comme je constate mon imperfection! Je ris maintenant de certaines choses. Ah! que le Seigneur est bon d'avoir élevé mon âme, de lui avoir donné des ailes! Tous les filets des chasseurs ne sauraient plus m'effrayer; car c'est en vain que l'on jette le filet devant les yeux de ceux qui ont des ailes[107].
Plus tard, il se pourra que le temps où je suis me paraisse rempli de bien des misères encore, mais je ne m'étonne plus de rien, je ne m'afflige pas en me voyant la faiblesse même; au contraire, c'est en elle que je me glorifie et je m'attends chaque jour à découvrir en moi de nouvelles imperfections. Je l'avoue, ces lumières sur mon néant me font plus de bien que des lumières sur la foi.
Me souvenant que la charité couvre la multitude des péchés[108], je puise à cette mine féconde ouverte par le Seigneur dans son Evangile sacré. Je fouille dans les profondeurs de ses paroles adorables, et je m'écrie avec David: «J'ai couru dans la voie de vos commandements, depuis que vous avez dilaté mon cœur.»[109] Et la charité seule peut dilater mon cœur... O Jésus! depuis que cette douce flamme le consume, je cours avec délices dans la voie de votre commandement nouveau, et je veux y courir jusqu'au jour bienheureux où, m'unissant au cortège virginal, je vous suivrai dans les espaces infinis, chantant votre Cantique nouveau qui doit être celui de l'Amour.
«Seigneur, vous le voyez, je suis trop petite pour nourrir vos enfants; si vous voulez leur donner par moi ce qui convient à chacune, remplissez ma petite main, et sans quitter vos bras, sans même détourner la tête, je distribuerai vos trésors à l'âme qui viendra me demander sa nourriture.»
Nouvelles lumières sur la charité.—Le petit pinceau: sa manière de peindre dans les âmes.—Une prière exaucée.—Les miettes qui tombent de la table des enfants.—Le bon Samaritain.—Dix minutes plus précieuses que mille ans des joies de la terre.
——
Ma Mère bien-aimée, le bon Dieu m'a fait cette grâce de pénétrer les mystérieuses profondeurs de la charité. Si je pouvais exprimer ce que je comprends, vous entendriez une mélodie du ciel. Mais hélas! je n'ai que des bégaiements enfantins, et, si les paroles de Jésus ne me servaient d'appui, je serais tentée de vous demander la permission de me taire.
Quand le divin Maître me dit de donner à quiconque me demande et de laisser prendre ce qui m'appartient sans le redemander, je pense qu'il ne parle pas seulement des biens de la terre, mais qu'il entend aussi les biens du ciel. D'ailleurs, les uns et les autres ne sont pas à moi: j'ai renoncé aux premiers par le vœu de pauvreté, et les seconds me sont également prêtés par Dieu qui peut me les retirer sans qu'il me soit permis de me plaindre.
Mais les pensées profondes et personnelles, les flammes de l'intelligence et du cœur forment une richesse à laquelle on s'attache comme à un bien propre, auquel personne n'a le droit de toucher. Par exemple: si je communique à l'une de mes sœurs quelque lumière de mon oraison et qu'elle la révèle ensuite comme venant d'elle-même, il semble qu'elle s'approprie mon bien; ou si l'on dit tout bas à sa voisine, pendant la récréation, une parole d'esprit et d'à-propos et que celle-ci, sans en faire connaître la source, répète tout haut cette parole, cela paraît comme un vol à la propriétaire qui ne réclame pas, mais en aurait bien envie et saisira la première occasion pour faire savoir finement qu'on s'est emparé de ses pensées.
Ma Mère, je ne pourrais vous expliquer aussi bien ces tristes sentiments de la nature, si je ne les avais éprouvés moi-même; et j'aimerais à me bercer de la douce illusion qu'ils n'ont visité que moi, si vous ne m'aviez ordonné d'entendre les tentations des novices. J'ai beaucoup appris en remplissant la mission que vous m'avez confiée; surtout je me suis vue forcée de pratiquer ce que j'enseignais.
Oui, maintenant je puis le dire, j'ai reçu la grâce de n'être pas plus attachée aux biens de l'esprit et du cœur qu'à ceux de la terre. S'il m'arrive de penser et de dire une chose qui plaise à mes sœurs, je trouve tout naturel qu'elles s'en emparent comme d'un bien à elles: cette pensée appartient à l'Esprit-Saint et non pas à moi, puisque saint Paul assure que nous ne pouvons, sans cet Esprit d'amour, donner à Dieu le nom de Père[110]. Il est donc bien libre de se servir de moi pour donner une bonne pensée à une âme et je ne puis croire que cette pensée soit ma propriété.
D'ailleurs, si je ne méprise pas les belles pensées qui unissent à Dieu, j'ai compris, il y a longtemps, qu'il faut bien se garder de s'appuyer trop sur elles. Les inspirations les plus sublimes ne sont rien sans les œuvres. Il est vrai que d'autres âmes peuvent en retirer beaucoup de profit, si elles témoignent au Seigneur une humble reconnaissance de ce qu'il leur permet de partager le festin d'un de ses privilégiés: mais si celui-ci se complaît dans sa richesse et fait la prière du pharisien, il devient semblable à une personne mourant de faim devant une table bien servie, pendant que tous ses invités y puisent une abondante nourriture et jettent peut-être un regard d'envie sur le possesseur de tant de trésors.
Ah! comme il n'y a bien que le bon Dieu tout seul qui connaisse le fond des cœurs! Comme les créatures ont de courtes pensées! Lorsqu'elles voient une âme dont les lumières surpassent les leurs, elles en concluent que le divin Maître les aime moins. Et depuis quand donc n'a-t-il plus le droit de se servir de l'une de ses créatures pour dispenser à ses enfants la nourriture qui leur est nécessaire? Au temps de Pharaon, le Seigneur avait encore ce droit; car, dans l'Ecriture, il dit à ce monarque: «Je vous ai élevé tout exprès pour faire éclater en vous MA PUISSANCE, afin que mon nom soit annoncé par toute la terre[111].» Les siècles ont succédé aux siècles depuis que le Très-Haut prononça ces paroles, et sa conduite n'a pas changé: toujours il s'est choisi des instruments parmi les peuples pour faire son œuvre dans les âmes.
Si la toile peinte par un artiste pouvait penser et parler, certainement elle ne se plaindrait pas d'être sans cesse touchée et retouchée par le pinceau; elle n'envierait pas non plus le sort de cet objet, sachant que ce n'est point au pinceau, mais à l'artiste qui le dirige, qu'elle doit la beauté dont elle est revêtue. Le pinceau de son côté ne pourrait se glorifier du chef-d'œuvre exécuté par son moyen, car il n'ignorerait pas que les artistes ne sont jamais embarrassés, qu'ils se jouent des difficultés et se servent parfois, pour leur plaisir, des instruments les plus faibles, les plus défectueux.
Ma Mère vénérée, je suis un petit pinceau que Jésus a choisi pour peindre son image dans les âmes que vous m'avez confiées. Un artiste a plusieurs pinceaux, il lui en faut au moins deux: le premier, qui est le plus utile, donne les teintes générales et couvre complètement la toile en fort peu de temps; l'autre, plus petit, sert pour les détails. Ma Mère, c'est vous qui me représentez le précieux pinceau que la main de Jésus tient avec amour lorsqu'il veut faire un grand travail dans l'âme de vos enfants; et moi, je suis le tout petit qu'il daigne employer ensuite pour les moindres détails.
La première fois que le divin Maître saisit son petit pinceau, ce fut vers le 8 décembre 1892; je me rappellerai toujours cette époque comme un temps de grâces.
En entrant au Carmel, je trouvai au noviciat une compagne plus âgée que moi de huit ans; et, malgré la différence des années, il s'établit entre nous une véritable intimité. Pour favoriser cette affection qui semblait propre à donner des fruits de vertu, de petits entretiens spirituels nous furent permis: ma chère compagne me charmait par son innocence, son caractère expansif et ouvert; mais, d'un autre côté, je m'étonnais de voir combien son affection pour vous, ma Mère, était différente de la mienne; de plus, bien des choses dans sa conduite me paraissaient regrettables. Cependant le bon Dieu me faisait déjà comprendre qu'il est des âmes que sa miséricorde ne se lasse pas d'attendre, auxquelles il ne donne sa lumière que par degrés; aussi je me gardais bien de vouloir devancer son heure.
Réfléchissant un jour sur cette permission qui nous avait été donnée de nous entretenir ensemble, comme il est dit dans nos saintes constitutions: «pour nous enflammer davantage en l'amour de notre Epoux», je pensai avec tristesse que nos conversations n'atteignaient pas le but désiré; et je vis clairement qu'il ne fallait plus craindre de parler, ou bien alors cesser des entretiens qui ressemblaient à ceux des amies du monde. Je suppliai Notre-Seigneur de mettre sur mes lèvres des paroles douces et convaincantes, ou plutôt de parler lui-même pour moi. Il exauça ma prière; car ceux qui tournent leurs regards vers lui en seront éclairés[112], et la lumière s'est levée dans les ténèbres pour ceux qui ont le cœur droit[113]. La première parole, je me l'applique à moi-même, et la seconde à ma compagne qui véritablement avait le cœur droit.
A l'heure marquée pour notre entrevue, ma pauvre petite sœur vit bien dès le début que je n'étais plus la même, elle s'assit à mes côtés en rougissant; alors, la pressant sur mon cœur, je lui dis avec tendresse tout ce que je pensais d'elle. Je lui montrai en quoi consiste le véritable amour, je lui prouvai qu'en aimant sa Mère Prieure d'une affection naturelle c'était elle-même qu'elle aimait, je lui confiai les sacrifices que j'avais été obligée de faire à ce sujet au commencement de ma vie religieuse; et bientôt ses larmes se mêlèrent aux miennes. Elle convint très humblement de ses torts, reconnut que je disais vrai, et me promit de commencer une vie nouvelle, me demandant comme une grâce de l'avertir toujours de ses fautes. A partir de ce moment, notre affection devint toute spirituelle; en nous se réalisait l'oracle de l'Esprit-Saint: «Le frère qui est aidé par son frère est comme une ville fortifiée[114].»
O ma Mère, vous savez bien que je n'avais pas l'intention de détourner de vous ma compagne, je voulais seulement lui dire que le véritable amour se nourrit de sacrifices, et que plus l'âme se refuse de satisfactions naturelles, plus sa tendresse devient forte et désintéressée.
Je me souviens qu'étant postulante j'avais parfois de si violentes tentations de me satisfaire et de trouver quelques gouttes de joie, que j'étais obligée de passer rapidement devant votre cellule et de me cramponner à la rampe de l'escalier pour ne point retourner sur mes pas. Il me venait à l'esprit quantité de permissions à demander, mille prétextes pour donner raison à ma nature et la contenter. Que je suis heureuse maintenant de m'être privée dès le début de ma vie religieuse! Je jouis déjà de la récompense promise à ceux qui combattent courageusement. Je ne sens plus qu'il soit nécessaire de me refuser les consolations du cœur; car mon cœur est affermi en Dieu... Parce qu'il l'a aimé uniquement, il s'est agrandi peu à peu, jusqu'à donner à ceux qui lui sont chers une tendresse incomparablement plus profonde que s'il s'était concentré dans une affection égoïste et infructueuse.
Je vous ai parlé, ma Mère bien-aimée, du premier travail que Jésus et vous avez daigné accomplir par le petit pinceau; mais il n'était que le prélude du tableau de maître que vous lui avez ensuite confié.
Aussitôt que je pénétrai dans le sanctuaire des âmes, je jugeai du premier coup d'œil que la tâche dépassait mes forces; et, me plaçant bien vite dans les bras du bon Dieu, j'imitai les petits bébés qui, sous l'empire de quelque frayeur, cachent leur tête blonde sur l'épaule de leur père, et je dis: «Seigneur, vous le voyez, je suis trop petite pour nourrir vos enfants; si vous voulez leur donner par moi ce qui convient à chacune, remplissez ma petite main; et, sans quitter vos bras, sans même détourner la tête, je distribuerai vos trésors à l'âme qui viendra me demander sa nourriture. Lorsqu'elle la trouvera de son goût, je saurai que ce n'est pas à moi, mais à vous qu'elle la doit; au contraire, si elle se plaint et trouve amer ce que je lui présente, ma paix ne sera pas troublée, je tâcherai de lui persuader que cette nourriture vient de vous, et me garderai bien d'en chercher une autre pour elle.»
En comprenant ainsi qu'il m'était impossible de rien faire par moi-même, la tâche me parut simplifiée. Je m'occupai intérieurement et uniquement à m'unir de plus en plus à Dieu, sachant que le reste me serait donné par surcroît. En effet, jamais mon espérance n'a été trompée: ma main s'est trouvée pleine autant de fois qu'il a été nécessaire pour nourrir l'âme de mes sœurs. Je vous l'avoue, ma Mère, si j'avais agi autrement, si je m'étais appuyée sur mes propres forces, je vous aurais, sans tarder, rendu les armes.
De loin, il semble aisé de faire du bien aux âmes, de leur faire aimer Dieu davantage, de les modeler d'après ses vues et ses pensées. De près, au contraire, on sent que faire du bien est chose aussi impossible, sans le secours divin, que de ramener sur notre hémisphère le soleil pendant la nuit. On sent qu'il faut absolument oublier ses goûts, ses conceptions personnelles et guider les âmes, non par sa propre voie, par son chemin à soi, mais par le chemin particulier que Jésus leur indique. Et ce n'est pas encore le plus difficile: ce qui me coûte par-dessus tout, c'est d'observer les fautes, les plus légères imperfections et de leur livrer une guerre à mort.
J'allais dire: malheureusement pour moi,—mais non, ce serait de la lâcheté,—je dis donc: heureusement pour mes sœurs, depuis que j'ai pris place dans les bras de Jésus, je suis comme le veilleur observant l'ennemi de la plus haute tourelle d'un château fort. Rien n'échappe à mes regards; souvent je suis étonnée d'y voir si clair, et je trouve le prophète Jonas bien excusable de s'être enfui de devant la face du Seigneur pour ne pas annoncer la ruine de Ninive. J'aimerais mieux recevoir mille reproches que d'en adresser un seul; mais je sens qu'il est très nécessaire que cette besogne me soit une souffrance, car lorsqu'on agit par nature, il est impossible que l'âme en défaut comprenne ses torts, elle pense tout simplement ceci: la sœur chargée de me diriger est mécontente, et son mécontentement retombe sur moi qui suis pourtant remplie des meilleures intentions.
Ma Mère, il en est de cela comme du reste: il faut que je rencontre en tout l'abnégation et le sacrifice; ainsi je sens qu'une lettre ne produira aucun fruit, tant que je ne l'écrirai pas avec une certaine répugnance et pour le seul motif d'obéir. Quand je parle avec une novice, je veille à me mortifier, j'évite de lui adresser des questions qui satisferaient ma curiosité. Si je la vois commencer une chose intéressante, puis passer à une autre qui m'ennuie sans achever la première, je me garde bien de lui rappeler cette interruption, car il me semble que l'on ne peut faire aucun bien en se recherchant soi-même.
Je sais, ma Mère, que vos petits agneaux me trouvent sévère!... S'ils lisaient ces lignes, ils diraient que cela n'a pas l'air de me coûter le moins du monde de courir après eux, de leur montrer leur belle toison salie, ou bien de leur rapporter quelques flocons de laine qu'ils ont accrochés aux ronces du chemin. Les petits agneaux peuvent dire tout ce qu'ils voudront: dans le fond, ils sentent que je les aime d'un très grand amour; non, il n'y a pas de danger que j'imite le mercenaire qui, voyant venir le loup, laisse le troupeau et s'enfuit[115]. Je suis prête à donner ma vie pour eux et mon affection est si pure que je ne désire même pas qu'ils la connaissent. Jamais, avec la grâce de Dieu, je n'ai essayé de m'attirer leurs cœurs; j'ai compris que ma mission était de les conduire à Dieu et à vous, ma Mère, qui êtes ici-bas le Dieu visible qu'ils doivent aimer et respecter.
J'ai dit qu'en instruisant les autres j'avais beaucoup appris. D'abord j'ai vu que toutes les âmes ont à peu près les mêmes combats; et, d'un autre côté, qu'il y a entre elles une différence extrême; cette différence oblige à ne pas les attirer de la même manière. Avec certaines, je sens qu'il faut me faire petite, ne point craindre de m'humilier en avouant mes luttes et mes défaites; alors elles avouent elles-mêmes facilement les fautes qu'elles se reprochent et se réjouissent que je les comprenne par expérience; avec d'autres, pour réussir, c'est la fermeté qui convient, c'est ne jamais revenir sur une chose dite: s'abaisser deviendrait faiblesse.
Le Seigneur m'a fait cette grâce de n'avoir nulle peur de la guerre; à tout prix, il faut que je fasse mon devoir. Plus d'une fois j'ai entendu ceci: «Si vous voulez obtenir quelque chose de moi, ne me prenez pas par la force mais par la douceur, autrement vous n'aurez rien.» Mais je sais que nul n'est bon juge dans sa propre cause, et qu'un enfant auquel le chirurgien fait subir une douloureuse opération, ne manquera pas de jeter les hauts cris et de dire que le remède est pire que le mal; cependant s'il se trouve guéri quelques jours après, il est tout heureux de pouvoir jouer et courir. Il en est de même pour les âmes: bientôt elles reconnaissent qu'un peu d'amertume est préférable au sucre et ne craignent pas de l'avouer.
Quelquefois c'est un spectacle vraiment féerique de constater le changement qui s'opère du jour au lendemain.
On vient me dire: «Vous aviez raison hier d'être sévère; au commencement, cela m'a révoltée, mais après je me suis souvenue de tout et j'ai vu que vous étiez très juste. En sortant de votre cellule, je pensais que c'était fini, je me disais: Je vais aller trouver notre Mère et lui dire que je n'irai plus avec ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, mais j'ai senti que c'était le démon qui me soufflait cela; et puis il m'a semblé que vous priiez pour moi, alors je suis restée tranquille et la lumière commence à briller; maintenant éclairez-moi tout à fait, c'est pour cela que je viens.»
Et moi, tout heureuse de suivre le penchant de mon cœur, je sers vite des mets moins amers... Oui, mais... je m'aperçois qu'il ne faut pas trop s'avancer... un mot pourrait détruire le bel édifice construit dans les larmes! Si j'ai le malheur de dire la moindre chose qui semble atténuer les vérités de la veille, je vois ma petite sœur essayer de se raccrocher aux branches... Alors j'ai recours à la prière, je jette un regard intérieur sur la Vierge Marie, et Jésus triomphe toujours! Ah! c'est la prière et le sacrifice qui font toute ma force, ce sont mes armes invincibles; elles peuvent, bien plus que les paroles, toucher les cœurs, je le sais par expérience.
Pendant le carême, il y a deux ans, une novice vint me trouver toute rayonnante: «Si vous saviez, me dit-elle, ce que j'ai rêvé cette nuit! J'étais auprès de ma sœur qui est si mondaine, et je voulais la détacher de toutes les vanités du monde; pour cela je lui expliquais ces paroles de votre cantique: Vivre d'amour:
T'aimer, Jésus, quelle perte féconde!
Tous mes parfums sont à loi sans retour.
Je sentais bien que mon discours pénétrait jusqu'au fond de son âme, et j'étais ravie de joie. Ce matin, je pense que le bon Dieu veut peut-être que je lui donne cette âme. Si je lui écrivais à Pâques pour lui raconter mon rêve et lui dire que Jésus la veut pour son épouse! Qu'en pensez-vous?» Je répondis simplement qu'elle pouvait bien en demander la permission.
Comme le carême ne touchait pas à sa fin, vous avez été surprise, ma Mère, d'une demande si prématurée; et, visiblement inspirée par le bon Dieu, vous avez répondu que les carmélites doivent sauver les âmes plutôt par la prière que par des lettres. En apprenant cette décision, je dis à ma chère petite sœur: «Il faut nous mettre à l'œuvre, prions beaucoup; quelle joie si, à la fin du carême, nous étions exaucées!» O miséricorde infinie du Seigneur! A la fin du carême, une âme de plus se consacrait à Jésus! C'était un véritable miracle de la grâce: miracle obtenu par la ferveur d'une humble novice!
Qu'elle est donc grande la puissance de la prière! On dirait une reine ayant toujours libre accès auprès du roi et pouvant obtenir tout ce qu'elle demande. Il n'est point nécessaire, pour être exaucé, de lire dans un livre une belle formule composée pour la circonstance; s'il en était ainsi, que je serais à plaindre!
En dehors de l'office divin que je suis heureuse, quoique bien indigne, de réciter chaque jour, je n'ai pas le courage de m'astreindre à chercher dans les livres de belles prières; cela me fait mal à la tête, il y en a tant! Et puis, elles sont toutes plus belles les unes que les autres! Ne pouvant donc les réciter toutes, et ne sachant lesquelles choisir, je fais comme les enfants qui ne savent pas lire: je dis tout simplement au bon Dieu ce que je veux lui dire, et toujours il me comprend.
Pour moi, la prière c'est un élan du cœur, c'est un simple regard jeté vers le ciel, c'est un cri de reconnaissance et d'amour au milieu de l'épreuve comme au sein de la joie! Enfin c'est quelque chose d'élevé, de surnaturel, qui dilate l'âme et l'unit à Dieu. Quelquefois, lorsque mon esprit se trouve dans une si grande sécheresse que je ne puis en tirer une seule bonne pensée, je récite très lentement un Pater ou un Ave Maria; ces prières seules me ravissent, elles nourrissent divinement mon âme et lui suffisent.
Mais où en étais-je de mon sujet? Me voici de nouveau perdue dans un dédale de réflexions... Pardonnez-moi, ma Mère, d'être si peu précise! Cette histoire, j'en conviens, est un écheveau bien embrouillé. Hélas! je ne saurais mieux faire; j'écris comme les pensées me viennent, je pêche au hasard dans le petit ruisseau de mon cœur, et je vous offre ensuite mes petits poissons comme ils se laissent prendre.
J'en étais donc aux novices qui souvent me disent: «Mais vous avez une réponse à tout, je croyais cette fois vous embarrasser... où donc allez-vous chercher ce que vous nous enseignez?» Il en est même d'assez candides pour croire que je lis dans leur âme, parce qu'il m'est arrivé de les prévenir en leur révélant—sans révélation—ce qu'elles pensaient.
La plus ancienne du noviciat avait résolu de me cacher une grande peine qui la faisait beaucoup souffrir. Elle venait de passer une nuit d'angoisses sans vouloir verser une seule larme, craignant que ses yeux rouges ne la trahissent; lorsque, m'abordant avec le plus gracieux visage, elle me parle comme à l'ordinaire, d'une façon plus aimable encore s'il est possible. Je lui dis alors tout simplement: Vous avez du chagrin, j'en suis sûre. Aussitôt elle me regarde avec un étonnement inexprimable... sa stupéfaction est si grande qu'elle me gagne moi-même et me communique je ne sais quelle impression surnaturelle. Je sentais le bon Dieu là, tout près de nous... Sans m'en apercevoir,—car je n'ai pas le don de lire dans les âmes—j'avais prononcé une parole vraiment inspirée, et je pus ensuite consoler entièrement cette âme.
Maintenant, ma Mère bien-aimée, je vais vous confier mon meilleur profit spirituel avec les novices. Vous comprenez que tout leur est permis, il faut qu'elles puissent dire tout ce qu'elles pensent, le bien comme le mal, sans restriction. Cela leur est d'autant plus facile avec moi qu'elles ne me doivent pas le respect que l'on rend à une Maîtresse.
Je ne puis dire que Jésus me fasse marcher extérieurement par la voie des humiliations; non, il se contente de m'humilier au fond de mon âme. Devant les créatures tout me réussit, je suis le chemin périlleux des honneurs,—si l'on peut s'exprimer ainsi en religion—et je comprends à cet égard la conduite de Dieu et des supérieurs. En effet, si je passais aux yeux de la communauté pour une religieuse incapable, sans intelligence ni jugement, il vous serait impossible, ma Mère, de vous faire aider par moi. Voilà pourquoi le divin Maître a jeté un voile sur tous mes défauts intérieurs et extérieurs.
Ce voile m'attire quelques compliments de la part des novices, compliments sans flatterie, je sais qu'elles pensent ce qu'elles disent; mais vraiment cela ne m'inspire point de vanité, car j'ai sans cesse présent le souvenir de mes misères. Quelquefois cependant, il me vient un désir bien grand d'entendre autre chose que des louanges, mon âme se fatigue d'une nourriture trop sucrée, et Jésus lui fait servir alors une bonne petite salade bien vinaigrée, bien épicée: rien n'y manque, excepté l'huile, ce qui lui donne une saveur de plus.
Cette salade m'est présentée par les novices au moment où je m'y attends le moins. Le bon Dieu soulève le voile qui leur cache mes imperfections; et mes chères petites sœurs, voyant la vérité, ne me trouvent plus tout à fait à leur goût. Avec une simplicité qui me ravit, elles me disent les combats que je leur donne, ce qui leur déplaît en moi; enfin elles ne se gênent pas plus que s'il était question d'une autre, sachant qu'elles me font un grand plaisir en agissant ainsi.
Ah! vraiment c'est plus qu'un plaisir, c'est un festin délicieux qui comble mon âme de joie. Comment une chose qui déplaît tant à la nature peut-elle donner un pareil bonheur? Si je ne l'avais expérimenté, je ne le pourrais croire.
Un jour, où je désirais ardemment être humiliée, il arriva qu'une jeune postulante se chargea si bien de me satisfaire que la pensée de Séméi maudissant David me revint à l'esprit, et je répétai intérieurement avec le saint roi: «Oui, c'est bien le Seigneur qui lui a ordonné de me dire toutes ces choses.»[116]
Ainsi le bon Dieu prend soin de moi. Il ne peut toujours m'offrir le pain fortifiant de l'humiliation extérieure; mais, de temps en temps, il me permet de me nourrir des miettes qui tombent de la table des enfants[117]. Ah! que sa miséricorde est grande!
Mère bien-aimée, puisque j'essaie de chanter avec vous dès ce monde cette miséricorde infinie, je dois encore vous faire part d'un réel profit, retiré comme tant d'autres de ma petite mission. Autrefois, lorsque je voyais une sœur agir d'une façon qui me déplaisait et paraissait contre la règle, je me disais: Ah! si je pouvais donc l'avertir, lui montrer ses torts, que cela me ferait de bien! Mais en pratiquant le métier, j'ai changé de sentiment. Lorsqu'il m'arrive de voir quelque chose de travers, je pousse un soupir de soulagement:—Quel bonheur! ce n'est pas une novice, je ne suis pas obligée de la reprendre! Puis je tâche bien vite d'excuser la coupable et de lui prêter de bonnes intentions qu'elle a sans doute.
Mère vénérée, les soins que vous me prodiguez pendant ma maladie m'ont encore beaucoup instruite sur la charité. Aucun remède ne vous semble trop cher; et, s'il ne réussit pas, sans vous lasser vous essayez autre chose. Lorsque je vais en récréation, quelle attention ne faites-vous pas à me mettre à l'abri des moindres courants d'air! Ma Mère, je sens que je dois être aussi compatissante pour les infirmités spirituelles de mes sœurs, que vous l'êtes pour mon infirmité physique.
J'ai remarqué que les religieuses les plus saintes sont les plus aimées; on recherche leur conversation, on leur rend des services sans même qu'elles les demandent; enfin, ces âmes capables de supporter des manques d'égard et de délicatesse se voient entourées de l'affection générale. On peut leur appliquer cette parole de notre Père saint Jean de la Croix: «Tous les biens m'ont été donnés, quand je ne les ai plus recherchés par amour-propre.»
Les âmes imparfaites, au contraire, sont délaissées; on se tient vis-à-vis d'elles dans les bornes de la politesse religieuse: mais, craignant peut-être de leur dire quelque parole désobligeante, on évite leur compagnie. En disant les âmes imparfaites, je n'entends pas seulement les imperfections spirituelles, puisque les plus saintes ne seront parfaites qu'au ciel; j'entends aussi le manque de jugement, d'éducation, la susceptibilité de certains caractères: toutes choses qui ne rendent pas la vie agréable. Je sais bien que ces infirmités sont chroniques, sans espoir de guérison; mais je sais aussi que ma Mère ne cesserait pas de me soigner, d'essayer de me soulager, si je restais malade de longues années.
Voici la conclusion que j'en tire: Je dois rechercher la compagnie des sœurs qui ne me plaisent pas naturellement, et remplir à leur égard l'office du bon Samaritain. Une parole, un sourire aimable suffisent souvent pour épanouir une âme triste et blessée. Toutefois ce n'est pas seulement dans l'espoir de consoler que je veux être charitable: je sais qu'en poursuivant ce but je serais vite découragée; car un mot dit dans la meilleure intention sera pris peut-être tout de travers. Aussi, pour ne perdre ni mon temps, ni ma peine, j'essaie d'agir uniquement pour réjouir Nôtre-Seigneur et répondre à ce conseil de l'Evangile:
«Quand vous faites un festin, n'invitez pas vos parents et vos amis, de peur qu'ils ne vous invitent à leur tour, et qu'ainsi vous avez reçu votre récompense: mais invitez les pauvres, les boiteux, les paralytiques, et vous serez heureux de ce qu'ils ne pourront vous rendre, et votre Père qui voit dans le secret vous en récompensera.»[118]
Quel festin pourrais-je offrir à mes sœurs, si ce n'est un festin spirituel composé de charité aimable et joyeuse? Non, je n'en connais pas d'autre, et je veux imiter saint Paul qui se réjouissait avec ceux qu'il trouvait dans la joie. Il est vrai qu'il pleurait avec les affligés, et les larmes doivent quelquefois paraître dans le festin que je veux servir; mais toujours j'essaierai que les larmes se changent en sourires, puisque le Seigneur aime ceux qui donnent avec joie[119].
Je me souviens d'un acte de charité que le bon Dieu m'inspira lorsque j'étais encore novice. De cet acte tout petit en apparence, le Père céleste, qui voit dans le secret, m'a déjà récompensée sans attendre l'autre vie.
C'était avant que ma sœur Saint-Pierre tombât tout à fait infirme. Il fallait, le soir à six heures moins dix minutes, que l'on se dérangeât de l'oraison pour la conduire au réfectoire. Cela me coûtait beaucoup de me proposer; car je savais la difficulté ou plutôt l'impossibilité de contenter la pauvre malade. Cependant je ne voulais pas manquer une si belle occasion, me souvenant des paroles divines: «Ce que vous aurez fait au plus petit des miens, c'est à moi que vous l'aurez fait.»[120]
Je m'offris donc bien humblement pour la conduire, et ce ne fut pas sans peine que je parvins à faire accepter mes services. Enfin je me mis à l'œuvre avec tant de bonne volonté que je réussis parfaitement. Chaque soir, quand je la voyais agiter son sablier, je savais que cela voulait dire: Partons!
Prenant alors tout mon courage, je me levais, et puis toute une cérémonie commençait. Il fallait remuer et porter le banc d'une certaine manière, surtout ne pas se presser, ensuite la promenade avait lieu. Il s'agissait de suivre cette bonne sœur en la soutenant par la ceinture; je le faisais avec le plus de douceur qu'il m'était possible, mais si par malheur survenait un faux pas, aussitôt il lui semblait que je la tenais mal et qu'elle allait tomber.—«Ah! mon Dieu! vous allez trop vite, j'vais m'briser!» Si j'essayais alors de la conduire plus doucement:—«Mais suivez-moi donc, je n'sens pas vot'main, vous m'lâchez, j'vais tomber!... Ah! j'disais bien que vous étiez trop jeune pour me conduire.»
Enfin nous arrivions sans autre accident au réfectoire. Là, surgissaient d'autres difficultés: je devais installer ma pauvre infirme à sa place et agir adroitement pour ne pas la blesser; ensuite relever ses manches, toujours d'une certaine manière, après cela je pouvais m'en aller.
Mais je m'aperçus bientôt qu'elle coupait son pain avec une peine extrême; et depuis, je ne la quittais pas sans lui avoir rendu ce dernier service. Comme elle ne m'en avait jamais exprimé le désir, elle resta très touchée de mon attention, et ce fut par ce moyen nullement cherché que je gagnai entièrement sa confiance, surtout—je l'ai appris plus tard—parce qu'après tous mes petits services je lui faisais, disait-elle, mon plus beau sourire.
Ma Mère, il y a bien longtemps que cet acte de vertu est accompli, et pourtant le Seigneur m'en laisse le souvenir comme un parfum, une brise du ciel. Un soir d'hiver, j'accomplissais comme d'habitude l'humble office dont je viens de parler: il faisait froid, il faisait nuit... Tout à coup, j'entendis dans le lointain le son harmonieux de plusieurs instruments de musique, et je me représentai un salon richement meublé, éclairé de brillantes lumières, étincelant de dorures; dans ce salon, des jeunes filles élégamment vêtues recevant et prodiguant mille politesses mondaines. Puis mon regard se porta sur la pauvre malade que je soutenais. Au lieu d'une mélodie, j'entendais de temps à autre ses gémissements plaintifs; au lieu de dorures, je voyais les briques de notre cloître austère à peine éclairé d'une faible lueur.
Ce contraste impressionna doucement mon âme. Le Seigneur l'illumina des rayons de la vérité qui surpassent tellement l'éclat ténébreux des plaisirs de la terre que, pour jouir mille ans de ces fêtes mondaines, je n'aurais pas donné les dix minutes employées à mon acte de charité.
Ah! si déjà dans la souffrance, au sein du combat, on peut goûter de semblables délices en pensant que Dieu nous a retirées du monde, que sera-ce là-haut lorsque nous verrons, au milieu d'une gloire éternelle et d'un repos sans fin, la grâce incomparable qu'il nous a faite en nous choisissant pour habiter dans sa maison, véritable portique des cieux?
Ce n'est pas toujours avec ces transports d'allégresse que j'ai pratiqué la charité; mais, au commencement de ma vie religieuse, Jésus voulut me faire sentir combien il est doux de le voir dans l'âme de ses épouses: aussi, lorsque je conduisais ma sœur Saint-Pierre, c'était avec tant d'amour, qu'il m'eût été impossible de mieux faire si j'avais conduit Nôtre-Seigneur lui-même.
La pratique de la charité ne m'a pas toujours été si douce, je vous le disais à l'instant, ma Mère chérie. Pour vous le prouver, je vais vous raconter, entre bien d'autres, quelques-uns de mes combats.
Longtemps, à l'oraison, je ne fus pas éloignée d'une sœur qui ne cessait de remuer, ou son chapelet, ou je ne sais quelle autre chose; peut-être n'y avait-il que moi à l'entendre, car j'ai l'oreille extrêmement fine; mais dire la fatigue que j'en éprouvais serait chose impossible! J'aurais voulu tourner la tête pour regarder la coupable et faire cesser son tapage; cependant au fond du cœur, je sentais qu'il valait mieux souffrir cela patiemment pour l'amour du bon Dieu d'abord, et puis aussi pour éviter une occasion de peine.
Je restais donc tranquille, mais parfois la sueur m'inondait, et j'étais obligée de faire simplement une oraison de souffrance. Enfin je cherchais le moyen de souffrir avec paix et joie, au moins dans l'intime de l'âme; alors je tâchais d'aimer ce petit bruit désagréable. Au lieu d'essayer de ne pas l'entendre,—chose impossible—je mettais mon attention à le bien écouter, comme s'il eût été un ravissant concert; et mon oraison, qui n'était pas celle de quiétude, se passait à offrir ce concert à Jésus.
Une autre fois, je me trouvais à la buanderie devant une sœur qui, tout en lavant les mouchoirs, me lançait de l'eau sale à chaque instant. Mon premier mouvement fut de me reculer en m'essuyant le visage, afin de montrer à celle qui m'aspergeait de la sorte qu'elle me rendrait service en se tenant tranquille; mais aussitôt je pensai que j'étais bien sotte de refuser des trésors que l'on m'offrait si généreusement, et je me gardai bien de faire paraître mon ennui. Je fis tous mes efforts, au contraire, pour désirer recevoir beaucoup d'eau sale, si bien qu'au bout d'une demi-heure, j'avais vraiment pris goût à ce nouveau genre d'aspersion, et je me promis de revenir autant que possible à cette place fortunée où l'on servait gratuitement tant de richesses.
Ma Mère, vous voyez que je suis une très petite âme qui ne peut offrir au bon Dieu que de très petites choses; encore m'arrive-t-il souvent de laisser échapper ces petits sacrifices qui donnent tant de paix au cœur; mais cela ne me décourage pas, je supporte d'avoir un peu moins de paix et je tâche d'être plus vigilante une autre fois.
Ah! que le Seigneur me rend heureuse! Qu'il est facile et doux de le servir sur la terre! Oui, toujours, je le répète, il m'a donné ce que j'ai désiré, ou plutôt il m'a fait désirer ce qu'il voulait me donner. Ainsi, peu de temps avant ma terrible tentation contre la foi, je me disais: Vraiment, je n'ai pas de grandes peines extérieures, et, pour en avoir d'intérieures, il faudra que le bon Dieu change ma voie; je ne crois pas qu'il le fasse. Pourtant je ne puis toujours vivre ainsi dans le repos. Quel moyen donc trouvera-t-il?
La réponse ne se fit pas attendre; elle me montra que Celui que j'aime n'est jamais à court de moyens; car, sans changer ma voie, il me donna cette grande épreuve qui vint mêler bientôt une salutaire amertume à toutes mes douceurs.
«Dans le cœur de l'Eglise, ma Mère, je serai l'Amour...—Mes frères travaillent à ma place, et moi, petite enfant, je me tiens près du trône royal. Je jette les fleurs des petits sacrifices, je chante le cantique de l'Amour. J'aime pour ceux qui combattent.»
Deux frères prêtres—Ce qu'elle entend par ces paroles du livre des Cantiques: «Attirez-moi...»—Sa confiance en Dieu.—Une visite du Ciel.—Elle trouve son repos dans l'amour.—Sublime enfance.—Appel à toutes les «petites âmes».
——
Ce n'est pas seulement lorsqu'il veut m'envoyer des épreuves que Jésus me le fait pressentir et désirer. Depuis bien longtemps je gardais un désir qui me paraissait irréalisable: celui d'avoir un frère prêtre. Je pensais souvent que, si mes petits frères ne s'étaient pas envolés au ciel, j'aurais eu le bonheur de les voir monter à l'autel; ce bonheur je le regrettais! Et voilà que le bon Dieu, dépassant mon rêve,—puisque je désirais seulement un frère prêtre qui, chaque jour, pensât à moi au saint autel—m'a unie par les liens de l'âme à deux de ses apôtres. Je veux, ma Mère bien-aimée, vous raconter en détail comment le divin Maître combla mes vœux.
Ce fut notre Mère sainte Thérèse qui m'envoya pour bouquet de fête, en 1895, mon premier frère. C'était un jour de lessive, j'étais bien occupée de mon travail, lorsque Mère Agnès de Jésus[121], alors Prieure, me prit à l'écart et me lut une lettre d'un jeune séminariste, lequel, inspiré disait-il par sainte Thérèse, demandait une sœur qui se dévouât spécialement à son salut et au salut des âmes dont il s'occuperait dans la suite; il promettait d'avoir toujours un souvenir pour celle qui deviendrait sa sœur, quand il pourrait offrir le Saint Sacrifice. Et je fus choisie pour devenir la sœur de ce futur missionnaire.
Ma Mère, je ne saurais vous dire mon bonheur. Mon désir, ainsi comblé d'une façon inespérée, fit naître dans mon cœur une joie que j'appellerai enfantine; car il me faut remonter aux jours de mon enfance pour trouver le souvenir de ces joies si vives que l'âme est trop petite pour les contenir. Jamais, depuis des années, je n'avais goûté ce genre de bonheur; je sentais que de ce côté mon âme était neuve, comme si l'on eût touché en elle des cordes musicales restées jusque-là dans l'oubli.
Comprenant les obligations que je m'imposais, je me mis à l'œuvre, essayant de redoubler de ferveur, et j'écrivis de temps à autre quelques lettres à mon nouveau frère. Sans doute, c'est par la prière et le sacrifice qu'on peut aider les missionnaires, mais parfois, lorsqu'il plaît à Jésus d'unir deux âmes pour sa gloire, il permet qu'elles puissent se communiquer leurs pensées afin de s'exciter à aimer Dieu davantage.
Je le sais, il faut pour cela une volonté expresse de l'autorité; il me semble qu'autrement cette correspondance sollicitée ferait plus de mal que de bien, sinon au missionnaire, du moins à la carmélite continuellement portée par son genre de vie à se replier sur elle-même. Au lieu de l'unir au bon Dieu, cet échange de lettres—même éloigné—lui occuperait inutilement l'esprit; elle s'imaginerait peut-être faire des merveilles, et réellement ne ferait rien du tout que de se procurer, sous couleur de zèle, une distraction superflue.
Mère bien-aimée, me voici partie moi-même, non pas dans une distraction, mais dans une dissertation également superflue... Je ne me corrigerai jamais de ces longueurs qui devront être pour vous si fatigantes à lire! Pardonnez-moi, et permettez que je recommence à la prochaine occasion.
L'année dernière, à la fin de mai, ce fut à votre tour de me donner mon second frère; et sur ma réflexion, qu'ayant offert déjà mes pauvres mérites pour un futur apôtre je croyais ne pouvoir le faire encore aux intentions d'un autre, vous me fîtes cette réponse: que l'obéissance doublerait mes mérites.
Dans le fond de mon âme je pensais bien cela; et, puisque le zèle d'une carmélite doit embrasser le monde, j'espère même, avec la grâce de Dieu, être utile à plus de deux missionnaires. Je prie pour tous, sans laisser de côté les simples prêtres, dont le ministère est aussi difficile parfois que celui des apôtres prêchant les infidèles. Enfin je veux être «fille de l'Eglise» comme notre Mère sainte Thérèse, et prier à toutes les intentions du Vicaire de Jésus-Christ. C'est le but général de ma vie.
Mais, comme je me serais unie spécialement aux œuvres de mes petits frères chéris s'ils eussent vécu, sans délaisser pour cela les grands intérêts de l'Eglise qui embrassent l'univers, ainsi je reste particulièrement unie aux nouveaux frères que Jésus m'a donnés. Tout ce qui m'appartient appartient à chacun d'eux, je sens que Dieu est trop bon, trop généreux pour faire des partages; il est si riche qu'il donne sans mesure ce que je lui demande, bien que je ne me perde pas en de longues énumérations.
Depuis que j'ai seulement deux frères et mes petites sœurs les novices, si je voulais détailler les besoins de chaque âme, les journées seraient trop courtes, et je craindrais fort d'oublier quelque chose d'important. Aux âmes simples il ne faut pas de moyens compliqués, et comme je suis de ce nombre, Nôtre-Seigneur m'a inspiré lui-même un petit moyen très simple d'accomplir mes obligations.
Un jour, après la sainte communion, il m'a fait comprendre cette parole des Cantiques: «Attirez-moi, nous courrons à l'odeur de vos parfums.»[122] O Jésus, il n'est donc pas nécessaire de dire: En m'attirant, attirez les âmes que j'aime. Cette simple parole: «Attirez-moi» suffit! Oui, lorsqu'une âme s'est laissé captiver par l'odeur enivrante de vos parfums, elle ne saurait courir seule, toutes les âmes qu'elle aime sont entraînées à sa suite; c'est une conséquence naturelle de son attraction vers vous!
De même qu'un torrent entraîne après lui, dans les profondeurs des mers, ce qu'il rencontre sur son passage; de même, ô mon Jésus, l'âme qui se plonge dans l'océan sans rivages de votre amour attire après elle tous ses trésors! Seigneur, vous le savez, ces trésors pour moi ce sont les âmes qu'il vous a plu d'unir à la mienne; ces trésors, c'est vous qui me les avez confiés; aussi j'ose emprunter vos propres paroles, celles du dernier soir qui vous vit encore sur notre terre, voyageur et mortel.
Jésus, mon Bien-Aimé! je ne sais pas quel jour mon exil finira... plus d'un soir, peut-être, me verra chanter encore ici-bas vos miséricordes; mais enfin, pour moi aussi viendra le dernier soir... alors je veux pouvoir vous dire:
«Je vous ai glorifié sur la terre, j'ai accompli l'œuvre que vous m'avez donnée à faire, j'ai fait connaître votre Nom à ceux que vous m'avez donnés; ils étaient à vous, et vous me les avez donnés. C'est maintenant qu'ils connaissent que tout ce que vous m'avez donné vient de vous: car je leur ai communiqué les paroles que vous m'avez confiées; ils les ont reçues, et ils ont cru que c'est vous qui m'avez envoyée. Je prie pour ceux que vous m'avez donnés, parce qu'ils sont à vous. Je ne suis plus dans le monde, mais pour eux ils y sont encore, tandis que je retourne à vous. Conservez-les à cause de votre Nom.
«Je vais maintenant à vous; et c'est afin que la joie qui vient de vous soit parfaite en eux que je dis ceci, à présent que je suis dans le monde... Je ne vous prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal. Ils ne sont point du monde, de même que moi je ne suis pas du monde non plus.
«Ce n'est pas seulement pour eux que je prie, mais c'est encore pour ceux qui croiront en vous sur ce qu'ils leur entendront dire.
«Mon Dieu, je souhaite qu'où je serai, ceux que vous m'avez donnés y soient aussi avec moi; et que le monde connaisse que vous les avez aimés comme vous m'avez aimée moi-même.» [123]
Oui, Seigneur, voilà ce que je voudrais répéter après vous avant de m'envoler dans vos bras! C'est peut-être de la témérité; mais non... Depuis longtemps, ne m'avez-vous pas permis d'être audacieuse avec vous? Comme le père de l'enfant prodigue parlant à son fils aîné, vous m'avez dit: «Tout ce qui est à moi est à toi.»[124] Vos paroles, ô Jésus, sont donc à moi, et je puis m'en servir pour attirer sur les âmes qui m'appartiennent les faveurs du Père céleste.
Vous le savez, ô mon Dieu, je n'ai jamais désiré que vous aimer uniquement, je n'ambitionne pas d'autre gloire. Votre amour m'a prévenue dès mon enfance, il a grandi avec moi, et maintenant c'est un abîme dont je ne puis sonder la profondeur.
L'amour attire l'amour, le mien s'élance vers vous, il voudrait combler l'abîme qui l'attire; mais, hélas! ce n'est même pas une goutte de rosée perdue dans l'Océan! Pour vous aimer comme vous m'aimez, il me faut emprunter votre propre amour, alors seulement je trouve le repos. O mon Jésus, il me semble que vous ne pouvez combler une âme de plus d'amour que vous n'avez comblé la mienne, c'est pour cela que j'ose vous demander d'aimer ceux que vous m'avez donnés comme vous m'avez aimée moi-même.
Un jour, au ciel, si je découvre que vous les aimez plus que moi, je m'en réjouirai, reconnaissant dès ce monde que ces âmes le méritent davantage; mais ici-bas, je ne puis concevoir une plus grande immensité d'amour que celle dont il vous a plu de me gratifier, sans aucun mérite de ma part.
Ma Mère, je suis tout étonnée de ce que je viens d'écrire, je n'en avais pas l'intention!
En répétant ce passage du saint Evangile: «Je leur ai commimique les paroles que vous m'avez confiées», je ne pensais pas à mes frères, mais à mes petites sœurs du noviciat; car je ne me crois pas capable d'instruire des missionnaires. Ce que j'écrivais pour eux, c'était la prière de Jésus: «Je ne vous prie pas de les ôter du monde... Je vous prie encore pour ceux qui croiront en vous sur ce qu'ils leur entendront dire.» Comment, en effet, pourrais-je laisser dans l'oubli les âmes qui deviendront leur conquête par la souffrance et la prédication?
Mais je n'ai pas expliqué toute ma pensée sur ce passage des Cantiques sacrés: «Attirez-moi, nous courrons...»
«Personne, a dit Jésus, ne peut venir après moi si mon Père qui m'a envoyé ne l'attire.»[125] Ensuite il nous enseigne qu'il suffit de frapper pour se faire ouvrir, de chercher pour trouver, et de tendre humblement la main pour recevoir. Il ajoute que tout ce qu'on demande à son Père en son Nom, il l'accorde. C'est pour cela sans doute que l'Esprit-Saint, avant la naissance de Jésus, dicta cette prière prophétique: «Attirez-moi, nous courrons...»
Demander d'être attiré, c'est vouloir s'unir d'une manière intime à l'objet qui captive le cœur. Si le feu et le fer étaient doués de raison et que ce dernier dit à l'autre: «Attire-moi», ne prouverait-il pas son désir de s'identifier au feu jusqu'à partager sa substance? Eh bien! voilà justement ma prière. Je demande à Jésus de m'attirer dans les flammes de son amour, de m'unir si étroitement à lui qu'il vive et agisse en moi. Je sens que, plus le feu de l'amour embrasera mon cœur, plus je dirai: «Attirez-moi», plus aussi les âmes qui s'approcheront de la mienne courront avec vitesse à l'odeur des parfums du Bien-Aimé.
Oui, elles courront, nous courrons ensemble; car les âmes embrasées ne peuvent rester inactives. Sans doute, comme sainte Madeleine, elles se tiennent aux pieds de Jésus, écoutant sa parole douce et enflammée. Paraissant ne rien donner, elles donnent bien plus que Marthe qui se tourmente de beaucoup de choses[126]. Ce ne sont pas cependant les travaux de Marthe, mais son inquiétude seule, que Jésus blâme; ces mêmes travaux, sa divine Mère s'y est humblement soumise, puisqu'il lui fallait préparer les repas de la sainte Famille.
Tous les saints ont compris cela, et plus particulièrement peut-être ceux qui remplirent l'univers de l'illumination de la doctrine évangélique. N'est-ce pas dans l'oraison que saint Paul, saint Augustin, saint Thomas d'Aquin, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse et tant d'autres amis de Dieu ont puisé cette science admirable qui ravit les plus grands génies?
Un savant l'a dit: «Donnez-moi un point d'appui et, avec un levier, je soulèverai le monde.» Ce qu'Archimède n'a pu obtenir, les saints l'ont reçu pleinement. Le Tout-Puissant leur a donné un point d'appui: Lui-même, Lui seul! Pour levier, l'oraison qui embrase d'un feu d'amour; et c'est ainsi qu'ils ont soulevé le monde, c'est ainsi que les saints encore militants le soulèvent et le soulèveront jusqu'à la fin des temps.
Ma Mère chérie, il me reste à vous dire ce que j'entends par l'odeur des parfums du Bien-Aimé. Puisque Jésus est remonté au ciel, je ne puis le suivre qu'aux traces qu'il a laissées. Ah! que ces traces sont lumineuses! qu'elles sont divinement embaumées! Je n'ai qu'à jeter les yeux sur le saint Evangile: aussitôt je respire le parfum de la vie de Jésus et je sais de quel côté courir. Ce n'est pas à la première place, mais à la dernière que je m'élance. Je laisse le pharisien monter, et je répète, remplie de confiance, l'humble prière du publicain. Ah! surtout, j'imite la conduite de Madeleine, son étonnante ou plutôt son amoureuse audace qui charme le Cœur de Jésus, séduit le mien!
Ce n'est pas parce que j'ai été préservée du péché mortel que je m'élève à Dieu par la confiance et l'amour. Ah! je le sens, quand même j'aurais sur la conscience tous les crimes qui se peuvent commettre, je ne perdrais rien de ma confiance; j'irais, le cœur brisé de repentir, me jeter dans les bras de mon Sauveur. Je sais qu'il chérit l'enfant prodigue, j'ai entendu ses paroles à sainte Madeleine, à la femme adultère, à la Samaritaine. Non, personne ne pourrait m'effrayer; car je sais à quoi m'en tenir sur son amour et sa miséricorde. Je sais que toute cette multitude d'offenses s'abîmerait en un clin d'œil, comme une goutte d'eau jetée dans un brasier ardent.
Il est rapporté dans la Vie des Pères du désert, que l'un d'eux convertit une pécheresse publique dont les désordres scandalisaient une contrée entière. Cette pécheresse, touchée de la grâce, suivait le saint dans le désert pour y accomplir une rigoureuse pénitence, quand, la première nuit du voyage, avant même d'être rendue au lieu de sa retraite, ses liens mortels furent brisés par l'impétuosité de son repentir plein d'amour; et le solitaire vit, au même instant, son âme portée par les Anges dans le sein de Dieu.
Voilà un exemple bien frappant de ce que je voudrais dire, mais ces choses ne peuvent s'exprimer... Ah! ma Mère, si les âmes faibles et imparfaites comme la mienne sentaient ce que je sens, aucune ne désespérerait d'atteindre le sommet de la montagne de l'Amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l'abandon et la reconnaissance.
«Je n'ai nul besoin, dit-il, des boucs de vos troupeaux, parce que toutes les bêtes des forêts m'appartiennent et les milliers d'animaux qui paissent sur les collines: je connais tous les oiseaux des montagnes.
«Si j'avais faim, ce n'est pas à vous que je le dirais: car la terre et tout ce qu'elle contient est à moi. Est-ce que je dois manger la chair des taureaux et boire le sang des boucs? Immolez a Dieu des sacrifices de louanges et d'actions de graces[127].»
Voilà donc tout ce que Jésus réclame de nous! Il n'a pas besoin de nos œuvres, mais uniquement de notre amour. Ce même Dieu, qui déclare n'avoir nul besoin de nous dire s'il a faim, n'a pas craint de mendier un peu d'eau à la Samaritaine..... Il avait soif!!! Mais en disant: «Donne-moi à boire[128]», c'était l'amour de sa pauvre créature que le Créateur de l'univers réclamait. Il avait soif d'amour!
Oui, plus que jamais Jésus est altéré. Il ne rencontre que des ingrats et des indifférents parmi les disciples du monde; et parmi ses disciples à lui, il trouve, hélas! bien peu de cœurs qui se livrent sans aucune réserve à la tendresse de son Amour infini.
Mère chérie, que nous sommes heureuses de comprendre les intimes secrets de notre Epoux! Ah! si vous vouliez écrire ce que vous en connaissez, nous aurions de belles pages à lire. Mais, je le sais, vous aimez mieux, comme la sainte Vierge, conserver au fond de votre cœur toutes ces choses[129]... A moi, vous dites qu'il est honorable de publier les œuvres du Très-Haut[130]. Je trouve que vous avez raison de garder le silence; il est vraiment impossible de redire avec des paroles terrestres les secrets du ciel!
Pour moi, après avoir tracé toutes ces pages, je trouve n'avoir pas encore commencé. Il y a tant d'horizons divers, tant de nuances variées à l'infini, que la palette du peintre céleste pourra seule, après la nuit de cette vie, me fournir les couleurs divines capables de peindre les merveilles qu'il découvre à l'œil de mon âme.
Cependant, ma Mère vénérée, puisque vous me témoignez le désir de connaître à fond, autant que possible, tous les sentiments de mon cœur, puisque vous voulez que je mette par écrit le rêve le plus consolant de ma vie, je terminerai l'histoire de mon âme par cet acte d'obéissance. Si vous le permettez, c'est à Jésus que je m'adresserai; de la sorte, je parlerai plus facilement. Vous trouverez peut-être mes expressions exagérées; pourtant, je vous assure qu'il n'y a aucune exagération dans mon cœur: tout y est calme et reposé.
O Jésus, qui pourra dire avec quelle tendresse, quelle douceur vous conduisez ma petite âme!...
L'orage grondait bien fort en elle depuis la belle fête de votre triomphe, la radieuse fête de Pâques; lorsqu'un des jours du mois de mai, vous avez fait luire dans ma sombre nuit un pur rayon de votre grâce...
Pensant aux songes mystérieux que vous accordez parfois à vos privilégiés, je me disais que cette consolation n'était pas faite pour moi; que, pour moi, c'était la nuit, toujours la nuit profonde! Et sous l'orage, je m'endormis.
Le lendemain, 10 mai, aux premières lueurs de l'aurore, je me trouvai, pendant mon sommeil, dans une galerie où je me promenais seule avec notre Mère. Tout à coup, sans savoir comment elles étaient entrées, j'aperçus trois carmélites revêtues de leurs manteaux et grands voiles, et je compris qu'elles venaient du ciel. «Ah! que je serais heureuse, pensai-je, de voir le visage d'une de ces carmélites!» Comme si ma prière eût été entendue, la plus grande des saintes s'avança vers moi et je tombai à genoux. O bonheur! elle leva son voile, ou plutôt le souleva et m'en couvrit.
Sans aucune hésitation, je reconnus la Vénérable Mère Anne de Jésus, fondatrice du Carmel en France[131]. Son visage était beau, d'une beauté immatérielle; aucun rayon ne s'en échappait, et cependant, malgré le voile épais qui nous enveloppait toutes les deux, je voyais ce céleste visage éclairé d'une lumière ineffablement douce qu'il semblait produire de lui-même.
La sainte me combla de caresses et, me voyant si tendrement aimée, j'osai prononcer ces paroles: «O ma Mère, je vous en supplie, dites-moi si le bon Dieu me laissera longtemps sur la terre? Viendra-t-il bientôt me chercher?» Elle sourit avec tendresse.—«Oui, bientôt... bientôt... Je vous le promets.»—«Ma Mère, ajoutai-je, dites-moi encore si le bon Dieu ne me demande pas autre chose que mes pauvres petites actions et mes désirs; est-il content de moi?»
A ce moment, le visage de la Vénérable Mère resplendit d'un éclat nouveau, et son expression me parut incomparablement plus tendre.—«Le bon Dieu ne demande rien autre chose de vous, me dit-elle, il est content, très content!...» Et me prenant la tête dans ses mains, elle me prodigua de telles caresses, qu'il me serait impossible d'en rendre la douceur. Mon cœur était dans la joie, mais je me souvins de mes sœurs et je voulus demander quelques grâces pour elles... Hélas! je m'éveillai!
Je ne saurais redire l'allégresse de mon âme. Plusieurs mois se sont écoulés depuis cet ineffable rêve, et cependant le souvenir qu'il me laisse n'a rien perdu de sa fraîcheur, de ses charmes célestes. Je vois encore le regard et le sourire pleins d'amour de cette sainte carmélite, je crois sentir encore les caresses dont elle me combla.
O Jésus, vous aviez commandé aux vents et à la tempête, et il s'était fait un grand calme[132].
A mon réveil, je croyais, je sentais qu'il y a un ciel, et que ce ciel est peuplé d'âmes qui me chérissent et me regardent comme leur enfant. Cette impression reste dans mon cœur, d'autant plus douce que la Vénérable Mère Anne de Jésus m'avait été jusqu'alors, j'ose presque dire indifférente; je ne l'avais jamais invoquée, et sa pensée ne me venait à l'esprit qu'en entendant parler d'elle, chose assez rare.
Et maintenant, je sais, je comprends combien de son côté je lui étais peu indifférente, et cette pensée augmente mon amour, non seulement pour elle, mais pour tous les bienheureux habitants de la céleste patrie.
O mon Bien-Aimé! cette grâce n'était que le prélude des grâces plus grandes encore dont vous vouliez me combler; laissez-moi vous les rappeler aujourd'hui, et pardonnez-moi si je déraisonne en voulant redire mes espérances et mes désirs qui touchent à l'infini... pardonnez-moi et guérissez mon âme en lui donnant ce qu'elle espère!
Etre votre épouse, ô Jésus! être carmélite, être, par mon union avec vous, la mère des âmes, tout cela devrait me suffire. Cependant je sens en moi d'autres vocations: je me sens la vocation de guerrier, de prêtre, d'apôtre, de docteur, de martyr... Je voudrais accomplir toutes les œuvres les plus héroïques, je me sens le courage d'un croisé, je voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l'Eglise.
La vocation de prêtre! Avec quel amour, ô Jésus, je vous porterais dans mes mains lorsque ma voix vous ferait descendre du ciel! avec quel amour je vous donnerais aux âmes! Mais hélas! tout en désirant être prêtre, j'admire et j'envie l'humilité de saint François d'Assise, et je me sens la vocation de l'imiter en refusant la sublime dignité du sacerdoce. Comment donc allier ces contrastes?
Je voudrais éclairer les âmes comme les prophètes, les docteurs. Je voudrais parcourir la terre, prêcher votre Nom et planter sur le sol infidèle votre croix glorieuse, ô mon Bien-Aimé! Mais une seule mission ne me suffirait pas: je voudrais en même temps annoncer l'Evangile dans toutes les parties du monde, et jusque dans les îles les plus reculées. Je voudrais être missionnaire, non seulement pendant quelques années, mais je voudrais l'avoir été depuis la création du monde, et continuer de l'être jusqu'à la consommation des siècles.
Ah! par-dessus tout, je voudrais le martyre. Le martyre! voilà le rêve de ma jeunesse; ce rêve a grandi avec moi dans ma petite cellule du Carmel. Mais c'est là une autre folie; car je ne désire pas un seul genre de supplice, pour me satisfaire il me les faudrait tous...
Comme vous, mon Epoux adoré, je voudrais être flagellée, crucifiée... Je voudrais mourir dépouillée comme saint Barthélémy; comme saint Jean, je voudrais être plongée dans l'huile bouillante; je désire, comme saint Ignace d'Antioche, être broyée par la dent des bêtes, afin de devenir un pain digne de Dieu. Avec sainte Agnès et sainte Cécile, je voudrais présenter mon cou au glaive du bourreau; et comme Jeanne d'Arc, sur un bûcher ardent, murmurer le nom de Jésus!
Si ma pensée se porte sur les tourments inouïs qui seront le partage des chrétiens au temps de l'Antéchrist, je sens mon cœur tressaillir, je voudrais que ces tourments me fussent réservés. Ouvrez, mon Jésus, votre Livre de Vie, où sont rapportées les actions de tous les Saints; ces actions, je voudrais les avoir accomplies pour vous!
A toutes mes folies, qu'allez-vous répondre? Y a-t-il sur la terre une âme plus petite, plus impuissante que la mienne? Cependant, à cause même de ma faiblesse, vous vous êtes plu à combler mes petits désirs enfantins; et vous voulez aujourd'hui combler d'autres désirs plus grands que l'univers...
Ces aspirations devenant un véritable martyre, j'ouvris un jour les épîtres de saint Paul, afin de chercher quelque remède à mon tourment. Les chapitres xii et xiii de la première épître aux Corinthiens me tombèrent sous les yeux. J'y lus que tous ne peuvent être à la fois apôtres, prophètes et docteurs, que l'Eglise est composée de différents membres, et que l'œil ne saurait être en même temps la main.
La réponse était claire, mais ne comblait pas mes vœux et ne me donnait pas la paix. «M'abaissant alors jusque dans les profondeurs de mon néant, je m'élevai si haut que je pus atteindre mon but.»[133] Sans me décourager, je continuai ma lecture et ce conseil me soulagea: «Recherchez avec ardeur les dons les plus parfaits; mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente.»[134]
Et l'Apôtre explique comment tous les dons les plus parfaits ne sont rien sans l'Amour, que la Charité est la voie la plus excellente pour aller sûrement à Dieu. Enfin j'avais trouvé le repos!
Considérant le corps mystique de la sainte Eglise, je ne m'étais reconnue dans aucun des membres décrits par saint Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous. La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que, si l'Eglise avait un corps composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous les organes ne lui manquait pas; je compris qu'elle avait un cœur, et que ce cœur était brûlant d'amour; je compris que l'amour seul faisait agir ses membres, que, si l'amour venait à s'éteindre, les apôtres n'annonceraient plus l'Evangile, les martyrs refuseraient de verser leur sang. Je compris que l'amour renfermait toutes les vocations, que l'amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et tous les lieux, parce qu'il est éternel!
Alors, dans l'excès de ma joie délirante, je me suis écriée: «O Jésus, mon amour! ma vocation, enfin je l'ai trouvée! ma vocation, c'est l'amour! Oui, j'ai trouvé ma place au sein de l'Eglise, et cette place, ô mon Dieu, c'est vous qui me l'avez donnée: dans le cœur de l'Eglise ma Mère, je serai l'amour!... Ainsi je serai tout; ainsi mon rêve sera réalisé!»
Pourquoi parler de joie délirante? Non, cette expression n'est pas juste; c'est plutôt la paix qui devint mon partage, la paix calme et sereine du navigateur apercevant le phare qui lui indique le port. O phare lumineux de l'amour! je sais comment arriver jusqu'à toi, j'ai trouvé le secret de m'approprier tes flammes!
Je ne suis qu'une enfant impuissante et faible; cependant, c'est ma faiblesse même qui me donne l'audace de m'offrir en victime à votre amour, ô Jésus! Autrefois les hosties pures et sans taches étaient seules agréées par le Dieu fort et puissant: pour satisfaire à la justice divine il fallait des victimes parfaites; mais à la loi de crainte a succédé la loi d'amour, et l'amour m'a choisie pour holocauste, moi, faible et imparfaite créature! Ce choix n'est-il pas digne de l'amour? Oui, pour que l'amour soit pleinement satisfait, il faut qu'il s'abaisse jusqu'au néant et qu'il transforme en feu ce néant.
O mon Dieu, je le sais, l'amour ne se paie que par l'amour[135]. Aussi j'ai cherché, j'ai trouvé le moyen de soulager mon cœur en vous rendant amour pour amour.
«Employez les richesses qui rendent injustes à vous faire des amis qui vous reçoivent dans les Tabernacles éternels.»[136] Voilà, Seigneur, le conseil que vous donnez à vos disciples, après leur avoir dit que les enfants de ténèbres sont plus habiles dans leurs affaires que les enfants de lumière[137].
Enfant de lumière, j'ai compris que mes désirs d'être tout, d'embrasser toutes les vocations, étaient des richesses qui pourraient bien me rendre injuste; alors je m'en suis servie à me faire des amis. Me souvenant de la prière d'Elisée au prophète Elie, lorsqu'il lui demanda son double esprit, je me présentai devant les Anges et l'assemblée des Saints et je leur dis: «Je suis la plus petite des créatures, je connais ma misère, mais je sais aussi combien les cœurs nobles et généreux aiment à faire du bien; je vous conjure donc, bienheureux habitants de la cité céleste, de m'adopter pour enfant: à vous seul reviendra la gloire que vous me ferez acquérir; daignez exaucer ma prière, obtenez-moi, je vous en supplie, votre double amour!»
Seigneur, je ne puis approfondir ma demande, je craindrais de me trouver accablée sous le poids de mes désirs audacieux! Mon excuse, c'est mon titre d'enfant: les enfants ne réfléchissent pas à la portée de leurs paroles. Cependant, si leur père, si leur mère montent sur le trône et possèdent d'immenses trésors, ils n'hésitent pas à contenter les désirs des petits êtres qu'ils chérissent plus qu'eux-mêmes. Pour leur faire plaisir, ils font des folies, ils vont même jusqu'à la faiblesse.
Eh bien, je suis l'enfant de la sainte Eglise. L'Eglise est reine puisqu'elle est votre Epouse, ô divin Roi des rois! Ce ne sont pas les richesses et la gloire—même la gloire du ciel—que réclame mon cœur. La gloire, elle appartient de droit à mes frères: les Anges et les Saints. Ma gloire à moi sera le reflet qui rejaillira du front de ma Mère. Ce que je demande, c'est l'amour! Je ne sais plus qu'une chose, vous aimer, ô Jésus! Les œuvres éclatantes me sont interdites, je ne puis prêcher l'Evangile, verser mon sang... qu'importe? Mes frères travaillent à ma place, et moi, petit enfant, je me tiens tout près du trône royal, j'aime pour ceux qui combattent.
Mais comment témoignerai-je mon amour, puisque l'amour se prouve par les œuvres? Eh bien! le petit enfant jettera des fleurs... il embaumera de ses parfums le trône divin, il chantera de sa voix argentine le cantique de l'amour!
Oui, mon Bien-Aimé, c'est ainsi que ma vie éphémère se consumera devant vous. Je n'ai pas d'autre moyen pour vous prouver mon amour que de jeter des fleurs: c'est-à-dire de ne laisser échapper aucun petit sacrifice, aucun regard, aucune parole, de profiter des moindres actions et de les faire par amour. Je veux souffrir par amour et même jouir par amour; ainsi je jetterai des rieurs. Je n'en rencontrerai pas une sans l'effeuiller pour vous... et puis je chanterai, je chanterai toujours, même s'il faut cueillir mes roses au milieu des épines; et mon chant sera d'autant plus mélodieux que ces épines seront plus longues et plus piquantes.
Mais à quoi, mon Jésus, vous serviront mes fleurs et mes chants? Ah! je le sais bien, cette pluie embaumée, ces pétales fragiles et de nulle valeur, ces chants d'amour d'un cœur si petit vous charmeront quand même. Oui, ces riens vous feront plaisir: ils feront sourire l'Eglise triomphante qui, voulant jouer avec son petit enfant, recueillera ces roses effeuillées et, les faisant passer par vos mains divines pour les revêtir d'une valeur infinie, les jettera sur l'Eglise souffrante afin d'en éteindre les flammes; sur l'Eglise militante afin de lui donner la victoire.
O mon Jésus! je vous aime, j'aime l'Eglise ma mère, je me souviens que le plus petit mouvement de pur amour lui est plus utile que toutes les autres œuvres réunies ensemble[138]. Mais le pur amour est-il bien dans mon cœur? Mes immenses désirs ne sont-ils pas un rêve, une folie? Ah! s'il en est ainsi, éclairez-moi; vous le savez, je cherche la vérité. Si mes désirs sont téméraires, faites-les disparaître; car ces désirs sont pour moi le plus grand des martyres. Cependant, je l'avoue, si je n'atteins pas un jour ces régions les plus élevées vers lesquelles mon âme aspire, j'aurai goûté plus de douceur dans mon martyre, dans ma folie, que je n'en goûterai au sein des joies éternelles; à moins que, par un miracle, vous ne m'enleviez le souvenir de mes espérances terrestres. Jésus! Jésus! s'il est si délicieux le désir de l'amour, qu'est-ce donc de le posséder, d'en jouir à jamais?
Comment une âme aussi imparfaite que la mienne peut-elle aspirer à la plénitude de l'amour? Quel est donc ce mystère? Pourquoi ne réservez-vous pas, ô mon unique Ami, ces immenses aspirations aux grandes âmes, aux aigles qui planent dans les hauteurs? Hélas! je ne suis qu'un pauvre petit oiseau couvert seulement d'un léger duvet; je ne suis pas un aigle, j'en ai simplement les yeux et le cœur... Oui, malgré ma petitesse extrême, j'ose fixer le Soleil divin de l'amour, et je brûle de m'élancer jusqu'à lui! Je voudrais voler, je voudrais imiter les aigles; mais tout ce que je puis faire, c'est de soulever mes petites ailes; il n'est pas en mon petit pouvoir de m'envoler.
Que vais-je devenir? Mourir de douleur en me voyant si impuissante? Oh! non, je ne vais pas même m'affliger. Avec un audacieux abandon, je veux rester là, fixant jusqu'à la mort mon divin Soleil. Rien ne pourra m'effrayer, ni le vent, ni la pluie; et, si de gros nuages viennent à cacher l'Astre d'amour, s'il me semble ne pas croire qu'il existe autre chose que la nuit de cette vie, ce sera alors le moment de la joie parfaite, le moment de pousser ma confiance jusqu'aux limites extrêmes, me gardant bien de changer de place, sachant que par delà les tristes nuages mon doux Soleil brille encore!
O mon Dieu! jusque-là je comprends votre amour pour moi; mais, vous le savez, bien souvent je me laisse distraire de mon unique occupation, je m'éloigne de vous, je mouille mes petites ailes à peine formées aux misérables flaques d'eau que je rencontre sur la terre! Alors je gémis comme l'hirondelle[139], et mon gémissement vous instruit de tout, et vous vous souvenez, ô miséricorde infinie, que vous n'êtes pas venue appeler les justes, mais les pécheurs[140].
Cependant, si vous demeurez sourd aux gazouillements plaintifs de votre chétive créature, si vous restez voilé, eh bien! je consens à rester mouillée, j'accepte d'être transie de froid, et je me réjouis encore de cette souffrance pourtant méritée. O mon Astre chéri! oui, je suis heureuse de me sentir petite et faible en votre présence et mon cœur reste dans la paix... je sais que tous les aigles de votre céleste cour me prennent en pitié, qu'ils me protègent, me défendent et mettent en fuite les vautours, image des démons, qui voudraient me dévorer. Ah! je ne les crains pas, je ne suis point destinée à devenir leur proie, mais celle de l'Aigle divin.
O Verbe, ô mon Sauveur! c'est toi l'Aigle que j'aime et qui m'attires: c'est toi qui, t'élançant vers la terre d'exil, as voulu souffrir et mourir afin d'enlever toutes les âmes et de les plonger jusqu'au centre de la Trinité sainte, éternel foyer de l'amour! C'est toi qui, remontant vers l'inaccessible lumière, restes caché dans notre vallée de larmes sous l'apparence d'une blanche hostie, et cela pour me nourrir de ta propre substance. O Jésus! laisse-moi te dire que ton amour va jusqu'à la folie... Comment veux-tu, devant cette folie, que mon cœur ne s'élance pas vers toi? Comment ma confiance aurait-elle des bornes?
Ah! pour toi, je le sais, les Saints ont fait aussi des folies, ils ont fait de grandes choses, puisqu'ils étaient des aigles! Moi, je suis trop petite pour faire de grandes choses, et ma folie, c'est d'espérer que ton amour m'accepte comme victime; ma folie, c'est de compter sur les Anges et les Saints pour voler jusqu'à toi avec tes propres ailes, ô mon Aigle adoré! Aussi longtemps que tu le voudras, je demeurerai les yeux fixés sur toi, je veux être fascinée par ton regard divin, je veux devenir la proie de ton amour. Un jour, j'en ai l'espoir, tu fondras sur moi, et, m'emportant au foyer de l'amour, tu me plongeras enfin dans ce brûlant abîme, pour m'en faire devenir à jamais l'heureuse victime.
O Jésus! que ne puis-je dire à toutes les petites âmes ta condescendance ineffable! Je sens que si, par impossible, tu en trouvais une plus faible que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, pourvu qu'elle s'abandonnât avec une entière confiance à ta miséricorde infinie!
Mais pourquoi ces désirs de communiquer tes secrets d'amour, ô mon Bien-Aimé? N'est-ce pas toi seul qui me les as enseignés, et ne peux-tu pas les révélera d'autres? Oui, je le sais, et je te conjure de le faire; je te supplie d'abaisser ton regard divin sur un grand nombre de petites âmes, je te supplie de te choisir en ce monde une légion de petites victimes, dignes de ton AMOUR!!!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Jésus!
Rappelle-toi les divines tendresses
Dont tu comblas les tout petits enfants;
Je veux aussi recevoir tes caresses.
Ah! donne-moi tes baisers ravissants;
Pour jouir dans les Cieux de ta douce présence
Je saurai pratiquer les vertus de l'enfance;
Tu nous l'as dit souvent:
«Le Ciel est pour l'enfant...»
Rappelle-toi!
Thérèse de l'Enfant-Jésus.
«Je ne veux pas rester inactive au Ciel, mon désir est de travailler encore pour l'Eglise et les âmes. Je le demande a Dieu et je suis certaine qu'il m'exaucera...»
Le Calvaire.—L'essor vers le Ciel.
——
«Il est de la plus haute importance que l'âme s'exerce beaucoup à l'amour, afin que, se consommant rapidement, elle ne s'arrête guère ici-bas, mais arrive promptement à voir son Dieu face à face.»
S. Jean de la Croix.
«Bien des pages de cette histoire ne se liront jamais sur la terre...» Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus l'a dit; et nous le répétons forcément après elle. Il est des souffrances qu'il n'est pas permis, de révéler ici-bas; seul le Seigneur s'est jalousement réservé d'en découvrir le mérite et la gloire dans la claire vision qui déchirera tous les voiles...
Il fit «déborder en l'âme de sa petite épouse les flots de tendresse infinie renfermés dans son Cœur divin»: ce fut là le martyre d'amour que sa voix mélodieuse a si suavement chanté. Mais, «s'offrir en victime à l'amour, ce n'est pas s'offrir aux douceurs, aux consolations...» Thérèse l'éprouva, car le divin Maître la conduisit à travers les âpres sentiers de la douleur; et c'est seulement à son austère sommet qu'elle mourut Victime de Charité.
Nous avons vu combien fut grand le sacrifice de Thérèse lorsqu'elle quitta pour toujours son père, qui l'aimait si tendrement, et la maison de famille où elle avait été si heureuse; mais on pensera peut-être que ce sacrifice lui était bien adouci, puisqu'au Carmel elle retrouvait ses deux sœurs aînées, les chères confidentes de son âme: ce fut au contraire pour la jeune postulante l'occasion des plus sensibles privations.
La solitude et le silence étant rigoureusement gardés, elle ne voyait ses sœurs qu'à l'heure des récréations. Si elle eût été moins mortifiée, souvent elle aurait pu s'asseoir à leurs côtés; mais «elle recherchait de préférence la compagnie des religieuses qui lui plaisaient le moins»; aussi l'on pouvait dire qu'on ignorait si elle affectionnait ses sœurs plus particulièrement.
Quelque temps après son entrée, on la donna comme aide à Sœur Agnès de Jésus, sa «Pauline» tant aimée: ce fut une nouvelle source de sacrifices. Thérèse savait qu'une parole inutile est défendue et jamais elle ne se permit la moindre confidence. «O ma petite Mère! dira-t-elle plus tard, que j'ai souffert alors!... Je ne pouvais vous ouvrir mon cœur, et je pensais que vous ne me connaissiez plus!...»
Après cinq années de ce silence héroïque, Sœur Agnès de Jésus fut élue Prieure. Au soir de l'élection, le cœur de la «petite Thérèse» dut battre de joie, à la pensée que désormais elle pourrait parler à sa «petite Mère» en toute liberté, et, comme autrefois, épancher son âme dans la sienne; mais le sacrifice était devenu l'aliment de sa vie; si elle demanda une faveur, ce fut celle d'être considérée comme la dernière, d'avoir partout la dernière place. Aussi, de toutes les religieuses, ce fut elle qui vit sa Mère Prieure le plus rarement.
Elle voulait vivre la vie du Carmel avec toute la perfection demandée par sa sainte Réformatrice. Bien que plongée dans une habituelle aridité, son oraison était continuelle. Un jour une novice entrant dans sa cellule s'arrêta, frappée de l'expression toute céleste de son visage. Elle cousait avec activité, et cependant semblait perdue dans une contemplation profonde.
«A quoi pensez-vous? lui demanda la jeune sœur.—Je médite le Pater, répondit-elle. C'est si doux d'appeler le bon Dieu notre Père!...» et des larmes brillaient dans ses yeux.
«Je ne vois pas bien ce que j'aurai de plus au ciel que maintenant, disait-elle une autre fois, je verrai le bon Dieu, c'est vrai; mais, pour être avec lui, j'y suis déjà tout à fait sur la terre.»
Une vive flamme d'amour la consumait. Voici ce qu'elle raconte elle-même:
«Quelques jours après mon offrande à l'Amour miséricordieux, je commençais au Chœur l'exercice du Chemin de la Croix, lorsque je me sentis tout à coup blessée d'un trait de feu si ardent que je pensai mourir. Je ne sais comment expliquer ce transport; il n'y a pas de comparaison qui puisse faire comprendre l'intensité de cette flamme. Il me semblait qu'une force invisible me plongeait tout entière dans le feu. Oh! quel feu! quelle douceur!»
Comme la Mère Prieure lui demandait si ce transport était le premier de sa vie, elle répondit simplement:
«Ma Mère, j'ai eu plusieurs transports d'amour, particulièrement une fois, pendant mon noviciat, où je restai une semaine entière bien loin de ce monde; il y avait comme un voile jeté pour moi sur toutes les choses de la terre. Mais je n'étais pas brûlée d'une réelle flamme, je pouvais supporter ces délices sans espérer de voir mes liens se briser sous leur poids; tandis que, le jour dont je parle, une minute, une seconde de plus, mon âme se séparait du corps... Hélas! je me retrouvai sur la terre, et la sécheresse, immédiatement, revint habiter mon cœur!»
Encore un peu, douce victime d'amour. La main divine a retiré son javelot de feu, mais la blessure est mortelle...
Dans cette intime union avec Dieu, Thérèse acquit sur ses actes un empire vraiment remarquable; toutes les vertus s'épanouirent à l'envi dans le délicieux jardin de son âme.
Et qu'on ne croie pas que cette magnifique efflorescence de beautés surnaturelles grandit sans aucun effort.
«Il n'est point sur la terre de fécondité sans souffrance: souffrances physiques, angoisses privées, épreuves connues de Dieu ou des hommes. Lorsqu'à la lecture de la vie des Saints germent en nous les pieuses pensées, les résolutions généreuses, nous ne devons pas nous borner, comme pour les livres profanes, à solder un tribut quelconque d'admiration au génie de leurs auteurs; mais plus encore songer au prix dont, sans nul doute, ils ont payé le bien surnaturel produit par eux en chacun de nous[141].»
Et, si aujourd'hui «la petite sainte» opère dans les cœurs des transformations merveilleuses, si le bien qu'elle fait sur la terre est immense, on peut croire en toute vérité qu'elle l'a acheté au prix même dont Jésus a racheté nos âmes: la souffrance et la croix.
Une de ses moindres souffrances ne fut pas la lutte courageuse qu'elle entreprit contre elle-même, refusant toute satisfaction aux exigences de sa fière et ardente nature. Toute enfant, elle avait pris l'habitude de ne jamais s'excuser ni se plaindre; au Carmel, elle voulut être la petite servante de ses sœurs.
Dans cet esprit d'humilité, elle s'efforçait d'obéir à toutes indistinctement.
Un soir, pendant sa maladie, la communauté devait se réunir à l'ermitage du Sacré-Cœur pour chanter un cantique. Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, déjà minée par la fièvre, s'y était péniblement rendue; elle y arriva épuisée et dut s'asseoir aussitôt. Une religieuse lui fit signe de se lever pour chanter le cantique. Sans hésiter, l'humble enfant se leva et, malgré la fièvre et l'oppression, resta debout jusqu'à la fin.
L'infirmière lui avait conseillé de faire tous les jours une petite promenade d'un quart d'heure dans le jardin. Ce conseil devenait un ordre pour elle. Un après-midi, une sœur, la voyant marcher avec beaucoup de peine, lui dit: «Vous feriez bien mieux de vous reposer, votre promenade ne peut vous être profitable dans de pareilles conditions, vous vous épuisez, voilà tout!—C'est vrai, répondit cette enfant d'obéissance, mais savez-vous ce qui me donne des forces?... Eh bien! je marche pour un missionnaire. Je pense que là-bas, bien loin, l'un d'eux est peut-être épuisé dans ses courses apostoliques; et, pour diminuer ses fatigues, j'offre les miennes au bon Dieu.»
Elle donnait à ses novices de sublimes exemples de détachement:
Une année, pour la fête de la Mère Prieure, nos familles et les ouvriers du monastère avaient envoyé des gerbes de fleurs. Thérèse les disposait avec goût, quand une sœur converse lui dit d'un ton mécontent: «On voit bien que ces gros bouquets-là ont été donnés par votre famille; ceux des pauvres gens vont encore être dissimulés!» Un doux sourire fut la seule réponse de la sainte carmélite. Aussitôt, malgré le peu d'harmonie qui devait résulter du changement, elle mit au premier rang les bouquets des pauvres.
Pleine d'admiration devant une si grande vertu, la sœur alla s'accuser de son imperfection à la Révérende Mère Prieure, louant hautement la patience et l'humilité de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Aussi, quand la «Petite Reine» eut quitté la terre d'exil pour le royaume de son Epoux, cette même sœur, pleine de foi en sa puissance, approcha son front des pieds glacés de la virginale enfant, lui demandant pardon de sa faute d'autrefois. Au même instant, elle se sentit guérie d'une anémie cérébrale qui, depuis de longues années, lui interdisait tout travail intellectuel, même la lecture et l'oraison mentale.
Loin de fuir les humiliations, elle les recherchait avec empressement; c'est ainsi qu'elle s'offrit pour aider une sœur que l'on savait difficile à satisfaire; sa proposition généreuse fut acceptée. Un jour qu'elle venait de subir bien des reproches, une novice lui demanda pourquoi elle avait l'air si heureux. Quelle ne fut pas sa surprise en entendant cette réponse: «C'est que ma Sœur *** vient de me dire des choses désagréables. Oh! qu'elle m'a fait plaisir! Je voudrais maintenant la rencontrer afin de pouvoir lui sourire.» Au même instant cette sœur frappe à la porte, et la novice émerveillée put voir comment pardonnent les saints.
«Je planais tellement au-dessus de toutes choses, dira-t-elle plus tard, que je m'en allais fortifiée des humiliations.»
A toutes ces vertus, elle joignait un courage extraordinaire. Dès son entrée, à quinze ans, sauf les jeûnes, on lui laissa suivre toutes les pratiques de notre règle austère. Parfois, ses compagnes du noviciat remarquaient sa pâleur et essayaient de la faire dispenser, soit de l'Office du soir ou du lever matinal; la vénérée Mère Prieure[142] n'accédait point à leurs demandes: «Une âme de cette trempe, disait-elle, ne doit pas être traitée comme une enfant, les dispenses ne sont pas faites pour elle. Laissez-la, Dieu la soutient. D'ailleurs, si elle est malade, elle doit venir le dire elle-même.»
Mais Thérèse avait ce principe qu'il «faut aller jusqu'au bout de ses forces avant de se plaindre.» Que de fois elle s'est rendue à Matines avec des vertiges ou de violents maux de tête! «Je puis encore marcher, se disait-elle, eh bien, je dois être à mon devoir!» Et, grâce à cette énergie, elle accomplissait simplement des actes héroïques.
Son estomac délicat s'accommodait difficilement de la nourriture frugale du Carmel; certains aliments la rendaient malade; mais elle savait si bien le cacher que personne ne le soupçonna jamais. Sa voisine de table dit avoir, en vain, essayé de deviner quels étaient les mets de son goût. Aussi, les sœurs de la cuisine, la voyant si peu difficile, lui servaient invariablement les restes.
C'est seulement pendant sa dernière maladie, lorsqu'on lui ordonna de dire ce qui lui faisait mal, que sa mortification fut dévoilée.
«Quand Jésus veut qu'on souffre, disait-elle alors, il faut absolument en passer par là. Ainsi, pendant que ma sœur Marie du Sacré-Cœur (sa sœur Marie) était provisoire, elle s'efforçait de me soigner avec la tendresse d'une mère, et je paraissais bien gâtée! Pourtant que de mortifications elle me faisait faire! car elle me servait selon ses goûts, absolument opposés aux miens!»
Son esprit de sacrifice était universel. Tout ce qu'il y avait de plus pénible et de moins agréable, elle s'empressait de le saisir comme la part qui lui était due; tout ce que Dieu lui demandait, elle le lui donnait, sans retour sur elle-même.
«Pendant mon postulat, dit-elle, il me coûtait beaucoup de faire certaines mortifications extérieures, en usage dans nos monastères; mais jamais je n'ai cédé à mes répugnances: il me semblait que le Crucifix du préau me regardait avec des yeux suppliants et me mendiait ces sacrifices.»
Sa vigilance était telle qu'elle ne laissait inobservés aucune des recommandations de sa Mère Prieure, aucun de ces petits règlements qui rendent la vie religieuse si méritoire. Une sœur ancienne, ayant remarqué sa fidélité extraordinaire sur ce point, la considéra dès lors comme une sainte.
Elle se plaît à dire qu'elle ne faisait pas de grandes pénitences: c'est que sa ferveur comptait pour rien celles qui lui étaient permises. Il arriva pourtant qu'elle fut malade pour avoir porté trop longtemps une petite croix de fer dont les pointes s'étaient enfoncées dans sa chair. «Cela ne me serait pas arrivé pour si peu de chose, disait-elle ensuite, si le bon Dieu n'avait voulu me faire comprendre que les macérations des saints ne sont pas faites pour moi, ni pour les petites âmes qui marcheront par la même voie d'enfance.»
Les âmes les plus chéries de mon Père, disait un jour Nôtre-Seigneur à sainte Thérèse, sont celles qu'il éprouve le plus; et la grandeur de leurs épreuves est la mesure de son amour.» Thérèse était une de ces âmes les plus chéries de Dieu; et il allait mettre le comble à son amour en l'immolant dans un cruel martyre.
Nous connaissons l'appel du Vendredi-Saint, 3 avril 1896, où, suivant son expression, elle entendit «comme un lointain murmure qui lui annonçait l'arrivée de l'Epoux.» De longs mois, bien douloureux, devaient s'écouler encore avant cette heure bénie de la délivrance.
Le matin de ce Vendredi-Saint, elle sut si bien faire croire que son crachement de sang serait sans conséquence, que la Mère Prieure lui permit d'accomplir toutes les pénitences prescrites par la règle, ce jour-là. Dans l'après-midi, une novice l'aperçut nettoyant des fenêtres. Elle avait le visage livide et, malgré son énergie, semblait à bout de forces. La voyant si épuisée, cette novice qui la chérissait fondit en larmes, la suppliant de lui permettre de demander pour elle quelque soulagement. Mais sa jeune maîtresse le lui défendit expressément, disant qu'elle pouvait bien supporter une légère fatigue en ce jour où Jésus avait tant souffert pour elle.
Bientôt une toux persistante inquiéta la Révérende Mère. Elle soumit sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus à un régime fortifiant, et la toux disparut pour quelques mois.
«Vraiment, disait alors notre chère petite sœur, la maladie est une trop lente conductrice, je ne compte que sur l'amour.»
Fortement tentée de répondre à l'appel du Carmel d'Hanoï qui la demandait avec instances, elle commença une neuvaine au vénérable Théophane Vénard, dans le but d'obtenir sa complète guérison. Hélas! cette neuvaine devint le point de départ d'un état des plus graves.
Après avoir, comme Jésus, passé dans le monde en faisant le bien; après avoir été oubliée, méconnue comme lui, notre petite sainte allait à sa suite gravir un douloureux Calvaire.
Habituée à la voir toujours souffrir, et cependant rester toujours vaillante, sa Mère Prieure, inspirée de Dieu sans doute, lui permit de suivre les exercices de communauté dont certains la fatiguaient extrêmement.
Le soir venu, l'héroïque enfant devait monter seule l'escalier du dortoir; s'arrêtant à chaque marche pour reprendre haleine, elle regagnait péniblement sa cellule, et y arrivait tellement épuisée qu'il lui fallait parfois—elle l'avoua plus tard—une heure pour se déshabiller. Et, après tant de fatigues, c'était sur sa dure paillasse qu'il lui fallait passer le temps du repos.
Aussi les nuits étaient-elles très mauvaises; et, comme on lui demandait si quelque secours ne lui était pas nécessaire dans ces heures de souffrance: «Oh! non, répondit-elle; je m'estime bien heureuse, au contraire, de me trouver dans une cellule assez retirée pour n'être pas entendue de mes sœurs. Je suis contente de souffrir seule; dès que je suis plainte et comblée de délicatesses, je ne jouis plus.»
Sainte enfant!... Quel empire aviez-vous donc acquis sur vous-même pour pouvoir dire en toute vérité ces sublimes paroles!... Ainsi, ce qui nous cause à nous tant de déplaisir: l'oubli des créatures, devenait votre jouissance!..... Ah! comme votre divin Epoux savait bien vous la ménager cette amère jouissance qui vous était si douce!
On lui faisait souvent des pointes de feu sur le côté. Un jour qu'elle en avait particulièrement souffert, elle se reposait dans sa cellule pendant la récréation. Elle entendit alors à la cuisine une sœur parler d'elle en ces termes: «Ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus va bientôt mourir; et je me demande vraiment ce que notre Mère en pourra dire après sa mort. Elle sera bien embarrassée, car cette petite sœur, tout aimable qu'elle est, n'a pour sur rien fait qui vaille la peine d'être raconté.»
L'infirmière qui avait tout entendu lui dit:
«Si vous vous étiez appuyée sur l'opinion des créatures, vous seriez bien désillusionnée aujourd'hui.
—L'opinion des créatures! ah! heureusement le bon Dieu m'a toujours fait la grâce d'y être absolument indifférente. Ecoutez une petite histoire qui a achevé de me montrer ce qu'elle vaut:
«Quelques jours après ma prise d'habit, j'allais chez notre Mère. Une sœur du voile blanc qui s'y trouvait dit en m'apercevant: «Ma Mère, vous avez reçu là une novice qui vous fait honneur! A-t-elle bonne mine! J'espère qu'elle suivra longtemps la règle!» J'étais toute contente du compliment, quand une autre sœur du voile blanc, arrivant à son tour, dit: «Mais, ma pauvre petite sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, que vous avez l'air fatigué! Vous avez une mine qui fait trembler; si cela continue vous ne suivrez pas longtemps la règle!...» Je n'avais pourtant que seize ans; mais cette petite anecdote me donna une expérience telle, que depuis je ne comptai plus pour rien l'opinion si variable des créatures.
—On dit que vous n'avez jamais beaucoup souffert?»
Souriant alors, et montrant un verre contenant une potion d'un rouge éclatant:
«Voyez-vous ce petit verre, dit-elle, on le croirait plein d'une liqueur délicieuse; en réalité, je ne prends rien de plus amer. Eh bien, c'est l'image de ma vie: aux yeux des autres, elle a toujours revêtu les plus riantes couleurs; il leur a semblé que je buvais une liqueur exquise; et c'était de l'amertume! Je dis, de l'amertume, et pourtant ma vie n'a pas été amère, car j'ai su faire ma joie et ma douceur de toute amertume.
—Vous souffrez beaucoup en ce moment, n'est-ce pas?
—Oui, mais je l'ai tant désiré!»
«Que nous avons de peine de vous voir tant souffrir, et de penser que peut-être vous souffrirez davantage encore», lui disaient ses novices.
—Oh! ne vous affligez pas pour moi, j'en suis venue à ne plus pouvoir souffrir, parce que toute souffrance m'est douce. D'ailleurs, vous avez bien tort de penser à ce qui peut arriver de douloureux dans l'avenir, c'est comme se mêler de créer! Nous qui courons dans la voie de l'amour, il ne faut jamais nous tourmenter de rien. Si je ne souffrais pas de minute en minute, il me serait impossible de garder la patience; mais je ne vois que le moment présent, j'oublie le passé et je me garde bien d'envisager l'avenir. Si on se décourage, si parfois on désespère, c'est parce qu'on pense au passé et à l'avenir. Cependant, priez pour moi: souvent, lorsque je supplie le Ciel de venir à mon secours, c'est alors que je suis Je plus délaissée!
—Comment faites-vous pour ne pas vous décourager dans ces délaissements?
—Je me tourne vers le bon Dieu, vers tous les saints, et je les remercie quand même; je croîs qu'ils veulent voir jusqu'où je pousserai mon espérance... Mais ce n'est pas en vain que la parole de Job est entrée dans mon cœur: «Quand même Dieu me tuerait, j'espérerais encore en lui[143]!» Je l'avoue, j'ai été longtemps avant de m'établir à ce degré d'abandon; maintenant j'y suis, le Seigneur m'a prise et m'a posée là!»
«Mon cœur est plein de la volonté de Jésus, disait-elle encore; aussi, quand on verse quelque chose par-dessus, cela ne pénètre pas jusqu'au fond; c'est un rien qui glisse facilement, comme l'huile sur la surface d'une eau limpide. Ah! si mon âme n'était pas remplie d'avance, s'il fallait qu'elle le fût par les sentiments de joie ou de tristesse qui se succèdent si vite, ce serait un flot de douleur bien amer! mais ces alternatives ne font qu'effleurer mon âme; aussi je reste toujours dans une paix profonde que rien ne peut troubler.»
Pourtant son âme était enveloppée d'épaisses ténèbres: ses tentations contre la foi, toujours vaincues et toujours renaissantes, étaient là pour lui enlever tout sentiment de bonheur à la pensée de sa mort prochaine.
«Si je n'avais pas l'épreuve qu'il est impossible de comprendre, disait-elle, je crois que je mourrais de joie à la pensée de quitter bientôt cette terre.»
Le divin Maître voulait, par cette épreuve, achever de la purifier et lui permettre, non plus seulement de marcher à pas rapides, mais de voler dans sa petite voie de confiance et d'abandon. Ses paroles le prouvent à chaque instant:
«Je ne désire pas plus mourir que vivre; si le Seigneur m'offrait de choisir, je ne choisirais rien; je ne veux que ce qu'il veut; c'est ce qu'il fait que j'aime!
«Je n'ai nullement peur des derniers combats, ni des souffrances de la maladie, si grandes soient-elles. Le bon Dieu m'a toujours secourue: il m'a aidée et conduite par la main dès ma plus tendre enfance... je compte sur Lui. La souffrance pourra atteindre les limites extrêmes, mais je suis sûre qu'il ne m'abandonnera jamais.»
Une telle confiance devait exciter la fureur du démon qui, aux derniers moments, met en œuvre toutes ses ruses infernales pour essayer de semer le désespoir dans les cœurs.
«Hier soir, disait-elle à Mère Agnès de Jésus, je fus prise d'une véritable angoisse et mes ténèbres augmentèrent. Je ne sais quelle voix maudite me disait: «Es-tu sûre d'être aimée de Dieu? Est-il venu te le dire? Ce n'est pas l'opinion de quelques créatures qui te justifiera devant lui.»
«Il y avait longtemps que je souffrais de ces pensées lorsqu'on vint m'apporter votre billet vraiment providentiel. Vous me rappeliez, ma Mère, tous les privilèges de Jésus sur mon âme; et, comme si mon angoisse vous eût été révélée, vous me disiez que j'étais grandement chérie de Dieu, et à la veille de recevoir de sa main la couronne éternelle. Déjà le calme et la joie renaissaient dans mon cœur. Cependant je me dis encore: «C'est l'affection de ma petite Mère pour moi qui lui fait écrire ces paroles.» Immédiatement alors je fus inspirée de prendre le saint Evangile, et, l'ouvrant au hasard, mes yeux tombèrent sur ce passage que je n'avais jamais remarqué: «Celui que Dieu a envoyé dit les mêmes choses que Dieu, parce qu'il ne lui a pas communiqué son esprit avec mesure.»[144]
«Je m'endormis ensuite tout à fait consolée. C'est vous, ma Mère, que le bon Dieu a envoyée pour moi, et je dois vous croire, puisque vous dites les mêmes choses que Dieu.»
Dans le courant du mois d'août, elle resta plusieurs jours comme hors d'elle-même, nous conjurant de faire prier pour elle. Jamais nous ne l'avions vue ainsi. Dans cet état d'angoisse inexprimable, nous l'entendions répéter:
«Oh! comme il faut prier pour les agonisants! si l'on savait!
Une nuit, elle supplia l'infirmière de jeter de l'eau bénite sur son lit en disant:
«Le démon est autour de moi; je ne le vois pas, mais je le sens... il me tourmente, il me tient comme avec une main de fer pour m'empêcher de prendre le plus léger soulagement; il augmente mes maux afin que je me désespère... Et je ne puis pas prier! Je puis seulement regarder la Sainte Vierge et dire: Jésus! Combien elle est nécessaire la prière des Compiles: «Procul recedant somnia, et noctium phantasmata! Délivrez-nous des fantômes de la nuit.»
«J'éprouve quelque chose de mystérieux, je ne souffre pas pour moi, mais pour une autre âme..... et le démon ne veut pas.»
L'infirmière, vivement impressionnée, alluma un cierge bénit et l'esprit de ténèbres s'enfuit pour ne plus revenir. Cependant notre petite sœur resta jusqu'à la fin dans de douloureuses angoisses.
Un jour, tandis qu'elle regardait le ciel, on lui fit cette réflexion:
«Bientôt vous habiterez au delà du ciel bleu; aussi avec quel amour vous le contemplez!»
Elle se contenta de sourire et dit ensuite à la Mère Prieure:
«Ma Mère, nos sœurs ne savent pas ma souffrance! En regardant le firmament d'azur, je ne pensais qu'à trouver joli ce ciel matériel; l'autre m'est de plus en plus fermé... J'ai d'abord été affligée de la réflexion que l'on m'a faite, puis une voix intérieure m'a répondu: «Oui, tu regardais le ciel par amour. Puisque ton âme est entièrement livrée à l'amour, toutes tes actions, même les plus indifférentes, sont marquées de ce cachet divin.» A l'instant j'ai été consolée.
En dépit des ténèbres qui l'enveloppaient tout entière, de temps en temps le Geôlier divin entrouvrait la porte de son obscure prison; c'était alors un transport d'abandon, de confiance et d'amour.
