The Project Gutenberg EBook of Oeuvres de Champlain, by Samuel de Champlain

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Title: Oeuvres de Champlain

Author: Samuel de Champlain

Editor: Abb� C.-H. Laverdi�re, M.A. 1870

Release Date: December 8, 2005 [EBook #17258]
Last Updated: May 4, 2018

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES DE CHAMPLAIN ***




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NOTES DU TRANSCRIPTEUR

PAGINATION: La pagination des documents originaux a �t� conserv�e pour fin de rep�rage des renvois et notes. Cette pagination est double et a le format ##/###, o� le premier chiffre r�f�re � la pagination originale des diff�rents livres de Champlain. Le chiffre qui suit la barre oblique est la pagination du pr�sent ouvrage, et est cumulative d'un tome � l'autre. Cette derni�re pagination est principalement utilis�e pour les renvois entre les diff�rents volumes.

ORTHOGRAPHE: Aucune modernisation du texte n'a �t� effectu�e, mais la typographie ancienne, causant des difficult�s d'adaptation � l'informatique a �t� modifi�e, notamment les "s" long, les ligatures "ct" et "fl". Il nous a sembl� opportun de modifier �galement les inversions "u-v","i-j", afin d'�viter la confusion et les interpr�tations erron�es.

NOTES MARGINALES: Ces notes ne sont ne sont pas reproduites ici. Comme le signale M. Laverdi�re, elles ne sont pas de Champlain, comme le d�montre le nombre d'erreurs qu'elles contiennent. Par ailleurs, elles n'ajoutent rien d'utile au texte et en compliquent la pr�sentation.

RENVOIS ET NOTES EN BAS DE PAGE: Les renvois ont �t� num�rot�s s�quentiellement de 1 � n. pour chaque volume. Les notes ont �t� report�es � la fin du paragraphe o� se trouve le renvoi.


TABLE DES MATI�RES

TOME I

Preface (du pr�sent ouvrage).
Notice biographique de Champlain.

Voyage aux Indes Occidentales (1599-1601).

Pr�face de la premi�re �dition.

BRIEF DISCOURS DES CHOSES PLUS REMARQUABLES QUE
SAMMUEL CHAMPLAIN DE BROUAGE A reconneues aux Indes
Occidentalles.

PLANCHES (62 illustrations).

TOME II

DES SAUVAGES ou VOYAGE DU SIEUR DE CHAMPLAIN faict en l'an 1603.

TOME III

�dition 1613

Livre I (C�tes de l'Acadie et de la Floride). 1604-1607

Livre II (Le fleuve Saint-Laurent) 1608-1609

Deuxi�me voyage (1610)

Troisi�me voyage (1611)

INTELLIGENCE DES DEUX cartes Geograffiques de la nouvelle France

TOME IV

�dition 1619

Voyage 1615

Voyage 1618

TOME V

�dition 1632

PARTIE I (R��dition abr�g�e des livres pr�c�dents)

Livres

I

II

III

IV

PARTIE II (1620-32)

Livres

I (1620-25)

II (1625-29)

III (1629-32)

Relation du Voyage fait par le Capitaine Daniel de Dieppe

Abr�g� des descouvertures de la Nouvelle France

Trait� de la Marine

Table de la carte

Doctrine Chr�tienne (Canadois)

Oraison Dominicale (Montagnais)

Pi�ces Justificatives

Table des mati�res sous forme d'Index.



PR�FACE

D�s le moment que l'on commen�a � �tudier plus intimement l'histoire du Canada, on sentit de suite la n�cessit� de recourir aux sources, et de s'appuyer sur des documents irr�prochables. Naturellement, l'historien devait tout d'abord porter ses regards sur l'un des plus anciens, comme des plus fid�les t�moins de nos origines canadiennes, sur celui que tout le pays peut � bon droit revendiquer comme son p�re et son fondateur, sur Champlain. La part immense qu'il prit aux premi�res fondations tant civiles que religieuses de ce pays, sa droiture, son int�grit�, l'�tendue et la vari�t� de ses connaissances, la position avantageuse qu'il occupait vis-�-vis des personnages les plus influents de la cour de France, suffiraient sans doute pour donner � sa parole la plus haute autorit�. Mais ce qui ajoute encore une valeur singuli�re aux �crits de Champlain, c'est qu'il est pour ainsi dire le seul de nos plus anciens auteurs que l'on puisse regarder comme source historique proprement dite. Que nous apprend Lescarbot, par exemple, en dehors de ce quiii concerne l'Acadie? Presque tous les d�tails qu'il nous donne sur le fleuve Saint-Laurent, sur Qu�bec et sur le reste du Canada, il les emprunte � Champlain, quand il ne cite pas Cartier. Sagard lui-m�me, � part les renseignements qu'il a pu recueillir de la bouche des religieux de son ordre, ne parle souvent que d'apr�s le r�cit de Champlain, qu'il s'approprie sans lui en tenir compte. Sagard, d'ailleurs, ne fit que passer en Canada, par cons�quent, dans bien des cas, il ne peut gu�res que parler sur le t�moignage d'autrui, ce dont nous sommes loin, du reste, de lui faire un reproche. Tandis que Champlain est t�moin oculaire de presque tout ce qu'il rapporte, et que son r�cit a l'immense avantage d'�tre comme un journal fid�le et r�gulier, o� se trouvent consign�es tour � tour les d�couvertes et les fondations, la narration pure et simple des �v�nements, et l'appr�ciation des fautes ou des succ�s qui les accompagn�rent.

La seule importance des ouvrages de Champlain suffisait donc pour en motiver une nouvelle �dition. Mais � cette premi�re raison venait s'en joindre une seconde: l'excessive raret� et par suite le prix exorbitant des �ditions anciennes. On ne conna�t qu'un seul exemplaire du Voyage de 1603, celui de la Biblioth�que Imp�riale de Paris. L'�dition de 1613 est si rare, qu'� peine pourrait-on en trouveriii dix exemplaires dans tout le pays; encore n'y a-t-il que celui de la biblioth�que de l'Universit� Laval qui soit parfaitement complet, et qui renferme la grande carte de 1612, et les deux tirages de la petite carte. Nous avons nous-m�me, dans l'int�r�t de la pr�sente �dition, pay� cet exemplaire 500 fr. � Paris (somme que M. Desbarats a eu la g�n�rosit� de nous rembourser plus tard). L'�dition de 1619 est peut-�tre encore plus rare. Celle de 1632, que l'on trouve aussi tr�s-difficilement, ne se vend pas moins de 200 fr., m�me sans la carte, et cette carte est si rare, qu'il n'y a, � notre connaissance, que l'exemplaire de la Biblioth�que F�d�rale qui la renferme.

Il devenait donc absolument n�cessaire de rendre plus accessible une source aussi f�conde. Mais comment trouver, en Canada, les moyens de reproduire dignement un travail si consid�rable, illustr� de tant de dessins et de cartes? Pareille entreprise �tait, ce semble, r�serv�e � quelque soci�t� litt�raire ou scientifique. De fait, le pr�sident de la Soci�t� Litt�raire et Historique de Montr�al, M. l'abb� H. Verreau, Principal de l'�cole normale Jacques-Cartier, ami d�vou� de notre histoire, admirateur sinc�re de Champlain, avait form�, � peu pr�s en m�me temps que nous, le projet d'une publication qui f�t honneur au p�re de la patrie. Mais il nous semblaitiv que Qu�bec devait se faire un devoir de publier les oeuvres de son fondateur, et la Soci�t� Historique de Montr�al non-seulement n'y mit point d'obstacle, mais voulut m�me contribuer en quelque sorte � encourager cette entreprise, en nous permettant d'utiliser les mat�riaux qu'elle avait d�j� commenc� � r�unir.

C'�tait en 1858. Nous n'avions encore fait nous-m�me que quelques recherches pr�liminaires. Mais il �tait facile de pr�voir d�s lors deux difficult�s, dont chacune pouvait � elle seule nous arr�ter. Il fallait d'abord compter comme toujours avec les moyens p�cuniaires; et, en second lieu, nous n'�tions pas libre de disposer de tout le temps n�cessaire � l'accomplissement d'une t�che aussi rude.

Une pens�e g�n�reuse, due � l'un de ces hommes qui savent s'�lever au-dessus des pr�jug�s du vulgaire, pour ne chercher dans l'histoire que la pure et franche v�rit�, vint tout � coup aplanir les obstacles, et donner une nouvelle vie � toutes nos esp�rances. En 1864, M. John Langton, laur�at d'Oxford, pr�sident alors de la Soci�t� Litt�raire et Historique de Qu�bec, voulut lui aussi �lever un monument � la m�moire de Champlain. La faiblesse des ressources que pouvait mettre � sa disposition la Soci�t� Historique, et plus encore peut-�tre un sentiment de d�licatesse que nous nousv serions fait un reproche de n'avoir point appr�ci�, furent les seules causes, croyons-nous, qui emp�ch�rent M. Langton de r�aliser le plan qu'il avait fort � coeur. N�anmoins, cette heureuse pens�e ne fut pas perdue; elle fit na�tre au sein de la facult� des Arts de l'Universit� Laval la louable ambition de r�aliser quelque chose de plus grand et de plus parfait. Il fut d�cid� que l'Universit�, second�e par le S�minaire de Qu�bec, accorderait son patronage � la publication des oeuvres de Champlain telle que nous la m�ditions depuis plus de six ans.

M. Geo.-E. Desbarats, qui avait d�j� bien accueilli M. Langton, voulut d�s lors ne rien �pargner pour r�pondre � l'encouragement de l'Universit�. Oblig� plus tard de quitter Qu�bec, il poussa la lib�ralit� jusqu'� laisser � notre disposition tout un mat�riel bien assorti de caract�res antiques, avec le personnel n�cessaire pour compl�ter l'oeuvre sous nos yeux. Enfin, la premi�re �dition �tait faite, les clich�s transport�s � Ottawa, l'impression presque termin�e; lorsque un �pouvantable incendie vint r�duire en cendres l'atelier de M. Desbarats. Les seules �preuves tir�es � Qu�bec furent tout ce qui nous resta.

Des pertes aussi sensibles �taient bien de nature � faire �chouer compl�tement une entreprise qui paraissait devoir �tre si peu r�mun�rative. Mais voil�vi que tout � coup un redoublement de sympathie bien m�rit�e vint ranimer le courage de M. Desbarats. Le 13 f�vrier 1869, il nous �crivait: �Cher monsieur, vos raisons et la conduite du S�minaire � mon �gard, sont trop bonnes, pour que je ne c�de pas, Champlain se r�imprimera � Qu�bec... Eh bien, Champlain m'aura co�t� quelques trois mille louis� (60,000 fr).�

Pour nous, nous avions un tel sentiment des difficult�s de notre travail, que nous n'�tions pas f�ch� d'avoir � le refaire, ou du moins � le revoir en entier, heureux de pouvoir encore profiter des judicieuses remarques de plusieurs amis; heureux surtout d'avoir une occasion de r�parer des inexactitudes ou des omissions qui avaient �chapp� � nos premiers efforts.

Nous avons maintenant � expliquer au lecteur la marche que nous avons cru devoir suivre dans cette r�impression des oeuvres de Champlain.

1� Apr�s un examen attentif des diverses �ditions des voyages de l'auteur, il nous a paru n�cessaire de les publier toutes en entier, parce qu'elles se compl�tent et s'expliquent les unes les autres. C'est pour n'avoir pas eu sous les yeux les �ditions compl�tes de Champlain, que bien des auteurs ne l'ont pas compris.

2� Nous nous sommes fait une loi, nous pourrionsvii dire un scrupule, de reproduire le texte absolument tel qu'il est dans les anciennes �ditions, sans nous permettre m�me de supprimer les notes marginales, qui pourtant ne paraissent pas avoir toujours �t� faites par l'auteur, et notre fid�lit� sur ce point nous a port� � respecter jusqu'aux irr�gularit�s d'orthographe et de typographie, parce que ces irr�gularit�s m�mes jettent souvent du jour sur certaines questions qui peuvent avoir leur int�r�t et leur importance.

3� Chaque fois que nous avons constat� une faute, soit erreur typographique, soit m�prise de l'auteur, nous avons jet� au bas de la page les notes n�cessaires ou opportunes, en laissant le texte conforme � celui de l'�dition originale. C'est ici la partie de notre travail qui nous a le plus co�t� de temps et de recherches. Telle faute quelquefois sera facile � corriger; mais, que l'on tourne la page, il faudra, pour reprendre l'auteur, savoir non-seulement ce qu'il a voulu dire, mais encore o� en �tait la science � son �poque, si l'on ne veut pas s'exposer � �tre injuste. Il est vrai que nous n'avons point born� l� notre t�che; nous nous sommes efforc� d'�claircir certains passages obscurs, ou qui le sont devenus par le changement des circonstances et des temps. Rien de plus facile que de laisser passer inaper�ues les difficult�s de ce genre; maisviii approfondissez la question: il faut �tudier les lieux, comparer les plans anciens et modernes, les concilier, les raccorder, recourir aux titres et aux documents primitifs; et, apr�s un travail d'un grand mois, vous n'avez � mettre au bas de la page qu'une toute petite demi-ligne. Voil�, bien souvent, quels ont �t� la nature et le r�sultat de nos recherches.

Qu'il nous soit maintenant permis d'offrir nos remerciements les plus sinc�res � un grand nombre d'amis qui ont bien voulu nous aider de leurs conseils, ou de leur puissant concours, en particulier � M. l'abb� Verreau, � M. J.-C. Tach�, � M. l'abb� H.-R. Casgrain et � M. Ant. G�rin-Lajoie.

Nous devons encore un large tribut de reconnaissance � la m�moire de deux personnes que nous avons bien des raisons particuli�res de regretter: M. l'abb� Ferland, sur les lumi�res et l'exp�rience duquel nous avions appris � compter, et M. l'abb� E.-G. Plante, qui a tant contribu� � cette pr�sente �dition par la g�n�rosit� avec laquelle il a toujours mis compl�tement � notre disposition sa riche collection d'ouvrages sur le Canada et l'Am�rique.




ix

NOTICE BIOGRAPHIQUE
DE
CHAMPLAIN




On peut dire que la vie de Champlain est tout enti�re dans ses oeuvres. Il semblera donc peut-�tre superflu de mettre sa notice biographique en t�te de ses ouvrages, surtout quand d�j� tant d'�crivains de m�rite lui ont consacr� des pages remarquables.

Cependant, comme ces auteurs n'avaient � en parler que d'une mani�re plus ou moins incidente, suivant le cadre qu'ils s'�taient prescrit, nous avons cru devoir essayer de compl�ter leurs observations, et m�me de les corriger au besoin, tout en r�sumant ici ce qui se trouve trop �pars dans nos notes, et en y ajoutant des remarques que le temps ou l'espace ne pouvaient alors nous permettre.

Champlain naquit en l'ann�e 1567, si l'on en croit la Biographie Saintongeoise. Il est regrettable que cet ouvrage n'indique pas la source o� cette date a �t� puis�e; car, jusque aujourd'hui, les chercheurs les plus infatigables n'ont encore pux r�ussir � trouver son acte de naissance. Une chose digne de remarque, c'est que notre auteur, dans le cours de toutes ses oeuvres, � travers le r�cit de tant d'�v�nements divers, n'ait pas une seule fois trouv� l'occasion, ou jug� � propos de parler de son �ge, m�me lorsqu'il �tait opportun de faire valoir ou de rappeler ses services pass�s. Cependant, si l'on n'a pas de preuve directe de l'exactitude de cette date donn�e par la Biographie Saintongeoise, on peut �tablir d'une mani�re au moins approximative, qu'elle n'est pas loin de la v�rit�.

Champlain nous apprend lui-m�me 1 qu'il �tait mar�chal des logis dans l'arm�e de Bretagne, sous le mar�chal d'Aumont, qui mourut au mois d'ao�t 1595. De l� on peut conclure, que, peu de temps auparavant, vers 1592 peut-�tre, il devait avoir vingt-cinq ans ou environ; puisqu'il occupait d�j� un poste de confiance qui d'ordinaire ne se donne qu'� une personne de quelque exp�rience. Suivant ce calcul, sa naissance aurait donc eu lieu vers 1567.

Note 1: (retour) Voyage aux Indes-Occidentales, p. 5.>

La diff�rence d'�ge entre Pont-Grav� et Champlain, vient encore ajouter un certain degr� de probabilit� � la date assign�e par le m�me ouvrage. Cette diff�rence, quoiqu'elle ne soit nulle part donn�e positivement, peut se d�duire avec assez d'exactitude de plusieurs passages et entre autres de celui-ci: Pour le sieur du Pont, dit Champlain en 1619, son �ge me le ferait respecter comme mon p�re. Cette mani�re de s'exprimer donne �videmment � entendre que Pont-Grav� avait au moins dix ou douze ans de plus que lui. Or, d'apr�s Sagard,xi Pont-Grav� avait alors environ soixante-cinq ans. Si l'on suppose que Champlain avait douze ans de moins, on trouve qu'il �tait, en 1619, �g� de cinquante-deux ans environ, ce qui reporte sa naissance � 1567.

Champlain naquit � Brouage en Saintonge. Suivant la m�me Biographie Saintongeoise, il �tait issu d'une famille de p�cheurs. Si cette assertion est fond�e, il faut en conclure que ses parents r�ussirent, par leur m�rite personnel ou par leur industrie, � s'�lever au-dessus de leur humble profession; car, dans le contrat de mariage de Champlain, pass� en 1610, son p�re, Antoine de Champlain, est qualifi� capitaine, de la marine2. Le m�me document nous apprend que sa m�re s'appelait Marguerite Le Roy. Il re�ut au bapt�me le nom de Samuel 3; du moins, c'est le seul qu'il prenne dans le titre de ses ouvrages, et les documents contemporains s'accordent � ne lui en point donner d'autre.

Note 2: (retour) C'est l�, suivant nous, toute la noblesse du p�re de Champlain. L'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada pr�tend que, si Henri IV anoblit le fils, il anoblit aussi le p�re; et, pour le prouver, il invoque le passage suivant du m�me contrat de mariage: noble homme Samuel de Champlain... fils de feu Antoine de Champlain vivant capitaine de la Marine, qu'il cite comme suit: homme noble de Champlain, fils de Noble Antoine. On remarquera que le texte du contrat ne dit pas homme noble, mais noble homme. A peu pr�s toutes les familles du Canada, en recourant � leurs anciens titres, pourront constater qu'elles descendent de m�me d'un noble homme qui ne re�ut jamais de lettres de noblesse.

Note 3: (retour) De ce que le nom de Samuel, donn� � Champlain, �tait, parait-il, inusit� alors chez les catholiques, et en honneur chez les protestants, l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada insinue que Champlain aurait bien pu na�tre calviniste. Il y avait, ce semble, une insinuation plus naturelle � faire: c'est que, dans cette hypoth�se, le p�re et la m�re de Champlain avaient d� apostasier, car son p�re s'appelait Antoine, et sa m�re Marguerite, deux noms tout � fait catholiques.

D�s ses premi�res ann�es, Champlain se sentit une vocation particuli�re pour la carri�re aventureuse de la navigation. �C'est cet art,� dit-il dans une �p�tre adress�e � la reine r�gente, et imprim�exii au commencement de son �dition de 1613, �qui m'a d�s mon bas �ge attir� � l'aimer, et qui m'a provoqu� � m'exposer presque toute ma vie aux ondes imp�tueuses de l'oc�an.� Ce qui ne l'emp�cha pas de profiter des occasions de s'instruire, comme le prouvent suffisamment ses �crits. On y trouve en effet, presque � toutes les pages, des observations judicieuses, qui attestent � la fois et de la vari�t� de ses connaissances, et de la rectitude de son jugement.

La faveur constante dont il jouissait � la cour d�s 1603; la pension et les grades dont le roi se plut � l'honorer, l'amiti� et la protection d'hommes aussi distingu�s que le commandeur de Chaste, le comte de Boissons, le Prince de Cond�, le duc de Montmorency, le duc de Ventadour, le cardinal de Richelieu et beaucoup d'autres, montrent assez que son m�rite et ses services ne tard�rent pas � �tre hautement appr�ci�s. Avant m�me que le mar�chal d'Aumont f�t mort, c'est-�-dire, vers 1594, il �tait d�j� mar�chal des logis, et il continua � occuper ce poste sous les mar�chaux de Saint-Luc et de Brissac, jusqu'� la pacification de la Bretagne en 15984.

Note 4: (retour) Voyage aux Indes-Occidentales, p. 5.>

Se trouvant sans emploi, et dans un d�soeuvrement qui n'allait gu�re � son �me active et aventuri�re, Champlain forma le projet de se rendre en Espagne, dans l'esp�rance d'y trouver l'occasion de faire un voyage aux Indes-Occidentales.

Un de ses oncles, le capitaine Proven�al, �tenu pour un des bons mariniers de France, et qui pourxiii cette raison avait �t� entretenu par le roi d'Espagne comme pilote g�n�ral de ses arm�es de mer�, se trouvait alors � Blavet, et venait de recevoir du mar�chal de Brissac l'ordre de conduire en Espagne les navires qui devaient repasser la garnison que les Espagnols avaient alors dans cette place. Il r�solut de l'y accompagner.

La flotte �tant arriv�e en Espagne, le Saint-Julien, �reconnu comme fort navire et bon voilier�, fut retenu au service du roi. Le capitaine Proven�al en garda le commandement, et son neveu demeura avec lui.

Les quelques mois que Champlain passa en Espagne ne furent point un temps perdu. Il avait d�j�, dans le trajet, lev� une carte soign�e des lieux o� la flotte avait fait escale, le cap Finisterre et le cap Saint-Vincent avec les environs, pendant son s�jour � Cadix, il utilisa ses loisirs en tra�ant un plan exact de cette ville; ce qu'il fit �galement pour San-Lucar-de-Barameda, o� il demeura trois mois.

Pendant cet intervalle, le roi d'Espagne, ayant re�u avis que Porto-Rico �tait menac� par une flotte anglaise, ordonna une exp�dition de vingt vaisseaux, du nombre desquels devait �tre le Saint-Julien. Champlain, accompagnant son oncle, se voyait ainsi sur le point de pouvoir r�aliser son projet; lorsque, au moment o� la flotte allait faire voile, on re�ut la nouvelle que Porto-Rico avait �t� pris par les Anglais. Il fallut donc attendre une autre occasion, pour faire le voyage des Indes.

Dans le m�me temps, arriva � San-Lucar-de-Barameda le g�n�ral Dom Francisque Colombe,xiv pour prendre le commandement des vaisseaux que le roi envoyait annuellement aux Indes. Voyant le Saint-Julien tout appareill�, et connaissant ses excellentes qualit�s, il r�solut de le prendre au fret ordinaire. Le capitaine Proven�al, dont on requ�rait les services ailleurs, commit, de l'agr�ment du g�n�ral, la charge de son vaisseau � Champlain. Le g�n�ral espagnol en parut fort aise, il lui promit sa faveur, et n'y manqua point dans les occasions.

Enfin au commencement de janvier 1599, Champlain partit pour l'Am�rique espagnole.

Le voyage dura deux ans et deux mois. Champlain dans cet intervalle, eut le loisir de visiter en d�tail les lieux les plus int�ressants tant aux Antilles, qu'� la Nouvelle-Espagne.

C'est ici que l'on commence � remarquer en notre auteur une qualit� infiniment pr�cieuse, celle d'observateur scrupuleux et intelligent, qui ne manque aucune occasion de servir la louable ambition de la science, aussi bien que les int�r�ts de la patrie. Non-seulement il tient journal comme s'il �tait d�j� chef de l'exp�dition; mais encore il note sur son passage la position des lieux, les productions du pays, les moeurs et les coutumes des habitants. Le Mexique surtout para�t avoir captiv� toutes ses affections. �Il ne se peut voir, dit-il, ni d�sirer un plus beau pays que ce royaume de la Nove-Espaigne: grandes campagnes unies � perte de vue, charg�es d'infinis troupeaux de bestial, qui ont les p�tures toujours fra�ches; d�cor�es de fort beaux fleuves et rivi�res, qui traversent presque tout le royaume; diversifi�es de belles for�ts rempliesxv des plus beaux arbres que l'on saurait souhaiter. Mais, ajoute-t-il, tous les contentements que j'avais eus � la vue de choses si agr�ables n'�taient que peu au regard de celui que je re�us, lorsque je vis cette belle ville de Mexique� (Mexico). Puis il fait une description d�taill�e de toutes les richesses naturelles de ce royaume. Le plan de Mexico (pris en 1599) n'est pas le moins int�ressant des soixante et quelques dessins qui accompagnent le Voyage aux Indes.

Champlain �tait de retour en Espagne vers le commencement de mars 1601. Le vaisseau dont il s'�tait charg�, dut �tre retenu encore quelque temps, avant de pouvoir faire voile pour un autre port. De mani�re qu'il ne rentra probablement en France que vers la fin de cette ann�e, sinon au commencement de 1602.

Le rapport consciencieux et fid�le de son voyage aux Indes-Occidentales, fut sans doute ce qui engagea le roi Henri IV � accorder une pension � Champlain 5, et ce fut peut-�tre aussi pour la m�me raison que le commandeur de Chaste jeta les yeux sur lui pour l'accomplissement des grands desseins qu'il avait form�s, et �dont je pourrais, dit Champlain 6, rendre de bons t�moignages, pour m'avoir fait l'honneur de m'en communiquer quelque chose.�

Note 5: (retour) Il semble, en effet, qu'au moment de son d�part pour l'Espagne, il s'�tait d�cid� de lui-m�me sans all�guer aucun motif d'obligation particuli�re pour le roi, comme il le fait quand il s'agit d'entreprendre le voyage de 1603, mais simplement �pour ne demeurer oisif, se trouvant sans aucune charge ni emploi.� Il est vrai qu'il s'�tait propos� d'en �faire rapport au vrai � Sa Majest�; mais ce pouvait �tre l� pr�cis�ment le moyen qui lui par�t alors le plus propre � obtenir quelque faveur de la cour.

Note 6: (retour) �dit. 1632, p. 45.

xviApr�s la mort du sieur Chauvin, M. de Chaste, ayant obtenu une nouvelle commission, chargea Pont-Grav� de la conduite d'un premier voyage d'exploration, �pour en faire son rapport, et donner ordre ensuite � un second embarquement�, auquel il se joindrait lui-m�me en personne, d�cid� � consacrer le reste de ses jours � l'�tablissement d'une bonne colonie chr�tienne dans cette partie du nouveau monde.

�Sur ces entrefaites, dit Champlain, je me trouvai en cour, venu fra�chement des Indes-Occidentales 7. Allant voir de fois � autre le sieur de Chaste, jugeant que je lui pouvais servir en son dessein, il me fit cette faveur, comme j'ai dit, de m'en communiquer quelque chose, et me demanda si j'aurais agr�able de faire le voyage, pour voir ce pays, et ce que les entrepreneurs y feraient.�

Note 7: (retour) M. de Chaste dut commencer � s'occuper de son entreprise d�s 1602, et Champlain ne fut probablement de retour en France que vers le commencement de cette m�me ann�e.

Pareille d�marche, de la part d'un homme de l'�ge et de l'exp�rience du commandeur de Chaste, �tait un t�moignage bien flatteur de l'estime qu'il faisait de son m�rite.

A cette demande, Champlain, � qui le roi avait depuis peu assur� une pension, r�pondit au commandeur que cette commission lui serait tr�s-agr�able, pourvu que Sa Majest� y donn�t son consentement, ce que M. de Chaste se chargea volontiers d'obtenir. M. de Gesvre, secr�taire des commandements du roi, lui exp�dia en forme une lettre d'autorisation, �avec lettre adressante � Pont-Grav�, pour que celui-ci le re��t en son vaisseau, lui f�txvii voir et reconna�tre tout ce qu'il pourrait, et l'assist�t de ce qui lui serait possible en cette entreprise.�

�Me voil� exp�di�, dit-il, je pars de Paris, et m'embarque dans le vaisseau de du Pont, l'an 1603.� Le vaisseau partit de Honfleur le 15 de mars, et rel�cha au Havre-de-Gr�ce, d'o� il put remettre � la voile d�s le lendemain. Le voyage fut heureux jusqu'� Tadoussac, comme s'exprime l'�dition de 1632, c'est-�-dire, que la travers�e se fit sans accident ou sans malheur bien Grav�, car du reste elle fut passablement orageuse, et dura plus de deux mois, le vaisseau n'entra dans le havre de Tadoussac que le 24 de mai8.

Note 8: (retour) �dit. 1603, p. i et suivantes.

Quelques bandes de Montagnais et d'Algonquins, cabanes � la pointe aux Alouettes au bas d'un petit coteau, attendaient l'arriv�e des Fran�ais. Pont-Grav�, dans un voyage pr�c�dent, avait emmen� en France deux sauvages, et il les ramenait cette ann�e, afin qu'ils fissent � leurs compatriotes le r�cit de tout ce qu'ils avaient vu au-del� du grand lac. Le lendemain, il alla, avec Champlain, les reconduire � la cabane du grand sagamo, Anadabijou.

C'est ici que commence cette alliance que la plupart de nos historiens n'ont pas assez remarqu�e, alliance qui nous donne la clef d'une des grandes difficult�s de notre histoire, et la raison v�ritable de l'intervention des armes fran�aises dans les d�m�l�s des nations indig�nes.

�L'un des sauvages que nous avions amen�s, dit Champlain, commen�a � faire sa harangue, de la bonne r�ception que leur avait fait le Roi, et lexviii bon traitement qu'ils avaient re�u en France, et qu'ils s'assurassent que sa dite Majest� leur voulait du bien, et d�sirait peupler leur terre, et faire paix avec leurs ennemis, qui sont les Iroquois, ou leur en- voyer des forces pour les vaincre. Il fut entendu avec un silence si grand qu'il ne se peut dire de plus.�

Jusqu'ici, on pourrait croire que l'orateur n'agit que comme simple particulier, et que ce silence profond n'est que l'effet d'une curiosit� toute naturelle. Mais, que l'on p�se bien toutes les circonstances du r�cit de Champlain, et l'on y verra autre chose que des discours de bienvenue.

�La harangue achev�e, le grand sagamo, l'ayant attentivement ou�, commen�a � prendre du petun, et en donner � Pont-Grav� et � Champlain, et � quelques autres sagamos qui �taient aupr�s de lui. Ayant bien petun�, il fit sa harangue � tous,� dans laquelle il insista sur les grands avantages que leur apporteraient l'amiti� et la protection du grand chef des Fran�ais. Tout se termina par un grand festin, ou tabagie et des danses solennelles.

Ces harangues prononc�es devant une assembl�e de mille personnes9, cette c�r�monie surtout de la pr�sentation du calumet, suivant la coutume des sauvages, sont des preuves �videntes, que l'on entendait, de part et d'autre, s'engager � une alliance offensive et d�fensive que l'on regardait comme les pr�liminaires indispensables d'une tentative d'�tablissement comme le voulait faire le commandeur de Chaste.

Note 9: (retour) �dit. 1603, p. 10.

Pont-Grav� et Champlain, avec quelques matelots,xix lots, se jet�rent dans un petit bateau fort l�ger, et remont�rent le fleuve jusqu'au grand saut (Saint-Louis), afin d'examiner conjointement les lieux les plus favorables � une habitation, d�cid�s � pousser leurs investigations, s'il �tait possible, jusqu'aux sources m�mes de la grande, rivi�re de Canada; ce qu'aucun europ�en n'avait encore pu ex�cuter.

Malgr� la r�solution de nos voyageurs, leur esquif, si l�ger, qu'il f�t, ne put franchir les bouillons imp�tueux du grand saut, et, il leur fallut mettre pied � terre pour en voir la fin. �Tout ce que nous p�mes faire, ajoute Champlain, en r�sumant lui-m�me ce voyage, fut de remarquer les difficult�s, tout le pays, et le long de la dite rivi�re, avec le rapport des sauvages de ce qui �tait dans les terres, des peuples, des lieux, et origines des principales rivi�res, notamment du grand fleuve Saint-Laurent.�

De retour � Tadoussac, comme la saison n'�tait pas encore bien avanc�e, Champlain voulut employer le temps qui lui restait, � explorer ce qu'il pourrait du bas du fleuve. En attendant que la traite f�t termin�e, il descendit � Gasp�, pour y recueillir quelques renseignements sur les mines de l'Acadie, et sur les diff�rents postes de traite et de p�che. Ce petit voyage lui donna occasion de relever une bonne partie de la c�te du nord depuis Moisie jusqu'au Saguenay.

Enfin le 16 d'ao�t, le vaisseau quitta le havre de Tadoussac, et arr�ta � Gasp�, pour avoir le rapport du sieur Pr�vert, sur les mines qu'il s'�tait charg� d'aller examiner par lui-m�me.

xxArriv� � Honfleur, Champlain eut le chagrin d'apprendre la mort du commandeur de Chaste, dont les g�n�reux desseins lui avaient donn� de si belles esp�rances. �En cette entreprise, disait-il en 1632, avec son exp�rience de trente ans, je n'ai remarqu� aucun d�faut, pour avoir �t� bien commenc�e.�

Il ne tarda pas � se rendre aupr�s du roi, pour lui pr�senter le rapport de son voyage, avec une carte, qui malheureusement ne se retrouve plus aujourd'hui. Henri IV l'accueillit fort bien, et lui promit non-seulement de ne point abandonner le Canada, mais encore de prendre l'affaire sous sa protection.

Malheureusement, les jalousies et les rivalit�s mena�aient d�j�, d�s cette �poque, de ruiner toute entreprise qui ne pourrait compter, pour se soutenir, que sur les profits de la traite. M. de Monts, successeur de M. de Chaste, fut le premier � en faire la triste exp�rience.

Le voyage qu'il avait fait avec M. Chauvin d�s 1599; les souffrances et les privations auxquelles avaient �t� condamn�s les quelques malheureux qui avaient consenti � hiverner � Tadoussac, l'avaient d�cid� � chercher un climat moins rigoureux. Champlain, qui avait encore pr�sentes � son souvenir toutes les beaut�s du Mexique et des Antilles, ne dut pas �tre loin d'approuver ses id�es. �M. de Monts, dit-il, me demanda si j'aurais agr�able de faire ce voyage avec lui. Le d�sir que j'avais eu au dernier, s'�tait accru en moi, ce qui me fit lui accorder, avec la licence que m'en donnerait Sa Majest�,xxi qui me le permit, pour toujours lui en faire fid�le rapport.�

Au printemps de 1604, Champlain fut donc charg� de conduire la petite colonie vers des r�gions plus m�ridionales, et M. de Monts, pour mieux assurer son choix, voulut suivre l'exp�dition en personne. Le temps fut si favorable, qu'au bout d'un mois on �tait au cap de La H�ve. Mais, M. de Monts n'ayant pas eu, comme M. de Chaste, la pr�caution de faire explorer les lieux � l'avance, la grande moiti� de l'�t� se passa � chercher un lieu qui f�t du go�t de tout le monde.

Enfin, apr�s avoir parcouru avec l'auteur toutes les c�tes d'Acadie, p�n�tr� jusqu'au fond de la baie Fran�aise (Fundy), il s'arr�ta � une petite �le �qu'il jugea d'assiette forte et � proximit� d'un terroir qui paraissait tr�s-bon10.� Mais le manque d'eau douce et les ravages du scorbut le firent bient�t changer de r�solution, et transporter ses colons au port Royal, dont il avait d�j�, avec l'auteur, remarqu� les avantages et les beaut�s naturelles.

Note 10: (retour) Cette �le est situ�e � quelques milles au-dessus de l'embouchure de la rivi�re Scoudic. On donna le nom de Sainte-Croix tant � l'�le qu'� la rivi�re.

Pendant les trois ann�es qu'il passa � l'Acadie, Champlain donna de nombreuses preuves de l'infatigable activit� de son esprit. D�s l'automne de 1604, il avait visit�, avec M. de Monts lui-m�me, la c�te des Etchemins, c'est-�-dire, une bonne partie du littoral de la Nouvelle-Angleterre. Le printemps suivant, il continua cette exploration jusqu'au-del� du cap Cod. Mais, dans toute cette �tendue de pays, M. de Monts ne trouva rien dexxii pr�f�rable au port Royal, o� d�s lors il r�solut de transporter son habitation (1605). L'ann�e suivante, Champlain recommen�a le m�me voyage avec M. de Poutrincourt, qui trouvait peut-�tre M. de Monts trop difficile, et qui voulait du reste pousser les d�couvertes encore plus loin. Cette fois, nos voyageurs doubl�rent le cap de Malbarre, et s'en revinrent sans �tre gu�re plus avanc�s.

L'hiver pass� � Port-Royal fut beaucoup moins p�nible, gr�ce aux pr�cautions que l'on prit, et au bon ordre qui r�gna constamment dans l'habitation. �Nous pass�mes, dit Champlain, cet hiver fort joyeusement, et f�mes bonne ch�re, par le moyen de l'ordre de Bon-Temps que j'y �tablis, que chacun trouva utile pour la sant�, et plus profitable que toutes les m�decines dont on e�t pu user.� Cet ordre consistait � faire passer � tour de r�le par la charge de ma�tre-d'h�tel tous ceux de la table de M. de Poutrincourt, ce qui ne manqua pas de cr�er une esp�ce d'�mulation, � qui ferait � la compagnie le meilleur traitement.

Malheureusement pour M. de Monts, les affaires n'allaient pas si bien de l'autre c�t� de l'Oc�an. Son privil�ge lui avait suscit� un orage auquel il �tait moralement impossible de r�sister. Les Bretons et les Basques se r�pandirent en plaintes am�res, pr�tendant qu'on allait ruiner le commerce et la navigation, amoindrir le revenu des douanes du royaume, et r�duire � la mendicit� un grand nombre de familles qui n'avaient point d'autre moyen de subsistance. �Le sieur de Monts ne sut si bien faire, que la volont� du roi ne f�t d�tourn�e parxxiii quelques personnages qui �taient en cr�dit, qui lui avaient promis d'entretenir trois cents hommes au dit pays. Donc, en peu de temps, sa commission fut r�voqu�e, pour le prix de certaine somme qu'un certain personnage eut sans que Sa Majest� en s�t rien.� Comme compensation de plus de cent mille livres qu'il avait d�pens�es depuis trois ans, et des peines infinies qu'il s'�tait donn�es pour fonder un �tablissement solide et durable en Am�rique, �il lui fut accord� six mille livres, � prendre sur les vaisseaux qui iraient trafiquer des pelleteries. C'�tait, remarque Champlain, lui donner la mer � boire, la d�pense devant surmonter la recette. H�, bon Dieu! qu'est-ce que l'on peut plus entreprendre, si tout se r�voque de la fa�on, sans juger m�rement des affaires, premier que d'en venir l�?�

De retour en France en 1607, Champlain alla trouver M. de Monts, lui fit un rapport fid�le de ses voyages et de tout ce qui s'�tait pass� � Port-Royal depuis son d�part. Il avait pris un plan de l'habitation de Sainte-Croix, de celle de Port-Royal, et fait en m�me temps la carte de tous les lieux les plus remarquables qu'il avait visit�s, tant avec lui qu'avec M. de Poutrincourt: l'�le Sainte-Croix, le port Royal, le port aux Mines (Havre-�-l'Avocat), l'entr�e de la rivi�re Saint-Jean et du K�n�bec, la baie de Saco, de Gloucester, de Plymouth, de Nauset et de Chatam, sans compter plusieurs havres de la c�te d'Acadie, comme La H�ve, le port au Mouton et le port Rossignol.

Malgr� toutes ses pertes et ses d�sappointements, M. de Monts ne se d�couragea point. Il fit part �xxiv Champlain des nouveaux desseins qu'il avait form�s. Celui-ci, qui avait maintenant une juste id�e de la position des lieux et des avantages qu'on pouvait y trouver, lui conseilla cette fois �de s'aller loger dans le grand fleuve Saint-Laurent, o� le commerce et trafic pouvaient faire beaucoup mieux qu'en l'Acadie, mal ais�e � conserver � cause du nombre infini de ses ports, qui ne se pouvaient garder que par de grandes forces; joint qu'il y a peu de sauvages, et que l'on ne pourrait, de ce c�t�, p�n�trer jusque parmi les nations s�dentaires qui sont dans l'int�rieur du pays, comme on pourrait faire par le Saint-Laurent.�

M. de Monts, reconnaissant la sagesse de cet avis, suivit le parti que lui proposait Champlain. Le privil�ge exclusif de la traite lui fut accord� de nouveau, quoique pour un an seulement, et, au printemps de 1608, il �quipa deux vaisseaux.

Pont-Grav�, �d�put� pour les n�gociations avec les sauvages du pays, prit les devants pour aller � Tadoussac; Champlain, que M. de Monts honora de sa lieutenance, partit apr�s lui avec toutes les choses n�cessaires � une habitation.�

Champlain arriva � Qu�bec le 3 juillet; �o� �tant, dit-il, je cherchai lieu propre pour notre habitation; mais je n'en pus trouver de plus commode, ni de mieux situ�, que la pointe de Qu�bec 11, ainsi appel� des sauvages, laquelle �tait remplie de noyers.�

Note 11: (retour) L'auteur de l'Hist. de la Colonie fran�aise en Canada, tome I, p. 125 et suivantes, pr�tend que �Champlain se f�t probablement �tabli � Montr�al en 1608, s'il en e�t connu alors les avantages.�—Sans doute, Champlain ne pouvait conna�tre � fond d�s cette �poque, tous les avantages et la richesse naturelle de Montr�al, ou du Grand-Saut, comme on disait alors. Cependant nous croyons qu'il en savait assez pour se d�cider sagement sur le choix qu'il avait � faire. �L'air. dit-il entre autres choses des 1603, y est plus doux et temp�r�, et de meilleure terre qu'en lieu que j'eusse vu.� Il est donc �vident que, s'il e�t cherch� avant tout un terroir uni et facile � cultiver, il suffisait de remonter soixante lieues plus haut; mais, comme il fallait tenir compte de bien D'autres difficult�s, il jugea que Qu�bec �tait d�j� assez loin de Tadoussac, et pr�sentait d'ailleurs une position unique pour s'y fortifier et s'y maintenir contre un coup de main. Ces raisons seules �taient d'un grand poids, et Champlain en avait peut-�tre encore bien d'autres que nous ne pouvons qu'entrevoir, ou m�me que nous ne connaissons pas.

xxv

Aussit�t une partie des ouvriers est employ�e � abattre les arbres pour y faire l'habitation, � scier le bois, � creuser les caves et les foss�s; les autres furent envoy�s � Tadoussac, pour en rapporter le reste des approvisionnements.

Pendant qu'on jetait ainsi les fondations de la ville de Qu�bec, un malheureux complot faillit �touffer la colonie d�s son berceau. Un serrurier normand, nomm� Jean Duval, m�content de la nourriture et d�go�t� du travail, forma le projet d'assassiner Champlain, et d'aller ensuite se donner �aux Basques ou Espagnols qui �taient pour lors � Tadoussac.� Il r�ussit � s'assurer le concours de quatre autres, �qui promirent chacun de faire en sorte d'attirer le reste � leur d�votion.� Ils en �taient � chercher l'occasion favorable, lorsqu'un des conjur�s, Antoine Natel, d�couvrit toute la trame. On saisit les quatre coupables, Champlain institua une esp�ce de jury, compos� de Pont-Grav�, du capitaine du vaisseau, du chirurgien, du ma�tre, du contre-ma�tre et de quelques autres. Le chef de la conspiration fut ex�cut�, pour servir d'exemple, et les autres renvoy�s en France, pour y subir leur proc�s. �Depuis qu'ils furent hors, tout le reste se comporta sagement en son devoir.�

Pont-Grav� reconduisit les vaisseaux en France,xxvi et Champlain demeura avec vingt-sept ou vingt-huit personnes pour continuer les travaux commenc�s.

�Le site que choisit Champlain, dit M. l'abb� Ferland, convenait admirablement � son dessein de cr�er et d'organiser une France Nouvelle dans l'Am�rique. Plac� � cent trente lieues de l'embouchure du Saint-Laurent, Qu�bec poss�de un havre magnifique, qui peut contenir les flottes les plus nombreuses, et o� les plus gros vaisseaux peuvent arriver facilement de la mer. A ses pieds coule le grand fleuve, qui fournit une large voie pour p�n�trer jusqu'au centre de l'Am�rique Septentrionale. Sur ce point, le Saint-Laurent se r�tr�cit consid�rablement, n'ayant au plus qu'un mille de largeur; de sorte que les canons de la ville et de la citadelle peuvent foudroyer les vaisseaux qui tenteraient de franchir le passage. Qu�bec est donc la clef de la vall�e du grand fleuve, dont le cours est de pr�s de huit cents lieues; il est la sentinelle avanc�e de l'immense empire fran�ais que r�va Louis XIV, et qui devait se prolonger depuis le d�troit de Belle-Isle jusques au golfe du Mexique.�

Qu�bec avait encore une autre �preuve � subir. Le scorbut et la dissenterie lui enlev�rent, pendant l'hiver, les trois quarts de ses premiers fondateurs. Quand les vaisseaux revinrent au printemps, vingt personnes avaient succomb� � cette cruelle maladie.

Le 7 juin 1609, Champlain, laissant pour commander � sa place le sieur Desmarais, alla rejoindre Pont-Grav� � Tadoussac.

Ce n'�tait pas tout d'avoir fond�, � plus de centxxvii lieues dans le fleuve, une fr�le habitation qu'un souffle pouvait an�antir; il fallait �tudier le pays, lier de nouvelles connaissances avec les tribus environnantes, sans l'amiti� ou le concours desquelles tout essai d'�tablissement �tait absurde et impossible. C'est pourquoi, d�s l'arriv�e des vaisseaux, Champlain ne voulut rien entreprendre sans avoir l'avis de Pont-Grav�, dont il connaissait mieux que personne la longue exp�rience. Il fut r�solu qu'il suivrait, avec une chaloupe de vingt hommes, les Montagnais et les nations alli�es jusqu'au pays des Iroquois, tant pour les assister contre ces ennemis irr�conciliables, que pour continuer les d�couvertes commenc�es.

Les Montagnais ne manqu�rent pas de repr�senter � Champlain, qu'on leur avait promis solennellement (d�s 1603) du secours contre les Iroquois. En 1608, il en avait �t� emp�ch� par les travaux qu'il fallait surveiller; mais, cette ann�e, les Algonquins et les Hurons se joignirent aux Montagnais pour lui rappeler que Pont-Grav� et lui leur avaient t�moign�, il n'y avait pas encore dix lunes, le d�sir de les assister dans une guerre regard�e comme indispensable. C'�tait en effet le moment ou de se concilier ces nombreuses et puissantes tribus, ou de se les ali�ner peut-�tre pour toujours. Champlain les suivit donc avec ses quelques fran�ais 12. La petitexxviii arm�e remonta la rivi�re des Iroquois (ou de Sorel), et s'avan�a avec pr�caution jusqu'� une assez grande distance dans le lac qui depuis a toujours port� le nom de Champlain.

Note 12: (retour) L'auteur de l'Hist. de la Colonie fran�aise en Canada suppose � Champlain, dans cette exp�dition et les suivantes, des motifs qu'on ne pr�terait pas m�me � un marchand honn�te. �On ne sera pas �tonn�, dit-il, que l'int�r�t des marchands l'ait d�termine � s'armer contre ces barbares, si l'on consid�re ce qu'il raconte lui-m�me � l'occasion du vaisseau rochelois... qui se perdit, et qui n'aurait pu �tre pris, dit Champlain, qu'avec la perte de nombre d'hommes. Si, pour quelques pelleteries, on �tait r�solu de verser le sang fran�ais, il n'est pas �tonnant que, dans l'esp�rance de s'assurer le commerce de cette sorte de marchandise, Champlain n'ait pas craint de r�pandre le sang des sauvages.� Puis, au lieu de r�sumer impartialement ces deux exp�ditions, il n'en cite isol�ment que juste deux passages, qui, s�par�s du contexte, sont de nature � laisser croire au lecteur, que Champlain �tait all� � la guerre autant pour le plaisir cruel de r�pandre le sang, que pour remplir un devoir envers les nations alli�es.—Nous avons relev� en son lieu (�dit. 1632, premi�re partie, p. 239) l'injuste appr�ciation que cet auteur fait du passage dont il s'appuie. Qu'il nous suffise ici de faire une comparaison qui, suivant nous, ne manque pas de justesse. Le commandant de la Canadienne est charg� de croiser dans le golfe tout l'�t� pour y prot�ger nos p�cheries; s'il attaque un vaisseau pris en flagrant d�lit, ou m�prisant son droit et son autorit�, dira-t-on qu'il est pr�t � verser le sang am�ricain pour l'app�t de quelques morues? Il est une chose, au reste, qu'on ne devrait pas oublier, quand il s'agit des premi�res tentatives d'�tablissement en Am�rique: c'est que le commerce de la p�che et de la traite des pelleteries �tait alors le seul moyen de soutenir de pareilles entreprises. La France, � cette �poque, ne s'occupait gu�re plus du Canada, que le Canada lui-m�me ne se pr�occupe aujourd'hui de fonder une colonie � la baie d'Hudson; et, si l'on accorda des commissions � M. Chauvin, � M. de Chaste, � M. de Monts, c'est uniquement parce qu'ils le demand�rent.

Le soir du 29 juillet, sur les dix heures, on rencontra l'ennemi. Les Iroquois mirent � terre, et se barricad�rent de leur mieux, les alli�s rang�rent leurs canots attach�s les uns contre les autres, et gard�rent l'eau, � port�e d'une fl�che, jusqu'au lendemain matin. �La nuit se passa en danses et chansons, avec une infinit� d'injures de part et d'autre.� Le jour venu, on prit terre, en cachant toujours soigneusement les fran�ais, pour m�nager une surprise. Les Iroquois, au nombre de deux cents hommes forts et robustes, s'avanc�rent avec assurance, au petit pas, trois des principaux chefs � leur t�te. Les alli�s, de leur c�t�, marchaient pareillement en bon ordre, ils comptaient avant tout sur l'effet foudroyant des armes � feu, dont les Iroquois n'avaient encore aucune id�e. Champlain �leur promit de faire ce qui serait en sa puissance, et dexxix leur montrer, dans le combat, tout son courage et sa bonne volont�; qu'indubitablement ils les d�feraient tous.�

Quand les deux arm�es furent � la port�e du trait, l'arm�e alli�e ouvrit ses rangs. Champlain s'avan�a jusqu'� trente pas des ennemis, qui demeur�rent interdits � la vue d'un guerrier si �trange pour eux. Mais leur surprise fut au comble, quand, du premier coup d'arquebuse, ils virent tomber deux de leurs chefs, avec un autre de leurs compagnons gri�vement bless�. Champlain n'avait pas encore recharg�, qu'un des fran�ais cach� dans le bord du bois, tira un second coup, et les ieta dans une telle �pouvante, qu'ils prirent la fuite en d�sordre. Les alli�s firent dix � douze prisonniers, et n'eurent que quinze ou seize des leurs de bless�s.

M. de Monts avait �crit � Champlain toutes les difficult�s que lui suscitaient les marchands bretons, basques, rochelois et normands; l'habitation, du reste, lui demeurait, par convention faite avec ses associ�s. Champlain crut donc � propos de repasser en France, et laissa � Qu�bec, de l'avis de Pont-Grav�, �un honn�te homme appel� le capitaine Pierre Chavin, de Dieppe, pour commander en sa place.�

La commission de M. de Monts venait d'�tre une seconde fois r�voqu�e. Cependant, il ne se rebuta pas encore, le rapport que lui fit Champlain de ses nouvelles d�couvertes, et des heureuses dispositions des sauvages, l'engagea � ne point renoncer � un si noble dessein. �Il se d�lib�ra d'aller � Rouen trouver ses associ�s, les sieurs Collier etxxx Legendre, pour aviser � ce qu'ils avaient � faire l'ann�e suivante. Ils r�solurent de continuer l'habitation, et parachever de d�couvrir dans le grand fleuve Saint-Laurent, suivant les promesses des Ochat�guins (ou Hurons), � la charge qu'on les assisterait en leurs guerres, comme on leur avait promis.�

M. de Monts s'en retourna � Paris avec Champlain, et essaya d'obtenir privil�ge au moins pour les �nouvelles d�couvertes que l'on venait de faire, o� personne auparavant n'avait encore trait�; ce qu'il ne put gagner, quoique les demandes et propositions fussent justes et raisonnables. Il ne laissa pas pourtant de poursuivre son dessein, pour le d�sir qu'il avait que toutes choses r�ussissent au bien et honneur de la France.�

Avant de repartir pour le Canada, Champlain voulut savoir de M. de Monts s'il n'�tait point d'avis qu'il hivern�t � Qu�bec; celui-ci remit le tout � sa discr�tion.

Il s'embarqua � Honfleur d�s le 7 de mars 1610, �avec quelque nombre d'artisans.� Les Montagnais l'attendaient � Tadoussac, impatients de savoir s'il les accompagnerait dans une nouvelle campagne contre les Iroquois. Il les assura qu'on �tait toujours dans la disposition de leur pr�ter main-forte, pourvu que de leur c�t� ils tinssent la parole qu'ils lui avaient donn�e, �de le mener d�couvrir les Trois-Rivi�res, jusqu'� une grande mer dont ils lui avaient parl�, pour revenir par le Saguenay � Tadoussac.� Ils r�pondirent qu'ils avaient encore cette volont�, mais que ce voyage ne pouvaitxxxi se faire que l'ann�e suivante. Ce retard contrariait Champlain. �Toutefois, dit-il, j'avais deux cordes � mon arc, les Algonquins et les Ochat�guins m'ayant aussi promis de me faire voir leur pays, le grand lac, quelques mines de cuivre et autres choses, si je consentais � les aider dans leurs guerres.�

Il monta donc aux Trois-Rivi�res, o� �taient d�j� rendus les Montagnais. Un parti d'Algonquins devait venir les rejoindre � la rivi�re des Iroquois.

Cette fois, on trouva les ennemis fortifi�s, et entour�s d'une barricade �faite de puissants arbres arrang�s les uns sur les autres en rond.� La r�sistance fut longue et vigoureuse. Champlain, d�s le commencement du combat, fut bless� d'un coup de fl�che, qui lui fendit le bout de l'oreille, et p�n�tra dans le cou, ce qui ne l'emp�cha pas cependant �de faire le devoir.� Enfin nos guerriers, encourag�s par un renfort que leur amena le brave Des Prairies, parvinrent � rompre la barricade, tout fut tu�, ou noy� dans la rivi�re, � la r�serve de quinze, qui furent faits prisonniers13.

Note 13: (retour) Qui croirait qu'un auteur s'est bien donn� la peine de faire toute une dissertation pour prouver, ou du moins pour faire semblant de prouver, �comment on peut justifier Champlain du meurtre des Iroquois�, dans ces deux premi�res exp�ditions?—Voir Hist. de la Colonie fran�aise en Canada, tome I, p. 138 et suiv.

Les Algonquins consentirent � emmener avec eux un jeune fran�ais, � condition que Champlain accepterait en �change un jeune sauvage, nomm� Savignon, pour lui faire voir la France.

Apr�s avoir fait achever la palissade de l'habitation, Champlain, qui avait appris la nouvelle des troubles arriv�s � Brouage, et de la mort du roixxxii (Henri IV), se d�cida � repasser la mer encore cette ann�e. Du Parc, qui avait d�j� hivern� avec le capitaine Pierre Chavin, demeura commandant de la place. Toute sa garnison se composait de seize hommes.

Dans les derniers jours de l'ann�e 1610, Champlain, engag� depuis plus de dix ans dans de longs voyages ou des exp�ditions aventureuses, conclut une alliance qui semble avoir �t� m�nag�e par le concours de M. de Monts. �Le 27 d�cembre, il signa � Paris son contrat de mariage avec demoiselle H�l�ne Boull�, fille de Nicolas Boull�, secr�taire de la chambre du roi, et de dame Marguerite Alix. A cet acte assist�rent, comme t�moins, le sieur de Monts, qui portait encore le titre de lieutenant-g�n�ral du roi, et plusieurs membres de sa compagnie qui avaient contribu� � la fondation de Qu�bec. Le mariage se fit probablement vers le commencement de l'ann�e 1611. H�l�ne Boull� n'avait encore que douze ans, et elle avait �t� �lev�e dans le calvinisme, tandis que Champlain �tait parvenu � un �ge m�r, et se faisait gloire d'�tre catholique sinc�re; cette union fut cependant heureuse. Il instruisit lui-m�me la jeune personne, et eut le bonheur de la convertir � la foi catholique, � laquelle elle demeura toujours fermement attach�e pendant le reste de sa vie. A cause de son extr�me jeunesse, elle demeura � Paris aupr�s de ses parents, et ce ne fut que dix ans plus tard qu'elle suivit son mari au Canada�14.

Note 14: (retour) Ferland, cours d'Hist. du Canada.—Voir Pi�ces justificatives, n. xxxi, et Chroniques de l'Ordre des Ursulines, Vie de madame de Champlain.

xxxiiiD�s le premier mars 1611, Champlain et Pont-Grav� repartirent pour le Canada. La travers�e fut longue et p�rilleuse. En approchant du Grand-Banc, le vaisseau se trouva envelopp� de brumes �paisses, au milieu d'�normes banquises de glaces. Nos voyageurs furent ainsi entre la mort et la vie pendant plus de deux mois, et n'arriv�rent � Tadoussac que le 13 de mai.

A Qu�bec, Du Parc et ses compagnons avaient pass� un fort bon hiver, sans maladie, ni accident.

Champlain se rendit imm�diatement au Grand-Saut, o� il arriva le 28, ramenant avec lui Savignon. Les Algonquins devaient y �tre rendus d�s le 20, mais n'arriv�rent que le 13 de juin.

Les traiteurs, qui, l'ann�e pr�c�dente, �taient mont�s au-devant des sauvages, jusqu'au cap de la Victoire 15, se rendirent cette ann�e (1611) jusqu'au Grand-Saut. Une des raisons qui les fit aller si loin, fut sans doute d'�pargner � ceux qui descendaient � la traite les dangers d'un long voyage et les attaques des Iroquois; mais la rivalit� des marchands �tait surtout ce qui les faisait courir � la rencontre de ces barbares, pour enlever plus t�t leurs riches pelleteries.

Note 15: (retour) Ainsi a-t-on d�sign� longtemps l'une des pointes voisines de Sorel du cot� de l'ouest, et, par extension, les environs de Sorel. C'�tait apparemment en m�moire de la victoire de 1610, remport�e � une petite distance de l'entr�e de la rivi�re.

En attendant l'arriv�e des sauvages, Champlain s'occupa � faire une exploration plus compl�te des environs du Grand-Saut, �afin de trouver un lieu convenable pour la situation d'une habitation, et d'y pr�parer une place pour y b�tir 16. Je consid�rai,xxxiv dit-il, fort particuli�rement le pays; mais en tout ce que je vis, je ne trouvai point de lieu plus propre, qu'un petit endroit qui est jusques o� les barques et chaloupes peuvent monter ais�ment, n�anmoins avec un grand vent, ou � la cirque, � cause du grand courant d'eau; car, plus haut que le dit lieu (qu'avons nomm� la Place-Royale), y a quantit� de petits rochers, et basses qui sont fort dangereuses... Ayant donc reconnu fort particuli�rement et trouv� ce lieu un des plus beaux qui f�t en cette rivi�re, je fis aussit�t couper et d�fricher le bois de la dite Place-Royale, pour la rendre unie et pr�te � y b�tir.�

Note 16: (retour) �dit. 1613, p. 242.

Sans para�tre regretter sa fondation premi�re, Champlain pr�voyait le moment o� il deviendrait n�cessaire d'�tablir de nouvelles habitations; et, en d�signant d'avance l'emplacement de la florissante ville de Montr�al, il ne montra pas moins de sagesse et de hauteur de vue que dans son premier choix. Malheureusement, l'�tat de d�nuement dans lequel on le laissa pendant plus de vingt ans, ne lui permit pas de r�aliser toute la grandeur de ses projets.

L'affection et la confiance que lui t�moign�rent, cette ann�e, tous les sauvages qui vinrent � la traite, est une preuve frappante que la conduite qu'il avait tenue, �tait en effet le vrai moyen de s'attacher ces nations, et par suite de les amener insensiblement � la connaissance de l'�vangile, et � la lumi�re de la civilisation.