Se promenant un jour au jardin, soutenue par une de ses sœurs, elle s'arrêta devant le tableau ravissant d'une petite poule blanche tenant abritée sous ses ailes sa gracieuse famille. Bientôt ses yeux se remplirent de larmes, et, se tournant vers sa chère conductrice, elle lui dit: «Je ne puis rester davantage, rentrons vite...»
Et, dans sa cellule, elle pleura longtemps sans pouvoir articuler une seule parole. Enfin, regardant sa sœur avec une expression toute céleste, elle ajouta:
«Je pensais à Notre-Seigneur, à l'aimable comparaison qu'il a prise pour nous faire croire à sa tendresse. Toute ma vie, c'est cela qu'il a fait pour moi: il m'a entièrement cachée sous ses ailes! Je ne puis rendre ce qui s'est passé dans mon cœur. Ah! le bon Dieu fait bien de se voiler à mes regards, de me montrer rarement et comme «à travers les barreaux[145]» les effets de sa miséricorde; je sens que je ne pourrais en supporter la douceur.»
Nous ne pouvions nous résigner à perdre ce trésor de vertus, et, le 5 juin 1897, nous commençâmes une fervente neuvaine à Notre-Dame des Victoires, espérant qu'une fois encore elle relèverait par un miracle la petite fleur de son amour. Mais elle nous fit la même réponse que le vénérable martyr Théophane, et nous dûmes accepter généreusement la perspective amère d'une prochaine séparation.
Au commencement de juillet, son état devint très grave, et on la descendit enfin à l'infirmerie.
Voyant sa cellule vide, et sachant qu'elle n'y remonterait jamais, Mère Agnès de Jésus lui dit:
«Quand vous ne serez plus avec nous, quelle peine j'aurai en regardant cette cellule!
—Pour vous consoler, ma petite Mère, vous penserez que je suis bien heureuse là-haut, et qu'une grande partie de mon bonheur, je l'ai acquis dans cette petite cellule; car, ajouta-t-elle en levant vers le ciel son beau regard profond, j'y ai beaucoup souffert; j'aurais été heureuse d'y mourir.»
L'infirmerie et la cellule de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus sont marquées d'une †. La première au rez-de-chaussée, la deuxième au premier étage.—La Servante de Dieu, le jour où elle pleura en voyant la petite poule blanche, se trouvait dans la prairie, au premier plan vers la gauche.
Au fond de ce cloître se trouve l'infirmerie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Ou aperçoit le lit où elle mourut et le fauteuil qui fut a son usage pendant sa maladie.
En entrant à l'infirmerie, le regard de Thérèse se tourna d'abord vers la Vierge miraculeuse que nous y avions installée. Il serait impossible de traduire l'expression de ce regard: «Que voyez-vous?» lui dit sa sœur Marie,—celle-là même qui, dans son enfance, fut témoin de son extase et lui servit aussi de mère.—Elle répondit:
«Jamais elle ne m'a paru si belle!... mais aujourd'hui c'est la statue; autrefois, vous savez bien que ce n'était pas la statue...»
Souvent depuis, l'angélique enfant fut consolée de la même manière. Un soir elle s'écria:
«Que je l'aime la Vierge Marie! Si j'avais été prêtre, que j'aurais bien parlé d'elle! On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable. Elle est plus mère que reine! J'ai entendu dire que son éclat éclipse tous les saints, comme le soleil à son lever fait disparaître les étoiles. Mon Dieu! que cela est étrange! Une mère qui fait disparaître la gloire de ses enfants! Moi, je pense tout le contraire; je crois qu'elle augmentera de beaucoup la splendeur des élus... La Vierge Marie! comme il me semble que sa vie était simple!»
Et, continuant son discours, elle nous fit une peinture si suave, si délicieuse de l'intérieur de la sainte Famille, que nous en restâmes dans l'admiration.
Une épreuve bien sensible l'attendait. Depuis le 16 août jusqu'au 30 septembre, jour bienheureux de sa communion éternelle, à cause de vomissements qui se produisaient sans cesse, il ne lui fut plus possible de recevoir la sainte Eucharistie. Le Pain des Anges! qui donc l'avait plus aimé que ce séraphin de la terre? Combien de fois, même en plein hiver de cette dernière année, après ses nuits de cruelles souffrances, la courageuse enfant se leva dès le matin, pour se rendre à la Table sainte! Elle ne croyait jamais acheter trop cher le bonheur de s'unir à son Dieu.
Avant d'être privée de cette nourriture céleste, Notre-Seigneur la visita souvent sur son lit de douleur. La communion du 16 juillet, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, fut particulièrement touchante. Pendant la nuit, elle composa le couplet suivant qui devait être chanté avant la communion:
Toi qui connais ma petitesse extrême,
Tu ne crains pas de t'abaisser vers moi!
Viens en mon cœur, ô Sacrement que j'aime;
Viens en mon cœur... il aspire vers toi.
Je veux, Seigneur, que ta bonté me laisse
Mourir d'amour après cette faveur;
Jésus! entends le cri de ma tendresse,
Viens en mon cœur!
Le matin, au passage du Saint Sacrement, le pavé de nos cloîtres disparaissait sous les fleurs des champs et les roses effeuillées. Un jeune prêtre, devant célébrer, ce jour-là même, sa première Messe dans notre chapelle, porta le Viatique sacré à notre douce malade. Et sœur Marie de l'Eucharistie, dont la voix mélodieuse avait des vibrations célestes, chanta selon son désir:
Mourir d'amour, c'est un bien doux martyre,
Et c'est celui que je voudrais souffrir.
O Chérubins! accordez votre lyre,
Car, je le sens, mon exil va finir...
. . . . . . . . . . .
Divin Jésus, réalise mon rêve:
Mourir d'amour!
Quelques jours après, la petite victime de Jésus se trouva plus mal; et, le 30 juillet, elle reçut l'Extrême-Onction. Toute radieuse elle disait alors:
«La porte de ma sombre prison est entr'ouverte, je suis dans la joie, surtout depuis que notre Père Supérieur m'a assuré que mon âme ressemble aujourd'hui à celle d'un petit enfant après le baptême.»
Sans doute, elle pensait s'envoler bien vite au milieu de la blanche phalange des Saints Innocents. Elle ne savait pas que deux mois de martyre la séparaient encore de sa délivrance.
Un jour, elle dit à la Mère Prieure:
«Ma Mère, je vous en prie, donnez-moi la permission de mourir... Laissez-moi offrir ma vie à telle intention...»
Et, comme cette permission lui était refusée:
«Eh bien, reprit-elle, je sais qu'en ce moment le bon Dieu désire tant une petite grappe de raisin, que personne ne veut lui offrir, qu'il va bien être obligé de venir la voler... Je ne demande rien, ce serait sortir de ma voie d'abandon, je prie seulement la Vierge Marie de rappeler à son Jésus le titre de Voleur qu'il s'est donné lui-même dans le saint Evangile, afin qu'il n'oublie pas de venir me voler.»
Un jour, on lui apporta une gerbe d'épis de blé. Elle en prit un tellement chargé de grains qu'il s'inclinait sur sa tige, et le considéra longtemps... puis elle dit à la Mère Prieure:
«Ma Mère, cet épi est l'image de mon âme: le bon Dieu m'a chargée de grâces pour moi et pour bien d'autres!.... Ah! je veux m'incliner toujours sous l'abondance des dons célestes, reconnaissant que tout vient d'en haut.»
Elle ne se trompait pas: oui, son âme était chargée de grâces... et qu'il semblait facile de distinguer l'Esprit de Dieu se louant lui-même par cette bouche innocente!
Cet Esprit de vérité n'avait-il pas déjà fait écrire à la grande Thérèse d'Avila:
«Avec une humble et sainte présomption, que les âmes arrivées à l'union divine se tiennent en haute estime, qu'elles aient sans cesse devant les yeux le souvenir des bienfaits reçus et se gardent bien de croire faire acte a humilité en ne reconnaissant pas les grâces de Dieu. N'est-il pas clair qu'un souvenir fidèle des bienfaits augmente l'amour envers le bienfaiteur? Comment celui qui ignore les richesses dont il est possesseur pourra-t-il en faire part et les distribuer avec libéralité?»
Ce n'est pas la seule fois que la petite Thérèse de Lisieux prononça des paroles véritablement inspirées.
Au mois d'avril 1895, alors qu'elle était très bien portante, elle fit cette confidence à une religieuse ancienne et digne de foi:
«Je mourrai bientôt; je ne vous dis pas que ce soit dans quelques mois; mais, dans 2 ou 3 ans au plus: je le sens par ce qui se passe dans mon âme.»
Les novices lui témoignaient leur surprise de la voir deviner leurs plus intimes pensées:
«Voici mon secret, leur dit-elle: je ne vous fais jamais d'observations sans invoquer la Sainte Vierge, je lui demande de m'inspirer ce qui doit vous faire le plus de bien; et moi-même je suis souvent étonnée des choses que je vous enseigne. Je sens simplement, en vous les disant, que je ne me trompe pas et que Jésus vous parle par ma bouche.»
Pendant sa maladie, une de ses sœurs venait d'avoir un moment de pénible angoisse, presque de découragement, à la pensée d'une inévitable et prochaine séparation. Entrant aussitôt après à l'infirmerie, sans rien laisser paraître de sa peine, elle fut bien surprise d'entendre notre sainte malade lui dire d'un ton sérieux et triste: «Il ne faudrait pas pleurer comme ceux qui n'ont pas d'espérance!»
Une de nos Mères, étant venue la visiter, lui rendait un léger service. «Que je serais heureuse, pensait-elle, si cet ange me disait: Au Ciel, je vous rendrai cela!»—Au même instant, sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus se tournant vers elle, lui dit: «Ma Mère, au Ciel je vous rendrai cela!»
Mais le plus surprenant, c'est qu'elle paraissait avoir conscience de la mission pour laquelle le Seigneur l'avait envoyée ici-bas. Le voile de l'avenir semblait tombé devant elle; et, plus d'une fois, elle nous en révéla les secrets en des prophéties déjà réalisées:
«Je n'ai jamais donné au bon Dieu que de l'amour, disait-elle, il me rendra de l'amour.—Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses.»
Une Sœur lui parlait de la béatitude du ciel. Elle l'interrompit, disant: «Ce n'est pas cela qui m'attire...
—Quoi donc?
—Oh! c'est l'Amour! Aimer, être aimée, et revenir sur la terre pour faire aimer l'Amour.»
Un soir, elle accueillit Mère Agnès de Jésus avec une expression toute particulière de joie sereine:
«Ma Mère, quelques notes d'un concert lointain viennent d'arriver jusqu'à moi, et j'ai pensé que bientôt j'entendrai des mélodies incomparables; mais cette espérance n'a pu me réjouir qu'un instant; une seule attente fait battre mon cœur: c'est l'amour que je recevrai et celui que je pourrai donner!
«Je sens que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l'aime... de donner ma petite voie aux âmes. Je veux passer mon ciel a faire du bien sur la terre. Ce n'est pas impossible, puisqu'au sein même de la vision béatifique, les anges veillent sur nous. Non, je ne pourrai prendre aucun repos jusqu'à la fin du monde! Mais lorsque l'ange aura dit: «Le temps n'est plus[146]!» alors je me reposerai, je pourrai jouir, parce que le nombre des élus sera complet.
—Quelle petite voie voulez-vous donc enseigner aux âmes?
—Ma Mère, c'est la voie de l'enfance spirituelle, c'est le chemin de la confiance et du total abandon. Je veux leur indiquer les petits moyens qui m'ont si parfaitement réussi; leur dire qu'il n'y a qu'une seule chose à faire ici-bas: jeter à Jésus les fleurs des petits sacrifices, le prendre par des caresses! C'est comme cela que je l'ai pris, et c'est pour cela que je serai si bien reçue!»
«Si je vous induis en erreur avec ma petite voie d'amour, disait-elle à une novice, ne craignez pas que je vous la laisse suivre longtemps. Je vous apparaîtrais bientôt pour vous dire de prendre une autre route; mais, si je ne reviens pas, croyez à la vérité de mes paroles: on n'a jamais trop de confiance envers le bon Dieu, si puissant et si miséricordieux! On obtient de lui tout autant qu'on en espère!...»
La veille de la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel une novice lui dit:
«Si vous alliez mourir demain, après la communion, ce serait une si belle mort qu'elle me consolerait de toute ma peine, il me semble.»
Et Thérèse répondit vivement:
«Mourir après la communion! Un jour de grande fête! Non, il n'en sera pas ainsi: les petites âmes ne pourraient pas imiter cela. Dans ma petite voie, il n'y a que des choses très ordinaires; il faut que tout ce que je fais, les petites âmes puissent le faire.»
Elle écrivait encore à l'un de ses frères missionnaires:
«Ce qui m'attire vers la Patrie des cieux, c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui le béniront éternellement.»
Et une autre fois:
«Je compte bien ne pas rester inactive au Ciel, mon désir est de travailler encore pour l'Eglise et les âmes; je le demande à Dieu et je suis certaine qu'il m'exaucera. Vous voyez que, si je quitte déjà le champ de bataille, ce n'est pas avec le désir égoïste de me reposer. Depuis longtemps la souffrance est devenue mon ciel ici-bas; et j'ai du mal à concevoir comment il me sera possible de m'acclimater dans un pays où la joie règne sans aucun mélange de tristesse. Il faudra que Jésus transforme tout à fait mon âme, autrement je ne pourrais supporter les délices éternelles.»
Oui, la souffrance était devenue son ciel sur la terre; elle lui souriait, comme nous sourions au bonheur.
«Quand je souffre beaucoup, disait-elle, quand il m'arrive des choses pénibles, désagréables, au lieu de prendre un air triste, j'y réponds par un sourire. Au début, je ne réussissais pas toujours; mais maintenant, c'est une habitude que je suis bien heureuse d'avoir contractée.»
Une de nos sœurs doutait de sa patience. Un jour, en la visitant, elle vit sur son visage une expression de joie céleste et voulut en savoir la cause.
«C'est parce que je ressens une très vive douleur, répondit Thérèse; je me suis toujours efforcée d'aimer la souffrance et de lui faire bon accueil.»
«Pourquoi êtes-vous si gaie ce matin?» lui demandait Mère Agnès de Jésus.
—C'est parce que j'ai eu deux petites peines; rien ne me donne de petites joies comme les petites peines.»
Et une autre fois:
«Vous avez eu bien des épreuves aujourd'hui?
—Oui, mais... puisque je les aime!... J'aime tout ce que le bon Dieu me donne.
—C'est affreux ce que vous souffrez?
—Non, ce n'est pas affreux; une petite victime d'amour pourrait-elle trouver affreux ce que son Epoux lui envoie? Il me donne à chaque instant ce que je puis supporter; pas davantage; et si, le moment d'après, il augmente ma souffrance, il augmente aussi ma force.
«Cependant, je ne pourrais jamais lui demander des souffrances plus grandes, car je suis trop petite; elles deviendraient alors mes souffrances à moi, il faudrait que je les supporte toute seule; et je n'ai jamais rien pu faire toute seule.»
Ainsi parlait au lit de mort cette vierge sage et prudente dont la lampe, toujours remplie de l'huile des vertus, brilla jusqu'à la fin.
Si l'Esprit-Saint nous dit au livre des Proverbes: «La doctrine d'un homme se prouve par sa patience»[147], celles qui l'ont entendue peuvent croire à sa doctrine, maintenant qu'elle l'a prouvée par une patience invincible.
A chaque visite, le médecin nous témoignait son admiration: «Ah! si vous saviez ce qu'elle endure! Jamais je n'ai vu souffrir autant avec cette expression de joie surnaturelle. C'est un ange!» Et comme nous lui exprimions notre chagrin à la pensée de perdre un pareil trésor:—«Je ne pourrai la guérir, c'est une âme qui n'est pas faite pour la terre.»
Voyant son extrême faiblesse, il ordonnait des potions fortifiantes. Thérèse s'en attrista d'abord, à cause de leur prix élevé; puis elle nous dit:
«Maintenant je ne m'afflige plus de prendre des remèdes chers, car j'ai lu que sainte Gertrude s'en réjouissait en pensant que tout serait à l'avantage de nos bienfaiteurs, puisque Nôtre-Seigneur a dit: «Ce que vous ferez au plus petit d'entre les miens, c'est à moi-même que vous le ferez.»[148]
«Je suis convaincue de l'inutilité des médicaments pour me guérir, ajoutait-elle; mais je me suis arrangée avec le bon Dieu pour qu'il en fasse profiter de pauvres missionnaires qui n'ont ni le temps, ni les moyens de se soigner.»
Touché des prévenances de sa petite épouse, le Seigneur, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité, l'entourait aussi de ses divines attentions: tantôt, c'étaient des gerbes fleuries envoyées par sa famille, tantôt un petit rouge-gorge qui venait sautiller sur son lit, la regardant d'un air de connaissance et lui faisant mille gentillesses.
«Ma Mère, disait alors notre enfant, je suis profondément émue des délicatesses du bon Dieu pour moi; à l'extérieur, j'en suis comblée... et cependant je demeure dans les plus noires ténèbres!... Je souffre beaucoup... oui, beaucoup! mais avec cela, je suis dans une paix étonnante: tous mes désirs ont été réalisés... je suis pleine de confiance.»
Quelque temps après, elle racontait ce trait touchant:
«Un soir, à l'heure du grand silence, l'infirmière vint me mettre aux pieds une bouteille d'eau chaude et de la teinture d'iode sur la poitrine.
«J'étais consumée par la fièvre, une soif ardente me dévorait. En subissant ces remèdes, je ne pus m'empêcher de me plaindre à Nôtre-Seigneur: «Mon Jésus, lui dis-je, vous en êtes témoin, je brûle et l'on m'apporte encore de la chaleur et du feu! Ah! si j'avais, au lieu de tout cela, un demi-verre d'eau, comme je serais bien plus soulagée!... Mon Jésus! votre petite fille a bien soif! Mais elle est heureuse pourtant de trouver l'occasion de manquer du nécessaire, afin de mieux vous ressembler et pour sauver des âmes.»
«Bientôt l'infirmière me quitta, et je ne comptais plus la revoir que le lendemain matin, lorsqu'à ma grande surprise elle revint quelques minutes après, apportant une boisson rafraîchissante: «Je viens de penser à l'instant que vous pourriez avoir soif, me dit-elle, désormais je prendrai l'habitude de vous offrir ce soulagement tous les soirs.» Je la regardai, interdite, et, quand je fus seule, je me mis à fondre en larmes. Oh! que notre Jésus est bon! Qu'il est doux et tendre! Que son cœur est facile à toucher!»
Une des délicatesses du Cœur de Jésus, qui causèrent le plus de joie à sa petite épouse, fut celle du 6 septembre, jour où, par un fait tout providentiel, nous reçûmes une relique du vénérable Théophane Vénard. Plusieurs fois déjà, elle avait exprimé le désir de posséder quelque chose ayant appartenu à son bienheureux ami; mais, voyant qu'on n'y donnait pas suite, elle n'en parlait plus. Aussi son émotion fut grande quand la Mère Prieure lui remit le précieux objet; elle le couvrit de baisers et ne voulut plus s'en séparer.
Pourquoi donc chérissait-elle à ce point l'angélique missionnaire? Elle le confia à ses sœurs bien-aimées dans un entretien touchant:
«Théophane Vénard est un petit saint, sa vie est tout ordinaire. Il aimait beaucoup la Vierge Immaculée, il aimait beaucoup sa famille.»
Appuyant alors sur ces derniers mots:
«Moi aussi, j'aime beaucoup ma famille! Je ne comprends pas les saints qui n'aiment pas leur famille!... Pour souvenir d'adieu, je vous ai copié certains passages des dernières lettres qu'il écrivit à ses parents; ce sont mes pensées, mon âme ressemble à la sienne.»
Nous transcrivons ici cette lettre que l'on croirait sortie de la plume et du cœur de notre ange:
«Je ne trouve rien sur la terre qui me rende heureuse; mon cœur est trop grand, rien de ce qu'on appelle bonheur en ce monde ne peut le satisfaire. Ma pensée s'envole vers l'éternité, le temps va finir! Mon cœur est paisible comme un lac tranquille ou un ciel serein; je ne regrette pas la vie de ce monde: j'ai soif des eaux de la vie éternelle...
«Encore un peu et mon âme quittera la terre, finira son exil, terminera son combat. Je monte au ciel! Je vais entrer dans ce séjour des élus, voir des beautés que l'œil de l'homme n'a jamais vues, entendre des harmonies que l'oreille n'a jamais entendues, jouir de joies que le cœur n'a jamais goûtées... Me voici rendue à cette heure que chacune de nous a tant désirée! Il est bien vrai que le Seigneur choisit les petits pour confondre les grands de ce monde. Je ne m'appuie pas sur mes propres forces, mais sur la force de Celui qui, sur la croix, a vaincu les puissances de l'enfer.
«Je suis une fleur printanière que le Maître du jardin cueille pour son plaisir. Nous sommes toutes des fleurs plantées sur cette terre et que Dieu cueille en son temps: un peu plus tôt, un peu plus tard... Moi, petite éphémère, je m'en vais la première! Un jour nous nous retrouverons dans le paradis et nous jouirons du vrai bonheur.»
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus,
empruntant les paroles de l'angélique martyr Théophane Vénard.
Vers la fin de septembre, comme on lui rapportait quelque chose de ce qui avait été dit à la récréation, touchant la responsabilité de ceux qui ont charge d'âmes, elles se ranima un instant et prononça ces belles paroles:
«Pour les petits, ils seront jugés avec une extrême douceur[149]!» Il est possible de rester petit, même dans les charges les plus redoutables; et n'est-il pas écrit qu'à la fin «le Seigneur se lèvera pour sauver tous les doux et les humbles de la terre[150]»? Il ne dit pas juger, mais sauver!»
Cependant, le flot de la douleur montait de plus en plus. La faiblesse devint si excessive que, bientôt, la sainte petite malade en fut réduite à ne plus pouvoir faire, sans secours, le plus léger mouvement. Entendre parler près d'elle, même à voix basse, lui devenait une pénible souffrance; la fièvre et l'oppression ne lui permettaient pas d'articuler une seule parole, sans ressentir la plus extrême fatigue. En cet état pourtant, le sourire ne quitta pas ses lèvres. Un nuage passait-il sur son front? c'était la crainte de donner à nos sœurs un surcroît de peine. Jusqu'à l'avant-veille de sa mort elle voulut être seule la nuit. Cependant, son infirmière se levait plusieurs fois, malgré ses instances. En l'une de ses visites, elle la trouva les mains jointes et les yeux élevés vers le ciel.
«Que faites-vous donc ainsi? lui demanda-t-elle; il faudrait essayer de dormir.
—Je ne puis pas, ma sœur, je souffre trop! alors je prie.....
—Et que dites-vous à Jésus?
—Je ne lui dis rien, je l'aime!»
«Oh! que le bon Dieu est bon!... s'écriait-elle parfois. Oui, il faut qu'il soit bien bon pour me donner la force de supporter tout ce que je souffre.»
Un jour elle dit à sa Mère Prieure:
«Ma Mère, je voudrais vous confier l'état de mon âme; mais je ne le puis, je suis trop émue en ce moment.»
Et, le soir, elle lui remit ces lignes, tracées au crayon, d'une main tremblante:
«O mon Dieu, que vous êtes bon pour la petite victime de votre amour miséricordieux! Maintenant même que vous joignez la souffrance extérieure aux épreuves de mon âme, je ne puis dire: «Les angoisses de la mort m'ont environnée.»[151] Mais je m'écrie, dans ma reconnaissance: «Je suis descendue dans la vallée des ombres de la mort, cependant, je ne crains aucun mal, parce que vous êtes avec moi, Seigneur.»[152]
«Quelques-unes croient que vous avez peur de la mort, lui dit sa petite Mère.
—Cela pourra bien arriver, je ne m'appuie jamais sur mes propres pensées, je sais combien je suis faible; mais je veux jouir du sentiment que le bon Dieu me donne maintenant; il sera toujours temps de souffrir du contraire.
«Monsieur l'Aumônier m'a dit: «Etes-vous résignée à mourir?» Je lui ai répondu: «Ah! mon Père, je trouve qu'il n'y a besoin de résignation que pour vivre..... pour mourir, c'est de la joie que j'éprouve.»
«Ne vous faites pas de peine, ma Mère, si je souffre beaucoup, et si je ne manifeste aucun signe de bonheur au dernier moment. Nôtre-Seigneur n'est-il pas mort Victime d'amour, et voyez quelle a été son agonie!...»
Enfin, l'aurore du jour éternel se leva! C'était le jeudi, 30 septembre. Le matin, notre douce victime, parlant de sa dernière nuit d'exil, regarda la statue de Marie en disant:
«Oh! je l'ai priée avec une ferveur!... mais c'est l'agonie toute pure, sans aucun mélange de consolation...
«L'air de la terre me manque, quand est-ce que j'aurai l'air du Ciel?»
A deux heures et demie, elle se redressa sur son lit, ce qu'elle n'avait pu faire depuis plusieurs semaines, et s'écria:
«Ma Mère, le calice est plein jusqu'au bord! Non, je n'aurais jamais cru qu'il fût possible de tant souffrir... Je ne puis m'expliquer cela que par mon désir extrême de sauver des âmes...»
«Tout ce que j'ai écrit sur mes désirs de la souffrance, oh! c'est bien vrai! Je ne me repens pas de m'être livrée à l'amour.»
Elle répéta plusieurs fois ces derniers mots.
Et un peu plus tard:
«Ma Mère, préparez-moi à bien mourir.»
Sa vénérée Prieure l'encouragea par ces paroles:
«Mon enfant, vous êtes toute prête à paraître devant Dieu, parce que vous avez toujours compris la vertu d'humilité.»
Elle se rendit alors ce beau témoignage:
«Oui, je le sens, mon âme n'a jamais recherché que la vérité... oui, j'ai compris l'humilité du cœur!»
A quatre heures et demie, les symptômes de la dernière agonie se manifestèrent. Dès que notre angélique mourante vit entrer la communauté, elle la remercia par le plus gracieux sourire; puis tout entière à l'amour et à la souffrance, tenant le crucifix dans ses mains défaillantes, elle entreprit le combat suprême. Une sueur abondante couvrait son visage; elle tremblait... Mais, comme au sein d'une furieuse tempête le pilote à deux doigts du port ne perd pas courage, ainsi cette âme de foi, apercevant tout près le phare lumineux du rivage éternel, donnait vaillamment les derniers coups de rame pour atteindre le port.
Quand la cloche du monastère tinta l'Angélus du soir, elle fixa sur l'Etoile des mers, la Vierge immaculée, un inexprimable regard. N'était-ce pas le moment de chanter:
Toi, qui vins me sourire au matin de ma vie,
Viens me sourire encor, Mère, voici le soir!
A sept heures et quelques minutes, notre pauvre petite martyre, se tournant vers sa Mère Prieure, lui dit:
«Ma Mère, n'est-ce pas l'agonie?... Ne vais-je pas mourir?...
—Oui, mon enfant, c'est l'agonie, mais Jésus veut peut-être la prolonger de quelques heures.»
Alors, d'une voix douce et plaintive:
«Eh bien... allons... allons... oh! je ne voudrais pas moins souffrir!»
Puis, regardant son crucifix:
«Oh!... Je l'aime!... Mon Dieu, je... vous... aime!!!»
Ce furent ses dernières paroles. Elle venait à peine de les prononcer qu'à notre grande surprise elle s'affaissa tout à coup, la tête penchée à droite, dans l'attitude de ces vierges martyres s'offrant d'elles-mêmes au tranchant du glaive; ou plutôt, comme une victime d'amour, attendant de l'Archer divin la flèche embrasée dont elle veut mourir...
Soudain elle se relève, comme appelée par une voix mystérieuse, elle ouvre les yeux et les fixe, brillants de paix céleste et d'un bonheur indicible, un peu au-dessus de l'image de Marie.
Ce regard se prolongea l'espace d'un Credo, et son âme bienheureuse devenue la proie de l'Aigle divin s'envola dans les cieux....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cet ange nous avait dit quelques jours avant de quitter ce monde: «La mort d'amour que je souhaite, c'est celle de Jésus sur la croix.» Son désir fut pleinement exaucé: les ténèbres, l'angoisse accompagnèrent son agonie. Cependant, ne pouvons-nous pas lui appliquer aussi la prophétie sublime de saint Jean de la Croix, touchant les âmes consommées dans la divine charité:
«Elles meurent dans des transports admirables et des assauts délicieux que leur livre l'amour, comme le cygne dont le chant est plus mélodieux quand il est sur le point de mourir. C'est ce qui faisait dire à David que «la mort des justes est précieuse devant Dieu»: car c'est alors que les fleuves de l'amour s'échappent de l'âme, et s'en vont se perdre dans l'océan de l'amour divin.»
Aussitôt que notre blanche colombe eut pris son essor, la joie du dernier instant s'imprima sur son front; un ineffable sourire animait son visage. Nous lui mîmes une palme à la main; et les lis et les roses entourèrent la dépouille virginale de celle qui emportait au ciel la robe blanche de son baptême empourprée du sang de son martyre d'amour. Le samedi et le dimanche, une foule nombreuse et recueillie ne cessa d'affluer devant la grille du chœur, contemplant dans la majesté de la mort «la petite reine» toujours gracieuse, et lui faisant toucher par centaines: chapelets, médailles, et jusqu'à des bijoux.
Le 4 octobre, jour de l'inhumation, nous la vîmes entourée d'une belle couronne de prêtres; cet honneur lui était dû: elle avait tant prié pour les âmes sacerdotales! Enfin, après avoir été solennellement bénit, ce grain de froment précieux fut jeté dans le sillon par les mains maternelles de la sainte Eglise...
Et qui dira maintenant de combien d'épis mûrs il a porté le germe?... Une fois de plus, elle s'est réalisée magnifiquement la parole du divin Moissonneur: «En vérité, je vous le dis, si le grain de blé étant tombé à terre ne vient à mourir, il demeure seul; mais s'il meurt, IL PORTE BEAUCOUP DE FRUITS..»
Des Anges, ce soir-la, dans l'ombre descendirent,
Pour chercher une sœur et l'emporter aux Cieux;
Sur leurs ailes d'azur, joyeux, ils la ravirent,
Et l'Enfant-Dieu, Jésus, accourait devant eux.
Des Vierges étaient là, pour faire sa conquête,
Et l'ardeur du triomphe en leurs yeux éclatait;
Toutes la regardaient avec un air de fête,
La Vierge Immaculée aussi lui souriait!...
Et, ses liens rompus, parut au milieu d'elles,
Thérèse, belle et jeune, et d'un œil enflammé;
Seule, elle avait le front orné de fleurs nouvelles,
Plus brillantes que l'aube aux premiers jours de mai.
Cette épouse choisie, âme pure et sereine,
Déjà pleine de jours, allait chercher au Ciel,
Au Ciel impatient de la proclamer reine,
De son ardent amour le salaire éternel...
. . . . . . . . . . . . .
Belle ROSE EFFEUILLÉE autrefois sur la terre,
Nous courons à l'odeur de tes parfums si doux.
Toi qui compris l'Amour, donne-nous ta lumière,
Jette encor de Là-Haut tes pétales sur nous!
«Je vous bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux savants et aux sages, et que vous les avez révélées aux plus petits.»
Luc., x, 21.
Nous trouvons dans le portrait que Ribeira nous a laissé de la grande Thérèse de Jésus, les traits sous lesquels est fidèlement peinte la petite Thérèse de l'Enfant-Jésus (sauf de légères modifications indiquées en italique):
«Elle était grande de taille et fort bien faite. Elle avait les yeux pers, les cheveux blonds, les traits fins et réguliers, les mains très belles. Son visage était d'une très belle coupe, bien proportionné, le teint de lis: il s'enflammait quand elle parlait de Dieu et lui donnait une beauté ravissante. Sa figure était ineffablement limpide, tout y respirait une paix céleste. Enfin tout paraissait parfait en elle. Sa démarche était pleine de dignité en même temps gué de simplicité et de grâce; elle était si aimable, si paisible, qu'il suffisait de la voir et de l'entendre pour lui porter du respect et l'aimer.»
——
Dans les entretiens de Thérèse avec ses novices, nous trouvons les plus précieux enseignements.
Je me décourageais à la vue de mes imperfections, raconte l'une d'entre elles, Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus me dit:
«Vous me faites penser au tout petit enfant qui commence à se tenir debout, mais ne sait pas encore marcher. Voulant absolument atteindre le haut d'un escalier pour retrouver sa maman, il lève son petit pied afin de monter la première marche. Peine inutile! il retombe toujours sans pouvoir avancer. Eh bien, soyez ce petit enfant; par la pratique de toutes les vertus, levez toujours votre petit pied pour gravir l'escalier de la sainteté, et ne vous imaginez pas que vous pourrez monter même la première marche! non; mais le bon Dieu ne demande de vous que la bonne volonté. Du haut de cet escalier, il vous regarde avec amour. Bientôt, vaincu par vos efforts inutiles, il descendra lui-même, et, vous prenant dans ses bras, vous emportera pour toujours dans son royaume où vous ne le quitterez plus. Mais, si vous cessez de lever votre petit pied, il vous laissera longtemps sur la terre.»
«Le seul moyen de faire de rapides progrès dans la voie de l'amour, disait-elle encore, est celui de rester toujours bien petite; c'est ainsi que j'ai fait; aussi maintenant je puis chanter avec notre Père saint Jean de la Croix:
Et m'abaissant si bas, si bas,
Je m'élevai si haut, si haut,
Que je pus atteindre mon but!...»
*
* *
Dans une tentation qui me semblait insurmontable, je lui dis: «Cette fois, je ne puis me mettre au-dessus, c'est impossible.» Elle me répondit:
«Pourquoi cherchez-vous à vous mettre au-dessus? passez dessous tout simplement. C'est bon pour les grandes âmes de voler au-dessus des nuages quand l'orage gronde; pour nous, nous n'avons qu'à supporter patiemment les averses. Tant pis si nous sommes un peu mouillées! Nous nous sécherons ensuite au soleil de l'amour.
«Je me rappelle à ce propos ce petit trait de mon enfance: un cheval nous barrait un jour l'entrée du jardin; on parlait autour de moi cherchant à le faire reculer; mais je laissai discuter, et passai tout doucement entre ses jambes... Voilà ce que l'on gagne à garder sa petite taille!»
*
* *
«Nôtre-Seigneur répondait autrefois à la mère des fils de Zébédée: «Pour être à ma droite et à ma gauche, c'est à ceux à qui mon Père l'a destiné.»[153] Je me figure que ces places de choix, refusées à de grands saints, à des martyrs, seront le partage de petits enfants.
«David n'en fait-il pas la prédiction lorsqu'il dit que le petit Benjamin présidera les assemblées (des saints)[154]?»
*
* *
«Vous avez tort de trouver à redire à ceci et à cela, de chercher à ce que tout le monde plie à votre manière de voir. Puisque nous voulons être de petits enfants, les petits enfants ne savent pas ce qui est le mieux, ils trouvent tout bien; imitons-les. D'ailleurs, il n'y a pas de mérite à faire ce qui est raisonnable.»
*
* *
«Mes protecteurs au ciel et mes privilégiés sont ceux qui l'ont volé, comme les saints Innocents et le bon larron. Les grands saints l'ont gagné par leurs œuvres; moi, je veux imiter les voleurs, je veux l'avoir par ruse, une ruse d'amour qui m'en ouvrira l'entrée, à moi et aux pauvres pécheurs. L'Esprit-Saint m'encourage, puisqu'il dit dans les proverbes: «O tout petit! venez, apprenez de moi la finesse.»[155]
*
* *
«Que feriez-vous si vous pouviez recommencer votre vie religieuse?
—Il me semble que je ferais ce que j'ai fait.
—Vous n'éprouvez donc pas le sentiment de ce solitaire qui disait: «Quand même j'aurais vécu de longues années dans la pénitence, tant qu'il me restera un quart d'heure, un souffle de vie, je craindrai de me damner»?
—Non, je ne puis partager cette crainte, je suis trop petite pour me damner, les petits enfants ne se damnent pas.
—Vous cherchez toujours à ressembler aux petits enfants, mais dites-nous donc ce qu'il faut faire pour posséder l'esprit d'enfance? Qu'est-ce donc que rester petit?
—Rester petit, c'est reconnaître son néant, attendre tout du bon Dieu, ne pas trop s'affliger de ses fautes; enfin, c'est ne point gagner de fortune, ne s'inquiéter de rien. Même chez les pauvres, tant que l'enfant est tout petit, on lui donne ce qui lui est nécessaire; mais, quand il a grandi, son père ne veut plus le nourrir et lui dit: «Travaille maintenant! tu peux te suffire à toi-même.» Eh bien! c'est pour ne pas entendre cela que je n'ai jamais voulu grandir, me sentant incapable de gagner ma vie, la vie éternelle!»
*
* *
Afin d'imiter notre angélique Maîtresse, je voulais ne pas grandir, aussi m'appelait-elle «le petit enfant». Pendant une retraite elle m'adressa ces délicieux billets:
«Ne craignez pas de dire à Jésus que vous l'aimez, même sans le sentir, c'est le moyen de le forcer à vous secourir, à vous porter comme un petit enfant trop faible pour marcher.
«C'est une grande épreuve de voir tout en noir, mais cela ne dépend pas de vous complètement, faites ce que vous pourrez pour détacher votre cœur des soucis de la terre, et surtout des créatures; puis, soyez sûre que Jésus fera le reste. Il ne pourra permettre que vous tombiez dans l'abîme. Consolez-vous, petit enfant, au ciel vous ne verrez plus tout en noir mais tout en blanc. Oui, tout sera revêtu de la blancheur divine de notre Epoux, le Lis des vallées. Ensemble, nous le suivrons partout où il ira... Ah! profitons du court instant de la vie! faisons plaisir à Jésus, sauvons-lui des âmes par nos sacrifices. Surtout soyons petites, si petites que tout le monde puisse nous fouler aux pieds, sans même que nous ayons l'air de le sentir et d'en souffrir.»
«Je ne m'étonne pas des défaites du petit enfant; il oublie qu'étant aussi missionnaire et guerrier, il doit se priver de consolations par trop enfantines. Mais que c'est vilain de passer son temps à se morfondre, au lieu de s'endormir sur le Cœur de Jésus!
«Si la nuit fait peur au petit enfant, s'il se plaint de ne pas voir Celui qui le porte, qu'il ferme les yeux: c'est le seul sacrifice que Jésus lui demande. En se tenant ainsi paisible, la nuit ne l'effrayera pas, puisqu'il ne la verra plus; et bientôt le calme, sinon la joie, renaîtra dans son cœur.»
*
* *
Pour m'aider à accepter une humiliation, elle me fit cette confidence:
«Si je n'avais pas été acceptée au Carmel, je serais entrée dans un Refuge, pour y vivre inconnue et méprisée, au milieu des pauvres «repenties». Mon bonheur aurait été de passer pour telle à tous les yeux; et je me serais faite l'apôtre de mes compagnes, leur disant ce que je pense de la miséricorde du bon Dieu...
—Mais comment seriez-vous arrivée à cacher votre innocence au confesseur?
—Je lui aurais dit que j'avais fait dans le monde une confession générale et qu'il m'était défendu de la recommencer.»
*
* *
«Oh! quand je pense à tout ce que j'ai à acquérir!
—Dites plutôt à perdre! C'est Jésus-qui se charge de remplir votre âme, à mesure que vous la débarrassez de ses imperfections. Je vois bien que vous vous trompez de route; vous n'arriverez jamais au terme de votre voyage. Vous voulez gravir une montagne, et le bon Dieu veut vous faire descendre: il vous attend au bas de la vallée fertile de l'humilité.»
*
* *
«Il me semble que l'humilité c'est la vérité. Je ne sais pas si je suis humble, mais je sais que je vois la vérité en toutes choses.»
*
* *
«Vraiment, vous êtes une sainte!
—Non, je ne suis pas une sainte; je n'ai jamais fait les actions des saints: je suis une toute petite âme que le bon Dieu a comblée de grâces... Vous verrez au ciel que je dis vrai.
—Mais vous avez toujours été fidèle aux grâces divines, n'est-ce pas?
—Oui, depuis l'âge de trois ans, je n'ai rien refusé au bon Dieu. Cependant je ne puis m'en glorifier. Voyez comme ce soir le soleil couchant dore le sommet des arbres; ainsi mon âme vous apparaît toute brillante et dorée, parce qu'elle est exposée aux rayons de l'amour. Si le soleil divin ne m'envoyait plus ses feux, je deviendrais aussitôt obscure et ténébreuse.
—Nous voudrions aussi devenir toutes dorées, comment faire?
—Il faut pratiquer les petites vertus. C'est quelquefois difficile, mais le bon Dieu ne refuse jamais la première grâce qui donne le courage de se vaincre; si l'âme y correspond, elle se trouve immédiatement dans la lumière. J'ai toujours été frappée de la louange adressée à Judith: «Vous avez agi avec un courage viril et votre cœur s'est fortifié.»[156] D'abord, il faut agir avec courage; puis le cœur se fortifie, et l'on marche de victoire en victoire.»
*
* *
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus ne levait jamais les yeux au réfectoire, ainsi que le veut le règlement. Comme j'avais beaucoup de mal à m'y astreindre, elle composa cette prière qui me fut une révélation de son humilité, car elle y demande pour elle une grâce dont j'avais seule besoin:
«Jésus, vos deux petites épouses prennent la résolution de tenir les yeux baissés pendant le réfectoire, afin d'honorer et d'imiter l'exemple que vous leur avez donné chez Hérode. Quand ce prince impie se moquait de vous, ô Beauté infinie, pas une plainte ne sortait de vos lèvres, vous ne daigniez pas même fixer sur lui vos yeux adorables. Oh! sans doute, divin Jésus, Hérode ne méritait pas d'être regardé par vous; mais, nous qui sommes vos épouses, nous voulons attirer sur nous vos regards divins. Nous vous demandons de nous récompenser par ce regard d'amour, chaque fois que nous nous priverons de lever les yeux; et même, nous vous prions de ne pas nous refuser ce doux regard quand nous serons tombées, puisque nous nous en humilierons sincèrement devant vous.»
*
* *
Je lui confiais que je n'arrivais à rien; et je m'en décourageais.
«Jusqu'à l'âge de quatorze ans, me dit-elle, j'ai pratiqué la vertu sans en sentir la douceur; je désirais la souffrance, mais je ne pensais pas à en faire ma joie; c'est une grâce qui m'a été accordée plus tard. Mon âme ressemblait à un bel arbre dont les fleurs tombaient aussitôt qu'elles étaient écloses.
«Faites au bon Dieu le sacrifice de ne jamais cueillir de fruits. S'il veut que, toute votre vie, vous sentiez de la répugnance à souffrir, à être humiliée; s'il permet que toutes les fleurs de vos désirs et de votre bonne volonté tombent à terre sans rien produire, ne vous troublez pas. En un clin d'œil, au moment de votre mort, il saura bien faire mûrir de beaux fruits sur l'arbre de votre âme.
«Nous lisons dans l'Ecclésiastique: «Il est tel homme manquant de force et abondant en pauvreté, et l'œil de Dieu l'a regardé en bien, et il l'a relevé de son humiliation, et il a élevé sa tête; beaucoup s'en sont étonnés et ont honore Dieu.
«Confie-toi en Dieu et demeure à ta place, car il est facile au Seigneur d'enrichir tout d'un coup le pauvre. Sa bénédiction se hâte pour la récompense du juste, et en un instant rapide il fait fructifier ses progrès.»[157]
—Mais, si je tombe, on me trouvera toujours imparfaite, tandis qu'à vous, on vous reconnaît de la vertu?
—C'est peut-être parce que je ne l'ai jamais désiré... Mais, qu'on vous trouve toujours imparfaite, c'est ce qu'il faut, c'est là votre gain. Se croire soi-même imparfaite et trouver les autres parfaites, voilà le bonheur. Que les créatures vous reconnaissent sans vertu, cela ne vous enlève rien et ne vous rend pas plus pauvre; ce sont elles qui perdent en joie intérieure! Car il n'y a rien de plus doux que de penser du bien de notre prochain.
«Pour moi, j'éprouve une grande joie, non seulement quand on me trouve imparfaite, mais surtout, quand je sens que je le suis: au contraire, les compliments ne me causent que du déplaisir.»
*
* *
«Le bon Dieu a pour vous un amour particulier, puisqu'il vous confie d'autres âmes.
—Cela ne me donne rien, et je ne suis réellement que ce que je suis devant Dieu... Ce n'est pas parce qu'il veut que je sois son interprète près de vous qu'il m'aime davantage: il me fait plutôt votre petite servante. C'est pour vous et non pour moi qu'il m'a donné les charmes et les vertus qui paraissent à vos yeux.
«Je me compare souvent à une petite écuelle que le bon Dieu remplit de toutes sortes de bonnes choses. Tous les petits chats viennent en prendre leur part; ils se disputent parfois à qui en aura davantage. Mais l'Enfant-Jésus est là qui guette! «Je veux bien que vous buviez dans ma petite écuelle, dit-il, mais prenez garde de la renverser et de la casser!»
«A vrai dire, il n'y pas grand danger, parce que je suis posée à terre. Pour les Prieures, ce n'est pas la même chose: étant placées sur des tables, elles courent beaucoup plus de périls. L'honneur est toujours dangereux.
«Ah! quel poison de louanges est servi journellement à ceux qui tiennent les premières places! Quel funeste encens! et comme il faut qu'une âme soit détachée d'elle-même pour n'en pas éprouver de mal!»
*
* *
«C'est une consolation pour vous de faire du bien, de procurer la gloire de Dieu. Que je voudrais me voir aussi privilégiée!
—Qu'est-ce que cela me fait que le bon Dieu se serve de moi, plutôt que d'une autre, pour procurer sa gloire? Pourvu que son règne s'établisse dans les âmes, peu importe l'instrument. D'ailleurs, il n'a besoin de personne.
«Je regardais, il y a quelque temps, la mèche d'une petite veilleuse presque éteinte. Une de nos sœurs y approcha son cierge; et, par ce cierge, tous ceux de la communauté se trouvèrent allumés. Je fis alors cette réflexion: «Qui donc pourrait se glorifier de ses œuvres? Ainsi, par la faible lueur de cette lampe, il serait possible d'embraser l'univers. Nous croyons souvent recevoir les grâces et les lumières divines par le moyen de cierges brillants; mais d'où ces cierges tiennent-ils leur flamme? Peut-être de la prière d'une âme humble et toute cachée, sans éclat apparent, sans vertu reconnue, abaissée à ses propres yeux, près de s'éteindre.
«Oh! que nous verrons de mystères plus tard! Combien de fois ai-je pensé que je devais peut-être toutes les grâces dont j'ai été comblée aux instances d'une petite âme que je ne connaîtrai qu'au ciel!
«C'est la volonté du bon Dieu qu'en ce monde les âmes se communiquent entre elles les dons célestes par la prière, afin que, rendues dans leur patrie, elles puissent s'aimer d'un amour de reconnaissance, d'une affection bien plus grande encore que celle de la famille la plus idéale de la terre.
«Là, nous ne rencontrerons pas de regards indifférents, parce que tous les saints s'entre-devront quelque chose.
«Nous ne verrons plus de regards envieux; d'ailleurs le bonheur de chacun des élus sera celui de tous. Avec les martyrs, nous ressemblerons aux martyrs; avec les docteurs, nous serons comme les docteurs; avec les vierges, comme les vierges; et de même que les membres d'une même famille sont fiers les uns des autres, ainsi le serons-nous de nos frères, sans la moindre jalousie.
«Qui sait même si la joie que nous éprouverons en voyant la gloire des grands saints, en sachant que, par un secret ressort de la Providence, nous y avons contribué, qui sait si cette joie ne sera pas aussi intense, et plus douce peut-être, que la félicité dont ils seront eux-mêmes en possession?
«Et, de leur côté, pensez-vous que les grands saints, voyant ce qu'ils doivent à de toutes petites âmes, ne les aimeront pas d'un amour incomparable? Il y aura là, j'en suis sûre, des sympathies délicieuses et surprenantes. Le privilégié d'un apôtre, d'un grand docteur, sera peut-être un petit pâtre; et l'ami intime d'un patriarche, un simple petit enfant. Oh! que je voudrais être dans ce royaume d'amour!»
*
* *
«Croyez-moi, écrire des livres de piété, composer les plus sublimes poésies, tout cela ne vaut pas le plus petit acte de renoncement. Cependant, lorsque nous souffrons de notre impuissance à faire le bien, notre seule ressource c'est d'offrir les œuvres des autres. Voilà le bienfait de la communion des Saints. Souvenez-vous de cette belle strophe du Cantique spirituel de notre Père saint Jean de la Croix:
Revenez, ma colombe,
Car le cerf blessé
Apparaît sur le haut de la colline,
Attiré par l'air de votre vol, et il y prend le frais.
«Vous le voyez, l'Epoux, le Cerf blessé n'est pas attiré par la hauteur, mais seulement par l'air du vol, et un simple coup d'aile suffit pour produire cette brise d'amour.»
*
* *
«La seule chose qui ne soit pas soumise à l'envie, c'est la dernière place; il n'y a donc que cette dernière place qui ne soit point vanité et affliction d'esprit. Cependant la voie de l'homme n'est pas toujours en son pouvoir[158]; et, parfois, nous nous surprenons à désirer ce qui brille. Alors, rangeons-nous humblement parmi les imparfaits, estimons-nous de petites âmes que le bon Dieu doit soutenir à chaque instant. Dès qu'il nous voit bien convaincues de notre néant, dès que nous lui disons: «Mon pied a chancelé, votre miséricorde, Seigneur, m'a affermi[159]», il nous tend la main; mais, si nous voulons essayer de faire quelque chose de grand, même sous prétexte de zèle, il nous laisse seules. Il suffit donc de s'humilier, de supporter avec douceur ses imperfections: voilà la vraie sainteté pour nous.»
*
* *
Je me plaignais un jour d'être plus fatiguée que mes sœurs, parce qu'en plus d'un travail commun j'en avais fait un autre qu'on ignorait. Elle me répondit:
«Je voudrais toujours vous voir comme un vaillant soldat qui ne se plaint pas de ses peines, qui trouve très graves les blessures de ses frères, et n'estime les siennes que des égratignures. Pourquoi sentez-vous à ce point cette fatigue? C'est parce que personne ne la connaît...
«La bienheureuse Marguerite-Marie ayant eu deux panaris, disait n'avoir vraiment souffert que du premier, parce qu'il ne lui fut pas possible de cacher le second qui devint ainsi l'objet de la compassion des sœurs.
«Ce sentiment nous est naturel: mais, c'est faire comme le vulgaire de désirer qu'on sache quand nous avons du mal.»
*
* *
«Il ne faut jamais croire, quand nous commettons une faute, que c'est par une cause physique, comme la maladie ou le temps; mais attribuer cette chute à notre imperfection sans jamais nous décourager. Ce ne sont pas les occasions qui rendent l'homme fragile, mais elles montrent ce qu'il est.»[160]
*
* *
«Le bon Dieu n'a pas permis que notre Mère me dît d'écrire mes poésies à mesure que je les composais, et je n'aurais pas voulu le lui demander, de peur de faire une faute contre la pauvreté. J'attendais donc l'heure de temps libre, et ce n'était pas sans une peine extrême que je me rappelais, à huit heures du soir, ce que j'avais composé le matin.
«Ces petits riens sont un martyre, il est vrai; mais il faut bien se garder de le diminuer en se permettant, ou se faisant permettre, mille choses qui nous rendraient la vie religieuse agréable et commode.»
*
* *
Un jour que je pleurais, sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus me dit de m'habituer à ne pas laisser paraître ainsi mes petites souffrances, ajoutant que rien ne rendait la vie de communauté plus triste que l'inégalité d'humeur.
«Vous avez bien raison, lui répondis-je, je l'avais moi-même pensé, et désormais je ne pleurerai plus jamais qu'avec le bon Dieu; à lui seul je confierai mes peines, il me comprendra et me consolera toujours.» Elle reprit vivement:
«Pleurer devant le bon Dieu! gardez-vous d'agir ainsi. Vous devez paraître triste, bien moins encore devant lui que devant les créatures. Comment! ce bon Maître n'a pour réjouir son Cœur que nos monastères; il vient chez nous pour se reposer, pour oublier les plaintes continuelles de ses amis du monde; car le plus souvent sur la terre, au lieu de reconnaître le prix de la Croix, on pleure et on gémit; et vous feriez comme le commun des mortels?... Franchement, ce n'est pas de l'amour désintéressé. C'est à nous de consoler Jésus, ce n'est pas à lui de nous consoler.
«Je le sais, il a si bon cœur que, si vous pleurez, il essuiera vos larmes; mais ensuite il s'en ira tout triste, n'ayant pu se reposer en vous. Jésus aime les cœurs joyeux, il aime une âme toujours souriante. Quand donc saurez-vous lui cacher vos peines, ou lui dire en chantant que vous êtes heureuse de souffrir pour lui?
«Le visage est le reflet de l'âme, ajouta-t-elle, vous devez sans cesse avoir un visage calme et serein, comme un petit enfant toujours content. Lorsque vous êtes seule, agissez encore de même, parce que vous êtes continuellement en spectacle aux Anges.»
*
* *
Je voulais qu'elle me félicitât d'avoir pratiqué un acte de vertu héroïque à mes yeux; mais elle me dit:
«Qu'est ce petit acte de vertu, en comparaison de ce que Jésus a le droit d'attendre de votre fidélité? Vous devriez plutôt vous humilier de laisser échapper tant d'occasions de lui prouver votre amour.»
Peu satisfaite de cette réponse, j'attendais une occasion difficile, pour voir comment sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus s'y comporterait. Cette occasion se présenta bientôt. Notre Révérende Mère nous ayant demande un travail fatigant et sujet à mille contradictions, je me permis malicieusement de lui en augmenter la charge; mais je ne pus un seul instant la trouver en défaut; je la vis toujours gracieuse, aimable, ne comptant pas avec la fatigue. S'agissait-il de se déranger, de servir les autres? elle se présentait avec entrain. A la fin, n'y tenant plus, je me jetai dans ses bras et lui confiai les sentiments qui avaient agité mon âme.
«Comment faites-vous, lui dis-je, pour pratiquer ainsi la vertu, pour être constamment joyeuse, calme et semblable à vous-même?
—Je n'ai pas toujours fait ainsi, me répondit-elle, mais depuis que je ne me recherche jamais, je mène la vie la plus heureuse qu'on puisse voir.»
*
* *
«A la récréation plus qu'ailleurs, disait notre angélique Maîtresse, vous trouverez l'occasion d'exercer votre vertu. Si vous voulez en retirer un grand profit, n'y allez pas avec la pensée de vous récréer, mais avec celle de récréer les autres; pratiquez-y un complet détachement de vous-même. Par exemple, si vous racontez à l'une de vos sœurs une histoire qui vous semble intéressante, et que celle-ci vous interrompe pour vous raconter autre chose, écoutez-la avec intérêt, quand même elle ne vous intéresserait pas du tout, et ne cherchez pas à reprendre votre conversation première. En agissant ainsi, vous sortirez de la récréation avec une grande paix intérieure et revêtue d'une force nouvelle pour pratiquer la vertu; parce que vous n'aurez pas cherché à vous satisfaire, mais à faire plaisir aux autres. Si l'on savait ce que l'on gagne à se renoncer en toutes choses!...
—Vous le savez bien, vous; c'est ainsi que vous avez toujours fait?
—Oui, je me suis oubliée, j'ai tâché de ne me rechercher en rien.»
*
* *
«Il faut être mortifiée lorsqu'on nous sonne, lorsqu'on frappe à notre porte, jusqu'à ne pas faire un point de plus avant de répondre. J'ai pratiqué cela; et je vous assure que c'est une source de paix.»
Après cet avis, lorsque l'occasion se présentait, je me dérangeais promptement. Un jour, pendant sa maladie, elle en fut témoin et me dit:
«Au moment de la mort, vous serez bien heureuse de retrouver cela! Vous venez de faire une action plus glorieuse que si, par des démarches habiles, vous aviez obtenu la bienveillance du gouvernement pour les communautés religieuses, et que toute la France vous acclamât comme Judith!»
*
* *
Interrogée sur sa manière de sanctifier les repas, elle répondit:
«Au réfectoire, nous n'avons qu'une seule chose à faire: accomplir cette action si basse avec des pensées élevées. Je vous l'avoue, c'est souvent au réfectoire qu'il me vient les plus douces aspirations d'amour. Quelquefois, je suis forcée de m'arrêter en songeant que, si Nôtre-Seigneur était à ma place, devant les mets qui me sont servis, il les prendrait certainement... Il est bien probable que, pendant sa vie mortelle, il a goûté aux mêmes aliments; il mangeait du pain, des fruits...
«Voici mes petites rubriques enfantines:
«Je me figure être à Nazareth dans la maison de la sainte Famille. Si l'on me sert, par exemple, de la salade, du poisson froid, du vin ou quelque autre chose qui a le goût fort, je l'offre au bon saint Joseph. A la sainte Vierge, je donne les portions chaudes, les fruits bien mûrs, etc.: et les mets des jours de fête, particulièrement la bouillie, le riz, les confitures, je les offre à l'Enfant-Jésus. Enfin, lorsqu'on m'apporte un mauvais dîner, je me dis gaiement: Aujourd'hui, ma petite fille, tout cela c'est pour toi!»
Elle nous cachait ainsi sa mortification sous des dehors gracieux. Cependant, un jour de jeûne, où notre Révérende Mère lui avait imposé un soulagement, je la surpris assaisonnant d'absinthe cette douceur trop à son goût.
Une autre fois, je la vis boire lentement un exécrable remède.
«Mais dépêchez-vous donc, lui dis-je, buvez cela tout d'un trait!
—Oh! non; ne faut-il pas que je profite des petites occasions qui se rencontrent de me mortifier un peu, puisqu'il m'est interdit d'en chercher de grandes?»
C'est ainsi que, pendant son noviciat,—je l'ai su dans les derniers mois de sa vie—une de nos sœurs, ayant voulu rattacher son scapulaire, lui traversa en même temps l'épaule avec sa grande épingle, souffrance qu'elle endura plusieurs heures avec joie.
Une autre fois, elle me donna une preuve de sa mortification intérieure. J'avais reçu une lettre fort intéressante qu'on avait lue à la récréation en son absence. Le soir, elle me manifesta le désir de la lire à son tour et je la lui donnai. Quelque temps après, comme elle me rendait cette lettre, je la priai de me dire sa pensée au sujet d'une chose qui, particulièrement, avait dû la charmer. Elle parut embarrassée et me répondit enfin:
«Le bon Dieu m'en a demandé le sacrifice, à cause de l'empressement que j'ai témoigné l'autre jour; je ne l'ai pas lue...»
*
* *
Je lui parlais des mortifications des saints, elle me répondit: «Que Nôtre-Seigneur a bien fait de nous prévenir qu'il y a plusieurs demeures dans la maison de son Père! Sans cela il nous l'aurait dit[161]... Oui, si toutes les âmes appelées à la perfection avaient dû, pour entrer au ciel, pratiquer ces macérations, il nous l'aurait dit, et nous nous les serions imposées de grand cœur. Mais il nous annonce qu'il y a plusieurs demeures dans sa maison. S'il y a celle des grandes âmes, celles des Pères du désert et des martyrs de la pénitence, il doit y avoir aussi celle des petits enfants. Notre place est gardée là, si nous l'aimons beaucoup, Lui et notre Père céleste et l'Esprit d'amour.»
*
* *
«Autrefois, dans le monde, en m'éveillant le matin, je pensais à ce qui devait probablement m'arriver d'heureux ou de fâcheux dans la journée; et, si je ne prévoyais que des ennuis, je me levais triste. Maintenant, c'est tout le contraire: je pense aux peines, aux souffrances qui m'attendent; et je me lève d'autant plus joyeuse et pleine de courage, que je prévois plus d'occasions de témoigner mon amour à Jésus et de gagner la vie de mes enfants, puisque je suis mère des âmes. Ensuite je baise mon crucifix, je le pose délicatement sur l'oreiller tout le temps que je m'habille et je lui dis:
«Mon Jésus, vous avez assez travaillé, assez pleuré, pendant les trente-trois années de votre vie sur cette pauvre terre! Aujourd'hui, reposez-vous... C'est à mon tour de combattre et de souffrir.»
*
* *
Un jour de lessive je me rendais à la buanderie sans me presser, regardant en passant les fleurs du jardin. Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus y allait aussi, marchant rapidement. Elle me croisa bientôt et me dit:
«Est-ce ainsi qu'on se dépêche quand on a des enfants à nourrir et qu'on est obligé de travailler pour les faire vivre?»
*
* *
«Savez-vous quels sont mes dimanches et jours de fête?... Ce sont les jours où le bon Dieu m'éprouve davantage.»
*
* *
Je me désolais de mon peu de courage, ma chère petite sœur me dit:
«Vous vous plaignez de ce qui devrait causer votre plus grand bonheur. Où serait votre mérite s'il fallait que vous combattiez seulement quand vous vous sentez du courage? Qu'importe que vous n'en ayez pas, pourvu que vous agissiez comme si vous en aviez! Si vous vous trouvez trop lâche pour ramasser un bout de fil, et que néanmoins vous le fassiez pour l'amour de Jésus, vous avez plus de mérite que si vous accomplissiez une action beaucoup plus considérable dans un moment de ferveur. Au lieu de vous attrister, réjouissez-vous donc de voir qu'en vous laissant sentir votre faiblesse, le bon Jésus vous ménage l'occasion de lui sauver un plus grand nombre d'âmes!»
*
* *
Je lui demandais si Nôtre-Seigneur n'était pas mécontent de moi en voyant toutes mes misères. Elle me répondit:
«Rassurez-vous, Celui que vous avez pris pour Epoux a certainement toutes les perfections désirables; mais, si j'ose le dire, il a en même temps une grande infirmité: c'est d'être aveugle! et il est une science qu'il ne connaît pas: c'est le calcul. Ces deux grands défauts, qui seraient des lacunes fort regrettables dans un époux mortel, rendent le nôtre infiniment aimable.
«S'il fallait qu'il y vit clair et qu'il sût calculer, croyez-vous qu'en présence de tous nos péchés, il ne nous ferait pas rentrer dans le néant? Mais non, son amour pour nous le rend positivement aveugle!
«Voyez plutôt: Si le plus grand pécheur de la terre, se repentant de ses offenses au moment de la mort, expire dans un acte d'amour, aussitôt, sans calculer d'une part les nombreuses grâces dont ce malheureux a abusé, de l'autre tous ses crimes, il ne voit plus, il ne compte plus que sa dernière prière, et le reçoit sans tarder dans les bras de sa miséricorde.
«Mais, pour le rendre ainsi aveugle et l'empêcher de faire la plus petite addition, il faut savoir le prendre par le cœur; c'est là son côté faible...»
*
* *
Je lui avais fait de la peine, et j'allais lui demander pardon. Elle parut très émue et me dit:
«Si vous saviez ce que j'éprouve! Je n'ai jamais aussi bien compris avec quel amour Jésus nous reçoit quand nous lui demandons pardon après une faute! Si moi, sa pauvre petite créature, j'ai senti tant de tendresse pour vous, au moment où vous êtes revenue à moi, que doit-il se passer dans le cœur du bon Dieu quand on revient vers lui!... Oui, certainement, plus vite encore que je ne viens de le faire, il oubliera toutes nos iniquités pour ne plus jamais s'en souvenir... Il fera même davantage: il nous aimera plus encore qu'avant notre faute!...»
*
* *
J'avais une frayeur extrême des jugements de Dieu; et, malgré tout ce qu'elle pouvait me dire, rien ne la dissipait. Je lui posai un jour cette objection: «On nous répète sans cesse que Dieu trouve des taches dans ses anges, comment voulez-vous que je ne tremble pas?» Elle me répondit:
«Il n'y a qu'un moyen pour forcer le bon Dieu à ne pas nous juger du tout, c'est de se présenter devant lui les mains vides.
—Comment cela?
—C'est tout simple: ne faites aucune réserve, donnez vos biens à mesure que vous les gagnez. Pour moi, si je vis jusqu'à quatre-vingts ans, je serai toujours aussi pauvre; je ne sais pas faire d'économies: tout ce que j'ai, je le dépense aussitôt pour acheter des âmes.
«Si j'attendais le moment de la mort pour présenter mes petites pièces et les faire estimer à leur juste valeur, Nôtre-Seigneur ne manquerait pas d'y découvrir de l'alliage que j'irais certainement déposer en purgatoire.
«N'est-il pas raconté que de grands saints, arrivant au tribunal de Dieu les mains chargées de mérites, s'en vont quelquefois dans ce lieu d'expiation, parce que toute justice est souillée aux yeux du Seigneur?
—Mais, repris-je, si Dieu ne juge pas nos bonnes actions, il jugera nos mauvaises, et alors?
—Que dites-vous là? Nôtre-Seigneur est la Justice même; s'il ne juge pas nos bonnes actions, il ne jugera pas nos mauvaises. Pour les victimes de l'amour, il me semble qu'il n'y aura pas de jugement; mais plutôt que le bon Dieu se hâtera de récompenser, par des délices éternelles, son propre amour qu'il verra brûler dans leur cœur.
—Pour jouir de ce privilège, croyez-vous qu'il suffise de faire l'acte d'offrande que vous avez composé?
—Oh! non, les paroles ne suffisent pas... Pour être véritablement victime d'amour, il faut se livrer totalement. On n'est consumé par l'amour qu'autant qu'on se livre à l'amour.»
*
* *
Je me repentais amèrement d'une faute que j'avais commise. Elle me dit:
«Prenez votre crucifix et baisez-le.»
Je lui baisai les pieds.
«Est-ce ainsi qu'une enfant embrasse son Père? Bien vite, passez vos mains autour de son cou et baisez son visage...»
J'obéis.
«Ce n'est pas tout, il faut se faire rendre ses caresses.»
Et je dus poser le crucifix sur chacune de mes joues; alors, elle me dit:
«C'est bien, maintenant tout est pardonné!»
*
* *
«Quand on me fait un reproche, lui disais-je, j'aime mieux l'avoir mérité que d'être accusée à tort.
—Moi, je préfère être accusée injustement, parce que je n'ai rien à me reprocher, et j'offre cela au bon Dieu avec joie; ensuite, je m'humilie à la pensée que je serais bien capable de faire ce dont on m'accuse.
«Plus vous avancerez, moins vous aurez de combats, ou plutôt vous les vaincrez avec plus de facilité, parce que vous verrez le bon côté des choses. Alors votre âme s'élèvera au-dessus des créatures. Tout ce qu'on peut me dire maintenant me laisse absolument indifférente, parce que j'ai compris le peu de solidité des jugements humains.
«Quand nous sommes incomprises et jugées défavorablement, ajouta-t-elle, à quoi bon se défendre? Laissons cela, ne disons rien, c'est si doux de se laisser juger n'importe comment! Il n'est point dit dans l'Evangile que sainte Madeleine se soit expliquée, quand sa sœur l'accusait d'être aux pieds de Jésus sans rien faire. Elle n'a pas dit: «Marthe! si tu savais le bonheur que je goûte, si tu entendais les paroles que j'entends, toi aussi, tu quitterais tout pour partager ma joie et mon repos.» Non, elle a préféré se taire... O bienheureux silence qui donne tant de paix à l'âme!»
*
* *
Dans un moment de tentation et de combat, je reçus d'elle ce billet:
«Que le juste me brise par compassion pour le pécheur! Que l'huile dont on parfume la tête n'amollisse pas la mienne[162]. Je ne puis être brisée, éprouvée que par des justes, puisque toutes mes sœurs sont agréables à Dieu. C'est moins amer d'être brisé par un pécheur que par un juste; mais, par compassion pour les pécheurs, pour obtenir leur conversion, je vous demande, ô mon Dieu, d'être brisée par les âmes justes qui m'entourent. Je vous demande encore que l'huile des louanges, si douce à la nature, n'amollisse pas ma tête, c'est-à-dire mon esprit, en me faisant croire que je possède des vertus qu'à peine j'ai pratiquées plusieurs fois.
«O mon Jésus! votre nom est comme une huile répandue[163]; c'est dans ce divin parfum que je veux me plonger tout entière, loin du regard des créatures.»
*
* *
«Vouloir persuader nos sœurs qu'elles sont dans leur tort, même lorsque c'est parfaitement vrai, ce n'est pas de bonne guerre, puisque nous ne sommes pas chargées de leur conduite. Il ne faut pas que nous soyons des juges de paix, mais seulement des anges de paix.»
*
* *
«Vous vous livrez trop à ce que vous faites, nous disait-elle, vous vous tourmentez trop de vos emplois, comme si vous en aviez seules la responsabilité. Vous occupez-vous, en ce moment, de ce qui se passe dans les autres Carmels? si les religieuses sont pressées ou non? leurs travaux vous empêchent-ils de prier, de faire oraison? Eh bien, vous devez vous exiler de même de votre besogne personnelle, y employer consciencieusement le temps prescrit, mais avec dégagement de cœur.
«J'ai lu autrefois que les Israélites bâtirent les murs de Jérusalem, travaillant d'une main et tenant une épée de l'autre[164]. C'est bien l'image de ce que nous devons faire: ne travailler que d'une main, en effet, et de l'autre défendre notre âme de la dissipation qui l'empêche de s'unir au bon Dieu.»
*
* *
«Un dimanche, raconte Thérèse, je me dirigeais toute joyeuse vers l'allée des marronniers; c'était le printemps, je voulais jouir des beautés de la nature. Hélas! déception cruelle! on avait émondé mes chers marronniers. Les branches, déjà chargées de bourgeons verdoyants, étaient là, gisant à terre! En voyant ce désastre, en pensant qu'il me faudrait attendre trois années avant de le voir réparé, mon cœur se serra bien fort. Cependant mon angoisse dura peu: «Si j'étais dans un autre monastère, pensai-je, qu'est-ce que cela me ferait qu'on coupât entièrement les marronniers du Carmel de Lisieux?» Je ne veux plus me faire de peine des choses passagères; mon Bien-Aimé me tiendra lieu de tout. Je veux me promener sans cesse dans les bosquets de son amour, auxquels personne ne peut toucher.»
(La petite voiture que l'on voit, après avoir servi au père de Sœur Thérèse-de l'Enfant-Jésus, pendant ses années d'infirmité, fut donnée au Carmel.
C'est dans cette voiture que la servante du Dieu, malade, et installée à cette même place, écrivit les dernières pages de sa «Vie».)
*
* *
Une novice demandait à plusieurs sœurs de lui aider à secouer des couvertures, et leur recommandait, un peu vivement, de veiller à ne pas les déchirer, parce qu'elles étaient passablement usées. Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus dit:
«Que feriez-vous si vous n'étiez pas chargée de raccommoder ces couvertures?... Comme vous agiriez avec dégagement d'esprit! Et, si vous faisiez remarquer qu'elles sont faciles à déchirer, comme ce serait sans attache! Ainsi, qu'en toutes vos actions ne se glisse jamais la plus légère ombre d'intérêt personnel.»
*
* *
Voyant une de nos sœurs très fatiguée, je dis à ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus: «Je n'aime pas à voir souffrir, surtout les âmes saintes.» Elle reprit aussitôt:
«Oh! je ne suis pas comme vous! Les saints qui souffrent ne me font jamais pitié! Je sais qu'ils ont la force de supporter leurs souffrances, et qu'ils donnent ainsi une grande gloire au bon Dieu; mais ceux qui ne sont pas saints, qui ne savent pas profiter de leurs souffrances, oh! que je les plains! ils me font pitié ceux-là! Je mettrais tout en œuvre pour les consoler et les soulager.»
*
* *
«Si je devais vivre encore, l'office d'infirmière serait celui qui me plairait davantage. Je ne voudrais pas le solliciter; mais s'il me venait directement de l'obéissance, je me croirais bien privilégiée. Il me semble que je le remplirais avec un tendre amour, pensant toujours à ce que dit Nôtre-Seigneur: «J'étais malade et vous m'avez visité.»[165] La cloche de l'infirmerie devrait être pour vous une mélodie céleste. Il faudrait passer tout exprès sous les fenêtres des malades, pour leur donner la facilité de vous appeler et de vous demander des services. Ne devez-vous pas vous considérer comme une petite esclave à laquelle tout le monde a le droit de commander? Si vous voyiez les Anges qui, du haut du ciel, vous regardent combattre dans l'arène! Ils attendent la fin de la lutte, pour vous couvrir de fleurs et de couronnes. Vous savez bien que nous prétendons être de petits martyrs: à nous de gagner nos palmes!
«Le bon Dieu ne méprise pas ces combats ignorés et d'autant plus méritoires: «L'homme patient vaut mieux que l'homme fort, et celui qui dompte son âme vaut mieux que celui qui prend des villes.»[166]
«Par nos petits actes de charité pratiqués dans l'ombre, nous convertissons au loin les âmes, nous aidons aux missionnaires, nous leur attirons d'abondantes aumônes; et, par là, nous construisons de véritables demeures spirituelles et matérielles à Jésus-Hostie.»
*
* *
J'avais vu notre Mère parler de préférence à l'une de nos sœurs et lui témoigner, me semblait-il, plus de confiance et d'affection qu'à moi. Je racontais ma peine à sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, croyant recevoir de sympathiques condoléances, lorsqu'à ma grande surprise elle me dit:
«Vous croyez aimer beaucoup notre Mère?
—Certainement! Si je ne l'aimais pas, il me serait indifférent de lui voir préférer les autres à moi.
—Eh bien, je vais vous prouver que vous vous trompez absolument: ce n'est pas notre Mère que vous aimez, c'est vous-même.
«Lorsqu'on aime réellement, on se réjouit du bonheur de la personne aimée, on fait tous les sacrifices pour le lui procurer. Donc, si vous aviez cet amour véritable et désintéressé, si vous aimiez notre Mère pour elle-même, vous vous réjouiriez de lui voir trouver du plaisir à vos dépens; et, puisque vous pensez qu'elle a moins de satisfaction à parler avec vous qu'avec une autre, vous ne devriez pas avoir de peine lorsqu'il vous semble être délaissée.»
*
* *
Je me désolais de mes nombreuses distractions dans mes prières:
«Moi aussi, j'en ai beaucoup, me dit-elle, mais aussitôt que je m'en aperçois, je prie pour les personnes qui m'occupent l'imagination, et ainsi elles bénéficient de mes distractions.
«... J'accepte tout pour l'amour du bon Dieu, même les pensées les plus extravagantes qui me viennent à l'esprit.»
*
* *
On m'avait demandé une épingle qui m'était très commode, et je la regrettais. Elle me dit alors:
«Oh! que vous êtes riche! vous ne pouvez pas être heureuse!»
*
* *
Etant chargée de l'ermitage de l'Enfant-Jésus, et sachant que les parfums incommodaient une de nos Mères, elle se priva toujours d'y mettre des fleurs odorantes, même une petite violette, ce qui fut matière à de vrais sacrifices.
Un jour qu'elle venait de placer une belle rose artificielle au pied de la statue, notre bonne Mère l'appela. Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, devinant bien que c'était pour lui faire enlever la rose, et ne voulant pas l'humilier, prit la fleur et, prévenant toute réflexion, elle lui dit:
«Voyez, ma Mère, comme on imite bien la nature aujourd'hui. Ne dirait-on pas que cette rose vient d'être cueillie dans le jardin?»
*
* *
Elle disait un jour:
«Il y a des instants où l'on est si mal chez soi, dans son intérieur, qu'il faut se hâter d'en sortir. Le bon Dieu ne nous oblige pas alors à rester en notre compagnie. Souvent même, il permet qu'elle nous soit désagréable, pour que nous la quittions. Et je ne vois pas d'autre moyen de sortir de chez soi que d'aller rendre visite à Jésus et à Marie, en courant aux œuvres de charité.»
*
* *
«Ce qui me fait du bien, lorsque je me représente l'intérieur de la sainte Famille, c'est de penser à une vie tout ordinaire.
«La sainte Vierge et saint Joseph savaient bien que Jésus était Dieu, mais de grandes merveilles leur étaient néanmoins cachées, et, comme nous, ils vivaient de la foi. N'avez-vous pas remarqué cette parole du texte sacré: «Ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait[167]», et cette autre non moins mystérieuse: «Ses parents étaient dans l'admiration de ce qu'on disait de lui[168]»? Ne croirait-on pas qu'ils apprenaient quelque chose? car cette admiration suppose un certain étonnement.»
*
* *
«A Sexte, il y a un verset que je prononce tous les jours à contre-cœur. C'est celui-ci: «Inclinavi cor meum ad faciendas justificationes tuas in æternum, propter retributionem.»[169]
«Intérieurement je m'empresse de dire: «O mon Jésus, vous savez bien que ce n'est pas pour la récompense que je vous sers; mais uniquement parce que je vous aime et pour sauver des âmes.»
*
* *
«Au ciel seulement nous verrons la vérité absolue en toutes choses. Sur la terre, même dans la sainte Ecriture, il y a le côté obscur et ténébreux. Je m'afflige de voir la différence des traductions. Si j'avais été prêtre, j'aurais appris l'hébreu, afin de pouvoir lire la parole de Dieu telle qu'il daigna l'exprimer dans le langage humain.»
*
* *
Elle me parlait souvent d'un jeu bien connu, avec lequel elle s'amusait dans son enfance. C'était un kaléidoscope, sorte de petite longue-vue, à l'extrémité de laquelle on aperçoit de jolis dessins de diverses couleurs; si l'on tourne l'instrument, ces dessins varient à l'infini.
«Cet objet, me disait-elle, causait mon admiration, je me demandais ce qui pouvait produire un si charmant phénomène; lorsqu'un jour, après un examen sérieux, je vis que c'étaient simplement quelques petits bouts de papier et de laine jetés ça et là, et coupés n'importe comment. Je poursuivis mes recherches et j'aperçus trois glaces à l'intérieur du tube. J'avais la clef du problème.
«Ce fut pour moi l'image d'un grand mystère: Tant que nos actions, même les plus petites, ne sortent pas du foyer de l'amour, la Sainte Trinité, figurée par les trois glaces, leur donne un reflet et une beauté admirables. Jésus, nous regardant par la petite lunette, c'est-à-dire comme à travers lui-même, trouve nos démarches toujours belles. Mais, si nous sortons du centre ineffable de l'amour, que verra-t-il? Des brins de paille... des actions souillées et de nulle valeur.»
*
* *
Un jour, je racontais à sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus les phénomènes étranges produits par le magnétisme sur les personnes qui veulent bien remettre leur volonté au magnétiseur. Ces détails parurent l'intéresser vivement, et le lendemain elle me dit:
«Que votre conversation d'hier m'a fait de bien! Oh! que je voudrais me faire magnétiser par Nôtre-Seigneur! C'est la première pensée qui m'est venue à mon réveil. Avec quelle douceur je lui ai remis ma volonté! Oui, je veux qu'il s'empare de mes facultés, de telle sorte que je ne fasse plus d'actions humaines et personnelles, mais des actions toutes divines, inspirées et dirigées par l'Esprit d'amour.»
*
* *
Avant ma profession, je reçus par ma sainte Maîtresse une grâce bien particulière. Nous avions lavé toute la journée et j'étais brisée de fatigue, accablée de peines intérieures. Le soir avant l'oraison, je voulus lui en dire deux mots, mais elle me répondit:
«L'oraison sonne, je n'ai pas le temps de vous consoler; d'ailleurs je vois clairement que j'y prendrais une peine inutile, le bon Dieu veut que vous souffriez seule pour le moment.»
Je la suivis à l'oraison, dans un tel état de découragement que, pour la première fois, je doutai de ma vocation. «Jamais je n'aurai la force d'être carmélite, me disais-je, c'est une vie trop dure pour moi!»
J'étais à genoux depuis quelques minutes, dans ce combat et ces tristes pensées, quand tout à coup, sans avoir prié, sans même avoir désiré la paix, je sentis en mon âme un changement subit, extraordinaire; je ne me reconnaissais plus. Ma vocation m'apparut belle, aimable; je vis les charmes, le prix de la souffrance. Toutes les privations et les fatigues de la vie religieuse me semblèrent infiniment préférables aux satisfactions mondaines; enfin, je sortis de l'oraison absolument transformée.
Le lendemain, je racontai à ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus ce qui s'était passé la veille; et comme elle paraissait très émue, je voulus en savoir la cause.
«Ah! que Dieu est bon! me dit-elle alors. Hier soir, vous me faisiez une si profonde pitié que je ne cessai point, au commencement de l'oraison, de prier pour vous, demandant à Notre-Seigneur de vous consoler, de changer votre âme et de vous montrer le prix des souffrances. Il m'a exaucée!»
*
* *
Comme je suis enfant de caractère, le petit Jésus m'inspira, pour m'aider à pratiquer la vertu, de m'amuser avec lui. Je choisis le jeu de quilles. Je me les représentais de toutes grandeurs et de toutes couleurs, afin de personnifier les âmes que je voulais atteindre. La boule du jeu, c'était mon amour.
Au mois de décembre 1896, les novices reçurent, au profit des missions, différents bibelots pour leur arbre de Noël. Et voilà que, par hasard, il se trouva au fond de la boîte enchantée un objet bien rare au Carmel: une toupie. Mes compagnes dirent: «Que c'est laid! A quoi cela peut-il servir?» Moi qui connaissais bien le jeu, j'attrapai la toupie en m'écriant: «Mais c'est très amusant! ça pourrait marcher une journée entière sans s'arrêter, moyennant de bons coups de fouet!» Et là-dessus je me mis en devoir de leur donner une représentation qui les jeta dans l'étonnement.
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus m'observait sans rien dire, et, le jour de Noël, après la Messe de Minuit, je trouvai dans notre cellule la fameuse toupie avec cette petite lettre dont l'enveloppe portait comme adresse:
A ma petite épouse chérie,
JOUEUSE DE QUILLES sur la Montagne du Carmel.
Nuit de Noël 1896.
Ma petite épouse chérie,
«Ah! que je suis content de toi! Toute l'année tu m'as beaucoup amusé en jouant aux quilles. J'ai eu tant de plaisir que la cour des anges en était surprise et charmée. Plusieurs petits chérubins m'ont demandé pourquoi je ne les avais pas faits enfants; d'autres ont voulu savoir si la mélodie de leurs instruments ne m'était pas plus agréable que ton rire joyeux, lorsque tu fais tomber une quille avec la boule de ton amour. J'ai répondu à tous qu'ils ne devaient pas se chagriner de n'être point enfants, puisqu'un jour ils pourraient jouer avec toi dans les prairies du ciel; je leur ai dit que, certainement, ton sourire m'était plus doux que leurs mélodies, parce que tu ne pouvais jouer et sourire qu'en souffrant et en t'oubliant toi-même.
Ma petite épouse bien-aimée, j'ai quelque chose à te demander à mon tour. Vas-tu me refuser?... Oh! non, tu m'aimes trop pour cela. Eh bien, je voudrais changer de jeu: les quilles, ça m'amuse bien, mais je voudrais maintenant jouer à la toupie; et, si tu veux, c'est toi qui seras ma toupie. Je t'en donne une pour modèle; tu vois qu'elle n'a pas de charmes extérieurs, quiconque ne sait pas s'en servir la repoussera du pied; mais un enfant qui l'aperçoit sautera de joie et dira: Ah! que c'est amusant! ça peut marcher toute la journée sans s'arrêter!...
Moi, le petit Jésus, je t'aime, bien que tu sois sans charmes, et je te supplie de toujours marcher pour m'amuser. Mais, pour faire tourner la toupie, il faut des coups de fouet! Eh bien, laisse tes sœurs te rendre ce service, et sois reconnaissante envers celles qui seront les plus assidues à accélérer ta marche... Lorsque je me serai bien amusé avec toi, je t'emmènerai là-haut et nous pourrons jouer sans souffrir.»
Ton petit frère,
Jésus.
*
* *
J'avais l'habitude de pleurer continuellement et pour des riens, ce qui lui causait une peine très grande.
Un jour, il lui vint une idée lumineuse: prenant sur sa table de peinture une coquille de moule, et me tenant les mains pour m'obliger à ne pas m'essuyer les yeux, elle se mit à recueillir mes larmes dans cette coquille. Au lieu de continuer à pleurer, je ne pus alors m'empêcher de rire.
«Allez, me dit-elle, désormais je vous permets de pleurer tant que vous voudrez, pourvu que ce soit dans la coquille.»
Or, huit jours avant sa mort, j'avais pleuré toute une soirée en pensant à son prochain départ. Elle s'en aperçut et me dit:
«Vous avez pleuré.—Est-ce dans la coquille?»
Je ne pouvais mentir... et mon aveu l'attrista. Elle reprit:
«Je vais mourir, et je ne serai pas tranquille sur vôtre compte, si vous ne me promettez de suivre fidèlement ma recommandation. J'y attache une importance capitale pour votre âme.»
Je donnai ma parole, demandant toutefois, comme une grâce, la permission de pleurer librement sa mort.
«Pourquoi pleurer ma mort? Voilà des larmes bien inutiles. Vous pleurerez mon bonheur! Enfin, j'ai pitié de votre faiblesse et je vous permets de pleurer les premiers jours. Mais, après cela, il faudra reprendre la coquille.»
Je dois dire que j'ai été fidèle, bien qu'il m'en ait coûté des efforts héroïques.
Quand je voulais pleurer, je m'armais avec courage de l'impitoyable instrument; mais, quelque besoin que j'en eusse, le soin que je devais prendre à courir d'un œil à l'autre distrayait ma pensée du sujet de ma peine, et cet ingénieux moyen ne tarda pas à me guérir entièrement de ma trop grande sensibilité.
*
* *
Je voulais me priver de la sainte Communion pour une infidélité qui lui avait causé beaucoup de peine, mais dont je me repentais amèrement. Je lui écrivis ma résolution; et voici le billet qu'elle m'envoya:
«Petite fleur chérie de Jésus, cela suffit bien que, par l'humiliation de votre âme, vos racines mangent de la terre... il faut entr'ouvrir, ou plutôt élever bien haut votre corolle, afin que le Pain des Anges vienne, comme une rosée divine, vous fortifier et vous donner tout ce qui vous manque.
«Bonsoir, pauvre fleurette, demandez à Jésus que toutes les prières qui sont faites pour ma guérison servent à augmenter le feu qui doit me consumer.»
*
* *
«Au moment de communier, je me représente quelquefois mon âme sous la figure d'un petit bébé de trois ou quatre ans qui, à force de jouer, a ses cheveux et ses vêtements salis et en désordre.—Ces malheurs me sont arrivés en bataillant avec les âmes.—Mais bientôt la Vierge Marie s'empresse autour de moi. Elle a vite fait de me retirer mon petit tablier tout sale, de rattacher mes cheveux et de les orner d'un joli ruban ou simplement d'une petite fleur... et cela suffit pour me rendre gracieuse et me faire asseoir sans rougir au festin des anges.»
*
* *
A l'infirmerie, nous attendions à peine que ses actions de grâces fussent terminées pour lui parler et lui demander ses conseils. Elle s'en attrista d'abord et nous en fit de doux reproches. Puis bientôt elle nous laissa faire, disant:
«J'ai pensé que je ne devais pas désirer plus de repos que Notre-Seigneur. Lorsqu'il s'enfuyait au désert après ses prédications, le peuple venait aussitôt troubler sa solitude. Approchez de moi tant que vous voudrez. Je dois mourir les armes à la main, ayant à la bouche le glaive de l'esprit qui est la parole de Dieu[170].»
*
* *
«Donnez-nous un conseil pour nos directions spirituelles. Comment devons-nous les faire?
—Avec une grande simplicité, sans trop compter sur un secours qui peut vous manquer au premier moment. Vous seriez vite forcées de dire avec l'épouse des Cantiques: «Les gardes m'ont enlevé mon manteau, ils m'ont blessée; et ce n'est qu'en les DÉPASSANT un peu que j'ai trouvé Celui que j'aime!»[171] Si vous demandez humblement et sans attache où est votre Bien-Aimé, les gardes vous l'indiqueront. Toutefois, le plus souvent, vous ne trouverez Jésus qu'après avoir dépassé toute créature. Que de fois, pour ma part, n'ai-je pas répété cette strophe du Cantique spirituel:
Ne m'envoyez plus
Désormais de messagers
Qui ne savent pas me dire ce que je veux.
. . . . . . . . . . .
Tous ceux qui s'occupent de vous, sans exception,
Me parlent continuellement de vos mille grâces
Et tous me blessent encore davantage;
Et surtout ce qui me fait mourir
C'est un je ne sais quoi qu'ils ne font que balbutier[172].»
*
* *
«Si, par impossible, le bon Dieu lui-même ne voyait pas mes bonnes actions, je n'en serais pas affligée. Je l'aime tant que je voudrais pouvoir lui faire plaisir, sans qu'il sache que c'est moi. Le sachant et le voyant, il est comme obligé de me rendre... je ne voudrais pas lui donner cette peine.»
*
* *
«Si j'avais été riche, je n'aurais pu voir un pauvre ayant faim sans lui donner à manger. Je fais ainsi dans ma vie spirituelle: à mesure que je gagne quelque chose, je sais que des âmes sont sur le point de tomber en enfer, alors je leur donne mes trésors et je n'ai pas encore trouvé un moment pour me dire: «Maintenant, je vais travailler pour moi.»
*
* *
«Il y a des personnes qui prennent tout de manière à se faire le plus de peine, pour moi c'est le contraire: je vois toujours le bon côté des choses. Si je n'ai que la souffrance pure, sans aucune éclaircie, eh bien, j'en fais ma joie.»
*
* *
«Toujours ce que le bon Dieu m'a donné m'a plu, même les choses qui me paraissent moins bonnes et moins belles que celles des autres.»
*
* *
«Quand j'étais toute petite, on m'avait mis, chez ma tante, un beau livre entre les mains. En lisant une histoire, je vis qu'on louait beaucoup une maîtresse de pension parce qu'elle savait adroitement se tirer d'affaire sans blesser personne. Je remarquai surtout cette phrase: «Elle disait à celle-ci: Vous n'avez pas tort; à celle-là: Vous avez raison»; et tout en lisant, je pensais: «Oh! moi je n'aurais pas fait ainsi, il faut toujours dire la vérité.»
«Et maintenant je la dis toujours. J'ai bien plus de peine, il est vrai, car ce serait si facile, quand on vient vous raconter un ennui, de mettre le tort sur les absents; aussitôt celle qui se plaint serait apaisée. Oui, mais... je fais tout le contraire. Si je ne suis pas aimée, tant pis! Qu'on ne vienne pas me trouver si on ne veut pas savoir la vérité.»
«Pour qu'une réprimande porte du fruit, il faut que cela coûte de la faire; et il faut la faire sans une ombre de passion dans le cœur.
«Il ne faut pas que la bonté dégénère en faiblesse. Quand on a grondé avec justice, il faut en rester là et ne pas se laisser attendrir au point de se tourmenter d'avoir fait de la peine. Courir après l'affligée pour la consoler, c'est lui faire plus de mal que de bien. La laisser à elle-même, c'est la forcer à ne rien attendre du côté humain, à recourir au bon Dieu, à voir ses torts, à s'humilier. Autrement elle s'habituerait à être consolée après un reproche mérité, et elle agirait comme un enfant gâté qui trépigne et crie, sachant bien qu'il fera revenir sa mère pour essuyer ses larmes.»
«Que le glaive de l'esprit qui est la parole de Dieu demeure perpétuellement en votre bouche et en vos cœurs.»[173] Si nous trouvons une âme désagréable, ne nous rebutons pas, ne la délaissons jamais. Ayons toujours «le glaive de l'esprit» pour la reprendre de ses torts; ne laissons pas aller les choses pour conserver notre repos; combattons sans relâche, même sans espoir de gagner la bataille. Qu'importe le succès! Allons toujours, quelle que soit la fatigue de la lutte. Ne disons pas: «Je n'obtiendrai rien de cette âme, elle ne comprend pas, elle est à abandonner!» Oh! ce serait de la lâcheté! Il faut faire son devoir jusqu'au bout.»
*
* *
«Autrefois, si quelqu'un de ma famille avait de la peine, et qu'au parloir je n'avais pu réussir à le consoler, je m'en allais le cœur navré; mais bientôt, Jésus me fit comprendre que j'étais incapable de consoler une âme. A partir de ce jour, je n'avais plus de chagrin quand on s'en allait triste: je confiais au bon Dieu les souffrances de ceux qui m'étaient chers, et je sentais bien que j'étais exaucée. Je m'en rendais compte au parloir suivant. Depuis cette expérience, quand j'ai fait de la peine involontairement, je ne me tourmente pas davantage: je demande simplement à Jésus de réparer ce que j'ai fait.»
*
* *
«Que pensez-vous de toutes les grâces dont vous avez été comblée?
—Je pense que l'Esprit de Dieu souffle où il veut[174].»
*
* *
Elle disait à sa Mère Prieure:
«Ma Mère, si j'étais infidèle, si je commettais seulement la plus légère infidélité, je sens qu'elle serait suivie de troubles épouvantables, et je ne pourrais plus accepter la mort.»
Et comme la Mère Prieure manifestait sa surprise de l'entendre tenir ce langage, elle reprit:
«Je parle d'une infidélité d'orgueil. Par exemple, si je disais: «J'ai acquis telle ou telle vertu, je puis la pratiquer»; ou bien: «O mon Dieu, je vous aime trop, vous le savez, pour m'arrêter à une seule pensée contre la foi»; aussitôt, je le sens, je serais assaillie par les plus dangereuses tentations, et j'y succomberais certainement.
«Pour éviter ce malheur, je n'ai qu'à dire humblement du fond du cœur: «O mon Dieu, je vous en prie, ne permettez pas que je sois infidèle!»
«Je comprends très bien que saint Pierre soit tombé. Il comptait trop sur l'ardeur de ses sentiments au lieu de s'appuyer uniquement sur la force divine. Je suis bien sûre que s'il avait dit à Jésus: «Seigneur, donnez-moi le courage de vous suivre jusqu'à la mort», ce courage ne lui aurait pas été refusé.
«Ma Mère, comment se fait-il que Notre-Seigneur, sachant ce qui devait arriver, ne lui dit pas: «Demande-moi la force d'accomplir ce que tu veux»? Je crois que c'est pour nous montrer deux choses: la première qu'il n'apprenait rien de plus à ses Apôtres par sa présence sensible, qu'il ne nous apprend à nous-mêmes par les bonnes inspirations de sa grâce; la seconde que, destinant saint Pierre à gouverner toute l'Eglise où il y a tant de pécheurs, il voulait qu'il expérimentât par lui-même ce que peut l'homme sans l'aide de Dieu. C'est pour cela qu'avant sa chute, Jésus lui dit: «Quand tu seras revenu à toi, confirme tes frères[175]»; c'est-à-dire raconte-leur l'histoire de ton péché, montre-leur par ta propre expérience combien il est nécessaire, pour le salut, de s'appuyer uniquement sur moi.»
*
* *
J'avais beaucoup de peine de la voir malade et je lui répétais souvent: «Oh! que la vie est triste!» Mais elle me reprenait aussitôt, disant:
«La vie n'est pas triste! elle est au contraire très gaie. Si vous disiez: «L'exil est triste», je vous comprendrais. On fait erreur en donnant le nom de vie à ce qui doit finir. Ce n'est qu'aux choses du ciel, à ce qui ne doit jamais mourir qu'on doit donner ce vrai nom; et, puisque nous en jouissons dès ce monde, la vie n'est pas triste, mais gaie, très gaie!...»
Elle était elle-même d'une gaieté ravissante:
Pendant plusieurs jours, elle avait été beaucoup mieux et nous lui disions: «Nous ne savons pas encore de quelle maladie vous mourrez?...
—Mais je mourrai de mort! Le bon Dieu n'a-t-il pas dit à Adam de quoi il mourrait? Il lui a dit: «Tu mourras de mort[176]!»
—Eh bien, c'est donc la mort qui viendra vous chercher!
—Non, ce n'est pas la mort qui viendra me chercher, c'est le bon Dieu. La mort n'est point un fantôme, un spectre horrible comme on la représente sur les images. Il est écrit dans le catéchisme que la mort est la séparation de l'âme et du corps, ce n'est que cela! Eh bien, je n'ai pas peur d'une séparation qui me réunira pour toujours au bon Dieu.»
«Le divin Voleur viendra-t-il bientôt voler sa petite grappe de raisin?
—Je l'aperçois de loin et je me garde bien de crier: «Au voleur!!!» Au contraire, je l'appelle en disant: «Par ici! par ici!»
*
* *
Je lui disais que les plus beaux anges, vêtus de robes blanches, le visage joyeux et resplendissant, transporteraient son âme au ciel. Elle me répondit:
«Toutes ces images ne me font aucun bien; je ne puis me nourrir que de la vérité. Dieu et les anges sont de purs esprits, personne ne peut les voir des yeux du corps tels qu'ils sont en réalité. C'est pour cela que je n'ai jamais désiré les grâces extraordinaires. J'aime mieux attendre la vision éternelle.
—J'ai demandé au bon Dieu de m'envoyer un joli rêve pour me consoler de votre départ.
—Ah! voilà une chose que je n'aurais jamais faite! Demander des consolations!... Puisque vous voulez me ressembler, vous savez bien que, moi, je dis:
Oh! ne crains pas, Seigneur, que je t'éveille;
J'attends en paix le rivage des cieux...
Il est si doux de servir le bon Dieu dans la nuit et dans l'épreuve, nous n'avons que cette vie pour vivre de foi.»
*
* *
«Je suis bien heureuse de m'en aller au ciel, mais quand je pense à cette parole du Seigneur: «Je viendrai bientôt et je porte ma récompense avec moi, pour rendre à chacun selon ses œuvres[177]», je me dis qu'il sera bien embarrassé pour moi: je n'ai pas d'œuvres... Eh bien! il me rendra selon ses œuvres a Lui!»
*
* *
«Certainement, vous ne ferez pas une minute de purgatoire, ou bien alors personne ne va droit au ciel!
—Oh! je ne m'inquiète guère de cela; je serai toujours contente de la sentence du bon Dieu. Si je vais en purgatoire, eh bien! je me promènerai au milieu des flammes, comme les trois Hébreux dans la fournaise, en chantant le cantique de l'amour.»
*
* *
«Vous serez placée dans le ciel parmi les séraphins.
—S'il en est ainsi, je ne les imiterai pas; tous se couvrent de leurs ailes à la vue de Dieu, je me garderai bien de me couvrir de mes ailes!»
*
* *
Je lui montrais une photographie représentant Jeanne d'Arc consolée dans la prison par ses voix. Elle me dit:
«Je suis consolée, moi aussi, par une voix intérieure. D'en haut, les saints m'encouragent, ils me disent: «Tant que tu es dans les fers, tu ne peux remplir ta mission; mais plus tard, après ta mort, ce sera le temps de tes conquêtes.»
*
* *
«Le bon Dieu fera toutes mes volontés au ciel, parce que je n'ai jamais fait ma volonté sur la terre.»
*
* *
«Vous nous regarderez du haut du ciel, n'est-ce pas?
—Non, je descendrai.»
*
* *
Citons encore ce trait touchant:
Quelques mois avant la mort de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, nous lisions au réfectoire la vie de saint Louis de Gonzague, et l'une de nos bonnes Mères fut frappée de l'affection touchante et réciproque du jeune saint et d'un vénérable religieux de la Compagnie de Jésus, le P. Corbinelli.
«C'est vous le petit Louis, dît-elle à notre sainte petite sœur, et moi je suis le vieux P. Corbinelli; quand vous serez au ciel, souvenez-vous de moi.
—Voulez-vous, ma Mère, que je vienne bientôt vous chercher?
—Non, je n'ai pas encore assez souffert.
—O ma Mère, moi je vous dis que vous avez bien assez souffert.»
Et Mère Hermance du Cœur de Jésus de répondre:
«Je n'ose encore vous dire oui... Pour une chose aussi grave, il me faut la sanction de l'autorité.»
En effet, la demande fut adressée à la Mère Prieure; et, sans y attacher d'importance, elle donna une réponse affirmative.
Or, l'un des derniers jours de sa vie, sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, ne pouvant presque plus parler en raison de sa grande faiblesse, reçut, par l'entremise de l'infirmière, un bouquet de fleurs cueillies par notre chère Mère, avec prière instante de lui transmettre ensuite, comme remerciement, un seul mot d'affection. Et voici quel fut ce mot:
«Dites à Mère du Cœur de Jésus que ce matin, pendant la messe, j'ai vu la tombe du P. Corbinelli tout près de celle du petit Louis.
—C'est bien, répondit tout émue notre bonne Mère, dites à sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus que j'ai compris...»
A partir de ce moment, elle demeura persuadée de sa mort prochaine qui arriva, en effet, un an après.
Et, suivant la prédiction du petit Louis, la tombe du P. Corbinelli se trouva tout près de la sienne.
Je compte bien ne pas rester inactive au
Ciel: mon désir est de travailler encore pour
l'Eglise et les âmes; je le demande à Dieu
et je suis certaine qu'il m'exaucera.
Cet écrit a été trouvé, après la mort de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, dans le livre des saints Evangiles qu'elle portait jour et nuit sur son cœur.
O mon Dieu, Trinité bienheureuse, je désire vous aimer et vous faire aimer, travailler à la glorification de la sainte Eglise, en sauvant les âmes qui sont sur la terre et en délivrant celles qui souffrent dans le Purgatoire. Je désire accomplir parfaitement votre volonté et arriver au degré de gloire que vous m'avez préparé dans votre royaume; en un mot, je désire être sainte, mais je sens mon impuissance, et je vous demande, ô mon Dieu, d'être vous-même ma sainteté.
Puisque vous m'avez aimée jusqu'à me donner votre Fils unique pour être mon Sauveur et mon Epoux, les trésors infinis de ses mérites sont à moi; je vous les offre avec bonheur, vous suppliant de ne me regarder qu'à travers la Face de Jésus et dans son Cœur brûlant d'amour.
Je vous offre encore tous les mérites des Saints qui sont au ciel et sur la terre, leurs actes d'amour et ceux des saints Anges; enfin je vous offre, ô bienheureuse Trinité, l'amour et les mérites de la sainte Vierge, ma Mère chérie; c'est à elle que j'abandonne mon offrande, la priant de vous la présenter.
Son divin Fils, mon Epoux bien-aimé, aux jours de sa vie mortelle, nous a dit: «Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le donnera.» (Joan., XVI, 23.) Je suis donc certaine que vous exaucerez mes désirs... Je le sais, ô mon Dieu, plus vous voulez donner, plus vous faites désirer.
Je sens en mon cœur des désirs immenses, et c'est avec confiance que je vous demande de venir prendre possession de mon âme. Ah! je ne puis recevoir la sainte communion aussi souvent que je le désire; mais, Seigneur, n'êtes-vous pas Tout-Puissant? Restez en moi comme au Tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie.
Je voudrais vous consoler de l'ingratitude des méchants, et je vous supplie de m'ôter la liberté de vous déplaire. Si par faiblesse je tombe quelquefois, qu'aussitôt votre divin regard purifie mon âme, consumant toutes mes imperfections, comme le feu qui transforme toute chose en lui-même.
Je vous remercie, ô mon Dieu, de toutes les grâces que vous m'avez accordées: en particulier de m'avoir fait passer par le creuset de la souffrance. C'est avec joie que je vous contemplerai au dernier jour, portant le sceptre de la croix; puisque vous avez daigné me donner en partage cette croix si précieuse, j'espère au ciel vous ressembler, et voir briller sur mon corps glorifié les sacrés stigmates de votre passion.
Après l'exil de la terre, j'espère aller jouir de vous dans la patrie; mais je ne veux pas amasser de mérites pour le ciel, je veux travailler pour votre seul amour, dans l'unique but de vous faire plaisir, de consoler votre Cœur sacré, et de sauver des âmes qui vous aimeront éternellement.
Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides; car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres... Toutes nos Justices ont des taches à vos yeux! Je veux donc me revêtir de votre propre Justice, et recevoir de votre amour la possession éternelle de vous-même. Je ne veux point d'autre trône et d'autre couronne que vous, ô mon Bien-Aimé!
A vos yeux, le temps n'est rien; un seul jour est comme mille ans[178]. Vous pouvez donc en un instant me préparer à paraître devant vous.
Afin de vivre dans un acte de parfait amour, JE M'OFFRE COMME VICTIME D'HOLOCAUSTE A VOTRE AMOUR MISÉRICORDIEUX, vous suppliant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en vous, et qu'ainsi je devienne martyre de votre amour, ô mon Dieu!
Que ce martyre, après m'avoir préparée à paraître devant vous, me fasse enfin mourir, et que mon âme s'élance sans retard dans l'éternel embrassement de votre miséricordieux amour!
Je veux, ô mon Bien-Aimé, à chaque battement de mon cœur, vous renouveler cette offrande un nombre infini de fois, jusqu'à ce que, les ombres s'étant évanouies[179], je puisse vous redire mon amour dans un face à face éternel!!!...
Marie-Françoise-Thérèse de l'Enfant-Jésus
et de la sainte Face,
rel. carm. ind.
Fête de la Très Sainte Trinité, le 9 juin,
de l'an de grâce 1895.
O Face adorable de Jésus! puisque vous avez daigné choisir particulièrement nos âmes pour vous donner à elles, nous venons les consacrer à vous.
Il nous semble, ô Jésus, vous entendre nous dire: «Ouvrez-moi, mes sœurs, mes épouses bien-aimées, car ma Face est couverte de rosée, et mes cheveux sont humides des gouttes de la nuit.»[180] Nos âmes comprennent votre langage d'amour; nous voulons essuyer votre doux Visage et vous consoler de l'oubli des méchants. A leurs yeux, vous êtes encore «comme caché... ils vous considèrent comme un objet de mépris!»[181]
O Visage plus beau que les lis et les roses du printemps, vous n'êtes pas caché à nos yeux! Les larmes qui voilent votre divin regard nous apparaissent comme des diamants précieux que nous voulons recueillir, afin d'acheter, avec leur valeur infinie, les âmes de nos frères.
De votre bouche adorée, nous avons entendu la plainte amoureuse. Comprenant que la soif qui vous consume est une soif d'amour, nous voudrions, pour vous désaltérer, posséder un amour infini!
Epoux bien-aimé de nos âmes! si nous avions l'amour de tous les cœurs, cet amour serait à vous... Eh bien, donnez-nous cet amour, et venez vous désaltérer en vos petites épouses.
Des âmes, Seigneur, il nous faut des âmes! surtout des âmes d'apôtres et de martyrs; afin que, par elles, nous embrasions de votre amour la multitude des pauvres pécheurs.
O Face adorable, nous saurons obtenir de vous cette grâce! Oubliant notre exil, sur les bords des fleuves de Babylone, nous chanterons à vos oreilles les plus douces mélodies. Puisque vous êtes la vraie, l'unique patrie de nos âmes, nos cantiques ne seront pas chantés sur une terre étrangère[182].
O Face chérie de Jésus! en attendant le jour éternel, où nous contemplerons votre gloire infinie, notre unique désir est de charmer vos yeux divins, en cachant aussi notre visage, afin qu'ici-bas personne ne puisse nous reconnaître... Votre regard voilé, voilà notre ciel, ô Jésus!
Tout ce que vous demanderez à mon Père
en mon nom, il vous le donnera[183].
Père Eternel, votre Fils unique, le doux Enfant Jésus est à moi, puisque vous me l'avez donné. Je vous offre les mérites infinis de sa divine Enfance, et je vous demande, en son nom, d'appeler aux joies du Ciel d'innombrables phalanges de petits enfants qui suivront éternellement ce divin Agneau.
——
De même que, dans un royaume, on se
procure tout ce qu'on désire avec l'effigie du
prince, ainsi avec la pièce précieuse de ma
sainte humanité, qui est mon adorable Face,
vous obtiendrez tout ce que vous voudrez.
N.-S. à Sr Marie de St-Pierre.
Père Eternel, puisque vous m'avez donné pour héritage la Face adorable de votre divin Fils, je vous l'offre et vous demande, en échange de cette Pièce infiniment précieuse, d'oublier les ingratitudes des âmes qui vous sont consacrées et de pardonner aux pauvres pécheurs.
O petit Enfant Jésus! mon unique trésor, je m'abandonne à tes divins caprices, je ne veux pas d'autre joie que celle de te faire sourire. Imprime en moi tes grâces et tes vertus enfantines, afin qu'au jour de ma naissance au ciel, les Anges et les Saints reconnaissent en ta petite épouse: Thérèse de l'Enfant-Jésus.
O Face adorable de Jésus, seule beauté qui ravit mon cœur, daigne imprimer en moi ta divine ressemblance, afin que tu ne puisses regarder l'âme de ta petite épouse sans te contempler toi-même. O mon Bien-Aimé, pour ton amour, j'accepte de ne pas voir ici-bas la douceur de ton regard, de ne pas sentir l'inexprimable baiser de ta bouche, mais je te supplie de m'embraser de ton amour, afin qu'il me consume rapidement et fasse bientôt paraître devant toi: Thérèse de la sainte Face.
Seigneur, Dieu des armées, qui nous avez dit dans votre Evangile: «Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive[184]», armez-moi pour la lutte; je brûle de combattre pour votre gloire; mais, je vous en supplie, fortifiez mon courage... Alors, avec le saint roi David, je pourrai m'écrier: «C'est mus seul qui êtes mon bouclier; c'est vous, Seigneur, qui dressez mes mains à la guerre.»[185]
O mon Bien-Aimé! je comprends à quels combats vous me destinez; ce n'est point sur les champs de bataille que je lutterai... Je suis prisonnière de votre amour, j'ai librement rivé la chaîne qui m'unit à vous et me sépare à jamais du monde. Mon glaive c'est l'Amour! avec lui je chasserai l'étranger du royaume, je vous ferai proclamer Roi dans les âmes.
Sans doute, Seigneur, un aussi faible instrument que moi ne vous est pas nécessaire; mais Jeanne, votre virginale et valeureuse épouse, l'a dit: «Il faut batailler pour que Dieu donne victoire.» O mon Jésus, je bataillerai donc pour votre amour jusqu'au soir de ma vie. Puisque vous n'avez pas voulu goûter de repos sur la terre, je veux suivre votre exemple; alors cette promesse tombée de vos lèvres divines se réalisera pour moi: «Si quelqu'un me suit, en quelque lieu que je sois il y sera aussi; et mon Père l'élèvera en honneur.»[186] Etre avec vous, être en vous, voilà mon unique désir; cette assurance que vous me donnez de sa réalisation m'aide à supporter l'exil, en attendant le radieux jour du face à face éternel.
(Composée pour une novice.)
O Jésus, lorsque vous étiez voyageur sur la terre, vous avez dit: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes.»[187] Puissant Monarque des Cieux, oui, mon âme trouve le repos en vous voyant, revêtu de la forme et de la nature d'esclave, vous abaisser jusqu'à laver les pieds de vos apôtres. Je me souviens alors de ces paroles que vous avez prononcées, pour m'apprendre à pratiquer l'humilité: «Je vous ai donné l'exemple, afin que vous fassiez vous-même ce que j'ai fait. Le disciple n'est pas plus grand que le Maître... Si vous comprenez ceci, vous serez heureux en le pratiquant.»[188] Je les comprends, Seigneur, ces paroles sorties de votre Cœur doux et humble, je veux les pratiquer, avec le secours de votre grâce.
Je veux m'abaisser humblement et soumettre ma volonté à celle de mes sœurs, sans les contredire en rien, et sans rechercher si elles ont, ou non, le droit de me commander. Personne, ô mon Bien-Aimé, n'avait ce droit envers vous, et cependant vous avez obéi, non seulement à la sainte Vierge et à saint Joseph, mais encore à vos bourreaux. Maintenant c'est dans l'Hostie que je vous vois mettre le comble à vos anéantissements. Avec quelle humilité, ô divin Roi de gloire, vous vous soumettez à tous vos prêtres, sans faire aucune distinction entre ceux qui vous aiment et ceux qui sont, hélas! tièdes ou froids dans votre service. Ils peuvent avancer, retarder l'heure du saint Sacrifice, toujours vous êtes prêt à descendre du ciel à leur appel.
O mon Bien-Aimé, sous le voile de la blanche Hostie, que vous m'apparaissez doux et humble de cœur! Pour m'enseigner l'humilité, vous ne pouvez vous abaisser davantage; aussi je veux, pour répondre à votre amour, me mettre au dernier rang, partager vos humiliations, afin «d'avoir part avec vous[189]» dans le royaume des Cieux.
Je vous supplie, mon divin Jésus, de m'envoyer une humiliation, chaque fois que j'essaierai de m'élever au-dessus des autres.
Mais, Seigneur, ma faiblesse vous est connue; chaque matin je prends la résolution de pratiquer l'humilité et, le soir, je reconnais que j'ai commis encore bien des fautes d'orgueil. A cette vue, je suis tentée de me décourager; mais, je le sais, le découragement est aussi de l'orgueil; je veux donc, ô mon Dieu, fonder sur vous seul mon espérance: puisque vous pouvez tout, daignez faire naître en mon âme la vertu que je désire. Pour obtenir cette grâce de votre infinie miséricorde, je vous répéterai souvent:
«Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre.»
(Fragments.)
«Celui qui enseigne la justice à son frère brillera comme un soleil dans les perpétuelles éternités.» (Dan., XII, 3.)
————
Jésus. J. M. J. T. 8 mai 1888.
Ma Céline chérie,
Il y a des moments où je me demande s'il est bien vrai que je suis au Carmel; parfois, je n'y puis croire! Qu'ai-je donc fait au bon Dieu pour qu'il me comble de tant de grâces?
Déjà un mois que nous sommes séparées! Mais pourquoi dire séparées? Quand l'océan serait entre nous, nos âmes resteraient unies. Cependant, je le sais, tu souffres de ne plus m'avoir, et si je m'écoutais, je demanderais à Jésus de me donner tes tristesses; mais vois-tu, je ne m'écoute pas, j'aurais peur d'être égoïste, voulant pour moi la meilleure part, c'est-à-dire la souffrance.
Tu as raison, la vie est souvent pesante et amère; il est pénible de commencer une journée de labeur, surtout quand Jésus se cache à notre amour. Que fait-il ce doux Ami? Il ne voit donc pas notre angoisse, le poids qui nous oppresse; où est-il? Pourquoi ne vient-il pas nous consoler?
Céline, ne crains rien, il est là, tout près de nous! Il nous regarde; c'est lui qui nous mendie cette peine, ces larmes... il en a besoin pour les âmes, pour notre âme; il veut nous donner une si belle récompense! Ah! je t'assure qu'il lui en coûte pour nous abreuver d'amertume, mais il sait que c'est l'unique moyen de nous préparer à le connaître comme il se connaît, à devenir des dieux nous-mêmes! Oh! quelle destinée! Que notre âme est grande! Elevons-nous au-dessus de ce qui passe, tenons-nous à distance de la terre; plus haut, l'air est si pur! Jésus peut se cacher, mais on le devine...
20 octobre 1888.
Ma sœur chérie
Que ton impuissance ne te désole pas. Lorsque le matin nous ne sentons aucun courage, aucune force pour pratiquer la vertu, c'est une grâce, c'est le moment de mettre la cognée à la racine de l'arbre[190], ne comptant que sur Jésus seul. Si nous tombons, tout est réparé dans un acte d'amour, et Jésus sourit! Il nous aide sans en avoir l'air; et les larmes que lui font verser les méchants sont essuyées par notre pauvre et faible amour. L'amour peut tout faire; les choses les plus impossibles lui semblent faciles et douces. Tu sais bien que Notre-Seigneur ne regarde pas tant à la grandeur des actions, ni même à leur difficulté, qu'à l'amour avec lequel nous les accomplissons. Qu'avons-nous à craindre?
Tu voudrais devenir une sainte, et tu me demandes si ce n'est pas trop oser. Céline, je ne te dirai pas de viser à la sainteté séraphique des âmes les plus privilégiées, mais bien d'être parfaite, comme ton Père céleste est parfait[191]. Tu vois donc que ton rêve, que nos rêves et nos désirs ne sont pas des chimères, puisque Jésus nous en a fait lui-même un commandement.
Janvier 1889.
Ma chère petite Céline,
Jésus te présente la croix, une croix bien pesante! et tu t'effraies de ne pouvoir porter cette croix sans faiblir; pourquoi? Notre Bien-Aimé, sur la route du Calvaire, est bien tombé trois fois, pourquoi n'imiterions-nous pas notre Epoux?
Quel privilège de Jésus! Comme il nous aime pour nous envoyer une si grande douleur! Ah! l'éternité ne sera pas assez longue pour l'en bénir. Il nous comble de ses faveurs, comme il en comblait les plus grands saints. Quels sont donc ses desseins d'amour sur nos âmes? Voilà un secret qui ne nous sera dévoilé que dans notre patrie, le jour où le Seigneur essuiera toutes nos larmes[192].
Maintenant, nous n'avons plus rien à espérer sur la terre, les fraîches matinées sont passées[193], il ne nous reste que la souffrance! Oh! quel sort digne d'envie! Les Séraphins dans les cieux sont jaloux de notre bonheur.
J'ai trouvé ces jours-ci cette parole admirable: «La résignation est encore distincte de la volonté de Dieu, il y a la même différence qui existe entre l'union et l'unité; dans l'union on est encore deux, dans l'unité on n'est plus qu'un.»[194]
Oh! oui, ne soyons qu'un avec Dieu, même dès ce monde; et pour cela soyons plus que résignées, embrassons la croix avec joie.
28 février 1889.
Ma chère petite sœur,
Jésus est un Epoux de sang[195], Il veut pour lui tout le sang de notre cœur! Tu as raison, il en coûte pour lui donner ce qu'il demande. Et quelle joie que cela coûte! Quel bonheur de porter nos croix faiblement!
Céline, loin de me plaindre à Notre-Seigneur de cette croix qu'il nous envoie, je ne puis comprendre l'amour infini qui l'a porté à nous traiter ainsi. Il faut que notre père soit bien aimé de Dieu, pour avoir tant à souffrir! Quelles délices d'être humiliées avec lui! L'humiliation est la seule voie qui fait les saints, je le sais; je sais aussi que notre épreuve est une mine d'or à exploiter. Moi, petit grain de sable, je veux me mettre à l'œuvre, sans courage, sans force; et cette impuissance même me facilitera l'entreprise, je veux travailler par amour. C'est le martyre qui commence... Ensemble, ma sœur chérie, entrons dans la lice; offrons nos souffrances à Jésus pour sauver des âmes...
12 mars 1889.
..... Céline, j'ai besoin d'oublier la terre; ici-bas tout me fatigue, je ne trouve qu'une joie, celle de souffrir... et cette joie non sentie est au-dessus de toute joie. La vie passe, l'éternité s'avance; bientôt nous vivrons de la vie même de Dieu. Après avoir été abreuvées à la source des amertumes, nous serons désaltérées à la source même de toutes les douceurs.
Oui, la figure de ce monde passe[196], bientôt nous verrons de nouveaux cieux; «un soleil plus radieux éclairera de ses splendeurs des mers éthérées et des horizons infinis...» Nous ne serons plus prisonnières sur une terre d'exil, tout sera passé! Avec notre Epoux céleste, nous voguerons sur des lacs sans rivages; nos harpes sont suspendues aux saules qui bordent le fleuve de Babylone[197]; mais au jour de notre délivrance, quelles harmonies ne ferons-nous pas entendre! Avec quelle joie nous ferons vibrer toutes les cordes de nos instruments! Aujourd'hui, nous répandons des larmes en nous souvenant de Sion, comment pourrions-nous chanter les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère[198]?
Notre refrain, c'est le cantique de la souffrance. Jésus nous présente un calice bien amer; n'en retirons pas nos lèvres, souffrons en paix! Qui dit paix ne dit pas joie, ou du moins joie sentie; pour souffrir en paix, il suffit de bien vouloir tout ce que veut Notre-Seigneur.
Ne croyons pas trouver l'amour sans la souffrance. Notre nature est là, elle n'y est pas pour rien; mais quels trésors elle nous fait acquérir! C'est notre gagne-pain; elle est si précieuse que Jésus est descendu sur la terre tout exprès pour la posséder. Nous voudrions souffrir généreusement, grandement; nous voudrions ne jamais tomber: quelle illusion! Et que m'importe, à moi, de tomber à chaque instant! je sens par là ma faiblesse et j'y trouve un grand profit. Mon Dieu, vous voyez ce que je puis faire si vous ne me portez dans vos bras; et si vous me laissez seule, eh bien! c'est qu'il vous plaît de me voir par terre; pourquoi donc m'inquiéter?
Si tu veux supporter en paix l'épreuve de ne pas te plaire à toi-même, tu donneras au divin Maître un doux asile; il est vrai que tu souffriras, puisque tu seras à la porte de chez toi, mais ne crains pas: plus tu seras pauvre, plus Jésus t'aimera. Je sais bien qu'il aime mieux te voir heurter dans la nuit les pierres du chemin, que marcher en plein jour sur une route émaillée de fleurs, parce que ces fleurs pourraient retarder ta marche.
14 juillet 1889.
Ma sœur chérie,
Mon âme ne te quitte pas. Oh! oui, c'est bien dur de vivre sur cette terre! Mais demain, dans une heure, nous serons au port! Mon Dieu, que verrons-nous alors? Qu'est-ce donc que cette vie qui n'aura pas de fin?... Le Seigneur sera l'âme de notre âme. Mystère insondable! «L'œil de l'homme n'a point vu la lumière incréée, son oreille n'a point entendu les incomparables mélodies des cieux, et son cœur ne peut comprendre ce qui lui est réservé dans l'avenir.»[199] Et tout cela viendra bientôt! oui, bientôt, si nous aimons Jésus avec passion.
Il me semble que le bon Dieu n'a pas besoin d'années pour faire son œuvre d'amour dans une âme; un rayon de son Cœur peut, en un instant, faire épanouir sa fleur pour l'éternité... Céline, pendant les courts instants qui nous restent, sauvons des âmes; je sens que notre Epoux nous demande des âmes, des âmes de prêtres, surtout... C'est lui qui veut que je te dise cela.
Il n'y a qu'une seule chose à faire ici-bas: aimer Jésus, lui sauver des âmes pour qu'il soit aimé. Soyons jalouses des moindres occasions pour le réjouir, ne lui refusons rien. Il a tant besoin d'amour!
Nous sommes ses lis préférés; il réside au milieu de nous, il y réside en Roi, et nous fait partager les honneurs de sa royauté: son Sang divin arrose nos corolles; et ses épines, en nous déchirant, laissent exhaler le parfum de notre amour.
22 octobre 1889.
Ma Céline chérie,
Je t'envoie une image de la Sainte Face, je trouve que ce sujet divin convient si parfaitement à la vraie petite sœur de mon âme... Oh! qu'elle soit une autre Véronique! Qu'elle essuie tout le sang et les larmes de Jésus, son unique Bien-Aimé! Qu'elle lui donne des âmes! Qu'elle s'ouvre un chemin à travers les soldats, c'est-à-dire le monde, pour arriver jusqu'à lui!... Oh! qu'elle sera heureuse quand elle verra un jour, dans la gloire, la valeur de ce breuvage mystérieux dont elle aura désaltéré son Fiancé céleste; quand elle verra ses lèvres, autrefois desséchées par une soif ardente, lui dire l'unique et éternelle parole de l'Amour! le merci qui n'aura pas de fin...
A bientôt, petite Véronique[200] chérie, demain sans doute le bien-Aimé te demandera un nouveau sacrifice, un nouveau soulagement à sa soif; mais «allons et mourons avec lui[201]».
18 juillet 1890.
Ma chère petite sœur,
Je t'envoie un passage d'Isaïe qui te consolera. Vois donc, il y a si longtemps! et déjà l'âme du prophète se plongeait comme la nôtre dans les beautés cachées de la Face divine... Il y a des siècles! Ah! je me demande ce qu'est le temps. Le temps n'est qu'un mirage, un rêve; déjà Dieu nous voit dans la gloire, il jouit de notre béatitude éternelle. Que cette pensée fait de bien à mon âme! Je comprends alors pourquoi il nous laisse souffrir...
Eh bien, puisque notre Bien-Aimé a été seul à fouler le vin[202] qu'il nous donne à boire; à notre tour, ne refusons pas de porter des vêtements teints de sang, foulons pour Jésus un vin nouveau qui le désaltère, et, regardant autour de lui[203], il ne pourra plus dire qu'il est seul, nous serons là pour lui venir en aide.
Son visage était caché[204], hélas! il l'est encore aujourd'hui, personne ne comprend ses larmes... «Ouvre-moi, ma sœur, mon épouse, nous dit-il, car ma tête est pleine de rosée, et mes cheveux humides des gouttes de la nuit[205].» Oui, voilà ce que Jésus dit à notre âme lorsqu'il est abandonné, oublié... L'oubli, il me semble que c'est encore ce qui lui fait le plus de peine.
Et notre père chéri! Ah! mon cœur est déchiré; mais comment nous plaindre, puisque Notre-Seigneur lui-même a été considéré comme un homme frappé de Dieu et humilié[206]? Dans cette grande douleur, oublions-nous et prions pour les prêtres; que notre vie leur soit consacrée. Le divin Maître me fait de plus en plus sentir qu'il veut cela de nous deux...
Mardi, 23 septembre 1890.
O Céline, comment te dire ce qui se passe dans mon âme?... Quelle blessure! Mais je sens qu'elle est faite par une main amie, par une main divinement jalouse!...
Tout était prêt pour mes noces[207]; cependant ne trouves-tu pas qu'il manquait quelque chose à la fête? Il est vrai que Jésus avait déjà mis bien des joyaux dans ma corbeille, mais il en fallait un, sans doute, d'une beauté incomparable, et ce diamant précieux, Jésus me l'a donné aujourd'hui... Papa ne viendra pas demain! Céline, je te l'avoue, mes larmes ont coulé... elles coulent encore pendant que je t'écris, je puis à peine tenir ma plume.
Tu sais à quel point je désirais revoir notre Père chéri; eh bien! maintenant, je sens que c'est la volonté du bon Dieu qu'il ne soit pas à ma fête. Il a permis cela simplement pour éprouver notre amour... Jésus me veut orpheline, il veut que je sois seule avec Lui seul, pour s'unir plus intimement à moi; et il veut aussi me rendre, dans la Patrie, les joies si légitimes qu'il m'a refusées dans l'exil.
L'épreuve d'aujourd'hui est une douleur difficile à comprendre: une joie nous était offerte, elle était possible, naturelle, nous avançons la main... et nous ne pouvons saisir cette consolation si désirée! Mais ce n'est pas une main humaine qui a fait cela, c'est Jésus! Céline, comprends ta Thérèse! et, toutes deux, acceptons de bon cœur l'épine qui nous est présentée; la fête de demain sera une fête de larmes pour nous, mais je sens que Jésus sera si consolé!...
14 octobre 1890.
Ma sœur chérie,
Je comprends tout ce que tu souffres, je comprends tes déchirements et je les partage. Ah! si je pouvais te communiquer la paix que Jésus a mise dans mon âme au plus fort de mes larmes... Console-toi! Tout passe! Notre vie d'autrefois est passée, la mort passera aussi, et alors nous jouirons de la vie, de la vraie vie, pour des millions de siècles, pour toujours!
En attendant, faisons de notre cœur un parterre de délices où notre doux Sauveur vienne se reposer... N'y plantons que des lis, et puis chantons avec saint Jean de la Croix:
Le visage incliné sur mon Bien-Aimé,
Je restai là et m'oubliai;
Tout disparut pour moi et je m'abandonnai,
Laissant toutes mes sollicitudes
Perdues au milieu des lis.
26 avril 1891.
Ma chère petite sœur,
Il y a trois ans, nos âmes n'avaient pas encore été brisées, le bonheur nous souriait ici-bas; mais Jésus nous a regardées, et ce regard s'est changé pour nous en un océan de larmes, mais aussi en un océan de grâces et d'amour. Le bon Dieu nous a ravi celui que nous aimions avec une si grande tendresse; n'est-ce pas afin que nous puissions dire véritablement: «Notre Père qui êtes aux cieux»? Qu'elle est consolante cette divine parole! Quels horizons elle ouvre à nos yeux!
Ma Céline chérie, toi qui m'adressais tant de questions lorsque tu étais petite, je me demande comment tu ne m'as jamais fait celle-ci: «Pourquoi donc le bon Dieu ne m'a-t-il pas créée un ange?» Eh bien, je vais te répondre quand même:—Le Seigneur veut avoir ici-bas sa cour comme là-haut, il veut des anges-martyrs, des anges-apôtres; et s'il ne t'a pas créée un ange du ciel, c'est qu'il te veut un ange de la terre, afin que tu puisses souffrir pour son amour.
Céline, ma sœur chérie! les ombres bientôt se seront dissipées, aux durs frimas de l'hiver succéderont les rayonnements du soleil éternel... bientôt nous serons dans notre terre natale; bientôt les joies de notre enfance, les soirées du dimanche, les épanchements intimes nous seront rendus pour toujours!
15 août 1892.
Ma chère petite sœur,
Pour t'écrire aujourd'hui, je suis obligée de dérober quelques instants à Nôtre-Seigneur; il ne m'en voudra pas, car c'est de lui que nous allons parler ensemble.
Céline! les vastes solitudes, les horizons enchanteurs qui s'ouvrent devant toi, dans la belle campagne que tu habites, doivent élever grandement ton âme. Moi je ne vois pas tout cela, je me contente de dire avec saint Jean de la Croix dans son Cantique spirituel:
J'ai en mon Bien-Aimé les montagnes,
Les vallées solitaires et boisées...
Dernièrement, je pensais à ce qu'il m'était possible d'entreprendre pour sauver les âmes; et cette simple parole de l'Evangile m'a donné la lumière. Autrefois, Jésus disait à ses disciples en leur montrant les champs de blés mûrs:
«Levez les yeux et voyez comme les campagnes sont déjà assez blanches pour être moissonnées[208]», et un peu plus loin: «La moisson est abondante, mais le nombre des ouvriers est petit; demandez donc au Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers.»[209]
Quel mystère! Jésus n'est-il pas tout-puissant? Les créatures ne sont-elles pas à celui qui les a créées? Pourquoi s'abaisse-t-il à dire: «Demandez au Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers?...»—Ah! c'est qu'il a pour nous un amour si incompréhensible, si délicat, qu'il ne veut rien faire sans nous y associer. Le Créateur de l'univers attend la prière d'une pauvre petite âme pour en sauver une multitude d'autres, rachetées comme elle au prix de son sang.
Notre vocation à nous, ce n'est pas d'aller moissonner dans les champs du Père de famille; Jésus ne nous dit pas: Baissez les yeux, moissonnez les campagnes; notre mission est plus sublime encore. Voici les paroles du divin Maître: «Levez les yeux et voyez...» Voyez comme dans le ciel il y a des places vides; c'est à vous de les combler... vous êtes mes Moïse priant sur la montagne; demandez-moi des ouvriers et j'en enverrai, je n'attends qu'une prière, un soupir de votre cœur!
L'apostolat de la prière n'est-il pas, pour ainsi dire, plus élevé que celui de la parole? C'est à nous de former des ouvriers évangéliques qui sauveront des milliers d'âmes dont nous deviendrons les mères; qu'avons-nous donc à envier aux prêtres du Seigneur?
Ma sœur chérie,
Notre tendresse d'enfant s'est changée en union bien grande de pensées et de sentiments. Jésus nous a attirées ensemble, car n'es-tu pas à lui déjà? Il a mis le monde sous nos pieds. Comme Zachée, nous sommes montées sur un arbre pour le voir; arbre mystérieux qui nous élève bien au-dessus de toutes choses; alors nous pouvons dire: Tout est à moi, tout est pour moi: la terre est à moi, les cieux sont à moi, Dieu est à moi, et la Mère de mon Dieu est à moi.»[210]
A propos de la sainte Vierge, il faut que je te confie une de mes simplicités: parfois je me surprends à lui dire: «Savez-vous, ma Mère chérie, que je me trouve plus heureuse que vous? Je vous ai pour Mère, et vous n'avez pas comme moi de sainte Vierge à aimer!... Il est vrai que vous êtes la Mère de Jésus, mais vous me l'avez donné; et lui, sur la croix, vous a donnée à nous comme notre Mère; ainsi nous sommes plus riches que vous! Autrefois, dans votre humilité, vous souhaitiez de devenir la petite servante de la Mère de Dieu; et moi, pauvre petite créature, je suis, non pas votre servante, mais votre enfant! Vous êtes la Mère de Jésus et vous êtes ma Mère!»
Céline, qu'elle est donc admirable notre grandeur en Jésus! Que de mystères il nous a dévoilés en nous faisant monter sur l'arbre symbolique dont je te parlais tout à l'heure! Et maintenant, quelle science va-t-il nous enseigner? Ne nous a-t-il pas tout appris? Ecoutons:
«Hâtez-vous de descendre, il faut que je loge aujourd'hui chez vous.»[211]
Eh quoi! Jésus nous dit de descendre! Où donc faudra-t-il aller? Autrefois, les Juifs lui demandaient: «Maître, où logez-vous[212]?» et il leur répondait: «Les renards ont leurs tanières, les oiseaux du ciel leurs nids: et moi, je n'ai pas où reposer la tête.»[213] Voilà jusqu'où nous devons descendre afin de pouvoir servir de demeure à Jésus: être si pauvres que nous n'ayons pas où reposer la tête.
Cette lumière m'a été donnée pendant ma retraite. Notre-Seigneur désire que nous le recevions dans nos cœurs; sans doute, ils sont vides des créatures, mais hélas! le mien n'est pas vide de moi-même, et c'est pour cela qu'il m'est commandé de descendre. Oh! je veux descendre bien bas, afin que dans mon cœur Jésus puisse reposer sa tête divine, et que là il se sente aimé et compris.
25 avril 1893.
Ma petite Céline,
Je viens te faire part des désirs de Jésus sur ton âme. Rappelle-toi qu'il n'a pas dit: Je suis la fleur des jardins, la rose cultivée, mais: «Je suis la Fleur des champs et le Lis des vallées.»[214] Eh bien, tu dois rester toujours une goutte de rosée cachée dans la divine corolle du beau Lis des vallées.
Une goutte de rosée, qu'y a-t-il de plus simple et de plus pur? Ce ne sont pas les nuages qui l'ont formée, elle naît sous le ciel étoilé. La rosée n'existe que la nuit; quand le soleil darde ses chauds rayons, les charmantes perles qui scintillent à l'extrémité des brins d'herbe se changent bientôt en vapeur légère. Voilà le portrait de ma petite Céline... Céline est une goutte de rosée descendue du beau ciel, sa patrie. Pendant la nuit de cette vie, elle doit se cacher dans le calice vermeil de la Fleur des champs; nul regard ne doit l'y découvrir.
Heureuse petite goutte de rosée, connue de Dieu seul, ne t'arrête pas à considérer le cours retentissant des neuves de ce monde, n'envie même pas le clair ruisseau qui serpente dans la prairie. Sans doute son murmure est bien doux, mais les créatures peuvent l'entendre, et puis le calice de la Fleur des champs ne saurait le contenir. Pour approcher de Jésus, il faut être si petit! Oh! qu'il y a peu d'âmes qui aspirent à être petites et inconnues! «Mais, disent-elles, le fleuve et le ruisseau ne sont-ils pas plus utiles que la goutte de rosée? Que fait-elle? Nous la jugeons propre à rien, sinon à rafraîchir un instant la corolle fragile d'une fleur champêtre.»
Ah! vous ne connaissez pas la véritable Fleur champêtre! Si vous la connaissiez, vous comprendriez mieux le reproche de Notre-Seigneur à Marthe. Le Bien-Aimé n'a besoin ni de nos œuvres éclatantes, ni de nos belles pensées; s'il veut des conceptions sublimes, n'a-t-il pas ses Anges, dont la science surpasse infiniment celle des plus grands génies de ce monde? Ce n'est donc ni l'esprit, ni les talents qu'il vient chercher ici-bas... Il ne s'est fait la Fleur des champs qu'afin de nous montrer combien il chérit la simplicité.
Le Lis de la vallée ne demande qu'une goutte de rosée, laquelle, pendant une nuit seulement, restera cachée aux regards humains. Mais lorsque les ombres commenceront à décliner, que la Fleur des champs sera devenue le Soleil de Justice[215], l'humble compagne de son exil montera jusqu'à lui comme une vapeur d'amour; il arrêtera sur elle un de ses rayons, et, devant toute la cour céleste, elle brillera éternellement, comme une perle précieuse, éclatant miroir du Soleil divin.
2 août 1893.
Ma chère Céline,
Ce que tu m'écris me comble de joie, tu marches par un chemin royal. L'épouse des Cantiques, n'ayant pu trouver son Bien-Aimé dans le repos, se leva, dit-elle, pour le chercher dans la ville, mais en vain... elle ne le put trouver qu'en dehors des remparts[216]. Jésus ne veut pas que nous trouvions dans le repos sa présence adorable, il se cache, il s'enveloppe de ténèbres... Ce n'est pas ainsi qu'il agit à l'égard des foules, car nous lisons dans le saint Evangile que le peuple était enlevé dès qu'il parlait[217].
Jésus charmait les âmes faibles par ses divines paroles, il essayait de les rendre fortes pour le jour de la tentation et de l'épreuve; mais combien fut petit le nombre de ses amis fidèles lorsqu'il se tut[218] devant ses juges! Oh! quelle mélodie pour mon cœur que ce silence du divin Maître!
Il veut que nous lui fassions la charité comme à un pauvre; il se met, pour ainsi dire, à notre merci; il ne veut rien prendre sans que nous le lui donnions de bon cœur, et la plus petite obole est précieuse à ses yeux divins. Il nous tend la main pour recevoir un peu d'amour, afin qu'au jour radieux du Jugement, ce doux Sauveur puisse nous adresser ces paroles ineffables: «Venez, les bénis de mon Père; car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger: j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire: je ne savais où loger et vous m'avez donné un asile; j'étais en prison, malade, et vous m'avez secouru.»[219]
Ma Céline chérie, réjouissons-nous de notre part; donnons, donnons au Bien-Aimé, soyons prodigues envers lui, mais n'oublions jamais qu'il est un Trésor caché: peu d'âmes savent le découvrir. Pour trouver une chose cachée, il faut se cacher soi-même; que notre vie soit un mystère. «Voulez-vous apprendre quelque chose qui vous serve? dit l'auteur de l'Imitation, aimez à être inconnu et compté pour rien[220]... Après avoir tout quitté, il faut encore se quitter soi-même[221]; que celui-ci se glorifie d'une chose, celui-là d'une autre; pour vous, ne mettez votre joie que dans le mépris de vous-même.»[222]
Tu me dis, ma Céline chérie, que mes lettres te font du bien; j'en suis heureuse, mais je t'assure que je ne me méprends pas. «Si le Seigneur ne bâtit lui-même la maison, c'est en vain que travaillent ceux qui l'élèvent.»[223] Tous les plus beaux discours seraient incapables de faire jaillir un acte d'amour, sans la grâce qui touche le cœur.
Voici une belle pêche rosée et si suave que tous les confiseurs ne sauraient composer un semblable nectar. Dis-moi, Céline, est-ce pour la pêche que le Bon Dieu a créé cette jolie couleur et ce velouté si agréable? Est-ce pour elle encore qu'il a dépensé tant de sucre? Mais non, c'est pour nous; ce qui lui appartient uniquement, ce qui fait l'essence de son être, c'est son noyau; elle ne possède que cela.
Ainsi Jésus se plaît à prodiguer ses dons à quelques-unes de ses créatures, dans le but de s'attirer d'autres âmes; mais intérieurement, il les humilie par miséricorde, il les force doucement à reconnaître leur néant et sa toute-puissance. Ces sentiments forment en elles comme un noyau de grâce qu'il se hâte de développer pour le jour bienheureux où, revêtues d'une beauté immortelle et impérissable, elles seront servies sans danger sur la table des cieux.
Chère petite sœur, doux écho de mon âme, ta Thérèse ne se trouve pas dans les hauteurs en ce moment; mais vois-tu, quand je suis dans la sécheresse, incapable de prier, de pratiquer la vertu, je cherche de petites occasions, des riens, pour faire plaisir à mon Jésus: par exemple, un sourire, une parole aimable, alors que je voudrais me taire et montrer de l'ennui. Si je n'ai pas d'occasions, je veux au moins lui répéter souvent que je l'aime; ce n'est pas difficile, et cela entretient le feu dans mon cœur. Quand même il me semblerait éteint ce feu d'amour, je jetterais encore de petites pailles sur la cendre et je suis sûre qu'il se rallumerait.
Il est vrai que je ne suis pas toujours fidèle; mais je ne me décourage jamais, je m'abandonne dans les bras du Seigneur; il m'apprend à tirer profit de tout, du bien et du mal qu'il trouve en moi[224], il m'apprend à jouer à la banque de l'amour, ou plutôt c'est lui qui joue pour moi, sans me dire comment il s'y prend: cela c'est son affaire, et pas la mienne; ce qui me regarde, c'est de me livrer entièrement, sans rien me réserver, pas même la jouissance de savoir combien la banque me rapporte... Après tout, je ne suis pas l'enfant prodigue, ce n'est pas la peine que Jésus me fasse un festin, puisque je suis toujours avec lui[225].
J'ai lu dans le saint Evangile, que le divin Pasteur abandonne toutes les brebis fidèles dans le désert pour courir après la brebis perdue. Que je suis touchée de cette confiance! Vois donc, il est sûr d'elles! Comment pourraient-elles s'enfuir? elles sont captives de l'amour. Ainsi le bien-aimé Pasteur de nos âmes nous dérobe sa présence sensible, pour donner ses consolations aux pécheurs; ou bien, s'il nous conduit au Thabor, c'est pour un instant... les vallées sont presque toujours le lieu des pâturages, «c'est là qu'il prend son repos à midi[226]».
20 octobre 1893.
Ma sœur chérie,
Je trouve dans les Cantiques sacrés ce passage qui te convient parfaitement: «Que voyez-vous dans l'épouse, sinon un chœur de musique dans un camp d'armée[227]?» Par la souffrance, ta vie est en effet un champ de bataille; il y faut un chœur de musique, eh bien! tu seras la petite lyre de Jésus. Mais un concert est-il complet quand personne ne chante? Puisque Jésus joue, ne faut-il pas que Céline chante? Quand l'air sera triste, elle chantera les cantiques de l'exil; quand l'air sera joyeux, elle modulera quelques refrains d'en haut...
Tout ce qui arrivera d'heureux ou de fâcheux, tous les événements de la terre ne seront que des bruits lointains, incapables de faire vibrer la lyre de Jésus; seul, il se réserve le droit d'en toucher légèrement les cordes.
Je ne puis penser sans ravissement à la chère petite sainte Cécile; quel modèle! Au milieu d'un monde païen, au sein du danger, au moment d'être unie à un mortel qui ne respire que l'amour profane, il me semble qu'elle aurait dû trembler et pleurer. Mais non, tandis que les instruments de joie célébraient ses noces, Cécile chantait en son cœur[228]. Quel abandon! Elle entendait sans doute d'autres mélodies que celles de la terre, son Epoux divin chantait lui aussi, et les Anges répétaient en chœur ce refrain d'une nuit bénie: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux âmes de bonne volonté.»[229]
La gloire de Dieu! Oh! Cécile la comprenait, elle l'appelait de tous ses vœux, elle devinait que son Jésus avait soif des âmes... C'est pourquoi tout son désir était de lui amener bientôt celle du jeune Romain qui ne songeait qu'à la gloire humaine; cette vierge sage en fera un martyr, et des multitudes marcheront sur ses traces. Elle ne craint rien: les Anges ont promis et chanté la paix; elle sait que le Prince de la paix est obligé de la protéger, de garder sa virginité et de lui donner sa récompense. «Oh! qu'elle est belle la génération des âmes vierges[230]!»
Ma sœur chérie, je ne sais trop ce que je te dis, je me laisse aller au courant de mon cœur. Tu m'écris que tu sens ta faiblesse, c'est une grâce; c'est Nôtre-Seigneur qui imprime en ton âme ces sentiments de défiance de toi-même. Ne crains pas; si tu restes fidèle à lui faire plaisir dans les petites occasions, il se trouvera obligé de t'aider dans les grandes.
Les Apôtres, sans lui, travaillèrent longtemps, toute une nuit, sans prendre aucun poisson; leur travail pourtant lui était agréable, mais il voulait prouver que lui seul peut nous donner quelque chose. Il demandait seulement un acte d'humilité: «Enfants, n'avez-vous rien à manger[231]?» et le bon saint Pierre avoue son impuissance: «Seigneur, nous avons péché toute la nuit sans rien prendre[232]!» C'est assez! le Cœur de Jésus est touché, il est ému... Peut-être que si l'apôtre eût pris quelques petits poissons, le divin Maître n'aurait pas fait de miracle; mais il n'avait rien, aussi par la puissance et la bonté divines ses filets furent bientôt remplis de gros poissons!
Voilà bien le caractère de Nôtre-Seigneur: il donne en Dieu, mais il veut l'humilité du cœur.
7 juillet 1894.
Ma chère petite sœur,
Je ne sais pas si tu te trouves encore dans les mêmes dispositions d'esprit que tu manifestais dans ta dernière lettre; je le suppose, et j'y réponds par ce passage du Cantique des Cantiques qui explique parfaitement l'état d'une âme plongée dans la sécheresse, d'une âme que rien ne peut réjouir ni consoler:
«Je suis descendue dans le jardin des noyers, pour voir les fruits de la vallée, pour considérer si la vigne a fleuri et si les pommes de grenade ont poussé. Je n'ai plus su où j'étais; mon âme a été troublée à cause des chariots d'Aminadab.»[233]
Voilà bien l'image de nos âmes. Souvent nous descendons dans les vallées fertiles où notre cœur aime à se nourrir; et le vaste champ des saintes Ecritures, qui tant de fois s'est ouvert pour répandre en notre faveur ses plus riches trésors, ce champ lui-même nous semble un désert aride et sans eau; nous ne savons même plus où nous sommes: au lieu de la paix, de la lumière, le trouble et les ténèbres sont notre partage...
Mais, comme l'épouse, nous connaissons la cause de cette épreuve: «Notre âme est troublée à cause des chariots d'Aminadab.» Nous ne sommes pas encore dans notre patrie, et la tentation doit nous purifier comme l'or à l'action du feu; nous nous croyons parfois abandonnées, hélas! les chariots, c'est-à-dire les vains bruits qui nous assiègent et nous affligent, sont-ils en nous ou en dehors de nous? Nous ne savons! mais Jésus le sait; il est témoin de notre tristesse, et dans la nuit soudain sa voix se fait entendre:
«Reviens, reviens, ma Sulamite, reviens afin que nous le considérions[234]!»
Quel appel! Eh quoi! nous n'osions plus même nous regarder, notre état nous faisait horreur, et Jésus nous appelle pour nous considérer à loisir... Il veut nous voir, il vient, et les deux autres Personnes adorables de la Sainte Trinité viennent avec lui prendre possession de notre âme.
Nôtre-Seigneur l'avait promis autrefois, lorsqu'il disait avec une tendresse ineffable: «Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole; et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.»[235] Garder la parole de Jésus, voilà l'unique condition de notre bonheur, la preuve de notre amour pour lui; et cette parole, il me semble que c'est lui-même, puisqu'il se nomme le Verbe ou Parole incréée du Père.
Dans le même Evangile de saint Jean, il fait cette prière sublime: «Sanctifiez-les par votre parole; votre parole est la vérité.»[236] En un autre endroit, Jésus nous apprend qu'il est la voie, la vérité et la vie[237]. Nous savons donc quelle est la parole à garder; nous ne pouvons pas dire comme Pilate: «Qu'est-ce que la vérité[238]?»—La vérité, nous la possédons, puisque le Bien-Aimé habite dans nos cœurs.
Souvent ce Bien-Aimé nous est un bouquet de myrrhe[239], nous partageons le calice de ses douleurs; mais qu'il nous sera doux d'entendre un jour cette parole suave: «C'est vous qui êtes demeurés avec moi dans toutes les épreuves que j'ai eues, aussi je vous prépare mon royaume, comme mon Père me l'a préparé[240]!»
19 août 1894.
C'est peut-être la dernière fois, ma chère petite sœur, que je me sers de la plume pour parler avec toi; le bon Dieu a exaucé mon vœu le plus cher! Viens, nous souffrirons ensemble... et puis Jésus prendra l'une de nous, et les autres resteront pour un peu de temps dans l'exil. Ecoute bien ce que je vais te dire: Jamais, jamais, le bon Dieu ne nous séparera; si je meurs avant loi, ne crois pas que je m'éloignerai de ton âme, jamais nous n'aurons été plus unies. Surtout ne te fais pas de peine de ma prophétie, c'est un enfantillage! je ne suis pas malade, j'ai une santé de fer; mais le Seigneur peut briser le fer comme l'argile...
Notre père chéri nous fait sentir sa présence d'une manière qui me touche profondément. Après une mort de cinq longues années, quelle joie de le retrouver comme autrefois, et plus paternel encore! Oh! comme il va te rendre les soins que tu lui as prodigués! Tu as été son ange, il sera ton ange à son tour. Vois donc, il n'y a pas un mois qu'il est au ciel, et déjà, par son intervention puissante, toutes tes démarches réussissent. Maintenant ce lui est chose facile d'arranger nos affaires, aussi a-t-il eu moins de peine pour sa Céline que pour sa pauvre petite reine!
Depuis longtemps tu me demandes des nouvelles du noviciat, surtout des nouvelles de mon métier; je vais te satisfaire:
Je suis un petit chien de chasse, et ce titre me donne bien des sollicitudes, à cause des fonctions qu'il exige, tu en jugeras: toute la journée, du matin jusqu'au soir, je cours après le gibier. Les chasseurs—Révérende Mère Prieure et Maîtresse des novices—sont trop grands pour se couler dans les buissons; tandis qu'un petit chien, ça se faufile partout... et puis ça a le nez fin! Aussi je veille de près mes petits lapins; je ne veux pas leur faire de mal; mais je les lèche en leur disant, tantôt que leur poil n'est pas assez lisse, d'autres fois que leur regard est trop semblable à celui des lapins de garenne... enfin je tâche de les rendre tels que le Chasseur le désire: des petits lapins bien simples, occupés seulement de l'herbette qu'ils doivent brouter.
Je ris, mais au fond je pense bien sincèrement qu'un de ces petits lapins—celui que tu connais—vaut mieux cent fois que le petit chien: il a couru bien des dangers... Je t'avoue qu'à sa place, il y a longtemps que je me serais perdue pour toujours dans la vaste forêt du monde.
Je suis heureuse, ma petite Céline, que tu n'éprouves aucun attrait sensible en venant au Carmel; c'est une délicatesse de Jésus qui veut recevoir de toi un présent. Il sait qu'il est bien plus doux de donner que de recevoir. Quel bonheur de souffrir pour celui qui nous aime à la folie, et de passer pour folles aux yeux du monde! On juge les autres d'après soi-même, et comme le monde est insensé, naturellement il nous appelle de ce nom.
Consolons-nous, nous ne sommes pas les premières! Le seul crime reproché à Notre-Seigneur par Hérode fut celui d'être fou... et franchement c'était vrai! Oui, c'était de la folie de venir chercher les pauvres petits cœurs des mortels pour en faire ses trônes, lui, le Roi de gloire qui est assis au-dessus des Chérubins! N'était-il pas parfaitement heureux en compagnie de son Père et de l'Esprit d'amour? Pourquoi venir ici—bas chercher des pécheurs pour en faire ses amis, ses intimes?
Nous ne pourrons jamais accomplir pour notre Epoux les folies qu'il a accomplies pour nous; nos actes sont très raisonnables en comparaison des siens. Que le monde nous laisse tranquilles! Je le répète, c'est lui qui est insensé, puisqu'il ignore ce que Jésus a fait et souffert pour le sauver de la damnation.
Nous ne sommes pas non plus des fainéantes, des prodigues; le divin Maître s'est chargé de notre défense. Ecoute: Il était à table avec Lazare et ses disciples, Marthe servait; pour Marie, elle ne pensait pas à prendre de nourriture, mais à faire plaisir à son Bien-Aimé, aussi répandit-elle sur la tête du Sauveur un parfum de grand prix, et, cassant le vase fragile[241], toute la maison fut embaumée de cette liqueur[242].
Les Apôtres murmurèrent contre Madeleine; c'est encore ce qui arrive pour nous: les chrétiens les plus fervents trouvent que nous sommes exagérées, que nous devrions servir Jésus avec Marthe, au lieu de lui consacrer les vases de nos vies avec les parfums qui y sont renfermés. Et cependant, qu'importe que ces vases soient brisés, puisque Notre-Seigneur est consolé, et que, malgré lui, le monde est contraint de sentir les parfums qui s'en exhalent! Oh! ces parfums sont bien nécessaires pour purifier l'atmosphère malsaine qu'il respire.
A bientôt, ma sœur chérie. Voici ta barque près du port; le vent qui la pousse est un vent d'amour, et ce vent-là est plus rapide que l'éclair! Adieu! dans quelques jours nous serons réunies au Carmel, puis là-haut! Jésus n'a-t-il pas dit pendant sa Passion: «Au reste vous verre BIENTÔT le Fils de l'homme assis à la droite de Dieu et venant sur les nuées du ciel[243]?»
Nous y serons!!!
Alors nos voix étaient mêlées,
Nos mains l'une à l'autre enchaînées;
Ensemble, chantant les noces sacrées,
Déjà nous rêvions le Carmel,
Le Ciel!
FRAGMENTS
——
Quelques mois avant l'entrée de Thérèse au Carmel.
1887.
Ma petite maman chérie,
Tu as raison de dire que la goutte de fiel doit être mêlée à tous les calices, mais je trouve que les épreuves aident beaucoup à se détacher de la terre; elles font regarder plus haut que ce monde. Ici-bas rien ne peut nous satisfaire; on ne goûte un peu de repos qu'en étant prête à faire la volonté du bon Dieu.
Ma nacelle a bien de la peine à atteindre le port. Depuis longtemps je l'aperçois, et toujours je m'en trouve éloignée; mais Jésus la guide, cette petite nacelle, et je suis sûre qu'au jour choisi par lui, elle abordera heureusement au rivage béni du Carmel. O Pauline! quand Jésus m'aura fait cette grâce, je veux me donner tout entière à lui, toujours souffrir pour lui, ne plus vivre que pour lui. Oh non! je ne craindrai pas ses coups, car, même dans les souffrances les plus amères, on sent que c'est sa douce main qui frappe.
Et quand je pense que, pour une souffrance supportée avec joie, nous aimerons davantage le bon Dieu toujours! Ah! si au moment de ma mort je pouvais avoir une âme à offrir à Jésus, que je serais heureuse! Il y aurait une âme de moins dans l'enfer, une de plus à bénir le bon Dieu toute l'éternité!
Pendant sa retraite de Prise d'Habit.
Janvier 1889.
Dans mes rapports avec Jésus, rien: sécheresse! sommeil! Puisque mon Bien-Aimé veut dormir, je ne l'en empêcherai pas; je suis trop heureuse de voir qu'il ne me traite point comme une étrangère, qu'il ne se gêne pas avec moi. Il crible sa petite balle de piqûres d'épingles bien douloureuses. Quand c'est ce doux Ami qui perce lui-même sa balle, la souffrance n'est que douceur, sa main est si douce! Quelle différence avec celle des créatures!
Je suis pourtant heureuse, oui, bien heureuse de souffrir! Si Jésus ne perce pas directement sa petite balle, c'est bien lui qui conduit la main qui la blesse! O ma Mère, si vous saviez jusqu'à quel point je veux être indifférente aux choses de la terré! Que m'importent toutes les beautés créées? Je serais bien malheureuse si je les possédais! Ah! que mon cœur me paraît grand, quand je le considère par rapport aux biens de ce monde, puisque tous réunis ne pourraient le contenter; mais quand je le considère par rapport à Jésus, comme il me semble petit!
Qu'il est bon pour moi Celui qui sera bientôt mon Fiancé! qu'il est divinement aimable en ne permettant pas que je me laisse captiver par aucune chose d'ici-bas! Il sait bien que, s'il m'envoyait seulement une ombre de bonheur, je m'y attacherais avec toute l'énergie, toute la force de mon cœur; et cette ombre il me la refuse!... Il préfère me laisser dans les ténèbres, plutôt que de me donner une fausse lueur qui ne serait pas Lui.
Je ne veux pas que les créatures aient un seul atome de mon amour; je veux tout donner à Jésus, puisqu'il me fait comprendre que lui seul est le bonheur parfait. Tout sera pour lui, tout! Et même quand je n'aurai rien à lui offrir, comme ce soir, je lui donnerai ce rien...
1889.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Oui, je les désire ces blessures de cœur, ces coups d'épingle qui font tant souffrir!... A toutes les extases, je préfère le sacrifice. C'est là qu'est le bonheur pour moi, je ne le trouve nulle part ailleurs. Le petit roseau n'a pas peur de se rompre, car il est planté au bord des eaux de l'amour; aussi, lorsqu'il plie, cette onde bienfaisante le fortifie et lui fait désirer qu'un autre orage vienne à nouveau courber sa tête. C'est ma faiblesse qui fait toute ma force. Je ne puis me briser, puisque quelque chose qui m'arrive, je ne vois que la douce main de Jésus.
Rien de trop à souffrir pour conquérir la palme!
Pendant sa retraite de Profession.
Septembre 1890.
Ma Mère chérie,
Il faut que votre petit solitaire vous donne l'itinéraire de son voyage.
Avant de partir, mon Fiancé m'a demandé dans quel pays je voulais voyager, quelle route je désirais suivre. Je lui ai répondu que je n'avais qu'un seul désir, celui de me rendre au sommet de la Montagne de l'Amour.
Aussitôt, des routes nombreuses s'offrirent à mes regards; mais il y en avait tant de parfaites que je me vis incapable d'en choisir aucune de mon plein gré. Je dis alors à mon divin Guide: Vous savez où je désire me rendre, vous savez pour qui je veux gravir la montagne, vous connaissez Celui que j'aime et que je veux contenter uniquement. C'est pour lui seul que j'entreprends ce voyage, menez-moi donc par les sentiers de son choix; pourvu qu'il soit content, je serai au comble du bonheur.
Et Notre-Seigneur me prit par la main et me fit entrer dans un souterrain où il ne fait ni froid ni chaud, où le soleil ne luit pas, où la pluie et le vent n'ont pas d'accès; un souterrain où je ne vois rien qu'une clarté à demi voilée, la clarté que répandent autour d'eux les yeux baissés de la Face de Jésus.
Mon Fiancé ne me dit rien, et moi je ne lui dis rien non plus, sinon que je l'aime plus que moi, et je sens au fond de mon cœur qu'il en est ainsi, car je suis plus à lui qu'à moi.
Je ne vois pas que nous avancions vers le but de notre voyage, puisqu'il s'effectue sous terre; et pourtant il me semble, sans savoir comment, que nous approchons du sommet de la montagne.
Je remercie mon Jésus de me faire marcher dans les ténèbres; j'y suis dans une paix profonde. Volontiers je consens à rester toute ma vie religieuse dans ce souterrain obscur où il m'a fait entrer; je désire seulement que mes ténèbres obtiennent la lumière aux pécheurs.
Je suis heureuse, oui, bien heureuse de n'avoir aucune consolation; j'aurais honte que mon amour ressemblât à celui des fiancées de la terre qui regardent toujours aux mains de leurs fiancés pour voir s'ils ne leur apportent pas quelque présent; ou bien à leur visage, pour y surprendre un sourire d'amour qui les ravit.
Thérèse, la petite fiancée de Jésus, aime Jésus pour lui-même; elle ne veut regarder le visage de son Bien-Aimé qu'afin d'y surprendre des larmes qui la ravissent par leurs charmes cachés. Ces larmes, elle veut les essuyer, elle veut les recueillir, comme des diamants inestimables, pour en broder sa robe de noces.
Jésus! Je voudrais tant l'aimer! L'aimer comme jamais il n'a été aimé...
Atout prix, je veux cueillir la palme d'Agnès; si ce n'est par le sang, il faut que ce soit par l'Amour...
1890.
L'amour peut suppléer à une longue vie. Jésus ne regarde pas au temps puisqu'il est éternel. Il ne regarde qu'à l'amour. O ma petite Mère, demandez-lui de m'en donner beaucoup! Je ne désire pas l'amour sensible; pourvu qu'il soit sensible pour Jésus, cela me suffit. Oh! l'aimer et le faire aimer, que c'est doux! Dites-lui de me prendre le jour de ma Profession si je dois encore l'offenser, car je voudrais emporter au Ciel la robe blanche de mon second baptême, sans aucune souillure. Jésus peut m'accorder la grâce de ne plus l'offenser ou bien de ne faire que des fautes qui ne l'offensent pas. qui ne lui fassent pas de peine, mais ne servent qu'à m'humilier et à rendre mon amour plus fort.
Il n'y a aucun appui à chercher hors de Jésus. Lui seul est immuable. Quel bonheur de penser qu'il ne peut changer!
Lettre VIe.
1891.
Ma petite Mère chérie,
Oh! que votre lettre m'a fait de bien! Ce passage a été lumineux pour mon âme: «Retenons une parole qui pourrait nous élever aux yeux des autres.» Oui, il faut tout garder pour Jésus avec un soin jaloux; c'est si bon de travailler pour lui tout seul! Alors, comme le cœur est rempli de joie! comme l'âme est légère!...
Demandez à Jésus que son grain de sable lui sauve beaucoup d'âmes en peu de temps, pour voler plus promptement vers sa Face adorée.
1892.
Voici le rêve d'un grain de sable: Jésus seul!... rien que lui! Le grain de sable est si petit que, s'il voulait ouvrir son cœur à un autre qu'à Jésus, il n'y aurait plus de place pour ce Bien-Aimé.
Quel bonheur d'être si bien cachées que personne ne pense à nous, d'être inconnues, même aux personnes qui vivent avec nous! O ma petite Mère! comme je désire être inconnue de toutes les créatures! Je n'ai jamais désiré la gloire humaine, le mépris avait eu de l'attrait pour mon cœur; mais, ayant reconnu que c'était encore trop glorieux pour moi, je me suis passionnée pour l'oubli.
La gloire de mon Jésus, voilà toute mon ambition; la mienne, je la lui abandonne; et s'il semble m'oublier, eh bien! il est libre, puisque je ne suis plus à moi, mais à Lui. Il se lassera plus vite de me faire attendre que moi de l'attendre!
28 mai 1897.
Ce jour-là, tandis que sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus souffrait d'un fort accès de fièvre, une de nos sœurs vint lui demander son concours immédiat pour un travail de peinture difficile à exécuter; un instant, son visage trahit le combat intérieur, ce dont s'aperçut Mère Agnès de Jésus qui était présente. Le soir, Thérèse lui écrivit cette lettre:
Ma Mère bien-aimée,
Tout à l'heure votre enfant a versé de douces larmes; des larmes de repentir, mais plus encore de reconnaissance et d'amour. Aujourd'hui je vous ai montré ma vertu, mes trésors de patience! Et moi qui prêche si bien les autres! Je suis contente que vous ayez vu mon imperfection. Vous ne m'avez pas grondée... cependant je le méritais; mais en toute circonstance, votre douceur m'en dit plus long que des paroles sévères; vous êtes pour moi l'image de la divine miséricorde.
Oui, mais Sœur ***, au contraire, est ordinairement l'image de la sévérité du bon Dieu. Eh bien, je viens de la rencontrer. Au lieu de passer froidement près de moi, elle m'a embrassée en médisant: «Pauvre petite sœur, vous m'avez fait pitié! Je ne veux pas vous fatiguer, laissez l'ouvrage que je vous ai demandé, j'ai eu tort.»
Moi qui sentais dans mon cœur la contrition parfaite, je fus bien surprise de ne recevoir aucun reproche. Je sais bien qu'au fond elle doit me trouver imparfaite; c'est parce qu'elle croit à ma mort prochaine qu'elle m'a ainsi parlé. Mais n'importe, je n'ai entendu que des paroles douces et tendres sortir de sa bouche; alors je l'ai trouvée bien bonne, et moi je me suis trouvée bien méchante!
En rentrant dans notre cellule, je me demandais ce que Jésus pensait de moi. Aussitôt, je me suis rappelé ce qu'il dit un jour à la femme adultère: «Quelqu'un t'a-t-il condamnée[244]?» Et moi, les larmes aux yeux, je lui ai répondu: «Personne, Seigneur... ni ma petite Mère, image de votre tendresse, ni ma Sœur ***, image de votre justice; et je sens bien que je puis aller en paix, car vous ne me condamnerez pas non plus!»
O ma Mère bien-aimée, je vous l'avoue, je suis bien plus heureuse d'avoir été imparfaite que si, soutenue par la grâce, j'avais été un modèle de patience. Cela me fait tant de bien de voir que Jésus est toujours aussi doux, aussi tendre pour moi. Vraiment, il y a de quoi mourir de reconnaissance et d'amour.
Ma petite Mère, vous comprendrez que, ce soir, le vase de la miséricorde divine a débordé pour votre enfant. Ah! dès à présent, je le reconnais: oui, toutes mes espérances seront comblées... oui, le Seigneur fera pour moi des merveilles qui surpasseront infiniment mes immenses désirs...
——
21 février 1888.
Ma chère Marie,
Si tu savais le cadeau que papa m'a fait la semaine dernière!... Je crois que si je te le donnais en cent, et même en mille, tu ne le devinerais pas. Eh bien! ce bon petit père m'a acheté un petit agneau d'un jour, tout blanc et tout frisé. Il m'a dit, en me l'offrant, qu'il voulait, avant mon entrée au Carmel, me faire le plaisir d'avoir un petit agneau. Tout le monde était heureux, Céline était ravie. Ce qui surtout m'avait touchée, c'était la bonté de papa en me le donnant; et puis, un agneau, c'est si symbolique! il me faisait penser à Pauline.
Jusqu'ici tout va bien, tout est ravissant; mais il faut attendre la fin. Déjà, nous faisions des châteaux en Espagne, nous nous attendions à voir notre agneau bondir autour de nous, au bout de deux ou trois jours; mais hélas! la jolie petite bête est morte dans l'après-midi. Pauvre petite! à peine née, elle a souffert, puis elle est morte.
Elle était si gentille, elle avait l'air si innocent que Céline a fait son portrait; puis, papa a creusé une fosse dans laquelle on a mis le petit agneau qui semblait dormir; je n'ai pas voulu que la terre le recouvrît: nous avons jeté de la neige sur lui et puis tout a été fini...
Tu ne sais pas, ma chère marraine, combien la mort de ce petit animal m'a donné à réfléchir. Oh! oui, sur la terre il ne faut s'attacher à rien, pas même aux choses les plus innocentes, car elles nous manquent au moment où nous y pensons le moins. Seul ce qui est éternel peut nous contenter.
Pendant sa retraite de Prise d'Habit.
8 janvier 1889.
Ma sœur chérie, votre petit agnelet—comme vous aimez à m'appeler—voudrait vous emprunter un peu de force et de courage. Il ne peut rien dire à Jésus; et surtout, Jésus ne lui dit absolument rien. Priez pour moi, afin que ma retraite plaise quand même au Cœur de Celui qui seul lit au plus profond de l'âme!
La vie est pleine de sacrifices, c'est vrai; mais pourquoi y chercher du bonheur? N'est-ce pas simplement «une nuit à passer dans une mauvaise hôtellerie», comme le dit notre Mère sainte Thérèse?
Je vous avoue que mon cœur a une soif ardente de bonheur; mais je vois bien que nulle créature n'est capable de l'étancher! Au contraire, plus je boirais à cette source enchanteresse, plus ma soif serait brûlante.
Je connais une source «où, après avoir bu, on a soif encore[245]»: mais d'une soif très douce, d'une soif que l'on peut toujours satisfaire: cette source, c'est la souffrance connue de Jésus seul!...
14 août 1889.
Vous voulez un mot de votre petit agnelet. Que voulez-vous qu'il vous dise? N'a-t-il pas été instruit par vous? Rappelez-vous le temps où, me tenant sur vos genoux, vous me parliez du Ciel...
Je vous entends encore me dire: «Regarde ceux qui veulent s'enrichir, vois quel mal ils se donnent pour gagner de l'argent; et nous, ma petite Thérèse, nous pouvons à chaque instant, et sans prendre tant de peine, acquérir des trésors pour le Ciel; nous pouvons ramasser des diamants comme avec un râteau! Pour cela, il suffit de faire toutes nos actions par amour pour le bon Dieu.» Et je m'en allais le cœur rempli de joie et du désir d'amasser aussi de grands trésors. Le temps a fui, depuis ces heureux moments écoulés dans notre doux nid. Jésus est venu nous visiter, il nous a trouvées dignes de passer par le creuset de la souffrance.
Le bon Dieu nous dit qu'au dernier jour «il essuiera toutes les larmes de nos yeux[246]»; et, sans doute, plus il y aura de larmes à essuyer, plus la consolation sera grande...
Priez bien, demain, pour la petite fille que vous avez élevée et qui, sans vous, ne serait peut-être pas au Carmel.
Pendant sa Retraite de Profession.
4 septembre 1890.
Votre petite fille n'entend guère les harmonies célestes: son voyage de noces est bien aride! Son Fiancé, il est vrai, lui fait parcourir des pays fertiles et magnifiques; mais la nuit l'empêche de rien admirer et surtout de jouir de toutes ces merveilles.
Vous allez peut-être croire qu'elle s'en afflige? Mais non, au contraire, elle est heureuse de suivre son Fiancé pour Lui seul et non à cause de ses dons. Lui seul, il est si beau! si ravissant! même quand il se tait, même quand il se cache!
Comprenez votre petite fille: elle est lasse des consolations de la terre, elle ne veut plus que son Bien-Aimé.
Je crois que le travail de Jésus, pendant cette retraite, a été de me détacher de tout ce qui n'est pas lui. Ma seule consolation est une force et une paix très grandes; et puis, j'espère être comme Jésus veut que je sois: c'est ce qui fait tout mon bonheur.
Si vous saviez combien ma joie est grande de n'en avoir aucune pour faire plaisir à Jésus! C'est de la joie raffinée, bien qu'elle ne soit nullement sentie!
7 septembre 1890.
Demain je serai l'épouse de Jésus, de Celui dont le «Visage était caché et que personne n'a reconnu[247]!» Quelle alliance et quel avenir! Que faire pour le remercier, pour me rendre moins indigne d'une telle faveur?...
... Que j'ai soif du Ciel, de ce séjour bienheureux où l'on aimera Jésus sans réserve! Mais il faut souffrir et pleurer pour y arriver; eh bien! je veux souffrir tout ce qu'il plaira à mon Bien-Aimé, je veux le laisser faire de sa petite balle tout ce qu'il désire.
Ma Marraine chérie, vous me dites que mon petit Jésus est très bien paré pour le jour de mes noces; vous vous demandez seulement pourquoi je ne lui ai pas mis les bougies roses neuves? Les autres m'en disent plus long à l'âme: elles ont commencé à brûler le jour de ma Prise d'habit, alors elles étaient fraîches et roses; papa, qui me les avait données, était là, et tout était joie! Mais maintenant, la couleur de rose est passée..... Y a-t-il encore ici-bas des joies couleur de rose pour votre petite Thérèse? Oh! non, il n'y a plus pour elle que des joies célestes, des joies où tout le créé, qui n'est rien, fait place à l'incréé qui est la réalité...
17 septembre 1896.
Ma sœur bien-aimée, je ne suis pas embarrassée pour vous répondre... Comment pouvez-vous me demander s'il vous est possible d'aimer le bon Dieu comme je l'aime?... Mes désirs du martyre ne sont rien; je ne leur dois pas la confiance illimitée que je sens en mon cœur. A vrai dire, on peut les appeler ces richesses spirituelles qui rendent injuste[248], lorsqu'on s'y repose avec complaisance, et que l'on croit qu'ils sont quelque chose de grand... Ces désirs sont une consolation que Jésus accorde parfois aux âmes faibles comme la mienne—et ces âmes sont nombreuses.—Mais, lorsqu'il ne donne pas cette consolation, c'est une grâce de privilège; rappelez-vous ces paroles d'un saint religieux: «Les martyrs ont souffert avec joie et le Roi des Martyrs a souffert avec tristesse!» Oui, Jésus a dit: «Mon Père, éloignez de moi ce calice.»[249] Comment pouvez-vous penser maintenant que mes désirs sont la marque de mon amour? Ah! je sens bien que ce n'est pas cela du tout qui plaît au bon Dieu dans ma petite âme. Ce qui lui plaît, c'est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c'est l'espérance aveugle que j'ai en sa miséricorde... Voilà mon seul trésor, Marraine chérie, pourquoi ce trésor ne serait-il pas le vôtre?
N'êtes-vous pas prête à souffrir tout ce que le bon Dieu voudra? Oui, je le sais bien; alors, si vous désirez sentir de la joie, avoir de l'attrait pour la souffrance, c'est donc votre consolation que vous cherchez, puisque, lorsqu'on aime une chose, la peine disparaît. Je vous assure que si nous allions ensemble au martyre, vous auriez un grand mérite, et moi je n'en aurais aucun, à moins qu'il ne plaise à Jésus de changer mes dispositions.
O ma sœur chérie, je vous en prie, comprenez-moi! comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d'amour, plus on est faible et misérable, plus on est propre aux opérations de cet amour consumant et transformant... Le seul désir d'être victime suffit; mais il faut consentir à rester toujours pauvre et sans force, et voilà le difficile, car le véritable pauvre d'esprit, où le trouver? Il faut le chercher bien loin[250], dit l'auteur de l'Imitation... Il ne dit pas qu'il faut le chercher parmi les grandes âmes, mais bien loin, c'est-à-dire dans la bassesse, dans le néant... Ah! restons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir; alors nous serons pauvres d'esprit, et Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons; il nous transformera en flammes d'amour!... Oh! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens! C'est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l'Amour... La crainte ne conduit-elle pas à la justice sévère telle qu'on la représente aux pécheurs? Mais ce n'est pas cette justice que Jésus aura pour ceux qui l'aiment.
Le bon Dieu ne vous donnerait pas ce désir d'être possédée par son Amour miséricordieux, s'il ne vous réservait cette faveur; ou plutôt, il vous l'a déjà faite, puisque vous êtes toute livrée à Lui, puisque vous désirez être consumée par Lui, et que jamais le bon Dieu ne donne de désirs qu'il ne veuille réaliser.
Puisque nous voyons la voie, courons ensemble. Je le sens, Jésus veut nous faire les mêmes grâces, il veut nous donner gratuitement son Ciel.
Marraine chérie, vous voudriez encore entendre les secrets que Jésus confie à votre petite fille; mais la parole humaine est impuissante à redire des choses que le cœur humain peut à peine pressentir. D'ailleurs, ses secrets, Jésus vous les confie aussi, car c'est vous qui m'avez appris à recueillir ses divins enseignements; c'est vous qui, en mon nom, avez promis au jour de mon baptême que je ne voulais servir que Lui seul; vous avez été l'ange qui m'a conduite et guidée sur la route de l'exil, c'est vous qui m'avez offerte au Seigneur! Aussi je vous aime comme une enfant sait aimer sa mère; au ciel seulement vous connaîtrez toute la reconnaissance qui déborde de mon cœur.
Votre petite fille,
Thérèse de l'Enfant-Jésus.
——
13 août 1893.
Chère petite sœur Thérèse,
Tes vœux sont donc comblés! Comme la colombe sortie de l'arche, tu ne pouvais trouver sur la terre du monde où poser le pied, tu as volé longtemps, cherchant à rentrer dans la demeure bénie où ton cœur avait pour jamais fixé son séjour. Jésus s'est fait attendre, mais enfin les gémissements de sa colombe l'ont touché, il a étendu sa main divine, il l'a prise et l'a placée dans son Cœur, dans le tabernacle de son amour.
Ah! sans doute, ma joie est toute spirituelle puisque désormais je ne dois plus te revoir ici-bas, je ne dois plus entendre ta voix en épanchant mon cœur dans le tien. Mais je sais que la terre est un lieu de passage, nous sommes des voyageurs qui cheminons vers notre patrie; qu'importe si la route que nous suivons n'est pas absolument la même, puisque notre terme unique c'est le Ciel, où nous serons réunies pour ne plus nous quitter. C'est là que nous goûterons éternellement les joies de la famille... Que de choses nous aurons à nous dire après l'exil de cette vie! Ici-bas la parole est impuissante, mais là-haut un seul regard suffira pour nous comprendre et, je le crois, notre joie sera encore plus grande que si jamais nous ne nous étions séparées.
En attendant, il nous faut vivre de sacrifices, sans cela la vie religieuse serait-elle méritoire? Non, n'est-ce pas! Comme on nous le disait dans une instruction: «Si les chênes des forêts atteignent une si grande hauteur, c'est parce que, pressés de tous côtés, ils ne dépensent pas leur sève à pousser des branches à droite et à gauche, mais s'élèvent droit vers le ciel. Ainsi, dans la vie religieuse, l'âme se trouve pressée de toutes parts par sa règle, par l'exercice de la vie commune, et il faut que tout lui devienne un moyen de s'élever très haut vers les Cieux.»
Ma sœur bien-aimée, prie pour ta petite Thérèse afin qu'elle profite de l'exil de la terre et des moyens abondants qu'elle a pour mériter le Ciel...
Janvier 1895.
Chère petite sœur,
Comme l'année qui vient de s'écouler a été fructueuse pour le Ciel!... Notre père chéri a vu ce que «l'œil de l'homme ne peut contempler», il a entendu l'harmonie des anges... et son cœur comprend, son âme jouit des récompenses que Dieu a préparées à ceux qui l'aiment!... Notre tour viendra aussi; oh! qu'il est doux de penser que nous voguons vers l'éternel rivage!
Ne trouves-tu pas, comme moi, que le départ de notre père bien-aimé nous a rapprochées des Cieux? Plus de la moitié de la famille jouit maintenant de la vue de Dieu, et les cinq exilées ne tarderont pas à s'envoler vers leur Patrie. Cette pensée de la brièveté de la vie me donne du courage, elle m'aide à supporter les fatigues du chemin. «Qu'importe un peu de travail sur la terre, nous passons et n'avons point ici de demeure permanente[252]!»
Pense à ta Thérèse pendant ce mois consacré à l'Enfant-Jésus, demande-lui qu'elle reste toujours petite, toute petite!... Je lui ferai pour toi la même prière, car je connais tes désirs et je sais que l'humilité est ta vertu préférée.
Laquelle des Thérèse sera la plus fervente? Celle qui sera la plus humble, la plus unie à Jésus, la plus fidèle à faire toutes ses actions par amour. Ne laissons passer aucun sacrifice, tout est si grand dans la vie religieuse... Ramasser une épingle par amour peut convertir une âme! C'est Jésus qui seul peut donner un tel prix à nos actions, aimons-le donc de toutes nos forces...
12 juillet 1896.
Ma chère petite Léonie,
J'aurais répondu à ta lettre dimanche dernier, si elle m'avait été donnée; mais tu sais qu'étant la plus petite, je suis exposée à ne voir les lettres que bien après mes sœurs, ou même pas du tout... Ce n'est que vendredi que j'ai lu la tienne, ainsi pardonne-moi si je suis en retard.
Oui, tu as raison, Jésus se contente d'un regard, d'un soupir d'amour. Pour moi, je trouve la perfection bien facile à pratiquer, parce que j'ai compris qu'il n'y a qu'à prendre Jésus par le cœur. Regarde un petit enfant qui vient de fâcher sa mère, soit en se mettant en colère ou bien en lui désobéissant; s'il se cache dans un coin avec un air boudeur et qu'il crie dans la crainte d'être puni, sa maman ne lui pardonnera certainement pas sa faute; mais s'il vient lui tendre ses petits bras en disant: «Embrasse-moi, je ne recommencerai plus», est-ce que sa mère ne le pressera pas aussitôt sur son cœur avec tendresse, oubliant tout ce qu'il a fait?... Cependant elle sait bien que son cher petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait rien, et, s'il la prend encore par le cœur, jamais il ne sera puni.
Au temps de la loi de crainte, avant la venue de Notre-Seigneur, le prophète Isaïe disait déjà en parlant au nom du Roi des Cieux: «Une mère peut-elle oublier son enfant?... Eh bien! quand même une mère oublierait son enfant, moi, je ne vous oublierai jamais[253].» Quelle ravissante promesse! Ah! nous qui vivons sous la loi d'amour, comment ne pas profiter des amoureuses avances que nous fait notre Epoux? Comment craindre Celui qui se laisse enchaîner par un cheveu qui vole sur notre cou[254]? Sachons donc le retenir prisonnier, ce Dieu qui devient le mendiant de notre amour. En nous disant que c'est un cheveu qui peut opérer ce prodige, il nous montre que les plus petites actions faites par amour sont celles qui charment son Cœur. Ah! s'il fallait faire de grandes choses, combien serions-nous à plaindre! Mais que nous sommes heureuses, puisque Jésus se laisse enchaîner par les plus petites!... Ce ne sont pas les petits sacrifices qui te manquent, ma chère Léonie, ta vie n'en est-elle pas composée? Je me réjouis de te voir en face d'un pareil trésor et surtout en pensant que tu sais en profiter, non seulement pour toi, mais encore pour les pauvres pécheurs. Il est si doux d'aider Jésus à sauver les âmes qu'il a rachetées au prix de son sang, et qui n'attendent que notre secours pour ne pas tomber dans l'abîme.
Il me semble que, si nos sacrifices captivent Jésus, nos joies l'enchaînent aussi; pour cela il suffit de ne pas se concentrer dans un bonheur égoïste, mais d'offrir à notre Epoux les petites joies qu'il sème sur le chemin de la vie, pour charmer nos cœurs et les élever jusqu'à lui.
Tu me demandes des nouvelles de ma santé. Eh bien, je ne tousse plus du tout. Es-tu contente? Cela n'empêchera pas le bon Dieu de me prendre quand il voudra. Puisque je fais tous mes efforts pour être un tout petit enfant, je n'ai pas de préparatifs à faire. Jésus doit lui-même payer tous les frais du voyage et le prix d'entrée au Ciel!
Adieu, ma sœur bien-aimée, n'oublie pas, près de lui, la dernière, la plus pauvre de tes sœurs.
17 juillet 1897.
Ma chère Léonie,
Je suis bien heureuse de pouvoir m'entretenir avec toi, il y a quelques jours je ne pensais plus avoir cette consolation sur la terre; mais le bon Dieu paraît vouloir prolonger un peu mon exil. Je ne m'en afflige pas, car je ne voudrais point entrer au Ciel une minute plus tôt par ma propre volonté. L'unique bonheur ici-bas, c'est de s'appliquer à toujours trouver délicieuse la part que Jésus nous donne; la tienne est bien belle, ma chère petite sœur. Si tu veux être une sainte cela te sera facile, n'aie qu'un seul but: faire plaisir à Jésus, t'unir toujours plus intimement à lui.
Adieu, ma sœur chérie, je voudrais que la pensée de mon entrée au Ciel te remplît de joie, puisque je pourrai plus que jamais te prouver ma tendresse. Dans le Cœur de notre céleste Epoux, nous vivrons de la même vie, et pour l'éternité je resterai
Ta toute petite sœur,
Thérèse de l'Enfant-Jésus.
——
1888.
Avant de recevoir tes confidences (à propos des scrupules), je pressentais tes angoisses; mon cœur était uni au tien. Puisque tu as l'humilité de demander des conseils à ta petite Thérèse, elle va te dire ce qu'elle pense. Tu m'as causé beaucoup de peine en laissant tes communions, parce que tu en as causé à Jésus. Il faut que le démon soit bien fin pour tromper ainsi une âme! Ne sais-tu pas, ma chérie, que tu lui fais atteindre ainsi le but de ses désirs? Il n'ignore pas, le perfide, qu'il ne peut faire pécher une âme qui veut être toute au bon Dieu; aussi, s'efforce-t-il seulement de lui persuader qu'elle pèche. C'est déjà beaucoup; mais, pour sa rage, ce n'est pas encore assez... il poursuit autre chose: il veut priver Jésus d'un tabernacle aimé. Ne pouvant entrer, lui, dans ce sanctuaire, il veut du moins qu'il demeure vide et sans maître. Hélas! que deviendra ce pauvre cœur!... Quand le diable a réussi à éloigner une âme de la communion, il a tout gagné, et Jésus pleure!...
O ma petite Marte, pense donc que ce doux Jésus est là, dans le Tabernacle, exprès pour toi, pour toi seule, qu'il brûle du désir d'entrer dans ton cœur. N'écoute pas le démon, moque-toi de lui, et va sans crainte recevoir le Jésus de la paix et de l'amour.
Mais je t'entends dire: Thérèse pense cela parce qu'elle ne sait pas mes misères... Si, elle sait bien, elle devine tout, elle t'assure que tu peux aller sans crainte recevoir ton seul Ami véritable. Elle a aussi passé par le martyre du scrupule, mais Jésus lui a fait la grâce de communier toujours, alors même qu'elle pensait avoir commis de grands péchés. Eh bien, je t'assure qu'elle a reconnu que c'était le seul moyen de se débarrasser du démon; s'il voit qu'il perd son temps, il nous laisse tranquille.
Non, il est impossible qu'un cœur dont l'unique repos est de contempler le Tabernacle—et c'est le tien, me dis-tu—offense Nôtre-Seigneur au point de ne pouvoir le recevoir. Ce qui offense Jésus, ce qui le blesse au Cœur, c'est le manque de confiance.
Prie-le beaucoup, afin que tes plus belles années ne se passent pas en craintes chimériques. Nous n'avons que les courts instants de la vie à dépenser pour la gloire de Dieu; le diable le sait bien; c'est pour cela qu'il essaie de nous les faire consumer en travaux inutiles. Petite sœur chérie, communie souvent, bien souvent, voilà le seul remède si tu veux guérir.
1894.
Tu ressembles à une petite villageoise qu'un roi puissant demanderait en mariage, et qui n'oserait accepter sous prétexte qu'elle n'est pas assez riche, qu'elle est étrangère aux usages de la cour. Mais son royal fiancé ne connaît-il pas mieux qu'elle sa pauvreté et son ignorance?
Marie, si tu n'es rien, oublies-tu que Jésus est tout? Tu n'as qu'à perdre ton petit rien dans son infini tout, et à ne plus penser qu'à ce tout uniquement aimable.
Tu voudrais voir, me dis-tu, le fruit de tes efforts? C'est justement ce que Jésus veut te cacher. Il se plaît à regarder tout seul ces petits fruits de vertu que nous lui offrons et qui le consolent.
Tu te trompes, ma chérie, si tu crois que ta Thérèse marche avec ardeur dans le chemin du sacrifice: elle est faible, bien faible; et, chaque jour, elle en fait une nouvelle et salutaire expérience. Mais Jésus se plaît à lui communiquer la science de se glorifier de ses infirmités[255]. C'est une grande grâce que celle-là, et je le prie de te la donner, car dans ce sentiment se trouvent la paix et le repos du cœur. Quand on se voit si misérable, on ne veut plus se considérer; on regarde seulement l'unique Bien-Aimé.
Tu me demandes un moyen pour arriver à la perfection. Je n'en connais qu'un seul: L'AMOUR. Aimons, puisque notre cœur n'est fait que pour cela. Parfois, je cherche un autre mot pour exprimer l'amour; mais sur la terre d'exil, la parole qui commence et finit[256] est bien impuissante à rendre les vibrations de l'âme; il faut donc s'en tenir à ce mot unique et simple: AIMER.
Mais à qui notre pauvre cœur prodiguera-t-il l'amour? Qui donc sera assez grand pour recevoir ses trésors? Un être humain saura-t-il les comprendre? et surtout, pourra-t-il les rendre? Marie, il n'existe qu'un Etre pour comprendre l'amour: c'est notre JÉSUS; Lui seul peut nous rendre infiniment plus que nous ne lui donnerons jamais...
(Mme La Néele.)
——
Août 1895.
Il est bien grand, ma chère Jeanne, le sacrifice que Dieu t'a demandé en appelant au Carmel ta petite Marie; mais souviens-toi «qu'il a promis le centuple à celui qui, pour son amour, aura quitté son père, ou sa mère, ou sa sœur[257].» Eh bien, puisque tu n'as pas hésité, pour l'amour de Jésus, à te séparer d'une sœur, chérie au delà de tout ce qu'on peut dire, il se trouve obligé de tenir sa promesse. Je sais qu'ordinairement ces paroles sont appliquées aux âmes religieuses; cependant, je sens au fond de mon cœur qu'elles ont été prononcées aussi pour les généreux parents, qui font à Dieu le sacrifice d'enfants plus chers qu'eux-mêmes.
FRAGMENTS
——
26 décembre 1895.
Notre-Seigneur ne nous demande jamais de sacrifice au-dessus de nos forces. Parfois, il est vrai, ce divin Sauveur nous fait sentir toute l'amertume du calice qu'il présente à notre âme. Lorsqu'il demande le sacrifice de tout ce qui est le plus cher au monde, il est impossible, à moins d'une grâce toute particulière, de ne pas s'écrier comme lui au jardin de l'Agonie: «Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi...» Mais empressons-nous d'ajouter aussi: «Que votre volonté soit faite et non la mienne.»[258] Il est bien consolant de penser que Jésus, le divin Fort, a connu toutes nos faiblesses, qu'il a tremblé à la vue du calice amer, ce calice qu'il avait autrefois si ardemment désiré.
Monsieur l'Abbé, votre part est vraiment belle, puisque Notre-Seigneur vous l'a choisie et que, le premier, il a trempé ses lèvres à la coupe qu'il vous présente. Un saint l'a dit: «Le plus grand honneur que Dieu puisse faire à une âme, ce n'est pas de lui donner beaucoup, c'est de lui demander beaucoup.» Jésus vous traite en privilégié; il veut que, déjà, vous commenciez votre mission et que, par la souffrance, vous sauviez des âmes. N'est-ce pas en souffrant, en mourant, que lui-même a racheté le monde? Je sais que vous aspirez au bonheur de sacrifier votre vie pour lui; mais le martyre du cœur n'est pas moins fécond que l'effusion du sang; et, dès maintenant, ce martyre est le vôtre. J'ai donc bien raison de dire que votre part est belle, qu'elle est digne d'un apôtre du Christ.
1896.
Travaillons ensemble au salut des âmes; nous n'avons que l'unique jour de cette vie pour les sauver, et donner ainsi au Seigneur des preuves de notre amour. Le lendemain de ce jour sera l'éternité; alors Jésus vous rendra au centuple les joies si douces que vous lui sacrifiez. Il connaît l'étendue de votre immolation, il sait que la souffrance de ceux qui vous sont chers augmente encore la vôtre; mais Lui-même a souffert ce martyre pour sauver nos âmes. Il a quitté sa Mère, il a vu la Vierge Immaculée debout au pied de la Croix, le cœur transpercé d'un glaive de douleur; aussi j'espère que notre divin Sauveur consolera votre bonne mère, et je le lui demande instamment.
Ah! si le divin Maître laissait entrevoir à ceux que vous allez quitter pour son amour la gloire qu'il vous réserve, la multitude d'âmes qui formeront votre cortège au Ciel, ils seraient déjà récompensés du grand sacrifice que votre éloignement va leur causer.
24 février 1896.
Je vous demande de faire chaque jour pour moi cette petite prière qui renferme tous mes désirs:
«Père miséricordieux, au nom de votre doux Jésus, de la sainte Vierge et des saints, je vous demande d'embraser ma sœur de votre Esprit d'amour, et de lui accorder la grâce de vous faire beaucoup aimer.»
Si le Seigneur me prend bientôt avec Lui, je vous supplie de continuer chaque jour la même prière, car je désirerai au Ciel la même chose que sur la terre: AIMER JÉSUS ET LE FAIRE AIMER.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La seule chose que je désire, c'est de voir le bon Dieu aimé; et j'avoue que si, dans le ciel, je ne pouvais plus travailler pour sa gloire, j'aimerais mieux l'exil que la Patrie.
21 juin 1897.
Vous pouvez chanter les divines miséricordes! elles brillent en vous dans toute leur splendeur. Vous aimez saint Augustin, sainte Madeleine, ces âmes auxquelles beaucoup de péchés ont été remis, parce qu'elles ont beaucoup aimé; moi aussi, je les aime, j'aime leur repentir et surtout leur amoureuse audace. Lorsque je vois Madeleine s'avancer devant les nombreux convives de Simon, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu'elle touche pour la première fois, je sens que son cœur a compris les abîmes d'amour et de miséricorde du Cœur de Jésus, et que, non seulement il est disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation.
Ah! mon frère, depuis qu'il m'a été donné de comprendre, moi aussi, l'amour du Cœur de Jésus, j'avoue qu'il a chassé de mon cœur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m'humilie, me porte à ne jamais m'appuyer sur ma force qui n'est que faiblesse; mais, plus encore, ce souvenir me parle de miséricorde et d'amour. Comment, lorsqu'on jette ses fautes, avec une confiance toute filiale, dans le brasier dévorant de l'amour, comment ne seraient-elles pas consumées sans retour?
Je sais qu'un grand nombre de saints passèrent leur vie à faire d'étonnantes mortifications pour expier leurs péchés, mais que voulez-vous! «Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste[259]...» Jésus l'a dit, et c'est pour cela que je suis la voie qu'il me trace: je tâche de ne plus m'occuper de moi-même en rien; et ce que Jésus daigne opérer dans mon âme, je le lui abandonne sans réserve.
1897.
Sur cette terre où tout change, une seule chose reste stable: la conduite du Roi des Cieux à l'égard de ses amis. Depuis qu'il a levé l'étendard de la Croix, c'est à son ombre que tous doivent combattre et remporter la victoire. «Toute vie de missionnaire est féconde en croix», disait Théophane Vénard; et encore: «Le vrai bonheur est de souffrir, et, pour vivre, il nous faut mourir.»
Mon frère, les débuts de votre apostolat sont marqués du sceau de la croix: réjouissez-vous! C'est bien plus par la souffrance et la persécution que par de brillantes prédications que Jésus veut affermir son règne dans les âmes.
Vous dites: «Je suis encore un petit enfant qui ne sait pas parler.» Le Père Mazel, qui fut ordonné prêtre le même jour que vous, ne savait pas parler non plus; cependant, il a déjà cueilli la palme... Oh! que les pensées divines sont au-dessus des nôtres!... En apprenant que ce jeune missionnaire était mort, avant même d'avoir foulé le sol de sa mission, je me suis sentie portée à l'invoquer; il me semblait le voir au Ciel dans le glorieux chœur des martyrs. Sans doute, aux yeux des hommes, il ne mérite pas le titre de martyr; mais, au regard du bon Dieu, ce sacrifice sans gloire n'est pas moins fécond que ceux des confesseurs de la foi.
S'il faut être bien pur pour paraître devant le Dieu de toute sainteté, je sais, moi, qu'il est infiniment juste; et cette justice qui effraie tant d'âmes fait le sujet de ma joie et de ma confiance. Etre juste, ce n'est pas seulement exercer la sévérité envers les coupables, c'est encore reconnaître les intentions droites et récompenser la vertu. J'espère autant de la justice du bon Dieu que de sa miséricorde; c'est parce qu'il est juste «qu'il est compatissant et rempli de douceur, lent à punir et abondant en miséricorde. Car il connaît notre fragilité, il se souvient que nous ne sommes que poussière. Comme un père a de la tendresse pour ses enfants, ainsi le Seigneur a compassion de nous[260]!...» O mon frère! en entendant ces belles et consolantes paroles du Roi-Prophète, comment douter que le bon Dieu ne veuille ouvrir les portes de son royaume à ses enfants qui l'ont aimé jusqu'à tout sacrifier pour lui, qui, non seulement, ont quitté leur famille et leur patrie, pour le faire connaître et aimer, mais encore désirent donner leur vie pour lui!... Jésus avait bien raison de dire qu'il n'est pas de plus grand amour que celui-là! Comment donc se laisserait-il vaincre en générosité? Comment purifierait-il, dans les flammes du purgatoire, des âmes consumées des feux de l'amour divin?...
Voici bien des phrases pour exprimer ma pensée, ou plutôt pour ne pas arriver à le faire. Je voulais simplement vous dire que, selon moi, tous les missionnaires sont martyrs par le désir et la volonté; et que, par conséquent, pas un ne devrait aller en purgatoire.
Voilà, mon frère, ce que je pense de la justice du bon Dieu; ma voie est toute de confiance et d'amour, je ne comprends pas les âmes qui ont peur d'un si tendre Ami. Parfois, lorsque je lis certains traités où la perfection est montrée à travers mille entraves, mon pauvre petit esprit se fatigue bien vite, je ferme le savant livre qui me casse la tête et me dessèche le cœur, et je prends l'Ecriture Sainte. Alors tout me paraît lumineux, une seule parole découvre à mon âme des horizons infinis, la perfection me semble facile, je vois qu'il suffit de reconnaître son néant et de s'abandonner, comme un enfant, dans les bras du bon Dieu. Laissant aux grandes âmes, aux esprits sublimes les beaux livres que je ne puis comprendre, encore moins mettre en pratique, je me réjouis d'être petite, puisque «les enfants seuls et ceux qui leur ressemblent seront admis au banquet céleste.»[261] Heureusement que le Royaume des Cieux est composé de plusieurs demeures! car, s'il n'y avait que celles dont la description et le chemin me semblent incompréhensibles, certainement je n'y entrerais jamais...
13 juillet 1897.
Votre âme est trop grande pour s'attacher aux consolations d'ici-bas! C'est dans les Cieux que vous devez vivre par avance, car il est dit: «Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur.»[262] Votre unique trésor, n'est-ce pas Jésus? Puisqu'il est au Ciel, c'est là que doit habiter votre cœur. Ce doux Sauveur a, depuis longtemps, oublié vos infidélités; seuls vos désirs de perfection lui sont présents pour réjouir son cœur.
Je vous en supplie, ne restez plus à ses pieds; suivez ce premier élan qui vous entraîne dans ses bras; c'est là votre place, et je constate, plus encore que dans vos autres lettres, qu'il vous est interdit d'aller au Ciel par une autre voie que celle de votre petite sœur.
Je suis tout à fait de votre avis: le Cœur de Jésus est bien plus attristé des mille petites imperfections de ses amis que des fautes, même graves, que commettent ses ennemis. Mais, mon frère, il me semble que c'est seulement quand les siens se font une habitude de leurs indélicatesses et ne lui en demandent pas pardon, qu'il peut dire: «Ces plaies que vous voyez au milieu de mes mains, je les ai reçues dans la maison de ceux qui m'aimaient.»[263]
Pour ceux qui l'aiment et qui, après chaque petite faute, viennent se jeter dans ses bras en lui demandant pardon, Jésus tressaille de joie. Il dit à ses anges ce que le père de l'enfant prodigue disait à ses serviteurs: «Mettez-lui un anneau au doigt et réjouissons-nous.»[264] Ah! mon frère, que la bonté et l'amour miséricordieux du Cœur de Jésus sont peu connus! Il est vrai que, pour jouir de ces trésors, il faut s'humilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup d'âmes ne veulent pas faire...
1897.
Ce qui m'attire vers la Patrie des Cieux, c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui le béniront éternellement.
Jamais je n'ai demandé au bon Dieu de mourir jeune: cela m'aurait paru de la lâcheté; mais lui, dès mon enfance, a daigné me donner la persuasion intime que ma course ici-bas serait courte.
Je le sens, nous devons aller au Ciel par la même voie: la souffrance unie à l'amour. Quand je serai au port, je vous enseignerai comment vous devez naviguer sur la mer orageuse du monde: avec l'abandon et l'amour d'un enfant qui sait que son père le chérit, et ne saurait le laisser seul à l'heure du danger.
Oh! que je voudrais vous faire comprendre la tendresse du Cœur de Jésus, ce qu'il attend de vous! Votre dernière lettre a fait tressaillir doucement mon cœur. J'ai compris jusqu'à quel point votre âme est sœur de la mienne, puisqu'elle est appelée à s'élever à Dieu par l'ascenseur de l'amour, et non à gravir le rude escalier de la crainte. Je ne m'étonne pas de voir que la familiarité avec Jésus vous semble difficile: on ne peut y arriver en un jour; mais j'en suis sûre, je vous aiderai beaucoup plus à marcher dans cette voie délicieuse, quand je serai délivrée de mon enveloppe mortelle; et bientôt vous direz, comme saint Augustin: «L'amour est le poids qui m'entraîne.»
26 juillet 1897.
Quand vous lirez ce petit mot, peut-être ne serai-je plus sur la terre. Je ne connais pas l'avenir; cependant, je puis dire avec assurance que l'Epoux est à la porte. Il faudrait un miracle pour me retenir dans l'exil, et je ne pense pas que Jésus le fasse, car il ne fait rien d'inutile.
O mon frère, que je suis heureuse de mourir! Oui, je suis heureuse, non parce que je serai délivrée des souffrances d'ici-bas: la souffrance unie à l'amour est, au contraire, la seule chose qui me paraît désirable en cette vallée de larmes; je suis heureuse de mourir parce que, bien plus qu'ici-bas, je serai utile aux âmes qui me sont chères.