Aussit�t arriv� en France, Champlain se h�ta d'aller trouver M de Monts, pour lui faire conna�trexxxv les belles esp�rances qu'on pouvait se promettre des Algonquins et des Hurons, pourvu qu'on leur pr�t�t du secours dans leurs guerres, comme il leur avait �t� promis. Mais les associ�s, fatigu�s des d�penses, ne voulurent plus continuer l'association, parce que, sans privil�ge, le commerce devenait ruineux. �M. de Monts convint alors avec eux de ce qui restait en l'habitation de Qu�bec, moyennant une somme de deniers qu'il leur donna pour la part qu'ils y avaient, et envoya quelques hommes pour la conservation de la place, en attendant qu'il p�t obtenir une commission. Mais des affaires de cons�quence lui firent abandonner sa poursuite,� et il remit la chose entre les mains de Champlain.

Sur ces entrefaites, arriv�rent les vaisseaux de la Nouvelle-France (1612). Ils rapport�rent que les sauvages, cette ann�e, �taient descendus au saut Saint-Louis au nombre de plus de deux cents, avec l'esp�rance d'y rencontrer l'auteur; qu'ils avaient paru fort contrari�s de ne pas l'y voir, apr�s les esp�rances qu'il leur avait donn�es. On les avait assur�s qu'il tiendrait sa promesse, et reviendrait l'ann�e suivante, ce qu'il fit en effet. Mais certains traiteurs, pouss�s par la jalousie et l'esprit de lucre, ne manqu�rent pas de profiter de cette circonstance, pour faire courir de faux bruits, et all�rent jusqu'� assurer � ces peuples que Champlain �tait mort, et qu'ils ne devaient plus compter sur son retour.

Champlain, cependant, travaillait activement � rem�dier � tous ces d�sordres. Il jugea que le plusxxxvi s�r moyen de faire r�ussir une entreprise qui int�ressait l'honneur de la religion et de la France, �tait de mettre la nouvelle colonie sous la protection de quelque personnage d'influence, et s'adressa au comte de Soissons, �prince pieux et affectionn� en toutes saintes entreprises, lui remontrant l'importance de l'affaire, les moyens de la r�gler, et la ruine totale dont elle etait menac�e au grand d�shonneur du nom fran�ais, si Dieu ne suscitait quelqu'un qui la voul�t relever. Le comte promit, sous le bon plaisir du roi, d'en prendre la protection.�

Champlain pr�senta, en cons�quence, une requ�te au roi et � son conseil; et obtint que le comte de Soissons serait nomm� gouverneur et lieutenant-g�n�ral de la Nouvelle-France. Celui-ci re�ut ses lettres de commission en date du 8 octobre 161217, et, le 15 du m�me mois, l'auteur �tait nomm� son lieutenant. Malheureusement, le comte de Soissons mourut quelques jours apr�s, et le prince de Cond�, qui lui succ�da, �tait trop impliqu� dans les troubles politiques, pour �tre bien utile � l'avancement de la colonie.

Note 17: (retour) Moreau de Saint-M�ry, Lettres du duc d'Anville. (Voir �dit. 1613, p. 285, note I.)

De nouvelles difficult�s, suscit�es �par quelques brouillons, qui n'avaient cependant aucun int�r�t en l'affaire,� retard�rent tellement la publication du privil�ge et des r�glements de la nouvelle association, qu'il fut impossible � Champlain de rien faire encore cette ann�e (1613) pour l'habitation de Qu�bec, �dans laquelle il d�sirait mettre desxxxvii ouvriers pour la r�parer et l'augmenter.� De sorte, qu'il fallut, pour le moment, se contenter de passeports, que le prince donna pour quatre vaisseaux pr�ts � faire voile, lesquels s'engageaient � fournir chacun quatre hommes pour la continuation des d�couvertes.

Le voyage de 1613 fut pour l'auteur une d�ception, quoiqu'il n'ait pas �t� un des moins utiles. Champlain eut un moment l'espoir de trouver enfin le fameux passage du Nord-Ouest tant cherch� par tous les navigateurs.

Un de ceux qui �taient retourn�s du Canada en 1612, nomm� Nicolas de Vignau, lui assura que le lac o� l'Outaouais prenait sa source, se d�chargeait dans la mer du Nord, sur le rivage de laquelle il disait avoir vu de ses propres yeux les d�bris d'un vaisseau et les chevelures de quatre-vingts anglais qui formaient l'�quipage. Ce r�cit paraissait d'autant plus vraisemblable, que les Anglais avaient tout r�cemment pouss� leurs courses aventureuses jusque dans les profondeurs de la baie d'Hudson. Le chancelier de Sillery, le mar�chal de Brissac, le pr�sident Jeannin et autres personnes graves, furent d'avis que Champlain ne devait pas n�gliger de voir la chose en personne.

Il partit donc de l'�le Sainte-H�l�ne le 27 de mai 1613 avec quatre fran�ais et un sauvage, et remonta l'Outaouais jusqu'� la r�sidence de Tessouat, chef des Algonquins de l'isle, c'est-�-dire jusqu'� l'�le des Allumettes. Tessouat, qui avait d�j� fait la connaissance de l'auteur les ann�es pr�c�dentes, re�ut cette visite inattendue et inesp�r�exxxviii avec toutes les marques de la plus vive satisfaction. Il pr�para un grand festin, pour souhaiter la bienvenue � ces h�tes extraordinaires. Tous les principaux chefs devaient s'y trouver, et l� Champlain leur ferait conna�tre ses intentions et le but de son voyage.

Le repas fini, il fallut, suivant la coutume, fumer le calumet pendant une demi-heure, apr�s quoi, Champlain leur exposa, qu'il �tait venu d'abord pour les visiter et lier avec eux une amiti� encore plus durable, mais aussi pour leur demander ce qu'ils lui avaient d�j� promis, c'est-�-dire, de lui faciliter le voyage de la mer du Nord, que de Vignau pr�tendait avoir vue l'ann�e pr�c�dente.

De Vignau, qui n'avait jamais �t� plus loin que la cabane de Tessouat, ne pouvait plus �chapper � une conviction des plus humiliantes et des plus terribles. Tessouat et les autres capitaines, indign�s d'une si impudente imposture, s'�cri�rent �qu'il le fallait faire mourir, ou qu'il d�t celui avec lequel il y avait �t�, et qu'il d�clar�t les lacs, rivi�res et chemins par lesquels il avait pass�.� De Vignau n'avait garde d'accepter un pareil d�fi, il avait toujours compt� que les difficult�s incroyables d'un pareil voyage effraieraient Champlain, o� qu'enfin quelque obstacle insurmontable finirait par lasser son courage, et qu'ainsi, apr�s avoir fait sans d�pense le voyage du Canada, il n'en toucherait pas moins la r�compense promise � sa pr�tendue d�couverte.

�Apr�s avoir song� � lui,� il se jeta � genouxxxxix aux pieds de Champlain, et demanda son pardon. �Ainsi transport� de col�re, dit l'auteur, je le fis retirer, ne le pouvant plus endurer devant moi.� Les Algonquins voulaient absolument en faire bonne justice, et, si Champlain ne leur e�t d�fendu de lui faire aucun mal, ils l'eussent infailliblement mis en pi�ces.

Cette exp�dition, quoique manqu�e dans son objet principal, eut n�anmoins un excellent r�sultat. Tous ces peuples, l'ann�e pr�c�dente, avaient �t� si m�contents des traiteurs, qu'ils avaient pris la r�solution de ne plus descendre; et il fallut tout l'ascendant que Champlain avait sur eux pour les ramener � de meilleures dispositions.

De retour en France, Champlain s'occupa de mener � bonne fin les n�gociations qui n'avaient pu se terminer avant le d�part des vaisseaux, et r�ussit enfin � former une puissante compagnie, qui devait se composer des marchands de Saint-Malo, de Rouen et de la Rochelle; mais les Rochelois furent si longtemps � accepter les conditions, qu'on les laissa de c�t�; les Normands et les Bretons �prirent l'affaire moiti� par moiti�.�

A peine cette soci�t� des marchands �tait-elle form�e, que quelques malouins incommodes, f�ch�s de ne s'�tre pas pr�sent�s � temps, et ne pouvant contester les droits de la compagnie, eurent l'adresse de faire ins�rer �au cahier g�n�ral des �tats� un article demandant que la traite f�t libre pour toute la province. Champlain, voyant encore sur le point d'�chouer un projet qui semblait promettre un meilleur avenir � sa ch�re colonie, alla trouverxl le prince de Cond�, et lui repr�senta l'int�r�t qu'il avait � ne point laisser annuler un privil�ge aussi n�cessaire. Il plaida si bien la cause, que la soci�t� fut maintenue dans ses droits.

Non content d'assurer le progr�s mat�riel de la Nouvelle-France, Champlain s'occupait en m�me temps � lui procurer un bien encore plus pr�cieux que tous les avantages temporels. Le spectacle de tant de peuples sans foi, ni loi, sans dieu et sans religion, comme il avait pu le constater dans tous ses voyages, avaient excit� dans son �me une immense compassion pour ces pauvres et malheureux infid�les. �Je jugeai � part moi, dit-il, que ce serait faire une grande faute, si je ne m'employais � leur pr�parer quelque moyen pour les faire venir � la connaissance de Dieu.� Ce qui l'avait emp�ch� jusque-l� d'ex�cuter ce saint projet, �c'est qu'il fallait faire une d�pense qui e�t exc�d� ses moyens�, et il comprenait mieux que personne la difficult� de pourvoir aux frais et � l'entretien d'une mission, surtout avec une compagnie dont plusieurs des membres �taient calvinistes.

Ayant eu occasion de s'en ouvrir � plusieurs, et entre autres au sieur Houel, celui-ci lui sugg�ra de s'adressa aux R�collets, lui promettant son appui et toute l'influence qu'il pouvait avoir aupr�s du provincial, le P. du Verger. Afin de faciliter cette bonne oeuvre, Champlain alla lui-m�me trouver les cardinaux et les �v�ques qui s'�taient rendus � Paris pour la tenue des �tats g�n�raux, et r�ussit � recueillir une somme de pr�s de quinze cents livres pour l'achat des choses les plus n�cessaires.

Toutexli l'ann�e 1614 fut ainsi employ�e � consolider les r�glements de la compagnie des marchands, et � pr�parer les voies aux missionnaires. Enfin, au printemps de 1615, Champlain repartit de France avec quatre religieux r�collets: le P. Denis Jamay, commissaire, le P. Jean Dolbeau, le P. Joseph le Caron et un fr�re, nomm� Pacifique du Plessis. Ils arriv�rent � Tadoussac le 25 de mai.

Aussit�t que les barques furent pr�tes, Champlain se rendit � Qu�bec, o�, de concert avec le P. Dolbeau, il d�termina l'emplacement de la premi�re �glise du pays, et du logement des P�res qui devaient la desservir.

L'habitation occupait tout le milieu de la pointe de Qu�bec, c'est-�-dire, le terrain renferm� entre la Place et les rues Notre-Dame, Sous-le-Fort et Saint-Pierre. Impossible de loger une chapelle dans l'enceinte; elle contenait d�j� le magasin, trois corps de logis et quelques petites d�pendances, et la plus petite b�tisse e�t compl�tement absorb� tout l'espace qui servait de cour int�rieure. Du c�t� du fleuve, il ne restait gu�res que la largeur de la rue Saint-Pierre, en arri�re il fallait laisser un passage. Enfin du c�t� du Saut-au-Matelot, il n'y avait qu'une petite lisi�re de terre qui venait mourir au pied de la c�te actuelle de la basse ville, une chapelle, plac�e de ce c�t� e�t obstru� les d�fenses de la place, sans compter qu'elle e�t �t� s�rieusement expos�e � nos trop fr�quentes temp�tes de nord-est. Il n'y avait donc qu'un seul endroit convenable; Panse du Cul-de-Sac, dans le voisinage du jardin de Champlain,xlii offrait un assez joli fonds, retir� et solitaire, comme il convient � la maison de Dieu.

Moins d'un mois apr�s, le 25 de juin 1615, le P. Dolbeau y disait la premi�re messe, et les offices continu�rent � s'y c�l�brer r�guli�rement tous les dimanches.

Cette ann�e enfin, apr�s tant de retards et de d�sappointements, Champlain put r�aliser et compl�ter ce qu'il n'avait pour ainsi dire qu'�bauch� en 1613, l'exploration des pays de l'ouest, et un commencement de colonie chez les Hurons.

Toutes ces entreprises, cependant, ne pouvaient �tre men�es � bonne fin, que par le moyen et le concours des nations indig�nes. Cette ann�e, plus que jamais, les sauvages descendus � la traite, repr�sent�rent vivement � Champlain, que, si on ne leur pr�tait un secours efficace, il devenait de plus en plus impossible de quitter leur pays, pour venir de si loin s'exposer aux emb�ches que leur tendaient continuellement les Iroquois.

�Sur quoi, dit l'auteur, le sieur du Pont et moi avis�mes qu'il �tait tr�s-n�cessaire de les assister, tant pour les obliger davantage � nous aimer, que pour moyenner la facilit� de mes entreprises et d�couvertures, qui ne se pouvaient faire en apparence que par leur moyen, et aussi que cela leur serait comme un acheminement et pr�paration pour venir au christianisme 18.�

Note 18: (retour) L'auteur de l'Hist. de la Colonie fran�aise en Canada a bien soin de tronquer ce texte, et d'en retrancher ce qui non-seulement justifie Champlain, mais encore est tout � sa louange. On con�oit qu'avec de pareils moyens, il est facile de tirer des conclusions comme celle-ci: �Cette campagne avait �t� entreprise pour un motif d'int�r�t particulier, et elle tourna au grand d�savantage de la religion et � celui de la France� (t. I, p. 141); et cela, suivant le m�me auteur, parce que �les Fran�ais �taient all�s attaquer les Iroquois avec des armes � feu, incendier leur village� (jusqu'alors aucun village iroquois n'avait �t� incendi�), �et r�pandre le sang des Iroquois, sans que ceux-ci leur eussent jamais fait aucun mal ni donn� quelque juste sujet de plainte.� L'injustice de cette remarque est trop palpable, pour qu'il soit n�cessaire de la r�futer.

xliiiLe chemin � suivre pour �viter les emb�ches des Iroquois, �tait excessivement long et p�nible. Il fallait remonter l'Outaouais avec ses rapides, passer par le lac Nipissing, pour prendre ensuite le cours de la rivi�re des Fran�ais. Le pays des Hurons �tait, comme on sait, situ� au fond de la baie G�orgienne, � l'ouest du lac Simcoe.

Champlain rejoignit au pays des Hurons les quelques fran�ais qui �taient partis un peu auparavant avec le P. le Caron. Pendant les longs pr�paratifs de l'exp�dition projet�e contre les Iroquois, il parcourut toutes les bourgades huronnes, observant attentivement les beaut�s du pays et les moeurs et coutumes des habitants.

L'arm�e partit de Cahiagu� le premier de septembre, et prit la direction de la rivi�re Trent et de la baie de Quinte. Quand on eut travers� le lac des Entouoronon (le lac Ontario), on cacha soigneusement les canots. Apr�s avoir fait, � travers le pays des Iroquois, environ une trentaine de lieues, les alli�s arriv�rent enfin devant le fort des ennemis.

Un corps de cinq cents guerriers carantouanais qui devait venir faire diversion par un autre c�t�, n'arriva que plusieurs jours apr�s le temps convenu. L'attaque eut lieu cependant; mais les sauvages se ru�rent sur le fort sans aucun ordre, et Champlain ne put jamais r�ussir � se faire entendre dans la chaleur du combat; ce premier assaut fut inutile.

xlivLe soir, dans un conseil, Champlain proposa de construire, pour le lendemain, un cavalier, du haut duquel les arquebusiers fran�ais auraient plus d'avantage � tirer, et une esp�ce de mantelet pour prot�ger les assaillants contre les fl�ches et les pierres lanc�es de dessus les palissades.

Quelques-uns voulaient qu'on attend�t le renfort des Carantouanais; mais l'auteur, voyant que l'arm�e alli�e �tait assez forte pour emporter la place, craignant d'ailleurs qu'un retard ne donn�t aux ennemis le temps de se fortifier davantage, fut d'avis qu'on livr�t de suite un second assaut.

L'indiscipline des sauvages fit tout manquer; il fallut songer � la retraite. Champlain avait re�u deux blessures � la jambe et au genou.

Quand les alli�s furent de retour au lac Ontario, Champlain demanda qu'on le reconduis�t � Qu�bec. Mais les Hurons, qui avaient int�r�t � le garder avec eux, firent en sorte qu'il n'y e�t point de canot disponible; et il dut se r�signer � passer l'hiver en leur pays.

L'arm�e fut de retour � Cahiagu� dans les derniers jours de d�cembre. Champlain, apr�s s'�tre repos� quelques jours chez son h�te Darontal (ou Atironta), se rendit � Carhagouha pour y revoir le P. le Caron. Ils partirent tous deux ensemble le 15 f�vrier, et all�rent visiter la nation du Petun (les Tionnontat�s), qui demeuraient plus au sud-ouest. De l�, ils pouss�rent jusqu'au pays des Andatahouat ou Cheveux-Relev�s, et, si on ne les en e�t d�tourn�s, ils voulaient se rendre jusqu'� la nation Neutre (les Attiouandaronk).

xlvEnfin, le printemps venu, Champlain, se fit reconduire � Qu�bec, o� l'on �tait fort inquiet sur son sort. Avant le d�part des vaisseaux, il fit agrandir l'habitation de plus d'un tiers, et en augmenta les fortifications. �Nous f�mes, dit-il, le tout bien b�tir de chaux et sable, y en ayant trouv� de tr�s-bonne en un lieu proche de la dite habitation.�19

Note 19: (retour) Il est probable que le fourneau dont on se servit pour cuire la chaux � cette �poque, est le m�me que celui dont fait mention un acte de concession du 20 septembre 1649 (Acte de conc. � Dame Gagner). Ce fourneau para�t avoir �t� situ� entre l'ancien cimeti�re et le terrain actuel de la Chambre d'Assembl�e.

Le prince de Cond� venait d'�tre arr�t�, le premier de Septembre 1616. Champlain se douta bien que les ennemis de la soci�t� profiteraient de sa d�tention, pour exciter de nouveaux troubles et faire annuler la commission. Il ne cessait de remontrer aux marchands, que, si l'on ne prenait les moyens d'augmenter et de fortifier Qu�bec, la traite finirait par leur �tre enlev�e de force. Les associ�s objectaient, que les d�penses annuelles �taient �normes, et que, dans un moment de trouble comme on �tait alors en France, la compagnie, d'une ann�e � l'autre, pouvait avoir le m�me sort que celle de M. de Monts, et qu'ils en seraient pour leurs frais. Champlain leur repr�senta que les circonstances �taient bien chang�es: M. de Monts n'�tait qu'un simple �gentilhomme, qui n'avait pas assez d'autorit� pour se maintenir en cour contre l'envie, dans le conseil de Sa Majest�, mais que maintenant ils avaient pour protecteur et vice-roi du pays un prince qui les pouvait prot�ger envers et contre tous sous le bon plaisir du roi.�

xlviDeux ann�es se pass�rent, sans qu'il se f�t beaucoup de progr�s.

En 1617 et en 1618, Champlain revint au Canada. Mais le manque de secours laissait toujours l'habitation dans le m�me �tat de langueur.

A force de pers�v�rance, il obtint enfin, pour l'ann�e 1619, quelques munitions de guerre, et des provisions de bouche; la compagnie s'engageait � envoyer quatre-vingts personnes, �y compris le chef, trois p�res r�collets, commis, officiers, ouvriers et laboureurs.�

L'ann�e 1619 s'�coula, et, de toutes ces promesses de secours et d'hommes, aucune ne fut tenue. Cependant, on se plaignait partout de la compagnie, qui, jouissant d'un privil�ge fort avantageux, ne remplissait point ses engagements envers la colonie. D'une autre part, la concorde �tait loin de r�gner parmi les associ�s. Les huguenots avaient � coeur de ne pas voir la religion catholique s'enraciner dans le Canada; tandis que les catholiques se r�jouissaient des efforts qu'on faisait pour l'y �tablir. De l� naissaient des divisions et des proc�s; chaque parti se d�fiait de l'autre, et entretenait son commis particulier, charg� d'examiner tout ce qui se passait � Tadoussac et � Qu�bec 20.

Note 20: (retour) Ferland, Cours d'Hist, du Canada.

Franc, loyal et honn�te, Champlain ne leur m�nageait aucun reproche, au sujet de leur conduite. Aussi voulurent-ils se d�livrer d'un censeur incommode, en l'obligeant � s'occuper de d�couvertes, pendant que Pont-Grav� resterait � Qu�bec, rev�tu du commandement, et charg� de la traite. Ils esp�raientxlvii que ce dernier serait plus souple et plus traitable. Champlain leur r�pondit que, comme lieutenant-g�n�ral du vice-roi, il avait l'autorit� sur tous les hommes de l'habitation; qu'il l'exer�ait partout, except� dans leur magasin, o� �tait plac� leur premier commis; que le sieur de Pont-Grav� �tait son ami, qu'il le respectait comme son p�re, � cause de son �ge, mais qu'il ne lui c�derait jamais aucun de ses droits21; �qu'il n'entendait faire le voyage qu'avec la m�me autorit� qu'il avait eue auparavant, autrement, qu'il protestait tous d�pens, dommages et int�r�ts contre eux, � cause de son retardement.�

Note 21: (retour) Ferland, Cours d'Hist. du Canada.

La-dessus, il leur pr�senta une lettre dans laquelle le roi insistait sur l'ex�cution de ce qu'ils avaient promis, et leur marquait sa volont� expresse que la compagnie fourn�t � Champlain ce qui lui serait n�cessaire, tant pour l'habitation, que pour les d�couvertes.

Les marchands s'obstin�rent, et Champlain, qui s'�tait pr�par� � passer au Canada avec sa famille, se vit contraint de retourner � Paris, apr�s avoir fait sa protestation. �Nous voil� � chicaner,� dit-il; et, avec son activit� et son �nergie ordinaires, il se rend � Tours, pour y suivre l'affaire devant le conseil. �Apr�s avoir bien d�battu, ajoute-t-il, j'obtiens un arr�t de messieurs du conseil, par lequel il �tait dit que je commanderais tant � Qu�bec, qu'autres lieux de la Nouvelle-France, et d�fenses aux associ�s de me troubler ni emp�cher en laxlviii fonction de ma charge; lequel arr�t je leur fais signifier en pleine bourse de Rouen.�

Le prince de Cond� ne pouvait gu�re s'occuper de la Nouvelle-France; il c�da facilement tous ses titres au duc de Montmorency. Champlain, qui avait contribu� � cette transaction 22, fut nomm� son lieutenant, et se disposa � partir avec sa famille (1620). La compagnie, voyant ce changement d'un mauvais oeil, suscita encore de nouvelles tracasseries au sujet des pouvoirs qu'il devait exercer. Mais il n'eut qu'un mot � �crire au nouveau vice-roi; les associ�s re�urent un ordre formel et absolu du roi, de se d�sister de leurs poursuites.

Note 22: (retour) �dit. 1632, premi�re partie, p. 327.

Champlain partit enfin vers le 8 de mai, et arriva au moulin Baud�, apr�s une traverse de deux mois. Son beau-fr�re, Eustache Boull�, fut agr�ablement surpris et �tonn� de voir que sa soeur avait eu le courage de braver les fureurs de l'Oc�an, pour venir se fixer dans un pays encore sauvage et d�nu� de tout.

Le 11 juillet, Champlain partit de Tadoussac pour monter � Qu�bec, o�, en arrivant, il �se rendit � la chapelle, pour y rendre gr�ces � Dieu de l'avoir pr�serv�, lui et sa famille, de tous les dangers d'un si long et si p�nible voyage.� Le lendemain, apr�s la messe, un des P�res fit une exhortation de circonstance, et, au sortir de la chapelle, on lut publiquement les lettres de commission royale, et celles du vice-roi. Chacun cria: Vive le roi; le canon fut tir� en signe d'all�gresse, �et ainsi, dit Champlain, je pris possession de l'habitationxlix et du pays au nom de mon dit seigneur le vice-roi.�

Champlain trouva de quoi exercer son z�le. �Je trouvai, dit-il, cette pauvre habitation si d�sol�e et ruin�e, qu'elle me faisait piti�. Il y pleuvait de toutes parts, l'air entrait par toutes les jointures du plancher; le magasin s'en allait tomber, la cour si sale et orde, que tout cela semblait une pauvre maison abandonn�e aux champs o� les soldats avaient pass�.� En peu de temps, n�anmoins, tout fut r�par�, gr�ce � la diligence qu'il y mit.

Un de ses premiers soins fut ensuite de faire commencer, sur le coteau qui dominait l'habitation, un petit fort, qu'il jugea plus que jamais n�cessaire �pour �viter aux dangers qui peuvent advenir en un pays �loign� presque de tout secours. J'�tablis, dit-il, cette demeure en une situation tr�s-bonne, sur une montagne qui commandait sur le travers du fleuve Saint-Laurent, qui est un des lieux des plus �troits de la rivi�re. Cette maison ainsi b�tie ne plaisait point � nos associ�s; mais pour cela il ne faut pas que je laisse d'effectuer le commandement de Mgr le Vice-roi; et ceci est le vrai moyen de ne point recevoir d'affront.�

Le duc de Montmorency, voyant avec peine la mauvaise volont� de la compagnie des marchands, avait r�solu de mettre un terme � un �tat de choses si pr�judiciable aux int�r�ts de la colonie. Au printemps de 1621, on apprit, par le premier vaisseau, qu'il avait form� une compagnie nouvelle. M. Dolu, intendant des affaires du pays, fut charg� d'exp�dier � Champlain copie des nouvelles commissions, pourl le pr�venir que le vice-roi avait remis entre les mains des sieurs de Caen la gestion de tout ce qui regardait la traite, et que c'�tait son d�sir qu'il ne se f�t aucune innovation avant son arriv�e.

Malheureusement, le vaisseau de M. de Caen ne paraissait point. Les commis de l'ancienne soci�t� n'�taient pas d'humeur � l�cher prise si facilement, � moins que Champlain n'exhib�t des ordres du roi; ce qu'il ne pouvait faire pour le moment. L'arriv�e de Pont-Grav� et de plusieurs des anciens commis vint encore rendre la position plus critique. Il fallait agir avec une grande circonspection.

Le petit fort que Champlain venait de commencer et qu'il se h�ta de terminer de son mieux, fut en ce moment le salut de la patrie. Il y mit Dumais et son beau-fr�re avec seize hommes, et y jeta les armes et provisions n�cessaires. �En cette fa�on, dit-il, nous pouvions parler � cheval.� Lui-m�me se chargea de la garde de l'habitation.

Les commis de l'ancienne soci�t� furent contraints d'accepter un compromis, et d'attendre que M. de Caen f�t arriv�. Enfin, apr�s des all�es et venues et des pourparlers qui dur�rent jusqu'au mois d'ao�t, Champlain, second� par le P. George le Baillif, vint � bout de faire la paix entre les deux partis.

Les habitants de Qu�bec, alarm�s d'un �tat de choses si d�plorable, se r�unirent dans une assembl�e publique, Champlain � leur t�te, pour signer et adresser au roi une humble p�tition, afin que Sa Majest� voul�t bien mettre un terme aux funestes divisions qui mena�aient de ruiner tout leli pays. Champlain ne pouvant s'absenter sans inconv�nient et pour sa famille et pour l'int�r�t de tous, on choisit pour cette mission le P. Georges le Baillif. Ce sage religieux vint � bout d'obtenir les principaux articles de son �cahier,� et un arr�t du conseil d'�tat r�unit les deux compagnies en une seule (1622).

Pendant les quatre ans que Champlain passa � Qu�bec avec sa famille, son occupation principale fut de faire travailler � l'habitation, au fort et au ch�teau Saint-Louis; il saisit en m�me temps toutes les occasions de faire avec les Montagnais une alliance de plus en plus �troite.

Un des moyens qui lui par�t le plus propre � atteindre ce but, fut de conf�rer � quelqu'un de leurs capitaines certaines faveurs ou certains grades qui devaient naturellement les attacher aux Fran�ais.

Le capitaine Miristou fut le premier � qui l'on accorda cet honneur. Il prit � cette occasion le nom de Mahigan-Atic (loup-cerf), pour donner � entendre, que, doux comme le cerf, il saurait, quand il serait n�cessaire, avoir le courage et m�me la fureur du loup.

Champlain, en 1624, se d�cida � reconduire sa femme en France. Accoutum�e aux douceurs de la vie de Paris, elle avait d� souffrir beaucoup de la privation des choses consid�r�es comme indispensables � son �tat. Son mari et son fr�re �tant fort souvent absents, elle se trouvait ainsi expos�e � bien des ennuis.

L'ann�e 1624 fut une �poque d'am�liorationslii pour Qu�bec: Champlain ouvrit un chemin commode, conduisant du magasin au fort Saint-Louis sur la hauteur, afin de remplacer le sentier �troit et difficile dont on s'�tait servi jusqu'alors. Les ouvriers continuaient en m�me temps les travaux du fort. Reconnaissant le mauvais �tat de l'habitation, et d�sesp�rant de la pouvoir r�parer convenablement, il entreprit d'en b�tir une nouvelle. Vers les premiers jours du mois de mai, il fit abattre tous les vieux b�timents, � l'exception du magasin, et les fondations furent pos�es. Pour conserver la m�moire de cette reconstruction, l'on enfouit une pierre sur laquelle, �taient grav�es les armes du roi, ainsi que celles du vice-roi, avec la date et le nom de Champlain, lieutenant du duc de Montmorency. Ces b�timents devaient consister en un corps de logis, long de cent huit pieds, avec deux ailes de soixante pieds, et quatre petites tours aux quatre angles de l'�difice. Devant l'habitation et au bord du fleuve, �tait un ravelin, sur lequel on disposa des pi�ces de canon, le tout �tait environn� de foss�s, que traversaient des ponts-l�vis23.

Note 23: (retour) Ferland, Cours d'Hist. du Canada.

Le sieur �meric de Caen demeura � Qu�bec pour y commander. Champlain en partit le 15 ao�t, et arriva � Dieppe le premier octobre. Il se rendit de l� � Paris, afin de donner au roi et � M. de Montmorency des d�tails sur ce qui s'�tait pass� dans la Nouvelle-France depuis quatre ans.

De nouvelles contestations entre les anciens et les nouveaux associ�s achev�rent de d�go�ter le duc de Montmorency de sa charge de vice-roi, �quiliii lui rompait plus la t�te, que ses affaires plus importantes.� Il la c�da � son neveu Henri de L�vis, duc de Ventadour. Celui-ci continua Champlain dans sa charge de lieutenant, et lui en exp�dia les lettres le 13 f�vrier 1625.

Le nouveau vice-roi, plein de z�le pour les int�r�ts de la colonie et pour l'avancement des missions, voulut d'abord que Champlain demeur�t cette ann�e aupr�s de lui pour l'instruire plus particuli�rement des besoins du pays dor�navant soumis � sa juridiction, puis il encouragea de toutes ses forces le projet qui venait de se former, d'envoyer des missionnaires j�suites au Canada, pour venir en aide aux premiers missionnaires, les R�collets.

M. de Caen fut charg� du voyage de 1625. A son retour, il y eut contre lui des r�criminations graves, qui entra�n�rent un proc�s. Il sut n�anmoins se tirer d'affaire assez bien, l'arr�t du conseil lui alloua �trente-six pour cent d'int�r�t sur un fonds de soixante mille livres, mais � condition qu'il ex�cuterait tous les articles auxquels la soci�t� s'�tait oblig�e envers le roi; qu'il donnerait caution dans trois jours, et nommerait un catholique au commandement de la flotte du Canada.�

Le printemps venu, M. de Caen ne s'�tant pas conform� aux d�cisions de la cour, les anciens associ�s le protest�rent. Il les appelle une seconde fois devant le conseil, et un nouvel arr�t lui accorde encore gain de cause, � condition toutefois qu'il donnera caution dans Paris, et qu'il nommera, en l'absence du vice-roi, un amiral catholique, lui-m�me ne devant point faire le voyage.

livLes vaisseaux appareill�rent � Dieppe. Champlain s'y embarqua, avec le sieur Destouches et son beau-fr�re, nomm� son lieutenant, � bord de la Catherine, vaisseau de cent cinquante tonneaux. �meric de Caen �tait vice-amiral, et commandait la Fl�que.

Champlain n'arriva � Qu�bec que le 5 de juillet. Tous les hivernants se portaient bien, m�me Pont-Grav�, qui avait pens� mourir de la goutte pendant l'hiver.

Quoiqu'il e�t, avant son d�part, laiss� �nombre de mat�riaux pr�ts,� il ne trouva pas les logements si avanc�s qu'il se l'�tait promis. Le fort �tait encore au point o� il l'avait quitt� en 1624; le ch�teau, qui renfermait quelques m�nages, n'avait pas �t� termin�, quoiqu'il y e�t du bois d'assembl� depuis deux ans.

Une des raisons qui retardaient les travaux du fort et de l'habitation, c'est que les ouvriers �taient employ�s, �aux plus beaux et longs jours de l'ann�e,� � l'entretien du b�tail. Il fallait aller faire les foins � pr�s de dix lieues de Qu�bec, aux prairies naturelles du cap Tourmente, ce qui prenait quelquefois jusqu'� deux mois et demi. Pour obvier � cet inconv�nient, Champlain �tablit une habitation aupr�s du Petit-Cap, au lieu m�me o� sont aujourd'hui les b�tisses de la Petite-Ferme. Comme on �tait d�j� au mois de juillet, il employa tous les ouvriers � y construire deux logis et une �table de soixante pieds de long. A partir de ce moment, le soin des bestiaux ne demandait plus que quelques personnes. Au mois de septembre,lv Champlain y envoya le sieur Foucher avec cinq ou six hommes, une femme et une petite fille.

Consid�rant, d'un autre c�t�, que le fort de Qu�bec ��tait bien petit, pour y retirer, dans un besoin, tous les habitants de la place, il r�solut de l'abattre et de l'agrandir; ce que je fis, dit-il, jusqu'au pied, pour suivre mieux le dessein que j'avais; auquel j'employai quelques hommes qui y mirent toute sorte de soin.� Il y m�nagea, �selon l'assiette du lieu, deux petits demi-bastions bien flanqu�s. La ruine du petit fort servit en partie � refaire le plus grand.� Il se composait de fascines, et de terrassements, en attendant un jour qu'on le f�t rev�tir de murailles.

Apr�s les travaux du fort, les logements de l'habitation et le magasin r�clamaient la plus large part de son attention. Il fit couvrir la moiti� du grand corps de logis, commenc� depuis si longtemps, et faire quelques menues r�parations.

L'hiver de 1626 � 1627 fut un des plus longs que l'auteur e�t pass�s dans le pays, et il fut marqu� par la perte du premier habitant de Qu�bec, Louis H�bert, qui mourut des suites d'une chute.

Pendant ce m�me hiver, quelque nation voisine des �tablissements Flamands, � laquelle les Iroquois avaient tu� vingt-quatre hommes (sans compter cinq flamands), parce qu'elle n'avait pas voulu leur donner passage pour aller faire la guerre aux Loups, offrirent des pr�sents consid�rables aux sauvages alli�s pour les engager dans une grande coalition contre ces ennemis implacables. Plusieurs chefs montagnais, algonquins et autres les avaient accept�,lvi et l'on �tait sur le point de rassembler les forces suffisantes.

Champlain en t�moigna son m�contentement � Mahigan-Atic, qui lui fit part de ce projet. Il lui dit qu'il lui savait bon gr� de son avis, mais qu'il trouvait fort mauvais que le R�concili� et autres chefs eussent accept� ces pr�sents, et se fussent engag�s dans cette guerre sans l'en pr�venir, vu qu'il s'�tait lui-m�me entrem�l� de faire la paix pour eux avec les Iroquois, qu'ils allaient rompre un trait� qu'on avait eu tant de peine � conclure, juste au moment o� l'on commen�ait � en ressentir les heureux effets, et qu'il regarderait comme ses ennemis tous ceux qui prendraient part � cette malheureuse exp�dition.

Mahigan-Atic comprit qu'ils avaient fait une grande faute, et il conseilla d'envoyer quelqu'un aux Trois-Rivi�res pour arr�ter le coup. Champlain chargea son beau-fr�re de cette mission d�licate. Boull� �tait digne de cette confiance; il r�ussit � convaincre les sauvages de l'imprudence de leur d�marche, et il fut convenu qu'on ne ferait rien jusqu'� ce que tous les vaisseaux fussent arriv�s, et que les autres nations qui devaient descendre fussent toutes assembl�es.

Aussit�t qu'�meric de Caen fut pr�t � monter � la traite, Champlain lui recommanda de faire tous ses efforts pour achever l'oeuvre de pacification si bien commenc�e. �Mais, ajoute l'auteur, il ne sut tant faire, ni tous les sauvages qui �taient l�, que neuf ou dix jeunes hommes �cervel�s n'entreprissent d'aller � la guerre.� Ils revinrent avec deux iroquois,lvii que l'on fit passer par tous les tourments ordinaires. Voil� la paix rompue.

�meric de Caen crut devoir en �crire aussit�t � Champlain, lui mandant que sa pr�sence �tait n�cessaire pour arr�ter ces d�sordres, et en pr�venir les f�cheuses cons�quences. Celui-ci partit sur le champ avec Mahigan-Atic. D�s qu'il y fut arriv�, on assembla un grand conseil. Champlain leur repr�senta qu'ils venaient de faire, en compromettant ainsi la paix, une d�marche qui pourrait leur co�ter bien cher, si l'on n'y trouvait quelque rem�de. Il se ferait un devoir de les assister en fr�re, comme il l'avait d�j� fait, lorsque les Iroquois leur feraient la guerre mal � propos; mais il ne pouvait approuver qu'on all�t ainsi les attaquer en pleine paix sans qu'ils eussent rien entrepris contre eux.

Apr�s que chaque capitaine eut fait sa harangue, il fut r�solu, d'un consentement unanime, que l'on renverrait l'un des prisonniers, avec le R�concili� et deux autres sauvages, et, �afin de mieux faire valoir leur ambassade, ils demand�rent un fran�ais pour les accompagner.� Il s'en pr�senta deux ou trois, entre autres Pierre Magnan, qui fut agr�� de part et d'autre.

Quelques semaines apr�s, un sauvage apporta la nouvelle que les ambassadeurs avaient �t� cruellement massacr�s. On sut plus tard qu'un algonquin de l'isle, pour satisfaire une vengeance personnelle, avait malicieusement fait croire aux Iroquois que cette d�putation n'�tait que pour les mieux trahir.

Les vaisseaux, � leur d�part en 1627, laiss�rent l'habitation assez mal approvisionn�e. Il demeuralviii � Qu�bec cette ann�e cinquante-cinq personnes, tant hommes que femmes et enfants, �sans comprendre les habitants du pays.� Sur ce nombre, il n'y avait que dix-huit ouvriers. Il en fallait plus de la moiti� pour les travaux du cap Tourmente; l'habitation de Qu�bec n'�tait point achev�e. La compagnie et M. de Caen avaient promis dix hommes pour faire travailler au fort; mais, pour eux, l'habitation devait passer avant tout, et Champlain se vit r�duit � ne pouvoir employer aux fortifications que les hommes qui �taient pour ainsi dire de reste.

�Je jugeai d�s lors, dit l'auteur, que la plus grande part des associ�s ne s'en souciaient beaucoup, pourvu qu'on leur donn�t d'int�r�t les quarante pour cent.� Il en dit son sentiment � M. de la Ralde, qui se trouvait li� par ses engagements; �c'est en un mot, ajoute-t-il, que ceux qui gouvernent la bourse font et d�font comme ils veulent.� Il en �crivit au vice-roi, et, en attendant, il continua d'employer au fort tous les hommes dont il put disposer, sans toutefois n�gliger l'habitation.

Quelque temps apr�s le d�part des vaisseaux, deux fran�ais, Henri, domestique de Madame H�bert, et un autre nomm� Dumoulin, auxquels Champlain avait donn� commission d'amener par terre quelques bestiaux du cap Tourmente, furent l�chement assassin�s par un montagnais � qui l'on avait refus� un morceau de pain. Un semblable meurtre avait �t� commis vers le cap Tourmente quelques ann�es auparavant, sans qu'on e�t pu faire justice rigoureuse.

lixCette fois, Champlain jugea que ce serait une faiblesse que de ne point s�vir contre de pareils attentats. Il mande � l'habitation les principaux chefs, leur remontre l'atrocit� du crime commis par un de leur nation, et leur d�clare nettement qu'il exige qu'on lui livre les auteurs de l'assassinat; en attendant, on garderait comme otage un certain montagnais, sur lequel on avait des soup�ons, et que dor�navant on serait oblig� de se tenir en garde contre leur perfidie.

Les sauvages parurent, en cette occasion, r�ellement chagrins et mortifi�s d'un �v�nement si f�cheux; mais il n'y eut pas moyen de constater au juste quel �tait le coupable.

Avant de partir pour la chasse, les Montagnais voulurent donner � Champlain un t�moignage singulier de leur estime. Ils envoy�rent M�cabau, appel� Martin par les Fran�ais, demander au P. le Caron quel pr�sent il leur conseillait de faire. �Il me souvient, lui dit M�cabau, qu'autrefois monsieur de Champlain a eu d�sir d'avoir de nos filles pour mener en France, et les faire instruire en la loi de Dieu et aux bonnes moeurs; s'il voulait � pr�sent, nous lui en donnerions quelqu'unes; n'en serais-tu pas bien content?� Le P�re r�pondit que oui, et qu'il fallait lui en parler. �Ce que les sauvages firent de si bonne gr�ce, ajoute Sagard, que le sieur de Champlain, voulant �tre utile � quelque �me, en accepta trois. Plusieurs croyaient que les sauvages n'avaient donn� ces filles au sieur de Champlain que pour s'en d�charger, � cause du manquement de vivres; mais ils se trompaient, carlx Chomina m�me, � qui elles �taient parentes, d�sirait fort de les voir passer en France, non pour s'en d�charger, mais pour obliger les Fran�ais et en particulier le sieur de Champlain.� 24

Note 24: (retour) Sagard, Hist. du Canada, p. 912-14.

On �tait rendu � la fin de juin 1628, et les vaisseaux ne paraissaient point. Les vivres commen�aient � faillir, et ce qu'il y avait de plus embarrassant, c'est que le sieur de la Ralde n'avait laiss� aucune barque � Qu�bec; en outre l'habitation �tait sans matelot ni marinier. �De brai, voiles et cordages, dit Champlain, nous n'en avions point; ainsi �tions d�nu�s de toutes commodit�s, comme si l'on nous e�t abandonn�s.�

Tel �tait, par le mauvais vouloir des marchands, l'�tat de g�ne o� se trouvait la colonie, quand une flotte anglaise, conduite par un ren�gat fran�ais, vint encore augmenter l'embarras de Champlain.

Trois fr�res huguenots, David, Louis et Thomas Kertk, dont la famille avait quitt� la France pour passer au service de l'Angleterre, s'�taient charg�s de d�truire les �tablissements fran�ais du Canada.

Au moment o� l'on pr�parait une petite embarcation pour aller � Tadoussac chercher une barque, avec laquelle on p�t aller � Gasp�, deux hommes arriv�rent en toute h�te du cap Tourmente, et apport�rent la triste nouvelle que les Anglais y avaient d�truit et ruin� de fond en comble l'habitation qu'on venait d'y fonder.

Champlain, ainsi assur� de la pr�sence de l'ennemi, fit r�parer � la h�te les retranchements de l'habitation, et dresser des barricades autour du fort,lxi dont il n'avait pu terminer les remparts. Il distribua ensuite sa petite garnison aux quartiers les plus expos�s, de fa�on que chacun conn�t son poste, et y accour�t au besoin.

Le lendemain, 10 juillet, sur les trois heures de l'apr�s-midi, l'on aper�ut dans la rade une voile qui faisait mine de vouloir entrer dans la rivi�re Saint-Charles. Quoique une chaloupe seule ne p�t faire un grand exploit, Champlain ne n�gligea pas de surveiller ses mouvements, il envoya de suite quelques arquebusiers au rivage. On reconnut que c'�taient des basques, auxquels les Kertk avaient confi� la charge de ramener � Qu�bec le sieur Pivert avec sa femme et sa petite ni�ce, faits prisonniers au cap Tourmente. Ils �taient en m�me temps porteurs d'une lettre par laquelle David Kertk invitait le commandant du fort � lui livrer la place.

Champlain lut cette lettre devant Pont-Grav� �et les principaux habitants.� La conclusion fut, dit notre auteur, que, si l'Anglais �avait envie de nous voir de plus pr�s, il devait s'acheminer, et non menacer de si loin.� Quoique chacun f�t r�duit � une ration de sept onces de farine de pois par jour, et qu'il n'y e�t pas cinquante livres de poudre au magasin, Champlain fit une r�ponse si fi�re, que les Kertk, croyant l'habitation mieux approvisionn�e qu'elle ne l'�tait, jug�rent prudent de ne pas aller plus loin, et se retir�rent apr�s avoir br�l� ou emmen� toutes les barques qui avaient �t� laiss�es � Tadoussac.

Le Canada �tait sauv�, si les vaisseaux de lalxii nouvelle compagnie 25 avaient su �viter la rencontre de la flotte anglaise. Malheureusement, M. de Roquemont, qui les conduisait, au lieu de se r�fugier dans un des nombreux havres du golfe, o� il pouvait attendre en s�ret� que les Anglais fussent partis, remonta le fleuve, et se vit bient�t dans la n�cessit� de livrer un combat in�gal, o� il perdit du coup toute la ressource d'une colonie d�j� pr�te � succomber.

Note 25: (retour) Cette nouvelle compagnie, form�e (1627) par le cardinal de Richelieu, avait pris le titre de Compagnie de la Nouvelle-France; on l'a appel�e aussi compagnie des Cent-Associ�s. Fond�e sur des bases plus larges que les pr�c�dentes, cette puissante soci�t� donna, d�s que le pays fut remis � la France, un nouvel �lan � la colonisation, au d�frichement des terres, et � la conversion des sauvages. Champlain en fit partie plus Tard. (Du Creux, Hist. Canadensis.)

Cette d�faite jeta Champlain dans une grande perplexit�. Qu�bec se voyait menac� de la plus cruelle famine; l'on ne pouvait maintenant esp�rer de secours que dans dix mois, et les sauvages avaient peine � suffire � leur propre subsistance. Cependant il ne se laissa point d�courager. Il exhortait ses compagnons � la patience, et leur donnait lui-m�me l'exemple de l'abn�gation, en se soumettant au m�me r�gime que les autres. Le peu de grain r�colt� par les P�res R�collets, par les J�suites, par la famille H�bert, avec le produit de la p�che et de la chasse, procur�rent assez de vivres pour emp�cher les habitants de mourir de faim pendant l'hiver. Afin que les pois et autres l�gumes pussent donner plus de nourriture, Champlain, ing�nieux � profiter de tout, imagina de les faire piler dans des mortiers de bois.

Le travail �tait long et p�nible, pour des hommes ext�nu�s par la disette, il eut la pens�e de fairelxiii construire un moulin � bras. Mais, comme il n'avait point de meule, celles de la compagnie �tant rest�es � Tadoussac, il chargea le serrurier de l'habitation de chercher de la pierre propre � en faire; celui-ci fut assez heureux pour en trouver. Un menuisier entreprit de monter une moulange; �de sorte que, dit Champlain, cette n�cessit� nous fit trouver ce qu'en vingt ans l'on avait cru �tre impossible.�

Voyant le soulagement qu'apportait d�j� cette premi�re invention, il r�solut de faire b�tir un moulin plus consid�rable, et de le faire mouvoir par l'eau. Ce plan, tout en soulageant la main-d'oeuvre, devait avoir le bon effet d'encourager les habitants � faire de plus grosses semences, et de les accoutumer � compter davantage sur leur industrie et sur les produits de la terre.

Au printemps (1629), un sauvage appel� �rouachit, qui arrivait du pays des Abenaquis, soumit � Champlain, de la part de ces peuples, un projet dont celui-ci n'e�t pas manqu� de profiter, si les munitions n'avaient pas �t� aussi rares que les vivres.

Cette nation demandait le secours des armes fran�aises contre l'ennemi commun, les Iroquois. Il �tait inutile de songer � pr�ter main-forte aux autres, quand on �tait r�duit � un pareil �tat de faiblesse. Champlain voulut cependant tirer tout le parti possible de l'amiti� de ces peuples, et se d�cida � leur envoyer une ambassade. Son beau-fr�re �tait bien l'homme de confiance � charger de cette commission, mais le besoin qu'il avait de ses services, dans la pr�vision du retour des Anglais, l'engagea � le retenir aupr�s de lui. Celui qui futlxiv d�l�gu� � sa place, devait assurer les Abenaquis qu'on les assisterait contre leurs ennemis d�s que les vaisseaux auraient rapport� l'abondance, pourvu qu'en attendant ils voulussent bien donner aux Fran�ais quelques secours en vivres. Champlain lui avait en m�me temps recommand� de bien observer les lieux, la qualit� des terres et la bont� du pays.

Voyant la saison d�j� passablement avanc�e, Champlain prit le parti d'envoyer son beau-fr�re � Gasp� avec une trentaine d'autres, vingt d'entre eux consentirent d'avance � demeurer l� avec les sauvages, et les autres pr�f�r�rent courir leur risque. La barque, avant d'arriver � Gasp�, rencontra le vaisseau d'�meric de Caen, qui venait chercher une partie des hommes de la compagnie destitu�e, et apportait en m�me temps des vivres pour l'habitation. Ainsi assur� d'un prompt secours, Boull� prit quelques provisions, et se remit en route pour Qu�bec. Malheureusement, il tomba entre les mains des Anglais avant d'avoir pass� Tadoussac.

Les Kertk �taient revenus cette ann�e avec six vaisseaux et deux pinasses, d�cid�s � faire un dernier effort pour achever leur conqu�te. A force de questionner les prisonniers, ils ne tard�rent pas � conna�tre au juste le triste �tat o� �tait r�duit Qu�bec.

Pendant ce temps-l�, Champlain �tait dans une mortelle inqui�tude. Les vivres manquaient, la saison �tait d�j� bien avanc�e, et l'on commen�ait � d�sesp�rer de voir arriver des vaisseaux. Les sauvages, depuis l'arrestation de Mahigan-Atic-Ouche,lxv soup�onn� d'avoir commis le meurtre des deux fran�ais, se tenaient sur la r�serve, et, � l'exception du fid�le Chomina, on ne pouvait gu�re compter sur eux en ce moment.

Pont-Grav�, � cause de son �ge et de ses infirmit�s, causait � Champlain beaucoup plus d'embarras, qu'il ne pouvait lui �tre de service. Comprenant lui-m�me la d�licatesse de sa position, il avait pris la r�solution de descendre comme il pourrait � Gasp�, pour y chercher un vaisseau et se faire repasser en France. Le voyage pr�par�, il demanda � l'auteur s'il aurait agr�able qu'il f�t lire la commission que lui avait donn�e M. de Caen, afin que celui-ci ne p�t lui contester ses gages. Champlain ne voulut pas lui refuser cette satisfaction; mais il crut devoir lui observer, que M. de Caen �s'attribuait des honneurs et commandements qui ne lui appartenaient pas, anticipant sur les charges de vice-roi; que, pour le commerce des pelleteries, les articles de Sa Majest� lui donnaient tout pouvoir;� mais que, pour le reste, les commissions royales ne lui permettaient pas de s'en m�ler.

�Le lendemain, qui �tait un dimanche, au sor- tir de la sainte messe, Champlain, devant tout le peuple assembl�, fit lire les commissions,� celle que Pont-Grav� tenait du sieur de Caen, et celle qu'il tenait lui-m�me du vice-roi, en expliquant � tous la diff�rence qu'il fallait mettre �entre le pouvoir que pouvait donner le dit sieur de Caen, et celui qui lui �tait conf�r� � lui-m�me par les lettres royales. Je vous fais commandement, dit-il � ceux qui composaient l'assembl�e, de par le Roilxvi et Mgr le Vice-Roi, que vous ayez � faire tout ce que vous commandera le sieur du Pont, pour ce qui touche le trafic et commerce des marchandises, suivant les articles de Sa Majest� que je vous ai fait lire; et, du reste, de m'ob�ir en tout et partout en ce que je commanderai, et o� il y aura de l'int�r�t du Roi et de mon dit Seigneur.�—�Je vois bien, dit Pont-Grav�, que vous protestez ma commission de nullit�.�—�Oui, en ce qui heurte l'autorit� du Roi et de Mgr le Vice-Roi, pour ce qui est de votre traite et commerce, suivant les articles de Sa Majest�, � quoi il se faut tenir.�

�Cela se passa ainsi,� dit Champlain.

Un jour que la plupart des habitants de Qu�bec �taient occup�s les uns � la p�che et les autres � chercher des racines, on vit para�tre des vaisseaux derri�re la pointe L�vis. Sur le flot, une chaloupe s'avan�a avec un pavillon blanc. Champlain fit mettre au fort un drapeau de m�me couleur. La chaloupe aborde, et un gentilhomme anglais s'en vient courtoisement lui pr�senter une lettre des deux fr�res Louis et Thomas Kertk, qui le sommaient de rendre la place, lui offrant une composition honorable.

Champlain r�pondit, que l'�tat d'abandon o� il se trouvait ne lui permettait pas de faire la m�me r�sistance que l'ann�e pr�c�dente; que cependant les vaisseaux fissent attention de n'approcher � la port�e du canon que lorsque la capitulation serait enti�rement r�gl�e.

Sur le soir, le capitaine Louis Kertk renvoya la chaloupe pour avoir les articles de la composition,lxvii qui portait, en r�sum�: qu'on donnerait aux Fran�ais un vaisseau pour repasser en France; que les officiers au service de la compagnie pourraient emporter leurs armes, leurs habits et leurs pelleteries; aux soldats l'on accordait leurs habits avec une robe de castor, et aux religieux leurs robes et leurs livres. Ces conditions, sign�es de Louis et de Thomas Kertk, furent accept�es le dix-neuf juillet par Champlain et Pont-Grav�, et approuv�es ensuite � Tadoussac par l'amiral David Kertk 26.

Note 26: (retour) Ferland, Cours d'Hist. du Canada.

Le capitaine Louis cependant avait mis une restriction, au sujet des petites sauvagesses que Champlain d�sirait emmener; le lendemain, les trois vaisseaux anglais �tant entr�s dans la rade, Champlain se rendit aupr�s de lui, anxieux de savoir pourquoi on ne voulait pas lui permettre de garder ces deux petites filles, qu'il instruisait avec soin depuis deux ans, et qui lui �taient fort attach�es. Louis Kertk finit par lui accorder sa demande; ce que le g�n�ral David cependant ne voulut jamais ratifier, quelque supplication que lui en f�t l'auteur.

Avant de livrer la place, Champlain demanda quelques soldats pour emp�cher qu'on ne ravage�t rien en la chapelle, chez les P�res R�collets, les P�res J�suites, la veuve H�bert, et en quelques autres lieux; ce qui fut lib�ralement accord�. Le capitaine Louis descendit � terre avec cent cinquante hommes, et prit possession de l'habitation et du fort. �Voulant d�loger de mon logis, dit Champlain, jamais il ne le voulut permettre, quelxviii je ne m'en allasse tout � fait hors de Qu�bec, me rendant toutes les sortes de courtoisies qu'il pouvait s'imaginer.� Il lui permit encore de continuer � faire c�l�brer la sainte messe, et lui donna �un certificat de tout ce qui �tait tant au fort qu'� l'habitation.�

Le dimanche, 22 juillet, le capitaine Louis �fit planter l'enseigne anglaise sur un des bastions, battre la caisse, et assembler ses soldats, qu'il mit en ordre sur les remparts, faisant tirer le canon des vaisseaux; apr�s, il fit jouer toute l'escopetterie de ses soldats, le tout en signe de r�jouissance.�

�Depuis que les Anglais eurent pris possession de Qu�bec, dit Champlain, les jours me semblaient des mois.� Louis Kertk lui permit de descendre � Tadoussac, en attendant le d�part des vaisseaux. Il laissa au capitaine anglais une partie de son ameublement, et s'embarqua sur le vaisseau de Thomas Kertk.

Au moment o� Champlain allait partir, Guillaume Couillard, gendre de la veuve H�bert, et quelques autres qui avaient leur famille, voyant que les Anglais les traitaient bien et voulaient les engager � rester � Qu�bec, vinrent le trouver pour lui demander son avis. Il leur repr�senta qu'ils devaient avant tout consid�rer l'int�r�t et le salut de leurs �mes; que, pour cette ann�e, cependant, s'il �tait � leur place, il ferait la cueillette des grains, et, apr�s en avoir tir� le meilleur parti possible, il s'en reviendrait en France, si toutefois le Canada n'�tait rendu � ses premiers ma�tres. �Ils me remerci�rent, dit-il, du conseil que je leur donnai;lxix qu'ils le suivraient, esp�rant n�anmoins nous revoir la prochaine ann�e avec l'aide de Dieu.� 27

Note 27: (retour) Les familles qui rest�rent � Qu�bec �taient au nombre de cinq (voir �dit. 1632, deuxi�me partie, p. 249, note 2). Ce sont ces familles que l'auteur appelle quelquefois habitants, par opposition au personnel de la traite, qui formait une population flottante et mobile. Toutes les personnes qui n'�taient ici que pour le service de la compagnie, retourn�rent en France; les habitants demeur�rent.

Champlain quitta Qu�bec le 24 juillet, avec Thomas Kertk. Le lendemain, comme on �tait par le travers de la Malbaie, on aper�ut, du c�t� du nord, un vaisseau qui mettait sous voile, et t�chait de gagner le vent, pour �viter la rencontre. Il se trouva que c'�tait �meric de Caen. Le capitaine anglais commanda d'approcher, pour le saluer de quelques canonnades, �qui lui furent aussit�t r�pondues par autres coups de meilleure amonition.� Comme il voulait en venir � l'abordage, il fit descendre Champlain et les autres fran�ais sous le tillac, et clouer les panneaux sur eux. Le vaisseau anglais aborda de bout, et cramponna une patte de son ancre � celui d'�meric de Caen; de mani�re que les assaillants ne pouvaient entrer que par le beaupr�, un � un, et ceux qui risquaient le passage �taient s�rs de se faire massacrer les uns apr�s les autres. En attendant, l'�quipage de Kertk se faisait foudroyer. Une partie de ses hommes se jet�rent au fond du vaisseau, et il se vit oblig� de les faire remonter � coups de plat d'�p�e. Enfin �meric de Caen, craignant peut-�tre de ne pouvoir conserver longtemps l'avantage de sa position, voyant d'ailleurs approcher les deux pataches anglaises, cria: Quartier! quartier! Thomas Kertk ne se fit pas prier; le combat cessa de part et d'autre.

�meric de Caen, apprenant que Champlain �taitlxx � bord du vaisseau anglais, demanda � lui parler. On fait ouvrir les panneaux, et Kertk, d'un ton un peu embarrass�, dit � l'auteur: �Assurez-vous que si l'on tire du vaisseau, vous mourrez. Dites-leur qu'ils se rendent; je leur ferai pareil traitement qu'� votre personne; autrement, ils ne peuvent �viter leur ruine, si les deux pataches arrivent plus t�t que la composition ne soit faite.�—�Il vous est facile, r�pondit Champlain, de me faire mourir en l'�tat que je suis. Vous n'y auriez pas d'honneur, en d�rogeant � votre promesse et � celle de votre fr�re. Je ne puis commander � ces personnes-l�, et ne peux emp�cher qu'ils ne fassent leur devoir.� Il consentit n�anmoins � les engager � accepter une composition �quitable; ce qui se fit fort � propos, car, un moment apr�s, les deux pataches arrivaient sur eux. Kertk leur fit d�fense de rien faire au vaisseau fran�ais.