Jésus m'a toujours traitée en enfant gâtée... C'est vrai que sa croix m'a accompagnée dès le berceau; mais cette croix, il me l'a fait aimer avec passion.
14 août 1897.
Au moment de paraître devant le bon Dieu, je comprends plus que jamais qu'il n'y a qu'une chose nécessaire: travailler uniquement pour Lui, et ne rien faire pour soi ni pour les créatures. Jésus veut posséder complètement votre cœur; pour cela, il vous faudra beaucoup souffrir... mais aussi quelle joie inondera votre âme quand vous serez arrivé à l'heureux moment de votre entrée au Ciel!...
Je ne meurs pas, j'entre dans la vie... et tout ce que je ne puis vous dire ici-bas, je vous le ferai comprendre du haut des Cieux...................
Ce qui m'attire vers la patrie des cieux c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui les béniront éternellement.
Air: Dieu de paix et d'amour.
——
Ma vie est un instant, une heure passagère,
Ma vie est un moment qui m'échappe et qui fuit.
Tu le sais, ô mon Dieu, pour t'aimer sur la terre,
Je n'ai rien qu'aujourd'hui!
Oh! je t'aime Jésus!... vers toi mon âme aspire...
Pour un jour seulement reste mon doux appui!
Viens régner en mon cœur, donne-moi ton sourire
Rien que pour aujourd'hui!
Que m'importe, Seigneur, si l'avenir est sombre!
Te prier pour demain, oh! non, je ne le puis...
Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre
Rien que pour aujourd'hui!
Si je songe à demain, je crains mon inconstance,
Je sens naître en mon cœur la tristesse et l'ennui;
Mais je veux bien, mon Dieu, l'épreuve, la souffrance
Rien que pour aujourd'hui!
Je dois te voir bientôt sur la rive éternelle,
O Pilote divin, dont la main me conduit!
Sur les flots orageux guide en paix ma nacelle,
Rien que pour aujourd'hui!
Ah! laisse-moi, Seigneur, me cacher en ta Face;
Là je n'entendrai plus du monde le vain bruit.
Donne-moi ton amour, conserve-moi ta grâce
Rien que pour aujourd'hui!
Près de ton Cœur divin, oubliant ce qui passe,
Je ne redoute plus les traits de l'ennemi.
Ah! donne-moi, Jésus, dans ton Cœur une place,
Rien que pour aujourd'hui!
Pain vivant, Pain du ciel, divine Eucharistie,
O mystère touchant que l'amour a produit!
Viens habiter mon cœur, Jésus, ma blanche Hostie,
Rien que pour aujourd'hui!
Daigne m'unir à toi, Vigne sainte et sacrée,
Et mon faible rameau te donnera son fruit,
Et je pourrai t'offrir une grappe dorée,
Seigneur, des aujourd'hui.
Cette grappe d'amour dont les grains sont les âmes,
Je n'ai pour la former que ce jour qui s'enfuit...
Oh! donne-moi, Jésus, d'un apôtre les flammes,
Rien que pour aujourd'hui!
O Vierge Immaculée! O toi la douce Etoile
Qui rayonne Jésus et qui m'unit à lui,
O Mère! laisse-moi me cacher sous ton voile,
Rien que pour aujourd'hui!
O mon Ange gardien! couvre-moi de ton aile,
Eclaire de tes feux ma route, ô doux ami!
Viens diriger mes pas, aide-moi, je t'appelle,
Rien que pour aujourd'hui!
Je veux voir mon Jésus, sans voile, sans nuage;
Cependant ici-bas je suis bien près de lui...
Il ne sera caché son aimable Visage
Rien que pour aujourd'hui!
Je volerai bientôt pour dire ses louanges,
Quand le jour sans couchant sur mon âme aura lui;
Alors je chanterai sur la lyre des anges
L'éternel aujourd'hui!
Juin 1894.
————
Air du cantique: Il est à moi!
——
«Si quelqu'un m'aime, il gardera ma Parole, et mon Père l'aimera... et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.....
Je vous donne ma paix... demeurez en mon amour.»
(Joan., XIV, 23, 27.—XV, 9.)
Au soir d'amour, parlant sans parabole,
Jésus disait: «Si quelqu'un veut m'aimer,
«Fidèlement qu'il garde ma parole,
«Mon Père et moi viendrons le visiter;
«Et, de son cœur, faisant notre demeure,
«Notre palais, notre vivant séjour,
«Rempli de paix, nous voulons qu'il demeure
«En notre amour.»
Vivre d'amour, c'est te garder toi-même,
Verbe incréé! Parole de mon Dieu!
Ah! tu le sais, divin Jésus, je t'aime!
L'Esprit d'amour m'embrase de son feu.
C'est en t'aimant que j'attire le Père,
Mon faible cœur le garde sans retour;
O Trinité! vous êtes prisonnière
De mon amour.
Vivre d'amour, c'est vivre de ta vie,
Roi glorieux, délices des élus!
Tu vis pour moi caché dans une hostie...
Je veux pour toi me cacher, ô Jésus!
A des amants il faut la solitude,
Un cœur à cœur qui dure nuit et jour;
Ton seul regard fait ma béatitude,
Je vis d'amour!
Vivre d'amour, ce n'est pas sur la terre
Fixer sa tente au sommet du Thabor;
Avec Jésus, c'est gravir le Calvaire,
C'est regarder la croix comme un trésor!
Au ciel, je dois vivre de jouissance,
Alors l'épreuve aura fui sans retour:
Mais, ici-bas, je veux dans la souffrance
Vivre d'amour!
Vivre d'amour, c'est donner sans mesure,
Sans réclamer de salaire ici-bas;
Ah! sans compter je donne, étant bien sûre
Que lorsqu'on aime on ne calcule pas.
Au Cœur divin, débordant de tendresse,
J'ai tout donné! légèrement je cours...
Je n'ai plus rien que ma seule richesse:
Vivre d'amour!
Vivre d'amour, c'est bannir toute crainte,
Tout souvenir des fautes du passé.
De mes péchés je ne vois nulle empreinte,
Au feu divin chacun s'est effacé.
Flamme sacrée, ô très douce fournaise,
En ton foyer je fixe mon séjour;
Jésus, c'est là que je chante à mon aise:
Je vis d'amour!
Vivre d'amour, c'est garder en soi-même
Un grand trésor en un vase mortel.
Mon Bien-Aimé! ma faiblesse est extrême!
Ah! je suis loin d'être un ange du ciel.
Mais, si je tombe à chaque heure qui passe,
Me relevant, m'embrassant tour à tour,
Tu viens à moi, tu me donnes ta grâce,
Je vis d'amour!
Vivre d'amour, c'est naviguer sans cesse,
Semant la joie et la paix dans les cœurs;
Pilote aimé! la charité me presse,
Car je te vois dans les âmes, mes sœurs.
La charité, voilà ma seule étoile:
A sa clarté, je vogue sans détour;
J'ai ma devise écrite sur ma voile:
«Vivre d'amour!»
Vivre d'amour, lorsque Jésus sommeille,
C'est le repos sur les flots orageux.
Oh! ne crains pas, Seigneur, que je t'éveille,
J'attends en paix le rivage des cieux...
La Foi bientôt déchirera son voile,
Et mon Espoir ne comptera qu'un jour;
La Charité gonfle et pousse ma voile,
Je vis d'amour!
Vivre d'amour, c'est, ô mon divin Maître!
Te supplier de répandre tes feux
En l'âme élue et sainte de ton prêtre;
Qu'il soit plus pur qu'un séraphin des cieux!
Protège-la ton Eglise immortelle,
Je t'en conjure à chaque instant du jour.
Moi, son enfant, je m'immole pour elle,
Je vis d'amour!
Vivre d'amour, c'est essuyer ta Face,
C'est obtenir des pécheurs le pardon.
O Dieu d'amour! qu'ils rentrent dans ta grâce,
Et qu'à jamais ils bénissent ton Nom!
Jusqu'à mon cœur retentit le blasphème;
Pour l'effacer je redis chaque jour:
O Nom sacré! je t'adore et je t'aime,
Je vis d'amour!
Vivre d'amour, c'est imiter Marie
Baignant de pleurs, de parfums précieux
Tes pieds divins, qu'elle baise ravie,
Les essuyant avec ses longs cheveux;
Puis, se levant, dans une sainte audace,
Ton doux Visage elle embaume à son tour:
Moi, le parfum dont j'embaume ta Face,
C'est mon amour!
«Vivre d'amour, quelle étrange folie!
Me dit le monde, ah! cessez de chanter;
Ne perdez pas vos parfums, votre vie;
Utilement, sachez les employer!»
—T'aimer, Jésus, quelle perte féconde!
Tous mes parfums sont à toi sans retour.
Je veux chanter en sortant de ce monde:
Je meurs d'amour!
Mourir d'amour, c'est un bien doux martyre,
Et c'est celui que je voudrais souffrir.
O Chérubins! accordez votre lyre,
Car, je le sens, mon exil va finir...
Dard enflammé, consume-moi sans trêve,
Blesse mon cœur en ce triste séjour.
Divin Jésus, réalise mon rêve:
Mourir d'amour!
Mourir d'amour, voilà mon espérance!
Quand je verrai se briser mes liens,
Mon Dieu sera ma grande récompense;
Je ne veux point posséder d'autres biens.
De son amour je suis passionnée;
Qu'il vienne enfin m'embraser sans retour!
Voilà mon ciel, voilà ma destinée:
Vivre d'amour!...
25 février 1895.
O Jésus, qui dans votre cruelle Passion êtes devenu «l'opprobre des hommes et l'homme de douleurs», je vénère votre divin Visage, sur lequel brillaient la beauté et la douceur de la divinité, maintenant devenu pour moi «comme le visage d'un lépreux!» Mais sous ces traits défigurés, je reconnais votre amour infini, et je me consume du désir de vous aimer et de vous faire aimer de tous les hommes. Les larmes qui coulèrent si abondamment de vos yeux m'apparaissent comme des perles précieuses que je veux recueillir, afin d'acheter, avec leur valeur infinie, les âmes des pauvres pécheurs.
O Jésus, dont le Visage est la seule beauté qui ravit mon cœur, j'accepte de ne pas voir ici-bas la douceur de votre regard, de ne pas sentir l'inexprimable baiser de votre bouche; mais je vous supplie d'imprimer en moi votre divine ressemblance et de m'embraser de votre amour, afin qu'il me consume rapidement, et que j'arrive bientôt à voir votre glorieux Visage dans le Ciel!
Ainsi soit-il.
(Prière de la servante de Dieu,
Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face.)
Indulgence de 300 jours, chaque fois, applicable aux âmes du Purgatoire.
Pie X, 13 Février 1905.
————
Faveurs accordées par Sa Sainteté Pie X
LE 9 DÉCEMBRE 1905
à tous ceux qui méditeront pendant quelques instants sur la Passion
devant cette Image de la Sainte Face.
1º Toutes les indulgences accordées précédemment par les Souverains Pontifes à la Couronne des Cinq Plaies.
Air: Les regrets de Mignon. (F. Boissière.)
——
Jésus, ton ineffable image
Est l'astre qui conduit mes pas;
Tu le sais bien, ton doux Visage
Est pour moi le ciel ici-bas!
Mon amour découvre les charmes
De tes yeux embellis de pleurs.
Je souris à travers mes larmes,
Quand je contemple tes douleurs.
Oh! je veux pour te consoler
Vivre ignorée et solitaire;
Ta beauté que tu sais voiler
Me découvre tout son mystère,
Et vers toi je voudrais voler!
Ta Face est ma seule patrie,
Elle est mon royaume d'amour;
Elle est ma riante prairie,
Mon doux soleil de chaque jour;
Elle est le lis de la vallée
Dont le parfum mystérieux
Console mon âme exilée,
Lui fait goûter la paix des cieux.
Elle est mon repos, ma douceur,
Et ma mélodieuse lyre...
Ton Visage, ô mon doux Sauveur,
Est le divin bouquet de myrrhe
Que je veux garder sur mon cœur!
Ta Face est ma seule richesse;
Je ne demande rien de plus.
En elle, me cachant sans cesse,
Je te ressemblerai, Jésus!
Laisse en moi la divine empreinte
De tes traits remplis de douceurs,
Et bientôt je deviendrai sainte,
Vers toi j'attirerai les cœurs!
Afin que je puisse amasser
Une belle moisson dorée,
De tes feux daigne m'embraser!
Bientôt, de ta bouche adorée,
Donne-moi l'éternel baiser!
12 août 1895.
Vous avez rompu mes liens, Seigneur! (Ps. cxv, 7.)
A Sr MARIE DE L'EUCHARISTIE
POUR LE JOUR DE SON ENTRÉE AU CARMEL
Air: Mignon, connais-tu le pays? (A. Thomas.)
——
O Jésus, en ce jour tu brises mes liens!
C'est dans l'Ordre béni de la Vierge Marie
Que je pourrai trouver les véritables biens.
Seigneur, si j'ai quitté ma famille chérie,
Tu sauras la combler de célestes faveurs...
A moi, tu donneras le pardon des pécheurs!
Jésus, au Carmel je dois vivre,
Puisqu'en cette oasis ton amour m'appela;
C'est là que je veux te suivre,
T'aimer et bientôt mourir...
C'est là, oui, c'est là!
O Jésus, en ce jour tu combles tous mes vœux:
Je pourrai désormais, près de l'Eucharistie,
M'immoler en silence, attendre en paix les cieux!
M'exposant aux rayons de la divine Hostie,
A ce foyer d'amour je me consumerai,
Et comme un séraphin, Seigneur, je t'aimerai.
Jésus, bientôt je dois te suivre
Au rivage éternel, quand finiront mes jours;
Toujours, au ciel je dois vivre,
T'aimer et ne plus mourir,
Toujours, oui, toujours!
Air: Rappelle-toi.
——
«Ma fille, cherche celles de mes paroles qui respirent le plus d'amour; écris-les, et puis, les gardant précieusement comme des reliques, aie soin de les relire souvent. Quand un ami veut réveiller au cœur de son ami la vivacité première de son affection, il lui dit: Souviens-toi de ce que tu éprouvais quand tu me dis un jour telle parole; ou bien: Te souviens-tu de tes sentiments à telle époque, un tel jour, en un tel lieu? Crois-le donc, les plus précieuses reliques qui demeurent de moi sur la terre sont les paroles de mon amour, les paroles sorties de mon très doux Cœur.»
Notre-Seigneur à sainte Gertrude.
Oh! souviens-toi de la gloire du Père,
Rappelle-toi les divines splendeurs
Que tu quittas, t'exilant sur la terre,
Pour racheter tous les pauvres pécheurs.
O Jésus! t'abaissant vers la Vierge Marie,
Tu voilas ta grandeur et ta gloire infinie.
De ce sein maternel
Qui fut ton second ciel,
Oh! souviens-toi!
Rappelle-toi qu'au jour de ta naissance,
Quittant le ciel, les Anges ont chanté:
«A notre Dieu: gloire, honneur et puissance!
Et paix aux cœurs de bonne volonté!»
Depuis dix-neuf cents ans, tu remplis ta promesse.
Seigneur, de tes enfants, la paix est la richesse:
Pour goûter à jamais
Ton ineffable paix,
Je viens à toi!
Je viens à toi, cache-moi dans tes langes,
En ton berceau je veux rester toujours!
Là, je pourrai, chantant avec les anges,
Te rappeler les fêtes de ces jours:
O Jésus! souviens-toi des bergers et des mages
Qui t'offrirent, joyeux, leurs cœurs et leurs hommages;
Du cortège innocent
Qui te donna son sang,
Oh! souviens-toi!
Rappelle-toi que, les bras de Marie,
Tu préféras à ton trône royal;
Petit enfant, pour soutenir ta vie,
Tu n'avais rien que le lait virginal!
A ce festin d'amour que te donne ta Mère,
Oh! daigne m'inviter, Jésus, mon petit frère,
De ta petite sœur
Qui fit battre ton Cœur,
Oh! souviens-toi!
Rappelle-toi que tu nommas ton père
L'humble Joseph, qui, par l'ordre du Ciel,
Sans t'éveiller sur le sein de ta Mère,
Sut t'arracher aux fureurs d'un mortel.
Verbe-Dieu, souviens-toi de ce mystère étrange:
Tu gardas le silence et fis parler un ange!
De ton lointain exil
Sur les rives du Nil,
Oh! souviens-toi!
Rappelle-toi que, sur d'autres rivages,
Les astres d'or et la lune d'argent,
Que je contemple en l'azur sans nuages,
Ont réjoui, charmé tes yeux d'enfant.
De ta petite main qui caressait Marie,
Tu soutenais le monde et lui donnais la vie.
Et tu pensais à moi!
Jésus, mon petit Roi,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi que, dans la solitude,
Tu travaillais de tes divines mains;
Vivre oublié fut ta plus chère étude,
Tu rejetas le savoir des humains!
O toi qui d'un seul mot pouvais charmer le monde,
Tu te plus à cacher ta sagesse profonde...
Tu parus ignorant!
O Seigneur tout-puissant,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi qu'étranger sur la terre,
Tu fus errant, toi, le Verbe éternel!
Tu n'avais rien, non pas même une pierre,
Pas un abri, comme l'oiseau du ciel.
O Jésus! viens en moi, viens reposer ta tête,
Viens!... à te recevoir mon âme est toute prête.
Mon bien-aimé Sauveur,
Repose dans mon cœur,
Il est à toi!
Rappelle-toi les divines tendresses
Dont tu comblas les tout petits enfants;
Je veux aussi recevoir tes caresses.
Ah! donne-moi tes baisers ravissants!
Pour jouir dans les cieux de ta douce présence,
Je saurai pratiquer les vertus de l'enfance:
Tu nous l'as dit souvent:
«Le Ciel est pour l'enfant.....»
Rappelle-toi!
Rappelle-toi qu'au bord de la fontaine
Un Voyageur, fatigué du chemin,
Fit déborder sur la Samaritaine
Les flots d'amour que renfermait son sein.
Ah! je connais Celui qui demandait à boire:
Il est le «Don de Dieu», la source de fa gloire!
C'est toi l'eau qui jaillit,
Jésus! tu nous as dit:
«Venez à moi!
«Venez à moi, pauvres âmes chargées;
«Vos lourds fardeaux bientôt s'allégeront,
«Et, pour toujours, dans mon Cœur submergées,
«De votre sein des sources jailliront.»
J'ai soif, ô mon Jésus! cette eau, je la réclame.
De ses torrents divins daigne inonder mon âme;
Pour fixer mon séjour
En l'océan d'amour,
Je viens à toi!
Rappelle-toi qu'enfant de la lumière,
Souvent, hélas! je néglige mon Roi;
Oh! prends pitié de ma grande misère,
Dans ton amour, Jésus, pardonne-moi!
Aux affaires du ciel daigne me rendre habile,
Montre-moi les secrets cachés dans l'Evangile.
Ah! que ce livre d'or
Est mon plus cher trésor,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi que ta divine Mère
A sur ton Cœur un pouvoir merveilleux!
Rappelle-toi qu'un jour, à sa prière,
Tu changeas l'onde en vin délicieux!
Daigne aussi transformer mes œuvres indigentes...
A la voix de Marie, ô Dieu! rends-les ferventes:
Que je suis son enfant,
Mon Jésus, bien souvent,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi que souvent les collines
Tu gravissais au coucher du soleil;
Rappelle-toi tes oraisons divines,
Tes chants d'amour à l'heure du sommeil!
Ta prière, ô mon Dieu, je l'offre avec délice
Pendant mes oraisons, pendant le saint office:
Là, tout près de ton Cœur,
Je chante avec bonheur,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi que, voyant la campagne,
Ton divin Cœur devançait les moissons;
Levant les yeux vers la sainte Montagne,
De tes élus tu murmurais les noms!
Afin que ta moisson soit bientôt recueillie,
Chaque jour, ô mon Dieu, je m'immole et je prie.
Que ma joie et mes pleurs
Sont pour tes moissonneurs,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi cette fête des Anges,
Cette harmonie au royaume des cieux,
Et le bonheur des sublimes phalanges,
Lorsqu'un pécheur vers toi lève les yeux!
Ah! je veux augmenter cette grande allégresse...
Jésus, pour les pécheurs je veux prier sans cesse;
Que je vins au Carmel
Pour peupler ton beau ciel,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi cette très douce flamme
Que tu voulais allumer dans les cœurs:
Ce feu du ciel, tu l'as mis en mon âme,
Je veux aussi répandre ses ardeurs.
Une faible étincelle, ô mystère de vie,
Suffit pour allumer un immense incendie.
Que je veux, ô mon Dieu,
Porter au loin ton feu,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi cette fête splendide
Que tu donnas à ton fils repentant;
Rappelle-toi que pour l'âme candide,
Tu la nourris toi-même, à chaque instant!
Jésus, avec amour tu reçois le prodigue...
Mais les flots de ton Cœur, pour moi, n'ont pas de digue.
Que tes biens sont à moi,
Mon Bien-Aimé, mon Roi,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi que, méprisant la gloire,
En prodiguant tes miracles divins
Tu t'écriais: «Comment pouvez-vous croire
«Vous qui cherchez l'estime des humains?
«Les œuvres que je fais vous semblent surprenantes:
«Mes amis en feront de bien plus éclatantes.»
Que tu fus humble et doux,
Jésus, mon tendre Epoux,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi qu'en une sainte ivresse
L'Apôtre-vierge approcha de ton Cœur!
En son repos il connut ta tendresse;
Et tes secrets il les comprit, Seigneur!
De ton disciple aimé je ne suis pas jalouse;
Je connais tes secrets, car je suis ton épouse...
O mon divin Sauveur,
Je m'endors sur ton Cœur.
Il est à moi!
Rappelle-toi qu'au soir de l'agonie,
Avec ton sang se mêlèrent les pleurs;
Perles d'amour! leur valeur infinie
A fait germer de virginales fleurs.
Un Ange, te montrant cette moisson choisie,
Fit renaître la joie en ton âme bénie;
Jésus, que tu me vis
Au milieu de tes lis,
Rappelle-toi!
Ton sang, tes pleurs, cette source féconde
Virginisant les calices des fleurs,
Les a rendus capables, dès ce monde,
De t'enfanter un grand nombre de cœurs.
Je suis vierge, ô Jésus! Cependant, quel mystère!
En m'unissant à toi, des âmes je suis mère...
Des virginales fleurs
Qui sauvent les pécheurs,
Oh! souviens-toi!
Rappelle-toi qu'abreuvé de souffrance
Un Condamné, se tournant vers les cieux,
S'est écrié: «Bientôt dans ma puissance
«Vous me verrez paraître glorieux!»
Qu'il fût le Fils de Dieu, nul ne le voulait croire,
Car elle se cachait son ineffable gloire.
O Prince de la Paix!
Moi, je te reconnais...
Je crois en toi!
Rappelle-toi que ton divin Visage,
Parmi les tiens, fut toujours inconnu!
Mais tu laissas pour moi ta douce image...
Et tu le sais, je t'ai bien reconnu!
Oui, je te reconnais, même à travers tes larmes,
Face de L'Eternel, je découvre tes charmes.
Que ton regard voilé
Mon cœur a consolé,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi cette amoureuse plainte
Qui, sur la croix, s'échappa de ton Cœur.
Ah! dans le mien, Jésus, elle est empreinte:
Oui... de ta soif il partage l'ardeur!
Plus il se sent blessé de ses divines flammes,
Plus il est altéré de te donner des âmes.
Que, d'une soif d'amour,
Je brûle nuit et jour,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi, Jésus, Verbe de vie,
Que tu m'aimas jusqu'à mourir pour moi!
Je veux aussi t'aimer à la folie;
Je veux aussi vivre et mourir pour toi:
Tu le sais, ô mon Dieu, tout ce que je désire,
C'est de te faire aimer, et d'être un jour martyre.
D'amour je veux mourir.
Seigneur, de mon désir,
Oh! souviens-toi!
Rappelle-toi qu'au jour de ta victoire,
Tu nous disais: «Celui qui n'a pas vu
«Le Fils de Dieu tout rayonnant de gloire,
«Il est heureux... si quand même il a cru!»
Dans l'ombre de la foi, je t'aime et je t'adore:
O Jésus, pour te voir j'attends en paix l'aurore.
Que mon désir n'est pas
De te voir ici-bas,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi que, montant vers le Père,
Tu ne pouvais nous laisser orphelins;
Que, te faisant prisonnier sur la terre,
Tu sus voiler tes rayons tout divins;
Mais l'ombre de ton voile est lumineuse et pure,
Pain vivant de la foi, céleste nourriture.
O mystère d'amour!
Mon Pain de chaque jour:
Jésus, c'est toi!
Jésus, c'est toi qui malgré les blasphèmes
Des ennemis du Sacrement d'amour,
C'est toi qui veux montrer combien tu m'aimes,
Puisqu'en mon cœur tu fixes ton séjour.
O Pain de l'exilé! sainte et divine Hostie!
Ce n'est plus moi qui vis; mais je vis de ta vie:
Ton ciboire doré,
Entre tous préféré,
Jésus, c'est moi!
Jésus, c'est moi ton vivant sanctuaire
Que les méchants ne peuvent profaner.
Reste en mon cœur, n'est-il pas un parterre
Dont chaque fleur vers toi veut se tourner?
Mais, si tu t'éloignais, ô blanc Lis des vallées!
Je le sais bien, mes fleurs seraient vite effeuillées.
Toujours, mon Bien-Aimé,
Jésus, Lis embaumé,
Fleuris en moi!
Rappelle-toi que je veux sur la terre
Te consoler de l'oubli des pécheurs;
Mon seul Amour, exauce ma prière:
Ah! pour t'aimer, donne-moi mille cœurs!
Mais c'est encore trop peu, Jésus, beauté suprême,
Donne-moi pour t'aimer ton divin Cœur lui-même;
De mon désir brûlant,
Seigneur, à chaque instant,
Oh! souviens-toi!
Rappelle-toi que ta volonté sainte
Est mon repos, mon unique bonheur;
Je m'abandonne et je m'endors sans crainte
Entre tes bras, ô mon divin Sauveur!
Si tu t'endors aussi lorsque l'orage gronde,
Je veux rester toujours en une paix profonde;
Mais pendant ton sommeil,
Jésus! pour le réveil
Prépare-moi!
Rappelle-toi que souvent je soupire
Après le jour du grand avènement.
Qu'il vienne enfin l'Ange qui doit nous dire:
«Le temps n'est plus, venez au jugement!»
Alors rapidement je franchirai l'espace,
Et j'irai me cacher en ta divine Face.
Qu'au séjour éternel
Tu dois être mon ciel,
Rappelle-toi!
21 octobre 1895.
Air: Petit soulier de Noël.
——
Auprès du Tombeau, sainte Madeleine,
Cherchant son Jésus, se baissait en pleurs.
Les Anges voulaient adoucir sa peine,
Mais rien ne pouvait calmer ses douleurs.
Votre doux éclat, lumineux Archanges,
Ne suffisait pas à la contenter;
Elle voulait voir le Seigneur des Anges,
Le prendre en ses bras, bien loin l'emporter.
Au Sépulcre Saint, restant la dernière,
Marie était là, bien avant le jour;
Son Dieu vint aussi, voilant sa lumière.
Elle ne pouvait le vaincre en amour...
Lui montrant alors sa Face bénie,
Bientôt un seul mot jaillit de son Cœur;
Murmurant le nom si doux de «Marie»,
Jésus lui rendit la paix, le bonheur.
. . . . .
. . . . .
. . . . .
Un jour, ô mon Dieu, comme Madeleine,
J'ai voulu te voir, m'approcher de toi;
Mon regard plongeait dans l'immense plaine
Dont je recherchais le Maître et le Roi.
Et je m'écriais, voyant l'onde pure,
L'azur étoilé, la fleur et l'oiseau:
Si je ne vois Dieu, brillante nature,
Tu n'es rien pour moi qu'un vaste tombeau.
J'ai besoin d'un cœur brûlant de tendresse,
Restant mon appui sans aucun retour;
Aimant tout en moi, même ma faiblesse,
Ne me quittant pas la nuit et le jour.
Je n'ai pu trouver nulle créature
Qui m'aimât toujours sans jamais mourir;
Il me faut un Dieu prenant ma nature,
Devenant mon frère et pouvant souffrir.
Tu m'as entendue, oh! l'Epoux que j'aime...
Pour ravir mon cœur, te faisant mortel,
Tu versas ton sang, mystère suprême!
Et tu vis encor pour moi sur l'Autel.
Si je ne puis voir l'éclat de ta Face,
Entendre ta voix pleine de douceur,
Je puis, ô mon Dieu, vivre de ta grâce,
Je puis reposer sur ton Sacré-Cœur!
O Cœur de Jésus, trésor de tendresse,
C'est toi mon bonheur, mon unique espoir!
Toi qui sus bénir, charmer ma jeunesse,
Reste auprès de moi jusqu'au dernier soir.
Seigneur, à toi seul j'ai donné ma vie,
Et tous mes désirs te sont bien connus.
C'est en ta bonté toujours infinie
Que je veux me perdre, ô Cœur de Jésus!
Ah! je le sais bien, toutes nos justices
N'ont, devant tes yeux, aucune valeur;
Pour donner du prix à mes sacrifices,
Je veux les jeter en ton divin Cœur.
Tu n'as pas trouvé tes Anges sans tache;
Au sein des éclairs tu donnas ta loi;
En ton Cœur Sacré, Jésus, je me cache,
Je ne tremble pas: ma vertu c'est toi!
Afin de pouvoir contempler ta gloire,
Il faut, je le sais, passer par le feu.
Et moi, je choisis pour mon purgatoire
Ton amour brûlant, ô Cœur de mon Dieu!
Mon âme exilée, en quittant la vie,
Voudrait faire un acte de pur amour,
Et puis, s'envolant au ciel, sa patrie,
Entrer dans ton Cœur, sans aucun détour!...
Octobre 1895.
Chanté dès l'exil.
Air: Mignon regrettant sa patrie. (Luigi Bordèse.)
——
Ton épouse, ô mon Dieu, sur la rive étrangère
Peut chanter de l'amour le cantique éternel;
Puisqu'au sein de l'exil tu daignes, sur la terre,
Du feu de ton amour l'embraser comme au ciel!
Mon Bien-Aimé, beauté suprême!
A moi tu te donnés toi-même;
Mais en retour, Jésus, je t'aime:
Fais de ma vie un seul acte d'amour!
Oubliant ma grande misère,
Tu viens habiter dans mon cœur.
Mon faible amour, ah! quel mystère!
Suffit pour t'enchaîner, Seigneur.
Amour qui m'enflamme,
Pénètre mon âme!
Viens, je te réclame,
Viens, consume-moi!
Ton ardeur me presse,
Et je veux sans cesse,
Divine fournaise,
M'abîmer en toi.
Seigneur, la souffrance
Devient jouissance,
Quand l'amour s'élance
Vers toi sans retour.
Céleste patrie,
Douceur infinie,
Mon âme ravie
Vous a chaque jour...
Céleste patrie
O joie infinie,
Vous n'êtes que l'Amour!
Air: Au sein de l'heureuse patrie.
——
Dans ton amour, t'exilant sur la terre,
Divin Jésus, tu t'immolas pour moi.
Mon Bien-Aimé, reçois ma vie entière;
Je veux souffrir, je veux mourir pour toi.
Seigneur, tu nous l'as dit toi-même:
«L'on ne peut rien faire de plus
«Que de mourir pour ceux qu'on aime.»
Et mon amour suprême
C'est toi, Jésus!
Il se fait tard, déjà le jour décline:
Reste avec moi, céleste Pèlerin.
Avec ta croix je gravis la colline;
Viens me guider, Seigneur, dans le chemin!
Ta voix trouve écho dans mon âme:
Je veux te ressembler, Seigneur
La souffrance, je la réclame...
Ta parole de flamme
Brûle mon cœur!
Avant d'entrer dans l'éternelle gloire,
«Il a fallu que l'Homme-Dieu souffrît».
C'est par sa croix qu'il gagna la victoire;
O doux Sauveur, ne nous l'as-tu pas dit?
Pour moi, sur la rive étrangère,
Quels mépris n'as-tu pas reçus!...
Je veux me cacher sur la terre,
Etre en tout la dernière,
Pour toi, Jésus.
Mon Bien-Aimé, ton exemple m'invite
A m'abaisser, à mépriser l'honneur:
Pour te ravir, je veux rester petite;
En m'oubliant, je charmerai ton Cœur.
Ma paix est dans la solitude,
Je ne demande rien de plus.
Te plaire est mon unique étude,
Et ma béatitude
C'est toi, Jésus!
Toi, le grand Dieu que l'univers adore,
Tu vis en moi, prisonnier nuit et jour;
Ta douce voix à toute heure m'implore,
Tu me redis: «J'ai soif! j'ai soif d'amour!...»
Je suis aussi ta prisonnière,
Et je veux redire à mon tour
Ta tendre et divine prière,
Mon Bien-Aimé, mon Frère:
J'ai soif d'amour!
J'ai soif d'amour! Comble mon espérance:
Augmente en moi, Seigneur, ton divin feu!
J'ai soif d'amour! bien grande est ma souffrance.
Ah! je voudrais voler vers toi, mon Dieu!
Ton amour est mon seul martyre;
Plus je le sens brûler en moi,
Et plus mon âme te désire.
Jésus, fais que j'expire
D'amour pour toi!
30 avril 1896.
Air: Dieu de paix et d'amour.
——
Pour supporter l'exil de la terre des larmes,
Il me faut le regard de mon divin Sauveur;
Ce regard plein d'amour m'a dévoilé ses charmes,
Il m'a fait pressentir le céleste bonheur.
Mon Jésus me sourit, quand vers lui je soupire;
Alors je ne sens plus l'épreuve de la foi.
Le regard de mon Dieu, son ravissant sourire,
Voilà mon ciel à moi!
Mon ciel est d'attirer sur l'Eglise bénie,
Sur la France coupable et sur chaque pécheur,
La grâce que répand ce beau fleuve de vie
Dont je trouve la source, ô Jésus, dans ton Cœur.
Je puis tout obtenir lorsque, dans le mystère,
Je parle cœur à cœur avec mon divin Roi.
Cette douce oraison, tout près du sanctuaire,
Voilà mon ciel à moi!
Mon ciel, il est caché dans la petite hostie
Où Jésus, mon Epoux, se voile par amour.
A ce foyer divin je vais puiser la vie;
Et là, mon doux Sauveur m'écoute nuit et jour.
Oh! quel heureux instant, lorsque dans ta tendresse
Tu viens, mon Bien-Aimé, me transformer en toi!
Cette union d'amour, cette ineffable ivresse,
Voilà mon ciel à moi!
Mon ciel est de sentir en moi la ressemblance
Du Dieu qui me créa de son souffle puissant;
Mon ciel est de rester toujours en sa présence,
De l'appeler mon Père et d'être son enfant;
Entre ses bras divins je ne crains pas l'orage...
Le total abandon, voilà ma seule loi!
Sommeiller sur son Cœur, tout près de son Visage,
Voilà mon ciel à moi!
Mon ciel, je l'ai trouvé dans la Trinité sainte
Qui réside en mon cœur, prisonnière d'amour.
Là, contemplant mon Dieu, je lui redis sans crainte
Que je veux le servir et l'aimer sans retour.
Mon ciel est de sourire à ce Dieu que j'adore,
Lorsqu'il veut se cacher pour éprouver ma foi;
Sourire, en attendant qu'il me regarde encore,
Voilà mon ciel à moi!
7 juin 1896.
Air: O saint autel qu'environnent les Anges.
——
Je suis encor sur la rive étrangère;
Mais, pressentant le bonheur éternel,
Oh! je voudrais déjà quitter la terre
Et contempler les merveilles du ciel!
Lorsque je rêve à l'immortelle vie,
De mon exil je ne sens plus le poids;
Bientôt, mon Dieu, vers ma seule patrie
Je volerai pour la première fois!
Ah! donne-moi, Jésus, de blanches ailes,
Pour que, vers toi, je prenne mon essor.
Je veux voler aux rives éternelles,
Je veux te voir, ô mon divin Trésor!
Je veux voler dans les bras de Marie,
Me reposer sur ce trône de choix,
Et recevoir de ma Mère chérie,
Le doux baiser pour la première fois!
Mon Bien-Aimé, de ton premier sourire
Fais-moi bientôt entrevoir la douceur;
Ah! laisse-moi, dans mon brûlant délire,
Oui, laisse-moi me cacher en ton Cœur.
Heureux instant!... O bonheur ineffable!
Quand j'entendrai le doux son de ta voix...
Quand je verrai, de ta Face adorable
L'éclat divin, pour la première fois!
Tu le sais bien, mon unique martyre
C'est ton amour, Cœur sacré de Jésus!
Vers ton beau ciel, si mon âme soupire,
C'est pour t'aimer... t'aimer de plus en plus!
Au ciel, toujours m'enivrant de tendresse,
Je t'aimerai sans mesure et sans lois.
Et mon bonheur me paraîtra sans cesse
Aussi nouveau que la première fois!
Air: Oui, je le crois, elle est immaculée.
——
Jésus, mon seul amour, au pied de ton calvaire,
Que j'aime, chaque soir, à te jeter des fleurs!
En effeuillant pour toi la rose printanière,
Je voudrais essuyer tes pleurs!
Jeter des fleurs!... c'est t'offrir en prémices
Les plus légers soupirs, les plus grandes douleurs.
Mes peines, mon bonheur, mes petits sacrifices:
Voilà mes fleurs!
Seigneur, de ta beauté mon âme s'est éprise;
Je veux te prodiguer mes parfums et mes fleurs.
En les jetant pour toi sur l'aile de la brise,
Je voudrais enflammer les cœurs!
Jeter des fleurs! Jésus, voilà mon arme
Lorsque je veux lutter pour sauver les pécheurs.
La victoire est à moi: toujours je te désarme
Avec mes fleurs!
Les pétales des rieurs caressant ton Visage
Te disent que mon cœur est à toi sans retour.
De ma rose effeuillée, ah! tu sais le langage,
Et tu souris à mon amour...
Jeter des fleurs! redire tes louanges,
Voilà mon seul plaisir sur la rive des pleurs.
Au ciel j'irai bientôt avec les petits anges
Jeter des fleurs!
Air: Prévenons les feux de l'aurore.
——
Petite clef, oh! je t'envie,
Toi qui peux ouvrir chaque jour
La prison de l'Eucharistie,
Où réside le Dieu d'amour.
Mais je puis, quel touchant miracle!
Par un seul effort de ma foi,
Ouvrir aussi le Tabernacle,
M'y cacher près du divin Roi...
Je voudrais, dans le sanctuaire,
Me consumant près de mon Dieu,
Toujours briller avec mystère,
Comme la lampe du saint Lieu.
O bonheur! en moi, j'ai des flammes,
Et je puis gagner chaque jour,
A Jésus, un grand nombre d'âmes,
Les embraser de son amour...
A chaque aurore, je t'envie,
O pierre sainte de l'autel!
Comme dans l'étable bénie,
Sur toi veut naître l'Eternel.
Ecoute mon humble prière:
Viens en mon âme, doux Sauveur!
Bien loin d'être une froide pierre,
Elle est le soupir de ton Cœur.
O corporal entouré d'Anges,
Que je te porte envie encor!
Sur toi, comme en ses humbles langes,
Je vois Jésus, mon seul trésor.
Change mon cœur, Vierge Marie,
En un corporal pur et beau,
Pour recevoir la blanche hostie
Où se cache ton doux Agneau.
Sainte patène, je t'envie...
Sur toi, Jésus vient reposer!
Oh! que sa grandeur infinie,
Jusqu'à moi daigne s'abaisser...
Jésus, comblant mon espérance,
De l'exil n'attend pas le soir:
Il vient en moi!... par sa présence,
Je suis un vivant ostensoir.
Je voudrais être le calice
Où j'adore le Sang divin!
Mais je puis, au saint Sacrifice,
Le recueillir chaque matin.
Mon âme à Jésus est plus chère
Que les précieux vases d'or;
L'autel est un nouveau Calvaire,
Où, pour moi, son Sang coule encor.
Jésus, Vigne sainte et sacrée,
Tu le sais, ô mon divin Roi,
Je suis une grappe dorée
Qui doit disparaître pour loi.
Sous le pressoir de la souffrance,
Je te prouverai mon amour.
Je ne veux d'autre jouissance
Que de m'immoler chaque jour.
Quel heureux sort! Je suis choisie
Parmi les grains de pur froment
Qui, pour Jésus, perdent la vie;
Bien grand est mon ravissement!
Je suis ton épouse chérie,
Mon Bien-Aimé, viens vivre en moi.
Oh! viens, ta Beauté m'a ravie,
Daigne me transformer en toi!
1896.
Composé pour une novice.
Air: Près d'un berceau.
——
Mon cœur ardent veut se donner sans cesse,
Il a besoin de prouver sa tendresse.
Ah! qui pourra comprendre mon amour?
Quel cœur voudra me payer de retour?
Mais, ce retour, en vain je le réclame;
Jésus, toi seul peux contenter mon âme.
Rien ne saurait me charmer ici-bas;
Le vrai bonheur ne s'y rencontre pas.
Ma seule paix, mon seul bonheur,
Mon seul amour, c'est toi, Seigneur!
O toi qui sus créer le cœur des mères,
Je trouve en toi le plus tendre des pères.
Mon seul Amour, Jésus, Verbe éternel,
Pour moi, ton Cœur est plus que maternel!
A chaque instant, tu me suis, tu me gardes;
Quand je t'appelle, ah! jamais tu ne tardes.
Et si parfois tu sembles te cacher,
C'est toi qui viens m'aider à te chercher...
C'est à toi seul, Jésus, que je m'attache;
C'est dans tes bras que j'accours et me cache.
Je veux t'aimer comme un petit enfant;
Je veux lutter comme un guerrier vaillant.
Comme un enfant plein de délicatesses,
Je veux, Seigneur, te combler de caresses;
Et, dans le champ de mon apostolat,
Comme un guerrier je m'élance au combat!
Ton Cœur, qui garde et qui rend l'innocence,
Ne saurait pas tromper ma confiance;
En toi, Seigneur, repose mon espoir:
Après l'exil, au ciel j'irai te voir.
Lorsqu'en mon cœur s'élève la tempête,
Vers toi, Jésus, je relève la tête;
En ton regard miséricordieux,
Je lis: Enfant... pour toi, j'ai fait les cieux!
Je le sais bien, mes soupirs et mes larmes
Sont devant toi tout rayonnants de charmes;
Les Séraphins, au ciel, forment ta cour,
Et cependant tu cherches mon amour...
Tu veux mon cœur... Jésus, je te le donne!
Tous mes désirs je te les abandonne;
Et ceux que j'aime, ô mon Epoux, mon Roi,
Je ne veux plus les aimer que pour toi.
15 août 1896.
Air: Au Rossignol. (Gounod.)
——
Pour les exilés de la terre,
Le bon Dieu créa les oiseaux;
Ils vont, gazouillant leur prière,
Dans les vallons, sur les coteaux.
Les enfants joyeux et volages,
Ayant choisi leurs préférés,
Les emprisonnent dans des cages
Dont les barreaux sont tout dorés.
. . . . .
. . . . .
. . . . .
O Jésus, notre petit Frère,
Pour nous, tu quittas le beau ciel;
Mais, tu le sais bien, ta volière,
Divin Enfant, c'est le Carmel.
Notre cage n'est pas dorée,
Cependant nous la chérissons;
Dans les bois, la plaine azurée,
Plus jamais nous ne volerons!
Jésus! les bosquets de ce monde
Ne peuvent pas nous contenter;
Dans la solitude profonde,
Pour toi seul nous voulons chanter.
Ta petite main nous attire;
Enfant, que tes charmes sont beaux!
O divin Jésus! ton sourire
Captive les petits oiseaux.
Ici l'âme simple et candide
Trouve l'objet de son amour;
Ici la colombe timide
N'a plus à craindre le vautour.
Sur les ailes de la prière,
On voit monter le cœur ardent,
Comme l'alouette légère
Qui, bien haut, s'élève en chantant!
Ici l'on entend le ramage
Du roitelet, du gai pinson.
O petit Jésus! dans leur cage,
Tes oiseaux gazouillent ton Nom.
Le petit oiseau toujours chante:
Son pain ne l'inquiète pas...
Un grain de millet le contente,
Jamais il ne sème ici-bas.
Comme lui, dans notre volière,
Nous recevons tout de ta main;
L'unique chose nécessaire,
C'est de t'aimer, Enfant divin!
Aussi nous chantons tes louanges
Avec les purs esprits du ciel;
Et, nous le savons, tous les Anges
Aiment les oiseaux du Carmel.
Jésus, pour essuyer les larmes
Que te font verser les pécheurs,
Tes oiseaux redisent tes charmes,
Leurs doux chants te gagnent des cœurs.
Un jour, loin de la triste terre,
Lorsqu'ils entendront ton appel,
Tous les oiseaux de ta volière
Prendront leur essor vers le ciel.
Avec les charmantes phalanges
Des petits chérubins joyeux,
Eternellement, tes louanges
Nous les chanterons dans les cieux!
25 décembre 1896.
D'après saint Jean de la Croix.
——
Appuyé sans aucun appui; sans lumière et dans les ténèbres, je vais me consumant d'amour. (S. Jean de la Croix.)
Au monde, quel bonheur extrême!
J'ai dit un éternel adieu.
Elevé plus haut que lui-même,
Mon cœur n'a d'autre appui que Dieu;
Et maintenant je le proclame:
Ce que j'estime près de lui,
C'est de voir mon cœur et mon âme
Appuyés sans aucun appui!
Bien que je souffre sans lumière,
En cette existence d'un jour,
Je possède au moins sur la terre
L'Astre céleste de l'amour.
Dans le chemin qu'il me faut suivre
Se rencontre plus d'un péril;
Mais, par amour, je veux bien vivre
Dans les ténèbres de l'exil.
L'amour, j'en ai l'expérience,
Du bien, du mal qu'il trouve en moi,
Sait profiter; quelle puissance!
Il transforme mon âme en soi.
Ce feu qui brûle dans mon âme
Pénètre mon cœur sans retour;
Ainsi dans son ardente flamme
Je vais, me consumant d'amour!
1896.
——
Jésus, tu connais mon nom,
Et ton doux regard m'appelle...
Il me dit: «Simple abandon,
Je veux guider ta nacelle.»
De ta petite voix d'enfant,
Oh! quelle merveille!
De ta petite voix d'enfant
Tu calmes le flot mugissant,
Et le vent.
Si tu veux te reposer,
Alors que l'orage gronde,
Sur mon cœur daigne poser
Ta petite tête blonde.
Que ton sourire est ravissant
Lorsque tu sommeilles!
Toujours avec mon plus doux chant,
Je veux te bercer tendrement,
Bel Enfant!
Décembre 1896.
Air: Petit oiseau, dis, où vas-tu?
——
Il est des âmes sur la terre
Qui cherchent en vain le bonheur;
Mais, pour moi, c'est tout le contraire,
La joie habite dans mon cœur.
Cette fleur n'est pas éphémère,
Je la possède sans retour;
Comme une rose printanière,
Elle me sourit chaque jour.
Vraiment je suis par trop heureuse.
Je fais toujours ma volonté;
Pourrais-je n'être pas joyeuse
Et ne pas montrer ma gaîté?
Ma joie est d'aimer la souffrance,
Je souris en versant des pleurs.
J'accepte avec reconnaissance
L'épine au milieu de mes fleurs.
Lorsque le ciel bleu devient sombre,
Et qu'il semble me délaisser,
Ma joie est de rester dans l'ombre,
De me cacher, de m'abaisser.
Ma paix, c'est la volonté sainte
De Jésus, mon unique amour:
Ainsi je vis sans nulle crainte;
J'aime autant la nuit que le jour.
Ma paix, c'est de rester petite;
Aussi, quand je tombe en chemin,
Je puis me relever bien vite,
Et Jésus me prend par la main.
Alors, le comblant de caresses,
Je lui dis qu'il est tout pour moi...
Et je redouble de tendresses,
Lorsqu'il se dérobe à ma foi.
Ma paix, si je verse des larmes,
C'est de les cacher à mes sœurs.
Oh! que la souffrance a de charmes,
Quand on sait la voiler de fleurs!
Je veux bien souffrir sans le dire,
Pour que Jésus soit consolé;
Ma joie est de le voir sourire
Lorsque mon cœur est exilé.
Ma paix, c'est de lutter sans cesse
Afin d'enfanter des élus;
C'est de redire avec tendresse,
Bien souvent, à mon doux Jésus:
Pour toi, mon divin petit Frère,
Je suis heureuse de souffrir!
Ma joie unique sur la terre,
C'est de pouvoir te réjouir.
Longtemps encor je veux bien vivre,
Seigneur, si c'est là ton désir.
Dans le ciel je voudrais te suivre,
Si cela te faisait plaisir.
L'amour, ce feu de la patrie,
Ne cesse de me consumer;
Que me fait la mort ou la vie?
Mon seul bonheur, c'est de t'aimer!...
21 janvier 1897.
A une novice pour sa Profession.
Air: Partez, hérauts...
——
«L'épouse du Roi est terrible comme une armée rangée en bataille; elle est semblable à un chœur de musique dans un camp d'armée.» Cant., VI, 3; VII, I.
«Revêtez-vous des armes de Dieu, afin que vous puissiez résister aux embûches de l'ennemi.» Ephes., VI, II.
Du Tout-Puissant j'ai revêtu les armes,
Sa main divine a daigné me parer;
Rien désormais ne me cause d'alarmes,
De son amour qui peut me séparer?
A ses côtés, m'élançant dans l'arène,
Je ne craindrai ni le fer ni le feu;
Mes ennemis sauront que je suis reine,
Que je suis l'épouse d'un Dieu.
O mon Jésus! je garderai l'armure
Que je revêts sous tes yeux adorés;
Jusqu'au soir de l'exil, ma plus belle parure
Sera mes vœux sacrés.
O Pauvreté, mon premier sacrifice,
Jusqu'à la mort tu me suivras partout;
Car, je le sais, pour courir dans la lice,
L'athlète doit se détacher de tout.
Goûtez, mondains, le remords et la peine,
Ces fruits amers de votre vanité;
Joyeusement, moi je cueille en l'arène
Les palmes de la Pauvreté.
Jésus a dit: «C'est par la violence
Que l'on ravit le royaume des cieux.»
Eh bien! la Pauvreté me servira de lance,
De casque glorieux.
La Chasteté me rend la sœur des Anges,
De ces esprits purs et victorieux.
J'espère un jour voler en leurs phalanges;
Mais, dans l'exil, je dois lutter comme eux.
Je dois lutter, sans repos et sans trêve,
Pour mon Epoux, le Seigneur des seigneurs.
La Chasteté, c'est le céleste glaive
Qui peut lui conquérir des cœurs.
La Chasteté, c'est mon arme invincible;
Mes ennemis, par elle, sont vaincus;
Par elle je deviens, ô bonheur indicible!
L'épouse de Jésus.
L'Ange orgueilleux, au sein de la lumière,
S'est écrié: «Je n'obéirai pas!...»
Moi, je répète en la nuit de la terre:
Je veux toujours obéir ici-bas.
Je sens en moi naître une sainte audace,
De tout l'enfer je brave la fureur.
L'Obéissance est ma forte cuirasse
Et le bouclier de mon cœur.
O Dieu vainqueur! je ne veux d'autres gloires
Que de soumettre en tout ma volonté;
Puisque l'obéissant redira ses victoires
Toute l'éternité!
Si du guerrier j'ai les armes puissantes,
Si je l'imite et lutte vaillamment,
Comme la vierge aux grâces ravissantes,
Je veux aussi chanter en combattant.
Tu fais vibrer de ta lyre les cordes,
Et cette lyre, ô Jésus, c'est mon cœur!
Alors je puis de tes miséricordes
Chanter la force et la douceur.
En souriant je brave la mitraille,
Et dans tes bras, ô mon Epoux divin,
En chantant je mourrai sur le champ de bataille,
Les armes à la main!
Composé pour une novice.
Air: L'envers du ciel.
——
O Seigneur tout-puissant! dès ma plus tendre enfance,
Je puis bien m'appeler l'œuvre de ton amour;
Je voudrais, ô mon Dieu, dans ma reconnaissance,
Ah! je voudrais pouvoir te payer de retour.
Jésus, mon Bien-Aimé, quel est ce privilège?
Pauvre petit néant, qu'avais-je fait pour toi?
Et je me vois ici, suivant le blanc cortège
Des vierges de ta cour, aimable et divin Roi!
Hélas! je ne suis rien que la faiblesse même;
Tu le sais bien, mon Dieu, je n'ai pas de vertus!
Mais tu le sais aussi, pour moi, le bien suprême
Qui me charma toujours... c'est toi, mon doux Jésus!
Lorsqu'en mon jeune cœur s'alluma cette flamme
Qui se nomme l'amour... tu vins la réclamer.
Et loi seul, ô Jésus, pus contenter mon âme,
Car jusqu'à l'infini j'avais besoin d'aimer!
Comme un petit agneau loin de la bergerie,
Gaîment je folâtrais, ignorant le danger;
Mais, ô Reine des cieux, ma Bergère chérie,
Ton invisible main savait me protéger!
Ainsi, tout en jouant au bord des précipices,
Déjà tu me montrais le sommet du Carmel;
Je comprenais alors les austères délices
Qu'il me faudrait aimer pour m'envoler au ciel.
Seigneur, si tu chéris la pureté de l'Ange,
De ce brillant esprit qui nage dans l'azur,
N'aimes-tu pas aussi, s'élevant de la fange,
Le lis que ton amour a su conserver pur?
S'il est heureux, mon Dieu, l'Ange à l'aile vermeille
Qui paraît devant toi tout blanc de pureté,
Ma robe, dès ce monde, à la sienne est pareille,
Puisque j'ai le trésor de la virginité!
Air: Le fil de la Vierge ou La Rose mousse.
——
Jésus, quand je te vois soutenu par ta Mère,
Quitter ses bras,
Essayer en tremblant sur notre triste terre
Tes premiers pas;
Devant toi je voudrais effeuiller une rose
En sa fraîcheur,
Pour que ton petit pied bien doucement repose
Sur une fleur.
Cette rose effeuillée est la fidèle image,
Divin Enfant!
Du cœur qui veut pour toi s'immoler sans partage
A chaque instant.
Seigneur, sur tes autels plus d'une fraîche rose
Aime à briller;
Elle se donne à toi, mais je rêve autre chose:
C'est m'effeuiller...
La rose en son éclat peut embellir ta fête,
Aimable Enfant!
Mais la rose effeuillée, on l'oublie, on la jette
Au gré du vent...
La rose, en s'effeuillant, sans recherche se donne
Pour n'être plus.
Comme elle, avec bonheur, à toi je m'abandonne,
Petit Jésus!
L'on marche sans regret sur des feuilles de rose,
Et ces débris
Sont un simple ornement que sans art on dispose,
Je l'ai compris...
Jésus, pour ton amour j'ai prodigué ma vie,
Mon avenir;
Aux regards des mortels, rose à jamais flétrie,
Je dois mourir!
Pour toi je dois mourir, Jésus, beauté suprême,
Oh! quel bonheur!
Je veux en m'effeuillant te prouver que je t'aime
De tout mon cœur.
Sous tes pas enfantins je veux avec mystère
Vivre ici-bas;
Et je voudrais encore adoucir au Calvaire
Tes derniers pas...
Mai 1897.
——
«L'abandon est le fruit délicieux de l'amour.»
Saint Augustin.
Il est sur cette terre
Un arbre merveilleux;
Sa racine, ô mystère!
Se trouve dans les cieux.
Jamais, sous son ombrage,
Rien ne saurait blesser;
Là, sans craindre l'orage,
On peut se reposer.
De cet arbre ineffable,
L'amour, voilà le nom;
Et son fruit délectable
S'appelle l'abandon!
Ce fruit, dès cette vie,
Me donne le bonheur;
Mon âme est réjouie
Par sa divine odeur.
Ce fruit, quand je le touche,
Me paraît un trésor;
Le portant à ma bouche,
Il m'est plus doux encor.
Il me donne en ce monde
Un océan de paix;
En cette paix profonde
Je repose à jamais.
Seul, l'abandon me livre
En tes bras, ô Jésus!
C'est lui qui me fait vivre
Du pain de tes élus;
A toi je m'abandonne,
O mon divin Epoux!
Et je n'ambitionne
Que ton regard si doux.
Toujours je veux sourire,
M'endormant sur ton Cœur...
Et là, je veux redire
Que je t'aime, Seigneur!
Comme la pâquerette
Au calice vermeil,
Moi, petite fleurette,
Je m'entr'ouvre au soleil.
Mon doux soleil de vie,
O mon aimable Roi!
C'est ta divine Hostie,
Petite comme moi...
De sa céleste flamme
Le lumineux rayon
Fait naître dans mon âme
Le parfait abandon.
Toutes les créatures
Peuvent me délaisser;
Je saurai sans murmures
Près de toi m'en passer.
Et si tu me délaisses,
O mon divin Trésor!
N'ayant plus tes caresses,
Je veux sourire encor.
En paix je veux attendre,
Doux Jésus, ton retour,
Et sans jamais suspendre
Mes cantiques d'amour!
Non, rien ne m'inquiète,
Rien ne peut me troubler.
Plus haut que l'alouette
Mon âme sait voler!
Au-dessus des nuages,
Le ciel est toujours bleu;
On touche les rivages
Où règne le bon Dieu!
J'attends en paix la gloire
Du céleste séjour,
Car je trouve au ciboire
Le doux fruit de l'amour!
Mai 1897.
Reproduction d'un tableau peint par «Céline», en 1864 à la demande de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
A ce Festin d'Amour que te donne ta Mère
Oh! daigne m'inviter, Jésus,
mon petit Frère!
Première poésie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.
La Rosée divine
ou le Lait virginal de Marie.
Air: Noël d'Adam.
——
Mon doux Jésus, sur le sein de ta Mère
Tu m'apparais tout rayonnant d'amour;
Daigne à mon cœur révéler le mystère
Qui t'exila du céleste séjour.
Ah! laisse-moi me cacher sous le voile
Qui te dérobe à tout regard mortel.
Près de toi seule, ô matinale étoile,
Mon âme trouve un avant-goût du ciel!
Quand, au réveil d'une nouvelle aurore,
Du soleil d'or on voit les premiers feux,
La tendre fleur qui commence d'éclore
Attend d'en haut un baume précieux:
C'est du matin la perle étincelante,
Mystérieuse et pleine de fraîcheur,
Qui, produisant une sève abondante,
Tout doucement fait entr'ouvrir la fleur.
C'est toi, Jésus, la Fleur à peine éclose.
Je te contemple à ton premier éveil;
C'est toi, Jésus, la ravissante rose,
Le frais bouton, gracieux et vermeil.
Les bras si purs de ta Mère chérie
Forment pour toi: berceau, trône royal.
Ton doux soleil, c'est le sein de Marie,
Et ta rosée est le lait virginal!
Mon Bien-Aimé, mon divin petit Frère,
En ton regard je vois tout l'avenir:
Bientôt pour moi tu quitteras ta Mère;
Déjà l'amour te presse de souffrir!
Mais sur la croix, ô Fleur épanouie!
Je reconnais ton parfum matinal;
Je reconnais les perles de Marie:
Ton sang divin c'est le lait virginal!
Cette rosée, elle est au sanctuaire,
L'Ange voudrait s'en abreuver aussi;
Offrant à Dieu sa sublime prière,
Comme saint Jean il redit: «Le Voici!»
Oui, le voici ce Verbe fait Hostie,
Prêtre éternel, Agneau sacerdotal!
Le Fils de Dieu, c'est le Fils de Marie...
Le Pain de l'Ange est le lait virginal!
Le Séraphin se nourrit de la gloire,
Du pur amour et du bonheur parfait;
Moi, faible enfant, je ne vois au ciboire
Que la couleur, la figure du lait.
Mais c'est le lait qui convient à l'enfance,
Du Cœur divin, l'amour est sans égal...
O tendre amour, insondable puissance!
Ma blanche Hostie est le lait virginal!
2 février 1893.
A une postulante nommée Marie.
Air: Petit oiseau, dis, où vas-tu?
——
Je cherche un enfant qui ressemble
A Jésus, mon unique Agneau,
Afin de les cacher ensemble,
Tous deux en un même berceau.
L'Ange de la sainte patrie
De ce bonheur serait jaloux;
Mais je le donne à toi, Marie,
L'Enfant-Dieu sera ton Epoux!
C'est toi-même que j'ai choisie
Pour être de Jésus la sœur.
Veux-tu lui tenir compagnie?
Tu reposeras sur mon cœur!
Je te bercerai sous le voile
Où se cache le Roi des cieux,
Mon Fils sera la seule étoile
Désormais brillante à tes yeux.
Mais pour que, toujours, je t'abrite
Sous mon voile, près de Jésus,
Il te faudra rester petite
Avec d'enfantines vertus.
Je veux que sur ton front rayonne
La douceur et la pureté;
Mais la vertu que je te donne
Surtout, c'est la simplicité.
Le Dieu, l'Unique en trois Personnes,
Qu'adorent les anges tremblants...
L'Eternel veut que tu lui donnes
Le simple nom de Fleur des champs!
Comme une blanche pâquerette
Qui toujours regarde le ciel,
Sois aussi la simple fleurette
Du petit Enfant de Noël.
Le monde méconnaît les charmes
Du Roi qui s'exile des cieux;
Bien souvent tu verras des larmes
Briller en ses doux petits yeux.
Il faudra qu'oubliant tes peines
Pour réjouir l'aimable Enfant,
Tu bénisses tes nobles chaînes,
Et que tu chantes doucement...
Le Dieu dont la toute-puissance
Arrête le flot qui mugit,
Empruntant les traits de l'enfance,
Est devenu faible et petit.
Le Verbe, Parole du Père,
Qui, pour toi, s'exile ici-bas,
Mon doux Agneau, ton petit Frère,
Enfant, ne te parlera pas!
Le silence est le premier gage
De son inexprimable amour.
Comprenant ce muet langage,
Tu l'imiteras chaque jour.
Et si parfois Jésus sommeille,
Tu reposeras près de lui;
Son Cœur divin, qui toujours veille,
Te servira de doux appui!
Ne t'inquiète pas, Marie,
De l'ouvrage de chaque jour;
Ton seul travail en cette vie
Doit être uniquement l'amour!
Et si quelqu'un vient à redire
Que tes œuvres ne se voient pas:
J'aime beaucoup, pourras-tu dire:
Voilà mon travail ici-bas.
Jésus tressera ta couronne,
Si tu ne veux que son amour;
Si ton cœur à lui s'abandonne,
Il te fera régner un jour.
Après la nuit de cette vie,
Tu verras son très doux regard;
Et là-haut ton âme ravie
Volera sans aucun retard...
Noël 1894.
Dernière poésie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Air: La plainte du Mousse.
——
Oh! je voudrais chanter, Mère, pourquoi je t'aime!
Pourquoi ton nom si doux fait tressaillir mon cœur!
Et pourquoi de penser à ta grandeur suprême
Ne saurait à mon âme inspirer de frayeur.
Si je te contemplais dans ta sublime gloire,
Et surpassant l'éclat de tous les bienheureux;
Que je suis ton enfant, je ne pourrais le croire.....
Marie, ah! devant toi je baisserais les yeux.
Il faut, pour qu'un enfant puisse chérir sa mère,
Qu'elle pleure avec lui, partage ses douleurs.
O Reine de mon cœur, sur la rive étrangère,
Pour m'attirer à toi, que tu versas de pleurs!
En méditant ta vie écrite en l'Evangile,
J'ose te regarder et m'approcher de toi;
Me croire ton enfant ne m'est pas difficile,
Car je te vois mortelle et souffrant comme moi.
Lorsqu'un Ange des cieux t'offre d'être la Mère
Du Dieu qui doit régner toute l'éternité,
Je te vois préférer, quel étonnant mystère!
L'ineffable trésor de la virginité.
Je comprends que ton âme, ô Vierge immaculée,
Soit plus chère au Seigneur que le divin séjour.
Je comprends que ton âme, humble et douce vallée,
Contienne mon Jésus, l'Océan de l'amour!
Je t'aime, te disant la petite servante
Du Dieu que tu ravis par ton humilité.
Cette grande vertu te rend toute-puissante,
Elle attire en ton cœur la Sainte Trinité!
Alors l'Esprit d'amour te couvrant de son ombre,
Le Fils égal au Père en toi s'est incarné...
De ses frères pécheurs bien grand sera le nombre,
Puisqu'on doit l'appeler: Jésus, ton premier-né!
(Cet oratoire communique avec la cellule de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus
dont ou voit la porte entr'ouverte.
Là sont déposées journellement les nombreuses suppliques adressés à la Servante de Dieu.)
Marie, ah! tu le sais, malgré ma petitesse,
Comme toi je possède en moi le Tout-Puissant.
Mais je ne tremble pas en voyant ma faiblesse:
Le trésor de la Mère appartient à l'enfant...
Et je suis ton enfant, ô ma Mère chérie!
Tes vertus, ton amour ne sont-ils pas à moi?
Aussi, lorsqu'en mon cœur descend la blanche Hostie,
Jésus, ton doux Agneau, croit reposer en toi!
Tu me le fais sentir, ce n'est pas impossible
De marcher sur tes pas, ô Reine des élus!
L'étroit chemin du ciel, tu l'as rendu visible
En pratiquant toujours les plus humbles vertus.
Marie, auprès de toi j'aime à rester petite;
Des grandeurs d'ici-bas je vois la vanité.
Chez sainte Elisabeth recevant ta visite,
J'apprends à pratiquer l'ardente charité.
Là, j'écoute à genoux, douce Reine des Anges,
Le cantique sacré qui jaillit de ton cœur;
Tu m'apprends à chanter les divines louanges,
A me glorifier en Jésus, mon Sauveur.
Tes paroles d'amour sont de mystiques roses
Qui doivent embaumer les siècles à venir:
En toi, le Tout-Puissant a fait de grandes choses:
Je veux les méditer, afin de l'en bénir.
Quand le bon saint Joseph ignore le miracle
Que tu voudrais cacher dans ton humilité,
Tu le laisses pleurer tout près du tabernacle
Qui voile du Sauveur la divine beauté.
Oh! que je l'aime encor ton éloquent silence!
Pour moi, c'est un concert doux et mélodieux
Qui me dit la grandeur et la toute-puissance
D'une âme qui n'attend son secours que des cieux...
Plus tard, à Bethléem, ô Joseph, ô Marie,
Je vous vois repoussés de tous les habitants;
Nul ne veut recevoir en son hôtellerie
De pauvres étrangers... la place est pour les grands!
La place est pour les grands, et c'est dans une étable
Que la Reine des cieux doit enfanter un Dieu.
O Mère du Sauveur, que je te trouve aimable!
Que je te trouve grande en un si pauvre lieu!
Quand je' vois l'Eternel enveloppé de langes,
Quand, du Verbe divin, j'entends le faible cri...
Marie, à cet instant, envierais-je les Anges?
Leur Seigneur adorable est mon Frère chéri!
Oh! que je te bénis, toi qui sur nos rivages
As fait épanouir cette divine Fleur!
Que je t'aime, écoutant les bergers et les mages,
Et gardant avec soin toute chose en ton cœur!
Je t'aime, te mêlant avec les autres femmes
Qui, vers le Temple saint, ont dirigé leurs pas;
Je t'aime, présentant le Sauveur de nos âmes
Au bienheureux vieillard qui le presse en ses bras;
D'abord en souriant j'écoute son cantique;
Mais bientôt ses accents me font verser des pleurs...
Plongeant dans l'avenir un regard prophétique,
Siméon te présente un glaive de douleurs!
O Reine des martyrs, jusqu'au soir de ta vie
Ce glaive douloureux transpercera ton cœur.
Déjà tu dois quitter le sol de ta patrie,
Pour éviter d'un roi la jalouse fureur.
Jésus sommeille en paix sous les plis de ton voile,
Joseph vient te prier de partir à l'instant;
Et ton obéissance aussitôt se dévoile:
Tu pars sans nul retard et sans raisonnement.
Sur la terre d'Egypte, il me semble, ô Marie,
Que dans la pauvreté ton cœur reste joyeux;
Car Jésus n'est-il pas la plus belle patrie?
Que t'importe l'exil?... Tu possèdes les cieux
Mais à Jérusalem une amère tristesse,
Comme un vaste océan, vient inonder ton cœur...
Jésus, pendant trois jours, se cache à ta tendresse.
Alors c'est bien l'exil dans toute sa rigueur!
Enfin tu l'aperçois, et l'amour te transporte...
Tu dis au bel Enfant qui charme les Docteurs:
«O mon Fils, pourquoi donc agis-tu de la sorte?
«Voilà ton père et moi qui te cherchions en pleurs!...»
Et l'Enfant-Dieu répond—oh! quel profond mystère!—
A la Mère qu'il aime et qui lui tend les bras:
«Pourquoi me cherchiez-vous?... Aux œuvres de mon Père
«Je dois penser déjà!... Ne ne le savez-vous pas?»
L'Evangile m'apprend que, croissant en sagesse,
A Marie, à Joseph, Jésus reste soumis;
Et mon cœur me révèle avec quelle tendresse
Il obéit toujours à ses parents chéris.
Maintenant je comprends le mystère du Temple,
La réponse, le ton de mon aimable Roi:
Mère, ce doux Enfant veut que tu sois l'exemple
De l'âme qui le cherche en la nuit de la foi...
Puisque le Roi des Cieux a voulu que sa Mère
Fût soumise à la nuit, à l'angoisse du cœur,
Alors, c'est donc un bien de souffrir sur la terre?
Oui!... souffrir en aimant, c'est le plus pur bonheur!
Tout ce qu'il m'a donné, Jésus peut le reprendre,
Dis-lui de ne jamais se gêner avec moi;
Il peut bien se cacher, je consens à l'attendre
Jusqu'au jour sans couchant où s'éteindra ma foi.
Je sais qu'à Nazareth, Vierge pleine de grâces,
Tu vis très pauvrement, ne voulant rien de plus;
Point de ravissements, de miracles, d'extases
N'embellissent ta vie, ô Reine des élus!
Le nombre des petits est bien grand sur la terre,
Ils peuvent, sans trembler, vers toi lever les yeux;
Par la commune voie, incomparable Mère,
Il te plaît de marcher pour les guider aux cieux!
Pendant ce triste exil, ô ma Mère chérie,
Je veux vivre avec toi, te suivre chaque jour;
Vierge, en te contemplant je me plonge ravie,
Découvrant dans ton cœur des abîmes d'amour!
Ton regard maternel bannit toutes mes craintes:
Il m'apprend à pleurer, il m'apprend à jouir.
Au lieu de mépriser les jours de fêtes saintes,
Tu veux les partager, tu daignes les bénir.
Des époux de Cana voyant l'inquiétude
Qu'ils ne peuvent cacher, car ils manquent de vin,
Au Sauveur tu le dis, dans ta sollicitude,
Espérant le secours de son pouvoir divin.
Jésus semble d'abord repousser ta prière:
«Qu'importe, répond-il, femme, à vous comme à moi?»
Mais, au fond de son cœur il te nomme sa Mère,
Et son premier miracle il l'opère pour toi!
Un jour que les pécheurs écoutent la doctrine
De Celui qui voudrait au ciel les recevoir:
Je te trouve avec eux, Mère, sur la colline;
Quelqu'un dit à Jésus que tu voudrais le voir.
Alors ton divin Fils, devant la foule entière,
De son amour pour nous montre l'immensité;
Il dit: «Quel est mon frère, et ma sœur, et ma mère,
«Si ce n'est celui-là qui fait ma volonté?»
O Vierge immaculée, ô Mère la plus tendre!
En écoutant Jésus tu ne t'attristes pas,
Mais tu te réjouis qu'il nous fasse comprendre
Que notre âme devient sa famille ici-bas.
Oui, tu te réjouis qu'il nous donne sa vie,
Les trésors infinis de sa Divinité!
Comment ne pas t'aimer, te bénir, ô Marie!
Voyant, à notre égard, ta générosité?...
Tu nous aimes vraiment comme Jésus nous aime,
Et tu consens pour nous à t'éloigner de lui.
Aimer, c'est tout donner, et se donner soi-même:
Tu voulus le prouver en restant notre appui.
Le Sauveur connaissait ton immense tendresse,
Il savait les secrets de ton cœur maternel...
Refuge des pécheurs, c'est à toi qu'il nous laisse
Quand il quitte la croix pour nous attendre au ciel!
Tu m'apparais, Marie, au sommet du Calvaire,
Debout, près de la Croix, comme un prêtre à l'autel;
Offrant, pour apaiser la justice du Père,
Ton bien-aimé Jésus, le doux Emmanuel.
Un prophète l'a dit, ô Mère désolée:
«Il n'est pas de douleur semblable à ta douleur!»
O Reine des martyrs, en restant exilée,
Tu prodigues pour nous tout le sang de ton cœur!
La maison de saint Jean devient ton seul asile;
Le fils de Zébédée a remplacé Jésus!
C'est le dernier détail que donne l'Evangile:
De la Vierge Marie il ne me parle plus...
Mais son profond silence, ô ma Mère chérie,
Ne révèle-t-il pas que le Verbe éternel
Veut lui-même chanter les secrets de ta vie
Pour charmer tes enfants, tous les élus du ciel?
Bientôt je l'entendrai cette douce harmonie;
Bientôt, dans le beau ciel, je vais aller te voir!
Toi qui vins me sourire au matin de ma vie,
Viens me sourire encor... Mère, voici le soir!
Je ne crains plus l'éclat de ta gloire suprême;
Avec toi j'ai souffert... et je veux maintenant
Chanter sur tes genoux, Vierge, pourquoi je t'aime.....
Et redire à jamais que je suis ton enfant!
Mai 1897.
Air: Par les chants les plus magnifiques.
——
Joseph, votre admirable vie
Se passa dans l'humilité;
Mais de Jésus et de Marie
Vous contempliez la beauté!
Le Fils de Dieu dans son enfance,
Plus d'une fois, avec bonheur,
Soumis à votre obéissance
S'est reposé sur votre cœur!
Comme vous dans la solitude
Nous servons Marie et Jésus;
Leur plaire est notre seule étude,
Nous ne désirons rien de plus.
Sainte Thérèse, Notre Mère,
En vous se confiait toujours;
Elle assure que sa prière
Vous l'exauciez d'un prompt secours.
Quand l'épreuve sera finie,
Nous en avons le doux espoir,
Près de la divine Marie,
O Père, nous irons vous voir!
Alors nous lirons votre histoire
Inconnue au monde mortel;
Nous découvrirons votre gloire
Et la chanterons dans le ciel.
Air: Par les chants les plus magnifiques.
——
Glorieux gardien de mon âme,
Toi qui brilles dans le beau ciel
Comme une douce et pure flamme,
Près du trône de l'Eternel;
Tu viens pour moi sur cette terre,
Et m'éclairant de ta splendeur,
Bel Ange, tu deviens mon frère,
Mon ami, mon consolateur!
Connaissant ma grande faiblesse,
Tu me diriges par la main;
Et je te vois, avec tendresse,
Oter la pierre du chemin.
Toujours ta douce voix m'invite
A ne regarder que les cieux;
Plus tu me vois humble et petite,
Et plus ton front est radieux.
O toi qui traverses l'espace
Plus promptement que les éclairs,
Vole bien souvent à ma place
Auprès de ceux qui me sont chers;
De ton aile sèche leurs larmes,
Chante combien Jésus est bon!
Chante que souffrir a des charmes,
Et tout bas murmure mon nom.
Je veux, pendant ma courte vie,
Sauver mes frères les pécheurs;
O bel Ange de la patrie,
Donne-moi tes saintes ardeurs.
Je n'ai rien que mes sacrifices,
Et mon austère pauvreté;
Unis à tes pures délices,
Offre-les à la Trinité.
A toi, le royaume et la gloire,
Les richesses du Roi des rois.
A moi, le Pain du saint ciboire,
A moi, le trésor de la Croix.
Avec la Croix, avec l'Hostie,
Avec ton céleste secours,
J'attends en paix, de l'autre vie,
Le bonheur qui dure toujours!
Février 1897.
Air: Le fil de la Vierge ou La Rose mousse.
«Le Seigneur rassemblera les petits Agneaux et les prendra sur son sein.» Is., XL, II.
«Heureux ceux que Dieu tient pour justes sans les œuvres! car à l'égard de ceux qui font les œuvres, la récompense n'est point regardée comme une grâce, mais comme une chose due. C'est donc gratuitement que ceux qui ne font pas les œuvres sont justifiés par la grâce, en vertu de la Rédemption dont Jésus-Christ est l'Auteur.»
Rom., IV, 4, 5, 6.
Heureux petits enfants! avec quelles tendresses
Le Roi des cieux
Vous bénit autrefois, et combla de caresses
Vos fronts joyeux!
De tous les Innocents vous étiez la figure,
Et j'entrevois
Les biens que, dans le ciel, vous donne sans mesure
Le Roi des rois.
Vous avez contemplé les immenses richesses
Du paradis,
Avant d'avoir connu nos amères tristesses,
Chers petits lis!
O boutons parfumés, moissonnés dès l'aurore
Par le Seigneur...
Le doux soleil d'amour qui sut vous faire éclore,
Ce fut son Cœur!
Quels ineffables soins, quelle tendresse exquise,
Et quel amour
Vous prodigue ici-bas notre Mère l'Eglise,
Enfants d'un jour!
Dans ses bras maternels vous fûtes en prémices
Offerts à Dieu.
Toute l'éternité vous ferez les délices
Du beau ciel bleu.
Enfants, vous composez le virginal cortège
Du doux Agneau;
Et vous pouvez redire, étonnant privilège!
Un chant nouveau.
Vous êtes, sans combats, parvenus à la gloire
Des conquérants;
Le Sauveur a pour vous remporté la victoire,
Vainqueurs charmants!
On ne voit point briller de pierres précieuses
Dans vos cheveux,
Seul, le reflet doré de vos boucles soyeuses
Ravit les cieux...
Les trésors des élus, leurs palmes, leurs couronnes,
Tout est à vous!
Dans la sainte patrie, enfants, vos riches trônes
Sont leurs genoux.
Ensemble vous jouez avec les petits anges
Près de l'autel;
Et vos chants enfantins, gracieuses phalanges,
Charment le ciel!
Le bon Dieu vous apprend comment il fait les roses,
L'oiseau, les vents;
Nul génie ici-bas ne sait autant de choses
Que vous, Enfants!
Du firmament d'azur, soulevant tous les voiles
Mystérieux,
En vos petites mains vous prenez les étoiles
Aux mille feux.
En courant vous laissez une trace argentée;
Souvent le soir,
Quand je vois la blancheur de la route lactée,
Je crois vous voir.....
Dans les bras de Marie, après toutes vos fêtes,
Vous accourez;
Sous son voile étoilé cachant vos blondes têtes,
Vous sommeillez...
Charmants petits lutins, votre enfantine audace
Plaît au Seigneur;
Vous osez caresser son adorable Face,
Quelle faveur!
C'est vous que le Seigneur me donna pour modèle,
Saints Innocents!
Je veux être ici-bas votre image fidèle,
Petits enfants.
Ah! daignez m'obtenir les vertus de l'enfance;
Votre candeur,
Votre abandon parfait, votre aimable innocence
Charment mon cœur.
O Seigneur, tu connais de mon âme exilée
Les vœux ardents:
Je voudrais moissonner, beau Lis de la vallée,
Des lis brillants...
Ces boutons printaniers, je les cherche et les aime
Pour ton plaisir;
Sur eux daigne verser l'eau sainte du baptême:
Viens les cueillir!
Oui, je veux augmenter la candide phalange
Des Innocents;
Ma joie et mes douleurs, j'offre tout en échange
D'âmes d'enfants.
Parmi ces Innocents je réclame une place,
Roi des élus,
Comme eux je veux au ciel baiser ta douce Face,
O mon Jésus!
Février 1897.
——
«Pendant le son des instruments, Cécile chantait en son cœur.»
Off. de L'Eglise.
O Sainte du Seigneur, je contemple ravie
Le sillon lumineux qui demeure après toi;
Je crois entendre encor ta douce mélodie,
Oui, ton céleste chant arrive jusqu'à moi!
De mon âme exilée écoute la prière,
Laisse-moi reposer sur ton cœur virginal:
Ce lis immaculé qui brilla sur la terre
D'un éclat merveilleux et presque sans égal.
O très chaste colombe, en traversant la vie
Tu ne cherchas jamais d'autre époux que Jésus;
Ayant choisi ton âme, il se l'était unie,
La trouvant embaumée et riche de vertus.
Cependant un mortel, radieux de jeunesse,
Respira ton parfum, blanche et céleste fleur;
Afin de te cueillir, de gagner ta tendresse,
Valérien voulut te donner tout son cœur.
Bientôt il prépara des noces magnifiques,
Son palais retentit de chants mélodieux;
Mais ton cœur virginal redisait des cantiques
Dont l'écho tout divin s'élevait jusqu'aux cieux...
Que pouvais-tu chanter si loin de ta patrie,
Et voyant près de toi ce fragile mortel?
Sans doute tu voulais abandonner la vie
Et t'unir pour jamais à Jésus dans le ciel?
Mais non! j'entends vibrer ta lyre séraphique,
Lyre de ton amour, dont l'accent fut si doux;
Tu chantais au Seigneur ce sublime cantique:
«Conserve mon cœur pur, Jésus, mon tendre Epoux!»
Ineffable abandon! divine mélodie!
Tu révèles l'amour par ton céleste chant:
L'amour qui ne craint pas, qui s'endort et s'oublie
Sur le Cœur de son Dieu, comme un petit enfant...
Dans la voûte d'azur parut la blanche étoile
Qui venait éclairer, de ses timides feux,
La lumineuse nuit qui nous montra sans voile
Le virginal amour des époux dans les cieux.
. . . . . . . . . . . . . . . .
Alors Valérien rêvait la jouissance,
Cécile, ton amour était tout son désir;
Il trouva plus encor dans ta noble alliance:
Tu lui montras d'en haut l'éternel avenir!
«Jeune ami, lui dis-tu, près de moi toujours veille
«Un Ange du Seigneur qui garde mon cœur pur;
«Il ne me quitte pas, même quand je sommeille,
«Et me couvre joyeux de ses ailes d'azur.
«La nuit, je vois briller son aimable visage
«D'un éclat bien plus doux que les feux du matin;
«Sa face me paraît la transparente image,
«Le pur rayonnement du Visage divin.»
Valérien reprit: «Montre-moi ce bel Ange,
«Afin qu'à ton serment je puisse ajouter foi;
«Autrement, crains déjà que mon amour ne change
«En terrible fureur, en haine contre toi.»
O colombe cachée aux fentes de la pierre,
Tu ne redoutais pas les filets du chasseur!
La Face de Jésus te montrait sa lumière,
L'Evangile sacré reposait sur ton cœur...
Tu lui dis aussitôt avec un doux sourire:
«Mon céleste Gardien exauce ton désir;
«Bientôt tu le verras, il daignera te dire
«Que pour voler aux cieux, tu dois être martyr...
«Mais avant de le voir, il faut que le baptême
«Répande dans ton âme une sainte blancheur;
«Il faut que le vrai Dieu l'habite par lui-même,
«Il faut que l'Esprit-Saint donne vie à ton cœur.
«Le Verbe, Fils du Père, et le Fils de Marie,
«Dans son immense amour s'immole sur l'autel;
«Tu dois aller t'asseoir au Banquet de la vie,
«Afin de recevoir Jésus, le Pain du ciel.
«Alors le Séraphin t'appellera son frère,
«Et, voyant dans ton cœur le trône de son Dieu,
«Il te fera quitter les plages de la terre;
«Tu verras le séjour de cet esprit de feu.»
—«Je sens brûler mon cœur d'une nouvelle flamme»,
S'écria, transformé, l'ardent patricien;
«Je veux que le Seigneur habite dans mon âme,
«Cécile, mon amour sera digne du tien!»
Revêtu de la robe, emblème d'innocence,
Valérien put voir le bel Ange des deux;
Il contempla ravi sa sublime puissance,
Il vit le doux éclat de son front radieux.
Le brillant Séraphin tenait de fraîches roses,
Il tenait de beaux lis éclatants de blancheur...
Dans les jardins du ciel, ces fleurs étaient écloses
Sous les rayons d'amour de l'Astre créateur.
—«Epoux chéris des cieux, les roses du martyre
«Couronneront vos fronts, dit l'Ange du Seigneur.
«Il n'est pas une voix, il n'est pas une lyre
«Capable de chanter cette grande faveur.
«Je m'abîme en mon Dieu, je contemple ses charmes,
«Mais je ne puis pour lui m'immoler et souffrir,
«Je ne puis lui donner ni mon sang, ni mes larmes;
«Pour dire mon amour, je ne saurais mourir.
«La pureté, de l'Ange est le brillant partage,
«Son immense bonheur ne doit jamais finir;
«Mais sur le Séraphin vous avez l'avantage:
«Vous pouvez être purs et vous pouvez souffrir!
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
«De la virginité, vous voyez le symbole
«Dans ces lis embaumés, doux présent de l'Agneau;
«Vous serez couronnés de la blanche auréole,
«Vous chanterez toujours le cantique nouveau...
«Votre chaste union enfantera des âmes
«Qui ne rechercheront d'autre époux que Jésus;
«Vous les verrez briller comme de pures flammes,
«Près du trône divin, au séjour des élus.»
Cécile, prête-moi ta douce mélodie;
Je voudrais convertir à Jésus tant de cœurs!
Je voudrais, comme toi, sacrifier ma vie,
Je voudrais lui donner tout mon sang et mes pleurs...
Obtiens-moi de goûter, sur la rive étrangère,
Le parfait abandon, ce doux fruit de l'amour;
O Sainte de mon cœur! bientôt, loin de la terre,
Obtiens-moi de voler près de toi, sans retour...
28 avril 1893.
Air: Le Lac (Niedermeyer).
——
Le Christ est mon amour, il est toute ma vie,
Il est le Fiancé qui seul ravit mes yeux;
J'entends déjà vibrer de sa douce harmonie
Les sons mélodieux.
Mes cheveux sont ornés de pierres précieuses,
Déjà brille à mon doigt son anneau nuptial;
Il a daigné couvrir d'étoiles lumineuses
Mon manteau virginal.
Il a paré ma main de perles sans pareilles,
Il a mis à mon cou des colliers de grand prix;
En ce jour bienheureux, brillent à mes oreilles
De célestes rubis.
Oui, je suis fiancée à Celui que les Anges
Serviront en tremblant toute l'éternité;
La lune et le soleil racontent ses louanges,
Admirent sa beauté.
Son empire est le ciel, sa nature est divine,
Une Vierge ici-bas, pour Mère, il se choisit;
Son Père est le vrai Dieu qui n'a pas d'origine,
Il est un pur esprit.
Lorsque j'aime le Christ et lorsque je le touche,
Mon cœur devient plus pur, je suis plus chaste encor;
De la virginité, le baiser de sa bouche
M'a donné le trésor...
Il a déjà posé son signe sur ma face,
Afin que nul amant n'ose approcher de moi;
Mon cœur est soutenu par la divine grâce
De mon aimable Roi.
De son sang précieux je suis tout empourprée,
Je crois goûter déjà les délices du ciel!
Et je puis recueillir sur sa bouche sacrée
Le lait avec le miel.
Aussi je ne crains rien, ni le fer, ni la flamme,
Non, rien ne peut troubler mon ineffable paix;
Et le feu de l'amour qui consume mon âme
Ne s'éteindra jamais...
Air: Les adieux du Martyr.
——
Tous les élus célèbrent tes louanges,
O Théophane, angélique martyr!
Et je le sais, dans les saintes phalanges,
Le Séraphin aspire à te servir.
Ne pouvant pas, sur la rive étrangère,
Mêler ma voix à celle des élus,
Je veux du moins, sur cette pauvre terre,
Prendre ma lyre et chanter tes vertus.
Ton court exil fut comme un doux cantique
Dont les accents savaient toucher les cœurs,
Et, pour Jésus, ton âme poétique,
A chaque instant, faisait naître des fleurs...
En t'élevant vers la céleste sphère,
Ton chant d'adieu fut encore printanier;
Tu murmurais: «Moi, petit éphémère,
«Dans le beau ciel, je m'en vais le premier!»
Heureux martyr, à l'heure du supplice,
Tu savourais le bonheur de souffrir!
Souffrir pour Dieu te semblait un délice;
En souriant, tu sus vivre et mourir.
A ton bourreau tu t'empressas de dire,
Lorsqu'il t'offrit d'abréger ton tourment:
«Plus durera mon douloureux martyre,
«Mieux ça vaudra, plus je serai content!»
Lis virginal, au printemps de ta vie,
Le Roi du ciel entendit ton désir;
Je vois en toi «la fleur épanouie
«Que le Seigneur cueillit pour son plaisir».
Et maintenant tu n'es plus exilée,
Les bienheureux admirent ta splendeur;
Rose d'amour, la Vierge immaculée
De ton parfum respire la fraîcheur...
Soldat du Christ, ah! prête-moi tes armes;
Pour les pécheurs, je voudrais ici-bas
Lutter, souffrir, donner mon sang, mes larmes;
Protège-moi, viens soutenir mon bras.
Je veux pour eux, ne cessant pas la guerre,
Prendre d'assaut le royaume de Dieu;
Car le Seigneur apporta sur la terre,
Non pas la paix, mais le glaive et le feu.
Je la chéris, cette plage infidèle
Qui fut l'objet de ton ardent amour;
Avec bonheur je volerais vers elle,
Si mon Jésus le demandait un jour...
Mais devant lui s'effacent les distances;
Il n'est qu'un point tout ce vaste univers!
Mes actions, mes petites souffrances
Font aimer Dieu jusqu'au delà des mers.
Ah! si j'étais une fleur printanière
Que le Seigneur voulût bientôt cueillir!
Descends du ciel à mon heure dernière,
Je t'en conjure, ô bienheureux Martyr!
De ton amour aux virginales flammes,
Viens m'embraser en ce séjour mortel,
Et je pourrai voler avec tes âmes
Qui formeront ton cortège éternel.
2 février 1897.
————
Fragments.
Récréation Pieuse
——
Moi, Jeanne la bergère,
Je chéris mon troupeau;
Ma houlette est légère
Et j'aime mon fuseau.
J'aime la solitude
De ce joli bosquet;
J'ai la douce habitude
D'y venir en secret.
J'y tresse une couronne
De belles fleurs des champs;
Je l'offre à la Madone
Avec mes plus doux chants.
J'admire la nature,
Les fleurs et les oiseaux;
Du ruisseau qui murmure
Je contemple les eaux.
Les vallons, les campagnes
Réjouissent mes yeux;
Le sommet des montagnes
Me rapproche des cieux.
J'entends des voix étranges
Qui viennent m'appeler...
Je crois bien que les anges
Doivent ainsi parler.
J'interroge l'espace,
Je contemple les cieux;
Je ne vois nulle trace
D'êtres mystérieux.
Franchissant le nuage
Qui doit me les voiler,
Au céleste rivage
Que ne puis-je voler!
. . . . .
. . . . .
. . . . .
Sainte Catherine et Sainte Marguerite.
Air: L'Ange et l'âme.
Aimable enfant, notre douce compagne,
Ta voix si pure a pénétré le ciel,
L'Ange gardien qui toujours t'accompagne
A présenté tes vœux à l'Eternel.
Nous descendons de son céleste empire,
Où nous régnons pour une éternité;
C'est par nos voix que Dieu daigne te dire
Sa volonté.
Il faut partir pour sauver la patrie,
Garder sa foi, lui conserver l'honneur;
Le Roi des cieux et la Vierge Marie
Sauront toujours rendre ton bras vainqueur.
(Jeanne pleure.)
Console-toi, Jeanne, sèche tes larmes,
Prête l'oreille et regarde les cieux:
Là, tu verras que souffrir a des charmes,
Tu jouiras de chants harmonieux.
Ces doux refrains fortifieront ton âme
Pour le combat qui doit bientôt venir;
Jeanne, il te faut un amour tout de flamme,
Tu dois souffrir!
Pour l'âme pure, en la nuit de la terre,
L'unique gloire est de porter la croix;
Un jour au ciel, ce sceptre tout austère
Sera plus beau que le sceptre des rois.
Saint Michel.
Air: Partez, hérauts.
Je suis Michel, le gardien de la France,
Grand Général au royaume des cieux;
Jusqu'aux enfers j'exerce ma puissance,
Et le démon en est tout envieux.
Jadis aussi, très brillant de lumière,
Satan voulut régner dans le saint lieu;
Mais je lançai comme un bruit de tonnerre
Ces mots: «Qui peut égaler Dieu?»
Au même instant la divine vengeance,
Creusant l'abîme, y plongea Lucifer;
Car pour l'ange orgueilleux il n'est point de clémence,
Il mérite l'enfer.
Oui, c'est l'orgueil qui, renversant cet ange,
De Lucifer a fait un réprouvé:
Plus tard aussi, l'homme chercha la fange,
Mais de secours il ne fut pas privé.
C'est l'Eternel, le Verbe égal au Père,
Qui, revêtant la pauvre humanité,
Régénéra son œuvre tout entière
Par sa profonde humilité.
Ce même Dieu daigne sauver la France;
Mais ce n'est pas par un grand conquérant.
Il rejette l'orgueil et prend de préférence
Un faible bras d'enfant.
Jeanne, c'est toi que le ciel a choisie,
Il faut partir pour répondre à sa voix;
Il faut quitter tes agneaux, ta prairie,
Ce frais vallon, la campagne et les bois.
Arme ton bras! vole et sauve la France!
Va... ne crains rien, méprise le danger;
Va! je saurai couronner ta vaillance,
Et tu chasseras l'étranger.
Prends cette épée et la porte à la guerre;
Depuis longtemps Dieu la gardait pour toi:
Prends pour ton étendard une blanche bannière,
Et va trouver le roi...
Jeanne seule.
Air: La plainte du Mousse.
Pour vous seul, ô mon Dieu, je quitterai mon père,
Tous mes parents chéris et mon clocher si beau.
Pour vous je vais partir et combattre à la guerre,
Pour vous je vais laisser mon vallon, mon troupeau.
Au lieu de mes agneaux je conduirai l'armée...
Je vous donne ma joie et mes dix-huit printemps!
Pour vous plaire, Seigneur, je manierai l'épée,
Au lieu de me jouer avec les fleurs des champs.
Ma voix, qui se mêlait au souffle de la brise,
Doit bientôt retentir jusqu'au sein du combat;
Au lieu du son rêveur d'une cloche indécise,
J'entendrai le grand bruit d'un peuple qui se bat!
Je désire la croix, j'aime le sacrifice:
Ah! daignez m'appeler, je suis prête à souffrir.
Souffrir pour votre amour, ô Maître, c'est délice!
Jésus, mon Bien-Aimé, pour vous je veux mourir...
Saint Michel.
Air: Les Rameaux (de Faure).
Il en est temps, Jeanne, tu dois partir.
C'est le Seigneur qui t'arme pour la guerre;
Fille de Dieu, ne crains pas de mourir,
Bientôt viendra l'éternelle lumière!
Sainte Marguerite.
O douce enfant, tu régneras.
Sainte Catherine.
Tu suivras de l'Agneau la trace virginale...
Les deux Saintes ensemble.
Comme nous tu chanteras
Du Dieu Très-Haut, la puissance royale.
Saint Michel.
Jeanne, ton nom est écrit dans les cieux,
Avec les noms des sauveurs de la France;
Tu brilleras d'un éclat merveilleux,
Comme une reine en sa magnificence.
Les saintes offrant à Jeanne la palme et la couronne.
Avec bonheur nous contemplons
Ce reflet qui déjà sur ta tête rayonne,
Et du ciel nous t'apportons.
Sainte Catherine.
La palme du martyre.
Sainte Marguerite.
Et la couronne.
Saint Michel, présentant l'épée.
Il faut combattre avant d'être vainqueur;
Non, pas encor la palme et la couronne!
Mérite-les dans les champs de l'honneur;
Jeanne, entends-tu le canon qui résonne?
Les Saintes ensemble.
Dans les combats nous te suivrons,
Nous te ferons toujours remporter la victoire,
Et bientôt nous poserons
Sur ton front pur l'auréole de gloire.
Jeanne seule.
Avec vous, saintes bien-aimées,
Je ne craindrai pas le danger;
Je prierai le Dieu des armées,
Et je chasserai l'étranger.
J'aime la France, ma patrie;
Je veux lui conserver la foi,
Je lui sacrifierai ma vie
Et je combattrai pour mon roi.
Non, je ne crains pas de mourir,
C'est l'éternité que j'espère.
Maintenant qu'il me faut partir,
O mon Dieu, consolez ma mère...
Saint Michel, daignez me bénir!
Saint Michel.
J'entends déjà tous les élus du ciel
Chanter joyeux en écoutant la lyre
Du Pape-Roi, du Pontife immortel
Appelant Jeanne une sainte Martyre.
J'entends l'univers proclamer
Les vertus de l'enfant qui fut humble et pieuse;
Et je vois Dieu confirmer
Le beau nom de Jeanne la Bienheureuse!
En ces grands jours la France souffrira,
L'impiété souillera son enceinte;
De Jeanne, alors, la gloire brillera;
Toute âme pure invoquera la Sainte.
Des voix monteront vers les cieux,
S'harmonisant en chœur, vibrantes d'espérance:
Jeanne d'Arc, entends nos vœux;
Une seconde fois, sauve la France!
1894.
Air: Les regrets de Mignon.
——
A vous tout l'honneur et la gloire,
O mon Dieu, Seigneur tout-puissant!
Vous m'avez donné la victoire
A moi, faible et timide enfant.
Et vous, ô ma divine Mère,
Bel astre toujours radieux,
Vous avez été ma lumière,
Me protégeant du haut des cieux!
De votre éclatante blancheur,
O douce et lumineuse étoile,
Quand donc verrai-je la splendeur?
Quand serai-je sous votre voile,
Me reposant sur votre cœur?...
Mon âme en l'exil de la terre
Aspire au bonheur éternel;
Rien ne saurait la satisfaire...
Il lui faut son Dieu dans le ciel!
Mais, avant de le voir sans ombre,
Je veux combattre pour Jésus,
Lui gagner des âmes sans nombre,
Je veux l'aimer de plus en plus.
L'exil passera comme un jour;
Bientôt au céleste rivage
Je m'envolerai sans retour;
Bientôt, sans ombre, sans nuage,
Je verrai Jésus, mon amour!
Air: La plainte du Mousse.
——
Mes voix me l'ont prédit: me voici prisonnière;
Je n'attends de secours que de vous, ô mon Dieu!
Pour votre seul amour j'ai quitté mon vieux père,
Ma campagne fleurie et mon ciel toujours bleu;
J'ai quitté mon vallon, ma mère bien-aimée,
Et montrant aux guerriers l'étendard de la croix,
Seigneur, en votre nom j'ai commandé l'armée:
Les plus grands généraux ont entendu ma voix.
Une sombre prison, voilà ma récompense,
Le prix de mes travaux, de mon sang, de mes pleurs!...
Je ne reverrai plus les lieux de mon enfance,
Ma riante prairie avec ses mille fleurs...
Je ne reverrai plus la montagne lointaine
Dont le sommet neigeux se plonge dans l'azur,
Et je n'entendrai plus, de la cloche incertaine,
Le son doux et rêveur onduler dans l'air pur...
Dans mon cachot obscur, je cherche en vain l'étoile
Qui scintille le soir au firmament si beau!
La feuillée, au printemps, qui me servait de voile,
Lorsque je m'endormais en gardant mon troupeau.
Ici, quand je sommeille au milieu de mes larmes,
Je rêve les parfums, la fraîcheur du matin;
Je rêve mon vallon, les bois remplis de charmes,
Mais le bruit de mes fers me réveille soudain...
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
Seigneur, pour votre amour j'accepte le martyre,
Je ne redoute plus ni la mort, ni le feu.
C'est vers vous, ô Jésus, que mon âme soupire;
Je n'ai plus qu'un désir, et c'est vous, ô mon Dieu!
Je veux prendre ma croix, doux Sauveur, et vous suivre,
Mourir pour votre amour, je ne veux rien de plus.
Je désire mourir pour commencer à vivre,
Je désire mourir pour m'unir à Jésus.
Air: Au sein de l'heureuse patrie.
——
Nous descendons de la rive éternelle
Pour te sourire et t'emporter aux cieux;
Vois en nos mains la couronne immortelle
Qui brillera sur ton front glorieux.
Viens avec nous, vierge chérie,
Oh! viens en notre beau ciel bleu;
Quitte l'exil pour la patrie,
Viens jouir de la vie,
Fille de Dieu!