�L'ex�cution faite, dit l'auteur, nous nous en all�mes � la rade de Tadoussac, trouver le g�n�ral Kertk.� Celui-ci, content de cette prise, fit � Champlain un fort bon accueil.

Pendant son s�jour � Tadoussac, Champlain eut occasion de faire de s�v�res remontrances aux perfides truchements �tienne Br�l�, Nicolas Marsollet et quelques autres, en particulier au tra�tre Jacques Michel, qui s'�tait vendu aux Anglais, et s'�tait charg� de les piloter dans le fleuve.

L'amiral David bl�ma fortement son fr�re Louis, d'avoir donn� si facilement le certificat que lui avait demand� Champlain, et qui contenait l'inventaire de tout ce qui avait �t� trouv� � l'habitation delxxi Qu�bec, pr�tendant qu'il ne l'avait autoris� qu'� accepter les articles de la capitulation.

La flotte anglaise quitta la rade de Tadoussac au mois de septembre, et repassa en France avec Champlain et tous ceux qui ne voulurent point rester � Qu�bec, c'est-�-dire, Pont-Grav� et les employ�s de la traite, les religieux r�collets et j�suites, et ceux qui, n'ayant point leur famille, n'avaient aucune raison de sympathiser avec de nouveaux ma�tres.

Le 27 octobre, Kertk �tait � Douvre, d'o� Champlain �crivit � M. de Lauson pour le pr�venir qu'il allait se rendre � Londres aupr�s de l'ambassadeur fran�ais, et qu'il pr�t des mesures n�cessaires pour sauvegarder les int�r�ts de la soci�t� et du roi.

En arrivant � Plymouth, l'amiral Kertk fut bien f�ch� d'apprendre que la paix avait �t� conclue entre la France et l'Angleterre avant la prise de Qu�bec.

Champlain demeura pr�s de cinq semaines � Londres, aupr�s de l'ambassadeur. �Je donnai, dit-il, des m�moires, et le proc�s-verbal de ce qui s'�tait pass� en ce voyage, l'original de la capitulation et une carte du pays pour faire voir aux Anglais les d�couvertures et possession qu'avions prise du dit pays de la Nouvelle-France premier que les Anglais.� Trouvant enfin que les n�gociations tra�naient en longueur, il obtint de l'ambassadeur de pouvoir se rendre en France. M. de Ch�teauneuf le laissa partir avec l'assurance que le roi d'Angleterre consentirait � rendre le fort et l'habitation de Qu�bec.

lxxiiCe ne fut qu'au printemps de 1632, le 29 mars, que les difficult�s furent d�finitivement r�gl�es par le trait� de Saint-Germain-en-Laye. Le temps que Champlain passa en France, fut employ� � publier une nouvelle �dition de tous ses Voyages, ou plut�t une histoire compl�te de tout ce qui s'�tait pass� en Canada depuis la fondation de cette colonie.

Comme la prise de Qu�bec par les Anglais avait caus� � M. de Caen de graves dommages, il semblait juste de lui fournir l'occasion de r�parer ses pertes. En cons�quence, le roi lui accorda la jouissance des revenus du pays pendant une ann�e, apr�s laquelle Champlain devait reprendre son ancienne charge. �meric de Caen fut donc envoy� � Qu�bec, comme commandant non-seulement de la flotte, mais encore de toute la colonie. Sous ses ordres fut plac� le sieur du Plessis-Bochart, dont la pr�sence �tait propre � contre-balancer les tendances calvinistes du chef28.

Note 28: (retour) Ferland, Cours d'Hist. du Canada.

Au moment o� elle allait prendre la direction de la colonie, la compagnie des Cent-Associ�s crut devoir user de beaucoup de prudence dans le choix de celui qu'on enverrait pour la gouverner. Personne ne parut plus propre que Champlain � remplir cette charge importante. Il fut donc pr�sent� par les associ�s au cardinal de Richelieu, qui, par une commission en date du premier mars 1633, le nomma son lieutenant �en toute l'�tendue du fleuve Saint-Laurent et autres.�

Champlain partit de Dieppe le 23 mars 1633, avec trois vaisseaux bien �quip�s, le Saint-Pierre,lxxiii le Saint-Jean et le Don-de-Dieu. La petite flotte portait pr�s de deux cents personnes, tant mariniers que colons, les P�res Ennemond Mass� et Jean de Brebeuf, une femme et deux petites filles. Au moment d'entrer dans le golfe, une violente temp�te de nord-ouest l'obligea de rel�cher � Sainte-Anne du Cap-Breton; peu apr�s, une seconde bourrasque la contraignit d'aller chercher un refuge � l'�le de Saint-Bonaventure. Enfin, au bout de deux mois jour pour jour, le vaisseau qui portait Champlain mouilla devant Qu�bec, le 23 mai29.

Note 29: (retour) Mercure fran�ais, t. xix. La Relation de 1633 fait arriver Champlain le 22.

La joie des habitants du pays fut grande quand ils virent arriver le fondateur de la colonie. �Ce jour, dit le P. le Jeune, nous a �t� l'un des bons jours de l'ann�e.� Tous connaissaient sa sagesse, son exp�rience et son admirable d�vouement. On voyait rena�tre toutes les esp�rances du pass�. Aussi l'on peut dire que d�s lors la Nouvelle-France, si cruellement �prouv�e, prit comme une nouvelle naissance, et se trouva bient�t assez forte pour vivre de sa propre vie, au milieu de ces grandes for�ts du Nouveau-Monde.

Aussit�t que le Saint-Jean eut mouill� l'ancre dans la rade, Champlain fit sommer le sieur �meric de Caen de remettre le fort et l'habitation entre les mains de M. du Plessis-Bochard, en vertu du commandement qui lui �tait fait de la part du cardinal de Richelieu.

L'apr�s-midi, le sieur de Caen quitta le fort avec ses hommes, et M. du Plessis-Bochard y entra avec les siens. Le jour suivant, 24 de mai, les clefslxxiv furent remises entre les mains de Champlain. M. du Plessis prit alors la charge d'amiral de la flotte.

Champlain, en possession de son nouveau gouvernement, s'occupa d'abord des affaires de la traite, qui pressaient davantage. Il venait d'arriver des Trois-Rivi�res dix-huit canots algonquins, et l'on savait que les Anglais avaient trois vaisseaux � Tadoussac, d'o� ils �taient m�me mont� jusqu'au Pilier.

Champlain, se doutant que les sauvages pourraient aller les trouver jusque l�, tint conseil avec eux, et leur fit entendre, par la bouche de l'interpr�te Olivier le Tardif, qu'ils prissent bien garde � ce qu'ils avaient � faire: ces Anglais �taient des usurpateurs, qui ne faisaient que passer; tandis que les Fran�ais demeuraient au pays d'une mani�re permanente, et qu'il �tait de l'int�r�t de tous que leur ancienne amiti� continu�t toujours.

Le chef algonquin r�pondit par une harangue aussi fine et d�licate, que pleine d'une m�le �loquence. �Tu ne veux pas, dit-il en finissant, que nous allions � l'Anglais: je vais dire � mes gens qu'on n'y aille point; si quelqu'un y va, il n'a pas d'esprit. Tu peux tout: mets des chaloupes aux avenues, et prends les castors de ceux qui iront.�

Afin d'�ter aux sauvages d'en haut la pens�e de descendre au-devant des Anglais, Champlain �tablit un nouveau poste, sur l'�let de Richelieu, qui commande l'un des passages o� le chenal du fleuve est le plus �troit; ce lieu avait en outre l'avantage d'�tre assez rapproch� de Qu�bec pour que l'on p�t, au besoin, faire monter dans quelques heures les marchandises et les objets n�cessaires � la traite.

lxxvNon content de veiller aux int�r�ts de la compagnie, Champlain, d�s son arriv�e, d�ploya toute l'ardeur de son z�le pour l'honneur du culte et le progr�s des missions. Il se donna une peine infinie pour d�cider les Hurons � emmener avec eux quelqu'un des P�res qui avaient d�j� commenc� � instruire leur nation.

A peine la traite finie, il voulut accomplir un voeu qu'il avait fait depuis la prise de Qu�bec par les Anglais. Il �rigea, tout pr�s de l'esplanade du fort, � l'endroit o� est aujourd'hui le ma�tre autel de Notre-Dame de Qu�bec, une nouvelle chapelle, qui fut appel�e Notre-Dame de Recouvrance, tant en m�moire du recouvrement du pays, que parce qu'on y pla�a un tableau recouvr� d'un naufrage.

Se voyant second� de plus en plus efficacement par les bonnes dispositions de la compagnie, il entreprit une autre fondation, o� l'on se promettait que les missionnaires pourraient faire un grand fruit; il envoya le sieur La Violette aux Trois-Rivi�res, pour y �tablir une habitation et un fort; ce qui fut commenc� le 4 juillet 1634. Le P. le Jeune et le P. Buteux all�rent y r�sider aussit�t que le logement fut pr�t � les recevoir.

Enfin, apr�s avoir donn� � sa ch�re colonie, de nombreux t�moignages d'un d�vouement sans bornes et d'une pi�t� aussi ardente qu'�clair�e, �Champlain, comme dit si bien le P. le Jeune, prit une nouvelle naissance au Ciel le jour m�me de la naissance de notre Sauveur en terre;� il mourut le jour de No�l, 25 d�cembre 1635, aim� et respect� de tous ceux qui l'avaient connu.

lxxvi�Nous pouvons dire, continue le m�me P�re, que sa mort a �t� remplie de b�n�dictions. Je crois que Dieu lui a fait cette faveur en consid�ration des biens qu'il a procur�s � la Nouvelle-France. Il avait v�cu dans une grande justice et �quit�, dans une fid�lit� parfaite envers son roi et envers Messieurs de la Compagnie; mais, � la mort, il perfectionna ses vertus, avec des sentiments de pi�t� si grands, qu'il nous �tonna tous. Quel amour n'avait-il point pour les familles d'ici! disant qu'il les fallait secourir puissamment, et les soulager en tout ce qu'on pourrait en ces nouveaux commencements, et qu'il le ferait si Dieu lui donnait la sant�. Il ne fut pas surpris dans les comptes qu'il devait rendre � Dieu: il avait pr�par� de longue-main une confession g�n�rale, qu'il fit avec une grande douleur au P. Lalemant, qu'il honorait de son amiti�. Le P�re le secourut en toute sa maladie, qui fut de deux mois et demi, ne l'abandonnant point jusques � la mort. On lui fit un convoi fort honorable, tant de la part du peuple, que des soldats, des capitaines et des gens d'�glise. Le P. Lalemant y officia, et l'on me chargea de l'oraison fun�bre, o� je ne manquai point de sujet. Ceux qu'il a laiss�s apr�s lui ont occasion de se louer; que s'il est mort hors de France, son nom n'en sera pas moins glorieux � la post�rit�.�




i/1

PR�FACE
DE LA PREMI�RE �DITION
du Voyage aux Indes

Il y a � peine quinze ans, on ignorait, en Canada, l'existence du manuscrit dont nous donnons aujourd'hui la premi�re �dition fran�aise. Dans une lettre, en date du 15 d�cembre, 1855, M. de Puibusque racontait � feu le Commandeur Viger, comment il avait d�couvert, � Dieppe, cet �crit de Champlain, dont il n'avait jamais entendu parler auparavant.

�Ce manuscrit, ajoute-t-il, est la propri�t� de M. F�ret, le plus honn�te r�publicain de France, ex-maire de 1848, antiquaire et po�te, qui occupait, il y a un an � peine, la place de biblioth�caire de la ville, Quoique d'un abord assez froid et tr�s-r�serv� avec les �trangers, comme le sont en g�n�ral les Normands, M. F�ret s'est montr� d'une obligeance, extr�me; il m'a confi� son manuscrit, en m'autorisant � le copier, et � faire de ma copie tel usage que je voudrais. Inform� par lui-m�me qu'un fran�ais et un am�ricain avaient d�j� joui d'un privil�ge semblable, j'aurais pu, sans indiscr�tion, en user aussi; il m'a paru de meilleur go�t deiib/2 m'imposer la restriction qu'on ne m'imposait pas; je me suis born� � r�sumer la relation in�dite, ne citant �� et l� le texte de divers passages, que pour caract�riser plus fid�lement la pens�e et le style de Champlain.�

C'est ce r�sum� qui fut envoy� alors au Commandeur Viger. M. l'abb� Verreau, devenu propri�taire de ce travail, l'a lib�ralement laiss� � notre disposition tout le temps que nous avons voulu.

Plein de sympathie pour tout ce qui �tait canadien, M. de Puibusque avait eu un instant l'esp�rance de faire l'acquisition du manuscrit de Dieppe, pour procurer � la ville de Qu�bec un souvenir et comme une relique de son fondateur. �J'ai senti, dit-il en cette m�me lettre, qu'il y avait l� une conqu�te inappr�ciable � faire pour le Canada, et j'ai os� l'entreprendre. D'abord, M. F�ret semblait assez dispos� � c�der son manuscrit, qui n'a r�ellement aucun int�r�t pour sa ville natale; je �'ai pri� d'en fixer le prix, en m'engageant � le payer imm�diatement de mes propres deniers, ou, s'il le pr�f�rait, � le mettre directement en rapport avec M. Faribault. Je promis en outre que, si mon offre �tait agr��e, je ferais cession gratuite de mon acquisition � la ville de Qu�bec. A mon grand �tonnement, M. F�ret, qui s'�tait avanc�, recula; ses r�ponses �vasives me firent soup�onner un obstacle cach�; je ne me trompais pas...�

L'analyse de M. de Puibusque �tait sans doute pr�cieuseiii/3 par elle-m�me; mais nous avons trop bien connu M. Viger pour croire qu'il approuv�t compl�tement le motif de d�licatesse qui ne lui valut qu'un r�sum�. Sous ce rapport, nous nous sentons l'�me un peu faite comme celle du Commandeur; nous aimons singuli�rement les oeuvres compl�tes et les reproductions int�grales. Il nous en e�t co�t� beaucoup de ne publier qu'un compte-rendu, si bien fait qu'il puisse �tre, du premier voyage de Champlain, le seul peut-�tre qui ait �chapp� � la main d'un retoucheur.

La providence se chargea d'arranger les choses.

Une indisposition assez grave vint mettre notre ami M. l'abb� R. Casgrain dans une esp�ce de n�cessit� d'aller demander � l'Europe une distraction et un soulagement � sa sant� d�labr�e. Il fut accueilli � Dieppe avec la m�me bienveillance que M. de Puibusque. M. Faret lui permit volontiers de copier non-seulement le texte, mais les soixante et quelques dessins dont il est illustr�. Ici, nous ne savons auquel des deux nous devons plus de reconnaissance, ou � M. l'abb� Casgrain, qui n'a pas craint de s'exposer � aggraver ses souffrances, en s'astreignant � copier de sa main et � collationner avec un soin infini le pr�cieux document, ou � M. F�ret, qui a donn� � notre ami et compatriote une pareille marque de confiance et un si beau t�moignage de sa lib�ralit�.

Voici la description que M. de Puibusque fait du manuscrit: �Son format est in-quarto; il a 115 pagesiv/4 et 62 dessins faisant corps avec le texte, colori�s et encadr�s de lignes bleues et jaunes. La couverture est en parchemin tr�s-fatigu�; le plat inf�rieur est d�chir�, les derniers feuillets sont racornis, et la main d'un enfant y a trac� de gros caract�res sans suite. L'�criture nette et bien rang�e ressemble � celle des lettres conserv�es aux archives des Affaires �trang�res; cependant, ces derni�res sont moins soign�es, et il est ais� de remarquer la diff�rence naturellement produite par l'�ge apr�s un intervalle de trente-cinq ans. Le manuscrit en effet est de 1601 a 1603. M. F�ret en a fait l'acquisition, il y a longtemps et par hasard, d'une personne qu'il suppose descendant collat�ral du Commandeur de Chaste.�

L'original de cette lettre dont nous venons de donner quelques extraits, appartient aussi � M. l'abb� H. Verreau.

L'excellente traduction que M. Alice Wilmere a faite du Voyage aux Indes, pour la Soci�t� Hakluyt, nous a �t� d'un grand secours, et nous avons abondamment puis� dans les curieuses et savantes notes de l'�diteur M. Norton Shaw. Le Canada doit savoir gr� � cette soci�t�, d'avoir si bien appr�ci� le m�rite de Champlain.



1/5

BRIEF DISCOURS

DES CHOSES PLUS REMARQUABLES
QUE SAMMUEL CHAMPLAIN DE BROUAGE

A reconneues aux Indes Occidentalles

Au voiage qu'il en a faict en icelles en l'ann�e mil vc iiij.xx xix.
& en l'ann�e mil vjc.j. 30 comme ensuit.

Note 30: (retour) En l'ann�e 1599 et en l'ann�e 1601. Dans le manuscrit original, ces deux dates, �crites d'une mani�re assez peu usit�e, sont presque illisibles. La traduction anglaise de la soci�t� Hakluyt porte: in the years one thousand five hundred and ninety-nine to one thousand six hundred and two. Mais quiconque examinera le manuscrit avec attention, se convaincra qu'il faut lire: 1599 et 1601, comme nous le figurons ici dans le titre. Du reste, ce sont les seuls chiffres qui s'accordent avec le texte.

====================================================================

yant est� employ� en l'arm�e du Roy qui estoit en Bretaigne soubz messieurs le Mareschal d'Aumont31, de St Luc 32, & Mareschal de Brissac33, en qualit� de Mareschal des logis de la dicte arm�e durant quelques ann�es, & jusques � ce que Sa Majest� eust en l'ann�e 1598, reduict en son obeissance ledict pa�s de Brestaigne, & licenci� son arm�e, me voyant par ce moyen sans aucune charge ny employ, je me resolus, pour ne demeurer oysif, de trouver moyen de faire ung voiage en Espaigne,2/6 y estant pratiquer & acqu�rir des cognoissances pour par leur faveur & entremise faire en sorte de pouvoir m'enbarquer dans quelqu'un des navires de la flotte que le Roy d'Espaigne envoye tous les ans aux Indes Occidentalles, affin d'y pouvoir m'y enbarquer34 des particuliarit�s qui n'ont peu estre recongneues par aucuns Fran�oys, � cause qu'ils n'y ont nul acc�s libre, pour � mon retour en faire rapport au vray � Sa Majest�. Pour donc parvenir � mon desseing, je m'en allay � Blavet35, o� lors il y avoit garnison d'Espaignolz, auquel lieu je trouvay ung mien oncle nomm� le Cappitainne Proven�al, tenu pour ung des bons mariniers de France, & qui en ceste qualit� avoit est� entretenu par le Roy d'Espaigne comme pillotte g�n�ral en leurs arm�es de mer. Mon dict oncle ayant receu commandement de monsieur le Mareschal de Brissac de conduire les navires dans lesquels l'on feist embarquer les Espaignols de la garnison dudict Blavet, pour les repasser en Espaigne, ainsi qu'il leur avoit est� promis, je m'enbarquay avec luy dans ung grand navire du port de cinq cents thonneaux, nomm� le St Julian, qui avoit est� pris & arrest� pour ledict voiage, o� estant partis dudict Blavet au commencement du moys d'aoust, nous arrivasmes dix jours apr�s proche du cap Finneterre36, que nous ne peusmes reconnoistre � cause d'une grande3/7 brume qui s'�leva de la mer, au moyeu de laquelle tous nos vaisseaux se separerent, & mesme nostre admirande de la flotte se pensa perdre, ayant touch� � une roche, & pris force eau, dans lequel navire & � toute la flotte commandoit le g�n�ral Soubriago37, qui avoit est� envoi� par le Roy d'Espaigne � Blavet pour cest effect: le lendemain le temps s'estant esclarcy, tous nos mariniers se rejoignirent ensemble, & feusmes aux isles de Bayonne en Gallice, pour faire radouber ledict navire admiral qui s'estoit fort offens�.

Note 31: (retour) Jean d'Aumont, n� en 1522, et cr�e mar�chal en 1579 par Henri III; il p�rit d'un coup de mousqueton, le 19 ao�t 1595.

Note 32: (retour) Fran�ois d'Espinay de Saint-Luc, beau-fr�re du mar�chal d'Aumont. Il fut nomm�, en 1596, grand-ma�tre de l'artillerie, et fut tu� d'un boulet de canon le 8 septembre 1597.

Note 33: (retour) Charles de Coss�-Brissac, second du nom, mar�chal de France, auquel Louis XIII donna le titre de duc en 1612.

Note 34: (retour) Enqu�rir.

Note 35: (retour) Blavet, dernier poste occup� par les Espagnols en Bretagne, fut rendu � la France par le trait� de Vervins, en juin 1598. Cette forteresse (aujourd'hui Port-Louis) �tait situ�e � l'embouchure de la rivi�re de Blavet. Ruin�e pendant les guerres de la Ligue, elle fut reb�tie avec les anciens mat�riaux, et fortifi�e de nouveau par Louis XIII, Qui lui donna son nom.

Note 36: (retour) Voir Planche I.

Note 37: (retour) Nom �videmment d�figur�. (Note de M. de Puibusque.)

Ayant sejour� six jours auxdictes isles, feismes voille, & allasmes reconnoistre le cap de Sainct Vincent troys jours apr�s: ledict cap est figur� en la page suivante38.

Le dict cap estant doubl� nous allasmes au port de Callix39, dans lequel estant entr�s, les gens de guerre furent mis � terre, apr�s laquelle descente les navires fran�oys qui avoient est� arrest�s pour traict furent cong�diez & renvoyez chacun en son lieu, hors mis ledict navire sainct Julian, qui ayant est� reconnu par ledict Soubriago g�n�ral ung fort navire & bon de voille, fust par luy arrest� pour faire service au Roy d'Espaigne, & par ainsy ledict cappitaine Proven�al mon oncle demeura tousjours en iceluy, & sejournasmes audict lieu de Callis un moys entier, durant lequel j'eu le moyen de reconnoistre l'isle dudict Callis, dont la figure en suit 40.

Note 38: (retour) Voir Planche II.

Note 39: (retour) Cadix.

Note 40: (retour) Voir Planche III.

4/8Partant dudict Callix nous fusmes � St Luc de Baramedo41, qui est � l'entr�e de la riviere de Siville, o� nous demeurames troys moys, durant lesquels je feus � Siville, en pris le dessin, & de l'autre, que j'ay jug� � propos de representer au mieux qu'il m'a est� possible en ceste page & en la suivante42.

Note 41: (retour) San-Lucar de Barameda.

Note 42: (retour) Voir Planches. IV et V.

Pendant les troys moys que nous fusmes de sejour audict St Luc de Baramedo il y arriva une patache d'advis, venant de Portoricco, pour advertir le Roy d'Espaigne que l'arm�e d'Angleterre estoit en mer avec desseing d'aller prendre ledict Portoricco: sur lequel advis ledict Roy d'Espaigne, pour le secourir, fist dresser une arm�e du nombre de vingt vaisseaux & de deux mille hommes, tant soldats que mariniers, entre lesquels navires celuy nomm� le St Julian fust reteneu, & fust command� � mon oncle de faire le voiage en iceluy, dont je receus une extresme joye, me promettant par ce moien de satisfaire � mon desir, & pour ce je me resolus fort aisement d'aller avec luy, mais quelque diligence que l'on peut faire � radouber, avitaller & esquipper lesdicts vaisseaux, avant que pouvoir estre mis � la mer, & sur le point que nous debvions partir pour aller audict Portoricco, il arriva des nouvelles par une patache d'advis qu'il avoit est� pris des Anglois, au moien de quoy ledict voiage fust rompu � mon grand regret pour me voir frustr� de mon esperance.

Or en mesme temps l'arm�e du Roy d'Espaigne, qui a accoustum� d'aller tous les ans aux Indes,5/9 s'appareilloit audict St Luc, il vint de la part dudict Roy ung seigneur nomm� Domp Francisque Colombe, Chevalier de Malte, pour estre g�n�ral de ladicte arm�e, lequel voiant nostre vaisseau appareill� & prest � servir, & sachant par le rapport qu'on luy avoit faict, qu'il estoit fort bon de voille pour son port, il resolut de s'en servir, & le prendre au fraict ordinaire, qui est ung escu pour thonniau par mois, de sorte que j'eus occasion de me resjouir voiant naistre mon esperance, d'autant mesme que le Cappitaine Proven�al mon oncle ayant est� reteneu par le g�n�ral Soubriago pour servir ailleurs, & ne pouvant faire le voiage, me commist la charge dudict vaisseau pour avoir esgard � iceluy, que j'acceptay fort volontiers, & sur ce nous fusmes trouver ledict sieur g�n�ral Colombe pour savoir s'il auroit agr�able que je fisses le voiage, ce qu'il me promist librement, avec des tesmoignages d'en estre fort aise, m'ayant promis sa faveur & assistance, qu'il ne m'a depuis desni�s aux occasions.

La dicte arm�e fist � la voille au commencement du mois de janvier de l'an 1599, & trouvant tousjours le vent fort aigre, dans six jours nous reconusmes les illes Canaries.

Partant desdictes illes Canaries nous allasmes passer par le goulphe de Las Damas, aiant vent en pouppe, qui nous continua de fa�on que deux mois six jours apr�s nostre partement de St Luc nous eusmes la veue d'une ille nomm�e La Defeade, qui est la premi�re ille qui faut que les pillottes recognoissent nesessairement pour aller en toutes les6/10 autres illes & ports des Indes. Ceste ille est ronde, assez hault en mer, & contient en rond sept lieues, plaine de bois & inhabit�e, mais il y a bonne radde � la bande de l'est.

De la dicte Ille nous feusmes � une autre ille nomm�e La Gardalouppe, qui est fort montaigneuse, habit�e de sauvages43, en laquelle il y a quantit� de bons ports, � l'un desquels nomm� Nacou nous feusmes prendre de l'eau, & comme nous mettions pied � terre veismes plus de trois cents sauvaiges qui s'en fuirent dedans les montaignes sans qu'il fust � nostre puissance d'en attrapper un seul, estant plus disposts � la course que tous ceux des nostres qui les voulurent suivre. Ce que voiant, nous en retournasmes dans nos vaisseaux apr�s avoir pris de l'eau & quelques refreschissements, comme chair & fruicts de plaisans goust: ceste ile contient environ vingt lieux de long & douze de large, dont la forme est telle que la figure suivante44.

Note 43: (retour) Le premier �tablissement � la Guadeloupe fut fait par les Fran�ais en 1635, par les sieurs DuPlessis et Olive. (Note de l'�d. Soc. Hakl.)

Note 44: (retour) Voir Planche VIII.

Apres avoir demeur� deux jours audict port de Nacou, le troisiesme jour nous nous remismes � la mer, & passasmes entre des iles que l'on nomme Las Virgines, qui sont en telle quantit� que l'on n'en a peu dire le nombre au certain; mais bien qu'il y en a plus de huict cents descouvertes, elles sont toutes desertes & inhabit�es, la terre fort haulte, plaine de bois, mesmes de palmes & ramasques qui y sont communes comme les chesnes & ormeaux par7/11 de��: il y a grande quantit� de bons ports & havres entre lesdictes illes qui sont icy aucunement figur�es45.

Note 45: (retour) Voir Planche IX.

D'icelles illes nous feusmes � l'isle de La Marguerite46, o� se peschent les perles: dans cette ile y a une bonne ville que l'on appelle du mesme nom La Marguerite. Elle est fort fertille en bleds & fruicts. Il sort tous les jours du port de ladicte ville plus de trois cents canaulx qui vont � une lieue � la mer pescher lesdictes perles � dix ou douze brasses d'eau. Ladicte pesche se faict par les naigres esclaves du Roy d'Espaigne, qui prennent ung petit panier soubs le bras, & avec iceluy plongent au fond de la mer, & l'enplissent d'ostrormes qui semblent d'huistres, puis remontent dans ledict port se descharger au lieu � ce destin�, o� sont les officiers dudict Roy qui les re�oivent47.

Note 46: (retour) Voir Planche XI.

Note 47: (retour) Voir Planche X.

De ladicte ille nous allasmes � Portoricco 48, que nous trouvasmes fort desol�, tant la ville que le chatiau ou forteresse qui est fort bonne, & le port bien bon & � l'abry de tous vents fors de nordest qui donne droict dans ledict port. La ville est marchande: elle avoit est� puis peu de tems pill�e des Anglois, qui avoient laiss� des marques de leur veneue. La plus part des maisons estoient br�l�es, & ne s'y trouva pas quatre personnes outre quelques naigres qui nous dirent que les marchands dudict [lieu] avoient est� la plus part enmen�s prisonniers par les Anglois, & les autres qui avoient peu s'estoient8/12 sauv�s dans les montaignes, d'o� ils n'avoient encor os� sortir pour la prehension qu'ils avoient du retour des Anglois, lesquels avoient charg� tous les douze navires dont leur arm�e estoit compos�e, de sucres, cuirs, gingembre, or & argent, car nous trouvasmes encor en ladicte ville quantit� de sucres, gingembre, canisiste49, miel de cannes50 & conserve de gingembre que les Anglois n'avoient peu charger. Ils emport�rent aussy cinquante pi�ces d'artillerie de fonde qu'ils prindrent dans la forteresse en laquelle nous fusmes, & trouvasmes toute ruin�e & les ranparts abbatus. Il y avoit quelques Indiens qui s'y estoient retir�s, & qui commencoient � relever lesdicts ranparts: le g�n�ral s'informa d'eux comme ceste place avoit est� prise en sy peu de temps. L'un d'iceux, qui parloit assez bon espaignol, luy dict que le gouverneur dudict chasteau de Portoricco ny les plus anciens du pa�s ne pensoient pas que � deux lieux de l� y eust aucune descente, selon le rapport qui leur en avoit est� fait par les pillottes du lieu, qui asseuroient mesmes que � plus de six lieux du dict chasteau il n'y avoit aucun endrois o� les ennemis peussent faire descente, ce qui fust cause que ledict gouverneur se tint moins sur ses gardes, en quoy il fust fort deceu, car demye lieue dudict chasteau, � la bande de l'est, il y a une descente o� les Anglois mirent pied � terre fort commod�ment, laissant leurs vaisseaux qui estoient du port de deux cents, cent cinquante & cent thonneaux9/13 en la radde en ce mesme lieu, & prindrent le temps sy � propos qu'ils vindrent de nuict � ladicte rade sans estre apperceus, � cause que l'on ne se doubtoit de cela. Ils mirent six cents hommes � terre avec dessainct de piller la ville seulement, n'ayant pas pens� de fere plus grand effet, tenant le chasteau plus fort & mieux gard�. Ils men�rent avec eux troys couleureinnes pour batre les deffences de la ville, & se trouverent au point du jour � une port�e de mousquet d'icelle, avec ung grand estonnement des habitans. Lesdicts Anglois mirent deux cents hommes � ung passage d'une petitte riviere qui est entre la ville & le chasteau, pour empescher, comme ils firent, que les soldats de la garde dudict ch�teau qui logeroient en la ville ny les habitans s'en fuiant n'entrassent en iceluy, & les autres quatre cents hommes donn�rent dans la ville, o� ils trouverent aucune resistance51 de fa�on que en moins de deux heures ils furent maistres de la ville: & ayant sceu qu'il n'y avoit aucuns soldats audict chasteau ny aucunne munition de vivre � l'occasion que le Gouverneur avoit envoy� celles qui y estoient par commandement du Roy d'Espaigne � Cartagenes, o� l'on pensoit que l'ennemy feroit dessente, esperant en avoir d'autres d'Espaigne, estant le plus proche port o� viennent les vaisseaux, les Anglois firent sommer le Gouverneur, & firent offrir bonne composition s'il se vouloit10/14 rendre, sinon qu'ils luy feroient esprouver toutes les rigueurs de la guerre, dont ayant crainte ledict Gouverneur, il se rendict la vie sauve, & s'enbarqua avec lesdicts Anglois, n'osant retourner en Espaigne. Il n'y avoit que quinze jours que lesdicts Anglois estoient partis de ladicte ville o� ils avoient demeur� ung mois: apr�s le partement desquels, lesdicts Indiens s'estoient rali�s, & s'efor�oient de reparer ladicte forteresse, attendant l'arriv�e dudict g�n�ral, lequel fit faire une information du r�cit desdicts Indiens, qu'il envoya au Roy d'Espaigne, & commanda aux dicts Indiens qui portoient la parolle d'aller chercher ceux qu� s'estoient fuis aux montagnes, lesquels sur la parolle retourn�rent en leurs maisons, recevant tel contentement de voir ledict g�n�ral & d'estre delivr�s des Anglois, qu'ils oubli�rent leurs pertes pass�es. Ladicte ille de Portoricco est assez agr�able combien qu'elle soit un peu montaigneuse, comme la figure suivante le montre52.

Note 48: (retour) Voir Planche XII.

Note 49: (retour) Canijiste, de Caneficier, nom donn�, dans les Antilles, au Cassia (Cassia fistula, LINN.) le Keleti des Cara�bes, qui produit le Cassia nigra du commerce. (Ed. Soc. Hakl.)

Note 50: (retour) La m�lasse.

Note 51: (retour) La traduction de la Soci�t� Hakluyt rend ces mots �aucune r�sistance� par no r�sistance, ce qui fait un contre-sens; car aucune r�sistance, sans la n�gative ne, �quivaut � quelque r�sistance, ou certaine r�sistance. C'est ce qui explique pourquoi l'�diteur trouve Champlain en contradiction avec d'autres auteurs. (Narrative of Champlain's Voyage to the Western Indies, p. 10, note I.)

Note 52: (retour) Voir Planche XII.—�La ville de Porto-Rico fut fond�e en 1510. Elle fut attaqu�e par Drake et Hawkins en 1595, mais les Espagnols, inform�s de leur approche, avaient fait de tels pr�paratifs, que Drake fut forc� de se retirer, apr�s avoir br�l� les vaisseaux espagnols qui �taient dans le havre. En 1598, George Clifford, comte de Cumberland, fit une exp�dition, pour s'emparer de l'�le. Il d�barqua ses hommes secr�tement, et attaqua la ville; quand, suivant les rapports espagnols, il rencontra de la part des habitants une vigoureuse r�sistance; le rapport de Champlain d'apr�s des T�moins oculaires qui en avaient �t� les victimes, est bien diff�rent. (Voir la note pr�c�dente.) �Mais en peu de jours, la garnison de quatre cents hommes se rendit, et toute l'�le se soumit aux Anglais. La possession de l'�le �tant jug�e de grande importance, le comte adopta la cruelle mesure d'exiler les habitants � Carthagene, et, en d�pit des protestations et remontrances des malheureux Espagnols, le plan fut mis � ex�cution; il N'en �chappa que fort peu. Cependant les Anglais se trouv�rent bient�t dans L'impossibilit� de garder l'�le; une gri�ve maladie emporta les trois quarts des troupes. Cumberland, d��u dans ses esp�rances, retourna en Angleterre, laissant le commandement � Sir John Berkeley. La mortalit�, faisant de jour en jour de plus grands ravages, for�a les Anglais � �vacuer l'�le, et les Espagnols, bient�t apr�s, reprirent possession de leurs demeures.—Le rapport que fait Champlain de l'�tat de l'�le apr�s le d�part des Anglais, et de la couardise du gouverneur, est curieux; il y a cependant quelque confusion dans ses dates, et relativement � la dur�e de l'occupation de l'�le par les Anglais.� (Ed. Soc. Hakl.)

11/15Ladicte ille est emplye de quantit� de beaux arbres, comme c�dres, palmes, sappins, palmistes, & une mani�re d'autres arbre que l'on nomme sonbrade.53, lequel comme il croit, le sommet de tes branches tombant � terre prend aussy tost racine, & faict d'autres branches qui tombent & prennent racine en la mesme sorte, & ay veu tel [de] ces arbres de telle estendue qu'il tenoit plus d'une lieue & quart: il n'apporte aucun fruict, mais il est fort agr�able, ayant la feuille semblable � celle du laurier, un peu plus tendre.

Note 53: (retour) De l'espagnol sombra, �ombre feuillue.� Ficus americana maxima, le Clusea rosea de Saint-Domingue, ou Figuier maudit marron, (Ed. Soc. Hakl.)—Voir Planche XIII.

Il y a aussy en ladicte Ile quantit� de bons fruicts, � s�avoir plantes54, oranges, citrons d'estrange grosseur, citroulles de la terre qui sont tr�s bonnes, algarobbes55, pappittes56, & un fruict nomm� cora�on57, � cause qu'il est en forme de coeur, de la grosseur du poing, de couleur jaulne & rouge, la peau fort delicatte, & quand on le presse il rend une humeur odoriferente, & ce qu'il y a de bon dans ledit fruict est comme de la bouillye, & a le goust comme de la cr�me sucr�e. Il y a beaucoup d'autres fruicts dont ils ne font pas grand cas, encores qu'ils soient bons: il y a aussy d'une racine qui s'appelle cassave58, que les Indiens mangent en lieu de pain. Il12/16 ne croit ne blee ny vin dans toute ceste ile, en laquelle il y a grande quantit� de cam�l�ons, que l'on dict qu'ils vivent de l'air, ce que je ne puis asseurer, combien que j'en aye veu par plusieurs fois: il a la taiste assez pointue, le corps assez long pour sa grosseur assavoir ung pied & demy, & n'a que deux jambes qui sont devant, la queue fort pointue, mesl�e de couleurs grise jaunastre. Le dict cameleon est cy represent� 59.

Note 54: (retour) Fruit du Plantanier, appel� aux Canaries Plantano,—Voir Planche XIII.

Note 55: (retour) Algaroba, ou Algarova, nom donn� par les Espagnols � certaine esp�ce d'Acacia du nouveau monde, � cause de sa ressemblance avec l'algarobe, caroubier ou f�ve de Saint-Jean, dont la gousse fournit une excellente nourriture pour les bestiaux. (Ed. Soc. Hakl.)—Voir Planche XXXVI.

Note 56: (retour) Pappitte—Curica papaya (LINN.), papayer. (Ed. Soc. Hakl.)

Note 57: (retour) Cora�on. Anona muricata, ou Corassol, de l'espagnol corazon, coeur, ainsi nomm� de la forme du fruit. Quelques �crivains font d�river ce nom de Cura�oa, supposant que la graine fut apport�e par les Danois. Le nom donn� dans le pays �tait memin. (Ed. Soc. Hakl.)—Voir Planche XIV.

Note 58: (retour) Cassava.—Jatropha Manihot. (Ed. Soc. Hakl.)—Voir Planche XXXIII.

Note 59: (retour) Voir Planche XV.

Les meilleures marchandises qui sont dans ladicte Ile sont sucres, gingembre, canisiste, miel de cannes, tabaco, quantit� de cuirs, boeufs, vaches & moutons: l'air y est fort chaud, & y a de petits oyseaux qui resemblent � perroquets, que l'on nomme sus le lieu perriquites, de la grosseur d'un moineau, la queue ronde, que l'on apprend � parler, & y en a grande quantit� en ceste ile60: laquelle ile contient environ soixante dix lieus de long, & de large quarante lieus, environn�e de bons ports & havres, & gist est & ouest. Nous demeur�mes audict Portoricco environ un moys: le g�n�ral y laissa environ troys cents soldats en garnison dans la forteresse, o� il fist mestre quarante six pi�ces de fonte verte qui estoient � Blavet.

Note 60: (retour) Voir Planche XVI.

Au partir dudict Portoricco nostre g�n�ral separa nos galions en troys bandes: il en retint quatre avec luy, en envoya troys � Petronella & trois � la Neufve Espaigne, du nombre desquels estoit le navire o� j'estois, & chacun galion avoit sa patache. Ledict g�n�ral s'en alla � Terre-Ferme, & nous costoyames13/17 toute l'ille de St Domingue de la bande du nord, & fusmes � ung port de ladicte ile nomm� Porto Platte, pour prendre langue s'il y avoit en la coste aucuns vaesseaux estrangers, parce qu'il n'est permis � aucuns estrangers d'y traffiquer, & ceux qui y vont courent fortune d'estre pendus ou mis aux galleres & leurs vaisseaux confisqu�s: & pour les tenir en plus grande crainte d'aborder ladicte terre, le Roy d'Espaigne donne libert� aux naigres qui peuvent descouvrir ung vaisseau estranger, & en donner advis au g�n�ral d'arm�e ou gouverneur, & y a tel naigre qui fera cents cinquante lieus � pied nuict & jour pour donner semblable advis & acqu�rir sa libert�.

Nous mismes pied � terre audict Porto Platte, & fusmes environ une lieue dans la terre sans trouver aucune personne sinon un naigre qui se preparoit pour aller donner advis; mais nous rencontrant, il ne passa pas plus outre, & donna advis � nostre admirande qu'il y avoit deux vaisseaux fran�ois au port de Mancenille, o� ledict admirande se resolut d'aller, & pour ceste effect nous partismes du dict lieu de Porto Platte, qui est un bon port, � l'abry de tous vents, o� il y a troys, quatre & cinq brasses d'eau, comme il est icy figur� 61.

Note 61: (retour) Voir Planche XVII.

Du dict port de Platte, nous vinsmes au port de Mancenille, qui est icy represent� 62, auquel port de Mancenille sceusmes que lesdicts deux vaisseaux estoient au port aux Mousquittes 63, pr�s la Tortue, qui est une petitte isle ainsy nomm�e qui est devant14/18 l'enboucheure dudict port, auquel estans ariv�s le lendemain sur les trois heures du soir, nous apper�umes les dicts deux vaisseaux qui mettoient � la mer pour fuir de nous, mais trop tard: ce qu'eux recognoissans, & qu'ils n'avoient aucun moien de fuir, tous l'esquippage de l'un des vaisseaux qui estoit bien une lieue dans la mer, abandonn�rent leur dict vaisseau, & s'estant jett� dans leur bateau se sauverent � terre: l'autre navire alla donner du bout � terre & se brisa en plusieurs pi�ces, & en mesme temps l'esquippage se sauva � terre comme l'autre, & demeura seulement ung marinier qui ne s'estoit peu sauver � cause qu'il estoit boiteux & ung peu malade, lequel nous dit que les dicts vaisseaux perdeus estoient de Dieppe. Il y a fort belle entr�e au dict port de Mousquitte de plus de deux mille pas de large, & y a ung banc de sable � ouvert, de fa�on qu'il faut ranger la grand terre du cost� de l'est pour entrer audict port, auquel il y a bon ancreage: & y a une isle dedans o� l'on se peut mettre � l'abry du vent qui frappe droict dans le dict port. Ce lieu est assez plaisant pour la quantit� des arbres qui y sont: la terre est assez haulte; mais il y a telle quantitt� de petites mouches, comme chesons ou coufins qui piquent de si estrange fa�on, que sy l'on s'endormoit & que l'on en fust picqu� au visage, il esleveroit au lieu de la piqueure des bussolles enfl�s de couleur rouge, qui rendroient la personne difforme.

Note 62: (retour) Voir Planche XVIII.

Note 63: (retour) Voir Planche XIX.

Ayans apprins de ce marinier boiteux pris dans ledict navire fran�ois, qu'il y avoit traize grands vaisseaux tant fran�ois, anglois que flaments, arm�s15/19 moitye en guerre moitye en marchandise, nostre admiral se resolut de les aller prendre au port St Nicolas, o� ils estoient, & pour ce se pr�para avec trois galions du port de cinq cents thonneaux chacun & quatre pataches, & allasmes le soir mouiller l'ancre � une radde que l'on nomme Monte Cristo, qui est fort bonne & � l'abry du su, de l'est & de l'ouest, & est remarqu�e d'une montaigne qui est droit devant ladicte radde, sy haulte que l'on la descouvre de quinze lieux � la mer: la dicte montaigne fort blanche & reluisante au soleil, & deux lieux autour dudict port est terre assez basse, couverte de quantit� de bois, & y a fort bonne pescherye & ung bon port au dessoubs du dict Monte Cristo, qui est figur� en la page suivante64.

Note 64: (retour) Voir Planche XX.

Le lendemain matin nous feusmes au cap St Nicolas pour y trouver les dicts vaisseaux, & sur les trois heures nous arrivasmes dans la baye dudict cap, & mouillasmes l'ancre le plus pr�s qu'il nous feust possible, ayant le vent contraire pour entrer dedans65.

Note 65: (retour) Voir Planche XXI.

Ayant mouill� l'ancr� nous apperceusmes les vaisseaux desdicts marchands dont nostre admirante se pesiouit fort, s'asseurant de les prendre. Toutte la nuict nous fismes tout ce qu'il estoit possible pour essayer d'entrer dans ledict port, & le matin veneu l'admirante print conseil des cappitaines & pillottes de ce qui estoit � faire: ils luy dirent qu'il falloit juger au pire de ce que l'ennemy pouroit faire pour se sauver, qu'il estoit impossible de fuir sinon16/20 � la faveur de la nuict, ayant le vent bon, ce qu'ils ne se hazarderoient pas de fere le jour, voiant les sept vaisseaux d'armes, & qu'aussy s'ils vouloient faire resistance qu'ils se tiendroient � l'entr�e dudict port, leurs navires amar�s devant & derri�re, tous leurs canons d'une bande & leurs hauts bien pavois�s de cables & de cuirs, & que s'ils se voioient avoir du pire, ils abandonneroient leurs navires & se jetteroient en terre, pour � quoy rem�dier ledict admirante debvoit faire advancer ses vaisseaux le plus pr�s du port qu'il pourroit pour les batre � coups de canon, & faire d�sendre cent des meilleurs soldats � terre pour empescher les ennemis de s'y sauver. Cela fust resolu, mais leurs ennemis ne firent pas ce que l'on avoit pens�: ains ils se pr�par�rent toute la nuict, & le matin veneu ils se mirent � la voille, vindrent pour nous gaigner le vent droict � nos vaisseaux, contre lesquels il leur falloit necessairement passer. Cette resolution fist changer de courage aux Espaignols & adoucir leurs rodomontades: ce fust donc � nous � lever l'ancre avec telle promptitude que dans le navire de l'admirande l'on couppa le c�ble sur les escubbiers, n'ayans loisir de lever leur ancre: ainsy nous fismes aussy � la voille, chargeants & estants charg�s de canonnades. En fin ils nous gaignerent le vent, nous ne laissant pas de les suivre tout le jour & la nuict ensuivant jeusques au matin que nous les vismes � quatre lieux de nous: ce que voiant notre admirante il laissa ceste poursuitte pour continuer nostre route; mais il est bien certain que s'il eust voulu il les eust pris, ayant de meilleurs vaisseaux, plus d'hommes & de munitions17/21 de guerre: & ne furent les vaisseaux estrangers preservez que par la faute de courage des Espaignols.

Durant ceste chasse, il ariva une chose digne de riz�e qui m�rite d'estre recit�e. C'est que l'on vist vue patache de quatre ou cinq thonneaux mell�e parmy nos vaisseaux: l'on demanda plusieurs foys d'o� elle estoit, avec commandement d'amener leurs voilles; mais l'on n'eust aucune responce, combien que l'on luy eust tir� des coups de canon, ains allans tousjours au gr� du vent, ce qui meut nostre amirande de la faire chasser par deux de nos pataches, qui en moins de deux heures furent � elle & l'abord�rent, criant tousjours que l'on amenast leurs voilles sans avoir aucune response, ny sans que leurs soldats voulussent se jeter dedans, encores que l'on ne vist personne sur le tillac. En fin leur cappitainne de nos pataches, qui disoient que ce petit vaisseau estoit gouvern� par ung diable, y firent entrer par menaces des soldats jusques � vingt, qui n'y trouverent rien, & prindrent seulement leurs voilles & laisserent le corps de ceste patache � la mercy de la mer. Ce rapport faict � l'admirante, & la prehension que les soldats avoient eu donna mati�re de rire � tous.

Laissant ladicte Ille St Domingue, nous continuasmes nostre route � la Neufve Espaigne. Ladicte Isle sera figur�e en la page suivante66.

Note 66: (retour) Voir Planche XXII.

La dicte isle de St Domingue est grande, ayant cent cinquante lieues de long & soixante de large, fort fertille en fruicts, bestail & bonnes marchandizes,18/22 comme sucre, canisiste, gingenbre, miel de cannes, coton, cuir de boeuf & quelques foureures. Il y a quantit� de bons ports & bonnes raddes, & seullement une seulle ville nomm�e l'Espaignolle67, habit�e d'Espaignolz; le reste du peuple sont Indiens, gens de bonne nature & qui ayment fort la nation fran�oise, avec laquelle ils trafficquent le plus souvent qu'ils peuvent en fere, toutesfois c'est � des�u des Espaignolz. C'est le lieu aussy ou les Fran�ois traffiquent le plus en ces quartiers l�, & l� o� ils ont le plus d'acc�s, quoy que peu libre.

Note 67: (retour) Aujourd'hui Saint-Domingue.

Ceste terre est assez chaude, en partie montaigneuse; il n'y a aucunne mines d'or ny d'argent, mais seullement de cuivre 68.

Note 68: (retour) Voir Planche XXIII.

Partant donc de ceste isle, nous allasmes costoyer l'isle de Cuba, � la bande du su, terre assez haulte. Nous allasmes reconnoistre de petites isles qui s'appellent les Caymanes69, au nombre de six ou sept: en trois d'iscelles il y a trois bons ports, mais c'est ung dangereux passage, pour les basses & bancs qu'il y a, & ne faict bon s'y advanturer qui ne s�ait bien la routte.

Note 69: (retour) Voir Planche XXV.

Nous mouillasmes l'ancre entre les isles, & y fusmes ung jour: je mis pied � terre en deux d'icelles, & vis ung tr�s beau havre fort agr�able. Je cheminay une lieue dans la terre au travers des bois qui sont fort espais, & y prins des lappins70 qui y sont en grande quantit�, quelques oiseaux, & un l�zard gros comme la cuisse, de couleurs grise & feuille morte.

Note 70: (retour) Voir Planche XXIV.

19/23Ceste isle est fort unie, & toutes les autres de mesmes: nous feusmes aussy en terre en l'autre qui n'est pas sy agr�able, mais nous en apportasmes de tr�s bons fruicts, & y avoit telle quantit� d'oiseaux, qu'� nostre entr�e il s'en leva tel nombre qu'� plus de deux heures apr�s l'air en estoit remply, & d'autres qui ne peuvent voller, de fa�on que nous en prenions assez aisement: ils sont gros comme une oye, la teste fort grosse, le bec fort large, bas sur les jambes, les pieds sont comme ceux d'une poulle d'eau. Quand les oyseaux sont plusm�s, il n'y a pas plus gros de chair qu'une turtre, & est de fort mauvais goust71. Nous levasmes l'ancre le mesme jour au soir avec fort bon vent, & le lendemain sur les trois heures apr�s midy nous arivasmes � ung lieu qui s'appelle La Sonde 72, lieu tr�s dangereux, car � plus de cinq lieues de l� ce ne sont que basses, fors ung canal qui contient... 73 lieues de long & trois de large. Quand nous fusmes au milieu du dict canal, nous mismes vent devant, & les mariniers jetterent leurs lignes hors pour pescher du poisson dont ils pescherent si grande quantit� que les mariniers ne pouvoient fournir � mettre dans le bord des vaisseaux: ce poisson est de la grosseur d'une dor�e 74, de couleur rouge, fort bon sy on le mange frais, car il ne se garde & saumure, & se pourit incontinent. Il faut avoir tousjours la sonde en la main en passant ce canal, � la sortye duquel l'une de nos pataches se20/24 p�rit en la mer sans que nous en peussions s�avoir l'occasion: les soldats & mariniers se sauverent � la nage, les uns sur des planches, autres sur des advirons, autres comme ils pouvoient, & revindrent de plus de deux lieues 75 � nostre vaisseau, qu'il trouverent bien � propos, & les fimes recepvoir par nos bateaux qui alloient au devant d'eux.

Note 71: (retour) Voir Planche XXIV.

Note 72: (retour) Voir Planche XXVI.

Note 73: (retour) Lacune dans le ms. D'apr�s la carte de l'auteur, ce canal a plus de trente lieues de long.

Note 74: (retour) Sparus aurata (LINN.), Brame de mer. Celui de Bahama s'appelle �porgy.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 75: (retour) M. de Puibusque et le traducteur de la Soci�t� Hakluyt ont trouv� ici une lacune; la feuille du manuscrit original n'�tait que repli�e.

Huict jours apr�s nous arivasmes � St Jean de Luz 76, qui est le premier port de la Neufve Espaigne, o� les gallions du Roy d'Espaigne vont tous les ans pour charger l'or, l'argent, pierreries & la cochenille, pour porter en Espaigne. Ce dict port de St Jean de Luz est bien � quatre cents lieues de Portoricco. En ceste isle il y a une fort bonne forteresse, tant pour la situation que pour les bons ramparts, bien munie de tout ce qu'il luy est necessaire, & y a deux cents soldats en garnison, qui est assez pour le lieu. La forteresse comprend toute l'ille, qui est de six cents pas de long & de deux cents cinquante pas de large: outre laquelle forteresses21/25 y a des maisons basties sur pilloties dans l'eau, & plus de six lieues � la mer, & ne sont que basses qui est cause que les vaisseaux ne peuvent entrer en ce port s'ils ne s�avent bien l'entr�e du canal, pour laquelle entr�e faut mettre le cap au surouest, mais est bien le plus dangereux port que l'on s�auroit trouver, qui n'est � aucun abry que de la forteresse du cost� du nord, & y a aux muralles de la forteresse plusieurs boucles de bronze o� l'on amare des vaisseaux qui sont quelque fois sy pressez les ungs contre les autres, que quand il vente quelque vent de nord, qui est fort dangereux, que les dicts vaisseaux se froissent, encor qu'ils soient amar�s devant & derri�re. Le dict port ne contient que deux cents pas de large & deux cents cinquante de long. Et ne tiennent ceste place que pour la commodit� des gallions qui viennent comme dit est, d'Espaigne, pour charger les marchandises or & argent qui se tirent de la Neufve Espaigne.

Note 76: (retour) Voir Planche XXVIII.—�videmment, il est question du fort et ch�teau de Saint-Jean d'Ulloa; mais portait-il ce nom quand Champlain y alla, ou bien Champlain a-t-il confondu Saint-Jean de Luz avec San Juan d'Ulloa? c'est un point contest�. Dans les cartes de Mercator et de Hondius, Amsterdam 1628, 10e �dition, Saint-Jean d'Uloa est plac� sur le vingt-sixi�me degr� de latitude nord, � l'embouchure de la rivi�re De Lama (Rio del Norte). Villa-Rica est mis � la place actuelle de Vera-Cruz; mais il n'y est fait aucune mention soit de Saint-Jean d'Ulloa, soit de Saint-Jean de Luz; et, dans le Voyage de Gage 1625, cette ville est appel�e San Juan d'Ulhua, autrement Vera-Cruz. �Le vrai nom de la ville est San Juan d'Ulhua, autrement Vera-Cruz, de celui du Vieux havre de Vera-Cruz, qui en est � six lieues. Mais le havre de l'ancien Vera-Cruz, ayant �t� trouv� trop dangereux pour les vaisseaux, � cause de la violence du vent de nort, fut enti�rement abandonn� par les Espagnols, qui se retir�rent � San Juan d'Ulhua, o� leurs navires trouv�rent bon ancrage, gr�ce � un rocher qui sert de forte d�fense contre les vents; et, pour perp�tuer la m�moire de cet heureux �v�nement, qui arriva le Vendredi-Saint, ils ajout�rent au nom de San Juan d'Ulhua, celui de la Vraie-Croix, emprunt� au premier havre, qui fut d�couvert le Vendredi-Saint de l'ann�e 1519.� (Gage, Voy. Mexico, 1625.)—Ed. Soc. Hakl.

Il y a de l'autre cost� du chasteau, � deux mille pas d'iceluy en terre ferme, une petite ville nomm�e Bouteron77, fort marchande. A quatre lieues du dict Bouteron il y a encores une autre ville qui s'appelle Verracrux78, qui est en fort belle situation & � deux lieues de la mer.

Note 77: (retour) Voir Planche XXVIII.

Note 78: (retour) �Lavelle Croux,� dans la carte. Planche XXVII.

Quinze jours apr�s nostre arriv�e au dict St Jean de Luz, je m'en allay avec cong� de nostre dict admiral, � Mechique 79, distant dudict lieu de cent lieux tousjours avant en terre. Il ne se peult veoir ny desirer ung plus beau pa�s que ce royaulme de22/26 la Nove Espaigne, qui contient trois cents lieues de long & deux cents de large.

Note 79: (retour) Mexico.

Faisant ceste traverse � Meschique, j'admirois les belles forests que l'on rencontre, remplie des plus beaux arbres que l'on s�auroit souhaitter, comme palmes, c�dres, lauriers, oranges, citronneles, palmistes, goujaviers, accoyates, bois d'ebene80, Bresil81, bois de campesche82, qui sont tous arbres communs en ce pays l�, avec une infinitt� d'autres diff�rentes sortes que je ne puis reciter pour la diversit�, & qui donnent tel contentement � la veue qu'il n'est pas possible de plus, avec la quantit� que l'on veoit dans les forests d'oiseaux de divers plumages. Apres l'on rencontre de grandes campaignes unies � perte veue, charg�es de infinis trouppeaux de bestial, comme chevaux, mulets, boeufs, vaches, moutons & chevres, qui ont les pastures tousjours fra�ches en toutes saisons, n'y ayant hiver, ains un air fort temp�r�, ny chaud ny froid: il n'y pleut tous les ans que deux23/27 fois, mais les roz�es sont sy grandes la nuict que les plantes en sont suffisamment arroz�es & nourries. Outre cela, tout ce pays l� est d�cor� de fort beaux fleuves & rivieres, qui traversent presque tout le royaulme, & dont la pluspart portent batteaux. La terre y est fort fertille, rapportant le bled deux fois en l'an & en telle quantit� que l'on s�auroit desirer, & en quelque saison que ce soit il se trouve tousjours du fruicts nouveaux tr�s bons dans les arbres, car quand un fruict est � maturit�, les autres viennent & se succedent ainsy les ungs aux autres, & ne sont jamais les arbres vuides de fruicts, & tousjours verds. Sy le Roy d'Espaigne vouloit permettre que l'on plantast de la vigne au dict royaulme, elle y fructiffiroit comme le bled, car j'ay veu des raizins provenans d'un cep que quelqu'un avoit plant� pour plaisir, dont chacun grain estoit aussy gros qu'un pruniau, & long comme la moitye du poulce, & de beaucoup meilleurs que ceux d'Espaigne. Tous les contentements que j'avois eus � la veue des choses sy agr�ables n'estoient que peu de chose au regard de celuy que je receus lors que je vie ceste belle ville de Mechique, que je ne croiois sy superbement bastye de beaux temples, pallais & belles maisons, & les rues fort bien compass�es, o� l'on veroit de belles & grandes boutiques de marchands, plaines de toutes sortes de marchandises tr�s riches. Je crois, � ce que j'ay peu juger, qu'il y a en ladicte ville douze � quinze mil Espaignols habitans, & six fois autant d'Indiens, qui sont crestiens aussy habitans, outre grand nombre de naigres esclaves. Ceste ville est environn�e d'un estang24/28 presque de tous cost�s, hors mis en ung endroit qui peut contenir viron trois cents pas de long, que l'on pourroit bien coupper & fortiffier, n'ayant � craindre que de ce cost�, car de tous les autres il y a plus d'une lieue jusques aux bords dudict estang, dans lequel il tombent quatres grandes rivieres qui sont fort avant dans la terre, & portent batteaux: l'une s'appelle riviere de Terre-Ferme, une autre riviere de Chille, l'autre riviere de Caiou, & la quatriesme riviere de Mechique, dans laquelle se pesche grande quantit� de poissons de mesmes especes que nous avons par de��, & fort bon. Il y a le long de ceste riviere grande quantit� de beaux jardins & beaucoup de terres labourables fort fretille83.

Note 80: (retour) Voir, plus loin. Planche LVI. Le traducteur de la Soci�t� Hakluyt a rendu par good Bresil ces mots bois d'ebene Bresil. Il a lu sans doute bois de bon Bresil.