De ce bûcher la flamme est embrasée,
Mais plus ardent est l'amour de ton Dieu;
Bientôt pour toi l'éternelle rosée
Va remplacer le supplice du feu.
Enfin voici la délivrance,
Regarde, ange libérateur...
Déjà la palme se balance,
Vers toi Jésus s'avance,
Fille au grand cœur!
Vierge martyre, un instant de souffrance
Va te conduire au repos éternel.
Ne pleure pas, ta mort sauve la France;
A ses enfants tu dois ouvrir le ciel!
Jeanne, expirant.
J'entre dans l'éternelle vie,
Je vois les anges, les élus...
Je meurs pour sauver ma patrie!
Venez, Vierge Marie;
«Jésus... Jésus!...»
Air: Mignon regrettant sa patrie.
——
Je te réponds d'en haut, puisque ta voix m'appelle;
Je brise le lien qui t'enchaîne en ces lieux.
Oh I vole jusqu'à moi, colombe toute belle,
Viens... l'hiver est passé; viens régner dans les cieux!
Jeanne, ton Ange te réclame,
Et moi, le Juge de ton âme,
En toi, toujours, je le proclame,
J'ai vu briller la flamme de l'amour.
Oh! viens, tu seras couronnée,
Tes pleurs, je veux les essuyer.
De l'exil l'ombre est déclinée,
Je veux te donner mon baiser!
Avec tes compagnes,
Viens sur les montagnes;
Et dans les campagnes,
Tu suivras l'Agneau.
O ma bien-aimée,
Je t'ai réclamée;
Chante, transformée,
Le refrain nouveau.
De tous les saints Anges,
Les blanches phalanges
Chantent tes louanges
Près de l'Eternel.
Timide bergère,
Vaillante guerrière,
Ton nom sur la terre
Doit être immortel.
Timide bergère,
Vaillante guerrière,
Je te donne le ciel!...
Air: Oui, je le crois, elle est immaculée.
——
Les Saints.
Elle est à toi l'immortelle couronne;
Martyre du Seigneur, cette palme est à toi.
Nous t'avons préparé cet admirable trône,
Tout près du Roi.
Ah! reste dans les cieux, Jeanne, colombe pure
Echappée à jamais du filet des chasseurs.
Tu trouveras ici le ruisseau qui murmure,
L'espace avec des champs en fleurs.
Prends ton essor, ouvre tes blanches ailes,
Et tu pourras voler en chaque étoile d'or;
Tu pourras visiter les voûtes éternelles.
Prends ton essor!
Jeanne, plus d'ennemis, plus de prison obscure,
Le brillant Séraphin va te nommer sa sœur;
Epouse de Jésus, ton Bien-Aimé t'assure
L'éternel repos sur son Cœur!
Jeanne.
Il est à moi... quelle douceur extrême!
Tout le ciel est à moi!
Les Saints.
Tout le ciel est à toi!
Jeanne.
Les anges et les saints, Marie et Dieu lui-même,
Ils sont à moi!
. . . . .
. . . . .
. . . . .
Les Saints.
Des siècles ont passé sur la terre lointaine
Depuis l'instant heureux où tu volas au ciel.
Mille ans sont comme un jour en la céleste plaine;
Mais ce jour doit être éternel!
Jeanne.
Jour éternel, sans ombre, sans nuage,
Nul ne me ravira ton éclat immortel.
Du monde elle a passé la fugitive image...
A moi le ciel!
Les Saints.
A toi le ciel!
Air: Rappelle-toi.
——
Oh! souviens-toi, Jeanne, de ta patrie,
De tes vallons tout émaillés de fleurs.
Rappelle-toi la riante prairie
Que tu quittas pour essuyer mes pleurs.
O Jeanne, souviens-toi que tu sauvas la France.
Comme un ange des cieux tu guéris ma souffrance,
Ecoute dans la nuit
La France qui gémit:
Rappelle-toi!
Rappelle-toi tes brillantes victoires,
Les jours bénis de Reims et d'Orléans;
Rappelle-toi que tu couvris de gloire,
Au nom de Dieu, le royaume des Francs.
Maintenant, loin de toi, je souffre et je soupire.
Viens encor me sauver, Jeanne, douce martyre!
Daigne briser mes fers...
Des maux que j'ai soufferts,
Oh! souviens-toi!
Je viens à toi, les bras chargés de chaînes,
Le front voilé, les yeux baignés de pleurs;
Je ne suis plus grande parmi les reines,
Et mes enfants m'abreuvent de douleurs!
Dieu n'est plus rien pour eux! Ils délaissent leur Mère
O Jeanne, prends pitié de ma tristesse amère!
Reviens, «fille au grand cœur».
Ange libérateur,
J'espère en toi!
1894
Air: Pitié, mon Dieu.
——
O Dieu vainqueur! l'Eglise tout entière
Voudrait bientôt honorer sur l'autel
Une martyre, une vierge guerrière
Dont le doux nom retentit dans le ciel.
Par ta puissance,
O Roi du ciel!
Donne à Jeanne de France
L'auréole et l'autel.
Un conquérant pour la France coupable,
Non, ce n'est pas l'objet de son désir;
De la sauver Jeanne seule est capable:
Tous les héros pèsent moins qu'un martyr!
Jeanne, Seigneur, est ton œuvre splendide.
Un cœur de feu, une âme de guerrier,
Tu les donnas à la vierge timide,
La couronnant de lis et de laurier.
Elle entendit, dans son humble prairie,
Des voix du ciel l'appeler aux combats;
Partant alors pour sauver la patrie,
Son seul aspect ébranla les soldats.
Des fiers guerriers, Jeanne gagna les âmes:
L'éclat divin de cet ange des cieux,
Son pur regard, ses paroles de flammes,
Surent courber les fronts audacieux.
Par un prodige unique dans l'histoire,
On vit alors un monarque tremblant
Reconquérir sa couronne et sa gloire
Par le moyen d'un faible bras d'enfant.
Ce ne sont pas de Jeanne les victoires
Que nous voulons célébrer en ce jour;
Nous appelons ses véritables gloires:
La pureté, le martyre et l'amour.
En combattant elle sauva la France,
Mais il fallait à ses grandes vertus
Le sceau divin d'une amère souffrance,
Cachet béni de son Epoux, Jésus.
Sur le bûcher, sacrifiant sa vie,
Jeanne entendit la voix des bienheureux,
Elle quitta l'exil pour la patrie.
L'ange sauveur remonta vers les cieux!...
Enfant, c'est toi notre douce espérance;
Nous t'en prions, daigne entendre nos voix;
Descends vers nous! Viens convertir la France,
Viens la sauver une seconde fois!
Par la puissance
Du Dieu vainqueur,
Sauve, sauve la France,
Ange libérateur!
Chassant l'Anglais hors du pays de France,
Fille de Dieu, que tes pas étaient beaux!
Mais souviens-toi qu'aux jours de ton enfance,
Tu ne gardais que de faibles agneaux.
Prends la défense
Des impuissants,
Conserve l'innocence
Dans le cœur des enfants.
Douce martyre, à toi nos monastères!
Tu le sais bien, les vierges sont tes sœurs:
Et, comme toi, l'objet de leurs prières
C'est de voir Dieu régner dans tous les cœurs.
Sauver les âmes
Est leur désir,
Ah! donne-leur tes flammes
D'apôtre et de martyr!
Bien loin de nous s'enfuira toute crainte,
Quand nous verrons l'Eglise couronner
Le front si pur de Jeanne notre sainte;
Et c'est alors que nous pourrons chanter:
Notre espérance
Repose en vous,
Sainte Jeanne de France,
Priez, priez pour nous!
8 mai 1894.
A une jeune Sœur converse du nom de Mélanie Marie-Madeleine pour le jour de sa profession.
——
En ce beau jour, ô Madeleine,
Nous venons chanter près de vous
La merveilleuse et douce chaîne
Qui vous unit à votre Epoux.
Ecoutez la charmante histoire
D'une bergère qu'un grand Roi
Voulut un jour combler de gloire,
Et qui répondit à sa voix:
Refrain:
Chantons la bergère,
Pauvre sur la terre,
Que le Roi du ciel
Epouse en ce jour au Carmel.
Une petite bergerette,
En filant, gardait ses agneaux.
Elle admirait chaque fleurette,
Ecoutait le chant des oiseaux;
Comprenant bien le doux langage
Des grands bois et du beau ciel bleu,
Tout pour elle était une image
Qui lui révélait le bon Dieu.
Elle aimait Jésus et Marie
Avec une bien grande ardeur.
Ils aimaient aussi Mélanie,
Et vinrent lui parler au cœur.
«Veux-tu, disait la douce Reine,
Près de moi, sur le Mont Carmel,
Veux-tu devenir Madeleine,
Et ne plus gagner que le ciel?
«Enfant, quitte cette campagne,
Ne regrette pas ton troupeau;
Là-bas, sur ma sainte Montagne,
Jésus sera ton seul Agneau.»
—«Oh! viens, ton âme m'a charmée»,
Redisait Jésus à son tour;
«Je te prends pour ma fiancée,
Tu seras à moi sans retour.»
Avec bonheur l'humble bergère
Répondit à ce doux appel,
Et, suivant la Vierge, sa Mère,
Parvint au sommet du Carmel.
. . . . .
. . . . .
. . . . .
C'est vous, petite Madeleine,
Que nous fêtons en ce grand jour.
La bergère est maintenant reine
Près du Roi Jésus, son Amour!
Vous le savez, ô sœur chérie,
Servir notre Dieu, c'est régner.
Le doux Sauveur, pendant sa vie,
Ne cessait de nous l'enseigner:
«Si, dans la céleste patrie,
Vous voulez être le premier,
Il faudra, toute votre vie,
Vous cacher, être le dernier.»
Heureuse êtes-vous, Madeleine,
De votre place, en ce Carmel!
Serait-il pour vous quelque peine,
Etant si proche du beau ciel?
Vous imitez Marthe et Marie:
Prier, servir le doux Sauveur,
Voilà le but de votre vie;
Il vous donne le vrai bonheur.
Si parfois l'amère souffrance
Venait visiter votre cœur,
Faites-en votre jouissance;
Souffrir pour Dieu, quelle douceur!
Alors les tendresses divines
Vous feront bien vite oublier
Que vous marchez sur les épines,
Et vous croirez plutôt voler...
Aujourd'hui l'Ange vous envie,
Il voudrait goûter le bonheur
Que vous possédez, ô Marie,
Etant l'épouse du Seigneur!
Bientôt, dans les saintes phalanges,
Parmi les Trônes, les Vertus,
Vous direz bien haut les louanges
De votre Epoux, le Roi Jésus.
Bientôt la bergère,
Pauvre sur la terre,
S'envolant au ciel,
Régnera près de l'Eternel!
20 novembre 1894.
Récréation pieuse.
——
Un ange apparaît portant l'Enfant-Jésus dans ses bras et chante ce qui suit:
Air: Sancta Maria—J'ai vu les séraphins en songe. (Faure.)
Au nom de Celui que j'adore,
Mes sœurs, je viens tendre la main,
Et chanter pour l'Enfant divin,
Car il ne peut parler encore!
Pour Jésus, l'Exilé du ciel,
Je n'ai rencontré dans le monde
Qu'une indifférence profonde;
C'est pourquoi je viens au Carmel.
Toujours, toujours, que vos caresses,
Votre louange et vos tendresses,
Soient pour l'Enfant!
Brûlez d'amour, âme ravie;
Un Dieu pour vous s'est fait mortel.
O mystère touchant! Celui qui vous mendie
C'est le Verbe éternel!
O mes sœurs, approchez sans crainte:
Venez, chacune à votre tour,
Offrir à Jésus votre amour;
Vous saurez sa volonté sainte.
Je vous apprendrai le désir
De l'Enfant couché dans les langes,
A vous, pures comme des anges
Et qui, de plus, pouvez souffrir!
Toujours, toujours, que vos souffrances,
Et de même vos jouissances
Soient pour l'Enfant
Brûlez d'amour, âme ravie;
Un Dieu pour vous s'est fait mortel.
O mystère touchant! Celui qui vous mendie
C'est le Verbe éternel!
L'Ange ayant déposé l'Enfant-Jésus dans la crèche, présente à la Mère Prieure, puis à toutes les carmélites, une corbeille remplie de billets; chacune en prend un au hasard, et, sans l'ouvrir, le donne à l'Ange qui chante l'aumône demandée par le divin Enfant.
Les strophes suivantes se chantent sur l'air du Noël (d'Holmès).
Un trône d'or.
De Jésus, votre seul trésor,
Ecoutez le désir aimable:
Il vous demande un trône d'or,
N'en trouvant aucun dans l'étable.
L'étable est comme le pécheur
Où Jésus ne voit nulle chose
Qui puisse réjouir son Cœur,
Où jamais il ne se repose...
Sauvez, ma sœur,
L'âme du pécheur!
Vers ce trône, Jésus soupire.
Mais, plus encor,
Pour son trône d'or,
C'est votre cœur pur qu'il désire.
Du lait.
Celui qui nourrit les élus
De sa sainte et divine essence,
S'est fait pour vous l'Enfant-Jésus;
Il réclame votre assistance!
Au ciel son bonheur est parfait;
Mais il est pauvre sur la terre...
Donnez, ma sœur, un peu de lait
A Jésus votre petit Frère!
Il vous sourit,
Tout bas vous redit:
C'est la simplicité que j'aime.
Noël! Noël!
Je descends du ciel;
Mon doux lait d'amour, c'est toi-même.
Des petits oiseaux.
Ma sœur, vous brûlez de savoir
Ce que l'Enfant-Jésus désire;
Eh bien! je vous dirai ce soir
Comment vous le ferez sourire:
Attrapez des oiseaux charmants;
Faites-les voler dans l'étable.
Ils sont l'image des enfants
Que chérit le Verbe adorable.
A leurs doux chants,
Leurs gazouillements,
Son visage enfantin rayonne.
Priez pour eux;
Un jour dans les cieux,
Ils formeront votre couronne.
Une étoile.
Parfois, lorsque le ciel est noir
Et couvert d'un nuage sombre,
Jésus est bien triste le soir,
Etant sans lumière, dans l'ombre.
Pour réjouir l'Enfant-Jésus,
Comme une étoile scintillante,
Brillez par toutes vos vertus...
Soyez une lumière ardente!
Ah! que vos feux,
Les guidant aux cieux,
Des pécheurs déchirent le voile.
L'Enfant divin,
L'Astre du matin,
Vous choisit pour sa douce étoile.
Une lyre.
Ecoutez, ma petite sœur,
Ce que l'Enfant-Jésus désire:
Il vous demande votre cœur
Pour sa mélodieuse lyre!
Il avait bien, dans son beau ciel,
L'harmonie et l'encens des Anges;
Mais il veut que, sur le Carmel,
Comme eux, vous chantiez ses louanges.
Aimable sœur,
C'est de votre cœur
Que Jésus veut la mélodie...
La nuit, le jour,
En des chants d'amour,
Se consumera votre vie.
Des roses.
Votre âme est un lis embaumé
Qui charme Jésus et sa mère;
Ecoutez votre Bien-Aimé
Dire tout bas avec mystère:
Ah! si je chéris la blancheur
Des lis, symboles d'innocence,
J'aime aussi la riche couleur
Des roses de la pénitence.
Lorsque tes pleurs
Arrosent les cœurs,
Quel charmant plaisir tu me causes!
Car je pourrai,
Tant que je voudrai,
A pleines mains, cueillir des roses!
Une vallée.
Comme, par l'éclat du soleil,
La nature est tout embellie;
Qu'il dore de son feu vermeil
Et la vallée, et la prairie:
Ainsi Jésus, Soleil divin,
N'approche rien qu'il ne le dore.
Il resplendit à son matin,
Bien plus qu'une brillante aurore.
A son réveil,
Le divin Soleil
Répand sur votre âme exilée,
Avec ses dons,
Ses plus chauds rayons:
Soyez sa riante vallée!...
Des moissonneurs.
Là-bas, sous d'autres horizons,
Malgré les frimas et la neige,
Déjà se dorent les moissons
Que le divin Enfant protège.
Mais, hélas! pour les recueillir
Il faudrait de brûlantes âmes:
Des Moissonneurs voulant souffrir,
Se jouant du fer et des flammes;
Noël! Noël!
Je viens au Carmel,
Sachant que mes vœux sont les vôtres.
Au doux Sauveur
Enfantez, ma sœur,
Un grand nombre d'âmes d'apôtres...
Une grappe de raisin[265].
Je voudrais un fruit savoureux,
Une grappe toute dorée,
Pour rafraîchir du Roi des cieux
La petite bouche altérée.
Ma sœur, qu'il est doux votre sort!
C'est vous cette grappe choisie;
Jésus vous pressera bien fort
Dans sa main mignonne et chérie.
En cette nuit,
Il est trop petit
Pour manger le raisin lui-même;
Le jus sucré,
Par lui tout doré,
Voilà simplement ce qu'il aime!
Une petite hostie.
Jésus, le bel Enfant divin,
Pour vous communiquer sa vie,
Transforme en lui, chaque matin,
Une petite et blanche hostie;
Avec bien plus d'amour encor,
Il veut vous changer en lui-même.
Votre cœur est son cher trésor,
Son bonheur, son plaisir suprême.
Noël! Noël!
Je descends du ciel,
Pour dire à votre âme ravie:
L'Agneau si doux
S'abaisse vers vous;
Soyez sa blanche et pure hostie!
Les strophes suivantes se chantent sur l'air: Au Rossignol. (Gounod.)
Un sourire.
Le monde méconnaît les charmes
De Jésus votre aimable Epoux,
Et je vois de petites larmes
Scintiller en ses yeux si doux.
Consolez, ô ma sœur chérie,
Cet Enfant qui vous tend les bras.
Pour le charmer, je vous en prie,
Souriez toujours ici-bas!
Voyez... son regard semble dire:
Lorsque tu souris à tes sœurs,
O mon épouse, ton sourire
Suffit pour essuyer mes pleurs!
Un jouet.
Voulez-vous être sur la terre
Le jouet de l'Enfant divin?
Ma sœur, désirez-vous lui plaire?
Restez en sa petite main.
Si l'aimable Enfant vous caresse,
S'il vous approche de son Cœur,
Ou si, parfois, il vous délaisse,
De tout, faites votre bonheur!
Recherchez toujours ses caprices,
Vous charmerez ses yeux divins.
Désormais, toutes vos délices
Seront ses désirs enfantins.
Un oreiller.
Dans la crèche où Jésus repose,
Souvent je le vois s'éveiller.
Voulez-vous en savoir la cause?
Il n'y trouve pas d'oreiller...
Je le sais, votre âme n'aspire
Qu'à le consoler nuit et jour;
Eh bien! l'oreiller qu'il désire,
C'est votre cœur brûlant d'amour.
Ah! soyez toujours humble et douce,
Et le plus chéri des Trésors
Pourra vous dire: Mon épouse,
En toi doucement je m'endors!...
Une fleur.
La terre est couverte de neige,
Partout règnent les durs frimas.
L'hiver et son triste cortège
Ont flétri les fleurs d'ici-bas.
Mais pour vous s'est épanouie
La ravissante Fleur des champs
Qui vient de la sainte patrie,
Où règne un éternel printemps.
Ma sœur, cachez-vous dans l'herbette,
Près de la Rose de Noël;
Et soyez aussi la fleurette
De votre Epoux, le Roi du ciel.
Du pain.
Chaque jour, en votre prière,
Parlant à l'Auteur de tout bien,
Vous répétez: O notre Père!
Donnez-nous le pain quotidien.
Ce Dieu, qui s'est fait votre Frère,
Comme vous souffre de la faim.
Ecoutez son humble prière:
Il vous demande un peu de pain!...
O ma sœur, soyez-en bien sûre,
Jésus ne veut que votre amour.
Il se nourrit de l'âme pure;
Voilà son pain de chaque jour.
Un miroir.
Tout enfant aime qu'on le place
Devant un fidèle miroir,
Alors il sourit avec grâce
A l'autre petit qu'il croit voir.
Ah! venez dans la pauvre étable:
Votre âme est un cristal brillant;
Reflétez le Verbe adorable,
Les charmes du Dieu fait enfant...
Oui, soyez la vivante image,
Le pur miroir de votre Epoux;
L'éclat divin de son Visage,
Il veut le contempler en vous!
Un palais.
Les grands, les nobles de la terre
Ont tous des palais somptueux;
Des masures sont, au contraire,
Les asiles des malheureux.
Ainsi, voyez dans une étable
Le petit Pauvre de Noël:
Il voile sa gloire ineffable
En quittant son palais du ciel.
La pauvreté, votre cœur l'aime,
En elle vous trouvez la paix;
Aussi, c'est votre cœur lui-même
Que Jésus veut pour son palais!
Une couronne de lis.
Les pécheurs couronnent d'épines
La tête aimable de Jésus.
Admirez les grâces divines
Que la terre ne connaît plus...
Oh! que votre âme virginale
Lui fasse oublier ses douleurs;
Et, pour sa couronne royale,
Offrez-lui les vierges, vos sœurs.
Approchez tout près de son trône...
Pour charmer ses yeux ravissants,
Devant lui, tressez sa couronne:
Formez-la de beaux lis brillants!
Les strophes suivantes se chantent sur l'air du Passant. (Massenet.)
Des bonbons.
Ma sœur, les petits poupons
Aiment beaucoup les bonbons;
Remplissez-en donc bien vite,
De Jésus la blanche main.
A ce don, l'Enfant divin
Par son regard vous invite.
Les pralines du Carmel
Qui charment le Roi du ciel,
Ce sont tous vos sacrifices.
Ma sœur, votre austérité,
Votre grande pauvreté,
De Jésus font les délices!
Une caresse.
A vous le petit Jésus
Ne demande rien de plus
Qu'une très douce caresse.
Donnez-lui tout votre amour;
Et vous saurez en retour
La charité qui le presse.
Si quelqu'une de vos sœurs
Venait à verser des pleurs,
Aussitôt, avec tendresse,
Suppliez l'Enfant divin,
Que, de sa petite main,
Doucement il la caresse.
Un berceau.
Sur terre il est peu de cœurs
Qui n'aspirent aux faveurs
De Jésus, le Roi de gloire;
Mais, s'il vient à s'endormir,
Ils cessent de le servir,
En lui ne voulant plus croire.
Si vous saviez le plaisir
Que l'Enfant trouve à dormir
Sans craindre qu'on le réveille,
Vous serviriez de berceau
A Jésus, le doux Agneau,
Souriant lorsqu'il sommeille!
Des langes.
Voyez que l'aimable Enfant,
De son petit doigt charmant,
Vous montre la paille sèche.
Ah! comprenez son amour,
Et garnissez en ce jour,
De langes, la pauvre crèche.
Excusant toujours vos sœurs,
Vous gagnerez les faveurs
De Jésus, le Roi des Anges;
C'est l'ardente charité,
L'aimable simplicité
Qu'il réclame pour ses langes.
Du feu.
Ma sœur, le petit Jésus,
Le doux foyer des élus,
Tremble de froid dans l'étable...
Cependant, au beau ciel bleu,
Des Anges, flammes de feu,
Servent le Verbe adorable!
Mais, sur la terre, c'est vous
Le foyer de votre Epoux...
Il vous demande vos flammes.
C'est vous qui devez, ma sœur,
Pour réchauffer le Sauveur,
Embraser toutes les âmes!
Un gâteau.
Vous savez que tout enfant
Préfère un gâteau brillant
A la gloire d'un empire.
Offrez donc au Roi des cieux
Un gâteau délicieux,
Et vous le verrez sourire.
Savez-vous, du Roi des rois,
Quel est le gâteau de choix?
C'est la prompte obéissance!
Votre Epoux vous ravissez,
Lorsque vous obéissez
Comme lui, dans son enfance.
Du miel.
Aux premiers feux du matin,
Formant son riche butin,
On voit la petite abeille
Voltiger de fleur en fleur,
Visitant avec bonheur
Les corolles qu'elle éveille.
Ainsi, butinez l'amour:
Et revenez chaque jour,
Près de la crèche sacrée,
Offrir au divin Sauveur
Le miel de votre ferveur,
Petite abeille dorée!
Un agneau.
Pour charmer le doux Agneau,
Ne gardez plus de troupeau;
Et, délaissant toute chose,
Ne songez qu'à le ravir;
Désirez le bien servir,
Tout le temps qu'il se repose.
O ma sœur, dès aujourd'hui,
Abandonnez-vous à lui,
Et vous dormirez ensemble...
Marie, allant au berceau,
Verra près de son Agneau
Un agneau qui lui ressemble!
L'Ange, ayant pris de nouveau l'Enfant-Jésus dans ses bras, chante ce qui suit:
Air: «Ainsi soit-il.» Chaque matin dans sa prière... (Rupés.)
L'Enfant divin vous remercie;
Il est charmé de tous vos dons.
Aussi, dans son Livre de vie,
Il les écrit avec vos noms.
Jésus a trouvé ses délices
En ce Carmel;
Et pour payer vos sacrifices,
Il a son beau ciel!
Si vous êtes toujours fidèles
A contenter ce doux Trésor,
L'amour vous donnera des ailes
Pour voler d'un sublime essor!
Un jour, dans la sainte patrie,
Après l'exil,
Vous verrez Jésus et Marie:
Ainsi soit-il!
Récréation pieuse
——
(Rôle rempli par Sr Thérèse.)
Air: Tombé du nid.
O Verbe-Dieu! gloire du Père!
Je te contemplais dans le ciel;
Maintenant je vois sur la terre
Le Très-Haut devenu mortel!
Enfant, dont la lumière inonde
Les Anges du brillant séjour,
Jésus, tu viens sauver le monde,
Qui donc comprendra ton amour?
O Dieu dans les langes,
Tu ravis les Anges!
Verbe fait enfant,
Vers toi, je m'incline en tremblant.
Qui donc comprendra ce mystère:
Un Dieu se fait petit enfant?
Il vient s'exiler sur la terre,
Lui, l'Eternel, le Tout-Puissant!
Divin Jésus, beauté suprême,
Je veux répondre à ton amour:
Pour témoigner combien je t'aime,
Je te veillerai nuit et jour.
L'éclat de tes langes
Attire les Anges;
Verbe fait enfant,
Vers toi, je m'incline en tremblant.
Depuis que ce séjour de larmes
Possède le Roi des élus,
Pour moi, les cieux n'ont plus de charmes,
Et j'ai volé vers toi, Jésus!
Je veux te couvrir de mes ailes,
Te suivre partout ici-bas;
Et toutes les fleurs les plus belles,
Je les sèmerai sous tes pas.
Je veux d'une étoile brillante,
Enfant, te former un berceau;
Et, de la neige éblouissante,
Te faire un gracieux rideau.
Je veux, des lointaines montagnes,
Abaisser pour toi les hauteurs;
Je veux que pour toi les campagnes
Produisent de célestes fleurs.
De Dieu, la fleur est le sourire;
Elle est l'écho lointain du ciel,
Le son fugitif de la lyre
Que tient en sa main l'Eternel.
Cette note mélodieuse
De la bonté du Créateur
Veut, de sa voix mystérieuse,
Glorifier le Dieu Sauveur.
Douce mélodie,
Suave harmonie,
Silence des fleurs,
D'un Dieu vous chantez les grandeurs!
Je sais que tes chères amies,
Jésus, sont les vivantes fleurs...
Tu viens des célestes prairies
Pour chercher les âmes, tes sœurs.
Une âme est la fleur embaumée,
Enfant, que tu voudrais cueillir;
Ta petite main l'a semée
Et pour elle tu veux mourir!
Mystère ineffable!
Le Verbe adorable
Versera des pleurs
En cueillant sa moisson de fleurs!
Air: L'encens divin.
Divin Jésus, au matin de ta vie,
Ton beau Visage est tout baigné de pleurs!
Larmes d'amour, sur la Face bénie,
Vous coulerez jusqu'au soir des douleurs...
Divine Face,
Oui, ta beauté,
Pour l'Ange efface
La céleste clarté!
Je reconnais, de ton divin Visage
Tous les attraits, sur ce voile sanglant;
Je reconnais, Jésus, en cette image,
L'éclat si pur de ta Face d'enfant.
Divin Jésus, la souffrance t'est chère,
Ton doux regard pénètre l'avenir:
Tu veux déjà boire la coupe amère;
Dans ton amour, tu rêves de mourir!
Rêve ineffable!
Enfant d'un jour,
Face adorable,
Vous m'embrasez d'amour!
L'Ange de la Résurrection.
Air: Noël! Noël! læta voce Noël!
Ne pleurez plus, Anges du Dieu Sauveur,
Je viens du ciel consoler votre cœur.
Ce faible Enfant
Un jour sera puissant;
Il ressuscitera,
Et toujours régnera.
O Dieu caché sous les traits d'un enfant,
Je te vois rayonnant,
Et déjà triomphant!
Je lèverai la pierre du tombeau,
Et, contemplant ton Visage si beau,
Je chanterai
Et me réjouirai,
Te voyant de mes yeux
T'élever glorieux!
Je vois briller des divines splendeurs
Tes yeux d'enfant, ce soir mouillés de pleurs.
Verbe de Dieu,
Ta parole de feu
Doit retentir un jour
Consumante d'amour!
L'Ange de l'Eucharistie.
Air: Par les chants les plus magnifiques.
Contemplez, bel Ange, mon frère,
Notre Roi montant vers le ciel;
Moi, je descends sur cette terre
Pour l'adorer au saint autel.
Voilé dans son Eucharistie,
Je reconnais le Tout-Puissant,
Je vois le Maître de la vie
Bien plus petit qu'un humble enfant.
Ah! désormais, au sanctuaire
Je veux établir mon séjour,
Offrant au Très-Haut ma prière,
L'hymne de mon ardent amour.
Sur ma lyre mélodieuse,
Je chanterai le Dieu Sauveur,
Et la Manne délicieuse
Qui nourrit l'âme du pécheur!
Que ne puis-je, par un miracle,
Me nourrir aussi de ce Pain!
Ah! que ne puis-je au Tabernacle,
Prendre ma part du Sang divin!
Du moins, à l'âme aimante et sainte,
Je communiquerai mes feux,
Afin que, sans la moindre crainte,
Elle approche du Roi des cieux.
L'Ange du jugement dernier.
Air: Noël (d'Adam).
Bientôt viendra le jour de la vengeance,
Ce monde impur passera par le feu.
Tous les mortels entendront la sentence
Qui sortira de la bouche de Dieu.
Nous le verrons dans l'éclat de sa gloire,
Non plus caché sous les traits d'un enfant,
Nous serons là pour chanter sa victoire,
Et proclamer qu'il est le Tout-Puissant!
Ils brilleront d'un éclat ineffable,
Ces yeux voilés de larmes et de sang.
Nous la verrons cette Face adorable,
Dans la splendeur de son rayonnement!
Sur le nuage, en voyant apparaître
Jésus, portant le sceptre de sa croix:
L'impie, alors, pourra le reconnaître
Ce Roi, ce Juge, aux éclats de sa voix!
Vous tremblerez, habitants de la terre;
Vous tremblerez à votre dernier jour!
Ne pouvant plus soutenir la colère
De cet Enfant, aujourd'hui Dieu d'amour.
Pour vous, mortels, il choisit la souffrance,
Ne réclamant que votre faible cœur;
Au jugement vous verrez sa puissance,
Vous tremblerez devant le Dieu vengeur.
Tous les Anges, à l'exception de l'Ange du jugement dernier.
Air: O Cœur de notre aimable Mère.
Oh! daigne écouter la prière
De tes Anges, divin Jésus!
Toi qui viens racheter la terre,
Prends la défense des élus.
De ta main, ah! brise ce glaive,
Apaise cet Ange en courroux!
Bel Enfant, que ta voix s'élève
Pour sauver le cœur humble et doux.
Air: Petit oiseau, dis, où vas-tu?
Consolez-vous, Anges fidèles;
Vous seuls, pour la première fois,
Loin des collines éternelles,
Du Verbe, écouterez la voix:
Je vous chéris, ô pures flammes!
Anges du céleste séjour!
Mais, comme vous, j'aime les âmes,
Je les aime d'un grand amour.
Je les ai faites pour moi-même,
J'ai fait leurs désirs infinis;
La plus petite âme qui m'aime
Devient pour moi le paradis.
L'Ange de l'Enfant-Jésus lui demande de cueillir sur la terre une abondante moisson d'âmes innocentes, avant qu'elles soient ternies par le souffle impur du péché.
Réponse de l'Enfant-Jésus.
O bel Ange de mon enfance!
J'exaucerai tes vœux ardents:
Je saurai garder l'innocence
En l'âme des petits enfants.
Je les cueillerai dès l'aurore,
Charmants boutons, pleins de fraîcheur;
Au ciel tu les verras éclore
Sous les purs rayons de mon Cœur.
Leur belle corolle argentée,
Plus brillante que mille feux,
Formera la route lactée
De l'azur étoilé des cieux.
Je veux des lis pour ma couronne,
Moi, Jésus, le beau Lis des champs,
Et je veux, pour former mon trône,
Une gerbe de lis brillants.
L'Ange de la Sainte Face demande le pardon des pécheurs.
Réponse de l'Enfant-Jésus.
Toi qui contemples mon Visage
Dans un ravissement d'amour,
Et qui, pour garder mon image,
Quittas le céleste séjour,
Je veux exaucer ta prière:
Toute âme obtiendra son pardon,
Je la remplirai de lumière,
Dès qu'elle invoquera mon Nom.
O toi qui voulus sur la terre
Honorer ma croix, ma douleur;
Bel Ange, écoute ce mystère:
Toute âme qui souffre est ta sœur.
Au ciel, l'éclat de sa souffrance
Sur ton front viendra rejaillir;
Et le rayon de ton essence
Illuminera le martyr.
L'Ange de l'Eucharistie demande ce qu'il pourra faire pour le consoler de l'ingratitude des hommes.
Réponse de l'Enfant-Jésus.
Ange de mon Eucharistie,
C'est toi qui charmeras mon Cœur;
Oui, c'est ta douce mélodie
Qui consolera ma douleur.
J'ai soif de me donner aux âmes;
Mais bien des cœurs sont languissants:
Séraphin, donne-leur tes flammes,
Attire-les par tes doux chants.
Je voudrais que l'âme du prêtre
Ressemblât à l'Ange du ciel!
Ah! je voudrais qu'il pût renaître
Avant de monter à l'autel.
Afin d'opérer ce miracle,
Il faut que, brûlantes d'amour,
Des âmes, près du Tabernacle,
S'immolent la nuit et le jour.
L'Ange de la Résurrection demande ce que deviendront les pauvres exilés de la terre, quand le Sauveur sera monté aux cieux.
Réponse de l'Enfant-Jésus.
Je remonterai vers mon Père,
Afin d'attirer mes élus;
Après l'exil de cette terre,
Dans mon Cœur ils seront reçus.
Quand sonnera la dernière heure,
Je rassemblerai mon troupeau;
Et, dans la céleste demeure,
Je lui servirai de flambeau.
L'Ange du jugement dernier.
Oublieras-tu, Jésus, bonté suprême,
Que le pécheur doit être enfin puni?
Oublieras-tu, dans ton amour extrême,
Que, des ingrats, le nombre est infini?
Au jugement je châtierai le crime,
Et ma fureur saura se décharger.
Mon glaive est prêt!... Jésus, douce Victime,
Mon glaive est prêt; je viendrai te venger!
L'Enfant-Jésus.
O bel Ange, abaisse ton glaive,
Ce n'est pas à toi de juger
La nature que je relève:
De la paix, je suis Messager.
Celui qui jugera le monde:
C'est moi... que l'on nomme Jésus!
De mon sang, la source féconde
Purifiera tous mes élus.
Sais-tu que les âmes fidèles
Me consoleront chaque jour
Des blasphèmes des infidèles,
Par un simple regard d'amour?
Aussi, dans la sainte patrie,
Mes élus seront glorieux;
Et, leur communiquant ma vie,
J'en ferai comme autant de dieux.
L'Ange du jugement dernier.
Air: Dieu de paix et d'amour.
Devant toi, doux Enfant, le Chérubin s'incline: Il admire, éperdu, ton ineffable amour, Il voudrait, comme toi, sur la sombre colline Pouvoir mourir un jour!
REFRAIN
Chanté par tous les Anges.
Qu'il est grand le bonheur de l'humble créature! Le Séraphin voudrait, dans son ravissement, Délaisser, ô Jésus, l'angélique nature, Et devenir enfant...
Récréation pieuse (Fragment).
L'Ange avertit saint Joseph.
Air: La folle de la plage.
Vers l'Egypte, bien vite,
Il faut prendre la fuite!...
Joseph, dès cette nuit,
Eloigne-toi sans bruit.
Hérode, en sa furie,
Cherche le Roi nouveau:
A ce divin Agneau
Il veut ôter la vie.
Prends la Mère et l'Enfant,
Fuyez rapidement!
Chant des Anges accompagnant la sainte Famille.
Air: Les gondolières vénitiennes.
Ineffable mystère!
Jésus, le Roi du ciel,
Exilé sur la terre,
Fuit devant un mortel!
A ce Dieu dans les langes,
Offrons tout notre amour;
Que nos blanches phalanges
Viennent former sa cour.
Couvrons-le de nos ailes
Et des fleurs les plus belles;
Far nos concerts joyeux,
Berçons le Roi des cieux.
Pour consoler sa Mère,
Chantons avec mystère
Les charmes du Sauveur,
Sa grâce et sa douceur!
Ah! quittons ce rivage,
Bien loin de l'orage,
Fuyons cette nuit,
Loin de tout bruit.
La Vierge sous son voile
Cache notre étoile:
L'astre des élus,
L'Enfant-Jésus.
Le Roi du ciel
Fuit devant un mortel!...
L'Ange du désert.
Air: du Credo d'Herculanum.
Je viens chanter, de la sainte Famille,
L'éclat divin qui m'attire en ces lieux;
Dans le désert, cette étoile qui brille
Me charme plus que la gloire des cieux.
Ah! qui pourra comprendre ce mystère:
Parmi les siens, Jésus est rejeté!
Il est errant, voyageur sur la terre,
Et nul ne sait découvrir sa beauté.
Mais, si les grands redoutent votre empire,
O Roi du ciel, Astre mystérieux!
Depuis longtemps plus d'un cœur vous désire,
C'est vous l'espoir de tous les malheureux.
Verbe éternel, ô Sagesse profonde!
Vous répandez vos ineffables dons
Sur les petits, les faibles de ce monde:
Et dans le ciel vous écrivez leurs noms.
Si vous donnez la sagesse en partage
A l'ignorant, s'il est humble de cœur,
C'est que toute âme est faite à votre image.
Vous appelez, vous sauvez le pécheur!
Un jour viendra qu'en la même prairie,
L'agneau paîtra doucement près du lion;
Et le désert, votre unique patrie,
Plus d'une fois entendra votre Nom.
O Dieu caché! des âmes virginales,
Brûlant de zèle au foyer de l'amour,
S'élanceront sur vos traces royales,
Et les déserts se peupleront un jour.
Ces cœurs ardents, ces âmes séraphiques
Réjouiront tous les Anges des cieux,
Et l'humble accent de leurs divins cantiques
Fera trembler l'abîme ténébreux.
Dans sa fureur, sa basse jalousie,
Satan voudra dépeupler les déserts;
Il ne sait pas la puissance infinie
Du faible Enfant qu'ignore l'univers.
Il ne sait pas que la vierge fervente
Trouve toujours le repos en son cœur;
Il ne sait pas combien elle est puissante
Cette âme unie à son divin Sauveur!
Peut-être un jour vos épouses chéries
Partageront votre exil, ô mon Dieu!
Mais les pécheurs qui les auront bannies,
De leur amour n'éteindront pas le feu.
Du monde impur la haine sacrilège
N'atteindra pas les vierges du Seigneur
Jusqu'à souiller leur vêtement de neige,
Jusqu'à ternir leur céleste blancheur.
O monde ingrat, déjà ton règne expire;
Ne vois-tu pas que ce petit Enfant
Cueille joyeux la palme du martyre,
La rose d'or, le lis éblouissant?
Ne vois-tu pas que ses vierges fidèles
Tiennent en main la lampe de l'amour?
Ne vois-tu pas les portes éternelles,
Qui, pour les saints, doivent s'ouvrir un jour?
Heureux instant! ô bonheur sans mélange,
Quand les élus, paraissant glorieux,
De leur amour recevront en échange
L'éternité pour aimer dans les cieux!
Après l'exil, plus jamais de souffrance,
Mais le repos du céleste séjour;
Après l'exil, plus de foi, d'espérance,
Rien que la paix, l'extase de l'amour!
Récréation pieuse.
Air: L'Ange et l'aveugle.
Marie-Madeleine.
O Dieu, mon divin Maître,
Jésus, mon seul amour!
A vos pieds je veux être,
J'y fixe mon séjour.
En vain sur cette terre
J'ai cherché le bonheur.
Une tristesse amère
Seule a rempli mon cœur...
Jésus.
Marie, ô Madeleine!
Je suis ton doux Sauveur!
Oubliant toute peine,
Jouis de ton bonheur.
Tes regrets sont extrêmes,
Et mon Cœur te redit:
Je sais bien que tu m'aimes.
Ton amour me suffit!
Marie-Madeleine.
C'en est trop, mon bon Maître,
Je me sens défaillir...
Que ne puis-je renaître
En ce jour, ou mourir!
Comprenez mes alarmes,
O Jésus, mon Sauveur!
J'ai fait couler vos larmes:
Quelle immense douleur!
Jésus.
Il est vrai, sur ton âme
J'ai répandu des pleurs;
Mais d'un seul trait de flamme,
Te puis changer les cœurs.
Ton âme, rajeunie
Par mon regard divin,
Dans l'éternelle vie
Me bénira sans fin!
Marie-Madeleine.
Jésus, votre amour même
Vient déchirer mon cœur,
Votre bonté suprême
Augmente ma douleur;
J'ai méconnu vos charmes
Et, dans mon repentir,
Je n'ai plus que des larmes,
Seigneur, à vous offrir!
Jésus.
Ces larmes précieuses
Brillent plus à mes yeux
Que les perles nombreuses
Qui scintillent aux Cieux.
A l'étoile charmante
Rayonnant dans l'azur,
Je préfère l'amante
Au cœur devenu pur.
Marie-Madeleine.
Quel étonnant mystère!
O mon divin Sauveur,
N'est-il rien sur la terre
Qui charme votre Cœur?
Les lointaines montagnes,
Le blanc et doux agneau,
Les fleurs de nos campagnes,
Est-il rien de plus beau?
Jésus.
Tu vois la fleur éclose
Et son éclat charmant;
Pour moi, je vois la rose
De ton amour ardent.
Cette rose empourprée
A su ravir mon cœur;
Elle est ma préférée
Entre toute autre fleur.
Marie-Madeleine.
L'oiseau, de sa voix pure,
Chante votre grandeur;
Le ruisseau qui murmure
Vous donne sa fraîcheur;
Le lis de la vallée
Vous offre son trésor:
Sa blancheur étoilée
De fines perles d'or.
Jésus.
Salomon, dans sa gloire,
Était moins bien paré
Sur son trône d'ivoire
Que ce beau lis nacré;
Les simples pâquerettes
Surpassent le grand roi,
Et toutes ces fleurettes
N'éclosent que pour toi.
Marie-Madeleine.
Du virginal cortège
Vous offrant son amour,
Le blanc manteau de neige
Brillera sans retour...
Moi, d'une triste vie,
Je vous offre la fin;
Hélas! je l'ai flétrie
Encore à son matin!...
Jésus.
Si j'aime, de l'aurore,
Les purs et brillants feux:
Marie... ah! j'aime encore
Un beau soir radieux.
Ma bonté sans égale
Placera le pécheur
Et l'âme virginale
Ensemble sur mon Cœur!
Marie-Madeleine.
N'avez-vous pas vos Anges,
Aux sublimes ardeurs?
Sur leurs blanches phalanges
Répandez vos faveurs!
Moi, pauvre pécheresse,
Je n'ai pas mérité
L'ineffable tendresse
De votre intimité.
Jésus.
Bien plus haut que les Anges
Tu monteras un jour;
Ils diront tes louanges,
Enviant ton amour!
Mais il faut sur la terre,
Pour tes frères pécheurs,
Que, vivant solitaire,
Tu m'attires leurs cœurs.
Marie-Madeleine.
Seigneur, d'un zèle extrême
Je sens brûler mon cœur;
Et votre voix que j'aime
En redouble l'ardeur.
Mais, pour être un apôtre,
Bien trop faible est ce cœur;
Ah! prêtez-moi le vôtre,
Jésus, mon doux Sauveur!
Marthe.
Considérez ma sœur, bon Maître, elle s'oublie:
Voyez: tout mon travail ne l'inquiète pas.
Dites-lui donc, Seigneur, ah! je vous en supplie,
Dites-lui de m'aider à servir le repas.
Jésus.
Marthe! ma charitable hôtesse,
Pourquoi voudriez-vous blâmer
Votre sœur qui toujours s'empresse
Vers Celui qui sait la charmer?
Marthe.
Mais, ô divin Sauveur, voilà ce qui m'étonne:
Ne devrait-elle pas détourner un instant
Ses regards de Celui qui chaque jour lui donne,
Et songer à donner aussi quelque présent?
Jésus.
O Marthe, je vous le confie:
Si votre amour est généreux,
Celui de votre sœur Marie
M'est infiniment précieux!
Marthe.
Vos paroles, Seigneur, sont pour moi des mystères,
Et je ne puis encor m'empêcher de penser
Qu'il vaut mieux travailler que dire des prières;
Moi, je sens mon amour qui veut se dépenser.
Jésus.
Le travail est bien nécessaire,
Je viens moi-même l'honorer;
Mais, au moyen de la prière,
Vous devez le transfigurer.
Marthe.
Je savais bien, Seigneur, que, restant inactive,
Je ne pouvais avoir de charmes à vos yeux;
C'est pourquoi je m'empresse, adorable Convive,
A préparer pour vous des mets délicieux.
Jésus.
Votre âme est généreuse et pure,
Votre travail peut le prouver;
Mais savez-vous la nourriture
Que je désirerais trouver?
Un seul ouvrage est nécessaire:
Si votre sœur reste à l'écart
Dans une amoureuse prière,
Elle a choisi la bonne part!
Oui, cette part est la meilleure,
Je le proclame dès ce jour;
O Marthe! venez à cette heure
Partager ce repos d'amour...
Marthe.
Je le comprends enfin, Jésus, bonté suprême!
Votre divin regard a pénétré mon cœur.
Tous mes dons sont trop peu: c'est mon âme elle-même
Que je dois vous offrir, ô très aimant Sauveur!
Jésus.
Oui, c'est votre cœur que j'envie.
Jusqu'à lui, je viens m'abaisser:
Les cieux et leur gloire infinie,
Pour lui, j'ai voulu délaisser.
Marthe.
Pourquoi, divin Sauveur, avez-vous, de Marie,
Fait un si grand éloge à Simon le lépreux?
Il me semble pourtant, que, dans toute sa vie,
Vous auriez dû compter plus d'un jour orageux...
Jésus.
J'ai su comprendre le langage,
D'un cœur par l'amour entraîné;
Celui-là chérit davantage
A qui l'on a plus pardonné...
Marthe.
Oh! qu'il en soit ainsi, je m'en étonne encore:
Car vous m'avez, Seigneur, épargné le danger;
Je vous dois mon amour, puisque dès mon aurore
Vous avez bien voulu me suivre et protéger.
Jésus.
Il est bien vrai qu'une âme pure,
Le chef-d'œuvre de mon amour,
Devrait, sans aucune mesure,
M'aimer, me bénir sans retour.
Vous m'avez charmé dès l'enfance
Par votre grande pureté;
Mais, si vous avez l'innocence,
Madeleine a l'humilité.
Marthe.
Jésus, pour vous ravir, je veux toute ma vie
Mépriser les honneurs, la gloire des humains;
En travaillant pour vous, j'imiterai Marie,
Ne recherchant jamais que vos regards divins.
Jésus.
Ainsi vous sauverez les âmes,
Et les attirerez vers moi;
Bien loin, vous porterez mes flammes
Avec le flambeau de la foi.
Marthe et Marie-Madeleine.
Votre voix, doux Jésus, est une mélodie
Qui nous ravit d'amour, enflammant notre cœur.
Restez donc avec nous pour charmer notre vie;
Restez ici toujours, aimable Rédempteur!
Jésus.
Je suis heureux à Béthanie,
Je m'y reposerai souvent;
Et votre Dieu, dans la patrie,
Se montrera reconnaissant...
Vous avez compris le mystère
Qui m'a fait descendre en ces lieux:
L'âme intérieure m'est chère,
Bien plus que la gloire des cieux.
Cette gloire, un jour, sera vôtre,
Et tous mes biens seront à vous:
Honneur comparable à nul autre:
Vous m'appellerez votre Epoux!
Ici-bas, fidèles amies,
Vous vous chargez de me nourrir;
Au festin des noces bénies,
Je me ceindrai pour vous servir.
29 juillet 1895.
A son bon Père, rappelé à Dieu le 29 juillet 1894.
——
Rappelle-toi qu'autrefois sur la terre
Ton seul bonheur était de nous chérir:
De tes enfants exauce la prière,
Protège-nous, daigne encor nous bénir!
Tu retrouves là-haut notre mère chérie,
Depuis longtemps déjà dans la sainte patrie;
Maintenant, dans les cieux,
Vous régnez tous les deux...
Veillez sur nous!
Rappelle-toi ton ardente Marie,
Celle qui fut la plus chère à ton cœur;
Rappelle-toi qu'elle remplit ta vie,
Par son amour, de charme et de bonheur.
Pour Dieu, tu renonças à sa douce présence,
Et tu bénis la main qui t'offrait la souffrance.
De ton beau «diamant[266]»
Toujours plus scintillant,
Oh! souviens-toi!
Rappelle-toi ta belle «perle fine»,
Que tu connus faible et timide agneau;
Vois-la, comptant sur la force divine,
Et du Carmel conduisant le troupeau.
De tes autres enfants elle est aujourd'hui mère,
Viens guider ici-bas celle qui t'est si chère;
Et sans quitter le ciel,
De ton petit Carmel,
Oh! souviens-toi...
Rappelle-toi cette ardente prière
Que tu formas pour ta troisième enfant.
Dieu l'entendit!... elle estime la terre
Un lieu d'exil et de bannissement.
La Visitation la cache aux yeux du monde,
Elle aime le Seigneur, sa douce paix l'inonde;
De ses brûlants soupirs,
De ses ardents désirs,
Oh! souviens-toi...
Rappelle-toi ta fidèle Céline
Qui fut pour toi comme un ange des cieux,
Lorsqu'un regard de la Face divine
Vint t'éprouver par un choix glorieux.
Tu règnes dans le ciel... sa tâche est accomplie;
Maintenant à Jésus elle donne sa vie...
Protège ton enfant
Qui redit bien souvent:
Rappelle-toi!...
Oh! souviens-toi de ta «petite reine»,
Du tendre amour dont son cœur déborda...
Rappelle-toi que sa marche incertaine
Ce fut toujours ta main qui la guida.
Papa, rappelle-toi qu'aux jours de son enfance
Tu voulus pour Dieu seul garder son innocence.
Ses boucles de cheveux
Qui ravissaient tes yeux,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi que dans le belvédère,
Tu l'asseyais souvent sur tes genoux,
Et, murmurant alors une prière,
Tu la berçais par ton refrain si doux!
Elle voyait du ciel un reflet sur ta face,
Quand ton regard profond se plongeait dans l'espace...
Et de l'éternité
Tu chantais la beauté,
Rappelle-toi!
Rappelle-toi ce radieux dimanche
Où, la pressant sur ton cœur paternel,
Tu lui donnas une fleurette blanche,
Et lui permis de voler au Carmel.
O père, souviens-toi qu'en ses grandes épreuves,
Du plus sincère amour tu lui donnas des preuves;
A Rome après Bayeux
Tu lui montras les cieux;
Rappelle-toi!
Rappelle-toi que la main du Saint-Père,
Au Vatican, sur ton front se posa;
Mais tu ne pus comprendre le mystère
Du sceau divin qui sur toi s'imprima.
Maintenant tes enfants t'adressent leur prière;
Ils bénissent ta croix et ta douleur amère!
Sur ton front glorieux
Rayonnent dans les cieux
Neuf lis en fleurs!
Composé à la demande de sa sœur Céline pendant son noviciat.
Air: Combien j'ai douce souvenance.
J'ai en mon Bien-Aimé les montagnes.
Les vallées solitaires et boisées,
Les îles étrangères,
Les fleuves retentissants,
Le murmure des zéphyrs amoureux.
. . . . . . . . . .
La nuit paisible,
Pareille au lever de l'aurore;
La musique silencieuse,
La solitude harmonieuse,
Le souper qui charme et qui accroît l'amour.
(Saint Jean de la Croix.)
Oh! que j'aime la souvenance
Des jours bénis de mon enfance!
Pour garder la fleur de mon innocence,
Le Seigneur m'entoura toujours
D'amour.
Aussi, malgré ma petitesse,
A Dieu je donnai ma tendresse;
Et de mon cœur s'échappa la promesse
D'épouser le Roi des élus,
Jésus.
J'aimais, au printemps de ma vie,
Saint Joseph, la Vierge Marie;
Déjà mon âme se plongeait ravie
Quand se reflétaient dans mes yeux
Les cieux!
J'aimais les champs de blé, la plaine,
J'aimais la colline lointaine;
Dans mon bonheur, je respirais à peine.
En moissonnant avec mes sœurs,
Les fleurs.
J'aimais à cueillir les herbettes,
Les bluets, toutes les fleurettes;
Je trouvais le parfum des violettes
Et surtout celui des coucous
Bien doux.
J'aimais la pâquerette blanche,
Les promenades du dimanche,
L'oiseau léger gazouillant sur la branche,
Et l'azur toujours radieux
Des cieux.
J'aimais à poser chaque année
Mon soulier dans la cheminée;
Accourant dès que j'étais éveillée,
Je chantais la fête du ciel:
Noël!
De maman, j'aimais le sourire,
Son regard profond semblait dire:
«L'éternité me ravit et m'attire,
«Je vais aller dans le ciel bleu
«Voir Dieu!
«Je vais trouver dans la patrie
«Mes anges, la Vierge Marie.
«De mes enfants que je laisse en la vie,
«A Jésus j'offrirai les pleurs,
«Les cœurs!»
Oh! que j'aimais Jésus-Hostie
Qui vint, au matin de ma vie,
Se fiancer à mon âme ravie!
Oh! que j'ouvris avec bonheur
Mon cœur!
J'aimais encore, au belvédère
Inondé de vive lumière,
A recevoir les doux baisers d'un père,
A caresser ses blancs cheveux
Neigeux.
Sur ses genoux, étant placée
Avec Thérèse, à la veillée,
Je m'en souviens, j'étais longtemps bercée.
J'entends encor, de son doux chant,
L'accent.
O souvenir! tu me reposes.
Tu me rappelles bien des choses...
Les repas du soir, le parfum des roses,
Les Buissonnets pleins de gaîté
L'été.
A l'heure où tout vain bruit s'apaise,
J'aimais à confondre à mon aise
Mon âme avec celle de ma Thérèse;
Je ne formais avec ma sœur
Qu'un cœur!
Alors nos voix étaient mêlées,
Nos mains, l'une à l'autre enchaînées;
Ensemble, chantant les noces sacrées,
Déjà nous rêvions le Carmel,
Le ciel!
De la Suisse et de l'Italie,
Ciel bleu, fruits d'or m'avaient ravie.
J'aimai surtout le regard plein de vie
Du saint Vieillard, Pontife-Roi,
Sur moi.
Avec amour je t'ai baisée,
Terre sainte du Colysée!
Des Catacombes la voûte sacrée
A répété bien doucement
Mon chant.
Mon bonheur fut suivi de larmes;
Bien grandes furent mes alarmes!
De mon Epoux je revêtis les armes,
Et sa croix devint mon soutien,
Mon bien.
Alors j'aimais, fuyant le monde,
Que l'Echo lointain me réponde;
En la vallée ombragée et féconde
Je cueillais, à travers mes pleurs,
Les fleurs.
J'aimais, de la lointaine église,
Entendre la cloche indécise.
Pour écouter les soupirs de la brise,
Dans les champs j'aimais à m'asseoir
Le soir.
J'aimais le vol des hirondelles,
Le chant plaintif des tourterelles;
Avec plaisir j'entendais le bruit d'ailes
De l'insecte au bourdonnement
Bruyant.
J'aimais la perle matinale
Ornant la rose de Bengale;
J'aimais à voir l'abeille virginale
Préparer sous les feux du ciel
Le miel.
J'aimais à cueillir la bruyère;
Courant sur la mousse légère,
Je prenais, voltigeant sur la fougère,
Les papillons au reflet pur
D'azur.
J'aimais le ver luisant dans l'ombre,
J'aimais les étoiles sans nombre...
Surtout j'aimais l'éclat, en la nuit sombre,
De la lune au disque d'argent
Brillant.
A mon père, dans sa vieillesse,
J'offrais l'appui de ma jeunesse...
Il m'était tout: bonheur, enfant, richesse.
Ah! je l'embrassais tendrement
Souvent.
Nous aimions le doux bruit de l'onde,
L'éclat de l'orage qui gronde;
Le soir, en la solitude profonde,
Du rossignol au fond du bois
La voix.
Mais un matin son beau visage
Du Crucifix chercha l'image.....
De son amour il me laissa le gage,
Me donnant son dernier regard:
Ma part!...
Et de Jésus la main divine
Prit le seul trésor de Céline,
Et, l'emportant bien loin de la colline,
Le plaça près de l'Eternel,
Au ciel!
. . . . .
. . . . .
. . . . .
Maintenant je suis prisonnière,
J'ai fui les bosquets de la terre,
J'ai vu que tout en elle est éphémère,
J'ai vu tout mon bonheur finir,
Mourir!
Sous mes pas l'herbe s'est meurtrie,
La fleur en mes mains s'est flétrie...
Jésus, je veux courir en ta prairie,
Sur elle ne marqueront pas
Mes pas.
Comme un cerf, en sa soif ardente,
Soupire après l'eau jaillissante,
O Jésus, vers toi j'accours défaillante:
Il faut, pour calmer mes ardeurs,
Tes pleurs...
C'est ton seul amour qui m'entraîne;
«Mon troupeau je laisse en la plaine,
«De le garder je ne prends pas la peine»;
Je veux plaire à mon seul Agneau
Nouveau.
Jésus, c'est toi l'Agneau que j'aime;
Tu me suffis, ô Bien suprême!
En toi j'ai tout: la terre et le ciel même:
La fleur que je cueille, ô mon Roi,
C'est toi!
Jésus, beau lis de la vallée,
Ton doux parfum m'a captivée.
Bouquet de myrrhe, ô corolle embaumée,
Sur mon cœur je veux te garder,
T'aimer!
Toujours ton amour m'accompagne;
En toi j'ai les bois, la campagne,
J'ai les roseaux, la lointaine montagne,
La pluie et les flocons neigeux
Des cieux.
En toi, Jésus, j'ai toutes choses,
J'ai les blés, les fleurs demi-closes,
Myosotis, boutons d'or, belles roses;
Du blanc muguet, j'ai la fraîcheur,
L'odeur.
J'ai la lyre mélodieuse,
La solitude harmonieuse,
Fleuves, rochers, cascade gracieuse,
Le doux murmure du ruisseau,
L'oiseau.
J'ai l'arc-en-ciel, j'ai l'aube pure,
Le vaste horizon, la verdure;
J'ai l'île étrangère et la moisson mûre,
Les papillons, le gai printemps,
Les champs.
En ton amour je trouve encore
Les palmiers que le soleil dore,
La nuit pareille au lever de l'aurore;
En toi je trouve pour jamais
La paix!
J'ai les grappes délicieuses,
Les libellules gracieuses,
La forêt vierge aux fleurs mystérieuses;
J'ai tous les blonds petits enfants,
Leurs chants.
En toi j'ai sources et collines,
Lianes, pervenche, aubépines,
Frais nénuphars, chèvrefeuille, églantines,
Le frisilis du peuplier
Léger.
J'ai l'avoine folle et tremblante,
Des vents la voix grave et puissante,
Le fil de la Vierge et la flamme ardente,
Le zéphir, les buissons fleuris,
Les nids.
En toi j'ai la colombe pure;
En toi, sous ma robe de bure,
Je trouve joyaux et riche parure,
Colliers, bagues et diamants
Brillants.
J'ai le beau lac, j'ai la vallée
Solitaire et toute boisée;
De l'Océan j'ai la vague argentée,
Perles, corail, trésors divers
Des mers.
J'ai le vaisseau fuyant la plage,
Le sillon d'or et le rivage;
J'ai, du soleil festonnant le nuage
Alors qu'il disparaît des cieux,
Les feux.
En toi j'ai la brillante étoile;
Souvent ton amour se dévoile,
Et j'aperçois comme à travers un voile,
Quand le jour est sur son déclin,
Ta main!
O toi qui soutiens tous les mondes!
Qui plantes les forêts profondes;
D'un seul coup d'œil, toi qui les rends fécondes,
Tu me suis d'un regard d'amour
Toujours!
J'ai ton Cœur, ta Face adorée,
De ta flèche je suis blessée...
J'ai le baiser de ta bouche sacrée,
Je t'aime et ne veux rien de plus,
Jésus!
J'irai chanter avec les Anges
De l'amour sacré les louanges...
Fais-moi voler bientôt en leurs phalanges.
O Jésus, que je meure un jour
D'amour!
Attiré par sa transparence,
Vers le feu l'insecte s'élance;
Ainsi ton amour est mon espérance,
C'est en lui que je veux voler,
Brûler...
Je l'entends déjà qui s'apprête,
Mon Dieu, ton éternelle fête!
Aux saules, prenant ma harpe muette,
Sur tes genoux je vais m'asseoir,
Te voir!
Près de toi, je vais voir Marie,
Les Saints, ma famille chérie;
Je vais, après l'exil de cette vie,
Retrouver le toit paternel
Au ciel...
Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur.
Armoiries de Jésus et de Thérèse[267].
Naissance: 2 janvier 1873.—Baptême: 4 janvier 1873.—Sourire de la sainte Vierge: 10 mai 1883.—Première Communion: 8 mai 1884.—Confirmation: 14 juin 1884.—Conversion: 25 décembre 1886.—Audience de Léon XIII: 20 novembre 1887.—Entrée au Carmel: 9 avril 1888.—Prise d'Habit: 10 janvier 1889.—Profession: 8 septembre 1890.—Prise de Voile: 24 septembre 1890.—Offrande de moi-même à l'Amour: 9 juin 1895.
EXPLICATION DES ARMOIRIES
——
Le blason est celui que Jésus a daigné apporter en dot à sa pauvre petite épouse, l'appelant Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face. Ce sont là ses titres de noblesse, sa richesse et son espérance.—La vigne qui sépare le blason est encore la figure de Celui qui daigna nous dire: «Je suis la vigne et vous êtes les branches; je veux que vous me rapportiez beaucoup de fruit[268].» Les deux rameaux, entourant l'un la Sainte Face, l'autre le petit Jésus, sont l'image de Thérèse qui n'a qu'un désir ici-bas, celui de s'offrir comme une petite grappe de raisin pour rafraîchir Jésus-Enfant, l'amuser, se laisser presser par lui au gré de ses caprices... et puis étancher aussi la soif ardente qu'il ressentit pendant sa Passion. La harpe représente encore Thérèse qui veut chanter sans cesse à Jésus des mélodies d'amour.
Le blason est celui de Marie-Françoise-Thérèse, la petite fleur de la sainte Vierge; aussi cette petite fleur est-elle représentée recevant les rayons bienfaisants de la douce Etoile du matin.—La terre verdoyante, c'est la famille bénie au sein de laquelle la fleurette a grandi. Plus loin se voit la montagne du Carmel, où Thérèse figure en ses armoiries le dard enflammé de l'amour qui doit lui mériter la palme du martyre. Mais elle n'oublie pas qu'elle n'est qu'un faible roseau; aussi l'a-t-elle placé sur son blason. Le triangle lumineux représente l'adorable Trinité qui ne cesse de répandre ses dons inestimables sur l'âme de la petite Thérèse; aussi, dans sa reconnaissance, n'oubliera-t-elle jamais cette devise:
«L'amour ne se paie que par l'amour.»
Bayeux, le 4 janvier 1911.
Nous, Evêque de Bayeux, sur le rapport qui Nous a été fait, autorisons d'imprimer en appendice à la Vie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus écrite par elle-même, la relation des grâces et guérisons attribuées à l'intercession de la Servante de Dieu et publiée sous le titre: Pluie de Roses.
Nous autorisons pareillement l'adjonction du récit qui Nous a été soumis de l'exhumation des restes de la Servante de Dieu, au cimetière de Lisieux.
† Thomas, Ev. de Bayeux et Lisieux.
——
Ces pages ne sont pas destinées à publier tous les bienfaits de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, mais seulement à en désigner quelques-uns à l'attention du pieux lecteur.
Les faveurs de tout genre attribuées à son intercession se multiplient d'une manière toujours plus rapide et plus universelle, comme on le verra dans ce premier recueil et dans un second opuscule: Pluie de Roses, II.
Ce second opuscule, contrairement à celui-ci, ne peut trouver place à la fin de l'«Histoire d'une ame».
Il ne sera parlé qu'incidemment des parfums. Les personnes qui ont été favorisées de ces émanations mystérieuses sont en très grand nombre. Il ne se passe guère de jour sans qu'il en soit question dans le volumineux courrier concernant la Servante de Dieu. Sur sa tombe et dans l'intérieur de son monastère les mêmes manifestations ne cessent de se produire.
Je veux passer mon Ciel a faire du bien sur la terre.
Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses.
(Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.)
1.
Monastère des Carmes Déchaussés, Wadourie,
Autriche (Gallicie), 9 octobre 1902.
Réparation.
Très Révérende Mère,
L'inscription placée en tête de cette lettre indique mon devoir de réparer une faute commise par moi envers votre petite sainte, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Il y a deux ou trois ans, quand on me présenta le manuscrit, avec traduction en langue polonaise de la vie de cette petite fleur du Carmel, je me suis permis de faire la remarque que la langue de notre pays ne sied aucunement au style de l'original, et que la lecture ne causerait que du dégoût. C'était comme mettre un frein à l'apostolat de cette élue de Dieu. Elle a dû prendre cela à cœur; et, en revanche, non seulement a su agir de manière que la dite traduction fût mise au jour, mais, de plus, s'est prise directement à ma personne.
Il y a une huitaine de jours, je suis rentré à la cellule, l'âme toute ballottée par les flots d'une mer orageuse de peines intérieures, et ne sachant où trouver refuge pour s'abriter. Voilà que mon regard s'arrête sur le livre français de la vie de la sœur vengeresse... Je l'ouvre, et je tombe sur la poésie: «Vivre d'amour.»
Soudain, l'orage s'apaise, le calme revient, quelque chose d'ineffable envahit tout mon être et me transforme de fond en comble. Ce cantique fut donc pour moi la barque de sauvetage: l'aimable sœur s'étant offerte pour pilote.
Je dois donc constater aujourd'hui que la promesse: «Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre... Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses», s'est réalisée en vérité.
Fr. Raphael de St-Joseph, Carm. Déch.,
Vicaire-Provincial.
(Le R. P. Raphaël Kalinowski mourut en odeur de sainteté, en l'année 1907. Sa cause de béatification est soumise à la sainte Eglise.)
2.
Marnes-la-Coquette (Seine-et-Oise), 10 novembre 1902.
Mme Héloïse Debossu, habitant à Reims, actuellement 9, rue Luiquet, et précédemment 5, avenue de Laon, souffrait depuis une dizaine d'années d'une tumeur fibreuse, située du côté gauche, un peu au-dessous des côtes. De nombreux médecins consultés réclamaient avec instance une opération, devenant chaque jour plus urgente. La malade ne voulut jamais y consentir. En désespoir de cause, elle fut soumise à divers traitements de massage et d'électricité qui ne lui procurèrent qu'un soulagement très passager. Au mois de janvier 1901, son état s'aggrava tellement qu'elle dut garder la chambre et même le lit à peu près continuellement. La maigreur et les souffrances étaient devenues effrayantes. Au mois de septembre, une péritonite venait même de se déclarer. C'est alors que, désespérant du côté de la terre, j'envoyai à la pauvre malade un sachet de cheveux de la chère et vénérée petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, en l'engageant à s'unir à une neuvaine que j'allais demander à votre Carmel. Le résultat ne se fit pas attendre. Le dernier jour de la neuvaine, la malade, guérie de sa tumeur, pouvait se rendre à sa paroisse et y faire la sainte communion en action de grâces. Depuis, ses forces n'ont fait qu'aller en augmentant. Sa figure annonce une santé parfaite, et sa maigreur a fait place à un embonpoint et à une fraîcheur de teint qui ne laissent aucun doute sur sa guérison. Tous ceux qui connaissent cette personne, qui l'ont vue si malade et si désespérée, s'accordent à proclamer la chère petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus comme l'agent merveilleux de sa guérison.
Voilà, ma Révérende Mère, simplement, sans phrases et sans exagération, l'entière et sincère vérité. Aussi, impossible de vous dire la reconnaissance de Mme Debossu pour son incomparable bienfaitrice.
Cinq ans après: 23 février 1907.
Je soussigné certifie que Mme Héloïse Debossu, née Dauphinot, qui fut guérie à la suite d'une neuvaine faite à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face, décédée au Carmel de Lisieux en 1897, a continué depuis 1902 à jouir d'une excellente santé et qu'elle demeure convaincue que sa guérison, aussi prompte que complète, est due entièrement et uniquement à l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face. Les médecins l'avaient condamnée et, même avec une opération, ne répondaient pas de sa guérison. Elle n'a pas été opérée et, à la fin de la neuvaine, elle qui gardait le lit depuis de longs mois, elle allait à pied communier à l'église de sa paroisse.
En foi de quoi, je signe la présente attestation.
L'abbé D. Petit,
Ancien directeur du Séminaire de Versailles,
actuellement curé de Marnes-la-Coquette[269].
3.
Marnes-la-Coquette (Seine-et-Oise), 23 janvier 1903.
Une dame Jouanne, mariée à un jardinier, et mère de deux enfants dont l'aîné a dix ans, eut à subir, il y a plus d'un an, une opération pour une double hernie étranglée. Elle faillit y laisser la vie. Depuis elle pouvait à peine se traîner, et sa maigreur était extrême. Il y a trois semaines environ, cette femme est retombée gravement malade d'une appendicite compliquée d'une péritonite complète. Les médecins déclarent qu'elle est perdue. Un matin de la semaine dernière, le mari se précipite chez moi: «Venez vite, Monsieur le Curé, elle se meurt.» Un grand chirurgien de Paris, celui-là même qui précédemment l'avait opérée de sa double hernie, appelé par son confrère de Ville-d'Avray, était venu la veille pour tenter une opération. La malade avait été endormie. On lui ouvre le ventre, mais on se trouve en présence de tels abcès et de pus répandu, que vite on renonce à toute opération et qu'après quelques points de suture, pour rejoindre tant bien que mal les bords de la plaie, on déclare qu'elle n'a plus que quelques heures à vivre, un jour ou deux tout au plus.
J'arrive promptement. La malade ne pouvait plus parler, avait le teint cadavérique, était glacée et semblait ne plus avoir qu'un souffle. Elle gardait cependant sa connaissance. Je lui adresse du fond du cœur quelques mots, je lui recommande de se mettre intérieurement sous la protection de notre bien-aimée petite Thérèse, puis je lui donne l'absolution et l'indulgence de la bonne mort. J'avais oublié les Saintes Huiles, peut-être par une permission de Dieu.
La religieuse qui était près d'elle déclarait qu'elle baissait de minute en minute. Alors je glisse, en la prévenant, sous le traversin de la malade, un sachet renfermant des feuilles de roses dont Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus avait caressé son crucifix.
Le même jour, les vomissements, qui depuis six jours étaient continuels, cessaient entièrement; le surlendemain, les médecins déclaraient qu'elle était hors de danger et lui permettaient des aliments. Cinq jours après, le mari venait me dire et la joie de la malade et toute sa reconnaissance pour la chère petite sainte.
Vous le voyez, ma Révérende Mère, un rien qu'a touché cet ange a une valeur et une vertu inexprimables...
Du même, 23 juillet 1907.
M{me} Jouanne, femme du jardinier, guérie miraculeusement, il y a près de cinq ans, par S{r} Thérèse de l'Enfant-Jésus, n'habite plus depuis longtemps déjà ma paroisse; elle demeure actuellement à Versailles. Je l'ai revue plusieurs fois en parfaite santé; elle conserve pour notre chère petite sainte la plus vive et la plus durable reconnaissance. Comme moi, elle attribue uniquement sa guérison si surprenante, si éclatante et si subite à la relique de S{r} Thérèse. Tous les détails que je vous ai donnés au moment de sa guérison sont de la plus exacte vérité et je les confirme de nouveau en son nom et au mien par la présente.
L'abbé D. Petit,
Curé de Marnes-la-Coquette.
4.
T. (Morbihan), 28 mai 1903.
Que je l'aime, cette petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus! Combien de fois n'est-elle pas venue à mon secours dans les luttes acharnées, et pour ainsi dire corps à corps, que me livre l'enfer contre la sainte vertu! Je ne puis les nombrer. Hélas! ma bonne Mère, depuis trente ans, je subis ce martyre. J'ai soixante ans passés, et l'ennemi est toujours sur la brèche. La mort me serait préférable mille fois à ces luttes journalières. Mon auxiliaire de tous les jours, de tous les instants a été notre bonne Mère du Ciel. Mais depuis cinq ou six mois, la Très Sainte Vierge m'a confié à votre chère sainte que j'aime autant et plus que si j'étais son frère. Et le bien qu'elle m'a fait, je serais prêt à en rendre témoignage 'devant quelque tribunal que ce soit, quand viendra le moment où l'Eglise s'occupera d'elle.
Je ne puis que vous engager, ma bonne Mère, à exhorter les âmes que vous sauriez soumises à cette épreuve humiliante de s'adresser à cette chère petite bienheureuse.
R. P. Eugène (décédé).
——
5.
N. (Meurthe-et-Moselle), 7 mai 1905.
Une jeune fille de dix-neuf ans, très chère à ma famille, était atteinte de l'appendicite. Quand les médecins s'aperçurent du mal, il était déjà trop tard. Cependant, après avoir longtemps hésité, l'opération fut décidée; mais la gangrène s'était déjà étendue aux parties environnantes, et l'opération dut être écourtée. Huit jours après, la pauvre jeune fille était à toute extrémité, et on n'attendait plus qu'un dénouement prochain. De plus, une fissure s'était produite dans l'intestin et avait singulièrement compliqué le cas: bref, suivant toutes les prévisions humaines, tout espoir était perdu.
Je m'empressai de porter à la mourante ce que j'avais de plus cher; des cheveux de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et une neuvaine fut commencée. Deux jours après, subitement, la fissure se ferma; et, depuis ce moment, le mieux a continué, si bien et si vite que la chère malade est absolument hors de danger, se lève plusieurs heures par jour et n'a plus qu'à reprendre des forces.
L'étonnement des médecins ne peut s'exprimer. «Je vous avoue, disait le chirurgien en chef, que je n'avais jamais eu le moindre espoir, je la croyais bien perdue... Cette guérison est un phénomène, c'est à n'y rien comprendre!»
Nous, ma Révérende Mère, nous comprenons bien! R. P. M. R.
——
6.
Cracovie (Autriche), 19 mai 1906.
Le frère Ignace Boron, coadjuteur de notre Compagnie de Jésus, souffrait cruellement de pierres dans le foie, depuis Noël 1905 jusqu'au 20 mars de cette année. Deux médecins, professeurs de l'Université, MM. P. et D., avaient déclaré le mal incurable. Le professeur K., célèbre chirurgien, disait qu'une opération était indispensable.
Après avoir fait inutilement plusieurs neuvaines, nous en avons commencé une au Sacré-Cœur et à la très sainte Vierge par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus de Lisieux. Le deuxième jour de la neuvaine, le frère eut une crise, et le troisième, il se leva complètement guéri, au grand étonnement des docteurs qui déclarèrent le fait inconnu à la médecine.
R. P. K., S. J.
Carmel de Cracovie, 20 mai 1906.
Le 19 mai, le R. P. K. est venu dire chez nous une messe d'action de grâces, où le frère Boron a communié. Ce dernier a dit qu'il se sent tout rajeuni, tout renouvelé, et mieux portant qu'il ne l'a jamais été.
——
7.
Nancy (Meurthe-et-Moselle), 11 septembre 1906.
Gabrielle-Marie-Antoinette Barroyer, née le 4 août 1896, est tombée malade en décembre 1900. Des suites d'un fort rhume et d'une rougeole infectieuse lui est venue la terrible maladie appelée tuberculose. Du nez et des yeux, il sortait un pus dont l'odeur nauséabonde était si repoussante qu'il fallait vraiment la tendresse et le dévouement de ses parents pour procéder au nettoyage si minutieux de ces parties malades.
En mars et avril 1901, le mal empira et le péritoine se contamina comme les yeux et le nez; le ventre devint très gros et très dur: il se couvrit de boutons énormes d'où s'écoulait également du pus. La petite malade eut des crises très violentes qui formèrent des nœuds sur le dessus de la main droite et au pied gauche. C'était la tuberculose qui gagnait les extrémités. A partir de ce jour, on ne put lever la pauvre enfant que pour la mettre dans une longue voiture, où elle passait ses journées au grand air, dans le jardin.
Vers la fin de cette année 1901, les douleurs des yeux, du nez et du ventre semblèrent diminuer d'intensité; mais les grosseurs, celle de la main droite surtout, augmentèrent d'une manière effrayante. Le docteur nous dit que c'était la tuberculose qui se localisait, qu'il fallait absolument une opération. Après avoir au préalable essayé toutes sortes de remèdes sans aucun résultat, l'opération fut fixée au mois de mai 1902; elle réussit bien, mais la maladie était restée; et, après de grandes souffrances, la grosseur reparut avec une nouvelle vigueur, un peu en dessous de l'ancienne.—En avril 1903, on recommença de nouveau l'opération, on enleva un petit bout de l'os du dessus de la main, os fonctionnant avec le grand doigt et qui se putréfiait; mais on ne fut pas plus heureux que la première fois; et, toujours après quantité de soins de toute nature, on recommença une troisième opération en mars 1904. Ce fut en vain; le mal revint ensuite, plus intense encore que les fois précédentes; on brûla, pendant de longues séances, au crayon de nitrate d'argent; rien ne fit.
Un jour, je demandai à voir la main de ma pauvre petite fille, on refusa d'abord, puis on céda enfin à mes instances; mais quelle douleur j'éprouvai à ce triste spectacle: on aurait dit deux énormes lèvres d'un bleu noirâtre, toutes tuméfiées. Ce jour-là, on m'avoua qu'il fallait recommencer un quatrième grattage de l'os. Il faut être mère pour comprendre tout ce que renfermait d'inquiétudes pour nous le sort de notre chère enfant.
Quand enfin mon cher cousin, M. l'abbé Renard, touché de notre affliction, ému de voir souffrir ainsi ce petit ange, nous proposa de faire une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Nous acceptâmes cette nouvelle espérance, car depuis longtemps nous avions adressé neuvaines sur neuvaines à différents saints de notre choix; mais Dieu voulait se manifester pour la gloire et l'honneur de sa jeune et si dévouée servante, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Mon cousin nous apporta une relique de cette angélique sœur, et chaque soir, pendant la neuvaine, nous l'appliquions sur la main malade. Est-il besoin de dire la foi, l'espérance que nous avions en adressant notre prière à Dieu par l'intercession de sa fidèle épouse? Mais ce n'est pas à nos prières seulement que nous devons d'avoir fléchi le bon Dieu; mon cher cousin priait et faisait prier légion de belles âmes avec nous.
Dès le quatrième jour de la neuvaine, un mieux très sensible fut constaté par le médecin et on conclut que l'opération ne serait peut-être pas nécessaire. Le huitième jour, nouvelle visite du docteur; non seulement le mieux se maintenait, mais cette fois, il nous dit qu'on n'opérerait pas. La bonne sœur Charles, qui soignait ma petite fille, me demanda ce que nous faisions, car la rapidité de cette belle amélioration l'avait frappée. Nous lui donnâmes notre recette. «Ah! ne vous arrêtez pas, nous dit-elle, et faites une autre neuvaine, je me joindrai à vous.» Nous recommençâmes immédiatement une autre supplique, dans les mêmes conditions que la précédente. A la fin de cette seconde requête, ma petite Gabrielle fut guérie complètement. Je lui laissai néanmoins un petit linge sur la main pendant une partie du mois de juillet de la même année 1904, parce que la peau reformée était encore trop fine, mais, après cela, je lui laissai la main libre, et depuis elle se fortifie et l'enfant aussi.
Nous gardons une profonde reconnaissance à Dieu et à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, que nous continuons d'invoquer en notre particulier, en attendant que nous puissions la prier comme une sainte.
E. Barroyer.
——
8.
P. R. (Bretagne), 7 janvier 1907.
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus vient de m'accorder une grâce inespérée de conversion.
A la fin d'une neuvaine à cette petite sainte, une femme âgée, en état de péché mortel dès avant sa première Communion qui fut mauvaise, après une vie toute de désordres, de scandales et de sacrilèges, s'est sentie prise d'un tel repentir, après avoir contemplé cinq minutes au plus l'image de la Sainte Face, peinte par une de vos sœurs, qu'elle a fondu en larmes et a voulu faire au plus tôt sa confession générale. Vous dire son bonheur actuel et sa reconnaissance envers Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus est chose impossible.
——
9.
R. (Bretagne), 11 janvier 1907.
Au mois de juillet dernier, ma santé, déjà ébranlée par une longue maladie d'estomac, me laissa dans un état de langueur difficile à décrire; j'étais devenue si maigre qu'il me fut bientôt impossible de faire un mouvement. Je m'alitai le 20 juillet, et, depuis ce jour, incapable même de soulever ma tête sur l'oreiller, je fus obligée de me confier complètement aux religieuses qui me soignaient. Cependant, mon état s'aggravait encore: mon bras droit, devenu paralysé, me refusait tout service; et les médecins me condamnèrent.
Ma sœur aînée, Carmélite à A., eut la pensée d'invoquer la sainte Vierge, par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, pour obtenir ma guérison. Deux neuvaines successives n'amenèrent aucune amélioration. Enfin, nous commençâmes une troisième neuvaine, et la Prieure des Carmélites m'envoya une relique de la robe de Sr Thérèse, m'engageant à la porter sur moi. Pendant cette troisième neuvaine, mon état devint plus alarmant, les médecins, perdant tout espoir, cessèrent leurs visites; mes parents et les autres personnes qui m'entouraient reconnurent que c'était la fin. Je reçus l'extrême-onction le 29 août au soir; et, dans la pensée de chacun, tout devait être fini le lendemain matin.
Ma mère eut cependant un dernier espoir; elle écrivit aussitôt au sanctuaire de Notre-Dame des Victoires pour demander une messe. Nous recourions ainsi de nouveau à la sainte Vierge, toujours par l'entremise de la petite Sr Thérèse.
La messe fut célébrée le lendemain à 10 h. 1/2; pendant ce temps les supplications redoublèrent, et cette fois le ciel se laissa fléchir. Pendant la messe, une vigueur toute nouvelle me transforma: Sr Thérèse, le dernier jour de la troisième neuvaine, exauçait enfin nos prières en me guérissant.
Marie-Thérèse L. (22 ans).
——
10.
Carmel de Nîmes exilé à Florence, Italie, 3 avril 1907.
Avec quel bonheur je viens vous dire le miracle opéré par notre angélique Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Aidez-nous à lui dire merci! Oh! qu'elle est puissante, ma Mère!
Sr Joséphine, l'une de nos sœurs converses, fut atteinte, le 18 janvier 1907, d'une pneumonie déclarée infectieuse. En quatre jours, elle fut à toute extrémité, la fièvre montait à 43°. Aussitôt que je compris la gravité du mal, je m'adressai avec une confiance inébranlable à l'ange de Lisieux; je plaçai son image au chevet du lit de la malade qui, elle, ne désirait pas guérir.
Cependant, le sixième jour de la maladie, le docteur ne nous laissa plus aucun espoir, et nous avertit de lui faire recevoir les derniers sacrements, craignant un dénouement fatal pour le lendemain.
Je voulus passer cette dernière nuit auprès de notre chère enfant: mais nos sœurs m'obligèrent à aller prendre un peu de repos, ce que je fis pour ne pas les contrister, mais en redoublant mes instantes prières à notre sœur du Ciel.
Vers 2 heures du matin, je fus réveillée par une force mystérieuse, j'avais l'intuition que notre Sr Joséphine était à l'agonie. J'accourus immédiatement et la trouvai, en effet, sur le point de rendre le dernier soupir, elle était noire... les yeux vitrés... D'une voix étouffée elle balbutia: «Ma Mère, je ne puis pas mourir!»
Je dis à la Mère Sous-Prieure qui me pressait de faire les prières des agonisants: «Non, la petite Thérèse la guérira», et je récitai le Credo avec toute l'énergie de ma foi. J'avais dans l'âme une sorte de saisissement, comme si notre petite S' Thérèse de l'Enfant-Jésus m'eût touchée, pour me signifier que le miracle était obtenu. Et je crus à cette touche inoubliable et je dis tout haut: «S' Joséphine est sauvée!» Elle l'était, en effet. La crise de suffocation s'apaisa, les yeux reprirent de la vie et de l'éclat. Le lendemain, le docteur vint constater lui-même la résurrection de celle dont il croyait constater la mort. A plusieurs reprises, il s'écria: «C'est un miracle! oui, c'est bien un miracle.»
Et maintenant, ma Révérende Mère, que vous dirai-je? Jusqu'à mon dernier soupir, ces souvenirs resteront gravés dans mon cœur pour en rendre grâce à Dieu.
Sr M., prieure.
Suit le certificat du médecin.
——
11.
Dinan (Côtes-du-Nord), 7 mai 1907.
Au mois de juin 1902, le jour de la Fête-Dieu, ma mère, souffrante depuis le matin, fut obligée de se coucher. Nous croyions à une grippe, mais, le lendemain et les jours suivants, elle fut très malade. Le docteur vint chaque jour pendant plusieurs semaines, essayant de tout et ne voyant pas de quelle nature pouvait être la maladie. Il était impossible de faire prendre à ma mère aucune nourriture, les œufs l'empoisonnaient. Elle était arrivée à un tel état de faiblesse que le docteur ne put nous cacher la gravité du mal. Un second médecin fut alors appelé. Tous deux disaient: «Elle se meurt.»
Madame la Supérieure de l'hospice de Dinan, très dévouée à ma famille, ne nous cachait pas son extrême inquiétude. Un jour, la sœur qui soignait ma mère nous appela en toute hâte. Nous montâmes, mon frère et moi. Maman n'avait plus de connaissance, ses yeux étaient vitrés. Epouvantés, nous envoyons chercher le docteur; il fit une piqûre d'éther et la connaissance revint. Depuis plusieurs jours, elle ne pouvait parler qu'avec une extrême difficulté; ce jour-là, ce fut bien pis et les crises se renouvelèrent dans l'après-midi. Enfin, le soir, vers 8 h. 1/2, une dernière faiblesse survint. Quand la violence de la crise fut un peu calmée, la connaissance ne revenant pas, Monsieur l'Aumônier de l'hospice apporta les Saintes Huiles. Mon frère et moi, nous étions comme fous de douleur. Alors, je me rappelle que nous avions une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus: c'étaient des cheveux. Je la mets au cou de maman: immédiatement elle s'endort. Quelques heures après, elle se réveille, parlant parfaitement; elle me dit qu'elle était très bien. La sœur et moi n'eûmes pas un instant de doute, ce n'était pas un mieux trompeur. Maman était guérie. Le lendemain elle s'est levée, a voulu manger des œufs; je ne les lui donnai qu'en tremblant, mais ils ne lui firent aucun mal. Le docteur vint encore pendant plusieurs jours, car il ne voulait pas croire à cette guérison. Il fut bien forcé de convenir de la vérité.
Est-il nécessaire de vous dire, ma Révérende Mère, quels furent notre bonheur et notre reconnaissance. Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, une fois de plus, avait fait du bien sur la terre.
M. P.
——
12.
Carmel de R. (Aveyron), 27 avril 1908.
Ma Révérende Mère,
Permettez à une humble petite sœur du Carmel de venir vous faire part d'une grande faveur dont elle vient d'être l'objet ces jours-ci, par l'intercession de notre chère Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Depuis six ans, ma santé était mauvaise et la faiblesse m'avait occasionné une extinction de voix. Je ne parlais qu'à voix basse depuis seize mois et encore avec beaucoup de peine. Un grand nombre de remèdes avaient été employés, et tous étaient restés sans effet. La communauté avait adressé de ferventes prières au Saint Enfant Jésus de Prague, mais notre aimable «Petit-Grand» était resté sourd à nos supplications.
Notre Révérende Mère nous ayant lu, en récréation, les nombreuses faveurs déjà obtenues par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et consignées dans la grande édition de sa Vie, la pensée de s'adresser à cette petite sainte pour solliciter le recouvrement de ma voix fut générale, et, le lundi de Pâques, 20 avril, notre Mère commençait en communauté une neuvaine en l'honneur de la Sainte Face, afin d'obtenir, par l'intercession de sa dévouée Servante, la grâce désirée. Elle promit, si nous étions exaucées, de propager le plus possible les images de la Sainte Face et aussi la Vie de la petite sainte.
Le second jour de la neuvaine, dans la matinée, étant occupée à un travail manuel, je repassais intérieurement le cantique «Vivre d'amour». Arrivée à ces vers:
Vivre d'amour, ce n'est pas sur la terre
Fixer sa tente au sommet du Thabor,
il me prit envie de les chanter. O surprise! Sans effort, je pus en fredonner quelques mots, quoique péniblement. Le lendemain, je parlais bien distinctement; enfin, le jeudi, quatrième jour de la neuvaine, je fus complètement guérie. Depuis je chante, je fais la lecture au réfectoire, sans la moindre difficulté; il y a six ans que j'étais privée de cette satisfaction!
Vous trouverez ci-joint, ma Révérende Mère, un mandat de 300 francs, sur lesquels vous voudrez bien nous envoyer quelques exemplaires de la Vie de notre puissante «petite Reine». Le reste vous est envoyé par ma famille, pour aider à l'achat de la châsse qui devra renfermer son corps, lorsque l'Eglise l'aura déclarée bienheureuse.
Témoignage de la Révérende Mère Prieure.
Dès le second jour de la neuvaine, la voix de notre chère malade devint un peu plus libre; chaque jour, le mieux s'accentuait, et vers la fin de la neuvaine, elle était entièrement revenue à son état normal. Notre chère sœur put reprendre immédiatement l'office de lectrice au réfectoire, ce qu'elle continua toute la semaine sans fatigue. Quatre mois se sont écoulés depuis, et notre sœur jouit toujours de sa bonne voix. L'état général s'est aussi sensiblement amélioré, et plusieurs accidents qui se produisaient souvent, tels que crachements de sang, n'ont pas reparu.
Notre angélique Sr Thérèse a bien voulu donner une preuve de son affection fraternelle à notre sœur et à toute notre Communauté: qu'elle en soit mille fois remerciée!
Carmel de R., le 27 août 1908.
Sr S., prieure.
Suit le certificat du médecin.
——
13.
Saint-S. (Creuse), 12 mai 1908.
Devant aller prêcher une mission, j'en mis le succès sous la protection de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, cette âme si fidèle à la grâce pendant toute sa vie. Je promis en retour, au cas où les prédications produiraient des fruits de salut, de les lui attribuer pleinement et de les publier pour hâter sa béatification.
Je tiens à vous dire aujourd'hui, ma Révérende Mère, que cette mission a été particulièrement bénie. Grâce à la puissante intercession de votre sœur du Ciel, les pécheurs se sont convertis en grand nombre. Nous étions très surpris, mon confrère et moi, des accents que le divin Maître nous mettait dans le cœur et sur les lèvres, pour tenir notre auditoire attentif, d'une façon soutenue. Et certes, ils avaient du mérite à nous écouter, les pauvres gens! car, pendant huit jours, ils venaient tous les soirs de plusieurs kilomètres, parfois de deux lieues, malgré la neige, la pluie et le vent, dans une église où nous les gardions deux longues heures. En s'en retournant, ils étaient obligés de s'éclairer avec des flambeaux pour se préserver des précipices, dans des chemins épouvantables.
Que Dieu bénisse votre Carmel d'avoir fait connaître un ange qui lui ramène tant d'âmes!
——
14.
S., Belgique, 15 mai 1908.
Le Curé de la paroisse de H. se recommande particulièrement à vos prières. Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, à laquelle il avait confié le succès d'une retraite d'hommes, a attiré de telles bénédictions sur celle-ci et opéré de si éclatantes conversions que toutes ses espérances de pasteur ont été dépassées.
T. P.
——
15.
Je reconnais que ma fille Reine, âgée de 4 ans 1/2, était atteinte, depuis le 11 janvier 1906, d'une maladie des yeux reconnue incurable par les médecins.
Après seize mois de soins inutiles, ma femme porta notre enfant aveugle sur la tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et nous commençâmes une neuvaine à cette petite sainte. Dès le deuxième jour, le 26 mai 1908, avant-veille de l'Ascension, pendant que ma femme était à la Messe de 6 heures, car elle se proposait d'y aller tous les jours de la neuvaine, ma petite Reine, après une crise violente, recouvra subitement la vue. Ce que ma femme a d'abord constaté, et moi ensuite.
Le docteur L. tient de ma femme elle-même tous les détails qu'il donne à ce sujet et je les reconnais conformes à la vérité.
En foi de quoi, avec beaucoup de reconnaissance pour le miracle opéré en notre faveur, nous signons le présent certificat avec les témoins.
A. F.—J. F.
Suivent 11 signatures.
Samedi, 12 décembre 1908.
Observation médicale de la jeune Reine F., âgée de 4 ans et demi, demeurant à L..., atteinte de kératite phlyctémulaire et guérie le 26 mai 1908.
Reine F. n'a jamais été malade, sauf de la rougeole quand elle avait un an.
Le 11 janvier 1906, elle a commencé à souffrir des yeux. Ses paupières étaient collées et renfermaient du pus, les yeux étaient rouges et irrités. Au bout de quinze jours, on la conduisit au docteur D., qui lui continua ses soins pendant plus d'un an. La malade avait des rémissions pendant quelque temps, puis survenaient des crises plus aiguës. Elle vit trois oculistes: le docteur D. à L., et les docteurs M. et L. à C. Ceux-ci dirent à la mère de ne pas leur ramener l'enfant, parce que ses yeux étaient perdus. Ils étaient, en effet, injectés de sang et couverts de taies blanchâtres (une douzaine environ). L'enfant souffrait beaucoup, surtout la nuit. Elle ne voyait pas pour se conduire et ne distinguait aucun objet placé devant elle. Elle tenait les yeux fermés et portait des lunettes pour souffrir moins.
Touchée de cet état, une religieuse de la Providence à L., maîtresse de la classe enfantine, conseilla à la mère de demander la guérison de sa petite infirme à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la porter sur sa tombe, en lui recommandant d'avoir d'autant plus de confiance que sa fille s'appelait Reine, nom que M. Martin, père de Sr Thérèse, se plaisait à donner à celle-ci. La mère hésitait. Elle se décida cependant, après la lecture de la vie abrégée de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et porta l'enfant au cimetière. Elle demanda au Carmel une neuvaine de prières.
Le lendemain, 26 mai 1908, avant-veille de l'Ascension, elle assista à la Messe de six heures et demie et mit un cierge à la sainte Vierge en l'honneur de Sr Thérèse.
En rentrant chez elle, on lui apprend que sa fille a eu une crise de souffrance plus forte que les autres. «Mets tes lunettes, puisqu'elles te soulagent», dit la mère à la fillette. Mais celle-ci de s'écrier toute joyeuse: «Maman, je n'en ai plus besoin, je vois aussi bien que toi, à présent.»
Alors la mère approche l'enfant de la fenêtre et appelle son mari: «Regarde ta fille! Tu te moquais de ma confiance, vois ses yeux! Elle est guérie!»
En effet, les yeux grands ouverts n'étaient plus rouges; il n'y avait plus de pus, d'inflammation ni de taies, et l'enfant voyait distinctement tout ce qui l'entourait.
Depuis elle n'a eu aucune rechute. Le docteur D. la déclara complètement guérie de sa kératite phlyctémulaire et délivra un certificat à la date du 6 juillet 1908.
Cette maladie, très fréquente chez les enfants à constitution faible et lymphathique, est caractérisée par des ulcérations de la cornée. Elle est sujette à des récidives très fréquentes, d'abord, puis, à intervalles plus éloignés, à mesure que l'enfant se fortifie. Elle ne peut donc guérir que très lentement, et elle laisse presque toujours des traces indélébiles, sous forme de taies plus ou moins opaques.
Dr L.
L., le 7 décembre 1908.
Suivent les témoignages recueillis par le docteur, des différentes personnes qui ont vu l'enfant avant et après sa guérison.
Témoignage des Carmélites de Lisieux.
Nous, soussignées, avons entendu les parents de Reine F, et vu cette enfant au parloir. La mère nous a fait exactement le même récit qu'au docteur L. Elle a ajouté que le premier jour de la neuvaine, elle avait cueilli sur la tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus deux petites feuilles de géranium et les avait placées chez elle avec respect. Le père nous a affirmé que le docteur D. leur avait déclaré que, s'ils voyaient les yeux de leur petite fille devenir phosphorescents, c'était signe qu'ils étaient perdus, sans aucun espoir de guérison; or, qu'ils avaient vu tous deux ce phénomène se produire.
La femme nous a dit encore que le 25 mai 1908, elle était allée chez Mme D., boulangère, dans la même rue, pour acheter un petit pain; que, le lendemain, elle y était retournée pour montrer son enfant guérie, et que cette dame, après avoir examiné les yeux de l'enfant qu'elle avait vus si malades, la veille encore, s'était écriée avec une grande émotion: «Ah! ma pauvre femme, c'est un grand miracle qui s'est opéré chez vous!»
Marie F., âgée de 9 ans et demi, nous a dit avoir vu sa petite sœur, au matin du 26 mai, s'apaiser tout à coup, après sa grande crise, puis regarder fixement quelque chose en souriant, et faisant des gestes d'amitié avec son petit bras; enfin, s'endormir paisiblement. «J'ai pensé, nous dit-elle, quelle se guérissait et regardait les objets au fond de la chambre. Je lui ai demandé ensuite ce qu'elle avait tant regardé et pourquoi elle avait ri. Elle m'a répondu: «J'ai vu la petite Thérèse, là, tout près de mon lit, elle m'a pris la main, elle me riait, elle était belle, elle avait un voile, et c'était tout allumé autour de sa tête.»
L'enfant nous a raconté la même chose à nous-mêmes. Devant nous, sa mère a essayé de l'effrayer en lui disant de prendre garde de mentir, ou bien que la «petite Thérèse» lui reprendrait ses yeux. Elle s'est retournée vers sa mère et lui a répété avec assurance: «Oui, maman, c'est vrai, je l'ai vue...»—«Comment était-elle habillée, ma petite Reine?» lui dîmes-nous.—«Pareille à vous!»
5 février 1909.
Suivent les signatures de la Mère Prieure et de plusieurs religieuses.
——
16.
Le C., Juin 1908.
Un matin, en allant à la Messe, je demandai avec une très grande confiance au Sacré-Cœur et à Notre-Dame des Victoires, par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, la conversion d'une âme qui—je le savais par ses confidences—n'était point sincère dans ses confessions.
Le soir de ce même jour, je rencontre cette personne qui me dit: «Oh! je ne sais pourquoi, mais aujourd'hui j'ai été très tourmentée au sujet de la confession et c'est ce qui ne m'arrive jamais.» Le lendemain, elle alla se confesser et revint aussitôt me voir pour me dire combien elle était heureuse.
X.
——
17.
Constantinople, 8 juin 1908.
Mon mari vivait depuis seize ans loin des sacrements et ne voulait rien entendre à ce sujet. Un jour, ma fille, en revenant de l'école, me parla de la petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et ce qu'elle m'en dit m'inspira beaucoup de confiance. Le soir même, nous récitâmes un Pater et un Ave pour obtenir de la chère sainte la conversion désirée et, dès le lendemain matin, mon mari me dit spontanément: «Cette année, je veux faire mes Pâques et désormais je m'approcherai plus souvent des sacrements.» C'était le Mercredi Saint, et, tout transformé et tout joyeux, il communia le Jeudi Saint. Maintenant, il communie tous les mois.