Note 81: (retour) Coesalpinia. Il y a deux esp�ces de bois de Br�sil employ�s dans la teinture: Coes. Echinata (LAMARCK), et Coes. Sappan (LINN.) Le premier est le Br�sil, ou Brasillette de Pernambouc, grand arbre qui cro�t naturellement dans l'Am�rique du Sud, employ� dans le commerce pour la teinture rouge. Le second se retrouve dans l'Inde, o� l'on s'en sert pour le m�me usage, et il est connu dans le commerce sous le nom de Brasillette des Indes, ou bois de Sappan. Plusieurs auteurs ont avanc� que le nom de Br�sil a �t� donn� � ce bois de teinture parce qu'il vient du Br�sil; malheureusement pour cette th�orie, ce mot �tait employ� bien avant la d�couverte du pays qui porte le m�me nom. �Le Br�sil, dit Barros, porta d'abord le nom de Sainte-Croix, � cause de la croix qui y fut �rig�e; mais le d�mon, qui perd, par cet �tendard de la croix, L'empire qu'il a sur nous et qui lui avait �t� enlev� par les m�rites de J�sus-Christ, d�truisit la croix, et fit appeler ce pays Br�sil du nom d'un bois de couleur rouge. Ce nom a pass� dans toutes les bouches, et celui de la sainte croix s'est perdu, comme s'il �tait plus important qu'un nom v�nt d'un bois de teinture, plut�t que de ce bois qui donne la vertu � tous les sacrements, instruments de notre salut, parce qu'il fut teint du sang de J�sus-Christ qui y fut r�pandu.� Il est donc �vident que le nom de Br�sil fut donn� au pays par les Portugais, apr�s la d�couverte de Cabrai, � cause de la quantit� de bois rouge qui y abonde. (Ed. Soc. Hakl. en substance.)

Note 82: (retour) Hoematoxyllum Campechianum. (LINN.) Ed. Soc. Hakl.

Note 83: (retour) Voir Planche XXIX.

A deux lieues dudict Mexique il y a des mines d'argent que le Roy d'Espaigne a afferm�s � cinq millions d'or par an, & s'est reserv� d'y emploier ung grand nombre d'esclaves pour tirer � son proffis tous ce qu'ils pouront des mines, & outre tire le dixiesme de tout ce que tirent les fermiers, par ainsy ces mines font de tr�s bon revenu audict Roy d'Espaigne 84.

Note 84: (retour) Voir Planche XXX.

L'on receulle audict pa�s quantit� de cochenille qui croist dans les champs, comme font les pois de de��, & vient d'un fruict gros comme une nois, qui est plain de graine par dedans. On le laisse venir � maturit� jusques � ce que ladicte graine soit seche, & lors on la couppe comme du bled, & puis on la bat pour avoir la graine, dont ils resement apr�s25/29 pour en avoir d'autre. Il n'y a que le Roy d'Espaigne qui puisse faire servir & receullir ladicte cochenille, & faut que les marchands l'achaptent de ses officiers � ce commis, car c'est marchandise de grand prix & a l'estime de l'or & de l'argent.

J'ay faict: icy une figure de la plante qui apporte la dicte cochenille 85.

Note 85: (retour) Voir Planche XXXI.—�Cactus Opuntia. La croyance que la cochenille �tait la graine d'une plante subsistait encore longtemps apr�s la conqu�te du Mexique. Dans le dessin que Champlain nous donne de cette plante, les graines sont figur�es exactement comme les insectes s'attachent aux feuilles pour s'en nourrir. La jalousie du gouvernement espagnol, et le s�v�re monopole qu'il faisait de ce produit, emp�ch�rent qu'on en conn�t la vraie nature et son mode de propagation, et donn�rent naissance � diverses fables et conjectures.� (Ed. Soc. Hakl.)

Il y a ung arbre au dict pays que l'on talle comme la vigne, & par l'endroit o� il est tall� il distille une huille qui est une espece de baume, appell�e huille de Canime, du nom de l'arbre qui se nomme ainsy 86. Ceste huille est singulliere pour toutes playes & couppures, & pour oster les douleurs, principallement des gouttes. Ce bois a l'odeur du bois de sappin. L'once de la dicte huille vault en ce pays l� deux escus. Le dict arbre est icy figur�87.

Note 86: (retour) Canim�, ou Anim�. Johnston en distingue deux esp�ces: l'anim� Oriental, et l'anim� Occidental, appel�, dit-il, par les Espagnols Canim�, Moquin-Tandon (Botanique M�dicale) en distingue aussi deux esp�ces: 1� le Courbaril diphylle, Hymenoea Courbaril (LINN.), qui fournit une grande quantit� de r�sine transparente, appel�e r�sine anim� occidentale, ou Copal d'Am�rique; 2� le Courbaril verruqueux, Hymenoea verrucosa (GAERTN.), r�sine anim� orientale, vulgairement appel�e Copal d'Orient.

Note 87: (retour) Voir Planche XXXII.

Il y a ung autre arbre que l'on nomme cacou, dont le fruict est fort bon & utille � beaucoup de choses, & mesmes sert de monnoye entre les Indiens, qui donnent soixante pour une realle. Chacun fruict est de grosseur d'un pinon & de la mesme forme, mais il n'a pas la cocque sy dure: plus il est26/30 vieux & milleur est. Quand l'on veut achapter des vivres, comme pain, chairs, fruicts, poissons ou herbes, ceste monnoye peult servir, voire pour cinq ou six pi�ces l'on peult avoir de la marchandise pour vivre des Indiens seulement, car il n'a point cours entre les Espaignols, ny pour achapter marchandise autre que des fruicts. Quand l'on veult user de ce fruict, l'on le reduict en pouldre, puis l'on en faict une paste que l'on destrempe en eau chaude, o� l'on mesle du miel qui vient du mesme arbre, & quelque peu d'espice, puis le tout estant cuit ensemble, l'on en boit au matin, estant chauff�, comme les mariniers de de�� prennent de l'eau de vye, & se trouvent sy bien apr�s avoir beu de ceste eau, qu'ils se pourroient passer tout ung jour de manger sans avoir grand app�tit. Cest arbre a quantit� d'espinnes qui sont fort pointues, que quand on les arrache il vient ung fil, l'escorche du dict arbre, lequel l'on file sy dely� que l'on veult, & de ceste espine & du fil qui y est attach�, l'on peult coudre aussi proprement que d'une esguille & d'autre fil; les Indiens en font du fil fort beau & fort dely�, & neantmoins sy fort, qu'un homme n'en pourroit pas rompre deux brins ensemble, encores qu'ils soient dely�s comme cheveux. La livre de ce fil, nomm� fil de pitte88, vaut en Espaigne huict escus la livre, & en font des dantelles & autres ouvrages: d'avantage de l'escorche dudict arbre l'on faict du vinaigre fort comme celuy de vin, & prenant du coeur de l'arbre qui est mouelleux, & le pressant, il27/31 en fort du tresbon miel, puis faisant seicher la mouelle ainsi esprainte au soleil, elle sert pour allumer le feu. Outre plus pressant les feuilles de cest arbre, qui sont comme celles de l'olivier, il en sort du jut dont les Indiens font un breuvage. Ledict arbre est de la grandeur d'un olivier, dont vous en verrez icy la figure 89.

Note 88: (retour) Champlain d�crit ici �videmment le Cacao et le Metl, ou Maguey (Aloes Pitta, Aloes disticha, Agave Americana), auquel se rapporte presque toute la derni�re partie de sa description, except� �les feuilles qui sont comme celles de l'olivier.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 89: (retour) Voir Planche XXXIII.

J'ay cy devant parl� d'un arbre qui s'appelle gouiave90, qui croist fort communement audict pays, qui rend ung fruict que l'on nomme aussy gouiave, qui est de la grosseur d'une pomme de capendu 91, de couleur jaulne, & le dedans semblable aux figues verdes; le jut en est assez bon. Ce fruict a telle propri�t�, que sy une personne avoit ung flux de ventre, & qu'il mangeast dudict fruict sans la peau, il seroit guery dans deux heures, & au contraire � ung homme qui seroit constip�, mangeant l'escorche seulle sans le dedans du fruict, il luy l�chera incontinent le ventre, sans qu'il soit besoing d'autre m�decine.

Figure du dict arbre 92.

Note 90: (retour) Psidium (LINN.) Sa qualit� est de resserrer le ventre, estant mang� vert, dont aussi plusieurs s'en servent contre le flux de sang; mais estant mang� meur il a un effet tout contraire.�—De Rochefort, Hist. des Antilles, etc., 1658. (Ed. Soc. Hakl.)

Note 91: (retour) �Esp�ce de pomme commune en Normandie, principalement au pays de Caux.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 92: (retour) Planche XXXIV.

Il y a aussy ung fruict qui s'appelle accoiates93, de la grosseur de grosses poires d'hiver, fort verd par dessus, & comme l'on a lev� la peau, l'on trouve de la chair fort espaisse que l'on mange avec du sel, & a le goust de cherneaux, ou nois vertes: il y a ung28/32 noyau dedans de la grosseur d'une nois, dont le dedans est amer. L'arbre o� croit ledict fruict est icy figur�, ensemble ledict fruict94.

Note 93: (retour) Ahuacahuitl, nom indig�ne, dont on a fait par corruption Agouacat, l'Avogade ou Avogada des Espagnols.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 94: (retour) Planche XXXV.

Aussy il y a d'un fruict que l'on nomme algarobe95, de la grosseur de prunes Dabtes, long comme cosses de febves, qui a une coque plus dure que celle de la casse, de couleur de chataigner. L'on trouve dedans ung petit fruict comme une grosse febve verte, qui a ung noiau, & est fort bon. Il est icy figur� 96. J'ay veu ung autre fruict qui s'appelle carreau 97, de la grosseur du poing, dont la peau est fort tendre & oreng�e, & le dedans est rouge comme sang, & la chair comme de prunes, & tache o� il touche comme les meures, il est de fort bon goust, & dit-on qu'il est tresbon pour gu�rir les morceures de bestes venimeuses98.

Note 95: (retour) Voir plus haut, page 15.

Note 96: (retour) Planche XXXVI.

Note 97: (retour) Le fruit d'une des vari�t�s du Cactus Opuntia, le Nuchtli des Mexicains, appel� par les Fran�ais raquette, � cause de la forme de ses feuilles. �Ce que nos Fran�ois appellent raquette � cause de la figure de ses feuilles: sur quelques-unes de ces feuilles, longues & heriss�es, croist un fruict de la grosseur d'une prune-datte; quand il est meur, il est rouge dedans, & dehors comme de vermillon. Il a ceste propri�t�, qu'il teint l'urine en couleur de fang aussi tost qu'on en a mang�, de sorte que ceux qui ne savent pas ce secret, craignent de s'estre rompu une veine, & il s'en est trouv� qui, aians apperceu ce changement, se sont mis au lit, & ont creu estre dangereusement malades.�—De Rochefort, Voyage aux Antilles, etc., 1658. (Ed. Soc. Hakl.)

Note 98: (retour) Planche XXXVII.

Il y a encore d'un autre fruict qui se nomme serolles 99, de la grosseur d'une prune, & est fort jaulne, & le goust comme de poires muscades 100.

Note 99: (retour) De l'espagnol Ciruela, prune. (Ed. Soc. Hakl.)

Note 100: (retour) Planche XXXVIII.

J'ay aussy parl� d'un arbre que l'on nomme palmiste, que je representeray icy 101, qui a vingt pas de29/33 hault, de la grosseur d'un homme, & neantmoins sy tendre que d'un bon coup d'esp�e on le peut couper tout � travers, parce que le dessus est tendre comme un pied de chou, & le dedans plain de mouelle qui est tr�s bonne, & tient plus que le reste de l'arbre, & a le goust comme du succre, aussy doux & meilleur: les Indiens en font du breuvage mesl� avec de l'eau, qui est fort bon.

Note 101: (retour) Planche XXXIX.—�Au temps de Champlain, il n'y avait de connues que deux esp�ces de Palmistes (except� le cocotier, que l'on appelait Palmiste par excellence): le Palmiste franc, Areca oleracea (LINN.), et le Palmiste �pineux, Areca spinosa (LINN.)� (Ed. Soc. Hakl.)

J'ay veu d'un autre fruict que l'on nomme cocques102, de la grosseur d'une nois d'Inde, qui a la figure approchant de la teste d'un homme, car il y a deux troux qui representent les deux yeux, & ce qui s'avance entre ces deux troux semblent de nez, au dessoubs duquel il y a ung trou ung peu fendu que l'on peult prendre pour la bouche, & le hault dudict fruict est tout cresp� comme cheveux frisez: par lesdicts troux il sort d'une eau dont ils se servent � quelque m�decine. Ce fruict n'est pas bon � manger; quand ils l'ont cueilly, ils le laissent seicher & en font comme de petittes bouteilles ou tasses comme de nois d'Inde qui viennent du palm�103.

Note 102: (retour) �Le Cocos lapidea de GAERTNER, dont le fruit est plus petit que le coco ordinaire, et dont on fait de petits vases ou tasses, etc.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 103: (retour) Planche XL.

Puisque i'ay parl� de palmes 104, encor que ce soit ung arbre assez commun, j'en representeray icy une figure 105. C'est un des plus haults & droicts arbres qui se voient, son fruict, que l'on appelle nois d'Inde, vient tous au plus hault de l'arbre, & sont grosses comme la teste d'un homme, & y a une grosse escorce verte sur la dicte nois, laquelle escorce30/34 ost�e, se trouve la nois, de la grosseur de deux poings ou environ: ce qui est dedans est fort bon � manger, & a le goust de cerneaux, il en sort une eau qui sert de fart aux dames 106.

Note 104: (retour) Cocos nucifera.� (Ed. Soc, Hakl.)

Note 105: (retour) Planche XLI.

Note 106: (retour) �C'est ceste eau qui, entre ses autres vertus, a la propri�t� d'effacer toutes les rides du visage, & de luy donner une couleur blanche & vermeille, pourveu qu'on l'en lave aussi-tost que le fruict est tomb� de l'arbre.�—(De Rochefort.)

Il y a un autre fruict qui s'appelle plante 107, dont l'arbre peult avoir de hault vingt ou vingt cinq pieds, qui a la feuille sy large qu'un homme s'en pourroit couvrir. Il vient une racine dudict arbre o� sont en quantit� desdictes plantes, chacun desquelles est de la grosseur du bras, longue d'un pied & demy, de couleur jaulne & verd, de tr�s bon goust, & sy sain que l'on en peult manger tant que l'on veult sans qu'il face mal 108.

Note 107: (retour) La Banane.

Note 108: (retour) Planche XLII.

Les Indiens se servent d'une espece de bled qu'ils nomment mammaix109, qui est de la grosseur d'un poys, jaulne & rouge, & quand ils le veulent manger, ils prennent une pierre cav�e comme ung mortier, & une autre ronde en forme de pillon, & apr�s que le dict bled a tremp� une heure, ils le meullent & reduisent en farine en ladicte pierre, puis le petrissent & le font cuire en ceste mani�re: ils ont une platine de fer ou de pierre qu'ils font chauffer sur le feu, & comme elle est bien chaude, ils prennent leur paste & l'estendent dessus assez tenue, comme tourteaux, & l'ayant fait ainsy cuire, le mangent tout chaud, car il ne vault rien froid ny gard�110.

Note 109: (retour) Ou Ma�s.

Note 110: (retour) Planche XLIII.

31/35Ils ont aussy d'une autre racine qu'ils nomment cassave, dont ils se servent pour faire du pain, mais sy quelqu'un en mangeoit de cru, il mourroit111.

Note 111: (retour) Planche XLIV—Voir, ci-dessus, p. 15.—�Pour faire la Cassave, qui est le pain ordinaire du pays, apr�s avoir arrach� le Manyoc, on ratisse ses racines comme on fait les naveaux, lorsqu'on les veut mettre au pot; puis on esgruge toutes ses racines sur des r�pes de cuivre perc�es... & attach�es sur des planches dont on met le bas dans un vaisseau; & appuyant le haut contre l'estomac, l'on frotte � deux mains la racine dessus la r�pe, & tout le marc tombe dans le vaisseau... Quand tout est �grug� ou rap�, on le met � la presse dans des sacs de toile, & on en exprime tout le suc, en sorte qu'il ne demeure que la farine toute seiche... Le suc qui en sort est estim� du poison par tous les habitans, & mesme par tous les autheurs qui en ont �crit...� (Du Tertre, Hist. des Antilles.)

Il y a d'une gomme qui se nomme copal112, qui sort d'un arbre qui est comme le pin; ceste gomme est fort bonne pour les goustes & douleurs 113.

Note 112: (retour) Rhus Copallinum (LINN.) Les Mexicains donnaient le nom de copal � toutes les r�sines et gommes odorif�rantes. Le Copal par excellence est une r�sine blanche et transparente, qui coule d'un arbre dont la feuille ressemble � celle du ch�ne, quoique plus longue; cet arbre s'appelle copal-quahuitl, ou arbre qui porte le copal. Ils ont aussi le copal-quahuitl-petlahuae, dont les feuilles sont les plus grandes de l'esp�ce, et semblables � celles du sumac, le copal-quauhxiotl, � feuilles longues et �troites; le tepecopulli-quahuitl, ou copal des montagnes, dont la r�sine est comme l'encens du vieux monde appel� par les Espagnols incensio de las Indias, et quelques autres esp�ces inf�rieures.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 113: (retour) Planche XLIV.

Il y a aussy d'une racine que l'on nomme patates 114, que l'on fait cuire comme des poires au feu, & a semblable goust aux chastaignes 115.

Note 114: (retour) �Il y a huit ou dix sortes de patates, diff�rentes en goust, en couleur & en feuilles. Pour ce qui regarde les feuilles, la diff�rence est petite; car elles ont presque toutes la forme de coeur... Il suffit d'en nommer les plus communes, qui sont les Patates vertes, les Patates � l'oignon, les Patates marbr�es, les Patates blanches, les Patates rouges, Les Patates orang�es, les Patates � suif, les Patates souffr�es...� (Du Tertre, Hist. des Antilles.)

Note 115: (retour) Planche XLIV.

Il y a audict pays nombre de melons d'estrange grosseur, qui sont tr�s bons, la chair en est fort orang�e, & y en a d'une autre sorte qui ont la chair blanche, mais ils ne sont de sy bon goust que les autres. Il y a aussy quantit� de cocombres tr�s bons, des artichauts, de bonnes lettues, qui sont32/36 comme celles que l'on nomme rommainnes, choux � pome, & force autres herbes potag�res, aussy des citrouilles qui ont la chair oreng�e comme les melons.

Il y a des pomes qui ne sont pas beaucoup bonnes, & des poires d'assez bon goust, qui sont creues naturellement � la terre. Je croy que qui voudroit prendre la paine d'y planter des bons fruittiers de par de��, ils y viendroient fort bien116.

Note 116: (retour) Planche XLV.

Par toute la Nove Espaigne il y a d'une espece de couleuvres 117, qui sont de la longeur d'une picque & grosse comme le bras, la teste grosse comme ung oeuf de poulle, sur laquelle elles ont deux plumes. Au bout de la queue elles ont une sonnette qui faict du bruit quand elles se tra�nent: elles sont fort dangereuses de la dent & de la queue, n�antmoins les Indiens les mangent, leur ayant ost� les deux extr�mit�s 118.

Note 117: (retour) �Champlain parle �videmment da Serpent � sonnettes (Crotulus); mais il para�t l'avoir confondu avec le serpent � cornes (horned snake), � cause des plumes de la t�te.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 118: (retour) Planche XLVI.

Il y a aussy des dragons d'estrange figure, ayants la teste approchante de celle d'un aigle, les ailles comme une chauvesouris, le corps comme ung l�zard, & n'a que deux pieds assez gros, la queue assez escailleuse, & est gros comme ung mouton: ils ne sont pas dangereux, & ne font mal � personne, combien qu'� les voir l'on diroit le contraire 119.

Note 119: (retour) Planche XLVII.

J'ai veu ung l�zard de sy estrange grosseur, que s'il m'eust est� recit� par ung autre, je ne l'eusse pas creu, car je vous asseures qu'ils sont gros comme33/37 ung quart de pippe. Ils sont comme ceux que nous voions icy quand � la forme, de couleur de verd brun, & vert jaulne sous le ventre; ils courent fort viste, sifflent en courant; ils ne sont poinct mauvais aux hommes, encore qu'ils ne fuient pas d'eux sy on ne les poursuit. Les Indiens les mangent & les trouvent fort bons120.

Note 120: (retour) Planche XLVIII.—�Probablement Lacerta Iguana (LINN.)� (Ed. Soc. Hakl.)

J'ay veu aussy par plusieurs fois, en ce pa�s l�, des animaux qu'ils appellent des caymans, qui sont, je croy, une espece de cocodrille, sy grands, que tels des dicts caymans a vingt cinq & trente pieds de long, & est fort dangereux, car s'il trouvoit ung homme � son advantaige, sans doute il le devoreroit: il a le dessoubs du ventre jaulne blanchastre, le dessus arm� de fortes escailles de couleur de verd brun, ayant la teste fort longue, les dents estrangement aigu�s, la geulle fort fendue, les yeux rouges, fort flamboiant: sur la teste il a une mani�re de coronne. Il a quatre jambes fort courtes, le corps de la grosseur d'une barique: il y en a aussy de moindres. L'on tire de dessoubs les cuisses de derri�re du musq excelent, ils vivent dans les estangs & mares, & dans les rivieres d'eau doulce. Les Indiens les mangent121.

Note 121: (retour) Planche XLIX.

J'ay aussy veu des tortues d'esmerveillable grosseur, & telle que deux chevaux auroient affaire � en tra�ner une. Il y en a qui sont sy grosses, que dedans l'escaille qui les couvre trois hommes se pourroient mettre & y nager comme dedans ung batteau: elles se peschent � la mer, la chair en est34/38 tr�s bonne, & resemblent � chair de boeuf. Il y en a fort grande quantit� en toutes les Indes: l'on en voit souvent qui vont paistre dans les bois122.

Note 122: (retour) Planche L.

Il y a aussy quantit� de tigres 123, des fourreures desquels l'on faict grand estat: ils ne se jettent poinct aux hommes sy on ne les poursuit.

Note 123: (retour) Planche LII.—�Tigris Americana (LINN.)—Jaguar.� (Ed. Soc. Hakl.)

Il se void aussy au dict pays quelques sivettes 124 qui viennent du P�rou, o� il y en a quantit�. Elles sont meschantes & furieuses, & combien que l'on en voye icy ordinairement, je ne laisse pas d'en faire icy une figure 125.

Note 124: (retour) Viverra Civetta (LINN.) Le Gato de Algalia des Espagnols.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 125: (retour) Planche LI.

Il vient du P�rou � la Nove Espaigne une certainne espece de moutons, qui portent fardeaux comme chevaux, plus de quatre cents livres � journ�e. Ils sont de la grandeur d'un asne, le col fort long, la teste menue, la laine fort longue, & qui resemble plus � du poil comme � celuy des chevres qu'� de la layne: ils n'ont point de cornes comme les moutons de de��. Ils sont fort bons � manger, mais ils n'ont pas la chair sy delicatte comme les nostres 126.

Note 126: (retour) Planche LIII.—Le Llama.

Le pays est fort peupl� de cerfs, biches, chevreux, sangliers, renars, lievres, lappains, & autres animaux que nous avons par de��, dont ils ne sont aucunement diff�rends 127.

Note 127: (retour) Planche LIV.

Il y a d'une sorte de petits animaux 128 gros comme des barbots, qui voilent de nuict, & font telle clart�35/39 en l'air, que l'on diroit que ce sont autant de petittes chandelles. Sy l'on avoit trois ou quatres de ces petits animaux, qui ne sont pas plus gros que des noisettes, l'on pourroit aussy bien lire de nuict qu'avec une bougie.

Note 128: (retour) Fulgora suternaria (LINN.)� (Ed. Soc. Hakl.)

Il se voict dans les bois & dans les campaignes grand nombre de chancres 129, semblables � ceux qui se trouvent en la mer, & sont aussy commun�ment dans le pa�s comme � la mer de de��.

Note 129: (retour) Gecarcinus, Cancer ruricolor (LINN.)� (Ed. Soc. Hakl.)

Il y a une autre petite espece d'animaulx faicts comme des escrevisses, hors mis qu'ils ont le derri�re devestu de coquilles, mais ils ont ceste propriett� de chercher des coquilles de limassons vuides, & logent dedans ce qu'ils ont de descouvert, traisnant tousjours ceste coquille apr�s soy, & n'en d�logent poinct que par force 130. Les pescheurs vont receullir ces petittes bestes par les bois, & s'en servent pour pescher, & quand ils veulent prendre le poisson, ayant tir� ce petit animal de dedans sa coque, ils l'attachent par le travers du corps � leur lingne au lieu d'ame�on, puis le jette � la mer, & comme les poissons les pensent engloutir, ils pinsent les poissons des deux maistresses pattes, & ne les quitte point: & par ce moien les pescheurs prennent le poisson mesme de la pesanteur de cinq ou six livres.

Note 130: (retour) Pagurus streblany (LEACH); Pagurus Bernardus. (FABRICIUS); Cancellus marinus et terrestris; Bernard l'hermite; Caracol soldada des Espagnols.� (Ed. Soc. Hakl.)

J'ay veu ung oyseau qui se nomme pacho del ciello 131, c'est � dire oyseau du ciel, lequel nom luy36/40 est donn� parce qu'il est ordinairement en l'air sans jamais venir � terre que quand il tombe mort. Il est de la grosseur d'un moyneau: il a la teste fort petite, le bec court, partye du corps de couleur vert brun, le reste roux, & a la queue de plus de deux piez de long, & sont presque comme celle d'une aigrette, & grosse estrangement au respect du corps: il n'a point de piedz. L'on dict que la femelle pont ung oeuf seulement sur le dos du malle, par la chaleur duquel ledict oeuf s'esclot, & comme l'oyseau est sorty de la coque, il demeure en l'air, dont il vit comme les autres de ceste espece: je n'en ay veu qu'un que nostre g�n�ral achepta cent cinquante escus. On d�t que l'on les prend vers la coste de Chille, qui est un contient de terre ferme, qui tient depuis le P�rou jusques au destrois de Magelano, que les Espaignols vont descouvrant & ont guerre avec les sauvages du pays, auquel l'on dit que l'on descouvre des mines d'or & d'argent. J'ay mis icy la figure du dict oyseau132.

Note 131: (retour) Pacho del ciello.—Paradisia, Oiseau du Paradis. On a cru longtemps que cet oiseau vivait constamment en l'air, et n'avait point de pieds. Les sp�cimens envoy�s en Europe sont ordinairement d�pouill�s des pattes, le corps et la queue �tant les seules parties employ�es � former les plumets et les aigrettes; de l� la croyance que ces oiseaux n'ont point de pieds.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 132: (retour) Planche LV.

J'ay pens� qu'il n'est pas hors de propos de dire que le bois d'ebene vient d'un arbre fort hault comme le chesne; il a le dessus de l'escorche comme blanchastre, & le coeur fort noir, comme vous le verrez de l'autre part represent�133.

Note 133: (retour) Planche LVI.

Le bresil est arbre fort gros au respect du bois d'ebene, & de mesme hauteur, mais il n'est sy dur. Le dict arbre de bresil porte comme une mani�re de nois qui croissent � la grosseur des nois de galle, qui viennent dedans des ormeaux.

37/41Apres avoir parl� des arbres, plantes & animaux, il faut que je face ung petit r�cit des Indiens & de leur nature, moeurs & cr�ance. La plus part desdicts Indiens, qui ne sont point soubs la domination des Espaignols, adorent la lune comme leur dieu, & quand ils veulent faire leurs c�r�monies, ils s'assemblent tant grands que petits au milieu de leur village & se mettent, en rond, & ceux qui ont quelque chose � manger l'apportent, & mettent toutes les vivres ensemble au milieu d'eux, & font la milleure ch�re qui leur est possible. Apres qu'ils sont bien rasassi�s, ils se prennent tous par la main, & se mettent � danser, avec des cris grands & estranges, leur chant n'ayant aucun ordre ny suitte. Apres qu'ils ont bien chant� & dans�, ils se mettent le visage en terre, & tout � ung coup tous ensemble commencent � crier & pleurer en disant: O puissante & claire lune, fay que nous puissions vaincre nos ennemis, & que les puissions manger, � celle fin que ne tombions entre leurs mains, & que mourans nous puissions aller avec nos parents nous resjouir. Apres avoir faict ceste pri�re, il se relevent & se mettent � danser tous en rond & dure leur feste ainsy dansans, pryans & chantans environ six heures. Voila ce que j'ay appris de c�r�monies & cr�ances de ces pauvres peuples, priv�s de la raison, que j'ay icy figur�s 134.

Note 134: (retour) Planche LIX.

Quant aux autres Indiens qui sont soubs la domination du Roy d'Espaigne, s'il n'y donnoit ordre, ils seroient en aussy barbare cr�ance comme les autres. Au commencement de ses conquestes, il avoit38/42 establi l'inquisition entre eux, & les rendoit esclaves ou faisoit cruellement mourir en sy grand nombre, que le r�cit seulement en faict pity�. Ce mauvais traittement estoit cause que les pauvres Indiens, pour la prehension d'iceluy, s'enfuioient aux montaignes comme desesper�s, & d'autant d'Espaignols qu'ils attrapoient, ils les mangeoient; & pour ceste occasion lesdicts Espaignols furent contraints leur oster ladicte inquisition, & leur donner libert� de leur personne, leur donnant une reigle de vivre plus doulce & tolerable, pour les faire venir � la cognoissance de Dieu & la cr�ance de la saincte Eglise: car s'ils les vouloient encor chatier selon la rigeur de ladicte inquisition, ils les feroient tous mourir par le feu. L'ordre dont ils usent maintenant est que en chacun estance135 qui sont comme vilages, il y a ung prestre qui les instruict ordinerement, ayant le prestre ung rolle de noms & surnoms de tous les Indiens qui habitent au village soubs sa charge. Il y a aussy ung Indien qui est comme procureur du village, qui a ung autre pareil rolle, & le dimanche, quand le prestre veult dire la messe, tous lesdicts Indiens sont teneus se presenter pour l'ouir, & avant que le prestre la commence, il prend son rolle, & les appelle tous par leur nom & surnom, & sy quelqu'un deffault, il est marqu� sur ledict rolle, puis la messe dite, le prestre donne charge � l'Indien qui sert de procureur de s'informer particullierement o� sont les defaillans, & qui les face revenir � l'�glise, o� estant devant ledict prestre, il leur demande l'occasion pour lequel ils ne sont pas veneus39/43 au service divin, dont ils all�guent quelques excuses s'ils peuvent en trouver, & sy elles ne sont trouv�s v�ritables ou raisonnables, ledict prestre commande audict procureur Indien qui aye � donner hors l'eglise, devant tout le peuple, trente ou quarante coups de baston aux d�faillants. Voilla l'ordre que l'on tien � les maintenir en la religion, en laquelle ils vivent partye pour crainte d'estre battus: il est bien vray que s'ils ont quelque juste occasion qui les empesche de venir � la messe, ils sont excus�s.

Note 135: (retour) De l'espagnol estancia, demeure.

Tous ces Indiens sont d'une humeur fort melancholique, & ont neantmoins l'esprit fort vif, & comprennent en peu de temps ce qu'on leur montre, & ne s'ennuient poinct pour quelque chose ou injure qu'on leur face ou dye. J'ay figur�, en ceste page & la suivante, ce qui se peult bien representer de ce que j'en ay discouru cy dessus136.

Note 136: (retour) Planche LX et LXI.

La pluspart des dicts Indiens ont leur logement estrange, & sans aucun arrest, car ils ont une mani�re de coches qui sont couvertes d'escorche d'arbres, attel�s de chevaux, mulets ou boeufs, & ont leurs femmes & enfants dedans lesdicts coches, & sont ung mois ou deux en ung endroict [du] pa�s, puis s'en vont en ung autre lieu, & sont continuellement ainsy errans parmy le pays.

Il y a une mani�re d'Indiens qui vivent & font leurs demeures en certains villages qui appartiennent aux seigneurs ou marchands, & cultivent les terres 137.

Note 137: (retour) Planche LXII.

40/44Or pour revenir au discours de mon voiage, apr�s avoir demeur� ung mois entier � Mechique, je retournay � St Jean de Luz, auquel lieu je m'enbarquay dans une patache qui alloit � Portovella138, o� il y a quatre cents ou cinq cents lieues. Nous feusmes trois sepmaines sur la mer avant que d'ariver au dict lieu de Portovella, o� je trouvay bien changement de contr�e, car au lieu d'une tr�s bonne & fertille terre que j'avois trouv� en la Nove Espaigne, comme j'ay recit� cy dessus, je rencontray bien une mauvaise terre, estant ce lieu de Portovella, la plus meschante & malsaine demeure qui soit au monde: il y pleut presque tousjours, & sy la pluye cesse une heure, il y faict sy grande chaleur que l'eau en demeure toute infect�e, & rend l'air contagieux, de telle sorte que la pluspart des foldats ou mariniers nouveaux venneus y meurent. Le pays est fort montaigneux, remply de bois de sappins, & o� il y a sy grande quantit� de singes, que c'est chose estrange � voir. Neantmoins ledict port de Portovella est tr�s bon; il y a deux chasteaux � l'entr�e qui sont assez forts, dans lesquels il y a trois cents soldats en garnison. Joignant ledict port, o� sont les forteresses, il y en a ung autre qui n'en est aucunement command�, & o� une arm�e pourroit descendre seurement. Le Roy d'Espaigne tient ce port pour une place de consequence, estant proche du P�rou, car il n'y a que dix sept lieues jusque � Bahama, qui est � la bande du fur.

Note 138: (retour) Porto-Bello.

Ce port de Panama, qui est sur la mer du 139,41/45 est tr�s bon, & y a bonne radde, & la ville fort marchande, dont la figure ensuit 140.

Note 139: (retour) Lacune dans l'original.

Note 140: (retour) A partir d'ici, l'auteur annonce des figures qui manquent dans l'original.

En ce lieu de Panama s'assemble tout l'or & l'argent qui vient du P�rou, o� l'on les charges, & toutes les autres richesses sur une petite riviere qui vient des montaignes, & qui descend � Portovella, laquelle est � quatre lieues de Panama, dont il faut porter l'or, l'argent & marchandises sur mulets: & estans enbarqu� sur ladicte riviere, il y a encor dix huict lieues jusques � Portovella.

L'on peult juger que sy ces quatre lieues de terre qu'il y a de Panama � ceste riviere estoient coupp�s, l'on pourroit venir de la mer du su en celle de de��, & par ainsy l'on accourciroit le chemin de plus de quinze cents lieues141; & depuis Panama jusques au destroit de Magellan ce seroit une isle, & de Panama jusques aux Terres noeusves une autre isle, de sorte que toute l'Americque seroit en deux isles.

Note 141: (retour) �La jonction de l'oc�an Atlantique et de l'oc�an Pacifique � travers l'isthme de Panama, n'est pas, comme on voit, une id�e moderne. Champlain a peut-�tre le m�rite de l'avoir �mise le premier.� (Ed. Soc. Hakl.)

Sy ung ennemy du Roy d'Espaigne tenoit ledict Portovella, il empescheroit qu'il ne sortist rien du P�rou, qu'� grande difficult� & risque, & plus de despens qu'il ne reviendroit de proffit. Drac 142 fust au dict Portovella pour le surprendre, mais il faillit son entreprise, ayant est� descouvert, dont il mourut42/46 de desplaisir, & commanda en mourant qu'on le mist en ung tombeau, & qu'on le jettast entre une isle & le dict Portovella. Ensuit la figure de ladicte riviere & plan du pays143.

Note 142: (retour) �Sir Francis Drake, apr�s son infructueuse tentative sur Porto-Rico, poursuivit son voyage � Nombre-de-Dios, o�, ayant d�barqu� ses hommes, il essaya de s'avancer jusqu'� Panama, dans le dessein de ravager la place, ou, s'il trouvait la chose praticable, la garder et la fortifier; mais il n'y rencontra pas les m�mes facilit�s que dans ses premi�res entreprises. Les Espagnols avaient fortifi� les passages, et post�, dans les bois, des troupes qui incommodaient tellement les Anglais par des escarmouches et des alarmes continuelles, que ceux-ci furent contraints de s'en retourner sans rien faire. Drake lui-m�me, par suite des intemp�ries du climat, des fatigues du voyage, et des chagrins du d�sappointement, fut saisi d'une indisposition dont il mourut peu apr�s. (Voir Hume's Hist. of England, ann. 1597. Drake mourut le 30 d�cembre 1596, vieux style, ou le 9 janvier 1597, style neuf.) L'on disposa de son corps de la mani�re mentionn�e par Champlain.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 143: (retour) Cette figure manque dans l'original.

Ayant demeur� ung moys audict Portovella, je m'en revins � St Jean de Luz, o� nous sejournasmes quinze jours, en attendant que l'on fist donner carenne � nos vaisseaux pour aller � la Havanne, au rendez vous des arm�es & flottes. Et estants partis pour cest effect dudict St Jean de Luz, comme nous feusmes vingt lieues en mer, ung houracan nous prist de telle furye d'un vent de nord, que nous nous pensasmes tous perdre, & feusmes tellement escart�s les ungs des autres, que nous ne nous peusmes rallier que � la Havanne; d'autre part nostre vaineau faisoit telle quantit� d'eau, que nous ne pensions pas eviter ce p�ril, car sy nous avions une demye heure de repos sans tirer l'eau, il falloit travaller deux heures sans relache, & sans la rencontre que nous fismes d'une patache, qui nous remist � nostre route, nous allions nous perdre � la coste de Campesche, en laquelle coste de Campesche il y a quantit� de sel qui se faict & engendre sans art, par retenue d'eau qui demeure apr�s les grandes mar�s, & se congele au soleil. Nostre pillotte avoit perdu toute la cognoissance de la navigation, mais par la gr�ce de Dieu, [qui] nous envoya rencontre de ceste patache, nous nous rendismes �43/47 la Havanne, dont avant que de parler je reprefenteray icy ladicte coste de Campesche 144.

Note 144: (retour) Cette carte manque �galement dans l'original.

Arivames � la Havanne, nous y trouvasmes nostre g�n�ral, mais nostre admirante n'y estoit pas encores arriv�, qui nous faisoit croire qu'il estoit perdu; toutesfoys il se rendict bien tost apr�s avec le reste de ses vaisseaux. Dix huict jours apr�s nostre arriv�e audict lieu de la Havanne, je m'enbarquay en ung vaisseau qui alloit � Cartage145, & feusmes quinze jours � faire ledict voiage. Ce lieu est ung tr�s bon port, o� il y a belle entr�e, � l'abry de tous vents, fors du nord norouest, qui frape dans ledict port, dans lequel il y a troys isles: le Roy d'Espaigne y entretient deux galleres. Ledict lieu est en pa�s que l'on appelle terre ferme, qui est tr�s bon, bien fretille, tant en bledz, fruict, que autres choses necessaires � la vye, mais non pas en telle abondance qu'en la Neufve Espaigne, & en recompense, il se tire aussy plus grand nombre d'argent audict lieu de terre ferme. Je demeuray ung mois & demy audict lieu de Cartagenes, & pris ung portraict de la ville & du port que j'ay icy raport� 146.

Note 145: (retour) Carthag�nes.

Note 146: (retour) Le plan manque dans l'original.

Partant dudict lieu de Cartagene, je m'en retournay � la Havanne trouver nostre g�n�ral, qui me fist fort bonne reception, pour avoir veu par son commandement les lieux o� j'avois est�. Ledict port de la Havanne est l'un des plus beaux que j'aye veu en toutes les Indes, il a l'entr�e fort estroitte, tr�s bonnes, & bien munies de ce qui est necessaire pour le conserver, & d'un fort � l'autre il44/48 y a une chaine de fer qui traverse l'entr�e du port. La garnison desdictes forteresses est de six cents soldats: � s�avoir, en l'une nomm�e le More, du cost� de l'est, quatre cents, & en l'autre forteresse, qui s'appelle le fort neuf, & en la ville deux cents. Au dedans dudict port il y a une baye qui contient en rondeur plus de six lieues, ayant une lieue de large, o� l'on peult mouller l'ancre en tous endroicts, � troys, quatre, six, huict, dix, quinze & saize brasses d'eau, & y peuvent demeurer grand nombre de vaisseaux: il y a une tr�s bonne ville & fort marchande, laquelle est figur�e en la page suivante 147.

Note 147: (retour) Le plan manque dans l'original.

L'isle en laquelle sont ledict port & la ville de la Havanne s'appelle Cuba, & est fort montaigneuse, il n'y a aucune mine d'or ou d'argent, mais plusieurs mines de mestail, dont ils font des pi�ces d'artillerye en 148 la ville de la Havanne. Il ne croist ny bled ny vin dans ladicte isle: celuy qu'ils mangent vient de la Neufve Espaigne, de fa�on que quelque fois il y est fort cher.

Note 148: (retour) Le manuscrit porte et, ou quelque chose de semblable; pour former un sens raisonnable, nous avons cru pouvoir mettre en. Le traducteur de la Soci�t� Hakluyt a rendu ce petit mot par for, pour.

Il y a en ladicte isle quantit� de fruicts fort bons, entre autres ung qui s'appelle pines 149, qui ressemble parfaidement aux pins de par de��. Ils ostent l'escorche, puis le couppent par la moity�, comme pommes, & a ung tr�s bon goust, fort doux, come sucre.

Note 149: (retour) Pina de Indias (espagnol), l'ananas. �Nos habitans, dit le P. du Tertre (Hist. des Antilles), en distinguent de trois sortes, ausquelles se peuvent rapporter toutes les autres: � s�avoir, le gros Ananas blanc, le pain de sucre, & la pomme de rainette. Le premier a quelquefois huit ou dix pouces de diamettre, & quinze ou seize pouces de haut... Quoy qu'il toit plus gros & plus beau que les autres, son goust n'est pas si excellent; aussi n'est-il pas tant estim�... Le second porte le nom de sa forme, parce qu'il est tout semblable � un pain de sucre... Le troisi�me est le plus petit; mais c'est le plus excellent... Tous conviennent en ce qu'ils croissent d'une mesme fa�on, portent tous le bouquet de feuilles ou la couronne sur la teste, & ont l'escorce en forme de pomme de pin, laquelle se leve pourtant & se coupe comme celle d'un melon.�

45/49Il y a quantit� de bestial, comme boeufs, vaches & pourceaux, qui est la milleure viande de toutes les autres en ce pays-l�. En toutes ces Indes, ils tiennent grande quantit� de boeufs, plus pour en avoir les cuirs que pour les chairs. Pour les prendre ils ont des naigres qui courent � cheval apr�s ces boeufs, & avec des astes150, o� il y a un croissant au bout fort tranchant, couppent les jarets des boeufs, qui sont aussy tost escorch�s, & la chair sy tost consomm�, que vingt quatre heures apr�s l'on n'y en recognoist, estant devor� de grand nombre de chiens sauvages qui sont audict pays, & autres animaux de proye.

Note 150: (retour) Hastes, lances ou piques.

Nous feusmes quatre mois � la Havanne, & partant de l�, avec toute la flotte des Indes qui s'y estoit assembl�e de toutes parts, nous all�mes pour passer le canal de Bahan151, qui est un passage de consequence, par lequel il faut necessairement passer en retournant des Indes. A l'un des cost�s d'iceluy passage, au nord, gist la terre de la Floride, & au su la Havanne: la mer court dans ledict canal de grande impetuosit�. Ledict canal a quatre vingt lieues de long, & de large huict lieues, comme il est cy apr�s figur�, ensemble ladicte terre de la Flouride, au moins ce que l'on recognoist de la coste152.

Note 151: (retour) Bahama.

Note 152: (retour) Cette carte manque dans l'original.

En sortant dudict canal l'on va recognoistre la46/50 Bermude, qui est une isle montaigneuse, de laquelle il faict mauvais approcher, � cause des dangers qui sont autour d'icelle: il y pleut presque tousjours, & y tonne sy souvent, qu'il semble que le ciel & la terre se doibvent assembler; la mer est fort tempestueuse au tour de la dicte isle, & les vagues haultes comme les montaignes. Ladicte isle est icy figur�e 153.

Note 153: (retour) Cette figure manque �galement dans l'original.

Ayant pass� le travers de ladicte isle, nous vismes telles quantit� de poissons vollants 154, que c'est chose estrange: nous en primes quelques uns qui vindrent sur nos vaisseaux, ils ont la forme comme ung harents, les ailles plus grandes, & sont tr�s bons � manger.

Note 154: (retour) Exocetus volitans (LINN.)� (Ed. Soc. Hakl.)

Il y a certains poissons qui sont gros comme bariques, que l'on appelle tribons155, qui courent apr�s lesdicts poissons vollants pour les manger; & quand lesdicts poissons vollants voient qu'ils ne peuvent fuir autrement, ils se lancent sur l'eau, & vollent environ cinq cents pas, & par ce moien ils se guarantissent dudict tribon, qui est cy dessoubs figur�156.

Note 155: (retour) Tiburon (esp.) requin, confondu probablement avec le bonito, lequel, avec la dorade (Sparus aurata), est l'ennemi mortel du poisson volant.� (Ed. Soc. Hakl.)

Note 156: (retour) La figure manque dans l'original.

Il faut que je dye encore qu'� cost� dudict canal de Bahan, au sudsuest, l'on voict l'isle St Domingue, dont j'ay parl� cy dessus, qui est fort bonne & marchande en cuirs, gingembre & caffe, tabac, que l'on nomme autrement petung, ou herbe � la Royne, que l'on faict seicher, puis l'on en faict47/51 des petits tourteaux. Les mariniers, mesme les Anglois, & autres personnes en usent & prennent la fum�e d'iceluy � l'imitation des sauvaiges, encores que j'aye cy dessus represent� ladicte isle de St Domingue, je figureray neantmoins icy la coste d'icelle vers le canal de Bahan157.

Note 157: (retour) Cette carte manque dans l'original.

J'ay parl� cy dessus de la terre de Flouride: je diray encores icy que c'est l'une des bonnes terres que l'on s�auroit desirer, estant tr�s fretille sy elle estoit cultiv�e; mais le Roy d'Espaigne n'en fait pas d'estat, pour ce qu'il n'y a point de mines d'or ou d'argent. Il y a grande quantit� de sauvaiges, lesquels font la guerre aux Espaignols, lesquels ont ung fort sur la pointe de ladicte terre, o� il y a ung bon port. Ceste terre basse, la plus part, est fort agr�able.

Quatre jours apr�s que nous eusmes pass� la Bermude, nous eusmes une sy grande tourmente, que toute nostre arm�e fust plus de six jours sans se pouvoir rallier. Apres lesdicts six jours pass�s, le temps estant devenu plus beau, & la mer plus tranquille, nous nous rassemblasmes tous, & eusmes le vent fort � propos, jusques � la recognoissance des Essores mesme l'isle Terciere 158 cy figur� 159.

Note 158: (retour) Terceire, ou Terc�re, l'une des A�ores.

Note 159: (retour) La figure manque dans l'original.

Il faut necessairement que tous les vaisseaux qui s'en reviennent des Indes recognoissent lesdictes isles des Essores, pour prendre l� leur hauteur, autrement ils ne pourroient seurement parachever leur routte.

48/52Ayants pass� lesdictes isles des Essores, nous feusmes recognoistre le cap St Vincent, o� nous prismes deux vaisseaux Anglois qui estoient en guerre, que nous menames en la riviere de Seville, d'o� nous estions partis, & o� fust l'achevement de nostre voiage, Auquel je demeuray depuis nostre partement de Seville, tant sur mer que sur terre, deux ans160 deux mois.

Note 160: (retour) A compter du d�part de la flotte, qui fit voile de San Lucar de Barameda dans les premiers jours de janvier 1599, l'auteur aurait �t� de retour vers le commencement de mars 1601. Cependant, les d�tails de l'exp�dition ne permettent gu�re de supposer que le voyage ait dur� plus de deux ans; et alors il faut admettre que Champlain fait entrer en ligne de compte le temps qui s'�coula entre son d�part de S�ville et le d�part de la flotte. Dans tous les cas, nous ne voyons pas comment le traducteur de la Soci�t� Hakluyt peut justifier la correction qu'il fait au texte dans ce passage, en mettant trois ans et deux mois, au lieu de deux ans deux mois que porte l'original; si ce n'est qu'il fallait mettre le texte en harmonie avec le titre tel qu'il l'avait lu.



FIN DU TOME I.



49/53

ILLUSTRATIONS



(La prochaine page est 54, qui est la page titre du Tome II).

54



55

La premi�re �dition du Voyage de 1603 est d'une excessive raret�. Il n'y en a, jusqu'� ce jour, qu'un seul exemplaire de connu; c'est celui de la Biblioth�que Imp�riale de Paris. Nous devons � l'extr�me obligeance de M. l'abb� Verreau, la copie qui a servi � cette pr�sente �dition.

Des Sauvages: tel est le titre que l'auteur donna � sa premi�re publication; tandis que ses autres relations sont intitul�es Voyages. L'auteur a-t-il choisi ces mots uniquement pour piquer la curiosit� du lecteur, � une �poque ou l'on n'avait encore sur les sauvages que quelques r�cits plus ou moins fabuleux? ou bien a-t-il voulu donner � entendre par l�, qu'il ne publiait cet opuscule que comme un �pisode d'un voyage dont il n'avait pas le commandement en chef? Cette derni�re supposition expliquerait un peu pourquoi le nom de Pont-Grav� ne figure ni dans le titre, ni dans les pr�liminaires, bien qu'il f�t officiellement charg� de la56conduite de l'exp�dition. Quoiqu'il en soit, il semble que la chose ait �t� remarqu�e dans le temps; car la Chronologie Sept�naire, qui reproduit ce voyage, a presque l'air de vouloir tirer une petite vengeance en ne mentionnant que le nom de Pont-Grav�, sans dire m�me que la relation f�t de Champlain.

L'auteur, dans son �dition de 1632, a peut-�tre voulu r�parer cette omission, qui �tait de nature � blesser un peu la susceptibilit� de celui qu'il respectait comme son p�re. �Apr�s la mort du sieur Chauvin, dit-il, le Commandeur de Chaste obtint nouvelle commission de Sa Majest�, et, d'autant que la d�pense �tait fort grande, il fit une soci�t� avec plusieurs gentilshommes et principaux marchands de Rouen et d'autres lieux... Le dit Pont-Grav�, avec commission de Sa Majest� (comme personne qui avait d�j� fait le voyage, et reconnu les d�fauts du pass�), fut �lu pour aller � Tadoussac, et promet d'aller jusques au saut Saint-Louis, le d�couvrir et passer outre, pour en faire son rapport � son retour, et donner ordre � un second embarquement.�

C'�tait donc Pont-Grav� qui �tait commissionn� pour ce voyage, et ce n'�tait que justice de le mentionner.

(Il n'y a pas
de page 57)


ii/58

DES

SAUVAGES

OU

VOYAGE DE SAMUEL

CHAMPLAIN DE BROUAGE,

FAIT EN LA FRANCE NOUVELLE,

L'an mil six cens trois:

Contenant:

Les moeurs, fa�on de vivre, mariages, guerres & habitation des Sauvages de Canadas.

De la descouverte de plus de quatre cens cinquante lieues dans le pa�s des Sauvages. Quels peuples y habitent; des animaux qui s'y trouvent; des rivieres, lacs, isles & terres, & quels arbres & fruicts elles produisent.

De la coste d'Arcadie, des terres que l'on y a descouvertes, & de plusieurs mines qui y sont, selon le rapport des Sauvages.

A PARIS,

Chez CLAUDE DE MONSTR'OEIL, tenant sa boutique en la cour du Palais au nom de J�sus.

=================================================

Avec privil�ge du Roy.




iii/59

EPISTRE

TRES NOBLE HAUT &
PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE
CHARLES DE MONTMORENCY,
Chevalier des Ordres du Roy,
Seigneur d'Ampville & de Meru,
Comte de Secondigny, Vicomte de
Meleun, Baron de Chateauneuf &
de Gonnort, admiral de france &
de Bretagne.

onseigneur,

Bien que plusieurs ayent escript quelque chose du pays de Canadas, je n'ay voulu pourtant m'arrester � leur dire, & ay expressement est� sur les lieux pour pouvoir rendre fid�le tesmoignage de la v�rit�, laquelle vous verrez (s'il vous pla�t) au petit discours que je vous adresse, lequel je vous supplie d'avoir pour agreable, & ce faisant, je prieray Dieu, Monseigneur, pour votre grandeur & prosperit�, & demeureray toute ma vie

iv/60

Votre tr�s humble &
obe�ssant serviteur,

S. CHAMPLAIN.







v/61

LE SIEUR DE LA FRANCHISE

AU DISCOURS

DU SIEUR CHAMPLAIN.

Muses, si vous chantez, vraiment je vous conseille

Que vous louiez Champlain, pour estre courageux:

Sans crainte des hasards, il a veu tant de lieux,

Que ses relations nous contentent l'oreille.

Il a veu le P�rou 1, Mexique & la Merveille

Du Vulcan infernal qui vomit tant de feux,

Et les saults Mocosans 2, qui offensent les yeux

De ceux qui osent voir leur cheute nonpareille.

Il nous promet encor de passer plus avant,

R�duire les Gentils, & trouver le Levant,

Par le Nort, ou le Su, pour aller � la Chine.

C'est charitablement tout pour l'amour de Dieu.

Sy des lasches poltrons qui ne bougent d'un lieu!

Leur vie, sans mentir, me paroist trop mesquine.

DE LA FRANCHISE.




Note 1: (retour) Champlain a bien �t� jusqu'� Mexico, comme on peut le voir dans son Voyage aux Indes Occidentales; mais il ne s'est pas rendu au P�rou, que nous sachions.

Note 2: (retour) Mocosa est le nom ancien de la Virginie. Cette expression, saults Mocosans, semble donner � entendre que, d�s 1603 au moins, l'on avait quelque connaissance de la grande chute de Niagara.




vi/62

EXTRAICT DU PRIVILEGE.

PAR privilege du Roy donn� � Paris le 15 de novembre 1603, sign� Brigard.

Il est permis au Sieur de Champlain de faire imprimer par tel imprimeur que bon luy semblera un livre par luy compos�, intitul�. Des Sauvages, ou Voyage du Sieur de Champlain, fait en l'an 1603, & sont faictes deffenses � tous libraires & imprimeurs de ce Royaume, de n'imprimer, vendre & distribuer ledict livre, si ce n'est du consentement de celuy qu'il aura nomm� & esleu, � peine de cinquante escus d'amende, de confiscation & de tous despens, ainsi qu'il est plus amplement contenu audit privilege.

Ledict Sieur de Champlain, suivant son dit privilege, a esleu & permis � Claude de Monstr'oeil, libraire en l'universit� de Paris, d'imprimer le susdict livre, & luy a c�d� & transport� son dit privilege, sans que nul autre le puisse imprimer, ou faire imprimer, vendre & distribuer, durant le temps de cinq ann�es, sinon du consentement dudict Monstr'oeil, sur les peines contenues audit privilege.

vii/63

TABLE DES CHAPITRES.

ref du discours, o� est contenu le Voyage depuis Honfleur en Normandie jusques au port de Tadousac en Canadas. Chap. I.

Bonne r�ception faicte aux Fran�ois par le grand Sagamo des Sauvages de Canada, leurs festins & dances, la guerre qu'ils ont avec les Irocois, la fa�on & de quoy sont faicts leurs canots & cabanes: avec la description de la poincte de Sainct Mathieu. Chap. II.

La rejouissance que font les Sauvages apr�s qu'ils ont eu victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs; endurent la faim, sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions; parlent aux diables; leurs habits, & comme ils vont sur les neiges, avec la mani�re de leur mariage, & de l'enterrement de leurs morts. Chap. III.

Riviere du Saguenay, & son origine. Chap. IV.

Partement de Tadousac pour aller au Sault; la description des isles du Lievre, du Coudre, d'Orl�ans & de plusieurs autres isles, & de nostre arriv�e � Qu�bec. Chap. V.

De la poincte Saincte Croix, de la riviere de Batiscan, des rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes & beaux pays qui sont depuis Qu�bec jusques aux Trois-Rivieres. Chap. VI.

Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on voit dans le pays de la riviere des Irocois, & de la forteresse des Sauvages qui leur font la guerre. Chap. VII.

Arriv�e au Sault, sa description, & ce qui s'y void de remarquable, avec le rapport des Sauvages de la fin de la grande riviere. Chap. VIII.

Retour du Sault � Tadousac, avec la confrontation du rapport de plusieurs sauvages touchant la longueur & commencement de la riviere de Canadas; du nombre des saults & lacs qu'elle traverse. Chap. IX.

Voyage de Tadousac en l'isle Perc�e; description de la baye des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la baye de Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays o� se trouvent plusieurs sortes de mines. Chap. X.

Retour de l'isle Perc�e � Tadousac, avec la description des anses, ports, rivieres, isles, rochers, saults, bayes & basses, qui sont le long de la coste du Nort. Chap. XI.

viii/64Les c�r�monies que font les Sauvages devant que d'aller � la guerre: Des Sauvages Almouchicois & de leurs monstrueuses formes. Discours du sieur Prevert de Sainct Malo, sur la descouverture de la coste d'Arcadie, quelles mines il y a, & de la bont� & fertilit� du pays. Chap. XII.

D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent Gougou, & de nostre bref & heureux retour en France. Chap. XIII.




1/65

DES SAUVAGES

ou

VOYAGE DU SIEUR DE CHAMPLAIN

faict en l'an 1603.





Bref discours o� est contenu le voyage depuis Honfleur en Normandie, jusques au port de Tadousac en Canadas.

CHAPITRE PREMIER.

ous partismes de Honfleur le 15e jour de mars 1603. Ce dit jour, nous relaschasmes � la rade du Havre de Grace, pour n'avoir le vent favorable. Le dimanche ensuyvant, 16e jour dudit mois, nous mismes � la voille pour faire nostre route. Le 17 ensuyvant, nous eusmes en veue D'orgny & Grenesey 3, qui sont des isles entre la coste de Normandie & Angleterre. Le 18 dudit mois, eusmes la congnoissance de la coste de Bretagne. Le 19 nous faisions estat, � 7 heures du soir estre le travers de Ouessans. Le 21, � 17 heures4 du matin, nous rencontrasmes 7 vaisseaux flamans, qui, � nostre 2/66jugement, venoient des Indes. Le jour de Pasques, 30 dudit mois, fusmes contrariez d'une grande tourmente, qui paroissoit estre plustost foudre que vent, qui dura l'espace de dix-sept jours, mais non si grande qu'elle avoit faict les deux premiers jours, & durant cedict temps, nous eusmes plus de d�chet que d'advancement. Le 16e jour d'apvril, le temps commen�a � s'adoucir, & la mer plus belle qu'elle n'avoit est�, avec contentement d'un chacun; de fa�on que continuans nostre dicte route jusques au 28e jour dudit mois, que rencontrasmes une glace fort haulte. Le lendemain, nous eusmes congnoissance d'un banc de glace qui duroit plus de 8 lieues de long, avec une infinit� d'autres moindres, qui fut l'occasion que nous ne pusmes passer; & � l'estime du pilote les dittes glaces estoient � quelque 100 ou 120 lieues de la terre de Canadas, & estions par les 45 degrez 2/3, & vinsmes trouver passage par les 44.

Note 3: (retour) Avrigny et Guernesey.

Note 4: (retour) Il est �vident qu'il faut lire �7 heures,� vu qu'il n'est point question d'une observation astronomique; d'ailleurs, m�me dans son Trait� de la Marine, Champlain s�pare le jour en deux fois douze heures.

Le 2 de may, nous entrasmes sur le Banc � unze heures du jour par les 44. degrez 2/3. Le 6 dudict mois, nous vinsmes si proche de terre, que nous oyons la mer battre � la coste; mais nous ne la peusmes recongnoistre pour l'espaisseur de la brume dont ces dittes costes sont subjectes, qui fut cause que nous mismes � la mer encores quelques lieues, jusques au lendemain matin, que nous eusmes congnoissance de terre, d'un temps assez beau, qui estoit le cap de Saincte Marie 5.

Note 5: (retour) Jean Alphonse mentionne ce nom, de m�me que celui des �les Saint-Pierre, d�s l'ann�e 1545, dans sa Cosmographie. (Biblioth. imp�riale, ms. fr. 676.)

Le 12e jour ensuyvant, nous fusmes surprins d'un 3/67grand coup de vent, qui dura deux jours. Le 15 dudict mois, nous eusmes congnoissance des isles de Sainct Pierre. Le 17 ensuyvant, nous rencontrasmes un banc de glace, pr�s du cap de Raie, qui contenoit six lieues, qui fut occasion que nous amenasmes toute la nuict, pour �viter le danger o� nous pouvions courir. Le lendemain, nous mismes � la voille, & eusmes congnoissance du cap de Raye, & isles de Sainct Paul, & cap de Sainct Laurens6, qui est terre ferme � la bande du Su; & dudict cap de Sainct Laurens jusques audict cap de Raie il y a dix-huict lieues, qui est la largeur de l'entr�e de la grande baie de Canadas 7. Ce dict jour, sur les dix heures du matin, nous rencontrasmes une autre glace qui contenoit plus de huict lieues de long. Le 20 dudict mois, nous eusmes congnoissance d'une isle qui a quelque vingt-cinq ou trente lieues de long, qui s'appelle Anticosty8, qui est l'entr�e de la 4/68riviere de Canadas 9. Le lendemain, eusmes congnoissance de Gachep�10, terre fort haulte, & commen�asmes � entrer dans la dicte riviere de Canadas, en rangeant la bande du Su jusques � Mantanne11, o� il y a, dudict Gachep�, soixante-cinq lieues. Dudict Mantanne, nous vinsmes prendre congnoissance du Pic 12, o� il y a vingt lieues, qui est � laditte bande du Su; dudict Pic, nous traversasmes la riviere jusques � Tadousac, o� il y a quinze lieues. Toutes ces dittes terres sont fort haultes �lev�es, qui sont sterilles, n'apportant aucune Commodit�.

Note 6: (retour) Rigoureusement, le point du Cap-Breton le plus rapproch� du cap de Raie, est le cap de Nord, dont le cap Saint-Laurent est �loign� de deux lieues.

Note 7: (retour) Cette expression �baie de Canada�, pour d�signer le golfe Saint-Laurent, montre que pendant longtemps les deux noms ont �t� employ�s simultan�ment; car on voit, par la carte de Th�vet, que le golfe Saint-Laurent portait, d�s 1575, le m�me nom qu'aujourd'hui. Cependant, ce que les auteurs de ce temps se sont accord�s � appeler Commun�ment la Grande-Baie, est cette partie du golfe comprise entre la c�te du Labrador et la c�te occidentale de Terre-Neuve.

Note 8: (retour) L'�le d'Anticosti a cinquante lieues de long. Ce nom d'Anticosti, de m�me que ceux de Gasp�, de Matane, de Tadoussac et autres, �tait d�j� suffisamment connu � cette �poque, pour que Champlain se dispense de faire ici aucune remarque. En effet, d�s l'ann�e 1586, Th�vet, dans son Grand Insulaire, dit �que les sauvages du pays l'appellent Naticousti�; ce que confirme Lescarbot du temps m�me de Champlain: �Cette ile est appell�e, dit-il, par les Sauvages du pa�s Anticosti.� D'un autre c�t�, Hakluyt (vers 1600), sur la foi sans doute des voyageurs qu'il cite, l'appelle Natiscotec, et Jean de Lact adopte, sans dire pourquoi, l'orthographe de Hakluyt. �Elle est nomm�e, dit-il, en langage des sauvages Natiscotec.� Ce dernier nom se rapproche davantage de celui de Natascoueh (o� l'on prend l'ours), que lui donnent aujourd'hui les Montagnais. Jacques Cartier, en 1535, lui donna le nom d'Ile de l'Assomption. Soit erreur, soit antipathie pour le navigateur malouin, M. de Roberval et son pilote Jean Alphonse l'appellent Ile de l'Ascension. Th�vet la mentionne, dans sa Cosmographie universelle, sous le nom de Laisple, et, dans son Grand Insulaire, il l'appelle, comme Cartier, �Isle de l'Assomption, laquelle, ajoute-t-il, d'autres nomment de Laisple.�

Note 9: (retour) Le fleuve Saint-Laurent.

Note 10: (retour) Ou Gasp�. Suivant M. l'abb� J.-A. Maurault, ce nom serait une contraction du mot abenaquis �Katsepisi, qui est s�par�ment, qui est s�par� de l'autre terre.� On sait, en effet, que le Forillon, aujourd'hui min� par la violence des vagues, �tait un rocher remarquable s�par� du cap de Gasp�.

Note 11: (retour) Ou Matane. Jean Alphonse l'appelle rivi�re de Ca�n.

Note 12: (retour) Le Bic. Au temps de Jean Alphonse, on l'appelait Cap de Marbre. Jacques Cartier, en 1535, avait donn� au havre du Bic le nom d'Isleaux Saint-Jean, parce qu'il y �tait entr� le jour de la D�collation de saint Jean.

Le 24 dudict mois, nous vinsmes mouiller l'ancre devant Tadousac 13, & le 26 nous entrasmes dans le dict port qui est faict comme une anse, � l'entr�e de la riviere du Sagenay, o� il y a un courant d'eau & mar�e fort estrange pour sa vitesse & profondit�, o� quelques fois il vient des vents imp�tueux 14 � cause de la froidure qu'ils am�nent avec eux. L'on tient que laditte riviere a quelque quarante-cinq 5/69ou cinquante lieues jusques au premier sault, & vient du cost� du Nort-Norouest. Ledict port de Tadousac est petit, o� il ne pourroit15 que dix ou douze vaisseaux; mais il y a de l'eau ass�s � l'Est, � l'abry de la ditte riviere de Sagenay, le long d'une petite montaigne qui est presque coup�e de la mer. Le reste, ce sont montagnes haultes �lev�es, o� il y a peu de terre, sinon rochers & sable remplis de bois de pins, cyprez16, sapins, & quelques mani�res d'arbres de peu. Il y a un petit estang proche dudit port, renferm� de montaignes couvertes de bois. A l'entr�e dudict port, il y a deux poinctes: l'une, du cost� de Ouest, contenant une lieue en mer, qui s'appelle la poincte de Sainct Matthieu17; & l'autre, du cost� de Su-Est, contenant un quart de lieue, qui s'appelle la poincte de tous les Diables 18. Les vents du Su & Su-Suest & Su-Sorouest frappent dedans ledict port. Mais, de la pointe de Sainct Matthieu jusques � la pointe de tous les Diables, il y a pr�s d'une lieue, l'une & l'autre pointe asseche de basse mer.

Note 13: (retour) Le P. J�r�me Lalemant (Relation 1646) dit que les sauvages appelaient Tadoussac Sadilege; d'un autre c�t�, Th�vet, dans son Grand Insulaire, affirme que les sauvages de son temps appelaient le Saguenay Thadoyseau. Il est probable qu'� ces diverses �poques, comme encore aujourd'hui, on prenait souvent l'un pour l'autre. Ce qui est s�r, c'est que ces deux noms sont sauvages: Tadoussac ou Tadouchac, veut dire mamelons, (du mot totouchac, qui en montagnais veut dire mamelles), et Saguenay signifie eau qui sort (du montagnais saki-nip).

Note 14: (retour) La copie originale portait probablement �importuns�. Lescarbot, qui reproduit ce voyage � peu pr�s textuellement, a mis: �des vents imp�tueux lesquels am�nent avec eux de grandes froidures.�

Note 15: (retour) Le verbe pouvoir s'employait alors activement, en parlant de la capacit� des objets.

Note 16: (retour) Comme il n'y a pas de vrai cypr�s en Canada, on pourrait croire d'abord que Champlain veut parler ici du pin gris, que nos Canadiens appellent vulgairement cypr�s, et que l'on trouve surtout dans les environs du Saguenay, mais, outre que Champlain mentionne ici le pin d'une mani�re g�n�rale, si l'on compare les diff�rents endroits o� il parle du cypr�s, on en viendra � la conclusion qu'il a voulu par ce terme d�signer notre c�dre (thuja), qui est un arbre tr�s-commun dans toutes les parties du pays; tandis que le pin gris ne s'y rencontre pas partout. La chose devient �vidente, si l'on fait attention que les feuilles du thuja ont beaucoup de ressemblance avec celles du cypr�s. �Ses feuilles, dit Du Hamel, en parlant du thuja (Trait� des Arbres et Arbustes), sont petites, comme articul�es les unes aux autres, et elles ressemblent � celles du cypr�s.�

Note 17: (retour) Dans l'�dition de 1613, Champlain l'appelle encore pointe Saint-Matthieu, �ou autrement aux Alouettes.� Aujourd'hui elle n'est plus connue que sous ce dernier nom.

Note 18: (retour) Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Cette pointe a chang� de nom du vivant m�me de l'auteur. Dans l'�dition de 1632, elle est appel�e pointe aux roches; mais il nous semble �vident que ce dernier nom doit �tre attribu� � l'inadvertance de l'imprimeur: car Sagard, qui publiait, cette ann�e-l� m�me, son Grand Voyage au pays des Hurons, mentionne cette pointe � plusieurs reprises, et l'appelle absolument comme nous l'appelons aujourd'hui, la pointe aux Vaches. D'ailleurs la ressemblance que peuvent avoir, dans un manuscrit, les deux mots roches et vaches, rend l'erreur tout � fait vraisemblable.





6/70

Bonne r�ception faicte aux Fran�ois par le grand Sagamo des Sauvages de Canadas, leurs festins & danses, la guerre qu'ils ont avec les Iroquois, la fa�on & de quoy sont faits leurs canots & cabannes: avec la description de la poincte de Sainct Matthieu.

CHAPITRE II.

Le 27e jour, nous fusmes trouver les Sauvages � la poincte de Sainct Matthieu, qui est � une lieue de Tadousac, avec les deux sauvages que mena le Sieur du Pont, pour faire le rapport de ce qu'ils avoient veu en France, & de la bonne r�ception que leur avoit fait le Roy. Ayans mis pied � terre, nous fusmes � la cabanne de leur grand Sagamo 19, qui s'appelle Anadabijou, o� nous le trouvasmes avec quelque quatre-vingts ou cent de ses compagnons qui faisoient tabagie (qui veut dire festin), lequel nous receut fort bien selon la coustume du pays, & nous feit asseoir aupr�s de luy, & tous les sauvages arrangez les uns aupr�s des autres des deux costez de la ditte cabanne. L'un des sauvages que nous avions amen� commen�a � faire sa harangue de la bonne r�ception que leur avoit fait le Roy, & le bon traictement qu'ils avoient receu en France, & qu'ils s'asseurassent que saditte Majest� 7/71leur voulloit du bien, & desiroit peupler leur terre, & faire paix avec leurs ennemis (qui sont les Irocois), ou leur envoyer des forces pour les vaincre: en leur comptant aussy les beaux chasteaux, palais, maisons & peuples qu'ils avoient veus, & nostre fa�on de vivre. Il fut entendu avec un silence si grand qu'il ne se peut dire de plus. Or, apr�s qu'il eut achev� sa harangue, ledict grand Sagamo Anadabijou l'ayant attentivement ouy, il commen�a � prendre du Petun, & en donner audict Sieur du Pont-Grav� de Sainct Malo & � moy, & � quelques autres Sagamos qui estoient aupr�s de luy. Avant bien petunn�, il commen�a � faire sa harangue � tous, parlant poz�ment, s'arrestant quelquefois un peu, & puis reprenoit sa parolle en leur disant, que v�ritablement ils devoient estre fort contents d'avoir saditte Majest� pour grand amy. Ils respondirent tous d'une voix: Ho, ho, ho, qui est � dire ouy, ouy. Luy, continuant tousjours saditte harangue, dict qu'il estoit fort aise que saditte Majest� peuplast leur terre, & fist la guerre � leurs ennemis; qu'il n'y avoit nation au monde � qui ils voullussent plus de bien qu'aux Fran�ois: Enfin il leur fit entendre � tous le bien & l'utilit� qu'ils pourroient recevoir de saditte Majest�. Apr�s qu'il eut achev� sa harangue, nous sortismes de sa cabanne, & eux commenc�rent � faire leur tabagie ou festin, qu'ils font avec des chairs d'orignac, qui est comme boeuf, d'ours, de loups marins & castors, qui sont les viandes les plus ordinaires qu'ils ont, & du gibier en quantit�. Ils avoient huict ou dix chaudieres pleines de viandes, au milieu de laditte cabanne, 8/72& estoient esloign�es les unes des autres quelques six pas, & chacune a son feu. Ils sont assis des deux costez (comme j'ay dict cy-dessus), avec chascun son escuelle d'escorce d'arbre: & lorsque la viande est cuitte, il y en a un qui fait les partages � chascun dans lesdittes escuelles, o� ils mangent fort salement; car, quand ils ont les mains grasses, ils les frottent � leurs cheveux ou bien au poil de leurs chiens, dont ils ont quantit� pour la chasse. Premier que leur viande fust cuitte, il y en eut un qui se leva, & print un chien, & s'en alla saulter autour desdittes chaudi�res d'un bout de la cabanne � l'autre. Estant devant le grand Sagamo, il jetta son chien � terre de force, & puis tous d'une voix ils s'escrierent: Ho, ho, ho: ce qu'ayant faict, s'en alla asseoir � sa place. En mesme instant, un autre se leva, & feit le semblable, continuant tousjours jusques � ce que la viande fut cuitte. Or, apr�s avoir achev� leur tabagie, ils commenc�rent � danser, en prenant les testes de leurs ennemis, qui leur pendoient par derri�re, en signe de resjou�ssance. Il y en a un ou deux qui chantent en accordant leurs voix par la mesure de leurs mains, qu'ils frappent sur leurs genoux; puis ils s'arrestent quelquefois en s'escriant: Ho, Ho, ho, & recommencent � danser, en tournant comme un homme qui est hors d'haleine. Ils faisoient cette resjou�ssance pour la victoire par eux obtenue sur les Irocois, dont ils avoient tu� quelque cent, aux quels ils coup�rent les testes qu'ils avoient avec eux pour leur c�r�monie. Ils estoient trois nations quand ils furent � la guerre, les Estechemins, Algoumequins & Montagnez 20, 9/73au nombre de mille, qui all�rent faire la guerre auxdicts Irocois, qu'ils rencontr�rent � l'entr�e de la riviere desdicts Irocois 21, & en assommerent une centaine. La guerre qu'ils font n'est que par surprise; car autrement ils auroient peur, & craignent trop lesdicts Irocois, qui sont en plus grand nombre que lefdicts Montagn�s, Estechemins & Algoumequins.

Note 19: (retour) Sagamo veut dire en montagnais grand chef. D'apr�s Mgr Lafl�che, ce mot est compos� de tchi, grand (pour kitchi), et de okimau, chef; tchi okinau, grand chef.

Note 20: (retour) Les Etchemins, appel�s plus tard Mal�cites, habitaient principalement le pays situ� entre la rivi�re Saint-Jean et celle de Pentagouet ou P�nobscot. Les Algonquins qui se trouvaient en ce moment � Tadoussac, y �taient descendus probablement pour la traite; car leur pays �tait situ� sur l'Outaouais et au-del�. Les Montagnais, � proprement parler, �taient chez eux; car ils habitaient surtout le Saguenay et les pays environnants.

Note 21: (retour) La rivi�re de Sorel.

Le 28e jour dudict mois, ils se vindrent cabanner audict port de Tadousac, o� estoit nostre vaisseau. A la poincte du jour, leur dict grand Sagamo sortit de sa cabanne, allant autour de toutes les autres cabannes, en criant � haulte voix, qu'ils eussent � desloger pour aller � Tadousac, o� estoient leurs bons amis. Tout aussy tost un chascun d'eux deffit sa cabanne en moins d'un rien, & ledict grand capitaine le premier commen�a � prendre son canot, & le porter � la mer, o� il embarqua sa femme & ses enfants, & quantit� de fourreures, & se meirent ainsy pr�s de deux cents canots, qui vont estrangement; car encore que nostre chalouppe fust bien arm�e, si alloient-ils plus vite que nous. Il n'y a que deux personnes qui travaillent � la nage, l'homme & la femme. Leurs canots ont quelques huict ou neuf pas de long, & large comme d'un pas ou pas & demy par le milieu, & vont tousjours en amoindrissant par les deux bouts. Ils sont fort subjects � tourner 10/74si on ne les s�ait bien gouverner, car ils sont faicts d'escorce d'arbres appell�e bouille22, renforcez par le dedans de petits cercles de bois bien & proprement faicts, & sont si l�gers qu'un homme en porte un ais�ment, & chaqu'un canot peut porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre, pour aller � quelque riviere o� ils ont affaire, ils les portent avec eux.

Note 22: (retour) �corce de bouleau.

Leurs cabannes sont basses, faictes comme des tentes, couvertes de laditte escorce d'arbre, & laissent tout le haut descouvert comme d'un pied, d'o� le jour leur vient, & font plusieurs feux droit au millieu de leur cabanne, o� ils sont quelques fois dix mesnages ensemble. Ils couchent sur des peaux, les uns parmy les autres, les chiens avec eux.

Ils estoient au nombre de mille personnes, tant hommes que femmes & enfans. Le lieu de la poincte de Sainct Matthieu, o� ils estoient premi�rement cabannez, est assez plaisant. Ils estoient au bas d'un petit costeau plein d'arbres, de sapins & cypr�s. A laditte poincte, il y a une petite place unie, qui descouvre de fort loin; & au dessus dudict costeau, est une terre unie, contenant une lieue de long, demye de large, couverte d'arbres; la terre est fort sablonneuse, o� il y a de bons pasturages. Tout le reste, ce ne sont que montaignes de rochers fort mauvais. La mer bat autour dudict costeau, qui asseiche pr�s d'une grande demy lieue de basse eau.





11/75

La resjou�ssance que font les Sauvages apr�s qu'ils ont eu victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs, endurent la faim, sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions, parlent aux Diables; leurs habits, & comme ils vont sur les neiges; avec la mani�re de leur mariage, & de l'enterrement de leurs morts.

CHAPITRE III.

Le 9e jour de Juin, les Sauvages commenc�rent � se resjou�r tous ensemble & faire leur tabagie, comme j'ay dict cy-dessus, & danser, pour laditte victoire qu'ils avoient obtenue contre leurs ennemis. Or, apr�s avoir faict bonne ch�re, les Algoumequins, une des trois nations, sortirent de leurs cabannes, & se retir�rent � part dans une place publique, feirent arranger toutes leurs femmes & filles les unes pr�s des autres, & eux se meirent derri�re, chantant tous d'une voix comme j'ay dict cy devant. Aussi tost toutes les femmes & filles commenc�rent � quitter leurs robbes de peaux, & se meirent toutes nues, monstrans leur nature, neantmoins par�es de matachias, qui sont patenoftres & cordons entrelacez, faicts de poil de porc-espic, qu'ils teignent de diverses couleurs. Apr�s avoir achev� leurs chants, ils dirent tous d'une voix, ho, ho, ho; � mesme instant, toutes les femmes & filles se couvroient de leurs robbes, car elles sont � leurs pieds, & s'arrestent quelque peu, & puis aussi tost recommen�ans � chanter, ils laissent aller leurs robbes comme auparavant. Ils 12/76ne bougent d'un lieu en dansant, & font quelques gestes & mouvemens du corps, levans un pied, & puis l'autre, en frappant contre terre. Or, en faisant ceste danse, le Sagamo des Algoumequins, qui s'appelle Besouat23, estoit assis devant lesdittes femmes & filles, au millieu de deux bastons o� estoient les testes de leurs ennemis pendues; quelques fois il se levoit, & s'en alloit haranguant & disant aux Montagn�s & Estechemins: �Voyez comme nous nous resjou�ssons de la victoire que nous avons obtenue sur nos ennemis: il faut que vous en fassiez autant, affin que nous soyons contens.� Puis tous ensemble disoient, ho, ho, ho. Retourn� qu'il fut en sa place, le grand Sagamo avecque tous ses compaignons despouillerent leurs robbes, estans tous nuds hormis leur nature, qui est couverte d'une petite peau, & prindrent chascun ce que bon leur sembla, comme matachias, haches, esp�es, chauldrons, graisses, chair d'orignac, loup-marin, bref chascun avoit un present, qu'ils all�rent donner aux Algoumequins. Apr�s toutes ces c�r�monies, la danse cessa, & lesdicts Algoumequins, hommes & femmes, emport�rent leurs presens dans leurs cabannes. Ils feirent encore mettre deux hommes de chacune nation des plus dispos, qu'ils feirent courir, & celuy qui fut le plus viste � la course eut un present.

Note 23: (retour) Probablement le m�me que Tessouat, grand sagamo des Algonquins de l'Isle ou Kichesipirini. Quelques ann�es plus tard, en 1613, ce chef accueille l'auteur comme une vieille connaissance; et cependant ils n'avaient pas d� se rencontrer depuis 1603; car on ne voit pas que Tessouat ait pris part aux exp�ditions contre les Iroquois, ni qu'il soit descendu � la traite en 1611. D'ailleurs, dans un manuscrit, tesouat peut tr�s-bien se prendre pour besouat.

Tous ces peuples sont tous d'une humeur assez 13/77joyeuse; ils rient le plus souvent; toutes fois ils sont quelque peu saturniens. Ils parlent fort poz�ment, comme se voullant bien faire entendre, & s'arrestent aussi tost, en songeant une grande espace de temps, puis reprennent leur parolle. Ils usent bien souvent de ceste fa�on de faire parmy leurs harangues au conseil, o� il n'y a que les plus principaux, qui sont les anciens, les femmes & enfants n'y assistent poinct.

Tous ces peuples patissent tant quelques fois, qu'ils sont presque constraints de se manger les uns les autres, pour les grandes froidures & neiges, car les animaux & gibier dequoy ils vivent se retirent aux pays plus chauts. Je tiens que qui leur monstreroit � vivre, & enseigneroit le labourage des terres & autres choses, ils l'apprendroient fort bien; car je vous asseure qu'il s'en trouve assez qui ont bon jugement, & respondent assez bien � propos sur ce que l'on leur pourroit demander. Ils ont une meschancet� en eux, qui est user de vengeance, & estre grands menteurs, gens en qui il ne fait pas trop bon s'asseurer, sinon qu'avec raison & la force � la main; promettent assez, & tiennent peu.

Ce sont la plus part gens qui n'ont point de loy, selon que j'ay pu veoir & m'informer audict grand Sagamo, lequel me dict qu'ils croyoient v�ritablement qu'il y a un Dieu, qui a cr�� toutes choses. Et lors je luy dy: Puisqu'ils croyoient � un seul Dieu, comment est-ce qu'il les avoit mis au monde, & d'o� ils estoient venus? Il me respondit: �Apr�s que Dieu eut fait toutes choses, il print quantit� de flesches, & les meit en terre; d'o� il sortit 14/78hommes & femmes, qui ont multipli� au monde jusques � pr�tent, & sont venus de ceste fa�on.� le luy respondy, que ce qu'il disoit estoit faux; mais que v�ritablement il y avoit un seul Dieu, qui avoit cr�� toutes choses en la terre & aux cieux. Voyant toutes ces choses si parfaictes, sans qu'il y eust personne qui gouvernast en ce bas monde, il print du limon de la terre, & en cr�a Adam nostre premier p�re. Comme Adam sommeilloit, Dieu print une coste dudict Adam, & en forma Eve, qu'il luy donna pour compagnie, & que c'estoit la v�rit� qu'eux & nous estions venus de ceste fa�on, & non de flesches comme ils croyent. Il ne me dict rien sinon, qu'il advo�oit plustost ce que je luy disois, que ce qu'il me disoit. Je luy demandis aussi, s'ils ne croyoient point qu'il y eust autre qu'un seul Dieu. Il me dict que leur croyance estoit, qu'il y avoit un Dieu, un Fils, une M�re & le Soleil, qu'estoient quatre; neantmoins que Dieu estoit par dessus tous, mais que le fils estoit bon, & le Soleil, � cause du bien qu'ils recevoient; mais la m�re ne valloit rien, & les mangeoit, & que le p�re n'estoit pas trop bon. Je luy remonstray son erreur selon nostre foy, enquoy il adjousta quelque peu de cr�ance. Je luy demandis, s'ils n'avoient point veu ou ouy dire � leurs ancestres que Dieu fust venu au monde. Il me dict qu'il ne l'avoit point veu; mais qu'anciennement il y eut cinq hommes qui s'en all�rent vers le soleil couchant, qui rencontr�rent Dieu, qui leur demanda: �Ou allez-vous?� Ils dirent: �Nous allons chercher nostre vie.� Dieu leur respondit: �Vous la 15/79trouverez icy.� Ils pass�rent plus outre, sans faire estat de ce que Dieu leur avoit dict, lequel print une pierre, & en toucha deux, qui furent transmuez en pierre, & dict de rechef aux trois autres: �O� allez-vous?� Et ils respondirent comme � la premi�re fois, & Dieu leur dit de rechef: �Ne passez plus outre: vous la trouverez icy.� Et voyant qu'il ne leur venoit rien, ils passerent outre, & Dieu print deux bastons, & il en toucha les deux premiers, qui furent transmuez en bastons, & le cinquiesme s'arresta, ne voullant passer plus outre. Et Dieu lui demanda de rechef: �O� vas-tu?�—�Je vais chercher ma vie.�—�Demeure, & tu la trouveras.� Il demeura sans passer plus outre, & Dieu luy donna de la viande, & en mangea. Apr�s avoir faict bonne ch�re, il retourna avecque les autres sauvages, & leur raconta tout ce que dessus.

Il me dict aussy qu'une autre fois il y avoit un homme qui avoit quantit� de tabac (qui est une herbe dequoy ils prennent la fum�e), & que Dieu vint � cet homme, & luy demanda o� estoit son petunoir; l'homme print son petunoir, & le donna � Dieu, qui petuna beaucoup. Apr�s avoir bien petun�, Dieu rompit ledict petunoir en plusieurs pi�ces, & l'homme luy demanda: �Pourquoy as-tu rompu mon petunoir? eh tu vois bien que je n'en ay point d'autre.� Et Dieu en print un qu'il avoit, & le luy donna, luy disant: �En voil� un que je te donne, porte-le � ton grand Sagamo, qu'il le garde, & s'il le garde bien, il ne manquera point de chose quelconque, ny tous ses 16/80compagnons.� Le dict homme print le petunoir, qu'il donna � son grand Sagamo; lequel tandis qu'il l'eut, les sauvages ne manqu�rent de rien du monde; mais que du depuis le dict Sagamo avoit perdu ce petunoir, qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelques fois parmy eux. Je luy demandis s'il croyoit tout cela; il me dict qu'ouy, & que c'estoit v�rit�. Or je croy que voil� pourquoy ils disent que Dieu n'est pas trop bon. Mais je luy repliquay, & luy dis, Que Dieu estoit tout bon, & que sans doubte c'estoit le Diable qui s'estoit montr� � ces hommes-l�, & que s'ils croyoient comme nous en Dieu, ils ne manqueroient de ce qu'ils auraient besoing; que le soleil qu'ils voyaient, la lune & les estoilles, avoient est� cr�ez de ce grand Dieu, qui a faict le ciel & la terre, & n'ont nulle puissance que celle que Dieu leur a donn�e; que nous croyons en ce grand Dieu, qui par sa bont� nous avoit envoy� son cher fils, lequel, conceu du Sainct Esprit, print chair humaine dans le ventre virginal de la Vierge Marie, ayant est� trente-trois ans en terre, faisant une infinit� de miracles, ressuscitant les morts, guerissant les malades, chassant les Diables, illuminant les aveugles, enseignant aux hommes la volont� de Dieu son p�re, pour le servir, honorer & adorer, a espandu son sang, & souffert mort & passion pour nous & pour nos p�chez, & rachept� le genre humain, estant ensevely est ressuscit�, descendu aux enfers, & mont� au ciel, o� il est assis � la dextre de Dieu son pere24. Que c'estoit l� la croyance de tous 17/81les chrestiens, qui croyent au P�re, au Fils & au Saint Esprit, qui ne sont pourtant trois dieux, ains un mesme & un seul dieu, & une trinit� en laquelle il n'y a point de plus tost ou d'apr�s, rien de plus grand ne de plus petit; que la Vierge Marie, m�re du fils de Dieu, & tous les hommes & femmes qui ont vescu en ce monde faisans les commandemens de Dieu, & endur� martyre pour son nom, & qui par la permission de Dieu ont faict des miracles & sont saincts au ciel en son paradis, prient tous pour nous ceste grande majest� divine de nous pardonner nos fautes & nos p�chez que nous faisons contre sa loy & ses commandemens. Et ainsi, par les pri�res des saincts au ciel & par nos pri�res que nous faisons � sa divine majest�, ils nous donne ce que nous avons besoing, & le Diable n'a nulle puissance sur nous, & ne peut faire de mal; que s'ils avoient ceste croyance, qu'ils feroient comme nous, que le Diable ne leur pourroit plus faire de mal & ne manqueroient de ce qu'ils auroient besoing.

Note 24: (retour) Lescarbot fait sur ce passage la remarque suivante: �Je ne croy point que cette th�ologie se puisse expliquer � ces peuples, quand m�me on s�auroit parfaitement leur langue.� Il nous semble cependant que cette th�ologie n'a rien qui soit beaucoup plus difficile � entendre que la fable rapport�e par le sagamo, puisque Champlain ne fait gu�re que lui raconter des faits historiques qui ont au moins en leur faveur le m�rite de la vraisemblance. Suppos�, au reste, que ce discours ne f�t pas tout � fait � la port�e de son interlocuteur, il n'en serait pas moins une preuve du z�le et des bonnes intentions de Champlain.

Alors ledict Sagamo me dict qu'il advouoit ce que je disois. Je luy demandis de quelle c�r�monie ils usoient � prier leur Dieu. Il me dict, qu'ils n'usoient point autrement de c�r�monies, sinon qu'un chascun prioit en son coeur comme il voulloit. Voil� pourquoy je croy qu'il n'y a aucune 18/82loy parmy eux, ne s�avent que c'est d'adorer & prier Dieu, & vivent la plus part comme bestes brutes, & croy que promptement ils seroient reduicts bons chrestiens, si l'on habitoit leur terre; ce qu'ils desireroient la plus part.

Ils ont parmy eux quelques sauvages, qu'ils appellent Pilotoua 25, qui parlent au Diable visiblement; & leur dict ce qu'il faut qu'ils fassent tant pour la guerre que pour autres choses, & que s'il leur commandoit qu'ils allassent mettre en ex�cution quelque entreprise, ou tuer un Fran�ois, ou un autre de leur nation, ils obe�roient aussi tost � son commandement.

Note 25: (retour) Quoique Champlain ait pu tenir des sauvages le mot pilotoua ou piletois, il para�t cependant qu'il leur est venu de la langue des Basques; c'est du moins ce que dit le P. Biard (Relat. de la Nouv. Fr., �dit. 1858, p. 17), en parlant de l'aoutmoin, �que les Basques, dit-il, appellent Pilotois, c'est-�-dire, sorcier.�

Aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font sont v�ritables; & de faict il y en a beaucoup qui disent aveoir veu & song� choses qui adviennent ou adviendront. Mais, pour en parler avec v�rit�, ce sont visions du Diable, qui les trompe & seduict. Voil� toute la cr�ance que j'ay pu apprendre d'eux, qui est bestiale.

Tous ces peuples, ce sont gens bien proportionnez de leurs corps, sans aucune difformit�; ils sont dispos, & les femmes bien form�es, remplies & potel�es, de couleur basan�e, pour la quantit� de certaine peinture dont ils se frottent, qui les faict devenir olivastres. Ils sont habillez de peaux; une partie de leur corps est couverte, & l'autre partie descouverte. Mais l'hyver ils rem�dient � tout, car ils sont habillez de bonnes fourrures, comme 19/83d'orignac, loutre, castors, ours-marins, cerfs biches qu'ils ont en quantit�. L'hyver, quand les neiges sont grandes, ils font une mani�re de raquette qui est grande deux ou trois fois comme celles de France, qu'ils attachent � leurs pieds, & vont ainsi dans les neiges sans enfoncer, car autrement ils ne pourroient chasser, ny aller en beaucoup de lieux.

Ils ont aussi une forme de mariage, qui est que quand une fille est en l'aage de quatorze ou quinze ans, elle aura plusieurs serviteurs & amis, & aura compagnie avec tous ceux que bon luy semblera; puis au bout de quelques cinq ou six ans, elle prendra lequel il luy plaira pour son mary, & vivront ainsi ensemble jusques � la fin de leur vie, si ce n'est qu'apr�s avoir est� quelque temps ensemble ils n'ont enfans, l'homme se pourra desmarier & prendre autre femme disant que la sienne ne vaut rien. Pour ainsi les filles sont plus libres que les femmes; or, despuis qu'elles sont mari�es, elles sont chastes, & leurs maris sont la pluspart jaloux, lesquels donnent des presens au p�re ou parens de la fille qu'ils auront espous�e. Voil� la c�r�monie & fa�on qu'ils usent en leurs mariages.

Pour ce qui est de leurs enterremens, quand un homme ou femme meurt, ils font une fosse, ou ils mettent tout le bien qu'ils auront, comme chaudrons, fourrures, haches, arcs & flesches, robbes & autres choses; & puis ils mettent le corps dedans la fosse, & le couvrent de terre, o� ils mettent quantit� de grosses pi�ces de bois dessus, & un bois debout qu'ils peignent de rouge par le haut. Ils 20/84croyent l'immortalit� des �mes & disent qu'ils vont se resjou�r en d'autres pays avec leurs parents & amis, quand ils sont morts.





Riviere du Saguenay & son origine.

CHAPITRE IV.

Le 11e jour de juin, je fus � quelques douze ou quinze lieues dans le Saguenay, qui est une belle riviere, & a une profondeur incroyable: car je croy, selon que j'ay entendu deviser d'o� elle proc�de, que c'est d'un lieu fort hault, d'o� il descend un torrent d'eau 26 d'une grande impetuosit�; mais l'eau qui en proc�de n'est point capable de faire un tel fleuve comme celuy-l�, qui n�antmoins ne tient que depuis cedict torrent d'eau, o� est le premier fault, jusques au port de Tadousac, qui est l'entr�e de la ditte riviere du Saguenay, o� il y a quelques quarante-cinq ou cinquante lieues, & une bonne lieue & demye de large au plus, & un quart au plus estroict; qui faict qu'il y a grand courant d'eau. Toute la terre que j'ay veu, ce ne sont que montaignes de rochers la pluspart couvertes de bois de sapins, cyprez & boulle, terre fort malplaisante, o� je n'ay point trouv� une lieue de terre plaine tant d'un cost� que d'autre. Il y a quelques montagnes de sable & isles en laditte riviere, qui 21/85sont haultes eslev�es. Enfin ce sont de vrais deserts inhabitables d'animaux & d'oiseaux; car je vous asseure qu'allant chasser par les lieux qui me sembloient les plus plaisans, je ne trouvay rien qui soit sinon de petits oiseaux, qui sont comme rossignols & airondelles, lesquelles viennent en est�, car autrement je croy qu'il n'y en a point, � cause de l'excessif froid qu'il y faict, ceste riviere venant de devers le Norouest.

Note 26: (retour) On serait port� � croire d'abord qu'il est ici question de la d�charge du lac Saint-Jean; mais le contexte indique assez que les sauvages lui ont d�crit la route ordinaire des voyageurs, c'est-�-dire, la rivi�re Chicoutimi, les lacs Kinogomi, Kinogomichiche et la Belle-Rivi�re; et alors il est tout naturel que Champlain n'ait pas trouv� de proportion entre la D�charge et le Saguenay.

Ils me firent rapport qu'ayant pass� le premier sault, d'o� vient ce torrent d'eau, ils passent huict autres saults, & puis vont une journ�e sans en trouver aucun, puis passent autres dix saults, & viennent dedans un lac27, o� ils sont deux jours � rapasser; en chasque jour ils peuvent faire � leur aise quelques douze � quinze lieues. Audict bout du lac, il y a des peuples qui sont cabannez28, puis on entre dans trois autres rivieres, quelques trois ou quatre journ�es dans chascune; ou, au bout desdittes rivieres, il y a deux ou trois mani�res de lacs, d'o� prend la source du Saguenay, de laquelle source jusques audict port de Tadousac il y a dix journ�es de leurs canots 29. Au bord desdittes rivieres, il y a quantit� de cabannes, o� 22/86il vient d'autres nations du cost� du Nort, trocquer avec lesdicts Montagn�s des peaux de castor & martre, avec autres marchandises que donnent les vaisseaux fran�ois aux dicts Montagn�s. Lesdicts sauvages du Nort disent qu'ils voyent une mer qui est sal�e. Je tiens que si cela est, que c'est quelque goulfe de ceste mer qui desgorge par la partie du Nort dans les terres 30; & de v�rit� il ne peut estre autre chose. Voyl� ce que j'ay apprins de la riviere du Saguenay.

Note 27: (retour) Le lac Saint-Jean, que les sauvages appelaient Pi�couagami.

Note 28: (retour) La nation du Porc-�pic (ou des Kakouchaki) demeurait au lac Saint-Jean probablement d�s ce temps-l�.

Note 29: (retour)

�Voil�,� dit Lescarbot (liv. III, ch. IX) �ce qu'a �crit Champlain d�s l'an six cens cinq� (lisez mil six cent trois) �de la rivi�re de Saguenay. Mais depuis il dit en sa derni�re relation que du port de Tadoussac jusques � la mer que les Sauvages de Saguenay descouvrent au nort, il y a quarante � cinquante journ�es; ce qui est bien �loign� des dix que maintenant il a dit.�

Si Lescarbot avait examin� les choses plus attentivement, il aurait remarqu� que Champlain ne dit pas qu'il y ait dix journ�es de Tadoussac � cette mer du nord qui est sal�e, c'est-�-dire, � la baie d'Hudson, mais bien seulement de Tadoussac � la source du Saguenay; ce qui est tout diff�rent.

Note 30: (retour) La bonne foi avec laquelle Champlain consulte les sauvages pour en apprendre ce qu'il ne pouvait reconna�tre de ses yeux, contraste singuli�rement avec l'incr�dulit� de Lescarbot. Champlain, sur le simple r�cit des sauvages, avait assez bien compris la position de la baie d'Hudson, et Lescarbot, plusieurs ann�es apr�s la d�couverte faite, disait encore: �Toutesfois je ne voudrois ais�ment croire lesdits Anglois disans qu'il se trouve une mer dans les terres au cinquanti�me degr�: car il y a longtemps qu'elle seroit d�couverte, �tant si voisine de Tadoussac, & en m�me �l�vation� (liv. III, ch. IX).





Partement de Tadousac pour aller au Sault, la description des isles du Lievre, du Coudre, d'Orl�ans, & de plusieurs autres isles & de nostre arriv�e � Quebec.

CHAPITRE V.

Le mercredy, dix-huictiesme jour de juin, nous partismes de Tadousac, pour aller au Sault31. Nous passasmes pr�s d'une isle qui s'appelle l'Isle au Lievre32 qui peut estre � deux lieues de la terre de la bande du Nort, & � quelques sept lieues dudict Tadousac, & � cinq lieues 33 de la terre du Su.

Note 31: (retour) Le saut Saint-Louis.

Note 32: (retour) Cette �le fut ainsi appel�e par Jacques Cartier, parce que, � son retour en 1536, il y trouva quantit� de li�vres. Elle porte encore le m�me nom aujourd'hui.

Note 33: (retour) Environ deux lieues et demie. La c�te du sud, beaucoup moins �lev�e que celle du nord, para�t �tre � une bien plus grande distance qu'elle n'est r�ellement.

23/87De l'Isle au Lievre, nous rangeasmes la coste du Nort environ demye lieue 34, jusques � une poincte qui advance � la mer, o� il faut prendre plus au large. Laditte poincte est � une lieue d'une isle qui s'appelle L'Isle au Coudre, qui peut tenir environ deux lieues de large, & de laditte isle � la terre du Nort, il y a une lieue. Laditte isle est quelque peu unie, venant en amoindrissant par les deux bouts, au bout de l'Ouest, il y a des prairies 35 & poinctes de rochers qui advancent quelque peu dans la riviere. Laditte isle est quelque peu agr�able pour les bois qui l'environnent. Il y a force ardoise, & la terre quelque peu graveleuse; au bout de laquelle il y a un rocher qui advance � la mer environ demye lieue. Nous passasmes au Nort de laditte isle, distante de l'Isle au Lievre de douze Lieues.

Note 34: (retour) Par ce qui suit, on voit qu'il faut lire ici dix ou douze lieues: car cette pointe, qui avance � la mer et qui est � une lieue, ou un peu plus, de l'�le aux Coudres, ne peut �tre que le cap aux Oies.

Note 35: (retour) Cette partie de l'�le s'appelle encore aujourd'hui les Prairies.

Le jeudy suyvant, nous en partismes, & vinsmes mouiller l'ancre � une anse dangereuse du cost� du Nort, o� il y a quelques prairies & une petite riviere36 o� les sauvages cabannent quelques-fois. Cedict jour, rangeant tousjours laditte coste du Nort jusques � un lieu o� nous relaschasmes pour les vents qui nous estoient contraires, o� il y avoit force rochers & lieux fort dangereux, nous fusmes trois jours en attendant le beau temps. Toute ceste coste n'est que montaignes tant du cost� du Su, que du cost� du Nort, la pluspart ressemblant � celle du Saguenay.

Note 36: (retour) La Petite-Rivi�re a toujours gard� son nom depuis.

24/88Le dimanche, vingt-deuxiesme jour dudict mois, nous en partismes pour aller � l'isle d'Orl�ans 37, o� il y a quantit� d'isles � la bande du Su, lesquelles sont basses & couvertes d'arbres, semblans estre fort agr�ables, contenans (selon ce que j'ay pu juger) les unes deux lieues & une lieue, & autres demye; autour de ces isles ce ne sont que rochers & basses fort dangereux � passer, & sont esloign�es quelques deux lieues de la grand'terre du Su. Et de l�, vinsmes ranger � l'isle d'Orl�ans, du cost� du Su. Elle est � une lieue de la terre du Nord, fort plaisante & unie, contenant de long huict lieues 38. Le cost� de la terre du Su est terre basse, quelques deux lieues avant en terre; lesdittes terres commencent � estre basses � l'endroict de laditte isle, qui peut estre � deux lieues de la terre du Su. A passer du cost� du Nort, il y faict fort dangereux pour les bancs de sables, rochers qui sont entre laditte isle & la grand'terre, & asseiche presque toute de basse mer.

Note 37: (retour) Cette �le, suivant Th�vet (Grand Insulaire), �tait appel�e par les sauvages Minigo (peut-�tre Ouinigo, de l'Algonquin Ouindigo, ensorcel�). �J'avois oubli� � vous dire, que une isle nomm�e des fran�oys Orl�ans & des sauvages Minigo, est l'endroit o� la rivi�re est la plus estroicte...... L'isle de Minigo sert de retraite au peuple de ce pays, pour se retirer lorsqu'ils sont poursuivis de leurs ennemis...... Les Fran�ois,� ajoute-t-il plus loin, �la nomm�rent Isle d'Orl�ans, en l'honneur d'un fils de France, qui lors vivoit, & se nommoit lors de Valois, Duc D'Orl�ans, fils de ce grand Roy Fran�oys de Valois, premier du nom.� Si ce nom d'Orl�ans remonte, comme l'affirme Th�vet, � un fils de Fran�ois I, ce ne peut �tre que Henri II, qui porta le titre de Duc d'Orl�ans jusqu'� la mort de son fr�re a�n� Fran�ois, c'est-�-dire, jusqu'� l'ann�e 1536; car, cette ann�e-l� m�me, Jacques Cartier, en retournant de son second voyage, dit �vinsmes poser au bas de l'isle d'Orl�ans, environ douze lieues de Saincte Croix.� Il faut donc supposer ou bien que le nom de Bacchus, donn� � cette �le par Cartier lui-m�me l'automne pr�c�dent, aura �t� chang� pendant l'hiver que les Fran�ais pass�rent ici, ou bien que cette �le avait d�j� re�u son nom de quelque voyageur inconnu; ce qui n'est gu�re probable, puisque alors Cartier, qui devait le savoir aussi bien en remontant le fleuve qu'en descendant, ne pouvait, sans inconvenance, substituer un nom assez indiff�rent en lui-m�me, � celui d'un fils de France, du fils de son bienfaiteur.

Note 38: (retour) Sept lieues.

25/89Au bout de laditte isle, je vy un torrent d'eau 39, qui desbordoit de dessus une grande montaigne40 de laditte riviere de Canadas, & dessus laditte montaigne est terre unie & plaisante � veoir, bien que dedans lesdittes terres l'on voit de haultes montaignes, qui peuvent estre � quelques vingt ou vingt-cinq lieues dans les terres 41, qui sont proches du premier sault du Saguenay.

Note 39: (retour) L'auteur donna plus tard � ce torrent d'eau le nom de Montmorency, qu'il porte encore aujourd'hui. Dans la carte des environs de Qu�bec qu'il publia en 1613, il l'appelle �le grand sault de Montmorency.� Dans l'�dition de 1632, il ajoute: �Que j'ay nomm� le sault de Montmorency.�

Note 40: (retour) C'est-�-dire, un c�teau tr�s-escarp�, haut d'environ 300 pieds.

Note 41: (retour) Ces montagnes, qui forment la cha�ne des Laurentides, ne sont pas aussi �loign�es; mais elles s'�tendent en effet jusqu'au bassin du Saguenay.

Nous vinsmes mouiller l'ancre � Qu�bec 42, qui est un destroict de laditte riviere de Canadas, qui a quelque trois cens pas de large 43. Il y a � ce destroict, du cost� du Nort, une montaigne assez haulte, qui va en abaissant des deux costez; tout le reste 26/90est pays uny & beau, o� il y a de bonnes terres pleines d'arbres, comme chesnes, cypr�s, boulles, sapins & trembles, & autres arbres fruictiers sauvages, & vignes, qui faict qu'� mon opinion, si elles estoient cultiv�es, elles seroient bonnes comme les nostres. Il y a, le long de la coste dudict Qu�bec, des diamants dans des rochers d'ardoyse, qui sont meilleurs que ceux d'Alen�on. Dudict Qu�bec jusques � l'isle au Coudre, il y a 29 lieues 44.

Note 42: (retour) C'est ici la premi�re fois que l'on rencontre le nom de Qu�bec, pour d�signer ce que Jacques Cartier appelle tant�t Stadacon�, tant�t Canada. Tous ces noms, sans se contredire ou s'exclure, expriment, suivant la langue et le g�nie des sauvages, comme une nuance particuli�re du tableau pittoresque que pr�sente le site de Qu�bec. Stadacon� �tait b�ti sur l'aile que forme la pointe du cap aux Diamants; or, suivant Mgr Lafl�che, stadacon�, dans le dialecte cris ou algonquin, veut dire aile, quoique d'autres linguistes pr�tendent reconna�tre dans ce mot une origine huronne (voir Hist. de la Colonie fran�aise en Canada, I, 532, note 1). Le mot Canada, dont Cartier nous donne lui-m�me la signification (�ils appellent une ville canada�), semble avoir d�sign� l'importance relative que devait avoir Stadacon� par l'avantage m�me de sa position. Enfin, il est naturel de supposer que les sauvages, apr�s la disparition ou le d�placement de Stadacon�, n'aient pas trouv�, pour d�signer le m�me lieu, d'expression plus juste que celle de K�bec ou Qu�bec, qui veut dire, comme le remarque ici Champlain, d�troit, r�tr�cissement, et m�me quelque chose de plus expressif, c'est bouch�. Ce passage resserr� entre deux c�tes escarp�es, est peut-�tre ce qui frappe davantage le voyageur qui remonte le Saint-Laurent, jusque l� si large et si majestueux. Or les sauvages du bas du fleuve, et les Micmacs en particulier, se servent encore actuellement du m�me mot Kebec, pour signifier un lieu ou l'eau se r�tr�cit ou se referme. Inutile de r�futer ici les opinions plus ou moins ing�nieuses, qui Veulent trouver l'origine du nom de Qu�bec dans l'exclamation d'un matelot normand, quel bec! c'est-�-dire, quel cap! ou dans les armes de certain comte ou seigneur de Normandie. En face de toutes ces suppositions, il y a toujours les t�moignages imposants de Champlain et de Lescarbot, qui affirment que ce mot est sauvage. (Voir le Cours d'Histoire de M. Ferland, I, 90, note 3.)

Note 43: (retour) Le fleuve, devant Qu�bec, a un quart de lieue de large.

Note 44: (retour) Ce chiffre est de beaucoup trop fort; la copie originale portait probablement 19. Il y a environ 18 lieues.





De la poincte Sainte Croix, de la riviere de Batiscan; des rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes & beaux pays qui sont depuis Quebec, jusques aux Trois Rivieres.

CHAPITRE VI.

Le lundy, 23. dudict mois, nous partismes de Qu�bec, ou la riviere commence � s'�largir quelques-fois d'une lieue, puis de lieue & demye ou deux lieues au plus. Le pays va de plus en plus en embellissant; ce sont toutes terres basses, sans rochers, que fort peu. Le cost� du Nort est remply de rochers & bancs de sable, il faut prendre celuy du Su comme d'une demy lieue de terre. Il y a quelques petites rivieres qui ne sont point navigables, si ce n'est pour les canots des sauvages, auxquelles il y a quantit� de saults. Nous vinsmes mouiller l'ancre jusques � Saincte Croix 45, 27/91distante de Qu�bec de quinze lieues; c'est une poincte basse, qui va en haulsant des deux costez. Le pays est beau & uny, & les terres meilleures qu'en lieu que j'eusse veu, avec quantit� de bois, mais fort peu de sapins & cypr�s. Il s'y trouve en quantit� des vignes, poires, noysettes, cerises, groiselles rouges & vertes, & de certaines petites racines de la grosseur d'une petite noix ressemblant au goust comme truffes, qui sont tr�s-bonnes r�ties & bouillies. Toute ceste terre est noire, sans aucuns rochers, sinon qu'il y a grande quantit� d'ardoise; elle est fort tendre, & si elle estoit bien cultiv�e, elle seroit de bon rapport.

Note 45: (retour) Champlain nous fait conna�tre lui-m�me (�dit. 1613, liv, II, ch. IV) l'origine de ce nom de Sainte-Croix. �D�s la premi�re fois,� dit-il, �qu'on me dit qu'il (Cartier) avoit habit� en ce lieu, cela m'estonna fort.... Ce que l'on appelle aujourd'huy Saincte Croix s'appeloit lors Achelacy, destroit de la riviere fort courant & dangereux... Or en toute ceste riviere, n'y a destroit depuis Quebecq jusques au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle Saincte Croix, o� on a transf�r� ce nom d'un lieu � un autre...� D'o� l'on voit 1� que les navigateurs qui ont pr�c�d� Champlain croyaient que c'�tait en ce lieu qu'avait hivern� Cartier de 1535 � 1536; 2� que c'est ce qui Leur a fait donner � ce m�me lieu le nom de Sainte-Croix. La cause probable de cette erreur est la ressemblance qu'on a cru voir entre le rapide du Richelieu, et ce �destroict dudict fleuve fort courant & parfond� dont parle Cartier, et qu'il faut entendre de Qu�bec.

Du cost� du Nort, il y a une riviere qui s'appelle Batiscan, qui va fort avant en terre, par o� quelques-fois les Algoumequins viennent; & une autre 46 du mesme cost�, � trois lieues dudict Saincte Croix sur le chemin de Qu�bec, qui est celle o� fut Jacques Cartier au commencement de la descouverture qu'il en feit, & ne passa point plus outre 47. Laditte riviere est plaisante, & va assez avant dans les terres. Tout ce cost� du Nort est fort uny & aggreable.

Note 46: (retour) La rivi�re Jacques-Cartier, qui en effet se jette dans le fleuve � trois lieues environ de ce qu'on appelait alors la pointe de Sainte-Croix, aujourd'hui le Platon.

Note 47: (retour) L'auteur, qui probablement n'avait point encore vu les relations de Cartier, parle ici d'apr�s les traditions ou les id�es de ceux qui le pilotaient, et vraisemblablement de Pont-Grav� en particulier; car la Chronologie Sept�naire, qui semble prendre les int�r�ts de celui-ci, ench�rit encore sur ce passage, et ajoute: �ny autre apr�s luy qu'en ce voyage.� Mais Champlain �tait trop bon observateur pour ne pas concevoir quelques doutes sur la v�rit� de ces faits, �ne voyant, comme il dit, apparence de riviere pour mettre vaisseaux� (�dit. 1613, liv. II, ch. IV). Aussi prouve-t-il, au m�me endroit, que Cartier n'a pu hiverner ailleurs que dans la rivi�re Saint-Charles. Au reste il n'a pas pu s'imaginer qu'il �tait le premier � remonter le fleuve au-dessus de Sainte-Croix, comme l'insinue Lescarbot, puisqu'il �tait avec Pont-Grav�, qui connaissait les Trois-Rivi�res depuis au moins cinq ou six ans.

28/92Le mercredy, 24e jour48 dudict mois, nous partismes dudict Saincte Croix, o� nous retardasmes une mar�e & demye, pour le lendemain pouvoir passer de jour, � cause de la grande quantit� de rochers qui sont au travers de laditte riviere, (chose estrange � veoir) qui asseiche presque toute de basse mer. Mais � demy flot, l'on peut commencer � passer librement; toutesfois il faut y prendre bien garde, avec la sonde � la main. La mer y croist pr�s de trois brasses & demye.

Note 48: (retour) Le 24 �tait un mardi, et le contexte fait voir suffisamment qu'on �tait au mardi.

Plus nous allions en avant, & plus le pays est beau. Nous fusmes � quelques cinq lieues & demye mouiller l'ancre � la bande du Nort. Le mercredy ensuyvant, nous partismes de cedict lieu, qui est pays plus plat que celuy de devant, plein de grande quantit� d'arbres, comme � Saincte Croix. Nous passasmes pr�s d'une petite isle, qui estoit remplye de vignes, & vinsmes mouiller l'ancre � la bande du Su, pr�s d'un petit costeau; mais, estant dessus, ce sont terres unies. Il y a une autre petite isle 49, � trois lieues de Saincte Croix, proche de la terre du Su. Nous partismes le jeudi ensuyvant dudict costeau, & passasmes pr�s d'une petite isle, 29/93qui est proche de la bande du Nort, o� je fus, � quelques six petites rivieres, dont il y en a deux qui peuvent porter bateau assez avant, & une autre50 qui a quelques trois cens pas de large, � son entr�e il y a quelques isles; elle va fort avant dans la terre, est la plus creuse de toutes les autres; lesquelles sont fort plaisantes � veoir, les terres estans pleines d'arbres qui ressemblent � des noyers, & en ont la mesme odeur, mais je n'y ay point veu de fruict, ce qui me met en doubte. Les sauvages m'ont dict qu'il porte son fruict comme les nostres.

Note 49: (retour) Cette �le ne peut �tre que celle � laquelle il donna plus tard le nom de Richelieu, et que l'on a appel�e simplement �le de Sainte-Croix jusqu'en 1633. �Ce mesme jour� (3 juin 1633), dit le Mercure fran�ais, t. XIX, p. 822, �le sieur de Champlain partit pour aller � Saincte Croix faire porter des commoditez, pour �difier une cabanne � faire la traitte, y arriva le jour ensuyvant, & le dimanche 5 de juin alla recognoistre l'isle d�s le soir... Le lundy 6, ledit sieur envoya des hommes � terre pour commencer � faire la cabanne pour la traitte.� Et un peu plus loin: �Les ouvriers qui sont icy sont employez aux habitations & fortifications qu'il faut faire � l'isle de Richelieu & Trois Rivieres.� Suivant le P. Le Jeune (Rel. 1635, p. 13, �dit. 1858), les sauvages appelaient cette �le, Ka ouapassiniskakhi.

Note 50: (retour) La rivi�re de Sainte-Anne, dont il dit, dans son �dit. de 1613, liv. II, ch. VII, �& l'avons nomm�e la riviere Saincte-Marie.�

Passant plus outre, nous rencontrasmes une isle qui s'appelle Sainct Eloy51, & une autre petite isle, laquelle est tout proche de la terre du Nort. Nous passasmes entre laditte isle & laditte terre du Nort, o� il y a de l'un � l'autre quelques cent cinquante pas. De laditte isle jusques � la bande du Su une lieue & demye, passasmes proche d'une riviere o� peuvent aller les canots. Toute ceste coste du Nort est assez bonne; l'on y peut aller librement, n�antmoins la sonde � la main, pour esviter certaines poinctes. Toute ceste coste que nous rangeasmes est sable mouvant; mais, entrant quelque peu dans les bois, la terre est bonne.

Note 51: (retour) La Chronologie Sept�naire, dit: �qu'ils appellerent Sainct-Eloy.� Cette �le, situ�e en face de l'�glise actuelle de Batiscan, n'est plus gu�re connue sous ce nom; mais le petit chenal qui la s�pare de la terre ferme porte encore aujourd'hui le nom de Saint-�loi.

Le vendredy ensuyvant, nous partismes de ceste 30/94isle, costoyant tousjours la bande du Nort tout proche terre, qui est basse & pleine de tous bons arbres, & en quantit�, jusques aux Trois Rivieres, o� il commence d'y avoir temp�rature de temps quelque peu dissemblable � celuy de Saincte Croix, d'autant que les arbres y sont plus advancez qu'en aucun lieu que j'eusse encores veu. Des Trois Rivieres jusques � Saincte Croix il y a quinze lieues. En cette riviere52, il y a six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de quelques cinq � six cens pas de long, fort plaisantes, & fertilles pour le peu qu'elles contiennent. Il y en a une au milieu de laditte riviere qui regarde le passage de celle de Canadas, & commande aux autres esloign�es de la terre, tant d'un cost� que d'autre de quatre � cinq cens pas. Elle est eslev�e du cost� du Su, & va quelque peu en baissant du cost� du Nort. Ce seroit � mon jugement un lieu propre � habiter, & pourroit-on le fortifier promptement, car sa scituation est forte de soy, & proche d'un grand lac 53 qui n'en est qu'� quelques quatre lieues; lequel joinct presque la riviere de Saguenay54, selon le rapport des sauvages, qui vont pr�s de cent lieues au Nort, 31/95& passent nombre de saults, puis vont par terre quelques cinq ou six lieues, & entrent dedans un lac55, d'o� ledict Saguenay prend la meilleure part de sa source, & lesdicts sauvages viennent dudict lac � Tadousac. Aussi que l'habitation des Trois Rivieres seroit un bien pour la libert� de quelques nations, qui n'osent venir par l�, � cause desdicts Irocois leurs ennemis, qui tiennent, toute laditte riviere de Canadas bord�e, mais, estant habit�e, on pourroit rendre lesdicts Irocois & autres sauvages amis, ou � tout le moins, sous la faveur de laditte habitation, lesdicts sauvages viendroient librement sans crainte & danger, d'autant que ledict lieu des Trois Rivieres est un passage. Toute la terre que je vis � la terre du Nort est sablonneuse. Nous entrasmes environ une lieue dans laditte riviere, & ne pusmes passer plus outre � cause du grand courant d'eau. Avec un esquif, nous fusmes pour veoir plus avant, mais nous ne feismes pas plus d'une lieue, que nous rencontrasmes un sault d'eau fort estroict, comme de douze pas, ce qui fut occasion que nous ne peusmes passer plus outre. Toute la terre que je veis aux bords de laditte riviere, va en haussant de plus en plus, qui est remplie de quantit� de sapins & cyprez, & fort peu d'autres arbres.

Note 52: (retour) Le Saint-Maurice, auquel les auteurs ont le plus souvent donn� le nom de Trois-Rivi�res, parce que les deux �les principales qui se trouvent � son embouchure le s�parent en trois branches, appel�es les Chenaux. �Nous nommasmes icelle riviere,� dit Jacques Cartier, �riviere de Fouez,� et Lescarbot ajoute entre parenth�ses: (Je croy qu'il veut dire Foix� (Lesc., liv. III, ch. XVIII). Comme poste de traite, les Trois-Rivi�res �taient d�j� connues, sous ce nom, depuis au moins 1598: car, en 1599, lorsque M. Chauvin voulut s'�tablir � Tadoussac, Pont-Grav� �remonstra audit sieur Chauvin plusieurs fois qu'il falloit aller � mont ledit fleuve, o� le lieu est plus commode � habiter, ayant est� en un autre voyage jusques aux Trois Rivieres pour trouver les Sauvages, afin de traiter avec eux� (�dit. 1632, liv. I, ch. VI). Le nom sauvage des Trois-Rivi�res �tait Metaberoutin.