——
18.
X., Italie, 8 août 1908.
Quelques mois avant mes vœux perpétuels et mon sous-diaconat, je traversai une crise violente dont mon avenir sacerdotal et religieux a évidemment dépendu. Au plus fort de la lutte, sans aucune initiative de ma part, la pensée de votre sainte s'est imposée à mon esprit avec une obstination et un charme irrésistibles. Elle a continué à m'occuper ainsi tout le jour, sans que je dusse faire des efforts pour chercher sa chère pensée; elle m'a appris à l'appeler ma Mère, et à mettre en elle toute l'espérance de mon âme. Elle m'a béni mieux encore que par ses joies sensibles; elle a «tourné» mon cœur. Mon directeur, un homme prudent et réservé s'il en fut, a été extrêmement frappé de ce qui s'était passé en moi, des changements subits et inexplicables qu'elle y avait faits, et il m'a dit: «Il y a là quelque chose d'extraordinaire: c'est une grande grâce que vous avez reçue!» Ce que je vous dis en termes un peu voilés, ma bonne Mère, je serais heureux de pouvoir vous le dire clairement de vive voix. Alors vous comprendriez mieux comment elle est ma Mère, la mère de mon sacerdoce et de tous mes apostolats futurs; vous comprendriez combien je désire la faire bénir comme je la bénis, aimer comme je l'aime.
B.
——
19.
Estado do Ceara, Brésil, 21 août 1908.
Mon père était très malade et avait déjà reçu les derniers sacrements, quand, providentiellement, une personne amie m'apporta une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Elle-même adressa ces questions au malade qui souffrait extrêmement: «Croyez-vous que cette petite sainte puisse obtenir votre guérison? Voulez-vous suspendre à votre cou cette relique?—Oui!» a répondu mon père avec une grande foi.
Alors j'ai fait une prière à la «petite Reine», et aussitôt mon père s'est trouvé très bien.
J'ai promis de publier cette guérison extraordinaire.
A. C.
——
20.
S. J. (Calvados), 23 septembre 1908.
Ma Révérende Mère,
Je suis allée faire un pèlerinage sur la tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus en reconnaissance d'une grande faveur obtenue par son intercession.
Voici le fait.
Le jour de la Pentecôte, mon frère a été pris d'une arthrite infectieuse dans le genou gauche. Quelques jours après, une péricondite se déclarait au cœur, puis une miocardite. Son état alors réclama son transport dans une maison de santé; il fallait près de lui la présence continuelle d'un médecin. En arrivant à l'hôpital Saint-Joseph, médecins, internes, religieuses se sont écriés: «C'est un mourant que vous nous amenez, il ne passera pas la nuit.» Pendant plusieurs jours, son état était si désespéré que les personnes qui le soignaient ne lui faisaient aucun traitement, aucun remède, prétextant que c'était un condamné à mort et qu'il valait mieux le laisser mourir tranquille. Pendant trois semaines, il ne prit qu'un peu de champagne, et sa faiblesse était si grande qu'il perdait souvent connaissance.
Nous avons été amenés à prier Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus par ma sœur aînée, religieuse Carmélite. Ma sœur, mon frère et moi avons commencé une neuvaine, et, le dernier jour, mon frère était hors de danger.
Les personnes qui l'ont soigné sont encore dans l'étonnement de cette guérison.
L. M.
——
21.
F., Angleterre.
Dans la troisième semaine de juin 1908, sœur Catherine C., postulante au noviciat de la congrégation de X., Londres, glissa malheureusement deux marches d'un escalier et se foula gravement le pied. Le repos et les remèdes ordonnés par le médecin n'apportèrent aucune amélioration. Le pied restait enflé et décoloré, de sorte que la sœur ne pouvait marcher.
On fait examiner la blessure à l'Hôpital du Royal Collège
au moyen des Rayons X,
et le pied malade est enfermé dans une gouttière de plâtre. Le chirurgien ordonne qu'il reste ainsi durant six semaines. Au bout de ce temps, le mal n'ayant point diminué, et la sœur souffrant beaucoup, on essaya un vésicatoire pour réduire l'enflure, mais sans plus de succès. Enfin, le spécialiste de l'Hôpital fut appelé à F. Après une consultation avec le médecin du couvent, il donna une très sérieuse appréciation du mal, et déclara qu'il n'espérait le guérir que sous sa particulière surveillance.
Une opération devient nécessaire.
Ayant su que les parents de la novice désiraient qu'elle fût soignée chez eux, le spécialiste parla d'écrire à un certain professeur du pays pour lui donner ses conseils au sujet de l'opération. De plus, il avertit que les plus grandes précautions seraient à prendre pour le voyage, et que le moindre choc suffirait pour aggraver le mal et rendre une amputation inévitable.
Le mardi suivant, 3 novembre, le Révérend Père C., frère de la novice, arriva à F. dans le but de la ramener chez elle. Il fut bien affligé de l'état de son pied, et, en le voyant d'une si mauvaise couleur, enflé et complètement informe, il comprit clairement qu'une opération devenait urgente.
On prit des mesures pour qu'une voiture d'ambulance se trouvât prête dès l'arrivée de l'infirme à G. Jusqu'alors on avait caché à sœur Catherine la nécessité de son départ. Elle fit des instances pour rester au monastère, mais le cas était trop grave et il lui fallut accepter l'épreuve. Elle fit donc bien tristement ses adieux au noviciat, et la voiture qui devait l'emporter loin du couvent qu'elle aimait et regrettait si vivement, fut demandée pour le lendemain matin, à huit heures et demie.
Venons maintenant à la Thaumaturge
qui intervint si merveilleusement cette nuit-là même.
Lors de l'accident, on avait placé sur le pied malade une médaille du Sacré-Cœur, on avait employé de l'eau de Lourdes pour les pansements. Des neuvaines furent faites au Sacré-Cœur, à la très sainte Vierge et à plusieurs saints, mais le Ciel semblait sourd à toutes les demandes.
Le 30 octobre, après la décision du chirurgien, sœur Catherine, de l'avis de sa Supérieure, commença une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et plaça parmi ses bandages un pétale de rose avec lequel Sr Thérèse avait autrefois embaumé et caressé son crucifix, sur son lit d'agonie. On avait d'ailleurs dans le couvent une grande dévotion à cette jeune sainte contemporaine, et cette dévotion était sur le point de recevoir sa récompense.
«Le vendredi soir, 30 octobre, écrit sœur Catherine dans sa relation, j'avais commencé une neuvaine à la «Petite Fleur» avec une grande confiance. Je ne la perdais pas de vue un seul instant, toujours je la priais d'avoir pitié de moi et de me guérir pour sauver ma vocation.
«Le 3 novembre, veille de mon départ, je me couchai vers 9 heures, ressentant une excessive douleur dans le pied. Je conjurai alors la Petite Fleur» de m'obtenir enfin du Dieu Tout-Puissant ma guérison. A chaque fois que je m'éveillais, je lui faisais les mêmes instances. Vers 3 heures, je m'éveillai encore, mais cette fois, ma cellule était remplie de lumière. Je ne savais quoi penser de cette exquise clarté et je m'écriai: «O mon Dieu! qu'est-ce que cela?» Je restai dans cette «lumière pendant trois quarts d'heure, et je n'arrivais pas à me rendormir, malgré mes efforts. Alors je sentis comme l'impression de quelqu'un qui enlevait les couvertures de mon lit et m'excitait à me lever. Je remuai mon pied, et quelle ne fut pas ma surprise de trouver les sept mètres de bandages, qui avaient été liés très fortement et dont je n'aurais pu me passer, complètement retirés. Je regardai mon pied, il était entièrement guéri. Je me levai, je marchai, et, ne sentant plus aucun mal, je tombai à genoux en m'écriant: «O Petite Fleur de Jésus, qu'est-ce que vous avez fait pour moi ce matin! Je suis guérie!»
Vers l'heure de la Messe, on vint chercher sœur Catherine pour la conduire à la chapelle, mais elle dit qu'elle n'avait plus besoin de l'appui d'un bras, ni de la canne dont elle se servait d'habitude. Elle descendit seule l'escalier et courut vers sa Supérieure.
«La «Petite Fleur» m'a guérie!
ma Mère», lui dit-elle. Et tout aussitôt, la nouvelle se répandit dans la communauté, comme une traînée de poudre. Une sorte de crainte planait sur la maison avec le sentiment que Dieu avait passé par là.
La Mère Provinciale vint bientôt et se rendit compte par elle-même de l'événement. Pour prouver qu'elle était bien guérie, la novice marcha de long en large à l'extérieur de l'église, et montra qu'elle portait sa chaussure ordinaire, au lieu de la chaussure d'infirme qu'on lui avait préparée à cause de l'enflure.
Enfin, elle resta tout le temps de la Messe à genoux et marcha d'un pas ferme pour recevoir la sainte Communion des mains de son frère. Celui-ci ignorait encore le miracle, mais il avoua ensuite que jamais, depuis sa première Messe, il n'avait reçu autant de consolations divines qu'à cette Messe-là. Témoignage touchant encore du pouvoir d'intercession de Sr Thérèse en faveur des prêtres, pour lesquels elle aimait tant à prier!
Immédiatement après la Messe, la Mère Prieure alla le trouver et lui raconta ce qui était arrivé. Alors, très ému, il entonna le Te Deum, que la novice poursuivit debout avec la Communauté entière, dans une joie et une émotion indicibles.
L'examen du pied montra que la décoloration, l'enflure, les marques du vésicatoire et des pointes de feu avaient disparu et qu'il était revenu à sa forme naturelle.
La gratitude de la novice et des sœurs fut profonde, en vérité, devant cette intervention de leur bien-aimée «Petite Fleur». D'autres, pour lesquels son parfum odorant est une joie toujours renaissante, apprendront avec plaisir ce nouveau gage de sa puissance au milieu d'une génération incroyante.
«Vous nous regarderez d'en haut, n'est-ce pas?» disait-on à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, lorsque, âgée de 24 ans, elle était mourante à Lisieux.
«Non, répondit-elle, je descendrai.»
A F., comme en bien d'autres lieux, la «Fleur de Jésus» descendit.
T. N. T.
——
22.
Vendée, 5 novembre 1908.
J'aurais pu, dès le premier jour de la neuvaine, vous écrire pour vous annoncer la guérison de mon petit Jean, mais je ne l'ai pas voulu pour ne pas agir avec témérité.
Dès que nous avons eu attaché à la robe du petit malade le morceau d'étoffe ayant appartenu à votre Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, les vomissements et autres accidents ont cessé; ils ont cessé si brusquement que nous n'osions pas y croire. Depuis ce jour, l'enfant se porte à merveille; jamais il n'avait été aussi gai. C'est de grand cœur que ma femme et moi nous remercions Sr Thérèse.
Docteur C.
——
23.
G., Ecosse, 8 novembre 1908.
Une guérison spirituelle—délivrance d'une tentation qui durait depuis plusieurs années—a été obtenue en un instant par une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, dans un couvent de G. La religieuse avait déjà demandé de quitter la Congrégation, et maintenant elle est si heureuse d'y être restée!
T.
——
24.
V. (Seine-et-Oise), 4 décembre 1908.
Ma Révérende Mère,
Je suis très heureuse de venir vous annoncer que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus a exaucé vos prières et mes supplications en guérissant Mademoiselle S., âgée de 67 ans, et atteinte d'une bronchite aiguë, suivie de deux congestions pulmonaires. Son état nous inspirait beaucoup d'inquiétudes.
Lorsque je reçus le sachet contenant de la laine de l'oreiller de la petite sainte, je le posai aussitôt sur la malade, qui l'accepta avec bonheur, me disant qu'elle avait pensé à demander une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. C'était la première fois qu'elle me parlait depuis plusieurs jours. Elle ajouta en me regardant: «Oh! que cela sent bon! Quelle odeur de roses! Quel délicieux parfum!» Et pendant cinq minutes, elle respira ce même parfum. Moi qui étais près d'elle, je ne sentais absolument rien!
Le soir, à 6 h., le docteur revint, et quelle ne fut pas sa surprise de voir que la fièvre avait disparu. Il n'en voulait pas croire ses yeux et, quatre fois, il remit le thermomètre.
Depuis ce jour, Mademoiselle S. est allée de mieux en mieux. Aujourd'hui elle est guérie et me charge de vous dire, ma Révérende Mère, que nous viendrons cet été remercier nous-mêmes la chère petite Reine à son tombeau. Veuillez nous envoyer sa «Vie», et croyez que nous sommes prêtes à nous dévouer pour la faire connaître et avancer sa béatification.
M. M.
——
25.
Carmel de S. P., Espagne, 15 décembre 1908.
Ma Révérende Mère,
J'ai la consolation d'écrire à Votre Révérence ce qui suit:
Une de nos sœurs, âgée de trente et quelques années, était reconnue tuberculeuse par le médecin qui lui donnait, tout au plus, deux ans de vie.
Nous commençâmes une neuvaine à l'Immaculée Conception par l'intercession de votre aimable petite sainte, et nous la terminâmes le 20 septembre par la sainte Communion.
La malade, se voyant dans le même état, me dit: «Ma Mère, le 30 de ce mois, c'est l'anniversaire de la mort de la petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Ce jour-là, je crois qu'elle fera quelque chose pour moi.»
Voyant sa confiance, nous recommençâmes une neuvaine et, le lendemain du dernier jour, je fis appeler le docteur qui, après avoir ausculté notre chère sœur, me dit tout surpris: «Mais elle est beaucoup mieux!»
Cependant, je croyais qu'il fallait un certain temps pour constater une guérison complète. Ces jours derniers, je la fis donc examiner de nouveau. Après l'auscultation, le médecin se tourna vers moi et me dit: «Il n'y a plus rien, elle est guérie!» Il me promit volontiers le certificat que je vous envoie. Vous y lirez que: «Cette guérison, si prompte, lui paraît étrange et merveilleuse.»
Je ne puis vous dire, ma Révérende Mère, avec quel bonheur et quelle reconnaissance nous avons récité, au chœur, un Te Deum et un Magnificat en actions de grâces.
Chère petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, combien nous l'aimons!
Sr T., prieure.
Suit le certificat du médecin.
——
26.
D., Suisse, 18 décembre 1908.
Ma Révérende Mère,
Pardonnez-moi si je viens un peu tard vous raconter la guérison de ma petite fille, Marie-Thérèse, âgée de deux ans, guérison obtenue par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
En 1907, cette enfant, d'ailleurs très chétive, fut atteinte d'un mal à l'index de la main droite. La phalange supérieure devint si enflée qu'elle égalait en grosseur le pouce d'une grande personne.
Ce mal, paraît-il, était la tuberculose osseuse localisée (Spina ventosa), et on l'appelle doigt en radis.
Le docteur jugea une opération indispensable. Il ouvrit donc le petit doigt malade et gratta l'os. Pendant cinq mois, je dus lui conduire tous les deux ou trois jours ma petite fille pour les pansements, mais l'état ne s'améliorait guère. Il se forma même une excroissance de chair, que l'on dut enlever, au moyen du cautère électrique, et le doigt suppurait toujours un peu.
En rentrant en France, au mois d'avril, je le fis voir à un autre docteur qui, ne le trouvant pas bien du tout, me dit qu'une seconde opération serait nécessaire.
C'est alors que, désolé, mais confiant en votre angélique sœur, je résolus de conduire mon enfant à son tombeau.
Arrivé là, j'assis tout simplement Marie-Thérèse sur la tombe de la petite sainte en disant: «Bonne petite Sr Thérèse, vous qui avez promis de faire du bien sur la terre, guérissez ma petite Marie-Thérèse.»
Eh bien, ma Révérende Mère, le doigt qui, jusqu'alors, ne cessait point de suppurer, sécha; une petite croûte se forma, puis tomba, et huit jours après, tout était cicatrisé et guéri.
Depuis cette époque, ma petite fille se porte à merveille.
De la part de son père et de sa mère, mille fois merci et vive reconnaissance à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
——
27.
21 décembre 1908.
C'est un devoir de reconnaissance qui m'amène aujourd'hui près de vous. Ayant obtenu par l'intermédiaire de la petite Sr Thérèse une grâce signalée, je me fais une joie de venir vous la raconter:
Depuis un certain temps, j'allais voir un pauvre malade. Elevé dans la religion, cet homme, sans devenir sectaire, était devenu plus qu'indifférent; il avait beaucoup lu, et, de ses lectures, il avait retiré avec l'incroyance la volonté de se faire enterrer civilement; cette volonté, il l'avait manifestée à ses enfants.
C'est dans ces dispositions que je le trouvai il y a deux mois. Je ne fis d'abord que des visites d'ami; quand j'en arrivai aux visites de prêtre, quand je parlai du bon Dieu, de l'Eternité, un sourire sceptique et des paroles de dénégation accueillirent mes premières tentatives d'apostolat. Je revins souvent sur la question et toujours ce fut la même réponse: «J'ai trop lu, mon cher Monsieur, pour ne pas savoir la fausseté de toutes les religions.» Un miracle seul pouvait sauver cette âme, et ce miracle c'est à l'ange de Lisieux que je le réclamai. Je priai, je fis prier; une neuvaine fut entreprise. Elle n'était pas terminée qu'une nuit le pauvre malade, de lui-même, en pleine connaissance, me fit demander: «Va me chercher Monsieur l'abbé», dit-il à sa femme. Et, cette demande, il la réitéra depuis 1 h. jusqu'à 6 h. du matin. A 6 h., la femme, vaincue par cette persistance, vint me chercher. J'arrivai en toute hâte et en toute joie surtout. Le malade m'accueillit tout heureux; il se confessa, reçut l'Extrême-Onction. Le loup était devenu agneau, l'impie d'autrefois était devenu subitement un chrétien repenti. Oh! ils seront pour moi inoubliables ces instants de retour subit et convaincu vers Dieu. Longtemps j'entendrai dans mon cœur la voix, maintenant éteinte, de ce pauvre malade qui, en embrassant son Christ, lui disait avec une réelle piété: «Seigneur, avez pitié de moi qui vous ai offensé!... Seigneur, je vous aime!... Mon Dieu, pardonnez-moi!...»
Oui, Dieu t'a pardonné, cher ami! Plus heureux que nous, tu jouis maintenant, peut-être, de Celui que tu ne connaissais plus, de Celui que, pendant les huit jours qui suivirent ta conversion, tu prias avec tant d'humilité confiante! Tu me pardonneras d'avoir levé le voile sur tes derniers instants: il s'agissait de glorifier celle qui se fit auprès de Dieu ton avocate et ton sauveur...
L'abbé M.
——
28.
Collège de X., États-Unis, 11 janvier 1909.
Ma Révérende Mère,
Je viens vous relater, avec une reconnaissance bien profonde, le fait d'une protection merveilleuse dont j'ai été l'objet de la part de votre angélique Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Le 22 septembre 1908, étant à New-York avec notre Révérende Mère, nous eûmes à traverser, pour reprendre le train, un croisement de voies ferrées encombré de voitures, de tramways, d'automobiles, etc. Je crus que notre Mère était passée et je voulus la suivre, mais elle avait vu venir, sans avoir eu le temps de m'en prévenir, un tramway électrique qui me heurta en plein front et me fit tomber. Lorsque le mécanicien parvint à l'arrêter (après un trajet de 5 ou 6 mètres), tout le monde me croyait écrasée et la foule se pressait autour de moi; mais je me relevai sans le moindre mal! Notre Mère s'était approchée, pâle comme sa guimpe... On nous entourait, on voulait m'aider à marcher. Des «reporters» de journaux demandaient mon nom. Notre Mère disait: «C'est une religieuse exilée de France, le bon Dieu a fait un miracle en sa faveur.» Alors on nous laissa passer avec une sorte de respect, bien que la foule augmentât toujours. Pour nous soustraire à une ovation, nous entrâmes dans une maison où l'on nous reçut avec la plus grande bonté et je dis à notre Mère: «C'est la petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus qui m'a préservée: je l'ai sentie au moment de l'accident.» Et sortant de ma poche une de ses petites photographies que j'avais dans un carnet, je la baisai avec reconnaissance. Depuis, elle ne me quitte plus.
Je ne puis dire quelle impression de surnaturel nous avait envahies. Cependant, les «reporters» nous avaient suivies pour demander des détails. Ils me regardaient avec ébahissement, ne semblant pouvoir admettre que je n'eusse pas été blessée; car sous ces lourdes machines, appelées ici «streets cars» et beaucoup plus volumineuses que nos tramways français, il y a tout un attirail de chaînes qui devraient au moins blesser ceux qui sont dessous. Le mécanicien avait dit à notre Mère que j'avais été enfermée entre les roues avec tant de précision, que c'est comme si la mesure de mon corps avait été prise. Plusieurs journaux ont dû relater le fait.
Enfin, lorsque la foule fut presque dispersée, nous nous dirigeâmes vers la gare, marchant assez vite pour ne pas être suivies de nouveau. Quand nous fûmes installées dans notre compartiment, notre Mère encore tout émue me demanda: «N'avez-vous pas mal à la tête?—Pas du tout, pas plus que si j'étais tombée sur un lit de plumes.—Ne portiez-vous pas vos lunettes bleues quand vous êtes tombée?—Oui, je les avais et les ai remises inconsciemment dans ma poche en me relevant: les voici, elles sont intactes. Je ne sais vraiment, ni comment je suis tombée, ni comment je me suis relevée; tout ce que je puis dire, c'est qu'il m'a semblé pendant quelques instants être dans un autre monde, une puissance surnaturelle agissait.»
Nous convînmes, notre Révérende Mère et moi, de ne parler de cet événement qu'à M. l'Aumônier, pour lui demander une messe d'action de grâces. Cependant, notre Mère crut de son devoir de tout raconter au docteur du couvent. Il vint, me croyant du moins couverte de blessures; mais... rien, pas même une égratignure! et il partagea notre sentiment que cette protection tenait du miracle.
Veuillez, ma Révérende Mère, avec toute votre communauté, m'aider à remercier celle qui a été pour moi ce que l'ange Raphaël a été au jeune Tobie, et croyez à mes sentiments à jamais dévoués en Nôtre-Seigneur.
Sr M., née C. de V.,
Sr X., Prieure.
——
29.
Carmel de X., janvier 1909.
Une de nos Sœurs souffrait depuis dix ans de peines morales qui la torturaient et lui faisaient délaisser la sainte communion des semaines entières. Elle fit plusieurs neuvaines à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus qu'elle aime beaucoup. Il y a trois semaines, un soir, pendant l'oraison de 5 h., s'y étant rendue encore plus bouleversée que jamais et tout à fait découragée, elle redoubla de ferveur et de supplication auprès de Thérèse, priant devant son image et baisant sa sainte relique.
Tout à coup, en un clin d'œil, dit-elle, son cœur se trouva rempli de paix et de consolation, avec l'assurance, comme le sentiment intime, que la «Petite Thérèse» avait passé près d'elle et lui avait ôté comme un lourd vêtement. Elle ne pouvait même plus se rappeler ce qui avait tant de fois tourmenté sa pauvre âme! «Alors, dit-elle encore, j'aurais voulu pouvoir communier deux fois au lieu d'une!» Elle est toute changée depuis ce jour de grâces, et son visage, autrefois si triste, ne reflète plus qu'une joie profonde.
C'est en reconnaissance de cette inestimable faveur que notre Révérende Mère vous envoie une offrande pour la béatification tant désirée.
Sr G.
——
30.
Saint-H. (Vendée), 18 janvier 1909.
Mon fils Louis, né le 27 septembre 1908, était très fort et se portait très bien, lorsque le jeudi, 8 octobre, dans l'après-midi, il fut pris d'une forte fièvre accompagnée d'une sueur abondante. Il ne dormit point la nuit suivante et ne cessa de crier. Le lendemain, ses petites mains étaient fermées, sans qu'il fût possible de les lui ouvrir. La sage-femme, le trouvant très mal, nous dit d'aller chercher le médecin. Celui-ci déclara qu'il était atteint du tétanos et ne nous laissa aucun espoir de guérison. Il nous dit cependant d'essayer de mettre l'enfant dans les bains; mais la maladie ne fit qu'augmenter. Bientôt mon petit garçon devint raide comme un cadavre, sa bouche était fermée, à peine si l'on pouvait faire couler entre ses lèvres quelques gouttes d'eau ou de lait, il était absolument impossible de passer la cuiller. Ses bras étaient allongés, ses mains fermées, ses poignets tournés à l'envers et repliés, de sorte que ses petites mains touchaient aux bras. Son dos et son estomac étaient contrefaits, on aurait dit deux bosses de chaque côté. Ses jambes étaient serrées l'une contre l'autre; bientôt la droite passa par-dessus la gauche et tourna. Enfin, tous les membres étaient contractés. Le pauvre petit ne pouvait faire aucun mouvement, il n'avait point de sommeil et ne cessait de crier jour et nuit. Sa maigreur était telle qu'on aurait dit un squelette. Sa peau avait, au toucher, la dureté d'une pierre. Dans les crises il devenait tout bleu.
Le médecin revint la semaine suivante; il fut surpris de le trouver dans un état pareil et nous dit: «Pour moi, cet enfant est perdu, il ne vivra pas et la mort est préférable, car, s'il survit, il restera en cet état. Jamais encore, de ma vie de médecin, je n'ai vu pareille chose.» Toutes les personnes qui voyaient mon enfant me plaignaient beaucoup.
Cinq semaines s'écoulèrent ainsi. Je priais et faisais prier, accompagnant mes supplications de toutes sortes de promesses, sans rien obtenir. Touchées de mon extrême affliction, les demoiselles institutrices m'envoyèrent, le dimanche 15 novembre, une image de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, à laquelle était attachée une relique, me disant qu'elles allaient prier et faire prier leurs petites filles, et nous recommandant de commencer une neuvaine à la petite sainte. Le soir même, nous commencions la neuvaine; chaque jour je faisais toucher l'image à mon enfant, demandant à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus sa guérison ou sa mort. J'ajoutai que, s'il devait être plus tard un mauvais chrétien, je préférais le voir mourir.
La petite sainte ne fut pas sourde à nos prières. Le jeudi suivant, cinquième jour de la neuvaine, je pus faire plier le bras gauche de mon petit enfant, puis son autre bras. Bientôt il reprit le sein, et, à Noël, il était complètement guéri. Aujourd'hui, on ne le reconnaît plus, tant il est beau et fort! Il rit et commence à gazouiller; les personnes qui le voient n'en reviennent pas et croient bien à un miracle.
A sa naissance, mon petit Louis avait à la tête une bosse qui lui restait encore après sa guérison. Je fis alors toucher à sa tête l'image de Sr Thérèse, et depuis la bosse diminue de jour en jour.
Ma reconnaissance est bien grande envers Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, de même que ma confiance. Je demande à cette chère petite sainte de m'accorder maintenant toutes les grâces nécessaires à mon état, que mon mari et mes enfants soient toujours de bons chrétiens. Je lui demande de m'accorder cette grâce encore, de voir au moins l'un de mes enfants se consacrer à Dieu.
M. G.
Suivent 19 signatures.
——
31.
Couvent du Bon Pasteur de X., France, 9 février 1909.
Si les miracles extérieurs opérés par votre petite thaumaturge sont grands et admirables, que dire des miracles intérieurs de la grâce qui sont toujours plus grands et plus nombreux! C'est une pluie serrée de roses. Dieu soit béni de cette grande consolation qu'il nous ménage au milieu d'épreuves toujours plus pénibles et plus dures! Il serait bien difficile, je crois, d'arriver à exprimer tous les bienfaits spirituels que Sr Thérèse n'a cessé de faire descendre sur notre grande famille religieuse depuis un an et plus. C'est le secret du bon Dieu et du sacrement de Pénitence où le cœur du prêtre ne peut moins faire que d'être sans cesse débordant de reconnaissance.
——
32.
I. (Seine), 11 février 1909.
Ma bonne Mère,
Nous avons ici une jeune fille atteinte d'un ulcère à l'estomac, elle vomit le sang. Entendant parler des nombreuses guérisons obtenues par l'intercession de votre chère petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, elle y a recours. Nous allons commencer une neuvaine, et nous demandons à votre communauté de bien vouloir s'y unir pour obtenir sa guérison.
Sr X.
Télégramme reçu le dimanche 21 février, dernier jour de la neuvaine:
Malade entièrement guérie par Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Sr X., supérieure.
Relation de la jeune fille guérie.
Ma Révérende Mère,
Depuis quatre ans je souffrais de l'estomac. Le 29 décembre 1908, j'ai eu, pour la première fois, un vomissement de sang. Le 30 et le 31, les médecins étaient encore indécis; mais le 1er janvier 1909, ils se prononcèrent et déclarèrent que j'avais un ulcère. Du 29 au 31 décembre, j'eus plusieurs vomissements; on essayait de me faire boire du lait, mais je le rejetais immédiatement. Du 1er au 21 janvier, je restai en traitement à l'hôpital Saint-Joseph où l'on me soumit au régime lacté. Pointes de feu, vésicatoires, calmants, tout fut essayé sans succès; je souffrais toujours. A la fin de janvier je suis venue me faire soigner chez les Dames de... à I. Le 8 février j'eus une très forte crise avec plusieurs vomissements de sang. Je ne gardais pas le lait, mais seulement un peu d'eau de Vals, et, encore, pas toujours. On écrivit alors au Carmel de Lisieux, afin de me mettre sous la protection spéciale de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. La Mère Prieure m'envoya un petit sachet contenant de la laine de son oreiller d'infirmerie; je le mis immédiatement sur moi et l'on commença une fervente neuvaine à la petite Sœur, en union avec Lisieux.
Pendant la neuvaine les souffrances étaient plus vives, les vomissements continuels, l'insomnie était perpétuelle. On ne pouvait plus me nourrir par les moyens ordinaires.
Le 21 février, jour où la neuvaine se terminait, je voulus absolument aller à la messe de 6 h., avec le désir d'y communier, persuadée que je serais guérie. Pendant tout le temps de la messe je souffrais horriblement, mais je priais avec beaucoup de ferveur et mon espérance était bien grande. Lorsque je revins de la sainte Table, où je m'étais traînée bien péniblement, mes souffrances redoublèrent. Enfin, au troisième Ave Maria que dit le prêtre au bas de l'autel, je sentis une douleur atroce à l'estomac, cette douleur correspondait dans le dos; il me semblait qu'on m'arrachait l'estomac. J'eus ensuite la sensation très nette d'une main qui se posait sur la partie malade et y répandait un baume céleste... puis, plus rien, un grand calme... J'étais guérie!
Je sentis alors que j'avais faim et j'avalai une grande tasse de lait que je trouvai exquise. Je restai ensuite à la messe de 7 h. en action de grâces, et je l'entendis à genoux. Après cette deuxième messe, j'allai au réfectoire où je pris une grande tasse de chocolat accompagnée de deux morceaux de pain, moi qui, depuis quatre mois, n'avais pas mis une bouchée de pain dans ma bouche! Et j'avais encore faim!
A en juger par le bien-être que j'éprouve, je ne croirais pas avoir été malade. Je suis absolument guérie. Il ne me reste qu'une faiblesse dans les jambes qui me rappelle seule les heures douloureuses que j'ai vécues.
Cette nuit j'ai parfaitement dormi; je me sens tout à fait bien. Toutes les personnes qui m'ont connue malade admirent en moi l'œuvre de Sr Thérèse, ma chère bienfaitrice. Voilà, ma Révérende Mère, le compte rendu de ma maladie et de ma guérison si miraculeuse.
Notre bonne Mère Supérieure espère avoir demain le certificat du docteur. Je commence une neuvaine d'action de grâces que j'irai terminer par un pèlerinage au tombeau de la petite sainte de Lisieux.
Agréez, etc.
M. C.
Suit le certificat du médecin.
——
33.
C., Autriche, 25 février 1909.
Ma Révérende Mère,
Je vous renvoie la notice sur le miracle d'Angleterre, en vous remerciant de me l'avoir communiquée. Mais tout cela n'est rien à côté des grâces que je sais avoir été reçues par l'intervention de sœur Thérèse, grâces de conversions vraiment immenses et miraculeuses. Une jeune personne, par exemple, a passé en moins d'une année de la boue la plus dégradante à un état de pureté tel qu'on peut l'imaginer chez les saints, et à la présence de Dieu presque continuelle; et cela dans le milieu le plus mondain et le plus frivole, entourée de toutes les occasions de chute!
Ah! vous avez bien raison de dire qu'une pluie de roses est descendue sur la terre, depuis que cette sainte est montée au ciel. Oui, cette remarque qu'elle descend de nouveau sur la terre est littéralement vraie. Que de fois je l'ai sentie près de moi dans cette dernière année!
M.-H. D.,
professeur à l'Université de X.
——
34.
L. (Normandie), 29 janvier 1907.
Je suis un séminariste âgé de 23 ans. Après de nombreux crachements de sang et hémorragies violentes, j'étais arrivé à un tel degré d'affaiblissement que je dus m'aliter le 28 août 1906. Deux médecins jugèrent mon état très grave: une caverne profonde s'était formée au poumon droit, les bronches étaient très endommagées, et l'analyse des crachats révéla la présence du bacille de la tuberculose. Les médecins s'avouèrent impuissants et me condamnèrent.
Alors, mes parents, éplorés, sollicitèrent ma guérison de Notre Dame de Lourdes par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et je passai à mon cou un sachet des cheveux de cette petite sainte. Les premiers jours de cette neuvaine, mon état s'aggrava: j'eus une hémorragie si violente que je pensai mourir; on appela en toute hâte un prêtre; mais, bien que l'on m'engageât à faire le sacrifice de ma vie, je ne pouvais m'y résoudre et j'attendais avec confiance la fin de cette neuvaine. Le dernier jour, aucun mieux ne s'était produit. Alors le souvenir de Thérèse se présenta à mon cœur, la parole qui a si nettement esquissé sa grande âme me pénétra d'une confiance indicible: «Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre.» Je pris au mot la jeune Carmélite. Elle était au ciel, oh! oui, j'en étais sûr; j'étais sur la terre, je souffrais, j'allais mourir: il y avait du bien à faire, il fallait qu'elle le fît. Serrant donc fortement contre ma poitrine la chère relique, je priai la petite sainte avec tant de force, qu'à la vérité, les efforts mêmes, faits en vue de la vie, eussent dû me donner la mort.
Nous recommençâmes une neuvaine, demandant cette fois ma guérison à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus elle-même, avec promesse, si elle nous exauçait, d'en publier la relation. Dès le lendemain la fièvre baissa subitement, et, les jours suivants, après l'auscultation, le médecin conclut au rétablissement d'une façon aussi catégorique qu'il avait affirmé la fin. De la caverne du poumon il n'y avait plus trace; l'oppression avait cessé et l'appétit revenait sensiblement. J'étais guéri.
Mais en même temps qu'elle renouvelait mes forces physiques, Thérèse accomplissait aussi en mon âme une transformation merveilleuse. En un jour, elle a fait en moi le travail de toute une vie.
Je m'arrête, ma Révérende Mère, Dieu m'a mis au cœur une telle reconnaissance que je ne saurai jamais l'exprimer. Aidez-moi à lui rendre grâce.
L'abbé A.[270]
Suit le certificat du médecin.
——
35.
Q. (Eure), mars 1909.
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus semble favoriser particulièrement ma famille. Il y a deux ans, c'était moi qu'elle guérissait de la tuberculose; aujourd'hui c'est mon jeune frère, âgé de 11 ans, qui vient d'être soudainement sauvé et rétabli par elle.
Voici en quelles circonstances: Le samedi, 22 août 1908, il fut victime d'un accident terrible. Etant tombé d'une hauteur d'environ six mètres, par une trappe donnant sur une cave, sa tête vint frapper brutalement à terre. On releva le pauvre petit sans connaissance et perdant son sang à pleine bouche. Le médecin, mandé aussitôt, déclara que c'était l'affaire de deux heures; le crâne était, en effet, fracturé en plusieurs endroits, la mort était imminente. Cependant la nuit se passa sans le dénouement qu'on attendait. Le docteur se fit assister d'un chirurgien spécialiste de R... qui, sans aucune hésitation, confirma le jugement de son confrère. Nous n'avions donc plus rien à espérer, humainement du moins; moi-même j'avais entendu le docteur, et c'eût été de la folie d'espérer quand même.
J'eus cette folie, mes parents l'eurent avec moi: et, le 24 août, ma Révérende Mère, vous commenciez, sur ma demande, une neuvaine à Sr Thérèse pour la guérison de mon frère.
Cependant, des crises violentes et réitérées nous jetaient dans de cruelles alarmes. Nous avons cru quatre fois que la mort allait venir. Le pauvre enfant resta huit jours entiers sans connaissance et se débattait continuellement dans son délire.
Le neuvième jour, il reconnut tout son monde, le calme revint, c'était fini! Il n'avait qu'à reprendre des forces; ce qu'il fit. Il est aujourd'hui en classe, ne conservant aucune trace, ni physique ni morale, de son accident.
L'abbé A.
——
36.
Lisieux (Calvados).
En mars 1908, un petit enfant de cinq ans était atteint d'une méningite des plus graves. J'engageai sa mère à prier avec confiance Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Une neuvaine fut commencée. L'enfant était dans un perpétuel délire; et, cependant, lorsqu'on voulait lui faire baiser la relique de Sr Thérèse qu'il portait sur lui, il la retenait et la pressait sur son cœur. Il allait toujours plus mal. «Il y a deux jours qu'il devrait être mort», disait le docteur. Mais sa mère ne perdait pas courage. Tandis qu'il était presque agonisant et que, depuis plusieurs jours, il ne pouvait articuler une parole, elle vint à l'église et dit à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus: «Ma petite sainte, si je dois croire que vous voulez bien guérir mon fils, faites qu'en revenant de la messe il me demande à boire.»—«Maman, donne-moi à boire», dit l'enfant aussitôt que sa mère eut mis le pied sur le seuil de sa chambre. Dès lors il alla de mieux en mieux. Aujourd'hui il se porte bien.
L'abbé L.
16 avril 1909.
——
37.
X. (Seine-Inférieure), 9 avril 1909.
Le 8 mars dernier M. D. tombait gravement malade. Le docteur le déclarait atteint d'une grippe infectieuse. Au bout de quelques jours le mal se compliquait d'une fluxion de poitrine double. M. D. était en proie à un délire effrayant; jamais une minute de raison. Deux hommes étaient nécessaires pour le tenir. Le docteur dit qu'il n'y avait plus aucun espoir, qu'il était absolument perdu.
Tous les regards se portèrent alors vers le ciel. On appliqua une relique de Sr Thérèse sur la poitrine du malade qui s'endormit et recouvra ensuite au bout de quelques heures l'usage de sa raison; c'est alors que la famille s'empressa de lui faire recevoir l'Extrême-Onction.
Dans l'après-midi le malade demanda à sa femme ce que tout cela signifiait.—«Ai-je donc été si malade?» dit-il; «mais je ne souffre pas et j'ai grand'faim!» On manda à nouveau le docteur, il crut que c'était pour constater le décès. Grande fut sa stupéfaction! «Je n'y comprends rien, dit-il, M. D. est sauvé; qu'il se lève et mange!»
Et depuis, ma bonne Mère, le mal ne laisse plus aucune trace; le malade déborde de reconnaissance envers la chère thaumaturge.
D.
Suit le certificat du docteur.
——
38.[271]
Carmel de.... Espagne, 7 avril 1909.
J'éprouve un désir très grand, ma Révérende Mère, de vous raconter un petit miracle opéré par notre bien-aimée Sr Thérèse. Nous possédons ici sa Vie abrégée, en espagnol; mais, la première fois que je lus ce livre, je n'eus pour elle qu'une grande indifférence, je me dis: «Cette petite Sœur est par trop enthousiaste!» Un jour qu'on me demandait ce que je pensais de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, ma réponse fut celle-ci: «Ce que j'en pense? c'est qu'elle ne me plaît pas!» Thérèse allait se venger en reine... Quelque temps après, une de nos postulantes nous apporte un exemplaire français de l'Histoire d'une âme. Je ne comprenais pas un seul mot de cette langue; mais, tentée d'une très grande curiosité, je dis à notre Révérende Mère: «Ma Mère, voudriez-vous me permettre de lire ce livre?» Notre Mère Prieure, toute surprise, répondit: «Permission pour lire ce livre? et de quel profit vous peut-il être puisque vous ne comprenez pas le français?—Mais je ne sais quelle force intérieure m'attire et me dit de le lire.» La permission me fut accordée.
Et que vous dirai-je, ma bien chère Mère, de mon impression et de la très grande allégresse qu'éprouva mon pauvre cœur, de voir qu'en commençant à lire les premières pages de ce livre d'or, je compris dans la perfection la langue française!... Toute la communauté en resta dans un grand étonnement. Ma Mère, que de lumières j'ai reçues en lisant ces pages embaumées d'un parfum si céleste! que de grâces intimes connues de Jésus seul! Lorsque mon esprit se trouve dans la sécheresse, quelques pages seulement de la vie de l'angélique Thérèse suffisent pour enflammer mon âme de l'amour divin.
Aussi toute l'indifférence que j'avais pour elle s'est transformée en amour le plus reconnaissant et le plus profond. Que de fois, en me jetant à genoux, lui ai-je demandé pardon de ma faute! Qu'elle m'accorde la grâce d'aimer Jésus comme elle l'a aimé, afin qu'un jour je puisse faire partie de la légion des petites victimes de l'amour divin et chanter en sa compagnie les miséricordes du Seigneur!
Cette religieuse, ayant été interrogée plus tard sur la manière dont elle avait réussi à écrire en français la lettre qui précède, répondit que c'était une continuation de la faveur reçue.
En novembre 1910, une jeune Sœur d'un autre Carmel d'Espagne nous confia avoir reçu une grâce identique en tous points à la première, soit pour la forme extérieure, soit pour les effets intérieurs. Interrogée à son tour sur son récit, fait par elle-même en français, elle écrivit ce qui suit:
«Je ne savais pas si vous alliez pouvoir lire ma lettre, je la croyais comblée de fautes, car je n'avais jamais écrit un seul mot de français en toute ma vie; de même qu'avant de lire l'Histoire d'une âme, je ne comprenais pas un seul mot de cette langue. C'est par un effet de la même grâce que j'ai pu lire et écrire. Notre angélique Sr Thérèse a été ma seule maîtresse de français. Ah! cette faveur m'en a procuré une autre incomparablement plus grande, celle de l'avoir pour maîtresse en sa petite voie d'enfance spirituelle. Je ne puis dire, ma Révérende Mère, ma reconnaissance envers cette bien-aimée sainte!
——
39.
Paris, 24 avril 1909.
Dans la dernière quinzaine de février, je fus prise d'un coryza aigu qui dégénéra vite en grippe infectieuse. Une otite des plus douloureuses fit suite à cette grippe, je devins complètement sourde et, après avoir subi deux fois la paracentèse du tympan, une mastoïdite se déclara. Elle fut des plus graves; ses débuts amenèrent vite des symptômes de méningisme.
Le spécialiste qui me soignait ne voulut pas prendre sur lui seul la responsabilité de cette maladie si terrible en complications, et appela à mon chevet le célèbre spécialiste des hôpitaux, qui lui-même voulut avoir l'avis d'un autre confrère. Les six premiers jours de ces consultations, les progrès du mal furent étroitement et savamment surveillés; les soins les plus minutieux, les plus énergiques me furent prodigués et, malgré cela, la fièvre allait croissant, alternant de 40° à 41°. Enfin le matin du septième jour, le mot d'opération fut prononcé et j'y fus préparée par de délicats ménagements. Dès le premier jour de la consultation des trois docteurs, je commençai avec ferveur une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus du Carmel de Lisieux. Le mal pourtant allait s'aggravant, mais je gardais très ferme ma confiance.
Ma famille, plusieurs Carmels et d'autres personnes s'unirent dans la même prière. L'opération semblait pour tous une évidence et devait se faire le dimanche qui était le neuvième jour de ma neuvaine. La veille je voulus recevoir la sainte communion; les préparatifs se faisaient, je lisais une douloureuse angoisse dans les yeux rougis de ma sœur.
Le soir j'eus 41° de fièvre; ma nuit fut atroce; les douleurs cérébrales m'arrachaient des cris et, malgré cela, ma foi était inébranlable... une voix intérieure, infiniment douce, m'insinuant le triomphe de mes prières, celles de ma chère famille sur le Cœur de Jésus!...
Oh! cette voix intérieure je l'entendrai toujours!... «Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, suppliai-je avec ferveur, j'ai foi en votre sainteté, ne m'abandonnez pas, demandez à Jésus qu'il ait pitié de ma mère, qu'il exauce les prières de mes chères tantes, qu'il entende les invocations des Carmels, qu'il ait pitié de moi!» Et toujours cette même voix si douce faisait descendre en moi une suave confiance!... Ma tante, carmélite, eut la même intuition très énergique, elle était certaine que je ne serais pas opérée.
Le matin de l'opération arriva: à 7 h., j'avais 40° de fièvre! je priai, m'isolant dans une foi absolue.
A 8 h. 1/2 les docteurs arrivèrent, prêtant la main aux derniers préparatifs... J'eus un dernier élan! «Sœur Thérèse, suppliai-je, restez avec moi, ne m'abandonnez pas, j'ai foi, j'ai confiance!» Les docteurs entrèrent: il fallait me résigner... Quand, soudain, un apaisement de mon mal, une décroissance subite de ma fièvre et l'écoulement de l'abcès de ma mastoïde se faisant normalement par l'oreille! J'eus un cri d'allégresse, j'étais guérie! Les docteurs ne voulaient pas en croire leurs yeux; ils observèrent, constatèrent, et furent muets de stupéfaction, enregistrant un cas unique dans la mastoïdite.
Oh! merci de toute mon âme à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus que je vénère et glorifie comme une sainte!
——
40.
Relations de la Révérende Mère Saint-Jean Berchmans,
Fondatrice et
Supérieure des Missions
des Sœurs de la Providence à Madagascar.
I
Ambatolampy (Madagascar), 16 mai 1909.
Je suis depuis deux jours à l'hôpital de X. auprès de ma Sœur Ste-R., atteinte de fièvre bilieuse hématurique. Le cas est mortel. Deux Européens de Tananarive viennent d'être enlevés en quarante-huit heures par cette maladie. Notre si chère Sœur a été plusieurs fois sur le point d'expirer; un miracle seul peut la sauver, nous le demandons ardemment à Notre-Dame de Lourdes par l'intercession de l'angélique Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
13 août 1909.
Quelques heures après mon arrivée, les derniers sacrements furent administrés à la chère malade. Elle fit généreusement le sacrifice de sa vie, disant qu'elle était heureuse de mourir missionnaire...
Nous avions perdu tout espoir. Nos Malgaches étaient inconsolables; ils assiégeaient les portes de l'hôpital pour essayer de voir leur bonne Mère une dernière fois.
Le lundi 17 mai, vers 6 h. du soir, une dernière absolution lui fut donnée. Tout à coup elle m'appela et me dit d'un accent dont je fus frappée: «Vous savez ma Mère, que jusqu'à ce jour j'ai cru que j'allais mourir. Eh bien, ce soir je sens naître la confiance...»
Depuis lors notre chère Sœur alla mieux; maintenant elle est guérie. Gloire et reconnaissance à Notre-Dame de Lourdes et à Thérèse de l'Enfant-Jésus!
II
19 décembre 1909.
Notre petite sainte continue à travailler fort à la mission et nous fait constater une fois de plus la vérité de ses paroles: «Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre.» Ce bien, je vois qu'elle aime surtout à le faire chez les plus petits, les plus pauvres, les plus déshérités des biens de la fortune et même de la grâce.
J'avais une pauvre infirme qui, depuis plus de dix ans, ne pouvait se mouvoir. Après plusieurs neuvaines à Sr Thérèse, elle s'est trouvée guérie et peut maintenant marcher. Elle vient d'être baptisée et a pris le nom de Marie-Thérèse.
III
Il y a un peu plus d'un mois, j'administrai le baptême à un petit enfant que je quittai ayant déjà le râle de la mort sur les lèvres. J'avais remis à la mère une image de Sr Thérèse en l'engageant à la prier. Quelques jours plus tard, je vois arriver la pauvre Malgache portant dans ses bras son bébé plein de santé. Et me le présentant, ainsi que l'image que nous lui avions donnée pour tout remède, elle me dit: «La belle dame que tu m'as donnée a guéri mon fils pendant la nuit; je le croyais mort et déjà je pleurais... et elle arriva en portant une robe blanche qu'elle déposa sur lui, et quand mon petit se réveilla, il était guéri.»
N'est-il pas vrai, ma Révérende Mère, que ce sont là de beaux traits à insérer dans la «Pluie de roses»?
IV
29 mai 1910.
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus continue à descendre souvent dans notre île. Sa pieuse intervention, nous aide beaucoup à prouver la vérité de notre sainte Religion.
En mai dernier, une de nos nouvelles Sœurs malgaches, la filleule de Thérèse (car la petite sainte, étant une des premières protectrices de notre noviciat, nous avons appelé: Thérèse de l'Enfant-Jésus, la plus jeune de nos novices, celle qui par sa simplicité nous rappelle le mieux notre petite sœur du Ciel), sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, dis-je, accompagnée de Flore, une de nos postulantes, visitait les malades d'une petite chrétienté qui a nom: Ambadivona, près d'Ambatolampy. Elles rencontrèrent dans une case délabrée une pauvre femme minée par la fièvre. Après l'avoir fait prier et lui avoir donné quelques remèdes, la sœur et sa compagne se préparaient à sortir, lorsqu'elles entendirent un profond gémissement: «Y a-t-il quelque autre malade ici?» demandèrent-elles à la pauvre femme. Cette dernière, leur montrant un trou au fond de la case, leur dit: «Il y a là mon fils qui est mourant.» Nos deux visiteuses pénétrèrent par le trou et virent étendu sur une natte, faisant entendre le râle de l'agonie, un jeune homme de 16 à 17 ans. Près de lui était blottie la grand'mère. «Est-il baptisé?» lui demandèrent-elles; la vieille fit un signe négatif. Alors sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus essaya de dire quelques mots du baptême, mais le malade paraissait avoir perdu connaissance. La sœur eut alors la pensée de sortir une image de Thérèse qu'elle portait sur elle, et de la mettre devant les yeux du mourant. A l'aspect de cette image, le regard de ce dernier parut s'illuminer et la connaissance lui revenir. La sœur profita de cette lueur de raison pour instruire le jeune homme, puis elle l'ondoya. Enfin, elle invita fortement la famille à prier et à suivre les catéchismes préparatoires au baptême. Tous promirent.
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et sa compagne sortirent, laissant la petite image de Thérèse au père du jeune homme qui venait de rentrer dans la case, apportant un linceul pour l'ensevelir. Elles remercièrent leur protectrice, à qui elles devaient la consolation d'avoir donné une âme de plus à Dieu; mais elles n'espéraient guère la guérison du malade qui n'avait plus qu'un souffle de vie.
Quel ne fut pas leur étonnement quand une huitaine de jours après cet incident, la femme du catéchiste d'Ambadivona vint leur dire que le malade presque mourant était complètement guéri. Elles crurent d'abord à une erreur.
Pour en avoir le cœur net, elles me demandèrent la permission d'aller s'assurer de la vérité. Leur surprise fut grande lorsque, arrivées à quelques pas de la case, elles aperçurent le jeune homme qui s'avançait à leur rencontre, aussi vigoureux que s'il n'avait jamais été malade. «Quel remède as-tu pris, lui dirent-elles, pour retrouver si vite tes forces?—Mais aucun, répondit-il, c'est l'image que vous m'avez laissée qui m'a guéri; chaque fois que je la regardais, je sentais mes forces revenir.»
Cette petite image est toujours dans la case, elle fait l'admiration de tous ces pauvres païens.
V
Il y a quelques mois, une pauvre mère nous amenait son petit enfant couvert de plaies; pas une place sur tout ce petit corps qui fût intacte. Comme toujours, ma première question fut de demander si l'enfant était baptisé. A la réponse négative de ses parents, j'appelai une de nos sœurs, nouvellement arrivée de France et qui brûlait du désir de faire un baptême. Après avoir conduit les parents de l'enfant dans notre chapelle et les avoir fait prier, la sœur toute tremblante d'émotion fit couler l'eau sur la tête de ce pauvre petit dont la seule vue et l'odeur nauséabonde, s'échappant des plaies, soulevaient le cœur. Elle donna ensuite une image de Thérèse aux parents de l'enfant en leur disant: «Priez bien la petite sœur qui est là sur cette (sary) image. Elle seule peut guérir votre enfant, ou, si ce n'est pas la volonté de Dieu, elle viendra le chercher pour le mettre au ciel.» Ils partirent; nous ne pensions plus du tout à cet enfant, lorsque, une quinzaine de jours après, la jeune sœur m'appela: «Venez vite voir mon petit Paul, me dit-elle, il est tout à fait guéri, il n'a plus une seule plaie»; et la jeune sœur était vivement émue.
«Qui a guéri ton fils?» demandai-je à la mère du petit. Et soulevant les pauvres haillons qui couvraient le corps de son enfant, la femme me montra une image de Thérèse, pliée dans un petit chiffon, et attachée à son cou: «Depuis que l'image est là, me dit-elle, les plaies ont séché presque subitement.»
VI
Une de nos chrétiennes, atteinte de la tuberculose, après s'être fait soigner à l'hôpital, fut congédiée par le docteur qui avait perdu tout espoir de guérison pour sa malade. En s'en allant dans son pays (Andraraty, 8 kilom. d'Ambatolampy), elle entra au couvent pour me demander des prières. Je lui donnai une image de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus en lui disant de solliciter sa guérison auprès de cette religieuse dont elle emportait le portrait.
Le dimanche suivant, à la réunion des chrétiens d'Andraraty, je fus bien étonnée d'y trouver la pauvre femme toute transformée. Son visage était plein de santé.
«Qui t'a guérie? lui dis-je.—Mais, c'est l'image que vous m'avez donnée!»
Toute sa famille est dans l'admiration et croit fermement à l'efficacité de la prière.
VII
La petite relique de Thérèse vient encore de guérir une de nos meilleures chrétiennes d'Ambatolampy, Angèle Rasoa. La pauvre femme venait de perdre sa fille, en quelques heures, d'un fort accès de fièvre. Le lendemain de cette mort presque subite, elle fut terrassée elle-même. Son fils nous appela immédiatement. Je prévins le R. P. Roblet, et je partis en toute hâte. Je fis respirer de l'ammoniaque à la mourante, ce qui lui rendit assez de connaissance pour que le Père pût la confesser. Ensuite nous fîmes quelques prières auprès de son lit; elle paraissait n'avoir plus qu'un souffle de vie. Voyant la douleur de ses pauvres enfants qui l'entouraient, il me vint à la pensée de demander sa guérison à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et j'épinglai une de ses reliques à la couverture de la malade. A partir de ce moment, cette dernière parut aller mieux; le lendemain, elle était hors de danger, et deux jours après complètement guérie. Depuis lors, elle et sa famille ne cessent de remercier leur bienfaitrice.
VIII
10 novembre 1910.
Dans notre orphelinat de Betafo (Madagascar) était élevée, depuis cinq ans, Justine Raivo, jeune fille d'une très robuste constitution. En octobre 1907, elle tomba malade, et depuis, sa santé alla de jour en jour en déclinant. Deux ans après, les crises étaient si violentes qu'elle devint bientôt méconnaissable. Plus d'appétit, de forces, de sommeil. Après quelques instants de repos au dortoir, la pauvre enfant commençait à gémir, se plaignant de douleurs vers le cœur, puis criait, délirait, se promenait dans la maison, dans la cour, ne sachant que faire pour obtenir quelque soulagement. Elle était alors, tantôt transie de froid, tantôt brûlante de fièvre.
Deux docteurs prodiguèrent les soins les plus intelligents et les plus assidus à la jeune fille, sans obtenir aucun résultat. La malade était devenue maigre, son teint était terne, ses yeux tantôt hagards, tantôt brillants démesurément.
Elle se plaignait de souffrances violentes dans la tête, les reins, les genoux, etc... Les deux docteurs finirent par nous avouer qu'on pouvait la prolonger de quelques mois; «mais une guérison était impossible», disaient-ils.
Dix mois s'étaient ainsi écoulés quand la jeune fille, qui, depuis longtemps, nous avait témoigne le désir de se faire religieuse, m'écrivit pour me supplier de vouloir bien l'accepter au noviciat indigène. Sa demande aie m'étonna pas; mais comment penser à recevoir une postulante dans un pareil état de santé? Nous commençâmes alors immédiatement une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et je donnai une réponse affirmative à la jeune fille. Le lendemain de son arrivée (31 juillet), commencement d'une seconde neuvaine à la petite sainte. La nuit suivante fut extrêmement douloureuse; jamais peut être la pauvre enfant n'avait autant gémi, déliré, souffert. On eût dit que Thérèse voulait nous prouver à toutes que la terrible maladie existait bien toujours. Puis ce fut fini; depuis ce moment, les journées et les nuits de la jeune fille ont été parfaitement calmes.
Chaque jour de la neuvaine on la voyait redevenir plus fraîche, plus forte, et, à partir du dernier jour, elle reprit son appétit d'autrefois, toutes ses forces lui revinrent.
Elle n'a cessé depuis d'étudier, de même que ses compagnes, d'aller faire des catéchismes dans les chrétientés environnantes assez éloignées, et jamais elle n'a ressenti la moindre lassitude.
Aidez-nous, ma Rde Mère, à remercier notre chère petite Sr Thérèse de l'Enfant Jésus et demandez-lui de multiplier ses visites; alors, malgré notre petit nombre, nous pourrons donner à Nôtre-Seigneur les âmes de tous les païens qui nous entourent.
Sr St-Jean Berchmans.
Je soussigné, évêque titulaire de Soruze, vicaire apostolique de Madagascar central, déclare que Sr St-Jean Berchmans est tout à fait digne de foi.
Tananarive (Madagascar), le 22 novembre 1910.
† J.-B. Cazet,
Vic. apost. de Madagascar central.
——
41.
Carmel de Mangalore, Indes-Orientales, 7 juin 1909.
Ma très Révérende Mère,
Vous serez heureuse d'apprendre que votre petite Sœur, qui aimait tant les Carmels des missions, a bien voulu nous favoriser d'une de ses visites.
Nous avions une de nos chères Sœurs très mal d'une pneumonie compliquée d'une maladie de foie et d'une affection des reins; le docteur avait peu d'espoir et d'autant moins que notre bien-aimée malade ne voulait pas guérir, étant si heureuse d'entrevoir le ciel, objet de tous les désirs de son cœur.
Elle venait de recevoir avec une piété touchante le saint Viatique et l'Extrême-Onction, lorsque nous arriva la circulaire relatant les faits merveilleux opérés par l'intervention toute-puissante, auprès de Dieu, de votre aimable petite sainte.
Nous commençâmes une neuvaine en communauté, pour obtenir la guérison de notre chère malade qui voulut s'unir à nos supplications, dans le but de glorifier le bon Dieu et de contribuer aussi, autant que possible, à la glorification de la Servante de Dieu, par sa guérison.
Elle vous dit elle-même comment elle a été guérie.
Cette grâce obtenue au Carmel a fait grand bruit dans la ville, et on nous demande des neuvaines. Nous vous serions bien reconnaissantes, si vous vouliez nous envoyer quelques reliques et images.
Sr Marie de l'Enfant-Jésus.
prieure.
Relation de la Sœur.
Sans me rendre exactement compte des maladies graves dont j'étais atteinte, souffrant beaucoup sous l'influence d'une forte fièvre, crachant le sang et comme des morceaux de poumon, j'interrogeai le docteur afin de savoir si ma vie était en danger, pour recevoir les derniers sacrements. Il me répondu que, depuis trois jours, je me trouvais dans ce cas.
J'exprimai alors mon désir à notre Révérende Mère de ne point différer à me procurer cette grâce et, dans l'après-midi de ce même jour, 16 mars 1909, je reçus la sainte communion en viatique ainsi que l'Extrême-Onction, et me disposai de mon mieux au grand passage du temps à l'éternité.
Voyant que le docteur réitérait ses visites trois et même quatre fois par jour, et qu'il s'était adjoint un autre médecin en consultation, je fus affligée de sa sollicitude à vouloir m'arracher à la mort, moi qui me sentais si heureuse de quitter cette terre d'exil, et je lui en exprimai ma peine, lui reprochant d'agir contrairement aux desseins de Dieu qui m'appelait.
Il était attristé de mes dispositions, contraires, disait-il, aux efforts de la science pour me guérir.
Sa piété avait cependant plus d'espoir dans la puissance de la prière que dans les secours humains. Ce jour même, la communauté commençait une neuvaine pour solliciter un miracle par l'intercession de la Servante de Dieu, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Bien après le départ du docteur, j'éprouvai quelque chose qui ne saurait s'exprimer; j'étais seule et ne dormais point; il me semblait que j'étais comme suspendue dans l'espace. Je ne vis rien, mais je m'entendis interroger ainsi: «Pourquoi voulez-vous mourir?» Croyant parler à Dieu, je répondis: «Pour vous voir.» Mais la voix reprit qu'il serait plus glorieux à Dieu de m'abandonner à lui, soit pour vivre, soit pour mourir, et de m'unir à la neuvaine que faisait la communauté.
J'entendis encore ces paroles: «Quelle plus grande gloire pour Dieu, pour la sainte Eglise, pour votre saint Ordre et votre communauté, si le miracle de votre guérison doit hâter la glorification de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus!»
Aussitôt mes dispositions furent complètement changées, je répondis: «Non, je ne veux plus désirer mourir, je veux prier et commencer une neuvaine.»
Lorsque le docteur revint dans l'après-midi, je lui fis réparation des reproches que je lui avais adressés; le même jour, sur ma demande, on me donna une image représentant Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, que je plaçai près de mon chevet. Je la priais sans cesse, avec une grande confiance, à proportion de mes souffrances qui s'accentuaient davantage, à mesure que la neuvaine approchait de son terme.
La veille du dernier jour, 23 mars, vers 5 h. de l'après-midi, alors que toute la communauté se trouvait réunie au chœur pour l'oraison, étant seule avec la Sœur infirmière, je fus subitement prise de violentes suffocations. A la quatrième crise, qui fut la dernière, j'endurai toutes les angoisses de l'asphyxie. M'étant soulevée du lit par l'excès de la souffrance, j'étreignais la Sœur qui me soutenait dans ses bras, croyant, comme moi, que j'allais expirer. L'air me manquait absolument pour respirer. Lorsque je fus remise de cette terrible lutte, aussitôt que je pus parler, j'invitai la pauvre Sœur bien émotionnée à remercier Dieu. «Puisque je n'en suis pas morte, lui dis-je, c'est une preuve que nos prières seront exaucées.»
J'avais l'espoir que je serais guérie le lendemain à la sainte communion. La nuit fut très mauvaise. A 3 h. du matin, j'endurai une véritable agonie, j'étais inondée d'une sueur froide, grelottant malgré les fortes chaleurs de l'été et la couverture de laine dont j'étais enveloppée; j'en demandai même une autre plus chaude. A 3 h. 1/2 j'éprouvai soudainement un indéfinissable bien-être, je dis aux Sœurs qui me prodiguaient leurs soins: «Retirez-vous dans vos cellules, allez vous reposer, je n'ai plus besoin que personne me veille, je suis guérie! Aussitôt que notre Mère sera levée, veuillez le lui annoncer.»
En effet, je dormis d'un bon sommeil jusqu'à l'Angélus.
La veille encore, je recevais la sainte communion dans mon lit en viatique et ne pouvais avaler qu'une parcelle de la sainte Hostie avec difficulté. Ce dernier jour de la neuvaine je me levais, m'habillais, recevais la sainte communion et demeurais à genoux, sans appui, environ une demi-heure.
A la fin de mon action de grâces, je chantais un des cantiques composés par notre chère Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus!
Quelques instants après, le docteur vint m'ausculter et déclarait qu'il n'y avait plus aucune trace de la pneumonie qui m'avait conduite aux portes du tombeau, et qui était compliquée d'une affection au foie et d'une maladie non moins sérieuse des reins. Ma santé, si éprouvée depuis plusieurs années, m'a été rendue bien meilleure. En peu de jours j'ai pu reprendre et exercer sans interruption mon office de portière avec d'autres occupations fatigantes. La nuit du Jeudi Saint, 7 avril, j'ai pu veiller avec la communauté devant le Saint Sacrement. Je prends la nourriture commune de nos Sœurs au réfectoire et ne ressens nullement aucune des indispositions des maladies précédentes. J'ai su depuis, par une religieuse du Tiers-Ordre, qu'ayant interrogé le docteur sur mon état le soir, veille de ma guérison, celui-ci avait répondu: «Elle expirera peut-être cette nuit.» Gloire soit rendue à Dieu et à la chère âme qui a daigné intercéder pour son indigne petite sœur! Qu'elle achève maintenant son œuvre en m'obtenant l'inappréciable grâce de marcher fidèlement sur ses traces dans la pratique des vertus religieuses.
Sr Marie du Calvaire.
Suit le certificat du docteur.
——
42.
Carmel de Mangalore, Indes-Orientales, 31 juillet 1909.
La santé de notre chère miraculée est bonne, très bonne. Elle, qui depuis de bien longues années endurait de cruelles douleurs, privée des exercices de communauté, vient maintenant partout. La joie est répandue dans tout son être, on sent qu'une divine transformation s'est opérée en elle. Jamais nous ne pourrons oublier l'expression du visage de notre bien-aimée Sœur le jour de sa guérison; elle était transfigurée, comme en extase, et encore, quand elle parle de sa céleste bienfaitrice, elle est toute rayonnante de reconnaissance et d'amour.
Une de nos Sœurs eut la pensée d'obtenir, elle aussi, la guérison d'un écoulement d'oreille qui la faisait bien souffrir et la privait de sa voix au chœur, soit pour la psalmodie, soit pour le chant; elle avait encore des ulcères extérieurs. Eh bien! pendant la neuvaine, tout a disparu! Et maintenant elle donne sa voix librement, et il n'y a aucune trace des ulcères d'où sortait un pus verdâtre qui nous inquiétait.
Nous faisons quelques économies afin d'offrir notre obole pour la glorification de notre douce sainte.
Nous vous prions de faire faire une visite pour nous à sa glorieuse tombe et de lui recommander plusieurs intentions.
Sr Marie de l'Enfant-Jésus,
Prieure.
——
43.
Communauté de X. (Finistère), 15 juin 1909.
Thérèse, la gracieuse «petite Reine», vient de jeter sur notre monastère un de ses pétales de rose.
Depuis le 1er décembre 1908, une de nos Sœurs, âgée de 31 ans, était atteinte d'une maladie infectieuse du cerveau et de la moelle épinière, le tout augmenté d'une phlébite aux deux jambes.
Le 16 mars, le docteur, ayant constaté que les phlébites avaient disparu, mais que la jambe droite était ankylosée, plia lui-même les deux jambes afin de permettre à la Sœur de marcher: ce fut une souffrance ajoutée à tant d'autres, car quand il fallut faire circuler la patiente, les jambes fléchissaient et étaient incapables de la porter. Dès l'abord, on crut à de la faiblesse et l'on espérait que le temps en aurait raison. Hélas! la malade restait impotente, et le docteur disait que, probablement, elle serait paralysée toute sa vie et que, seule, Notre-Dame de Lourdes, pourrait la guérir. C'était le jeudi 3 juin.
Le vendredi, 11 juin, la malade, dès son réveil, se sentit plus fatiguée encore qu'à l'ordinaire et souffrit cruellement pendant la sainte Messe. Au moment de la communion, quand l'infirmière la prit pour la conduire à la sainte Table, elle faillit tomber, tant ses jambes étaient rebelles.
De retour à l'infirmerie, la Sœur dit à la malade: «Quand vous êtes seule, il faudrait essayer de vous lever du fauteuil.» Elle répondit tristement: «Je ne le puis j'essaie souvent, mais il m'est impossible de remuer les reins.» L'infirmière n'insista pas, persuadée, en effet, de son impuissance; elle la prit par le bras et la fit marcher dans l'appartement. La Sœur coadjutrice,—aide pour les malades—arrivant à ce moment, dit à l'infirmière: «Pourquoi vous fatiguer ainsi? On n'est pas plus avancé de faire marcher la Sœur aujourd'hui qu'au premier jour.»
L'infirmière remit la malade dans son fauteuil, puis alla prendre une image sur laquelle est imprimée la poésie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus: «Les Anges à la crèche», avec le portrait de Sr Thérèse. Elle fit baiser ce portrait à la malade et lui dit en s'éloignant de quelques pas: «Maintenant, venez chercher l'image.» Aussitôt la Sœur fit quelques efforts des reins, s'appuya sur le bras du fauteuil, se leva et suivit l'infirmière qui, tenant l'image à la main, faisait le tour de la chambre. Vivement impressionnée, elle dit à la malade: «Retournez au fauteuil et levez-vous sans vous appuyer.» Ce qu'elle fit.
Depuis ce jour, elle marche et suit en tout la communauté. Elle a repris son emploi et se porte très bien. On ne dirait jamais qu'elle est restée six mois sans bouger.
Le docteur, appelé à constater le fait, s'est écrié: «C'est merveilleux! car cette Sœur avait des symptômes de méningite cérébro-spinale avec paralysie des quatre membres.»
Suit le certificat de ce docteur.
——
44.
Monastère de la Trappe.
Tarrega, Espagne, 27 juin 1909.
Relation de la guérison du Frère Marie-Paul.
Dans le courant du mois de septembre de l'année dernière, notre bon frère Marie-Paul (dans le siècle Philippe Tobzanc, né à Narbonne, diocèse de Carcassonne, département de l'Aude, le 12 juin 1877, entré en religion le 9 mai 1905), convers de notre monastère, sentit dans la région du cœur les premières atteintes d'un mal auquel, tout d'abord, il ne prit pas garde. Mais ce qui, au début, n'était qu'une simple oppression, se changea peu à peu en douleur si intense que tout travail prolongé ou trop pénible lui devint impossible. Le docteur, consulté, déclara que le mal venait de l'estomac et soumit le malade à un régime exclusivement lacté. Après six mois de ce traitement, un mieux s'étant produit, notre bon frère crut pouvoir reprendre la vie de communauté.
Mais deux mois ne s'étaient pas écoulés que les douleurs se réveillèrent plus vives et plus intenses que la première fois, et nous dûmes recourir aux mêmes remèdes. Cette fois-ci, nulle fut leur efficacité; le mal empirait tous les jours et les souffrances devenaient parfois si cruelles que, pour soulager le patient, nous dûmes employer des injections de morphine.
Notre bon frère dut cesser alors tout travail, car il était d'une faiblesse extrême; manger était pour lui un véritable supplice; son estomac ne pouvait rien conserver, pas même quelques cuillerées de bouillon qui ne servaient qu'à lui faire éprouver de violentes douleurs.
Parfois aussi le malade crachait comme de la chair hachée; et, de plus, son haleine était si fétide que la charité seule nous pouvait faire rester auprès de lui.
Après un nouvel examen, le médecin conclut à une ulcération de l'estomac qui, facilement, pouvait dégénérer en cancer et me prévint de l'opportunité d'une opération dans le cas de complications graves. Pour pouvoir sustenter de quelque manière le malade, le docteur prescrivit des lavements aux œufs et au lait, mais ce mode d'alimentation ne pouvait durer longtemps, car notre frère s'affaiblissait et dépérissait à vue d'œil.
Pour se conformer aux prescriptions du docteur, notre cher malade faisait chaque jour une petite promenade. Le lundi 3 mai, il en revint plus fatigué que de coutume; et, cependant, elle n'avait pas duré un quart d'heure. Rencontrant alors le Père sous-Prieur, il lui dit: «Priez pour moi, mon Père, car je sens que c'est bien fini...»
Tout espoir n'était cependant pas perdu, et le Seigneur allait, dès le lendemain de ce jour, faire éclater le pouvoir qu'a sur son Cœur miséricordieux l'intercession de sa petite Thérèse.
«—Puisque les moyens humains sont impuissants à vous soulager, dit notre Père infirmier au malade, faites une neuvaine de prières à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, religieuse du Carmel de Lisieux, morte, il y a quelques années, en odeur de sainteté.»
La proposition est acceptée avec d'autant plus de joie que le bon frère avait grande confiance en la «Petite Fleur blanche» dont il avait lu un résumé de la vie dans la petite brochure intitulée: «Appel aux petites âmes.» Depuis ce jour, en effet, il portait sur lui une photographie de Sr Thérèse, disant qu'elle lui porterait bonheur.—Elle ne trompa pas sa confiance.
Le lendemain, mardi 4 mai, notre malade ne put conserver les lavements, les douleurs se portèrent sur les reins avec tant d'acuité qu'il fallut cette fois encore avoir recours à la morphine: le pauvre frère n'en pouvait plus.—«Cela ne peut pas durer, dit-il alors au Père infirmier. Si vous voulez bien demander pour moi à mon Père X... une relique de Sr Thérèse, je l'appliquerai sur mon mal, et j'ai confiance qu'elle me guérira.»
Le soir, le Père infirmier lui remit la relique et lui conseilla, en même temps, de prendre un autre lavement.
Mais notre malade avait son idée; plein de confiance, il avait résolu de boire le liquide. Il pria la «Petite Fleur» de lui rendre la santé pour aider ses frères déjà si accablés de travail; puis il détache quelques parcelles de la relique et les met dans son breuvage. Après en avoir avalé quelques gorgées, il craint de commettre une imprudence en voulant absorber une si grande quantité de liquide (3/4 de litre). Mais, toujours plein de confiance qu'il va guérir, il ajoute quelques nouvelles parcelles de la relique et boit le tout. Il attend... Plus de souffrances! plus de cruels maux d'estomac! Le mal est complètement disparu, notre bon frère est guéri!
Il sort alors, fait une longue promenade, gravit sans éprouver ni malaise, ni fatigue, le plateau qui domine notre propriété. Il rentre ensuite tout ragaillardi, se sentant fort, vigoureux, et aussitôt demande à manger.—«Prenez des œufs», lui dit le Père infirmier. Et notre bon frère, dont l'estomac ne pouvait supporter la plus légère nourriture, prend non seulement des œufs, mais encore des pommes de terre frites, des raisins secs, des noix, des figues sèches, et achève son repas par un bon verre de vin, boisson dont il était obligé de s'abstenir depuis huit mois... Pas la moindre souffrance!
Notre heureux frère me fait part de sa guérison qui me réjouit souverainement et, dès le lendemain, il reprend la vie de communauté, en suit le régime austère et se remet à son pénible travail. Il continue sa neuvaine, la transformant en action de grâces. A la fin de la neuvaine, la guérison s'étant maintenue, j'ai cru de mon devoir, ma Rde Mère, de vous envoyer ma première relation.
Aujourd'hui, près de deux mois se sont écoulés depuis la faveur insigne dont notre cher frère a été l'objet, et nous pouvons tous certifier ici qu'il ne se ressent nullement de son mal, a repris de bonnes couleurs et continue avec générosité et joie le travail que l'obéissance lui a imposé.
En notre Abbaye de Notre-Dame du Suffrage, ce 27 juin 1909.
R. P. Mari Havur, abbé de N.-D. de Fontfroide.
(Réfugié avec sa Communauté à N.-D. du Suffrage.)
Suit le certificat du docteur, du curé de Tarrega et du maire.
Le frère Marie-Paul a été, en 1910, miraculeusement protégé par Sr Thérèse dans une explosion où il aurait dû trouver la mort ou être grièvement blessé.
La lampe d'acétylène qui a éclaté, faisant projectile, l'a frappé en pleine poitrine à l'endroit même où se trouvait une image de la servante de Dieu. Le frère a été renversé à terre par la violence du choc, mais s'est relevé sans aucun mal.
——
45.
Monastère de X., Belgique, 2 juillet 1909.
Un vieillard de 80 ans qui, depuis près de 50 ans, ne s'approchait plus des sacrements et pour lequel nous avons fait une neuvaine au Sacré-Cœur par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, est transformé; sa conversion va faire un bien immense dans la localité qu'il habite, car il est ires connu.
Il fallait un miracle de grâce, nous disait-on, pour amener le retour de cet octogénaire qui, dans son testament, on le savait, donnait 6.000 fr. pour son enterrement civil. Or, à la première visite qu'on lui fait après avoir invoqué la petite Sr Thérèse, il accepte volontiers une médaille du Sacré-Cœur et un scapulaire du Carmel; à la deuxième visite, le septième jour de la neuvaine, on peut lui administrer les sacrements, qu'il reçoit avec des sentiments admirables de piété. Il a vécu onze jours après sa conversion, faisant l'édification des personnes qui l'approchaient et se prêtant volontiers à ce qu'on demandait de lui pour ses funérailles.
L'enterrement fut donc religieux et très édifiant; on eût dit un triomphe, et c'en était un! Remerciements et actions de grâces au Sacré-Cœur et à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
——
46.
Paris, 8 juillet 1909.
Ainsi que je vous l'écrivais il y a huit jours, mon frère avait formellement refusé les sacrements. Le Révérend Père X., qui s'était présenté, avait complètement échoué dans sa tentative. «Il n'y a plus qu'à prier, nous dit-il: c'est une barre de fer, il n'y a rien à tenter.»
C'est alors que j'eus la pensée de m'adresser au Carmel de Lisieux, comptant sur l'intervention de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Voyant mon frère au plus mal vendredi, on lui envoya encore le prêtre, qui revint près de nous tout ému, nous disant que le malade, en pleine lucidité, avait reçu avec reconnaissance l'absolution après un entretien assez long. Sa femme, ses enfants, étaient dans le plus grand étonnement... Moi, je pensais que les prières faites au Carmel avaient été exaucées.
Cependant, je désirais beaucoup avoir une preuve comme quoi ce retour à Dieu avait été obtenu par l'intercession de Sr Thérèse, et je demandai pour signe à cette chère petite sainte que mon frère m'adressât une parole de reconnaissance que je désignai—chose en dehors de ses habitudes et de son caractère.—Je me rendis chez lui, et quelle ne fut pas mon émotion d'entendre sortir de sa bouche cette même parole que j'avais demandée... Il ne dit pas un mot de plus.
C***** de W.
——
47.
Porto-Novo (Dahomey), 15 juillet 1909.
Depuis un mois, une de nos chrétiennes ressentait une douleur insignifiante dans toute la jambe gauche; cela ne l'empêchait pas de vaquer à ses occupations. Un samedi, cette jambe enfle horriblement, causant la plus vive douleur, puis il se forme un gros bouton, genre abcès. On sait que c'est le ver de Guinée, voulant sortir.
Ce ver a la grosseur du vermicelle et une longueur d'au moins 75 centimètres. On l'absorbe avec l'eau, il se répand dans l'organisme; ordinairement il sort par les jambes. Les médecins européens ont trouvé des remèdes pour s'en défaire assez promptement: mais avec les traitements indigènes, l'extraction de ce ver est très longue. Jamais il ne se montre avant trois jours, et alors on se contente de le fixer au dehors avec un fil, sans exercer de traction, car celles-ci font beaucoup souffrir. Ce n'est que dans les cas extrêmes que les noirs ont recours aux procédés chirurgicaux. Avec ce genre de soins, il survient souvent de graves ulcères qui peuvent devenir mortels.
Ce matin, samedi, je rencontre le mari de la malade: il m'annonce qu'il l'a confiée aux soins du médecin indigène. Le lendemain dimanche, je reçois une image de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. La pensée me vient de demander une faveur au Cœur eucharistique de Jésus par l'intercession de sa chère petite épouse. Comme prêtre-adorateur, je vais faire mon heure de garde de 4 à 5 heures, et pendant ce temps je présente ma requête.
Le jeudi suivant, je vais visiter la malade. Quel n'est pas mon étonnement de la voir dans le jardin, venir à pas pressés, tenant son bébé dans ses bras!
—«Mais ce ver de Guinée?—Il est parti, et tout le monde est très étonné.—Mais, vous ne souffrez plus?—Non, mon Père (et elle me montre une profonde cicatrice); ce matin, j'étais à la Messe (elle habite à près d'un kilomètre de l'église), et hier, je suis allée au marché (2 kilomètres); c'est la neuvaine qui m'a guérie!—Mais, à quel moment exact ce ver est-il sorti?—Dimanche soir, quand on tintait la cloche pour la bénédiction (exactement 4 h. 1/3).—Avez-vous souffert?—Point du tout! Quand le ver a commencé à sortir, j'ai tire dessus, mais il s'est cassé.—Avez-vous alors souffert? (le ver ainsi cassé cause ordinairement de très vives douleurs; il ne meurt pas et l'état du malade empire).—Point du tout; mais il est sorti de l'eau épaisse et ma jambe a désenflé tout de suite.»
Ainsi c'était à l'instant même où je commençais la neuvaine que l'intervention d'en haut se manifestait... Trois mois se sont passés depuis, et la protégée de Sr Thérèse a continué à se porter parfaitement.
R. P. B.
——
48.
Chine, 20 juillet 1909.
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus m'a aidé auprès d'une païenne dont je désirais plus spécialement la conversion. Pendant son sommeil, elle vit un être ravissant et mystérieux qui lui montrait le ciel sans proférer une parole; elle me parla longuement de son costume, et je fus frappé en reconnaissant, dans sa description, l'habit de carmélite, absolument inconnu au Sutchuen. A la fin, je lui montrai une image de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, devant laquelle elle s'écria, comme en présence d'une découverte: «Mais c'est cela, mais c'est bien cela! je la reconnais!»
Elle va donc se faire instruire; déjà ses deux enfants étudient chez moi depuis une semaine.
R. Père A.
——
49.
Monastère de la Visitation de Caen (Calvados), 25 juillet 1909.
Vers le mois de décembre 1908, je commençai à souffrir de l'estomac; je pus cependant encore continuer les travaux de nos sœurs converses jusqu'au mois de février. Mais au commencement de ce mois, je fus prise de douleurs si aiguës qu'il me semblait qu'une bête me dévorait l'estomac. Quand ces douleurs me prenaient, je ne pouvais plus marcher, et lorsqu'il me fallait prendre un peu de nourriture, elles augmentaient encore.
Le docteur, ayant reconnu un ulcère, me condamna au repos complet et me fit suivre un régime qui consistait à ne prendre que du lait coupé d'eau de Vals. Mais bientôt les vomissements reprirent et devinrent plus fréquents; quatre à cinq fois par jour, je rejetais le peu de lait que je prenais, et chaque vomissement était mêlé de sang.
Me voyant dans ce triste état, je fus inspirée de faire une neuvaine à S' Thérèse de l'Enfant-Jésus. Nous la commençâmes le jeudi 24 juin; nos sœurs la firent avec moi. Pendant la neuvaine, les souffrances ne firent qu'augmenter; malgré cela ma confiance était inébranlable.
Le dernier jour de la neuvaine, vers midi, j'eus une crise très forte; il me semblait que l'on m'arrachait l'estomac, la douleur était la même dans le dos; cela dura un quart d'heure à peu près.
A 1 heure, sœur Françoise-Thérèse (Léonie), sœur de la bien-aimée petite Thérèse de l'Enfant-Jésus, me donna à boire un peu d'eau dans laquelle elle avait mis un pétale de rose dont Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus s'était servie pour caresser son crucifix, et, en même temps, notre Mère, pleine de foi en la puissante intercession de la petite sainte, se mit à genoux et dit un Laudate et un Gloria Patri. Sa confiance ne fut pas déçue... Aussitôt que j'eus pris cette eau miraculeuse, je sentis quelque chose de très doux qui cicatrisait la plaie.
A partir de ce moment, je ne ressentis plus aucune douleur, mais une faim dévorante. Je bus aussitôt une tasse de lait qui passa très bien, puis, jusqu'au soir, j'en bus un litre et j'avais encore faim.
Le lendemain, au déjeuner, on me servit comme la communauté: je mangeai de l'omelette, des pois, de la salade... Enfin, je me trouve aujourd'hui dans un état de santé des meilleurs. J'ai fait une neuvaine d'action de grâces pour remercier ma chère bienfaitrice, mais mon cœur aura pour elle une éternelle reconnaissance.
Sr Marie-Bénigne.
Suit le certificat du docteur.
——
50.
New-York, 12 août 1909.
A la gloire de Dieu tout-puissant et de sa servante Thérèse, la petite Fleur de Jésus, je raconterai la grande faveur reçue par l'intercession de la sainte carmélite.
Cette grâce obtenue est la guérison extraordinaire de ma sœur mortellement blessée. Cette chère sœur marchait dans les rues de New-York le matin du 30 juillet 1909, quand un cheval indompté se précipita sur elle et la piétina. Sa figure fut horriblement contusionnée et sa tête reçut un tel coup qu'elle était tout en sang. Bien plus, les côtes brisées percèrent le poumon; le cœur fut également blessé et comprimé; en un mot elle offrait l'aspect le plus pitoyable.
Dans son intense agonie, elle ne perdit pas cependant connaissance et put se confesser dans la rue, au prêtre accouru de l'église la plus proche.
Le docteur de l'ambulance de New-York ne pensait pas qu'il lui fût possible d'arriver vivante à l'hôpital et, pour tout espoir, dit seulement qu'une personne sur mille pouvait en réchapper après de si terribles brisements.
Tout le jour, la pauvre jeune fille resta suspendue entre la vie et la mort et, vers minuit, tout espoir de guérison était abandonné. Chaque respiration semblait être la dernière. Elle resta dans cette agonie jusqu'au 3 août. Le médecin la croyait si bien perdue que, pour lui redonner un peu de respiration, il osa lui faire une piqûre qui devait infailliblement amener la mort par l'empoisonnement.
Le 3 août, tandis que le médecin attendait sa mort, une religieuse très dévote à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus nous conseilla de placer en elle toute notre espérance et de lui commencer une neuvaine. Je donnai à ma sœur une image-relique de la petite sainte; elle l'appliqua, avec la plus grande confiance, sur son corps broyé. Aussitôt une amélioration se produisit, et le dernier jour de la neuvaine, la malade était sauvée.
6 septembre 1909.
Je pensais que du moins ma chère sœur resterait un peu délicate des poumons; mais il n'en a rien été; elle jouit maintenant d'une santé aussi forte qu'avant son accident.
Sr M. A.
——
51.
X. (Loiret), 31 août 1909.
Il m'est venu un mal au bras à la suite d'un coup. Je le fis voir au médecin qui me dit que j'avais un très mauvais mal. Et, en effet, je ne dormais plus et je souffrais horriblement. Alors j'eus la pensée d'appliquer sur mon bras une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Quelques heures après que la relique l'eut touché, je sentis un mieux extraordinaire; je passai une très bonne nuit, et le lendemain j'étais complètement guérie.
En reconnaissance je veux faire connaître ma bienfaitrice et la prier tous les jours de ma vie.
M. D.
——
52.
Communauté de G. (Eure-et-Loir), 15 septembre 1909.
Depuis quelques mois j'avais un larmoiement perpétuel et douloureux de l'œil gauche; la glande lacrymale s'était enflammée et rendait de l'humeur.
Notre Mère m'envoya alors chez l'oculiste qui me dit que souvent cette inflammation amenait un flegmon, et commença à me soigner en m'enfonçant une sonde qui me fit très mal. Sur ma demande s'il aurait à y revenir, il me répondit: «C'est toujours très long; il faut parler au moins de 14 ou 15 fois, en venant trois fois par semaine.»
Je me résignai et retournai le surlendemain; il prit une sonde un peu plus grosse et, après avoir examiné mon œil qui me faisait beaucoup souffrir, il parla de 20 sondages. C'était jeudi dernier, 9 septembre.
Le vendredi l'écoulement continuait et la douleur aussi; c'est alors que j'ai eu la pensée de m'adresser à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et que je vous ai écrit pour demander des prières. Mais, ma Révérende Mère, votre petite sainte ne les a pas attendues pour m'exaucer car, à partir du moment où j'ai fait cette démarche, je n'ai plus souffert et je n'ai plus eu à l'œil le plus petit suintement. Dès le lendemain, samedi, je retournai chez l'oculiste; il m'examina et parut positivement stupéfait de me voir si bien et si rapidement guérie contre toutes ses prévisions.
Sr X.
——
53.
Piacenza, Italie, 25 septembre 1909.
Notre petite Henriette, âgée de 11 ans, était depuis deux ans malade d'entérite aiguë opiniâtre. Tous les remèdes employés avaient été impuissants à la guérir, même à l'améliorer.
Elle demeura un mois à l'hôpital, soumise aux traitements des médecins les plus distingués, mais le mal ne faisait qu'empirer. Nul aliment ne pouvait s'arrêter dans l'intestin et la pauvre petite malade en était venue à un affaiblissement extrême. Emaciée, décolorée, elle n'avait qu'à fermer les yeux au sommeil de la mort. On lui prescrivit les bains de mer, les bains de salsemaggiore; rien ne lui profita. Le médecin frappait du pied en voyant l'insuccès de la science.
Affligés, découragés, nous ne songions plus désormais ni à médecins, ni à remèdes. Ce fut alors qu'on nous remit providentiellement un objet ayant appartenu à une religieuse carmélite: Thérèse de l'Enfant-Jésus. Une neuvaine fut commencée, et le dernier jour la guérison était parfaite.
Aujourd'hui, après deux mois, notre petite Henriette se porte aussi bien que si elle n'avait jamais été malade; pas de rechute, pas de menaces de rechute. C'est un miracle pour nous, car la longue durée et la gravité du mal, la guérison soudaine au moment où la maladie semblait s'aggraver, c'est là un fait que nous ne saurions expliquer par notre courte raison humaine.
X. X.
——
54.
S., Angleterre. 13 octobre 1909.
Je prends la liberté de vous écrire pour vous raconter la guérison merveilleuse que la chère petite «Fleur de Jésus» a opérée en ma faveur.
Je suis une Pénitente et désirais beaucoup entrer dans la communauté des Madeleine, mais je tombai malade. En juillet, une névrite se déclara au bras droit: les douleurs que je souffrais la nuit étaient intolérables, il m'était impossible de dormir. Le docteur me donna des remèdes très énergiques, mais rien ne me soulageait.
Le 4 septembre, j'allai voir la Mère maîtresse des Pénitentes, qui me donna un feuillet de la chère «Petite Fleur» en me disant de lui faire une neuvaine. Je commençai le soir même, cessant tout remède.
Dès le troisième jour je ne ressentis plus aucune douleur; j'étais guérie.
A. C.
——
55.
Barcelone, Espagne, 14 octobre 1909.
J'étais atteinte depuis douze ans de douleurs à la jambe gauche. Pendant 18 mois, elles furent intolérables, malgré les soins que l'on me prodiguait. Notre Révérende Mère Supérieure me fit conduire alors chez un spécialiste. A la vue de ma jambe qui se desséchait, celui-ci déclara la gravité du mal, ordonna du repos et dit qu'il fallait craindre une paralysie.
J'en étais là, quand une religieuse de notre communauté me prêta une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, m'engageant à la prier avec une confiance absolue. Je lui fis alors une neuvaine et cessai tout traitement, n'attendant de secours que de notre chère sainte. Les sept premiers jours les douleurs augmentèrent; j'étais tentée de me décourager, mais une voix intérieure que je ne saurais rendre me disait: «Tu guériras».
Le huitième jour je me sentis grandement soulagée, mais ma guérison n'était pas encore complète; alors je fis une seconde neuvaine, et la chère petite sainte me prit en pitié.
Depuis un an, non seulement je n'ai donné aucun soin à ma jambe; mais je remplis une charge qui me force à marcher ou à me tenir debout la plus grande partie de la journée, sans prendre jamais une heure de repos. Quelle reconnaissance je garde à Sr Thérèse pour une guérison si inespérée!
Sr J. D.
——
56.
X., Angleterre, 15 octobre 1909.
Depuis onze ans, Mme D. souffrait de douleurs presque incessantes, causées par le développement d'une tumeur qui poussait de profondes racines visibles jusque sur le dos de la malade.
A mesure que le temps s'écoulait, les douleurs devenaient plus intenses et la tumeur plus volumineuse. Durant les trois dernières années avant la guérison, la malade n'eut pas une heure de répit; elle passait des nuits blanches, rongée par la douleur incessante, ne dormant jamais plus de sept minutes de suite.
En 1909, son médecin lui conseilla de se faire opérer; mais plusieurs chirurgiens l'ayant examinée, la déclarèrent inopérable, la tumeur affectant tous les organes du corps.
A partir de ce moment, elle ne cessa de s'affaiblir; et, durant les dix dernières semaines qui précédèrent sa guérison, elle ne put boire que de l'eau gazeuse, additionnée d'alcool, ou un peu de glace sucrée. Cette alimentation si légère lui causait des crises de vomissements. La tumeur, devenue énorme, pesait sur les organes intérieurs et en paralysait toutes les fonctions.
Sa vie semblait toucher au terme, et on était sur le point de lui administrer de nouveau les derniers sacrements.
Bien des neuvaines avaient été faites pour obtenir sa guérison; mais une de ses amies lui ayant fait connaître Sr Thérèse, «La Petite Fleur de Jésus», une neuvaine fut commencée le dimanche 22 août, en l'honneur de l'angélique sainte.
Durant les trois premiers jours la malade baissa rapidement, et le jeudi on s'attendait à ce qu'elle mourût dans la nuit. Ses douleurs étaient aiguës, ses yeux voilés.
A onze heures du soir elle eut un vomissement qui l'épuisa complètement, puis elle s'endormit et, pour la première fois depuis bien des années, reposa paisiblement jusque vers cinq heures et demie du matin. Elle fut réveillée par un léger attouchement sur les épaules, comme si quelqu'un se penchait sur elle; elle sentit en même temps une douce chaleur, telle qu'une respiration, et comprit qu'il y avait auprès d'elle une présence invisible...
Toute douleur, toute souffrance avait disparu.
Mme D. ne dit rien à personne du miracle dont elle venait d'être favorisée; elle attendait la visite du docteur pour qu'il s'en rendît compte lui-même. Pendant une heure, il l'examina, la palpa et avoua que tous les organes fonctionnaient bien; que l'enflure et la tumeur avaient disparu, ne laissant qu'une petite grosseur sur le côté, telle qu'une petite bille, comme pour prouver que la tumeur avait existé. Il ne restait plus trace de ces racines qu'on avait constatées auparavant jusque sur le dos de la malade.
Quand, à la fin de cet examen, une des filles de Mme D. rentra dans la chambre, elle trouva le docteur—un protestant—la tête dans ses mains, stupéfait: «Après tout, lui dit-il, je crois en Dieu; je sais qu'il peut faire des miracles: certes, en voici un!»
X.
Suit le certificat du médecin.
——
57.
X. (Maine-et-Loire), 15 octobre 1909.
Depuis de longues années, ma domestique souffrait de malaises d'estomac allant toujours s'aggravant. Finalement, le docteur dit: «Il n'y a plus qu'une chance de prolongement de vie: l'opération.»
La malade, ne pouvant plus se nourrir, s'y résigna. Il y avait rétrécissement et affection grave au pylore. C'était l'affaire de quelques jours, de quelques semaines au plus.
L'opération eut lieu un vendredi. Le dimanche j'allai voir la malade que je trouvai dans un état épouvantable. Des vomissements de sang à pleine cuvette l'avaient réduite à ce qu'il y a de pire: physionomie sans vie, yeux ternes. Comme voix, un souffle à peine perceptible, inconscience presque complète. Comme nourriture, une seule chose possible: de la glace trempée dans du lait. On croyait si bien à sa mort, que les démarches étaient faites auprès des municipalités pour obtenir les pièces nécessaires à l'inhumation.
Mais la fille de la malade m'avait envoyé une petite relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, me demandant avec instance de la faire appliquer à sa mère. Je la confiai à la religieuse qui la soignait, et elle lui fut appliquée.
A partir de ce moment, je reçus chaque jour des nouvelles de plus en plus rassurantes. Au cours de la neuvaine, la malade avait considérablement repris. Elle mourait de faim et avait grand'peine à s'en tenir au régime exigé.
Quinze jours après, je la ramenai chez moi. Depuis longtemps elle a repris son travail, ne sent point de malaises, mange bien, en un mot se sent guérie.
L'abbé B., curé.
——
58.
X., Turquie d'Asie, 18 octobre 1909.
Je soussigné, pour la plus grande gloire de Dieu et la glorification de ses saints, déclare ce qui suit:
Au mois de juin dernier, ma belle-sœur, se trouvant dans son cinquième mois, reçut un sérieux coup de la part de son premier enfant âgé de deux ans qui, tout en s'amusant, se précipita sur elle. Il s'ensuivit des douleurs tellement vives que le docteur, appelé en toute hâte, déclara qu'il y avait à craindre sur l'heure un terrible accident ou bien que l'enfant naîtrait estropié.
Je recommandai aussitôt la chère malade et son enfant aux prières des religieuses carmélites de cette ville, qui demandèrent à Dieu la guérison de la mère en même temps que le parfait état de l'enfant, par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, morte en odeur de sainteté au Carmel de Lisieux. En même temps, elles me remirent pour la malade un morceau de vêtement de ladite sainte.
Aussitôt que la relique fut appliquée sur le mal, les douleurs cessèrent et la mère se leva le lendemain pour reprendre ses occupations habituelles.
Depuis, tout marcha bien et jamais plus douleur ne reparut. La mère était sauvée... Restait à examiner l'état de l'enfant.
Ce fut une fillette qui vint au monde le 13 octobre, dans un parfait état de santé et nullement estropiée, au grand étonnement du docteur. En signe de reconnaissance, toute la famille a décidé à l'unanimité que l'enfant portera le nom entier de «Thérèse de l'Enfant-Jésus».
Abbé X.
Aumônier du Carmel de X.
——
59.
Rome, 30 octobre 1909.
En lisant la brochure des faveurs attribuées à l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, j'ai pensé qu'un petit chapitre y manquait: celui de ma guérison spirituelle qui, à mon avis, est un grand miracle. Je vais le dire le plus brièvement possible:
Ma pauvre âme répondait en tout au portrait de ce qu'on pourrai appeler d'une manière générale, l'âme moderne: ténèbres de l'esprit et sentimentalité maladive et non moins pénible du cœur.
J'avais reçu une de ces formations si communes de nos jours, où tout est superficiel, où, comme le disait un religieux éminent, l'on croirait trouver l'élément du semi-pelligianisme. C'est une étude continuelle, énervée de soi, et un oubli complet de la grâce. Il arrive alors que les meilleures volontés succombent, se croyant seules à lutter contre la mauvaise nature.
Il faut connaître cet état par expérience, ma Révérende Mère, pour pouvoir s'en faire une idée exacte. Aujourd'hui que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus a donné la paix à mon âme, je puis jeter un regard sur ce passé et en comprendre toutes les misères.
Ce que j'ai souffert pendant ma première année de noviciat, je renonce à vous en parler. Je crois tout dire en vous assurant que ce fut un martyre perpétuel.
Le scrupule avait formé en moi comme une seconde nature, mon esprit voyait tout en noir. C'était la nuit, nuit horrible, nuit que je sentais et que je me voyais impuissant à éviter. On ne marche pas impunément dans les ténèbres, dans un chemin composé d'une suite de précipices; aussi ma pauvre âme tomba à diverses reprises dans des abîmes de misères. Jésus le permit sans doute pour mieux manifester un jour la puissance de sa petite épouse, car le salut devait me venir par elle.
Je souffrais toujours beaucoup lorsque «l'Histoire d'une âme» arriva providentiellement dans notre monastère. Je voulus la lire à mon tour, et cette lecture produisit en mon esprit une telle impression qu'un rayon d'espérance vint éclairer les ténèbres de mon âme.
Sachant que je ne pouvais garder le livre, je m'empressai de prendre des notes car je crus voir là comme l'aurore de ma délivrance. C'était bien cela en effet. Cette petite «reine» venait d'étendre son royaume jusque dans ma pauvre âme, et elle agit en vraie souveraine dans le royaume qu'elle venait de conquérir. Elle commença en moi un travail de transformation qui, en peu de temps, allait remplacer une vie de trouble et de souffrances par une autre toute de paix et de joie sainte.
La première parole qui sortit des lèvres de mon vénéré Père Abbé, en constatant par lui-même l'action toute divine de cette élue de Dieu sur moi, fut un conseil pressant de vous le faire savoir afin que cela pût servir à la gloire de celle que j'appelle ma libératrice, la vraie mère de mon âme...
Rd P. X.
——
60.
N. (Aube), 2 novembre 1909.
Le 2 août dernier, mon petit garçon, âgé de cinq ans, fut atteint d'une péritonite à la suite de la rougeole. Malgré les soins du médecin, l'enfant s'affaiblissait de jour en jour de sorte qu'on craignait pour la poitrine. Il avait une forte fièvre, un point douloureux au côté et était devenu d'une extrême maigreur.