Note 53: (retour) Le lac Saint-Pierre.

Note 54: (retour) Le Saint-Maurice a sa source sur les m�mes hauteurs que plusieurs des rivi�res qui se d�chargent dans le lac Saint-Jean, consid�r� comme la source du Saguenay.

Note 55: (retour) Le lac Saint-Jean.





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Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on void dans le pays, de la riviere des Irocois, & de la forteresse des sauvages qui leur font la guerre.

CHAPITRE VII.

Le samedy ensuyvant, nous partismes des Trois Rivieres, & vinsmes mouiller l'ancre � un lac, o� il y a quatre lieues. Tout ce pays depuis les Trois Rivieres jusques � l'entr�e dudict lac, est terre � fleur d'eau, & du cost� du Su quelque peu plus haulte. Laditte terre est tr�s bonne, & la plus plaisante que nous eussions encores veu�. Les bois y sont assez clairs, qui faict que l'on pourroit y traverser ais�ment.

Le lendemain, 29 de juin56, nous entrasmes dans le lac, qui a quelques quinze lieues de long 57, & quelques sept ou huict lieues de large. A son entr�e du cost� du Su environ une lieue, il y a une riviere 58 qui est assez grande, & va dans les terres quelques soixante ou quatre-vingts lieues, & continuant du mesme cost�, il y a une autre petite riviere qui entre environ deux lieues en terre, & fort de dedans un autre petit lac 59 qui peut contenir quelques trois ou quatre lieues. Du cost� du 33/97Nort, o� la terre y paroist fort haulte, on void jusques � quelques vingt lieues; mais peu � peu les montaignes viennent en diminuant vers l'Ouest comme pa�s plat. Les sauvages disent que la pluspart de ces montaignes sont mauvaises terres. Ledict lac a quelques trois brasses d'eau par o� nous passasmes, qui fut presque au millieu. La longueur gist d'Est & Ouest, & de la largeur du Nort au Su. Je croy qu'il ne laisseroit d'y avoir de bons poissons, comme les especes que nous avons par de��. Nous le traversasmes ce mesme jour, & vinsmes mouiller l'ancre environ deux lieues dans la riviere qui va au hault, � l'entr�e de laquelle il y a trente petites isles60. Selon ce que j'ay pu veoir, les unes sont de deux lieues, d'autres de lieue & demye, & quelques unes moindres, lesquelles sont remplies de quantit� de noyers, qui ne sont gueres differens des nostres, & croy que les noix en sont bonnes � leur saison; j'en veis en quantit� sous les arbres, qui estoient de deux fa�ons, les unes petites, & les autres longues comme d'un pouce; mais elles estoient pourries. Il y a aussi quantit� de vignes sur le bord desdittes isles; mais quand les eaux sont grandes, la pluspart d'icelles sont couvertes d'eau. Et ce pa�s est encores meilleur qu'aucun autre que j'eusse veu.

Note 56: (retour) Le jour de la Saint-Pierre. C'est pour cette raison sans doute que ce lac a �t� appel� lac Saint-Pierre. Il avait port� pr�c�demment le nom d'Angoul�me (Th�vet, Cosmographie Universelle, t. II).

Note 57: (retour) Dans sa plus grande longueur il n'a que neuf ou dix lieues.

Note 58: (retour) Probablement la rivi�re de Nicolet; mais elle ne va pas si loin dans les terres.

Note 59: (retour) Il semble ici que l'auteur parle de ce que nous appelons aujourd'hui baie de La Vali�re.

Note 60: (retour) Les �les de Sorel, que l'on a appel�es aussi �les de Richelieu.

Le dernier de juin, nous en partismes, & vinsmes passer � l'entr�e de la riviere des Iroquois, o� estoient cabannez & fortifiez les sauvages qui leur alloient faire la guerre. Leur forteresse est faicte de quantit� de bastons fort pressez les uns contre les autres, 34/98laquelle vient joindre d'un cost� sur le bord de la grande riviere, & l'autre sur le bord de la riviere des Iroquois, & leurs canots arrangez les uns contre les autres sur le bord pour pouvoir promptement fuyr, si d'adventure ils sont surprins des Iroquois: car leur forteresse est couverte d'escorces de chesnes, & ne leur sert que pour avoir le temps de s'embarquer.

Nous fusmes dans la riviere des Iroquois quelques cinq ou six lieues 61, & ne peusmes passer plus outre avec nostre barque, � cause du grand cours d'eau qui descend, & aussi que l'on ne peut aller par terre, & tirer la barque, pour la quantit� d'arbres qui sont sur le bord. Voyans ne pouvoir advancer davantage, nous prinsmes nostre esquif, pour veoir si le courant estoit plus adoucy; mais, allant � quelques deux lieues, il estoit encores plus fort, & ne peusmes advancer plus avant. Ne pouvant faire autre chose, nous nous en retournasmes en notre barque. Toute cette riviere est large de quelques trois � quatre cens pas, fort saine. Nous y veismes cinq isles, distantes les unes des autres d'un quart ou demye lieue ou d'une lieue au plus, une desquelles contient une lieue, qui est la plus proche, & les autres sont fort petites.

Note 61: (retour) Champlain aurait donc, d�s cette ann�e 1603, remont� la rivi�re de Chambly jusqu'au-del� de l'endroit o� l'on a construit la dame de Saint-Ours, laquelle a fait dispara�tre les rapides que Champlain trouva plus haut.

Toutes ces terres sont couvertes d'arbres, & terres basses comme celles que j'avois veu�s auparavant; mais il y a plus de sapins & de cyprez qu'aux autres lieux. La terre ne laisse d'y estre bonne, bien qu'elle soit quelque peu sablonneuse. Ceste riviere va comme au Sorouest62.

Note 62: (retour) Il faudrait: comme au Sud.

35/99Les sauvages disent qu'� quelques quinze lieues d'o� nous avions est�, il y a un sault 63 qui vient de fort hault, o� ils portent leurs canots pour le passer environ un quart de lieue, & entrent dedans un lac 64, o� � l'entr�e il y a trois isles, & estans dedans, ils en rencontrent encores quelques unes. Il peut contenir quelques quarante ou cinquante lieues de long, & de large quelques vingt-cinq lieues, dans lequel descendent quantit� de rivieres, jusques au nombre de dix, lesquelles portent canots assez avant. Puis, venant � la fin dudict lac, il y a un autre sault, & rentrent dedans un autre lac 65, qui est de la grandeur dudict premier 66, au bout duquel sont cabannez les Iroquois. Ils disent aussi qu'il y a une riviere67 qui va rendre � la coste de la Floride, d'o� il y peut aveoir dudict dernier lac quelques cent ou cent quarante lieues. Tout le pays des Iroquois est quelque peu montagneux, neantmoins pa�s tr�s bon, temp�r�, sans beaucoup d'hyver, que fort peu.

Note 63: (retour) Le rapide de Chambly.

Note 64: (retour) Champlain d�couvrit lui-m�me ce lac six ans plus tard, et lui donna son nom.

Note 65: (retour) Les Iroquois l'appelaient Andiataroct� (l� o� le lac se ferme). Le P. Jogues le nomma Saint-Sacrement en 1646; il est connu aujourd'hui sous le nom de lac George.

Note 66: (retour) Les Sauvages qui donnaient � Champlain ces renseignements s'�taient exag�r� la grandeur de ce lac; car le lac Champlain a quarante lieues de long, et le lac George n'en a que onze.

Note 67: (retour) L'Hudson, qui a � peu pr�s cent vingt lieues de long. C'�tait en effet la meilleure route � suivre pour aller � la c�te de la Floride, qui alors �tait regard�e comme voisine du Canada.





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Arriv�e au Sault, sa description, & ce qu'on y void de remarquable, avec le rapport des sauvages de la fin de la grande riviere.

CHAPITRE VIII.

Partant de la riviere des Iroquois, nous fusmes mouiller l'ancre � trois lieues de l�, � la bande du Nort. Tout ce pays est une terre basse, remplie de toutes les sortes d'arbres que j'ay dict cy-dessus.

Le premier jour de juillet, nous costoyasmes la bande du Nort, o� le bois y est fort clair, plus qu'en aucun lieu que nous eussions encore veu auparavant, & toute bonne terre pour cultiver. Je me meis dans un canot � la bande du Su, o� je veis quantit� d'isles, lesquelles sont fort fertilles en fruicts, comme vignes, noix, noysettes, & une mani�re de fruict qui semble � des chastaignes, cerises, chesnes, trembles, pible 68, houblon, fresne, �rable, hestre, cyprez, fort peu de pins & sapins. Il y a aussi d'autres arbres que je ne cognois point, lesquels sont fort aggreables. Il s'y trouve quantit� de fraises, framboises, groizelles rouges, vertes & bleues, avec force petits fruicts qui y croissent parmy grande quantit� d'herbages. Il y a aussi plusieurs bestes sauvages comme orignas, cerfs, biches, dains, ours, porcs-espics, lapins, regnards, castors, loutres, rats musquets, & quelques autres fortes d'animaux que je ne cognois point, lesquels sont bons � manger, & dequoy vivent les sauvages.

Note 68: (retour) Ce mot n'est, sans doute, qu'une contraction de piboule, qui d�signe une vari�t� du peuplier.

37/101Nous passasmes contre une isle qui est fort aggreable, & contient quelques quatre lieues de long, & environ demye de large 69. Je veis � la bande du Su deux hautes montaignes, qui paroissoient comme � quelques vingt lieues dans les terres, les sauvages me dirent que c'estoit le premier sault de laditte riviere des Iroquois.

Note 69: (retour) L'auteur semble avoir pris ici pour une seule �le les �les de Verch�res.

Le mercredy ensuyvant, nous partismes de ce lieu, & feismes quelques cinq ou six lieues. Nous veismes quantit� d'isles, la terre y est fort basse, & sont couvertes de bois ainsi que celles de la riviere des Iroquois. Le jour ensuyvant, nous feismes quelques lieues, & passasmes aussi par quantit� d'autres isles qui sont tr�s bonnes & plaisantes, pour la quantit� des prairies qu'il y a, tant du cost� de terre ferme que des autres isles; & tous les bois y sont fort petits, au regard de ceux que nous avions pass�.

Enfin nous arrivasmes cedict jour � l'entr�e du sault, avec vent en poupe, & rencontrasmes une isle 70 qui est presque au milieu de laditte entr�e, laquelle contient un quart de lieue de long, & passasmes � la bande du Su de laditte isle, o� il n'y avoit que de trois � quatre ou cinq pieds d'eau, & aucunes fois une brasse ou deux; & puis tout � un coup n'en trouvions que trois ou quatre pieds. Il y a force rochers & petites isles o� il n'y a point de bois, & sont � fleur d'eau. Du commencement de la susditte isle, qui est au milieu de laditte entr�e, l'eau commence � venir de grande force; bien que nous eussions le vent fort bon, si ne peusmes-nous, en toute nostre 38/102puissance, beaucoup advancer; toutesfois nous passasmes laditte isle qui est � l'entr�e dudict sault. Voyant que nous ne pouvions avancer, nous vinsmes mouiller l'ancre � la bande du Nort, contre une petite isle71 qui est fertille en la pluspart des fruicts que j'ay dict cy-dessus. Nous appareillasmes aussi tost nostre esquif, que l'on avoit fait faire expr�s pour passer ledict sault, dans lequel nous entrasmes ledict Sieur du Pont & moy, avec quelques autres sauvages que nous avions menez pour nous montrer le chemin. Partant de nostre barque, nous ne fusmes pas � trois cens pas, qu'il nous fallut descendre, & quelques matelots se mettre � l'eau pour passer nostre esquif. Le canot des sauvages passoit ays�ment. Nous rencontrasmes une infinit� de petits rochers, qui estoient � fleur d'eau, o� nous touschions souventes fois.

Note 70: (retour) L'�le qu'il appela lui-m�me plus tard Sainte-H�l�ne, du nom d'H�l�ne Boull�, sa femme.

Note 71: (retour) Cette petite �le, situ�e dans le port de Montr�al, est maintenant r�unie � la terre ferme par des quais.

Il y a deux grandes isles: une du cost� du Nort 72, laquelle contient quelques quinze lieues de long, & presque autant de large, commence � quelque douze lieues dans la riviere de Canada, allant vers la riviere des Iroquois, & vient tomber par del� le Sault, l'isle qui est � la bande du Su a quelques quatre lieues de long, & demye de large 73. Il y a encore une autre isle74 qui est proche de celle du Nort, laquelle peut tenir quelque demye lieue de long, & un quart de large, & une autre petite isle, qui 39/103 est entre celle du Nort, & l'autre plus proche du Su, par o� nous passasmes l'entr�e du Sault75). Estant pass�, il y a une mani�re de lac, o� sont toutes ces isles, lequel peut contenir quelques cinq lieues de long, & presque autant de large, o� il y a quantit� de petites isles, qui sont rochers. Il y a, proche dudict Sault, une montagne 76 qui descouvre assez loing dans lesdittes terres, & une petite riviere 77 qui vient de laditte montaigne tomber dans le lac. L'on void du cost� du Su, quelques trois ou quatre montaignes, qui paroissent comme � quinze ou seize lieues dans les terres. Il y a aussi deux rivieres: l'une 78 qui va au premier lac de la riviere des Iroquois, par o� quelquefois les Algoumequins leur vont faire la guerre; & l'autre 79 qui est proche du Sault, qui va quelques pas dans les terres.

Note 72: (retour) Il para�t bien �vident que Champlain veut ici parler de l'�le de Montr�al, qui cependant n'a que dix lieues de long, et environ trois lieues de large.

Note 73: (retour) L'�le Perrot, qui n'a pas tout � fait les dimensions que lui donne l'auteur, est situ�e rigoureusement au sud de l'�le de Montr�al.

Note 74: (retour) L'�le Saint-Paul.

Note 75: (retour) C'est-�-dire, �qui est entre l'�le de Montr�al et l'�le Sainte-H�l�ne par o� nous pass�mes l'entr�e du saut.� Cette petite �le est l'�le Ronde.

Note 76: (retour) La Montagne que Jacques Cartier appela Mont-Royal (Montr�al).

Note 77: (retour) La petite rivi�re de Saint-Pierre.

Note 78: (retour) La rivi�re de Saint-Lambert. De cette rivi�re, on tombe dans celle de Montr�al, qui se jette dans le bassin de Chambly; c'est ce bassin que l'auteur appelle �premier lac de la rivi�re des Iroquois.�

Note 79: (retour) La rivi�re de la Tortue.

Venans � approcher dudict Sault avecq nostre petit esquif & le canot, je vous asseure que jamais je ne veis un torrent d'eau desborder avec une telle impetuosit� comme il faict, bien qu'il ne soit pas beaucoup haut, n'estant en d'aucuns lieux que d'une brasse ou de deux, & au plus de trois. Il descend comme de degr� en degr�, & en chasque lieu o� il y a quelque peu de hauteur, il s'y fait un esbouillonnement estrange de la force & roideur que va l'eau en traversant ledict Sault, qui peut contenir 40/104une lieue. Il y a force rochers de large, & environ le millieu, il y a des isles qui sont fort estroittes & fort longues, o� il y a sault tant du cost� desdittes isles qui sont au Su, comme du cost� du Nort, o� il fait si dangereux, qu'il est hors de la puissance d'homme d'y passer un bateau, pour petit qu'il soit. Nous fusmes par terre dans les bois, pour en veoir la fin, o� il y a une lieue, & o� l'on ne voit plus de rochers, ny de saults; mais l'eau y va si viste, qu'il est impossible de plus; & ce courant contient quelques trois ou quatre lieues; de fa�on que c'est en vain de s'imaginer que l'on peust faire passer aucuns bateaux par lesdicts saults. Mais qui les voudroit passer, il se faudroit accommoder des canots des sauvages, qu'un homme peut porter ais�ment: car de porter bateau, c'est chose laquelle ne se peut faire en si bref temps comme il le faudroit pour pouvoir s'en retourner en France, si l'on y hyvernoit. Et en outre ce sault premier, il y en a dix autres, la plus part difficiles � passer; de fa�on que ce seroit de grandes peines & travaux pour pouvoir voir & faire ce que l'on pourroit se promettre par bateau, si ce n'estoit � grand frais & despens, & encore en danger de travailler en vain. Mais avec les canots des sauvages l'on peut aller librement & promptement en toutes les terres, tant aux petites rivieres comme aux grandes. Si bien qu'en se gouvernant par le moyen desdicts sauvages & de leurs canots, l'on pourra veoir tout ce qui se peut, bon & mauvais, dans un an ou deux.

Tout ce peu de pa�s du cost� dudict sault que nous traversasmes par terre, est bois fort clair, o� l'on peut aller ays�ment avecque armes, sans beaucoup de 41/105peines, l'air y est plus doux & temp�r�; & de meilleure terre qu'en lieu que j'eusse veu, o� il y a quantit� de bois & fruicts, comme en tous les autres lieux cy dessus, & est par les 45. degrez & quelques minutes.

Voyans que nous ne pouvions faire davantage, nous en retournasmes en nostre barque, o� nous interrogeasmes les sauvages que nous avions, de la fin de la riviere, que je leur feis figurer de leurs mains, & de quelle partie procedoit sa source. Ils nous dirent que pass� le premier sault que nous avions veu, ils faisoient quelques dix ou quinze lieues 80 avec leurs canots dedans la riviere, o� il y a une riviere qui va en la demeure des Algoumequins 81, qui sont � quelques soixante lieues esloignez de la grand'riviere, & puis ils venoient � passer cinq saults82, lesquels peuvent contenir du premier au dernier huict lieues 83, desquels il y en a deux o� ils portent leurs canots pour les passer. Chasque sault peut tenir quelque demy quart de lieue, ou un quart au plus, & puis ils viennent dedans un lac 84, qui peut tenir quelques quinze ou seize lieues de long. Del� ils rentrent dedans une riviere 85 qui peut contenir une lieue de large, & font quelques lieues dedans; & puis rentrent dans un autre lac 86 de quelques quatre ou cinq lieues de long, venant au bout 42/106duquel, ils passent cinq autres saults, distans du au dernier quelque vingt-cinq ou trente lieues 87, dont il y en a trois o� ils portent leurs canots pour les passer, & les autres deux, il ne les font que traisner dedans l'eau, d'autant que le cours n'y est si fort ne mauvais comme aux autres. De tous ces saults, aucun n'est si difficile � passer, comme celuy que nous avons veu. Et puis ils viennent dedans un lac 88 qui peut tenir quelques 80 lieues de long, o� il y a quantit� d'isles; & que au bout d'iceluy l'eau y est salubre & l'hyver doux. A la fin dudit lac, ils passent un sault89 qui est quelque peu �lev�, o� il y a peu d'eau, laquelle descend. L�, ils portent leurs canots par terre environ un quart de lieue pour passer ce sault; de l� entrent dans un autre lac 90 qui peut tenir quelques soixante lieues de long, & que l'eau en est fort salubre. Estant � la fin ils viennent � un destroict91 qui contient deux lieues de large, & va assez avant dans les terres. Qu'ils n'avoient point pass� plus outre, & n'avoient veu la fin d'un lac 92 qui est � quelques quinze ou seize lieues d'o� ils sont est�, ny que ceux qui leur avoient dict eussent veu homme qui le l'eust veu; d'autant qu'il est si grand, qu'ils ne se bazarderont pas de se mettre au large, de peur que quelque tourmente ou coup de vent ne les surprinst. Disent qu'en est� le soleil se 43/107couche au nord dudict lac, & en l'hyver il se couche comme au milieu, que l'eau y est tr�s mauvaise, comme celle de ceste mer.

Note 80: (retour) Cinq ou six lieues, c'est-�-dire, la longueur du lac Saint-Louis.

Note 81: (retour) C'est pour cette raison m�me qu'elle a �t� longtemps appel�e la rivi�re des Algonquins; plus tard, pour une raison analogue, on lui a donn� le nom d'Outaouais.

Note 82: (retour) Ce sont les Cascades, les C�dres, et les rapides du C�teau-du-Lac, qui se subdivisent en deux ou trois, suivant le chemin que l'on prend.

Note 83: (retour) Du pied des Cascades au C�teau-du-Lac, il y a cinq ou six lieues.

Note 84: (retour) Le lac Saint-Fran�ois, qui a environ douze lieues de long.

Note 85: (retour) Le Long-Saut.

Note 86: (retour) C'est-�-dire, un espace o� le fleuve est tranquille et sans rapide.

Note 87: (retour) Depuis le rapide aux Citrons, ou les rapides Plats, jusqu'aux Gallots, il y a en effet cinq rapides; mais cette distance de vingt-cinq � trente lieues doit s'entendre de tout le trajet jusqu'au lac Ontario.

Note 88: (retour) Le lac des Entouhoronons, ou Ontario.

Note 89: (retour) La chute de Niagara.

Note 90: (retour) Le lac Eri�, ou des Eriehoronons (nation du Chat).

Note 91: (retour) La rivi�re du D�troit, qui est une partie du Saint-Laurent.

Note 92: (retour) Le lac Huron, ou mer Douce.

Je leur demandis si depuis cedict lac dernier qu'ils avoient veu, si l'eau descendoit tousjours dans la riviere venant � Gaschepay: ils me dirent que non; que depuis le troisiesme lac elle descendoit seulement, venant audict Gaschepay; mais que depuis le dernier fault, qui est quelque peu hault, comme j'ay dict, que l'eau estoit presque pacifique, & que ledict lac pouvoit prendre cours par autres rivieres, lesquelles vont dedans les terres, soit au Su, ou au Nort, dont il y en a quantit� qui y refluent, & dont ils ne voyent point la fin. Or, � mon jugement, il faudroit que si tant de rivieres desbordent dedans ce lac, n'ayant que si peu de cours audict sault, qu'il faut par necessit� qu'il refflue dedans quelque grandissime riviere. Mais ce qui me faict croire qu'il n'y a point de riviere par o� cedict lac refflue, veu le nombre de toutes les autres rivieres qui refflu�nt dedans, c'est que les sauvages n'ont vu aucune riviere qui prinst son cours par dedans les terres, qu'au lieu o� ils ont est�: ce qui me faict croire que c'est la mer du Su, estant sall�e93, comme ils disent. Toutesfois il n'y faut pas tant adjouster de foy, que ce soit avec raisons apparentes, bien qu'il y en aye quelque peu.

Note 93: (retour) Eau mauvaise ou sal�e �tait la m�me chose pour les sauvages.

Voyl� au certain tout ce que j'ay veu cy-dessus, & ouy dire aux sauvages sur ce que nous les avons interrogez.





44/108

Retour du Sault � Tadoussac, avec la confrontation du rapport de plusieurs sauvages touchant la longueur & le commencement de la grande riviere de Canadas, du nombre des saults & lacs qu'elle traverse.

CHAPITRE IX.

Nous partismes dudict sault, le Vendredy, quatriesme jour de Juin 94, & revinsmes cedict jour � la riviere des Irocois. Le Dimanche, sixiesme jour de juin, nous en partismes & vinsmes mouiller l'ancre au lac. Le Lundy ensuyvant, nous fusmes mouiller l'ancre au Trois Rivieres. Cedict jour nous feismes quelques quatre lieues par del� lesdictes Trois Rivieres. Le Mardy ensuyvant, nous vinsmes � Qu�bec, & le lendemain, nous fusmes au bout de l'isle d'Orl�ans, o� les sauvages vindrent � nous, qui estoient cabannez � la grande terre du Nort. Nous interrogeasmes deux ou trois Algoumequins, pour s�avoir s'ils se conformeroient avec ceux que nous avions interrogez touchant la fin & le commencement de ladicte riviere de Canadas.

Ils dirent comme ils l'ont figur�, que, pass� le sault que nous avions veu, environ deux ou trois lieues, il y a une riviere en leur demeure, qui est en la bande du Nort, continuant le chemin dans ladicte grande riviere, ils passent un sault, o� ils portent leurs canots, & viennent � passer cinq autres saults, lesquels peuvent contenir du premier au dernier quelques neuf ou dix lieues, & que lesdicts saults ne sont

Note 94: (retour) Dans cette phrase et la suivante, l'�dition originale met, par inadvertance, le mois de juin au lieu de juillet.

45/109point difficiles � passer, & ne font que tra�ner leurs canots en la pluspart desdicts saults, hormis � deux, o� ils les portent. De l�, viennent � entrer dedans une riviere qui est comme une mani�re de lac, laquelle peut contenir comme six ou sept lieues; & puis passent cinq autres saults, o� ils tra�nent leurs canots comme auxdicts premiers, hormis � deux, o� ils les portent comme aux premiers, & que du premier au dernier il y a quelques vingt ou vingt-cinq lieues. Puis viennent dedans un lac qui contient quelque cent cinquante lieues de long 95; & quelques quatre ou cinq lieues � l'entr�e dudict lac, il y a une riviere 96 qui va aux Algoumequins vers le Nort, & une autre 97 qui va aux Irocois; par o� lesdicts Algoumequins & Irocois se font la guerre. Et un peu plus haut � la bande du Su dudict lac, il y a une autre riviere 98 qui va aux Irocois; puis venant � la fin dudict lac, ils rencontrent un autre sault, o� ils portent leurs canots, del� ils entrent dedans un autre tr�s grand lac, qui peut contenir autant comme le premier. Ils n'y ont est� que fort peu dans ce dernier, & ont ouy dire qu'� la fin dudict lac, il y a une mer dont ils n'ont veu la fin, ne ouy dire qu'aucun l'aye veu; mais que l� o� ils ont est�, l'eau n'est point mauvaise, d'autant qu'ils n'ont point advanc� plus haut; & que le cours de l'eau vient du cost� du soleil couchant venant � l'Orient, & ne s�avent si pass� le dits lacs qu'ils ont veu il y 46/110a autre cours d'eau qui aille du cost� de l'Occident; que le soleil se couche � main droite dudict lac, qui est, selon mon jugement, au Norouest peu plus ou moins; & qu'au premier lac l'eau ne gelle point, ce qui me fait juger que le temps y est temp�r�. Et que toutes les terres des Algoumequins est terre basse, remplie de fort peu de bois; & du cost� des Irocois est terre montaigneuse; neantmoins elles sont tr�s bonnes & fertiles, & meilleures qu'en aucun endroict qu'ils ayent veu. Les Irocois se tiennent � quelque cinquante ou soixante lieues dudict grand lac. Voil� au certain ce qu'ils m'ont dist avoir veu, qui ne diff�re de bien peu au rapport des premiers.

Note 95: (retour) Jusqu'ici, ce second rapport s'accorde passablement avec le premier, sauf les distances, qui diff�rent un peu.

Note 96: (retour) La rivi�re Trent et la baie de Quinte.

Note 97: (retour) La rivi�re Noire.

Note 98: (retour) La rivi�re de Cliouaguen, ou Oswego.

Cedict jour, nous fusmes proche de l'isle aux Coudres, comme environ trois lieues. Le Jeudy dudict mois, nous vinsmes � quelque lieue & demye de l'isle au Lievre, du cost� du Nort, o� il vint d'autres sauvages en notre barque, entre lesquels il y avoit un jeune homme Algoumequin, qui avoit fort voyag� dedans ledict grand lac: nous l'interrogeasmes fort particuli�rement comme nous avions fait les autres sauvages. Il nous dict que, pass� ledict sault que nous avions veu, qu'� quelques deux ou trois lieues il y a une riviere qui va ausdicts Algoumequins, o� ils sont cabannez; & qu'allant en ladicte grande riviere, il y a cinq saults, qui peuvent contenir du premier au dernier quelque huict ou neuf lieues, dont il y en a trois o� ils portent leurs canots, & deux autres o� ils les tra�nent, que chascun desdicts saults peut tenir un quart de lieue de long. Puis viennent dedans un lac qui peut contenir quelque quinze lieues. Puis ils passent cinq 47/111autres saults, qui peuvent contenir du premier au dernier quelques vingt � vingt-cinq lieues, o� il n'y a que deux desdicts saults qu'ils passent avec leurs canots; aux autres trois ils ne les font que tra�ner. Del� ils entrent dedans un grandissime lac qui peut contenir quelques trois cents lieues de long99. Advan�ant quelque cent lieues dedans ledict lac, ils rencontrent une isle qui est fort grande, o�, audel� de ladicte isle, l'eau est salubre; mais que passant quelques cent lieues plus avant, l'eau est encore plus mauvaise; arrivant � la fin dudict lac, l'eau est du tout sal�e. Qu'il y a un sault qui peut contenir une lieue de large, d'o� il descend un grandissime courant d'eau dans le dict lac100; que pass� ce sault, on ne voit plus de terre ny d'un cost�, ne d'autre, sinon une mer si grande qu'ils n'en n'ont point veu la fin, ny ouy dire qu'aucun l'aye veu. Que le soleil se couche � main droite dudict lac, & qu'� son entr�e il y a une riviere qui va aux Algoumequins, & l'autre aux Irocois, par o� ils se font la guerre. Que la terre des Irocois est quelque peu montaigneuse, neantmoins fort fertile, o� il y a quantit� de bled d'Inde, & autres fruicts qu'ils n'ont point en leur terre. Que la terre des Algoumequins est basse & fertile.

Note 99: (retour) Quelque trois cents lieues de tour, et encore ce serait beaucoup.

Note 100: (retour) Malgr� les inexactitudes qui pr�c�dent, on ne peut s'emp�cher de reconna�tre ici la chute de Niagara.

Je leur demandis s'ils n'avoient point cognoissance de quelques mines. Ils nous dirent qu'il y a une nation qu'on appelle les bons Irocois 101, qui viennent pour troquer des marchandises que les vaisseaux fran�ois 48/112donnent aux Algoumequins; lesquels disent qu'il y a � la partie du Nort une mine de franc cuivre, dont ils nous en ont montr� quelques bracelets qu'ils avoient eu desdicts bons Irocois. Que si l'on y voulloit aller, ils y meneroient ceux qui seroient depputez pour cest effect.

Note 101: (retour) Les bons Iroquois �taient sans doute les Hurons, qui parlaient un dialecte de la m�me langue.

Voil� tout ce que j'ay pu apprendre des uns & des autres, ne se differant que bien peu, sinon que les seconds qui furent interrogez, dirent n'avoir point beu de l'eau sal�e, aussi ils n'ont pas est� si loing dans ledict lac comme les autres, & different quelque peu du chemin, les uns le faisant plus court, & les autres plus long: de fa�on que selon leur rapport, du sault o� nous avons est�, il y a jusques � la mer sal�e, qui peut estre celle du Su, quelques quatre cents lieues. Sans doubte, suyvant leur rapport, ce ne doibt estre autre chose que la mer du Su, le soleil se couchant o� ils disent.

Le Vendredy, dixiesme 102 dudict mois, nous fusmes de retour � Tadousac, o� estoit nostre vaisseau.

Note 102: (retour) Le vendredi �tait le 11 du mois de juillet.






Voyage de Tadousac en l'isle Perc�e, description de la baye des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la Baye de Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays o� se trouve plusieurs sortes de mines.

CHAPITRE X.

Aussitost que nous fusmes arrivez � Tadousac, nous nous embarquasmes pour aller � Gachepay, qui est distant dudict Tadousac environ cent lieues. Le treiziesme jour dudict mois, 49/113nous rencontrasmes une troupe de sauvages qui estoient cabannez du cost� du Su, presque au milieu du chemin de Tadousac � Gachepay. Leur Sagamo qui les menoit s'appelle Armouchides, qui est tenu pour l'un des plus advisez & hardis qui soit entre les sauvages. Il s'en alloit � Tadousac pour troquer des flesches, & chairs d'orignac, qu'ils ont pour des castors & martres des autres sauvages Montaignes, Estechemains & Algoumequins.

Le 15e jour dudict mois, nous arrivasmes � Gachepay, qui est dans une baye, comme � une lieue & demye du cost� du Nort103; laquelle baye contient quelque sept ou huict lieues de long, & � son entr�e quatre lieues de large. Il y a une riviere qui va quelques trente lieues dans les terres; puis nous vismes une autre baye, que l'on appelle la Baye des Molu�s104, laquelle peut tenir quelques trois lieues de long, autant de large � son entr�e. De l� l'on vient � l'Isle Perc�e, qui est comme un rocher fort haut, eslev�e des deux costez, o� il y a un trou par o� les chaloupes & basteaux peuvent passer de haute mer; & de base mer, l'on peut aller de la grand'terre � laditte isle, qui n'en est qu'� quelques quatre ou cinq cens pas. Plus il y a une autre isle, comme au suest de l'isle Perc�e environ une lieue, qui s'appelle l'isle de Bonne-adventure, & peut tenir de long une demye lieu�. Tous cesdits lieux de Gachepay, Baye 50/114des Molu�s & Isle Perc�e, sont les lieux o� il se fait la pesche du poisson sec & verd.

Note 103: (retour) C'est-�-dire, comme � une lieue et demie du c�t� du nord de la baie.

Note 104: (retour) Cette baie est au sud de celle de Gasp�; on l'appelle aujourd'hui la Malbaie. Ce mot para�t �tre une corruption de l'expression anglaise Molue Bay. D�s 1545, Jean Alphonse parle de la baie des Molues et de toute cette c�te, comme d'un lieu fr�quent� depuis longues ann�es pour l'abondance et l'excellente qualit� de la p�che. �Et se est le poisson, dit-il, bien meilleur que celui de la dicte terre neufve.� (Cosmogr. univ.)

Passant l'Isle Perc�e, il y a une baye qui s'appelle la Baye de Chaleurs 105, qui va comme � l'ouest-sorouest quelques quatre vingts lieues 106 dedans les terres, contenant de large en son entr�e quelques quinze lieues. Les sauvages Canadiens disent qu'� la grande riviere de Canadas, environ quelques soixante lieues rangeant la coste du Su, il y a une petite riviere qui s'appelle Mantanne, laquelle va quelques dix huict lieues dans les terres, & estans au bout d'icelle, ils portent leurs canots environ une lieue par terre, & se viennent rendre � laditte baye de Chaleurs, par o� ils vont quelquefois � l'isle Perc�e. Aussi ils vont de laditte baye � Tregate 107 & � Misamichy 108.

Note 105: (retour) Ainsi nomm�e par Jacques Cartier en 1534. �Nous nomm�mes laditte baye, la Baye de Chaleurs.� (Prem. Voy. de Cartier, Relat. originale, Paris, 1867.)

Note 106: (retour) Environ trente lieues.

Note 107: (retour) Tregat�, ou Tracadie. Ce lieu, qu'il ne faut pas confondre avec celui qui porte le m�me nom dans la Nouvelle-�cosse, est situ� � mi-chemin environ entre la baie des Chaleurs et celle de Miramichi.

Note 108: (retour) Aujourd'hui, on dit Miramichi.

Continuant ladicte coste, on range quantit� de rivieres, & vient-on � un lieu o� il y a une riviere qui s'appelle Souricoua109, o� le sieur Prevert a est� pour descouvrir une mine de cuivre. Ils vont avec leurs canots dans cette riviere deux ou trois jours, puis ils traversent quelque deux ou trois lieues de terre, jusques � laditte mine, qui est sur le bord de la mer du cost� du Su. A l'entr�e de laditte riviere, on trouve une isle 110 environ une lieue dans la mer; 51/115de laditte isle jusqu'� l'Isle Perc�e, il y a quelque soixante ou septante lieues. Puis continuant laditte coste, qui va devers l'Est, on rencontre un destroict qui peut tenir deux lieues de large & vingt-cinq de long111. Du cost� de l'Est est une isle qui s'appelle Sainct Laurens 112, o� est le Cap-Breton, & o� une nation de sauvages appelez les Souricois hyvernent. Passant le destroit de l'isle de Sainct Laurens, costoyant la coste d'Arcadie113, on vient dedans une baye 114 qui vient joindre laditte mine de cuivre. Allant plus outre, on trouve une riviere 115 qui va quelques soixante ou quatre vingts lieues dedans les terres, laquelle va proche du lac des Irocois, par o� lesdicts sauvages de la coste d'Arcadie leur vont faire la guerre. Ce serait un grand bien, qui pourroit trouver � la coste de la Floride quelque passage qui allast donner proche du susdict grand lac, o� l'eau est sal�e, tant pour la navigation des vaisseaux, lesquels ne seroient subjects � tant de p�rils, comme ils sont en Canada, que pour l'accourcissement du chemin de plus de trois 52/116cens lieues. Et est tr�s certain qu'il y a des rivieres en la coste de la Floride que l'on n'a point encore descouvertes; lesquelles vont dans les terres, o� le pays y est tr�s bon & fertille, & de fort bons ports. Le pays & coste de la Floride peut avoir une autre temp�rature de temps, plus fertille en quantit� de fruicts & autres choses, que celuy que j'ay veu; mais il ne peut y avoir des terres plus unies ny meilleures que celles que nous avons veu�s.

Note 109: (retour) Vraisemblablement, la rivi�re de G�da�c, ou Ch�diac. On l'appelait alors Souricoua, sans doute parce que c'�tait le chemin des Souriquois.

Note 110: (retour) L'�le de Ch�diac.

Note 111: (retour) Par le contexte, on voit que l'auteur parle du d�troit de Canseau, qui n'a cependant ni autant de longueur, ni autant de largeur.

Note 112: (retour) Le nom de Cap-Breton a pr�valu.

Note 113: (retour) Acadie. Il est possible que Champlain ait cru retrouver, dans ce mot, un nom de la vieille Europe; mais il ne tarda pas � revenir de cette id�e, si toutefois ce n'est point ici une simple faute de typographie. La commission de M. de Monts, qui est du 8 novembre de cette ann�e 1603, renferme, entre autres, le passage suivant: �Nous �tans d�s long temps a, informez de la situation & condition des pa�s & territoire de la Cadie...� On lit, dans Jean de Laet, en t�te d'un chapitre de sa Description des Indes Occidentales: �Contr�es de la Nouvelle-France qui regardent le Sud, lesquelles les Fran�ois appellent Cadie ou Acadie.� Si nous tenons ce nom des premiers voyageurs fran�ais, il est tr�s-probable qu'ils le tenaient eux-m�mes des sauvages du pays: car ce mot se retrouve dans plusieurs noms de l'endroit ou des environs, comme Tracadie, Choubenacadie, qui sont certainement d'origine sauvage.

Note 114: (retour) La baie Fran�aise, aujourd'hui la baie de Fundy.

Note 115: (retour) La rivi�re Saint-Jean, que les sauvages appelaient Ouigoudi. (Voir �dit. 1613, ch. III).

Les sauvages disent qu'en laditte grande baye de Chaleurs il y a une riviere qui a quelques vingt lieues dans les terres, o� au bout est un lac116 qui peut contenir quelques vingt lieues, auquel y a fort peu d'eau; qu'en est� il asseiche, auquel ils trouvent dans la terre environ un pied ou un pied & demy, une mani�re de metail qui ressemble � de l'argent que je leur avois monstr�; & qu'en un autre lieu proche dudict lac, il y a une mine de cuivre.

Voil� ce que j'ay appris desdicts sauvages.

Note 116: (retour) Probablement le lac M�tap�diac. (Voir la carte de 1612.)





Retour de l'Isle Perc�e � Tadousac, avec la description des ances, ports, rivieres, isles, rochers, ponts, bayes & basses qui sont le long de la coste du Nort.

CHAPITRE XI.

Nous partismes de l'Isle Perc�e le dix neuf jour du dict mois pour retourner � Tadousac. Comme nous fusmes � quelques trois lieues du Cap l'Evesque 117, nous fusmes contrariez d'une tourmente, 53/117laquelle dura deux jours, qui nous feist relascher dedans une grande anse, en attendant le beau temps. Le lendemain, nous en partismes, & fusmes encores contrariez d'une autre tourmente. Ne voullant relascher, & pensant gaigner chemin, nous fusmes � la coste du Nort, le 28e jour de juillet, mouiller l'ancre � une anse qui est fort mauvaise � cause des bancs de rochers qu'il y a. Cette anse118 est par les 51e degr� & quelques minutes 119.

Note 117: (retour) La tradition, relativement � ce cap, ne para�t pas s'�tre bien conserv�e; on ne le trouve m�me pas mentionn� dans la plupart de nos cartes modernes. Parmi les anciens g�ographes, les uns le placent � peu pr�s � mi-chemin entre le cap des Rosiers et Matane, et les autres � quinze ou vingt lieues environ � l'est du cap Chate.

Note 118: (retour) Vraisemblablement la baie Moisie, � l'ouest de laquelle il y a un banc de rochers tr�s-dangereux.

Note 119: (retour) Cette hauteur, qui est celle du d�troit de Belle-Isle, est �videmment trop forte. Suivant Bayfield, le fond de la baie Moisie est � 50� 17'.

Le lendemain nous vinsmes mouiller l'ancre proche d'une riviere qui s'appelle Saincte Marguerite, o� il y a de pleine mer quelques trois brasses d'eau, & brasse & demye de basse mer; elle va assez avant. A ce que j'ai vu dans terre du cost� de l'Est, il y a un sault d'eau qui entre dans ladicte riviere, & vient de quelque cinquante ou soixante brasses de haut; d'o� proc�de la plus grand part de l'eau qui descend dedans. A son entr�e, il y a un banc de sable, o� il peut avoir de basse eau demy brasse. Toute la coste du cost� de l'Est est sable mouvant; o� il y a une poincte � quelque demy lieue 120 de ladicte riviere qui advance une demie lieue en la mer, & du cost� de l'Ouest, il y a une petite isle. Cedict lieu est par les 50 degrez. Toutes ces terres sont tr�s mauvaises, remplies de sapins. La terre y est quelque peu haute, mais non tant que celle du Su.

Note 120: (retour) �A quelques deux lieues,� se trouve la pointe � la Croix. Il y a tout lieu de croire que le manuscrit portait deux lieues, et que le typographe aura lu demy lieue.

A quelques trois lieues, nous passasmes proche d'une 54/118autre riviere 121, laquelle sembloit estre fort grande, barr�e neantmoins la pluspart de rochers. A quelques 8 lieues 122 de l�, il y a une pointe 123 qui advance une lieue & demye � la mer, o� il n'y a que brasse & demye d'eau. Pass� cette poincte, il s'en trouve une autre 124 � quelque 4 lieues, o� il y a assez d'eau. Toute cette coste est terre basse & sablonneuse.

Note 121: (retour) La rivi�re des Rochers, qui se jette dans la baie du m�me nom.

Note 122: (retour) �Dix-huit lieues.� (Voir la note suivante).

Note 123: (retour) Cette pointe doit �tre la pointe des Monts, qui est � environ dix-huit lieues de la baie des Rochers; car, dans tous ces parages, il n'y a pas d'autre pointe aussi consid�rable, et o� il y ait si peu d'eau. Peut-�tre ne faut-il voir ici qu'une faute de typographie; cependant, il est possible aussi que l'auteur ait �t� tromp� par les courants. Au bas de la pointe des Monts, il se fait, du c�t� du nord, comme un immense remous; de sorte que le vaisseau �tait port� sur la pointe, lorsque l'on croyait avoir � lutter contre la mar�e.

Note 124: (retour) Le cap Saint-Nicolas.

A quelque 4 lieues de l�, il y a une anse o� entre une riviere 125. Il y peut aller beaucoup de vaisseaux du cost� de l'Ouest. C'est une poincte basse qui advance environ d'une lieue en la mer. Il faut ranger la terre de l'Est126 comme de trois cents pas pour pouvoir entrer dedans. Voil� le meilleur port qui est en toute la coste du Nort; mais il y faict fort dangereux y aller, pour les basses & bancs de fable qu'il y en a en la plupart de la coste pr�s de deux lieues en mer.

Note 125: (retour) La rivi�re de Manicouagan.

Note 126: (retour) Par rapport � la baie, ou � l'entr�e de la rivi�re, il faudrait dire: �la terre du Nord.� Mais, par rapport au cours de la rivi�re m�me, l'expression est juste.

On trouve, � quelques six lieues de l� une baye 127 o� il y a une isle de sable. Toute laditte baye est fort batturiere, si ce n'est du cost� de l'Est, o� il peut avoir quelque 4 brasses d'eau. Dans le canal qui entre dans laditte baye, � quelque 4 lieues de l�, il y a une belle anse, o� entre une riviere. Toute 55/119cette coste est basse & sablonneuse. Il y descend un sault d'eau qui est grand. A quelques cinq lieues de l�128, il y a une poincte qui advance environ demy lieue en la mer, o� il y a une ance129; & d'une poincte � l'autre, il y a trois lieues, mais ce n'est que battures o� il y a peu d'eau.

Note 127: (retour) La baie des Outardes.

Note 128: (retour) Une partie de ces cinq lieues doit se prendre dans l'entr�e de la rivi�re aux Outardes; car, comme l'auteur le remarque un peu plus loin, la pointe aux Outardes et celle des Betsiamis ne sont gu�re qu'� trois lieues l'une de l'autre.

Note 129: (retour) La pointe, l'anse et la rivi�re portent le nom de Betsiamis.

A quelque deux lieues, il y a une plage o� il y a un bon port & une petite riviere, o� il y a trois isles130, & o� des vaisseaux se pourroient mettre � l'abry.

Note 130: (retour) Les �lets de J�r�mie.

A quelque trois lieues de l�, il y a une poincte de sable qui advance environ une lieue, o� au bout il y a un petit islet 131. Puis, allant � l'Esquemin132, vous rencontrez deux petites isles basses & un petit rocher � terre. Ces dictes isles sont environ � demy lieue de Lesquemin, qui est un fort mauvais port entour� de rochers & asseche de basse mer. Et faut variser pour entrer dedans au derri�re d'une petite poincte de rocher, o� il n'y peut qu'un vaisseau. Un peu plus haut, il y a une riviere qui va quelque peu dans les terres, c'est le lieu o� les Basques font la pesche des ballaines 133. Pour dire v�rit�, le port ne vaut du tout rien.

Note 131: (retour) Cette description ne peut gu�re convenir qu'� la pointe � Mille-Vaches, quoiqu'elle soit � environ neuf lieues des �lets de J�r�mie. Comme il est difficile d'admettre que Champlain ait pu ne voir que trois lieues l� o� il y en avait neuf, il faut supposer ou bien qu'il y a eu quelque chose de pass� dans le texte, ou bien que le manuscrit Portait un 9, que le typographe aura pu prendre pour un 3.

Note 132: (retour) Aujourd'hui, on dit: les Escoumins.

Note 133: (retour) Environ une lieue plus haut que les Escoumins, se trouve l'anse aux Basques.

Nous vinsmes de l� audict port de Tadousac, le troisiesme d'aoust. Toutes ces dictes terres cy-dessus 56/120sont basses � la coste, & dans les terres fort hautes. Ils ne sont si plaisantes ny fertilles que celles du Su, bien qu'elles soient plus basses.

Voyl� au certain tout ce que j'ay veu de cette ditte coste du Nort.





Les c�r�monies que font les Sauvages devant que d'aller � la guerre. Des sauvages Almouchicois & de leur monstrueuse forme. Discours du sieur de Prevert de Sainct-Malo sur la descouverture de la coste d'Arcadie; quelles mines il y a, & de la bont� & fertilit� du pays.

CHAPITRE XII.

Arrivant � Tadousac, nous trouvasmes les sauvages que nous avions rencontrez en la riviere des Irocois, qui avoient faict rencontre au premier lac, de trois canots irocois, lesquels se battirent contre dix autres de Montaignez, & apport�rent les testes des Irocois � Tadousac, & n'y eut qu'un Montaignez bless� au bras d'un coup de fl�che, lequel songeant quelque chose, il falloit que tous les 10 autres le meissent � ex�cution pour le rendre content, croyant aussi que sa playe s'en doit mieux porter. Si ce dict sauvage meurt, ses parents vengeront sa mort soit sur leur nation, ou sur d'autres, ou bien il faut que les capitaines facent des presents aux parents du deffunct, affin qu'ils soyent contens, ou autrement, comme j'ay dict, ils useroient de vengeance, qui est une grande meschancet� entre eux.

57/121Premier que lesdicts Montaignez partissent pour aller � la guerre, ils s'assemblerent tous, avec leurs plus riches habits de fourrures, castors & autres peaux, parez de patenostres & cordons de diverses couleurs, & s'assemblerent dedans une grand place publique, o� il y avoit au devant d'eux un Sagamo qui s'appeloit Begourat, qui les menoit � la guerre; & estoient les uns derri�re les autres, avec leurs arcs & flesches, massues & rondelles, de quoi ils se parent pour se battre, & alloient sautant les uns apr�s les autres, en faisant plusieurs gestes de leurs corps, ils faisoient maints tours de lima�on. Apr�s, ils commenc�rent � danser � la fa�on accoustum�e, comme j'ay dict cy-dessus, puis ils firent leur tabagie, & apr�s l'avoir faict, les femmes se despouillerent toutes nues, par�es de leurs plus beaux matachias, & se meirent dedans leurs canots ainsi nues en dansant, & puis elles se vindrent mettre � l'eau en se battant � coups de leurs avirons, se jettant quantit� d'eau les unes sur les autres. Toutesfois elles ne se faisoient point de mal, car elles se paroient des coups qu'elles s'entre-ruoient. Apr�s avoir faict toutes ces c�r�monies, elles se retir�rent en leurs cabanes, & les sauvages s'en all�rent � la guerre contre les Irocois.

Le seiziesme jour d'aoust, nous partismes de Tadousac, & le 18 dudict mois arrivasmes � l'isle Perc�e, o� nous trouvasmes le sieur Prevert, de Sainct Malo, qui venoit de la mine o� il avoit est�134 avec 58/122beaucoup de peine, pour la crainte que les sauvages avoient de faire rencontre de leurs ennemis, qui sont les Armouchicois, lesquels sont hommes sauvages du tout monstrueux pour la forme qu'ils ont135; car leur teste est petite, & le corps court, les bras menus comme d'un schelet, & les cuisses semblablement, les jambes grosses & longues, qui sont toutes d'une venue; & quand ils sont assis sur leurs talons, les genoux leur passent plus d'un demy pied par dessus la teste, qui est chose estrange, & semblent estre hors de nature. Ils sont neantmoins fort dispos & d�terminez, & sont aux meilleures terres de toute la coste d'Arcadie136: aussi les Souricois les craignent fort. Mais, avec l'asseurance que ledict sieur de Prevert leur donna, il les mena jusqu'� laditte mine, o� les sauvages le guid�rent 137. C'est une fort haute montaigne advan�ant quelque peu sur la mer, qui est fort reluisante au soleil, o� il y a quantit� de verd de gris, qui proc�de de laditte mine de cuivre; _____.

Note 134: (retour) Le sieur Pr�vert n'avait point vu par lui-m�me ce qu'il rapporte ici � Champlain; il s'�tait content� d'envoyer deux ou trois de ses hommes, avec quelques sauvages, � la recherche des mines. Il ne faut donc pas s'attendre � trouver beaucoup d'exactitude dans tout ce r�cit. �Il nous faut,� dit Lescarbot, liv. III, ch. XXVIII, �retourner qu�rir Samuel Champlein... afin qu'il nous dise quelques nouvelles de ce qu'il aura veu & ou� parmi les sauvages... Et afin qu'il ait un plus beau champ pour r�jouir ses auditeurs, je voy le sieur Prevert de Sainct Malo qui l'attend � l'isle Perc�e, en intention de lui en bailler d'une; & s'il ne se contente de cela, lui bailler encore avec la fable des Armouchiquois la plaisante histoire du Gougou, qui fait peur aux petits Enfans, afin que par apr�s l'Historiographe Cayet soit aussi de la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy.� Il n'y a l�-dessus qu'une remarque � faire: il �tait beaucoup plus facile � Lescarbot, cinq ou six ans plus tard, de tourner en ridicule la cr�dulit� de Champlain, qu'� celui-ci de bien discerner du premier coup ce qu'il pouvait y avoir de vrai ou de faux dans les r�cits d'un homme dont il n'avait peut-�tre pas de raison alors de soup�onner la v�racit�.

Note 135: (retour) Les Souriquois �taient sans doute int�ress�s � donner au sieur Pr�vert une aussi mauvaise id�e que possible de leurs ennemis; et, d'ailleurs, le sieur Pr�vert �tait assez dispos� � en inventer au besoin, comme Champlain put bient�t le constater par lui-m�me. �Les Armouchicois,� dit Lescarbot, �sont aussi beaux hommes (souz ce Mot je comprens aussi les femmes) que nous, bien compos�s & dispos...� (Liv. III, ch. XXIX.)

Note 136: (retour) Ce passage donnerait � entendre que, dans l'origine, on comprenait sous ce nom d'Acadie une bien plus grande �tendue de c�tes, puisque le pays des Armouchiquois ne commen�ait qu'au-del� du K�n�bec; c'est du moins ce que nous assurent Champlain et le P. Biard, qui tous deux visit�rent les lieux. (Voir 1613, p. 39.)

Note 137: (retour) Champlain parle ici sur le rapport de Pr�vert.

Au pied de laditte montaigne, il dit que de basse eau 59/123il y avoit en quantit� de morceaux de cuivre, comme il nous en a monstr�, lequel tombe du hault de la montaigne. Passant trois ou quatre lieues plus outre, tirant � la coste d'Arcadie, il y a une autre mine, & une petite riviere qui va quelque peu dans les terres, tirant au Su, o� il y a une montaigne qui est d'une peinture noire, de quoy se peignent les sauvages. Puis, � quelques six lieues de la seconde mine, en tirant � la mer environ une lieue proche de la coste d'Arcadie, il y a une isle o� se trouve une mani�re de metail qui est comme brun obscur, le coupant il est blanc, dont anciennement ils usoient pour leurs flesches & cousteaux, qu'ils battoient avec des pierres; ce qui me fait croire que ce n'est estain ny plomb, estant si dur comme il est; & leur ayant monstr� de l'argent, ils dirent que celuy de ladicte isle est semblable; lequel ils trouvent dedans la terre comme � un pied ou deux. Ledict sieur Prevert a donn� aux sauvages des coins & ciseaux, & d'autres choses necessaires pour tirer de ladicte mine, ce qu'ils ont promis de faire, & l'ann�e qu'il vient d'en apporter, & le donner audict sieur Prevert.

Ils disent aussi qu'� quelques cent ou 120 lieues il y a d'autres mines, mais ils n'osent y aller, s'il n'y a des fran�ois parmy eux pour faire la guerre � leurs ennemis, qui les tiennent en leur possession.

Cedict lieu o� est la mine, qui est par les 44 degrez & quelques minutes 138 proche de ladicte coste de l'Arcadie comme de cinq ou six lieues, c'est une 60/124mani�re de baye qui en son entr�e peut tenir quelques lieues de large, & quelque peu davantage de long, o� il y a trois rivieres qui viennent tomber en la grand'Baye proche de l'isle de Sainct Jean139, qui a quelque trente ou trente-cinq lieues de long, & � quelque six lieues de la terre du Su. Il y a aussi une autre petite riviere qui va tomber comme � moiti� chemin de celle par o� revint ledict sieur Prevert, o� sont comme deux mani�res de lacs en cette dicte riviere. Plus y a aussi une autre petite riviere qui va � la painture. Toutes ces rivieres tombent en laditte Baye au Su-Est environ de laditte isle que lesdicts sauvages disent y avoir ceste mine blanche. Au cost� du Nort de laditte Baye 140 sont les mines de cuivre, o� il y a bon port pour des vaisseaux, & une petite isle � l'entr�e du port. Le fonds est vase & sable, o� l'on peut eschouer les vaisseaux.

Note 138: (retour) Si la description faite par le sieur Pr�vert, ou plut�t par ses hommes, se rapporte au bassin des Mines, comme le comprit Champlain lui-m�me (voir �dit. 1613, ch. III), cette latitude est beaucoup trop faible; le bassin des Mines est tout entier au-del� du quarante-cinqui�me degr�.

Note 139: (retour) Aujourd'hui l'�le du Prince-Edouard.

Note 140: (retour) On croit reconna�tre ici, avec Champlain (�dit. 1613, ch. III), l'entr�e ou le canal du bassin des Mines, l'�le Haute, et le port ou havre � L'Avocat, o� �le fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer.�

De ladicte mine jusques au commencement de l'entr�e desdittes rivieres, il y a quelques 60 ou 80 lieues par terre. Mais du cost� de la mer, selon mon jugement, depuis la sortie de l'isle de Sainct Laurent & terre ferme 141, il peut y avoir plus de 50. ou 60. lieues jusques � la ditte mine.

Note 141: (retour) De cette sortie, qui est �videmment le d�troit de Canseau, jusqu'au bassin des Mines, il y a, par mer, environ cent soixante lieues.

Tout ce pa�s est tr�s beau & plat, o� il y a de toutes les sortes d'arbres que nous avons veus allant au premier sault de la grande riviere de Canadas, fort peu de sapins & cyprez.

61/125Voyl� au certain ce que j'ay apprins & ouy dire audict sieur Prevert.





D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent Gougou,
& de nostre bref & heureux retour en France.

CHAPITRE XIII.

Il y a encore une chose estrange, digne de reciter, que plusieurs sauvages m'ont asseur� estre vray142: c'est que, proche de la Baye de Chaleurs, tirant au Su, est une isle o� faict residence un monstre espouvantable que les sauvages appellent Gougou, & m'ont dict qu'il avoit la forme d'une femme, mais fort effroyable, & d'une telle grandeur, qu'ils me disoient que le bout des mats de nostre vaisseau ne luy fust pas venu jusques � la ceinture, 62/126tant ils le peignent grand; & que souvent il a devor� & devore beaucoup de sauvages; lesquels ils met dedans une grande poche, quand il les peut attraper, & puis les mange; & disoient ceux qui avoient esvit� le p�ril de ceste malheureuse beste, que sa poche estoit si grande, qu'il y eust pu mettre nostre vaisseau. Ce monstre faict des bruits horribles dedans ceste isle, que les sauvages appellent le Gougou; & quand ils en parlent, ce n'est que avec une peur si estrange qu'il ne se peut dire plus, & m'ont asseur� plusieurs l'avoir veu. Mesme ledict sieur Prevert de Sainct Malo, en allant � la descouverture des mines, ainsi que nous avons dict au chapitre pr�c�dent, m'a dict avoir pass� si proche de la demeure de ceste effroyable beste, que luy & tous ceux de son vaisseau entendoient des sifflements estranges du bruit qu'elle faisoit, & que les sauvages qu'il avoit avec luy, luy dirent que c'estoit la mesme beste, & avoient une telle peur qu'ils se cachoient de toute part, craignant qu'elle fust venue � eux pour les emporter & qu'il me faict croire ce qu'ils disent, c'est que tous les sauvages en g�n�ral la craignent & en parlent si estrangement, que si je mettois tout ce qu'ils en disent, l'on le tiendroit pour fables; mais je tiens que ce soit la residence de quelque diable qui les tourmente de la fa�on. Voyl� ce que j'ay appris de ce Gougou.