Au bout de deux mois, le médecin ayant déclaré qu'il n'y avait ni médecin, ni médicament capable de le guérir, on eut recours à un spécialiste qui ne fit que confirmer le diagnostic du docteur, ne nous cachant pas que l'enfant était perdu, et que la seule chose à tenter était le grand air et la suralimentation. Nous comprenions qu'un miracle seul pouvait le sauver.
Madame la Supérieure du Carmel de X. nous conseilla de faire une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, dont elle avait éprouvé pour elle-même la puissante intercession.
Dieu nous a exaucés! Le huitième jour de notre neuvaine, le cher enfant se lève, l'appétit revient, et l'obstruction intestinale disparaît, c'est une véritable résurrection.
Quelle reconnaissance ne devons-nous pas à Sr Thérèse! Que Dieu nous accorde sa prompte béatification afin qu'elle soit connue et aimée de tous!
A. R.
Suit le certificat du médecin.
Rd P. X.
——
61.
Carmel de V. (Espagne), 7 novembre 1909.
Pour comprendre combien je suis redevable à votre chère petite Sainte, vous devez savoir de quel mal elle m'a guérie; je vous confierai donc mon secret afin que vous rendiez grâces à Dieu qui seul peut opérer de pareils changements.
Depuis plus de six années, je souffrais d'une tentation terrible qui semblait vouloir empoisonner toute ma vie religieuse. Si heureuse pourtant dans ma vocation, je me demandais souvent si je ne m'étais pas trompée et à quoi me servirait ma vie austère de Carmélite, si je n'avais en perspective qu'une éternité de tourments, car je croyais déjà mon arrêt de damnation prononcé!... Ces suggestions entravèrent mes élans vers Dieu que je n'osais plus regarder comme mon Père, mais comme un juge terrible et irrité.
Pendant cette dernière année 1909, à cet état d'âme si pénible vinrent se joindre des souffrances physiques continuelles qui rendaient les épreuves morales encore plus insupportables. C'est alors que je commençai une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus pour obtenir ma double guérison.
Au matin du deuxième jour, je la sentis près de moi, infusant dans mon âme, avec cette paix qui surpasse tout sentiment, un ardent désir de ma sanctification, une volonté ferme de ne plus vouloir que celle de Dieu. Ma céleste libératrice opérait en moi une transformation telle que, depuis lors, l'ombre même de la défiance ne m'a plus effleurée.
Cette grâce ne peut s'exprimer.
Sr X.
——
62.
S. M., Portugal, 14 novembre 1909.
Au commencement du mois de mai, mon frère s'était fait mal à la jambe et la blessure, d'abord insignifiante, devint de plus en plus grande et prit un aspect horrible: elle allait du genou au pied. Il souffrait de grandes douleurs, et tous les jours le mal devenait plus grave. Ce qui nous faisait perdre courage, c'était l'exemple de notre oncle, affligé, depuis bien des années, d'une semblable blessure qu'on n'a jamais pu guérir... Je me suis alors tournée avec confiance vers Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Nous fîmes trois neuvaines de suite, et, à la dernière, la jambe fut guérie.
J. M. de B.
——
63.
D., Sénégal, 18 novembre 1909.
Vers la mi-janvier 1909, je fus pris d'un chagrin immense, d'une tristesse et d'un abattement insupportables.
J'avais perdu tout appétit, toute gaieté, je maigrissais à vue d'œil, le temps me paraissait ne pas s'écouler; et, ne prenant de plaisir absolument à rien, la neurasthénie vraiment horrible qui m'étreignait me rendait l'existence d'une amertume que pourront comprendre seuls ceux qui ont subi les effets de cette mauvaise maladie...
Je m'adressai au Sacré-Cœur de Jésus, à Notre-Dame de Lourdes, les suppliant de faire cesser cet état de découragement si profond et cette lassitude dont je ne pouvais m'affranchir.
Pendant quatre longs mois, le ciel sembla demeurer sourd à mes prières et à mes supplications, et je songeais à me faire rapatrier du Sénégal, quand, vers les premiers jours du mois de Marie, je me pris à rougir de mon manque d'énergie, je me sentis pris d'un grand courage pour réagir contre mon état mental, cause de tous les maux dont je souffrais. Les forces me revinrent avec l'appétit: la neurasthénie avait totalement disparu. La vie me réapparut pour ainsi dire belle et pleine de charmes.
Le 17 mai, je reçus de ma famille une lettre où l'on m'annonçait que l'on avait commencé et même terminé, à mon intention, une neuvaine en l'honneur de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, carmélite, morte en 1897, en odeur de sainteté, au Carmel de Lisieux.
Je dois dire que mes souffrances morales ont pris fin vers les premiers jours de mai, c'est-à-dire précisément au moment où commençait la neuvaine en l'honneur de la sainte carmélite.
Je délivre cette attestation en reconnaissance de la faveur obtenue.
O. B., officier.
——
64.
N. (Alpes-Maritimes), 21 novembre 1909.
Très Révérende Mère,
Je viens accomplir un devoir bien doux que m'impose ma conscience, en vous écrivant ces quelques lignes.
Atteint depuis plus de vingt ans d'une maladie d'estomac, je croyais être au terme d'une longue durée de souffrances, car, au mois de juillet dernier, mon mal empira d'une façon inquiétante et mon docteur ne conservait qu'un bien faible espoir. Les médications n'opéraient plus et ne m'apportaient aucun adoucissement. L'appétit était nul et je n'avais plus de sommeil. Les professeurs et élèves devaient partir, vers le 8 juillet, en colonie de vacances, et j'avais depuis longtemps renoncé au plaisir de les suivre, tant j'étais épuisé, puisque mon pauvre estomac ne pouvait plus supporter la moindre nourriture, même quelques gorgées de lait.
Je reçus alors la visite d'un jeune séminariste qui me parla, en termes très émus, de la dévotion à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus; il me proposa de m'associer à une neuvaine de prières faites au Carmel pour ma guérison. Je priai avec toute la confiance que m'avait inspirée mon ami, et le 6 juillet, au soir, je demandai à la «petite reine» de pouvoir dormir jusqu'au lendemain, cinq heures.
Moi qui ne dormais plus, je ne me réveillai le lendemain qu'à l'heure fixée. Mieux encore: l'appétit était revenu, et le 8 juillet, au matin, je partis pour un long voyage.
Quinze jours après, je pus suivre une excursion et faire 40 km. à pied dans une seule journée! Bien des amis qui m'avaient vu si près de la mort témoigneraient volontiers aujourd'hui du miracle de ma guérison.
Je fais des vœux pour que Sr Thérèse soit connue, vénérée et bientôt glorifiée sur nos autels.
A. H., professeur.
——
65.
A., 9 décembre 1909.
Ma Révérende Mère,
Je suis chargée par une de mes amies de vous écrire le fait suivant.
Avant de commencer, permettez-moi de vous donner quelques détails pour vous la faire connaître:
Mme X. est protestante; sa fille, mariée à un Hollandais catholique, a fait son abjuration et sa première communion depuis son mariage; ce jeune ménage habite Buenos-Ayres.
Au commencement de cette année, mon amie vous écrivit, vous demandant un livre de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, car elle voulait faire une neuvaine à cette petite sainte; elle avait appris que sa fille était malade et, en même temps, elle recevait la nouvelle que son gendre se disposait à revenir en Hollande pour recevoir un dernier adieu de son père mourant. Cette pensée était pour elle une véritable épreuve, sachant loin d'elle sa fille restée seule et malade.
Chaque jour de la neuvaine, Mme X. lisait un chapitre de la vie de Sr Thérèse. Or, un jour qu'elle venait d'achever sa lecture, après avoir senti plusieurs fois une odeur de fleurs et d'encens, elle voit tout à coup devant elle une mer bleue, sur laquelle voguait un bateau qu'elle reconnut pour être un de ceux de la Compagnie hollandaise; en même temps elle entendit comme des bruits de cloches et des voix célestes qui la ravissaient. Cela dura quelques instants, puis tout cessa... «Qu'est-ce que ceci?!...» se dit-elle.
Elle ne parla d'abord à personne de ce qui venait de lui arriver; mais au bout de quelques jours, elle dit à son mari: «Nous avons la certitude que notre gendre est en route; mais si toute la famille revient, notre gendre, notre fille, notre petit-fils, je puis te dire que mes idées religieuses seront changées: je croirai à la communion des saints, car voilà ce que, pendant ma neuvaine, j'ai vu et entendu.»
Les choses s'étant réalisées à la lettre, Mme X. a tenu sa promesse, elle croit maintenant à la communion des saints.
Elle-même veut signer cette lettre que je vous écris en son nom.
Veuillez, etc...
C. Th. de C.
Après avoir lu la lettre de mon amie, j'affirme que c'est la vérité.
D. B.-P.
——
66.
L. (Calvados), 16 décembre 1909.
Voilà quinze jours, une jeune parente, âgée de vingt-deux ans, descendait chez moi pour se faire opérer d'une fistule. Je lui donne à lire les faveurs attribuées à votre petite sainte; et, profondément touchée de ces guérisons, elle se recommande elle-même avec confiance à votre chère sœur.
Nous commençons ensemble une neuvaine et, le jeudi 9 novembre, la malade voulut faire un pèlerinage sur sa tombe. A mesure que nous priions, il nous semblait qu'un petit oignon de fleurs sortait de terre; la malade le prit et, rentrée à la maison, je l'appliquai avec une grande foi sur la fistule qui était grosse comme un œuf.
Le dernier jour de la neuvaine, cette jeune fille était complètement guérie. Depuis, elle fait de longues marches sans se fatiguer et ne souffre plus du tout. Nous ne savons comment exprimer notre reconnaissance à la chère Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, si puissante auprès du bon Dieu.
V. L.
——
67.
R. R. (Orne), 10 janvier 1910.
En allant à Lisieux, le 4 août dernier, accomplir un pèlerinage à la tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, je passai à Caen pour consulter un oculiste renommé, car je souffrais beaucoup des yeux. Il me les trouva, en effet, très malades et me condamna à subir une opération dans le délai d'un mois.
Sur la tombe de la petite sainte je fus délivrée de doutes cruels dont je souffrais depuis plusieurs années, je retrouvai la paix de l'âme et je passai des horreurs de l'enfer aux suavités du ciel. Pendant que Sr Thérèse soulevait ainsi la montagne de ma détresse d'âme, j'eus la pensée de lui demander de guérir aussi mes yeux. Je les appuyai sur la croix de sa tombe avec confiance. Il me sembla alors qu'elle y mettait du velours et le mal disparut... Je n'ai fait aucun remède et n'ai point eu à subir d'opération. Je travaille sans fatigue à la lumière, ce que je ne pouvais plus faire.
L. A.
——
68.
S. (Mayenne), Il janvier 1910.
Au mois de mai 1909, ma mère tomba très gravement malade et le médecin me dit en particulier: «Votre mère est perdue: elle est atteinte d'un ulcère à l'estomac.» J'étais désolée et ne savais à quel saint la recommander, quand une de mes amies me conseilla de faire une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Ma mère avait vomi plusieurs fois un sang noir et fétide; depuis 15 jours, elle ne pouvait plus digérer ni les œufs, ni le lait, et passait des nuits épouvantables.
Le premier jour de la neuvaine, je fis tremper dans l'eau une relique de la petite sainte; ma mère en but et se trouva mieux; le troisième jour elle éprouva, au moment où elle buvait l'eau, quelque chose d'anormal, comme un resserrement subit à l'estomac. Elle était guérie, et, pleine de joie et de confiance, elle se mit à manger du pain et de la viande, ce qu'elle n'avait pas fait depuis quatre mois.
Aujourd'hui, 11 janvier 1910, son parfait état de santé s'est très bien maintenu. Je garde, ainsi que toute ma famille, une profonde reconnaissance à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
M. H., couturière.
Suit la signature de M. le Curé et de plusieurs autres personnes.
——
69.
X., 17 janvier 1910.
J'étais souffrante depuis plusieurs jours d'un grand mal de tête, j'avais de plus mal aux jambes et ne pouvais me tenir debout, de sorte que ma maîtresse m'avait envoyée coucher. Bientôt je fus prise d'une sueur froide et, au bout de deux jours, me sentant de plus en plus malade, je mis la relique de votre chère petite sainte sur mon front. A l'instant même je me sentis guérie. Je me levai et je repris mon travail sans éprouver aucune fatigue.
Mais voici une autre grâce que j'estime bien autrement grande. J'ai demandé à mon confesseur si je pouvais vous la faire connaître. Il m'a répondu que non seulement je le pouvais, mais que c'était un devoir de le faire.
Depuis environ 22 ans, je n'avais pas cessé d'éprouver des doutes contre la foi. J'en étais réduite, la plupart du temps, à aimer le bon Dieu, à le servir, au cas où il existerait. En même temps, j'avais une grande soif de Dieu; de sorte que cette soif de Dieu, avec l'impossibilité de le trouver, me faisait quelquefois penser aux souffrances des damnés dans l'enfer.
Mais depuis que j'ai lu, dans la vie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, ce qu'elle dit de l'Amour miséricordieux du Seigneur, les doutes se sont enfuis, la reconnaissance et la confiance ont pris tout mon cœur.
Pour remercier la chère petite sainte, j'ai l'intention de prélever sur mes gages ce qui me sera possible, pour aider à faire connaître sa «petite voie d'amour et d'abandon»; ce sera mon humble merci.
De la même; quelques mois plus tard.
Je viens de faire la donation complète de moi-même à votre chère petite sainte. Voici comment: je connais une âme qui, dans son enfance, s'est livrée au démon. Songeant à l'influence que celui-ci avait exercé sur elle, je me suis dit qu'en me donnant à Sr Thérèse, elle n'aurait pas moins de zèle pour ma sanctification que le diable n'en avait eu pour la perte de cette âme.
Après avoir soumis ce projet à mon confesseur qui l'a pleinement approuvé, je me suis livrée totalement et irrévocablement à ma chère sainte pour qu'elle me donne au bon Dieu.
Depuis ce jour, je ne cesse d'éprouver sa bienfaisante influence.
——
70.
N. (Oise), 17 janvier 1910.
Mon petit garçon avait été pris de fièvre, points dans le dos, vomissements et violents maux de tête.
Il était ainsi depuis deux jours, quand, lui ayant posé sur la poitrine la relique de votre chère sainte, il se trouva guéri à l'instant même. Il s'est mis alors à tousser et à chanter pour me prouver qu'il n'avait plus aucun mal. Depuis, il ne s'est ressenti de rien.
L. B.
——
71.
71.
Monastère de X.. Canada, 18 janvier 1910.
Je venais à peine d'achever la lecture du récit des grâces extraordinaires que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus accorde de tous côtés, que l'occasion s'est présentée pour moi d'avoir recours à sa puissance sur le divin Cœur de Jésus.
Un de nos frères qui travaille au moulin s'était fait une blessure grave. Il venait de descendre au bas du moulin (à la turbine) lorsqu'il s'aperçoit que quelque dérangement se produisait à l'étage supérieur. Il remonte précipitamment l'escalier, quand tout à coup le couteau qu'il porte toujours suspendu à la ceinture est venu heurter le manche contre le degré de l'escalier, et la lame sur laquelle il a frappé de toute sa force est entrée profondément dans le genou, entre la rotule et le kondyle; cette lame, de 6 centimètres de long, était si fortement engagée que le pauvre frère ne pouvait la retirer. Mais le plus grand mal venait de ce que le sang, au lieu de sortir de la plaie, avait coulé à l'intérieur; le médecin, qui ne se dissimulait pas la gravité du coup, disait que la poche ou récipient à synovie était percé, et il eut grand'peine à faire sortir un peu de sang au dehors; il restait au fond du récipient, ce qui faisait craindre qu'il ne se corrompît et ne formât un abcès. Le docteur décida, que, dans quelques jours, il faudrait seringuer fortement la plaie.
Le travail était urgent au moulin, et personne pour remplacer notre frère meunier. J'eus alors l'inspiration de m'adresser à la chère sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Pendant qu'on donnait des soins au blessé, je disais intérieurement: «Puisque vous avez promis de faire descendre du ciel une pluie de roses, laissez tomber une petite feuille de rose sur ce genou.»
Tout le jour, le frère souffrit beaucoup; son estomac ne pouvait rien supporter, pas même du liquide, et il se trouvait toujours près de s'évanouir. Il m'a avoué depuis qu'il avait pensé à me demander les derniers sacrements.—Nuit sans sommeil.—Le lendemain, le bon frère me dit: «J'ai vu Sr Thérèse cette nuit, elle était vêtue de blanc et couronnée de fleurs blanches. Elle passa près de moi et me sourit...»
De fait, la plaie était fermée... plus de douleur, même à forte pression. L'obéissance seule a été capable de retenir le blessé au repos; trois jours après, il a échappé et est revenu au moulin.
Ma reconnaissance et ma confiance sont acquises pour toujours à cette âme privilégiée. Je la prie souvent, et mon grand désir serait d'avoir quelque petit objet qui lui ait appartenu.
Fr. X., prieur.
——
72.
Québec, Canada, 18 janvier 1910.
Ma mère souffrait depuis longtemps de vives douleurs à un pied, tellement qu'au mois de décembre, elle n'avait plus d'espoir que dans une opération. Je pris alors une image de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus que je plaçai le soir dans le bandage, et le lendemain tout mal avait disparu.
A. B.
——
73.
M., Indes, 19 janvier 1910.
Un prodige de grâces s'est opéré par la lecture de la vie de votre aimable sainte.
Cette histoire est tombée entre les mains d'une dame veuve qui a passé toute la nuit à la lire... Le matin, elle était convertie! Accablée de remords, elle s'est confessée, et maintenant elle n'aspire plus qu'à la vie religieuse.
X.
——
74.
E., Belgique, 19 janvier 1910.
C'est à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus que j'attribue d'être guérie d'un abcès au foie sans avoir dû subir l'opération jugée nécessaire par plusieurs docteurs. Je l'ai priée avec grande confiance, lui promettant de propager sa dévotion et de faire un pèlerinage à son tombeau si elle m'accordait la grâce demandée.
Aujourd'hui je suis mieux portante qu'avant ma maladie.
——
74.
L. S., 9 février 1910.
Un petit garçon de sept ans, qui paraissait possédé du démon, était délaissé par tous les médecins, il criait nuit et jour et déchirait tout son petit corps qui n'était qu'une plaie. Après une neuvaine faite à la sainte Vierge par l'intercession de Sr Thérèse, l'enfant s'est calmé, les cris ont cessé et son corps est redevenu sain[272].
L. L.
——
76.
T., Italie, 11 février 1910.
C'est la reconnaissance qui m'amène à vous, ma Révérende Mère, pour vous annoncer une nouvelle grâce reçue au milieu d'innombrables autres moins grandes, mais continuelles, par l'intercession de votre petite sainte.
Une de nos jeunes sœurs de la Maison centrale des Filles de la Charité de T. avait été frappée d'un érésipèle si violent qu'en quatre jours elle fut à toute extrémité.
Profitant d'une lueur d'intelligence au milieu de son douloureux délire, on lui fit recevoir les derniers sacrements.
Nous en étions à ce point quand je me sentis inspiré de recourir à l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Je fis commencer une neuvaine aux petites élèves de la malade et, au troisième jour, notre chère Sœur était hors de danger.
Aidez-nous, ma Révérende Mère, à remercier Sr Thérèse dont la charitable et suave mission se fait sentir au milieu des épines de notre chemin.
D., pr., Directeur de l'Œuvre de...
——
77.
Carmel de Gallipoli, Italie, 25 février 1910.
Ma Révérende Mère,
Le Cœur de Jésus a voulu se servir de moi, la plus indigne de cette communauté, pour faire éclater son infinie miséricorde.
Je vous envoie la relation du miracle accompli en notre faveur. Mais il y a à Rome un grand document signé non seulement de toutes nos Sœurs, mais encore de l'Illme Mgr l'Evêque et d'une commission de Révérends.
Dans la nuit du 16 janvier, je me trouvai très souffrante et préoccupée de graves difficultés[273]. Trois heures venaient de sonner, et, presque épuisée, je me soulevai un peu sur mon lit comme pour mieux respirer, puis je m'endormis et, en rêve, il me semble, je me sentis touchée par une main qui, faisant revenir la couverture sur mon visage, me couvrait avec tendresse. Je crus qu'une de mes Sœurs était venue me faire cette charité, et, sans ouvrir les yeux, je lui dis: «Laissez-moi, car je suis tout en sueur, et le mouvement que vous faites me donne trop d'air.» Alors une douce voix inconnue me dit: «Non, c'est une bonne chose que je fais.» Et continuant de me couvrir: «Ecoutez... le bon Dieu se sert des habitants célestes comme des terrestres pour secourir ses serviteurs. Voilà 500 francs, avec lesquels vous paierez la dette de votre Communauté.»
Je répondis que la dette de la Communauté n'était que de 300 francs. Elle reprit: «Eh bien, le reste sera en plus. Mais comme vous ne pouvez garder cet argent dans votre cellule, venez avec moi.» Comment me lever, étant tout en sueur? pensai-je. Alors la céleste vision, pénétrant dans ma pensée, ajouta souriante: «La bilocation nous viendra en aide.»
Et déjà je me trouvai hors de ma cellule, en compagnie d'une jeune Sœur carmélite dont les habits et le voile laissaient transparaître une clarté de Paradis qui servit pour nous éclairer dans notre chemin.
Elle me conduisit en bas dans l'appartement du tour, me fit ouvrir une cassette en bois où il y avait la note de la dette de la Communauté, et elle y déposa les 500 fr. Je la regardai avec une joyeuse admiration et je me prosternai pour la remercier en disant: «O ma sainte Mère!...» Mais elle, m'aidant à me relever et me caressant avec affection, reprit: «Non, je ne suis pas notre sainte Mère, je suis la servante de Dieu, sœur Thérèse de Lisieux. Aujourd'hui, au Ciel et sur la terre, on fête le Saint Nom de Jésus.» Et moi, émue, troublée, ne sachant que dire, je m'écriai plus encore avec mon cœur qu'avec mes lèvres: «O ma Mère...» mais je ne pus continuer. Alors l'angélique Sœur, après avoir posé sa main sur mon voile comme pour l'ajuster et m'avoir fait une caresse fraternelle, s'éloigna lentement. «Attendez, lui dis-je, vous pourriez vous tromper de chemin.» Mais avec un sourire céleste elle me répondit: «Non, non, MA VOIE EST SÛRE, ET JE NE ME SUIS PAS TROMPÉE EN LA SUIVANT...»
Je m'éveillai et, malgré mon épuisement, je me levai, je descendis au Chœur, et je fis la sainte Communion.
Les Sœurs me regardaient et, ne me trouvant pas comme à l'habitude, elles voulaient faire appeler le médecin. Je passai par la sacristie et les deux sacristines insistèrent beaucoup pour savoir ce que j'avais. Elles aussi voulaient absolument m'envoyer au lit et faire appeler le médecin. Pour éviter tout cela, je leur dis que l'impression d'un rêve m'avait beaucoup émue et je le leur racontai en toute simplicité.
Ces deux religieuses me pressèrent alors d'aller ouvrir la cassette, mais je répondis qu'il ne fallait pas croire aux rêves. Enfin, sur leurs instances, je fis ce qu'elles voulaient: j'allai au tour, j'ouvris la boîte et... j'y trouvai réellement la somme miraculeuse de cinq cents francs!...
Je laisse le reste, ma Révérende Mère, à votre considération.....
Nous toutes, nous nous sentons confuses d'une si immense bonté et nous appelons de nos vœux le moment de voir sur les autels la petite sœur Thérèse, notre grande protectrice.
Suor M. Carmela del Cuore di Gesu,
r. c. i.
prieure.
——
78.
De la même. Septembre 1910.
Ma Révérende Mère,
Il m'en coûte beaucoup de vous confier ce que ma chère petite Sr Thérèse a fait pour nous depuis le mois de janvier. Mais je ne peux pas résister plus longtemps à vos prières ni à ma petite sainte qui veut m'obliger à manifester les prodiges de Dieu opérés par elle.
A la fin du mois de janvier, malgré les soins avec lesquels notre sœur dépositaire, la clavière et les deux sœurs du tour tiennent leurs livres de comptes, nous avons trouvé dans la recette un surplus de 25 lires que nous n'avons pas pu nous expliquer, si ce n'est en pensant que Sr Thérèse l'avait glissé dans notre caisse. Alors Mgr notre Evêque voulut que je séparasse l'argent de la communauté d'avec les deux billets qui nous restaient des dix apportés du Ciel.
A la fin de février, de mars et d'avril, nous avons remarqué la même chose étrange; seulement la somme variait.
Au mois de mai, j'ai revu ma petite Thérèse; elle m'a d'abord parlé de choses spirituelles, et elle m'a dit ensuite: «Pour vous prouver que c'est bien moi qui vous ai apporté le surplus d'argent constaté à vos différents règlements de comptes, vous trouverez dans la cassette un billet de 50 fr.» Puis elle ajouta: «La parole de Dieu opère ce qu'elle dit.»—Vous l'avouerai-je, ma bonne Mère, pour ma grande confusion? Cette fois encore, je n'osais pas aller voir dans la cassette; mais le bon Dieu, qui voulait que je constate la nouvelle merveille, permit que l'un des jours suivants, deux sœurs vinssent par dévotion me demander à revoir les deux billets miraculeux... Et, ma Mère, que vous dirai-je? Vous devinez notre émotion: au lieu des deux billets, il y en avait trois!...
Au mois de juin, nous trouvâmes 50 fr. de la manière ordinaire.
Dans la nuit du 15 au 16 juillet, je revis ma sœur bien-aimée, elle me promit d'apporter bientôt 100 fr. Et puis elle me souhaita ma fête[274], en me donnant un billet de 5 lires. Mais moi je n'osais pas l'accepter, et alors elle le déposa au pied de la petite statue du Sacré-Cœur qui est dans notre cellule; et peu après, l'heure du réveil étant sonnée, je trouvai en effet le billet où je l'avais vue le déposer.
Quelques jours après, Mgr notre Evêque, en causant, nous dit qu'il avait perdu un billet de 100 fr. en faisant les comptes pour son clergé, et qu'il espérait que Sr Thérèse les apporterait chez nous.
Le 6 août arriva; c'était la veille de la fête de Monseigneur, qui s'appelle Gaétan. Je vis encore ma bien-aimée Sr Thérèse..... elle tenait à la main un billet de 100 fr.!!! Elle me dit alors «que la puissance de Dieu retire ou donne avec la même facilité dans les choses temporelles aussi bien que dans les choses spirituelles.» Ayant trouvé ce billet de 100 fr. dans la cassette, je me hâtai de l'envoyer à Monseigneur avec les souhaits de la communauté; mais lui me le renvoya aussitôt.
Depuis ce temps, elle ne nous a plus apporté d'argent, car notre détresse ayant été connue par toutes ces merveilles, nous avons reçu quelques aumônes.
Mais le 5 septembre, la veille de son exhumation, je l'ai revue et, après m'avoir parlé comme elle le fait toujours du bien spirituel de la communauté, elle m'a annoncé qu'on retrouverait «à peine ses ossements». Et puis elle m'a fait comprendre quelque chose des prodiges qu'elle fera dans l'avenir. Soyez sûre, ma chère Mère, que ses ossements bénis feront des miracles éclatants et seront des armes puissantes contre le démon.
Presque toutes les fois, elle s'est fait voir vers l'aurore, en quelque moment de prière particulière. Son visage est très beau, brillant; ses vêtements luisent d'une lumière comme d'argent transparent, ses paroles ont une mélodie d'ange. Elle me révèle ses grandes et occultes souffrances supportées héroïquement sur cette terre... Ma petite Thérèse a beaucoup, beaucoup souffert!!!
Que dois-je vous dire de plus? Qu'il vous suffise de savoir, ma chère Mère, que nous sentons autour de nous l'esprit de votre angélique enfant. Toutes les sœurs affirment, avec franche et tendre vénération, que, outre les grâces temporelles accordées à la communauté, chacune a reçu des grâces intimes et très grandes.
Suor M. Carmela del Cuore Gesu,
r. c. i.
prieure.
——
79.
S. (Meuse), 1er avril 1910.
Une de nos deux religieuses de la Doctrine chrétienne, Sr A., souffrait depuis longtemps d'un mal intérieur (tumeur) qui ne pouvait guérir sans une opération chirurgicale fort dangereuse. Après bien des soins inutiles et un repos prolongé, le mal ne cessait d'empirer, au point que le moment arriva où elle fut envoyée à Nancy pour y subir l'opération. Elle fut mise en observation pendant huit jours, au bout desquels devait être tentée l'opération.
Durant ce temps, une neuvaine fut commencée à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, avec promesse de répandre son culte par une distribution d'images si l'opération réussissait.
Or, le moment d'opérer étant arrivé, le docteur constata que le mal avait disparu; il ne restait plus qu'un peu de sensibilité à la place où avait été la tumeur.
Abbé F. N.
——
80.
Quimper (Finistère), 18 avril 1910.
Souffrant depuis huit ans d'un épanchement de synovie et d'une arthrite au genou gauche, et, ne trouvant aucun soulagement dans les remèdes, j'eus la pensée d'invoquer la «petite Fleur de l'Enfant Jésus» et de lui faire une neuvaine.
Dix-huit petites filles se préparant à leur première Communion s'unirent à moi.
Le huitième jour, je ressentis du mieux, et le neuvième (3 avril), la douleur avait complètement disparu. Depuis je marche très bien, ne souffre plus du tout et sors tous les jours.
Mlle M. T.
Le Docteur a promis un certificat.
——
81.
Carmel de N., avril 1910.
Ma Révérende Mère,
Je vous envoie la lettre d'une pénitente guérie au cours d'une neuvaine à Sr Thérèse.
(Lettre à une amie.)
Couvent de la Préservation, N., mars 1910.
Je suis une miraculée de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
J'étais atteinte d'une grippe infectieuse et le docteur désespérait de me sauver. Il dit un soir en me quittant: «Madame la Supérieure, commencez une neuvaine pour que nous la tirions de là.» Je souffrais de vomissements continuels, mes lèvres étaient noires et j'avais déjà le hoquet de la mort: les infirmières apprêtaient ce qu'il fallait pour m'ensevelir; et moi, je voyais bien que j'allais mourir.
Quand notre Mère Supérieure revint me voir, elle me dit: «Charlotte, si vous voulez me promettre d'être fidèle à Dieu, je vais demander votre guérison.» Je répondis en rassemblant mes forces: «Oh! oui, Madame, je vous le promets.» Les compagnes qui entouraient mon lit me dirent: «O Charlotte! c'est une promesse sacrée!» Notre Mère Supérieure me dit encore: «Me promettez-vous que, si vous guérissez, votre vie sera pour la gloire de Dieu et pour votre salut?» Je répondis de nouveau: «Oh! oui, Madame, je vous le promets.»—«Eh bien! reprit-elle, nous allons faire une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et demain je vous apporterai une relique de cette petite sainte.»
A ce moment suprême où je voyais déjà s'entr'ouvrir ma tombe, j'ai tout oublié, même les petites austérités de la vie des pénitentes, et j'ai promis de rester toute ma vie dans la maison si je guérissais.
Une demi-heure après, j'étais mieux; je m'endormis, et quand je me réveillai le lendemain matin, j'étais complètement guérie. Tout le monde fut stupéfait dans la maison. Ma première parole à notre Mère fut celle-ci: «Je suis à vous pour toujours.»
Maintenant mes forces sont bien revenues. Ah! c'est un vrai miracle! Comment en remercierai-je assez le bon Dieu! Il voulait que je lui fasse le sacrifice de ma liberté, car, lorsque je suis tombée malade, je voulais absolument retourner dans le monde, où j'aurais sans doute repris ma vie de péchés.
C'est donc à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus que je dois la vie de l'âme et celle du corps.
Charlotte X.
(Lettre de la Supérieure.)
Préservation, N., 3 janvier 1911.
Je vous ai déjà écrit, ma Révérende Mère, que nous avions remarqué une frappante coïncidence entre la rechute de Charlotte et une infidélité à sa promesse: elle avait voulu en effet nous quitter. Le miracle que fit Sr Thérèse en lui redonnant pour si peu de temps la santé était destiné, je crois, à l'amener à faire une confession générale. La pauvre enfant a racheté son moment de faiblesse, car sa famille étant venue la voir et voulant l'emmener pour mourir à Q., elle se montra vraiment généreuse et refusa.
Jusqu'au dernier moment elle n'a cessé d'invoquer la petite sainte. Une fois, elle assura l'avoir vue à ses côtés. Voici ce que m'en a raconté son infirmière:
«C'était pendant la nuit; Charlotte m'appela pour lui ramasser un objet qu'elle avait fait tomber. Je me levai. Charlotte avait les yeux fixés sur quelque chose. J'en fus frappée et lui dis: «Vous voyez donc le ciel?» Elle me répondit: «Je vois la petite Sr Thérèse.» Alors j'eus peur et, pour cacher mon trouble, je feignis de me moquer d'elle: «Allons donc, nous voilà bien si vous avez des visions!» Mais Charlotte, les yeux toujours fixes, redit: «J'ai vu la petite Sr Thérèse!» Et comme je cherchais la relique qui avait disparu du chevet de son lit: «Elle est là, me dit-elle en la serrant fortement dans sa main.»
Pour moi, je me souviens de la consolation qu'elle me confia avoir éprouvée de cette visite de votre ange: «Je l'ai vue comme je vous vois», m'a-t-elle dit.
Pendant son agonie, elle avait toute sa connaissance et n'a cessé de prier durant les trois dernières heures. Ses compagnes pleuraient et disaient: «Quelle belle mort!»
C'était le 26 septembre.
——
82.
Carmel de X. (Espagne), mai 1910.
Je viens vous faire part de la guérison d'une de mes filles, guérison due à votre petite sainte. Voici le fait:
«La miraculée est une créole de près de 70 ans, d'une nature craintive et peu crédule de tempérament, croyant difficilement aux faits surnaturels, comme visions, guérisons, etc. Elle était atteinte depuis des années d'un affreux rhumatisme au bras droit, qui lui rendait tout travail pénible et la faisait souffrir au point qu'elle ne pouvait rester couchée, la chaleur du lit excitant le mal. Elle fit neuvaines sur neuvaines à l'Ange de Lisieux, et chaque fois qu'elle fit une neuvaine, elle fut favorisée la nuit d'une lumière argentée et merveilleuse qui éclairait sa cellule. Cette sœur, très peureuse, avoue ingénuement qu'elle fermait les yeux pour ne pas voir cette lumière qui ne ressemblait en rien à celles de la terre. Avant et après l'apparition de la lumière argentée, la cellule était plongée dans la plus profonde obscurité.
A la dernière neuvaine, la guérison survint si complète que, depuis un an passé, sans faire les remèdes prescrits (remèdes qu'on disait indispensables), la sœur n'a pas senti la moindre petite atteinte de ses anciennes douleurs, malgré l'hiver humide et pluvieux que nous venons de traverser.»
Sr X., Prieure.
——
83.
Un artiste-peintre, ami du Carmel de L. (France), mai 1910.
J'ai l'honneur de porter à votre connaissance le fait suivant:
«Ayant travaillé toute la journée au portrait de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, je rentrais le soir dans mon atelier quand, portant les yeux à la place de mon chevalet, je vis Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus dans un nuage lumineux. Je fus saisi!... Lorsque je revins de ma surprise, tout avait disparu.»
La Mère Prieure du Carmel de L. ajoute ceci:
Notre Fra Angelico a senti les parfums pendant l'exécution du portrait.
«De quelle nature étaient-ils? demandai-je.
—C'était comme des parfums d'autel!...»
——
84.
Carmel d'Oloron (Basses-Pyrénées), 4 mai 1910.
Ma Révérende Mère,
Je veux vous raconter un fait qui vous montrera une fois de plus la bienfaisante intervention de votre petite sainte.
C'était en automne dernier. J'étais en souffrance, et toute la maison avec moi, du manque d'eau pour nos lessives et l'arrosage du jardin. Ce n'est pas que l'eau fasse défaut dans notre grand enclos, mais les sources se sont détournées peu à peu. Comme il s'agit d'une forte réparation, on ajourne sans cesse, à cause de l'incertitude de l'avenir. Il en résulte que le besoin est pressant. Diverses fois, nous avions confié à l'angélique Thérèse nos inquiétudes, mais à elle seulement. Et quelle n'est pas notre surprise quand, en octobre dernier, une dame vient nous apporter 100 fr. à cette intention. Elle avait compris, je ne pus savoir par quelle voie, notre besoin d'eau. Je lui promis que nous emploierions son aumône aux premiers frais de la recherche des sources, je veux dire à l'examen du terrain. Notre but était de profiter d'un prêtre du Midi qui a reçu de Dieu un talent rare pour cela. Aussitôt je me procurai son adresse, qu'on ne me donna pas comme certaine, et je lui écrivis. J'eus soin de mettre dans la lettre une image de Sr Thérèse, en disant à la petite faiseuse de miracles, avec beaucoup de foi: «Sœur Thérèse, allez droit au but!» Elle y fut en effet, mais M. l'abbé X. se trouva juste parti pour l'Autriche où mon courrier alla le rejoindre, dans un monastère où il procédait aussi à une canalisation. Il y séjourna trois semaines. Le temps nous parut long, car il ne donna pas signe de vie.
De retour en France, ce bon prêtre se posa la question—lui-même me l'a dit—: «Devrai-je, oui ou non, aller au Carmel? Que me voulait-on? sans doute peu de chose, et on y aura pourvu, après un long mois.»
Dans la nuit,—il assure qu'il ne dormait pas—une religieuse se montre dans sa chambre, majestueuse dans un rayon de lumière, et lui dit: «Monsieur l'Abbé, vous oubliez les Carmélites d'Oloron qui ont besoin de vous! Allez au Carmel d'Oloron, on vous attend.»—Le prêtre reconnaît aussitôt la Carmélite qui avait accompagné ma lettre, je veux dire l'image de Sr Thérèse. Et vous le comprenez, ma Révérende Mère, il n'hésita plus, et nous arriva aussitôt. Son travail fut merveilleux, car il trouva le nœud de toutes les sources de notre enclos qui, ayant dévié de leur vrai sens, nous causent des préjudices extraordinaires par l'humidité à la chapelle, au chœur et dans presque toute la maison.
——
85.
Conversion d'un soldat d'infanterie coloniale.
M. Alfred-Marie L. vint au Carmel de Saïgon la première lois pour demander un scapulaire. En lui remettant le scapulaire demandé, je sentais qu'il voulait dire autre chose, et, pour le mettre à l'aise, je lui posai plusieurs questions. Il me dit qu'il désirait beaucoup se faire Carme après l'année de service militaire qui lui restait à faire. Puis il me raconta son histoire. Il avait perdu sa mère peu après sa première Communion: elle était pieuse et il faisait sa désolation, car il était diable et ne voulait pas travailler au collège. Il eut beaucoup de peine de la mort de sa mère. Son père ne pratiquait pas. N'ayant pas voulu travailler pour ses examens, il s'engagea comme simple soldat et vint à Saïgon où il se livrait plus librement à toutes ses passions. Les premières années de service achevées, il s'engagea de nouveau pour deux ans au grand mécontentement de son père. Enfin il tomba malade et dut aller à l'hôpital. C'est là que le bon Dieu l'attendait.
Pendant sa convalescence, on lui prêta la Vie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Le portrait du commencement le frappa d'abord; l'air si pur de Thérèse lui disait quelque chose; à mesure qu'il lisait, il se mit à aimer la petite sainte et le dégoût lui venait de sa vie mauvaise. Rentré à la caserne, il n'était plus le même déjà; le souvenir de Thérèse le poursuivait, puis il comparait les sœurs qui l'avaient soigné avec tant de douceur et d'abnégation aux personnes vicieuses qu'il avait l'habitude de fréquenter, et il résolut d'en finir avec sa vie honteuse et coupable.
Voulant retrouver Sr Thérèse, les Sœurs et l'aumônier, il fit croire qu'il était malade, et on le renvoya à l'hôpital. C'est alors qu'il revint pour tout de bon à Dieu, et ce fut peu de temps après sa seconde sortie de l'hôpital qu'il nous demanda le scapulaire. Il fit, depuis, plusieurs visites au Carmel, et je ne puis dire combien j'étais émerveillée de voir une âme, tombée au point où en était la sienne, s'élever si rapidement et si haut dans l'intelligence des choses de Dieu. Il venait à la messe dans notre chapelle, où il communiait tous les dimanches, à moins d'impossibilité, et souvent il emmenait ses camarades auprès desquels il commençait un véritable apostolat, les entraînant avec lui dans le bien comme autrefois il les avait entraînés dans le mal. «Comme je suis grand et fort, me racontait-il, ils me craignaient tous, ils avaient peur de mes poings; ceux qui me fâchaient, je les roulais par terre.»
Quand il se convertit on n'osa rien lui dire d'abord, mais ensuite en le voyant doux et tout changé, quelques-uns de la chambrée commencèrent à le taquiner. Il me dit un jour avec beaucoup de confusion que, s'étant senti bouillonner devant les grossièretés d'un de ses camarades, il avait eu la tentation de lui jeter son balai à la tête et de le «rouler», mais qu'il s'était souvenu de Nôtre-Seigneur essuyant les affronts des soldats et qu'alors il n'avait plus éprouvé que de la joie. Que de traits de ce genre j'ai oubliés!
Au commencement du mois de mai 1900, il voulut s'imposer un sacrifice en l'honneur de la sainte Vierge: il trouva que de ne plus fumer serait ce qui lui coûterait le plus, et il s'en abstint pour le reste de sa vie. Je lui demandais un jour s'il pensait souvent au bon Dieu à la caserne. Il parut un peu étonné de ma question et me répondit: «Mais j'y pense tout le temps! comment pourrais-je ne pas penser à Lui?»
Vers la fin du mois de juin, son régiment reçut l'ordre de se tenir prêt à partir pour la guerre de Chine qui commençait. Le départ devait avoir lieu le samedi matin. Le jeudi il vint me voir, disant qu'il désirait bien communier encore une fois avant de partir, mais qu'il craignait de ne pouvoir sortir vendredi matin. Il me demanda de prier notre Père Aumônier de lui donner la sainte Communion quand il pourrait venir. Il fut convenu ainsi. Le lendemain, à 7 heures du soir, il arrivait à jeun: il n'avait pu s'échapper plus tôt de la caserne. Il se confessa et reçut la sainte Communion avec une ferveur touchante. Je lui remis une petite mèche des cheveux de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. «Demandez que je meure là-bas si je ne dois pas être Carme à mon retour», dit-il en me quittant. Il a été exaucé, car, peu avant d'arriver à Tientsin, il est mort d'une insolation à bord, assisté de M. l'Aumônier. Frappé le soir sur le pont, il eut la fièvre toute la nuit. Dans son délire, il parlait du Carmel et d'une lettre à nous remettre. Son âme s'envola avec celle de Sr Thérèse qui l'avait tant protégé.
On peut voir par ses lettres combien il l'aimait. Je vous en envoie quelques passages.
Sr X., prieure, 31 mai 1910.
Lettres de M. Alfred-Marie L., soldat d'infanterie coloniale (converti par Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus), adressées à la Rde Mère X., Prieure du Carmel de Saïgon:
6 mai 1900.—Samedi matin nous faisions la pose durant une manœuvre, et, comme il était 6 h. 10, ma pensée était dans la chapelle du Carmel, car c'était l'heure de la messe et je désirais ardemment recevoir mon Dieu. J'étais un peu triste en pensant à la longue année qu'il me faut encore passer dans la dissipation forcée, quand, levant machinalement la tête, j'aperçus la grande croix du cimetière d'Han-Hoï et, sans recherche aucune de ma part, cette pensée me vint que je ne devais pas envier le bonheur que vous avez de communier tous les jours, car moi aussi je le puis à chaque instant, sinon en recevant le Corps adorable de notre Sauveur, du moins en embrassant avec amour les croix qu'il sème sous mes pas et en coopérant en quelque sorte avec lui à l'œuvre de la Rédemption.
Si Dieu veut bien commencer à me faire comprendre qu'il accepte la donation que je lui ai faite de moi-même, il a exaucé, je crois, ma prière et n'a pas voulu permettre que je l'offense volontairement depuis ma conversion. Grâces lui soient rendues! J'éprouve le besoin de m'entretenir de nouveau avec Sr Thérèse et de lui demander de m'enseigner par son exemple la simplicité et l'humilité. Je voudrais la revoir au pied de la croix, dans le jardin du monastère. C'est là qu'elle m'a dit d'aimer... J'espère que vous pourrez me prêter ce livre, ma sœur; c'est elle qui me donnera la confiance qui me manque.
19 juin 1900.—Tout à l'heure je feuilletais, au hasard, la Vie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et je me laissais aller à la tristesse en comparant sa jeunesse avec la mienne. Quand, brusquement, un passage fixa mon attention; c'est celui où elle raconte qu'il lui fut révélé intérieurement que sa gloire consisterait à devenir une grande sainte: «Ce désir pourrait sembler téméraire si l'on considère combien j'étais imparfaite et le suis encore après tant d'années passées en religion; cependant je me sens toujours la même confiance audacieuse de devenir une grande sainte. Je ne compte pas sur mes mérites, n'en ayant aucun, mais j'espère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté même...» Cela m'a suffi et, j'ose à peine le dire tellement c'est insensé, humainement parlant, si je considère ma vie passée, cependant je sens en moi, non pas le même désir, mais la même conviction. Avoir cette pensée, il y a quelques heures, m'eût semblé une insulte à Dieu. Mais n'est-il pas le Tout-Puissant et ne peut-il pas, en une minute, faire du plus grand pécheur un saint? Bien que je ne le mérite nullement, ma sœur, conjurez Marie Immaculée de me livrer totalement à l'amour du Cœur de Jésus, mais comme l'entendait Sr Thérèse, pour souffrir et expier pour les autres et obtenir la grâce d'une conversion sincère aux pécheurs, pour consoler ce Cœur adorable et le faire aimer. Vendredi prochain, en union avec ma sœur du Ciel, je réciterai son acte d'offrande à l'Amour miséricordieux.
24 juin 1900.—C'est à 6 heures ce matin que nous quitterons la caserne pour embarquer le «Vaucan»; je ne sais ce qui arrivera, mais je pars bien en paix et bien résolu à tout. Que Dieu est bon pour moi! Il va au-devant de tous mes désirs! J'avais l'intention d'écrire au Carmel de Lisieux pour solliciter un morceau du vêtement de Sr Thérèse. Je ne vous avais pas fait part de ce désir, et voilà que vous me donnez une mèche de ses cheveux!
Je ne puis vous dire ma reconnaissance. Demandez pour moi à notre petite sœur la grâce de mourir sur le champ de bataille plutôt que d'être infidèle. Et si je ne dois jamais revoir Saïgon, au revoir au Carmel des Cieux! Je vais préparer une lettre à votre adresse que je porterai sur moi; j'en ai averti le camarade qui marchera à mes côtés, il se charge de vous la faire parvenir en cas de malheur. Cette lettre contiendra la précieuse mèche de cheveux que, pour rien au monde, je ne voudrais perdre, ni laisser tomber aux mains des Chinois.
A.-M. L.,
Corps expéditionnaire de Chine.
——
86.
Couvent de N.-D. de la Compassion, M. (France),
20 mai 1910.
J'avais reçu une éducation chrétienne chez les religieuses de la Compassion à X., près M.—Mais, rentrée dans le monde, j'eus vite oublié tout et j'abandonnai bientôt les saintes pratiques de notre religion. Je revins, quelques années après, pensionnaire au même couvent, et je puis dire, à ma confusion, que les sentiments chrétiens s'étaient complètement éteints en moi.
Cependant, on me prêta la Vie de la «petite fleur de Jésus». Machinalement,—car je n'avais aucun attrait pour tout ce qui était religieux—je lus ce livre; je l'avais fini le même jour. Mes sentiments, durant cette lecture, ne changèrent pas; mais pourtant je me sentis attirée vers cette âme si pure et si sainte; le soir, lorsque j'eus fini, un quelque chose d'indéfinissable s'emparait de mon âme; la petite sainte commençait son œuvre.
Le lendemain, 15 juillet 1909, mon esprit était encore plus fortement préoccupé par le même objet; en même temps, le regret de mes fautes passées entrait dans mon cœur et l'appel divin se faisait entendre. Alors il s'engagea en moi une lutte acharnée entre la nature et la grâce. Le monde m'appelait en me montrant tous ses charmes, et Jésus m'invitait à le suivre en me faisant voir sa croix et son amour. Je ne pourrai jamais exprimer ce qui se passa dans mon âme en cette inoubliable journée!...
Enfin, vaincue par la grâce, j'allai confier mon bonheur à une religieuse qui tient auprès de moi la place de ma mère. Je lui racontai le miracle que Sr Thérèse venait d'opérer, je lui dis le désir que j'avais de me donner entièrement à Nôtre-Seigneur. Puis j'allai trouver mon confesseur à qui je fis une confession générale de ma vie passée..... C'était bien fini, la «petite Reine» venait d'effeuiller sa rose sur mon âme, et désormais j'appartenais à Jésus!.....
Et aujourd'hui, ma Révérende Mère, que j'ai revêtu le saint Habit, j'attends de notre grande sainte de voir se lever pour moi l'aurore du beau jour de ma profession. Quelle reconnaissance et quel amour j'ai pour elle! Ah! remerciez-la avec moi pour le miracle opéré en ma faveur!...
——
87.
Couvent du Sacré-Cœur, W. (Angleterre). 24 juin 1910.
Au mois d'août dernier, j'ai dû subir une sérieuse opération qui avait très bien réussi; mais, quelques mois plus tard, un autre mal ayant fait son apparition, une nouvelle opération fort critique devint urgente; je (?)us administrée, il semblait ne plus y avoir d'espoir. Cependant, pour des raisons à Lui seul connues, Nôtre-Seigneur ne m'appela pas encore; mais ma santé restait des plus précaires.
Au mois d'avril, j'eus une terrible crise de foie, et cette partie de l'organisme restait sérieusement atteinte.
Quand je reçus la Vie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, je me sentis alors vivement pressée de lui faire une neuvaine. Avec la permission de ma Supérieure, je vous priai d'avoir la bonté de m'envoyer une relique de votre chère petite sainte et, dimanche dernier, je commençai la neuvaine.
La journée, depuis mon lever, fut très mauvaise; j'éprouvais de telles douleurs, que je me demandais si je pourrais me tenir sur les jambes jusqu'à la fin du jour. Quand, au moment de la Bénédiction du Saint Sacrement, toutes douleurs disparurent, et depuis je ne m'en ressens plus. Je vais très bien, et les forces reviennent à vue d'œil.
Que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus m'aide à faire un bon usage de cette santé que je lui dois, après Dieu!
Sr X.
——
88.
L. (Calvados), 20 juin 1910.
Je ne puis passer sous silence le miracle que notre chère Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus vient de faire.
Notre lessiveuse, Mme G..., avait des plaies variqueuses depuis des années; sa jambe faisait peur, tant les plaies étaient profondes. Elle fut examinée par plusieurs médecins. Quand l'un d'eux, qui avait déjà guéri des malades atteints de cette infirmité, examina sa jambe, il fut surpris de voir de pareilles plaies; il lui ordonna un grand repos et d'aller deux fois la semaine se faire panser au dispensaire, ce qu'elle fit; et après des mois, sa jambe était toujours très mal. Il lui eût fallu le repos complet au lit, mais cela était impossible à cette pauvre femme qui vit uniquement de son travail. Elle souffrait donc atrocement, surtout la nuit. Emue de pitié, je lui conseillai une neuvaine à notre chère petite sainte et lui donnai aussi une relique pour la poser sur sa jambe. A la fin de la seconde neuvaine, toutes les plaies étaient fermées.
Sr X.,
religieuse garde-malade.
Suit le certificat du docteur.
——
89.
S. (Alsace), juin 1910.
Les personnes les plus réfractaires à la piété—personnes du monde et jetées dans le tourbillon des œuvres matérielles—se sont trouvées conquises d'emblée à la vie d'union au Sacré-Cœur, à la communion, au pur esprit de l'Evangile par quelques mots à peine sur la chère petite sainte, par quelques pages, que dis-je? quelques lignes de ses écrits pétris d'amour de Dieu et d'onction du Saint-Esprit. Elles suivent, depuis, allègrement la voie des aigles et étonnent leur entourage... A leur tour, elles sont apôtres et des intimes de leur amie du ciel.
Un autre groupe d'âmes, maintenant parues devant Dieu, a consolé mon ministère—grâce à l'œuvre et à la voie de Sr Thérèse—: les agonisants! Oh! que de transformations intimes obtenues par elle à ces minutes dernières où le soleil couchant de la grâce se hâte de mûrir ses élus pour la récolte, dans la gloire! Ici, les traits sont innombrables et ravissants...
Rd P. H.
——
90.
Couvent de X. (Espagne), 3 juillet 1910.
Guérison de Sœur M.
Il y avait huit ans que notre chère Sr M***, Converse de ce Couvent, souffrait d'une maladie d'estomac. Plusieurs médecins, à diverses reprises, dirent que ce pouvait être un cancer ou un ulcère; mais ils ne l'affirmèrent pas, la maladie n'étant pas arrivée à son dernier degré, où les vomissements de sang ne laissent plus de doute.
Pendant ce long espace de temps, la malade eut des intervalles de mieux, elle pouvait alors travailler et suivre en partie la communauté, non pour la nourriture, car elle était à un régime spécial. Les crises violentes arrivaient ensuite; alors elle ne pouvait prendre que du lait et en petite quantité, la morphine seule la calmait dans ce cas. Ces derniers six mois, les crises se succédèrent très rapprochées; la malade, d'une maigreur extrême, était très faible. On comprenait que le mal progressait, et à grands pas; déjà la morphine ne lui produisait plus l'effet ordinaire. Notre chère sœur souffrait avec une patience angélique, elle était contente de souffrir pour expier ses péchés, faire son purgatoire ici-bas et convertir les pécheurs, à l'exemple de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, à laquelle elle était très dévote, ayant déjà reçu d'elle, il y a quelques mois, une grande grâce qu'elle estimait davantage que sa guérison. Les choses en étaient là, lorsqu'une des Mères françaises exilées, qui venait de lire la dernière édition de la grande Vie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et les nouveaux miracles qu'elle raconte, parla à la malade de ces guérisons, surtout de celles de quatre ulcères à l'estomac, et l'engagea à faire une neuvaine. La sœur s'y refusa absolument: «Non, dit-elle, car je sais que je guérirais, et je veux souffrir pour aller au ciel, ou plutôt je ne veux pas demander la santé, parce que je ne veux que la volonté de Dieu.» Mais le soir, la Révérende Mère Supérieure visitant la malade, celle-ci lui raconta l'offre de la Mère française: «Oui, dit la Supérieure, vous devez faire la neuvaine et demander la santé, car vous savez que la communauté a besoin de sujets.»
En vraie fille d'obéissance, la sœur, voyant là l'ordre du ciel, commença dès le lendemain, dimanche 12 juin, une neuvaine très fervente ayant la conviction intime qu'elle allait guérir. Elle plaça sur son estomac une relique de «Térésita», rendit tous les médicaments à l'infirmière, disant: «A présent, j'attends Térésita, c'est elle qui doit me guérir.»
Les premiers jours de la neuvaine furent pénibles, surtout de nuit où la malade ne pouvait trouver aucun repos (depuis longtemps d'ailleurs). De jour, elle travaillait tant qu'elle pouvait à son emploi de cordonnière, trop même, et comme une des sœurs qui faisait la neuvaine avec elle l'en reprenait, disant qu'elle gâterait l'œuvre de Sr Thérèse: «Laissez-moi, répondit la vaillante sœur, quand Térésita verra que je n'en puis plus, elle viendra, je l'attends, je l'attends!»
Sa grande foi fut récompensée. Le soir du 18, elle se coucha comme à l'ordinaire, ne pouvant trouver de position reposante dans son lit. Un peu avant minuit, elle s'assoupit; alors il lui sembla qu'elle sentait près d'elle une personne qui voulait la guérir. Comprenant que c'était Térésita, la malade lui dit: «Non, non, je ne veux pas guérir, si ce n'est pour la plus grande gloire de Dieu.» Mais Sr Thérèse, sans faire cas de ces paroles, ou plutôt accomplissant la volonté divine, soulevait les couvertures et passait doucement sa main sur l'estomac de la sœur. «Alors, dit celle-ci, je sentis comme une rosée céleste qui tombait goutte à goutte dans tout mon intérieur et le rafraîchissait d'une manière qui ne se peut dire. Le bien-être surnaturel que j'éprouvais m'éveilla et je me dis à moi-même: «Mon Dieu! serait-ce vrai? suis-je guérie?...»
Elle se leva, fit plusieurs mouvements qu'avant cette guérison miraculeuse elle ne pouvait absolument se permettre sans beaucoup souffrir; plus rien... aucune douleur! elle se sentait bien, très bien.
Au même instant, minuit sonna: «Oui, pensa la malade, c'est vrai, Thérèse de l'Enfant-Jésus est descendue à l'heure de la naissance de l'Enfant-Dieu», et, profondément émue, elle pleura. Puis, elle récita le Te Deum et la prière à la sainte Trinité, si en honneur en Espagne, et passa le reste de la nuit en actions de grâces. A 4 heures, elle se leva comme la communauté et courut chez la Mère Supérieure: «Ma Mère, je suis guérie; Térésita est venue!» La prudente Prieure demanda à la miraculée une épreuve de quinze jours avant de rien publier de ce fait merveilleux.
Pendant cette quinzaine, Sr Marie a repris toute la vie commune: lever, nourriture, travail. Elle a mangé exprès les choses les plus indigestes et dont elle était privée depuis des années, elle a bu du vin... et tout a été trouvé excellent, rien ne lui a fait mal. Les premiers jours il lui restait une grande faiblesse, dans les jambes surtout, mais peu à peu les forces sont revenues avec l'alimentation. Aujourd'hui, sa santé est excellente et elle semble rajeunie. Son visage, très souvent enflammé autrefois par l'ardeur intérieure qui lui dévorait l'estomac, a repris une teinte naturelle. Enfin, tout prouve que Thérèse est «descendue» et que, voyant du bien à faire sur ce petit coin de terre, elle a laissé tomber du ciel un pétale de rose ou plutôt une rosée bienfaisante qui a rendu la santé à sa privilégiée.
Nous l'appelons ainsi, puisque voilà deux fois qu'elle reçoit de Sr Thérèse des preuves de son affection.
Sr X.
——
91.
Couvent de la Providence, X., 14 juillet 1910.
Ma sœur et son mari étaient un sujet de mauvais exemple pour leur nombreuse famille de sept enfants. Aucun moyen n'avait été épargné pour les rappeler à leurs devoirs. Ne sachant plus à quel saint me recommander, j'abandonnai à la bonne Providence le soin d'intérêts si chers et si sacrés.
Cependant, sur les instances réitérées d'une de nos sœurs, je me décidai, quoique avec un peu d'hésitation, à prier Sr Thérèse, et je demandai à la chère petite sainte qu'elle me fit savoir par un signe manifeste, le 2 janvier, qu'elle s'occupait de ma requête. Ce jour même, au matin, sans que rien pût le faire pressentir, sans que j'aie fait aucune démarche nouvelle, ma sœur et mon beau-frère venaient me témoigner leurs regrets et me faire des promesses pour l'avenir.
Toute saisie de ce résultat inespéré, je le fus bien davantage au récit qu'ils me firent. Ne pensant nullement la veille à faire ce voyage, ils s'étaient sentis comme poussés par une force surnaturelle et s'étaient décidés, presque malgré eux, à venir vers moi.
Vous pensez, ma Révérende Mère, que non seulement j'étais ébranlée, mais convaincue de la puissance de Sr Thérèse au ciel!
Après avoir fait connaître la petite sainte à ces pauvres égarés et glissé son image dans leur foyer, je lui demandai instamment d'achever son œuvre en ramenant aux pratiques de la vie chrétienne cette famille d'infidèles baptisés. Elle n'a pas fait les choses à demi. J'ai eu dernièrement le bonheur de voir mon beau-frère et ma sœur s'approcher du tribunal sacré et de la Table sainte avec une foi et une simplicité vraiment édifiantes.
Sr B.
——
92.
Trouville-sur-Mer (Calvados), 16 juillet 1910.
Je soussignée, Mme M., demeurant à Trouville-sur-Mer, certifie l'exactitude absolue des faits ci-dessous relatés et en autorise la publication pour la plus grande gloire de Dieu et de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Ma fille aînée, Thérèse, née le 6 octobre 1898, se trouva prise, 14 jours avant la première Communion de l'année dernière, fixée au 6 juin, d'une entérite aiguë telle qu'elle ne pouvait plus rien prendre que de l'eau bouillie. Un remède donné imprudemment à dose trop forte l'avait affaiblie à ce point que, trois jours avant la première Communion, le jeudi dans l'après-midi, quand elle voulut se lever pour essayer ses habits de première communiante, elle s'évanouit et dut aussitôt se remettre au lit. Le docteur, qui la voyait tous les jours, déclara qu'il était impossible de songer à ce qu'elle prît part à la cérémonie du dimanche.
Le lendemain vendredi, découragée, j'allai assister à la Messe. Je rencontrai M. l'abbé L., il me parla de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et m'engagea à l'invoquer pour la guérison de ma fille. Je le fis aussitôt, et quels ne furent pas mon étonnement et ma joie en rentrant quand je constatai une amélioration subite et considérable! Le docteur, revenu dans la matinée, m'autorisa à lever l'enfant une heure, et, si le mieux continuait le lendemain samedi, à la faire confesser dans son lit, et à la faire assister à la Messe de communion le dimanche matin, à condition qu'elle se recoucherait aussitôt et se reposerait toute la journée.
Le lendemain, le mieux s'était confirmé et même augmenté. Thérèse alla se confesser à l'église et prit part à tous les exercices de retraite de l'après-midi. Le dimanche, levée dès 5 heures du matin, elle assista, non seulement à la Messe de communion, mais encore à la grand'Messe, aux Vêpres et à la procession extérieure, sans aucune fatigue. Le lendemain, elle assista à la Messe d'actions de grâces, et le surlendemain, au pèlerinage de Notre-Dame de Grâce, à Honfleur.
Depuis, elle n'a jamais été malade, si bien que je suis heureuse de pouvoir la compter au nombre de ceux qui ont manifestement éprouvé la bienfaisante protection de la petite Sr Thérèse dont elle porte le nom.
En foi de quoi j'ai signé la présente attestation.
Mme M.
——
93.
X. (Loire-Inférieure), 20 juillet 1910.
Le 2 janvier, une de nos élèves, âgée de onze ans, enfant de complexion délicate, est prise de la fièvre; on la soigne pour un point de côté.
Quinze jours plus tard, la fillette se lève et constate que les jambes lui font mal, qu'elle a beaucoup de peine à marcher. Le médecin attribue ses souffrances à la faiblesse, ordonne des fortifiants et fait frictionner les jambes; mais notre petite malade ne peut souffrir qu'on y touche sans pousser des cris, tant les douleurs sont vives et le mal fait des progrès.
Un second médecin consulté déclare de la métrifrictrique et veut forcer l'enfant à marcher; celle-ci ne peut plus faire un pas seule et sans grandes douleurs, les frictions deviennent intolérables.
Désolés de voir tant souffrir leur fillette sans qu'aucun remède puisse enrayer le mal, les parents font appel à un autre médecin, qui la soigne pour de la coxalgie. Après un mois de nouveaux traitements, la maladie, loin de céder, s'accentue toujours. Ce ne sont plus les jambes seules qui, en lui refusant service, la font souffrir; les reins sont aussi attaqués, les os se disjoignent, une bosse se forme. Le médecin veut mettre sa malade dans une gouttière, mais il fait d'abord consulter un spécialiste qui croit que l'enfant est atteinte de paralysie de la moelle épinière. «Essayons l'électricité, dit le praticien, peut-être obtiendrons-nous un peu d'amélioration, peut-être marchera-t-elle dans un an.»
Notre petite élève s'attristait beaucoup, car l'époque de la première Communion approchait et elle comprenait qu'elle serait hors d'état de la faire avec ses compagnes.
Voyant que la science humaine était impuissante, nous eûmes la pensée de lui faire connaître Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus dont nous lisions la Vie, et nous l'engageâmes à lui demander sa guérison.
Cette pensée mit la joie dans son âme, elle s'écria: «La petite Fleur de Jésus me guérira! je marcherai pour ma première Communion!» Depuis ce jour, elle l'invoquait sans cesse. Ses parents s'unissaient à elle matin et soir, nos enfants priaient aussi avec confiance; mais la «petite Fleur» semblait sourde à nos supplications. Trois semaines avant la première Communion, l'enfant allait plus mal. Tout espoir de guérison était perdu. Suivant l'avis du dernier docteur, elle avait été électrisée deux fois sans succès; n'avait-il pas dit: «Peut-être marchera-t-elle dans un an!»
Or, dans la nuit du mercredi au jeudi de Pâques (il y avait toujours de la lumière dans la chambre, l'enfant étant devenue très peureuse et dormant très peu), en ouvrant les yeux elle vit, selon son expression, «une jolie petite figure» qui lui souriait. Elle fut légèrement effrayée et fit un signe de croix. L'apparition sourit davantage, sembla se rapprocher d'elle et lui dit: «Tu marcheras dans peu de temps..... aujourd'hui même!» Puis elle resta quelques instants, toujours souriante, à contempler sa petite protégée, tout à fait rassurée, et disparut.....
Le matin, l'heureuse voyante dit à ses parents: «Je vais marcher aujourd'hui; j'ai vu cette nuit ma «petite Fleur» qui me l'a dit.» Elle n'avait jamais vu de photographie de Sr Thérèse, mais son cœur lui disait que cette angélique vision ne pouvait être que la petite sainte qu'elle invoquait avec tant de confiance.
Vers 3 heures de l'après-midi, une voix suave et douce, qu'elle reconnaît bien, se fait entendre à son oreille: «Marche!» dit-elle. La malade se lève aussitôt et elle court se jeter dans les bras de sa mère, qui ne peut croire à tant de bonheur...
Il y avait trois mois que l'enfant ne marchait plus.
Quelques jours plus tard, l'heureuse privilégiée vint nous voir et nous lui mîmes dans les mains l'Histoire d'une âme. Lorsqu'elle fut en face de la première gravure, l'enfant s'écria: «C'est bien elle que j'ai vue, je la reconnais!» puis elle ajouta: «Elle était en religieuse, cependant je n'avais pas remarqué le voile, sa figure seule s'est gravée dans mon âme.»
Sa physionomie en porte l'empreinte... La petite sainte lui a inspiré des pensées sérieuses pendant sa maladie; elle nous l'a rendue, je pourrais dire convertie!
A partir du jeudi de Pâques, 31 mars, notre petite élève marcha très bien. Elle a eu le grand bonheur, grâce à Sr Thérèse, de faire sa première Communion et d'être confirmée avec ses compagnes.
Mlle X., directrice de l'école libre.
——
94.
Saint-Jean-de-Luz (Basses-Pyrénées), 23 juillet 1910.
Ma Révérende Mère,
Je vous adresse enfin sous ce pli la relation de la guérison vraiment merveilleuse de ma vue. J'ai laissé au temps le loisir d'imprimer à cette guérison le cachet de la réalité et de la persévérance. Si, immédiatement après la première amélioration et même à la suite des progrès plus étonnants encore de ma vue, j'avais publié ce merveilleux bienfait, on se serait avec raison demandé ce que, tout d'abord, je me suis demandé moi-même: «N'est-ce pas une de ces facilités de voir, momentanées et purement accidentelles, qui, parfois, se produisent chez des vieillards de mon âge (je suis dans ma 76e année), lueurs passagères qui ne prouvent rien?»
Voici le fait, en toute simplicité et vérité:
Au printemps 1900, M. le Dr X., de C., que je consultais au sujet d'une anémie, me regardant incidemment dans les yeux, me dit: «Savez-vous que vous êtes menacé d'une cataracte?»—«D'une cataracte, moi? lui répliquai-je; mais je vois encore assez bien pour mon âge, et jamais personne de ma famille n'a été affligé de ce mal.»—«Dites tout ce que vous voulez, insista-t-il, vous avez un commencement de cataracte bien caractérisée.»
Je crus à une erreur de la part du médecin. Cependant, me trouvant en septembre suivant à Paris, je suis allé consulter le distingué oculiste Abadie, du boulevard Saint-Germain. Je fus reçu par l'un de ses aides: «Je ne vois rien, me dit celui-ci, mais venez...» Et il m'introduisit dans la chambre noire. Là, il m'examina minutieusement les yeux, à la lumière électrique. «Oui, convint-il alors, vous avez un commencement de cataracte; mais que cela ne vous inquiète pas, ça vous viendra plus tard... et dans une dizaine d'années, quand elle sera mûre, vous viendrez nous trouver et l'on vous fera l'opération gratuitement.»
«La belle fiche de consolation! pensai-je en m'en allant: vivre dix ans dans la perspective d'avoir les yeux gratuitement charcutés! Et quel en sera le résultat?»
Depuis lors, je n'ai plus consulté aucun oculiste ni aucun médecin au sujet de mes yeux, ni employé aucun remède. J'attendais que la cataracte fût «mûre».
Cependant le pronostic de l'aide de M. Abadie ne tarda pas à se réaliser. Faible d'abord, le trouble de ma vue devint petit à petit tel que, dès l'année 1906, je ne pouvais plus que difficilement lire et écrire, même avec de fortes lunettes. J'avais comme un voile sur les yeux, et ce voile s'épaississait de plus en plus les années suivantes.
A partir du commencement de 1908, je ne pouvais plus reconnaître à douze pas mes meilleurs amis. Le crépuscule venu, je n'osais plus me hasarder dehors de peur de heurter les passants, de manquer le trottoir et de me faire écraser par les voitures.
En mai 1909, un opticien de passage ici, voulant me vendre des lunettes, me fit avec ses instruments lire, à des distances variées, des imprimés à caractères gradués, tour à tour des deux yeux et de chaque œil à part. Il finit par me déclarer «l'œil droit complètement éteint et l'autre œil bien malade».
Il avait quelque peu exagéré, car d'une personne placée à deux pas de moi je voyais encore, de ce seul œil droit, la silhouette, mais une silhouette vague, imprécise, informe, dont je n'aurais pas pu dire si elle était d'homme ou de quoi. La vision de l'œil gauche était devenue si faible que le dimanche des Rameaux 1909, je suis tombé en bas des degrés du chœur que je ne distinguais plus, et cela devant toute la paroisse. Depuis lors, je tremblais de descendre les marches de l'autel, que j'étais obligé de chercher au tâtonnement du pied.
Bref, j'étais menacé de cécité complète à prochaine échéance, et me sentais à la veille de ne pouvoir plus ni réciter mon bréviaire, ni dire la sainte Messe.
J'envisageais déjà avec angoisse le voyage à Paris pour la fameuse opération gratuite, opération en elle-même scabreuse et de chance douteuse. Mais la divine Providence, qui dispose toutes choses avec suavité, m'avait, à mon insu, mis en relation avec les consœurs d'une «oculiste» qui sait rendre la vue aux aveugles, sans onguent ni scalpel chirurgical.
Au printemps dernier, la Rde Mère Prieure du Carmel de Bordeaux, exilé à Zaraüz, Espagne, fit appel à mon talent d'apiculteur, et je dus lui exposer le triste état de ma vue qui me rendait incapable d'accéder à son désir. Alors elle, avec sa robuste foi de Carmélite, me répondit: «Puisque la prière est toute-puissante, nous allons faire violence au bon Dieu, et il sera bien obligé de vous rendre la vue.»
Quelques jours après, je fus tout étonné de la facilité avec laquelle je pouvais lire et distinguer à mes pieds les marches de l'autel.
Je me rendis donc au Carmel de Zaraüz, et là, j'appris que la communauté avait fait une neuvaine pour obtenir la guérison de ma vue, par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, dont jusqu'alors j'avais ignoré l'existence.
C'est donc à un prêtre qui ne la connaissait pas, qui ne lui avait—lui personnellement—rien demandé, que votre angélique sœur avait obtenu de son divin Epoux une insigne amélioration de sa vue. Je dis «amélioration», car, pour grand et surprenant que fût ce changement en mieux, je n'avais pas recouvré la vision claire et pleine. Nous convînmes donc, la Rde Mère et moi, de faire une seconde neuvaine, et elle me remit une image-relique de celle que des lors j'appelais «ma céleste oculiste», me recommandant de l'appliquer sur mes yeux chaque soir de la neuvaine. Or, cette neuvaine n'était pas finie que déjà je pouvais lire aisément les «Décrets de la Sacrée Congrégation des Rites» qui se trouvent imprimés en caractères très fins en tête du Bréviaire Romain de Tournai (édition de 1902, de la Société de Saint-Jean l'Evangéliste) et qui, auparavant, ne présentaient à mes yeux qu'une page maculée, indéchiffrable. Bien plus, je reconnais depuis lors les personnes à plus de cent pas.
Nous avions commencé cette neuvaine dans l'octave de la Pentecôte (19 mai). Vers la mi-juin, je suis retourné en Espagne pour mettre ordre aux ruchées du Carmel. Nous décidâmes alors de faire une troisième neuvaine, en action de grâces celle-là, et en même temps pour obtenir une plus parfaite lucidité de vue. Et, cette fois encore, ma céleste oculiste exauça nos prières!
Ayant recouvré la vue, je voulais redevenir apiculteur. J'achète donc une colonie d'abeilles; quelques jours après, je visite ma ruchée et j'y trouve plusieurs cellules royales, dont les unes contenaient des larves déjà écloses et d'autres de simples œufs.
Oh! la vue de ces minimes œufs d'abeille, pareils a de petits bouts de ténu fil à coudre d'un blanc bleuâtre! Depuis des années, il m'avait été impossible de les apercevoir, même avec de puissantes lunettes, et maintenant je les voyais de nouveau a l'œil nu! Aussi avec quelle reconnaissance mes yeux se sont instantanément levés vers le ciel où ma céleste oculiste venait de réaliser en ma faveur sa résolution de faire du bien sur la terre.
Il n'y a donc plus de doute possible: la guérison de ma vue est réelle et persévérante. Et cette guérison, incontestablement merveilleuse puisqu'elle est obtenue sans l'intervention d'aucun secours ni remède humains, je la dois évidemment à l'intercession de celle que nous avions invoquée: Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, morte en 1897, au Carmel de Lisieux.
Gloire à Dieu! et reconnaissance à ma céleste oculiste!
Abbé Ch. Wéber, prêtre habitué.
——
95.
Alençon (Orne), 25 juillet 1910.
En lisant l'Histoire d'une âme, j'éprouvai une émotion profonde, et, voyant que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus voulait employer sa vie du ciel à convertir les pécheurs, je la priai d'avoir pitié de moi car j'étais du nombre de ces derniers... Je lui demandai d'être ma médiatrice près du bon Dieu, d'être mon guide; chaque jour, matin et soir, je répétais cette prière.
Mais bientôt je désirai un signe évident de sa protection et je me disais: «Oh! si je pouvais la voir, je serais certain alors qu'elle veut bien être ma protectrice et mon guide!» Puis je me repentis de ce désir que je trouvai présomptueux, et je n'y pensai plus.
Or, à quelque temps de là, vers 3 h. 1/2 du matin (c'était en été et, par conséquent, au moment de l'aurore) alors que je dormais si profondément que je n'avais plus conscience de l'existence, j'eus tout à coup une vision en esprit. J'aperçus au fond de ma chambre une nuée lumineuse et j'entendis un appel. Je me dirigeai donc en esprit vers cet être mystérieux, et comme j'approchais, la nuée s'ouvrit et je me trouvai en présence d'une jeune religieuse toute brillante de lumière et couronnée d'un nimbe d'or. Ses traits et ses vêtements étaient ceux des portraits de Sr Thérèse; son regard était très vif et son visage étincelant; une lumière argentée baignait l'ensemble de l'apparition. Elle s'avança vers moi jusqu'au milieu de l'appartement et me dit: «Monsieur, suivez-moi!» Puis elle disparut et, peu après, la lumière argentée qui l'enveloppait s'évanouit à son tour.
Je m'éveillai très ému et réfléchis à la signification de cette vision. «Suivez-moi», m'avait dit Sœur Thérèse; c'était la réponse à ma prière quotidienne: «Soyez mon guide, conduisez-moi à Dieu».
J'ai fait part à mon confesseur de cette faveur insigne et des sentiments qu'elle m'avait inspirés; il m'a dit qu'il fallait y croire.
Et maintenant je comprends mieux que jamais que, pour aller au ciel, je dois suivre Sœur Thérèse dans sa voie d'humilité, de confiance et d'amour.
A. V.
——
96.
Tours (Indre-et-Loire), 28 juillet 1910.
Vous recevrez, à la fin de cette semaine ou au commencement de l'autre, un ex-voto que j'offre avec une pieuse reconnaissance à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Voici dans quelle circonstance j'avais fait cette promesse:
Il y a environ douze jours, une de mes tantes faisait une malheureuse chute dans la rue et se cassait la cuisse. L'os sortant fit plaie, et le mal s'aggrava tellement qu'au bout de quelques jours tout espoir était perdu. Je ne quittais guère ma pauvre blessée car une angoisse me torturait: je savais ma tante très incroyante, et je ne voulais pas la voir partir ainsi pour l'au delà.
Cependant le 22 juillet arriva, apportant une nouvelle aggravation du mal et aucune amélioration morale. La gangrène s'était déclarée et faisait de terribles progrès. La Sœur garde-malade me demanda s'il fallait parler. Je crus que le moment était venu. Alors ce fut une lutte terrible: la mort approchait, ma pauvre tante ne voulait pas recevoir le prêtre, elle ne voulait pas prier, elle nous repoussait même avec violence et en blasphémant. Ce fut bientôt une question de minutes...
Malgré toute mon angoisse, je ne désespérais pas et répétais sans cesse: «Cœur sacré de Jésus, j'ai confiance en vous!» Quand, tout à coup, poussée par une impulsion irrésistible, je fis mentalement cette prière: «Mon Jésus, glorifiez votre petite servante Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus; si ma tante consent à se confesser et si elle le peut faire en pleine connaissance, je lui enverrai un ex-voto au Carmel de Lisieux.»
A peine avais-je terminé que je me penchai sur la mourante et lui demandai si elle voulait baiser ma médaille du Sacré-Cœur: elle fit un signe d'acquiescement et l'embrassa; puis, je lui demandai si elle me permettait d'amener un prêtre: elle dit «oui» deux fois, et fermement.
L'aumônier, découragé, était parti; personne à la cathédrale, personne à l'archevêché; enfin je ramenai un prêtre. Je pus en quelques mots le mettre au courant; ma tante se confessa en pleine lucidité et, à peine l'absolution donnée, elle perdait connaissance et expirait.
Au ressouvenir de cette grâce inespérée, mon âme s'est émue d'une reconnaissance sans nom, et c'est avec une joie profonde que je viens exécuter ma promesse.
Mlle M. V.
——
97.
(Calvados), 31 juillet 1910.
Le mardi 5 avril 1910, vers 4 h. 1/2 du soir, passant devant le monument funèbre de M. le comte de Colbert-Laplace, qui se trouve en face du cimetière de Lisieux, je fus poussée à invoquer Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus pour lui demander la guérison de Mme G...
La manière dont j'avais été attirée à la prier me causa une vive impression et me donna une certaine assurance d'être exaucée. Cinquante mètres plus loin, je trouvai une personne qui était chargée, de la part de Mr G..., de me demander de passer la nuit près de sa femme presque agonisante.
Vers 8 h. j'arrivai chez la malade que je voyais pour la première fois, ce ménage n'étant installé dans notre paroisse de Saint-J. de M. que depuis le 28 décembre 1909. Je la trouvai très mal, éprouvant des étouffements terribles et de vives douleurs dans le côté gauche, répandant d'abondantes sueurs froides. Elle me fit remarquer l'enflure de l'abdomen et de l'estomac; tout faisait prévoir une mort prochaine. Il faut dire que cette pauvre femme, affaiblie par une pleurésie qui avait exigé dix vésicatoires, était de plus épuisée par la venue d'un enfant qu'elle avait porté en ce triste état. Cet enfant, le douzième, était né six jours avant, le 30 mars 1910.
J'exhortai la malade à la confiance et je lui suggérai d'invoquer la petite Sr Thérèse dont elle n'avait jamais, me dit-elle, entendu parler. Ensuite je lui dis de dormir... que je me chargeais du reste.
Dans la soirée, vers 8 h. 3/4, le docteur vint et parut réfléchir longuement avant de rédiger son ordonnance. Il fut reconduit jusqu'à la barrière de la cour par le mari et lui dit: «Mon pauvre homme, qu'allez-vous devenir? Votre femme peut mourir à l'instant; et, si elle passe la nuit, elle ne passera pas la journée de demain.» Puis il le fit se tourner et lui traça sur le dos un carré: «Tout cela est creux comme une lanterne, dit-il, et le poumon gauche est complètement pourri.»
Pendant la nuit, la malade n'eut aucun repos. Entre 5 h. 1/4 et 5 h. 1/2 du matin, alors que j'étais dans la cuisine contiguë à la chambre, elle se sentit plus mal et appela son mari; un instant après, ses yeux se portèrent sur un tableau de Jésus en croix qui était près de son lit et elle s'écria: «Oh! que c'est beau! que c'est beau!» puis elle se mit à rire et à pleurer.
A ce bruit qui me parut étrange, je me rendis près d'elle; aussitôt elle me dit: «O ma Sœur, que c'était beau! J'ai vu le ciel ouvert, puis j'ai entendu distinctement à mon oreille une petite voix si douce qui m'a dit: «Aie confiance! tu guériras...» Mais, ma Sœur, criez donc au miracle! je suis guérie, je ne souffre plus du tout, je ne suis plus enflée, je marcherais bien, je veux me lever!»
On ne le lui permit pas. A ce moment je ne pensais nullement au miracle, mais simplement à un délire qui annonçait la mort prochaine. Alors elle dit à son mari, à sa mère et à moi: «Otez toute cette pharmacie qui est là devant moi; retirez-vous, fermez la porte, que je sois seule pour penser aux belles choses que j'ai vues!...»
Dans la journée le médecin revint et dit au mari: «Je suis stupéfait, je n'y comprends plus rien!» et à la femme: «Je ne sais pas d'où vous revenez, vous êtes ressuscitée!...»—«Cette guérison est un miracle», dit-il encore à d'autres.
Le miracle était bien réel, car voilà plusieurs mois que Mme G... jouit d'une parfaite santé et peut donner elle-même à sa nombreuse famille tous les soins qu'elle réclame.
Sr St-J.
La guérison s'est parfaitement maintenue jusqu'à ce jour.
2 janvier 1911.
——
98.
(Loire-Inférieure), 17 août 1910.
Une pauvre vieille femme infirme, Mme V., âgée de 84 ans, ne peut marcher. Elle demeure seule toute la journée. Sa vie toute de privation était bien triste avant qu'elle connût Sr Thérèse. Mais un jour je lui portai une image de la petite sainte. Ce fut alors le bonheur qui entra dans sa maison; sa tristesse a disparu, elle ne s'ennuie plus et quand, le matin, je la quitte pour aller à mes autres pauvres et malades, elle me dit en souriant: «Vous me quittez, ma Sœur, mais je ne suis plus seule, je cause avec la petite sainte qui me garde et ne me quitte pas.» Le soir, je la trouve à la même note. La chère sainte a apporté avec elle dans ce pauvre réduit la paix de l'âme, la joie du cœur, elle y a comblé toutes les absences.
Tous mes malades auxquels j'ai pu donner son portrait ont éprouvé de sa présence un bien-être évident que je constate avec reconnaissance.
Sr St-P.,
religieuse garde-malade.
——
99.
N., Belgique, 30 août 1910.
Je soussigné, F. F., avocat, me fais un devoir d'attester l'exactitude des faits suivants:
Je souffrais depuis plusieurs années d'eczéma étendu et permanent à la partie inférieure des jambes, depuis la cheville jusqu'au genou. Fréquemment il se produisait des poussées inflammatoires douloureuses, quelquefois des abcès ou furoncles. Cette affection cutanée ne paraissait guère laisser d'espoir de guérison, et le traitement consistait uniquement dans l'emploi de simples palliatifs: enveloppements humides, compresses, poudres adoucissantes telles que talc ou autres du même genre.
Aucune amélioration ne se produisait, lorsque, dans mon entourage, on eut la pieuse pensée de recourir à l'intercession de la petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, envers qui ma femme et ma fille professaient une dévotion particulière.
Aux bandages qui entouraient la partie malade, on attacha une relique provenant d'objets ayant appartenu à cette sainte religieuse, et des neuvaines de prières eurent lieu pour obtenir ma guérison.
Bientôt l'inflammation disparut avec les rougeurs, rugosités, pustules et tous les phénomènes douloureux ou pénibles par lesquels le mal n'avait cessé de s'accuser depuis des années. La peau a repris complètement son aspect normal, et il ne reste aucune trace, soit externe, soit interne, des désordres passés. Il en est ainsi depuis un an environ et, à en juger par les apparences, il n'y a, semble-t-il, aucune raison de supposer que la guérison, qui est complète, n'ait pas le caractère d'une guérison durable et définitive.
Je fais la présente déclaration pour rendre hommage à la vérité, et je serais heureux si l'autorité compétente pouvait un jour en faire état, en vue de la glorification de la pieuse carmélite à l'intercession de laquelle nous avons eu, en famille, la confiance d'avoir recours[275].
F. F., avocat.
Signature légalisée à l'Evêché de N...
——
100.
C. (Angleterre), 16 septembre 1910.
Un mal de gorge persistant me faisait craindre de ne plus pouvoir remplir les obligations de mon saint ministère.
Après une courte instruction d'un quart d'heure que j'avais faite avec beaucoup de peine, je rentrais triste à la maison, quand un sentiment de confiance envers Sr Thérèse ranima mon courage. Avec son portrait je traçai le signe de la croix sur ma gorge. Immédiatement je remarquai un parfum exquis de violettes qui s'exhalait de l'image, et dès le lendemain j'étais complètement guéri.
Rd Père Ed. J.
——
101.
X., septembre 1910.
Etant allée rendre visite à Mme X., je la trouvai dans une très grande affliction. Son mari, âgé de 35 ans, était bien malade depuis 7 mois, perdu au dire des médecins... Je lui conseillai de lire la vie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la prier, ce qu'elle fit.
Le 15 mars, le malade ayant reçu une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, une neuvaine fut commencée à la petite sainte. Il se trouvait alors à toute extrémité, et ce que sa femme demandait, ce n'était plus sa guérison mais sa conversion: depuis l'âge de 20 ans, il avait laissé toute pratique religieuse!
Le 19 mars, cinquième jour de la neuvaine, il était mourant, dans le coma, il râlait; son corps était tout noir par la décomposition et sentait comme un mort de trois jours.
Sa femme, au désespoir, priait tout haut: «Mon Dieu! disait-elle, et dire qu'il meurt sans s'être converti!... pourtant j'ai tant prié!...»
Tout à coup, le mourant ouvre les yeux, s'assied sur son lit, reste un moment comme en contemplation et dit: «C'est elle... oui... c'est bien elle!... Je suis guéri!»
Il demande un prêtre, se confesse et communie à la grande édification de chacun. Il était radicalement converti.
«Commençons une neuvaine pour remercier Sr Thérèse, dit-il, elle m'a guéri... Ah! je n'ai plus qu'un désir: c'est de vivre en bon chrétien, c'est de réparer tant d'années passées loin de Dieu!»
Il ne souffrait plus et avait repris toutes les fonctions de la vie; c'était une guérison bien réelle, il ne lui restait plus qu'une grande faiblesse.
Mais cette guérison, ou plutôt ce retour à la vie ne lui avait été accordé qu'afin de lui permettre de revenir à Dieu avec toute sa lucidité d'esprit et toute la force de sa volonté; quinze jours plus tard, les crises le reprenaient. Sa femme et les religieuses rappelées en toute hâte, craignirent pour sa foi, mais elle n'en reçut aucune atteinte; au contraire, de converti qu'il était pendant les quinze jours de retour à la santé, il devint un saint dans sa maladie qui devait durer six semaines encore. Alors, il donna les plus beaux exemples de patience et de résignation, craignant de prendre ce qui pouvait le soulager. Pour n'en citer qu'un exemple: «J'ai tant à expier, disait-il à la religieuse qui voulait lui faire une piqûre pour calmer d'extrêmes douleurs, ne serait-ce pas mieux de souffrir?...»
Un mois après l'événement, sa femme lui ayant demandé s'il avait vu la petite sainte: «Non, dit-il, je ne l'ai pas vue; mais elle était là, je la sentais, je ne saurais expliquer comment...» Et après une hésitation: «J'ai vu, ajouta-t-il, la sainte Face de Nôtre-Seigneur.» Plus tard lorsqu'on lui montra une image de la sainte Face, peinte au Carmel de Lisieux: «C'est ainsi que je l'ai vue», dit-il. Les religieuses m'ont dit qu'il avait dû la revoir plusieurs fois. Quelques jours avant sa mort, comme il venait de dicter ses dernières volontés et qu'il voyait tous les visages attristés: «Pourquoi tant vous désoler?» dit-il. Puis, après avoir hésité un moment... «Il faut que je vous fasse une confidence: Je sais que je vais au Ciel.» Alors il demanda qu'on mît avec lui sa relique et recommanda à la religieuse de prier bien haut quand il ne pourrait plus parler, afin qu'il pût s'y unir. Il fit de tout cœur le sacrifice de sa vie, disant «qu'il n'avait désiré vivre qu'afin de pouvoir réparer». Le matin de sa mort, il s'efforçait encore de s'unir aux prières.
Sept personnes de la famille et le valet de chambre se convertirent et firent leurs Pâques, tant cette conversion les avait touchés.
Sr X.
——
101.
Strasbourg (Alsace), 17 septembre 1910.
Notre petit garçon, François, âgé de 5 ans, languissait depuis deux jours lorsque le médecin nous déclara, dans la nuit du 13 au 14 août 1910, qu'il était atteint d'une broncho-pneumonie; il avait à ce moment une très forte fièvre. Dans la journée du 14, ma tante, Mme K., me remit une petite relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus afin que je la mette à l'enfant. Je le fis avec une grande confiance; aussi deux heures après, la fièvre qui, le matin, était encore de 38°5, tomba à 37°4, et le soir, quand le médecin revint, le thermomètre ne marquait plus que 37°3.
Le médecin, qui venait trois fois par jour, tant il jugeait le cas grave, me dit alors: «Ce n'est pas possible que le thermomètre ne marque que 37°3, vous vous êtes trompée.» A son tour il vérifia, c'était bien cela. Il n'en revenait pas et ajoutait: «Ne vous faites pas illusion, c'est une nouvelle crise qui se prépare...» Moi, j'étais sûre de la guérison miraculeuse, et je ne m'étais pas trompée. La fièvre ne revint plus: notre petit était sauvé! L'enfant qui avait perdu tout appétit et trouvait tout amer, a commencé, le 15 déjà, à bien manger; le poumon était dégagé, et la toux diminuait. Dès ce jour, il était tout à fait remis.
Ce qu'il y a d'extraordinaire dans les faits que je vous relate, c'est que le mal a été coupé pour ainsi dire instantanément, qu'il n'y a pas eu un mieux progressif, mais subit.
Mme N.
——
103.
Carmel de X. (Alsace), 29 septembre 1910.
Il y a un lien très fort entre mon âme et Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Dans des affaires personnelles, elle m'a exaucée d'une manière sensible et je l'ai même vue une fois passer devant moi en souriant. Une autre fois, il y a 6 ans, alors que tout était à redouter pour notre pauvre France, je me vis transportée, en un songe mystérieux que je n'oublierai jamais, dans une sorte d'oratoire où se trouvait un grand Christ et à ses pieds une religieuse plongée dans la prière. Elle pleurait et, à mesure que ses larmes tombaient à terre, je les voyais se transformer en diamants...
M'approchant alors, je pus voir le doux visage de la sainte et je reconnus Sr Thérèse: «C'est pour la France, n'est-ce pas?» lui demandai-je. Elle leva vers moi son regard plein de larmes: «Oui, dit-elle, Jésus ne veut plus attendre, il va sévir». Elle se remit à prier, et je pleurai et priai avec elle. Soudain elle se releva et dit d'un accent que je n'oublierai jamais: «Jésus m'a promis de ne pas punir encore.»
Je le répète, cette vision a laissé dans mon âme un inoubliable souvenir.
Sr X.
——
104.
Carmel de St-Ch. (France), 3 octobre 1910.
Mme X., après une maladie dont elle se croyait à peu près remise, eut une de ses jambes qui enfla démesurément et devint noire comme du charbon. Pendant vingt-quatre heures, elle en souffrit atrocement. Ne trouvant de soulagement en aucun des moyens essayés, elle mit sur sa jambe malade une image-vêtement de notre vénérée Sœur. Aussitôt enflure et douleur disparurent.
——
105.
Congrégation des Sœurs de Ste-Marie. T. (M.-et-L.),
5 octobre 1910.
Depuis treize ou quatorze ans, je souffrais d'ulcères de l'intestin avec entérite membraneuse. Les douleurs, plus ou moins vives, étaient presque continuelles. Je ne pouvais supporter aucune fatigue sérieuse sans être obligée de me mettre au lit. J'avais parfois des crises aiguës qui duraient trois ou quatre semaines, quelquefois plus.
Tous les remèdes et traitements ne m'ont jamais procuré qu'un soulagement momentané; aussi, ces deux dernières années, je n'en faisais plus aucun, je me contentais de prendre des calmants quand les douleurs devenaient plus fortes.
Depuis que notre Rde Mère Supérieure nous a fait connaître Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, je me suis sentie attirée vers elle... Et, voyant un jour une petite plante prise sur sa tombe, il m'a semblé qu'elle m'apportait ma guérison.
Aussi le dimanche de la Passion, 28 mars 1909, me sentant prise de douleurs aiguës, j'en appliquai une feuille sur la partie malade, et je commençai avec grande confiance une neuvaine à Sr Thérèse. Au cours de la neuvaine je me trouvai mieux; mais le dernier jour, lundi des Rameaux, je fus reprise, pendant la Messe, de douleurs si vives que je me demandais si je pourrais aller faire la sainte Communion.
Je priai alors Sr Thérèse avec plus d'insistance et de confiance que jamais, et aussitôt les douleurs disparurent pour ne plus revenir. J'étais complètement guérie!
Depuis dix-huit mois, j'ai pu supporter la marche et le travail sans fatigue.
J'ai reçu en même temps de Sr Thérèse des faveurs spirituelles que je n'estime pas moindres que ma guérison miraculeuse.
Sr M.
Suivent les signatures de la Supérieure et de plusieurs religieuses.
——
106.
Paris, 9 octobre 1910.
Depuis un an, mon fils âgé de 9 ans 1/2 souffrait de violents maux de tête. Le samedi matin, 28 mai, il se plaignit d'une douleur dans l'oreille gauche; malgré cela, je l'envoyai à l'école comme d'habitude. En revenant à midi, il souffrait horriblement, il avait le délire et, pendant trois jours, il ne fit que crier, appelant le petit Jésus à son secours. Alors, le docteur me dit qu'il fallait voir un spécialiste.
Je conduisis mon enfant à l'hôpital le 31 mai; les docteurs déclarèrent qu'il avait une mastoïdite double,—le mal avait gagné l'autre oreille et il ne pouvait plus poser sa tête sur l'oreiller—qu'une intervention chirurgicale était nécessaire et qu'il fallait le trépaner.
Ah! ma Révérende Mère, comment vous dire notre désespoir! Ce petit enfant, c'est notre seul bonheur, nous n'avons plus que lui, le bon Dieu nous a déjà repris deux petits anges; allait-il encore nous prendre celui-ci?... Je courus à l'église Sainte-Marie des Batignolles; un prêtre était de garde; je lui dis ma peine, mon désespoir. Alors ce bon prêtre, que je ne connaissais pas, me réconforta en me disant de demander avec confiance à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus la guérison de mon petit Edmond. Tous les jours, à sept heures, j'assistais à la Messe, et avec quelle confiance je priais Sr Thérèse!... puis j'allais voir mon enfant.
De jour en jour, l'opération a été remise; le dépôt qu'il avait dans la tête s'écoula de lui-même par les oreilles, et le 10 juin, j'avais le bonheur de ramener chez nous mon fils entièrement guéri.
Mme G.
——
107.
Lisieux, 21 octobre 1910.
Notre enfant, âgé aujourd'hui de dix ans et demi, était malade depuis l'âge de sept ans, d'une coxalgie tuberculeuse. Pendant que nous habitions Lisieux, il reçut les soins de docteurs dévoués, qui furent obligés de constater leur impuissance; l'un d'eux nous conseilla d'aller à Paris chez un spécialiste, lequel, après consultation de l'enfant, ne nous cacha pas ses craintes. Il nous dit que le cas était très grave et qu'il en voyait rarement de pareils. Le petit avait des douleurs si aiguës qu'il ne faisait que crier, ce que le docteur n'avait pas encore vu jusque-là.
Après l'avoir endormi pour lui redresser le côté, car il avait une déviation de la colonne vertébrale, il lui mit un appareil en nous disant de revenir tous les quatre mois, car il fallait cette durée pour que le docteur se prononçât.
A cause des inondations de Paris, nous ne retournâmes qu'au mois de février cette année 1910, voir ce spécialiste. L'enfant s'était encore affaibli et était maigre comme un squelette, et il lui était survenu une entérite aiguë qui aggravait beaucoup son état. Il souffrait de plus en plus et ne pouvait prendre que très peu de nourriture et difficilement. Sa respiration était si faible et il était d'une telle pâleur, que souvent, la nuit, je me levais pour m'assurer, quand il dormait, s'il vivait encore; mais son sommeil était rare, car cet appareil de plâtre le faisait beaucoup souffrir.
Cela dura jusqu'au mois d'avril; ayant entendu parler des miracles obtenus par votre petite sainte, j'en entretins M. l'abbé X., vicaire de St-J., lorsqu'il vint voir notre petit Ernest, et il nous conseilla de l'invoquer pour obtenir la guérison de notre enfant. Puis il dit à celui-ci: «Prie bien la petite sainte du Carmel, elle opère beaucoup de miracles, et même elle apparaît quelquefois pour guérir les petits enfants malades comme toi, qui ont confiance en elle.» Et mon petit Ernest se mit à la prier de tout son cœur. Seulement il s'étonnait de ne pas la voir apparaître et il dit à M. l'abbé: «J'ai prié la petite sainte pour qu'elle vienne me guérir, mais je ne l'ai pas encore vue.»
Le 25 avril, malgré que je sois moi-même très souffrante et obligée de garder le lit, je me sentis poussée d'aller au cimetière; mon mari voulait s'y opposer, ayant peur que je fasse une imprudence; mais je partis quand même, et là, sur la tombe de Sr Thérèse, je la suppliai de bien vouloir m'obtenir, avec l'aide de Notre-Dame de Lourdes, la guérison de notre enfant si malheureux. Je rapportai deux fleurs que je fis baiser au petit malade. Nous priions tous en famille la chère petite sainte. L'enfant souffrait toujours, on ne pouvait le toucher pour le mettre sur la chaise longue sans qu'il jette des cris. Mais, voilà que le 15 mai, jour de la Pentecôte, après avoir soupé, il s'écria devant plusieurs personnes qui étaient là avec nous: «Oh! comme j'ai chaud!» Sa tante lui dit: «Découvre-toi, mon petit Ernest», mais il répondit: «Non, je vais me lever car je ne souffre plus, ça ne me fait plus mal». Alors il se leva et vint nous trouver, et fit le tour de la table.
O ma Mère! je ne croyais pas à un tel bonheur et aussitôt je dis devant tout le monde: «Oh! Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus m'a exaucée, mon petit Ernest est guéri!...» Tous étaient stupéfaits de le voir se tenir debout, lui qui, le matin, criait encore. A partir de ce moment il se levait tous les jours, marchant comme il pouvait avec son lourd appareil et descendant même l'escalier.
Mais votre petite sainte ne voulait pas seulement la guérison de notre enfant, elle voulait aussi la guérison de nos âmes, et cela fut obtenu à la fin d'une neuvaine que nous faisions à Sr Thérèse pour qu'elle affermisse la guérison de notre enfant.
En lisant quelques traits de la vie de cette véritable sainte, une transformation s'opéra en nous, et après quatorze ans d'oubli de Dieu, mon mari et moi nous approchâmes du sacrement de Pénitence la veille de la Fête-Dieu, ainsi que de la sainte Table, en suppliant Notre-Seigneur, par l'intercession de sa petite épouse, que notre enfant fût bien guéri et bien fort pour que lui aussi puisse faire sa première Communion.
Le docteur X., émerveillé de ce qui était arrivé à notre petit Ernest, ne voulut pas se charger de retirer son appareil; il préféra me renvoyer pour cela au spécialiste de Paris, afin qu'il pût, lui aussi, constater la guérison. Je ne pus y aller qu'au mois de juin, mais ce docteur ne voulut pas croire mon enfant guéri et refusa d'enlever l'appareil, disant qu'il lui fallait le porter encore plusieurs années, si, toutefois, il arrivait à le guérir. Je lui dis: «Vous voyez bien, docteur, que mon enfant est guéri puisqu'il marche.» Alors, devant la clinique entière, il me dit: «Cet enfant n'est pas guéri, il en est loin et je ne retire pas l'appareil, ou alors je ne réponds pas des suites fâcheuses qui en résulteront.» Le petit, intimidé et effaré, ne voulait plus qu'on le touche et pleurait. Voyant tout cela, je dis au docteur que je voulais lui parler seule. Je sortis de la salle avec lui et, une fois dans son cabinet de consultation, je lui avouai, bien émue, ce que j'avais fait, comment cette guérison avait été obtenue par la prière et comment mon mari et moi étions revenus à Dieu. Ce docteur, qui est pratiquant, me crut alors et me dit: «Cela est autre chose!» Et, rentrant dans la salle, il dit à ses aides: «Messieurs, coupez l'appareil!» Puis, se tournant vers moi, il me dit: «L'enfant marche avec son appareil, maïs je ne serais pas surpris qu'il y ait un abcès, et certainement il y en a un; nous allons voir.»
Certes, je n'en croyais rien, puisque l'enfant ne souffrait pas depuis ce jour béni de la Pentecôte!... Enfin, un interne coupa le plâtre après m'avoir dit: «Vous avez tort.»
Le côté et la jambe de mon fils apparurent très beaux, tandis qu'au mois de février la peau était toute tuméfiée. Alors le docteur dit: «Oui, il y a un abcès, et un très grave»; et il fit une ponction pour vider l'abcès qui s'était formé et qui était la preuve de la coxalgie tuberculeuse. Il retira deux seringues de pus en me disant: «C'était mortel. Vous avez bien fait de venir et d'insister pour faire enlever l'appareil; cet abcès profond serait venu à la peau et aurait causé un ulcère qu'on n'aurait pu guérir; mais, à présent, il faut de toute nécessite remettre un nouvel appareil».
Aussitôt je m'écriai: «Non, non, je ne veux pas d'appareil, je suis certaine que mon enfant est guéri.—Eh bien, allez, dit le docteur d'un air mécontent; mais votre enfant va endurer de si cruelles souffrances que d'ici deux jours vous reviendrez, s'il n'est rien survenu avant.»
Il voulait dire: «Si votre enfant n'est pas mort», car il pensait, nous a dit la sœur directrice de la clinique, qu'il ne ferait pas le voyage.
L'enfant avait le côté sensible, c'est vrai, mais l'avoir eu si longtemps immobilisé, ce n'était pas extraordinaire!
Je ne dis rien et partis en gardant toute ma confiance. Je me rendis chez une tante, ma seconde mère, qui est femme de chambre au Luxembourg. La dame de la maison fit donner à mon petit Ernest un consommé de bouillon, une aile de poulet, une tartine de confiture, un gâteau et deux verres de vin qu'il trouva excellents.
Le voyage de Paris à Lisieux se fit sans qu'il ressentît aucune douleur; il dormit paisiblement dans le wagon, ce que le docteur apprenant, il n'en revenait pas; car il croyait bien apprendre sa mort ou qu'il avait souffert d'une manière épouvantable, plutôt qu'une chose aussi miraculeuse!
Au mois d'août nous retournâmes à Paris, et le docteur trouva à peine une demi-seringue de pus dans l'abcès qui s'était formé sans occasionner la moindre souffrance. «C'est vraiment merveilleux, dit-il, un cas pareil! en si peu de temps, s'asseoir et se mettre à genoux! Cela me surpasse!»
Nous y retournâmes encore fin septembre et, après examen de quatre docteurs, on ne trouva plus rien: ni abcès, ni ankylose; l'articulation de la hanche se faisait très bien; ces messieurs étaient stupéfaits: «Mais, où tout cela est-il passé en si peu de temps?» disaient-ils; ils ne trouvaient même plus la place de l'ancien abcès.
Or, ma bonne Mère, dans l'état où était le petit, il fallait compter au moins six ans, si toutefois on avait pu le guérir.
Encore un fait que je dois vous dire. D'abord il faut que vous sachiez qu'Ernest n'osait pas se risquer à marcher sans deux petits bâtons. Le 15 août, en rentrant de la grand'messe, il se mit tout à coup à fixer un objet invisible; sa figure était illuminée. Puis il se mit à marcher sans bâtons, très droit, pendant cinq minutes; on aurait cru que quelqu'un le tenait par les épaules; mon mari et moi, nous nous demandions ce qu'il avait. Il nous dit: «C'est ma petite Mère Thérèse qui me tient comme cela et qui me fait marcher sans m'appuyer; je ne la vois pas, mais je la sens derrière moi.» Et comme i! fixait toujours le mur, les yeux comme éclairés d'une céleste vision, nous lui dîmes: «Mais, que vois-tu, mon petit Ernest?» Il s'écria: «Oh! ma petite Mère est partie!» En effet, tout était fini... Mais que nous étions heureux!.....
A partir de ce jour béni, il marcha sans se tenir et beaucoup mieux; l'appétit revint tout à fait; maintenant il mange très bien et dort de même, marche sans appui et va tous les jours à l'école. Sa jambe encore bien faible le fait boiter, mais j'ai confiance en la petite Sr Thérèse pour lui enlever cette faiblesse. L'autre jour, en jouant, il est tombé et ne s'est aperçu de rien, malgré que le docteur nous ait prévenus qu'il fallait éviter la moindre chute qui, pour lui, serait très grave.
Voilà, ma révérende Mère, comment Sr Thérèse protège son petit enfant. Aussi est-ce avec une profonde reconnaissance que nous vous adressons, mon mari et moi, cette relation et que nous serions heureux si elle pouvait aider à glorifier Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face. C'est là notre plus grand désir!
Suivent les signatures de la mère, du père et de l'enfant, avec l'attestation d'un des médecins.
——
108.
24 octobre 1910.
Ma Révérende Mère,
Le récit que vous avez bien voulu m'envoyer m'a prouvé encore davantage que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus est au ciel pour nous, et m'a rappelé une de ses visites, quelques mois avant mon départ de Trinidad. Elle ne vint pas pour me faire des caresses, mais pour m'adresser un reproche fraternel, car, dans la journée, j'avais manqué à la charité.
J'avais, à la procure, un petit bout de crayon que je regardais comme une relique, car il venait de mon pauvre père. Un jour, ce crayon disparaît et, intérieurement, j'accuse une de nos sœurs qui se servait parfois des plumes et crayons à notre usage. Pendant plusieurs jours j'oubliai le crayon, lorsqu'un matin l'attachement a cette relique se fit de nouveau sentir. En récréation, je demande à la sœur d'un ton un peu fâché si le crayon en question ne se trouve pas à l'externat. La bonne sœur me dit que, pour le moment, elle ne se souvient pas de ce larcin, mais qu'elle est bien capable d'oublier de me rendre un objet prêté. Peu satisfaite, je vais dans l'après-midi chez la Mère Prieure lui exposer ma peine et lui dire que certainement le crayon était à l'externat. Une bonne leçon de détachement fut la consolation que me donna la Mère Prieure.
Dans la nuit, je vois en rêve Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus qui, d'un air doux mais un peu mécontent, me dit: «Vous avez, manqué à la charité en accusant injustement Sr X. d'avoir pris votre crayon. Le crayon que vous cherchez est dans le tiroir du bureau de la procure entre le bois et le papier que vous avez mis pour le préserver.» En même temps, je vois le tiroir s'ouvrir et j'aperçois le crayon à la place indiquée. Après m'avoir encore recommandé la charité, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus disparaît et l'Angélus sonne. Pendant l'oraison, la messe et même l'action de grâces, je ne voyais que ma céleste visiteuse me reprochant mon manquement à la charité et m'indiquant la place du crayon. Vous comprenez, ma Mère, qu'au premier moment libre j'allai à la procure, j'ouvris le tiroir, et ce n'est pas sans émotion que je trouvai le crayon exactement à la place où je l'avais vu la nuit. Alors, en hâte, je le portai à la Mère Prieure qui, émue elle aussi des attentions de Sr Thérèse, me recommanda d'être bien fidèle à suivre les conseils du second ange gardien que le bon Dieu m'avait donné.
Sr X., religieuse dominicaine.
——
109.
Lisieux (Calvados), novembre 1910.
Il y a quatorze ans, mon fils aîné fit sa première Communion. Ce jour-là, le prêtre chargé du catéchisme nous prit à part, son père et moi, et nous dit: «Je vous plains de n'avoir que cet enfant; il a de mauvaises dispositions, et vous aurez beaucoup à en souffrir plus tard.»
Cette déclaration laissa mon mari tout pensif. Pour moi, je me mis à prier de tout mon cœur pour obtenir de Dieu un autre enfant que je promis de lui consacrer.
Dix mois après naissait mon second fils.
A cette époque, notre aine commençait déjà à se perdre, et bientôt il nous quitta tout à fait et ne nous donna plus de ses nouvelles qu'à de rares intervalles.
Le cadet, à peine âgé de 7 ans, disait qu'il voulait être prêtre, et il entra au petit Séminaire. Je le donnai avec joie au bon Dieu, mais il n'en était pas de même de mon mari qui, à plusieurs reprises, voulut le retirer du Séminaire pour lui faire apprendre un métier. Cette année 1910, à Pâques, l'enfant tomba malade, et un jour, pendant sa maladie, son père lui raconta un rêve mystérieux qu'il avait fait la nuit précédente: «J'ai vu, dit-il, Sr Thérèse avec son manteau blanc; elle paraissait triste...» Le petit, regardant son père, lui dit: «Papa, c'est parce que tu ne veux pas que je sois prêtre. Je t'en supplie, va la prier sur sa tombe pour ma guérison.»
Ce jour-là même, mon mari alla deux fois au cimetière; et peu de temps après, notre fils pouvait reprendre ses études. Mais quand il fut rentré à la maison pendant les vacances, son père recommença à dire qu'il ne consentirait jamais à le laisser suivre sa vocation. Puis il déclara qu'il ne s'approcherait pas des Sacrements pour la fête de l'Assomption.
Dans la nuit du dimanche 14 au lundi 15 août, il vit en songe le prêtre (mort depuis plusieurs années) qui s'était occupé de notre fils aîné pour sa première Communion. Ce prêtre lui serra la main en lui rappelant ses paroles d'autrefois. Comme il y restait indifférent, il leva les yeux et vit Sr Thérèse; en même temps, il entendit ces paroles prononcées d'un ton solennel: «Souvenez-vous de ce qui vous a été prédit, il y a quatorze ans, sur votre fils aîné. Rappelez-vous encore que le second ne vous a été donné que pour répondre au pieux désir de sa mère.»
Il s'éveilla très ému et me raconta ce qui lui était arrivé, ajoutant: «Je me confesserai et communierai aujourd'hui.»
Le dimanche 4 septembre, je me rendis au cimetière avec mon fils. Chemin faisant, je me mis à lui parler, avec douleur, de son frère aîné, et l'enfant me répondit avec animation: «Maman, puisque Sr Thérèse t'a accordé toutes les grâces que tu lui as demandées pour moi, je t'en prie, laisse-moi de côté maintenant et prions ensemble pour la conversion de mon frère.»
Arrivé sur la tombe, l'enfant se mit à réciter avec ferveur un Ave Maria pour son frère. A peine avait-il commencé sa prière qu'il sentit un parfum délicieux et inconnu. Au retour, en descendant le chemin du cimetière, au moment où je lui parlais de l'exhumation de Sr Thérèse qui devait avoir lieu deux jours après, nous sentîmes passer à côté de nous comme un être céleste que je ne saurais pas définir, c'était comme un souffle chaud et embaumé. Ce passage fut très rapide.
Nous restâmes tout impressionnés, et le petit me dit: «C'est la petite Sr Thérèse! Je suis sûr qu'en ce moment mon frère a une bonne inspiration et qu'il vient d'obtenir une grande grâce. Sr Thérèse vient nous dire que nous sommes exaucés.»
L'enfant ne s'était pas trompé. Le matin du 8 septembre, comme nous sortions de la Messe, le facteur vint à nous en souriant pour nous dire qu'une lettre nous attendait à la maison.
Cette lettre, datée du 4 septembre, était de mon malheureux enfant. Ce nouveau prodigue avait obtenu la grâce du repentir au jour et à l'heure même où nous accomplissions pour lui notre pèlerinage à la tombe de la «petite sainte», et il nous demandait de l'aider à quitter sa vie coupable et à mettre fin à sa situation irrégulière.
X.
——
110.
B. (Belgique), 9 novembre 1910.
Intimement persuadé que le bon Dieu s'est servi de l'intermédiaire de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus pour m'accorder la plus grande des grâces, je crois de mon devoir d'en marquer ici l'expression de ma profonde reconnaissance.
Bien qu'ayant reçu une éducation profondément chrétienne, j'étais, hélas! comme Augustin, la victime de toutes les séductions, et sauf un naturel instinct de révolte contre toute intolérance sectaire, tout en moi démentait les pieuses ardeurs de ma jeunesse. Je lisais cependant parfois des vies de saints, mais je n'y cherchais que de curieux problèmes de psychologie; j'étais un dilettante, et je ne trouvais dans ces lectures que l'amusement d'un instant.
C'est ainsi qu'un jour,—je dirais par hasard, si tout ici n'était providentiel—disons: sans motif humainement plausible, le samedi 23 juillet 1904 (je n'oublierai jamais cette date!) j'achetai l'Histoire d'une âme. J'en entamai la lecture, je la poursuivis toute la nuit et, remué jusqu'aux fibres les plus intimes de l'être, je ne cessai de sangloter comme un enfant. J'avais à cette date 36 ans. Le surlendemain, je me confessai. L'année suivante, j'étais tertiaire du Carmel. Je suis loin d'être un saint, et Sr Thérèse a en moi un bien triste client; mais enfin, ce que je puis avoir de bon, c'est à coup sûr à elle que je le dois.
Inutile de vous dire, ma révérende Mère, que depuis lors je professe pour sa mémoire un véritable culte. Le Père Jésuite auquel je me suis confessé—vous pouvez avoir son témoignage si vous le désirez—estimait que j'étais l'objet d'une grâce extraordinaire.
Je vous autorise, ma révérende Mère, à faire de cette communication l'usage que vous jugerez bon pour la gloire de ma céleste bienfaitrice.
——
111.
Hospice de Lisieux (Calvados), 18 novembre 1910.
Je suis heureuse d'ajouter aux témoignages de reconnaissance déjà si nombreux pour Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, celui de ma profonde et vive gratitude, car elle a exaucé mes prières en m'obtenant la guérison d'une tumeur que le chirurgien jugeait inopérable, et notre docteur ne pouvait même plus me soulager.
Il y a six ans (j'en ai 70), je commençai à éprouver de vives douleurs dans un côté de l'abdomen; mais depuis quatre ans, les souffrances étaient devenues plus vives et continuelles.
Cette tumeur[276], dont le docteur me disait atteinte, gênait plusieurs organes intérieurs, ce qui augmentait et multipliait les souffrances.
Au mois d'août 1910, je fis une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. J'avais d'abord reçu une relique de la petite Sœur; puis un jour, on me donna de la terre et des fleurs de sa tombe, je les mis sur moi, et je les portai et les porte encore avec respect et vénération.
Pendant cette neuvaine, j'éprouvai des douleurs terribles. Un jour même, en descendant l'escalier, elles redoublèrent de violence et je sentis quelque chose qui me torturait les membres à tel point que je tombai sur les degrés. Le docteur, appelé par notre Mère, ne put en aucune façon me soulager. Cependant je continuais à prier, ayant toujours confiance que, si c'était la volonté de Dieu, Sr Thérèse m'obtiendrait ma guérison.
Mon espoir si grand ne fut pas trompé, car le 23 août, dernier jour de la neuvaine, je me sentis tout à coup complètement guérie et débarrassée de mon mal. Je pus faire un voyage et passer quelques jours chez ma nièce. Là, je me nourris de tout ce que l'on me présenta; entre autres, je mangeai des tripes et du canard que je digérai très bien, tandis qu'auparavant je ne pouvais prendre que du lait, quelques potages, et l'estomac ne les digérait pas toujours.
Je ne cesse de remercier chaque jour ma chère petite sainte car, en plus de ma guérison, elle m'a obtenu de très grandes grâces spirituelles. Aussitôt que je me sentis guérie, j'éprouvai un bonheur inexprimable, une sorte de faim de prière. Il me semblait m'entendre dire: «Prie, prie sans cesse.» J'aurais voulu, je voudrais encore pouvoir le faire jour et nuit et être retirée dans un cloître afin de prier avec plus de recueillement.
Comment après cela, ma révérende Mère, vous dire mon affection et ma reconnaissance pour Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus?... Je voudrais faire connaître partout la bonté et la puissance de ma céleste bienfaitrice et répéter sans cesse des paroles à sa louange. Si j'entendais dire quelque chose contre elle, jamais je ne pourrais le supporter.
Sr M.-J., religieuse converse.
Suivent les signatures de la Mère Supérieure, de M. l'Aumônier de l'établissement et le certificat du docteur X.
——
112.
R., France, 27 novembre 1910.
M.-M. L., dont les parents demeurent à P. (Côtes-du-Nord), était, il y a trois ans, chez les Sœurs Franciscaines de R., comme aide garde-malade.
Certain jour elle venait de la cuisine portant à bout de bras un grand plateau contenant le repas des malades, quand, à la descente d'un escalier de ciment dont les marches sont bordées de fer, elle glissa, tomba en arrière et se blessa grièvement aux reins et à la hanche droite.—Souffrant beaucoup de ces deux blessures, elle continua très courageusement son travail pendant cinq mois environ.
Elle rentra ensuite chez elle, à P..., pour aider sa mère chargée d'enfants. De plus en plus malade, elle fit ce qu'elle put, s'arrêtant ou marchant, selon le répit laissé par les crises. A ce moment on s'aperçut d'un commencement de claudication. Dix mois environ se passèrent en pareille alternative.
Alors il y eut aggravation du mal par une enflure de la hanche, par «une poussée du corps vers la gauche», comme dit la malade; enfin par un plus sensible rapetissement de la jambe droite.
N'y tenant plus, elle revint à R... le 24 juillet 1910. Malgré les soins des religieuses, la malade dut s'aliter le 3 août suivant, tant les souffrances lui rendaient la marche intolérable. Le 3 août, visite du médecin ordinaire de la communauté, le docteur B., qui diagnostiqua une coxalgie. Le 20 août, il ordonna la mise en gouttière. Les souffrances de la malade étaient passées entre temps à l'état si aigu qu'elle ne pouvait supporter, sans crier, qu'on la touchât aux parties malades: la hanche, les reins et le genou.
C'est à cette époque de douleurs intenses que lui vint l'idée de faire une neuvaine à la «petite sainte de Lisieux»; cette neuvaine commença le 17 septembre 1910, pendant laquelle elle appliqua sur le mal une petite relique. Le 26 septembre, jour final de la neuvaine, aucun changement sensible. On décida de continuer les prières avec application de la relique.
Le lundi 3 octobre, commencement d'une nouvelle neuvaine. Le soir la malade est réveillée subitement par des douleurs atroces qui durèrent sans répit depuis 11 h. jusqu'à 3 h. du matin. A 3 h. elle croit entendre une sorte de craquement dans sa hanche; la souffrance disparaît, elle s'endort. A son réveil, elle assure à la garde-malade qu'elle est guérie; celle-ci ne veut pas le croire; alors la miraculée se lève et se jette dans ses bras.
La Sœur ne peut retenir ses larmes en voyant la réalité du prodige.
La malade était en effet complètement guérie.
(Récit de l'aumônier complété par la miraculée à son pèlerinage d'action de grâces au tombeau de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.)
Suit le certificat du docteur légalisé à la mairie de R.
——
113.
St-D. (Seine), 29 novembre 1910.
L'une de nos jeunes Sœurs novices était atteinte d'entérite muco-membraneuse, occasionnant de continuelles souffrances augmentées par des crises aiguës très fréquentes que le docteur déclarait être des crises appendiculaires. Les médecins, après avoir songé à une intervention chirurgicale, jugèrent plus prudent de ne pas la tenter à cause de la faiblesse du tempérament et prescrivirent un régime alimentaire très sévère qui débilitait la malade sans amener l'amélioration désirée. Elle y était condamnée depuis dix mois et ne pouvait d'ailleurs s'en écarter, ni se livrer à une occupation quelque peu fatigante, sans souffrir extrêmement.
La pauvre enfant se désolait dans la crainte fondée de n'être pas admise à la profession et de se trouver obligée de rentrer dans le monde, malgré son désir ardent de se consacrer à Nôtre-Seigneur. Lors du pèlerinage national à Lourdes, au mois d'août dernier, elle avait demandé et obtenu l'autorisation d'aller solliciter sa guérison sur la terre privilégiée de la sainte Vierge. Mais notre petite malade nous était revenue dans un état de souffrance qu'aggravait la fatigue du voyage.
Alors tout le noviciat implora avec une ferveur persévérante l'intervention de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, dont la vie offre naturellement à ces petites âmes désireuses d'aimer Nôtre-Seigneur un idéal bien capable de les attirer.
Jusqu'au 15 octobre, rien ne changea dans la situation de la malade. Ce jour-là, à 4 h. de l'après-midi, elle ressentit tout à coup de vives douleurs et crut qu'une crise plus violente que les précédentes s'annonçait. Mais après quelques minutes, dit la jeune Sœur, une sorte de secousse intérieure se produisit, et instantanément toute douleur disparut. Croyant à peine à son bonheur, elle le fit connaître discrètement autour d'elle et, le soir même, elle put prendre un repas plus substantiel sans éprouver aucune souffrance. Convaincue de sa guérison radicale, elle désirait se mettre immédiatement au régime commun; nous ne l'y autorisâmes que peu à peu. Maintenant elle suit, sans aucune exception, la vie de communauté, elle prend sa part de travail et ne ressent aucun retour du mal qui a disparu avec toutes ses conséquences.
Cette guérison instantanée ne nous laisse aucun doute sur la douce et puissante intervention qui nous l'a obtenue.
Après une attente de plus de six semaines, nous regardons comme un devoir sacré de faire connaître cette faveur, selon le très vif désir de l'heureuse novice qui craint déjà de se montrer ingrate envers sa sainte protectrice.
Sr St-V.,
Supérieure générale des religieuses de N.-D. de la Compassion.
——
114.
L. (Hautes-Pyrénées), novembre 1910.
Notre fillette, âgée de trois ans, tomba malade après avoir mangé des mûres où se trouvait probablement quelque insecte venimeux. Elle fut prise d'un tel délire qu'elle ne nous reconnaissait plus. Elle avait le ventre enflé et dur comme une pierre; elle reposait très peu et ne pouvait supporter qu'on la touche sans pousser de grands cris, tant la souffrance était atroce. Ses violentes crises la laissaient épuisée et mourante; à peine pouvait-elle prendre quelques gouttes de lait. Le médecin était très inquiet.
Le 24 octobre, une personne pieuse, touchée de notre douleur, donna à la grand'mère qui soignait notre pauvre petite, une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et l'engagea à commencer une neuvaine à cette sainte religieuse. De retour à la maison, notre mère profita d'un moment très court où la petite s'était assoupie—car elle criait lorsqu'on s'approchait d'elle, craignant qu'on ne la touche—pour poser la relique sur la partie douloureuse. Un instant après, l'enfant se réveillait en souriant. Emue et pleine de confiance, la grand'mère se mit alors à genoux, reprit dans ses mains la relique et demanda avec ferveur à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus la guérison de sa petite-fille. Immédiatement elle se sentit enveloppée d'un parfum délicieux qui l'embauma pendant plusieurs minutes. A partir de ce moment, sans recourir à aucun remède humain, l'enfant alla de mieux en mieux, et le dernier jour de la neuvaine, qui était celui de la Toussaint, elle était complètement guérie.
Suit la signature des parents.
——
115.
A., Belgique, 2 décembre 1910.
Le soussigné E. T., vicaire de Saint-Augustin à A., atteste que Mlle Marie V., âgée de 74 ans, portait depuis quatre à cinq ans sur la joue droite une espèce de durillon bien vilain. Ce mal, tout petit dans les commencements de son apparition, se développait peu à peu et prenait dans ces derniers temps des proportions inquiétantes, à tel point qu'on songea à le faire enlever par une opération chirurgicale; mais on craignait un résultat désastreux, surtout pour une personne d'un âge si avancé. En un mot, il s'agissait d'un cancer.
Au mois de novembre dernier, une religieuse du Carmel de M... envoya à l'intéressée une petite relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, avec conseil d'appliquer la relique sur la partie malade et d'invoquer avec confiance la petite sainte. Il fut fait ainsi; et, dés le premier jour de la neuvaine, après qu'on eut appliqué la relique, le durillon commença à diminuer progressivement.—Il noircit, blanchit, enfin se détacha et disparut.
Les membres de la famille et les connaissances de Mlle V. sont unanimes à exprimer leur grand étonnement au sujet de cette disparition merveilleuse, disparition coïncidant d'une façon surprenante avec l'application de la relique ainsi qu'avec les prières de la neuvaine.
Le soussigné déclare avoir suivi les différentes phases du développement et surtout de la disparition rapide et extraordinaire de ce mal si inquiétant.
——
116.
Carmel de Tulle (Corrèze), novembre 1910.
Ma Révérende Mère,
En même temps que je vous demandais des prières pour la guérison de Mme X., j'écrivis à une personne de notre connaissance pour lui demander de faire la neuvaine avec vous. A peine cette dame recevait-elle ma lettre et l'image de Sr Thérèse qu'elle posa celle-ci sur son front et se trouva complètement guérie, car elle était très malade elle-même.
Il n'est pas étonnant que notre bien-aimée Sœur se soit penchée vers elle; âgée, malade et accablée de grandes peines, elle était bien digne d'attirer sa compassion.
Relation de la personne guérie.
Nîmes (Gard), 13 décembre 1910.
Souffrante depuis 25 ou 30 ans (j'ai 80 ans), je passais une partie de l'année au lit, ne pouvant prendre d'autre nourriture qu'un peu de lait ou presque rien.
Vers l'époque de la fête de sainte Thérèse, j'endurais des douleurs très vives dans le cerveau, dans les yeux et dans les oreilles; ma vue était troublée, mes idées semblaient m'abandonner; je ne pouvais rester debout sans me trouver mal.
Le 15 octobre, j'eus la pensée d'écrire au Carmel de Tulle afin qu'on intercède pour moi auprès de la grande sainte Thérèse.
Le jour même, on m'écrivait de ce Carmel en m'envoyant l'image de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et me disant de la prier.
Je reçus cette lettre le 16 octobre; je pris l'image bénie et la posai sur mon front en invoquant Sr Thérèse. Immédiatement toute souffrance disparut; je ne ressentis plus les douleurs qui me venaient du cœur, du foie, des rhumatismes et de l'albumine; ma vue devint claire, je pus lire et travailler sans éprouver aucune fatigue. En outre, depuis ce jour, je mange avec appétit, je dors bien, et j'assiste à la Messe tous les matins, à 7 h., ce qui fait l'admiration de tout le monde. On m'appelle la ressuscitée. Je suis toute transformée.
Ma fille et ma petite-fille, qui sont venues passer les fêtes de la Toussaint chez la grand'mère paternelle, n'en pouvaient croire leurs yeux. Elles ont répandu la grâce obtenue. Les malades viennent chez moi prier devant la sainte image qui m'a guérie et la baiser.
Gloire à Dieu et remerciements à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus! Sa Vie est un festin délicieux pour mon âme; elle me ravit tellement que je suis continuellement absorbée dans sa pensée.
V** Roumieux.
——
117.
Fours (Nièvre), 10 décembre 1910.
Je venais de m'offrir en victime à Nôtre-Seigneur quand je reçus le livre de la petite Sr Thérèse. Je l'ouvris par hasard le 6 août, jour de la Transfiguration, et aussitôt je me sentis envahi, comme je ne l'avais jamais été, par les ardeurs de l'amour divin. Au même instant où je commençais à lire, je sentis—oh! mais intensément—la présence à côté de moi de la petite Sr Thérèse.
Fernand Richard[277].
——
118.
29 décembre 1910.
Relation de la Rde Mère Prieure du Carmel de X.
En février 1909, Sr X. fut atteinte d'un gros rhume, accompagné d'une toux fatigante. Le 1er mars, elle eut une hémorragie, suivie de fortes douleurs à la poitrine et au dos, et sa faiblesse devint grande. Les hémorragies se renouvelèrent, presque chaque jour, jusqu'au 1er avril. Ce jour-là, le médecin déclara que les poumons étaient sérieusement atteints.
En avril et en mai, le mal empira, et elle fut condamnée par le docteur qui exigea qu'elle fût séparée du reste de la communauté à cause de la contagion. Je remis alors à la malade une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et je fis avec les Sœurs deux neuvaines à la chère petite sainte que nous vénérons beaucoup ici et qui nous a obtenu de grandes grâces.
A la fin de la deuxième neuvaine (le 2 juillet 1909), la malade était guérie. Il y a de cela dix-huit mois et elle continue à jouir d'une santé parfaite.
Relation du docteur.
J'ai soigné la Sr X. au cours d'une maladie très prolongée qui s'était annoncée par tous les symptômes de l'influenza aiguë et qui, s'étendant aux deux poumons, présenta ensuite les symptômes d'une consomption aiguë. Il y avait expectoration abondante, muco-purulente; une fièvre hectique d'un caractère très prononcé; un pouls extrêmement rapide et très faible, des sueurs abondantes la nuit, et un dépérissement tel que la malade fut presque réduite à l'état de squelette.
Les remèdes habituels: inhalations de formol, absorptions de créosote furent employés sans succès et je m'attendais tous les jours à recevoir la nouvelle de sa mort. Alors les religieuses de sa communauté eurent recours à la prière et, à mon grand étonnement, je l'avoue, une amélioration rapide se manifesta, et bientôt eut lieu la guérison complète. Le cas de la malade était cependant désespéré et rien moins qu'un miracle ne pouvait la sauver de la mort.
——
119.
Belgique, décembre 1910.
Quelques jours après avoir subi ma douloureuse opération, le 9 décembre, Dieu me fit la grâce de comprendre et de sentir que je n'étais pas inutile à la Cause de Sr Thérèse et que ma vie de souffrances, offerte dans ce but, l'aiderait à accomplir sa mission. Depuis cette lumière, mon âme est dans un ineffable abandon, dans un état d'acquiescement complet à tout ce que Dieu voudra pour aider l'œuvre de la chère petite sainte.
Celle-ci a voulu me montrer, par une vision symbolique, jusqu'où elle pourrait m'entraîner dans cette voie; elle m'a fait entrevoir le calice de Jésus avec ses amertumes.
Il me semble, ma Mère, que le démon serait intéressé à ce que je ne parle pas de cette faveur, car le jour où je fus engagée à vous en faire la confidence et au moment même où je m'y décidai, je fus torturée pendant un quart d'heure par une puissance infernale qui voulait m'empêcher de parler.
Je dois dire d'abord que, depuis mon opération, je reçois chaque jour Nôtre-Seigneur dans ma chambre. La religieuse qui me soigne me fait boire, après l'action de grâces, l'eau des ablutions.
Le lundi 12 décembre 1910, je faisais comme d'ordinaire mon action de grâces, les yeux fermés, quand une religieuse s'approcha de moi, ayant à la main un petit verre dont le contenu un peu trouble, comme laiteux, me frappa. Je bus une longue gorgée du liquide qui m'était présenté; aussitôt une amertume affreuse se répandit dans ma bouche; je pensais au fiel qui abreuva Nôtre-Seigneur et j'hésitais à achever disant: «O ma Sœur, comme c'est amer! j'en ai pris assez, je vous assure, et n'en pourrais prendre davantage.» Mais la religieuse, me le présentant de nouveau, me dit: «Buvez, buvez encore, car au fond c'est Jésus!» J'achevai avec effort de boire l'amer breuvage et repris mon action de grâces. Un moment après survint mon infirmière apportant le verre d'eau habituel. Je lui dis avec simplicité: «Pourquoi m'en donner deux aujourd'hui, vous venez de me l'offrir déjà tout à l'heure?»—«Mais non, répondit-elle en riant, à quoi donc pensez-vous?»
Alors je commençai à comprendre qui m'avait apporté le premier verre à la mystérieuse amertume!
Dans la même matinée, Dieu acheva de m'éclairer. Il permit qu'une personne de mon entourage ayant vu, dans mon état, des symptômes alarmants qui ne m'auraient pas inquiétée à cause de mon inexpérience, eut la maladresse de me dire que je ne guérirais pas et qu'il me faudrait deux opérations successives et des plus graves. A cette épreuve s'en ajoutèrent, en même temps, d'autres plus intimes et non moins crucifiantes.
C'était bien Sr Thérèse qui était venue me présenter le calice de ma passion! Depuis elle continue de m'abreuver divinement; chaque jour amène sa goutte d'amertume, goutte délicieuse puisque la chère sainte est là pour m'aider à la boire et à l'offrir à Jésus.
Dans les sacrifices plus grands qui m'attendent encore, c'est Jésus que je vois; Thérèse me l'a dit, et ce mot d'elle a suffi pour jeter sur ma vie entière cette lumière pénétrante qui réduit tout en joie.
X.
——
120.
Hospice de Cl. (Seine), 30 décembre 1910.
Nous avons été témoin de la guérison d'une jeune fille de 17 ans, atteinte d'hydrarthrose du genou droit, en traitement ici depuis quatre mois, sans aucune amélioration, et qui devait, d'après l'avis du docteur, subir une grave opération.
Malade depuis l'enfance, elle a déjà été opérée plusieurs fois et a été longtemps traitée dans les hôpitaux pour des humeurs froides.
Dans l'attente de son admission à l'hôpital Necker (Paris), nous eûmes la pensée de vous écrire pour demander des reliques de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. A leur arrivée, la pauvre malade pleine de confiance commença pieusement une neuvaine avec son infirmière, et nous appliquâmes sur le genou un sachet contenant un morceau du rideau du lit d'infirmerie de la petite sainte.
Dès le premier jour, qui était le 10 décembre 1910, la malade fut prise de vomissements violents, ce qui nous parut étrange, car elle a un très bon estomac et montrait d'habitude un excellent appétit. Les vomissements durèrent ainsi jusqu'au 13. La pauvre enfant souffrait beaucoup aussi d'un violent point de côté. Chaque jour l'infirmière lui lisait, pour l'encourager, quelques guérisons dues à l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Alors sa confiance se ranimait; elle voulait être toute seule et priait continuellement l'angélique sainte. Elle affirme que, dans la nuit du 13 au 14, Sr Thérèse lui dit en songe: «Je te guérirai» (la malade ordinairement ne rêvait jamais).
La journée du 14 fut fort pénible; les douleurs s'accentuèrent. Pas de changement le 15. Le vendredi 16 décembre 1910, septième jour de la neuvaine, le calme se fit, la malade sentit un grand mieux et, pleine de joie, se mit à chanter. Le samedi matin, au réveil, ne ressentant plus aucune douleur, elle sauta hors de son lit en s'écriant: «Je suis guérie!»
Nous examinâmes son genou: tout avait disparu. A midi, elle mangea sans aucun malaise. Le médecin arriva le lendemain, il regarda le genou, le tâta et s'écria: «C'est renversant! plus rien! Elle est guérie! renvoyez-la chez elle.»
Depuis, la miraculée se porte parfaitement et marche sans aucune fatigue.
Sr Th., supérieure.
——
121.
Asile des Petites Sœurs des Pauvres, Lisieux, 30 décembre 1910.
Guérison d'un cancer à la langue.
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus a exaucé la prière d'un de nos bons vieillards (car bien qu'âgé de 60 ans seulement, il paraissait en avoir 80) qui lui demandait sa guérison.
Ferdinand Aubry—c'est le nom du privilégié de la petite Sainte—est entré dans notre asile au mois de mai 1910. Dès ce moment nous avons remarqué sur sa langue des taches qui nous firent craindre pour plus tard un cancer. Il commençait déjà à souffrir un peu. Aux mois d'août et septembre, les douleurs augmentèrent; il ne pouvait plus manger de viande ni prendre d'aliments chauds.
Le 22 septembre, la langue se trouvait très envenimée; le lendemain 23, la Sœur infirmière s'aperçut que le mal commençait à ronger les chairs. Le 24, M. le docteur V. vint le voir. Il trouva en effet la langue dans un état très grave. Selon notre conviction il était atteint, soit de gangrène, soit d'un cancer; mais nous pensions plutôt que c'était un cancer, à cause des taches que nous avions constatées à son entrée à l'asile.
Le docteur ordonna de l'envoyer à l'hôpital, car, disait-il, nous n'avions pas ici les tubes et ce qu'il fallait pour le soulager dans les horribles souffrances qui l'attendaient; il voulait en même temps nous épargner le spectacle de sa mort qu'il prévoyait devoir être affreuse. Nous pensions bien, nous aussi, qu'elle serait cruelle, car nous avions soigné déjà un vieillard atteint de cette maladie. En attendant son transfert, le docteur approuva que nous prenions des précautions sérieuses, comme celle de laver son linge à part. Il aurait voulu que nous l'isolions des autres vieillards à cause de l'odeur infecte qu'il exhalait. Il nous conseilla aussi de lui procurer sans tarder la sainte Communion afin qu'il pût la faire encore une fois avant de mourir, car le mal faisait des progrès rapides; il jugea même prudent de dire à Monsieur l'Aumônier de ne lui donner qu'une parcelle de la sainte hostie.
Dès le lendemain 25, on fit communier le malade. Quelques instants plus tard, nous lui donnâmes une image et une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus en lui disant d'avoir confiance en elle, et de lui faire une neuvaine pour obtenir sa guérison.
Nous avions confiance nous-mêmes, car cette petite Sainte si pure aime les pécheurs, et nous savions que les antécédents de ce pauvre homme n'empêcheraient pas sa céleste charité de s'exercer sur lui. Il avait vécu de longues années loin du bon Dieu, adonné au vice abrutissant de l'ivrognerie. A son arrivée ici, nous avions agi avec lui selon notre coutume en pareil cas, ne le sevrant pas tout à coup, mais l'habituant peu à peu à la sobriété; et, sa bonne volonté et son courage aidant, il avait fini par se corriger tout à fait.
Quand je lui fis connaître la petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, je lui lus le passage de sa vie où elle parle d'un pauvre vieillard à qui elle porta l'aumône et qui lui inspira une si vive compassion qu'elle se souvint de lui le jour de sa première Communion. Le bon Ferdinand en fut touché; cette petite Sainte qui aimait les pauvres et les vieillards l'avait conquis. Aussi fit-il sa neuvaine, selon son expression, «avec deux cœurs». Tous les vieillards, émus d'une vive pitié, s'unirent à sa neuvaine en récitant la «prière pour demander la béatification de Sr Thérèse».
Ce même jour, 25 septembre 1910, deux Petites Sœurs allèrent en pèlerinage à la tombe de la Servante de Dieu, à la même intention; et, le lendemain, M. l'Aumônier offrit le saint sacrifice de la Messe pour demander à Dieu la béatification de l'angélique Sr Thérèse et, par son intercession, la guérison de notre malade.
Le lendemain, lundi 26, l'infirmière, en pansant le pauvre homme, arracha avec un linge un lambeau de chair pourrie qui pendait de la langue. Elle en fut très impressionnée, car le mal parut encore plus visible; le bout de la langue avait disparu, et le reste continuait à se ronger. Le cou était très enflé. A chaque pansement, on voyait les progrès du mal. L'infirmière déclara plusieurs fois qu'il était impossible, à moins d'un miracle, que le malheureux guérisse.
Le mercredi 28, nous allâmes au Carmel demander un pétale de roses avec lesquelles Sr Thérèse avait embaumé et caressé son crucifix sur son lit de mort. Au retour, nous posâmes la relique auprès du malade. Revenant un instant après, nous fûmes surprises de ne rien retrouver dans le petit sachet authentiqué; nous lui demandâmes ce qu'il avait fait du précieux pétale: «Mais, ma Sœur, je l'ai mangé!» répondit-il d'un ton résolu et qui révélait sa foi profonde.
A partir de ce moment nous constatâmes une légère amélioration. Pour lui il ne disait rien, mais il ne souffrait plus. Nous l'apprîmes le 2 octobre lorsque, à notre grande surprise, il nous déclara tout à coup: «Je suis guéri!—Mais depuis quand?—Depuis trois ou quatre jours!»
Le lendemain, 3 octobre 1910, dernier jour de la neuvaine, nous priâmes notre docteur de venir voir notre miraculé. Nous le prévînmes de la guérison, mais il crut que nous nous trompions. Lorsqu'il arriva près du bon Ferdinand, celui-ci tout heureux ouvrit la bouche, et le docteur s'écria: «Il est guéri, sa langue est cicatrisée!»
Alors, d'une voix rendue à peine intelligible à cause de l'absence du morceau de langue que la gangrène avait fait disparaître, le vieillard demanda: «Ma langue va-t-elle repousser?—Oh! pour ça non, mon ami; n'y comptez pas, c'est bien impossible!» lui répondit le docteur étonné de cette foi naïve.
Mais la petite Sainte ne voulut pas se contenter d'avoir miraculeusement guéri son vieux protégé, elle lui obtint encore la merveille extraordinaire qu'il désirait; sa langue se mit aussitôt à repousser, et, à la fin d'octobre, elle avait repris l'aspect normal d'une langue parfaitement saine.
Notre vieillard était atteint de paralysie; aussi en lui faisant demander la guérison de sa langue, l'avions-nous engagé à demander en même temps celle de son autre maladie. Mais il ne l'avait pas voulu, disant que, pourvu qu'il ne meure pas de son cancer, tout le reste lui était égal. Il ne tenait pas à la vie et préférait même mourir dans les bonnes dispositions où il était.
Après être resté quelque temps dans un état stationnaire qui permit à de nombreux témoins d'admirer en lui la puissance d'intercession de la petite Sainte du Carmel, il s'affaiblit graduellement. Il put cependant encore, le 8 décembre, aller en voiture jusqu'au cimetière pour remercier sa céleste bienfaitrice; mais ce fut sa dernière sortie. Quelques jours plus tard, le 18 décembre 1910, il rendait doucement son âme à Dieu après avoir reçu les derniers sacrements avec une grande piété.—Il était dans une parfaite tranquillité d'âme. Un des soirs qui précéda sa mort, il dit: «Je suis si faible, je crois que je vais mourir cette nuit; pour ne pas déranger Monsieur l'Aumônier, on pourrait me donner tout de suite l'Extrême-Onction.»
Pendant son agonie, on l'encourageait par la pensée d'aller voir au ciel son angélique protectrice; alors il demanda dans une pensée d'humilité: «Mais, vais-je pouvoir entrer dans l'«appartement» où elle est?»
La nuit de sa mort, à onze heures et demie, l'infirmière voulut lui donner de l'eau bénite. Le malade lui prit la main et fit un geste qui indiquait son désir d'être aidé à faire le signe de la croix; il fixait en même temps avec attention le portrait de Sr Thérèse attaché au bénitier et paraissait ne pouvoir en détacher les yeux. On l'exhortait à avoir confiance en Dieu, lui promettant l'assistance de sa céleste bienfaitrice au moment de sa mort. En entendant le nom de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, il eut comme un tressaillement d'allégresse; son regard mourant s'illumina tout à coup et se dirigea en haut vers un certain point de la chambre. Il y avait dans ce regard comme une assurance de salut!!!
Encore une remarque sur l'organe guéri: avant de mettre le corps dans le cercueil, un docteur voulut examiner la langue, et nous pûmes voir avec lui qu'elle était restée belle et saine.
Puisse-t-elle chanter maintenant les miséricordes du Seigneur!
Sr X., supérieure.
——
122.
X., France, janvier 1911.
A la suite d'une fièvre typhoïde je fus prise, vers la fin de 1908, de vives douleurs au bras gauche qui annonçaient la carie des os. Une large plaie suppurante s'était formée au poignet et un jour, en baignant mon bras, je vis avec frayeur un petit fragment d'os s'en détacher.
Le médecin déclara l'urgence d'une opération: il s'agissait de mettre l'os à nu et de nettoyer la partie atteinte afin d'arrêter—si c'était possible—les progrès du mal.
Un retard forcé me permit d'aller, le 15 avril 1909, me recommander aux prières du Carmel de X. Là on m'engagea à prier Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et on me remit une de ses reliques. Je l'appliquai sur mon mal et elle y resta pendant la neuvaine que je commençai dès le lendemain, 16 avril, en union avec le Carmel.
Au jour fixé pour l'opération, le médecin arrive avec ses instruments de chirurgie, il stérilise la lancette qui doit fouiller mon pauvre bras tandis que je le débande. J'entre dans la salle d'opération, le docteur s'approche, regarde ma plaie: elle est cicatrisée; il s'écrie: «Mais c'est guéri, il n'y a pas besoin d'opération!» En effet je ne souffrais plus!
Près de deux ans se sont écoulés depuis et jamais la moindre douleur n'a reparu.
X.
——
123.
N.-D. de la Miséricorde de Lisieux, 2 janvier 1911.
Louise Lamy a été atteinte de grosseurs le long de la jambe droite en 1900. Il s'est formé du pus et une plaie. Avec les soins le mal a cédé, mais pour reparaître les années suivantes, et, à deux reprises surtout, a été très difficile à enrayer.
La malade ne pouvait rester couchée sur le côté droit sans être réveillée par les douleurs, et souffrait en marchant.
En 1907, le mal fit de tels progrès que, le 28 janvier, Louise dut entrer à l'infirmerie. Le médecin constata une nécrose à la cuisse droite. Il s'y forma trois trous sur une superficie de 15 à 20 centimètres. Le pus sortait en telle abondance qu'il fallait passer des drains pour l'écoulement, la plaie était pansée plusieurs fois par jour, et des paquets de linge étaient employés à chaque fois.
Les plaies et l'état général donnaient des craintes si sérieuses que le docteur commençait à désespérer de la guérison.
La malade ne pouvait supporter le moindre pansement sans souffrir d'atroces douleurs; elle ne pouvait s'appuyer aucunement sur la jambe, l'appétit avait disparu ainsi que le sommeil, et on s'attendait à un dénouement prochain.
Notre chère malade, qui aimait beaucoup Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, eut l'idée de lui faire une neuvaine. Elle la commença avec une grande confiance. Pendant cette neuvaine elle souffrit davantage. On lui conseilla d'en recommencer une seconde, puis, pour les pansements, on se servit d'une goutte d'huile bénite de la Sainte Face, pour laquelle Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus avait tant de dévotion. Vers le milieu de la neuvaine, Jeudi Saint, 28 mars, notre malade, qui avait passé une bonne nuit, sentit en s'éveillant qu'elle pouvait remuer la jambe et dit à la Mère infirmière qui se disposait à faire le pansement matinal: «Vous pouvez aller à la Messe sans me changer, je suis mieux.»
En effet, il restait de petits trous, mais qui ne la faisaient pas souffrir. La suppuration avait cessé. Les plaies mirent deux ou trois jours à se fermer. La malade s'était levée vers neuf heures. Le docteur venu pour la voir ne pouvait en croire ses yeux. «Je suis guérie, lui dit-elle, je ne souffre plus.»
L'après-midi, elle descendit à la cuisine et remonta les escaliers sans souffrance.
Le jour de Pâques, 31 mars, elle fut à la Messe à la chapelle, et s'agenouilla à la sainte Table, comme ses compagnes. Le docteur ne pouvait revenir d'un tel changement, car il ne voyait pas de remède à ce mal affreux.
L'année suivante, novembre 1908, ce même docteur demande à voir sa malade. Il est frappé de sa mine de santé; puis, après examen sérieux, ne trouvant aucune trace de l'horrible plaie, il se retire persuadé de l'intervention de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Depuis, aucune rechute, la santé est excellente.
Sr X.
Supérieure.
Suit le certificat du médecin.
——
124.
Trouville-s.-Mer (Calvados), 2 janvier 1911.
J'avais, depuis l'enfance, une grosseur sous l'aisselle droite, semblable à une bille mobile placée entre cuir et chair. Elle se sentait très nettement à la palper, mais n'était pas visible à l'extérieur. Je n'en souffrais nullement.
Il y a quatre ans, elle augmenta de volume et devint douloureuse. Je consultai alors un médecin de Bernay qui l'appela «ganglion tubéreux» et me conseilla une opération pour plus tard.
Souffrant davantage, je consultai durant l'été 1905 un médecin de Trouville qui me fit subir un traitement continu, pendant trois mois et dix-sept jours. Il appela mon mal «kyste néogéne» et me l'ouvrit très souvent, c'est-à-dire plusieurs fois chaque semaine. Il en extrayait alors, à l'aide de pinces, de petits cheveux enroulés en forme de limaçon. Après ce traitement je souffris un peu moins, mais je n'étais nullement guéri.
Au printemps 1910, je fus repris plus violemment et incapable de travailler. La douleur se faisait sentir non pas seulement sous le bras qui me semblait comme rongé intérieurement, mais encore dans tout le côté du corps et de la tête, si bien que mon caractère avait complètement changé et que j'étais devenu, par la persistance du mal, d'humeur chagrine et irascible.
Une opération fut donc décidée par le docteur X. et le jour fixé à l'un des derniers samedis de mai, je ne sais plus lequel.—Par une coïncidence providentielle, une personne pieuse engagea ma femme à faire une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus pour ma guérison. C'était la première fois que nous entendions parler de cette Sœur; nous nous empressâmes quand même de suivre le conseil.
Or, chaque jour de la neuvaine, nous constations que le kyste diminuait de grosseur et de dureté, si bien que le samedi, jour de clôture de la neuvaine et jour fixé pour mon entrée à la clinique, où l'opération devait avoir lieu le surlendemain lundi, la grosseur avait complètement disparu. J'hésitai à me rendre à la consultation; sur les instances de ma femme, je m'y décidai. Je trouvai le docteur X. en compagnie d'un autre chirurgien qu'il me demanda de faire assister à l'opération, à titre de témoin, car, disait-il, mon cas était intéressant et rare. Je lui répondis en souriant—car j'avais repris ma gaieté d'autrefois—que la présence d'un autre docteur ne me gênait nullement... puis je découvris l'épaule et le bras, et le docteur parut stupéfait quand, après avoir examiné et palpé de toutes façons le siège du mal, il constata qu'il n'y avait plus rien, que j'étais complètement guéri. Il me demanda si j'avais employé des remèdes nouveaux et lesquels; et, sur ma réponse négative, il me renvoya en disant: «C'est étrange! Enfin, si le mal vous reprend, je suis toujours là: vous viendrez me retrouver.»
Depuis cette époque, fin mai 1910, je n'ai plus jamais senti la moindre trace de cette grosseur, ni éprouvé la moindre douleur à l'endroit jadis malade; et pourtant, je me suis livré aux plus pénibles travaux.
En foi de quoi j'ai signé de plein cœur la présente attestation, attribuant ma guérison uniquement à la puissante intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus dont je n'ai jamais cessé depuis lors de porter les reliques et d'implorer la bienfaisante protection.
X.
——
125.
X., 2 janvier 1911.
Parmi les faveurs que l'on nous signale des cinq parties du monde, citons enfin celle-ci:
Ma Révérende Mère,
Vous vous souvenez de mon pèlerinage à Lisieux, vous vous rappelez dans quel état de découragement je me présentai à vous. Vous m'avez promis alors de prier pour moi, et vous l'avez fait certainement car le même jour, sur la tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, tandis que je sanglotais le front appuyé sur la croix, subitement le calme, la paix, l'abandon succédèrent à une angoisse mortelle; quand je dis paix, je veux parler d'un état de quiétude que je n'ai jamais ressenti, même aux heures divines de mes ordinations, et qui, depuis lors, ne m'a jamais quitté.
En même temps, une lumière subite inonda mon âme et la transforma. Sr Thérèse me faisait comprendre et m'obtenait la force de vouloir suivre la voie du renoncement total et continu. Ce fut un vrai miracle.
A cette même heure, ma mère, restée dans ma paroisse, reçut cette inspiration: «Inutile de te préoccuper, ton fils est guéri.» Elle ouvrit alors au hasard un livre de piété qu'elle tenait à la main, et ce fut le portrait de Thérèse qui s'offrit à ses regards. Elle le couvrit de larmes de joie.
Depuis lors, je suis comme sur un rivage béni, en possession d'une paix inexprimable.
Mais tout cela, ma Révérende Mère, n'est que le prélude des faveurs admirables dont je suis l'objet de la part de notre angélique Sœur. Je sens à tout moment l'assistance de quelqu'un qui féconde et conduit merveilleusement mon ministère et mes labeurs, et me fait demeurer avec Notre-Seigneur dans une ineffable intimité. Mes plus grosses difficultés sont réduites à néant comme par enchantement. Malgré l'opposition humainement insurmontable des méchants, le bien s'accentue tous les jours davantage.
Parfois, au moment de monter en chaire, je change subitement mon sujet d'instruction, une force mystérieuse m'inspire et me dicte des paroles que je trouve étranges; il me serait souvent impossible de me les rappeler ensuite pour les mettre par écrit. Et après, l'on me fait cette réflexion: «Mais ce que vous nous avez dit, c'est divin!»
Enfin, ma Révérende Mère, je dois vous avouer que non seulement je sens la présence de Sr Thérèse, mais aussi que je l'ai vue—sous les traits de sa photographie, celle qui se trouve au commencement de l'Histoire d'une âme.
La première fois, j'étais dans une grande tentation de découragement; l'angoisse dont elle me délivra sur sa tombe me revenait. Je disais le bréviaire dans mon jardin; tout à coup, à bout de forces, je m'arrêtai et m'écriai tout haut: «Thérèse! Thérèse!»..... Et je la vis apparaître devant moi; elle souriait et me dit avec une autorité toute céleste: «Confiance!» et elle disparut, ayant mis fin par ce seul mot à mon tourment intime.
La seconde fois, je revenais de visiter un confrère; chemin faisant, je songeais aux mille obstacles que l'impiété fait surgir contre moi dans mon ministère paroissial, et le découragement me saisit de nouveau avec une telle violence que je fus tenté de rebrousser chemin. Alors, avec la simplicité et l'insistance d'un enfant, j'appelle ma libératrice... Que vois-je? Comme un ange elle plane dans les airs, étendant son blanc manteau sur ma paroisse, tandis que j'entends ces paroles: «Ce n'est pas vous seulement que je protège, je protège aussi votre peuple. Soyez, en paix, je dirigerai tout, je serai votre bouclier.»
Confus des tendresses du Ciel, je me mis à pleurer et rentrai chez moi l'âme inondée de joie et de confiance.
Dans une autre circonstance, l'appelant à mon secours, je la vis se précipiter sur le démon et le terrasser, puis elle me couvrit de son manteau avec une sollicitude de mère. A ce moment, j'avais l'intelligence de la grandeur du prêtre. Oui, cette âme privilégiée est terrible aux démons «comme une armée rangée en bataille».
Lorsqu'elle est auprès de moi, je perds conscience des personnes et des choses, je ne vois plus les objets qui m'environnent, je ne vois qu'elle, toute baignée de lumière, la physionomie rayonnante de grâce divine, de tendresse et de force. Ces visions très rapides ne durent que le temps de faire naître un sentiment profitable à mon âme et glorieux à Dieu.
Depuis quelque temps, au commencement du saint Sacrifice, je lui demande de me suivre dans l'oblation divine, et, ô merveille! elle m'apparaît avec une dignité et une majesté célestes. Elle me fait alors comprendre l'amour infini de Jésus pour l'homme pécheur, et je me sens pénétré de tendresse pour les âmes.
Ah! ma Révérende Mère, vous le voyez, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus s'est chargée de moi. Au ciel seulement on saura tout ce que je lui dois. Elle m'a donné l'attrait de la vie cachée et oubliée, elle me fait vivre dans la pratique constante du renoncement absolu; elle m'a révélé le vrai sens de l'humilité du cœur; maintenant détaché de tout, je comprends que je suis l'instrument indigne entre les mains de Dieu, et j'ose dire que mon amour pour Jésus est devenu un feu qui me consume.
Je supplie à genoux mes confrères, qui ne me connaîtront jamais, de mettre toute leur confiance en cette élue de Dieu. Qu'ils me croient: Sr Thérèse aime les prêtres comme elle aimait Jésus sur ta terre. Le prêtre, n'est-ce pas Jésus avec son autorité et sa miséricorde? ON NE CONNAÎT PAS ASSEZ LA PUISSANCE ET LE ZÈLE DE CETTE SAINTE CARMÉLITE POUR LA SANCTIFICATION DES PRÊTRES. Elle a daigné me le faire comprendre, non seulement par sa sollicitude à mon égard, mais par une vision spéciale où elle me montrait le Ciel, m'excitant à travailler avec elle à la sanctification de mes frères dans le sacerdoce.
Oui, Sr Thérèse sera le salut des prêtres. C'est la mission qui lui a été confiée par le Seigneur!
La main sur le saint Evangile, je jure que tout ce que j'ai dit dans cette relation est conforme à la vérité.
X., curé.
Suivent les attestations du directeur et du confesseur de ce prêtre.
————
Les Carmélites de Lisieux demandent aux personnes qui reçoivent des grâces attribuées à l'intercession de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, de bien vouloir, sans tarder, les faire connaître à leur monastère.
Elles remercient des relations déjà envoyées, ainsi que des dons offerts en reconnaissance des grâces obtenues,—dons de toute nature, gardés précieusement et discrètement, jusqu'au jour où il sera permis de les exposer et de s'en servir:—ex-voto de marbre blanc, objets d'art, dentelles de prix, bijoux d'or, pierreries, etc.; dons en argent, faits en vue du Procès de Béatification.
Après avoir retiré le cercueil de l'ancienne tombe où l'on voit la croix, S. G. Mgr Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux, bénit la nouvelle tombe et permet à la foule de dénier devant le cercueil. Mgr de Teil, Vice-Postulateur, écrit, le procès-verbal; à ses pieds on voit la palme retrouvée intacte.
————
Bien des fois durant sa dernière maladie, Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus avait annonce qu'on ne retrouverait d'elle, selon son désir, que des ossements.
«Vous avez trop aimé le bon Dieu, il fera pour vous des merveilles, nous retrouverons votre corps sans corruption», lui disait une novice peu de temps avant sa mort.—«Oh non! répondit-elle, pas cette merveille-là! ce serait sortir de ma petite voie d'humilité, il faut que les petites âmes ne puissent rien m'envier.»
L'exhumation des restes de la Servante de Dieu, faite dans le but d'assurer leur conservation et non de les exposer déjà à la vénération des fidèles, eut lieu le 6 septembre 1910.
On avait essayé de tenir la chose secrète, mais elle fut cependant assez connue pour permettre à plusieurs centaines de personnes d'accourir au cimetière.
Mgr Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux, Mgr de Teil, vice-postulateur de la cause, MM. les chanoines Quirié et Dubosq, vicaires généraux, et beaucoup de prêtres parmi lesquels tous les membres du Tribunal chargé d'instruire le Procès de Béatification, étaient présents.
Le travail de l'exhumation offrait de grandes difficultés, le cercueil se trouvant placé à une profondeur de 3 m. 50, et dans un très mauvais état. Un expert en ces sortes de manœuvres dirigeait celle-ci. Il fit glisser des planches sous le cercueil, pour faire un fond artificiel destiné à soutenir l'autre qui menaçait de s'effondrer; puis on enveloppa le tout de fortes toiles maintenues par de solides courroies. Avec bien du temps et des anxiétés, on parvint ainsi à remonter le cercueil sans accident. Lorsqu'il apparut à ses regards, le Pontife entonna d'une voix émue le chant de David louant le Seigneur qui «tire l'humble de la poussière pour le faire asseoir avec les princes de son peuple». Et tandis que les prêtres psalmodiaient le Laudate pueri Dominum, on aperçut au travers des planches disjointes, toute verte et fraîche comme au premier jour, la palme que le 4 octobre 1897, on avait placée sur la dépouille virginale de la Servante de Dieu[278]. N'était-ce point le symbole de la palme immortelle qu'elle avait remportée par le martyre du cœur? ce martyre au sujet duquel elle avait écrit: «A tout prix je veux cueillir la palme d'Agnès; si ce n'est par le sang, il faut que ce soit par l'AMOUR.»
On ouvrit alors le cercueil.
Deux ouvriers, le père et le fils, se tenaient près de là; ils sentirent à ce moment un suave et fort parfum de violettes qu'aucune cause naturelle ne pouvait expliquer et qui les émut profondément[279].
Les vêtements apparurent en ordre; ils semblaient aussi conservés, mais ce n'était qu'une apparence. Les voiles et la guimpe n'existaient plus, la grosse bure des carmélites avait perdu toute consistance et se déchirait sans effort... Enfin, comme l'humble enfant l'avait souhaité, on ne retrouvait d'elle que des ossements!
Un des médecins présents voulut en offrir une parcelle à Mgr Lemonnier, mais Sa Grandeur s'y opposa et défendit qu'on en emportât la moindre partie. Il accepta seulement la petite croix de buis qui avait été placée dans les mains de la Servante de Dieu.
L'ancien cercueil fut alors déposé dans une bière de plomb disposée dans un cercueil de chêne. Puis on recouvrit le corps de vêtements neufs qui avaient été préparés, et la tête d'un voile que l'on entoura de roses, les dernières cueillies à ces mêmes rosiers du Carmel dont tant de fois l'angélique Thérèse avait jeté les fleurs au pied du Calvaire.
A ce moment, sur l'ordre de Mgr Lemonnier, pour contenter la foule qui stationnait dans le cimetière, silencieuse et recueillie, on écarta les toiles qui dérobaient aux regards le petit enclos des Carmélites et le cercueil fut placé sur des tréteaux devant la porte grillée.
Pendant trois quarts d'heure, on ne cessa de défiler, de prier, de faire toucher des objets de piété. Monseigneur l'évêque de Bayeux avait été le premier à faire toucher aux ossements des morceaux de soie violette apportés par lui à cette intention. On vit des ouvriers approcher leur alliance de mariage; tous ceux qui avaient travaillé à l'exhumation semblaient pénétrés de respect. On estima à plus de cinq cents personnes celles qui vénérèrent les restes, après trois heures d'attente.
Une impression extraordinaire de surnaturel, une émotion dont ils n'étaient pas maîtres envahissait les assistants. L'âme de Sœur Thérèse planait sans doute auprès de sa dépouille mortelle, heureuse d'offrir à son Créateur l'anéantissement de son être physique... On sentait qu'il se passait quelque chose de grand, de solennel. Malgré les réalités lugubres et humiliantes du tombeau, les âmes, au lieu d'être déconcertées, troublées, refroidies dans leur foi et leur amour, sentaient croître au contraire la ferveur et la tendresse de leur vénération.
Quand le défilé eut pris fin, un procès-verbal, écrit sur parchemin timbré aux armes de Mgr Lemonnier, fut renfermé dans un tube de métal et déposé dans le cercueil de plomb. Puis on ferma celui-ci, sur la couverture duquel est soudée une plaque avec l'inscription:
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face.
Marie-Françoise-Thérèse Martin.
1873-1897.
———
Le même texte se lit sur une plaque de cuivre fixée sur le cercueil de chêne. Deux empreintes de chacun des cachets de Mgr Lemonnier et de Mgr de Teil furent apposées sur la soudure aux quatre angles du cercueil de plomb. Il ne restait plus qu'à fixer le couvercle en bois de chêne.
A quelques pas de la première tombe, on en avait creusé une nouvelle, de deux mètres de profondeur, où l'on avait préparé un caveau en briques, aux dimensions du cercueil. Mgr Lemonnier l'avait bénite en arrivant, et c'est là que fut descendue la précieuse dépouille.
Le soir, les planches enlevées au cercueil, quelques fragments des vêtements et la palme, que la dévotion indiscrète des ouvriers avait mise en lambeaux, furent rapportés au Carmel, et la Sœur chargée de les ramasser sentit par deux fois un parfum de roses. Des parcelles des vêtements et du cercueil exhalèrent ailleurs un parfum d'encens.
Une autre planche, détachée de la tête du cercueil et qui n'avait pu être retrouvée le jour même, fut également, huit jours après, rapportée au monastère. La Sœur tourière qui l'avait découverte, doutant un peu de son authenticité, supplia Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus de la manifester par un signe sensible. Elle fut exaucée, car plusieurs Sœurs, qui n'avaient point été averties, furent embaumées d'un merveilleux parfum d'encens qui s'exhalait de cette planche et que l'une d'elles sentit à une assez grande distance.
Mais le cœur si tendre de Sœur Thérèse voulait encore consoler ceux qui l'aiment en leur donnant une image saisissante de la plénitude de vie dont elle jouit dans le Ciel.
Une des âmes qu'elle a favorisées en cette circonstance de ses célestes communications, et qui est fort estimée de prêtres pieux et éclairés, a attesté sous la foi du serment la vérité du récit qu'on va lire.
Cette personne souhaitait vivement assister à l'exhumation et avait projeté de s'informer de l'époque où elle aurait lieu, mais elle la croyait fort éloignée encore. Le fait suivant s'est passé dans la nuit même qui suivit l'exhumation, du 6 au 7 septembre.
Dans sa vision, elle aperçut d'abord une grande foule qu'elle prit à la fois pour un cortège triomphal et un enterrement très solennel. «Puis, dit-elle, je vis une jeune vierge resplendissante de lumière. Son vêtement de neige et d'or étincelait de toute part. Je ne distinguais pas ses traits, tant ils étaient imprégnés de lumière. A demi couchée, elle se souleva, paraissant sortir d'un suaire lumineux. Avec une candeur et un sourire d'enfant, elle m'entoura de ses bras et me donna un baiser. A ce céleste contact il me sembla que j'étais dans un océan de pureté et que je buvais à la source des joies éternelles. Je n'ai point de mots pour exprimer l'intensité de vie qui émanait de tout son être. Tout en elle disait sans parole, par un rayonnement inexprimable de tendresse, comment en Dieu, foyer de l'amour infini, les bienheureux aiment au Ciel...»
Ignorant ce qui se passait à Lisieux, l'heureuse privilégiée se demandait quelle était cette jeune vierge et pourquoi elle lui était apparue couchée et sortant d'un suaire. Trois jours après, lisant dans La Croix le récit de l'exhumation, elle eut aussitôt la certitude que c'était Sœur Thérèse qui était venue l'avertir de l'événement, et elle partit immédiatement pour l'en remercier sur sa tombe.
Mais ce n'était pas assez pour la Servante de Dieu d'avoir donné aux siens cette preuve d'affection, de leur avoir dit comme l'ange à Madeleine: «Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celle qui est pleine de vie?», elle voulut encore leur faire des promesses pour l'avenir.
Le 5 septembre, veille de l'exhumation, elle était apparue à la révérende Mère Prieure d'un Carmel étranger, et, lui annonçant que le lendemain on ne retrouverait d'elle que des ossements, «à peine des ossements», elle lui avait fait pressentir les merveilles qu'elle doit opérer dans la suite. La révérende Mère les résume ainsi: «Ces ossements bénis feront des miracles éclatants et seront des armes puissantes contre le démon.»
Quelques semaines plus tard, le résultat de l'exhumation parvenait à la connaissance d'un professeur de l'Université de X., homme d'une grande valeur intellectuelle, d'une éminente piété et, de plus, très favorisé par la Servante de Dieu de grâces de tout genre, depuis plus de dix ans qu'il la connaît. Il s'attrista d'abord de ce que l'angélique vierge avait été soumise à la loi commune, et comme il se laissait aller à ces pensées mélancoliques, il entendit une voix intérieure lui répondre:
«C'était la robe de mes jours de travail que J'ai déposée; j'attends la robe du dimanche éternel: peu m'importe ce qui arrivera à l'autre.»
«Et alors, dit-il, j'eus une lumière qui me consola, je compris que cette dissolution répandra des atomes de son corps en tous lieux, de façon que non seulement son âme, mais encore quelque chose de son corps pourra être présent et FAIRE DU BIEN SUR LA TERRE.
«Il me semble, en effet, que tout ce qui a réellement appartenu au corps d'un saint est une relique, et s'il en est ainsi, non seulement ses os, mais encore les molécules invisibles de matière peuvent porter en elles la grâce des reliques.»
N'est-ce pas la réponse à ce désir si poétiquement exprimé:
Seigneur, sur tes autels, plus d'une fraîche rose
Aime à briller,
Elle se donne à toi... mais je rêve autre chose:
C'est m'effeuiller...
Pages. | |
Lettres d'approbation | V |
Au Lecteur | XXIII |
Préface | XXV |
Introduction | XXXIII |
—— | |
HISTOIRE D'UNE AME | |
---|---|
Chapitre premier. | |
Les premières notes d'un cantique d'amour.—Le cœur d'une mère.—Souvenirs de deux à quatre ans | 3 |
Chapitre II. | |
Mort de sa mère.—Les Buissonnets.—Amour paternel.—Première confession.—Les veillées d'hiver.—Vision prophétique | 19 |
Chapitre III. | |
Le pensionnat.—Douloureuse séparation.—Maladie étrange.—Un visible sourire de la Reine du ciel | 37 |
Chapitre IV. | |
Première Communion.—Confirmation.—Lumières et ténèbres.—Nouvelle séparation.—Gracieuse délivrance de ses peines intérieures | 53 |
Chapitre V. | |
La grâce de Noël.—Zèle des âmes.—Première conquête.—Douce intimité avec sa sœur Céline.—Elle obtient de son père la permission d'entrer au Carmel à quinze ans.—Refus du Supérieur.—Elle en réfère à sa Grandeur Mgr Hugonin, évêque de Bayeux | 73 |
Chapitre VI. | |
Voyage de Rome.—Audience de Sa Sainteté Léon XIII.—Réponse de Monseigneur l'Evêque de Baveux.—Trois mois d'attente | 93 |
Chapitre VII. | |
Entrée de Thérèse dans l'Arche bénie.—Premières épreuves.—Les fiançailles divines.—De la neige.—Une grande douleur | 115 |
Chapitre VIII. | |
Les Noces divines.—Une retraite de grâces.—La dernière larme d'une sainte.—Mort de son père.—Comment Nôtre-Seigneur comble tous ses désirs.—Une victime d'amour | 131 |
Chapitre IX. | |
L'Ascenseur divin.—Première invitation aux joies éternelles.—La nuit obscure.—La table des pécheurs.—Comment cet ange de la terre comprend la charité fraternelle.—Une grande victoire.—Un soldat déserteur | 151 |
Chapitre X. | |
Nouvelles lumières sur la charité.—Le petit pinceau: sa manière de peindre dans les âmes.—Une prière exaucée.—Les miettes qui tombent de la table des enfants.—Le bon Samaritain.—Dix minutes plus précieuses que mille ans des joies de la terre | 177 |
Chapitre XI. | |
Deux frères prêtres.—Ce qu'elle entend par ces paroles du livre des Cantiques: «Attirez-moi...»—Sa confiance en Dieu.—Une visite du ciel.—Elle trouve son repos dans l'amour.—Sublime enfance.—Appel à toutes les petites âmes | 199 |
Chapitre XII. | |
Le Calvaire.—L'essor vers le ciel | 223 |
—— | |
APPENDICE | |
Conseils et Souvenirs.—Prières | 257 |
Acte d'offrande | 301 |
Consécration à la sainte Face | 304 |
Prières | 305 |
Prière à l'Enfant-Jésus | 305 |
Prière à la sainte Face | 306 |
Prière inspirée par une image représentant la Vénérable Jeanne d'Arc | 306 |
Prière pour obtenir l'humilité | 307 |
—— | |
LETTRES | |
FRAGMENTS | |
Lettres de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus à sa sœur Céline | 311 |
Lettres à la Rde Mère Agnès de Jésus | 337 |
Lettres à Sœur Marie du Sacré-Cœur | 344 |
Lettres à Sœur Françoise-Thérèse | 351 |
Lettres à sa cousine Marie Guérin | 356 |
Lettre à sa cousine Jeanne Guérin | 359 |
Lettres à ses Frères spirituels | 360 |
—— | |
POÉSIES | |
Première partie. | |
Mon chant d'aujourd'hui | 371 |
Vivre d'amour | 393 |
Cantique à la Sainte Face | 377 |
Dirupisti, Domine, vincula mea! | 379 |
Jésus mon Bien-Aimé, rappelle-toi! | 380 |
Au Sacré-Cœur | 389 |
Le Cantique éternel chanté des l'exil | 391 |
J'ai soif d'amour | 392 |
Mon ciel à moi | 394 |
Mon espérance | 396 |
Jeter des rieurs | 397 |
Mes désirs près du Tabernacle | 398 |
Jésus seul | 400 |
La volière de l'Enfant-Jésus | 402 |
Glose sur le Divin | 404 |
A l'Enfant-Jésus | 405 |
Ma Paix et ma Joie | 406 |
Mes Armes | 408 |
Un lis au milieu des épines | 410 |
La rose effeuillée | 411 |
L'abandon | 413 |
Deuxième partie. | |
La Rosée divine ou le lait virginal de Marie | 415 |
La Reine du ciel à sa petite Marie | 417 |
Pourquoi je t'aime, ô Marie! | 420 |
A saint Joseph | 426 |
A mon Ange gardien | 427 |
A mes petits Frères du ciel, les saints Innocents | 429 |
La mélodie de sainte Cécile | 430 |
Cantique de sainte Agnès | 436 |
Au Vénérable Théophane Vénard | 438 |
Troisième partie. | |
La Bergère de Domremy écoutant ses voix | 441 |
Hymne de Jeanne d'Arc après ses victoires | 447 |
Prière de Jeanne d'Arc dans sa prison | 448 |
Les voix de Jeanne pendant son martyre | 449 |
Le jugement divin | 450 |
Le cantique du triomphe | 451 |
Prière de la France à la Vénérable Jeanne d'Arc | 453 |
Cantique pour obtenir la canonisation de la Vénérable Jeanne d'Arc | 454 |
Histoire d'une Bergère devenue reine | 457 |
Le divin petit Mendiant de Noël | 460 |
Les Anges à la crèche | 472 |
La fuite en Egypte | 482 |
Jésus à Béthanie | 485 |
Prière de l'enfant d'un saint | 493 |
Ce que j'aimais | 496 |
—— | |
PLUIE DE ROSES | |
Quelques-unes des grâces et guérisons attribuées à l'intercession de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus | 1* |
—— | |
Le six Septembre 1910, au Cimetière de Lisieux | 107* |
Portrait de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus | II |
Thérèse enfant et sa mère | 11 |
Maison où naquit Thérèse. Alençon (Orne).—Eglise Notre-Dame d'Alençon où Thérèse fut baptisée.—Les Buissonnets (Lisieux) | 23 |
La Vierge de la chambre de Thérèse | 49 |
Le Pensionnat des Bénédictines de Lisieux.—Thérèse le jour de sa Première Communion.—Chœur des religieuses où Thérèse fit sa Première Communion | 63 |
Thérèse à 15 ans et son père | 83 |
Thérèse aux pieds de Léon XIII | 107 |
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus novice | 125 |
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, sacristine | 141 |
Cellule de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.—Le Préau du Carmel de Lisieux | 165 |
Chapelle du Carme! de Lisieux.—Chœur des Carmélites | 189 |
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus dans le jardin du monastère | 209 |
Vue générale du Carmel de Lisieux.—Cloître d'où l'on aperçoit l'infirmerie où mourut Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus | 239 |
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus après sa mort, d'après un tableau de «Céline» | 255 |
Allée des marronniers dans le jardin du Carmel de Lisieux | 280 |
Tombe de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus | 301 |
Thérèse et Céline | 339 |
Portrait de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus d'après un tableau de «Céline» | 368 |
La Sainte Face | 395 |
Intérieur de la Chapelle du Carmel de Lisieux | 396 |
La Vierge-Mère | 413 |
Oratoire où se trouve actuellement la «Vierge de la chambre de Thérèse» | 418 |
L'Enfant Jésus du Cloître | 458 |
Fresque composée et peinte par Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus | 476 |
Les armoiries de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus | 505 |
Exhumation de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus | 103* |
——
L'Histoire d'une Ame et les diverses publications sur la Servante de Dieu, Thérèse de l'Enfant-Jésus, sont traduites et éditées en diverses langues: anglaise, espagnole, portugaise, italienne, allemande, polonaise, flamande, hollandaise, japonaise.
Des traductions en d'autres langues sont également en préparation.
Pour avoir le Catalogue détaillé de ces différentes éditions étrangères s'adresser au Carmel de Lisieux (Calvados) ou à l'Imprimerie Saint-Paul, 36, boulevard de la Banque, Bar-le-Duc (Meuse).
[1] Une boucle des cheveux de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et sa première petite dent enchâssée dans un de ses bijoux.
[2] Publiée seule à la première édition.
[3] Univers, 11 juillet 1906.
[4] Mgr d'Aviau, le saint et illustre archevêque de Bordeaux, fit aux parents l'honneur de baptiser le petit Louis. Lisant dans l'avenir, il leur dit: «Réjouissez-vous, cet enfant est un prédestiné.»
[5] Chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.
[6] Devenue bientôt après Sœur Marie-Dosithée, au Monastère de la Visitation du Mans, elle y pratiqua constamment toutes les vertus religieuses. De son propre aveu, jamais, dans toute sa vie, elle ne commit de propos délibéré la faute la plus légère. Dom Guéranger, qui la connaissait, la citait comme un modèle de parfaite religieuse.
Mgr d'Outremont, de sainte mémoire, vint la visiter quelques jours avant sa mort et lui dit cette parole qui la combla de joie: «Ma fille, n'ayez aucune crainte, où l'arbre tombe, il demeure: vous allez tomber sur le Cœur de Jésus pour y demeurer éternellement.» Ainsi encouragée, elle mourut dans d'admirables sentiments de confiance, le 24 février 1877, dans sa quarante-huitième année.
[7] R. P. de Santanna.
[8] Cette vierge précieuse, bien que sans aucune valeur artistique, s'était animée deux fois pour éclairer et consoler, en de graves circonstances, la mère de Thérèse. Elle-même reçut, par cette statue bénie, des grâces signalées, comme nous le verrons plus loin.
[9] Marci, III, 13.
[10] Exod., XXXIII, 18, 19.
[11] Rom., IX, 16.
[12] Ps. XXII, 1, 2, 3, 4.
[13] Ps. CII, 8.
[14] Cette vénérée Mère avait fait profession au Carmel de Poitiers, d'où elle fut envoyée pour fonder celui de Lisieux en 1838.
Sa mémoire est restée en bénédiction dans ces deux monastères; elle y pratiqua constamment sous le regard de Dieu seul les vertus les plus héroïques, et couronna par une mort très sainte une vie chargée de bonnes œuvres, le 5 décembre 1891. Elle était âgée de quatre-vingt-six ans.
[15] Marie Guérin entra au Carmel de Lisieux, le 15 août 1895, et prononça ses vœux sous le nom de Sœur Marie de l'Eucharistie.
Elle se fit remarquer par son grand esprit de pauvreté et sa patience au milieu de longues souffrances. «Je ne sais pas si j'ai bien souffert, dira-t-elle pendant sa dernière maladie, mais il me semble que Thérèse me communique ses sentiments et que j'ai son même abandon. Oh! si je pouvais comme elle mourir d'amour! Ce ne serait pas étonnant, puisque je fais partie de la légion des petites victimes qu'elle a demandées au bon Dieu. Ma Mère, pendant mon agonie, si vous voyez que la souffrance m'empêche de faire des actes d'amour, je vous en conjure, rappelez-moi mon désir. Je veux mourir en disant à Jésus que je l'aime.»
Ce désir fut réalisé. La Mère Prieure, dans une lettre circulaire adressée à tous les Carmels, raconte ainsi ses derniers moments:
«On respirait vraiment, dans sa cellule, une autre atmosphère que celle d'ici-bas. Une de nos sœurs y apporta «la Vierge de Thérèse». Le regard déjà si beau de la petite Marie s'illumina d'un reflet céleste. «Que je l'aime! dit-elle en lui tendant les bras. Oh! qu'elle est belle!»
«Le moment suprême approchait, et les élans de notre douce mourante devenaient toujours plus expressifs et plus embrasés: «Je ne crains pas de mourir! oh! quelle paix!... Il ne faut pas avoir peur de la souffrance... Il donne toujours la force... Oh! que je voudrais bien mourir d'amour!... d'amour pour le bon Dieu... Mon Jésus, je vous aime!» Et l'âme de notre angélique sœur, quittant son enveloppe fragile, s'exhala dans cet acte d'amour...
«C'était le 14 avril 1905. Elle avait 34 ans.»
[16] Joan., XI, 4.
[17] Du haut du ciel, Thérèse sut lui rendre ses soins maternels. Pendant sa dernière maladie, elle la protégea visiblement. Un matin, on la trouva paisible et radieuse: «Je souffrais beaucoup, dit-elle, mais ma petite Thérèse m'a veillée avec tendresse. Toute la nuit je l'ai sentie près de mon lit. A plusieurs reprises, elle m'a caressée, ce qui m'a donné un courage extraordinaire.» Mme Guérin avait vécu et mourut comme une sainte, à l'âge de 52 ans. Elle répétait, le sourire sur les lèvres: «Que je suis contente de mourir! C'est si bon d'aller voir le bon Dieu! Mon Jésus, je vous aime. Je vous offre ma vie pour les prêtres, comme ma petite Thérèse de l'Enfant-Jésus.» C'était le 13 février 1900.
M. Guérin, après avoir pendant bien des années employé sa plume à la défense de l'Eglise et sa fortune au soutien des bonnes œuvres, mourut saintement, tertiaire du Carmel, le 28 septembre 1909, dans sa 69e année.
[18] Cant., II, 11.
[19] Sap., IV, 12.
[20] Eccles., I, 2.
[21] Imit., l. I, ch. I, 3.
[22] Cant., II, 1.
[23] Galat., II, 20.
[24] Imit., l. III, c. XXVI, 3.
[25] Ps. LIV, 6.
[26] Lucæ, VII, 47.
[27] Lucæ, V, 32.
[28] Sap., IV, 11.
[29] Sap., V, 10.
[30] Elle entra au Carmel de Lisieux le 15 octobre 1886, et prit le nom de Sœur Marie du Sacré-Cœur.
[31] Lucæ, V, 5.
[32] Joan., IV, 7.
[33] Ezech., XVI, 8, 9, 13.
[34] Imit., l. III, c. XLIII, 4.
[35] Cant., VIII, 1.
[36] Lucæ, XIX, 26.
[37] Lucæ, X, 21.
[38] Cant., II, 3.
[39] Matt., XVIII, 6.
[40] Imit., l. III, c. V, 4.
[41] Imit., l. III, c. XXIV, 2.
[42] Is., LXV, 15.
[43] Apoc., II, 17.
[44] I Cor., IV, 5.
[45] Matt., V, 13.
[46] Tit., I, 15.
[47] Cant., VII, 1.
[48] Office de sainte Cécile.
[49] Lucæ, XII, 32.
[50] Id., XXII, 29.
[51] Lucæ, XXIV, 26.
[52] Matt., XX, 22.
[53] Ps. CIII, 33.
[54] Ancien missionnaire de la Compagnie de Jésus au Canada.
[55] Joan., XVIII, 36.
[56] Imit., l. I, c. II, 3.
[57] Is., LIII, 3.
[58] Pour honorer Jésus, le divin Roi dont sa petite reine allait devenir la fiancée, M. Martin avait voulu que, ce jour-là, elle fût vêtue d'une robe de velours blanc, garnie de cygne et de point d'Alençon. Ses grandes boucles de cheveux blonds flottaient sur ses épaules et des lis composaient sa parure virginale.
[59] Léonie étant entrée aux Clarisses, ordre trop austère pour sa santé délicate, dut revenir chez son père. Plus tard elle fut reçue à la Visitation de Caen, où elle prononça ses vœux sous le nom de Sœur Françoise-Thérèse.
[60] Sap., III, 6.
[61] Elle fut chargée jusqu'à sa mort d'orner cette statue de l'Enfant-Jésus.
[62] Ps. LXXXIX, 15.
[63] Ps. CII, 14.
[64] Philip., IV, 7.
[65] Corridor.
[66] Is., LII, 11.
[67] Ce désir, Thérèse le gardait dans son cœur depuis son enfance. Voici ce qu'elle nous confia plus tard:
«J'avais dix ans le jour où mon père apprit à Céline qu'il allait lui faire donner des leçons de peinture, j'étais là et j'enviais son bonheur. Papa me dit: «Et toi, ma petite reine, cela te ferait-il plaisir aussi d'apprendre le dessin?» J'allais répondre un oui bien joyeux, quand Marie fit remarquer que je n'avais pas les mêmes dispositions que Céline. Elle eut vite gain de cause: et moi, pensant que c'était là une bonne occasion d'offrir un grand sacrifice à Jésus, je gardai le silence. Je désirais avec tant d'ardeur apprendre le dessin que je me demande encore aujourd'hui comment j'eus la force de me taire.»
[68] Eccles., II, 11.
[69] Ce fut le 14 septembre 1894. Céline devint Sr Geneviève de Sainte-Thérèse.
[70] Lucæ, XVII, 21.
[71] Notre-Seigneur à la B** Marguerite-Marie.
[72] Cant., VIII, 7.
[73] Ps., CXII, 1.
[74] Lucæ, XV, 31.
[75] Ps. XXXV, 5.
[76] I Reg., XVI, 7.
[77] Tob., XII, 7.
[78] Is., III, 10.
[79] Prov., IX, 4.
[80] Is., LXVI, 13.
[81] Ps. LXX, 18.
[82] Elle exerçait la charge de maîtresse des novices, sans en porter le titre.
[83] Ps. CXVIII, 141, 100, 105, 106.
[84] Lucæ, I, 49.
[85] Joan., I, 5.
[86] Lucæ, XVIII, 13.
[87] Ps. XCI, 4.
[88] Ps. CXLIII, 1, 2.
[89] Ps. CXXXII, 1.
[90] Matt., XXII, 39.
[91] Id., VII, 21.
[92] Joan., XIII, 34.
[93] Id., XV, 13.
[94] Lucæ, XI, 33.
[95] Joan., XV, 12.
[96] I Cor., IV, 3, 4.
[97] Lucæ, VI, 37.
[98] Matt., V, 43, 44.
[99] Lucæ, VI, 32.
[100] Id., VI, 30.
[101] Matt., xi, 30.
[102] Matt., v, 40.
[103] Ibid., 41.
[104] Ibid., 42.
[105] Lucæ, vi, 34, 35.
[106] Imit., l. III, c. xliv, 1.
[107] Prov., I, 17.
[108] Id., X, 12.
[109] Ps. CXVIII, 32.
[110] Rom., VIII, 15.
[111] Exod., IX, 14.
[112] Ps. xxxiii, 5.
[113] Ps. cxi, 4.
[114] Prov., xviii, 19.
[115] Joan., x, 12.
[116] II Reg., XVI, 10.
[117] Marci, VII, 28.
[118] Lucæ, XIV, 12, 13, 14.
[119] II Cor., IX, 7.
[120] Matt., xxv, 40.
[121] Sa sœur Pauline.
[122] Cant., I, 3.
[123] Joan., XVII.
[124] Lucæ, XV, 31.
[125] Joan., VI, 44.
[126] Lucæ, X, 41.
[127] Ps. xlix, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
[128] Joan., iv, 7.
[129] Lucæ, ii, 19.
[130] Tob., xii, 7.
[131] La Vénérable Mère Anne de Jésus, dans le monde Anne de Lobera, naquit en Espagne en 1545. Elle entra dans l'Ordre du Carmel, au premier monastère de Saint-Joseph d'Avila, en 1570, et devint bientôt la conseillère et la coadjutrice de sainte Thérèse qui la nommait «sa fille et sa couronne». Saint Jean de la Croix, son directeur spirituel pendant quatorze ans, se plaisait à l'appeler «un séraphin incarné» et l'on faisait une telle estime de sa sagesse et de sa sainteté, que les savants la consultaient dans leurs doutes et recevaient ses réponses comme des oracles. Fidèle héritière de l'esprit de sainte Thérèse, elle avait reçu du Ciel la mission de conserver à la Réforme du Carmel sa perfection primitive. Après avoir fondé trois monastères de cette réforme en Espagne, elle l'implanta en France, puis en Belgique, où, déjà célèbre par les dons surnaturels les plus élevés, particulièrement celui de la contemplation, elle mourut en odeur de sainteté au Couvent des carmélites de Bruxelles, le—mars 1621.
Le 3 mai 1878, Sa Sainteté le Pape Léon XIII signa l'introduction de la cause de béatification de cette grande servante de Dieu.
[132] Matt., viii, 26.
[133] Saint Jean de la Croix.
[134] I Cor., xii, 31.
[135] Saint Jean de la Croix.
[136] Lucæ, XVI, 9.
[137] Ibid., 8.
[138] Saint Jean de la Croix.
[139] Is., XXXVIII, 14.
[140] Matt., IX, 13.
[141] Dom Guéranger.
[142] C'était la Révérende Mère Marie de Gonzague. Elle avait reconnu en sa novice «une âme extraordinaire, déjà sainte, et capable de devenir plus tard une Prieure d'élite». C'est pourquoi elle lui donna cette éducation religieuse si virile dont Thérèse profita si bien et dont elle se montra si filialement reconnaissante, comme elle le dit dans l'Histoire de son âme. Ce fut entre ses mains que sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus rendit le dernier soupir, «heureuse, disait-elle, de n'avoir pas, à ce moment, pour Supérieure sa petite Mère, afin de pouvoir exercer davantage son esprit de foi en l'autorité.»
Mère Marie de Gonzague mourut le 17 décembre 1904, assistée de la Révérende Mère Agnès de Jésus, alors Prieure. Elle était âgée de 71 ans.
[143] Job, xiii, 15.
[144] Joan., iii, 34.
[145] Cant., II, 9.
[146] Apoc., x, 6.
[147] Prov., XIX, 11.
[148] Matt., XXV, 40.
[149] Sap., vi, 7.
[150] Ps. lxxv, 9.
[151] Ps. xvii, 5.
[152] Ps. xxii, 4.
[153] Matt., XX, 23.
[154] Ps. LXVII, 29.
[155] Prov., I, 4.
[156] Judith, XV, 11.
[157] Eccl., XI, 12, 13, 22, 23, 24.
[158] Jerem., X, 23.
[159] Ps. XCIII, 18.
[160] Imitation, l. XVI, 4.
[161] Joan., XIV, 2.
[162] Ps. CXL, 5.
[163] Cant., I, 2.
[164] Esdras, IIe, iv, 17.
[165] Matt., xxv, 36.
[166] Prov., xvi, 32.
[167] Lucæ, ii, 50.
[168] Ibid., 33.
[169] J'ai incliné mon cœur à l'observation de vos préceptes, à cause de la récompense, Ps. cxviii, 12.
[170] Ephes., VI, 17.
[171] Cant., V, 7; III, 4.
[172] Saint Jean de la Croix.
[173] Ephes., VI, 17.
[174] Joan., III, 8.
[175] Lucæ, XXII, 32.
[176] Gen., II, 17.
[177] Apoc., XXII, 12.
[178] Ps. LXXXIX, 4.
[179] Cant., IV, 6.
[180] Cant., V, 2.
[181] Is., LIII, 3.
[182] Ps. CXXXVI, 4.
[183] Joan., XV, 16.
[184] Matt., X, 34.
[185] Ps. CXLIII, 1, 2.
[186] Joan., XII, 26.
[187] Matt., XI, 29.
[188] Joan., XIII, 15, 16, 17.
[189] Joan., XIII, 8.
[190] Matt., III, 10.
[191] Matt., V, 48.
[192] Apoc., XI, 4.
[193] S. Jean de la Croix.
[194] Mme Swetchine.
[195] Exod., IV, 25.
[196] I Cor., VII, 31.
[197] Ps. CXXXVI, 2.
[198] Ibid., I, 4.
[199] Is., LXIV, 4.
[200] Véronique signifie vrai portrait. Il est bien remarquable que Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus ait appelé ainsi sa sœur Céline, qui devait plus tard, sous son inspiration, reproduire si fidèlement le vrai portrait de Notre-Seigneur Jésus-Christ, d'après le Saint Suaire de Turin.
Il est bien remarquable encore, que ce fut aussitôt après la mort de Thérèse que cette précieuse relique sortit du mystère: l'heure était venue où les secrets renfermés dans ses plis allaient être révélés au monde. Lorsque se fit l'ostension solennelle de 1898, personne n'avait vu le Saint Linceul depuis 30 ans. C'est alors que fut expliquée, par le cliché positif de la photographie, la mystérieuse empreinte négative du corps de Jésus qui, jusque-là, avait déconcerté les savants mêmes, et qu'apparut la majestueuse Figure du Christ; mais les contours étaient indécis, les traits effacés, et il devenait nécessaire de la retracer avec plus de netteté et de précision pour la présenter à la piété des fidèles.
On sait quel accueil ému lui fit Notre Saint-Père le Pape Pie X, et les indulgences nombreuses qu'il attacha à cette sainte Effigie, manifestant hautement le désir «qu'elle eût sa place dans toutes les familles chrétiennes».
Une indulgence de 300 jours, toties quoties, fut accordée, dans le même temps, à une prière à la Sainte Face composée par Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, et qui est désormais inséparable de l'image peinte par sa sœur.—On trouvera cette image, p. 378.
[201] Joan., XI, 16.
[202] Is., LXIII, 3.
[203] Is., LXIII, 5.
[204] Ibid., LIII, 3.
[205] Cant., V, 2.
[206] Is., LIII, 4.
[207] C'était la veille de la cérémonie de sa Prise de Voile.
[208] Joan., IV, 35.
[209] Matt., IX, 37, 38.
[210] S. Jean de la Croix.
[211] Lucæ, XIX. 5.
[212] Joan., I, 38.
[213] Lucæ, IX, 58.
[214] Cant. I.
[215] Malach., IV, 2.
[216] Cant., III, 2, 3, 4.
[217] Lucæ, XIX, 48.
[218] Matt., XXVI, 65.
[219] Ibid., XXV, 34, 35, 36.
[220] Imit., l. I, c. II, 3.
[221] Ibid., l. II, c. XI, 4.
[222] Ibid., l. III, c. XLIX, 7.
[223] Ps. CXXVI, 1.
[224] S. Jean de la Croix.
[225] Lucæ, XV, 31.
[226] Cant., I, 6.
[227] Cant., VII, 1.
[228] Off. de sainte Cécile.
[229] Lucæ, II, 14.
[230] Sap., IV, 1.
[231] Joan., XXI, 5.
[232] Lucæ, V, 5.
[233] Cant., VI, 10, 11.
[234] Cant., VI, 12.
[235] Joan., XIV, 23.
[236] Ibid., XVII, 18.
[237] Ibid., XIV, 6.
[238] Ibid., XVIII, 38.
[239] Cant., I, 12.
[240] Lucæ, XXII, 28, 29.
[241] Marci, XIV, 3.
[242] Joan., XII, 3.
[243] Matt., XXVI, 46.
[244] Joan., VIII, 10.
[245] Eccli., XXXIV, 20.
[246] Apoc., XXI, 4.
[247] Is., LIII, 3.
[248] Lucæ, XVI, 11.
[249] Ibid., XXII, 42.
[250] Imit., l. II, c. XI, 4.
[251] Presque toutes les lettres adressées par Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus à sa sœur Léonie, ont été perdues. On n'a retrouvé que celles-ci.
[252] Hebr., XIII, 14.
[253] Is., XLIX, 15.
[254] Cant., IV, 9.
[255] II Cor., XI, 5.
[256] Saint Augustin.
[257] Marci, X, 30.
[258] Matt., XXVI, 39.
[259] Joan., XIV, 2.
[260] Ps. CII, 8, 13, 14.
[261] Matt., XIX, 14.
[262] Lucæ, XII, 34.
[263] Zach., XIII, 6.
[264] Lucæ, XV, 22.
[265] Ce billet fut tiré par Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, et, trois mois après, le divin Maître lui faisait entendre son premier appel.
[266] «Diamant» «perle fine», surnoms donnés aux deux aînées.
[267] D'après une peinture de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.
[268] Joan., xv, 5.
[269] En 1910, Mme Debossu a écrit plusieurs fois que la guérison se maintenait parfaitement.
[270] Devenu prêtre M. l'abbé A. est actuellement vicaire dans une paroisse importante et suffit sans fatigue a un travail laborieux.
[271] Les grâces suivantes s'expliquent facilement lorsqu'on sait que l'édition espagnole de la Vie complète de la servante de Dieu n'était pas encore parue.
[272] On ne peut livrer à la publicité les révélations arrachées aux démons dans les exorcismes à propos de la Servante de Dieu; mais les observations faites sur ce sujet permettent de croire que sa puissance sur les esprits de ténèbres leur est grandement redoutable.
[273] Le Carmel de Gallipoli se trouvait à ce moment dans la plus extrême détresse. La Mère Prieure avait eu l'inspiration de faire un triduum en l'honneur de la Sainte Trinité, prenant pour médiatrice Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, dont la vie avait été lue en communauté quelques mois auparavant.
Le triduum se terminait précisément ce 16 janvier.
[274] La Mère Prieure se nomme Sr Marie du Mont-Carmel, ou Carmela.
[275] En janvier 1911, Mr F. F. a fait savoir que sa guérison se maintenait.
[276] «Corps fibreux volumineux de l'utérus. Ce fibrome, par son volume, faisait obstacle à toutes les fonctions de l'organisme.» (Extrait du certificat du docteur X.)
[277] M. Fernand Richard, jeune poète chrétien, mort comme un prédestiné en 1911. Un de ses derniers chants a été consacré à Sr Thérèse.
[278] Il est vrai que cette palme était stérilisée; mais les semblables, aux feuilles très minces, que l'on avait en 1897 à la sacristie du Carmel, devaient être préservées avec soin de l'humidité et essuyées en temps pluvieux; sans quoi elles jaunissaient et se remplissaient de points de moisissure; finalement on dut les brûler.
[279] L'un de ces ouvriers est le menuisier qui a fait les cercueils. En reconnaissance de la faveur qu'ils avaient reçue, ils apportèrent au Carmel, le 30 septembre, pour être déposée dans la cellule de la Servante de Dieu, une très belle couronne de violettes blanches artificielles.
End of the Project Gutenberg EBook of Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face, by Sainte Thérèse de Lisieux *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK SOEUR THÉRÈSE *** ***** This file should be named 36708-h.htm or 36708-h.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/3/6/7/0/36708/ Produced by Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. They may be modified and printed and given away--you may do practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. *** START: FULL LICENSE *** THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License (available with this file or online at http://gutenberg.org/license). Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. 1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be used on or associated in any way with an electronic work by people who agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works even without complying with the full terms of this agreement. See paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is in the public domain in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. 1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country outside the United States. 1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: 1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed: This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org 1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived from the public domain (does not contain a notice indicating that it is posted with permission of the copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in the United States without paying any fees or charges. If you are redistributing or providing access to a work with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the permission of the copyright holder found at the beginning of this work. 1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm License terms from this work, or any files containing a part of this work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. 1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this electronic work, or any part of this electronic work, without prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with active links or immediate access to the full terms of the Project Gutenberg-tm License. 1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any word processing or hypertext form. However, if you provide access to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1. 1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided that - You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has agreed to donate royalties under this paragraph to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid within 60 days following each date on which you prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty payments should be clearly marked as such and sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." - You provide a full refund of any money paid by a user who notifies you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm License. You must require such a user to return or destroy all copies of the works possessed in a physical medium and discontinue all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm works. - You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the electronic work is discovered and reported to you within 90 days of receipt of the work. - You comply with all other terms of this agreement for free distribution of Project Gutenberg-tm works. 1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. 1.F. 1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread public domain works in creating the Project Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGE. 1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a written explanation to the person you received the work from. If you received the work on a physical medium, you must return the medium with your written explanation. The person or entity that provided you with the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a refund. If you received the work electronically, the person or entity providing it to you may choose to give you a second opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy is also defective, you may demand a refund in writing without further opportunities to fix the problem. 1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. 1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any provision of this agreement shall not void the remaining provisions. 1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email [email protected]. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director [email protected] Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit http://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: http://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: http://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.