Note 142: (retour) Les premiers voyageurs qui abord�rent aux c�tes du nouveau monde �taient bien dispos�s � y trouver un ordre de choses tout diff�rent de celui du monde ancien; et Champlain tout le premier, en parcourant des r�gions encore � peu pr�s inexplor�es, pouvait croire trop facilement � l'existence de monstres fabuleux. Cependant, si l'on consid�re ce r�cit dans son ensemble, on verra qu'il ne fait gu�re que rapporter textuellement ce que les sauvages et le sieur Pr�vert �taient unanimes � raconter. Mais, de ce qu'il admettait volontiers l'existence du fait, il ne s'ensuit pas qu'il ait cru tout ce qu'on disait de ce pr�tendu monstre. C'est ce que prouve assez la r�flexion par laquelle il termine: �Mais je tiens que ce soit (qu'il faut que ce soit) la residence de quelque diable qui les tourmente de la fa�on.� Et Lescarbot lui-m�me, apr�s avoir employ� plus de deux pages � expliquer les causes des fausses visions & imaginations, et � prouver que le Gougou, c'est proprement le remord de la conscience, finit aussi par dire: �Et n'est pas incroyable que le diable poss�dant ces peuples ne leur donne beaucoup d'illusions. Mais proprement, & � dire la v�rit�, ce qui a fortifi� l'opinion du Gougou a �t� le rapport dudit Prevert, lequel contoit un jour au sieur de Poutrincourt une fable de m�me aloy, disant qu'il avoit veu un Sauvage jouer � la croce contre un diable, & qu'il voyoit bien la croce du diable jouer, mais quant � Monsieur le diable il ne le voyoit point. Le sieur de Poutrincourt qui prenoit plaisir � l'entendre, faisoit semblant de le croire, pour lui en faire dire d'autres... Or si ledit Champlein a �t� credule, un s�avant personnage que j'honore beaucoup pour sa grande literature, est encore en plus grand'faute, ayant mis en sa Chronologie septenaire de l'histoire de la paix imprim�e l'an mille six cens cinq, tout le discours dudit Champlein sans nommer son autheur, & ayant baill� les fables des Armouchiquois & du Gougou pour bonne monnoye. Je croy que si le conte du diable jouant � la croce e�t aussi �t� imprim�, il l'e�t creu, & mis par escrit, comme le reste.�

Premier que partir de Tadousac pour nous en retourner en France, un des Sagamo des Montagnez, nomm� Bechourat143, donna son fils au sieur du Pont, 63/127pour l'emmener en France, & lui fut fort recommand� par le grand Sagamo Anadabijou, le priant de le bien traiter & de lui faire veoir ce que les autres deux sauvages que nous avions remenez, avoient veu. Nous leur demandasmes une femme des Irocois qu'ils vouloient manger, laquelle ils nous donn�rent, & l'avons aussi amen�e avec ledict sauvage. Le sieur de Prevert a aussi amen� quatre sauvages: un homme qui est de la coste d'Arcadie, une femme & deux enfans des Canadiens.

Note 143: (retour) Tr�s-probablement le m�me que Begourat mentionn� plus haut. On sait que dans certaines �critures de l'�poque de Champlain les deux lettres ch avaient beaucoup de ressemblance avec le g.

Le 24e jour d'aoust, nous partismes de Gachepay, le vaisseau dudict sieur Prevert & le nostre. Le 2e jour de septembre, nous faisons estat d'estre aussi avant que le cap de Rase. Le cinqui�me jours dudict nous entr�mes sur le banc o� se fait la pesche du poisson. Le 16 dudict mois nous estions � la sonde qui peut estre � quelques 50 lieues d'Ouessant Le 20 dudict mois, nous arrivasmes, par la gr�ce de Dieu, avec contentement d'un chascun, & tousjours le vent favorable, au port du Havre-de-Grace.



FIN.

Fin du Tome II. (la page suivante est la page 130 qui est la page couverture du Tome III.)

130



131 L'�dition de 1613, qui fait suite � celle de 1603, est peut-�tre la plus int�ressante et la plus utile de toutes celles que publia Champlain. Les faits y sont racont�s dans l'ordre, quoique simplement; les descriptions de lieux y sont � leur place; le texte est partout accompagn� de cartes ou de dessins, qui jettent toujours beaucoup de lumi�re sur des �v�nements si �loign�s de nous.

Bien des personnes, sans en avoir fait un examen assez attentif, ont cru que l'�dition de 1632 pouvait y suppl�er, parce quelle la reproduit en grande partie. Mais, quand elles voudront approfondir les choses, et s'en rendre exactement compte, elles s'apercevront bien vite que cette r�impression de 1632 est tellement tronqu�e parfois, qu'il est impossible de s'y reconna�tre, et elles se verront forc�es de revenir � l'�dition premi�re, surtout pour ce qui concerne l'Acadie, et les cotes de la Nouvelle-Angleterre.



132

LES VOYAGES

DU SIEUR DE CHAMPLAIN

XAINTONGEOIS, CAPITAINE

ordinaire pour le Roy,
en la marine.

DIVISEZ EN DEUX LIVRES.

ou,

JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites �s descouvertures de la nouvelle France: tant en la description des terres, costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, & plusieurs d�clinaisons de la guide-aymant; qu'en la cr�ance des peuples, leurs superstitions, fa�on de vivre & de guerroyer: enrichi de quantit� de figures.

Ensemble deux cartes geografiques: la premi�re servant � la navigation, dress�e selon les compas qui nordestent, sur lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray M�ridien, avec ses longitudes & latitudes: � laquelle est adjoust� le voyage du destroict qu'ont trouv� les Anglois, au dessus de Labrador, depuis le 53e. degr� de latitude, jusques au 63e en l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller � la Chine.

A PARIS,

Chez JEAN BERJON, rue S. Jean de Beauvais, au Cheval volant, & en sa boutique au Palais, � la gallerie des prisonniers.


MDCXIII.

AVEC PRIVILEGE DU ROY.



iii/135

AU ROY.

IRE,

Vostre Majest� peut avoir assez de cognoissance des descouvertures, faites pour son service de la nouvelle France (dicte Canada) par les escripts que certains Capitaines & Pilotes en ont fait, des voyages & descouvertures, qui y ont est� faites, depuis quatre vingts ans, mais ils n'ont rien rendu de si recommandable en vostre Royaume, ny si profitable pour le service de vostre Majest� & de ses subjects; comme peuvent estre les cartes des costes, havres, rivieres, & de la situation des lieux lesquelles seront represent�es par ce petit traict�, que je prens la hardiesse d'adresser � vostre Majest�, intitul� Journalier des voyages & descouvertures que j'ay faites avec le sieur de Mons, vostre Lieutenant, en la nouvelle France: & me voyant pouss� d'une juste recognoissance de l'honneur que j'ay re�eu depuis dix ans, des commandements, tant de vostre Majest�, Sire, que du feu Roy, Henry le Grand, d'heureuse m�moire, qui me commanda de faire les recherches & descouvertures les plus exactes qu'il me seroit possible: Ce que j'ay fait avec les augmentations, represent�es par les cartes, contenues en ce petit livre, auquel il se trouvera uneiv/136 remarque particuli�re des perils, qu'on pourrait encourir s'ils n'estoyent evitez: ce que les subjects de vostre Majest�, qu'il luy plaira employer cy apr�s, pour la conservation desdictes descouvertures pourront eviter selon la cognoissance que leur en donneront les cartes contenues en ce traict�, qui servira d'exemplaire en vostre Royaume, pour servir � vostre Majest�, � l'augmentation de sa gloire, au bien de ses subjects, & � l'honneur du service tres-humble que doit � l'heureux accroissement de vos jours.

SIRE.

Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-fidele serviteur & subject.

CHAMPLAIN.

v/137



A LA ROYNE REGENTE
MERE DU ROY.

ADAME,

Entre tous les arts les plus utiles & excellens, celuy de naviguer m'a tousjours sembl� tenir le premier lieu: Car d'autant plus qu'il est hazardeux & accompagn� de mille p�rils & naufrages, d'autant plus aussi est-il estim� & relev� par dessus tous, n'estant aucunement convenable � ceux qui manquent de courage & asseurance. Par cet art nous avons la cognoissance de diverses terres, r�gions, & Royaumes. Par iceluy nous attirons & apportons en nos terres toutes sortes de richesses, par iceluy l'idol�trie du Paganisme est renvers�, & le Christianisme annonc� par tous les endroits de la terre. C'est cet art qui m'a d�s mon bas aage attir� � l'aimer, & qui m'a provoqu� � m'exposer presque toute ma vie aux ondes impetueuses de l'Oc�an, & qui m'a fait naviger & costoyer une partie des terres de l'Am�rique & principalement de la Nouvelle France, o� j'ay tousjours en desir d'y faire fleurir le Lys avec l'unique Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Ce que je croy � present faire avec l'aide de Dieu, estant assist� de la faveur de vostre Majest�, laquelle je supplie tres-humblement de continuer � nous maintenir, afin que tout reussisse � l'honneurvi/138 de Dieu, au bien de la France & splendeur de vostre Regne, pour la grandeur & prosperit� duquel, je prierai Dieu, de vous assister tousjours de mille benedictions & demeureray.

MADAME,

Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-fidele serviteur & subject.

CHAMPLAIN.



vii/139

AUX FRAN�OIS, SUR LES
voyages du sieur de Champlain.

STANCES.

La France estant un jour � bon droit irrit�e

De voir des estrangers l'audace tant vant�e,

Voulans comme ranger la mer � leur merci,

Et rendre injustement Neptune tributaire

Estant commun � tous; ardente de cholere

Appella ses enfans, & les tan�oit ainsi.

2

Enfans, mon cher soucy, le doux soin de mon ame,

Quoy? l'honneur qui espoint d'une si douce flamme,

Ne touche point vos coeurs? Si l'honneur de mon nom

Rend le vostre pareil d'�ternelle memoire,

Si le bruit de mon los redonde � vostre gloire,

Chers enfans, pouv�s vous trahir vostre renom?

3

Je voy de l'estranger l'insolente arrogance,

Entreprenant par trop, prendre la jouissance

De ce grand Oc�an, qui languit apr�s vous,

Et pourquoy le desir d'une belle entreprise

Vos coeurs comme autresfois n'espoin�onne & n'attise?

Tousjours un brave coeur de l'honneur est jaloux.

4

Appren�s qu'on a veu les Fran�oises arm�es

De leur nombre couvrir les pleines Idum�es,

L'Afrique quelquefois a veu vos devanciers,

L'Europe en a trembl�, & la fertile Asie

En a est� souvent d'effroy toute saisie,

Ces peuples sont tesmoins de leurs actes guerriers.

5

viii/140

Ainsi moy vostre mere en armes si f�conde

J'ay fait trembler soubs moy les trois parts de ce monde.

La quarte seulement mes armes n'a goust�.

C'est ce monde nouveau dont l'Espagne rostie.

Jalouse de mon los, seule se glorifie,

Mon nom plus que le sien y doit estre plant�.

6

Peut estre direz vous que mon ventre vous donne

Ce que pour estre bien, Nature vous ordonne,

Que vous avez le Ciel cl�ment & gracieux,

Que de chercher ailleurs se rendre � la fortune,

Et plus se confier � une traistre Neptune,

Ce seroit s'hazarder sans espoir d'avoir mieux.

7

Si les autres avoyent leurs terres cultiv�es,

De fleuves & ruisseaux plaisamment abbreuv�es

Et que l'air y fut doux: sans doute ils n'auroyent pas

Dans ce pays lointain port� leur renomm�e

Que foible on la verroit dans leurs murs enferm�e

Mais pour vaincre la faim, on ne craint le trespas.

8

Il est vray chers enfans, mais ne faites vous compte

De l'honneur, qui le temps & sa force surmonte?

Qui seul peut faire vivre en immortalit�?

Ha! je s�ay que luy seul vous plaist pour recompense,

All�s donc courageux, ne souffrez, ceste offense,

De souffrir tels affrons, ce ferait laschet�.

9

Je n'en sentirois pas la passion si forte,

Si nature n'ouvroit � ce dessein la porte,

Car puis qu'elle a voulu me bagner les cost�s

De deux si larges mers: c'est pour vous faire entendre

Que guerriers il vous faut mes limites estendre

Et rendre des deux parts les peuples surmont�s.

10

ix/141

C'est trop, c'est trop long temps se priver de l'usage,

D'un bien que par le Ciel vous eustes en partage,

All�s donc courageux, faites bruire mon los,

Que mes armes par vous en ce lieu soyent port�es

Rend�s par la vertu les peines surmont�es

L'honneur est tant plus grand que moindre est le repos.

11

Ainsi parla la France: & les uns approuverent

Son discours, par les cris qu'au Ciel ils eslev�rent,

D'autres faisoient semblant de louer son dessein,

Mais nul ne s'effor�ait de la rendre contente,

Quand Champlain luy donna le fruit de son attente.

Un coeur fort g�n�reux ne peut rien faire en vain.

12

Ce dessein qui portait tant de peines diverses,

De dangers, de travaux, d'espines de travers�s,

Luy servit pour monstrer qu'une enti�re vertu

Peut rompre tous efforts par sa perseverance

Emporter, vaincre tout: un coeur plein de vaillance

Se monstre tant plus grande plus il est combattu.

13

Fran�ois, chers compagnons, qu'un beau desir de gloire

Espoin�onnant vos coeurs, rende vostre m�moire

Illustr�e � jamais; venez braves guerriers,

Non non ce ne sont point des esperances vaines.

Champlain a surmont� les dangers & les peines:

Ven�s pour recueillir mille & mille lauriers.

14

HENRY mon grand Henry � qui la destin�e

Impiteuse a trop tost la carri�re born�e,

Si le Ciel t'eust laiss� plus long temps icy bas,

Tu nous eusses assembl� la France avec la Chine:

Tu ne m�ritais moins que la ronde machine,

Et l'eussions veu courber sous l'effort de ton bras.

15

x/142

Et toy sacr� fleuron, digne fils d'un tel Prince,

Qui luit comme un soleil aux yeux de ta Province,

Le Ciel qui te reserve � un si haut dessein,

Face un jour qu'arrivant l'effect de mon envie,

Je verse en t'y servant & le sang, & la vie,

Je ne quiers autre honneur si tel est mon destin.

16

Tes armes � mon Roy, � mon grand Alexandre!

Iront de tes vertus un bon odeur espandre

Au couchant & levant. Champlain tout glorieux

D'un desir si hautain ayant l'ame eschauff�e

Aux fins de l'Oc�an plantera ton troph�e,

La grandeur d'un tel Roy doit voler jusqu'aux Cieux.


L'ANGE Paris.



xi/143

A MONSIEUR DE CHAMPLAIN
Sur son livre & ses cartes marines.

ODE.

Que desire tu voir encore

Curieuse t�m�rit�:

Tu cognois l'un & l'autre More,

En ton cours est-il limit�?

En quelle coste recul�e

N'es-tu pas sans frayeur all�e?

Et ne sers tu pas de raison?

Que l'ame est un feu qui nous pousse,

Qui nous agite et se courouce

D'estre en ce corps comme en prison?

Tu ne trouves rien d'impossible,

Et mesme le chemin des Cieux

� peine reste inaccessible

A ton courage ambitieux.

Encore un fugitif D�dale,

Esbranlant son aisle in�gale

Eut l'audace d'en approcher,

Et ce guerrier qui de la nue

Vid la jeune Andromede nue

Preste � mourir sur le rocher.

Que n'ay je leur aisle asseur�e,

Ou celle du vent plus l�ger,

Ou celles des fils de Bor�e

Ou l'Hippogriphe de Roger.

Que ne puis-je par characteres

Parfums & magiques mysteres

Courir l'un & l'autre Element.

Et quand je voudrais l'entreprendre

Aussi-tost qu'un daimon me rendre

Au bout du monde en un moment.

xii/144

Non point qu'alors je me promette

D'aller au sejour eslev�

Qu'avec une longue lunette

On a dans la lune trouv�;

Ny d'apprendre si les lumi�res

D'esclairer au ciel coustumieres,

Et qui sont nos biens & nos maux,

D'humides vapeurs sont nourries,

Comme icy bas dans les prairies

D'herbe on nourit les animaux.

Mais pour aller en asseurance

Visiter ces peuples tous nuds

Que la bien heureuse ignorance

En long repos a maintenus.

Telle estoit la gent fortun�e

Au monde la premi�re n�e,

Quand le miel en ruisseaux fondoit

Au sein de la terre fleurie

Et telle se voit l'Hetrurie

Lors que Saturne y commandoit.

Quels honneurs & quelles louanges

Champlain ne doit point esperer,

Qui de ces grands pays estranges

Nous a s�eu le plan figurer

Ayant neuf fois tenu la sonde

Et port� dans ce nouveau monde

Son courage aveugle aux dangers,

Sans craindre des vents les haleines

Ny les monstrueuses Baleines

Le butin des Basques l�gers.

Esprit plus grand que la fortune

Patient & laborieux.

Tousjours soit propice Neptune

A tes voyages glorieux.

Puisses tu d'aage en aage vivre,

Par l'heureux effort de ton livre:

Et que la mesme �ternit�

Donne tes chartes renomm�es

D'huile de c�dre perfum�es

En garde � l'immortalit�.


Motin.

xiii/145


SOMMAIRES DES CHAPITRES

LIVRE PREMIER

Auquel sont descrites les descouvertures de la coste d'Acadie & de la Floride.

L'utilit� du commerce a induit plusieurs Princes � recercher un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs voyages qui n'ont point r�ussi. Resolution des Fran�ois � cet effect. Entreprise du sieur de Mons. Sa commission, & revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons. Chap. I.

Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton, de la Heve: Du port au Mouton: Du port du cap Negre: Du cap & Baye de Sable: De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle longue: De la baye saincte Marie: Du port saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui sont le long de ceste coste. Chap. II.

Description du port Royal & des particularitez d'iceluy. De l'isle haute. Du port aux Misnes. De la grande baye Fran�oise. De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqu� depuis le port aux Misnes jusques � icelle. De l'isle appell�e par les Sauvages Methane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres choses remarquables d'icelle coste. Chap. III.

Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour faire une demeure arrest�e, que l'isle de saincte Croix, la fortifie & y fait des logemens. Retour des vaisseaux en France, & de Ralleau Secr�taire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre � quelques affaires. Chap. IV.

De la coste, peuples & rivieres de Norembeque, & de tout ce qui s'est pass� durant les descouvertures d'icelle. Chap. V.

Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes & femmes Sauvages passent le temps durant l'hyver: & tout ce qui se passe en l'habitation durant l'hyvernement. Chap. VI.

Descouvertures de la coste des Almouchiquois, jusques au 42e degr� de latitude: & des particularit�s de ce voyage. Chap. VII.

Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce que nous y avons remarqu� de particulier. Chap. VIII.

Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois. Chap. IX.

L'habitation qui estoit en l'isle de saincte Croix transport�e au port Royal, & pourquoy. Chap. X.

Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusques � ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit promis, on partit du port Royal pour retourner en France. Chap. XI.

Partement du Port Royal, pour retourner en France. Rencontre de Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrousser chemin. Chap. XII.

Le sieur de Poitrincourt part du port Royal, pour faire des descouvertures. Tout ce que l'on y vit, & ce qui y arriva jusques � Malebarre. Chap. XIII.

Continuation des susdites descouvertures, & ce qui y fut remarqu� de singulier. Chap. XIV.

L'incommodit� du temps, ne permettant pour lors, de faire d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en l'habitation: & ce qui nous arriva jusques � icelle. Chap. XV.

xiv/146Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant l'hyvernement. Chap. XVI.

Habitation abandonn�e. Retour en France du sieur de Poitrincourt & de tous tes gens. Chap. XVII.


LIVRE SECOND

Auquel sont descrits les voyages faits au grand fleuve sainct Laurens, far le sieur de Champlain.

Resolution du sieur de Mons, pour faire les descouvertures par dedans les terres: sa commission & enfrainte d'icelle, par des Basques, qui desarmerent le vaisseau de Pont-grav�; & l'accord qu'ils firent apr�s entre eux. Chap. I.

De la riviere de Saguenay, & des Sauvages, qui nous y vindrent abborder. De l'isle d'Orl�ans, & de tout ce que nous y avons remarqu� de singulier. Chap. II.

Arriv�e � Qu�bec, o� nous fismes nos logemens. Sa situation. Conspiration contre le service du Roy, & ma vie, par aucuns de nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa en cet affaire. Chap. III.

Retour du Pont-grav� en France. Description de nostre logement, & du lieu o� sejourna Jaques Quartier en l'an 1535. Chap. IV.

Semences & vignes plant�es � Qu�bec. Commencement de l'yver & des glaces. Extresme necessit� de certains sauvages. Chap. V.

Maladie de la terre � Qu�bec. Le suject de l'hyvernement. Description dudit lieu. Arriv�e du sieur de Marais, gendre de Pont-grav�, audit Qu�bec Chap. VI.

Partement de Qu�bec jusques � l'isle saincte Esloy, & de la rencontre que j'y fis des sauvages Algoumequins, & Ochatequins. Chap. VII.

Retour � Qu�bec: & depuis continuation avec les sauvages jusques au saut de la riviere des Yroquois. Chap. VIII.

Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit lac, & de la fa�on & conduite qu'ils usent en allant attaquer les Yroquois. Chap. IX.

Retour de la Bataille & ce qui se passa par le chemin. Chap. X.

Retour en France & ce qui se passa jusques au rembarquement. Chap. XI.


SECOND VOYAGE DU SIEUR de Champlain.

Partement de France pour retourner en la nouvelle France: & ce qui se passa jusques � nostre arriv�e en l'habitation. Chap. I.

Partement de Qu�bec pour aller assister nos sauvages alliez � la guerre contre les Yroquois leurs ennemis & tout ce qui se passa jusques � nostre retour en l'habitation. Chap. II.

Retour en France. Rencontre d'une Baleine & de la fa�on qu'on les prent Chap. III.

xv/147

LE TROISIESME VOYAGE DU sieur de Champlain en l'ann�e 1611.

Partement de France pour retourner en la Nouvelle France. Les dangers & autres choses qui arriverent jusques en l'habitation. Chap. I.

Descente � Quebec pour faire raccommoder la barque. Partement dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages & recognoistre un lieu propre pour une habitation. Chap. II.

Deux cens sauvages rameinent le Fran�ois qu'on leur avoit baill�, & remmen�rent leur sauvage qui estoit retourn� de France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. III.

Arriv�e � la Rochelle. Association rompue entre le sieur de Mons & ses associ�s les sieurs Colier & le gendre de Rouen. Envie des Fran�ois touchant les nouvelles descouvertures de la nouvelle France. Chap. IV.

Intelligence des deux cartes Geografiques de la nouvelle France.

xvi/148Plus est adjout� le voyage � la petite carte du destroit qu'ont trouv� les Anglois au dessus de Labrador depuis le 53e degr� de latitude, jusques au 63e qu'ils ont descouvert en ceste presente ann�e 1612. pour trouver un passage d'aller � la Chine par le Nort, s'il leur est possible: & ont hyvern� au lieu o� est ceste marque, Q. Ce ne fut pas sans avoir beaucoup endur� de froidures, & furent contraincts de retourner en Angleterre: ayans laiss� leur chef dans les terres du Nort, & depuis six mois, trois autres vaisseaux sont partis pour p�n�trer plus avant, s'ils peuvent, & par mesmes moyens voir s'ils trouveront les hommes qui ont est� delaissez audict pays.


EXTRAIT DU PRIVILEGE.

ar lettres patentes du Roy donn�es � Paris, le 9 de janvier, 1613. & de nostre r�gne le 3, par le Roy en son conseil PERREAU: & scell�es en cire jaune sur simple queue, il est permis � JEAN BERJON, Imprimeur & Libraire en ceste ville de Paris, imprimer ou faire imprimer par qui bon luy semblera un livre intitul�. Les Voyages de Samuel de Champlain Xainctongeois, Capitaine ordinaire pour le Roy en la Marine, etc. pour le temps & terme de six ans entiers & consecutifs � commencer du jour que ledit livre aura est� achev� d'imprimer, jusques audit temps de six ans. Estant semblablement fait deffenses par les mesmes lettres, � tous Imprimeurs, marchans Libraires, & autres quelconques, d'imprimer, ou faire imprimer, vendre ou distribuer ledit livre durant ledit temps, sans l'expr�s contentement dudit BERJON, ou de celuy � qui il en aura donn� permission, sur peine de confiscation desdicts livres la part qu'ils seront trouvez, & d'amende arbitraire, comme plus � plein est d�clar� esdictes lettres.




1/149

LES VOYAGES

DU SIEUR DE CHAMPLAIN
XAINTONGEOIS, CAPITAINE
ordinaire pour le Roy,
en la marine.

OU JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites �s descouvertures de la nouvelle France: tant en la description des terres, costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, & plusieurs declinaisons de la guide-aymant; qu'en la cr�ance des peuples, leurs superstitions, fa�on de vivre & de guerroyer: enrichi de quantit� de figures.

Ensemble deux cartes g�ographiques: la premi�re servant � la navigation, dress�e selon les compas qui nordestent, sur lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray M�ridien, avec ses longitudes & latitudes: � laquelle est adjoust� le voyage du destroict qu'ont trouv� les Anglois, au dessus de Labrador, depuis le 53e. degr� de latitude, jusques au 63e en l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller � la Chine.



LIVRE PREMIER



2/150

L'utilit� du commerce a induit plusieurs Princes � rechercher un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs voyages qui n'ont pas reussy. Resolution des Fran�ois � cet effect. Entreprise du sieur de Mons: sa commission, revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons pour continuer son entreprise.

CHAPITRE I.

elon la diversit� des humeurs les inclinations sont diff�rentes: & chacun en sa vacation a une fin particuliere. Les uns tirent au proffit, les autres � la gloire, & aucuns au bien public. Le plus grand est au commerce, & principalement celuy qui se faict sur la mer. De l� vient le grand soulagement du peuple, l'opulence & l'ornement des republiques. C'est ce qui a eslev� l'ancienne Rome � la Seigneurie & domination de tout le monde. Les V�nitiens � une grandeur esgale � celle des puissans Roys. De tout temps il a fait foisonner en richesses les villes maritimes, dont Alexandrie & Tyr sont si c�l�bres: & une infinit� d'autres, lesquelles remplissent le profond des terres apr�s que les nations estrangeres leur ont envoy� ce qu'elles ont de beau & de singulier. C'est pourquoy plusieurs Princes se sont efforcez de trouver par le Nort, le chemin de la Chine, afin de faciliter le commerce avec les Orientaux, esperans que ceste route seroit plus brieve & moins perilleuse.

En l'an 1496, le Roy d'Angleterre commit � ceste recherche Jean Chabot1 & Sebastien son fils. Environ le mesme temps Dom Emanuel Roy de Portugal y envoya Gaspar Cortereal, qui retourna sans avoir trouv� ce qu'il pretendoit: & l'ann�e d'apr�s reprenant les mesmes erres, ils mourut en l'entreprise, comme fit Michel son fr�re qui la continuoit obstin�ment. Es ann�es 1534. & 1535, Jacques Quartier 2 eut pareille commission du 3/151Roy Fran�ois I, mais il fut arrest� en sa course. Six ans apr�s le sieur de Roberval l'ayant renouvel�e, envoya Jean Alfonce Xaintongeois plus au Nort le long de la coste de Labrador, qui en revint aussi s�avant que les autres. Es ann�es 1576, 1577 & 1578 Messire Martin Forbicher3 Anglois fit trois voyages suivant les costes du Nort. Sept ans apr�s Hunfrey Gilbert 4 aussi Anglois partit avec cinq navires, & s'en alla perdre sur l'isle de Sable, o� demeur�rent trois de ses vaisseaux. En la mesme ann�e 5, & �s deux suivantes Jean Davis Anglois fit trois voyages pour mesme subject, & p�n�tra soubs les 72 degrez, & ne passa pas un destroit qui est appel� aujourdhui de son nom. Et depuis luy le Capitaine Georges en fit aussi un en l'an 1590, qui fut contraint � cause des glaces, de retourner sans avoir rien descouvert. Quant aux Holandois ils n'en ont pas eu plus certaine cognoissance � la nouvelle Zemble.

Note 1: (retour)

La commission fut donn�e nomm�ment � Jean Cabot et � ses fils Louis, S�bastien et Sanche, et � leurs h�ritiers et ayans cause: �Dilectis nobis Ioanni Caboto, civi Venetiarum, Ludovico, Sebastiano & Sancio filiis dicti Ioannis, & eorum ac cujuslibet eorum haeredibus ac deputatis...� (M�moires des Commissaires, t. II, p. 409). Cette commission est dat�e du 5 mars de la onzi�me ann�e du r�gne de Henri VII. Or Henri fut couronn� le 30 octobre 1485. La commission est donc du 5 mars 1496, suivant le style nouveau, et 1495 suivant l'ancien style, P�ques tombant cette ann�e le 1er avril.

Note 2: (retour)

L'auteur, dans la relation de son voyage de 1603, �crit Jacques Cartier. Il semble que, dans celle-ci, il ait adopt� l'orthographe de Lescarbot; cependant le capitaine malouin signait Cartier, comme en font foi les registres de Saint-Malo.

Note 3: (retour)

Sir Martin Frobisher, natif de Doncaster, dans le comt� d'York. On peut voir la relation de ses voyages dans Hakluyt, tome III, et la traduction fran�aise dans les Voyages au Nord.

Note 4: (retour)

Sir Humphrey Gilbert obtint une commission de la reine d'Angleterre, d�s l'ann�e 1578. Mais le premier voyage qu'il entreprit cette ann�e manqua compl�tement, tant par la d�sertion d'un grand nombre de ses associ�s, que par suite d'une violente temp�te, qui le for�a de retourner en Angleterre. En vertu de la m�me commission, il r�alisa enfin, cinq ans plus tard (1583), un voyage aux c�tes de l'Am�rique, o� il p�rit lui et tous ses compagnons.

Note 5: (retour)

Le premier voyage de Davis eut lieu en 1585.

Tant de navigations & descouvertures vainement entreprises avec beaucoup de travaux & despences, ont fait resoudre noz Fran�ois en ces derni�res ann�es, � essayer de faire une demeure arrest�e �s terres que nous disons la Nouvelle France, esperans parvenir plus facilement � la perfection de ceste entreprise, 4/152la Navigation commen�eant en la terre d'outre l'Oc�an, le long de laquelle se fait la recherche du passage desir�: Ce qui avoit meu le Marquis de la Roche en l'an 1598,6 de prendre commission du Roy pour habiter ladite terre. A cet effect il deschargea des hommes & munitions en l'Isle de Sable: mais les conditions qui luy avoient est� accord�es par sa Majest� lui ayant est� d�ni�es, il fut contraint de quitter son entreprise, & laisser l� ses gens. Un an aprez le Capitaine Chauvin en prit une autre pour y conduire d'autres hommes: & peu aprez estant aussi revocqu�e7, il ne poursuit pas davantage.

Aprez ceux cy8, nonobstant toutes ces variations & incertitudes, le sieur de Mons voulut tenter une chose desesper�e: & en demanda commission � sa Majest�: recognoissant que ce qui avoit ruin� les entreprinses pr�c�dentes, estait faute d'avoir assist� les entrepreneurs, qui, en un an, ny 5/153deux, n'ont peu recognoistre les terres & les peuples qui y sont: ny trouver des ports propres � une habitation. Il proposa � sa Majest� un moyen pour supporter ces frais sans rien tirer des deniers Royaux, as�avoir, de lui octroyer privativement � tous autres la traitte de peleterie d'icelle terre. Ce que luy ayant est� accord�, il se mit en grande & excessive despence: & mena avec luy bon nombre d'hommes de diverses conditions: & y fit bastir des logemens necessaires pour ses gens: laquelle despence il continua trois ann�es consecutives, aprez lesquelles, par l'envie & importunit� de certains marchans Basques & Bretons, ce qui luy avoit est� octroy�, fut revocqu� par le Conseil, au grand prejudice d'iceluy sieur de Mons: lequel par telle revocation fut contraint d'abbandonner tout, avec perte de ses travaux & de tous les utensilles dont il avoit garny son habitation.

Note 6: (retour)

�Lescarbot et Champlain,� dit M. Ferland, en parlant de l'entreprise du marquis de la Roche (Cours d'Histoire du Canada, I, p. 60), �tenaient leurs renseignements du sieur de Poutrincourt. Nous pr�f�rons suivre Bergeron, qui �crivait vers le m�me temps, parce que la v�rit� de son r�cit est confirm�e par une notice sur le marquis de La Roche, ins�r�e dans la Biographie G�n�rale des Hommes Illustres de la Bretagne.� Voici ce que dit Bergeron � ce sujet: �Le Marquis de la Roche donc �tant all�, suivant sa premi�re commission� (1578), �d�s le temps de Henri III, en l'ile de Sable, & voulant d�couvrir davantage, il fut rejet� par la violence du vent en moins de douze jours jusqu'en Bretagne, o� il fut retenu prisonnier cinq ans� (ou plus de sept, suivant M. Pol de Courcy) �par le duc de Mercoeur. Cependant les gens qu'il avoit laiss� en l'�le de Sable, ne v�curent tout ce temps-l� que de p�che, & de quelques vaches & autres b�tes provenant de celles que d�s l'an 1518 le baron de Lery y avoit laiss�es. Enfin le marquis �tant d�livr� de prison, comme il eut cont� au Roy son adventure, le pilote Chef-d'hotel eut commandement allant aux terres neuves, de recueillir ces pauvres gens; ce qu'il fit, & n'en trouva que douze de reste, qu'il ramena en France. Mais le Marquis aiant obtenu sa seconde commission� (1598) �ne peut continuer ces voyages, pr�venu de mort bient�t apr�s.� (Trait� de la Navigation, ch. XX.)

Note 7: (retour)

Suivant l'�dition de 1632, le sieur Chauvin fit de suite un second voyage, �qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire un troisiesme mieux ordonn�; mais il n'y demeure longtemps sans estre saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.� (Premi�re partie, ch, VI.)

Note 8: (retour)

En 1603, apr�s la mort du commandeur de Chastes.

Mais comme il eut fait raport au Roy de la fertilit� de la terre; & moy du moyen de trouver le passage de la Chine9, sans les incommoditez des glaces du Nort, ny les ardeurs de la Zone torride, soubs laquelle nos mariniers passent deux fois en allant & deux fois en retournant, avec des travaux & p�rils incroyables, sa Majest� commanda 10 au sieur de Mons de faire nouvel �quipage & renvoyer des hommes pour continuer ce qu'il avoit commenc�. Il le fit. Et pour l'incertitude de sa commission il changea de lieu, afin d'oster aux envieux 6/154l'ombrage qu'il leur avoit apport�; meu aussi de l'esperance d'avoir plus d'utilit� au dedans des terres o� les peuples sont civilisez, & est plus facile de planter la foy Chrestienne & establir un ordre comme il est necessaire pour la conservation d'un pa�s, que le long des rives de la mer, o� habitent ordinairement les sauvages: & ainsi faire que le Roy en puisse tirer un proffit inestimable: Car il est ais� � croire que les peuples de l'Europe rechercheront plustost cette facilit� que non pas les humeurs envieuses & farouches qui suivent les costes & les barbares.

Note 9: (retour)

L'auteur, � cette �poque, n'avait encore �sur la fin de la grande riviere de Canada� que les renseignements qu'il avait pu obtenir de quelques sauvages.

Note 10: (retour)

Il s'agit ici de la commission de 1608.




Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton; De la H�ve; Du port au Mouton; Du port du Cap Negre: Du cap & baye de Sable: De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle Longue: De la baye saincte Marie: Du port de saincte Marguerite: & de toutes les choses remarcables qui sont le long de cette coste.

CHAPITRE II.

Le sieur de Mons, en vertu de sa commission 11, ayant par tous les ports & havres de ce Royaume fait publier les defences de la traitte de pelleterie � luy accord�e par sa Majest�, 7/155amassa environ 120 artisans, qu'il fit embarquer 12 en deux vaisseaux: l'un du port de 120 tonneaux, dans lequel commandoit le sieur de Pont-grav�: & l'autre de 150, o� il se mit avec plusieurs gentilshommes.

Note 11: (retour)

Cette premi�re commission de M. de Mons est du 8 novembre 1603. Elle est cit�e par Lescarbot, liv. IV, ch. I.

Note 12: (retour)

Lescarbot donne, sur cet embarquement, quelques d�tails de plus: �Le sieur de Monts,� dit-il, liv. IV, ch. II, �fit �quipper deux navires, l'un souz la conduite du Capitaine Timoth�e du Havre de Gr�ce, l'autre du Capitaine Morel de Honfleur. Dans le premier il se mit avec bon nombre de gens de qualit� tant gentils-hommes qu'autres... Et le sieur de Poutrincourt s'embarqua avec ledit sieur de Monts, & quant & lui fit porter quantit� d'armes & munitions de guerre.�

Le septiesme d'Avril mil six cens quatre, nous partismes du Havre de grace, & Pont-grav� le 10, qui avoit le rendes-vous � Canceau13 20 lieues du cap Breton 14. Mais comme nous fusmes en pleine mer le sieur de Mons changea d'advis & prit sa route vers le port au Mouton, � cause qu'il est plus au midy, & aussi plus commode pour aborder, que non pas Canceau.

Note 13: (retour)

Ce mot, que les Anglois �crivent Canso, est d'origine sauvage, suivant Lescarbot.

Note 14: (retour)

Il s'agit ici du cap qui a donn� son nom � l'�le du Cap-Breton, �En cette terre,� dit Th�vet (Grand Insulaire), �il y a une province nomm�e Campestre de Berge, qui tire au Sud-Est: en ceste province gist � l'est le cap ou promontoire de Lorraine, ainsi par nous nomm�; & autres lui ont donn� le nom de Cap des Bretons, � cause que c'est l� que les Bretons, Biscains & Normands vont & costoyent allans en terre-neuve pour pescher des molu�s.�

Le premier de May nous eusmes cognoissance de l'isle de Sable, o� nous courusmes risque d'estre perduz par la faute de nos pilotes qui s'estoient trompez en l'estime qu'ils firent plus de l'avant que nous n'estions de 40 lieues.

Ceste isle est esloign�e de la terre du cap Breton de 30 lieues, nort & su, & contient environ 15 lieues. Il y a un petit lac. L'isle est fort sablonneuse & ny a point de bois de haute futaie, se ne sont que taillis & herbages que pasturent des boeufz & des vaches que les Portugais y port�rent il y a plus de 60 ans, qui servirent beaucoup aux gens du Marquis de la Roche: qui en plusieurs ann�es qu'ils y sejournerent prirent grande quantit� de fort beaux renards noirs, dont ils conserverent bien soigneusesment les peaux. Il y a force loups 8/156marins de la peau desquels ils s'abillerent ayans tout discip� leurs vestemens. Par ordonnance de la Cour de Parlement de Rouan il y fut envoi� un vaisseau pour les requ�rir: les conducteurs firent la p�che de mollues en lieu proche de ceste isle qui est toute batturiere �s environs.

Le 8 du mesme mois nous eusmes cognoissance du Cap de la H�ve, � l'est duquel il y a une Baye15 o� sont plusieurs Isles couvertes de sapins; & � la grande terre de chesnes, ormeaux & bouleaux. Il est joignant la coste d'Accadie par les 44 degrez & cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15 minutes de declinaison de la guide-aimant, distant � l'est nordest du Cap Breton 85 lieues, dont nous parlerons cy aprez.

Note 15: (retour)

Cette baie est form�e par l'embouchure de la rivi�re de La H�ve.

Le 12 de May nous entrasmes dans un autre port, � 5 lieues du cap de la H�ve, o� nous primes un vaisseau qui faisoit traitte de peleterie contre les defences du Roy. Le chef s'appeloit Rossignol,16 dont le nom en demeura au port, qui est par les 44 degrez & un quart de latitude.

Note 16: (retour)

Le port Rossignol porte aujourd'hui le nom de Liverpool.

Le 13 de May nous arrivasmes � un tr�s-beau port, o� il y a deux petites rivieres, appel� le port au Mouton 17, qui est � sept lieues de celuy du Rossignol. Le terroir est fort pierreux, rempli de taillis & bruy�res. Il y a grand nombre de lappins, & quantit� de gibier � cause des estangs qui y sont. Aussi tost que nous fusmes desembarquez, chacun commen�a � 9/157faire des cabannes selon sa fantaisie, sur une pointe � l'entr�e du port aupr�s de deux estangs d'eau douce. Le sieur de Mons en mesme temps depescha une chalouppe, dans laquelle il envoya avec des lettres un des nostres, guid� d'aucuns sauvages, le long de la coste d'Accadie, chercher Pont-grav�, qui avoit une partie des commoditez necessaires pour nostre hyvernement. Il le trouva � la Baye de Toutes-isles fort en peine de nous (car il ne s�avoit point qu'on eut chang� d'advis) & luy presenta ses lettres. Incontinent qu'il les eut leu�s, il s'en retourna vers son navire � Canceau, o� il saisit quelques vaisseaux Basques qui faisoyent traitte de pelleterie, nonobstant les defences de sa Majest�; & en envoya les chefs au sieur de Mons: Lequel ce pendant me donna la charge d'aller recognoistre la coste, & les ports propres pour la seuret� de nostre vaisseau.

Note 17: (retour)

Lequel ils appel�rent ainsi, dit Lescarbot, �� l'occasion d'un mouton qui s'�tant noy� revint � bord, & fut mang� de bonne guerre.� Il n'est qu'� trois petites lieues du port du Rossignol.

156b

Port de la Haie

Les chifres montrent les brasses d'eau.


A Le lieu o� les vaisseaux mouillent l'ancre.

B Une petite riviere (1) qui asseche de basse mer.

C Les lieux o� les sauvages cabannent(2).

D Une basse � l'entr�e du port (3).

E Une petite isle couverte de bois.

F Le Cap de la H�ve (4).

G Une baye o� il y a quantit� d'isles couvertes de bois.

H Une riviere qui va dans les terres 6 ou 7, lieues, avec peu d'eau.

I Un estang proche de la mer.

(1) La petite rivi�re de Chachipp�, ou simplement La Petite-Rivi�re. Quelques auteurs ont �tendu ce nom au port lui-m�me, et, d'apr�s une lettre du P. Biard, La H�ve aurait encore �t� appel� port Saint-Jean.—(2) Cette lettre C manque dans la carte; mais le dessin des cabanes y suppl�e.—(3) La lettre D manque; mais la basse est suffisamment reconnaissable.—(4) Cette lettre, dont le graveur a fait un E, doit �tre � la pointe de l'�le la plus avanc�e du c�t� du large, au moins suivant la tradition; mais, comme l'auteur place le port de la H�ve � l'entr�e de la Petite-Rivi�re, il semble que ce qu'il appelle cap La H�ve est la pointe la plus rapproch�e de l'entr�e de ce port.

156c

Port du Rossignol

Les chifres montrent les brasses d'eau.


A Riviere qui va 25 lieues dans les terres.

B Le lieu o� ancrent les vaisseaux.

C Place � la grande terre o� les sauvages font leur logement.

D La rade o� les vaisseaux mouillent l'ancre en attendant la mar�e.

E L'endroit o� les sauvages cabannent dans l'isle.

F Achenal qui asseche de basse mer.

G La coste de la grande terre.

Ce qui est piquot� d�montre les basses.

Desirant accomplir sa volont� je partis du port au Mouton le 19 de May, dans une barque de huict tonneaux, accompaign� du sieur Raleau son Secr�taire, & de dix hommes. Allant le long de la coste nous abord�mes � un port tr�s-bon pour les vaisseaux, o� il y a au fonds une petite riviere qui entre assez avant dans les terres, que j'ay appel� le port du cap Negre, � cause d'un rocher qui de loing en a la semblance, lequel est eslev� sur l'eau proche d'un cap o� nous passames le mesme jour, qui en est � quatre lieues, & � dix du port au Mouton. Ce cap est fort dangereux � raison des rochers qui jettent � la mer. Les costes que je vis jusques l� sont fort basses couvertes de pareil bois qu'au cap de la H�ve, & les isles toutes remplies de gibier. 10/158Tirant plus outre nous fusmes passer la nuict � la Baye de Sable 18, o� les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre sans aucune crainte de danger.

Le lendemain nous all�mes au cap de Sable, qui est aussi fort dangereux, pour certains rochers & batteures qui jettent presque une lieue � la mer. Il est � deux lieues de la baye de Sable, o� nous passames la nuict pr�c�dente. De l� nous fusmes en l'isle aux Cormorans 19, qui en est � une lieue, ainsi appel�e � cause du nombre infini qu'il y a de ces oyseaux, o� nous primes plein une barrique de leurs oeufs. Et de ceste isle nous fismes l'ouest environ six lieues travarsant une baye 20 qui fuit au Nort deux ou trois lieues: puis rencontrasmes plusieurs isles21 qui jettent 2 ou trois lieues � la mer, lesquelles peuvent contenir les unes deux, les autres trois lieues, & d'autres moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont la pluspart fort dangereuses � aborder aux grands vaisseaux, � cause des grandes mar�es, & des rochers qui sont � fleur d'eau. Ces isles sont remplies de pins, sapins, boulleaux & de trembles, un peu plus outre, il y en a encore quatre. En l'une nous vismes si grande quantit� d'oiseaux appelez tangueux22, que nous les tuyons aisement � coups de baston. En une autre nous trouv�mes le rivage tout couvert de loups marins, desquels nous primes autant que bon nous sembla. Aux deux autres il y a 11/159une telle abondance d'oiseaux de diff�rentes especes, qu'on ne pourroit se l'imaginer si l'on ne l'avoit veu, comme Cormorans, Canards de trois sortes, Oyees, Marmettes Outardes, Perroquets de mer, Beccacines, Vaultours, & autres Oyseaux de proye: Mauves, Allouettes de mer de deux ou trois especes; H�rons, Goillans, Courlieux, Pyes de mer, Plongeons, Huats23, Appoils24, Corbeaux, Grues, & autres sortes que je ne cognois point, lesquels y font leurs nyds. Nous les avons nomm�es, isles aux loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez & demy de latitude, distantes de la terre ferme ou Cap de Sable de quatre � cinq lieues. Apr�s y avoir pass� quelque temps au plaisir de la chasse (& non pas sans prendre force gibier) nous abord�mes � un cap qu'avons nomm� le port Fourchu 25; d'autant que sa figure est ainsi, distant des isles aux loups marins cinq � six lieues. Ce port est fort bon pour les vaisseaux en son entr�e: mais au fonds il asseche presque tout de basse mer, fors le cours d'une petite riviere, toute environn�e de prairies, qui rendent ce lieu assez aggreable. La pesche de morues y est bonne aupr�s du port. Partant de l� nous fismes le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port pour les vaisseaux, sinon quantit� d'ances ou playes tresbelles, dont les terres semblent estre propres pour cultiver. Les bois y sont tres-beaux, mais il y a bien peu de pins & de sappins. Ceste coste est fort seine, sans isles, rochers ne basses: de 12/160sorte que selon nostre jugement les vaisseaux y peuvent aller en asseurance. Estans esloignez un quart de lieue de la coste, nous fusmes � une isle, qui s'appelle l'isle Longue, qui git nort nordest, & sur surouest, laquelle faict passage pour aller dedans la grande baye Fran�oise 26, ainsi nomm�e par le sieur de Mons.

Note 18: (retour)

Aujourd'hui baie de Barrington.

Note 19: (retour)

Probablement celle qui porte aujourd'hui le nom de Shag Island.

Note 20: (retour)

Cette baie est appel�e un peu plus loin la baie Courante, et ce que l'auteur dit ici, en parlant des �les de Tousquet, nous donne la raison qui a fait donner ce nom � la baie: c'est qu'elle est �dangereuse aux grands vaisseaux � cause des grandes mar�es,� et de la violence des courants. Elle porte aujourd'hui le nom de baie de Townsend.

Note 21: (retour)

Les �les de Tousquet.

Note 22: (retour)

De l� le nom d'�le aux Tangueux que lui donne l'auteur dans la carte de 1632.

Note 23: (retour)

Pour Huars, Huards.

Note 24: (retour)

Suivant Vieillot, Apoa est une esp�ce de canard.

Note 25: (retour)

Le cap Fourchu.

Note 26: (retour)

Aujourd'hui la baie de Fundy. Cette baie para�t avoir port� le nom de Noremb�gue, comme nous verrons plus loin, p. 31 note 4. �On ne peut deviner,� dit M. Ferland (Cours d'Histoire, I, p. 65, note 2) �pourquoi les Anglais l'ont nomm�e baie de Fundy. Auraient-ils traduit par Bay of Fundy les mots que portent d''anciennes cartes: Fond de la Baie?

Ceste isle est de six lieues de long: & a en quelques endroicts pr�s d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement. Elle est remplie de quantit� de bois, comme pins & boulleaux. Toute la coste est bord�e de rochers fort dangereux: & n'y a point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle quelques petites retraites pour des chalouppes, & trois ou quatre islets de rochers, o� les sauvages prennent force loups marins. Il y court de grandes mar�es, & principalement au petit passage de l'isle, qui est tort dangereux pour les vaisseaux s'ils vouloyent se mettre au hasard de le passer.

Du passage de l'isle Longue fismes le nordest deux lieues, puis trouv�mes une ance o� les vaisseaux peuvent ancrer en seuret�, laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bord�e de rochers assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent tresbonne, selon le raport du mineur maistre Simon, qui estoit avec moy. A quelques lieues plus outre est aussi une petite riviere, nomm�e du Boulay, o� la mer monte demy lieue dans les 13/161terres � l'entr�e de laquelle il y peut librement surgir des navires du port de cent tonneaux. A un quart de lieue d'icelle, il y a un port bon pour les vaisseaux o� nous trouv�mes une mine de fer que nostre mineur jugea rendre cinquante pour cent27. Tirant trois lieux plus outre au nordest, nous vismes une autre mine de fer assez bonne, proche de laquelle il y a une riviere environn�e de belles & aggreables prairies. Le terroir d'allentour est rouge comme sang. Quelques lieues plus avant il y a encore une autre riviere qui asseche de basse mer, horsmis son cours qui est fort petit, qui va proche du port Royal. Au fonds de ceste baye y a un achenal qui asseche aussi de basse mer, autour duquel y a nombre de prez & de bonnes terres pour cultiver, toutesfois remplies de quantit� de beaux arbres de toutes les sortes que j'ay dit cy dessus. Cette baye peut avoir depuis l'isle Longue jusques au fonds quelque six lieues. Toute la coste des mines est terre assez haute, decoupp�e par caps, qui paroissent ronds, advan�ans un peu � la mer. De l'autre cost� de la baye au suest, les terres sont basses & bonnes, o� il y a un fort bon port, & en son entr�e un banc par o� il faut passer, qui a de basse mer brasse & demye d'eau, & l'ayant pass� on en trouve trois & bon fonds. Entre les deux pointes du port il y a un islet de caillons qui couvre de plaine mer. Ce lieu va demye lieue dans les terres. La mer y baisse de trois brasses, & y a force coquillages, comme moulles coques & bregaux. Le terroir est des meilleurs que j'aye veu. 14/162J'ay nomm� ce port, le port saincte Marguerite 28. Toute ceste coste du suest est terre beaucoups plus basse que celle des mines qui ne sont qu'� une lieue & demye de la coste du port de saincte Marguerite, de la largeur de la baye, laquelle a trois lieues en son entr�e. Je pris la hauteur en ce lieu, & la trouv� par les 45 degrez & demy, & un peu plus de latitude29, & 17 degrez 16 minuttes de declinaison de la guide-aymant.

Note 27: (retour)

�Il y a de la mine de fer & d'argent,� dit Lescarbot; �mais elle n'est point abondante, selon l'�preuve qu'on en a fait par del� & en France.� (Liv. IV, ch. III.)

Note 28: (retour)

Dans sa carte de 1632, l'auteur indique le port de Sainte-Marguerite � peu pr�s en face du Petit-Passage de l'�le Longue. Il lui donna ce nom parce qu'il y entra probablement le 10 de juin, jour de la f�te de sainte Marguerite.

Note 29: (retour)

Le fond de la baie Sainte-Marie n'est gu�re au-del� de 44� et demi, m�me suivant la grande carte de l'auteur.

Apr�s avoir recogneu le plus particulierement qu'il me fut possible les costes ports & havres, je m'en retourn� au passage de l'isle Longue sans passer plus outre, d'o� je revins par le dehors de toutes les isles, pour remarquer s'il y avoit point quelques dangers vers l'eau: mais nous n'en trouv�mes point, sinon aucuns rochers qui sont � pr�s de demye lieue des isles aux loups marins, que l'on peut esviter facilement: d'autant que la mer brise par dessus. Continuant nostre voyage, nous fusmes surpris d'un grand coup de vent qui nous contraignit d'eschouer nostre barque � la coste, o� nous courusmes risque de la perdre: ce qui nous eut mis en une extresme peine. La tourmente estant cess�e nous nous remismes en la mer: & le lendemain 30 nous arrivasmes au port du Mouton, o� le sieur de 15/163Mons nous attendoit de jour en jour ne sachant que penser de nostre sejour, sinon qu'il nous fust arriv� quelque fortune. Je lui fis relation de tout nostre voyage & o� nos vaisseaux pouvoyent aller en seuret�. Cependant je consider� fort particuli�rement ce lieu, lequel est par les 44 degrez de latitude.

Note 30: (retour)

C'�tait vers la mi-juin. �En ce port,� dit Lescarbot, �ilz

attendirent un mois.� Or on �tait arriv� au port au Mouton le 13 de mai. �Tandis,� ajoute-t-il, �on envoya Champlein avec une chaloupe plus avant chercher un lieu propre pour la retraite, & tant demeura en cette exp�dition, que sur la d�lib�ration du retour, on le pensa abandonner.� (Liv. IV, ch. II.)

162b

Port au mouton.

Les chifres montrent les brasses d'eau.


A Les lieux o� posent les vaisseaux.

B Le lieu o� nous fismes nos logemens.

C Un estang.

D Une isle � l'entr�e du port, couverte de bois.

E Une rivi�re qui est assez basse d'eau.

F Un estang(l).

G Ruisseau assez grand qui vient de l'estang f.

H 6 Petites isles qui sont dans le port.

L Campagne o� il n'y a que des taillis & bruy�res fort petites(2).

M La coste du cost� de la mer.

(1) Dans la carte la lettre F est remplac�e par f.—(2) La lettre L manque dans la carte; mais le dessin y suppl�e, l'auteur y ayant repr�sent� des roseaux.

Le lendemain le sieur de Mons fit lever les ancres pour aller � la baye saincte Marie, lieu qu'avions recogneu propre pour nostre vaisseau, attendant que nous en eussions trouv� un autre plus commode pour nostre demeure. Rengeant la coste nous passames proche du cap de Sable & des isles aux loups marins, o� le sieur de Mons se d�lib�ra d'aller dans une chalouppe voir quelques isles dont nous luy avions faict r�cit, & du nombre infini d'oiseaux qu'il y avoit. Il s'y mit donc accompagn� du sieur de Poitrincourt & de plusieurs autres gentilshommes en intention d'aller en l'isle aux Tangueux, o� nous avions auparavant tu� quantit� de ces oyseaux � coups de baston. Estant un peu loing de nostre navire il fut hors de nostre puissance de la gaigner, & encore moins nostre vaisseau: car la mar�e estoit si forte que nous fusmes contrains de relascher en un petit islet, pour y passer celle nuict, auquel y avoit grand nombre de Gibier. J'y tu� quelques oyseaux de riviere, qui nous servirent bien: d'autant que nous n'avions pris qu'un peu de biscuit, croyans retourner ce mesme jour. Le lendemain nous fusmes au cap Fourchu, distant de l�, demye lieue. Rengeant la coste nous fusmes trouver nostre vaisseau qui estoit en la baye saincte Marie. Nos gens furent fort en peine de nous l'espace de deux jours, craignant qu'il nous fust arriv� quelque 16/164malheur: mais quand ils nous virent en lieu de seuret�, cela leur donna beaucoup de resjouissance.

Deux ou trois jours 31 apr�s nostre arriv�e, un de nos prestres, appelle mesire Aubry 32, de la ville de Paris, s'esgara si bien dans un bois en allant chercher son esp�e laquelle il y avoit oubly�e, qu'il ne peut retrouver le vaisseau: & fut 17 jours 33 ainsi sans aucune chose pour se substanter que quelques herbes seures & aigrettes comme de l'oseille, & des petits fruits de peu de substance, gros comme groiselles, qui viennent rempant sur la terre. Estant au bout de son rollet, sans esperance de nous revoir jamais, foible & d�bile, il se trouva du cost� de la baye Fran�oise, ainsi nomm�e par le sieur de Mons, proche de l'isle Longue, o� il n'en pouvoit plus, quand l'une de nos chalouppes allant � la pesche du poisson 34, l'advisa, qui ne pouvant appeller leur faisoit signe avec une gaule au bout de laquelle il avoit mis son chappeau, qu'on l'allast requ�rir: ce qu'ils firent aussi tost & l'ammenerent. Le sieur de Mons l'avoit faict chercher, tant par les siens que des sauvages du pa�s, qui coururent tout 17/165le bois & n'en apport�rent aucunes nouvelles. Le tenant pour mort, on le voit revenir dans la chalouppe au grand contentement d'un chacun: Et fut un long temps � se remettre en son premier estat.

Note 31: (retour)

Lescarbot dit:�Apr�s avoir sejourn� douze ou treze jours.� Mais, si Messire Nicolas Aubry se perdit pendant qu'on �tait � la baie Sainte-Marie, et que M. de Monts le fit chercher lui-m�me, comme le dit l'auteur quelques lignes plus loin, ce ne pouvait �tre que deux ou trois jours apr�s l'arriv�e en cette baie; puisque M. de Monts en partit le l6 de juin, avec la barque (voir ci-apr�s, p. 17), et qu'on ne dut pas y arriver avant le 12 ou le 13, suivant Lescarbot lui-m�me.

Note 32: (retour)

Nicolas Aubry, �jeune homme d'�glise, parisien de bonne famille,� � qui il avait pris envie de faire le voyage avec le sieur de Mons, �& ce, dit-on, contre le gr� de ses parents, lesquels envoy�rent expr�s � Honfleur pour le divertir & r'amener � Paris.� (Lescarbot, liv. IV, ch. II, et IV.)

Note 33: (retour)

Seize jours, suivant Lescarbot, liv. IV, ch. III.

Note 34: (retour)

Suivant Lescarbot, �comme on �toit apr�s d�serter l'ile� (de Sainte-Croix), �Champdor� fut renvoy� � la baie Sainte-Marie avec un ma�tre de mines qu'on y avoit men� pour tirer de la mine d'argent & de fer: ce qu'ilz firent... l� o� apr�s quelque sejour, allans p�cher, ledit Aubri les apperceut...� (Liv. IV, ch. IV.)




Description du Port Royal & des particularit�s, d'iceluy. De l'isle Haute. Du port aux mines. De la grande baye Fran�oise. De la riviere S. Jean, & ce que nous avons remarqu� depuis le port aux mines jusques � icelle. De l'isle appel�e par les sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de S. Croix: & autres choses remarquables d'icelle coste.

CHAPITRE III.

A quelques jours de l� le sieur de Mons se d�lib�ra d'aller descouvrir les costes de la baye Fran�oise: & pour cet effect partit du vaisseau le 16 de May 35 & pass�mes par le destroit de l'isle Longue. N'ayant trouv� en la baye S. Marie aucun lieu pour nous fortiffier qu'avec beaucoup de temps, cela nous fit resoudre de voir si � l'autre il n'y en auroit point de plus propre. Mettant le cap au nordest 6 lieux, il y a une ance o� les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre � 4, 5, 6, & 7. brasses d'eau. Le fonds est Sable. Ce lieu n'est que comme une rade. Continuant au mesme vent deux lieux, nous entrasmes en l'un des beaux ports que j'eusse veu en toutes ces costes, o� il 18/166pourroit deux mille vaisseaux en seuret�. L'entr�e est large de huict cens pas: puis on entre dedans un port qui a deux lieux de long & une lieue de large, que j'ay nomm� 36 port Royal, o� dessendent trois rivieres, dont il y en a une assez grande, tirant � l'est, appell�e la riviere de l'Equille, qui est un petit poisson de la grandeur d'un Esplan, qui s'y pesche en quantit�, comme aussi on fait du Harang, & plusieurs autres sortes de poisson qui y sont en abondance en leurs saisons. Ceste riviere a pr�s d'un quart de lieue de large en son entr�e, o� il y a une isle37, laquelle peut contenir demye lieue de circuit, remplie de bois ainsi que tout le reste du terroir, comme pins, sapins, pruches, boulleaux, trambles, & quelques chesnes qui sont parmy les autres bois en petit nombre. Il y a deux entr�es en ladite riviere l'une du cost� du nort38: l'autre au su de l'isle 39. Celle du nort est la meilleure, o� les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre � l'abry de l'isle � 5, 6, 7, 8 & 9 brasses d'eau; mais il faut se donner garde de quelques basses qui sont tenant � l'isle, & � la grand terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal.

Note 35: (retour)

On devait �tre au mois de juin, comme le prouve du reste le nom de Saint-Jean donn� � la rivi�re Ouigoudi. (Voir plus loin, p. 23.)

Note 36: (retour)

�Ledit port pour sa beaut�,� dit Lescarbot, �fut appel� LE PORT ROYAL, non par le choix de Champlein, comme il se vante en la relation de ses voyages, mais par le sieur de Monts, Lieutenant du Roy.� (Liv. IV, ch. III.)—N'en d�plaise � Lescarbot, le t�moignage de Champlain, qui �tait du voyage, vaut, pour le moins, autant que le sien. Il y a plus: Champlain, dans son �dition de 1632, a conserv� ce passage tel qu'il �tait, malgr� la remarque de Lescarbot. Du reste, notre auteur ne manque jamais de rendre justice aux autres en pareille mati�re: c'est ainsi, par exemple, qu'il fait remarquer � plusieurs reprises que la baie Fran�aise a re�u son nom de M. de Monts. (Voir ci-dessus, pp. 12 et 16.)

Note 37: (retour)

Dans la carte de Lescarbot, cette �le porte le nom de Biencourville. Elle a �t� appel�e plus tard l'�le aux Ch�vres.

Note 38: (retour)

La Bonne-Passe.

Note 39: (retour)

La Passe-aux-Fous.

167b

Port-Royal

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu de l'habitation.

B Jardin du sieur de Champlain.

C All�e au travers les bois que fit faire le sieur de Poitrincourt.

D Isle � l'entr�e de la riviere de l'Equille (1).

E Entr�e du port Royal.

F Basses qui assechent de basse mer.

G Riviere sainct Antoine (2).

H Lieu du labourage o� on seme le bl�.

I Moulin que fit faire le sieur de Poitrincourt.

L Prairies qui sont innond�es des eaux aux grandes mar�es.

M Riviere de l'Equille.

N La coste de la mer du port Royal.

O Costes de montaignes.

P Isle proche de la riviere sainct Antoine.

Q (3) Ruisseau de la Roche (4).

R Autre Ruisseau.

S Riviere du moulin.

T Petit lac.

V Le lieu o� les sauvages peschent le harang en la saison.

X Ruisseau de la truitiere.

Y All�e que fit faire le sieur de Champlain.

(l) Dans la carte de Lescarbot, cette �le porte le nom de Biencourville.—(2) Lescarbot l'appelle rivi�re H�bert.—(3) q, dans la carte.—(4) Ou rivi�re de l'Orignac, d'apr�s la carte de Lescarbot.

19/167

Nous fusmes quelques 14 ou 15 lieux o� la mer monte, & ne va pas beaucoup plus avant dedans les terres pour porter basteaux: En ce lieu elle contient 60 pas de large, & environ brasse & demye d'eau. Le terroir de ceste riviere est remply de force chesnes, fresnes & autres bois. De l'entr�e de la riviere jusques au lieu o� nous fusmes y a nombre de preries, mais elles sont innond�es aux grandes mar�es, y ayant quantit� de petits ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par o� des chalouppes & batteaux peuvent aller de pleine mer. Ce lieu estoit le plus propre & plaisant pour habiter que nous eussions veu. Dedans le port y a une autre isle40, distante de la premi�re pr�s de deux lieues, o� il y a une autre petite riviere 41 qui va assez avant dans les terres, que nous avons nomm�e la riviere sainct Antoine. Son entr�e est distante du fonds de la baye saincte Marie de quelque quatre lieux, par le travers des bois. Pour ce qui est de l'autre riviere ce n'est qu'un ruisseau remply de rochers, o� on ne peut monter en aucune fa�on que ce soit pour le peu d'eau: & a est� nomm�e, le ruisseau de la roche. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez de latitude 42 & 17 degrez 8 minuttes de declinaison de la guide-ayment.

Note 40: (retour)

Ile d'H�bert. Le sieur Bellin l'appelle �le d'Imbert, et les Anglais en ont fait Bear Island.

Note 41: (retour)

Cette rivi�re, appel�e ici Saint-Antoine, a pris le nom d'H�bert d�s le temps m�me de l'auteur, comme l'attestent les cartes de Lescarbot. Mais ce dernier nom a eu le m�me sort que celui de l'�le qui est � son embouchure, et les Anglais l'appellent aujourd'hui Bear River.

Note 42: (retour)

Cette premi�re habitation, qui �tait au nord du port Royal, � peu pr�s en face du Port-Royal �tabli plus tard par M. d'Aulnay de Charnis�, �tait � 44� et trois quarts de latitude. Comme on le voit, c'est ce dernier Port-Royal qui a pris le nom d'Annapolis, et non pas le premier.

Apr�s avoir recogneu ce port, nous en partismes pour aller plus 20/168avant dans la baye Fran�oise, & voir si nous ne trouverions point la mine de cuivre qui avoit est� descouverte l'ann�e pr�c�dente 43. Mettant le cap au nordest huict ou dix lieux rengeant la coste du port Royal, nous traversames une partie de la baye comme de quelque cinq ou six lieues; jusques � un lieu qu'avons nomm� le cap des deux bayes 44: & passames par une isle45 qui en est � une lieue, laquelle contient autant de circuit, eslev�e de 40 ou 45 toises de haut: toute entour�e de gros rochers, hors-mis en un endroit qui est en talus, au pied duquel y a un estang d'eau sall�e, qui vient par dessoubs une poincte de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de l'isle est plat, couvert d'arbres avec une fort belle source d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De l� nous fusmes � un port 46 qui en est � une lieue & demye, o� juge�mes qu'estoit la mine de cuivre qu'un nomm� Prevert de sainct Maslo avoit descouverte par le moyen des sauvages du pa�s. Ce port est soubs les 45 degrez deux tiers de latitude, lequel asseche de basse mer. Pour entrer dedans il faut ballizer & recognoistre une batture de Sable qui est � l'entr�e, laquelle va rengeant un canal suivant l'autre cost� de terre ferme: puis on entre dans une baye qui contient pr�s d'une lieue de long, & demye de large. En quelques endroits le fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer.

Note 43: (retour)

Voir la relation de 1603, chapitres X et XII.

Note 44: (retour)

Ce cap s'appelait encore ainsi � l'�poque o� le sieur Denis publia sa Description des C�tes de l'Am�rique, en 1672. Aujourd'hui il est connu sous le nom de cap Chignectou.

Note 45: (retour)

L'�le Haute.

Note 46: (retour)

Ce havre, que l'auteur appelle plus loin le port aux Mines, porte aujourd'hui le nom de Havre � l'Avocat. Il est � 45� 25' de latitude.

168b

Port des Mines

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu o� les vaisseaux peuvent eschouer.

B Une petite rivi�re.

C Une langue de terre qui est de Sable.

D Une pointe de gros cailloux qui est comme une moule.

E Le lieu o� est la mine de cuivre qui couvre de mer deux fois le jour.

F Une isle qui est derri�re le cap des mines.

G La rade o� les vaisseaux posent l'ancre attendant la mar�e.

I Lachenal.

H L'isle haute qui est � une lieue & demye du Port aux mines.

L Le Petit Ruisseau.

M Costeau de montaignes le long de la coste du cap aux mines.

21/169La mer y pert & croist de 4 � 5 brasses. Nous y mismes pied � terre pour voir si nous verrions les mines que Preverd nous avoit dit. Et ayant faict environ un quart de lieue le long de certaines montagnes, nous ne trouvasmes aucune d'icelles, ny ne recognusmes nulle apparence de la description du port selon qu'il nous l'avoit figur�: Aussi n'y avoit il pas est�: mais bien deux ou trois des siens guid�s de quelques sauvages, partie par terre & partie par de petites rivieres, qu'il attendit dans sa chalouppe en la baie sainct Laurens47, � l'entr�e d'une petite riviere: lesquels � leur retour luy apport�rent plusieurs petits morceaux de cuivre, qu'il nous monstra au retour de son voyage. Toutesfois nous trouvasmes en ce port deux mines de cuivre non en nature, mais par apparence, selon le rapport du mineur qui les jugea estre tresbonnes.

Note 47: (retour)

La plupart des g�ographes anciens faisaient une distinction entre baie Saint-Laurent et golfe Saint-Laurent. La baie Saint-Laurent comprenait toute la partie m�ridionale du golfe, depuis le cap des Rosiers jusqu'au port de Canseau, avec les �les du Prince-Edouard, du Cap-Breton, de La Madeleine et autres. (Voir Denis, vol. I, chapitres VII et VIII.)

Le fonds de la baye Fran�oise que nous traversames entre quinze lieux dans les terres. Tout le pa�s que nous avons veu depuis le petit partage de l'isle Longue rangeant la coste, ne sont que rochers, o� il n'y a aucun endroit o� les vaisseaux se puissent mettre en seuret�, sinon le port Royal. Le pa�s est remply de quantit� de pins & boulleaux, & � mon advis n'est pas trop bon.

Le 20 de May48 nous partismes du port aux mines pour chercher un lieu propre � faire une demeure arrest�e afin de ne perdre 22/170point de temps: pour puis apr�s y revenir veoir si nous pourrions descouvrir la mine de cuivre franc que les gens de Preverd avoient trouv�e par le moyen des sauvages. Nous fismes l'ouest deux lieux jusques au cap des deux bayes: puis le nort cinq ou six lieux: & traversames l'autre baye49, o� nous jugions estre ceste mine de cuivre, dont nous avons desja parl�: d'autant qu'il y a deux rivieres: l'une venant de devers le cap Breton: & l'autre du cost� de Gasp� ou de Tregatt�, proche de la grande riviere de sainct Laurens. Faisant l'ouest quelques six lieues nous fusmes � une petite riviere, � l'entr�e de laquelle y a un cap assez bas, qui advance � la mer: & un peu dans les terres une montaigne qui a la forme d'un chappeau de Cardinal. En ce lieu nous trouvasmes une mine de fer. Il n'y a ancrage que pour des chalouppes. A quatre lieux � l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui avance un peu vers l'eau, o� il y a de grandes mar�es, qui sont fort dangereuses. Proche de la pointe nous vismes une ance qui a environ demye lieue de circuit, en laquelle trouvasmes une autre mine de fer, qui est aussi tresbonne. A quatre lieux encore plus de l'advant y a une belle baye qui entre dans les terres, o� au fonds y a trois isles & un rocher: dont deux sont � une lieue du cap tirant � l'ouest: & l'autre est � l'emboucheure d'une riviere des plus grandes & profondes qu'eussions encore veues, que nommasmes la riviere S. Jean: pource que ce fut ce jour l� que nous y arrivasmes: & des 23/171sauvages elle est appel�e Ouygoudy. Ceste riviere est dangereuse si on ne recognoist bien certaines pointes & rochers qui sont des deux costez. Elle est estroicte en son entr�e, puis vient � s'eslargir: & ayant doubl� une pointe elle estrecit de rechef, & fait comme un saut entre deux grands rochers, o� l'eau y court d'une si grande vitesse, que y jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit on plus. Mais attendant le pleine mer, l'on peut passer fort aisement ce destroict: & lors elle s'eslargit comme d'une lieue par aucuns endroicts, o� il y a trois isles. Nous ne la recogneusmes pas plus avant: Toutesfois Ralleau Secr�taire du sieur de Mons y fut quelque temps apr�s trouver un sauvage appell� Secondon50 chef de ladicte riviere, lequel nous raporta qu'elle estoit belle, grande & spacieuse: y ayant quantit� de preries & beaux bois, comme chesnes, hestres, noyers & lambruches de vignes sauvages. Les habitans du pays vont par icelle riviere jusques � Tadoussac, qui est dans la grande riviere de sainct Laurens: & ne passent que peu de terre pour y parvenir. De la riviere sainct Jean jusques � Tadoussac y a 65 lieues 51. A l'entr�e d'icelle, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers 52, y a une mine de fer.

Note 48: (retour)

Juin.

Note 49: (retour)

Beau-Bassin, aujourd'hui la baie de Chignectou ou Chiganectou. D'apr�s La�t, elle s'est appel�e aussi baie de Germes.

Note 50: (retour)

Lescarbot l'appelle Chkoudun.

Note 51: (retour)

Si l'auteur veut indiquer la distance qu'il peut y avoir depuis l'endroit o� l'on quitte la rivi�re Saint-Jean, jusqu'� Tadoussac, ce chiffre est beaucoup trop fort. Si, au contraire, il parle de la distance qu'il y a de l'embouchure de cette rivi�re jusqu'au m�me lieu, le chiffre est trop faible; car, de l'embouchure de la rivi�re Saint-Jean � Tadoussac, il y a, en ligne droite, � peu pr�s cent lieues.

Note 52: (retour)

L'embouchure de la rivi�re Saint-Jean est par les 45� et un tiers.

171b

R. St. Jean

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Trois isles qui sont par del� le saut.

B Montaignes qui paraissent par dessus les terres deux lieues au su de

la riviere.

C Le saut de la riviere.

D Basses quand la mer est perdue, o� vaisseaux peuvent eschouer.

E Cabanne o� se fortifient les sauvages.

F (1) Une pointe de cailloux, o� y a une croix.

G Une isle qui est � l'entr�e de la riviere.

H Petit ruisseau qui vient d'un petit estang.

I Bras de mer qui asseche de basse mer.

L Deux petits islets de rocher.

M Un petit estang.

N Deux Ruisseaux.

O Basses fort dangereuses le long de la coste qui assechent de basse mer.

P Chemin par o� les sauvages portent leurs canaux quand ils veulent passer le sault.

Q Le lieu o� peuvent mouiller l'ancre o� la riviere a grand cours.

(1) De cette lettre le graveur a fait un P.

De la riviere sainct Jean nous fusmes � quatre isles, en l'une desquelles nous mismes pied � terre, & y trouvasmes grande 24/172quantit� d'oiseaux appellez Margos, dont nous prismes force petits, qui sont aussi bons que pigeonneaux. Le sieur de Poitrincourt s'y pensa esgarer: Mais en fin il revint � nostre barque comme nous l'allions cerchant autour de isle, qui est esloign�e de la terre ferme trois lieues. Plus � l'ouest y a d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui s'appelle des sauvages Manthane53, au su de laquelle il y a entre les isles plusieurs ports bons pour les vaisseaux. Des isles aux Margos nous fusmes � une riviere en la grande terre, qui s'appelle la riviere des Estechemins54, nation de sauvages ainsi nomm�e en leur pa�s: & passames par si grande quantit� d'isles, que n'en avons peu s�avoir le nombre, assez belles; contenant les unes deux lieues les autres trois, les autres plus ou moins. Toutes ces isles sont en un cu de sac 55, qui contient � mon jugement plus de quinze lieux de circuit: y ayant plusieurs endrois bons pour y mettre tel nombre de vaisseaux que l'on voudra, lesquels en leur saison sont abondans en poisson, comme mollues, saulmons, bars, harangs, flaitans, & autres poissons en grand nombre. Faisant l'ouest norouest trois lieux par les isles, nous entrasmes dans une riviere qui a presque demye lieue de large en son entr�e, o� ayans faict une lieue ou deux, nous y trouvasmes deux isles: l'une fort petite proche de la terre de l'ouest: & l'autre au milieu, qui peut avoir huict ou neuf cens pas de circuit, eslev�e de tous costez de trois � quatre toises de rochers, 25/173fors un petit endroict d'une poincte de Sable & terre grasse, laquelle peut servir � faire briques, & autres choses necessaires. Il y a un autre lieu � couvert pour mettre des vaisseaux de quatre vingt � cent tonneaux: mais il asseche de basse mer. L'isle est remplie de sapins, boulleaux, esrables & chesnes. De soy elle est en fort bonne situation, & n'y a qu'un cost� o� elle baisse d'environ 40 pas, qui est ais� � fortifier, les costes de la terre ferme en estans des deux costez esloign�es de quelques neuf cens � mille pas. Il y a des vaisseaux qui ne pourroyent passer sur la riviere qu'� la mercy du canon d'icelle Qui est le lieu que nous juge�mes le meilleur: tant pour la situation, bon pays, que pour la communication que nous pr�tendions avec les sauvages de ces costes & du dedans des terres, estans au millieu d'eux: Lesquels avec le temps on esperoit pacifier, & amortir les guerres qu'ils ont les uns contre les autres, pour en tirer � l'advenir du service: & les r�duire � la foy Chrestienne. Ce lieu est nomm� par le sieur de Mons l'isle saincte Croix56. Passant plus outre on voit une grande baye en laquelle y a deux isles: l'une haute & l'autre platte: & trois rivieres, deux m�diocres, dont l'une tire vers l'Orient & l'autre au nord: & la troisiesme grande, qui va vers l'Occident.

Note 53: (retour)

Menane. L'auteur corrige la faute lui-m�me un peu plus loin, p. 46, de m�me que dans l'�dition de 1632.

Note 54: (retour)

La rivi�re Scoudic, ou de Sainte-Croix.

Note 55: (retour)

La baie de Passamaquoddi.

Note 56: (retour)

�Et d'autant qu'� deux lieues au dessus il y a des ruisseaux qui viennent comme en croix se d�charger dans ce large bras de mer, cette ile de la retraite des Fran�ois fut appell�e SAINTE CROIX.� (Lescarbot, liv. IV, ch. IV.) �L'�le de Sainte-Croix, ou l'�le Neutre (Neutral Island), dit Williamson, est situ�e dans la rivi�re (Scoudic, ou Sainte-Croix) en face de la ligne de division entre Calais et Robbinstown, o� elle fait angle avec le bord de l'eau. Elle contient douze ou quinze acres, et est droit au milieu de la rivi�re Scoudic, quoique le passage des vaisseaux soit d'ordinaire du c�t� de l'est... C'est ici que De Monts, en 1604, �rigea un fort, et passa l'hiver; c'est ici que les Commissaires nomm�s en vertu du trait� de 1783, trouv�rent, en 1798, les restes d'une fortification tr�s-ancienne, et d�cid�rent ensuite que cette rivi�re �tait vraiment celle de Sainte-Croix.� (History of Maine, Introduction.)

26/174C'est celle des Etechemins, dequoy nous avons parl� cy dessus. Allans dedans icelle deux lieux il y a un sault d'eau, o� les sauvages portent leurs cannaux par terre quelque 500 pas, puis rentrent dedans icelle, d'o� en apr�s en traversant un peu de terre on va dans la riviere de Norembegue57 & de sainct Jean, en ce lieu du sault que les vaisseaux ne peuvent passer � cause que ce ne sont que rochers, & qu'il n'y a que quatre � cinq pieds d'eau. En May & Juin il s'y prend si grande abondance de harangs & bars que l'on y en pourroit charger des vaisseaux. Le terroir est des plus beaux, & y a quinze ou vingt arpens de terre deffrich�e, o� le sieur de Mons fit semer du froment, qui y vint fort beau. Les sauvages s'y retirent quelquesfois cinq ou six sepmaines durant la pesche. Tout le reste du pa�s sont forests fort espoisses. Si les terres estoient deffrich�es les grains y viendroient fort bien. Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez un tiers de latitude, & 17 degrez 32 minuttes de declinaison de la guide-ayment.

Note 57: (retour)

La rivi�re de P�nobscot.

174b

Isle de saincte Croix.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le plan de l'habitation.

B Jardinages.

C Petit islet servant de platte forme � mettre le canon.

D Platte forme o� on mettoit du canon.

E Le cimeti�re.

F La chappelle.

G Basses de rochers autour de l'isle saincte Croix.

H Un petit islet.

I Le lieu o� le sieur de Mons avoit fait commencer un moulin � eau.

L Place o� l'on faisoit le charbon.

M Jardinages � la grande terre de l'Ouest.

N Autres jardinages � la grande terre de l'Est.

O Grande montaigne fort haute dans la terre.

P Riviere des Etechemins passant au tour de l'isle saincte Croix.




Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour faire une demeure arrest�e que l'isle de S. Croix, la fortifie & y faict des logements. Retour des vaisseaux en France & de Ralleau Secr�taire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre � quelques affaires.

CHAPITRE IV.

N'ayant trouv� lieu plus propre que ceste Isle, nous commen��mes � faire une barricade sur un petit islet un peu 27/175separ� de l'isle, qui servoit de platte-forme pour mettre nostre canon. Chacun s'y employa si vertueusement qu'en peu de temps elle fut rendue en defence, bien que les mousquittes (qui sont petites mouches) nous apportassent beaucoup d'incommodit� au travail: car il y eust plusieurs de nos gens qui eurent le visage si enfl� par leur piqueure qu'ils ne pouvoient presque voir. La barricade estant achev�e, le sieur de Mons envoya sa barque pour advertir le reste de nos gens qui estoient avec nostre vaisseau en la baye saincte Marie, qu'ils vinssent � saincte Croix. Ce qui fut promptement fait: Et en les attendant nous passames le temps assez joyeusement.

Quelques jours apr�s nos vaisseaux estans arrivez, & ayant mouill� l'ancre, un chacun descendit � terre: puis sans perdre temps le sieur de Mons comman�a � employer les ouvriers � bastir des maisons pour nostre demeure, & me permit de faire l'ordonnance de nostre logement. Aprez que le sieur de Mons eut prins la place du Magazin qui contient neuf thoises de long, trois de large & douze pieds de haut, il print le plan de son logis, qu'il fit promptement bastir par de bons ouvriers, puis apr�s donna � chacun sa place: & aussi tost on commen�a � s'assembler cinq � cinq & six � six, selon que l'on desiroit. Alors tous se mirent � deffricher l'isle, aller au bois, charpenter, porter de la terre & autres choses necessaires pour les bastimens.

Cependant que nous bastissions nos logis, le sieur de Mons depescha le Capitaine Fouques dans le vaisseau de Rossignol, 28/176pour aller trouver Pontgrav� � Canceau, afin d'avoir ce qui restoit des commoditez pour nostre habitation.

Quelque temps apr�s qu'il fut parti, il arriva une petite barque du port de huict tonneaux, o� estoit du Glas de Honfleur pilotte du vaisseau de Pontgrav�, qui amena avec luy les Maistres des navires Basques qui avoient est� prins par ledit Pont en faisant la traicte de peleterie, comme nous avons dit. Le sieur de Mons les receut humainement & les renvoya par ledit du Glas au Pont avec commission de luy dire qu'il emmenast � la Rochelle les vaisseaux qu'il avoit prins, afin que justice en fut faicte. Cependant on travailloit fort & ferme aux logemens: les charpentiers au magazin & logis du sieur de Mons, & tous les autres chacun au sien; comme moy au mien, que je fis avec l'aide de quelques serviteurs que le sieur d'Orville & moy avions; qui fut incontinent achev�: o� depuis le sieur de Mons se logea attendant que le sien le fut. L'on fit aussi un four, & un moulin � bras pour moudre nos bleds, qui donna beaucoup de peine & travail � la pluspart, pour estre chose p�nible. L'on fit apr�s quelques jardinages, tant � la grand terre que dedans l'isle, o� on sema plusieurs sortes de graines, qui y vindrent fort bien, horsmis en l'isle; d'autant que ce n'estoit que Sable qui brusloit tout, lors que le soleil donnoit, encore qu'on prist beaucoup de peine � les arrouser.

176b

Habitation de l'isle S. Croix

A Logis du sieur de Mons.

B Maison publique o� l'on passait le temps durant la pluie.

C Le magasin.

D Logement des suisses.

E La forge.

F Logement des charpentiers.

G Le puis.

H Le four o� l'on faisoit le pain.

I La cuisine.

L Jardinages.

M Autres jardins.

N La place o� au milieu y a un arbre.

O Palissade.

P Logis des sieurs d'Orville, Champlain & Chandor�.

Q Logis du sieur Boulay, & autres artisans.

R Logis o� logeoient les sieurs de Geneston, Sourin & autres artisans.

T Logis des sieurs de Beaumont, la Motte Bourioli & Fougeray.

V Logement de nostre cur�.

X Autres jardinages.

Y La riviere qui entoure l'isle.

Quelques jours apr�s le sieur de Mons se d�lib�ra de s�avoir o� estoit la mine de cuivre franc qu'avions tant cherch�e: Et pour cest effect: m'envoya avec un sauvage appell� Messamouet, qui 29/177disoit en s�avoir bien le lieu. Je party dans une petite barque du port de cinq � six tonneaux, & neuf matelots avec moy. A quelque huict lieues de l'isle, tirant � la riviere S. Jean, en trouvasmes une de cuivre, qui n'estoit pas pur, neantmoins bonne selon le rapport du mineur, lequel disoit que l'on en pourroit tirer 18 pour cent. Plus outre nous en trouvasmes d'autres moindres que ceste cy. Quand nous fusmes au lieu o� nous pr�tendions que fut celle que nous cherchions le sauvage ne la peut trouver: de sorte qu'il fallut nous en revenir, laissant ceste recerche pour une autre fois.

Comme je fus de retour de ce voyage, le sieur de Mons resolut de renvoyer ses vaisseaux en France, & aussi le sieur de Poitrincourt qui n'y estoit venu que pour son plaisir, & pour recognoistre de pa�s & les lieux propres pour y habiter, selon le desir qu'il en avoit: c'est pourquoy il demanda au sieur de Mons le port Royal, qu'il luy donna suivant le pouvoir & commission qu'il avoit du Roy. Il renvoya aussi Ralleau son Secr�taire pour mettre ordre � quelques affaires touchant le voyage; lesquels partirent de l'isle S. Croix le dernier jour d'Aoust audict an 1604.




De la coste, peuples & riviere de Norembeque, & de tout ce qui s'est pass� durant les descouvertures d'icelle.

CHAPITRE V.

Apr�s le partement des vaisseaux, le sieur de Mons se d�lib�ra d'envoyer descouvrir le long de la coste de Norembegue, pour ne perdre temps: & me commit ceste charge, que j'eus fort aggreable.

30/178Et pour ce faire je partis de S. Croix le 2 de Septembre avec une pattache de 17 � 18 tonneaux, douze matelots, & deux sauvages pour nous servir de guides aux lieux de leur cognoissance. Ce jour nous trouvasmes les vaisseaux o� estoit le sieur de Poitrincourt, qui estoient ancr�s � l'amboucheure de la riviere sainte Croix, � cause du mauvais temps duquel lieu ne pusmes partir que le 5 dudict mois: & estans deux ou trois lieux vers l'eau la brume s'esleva si forte que nous perdimes aussi tost leurs vaisseaux de veue. Continuant nostre route le long des costes nous fismes ce jour l� quelque 25 lieux: & passames par grande quantit� d'isles, bancs, battures & rochers qui jettent plus de quatre lieux � la mer par endroicts. Nous avons nomm� les isles, les isles rang�es, la plus part desquelles sont couvertes de pins & sapins, & autres meschants bois. Parmy ces isles y a force beaux & bons ports, mais malaggreables pour y demeurer. Ce mesme jour nous passames aussi proche d'une isle qui contient environ 4 ou cinq lieux de long, aupr�s laquelle nous nous cuidames perdre sur un petit rocher � fleur d'eau, qui fit une ouverture � nostre barque proche de la quille. De ceste isle jusques au nord de la terre ferme 58 il n'y a pas cent pas de large. Elle est fort haute coupp�e par endroicts, qui paroissent, estant en la mer, comme sept ou huit montagnes rang�es les unes proches des autres. Le sommet de la plus part d'icelles est desgarny d'arbres; parce que ce ne sont que rochers. Les bois ne sont que pins, sapins & boulleaux.

Note 58: (retour)

Lisez: �De ceste isle jusques au nord � la terre ferme.� Cet �troit passage porte encore aujourd'hui, comme l'�le, le nom de Monts-D�serts (Mount Desert narrows).

31/179Je l'ay nomm�e l'isle des Monts-deserts59. La hauteur est par les 44 degrez & demy de latitude.

Note 59: (retour)

Suivant le P. Biard (Relation de la Nouvelle France, ch. XXIII), les sauvages appelaient cette �le Pemetiq, c'est-�-dire, d'apr�s M. l'abb� Maurault, celle qui est � la t�te.

Le lendemain 6 du mois fismes deux lieux: & aper�eumes une fum�e dedans une ance qui estoit au pied des montaignes cy dessus: & vismes deux canaux conduits par des sauvages, qui nous vindrent recognoistre � la port�e du mousquet. J'envoy� les deux nostres dans un canau pour les asseurer de nostre amiti�. La crainte qu'ils eurent de nous les fit retourner. Le lendemain matin ils revindrent au bort de nostre barque, & parlementerent avec nos sauvages. Je leur fis donner du biscuit, petum, & quelques autres petites bagatelles. Ces sauvages estoient venus � la chasse des Castors & � la pesches du poisson, duquel ils nous donn�rent. Ayant fait alliance avec eux, ils nous guid�rent en leur riviere de Peimtego�et60 ainsi d'eux appel�e, o� il nous dirent qu'estoit leur Capitaine nomm� Bessabez 61 chef d'icelle. Je croy que ceste riviere est celle que plusieurs pilottes & Historiens appellent Norembegue 62: & 32/180que la plus part ont escript estre grande & spacieuse, avec quantit� d'isles: & son entr�e par la hauteur de 43� & 43� & demy: & d'autres par les 44 degrez, plus ou moins de latitude. Pour la declinaison, je n'en ay leu ny ouy parler � personne. On descrit aussi qu'il y a une grande ville fort peupl�e de sauvages adroits & habilles, ayans du fil de cotton. Je m'asseure que la pluspart de ceux qui en font mention ne l'ont veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire � gens qui n'en s�avoyent pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y en a qui ont peu en avoir veu l'embouchure, � cause qu'en effet il y a quantit� d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44 degrez de latitude en son entr�e, comme ils disent: Mais qu'aucun y ait jamais entr� il n'y a point d'apparence: car ils l'eussent descripte d'une autre fa�on, afin d'oster beaucoup de gens de ceste doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay reconeu & veu depuis le commencement jusques o� j'ay est�.

Note 60: (retour)

Ce mot, tel que l'�crit ici Champlain, semble venir de Pemetigouek (ceux de Pemetiq). Cependant, suivant M. l'abb� Maurault, Pentagouet n'est autre chose que Pontegouit, qui signifie endroit d'une, rivi�re o� il y a des rapides. Les Anglais ont toujours de pr�f�rence d�sign� cette rivi�re sous le nom de P�nobscot (Penabobsket, l� o� la terre est couverte de pierre. Hist. des Abenaquis, p. 5).

Note 61: (retour)

Le P. Biard dit qu'il �tait sagamo de Kadesquit. (Relation de la Nouvelle France, ch. XXXIV.)

Note 62: (retour)

Malgr� le respect que nous avons pour Champlain et pour un grand nombre d'auteurs qui semblent avoir adopt� son opinion, nous osons croire que la grande rivi�re de Norembegue n'est autre chose que la baie Fran�aise, aujourd'hui la baie de Fundy. Pour ne point parler de Th�vet ni de Belleforest, qui sont fort peu explicites sur ce point, qu'il nous suffise de citer le t�moignage de Jean Alphonse, dont l'exactitude est �tonnante pour l'�poque o� il vivait: �Je dictz que le cap de sainct Jehan, dict Cap � Breton, & le cap de la Franciscane, sont nordest & surouest, & prennent un quart de l'est & ouest, & y a en la route cent quarente lieues, & icy faict ung cap appell� le cap de Norembegue... Ladicte coste est toute sableuse, terre basse, sans nulle montaigne. Au del� du cap de Norembegue, descend la riviere dudict Norembegue, environ vingt & cinq lieues du cap� (c'est pr�cis�ment la largeur de l'Acadie). �La dicte riviere est large de plus de quarente lieues de latitude en son entr�e, & va ceste largeur au dedans bien trente ou quarente lieues...� Il est �vident que Jean Alphonse d�crit ici la c�te sud-est de l'Acadie (qu'il appelle Franciscane), le cap de Sable et la baie de Fundy, qui a r�ellement une embouchure de pr�s de quarante lieues si l'on compte depuis le cap de Sable ou Noremb�gue jusques vers la sortie du P�nobscot.

Premi�rement en son entr�e il y a plusieurs isles esloign�es de la terre ferme 10 ou 12 lieues qui sont par la hauteur de 44 degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de la guide-ayment. L'isle des Monts-deserts fait une des pointes de l'emboucheure, tirant � l'est: & l'autre est une terre basse appel�e des sauvages Bedabedec, qui est � l'ouest d'icelle, 33/181distantes l'un de l'autre neuf ou dix lieues. Et presque au milieu � la mer y a une autre isle fort haute & remarquable, laquelle pour ceste raison j'ay nomm�e l'isle haute. Tout autour il y en a un nombre infini de plusieurs grandeurs & largeurs: mais la plus grande est celle des Monts-deserts. La pesche du poisson de diverses sortes y est fort bonne: comme aussi la chasse du gibier. A quelques deux ou trois lieues de la poincte de Bedabedec, rengeant la grande terre au nort, qui va dedans icelle riviere, ce sont terres fort hautes qui paroissent � la mer en beau temps 12 � 15 lieues. Venant au su de l'isle haute, en la rengeant comme d'un quart de lieue o� il y a quelques battures qui sont hors de l'eau, mettant le cap � l'ouest jusques � ce que l'on ouvre toutes les montaignes qui sont au nort d'icelle isle, vous vous pouvez asseurer qu'en voyant les huict ou neuf decoupp�es de l'isle des Monts-deserts & celle de Bedabedec, l'on sera le travers de la riviere de Norembegue: & pour entrer dedans il faut mettre le cap au nort, qui est sur les plus hautes montaignes dudict Bedabedec: & ne verrez aucunes isles devant vous: & pouvez entrer seurement y ayant assez d'eau, bien que voyez quantit� de brisans, isles & rochers � l'est & ouest de vous. Il faut les esviter la sonde en la main pour plus grande seuret�: Et croy � ce que j'en ay peu juger, que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere par autre endroict, sinon avec des petits vaisseaux ou chalouppes: Car comme j'ay dit cy-dessus la quantit� des isles, rochers, basses, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte que c'est chose estrange � voir.

34/182Or pour revenir � la continuation de nostre routte: Entrant dans la riviere il y a de belles isles, qui sont fort aggreables, avec de belles prairies. Nous fusmes jusques � un lieu o� les sauvages nous guid�rent, qui n'a pas plus de demy quart de lieue de large: Et � quelques deux cens pas de la terre de l'ouest y a un rocher � fleur d'eau, qui est dangereux. De l� � l'isle haute y a quinze lieues. Et depuis ce lieu estroict, (qui est la moindre largeur que nous eussions trouv�e,) apr�s avoir faict quelque 7 ou 8 lieues, nous rencontrasmes une petite riviere, o� aupr�s il fallut mouiller l'ancre: d'autant que devant nous y vismes quantit� de rochers qui descouvrent de basse mer: & aussi que quand eussions voulu passer, plus avant nous n'eussions pas peu faire demye lieue: � cause d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque 7 � 8 pieds, que je vis allant dedans un canau avec les sauvages que nous avions: & n'y trouvasmes de l'eau que pour un canau: Mais pass� le sault, qui a quelques deux cens pas de large, la riviere est belle, & continue jusques au lieu o� nous avions mouill� l'ancre. Je mis pied � terre pour veoir le pa�s: & allant � la chasse je le trouv� fort plaisant & aggreable en ce que j'y fis de chemin. Il semble que les chesnes qui y sont ayent est� plantez par plaisir. J'y vis peu de sapins, mais bien quelques pins � un cost� de la riviere: Tous chesnes � l'autre: & quelques bois taillis qui s'estendent fort avant dans les terres. Et diray que depuis l'entr�e o� nous fusmes, qui sont environ 25 lieux, nous ne vismes aucune ville ny village, ny apparence d'y en avoir eu: mais bien une ou deux 35/183cabannes de sauvages o� il n'y avoit personne, lesquelles estoient faites de mesme fa�on que celles des Souriquois couvertes d'escorce d'arbres: Et � ce qu'avons peu juger il y a peu de sauvages en icelle riviere qu'on appele aussi Etechemins. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que quelques mois en est� durant la pesche du poisson & chasse du gibier, qui y est en quantit�. Ce sont gens qui n'ont point de retraicte arrest�e � ce que j'ay recogneu & apris d'eux: car ils yvernent tantost en un lieu & tantost � un autre, o� ils voient que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent quand la necessit� les presse, sans mettre rien en reserve pour subvenir aux disettes qui sont grandes quelquesfois.

Or il faut de necessit� que ceste riviere soit celle de Norembegue: car pass� icelle jusques au 41e degr� que nous avons costoy�, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy dessus dictes, que celle de Quinibequy, qui est presque en mesme hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part il ne peut y en avoir qui entrent avant dans les terres: d'autant que la grande riviere saint Laurens costoye la coste d'Accadie & de Norembegue, o� il n'y a pas plus de l'une � l'autre par terre de 45 lieues, ou 60 au plus large, comme il se pourra veoir par ma carte G�ographique.

Or je laisseray ce discours pour retourner aux sauvages qui m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue, lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres sauvages, qui all�rent en une autre petite riviere advertir aussi le leur, nomm� Cabahis, & lui donner advis de nostre arriv�e.

36/184Le 16 du mois il vint � nous quelque trente sauvages sur l'asseurance que leur donn�rent ceux qui nous avoient servy de guide. Vint aussi ledict Bessabez nous trouver ce mesme jour avec six canaux. Aussi tost que les sauvages qui estoient � terre le virent arriver, ils se mirent tous � chanter, dancer & sauter, jusques � ce qu'il eut mis pied � terre: puis apr�s s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume lors qu'ils veulent faire quelque harangue ou festin. Cabahis l'autre chef peu apr�s arriva aussi avec vingt ou trente de ses compagnons, qui se retirent apart, & se rejouirent fort de nous veoir: d'autant que c'estoit la premi�re fois qu'ils avoient veu des Chrestiens. Quelque temps apr�s je fus � terre avec deux de mes compagnons & deux de nos sauvages, qui nous servoient de truchement: & donn� charge � ceux de nostre barque d'approcher pr�s des sauvages, & tenir leurs armes prestes pour faire leur devoir s'ils aper�evoient quelque esmotion de ces peuples contre nous. Bessabez nous voyant � terre nous fit asseoir, & commen�a � petuner avec ses compagnons, comme ils font ordinairement auparavant que faire leurs discours. Ils nous firent present de venaison & de gibier.

Je dy � nostre truchement, qu'il dist � nos sauvages qu'ils fissent entendre � Bessabez, Cabahis & � leurs compagnons, que le sieur de Mons m'avoit envoy� par devers eux pour les voir & leur pays aussi: & qu'il vouloit les tenir en amiti�, & les mettre d'accord avec les Souriquois & Canadiens leurs ennemis: Et d'avantage qu'il desiroit habiter leur terre, & leur montrer � la cultiver, afin qu'ils ne trainassent plus une vie si 37/185miserable qu'ils faisoient, & quelques autres propos � ce subjet. Ce que nos sauvages leur firent entendre, dont ils demonstrerent estre fort contens, disant qu'il ne leur pouvoit arriver plus grand bien que d'avoir nostre amiti�: & desiroyent que l'on habitast leur terre, & vivre en paix avec leur ennemis: afin qu'� l'advenir ils allassent � la chasse aux Castors plus qu'ils n'avoient jamais faict, pour nous en faire part, en les accommodant de choses necessaires pour leur usage. Apres qu'il eut achev� sa harangue, je leur fis present de haches, patinostres, bonnets, cousteaux & autres petites jolivet�s: aprez nous nous separasmes les uns des autres. Tout le reste de ce jour, & la nuict suivante, ils ne firent que dancer, chanter & faire bonne ch�re, attendans le jour auquel nous trectasmes quelque nombre de Castors: & aprez chacun s'en retourna, Bessabez avec ses compagnons de son cost�, & nous du nostre, fort satisfaits d'avoir eu cognoissance de ces peuples.

Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez & 25. minuttes de latitude: Ce faict nous partismes pour aller � une autre riviere appel�e Quinibequy, distante de ce lieu de trente cinq lieux, & pr�s de 20 de Bedabedec63. Ceste nation de 38/186sauvages de Quinibequy s'appelle Etechemins64, aussi bien que ceux de Norembegue.

Note 63: (retour)

Quoique cette phrase donne � entendre que Champlain quitte la rivi�re de P�nobscot, ce jour-l� m�me, 17 de septembre, il est certain que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire. Rendu au point o� il prend hauteur, c'est-�-dire, � vingt-cinq ou trente lieues de l'embouchure de cette rivi�re, suivant son calcul; ayant bien constat� qu'il n'y avait pas m�me de trace d'aucune ville ou habitation consid�rable, l'auteur consid�re l'exploration de cette rivi�re comme finie, et part pour venir rejoindre la barque, qui �tait � l'ancr� � une quinzaine de lieues de l'embouchure, et continuer ensuite le voyage de d�couverte. La preuve qu'il ne part pas directement pour le K�n�bec, c'est que, trois jours apr�s, le 20 du mois, on en est encore � ranger la c�te de l'ouest, et � passer les montagnes de Bedabedec, ou hauteurs de P�nobscot, o� l'on mouille l'ancre, pour reconna�tre, le m�me jour, l'entr�e de la rivi�re.

Note 64: (retour)

C'est sans doute cette phrase qui a fait dire au P. F. Martin (Appendice de sa trad. du P. Bressani) que Champlain donne au K�n�bec le nom de rivi�re des Etchemins. Cependant notre auteur, comme on le voit, dit seulement que les sauvages du K�n�bec �taient des Etchemins, comme ceux de Pentagouet ou P�nobscot. Et ici Champlain est d'accord avec le P. Biard, qui, dans le d�nombrement approximatif qu'il fait des nations sauvages dont il avait connaissance, assigne aux Eteminquois ou Etchemins toute la c�te comprise entre le pays des Souriquois et Chouacouet, �J'ay trouv�, dit-il, par la relation des Sauvages mesmes, que dans l'enclos de la grande riviere, d�s les terres neuves jusques � Chouaco�t, on ne sauroit trouver plus de neuf � dix milles ames... Tous les Souriquois 3000 ou 3500. Les Eteminquois jusques � Pentego�t, 2500; d�s Pentego�t jusques � Kinibequi, & de Kinibequi jusques � Chouaco�t, 3000.� (Relat. de la Nouv. Fr., ch. VI.) Lescarbot pr�tend, il est vrai, que �depuis Kinibeki, jusques � Malebarre, & plus outre, ilz s'appellent Armouchiquois� (liv. IV, ch. VII); mais les t�moignages de Champlain et du P. Biard semblent avoir plus de poids, puisque ces auteurs ont visit� eux-m�mes les lieux et les nations dont ils parlent.

Le 18 du mois nous passames pr�s d'une petite riviere o� estoit Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque quelque douze lieues: Et luy ayant demand� d'o� venoit la riviere de Norembegue, il me dit qu'elle pass� le sault dont j'ay faict cy dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle on entroit dans un lac par o� ils vont � la riviere de S. Croix, d'o� ils vont quelque peu par terre, puis entrent dans la riviere des Etechemins. Plus au lac descent une autre riviere par o� ils vont quelques jours, en apr�s entrent en un autre lac, & passent par le millieu, puis estans parvenus au bout, ils font encore quelque chemin par terre, apr�s entrent dans une autre petite riviere 65 qui vient se descharger � une lieue de Qu�bec, qui est sur le grand fleuve S. Laurens. Tous ces peuples de Norembegue sont fort basannez, habillez de peaux de castors & autres fourrures, comme les sauvages Cannadiens & Souriquois: & ont mesme fa�on de vivre.

Note 65: (retour)

Comme on le voit, c'est pr�cis�ment parce que les Etchemins suivaient cette rivi�re pour venir � Qu�bec, qu'on l'a appel�e rivi�re des Etchemins.

39/187Le 20 du mois rangeasmes la coste de l'ouest, & pass�mes les montaignes de Bedabedec, o� nous mouillasmes l'ancre: Et le mesme jour recogneusmes l'entr�e de la riviere, o� il peut aborder de grands vaisseaux: mais dedans il y a quelques battures qu'il faut esviter la sonde en la main. Nos sauvages nous quitt�rent, d'autant qu'ils ne vollurent venir � Quinibequy: parceque les sauvages du lieu leur sont grands ennemis 66. Nous fismes quelque 8 lieux rangeant la coste de l'ouest jusques � une isle distante de Quinibequy 10 lieux, o� fusmes contraincts de relascher pour le mauvais temps & vent contraire. En une partye du chemin que nous fimes nous passames par une quantit� d'isles & brisans qui jettent � la mer quelques lieues fort dangereux. Et voyant que le mauvais temps nous contrarioit si fort, nous ne pass�mes pas plus outre que trois ou 4 lieues. Toutes ces isles & terres sont remplies de quantit� de pareil bois que j'ay dit cy dessus aux autres costes. Et considerant le peu de vivres que nous avions, nous resolusmes de retourner � nostre habitation, attendans l'ann�e suivante o� nous esperions y revenir pour recognoistre plus amplement. Nous y rabroussames donc chemin le 23 Septembre & arrivasmes en nostre habitation le 2 Octobre ensuivant.

Note 66: (retour)

C'est peut-�tre cette circonstance qui a fait croire � Lescarbot que le territoire des Almouchiquois s'�tendait jusqu'au K�n�bec.

Voila au vray tout ce que j'ay remarqu� tant des costes, peuples que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal aggreable en yver que celuy de nostre habitation, dont nous fusmes bien desceus.




40/188

Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes & femmes sauvages passent le temps durant l'yver. Et tout ce qui se passa en l'habitation pendant l'hyvernement.

CHAPITRE VI.

Comme nous arrivasmes � l'isle S. Croix chacun achevoit de se loger. L'yver nous surprit plustost que n'esperions, & nous empescha de faire beaucoup de choses que nous nous estions propos�es. Neantmoins le sieur de Mons ne laissa de faire faire des jardinages dans l'isle. Beaucoup commancerent � deffricher chacun le sien; & moy aussi le mien, qui estoit assez grand, o� je semay quantit� de graines, comme firent, aussi ceux qui en avoient, qui vindrent assez bien. Mais comme l'isle n'estoit que Sable tout y brusloit presque lors que le soleil y donnoit: & n'avions point d'eau pour les arrouser, sinon de celle de pluye, qui n'estoit pas souvent.

Le sieur de Mons fit aussi deffricher � la grande terre pour y faire des jardinages, & aux saults il fit labourer � trois lieues de nostre habitation, & y fit semer du bled qui y vint tresbeau & � maturit�. Autour de nostre habitation il y a de basse mer quantit� de coquillages, comme coques, moulles, ourcins & bregaux, qui faisoyent grand bien � chacun.

Les neges commenc�rent le 6 du mois d'Octobre. Le 3 de D�cembre nous vismes passer des glasses qui venoyent de quelque riviere qui estoit gell�e. Les froidures furent aspres & plus 41/189excessives qu'en France, & beaucoup plus de dur�e: & n'y pleust presque point cest yver. Je croy que cela provient des vents du nord & norouest, qui passent par dessus de hautes montaignes qui sont tousjours couvertes de neges, que nous eusmes de trois � quatre pieds de haut, jusques � la fin du mois d'Avril; & aussi qu'elle se concerve beaucoup plus qu'elle ne feroit si le pa�s estoit labour�.

Durant l'yver il se mit une certaine maladie entre plusieurs de nos gens, appel�e mal de la terre, autrement Scurbut, � ce que j'ay ouy dire depuis � des hommes doctes. Il s'engendroit en la bouche de ceux qui l'avoient de gros morceaux de chair superflue & baveuse (qui causoit une grande putr�faction) laquelle surmontoit tellement, qu'ils ne pouvoient presque prendre aucune chose, sinon que bien liquide. Les dents ne leur tenoient presque point, & les pouvoit on arracher avec les doits sans leur faire douleur. L'on leur coupoit souvent la superfluit� de cette chair, qui leur faisoit jetter force sang par la bouche. Apres il leur prenoit une grande douleur de bras & de jambes, lesquelles leur demeur�rent grosses & fort dures, toutes tachet�s comme de morsures de puces, & ne peuvoient marcher � cause de la contraction des nerfs: de sorte qu'ils demeuroient presque sans force, & sentoient des douleurs intol�rables. Ils avoient aussi douleur de reins, d'estomach & de ventre; une thoux fort mauvaise, & courte haleine: bref ils estoient en tel estat, que la pluspart des malades ne pouvoient se lever ny remuer, & mesme ne les pouvoit on tenir debout, 42/190qu'ils ne tombassent en syncope: de fa�on que de 79 que nous estions, il en moururent 35 & plus de 20. qui en furent bien pr�s: La plus part de ceux qui resterent sains, se plaignoient de quelques petites douleurs & courte haleine. Nous ne pusmes trouver aucun rem�de pour la curation de ces maladies. L'on en fit ouverture de plusieurs pour recognoistre la cause de leur maladie.

L'on trouva � beaucoup les parties int�rieures gast�es, comme le poulmon, qui estoit tellement alt�r�, qu'il ne s'y pouvoit recognoistre aucune humeur radicalle: la ratte cereuse & enfl�e: le foye fort legueux & tachett�, n'ayant sa couleur naturelle: la vaine cave, ascendante & descendante remplye de gros sang agul� & noir: le fiel gast�: Toutesfois il se trouva quantit� d'art�res, tant dans le ventre moyen qu'inf�rieur, d'assez bonne disposition. L'on donna � quelques uns des coups de raso�er dessus les cuisses � l'endroit des taches pourpr�es qu'ils avoient, d'o� il sortoit un sang caille fort noir. C'est ce que l'on a peu recognoistre aux corps infect�s de ceste maladie.

Nos chirurgiens ne peurent si bien faire pour eux mesmes qu'ils n'y soient demeurez comme les autres. Ceux qui y resterent malades furent gu�ris au printemps, lequel commence en ces pays l� est en May67. Cela nous fit croire que le changement de saison leur rendit plustost la sant� que les rem�des qu'on leur avoit ordonn�s.

Note 67: (retour)

Pour ne pas nous exposer � faire dire � Champlain ce qu'il ne voulait pas dire, nous laissons subsister ici une faute �vidente, mais dont on peut, ce semble, deviner la cause. L'auteur, encore sous l'impression f�cheuse de ce malheureux hiver pass� � l'�le de Sainte-Croix, aura mis d'abord dans son manuscrit que le printemps n'y commen�ait qu'en mai; r�flexion faite, il se sera aper�u que ce n'�tait pas rendre justice � la Nouvelle-France, que de la juger sur un fait qui pouvait �tre exceptionnel, et il aura mis, que le printemps est en mai; enfin le typographe, pour contenter l'auteur, aura jug� � propos de mettre les deux.

43/191Durant cet yver nos boissons gel�rent toutes, horsmis le vin d'Espagne. On donnoit le cidre � la livre. La cause de ceste parte fut qu'il n'y avoit point de caves au magazin: & que l'air qui entroit par des fentes y estoit plus aspre que celuy de dehors. Nous estions contraints d'user de tresmauvaises eaux, & boire de la nege fondue, pour n'avoir ny fontaines ny ruisseaux: car il n'estoit pas possible d'aller en la grand terre, � cause des grandes glaces que le flus & reflus charioit, qui est de trois brasses de basse & haute mer. Le travail du moulin � bras estoit fort p�nible: d'autant que la plus part estans mal couchez, avec l'incommodit� du chauffage que nous ne pouvions avoir � cause des glaces, n'avoient quasi point de force, & aussi qu'on ne mangeoit que chair sal�e & l�gumes durant l'yver, qui engendrent de mauvais sang: ce qui � mon opinion causoit en partie ces facheuses maladies. Tout cela donna du mescontentement au sieur de Mons & autres de l'habitation.

Il estoit mal-ais� de recognoistre ce pays sans y avoir yvern�, car y arrivant en �t� tout y est fort aggreable, � cause des bois, beaux pays & bonnes pescheries de poisson de plusieurs sortes que nous y trouvasmes. Il y a six mois d'yver en ce pays.

Les sauvages qui y habitent sont en petite quantit�. Durant l'yver au fort de neges ils vont chasser aux eslans & autres bestes: de quoy ils vivent la pluspart du temps. Et si les neges ne sont grandes ils ne font guerres bien leur proffit: d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un grandissime travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent fort.

44/192Lors qu'ils ne vont � la chasse ils vivent d'un coquillage qui s'appelle coque. Ils se vestent l'yver de bonnes fourrures de castors & d'eslans. Les femmes font tous les habits, mais non pas si proprement qu'on ne leur voye la chair au dessous des aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de les mieux accommoder. Quand ils vont � la chasse ils prennent de certaines raquettes, deux fois aussi grandes que celles de parde��, qu'ils s'attachent soubs les pieds, & vont ainsi sur la neige sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant trouv�e ils la suivent jusques � ce qu'ils apercoivent la beste: & lors ils tirent dessus avec leur arcs, ou la tuent � coups d'esp�es emmanch�es au bout d'une demye pique, ce qui se fait fort aisement; d'autant que ces animaux ne peuvent aller sur les neges sans enfoncer dedans: Et lors les femmes & enfans y viennent, & l� cabannent & se donnent cur�e: Apres ils retournent voir s'ils en trouveront d'autres, & passent ainsi l'yver. Au mois de Mars ensuivant il vint quelques sauvages qui nous firent part de leur chasse en leur donnant du pain & autres choses en eschange. Voila la fa�on de vivre en yver de ces gens l�, qui me semble estre bien miserable.

Nous attendions nos vaisseaux � la fin d'Avril lequel estant pass� chacun commen�a � avoir mauvaise opinion, craignant qu'il ne leur fust arriv� quelque fortune, qui fut occasion que le 15 de May le sieur de Mons d�lib�ra de faire accommoder une barque du port de 15 tonneaux, & un autre de 7 afin de nous en aller � 45/193la fin du mois de Juin � Gasp�, chercher des vaisseaux pour retourner en France, si cependant les nostres ne venoient: mais Dieu nous assista mieux que nous n'esperions: car le 15 de Juin ensuivant estans en garde environ sur les onze heures du soir, le Pont Capitaine de l'un des vaisseaux du sieur de Mons arriva dans une chalouppe, lequel nous dit que son navire estoit ancr� � six lieues de nostre habitation, & fut le bien venu au contentement d'un chacun.

Le lendemain le vaisseau arriva 68, & vint mouiller l'ancre proche de nostre habitation. Le pont nous fit entendre qu'il venoit apr�s luy un vaisseau de S. Maslo, appel� le S. Estienne, pour nous apporter des vivres & commoditez.

Note 68: (retour)

�Avec une compagnie de quelques quarante hommes,� dit Lescarbot, liv. IV, ch. VIII, �& canonnades ne manqu�rent � l'abord, selon la coutume, ni l'�clat des trompetes.�

Le 17 du mois le sieur de Mons se d�lib�ra d'aller chercher un lieu plus propre pour habiter & de meilleure temp�rature que la nostre: Pour cest effect il fit �quiper la barque dedans laquelle il avoit pens� aller � Gasp�.




Descouvertures de la coste des Almouchiquois jusques au 42e degr� de latitude: & des particularit�s de ce voyage.

CHAPITRE VII.

Le 18 du mois de Juin 1605, le sieur de Mons partit de l'isle saincte Croix avec quelques gentilshommes, vingt matelots & un 46/194sauvage nomm� Panounias 69 & sa femme, qu'il ne voulut laisser, que menasmes avec nous pour nous guider au pays des Almouchiquois, en esperance de recognoistre & entendre plus particulierement par leur moyen ce qui en estoit de ce pays: d'autant qu'elle en estoit native.

Note 69: (retour)

Lescarbot l'appelle Panmiac.

Et rangeant la coste entre Menane, qui est une isle � trois lieues de la grande terre, nous vinsmes aux isles rang�es par le dehors, o� mouillasmes l'ancre en l'une d'icelles, o� il y avoit une grande multitude de corneilles, dont nos gens prindrent en quantit�; & l'avons nomm�e l'isle aux corneilles. De l� fusmes � l'isle des Monts deserts qui est � l'entr�e de la riviere de Norembegue, comme j'ay dit cy dessus, & fismes cinq ou six lieues parmy plusieurs isles, o� il vint � nous trois sauvages dans un canau de la poincte de Bedabedec o� estoit leur Capitaine; & apr�s leur avoir tenu quelques discours ils s'en retourn�rent le mesme jour.

Le vendredy premier de Juillet nous partismes d'une des isles qui est � l'amboucheure de la riviere, o� il y a un port assez bon pour des vaisseaux de cent & cent cinquante tonneaux. Ce jour fismes quelques 25 lieues entre la pointe de Bedabedec & quantit� d'isles & rochers, que nous recogneusmes jusques � la riviere de Quinibequy, o� � l'ouvert d'icelle il y a une isle assez haute, qu'avons nomm�e la tortue, & entre icelle & la grand terre quelques rochers esparts, qui couvrent de pleine mer: neantmoins on ne laisse de voir briser la mer par dessus. L'isle de la tortue & la riviere sont su suest & nort norouest. Comme l'on y entre, il y a deux moyenes isles, qui sont 47/195l'entr�e, l'une d'un cost� & l'autre de l'autre, & � quelques 300 pas au dedans il y a deux rochers o� il n'y a point de bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'ancre � 300 pas de l'entr�e, � cinq & six brasses d'eau. Estans en ce lieu nous fusmes surprins de brumes qui nous firent resoudre d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere & les sauvages qui y habitent; & partismes pour cet effect le 5 du mois. Ayans fait quelques lieues nostre barque pen�a se perdre sur un rocher que nous frayames en passant. Plus outre rencontrasmes deux canaux qui estoient venus � la chasse aux oiseaux, qui la pluspart muent en ce temps, & ne peuvent voler. Nous accostames ces sauvages par le moyen du nostre, qui les fut trouver avec sa femme, qui leur fit entendre le subject de nostre venue. Nous fismes amiti� avec eux & les sauvages d'icelle riviere70, qui nous servirent de guide: Et allant plus avant pour veoir leur Capitaine appel� Manthoumermer, comme nous eusmes fait 7 � 8 lieux, nous passames par quelques isles, destroits & ruisseaux, qui s'espandent le long de la riviere, o� vismes de belles prairies: & costoyant une isle qui a quelque quatre lieux de long 71 ils nous men�rent o� estoit leur chef, avec 25 ou 30 sauvages, lequel aussitost que nous eusmes mouill� l'ancre vint � nous dedans un canau un peu separ� de dix autres, o� estoient ceux qui l'accompaignoient: 48/196Aprochant pr�s de nostre barque, il fit une harangue, o� il faisoit entendre l'aise qu'il avoit de nous veoir, & qu'il desiroit avoir nostre alliance & faire paix avec leurs ennemis par nostre moyen, disant que le lendemain il envoyeroit � deux autres Capitaines sauvages qui estoient dedans les terres, l'un appel� Marchim, & l'autre Sazinou, chef de la riviere de Quinibequy. Le sieur de Mons leur fit donner des gallettes & des poix, dont ils furent fort contens. Le lendemain ils nous guid�rent en dessendant la riviere par un autre chemin que n'estions venus 72, pour aller � un lac: & partant par des isles, ils laisserent chacun une fl�che proche d'un cap par o� tous les sauvages passent, & croyent que s'ils ne le faisoyent il leur arriveroit du malheur, � ce que leur persuade le Diable, & vivent en ces superstitions, comme ils font en beaucoup d'autres. Par de l� ce cap nous passames un sault d'eau fort estroit, mais ce ne fut pas sans grande difficult�, car bien qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions porter dans nos voilles le plus qu'il nous fut possible, si ne le peusme nous passer de la fa�on, & fusmes contraints d'attacher � terre une haussiere � des arbres, & y tirer tous: ainsi nous fismes tant � force de bras avec l'aide du vent qui nous favorisoit que le passames. Les sauvages qui estoient avec nous port�rent leurs canaux par terre ne les pouvant passer � la rame. Apres avoir franchi ce sault nous vismes de belles prairies. Je m'estonnay si fort de ce sault, que descendant 49/197avec la mar�e nous l'avions fort bonne, & estans au sault nous la trouvasmes contraire, & apr�s l'avoir pass� elle descendoit comme auparavant, qui nous donna grand contentement. Poursuivant nostre routte nous vinsmes au lac73, qui a trois � quatre lieues de long, o� il y a quelques isles, & y descent deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, & l'autre du norouest, par o� devoient venir Marchim & Sasinou, qu'ayant attendu tout ce jour & voyant qu'ils ne venoient point, nous resolusmes d'employer le temps: Nous levasmes donc l'ancre, & vint avec nous deux sauvages de ce lac pour nous guider, & ce jour vinsmes mouiller l'ancre � l'amboucheure de la riviere, o� nous peschasmes quantit� de plusieurs sortes de bons poissons: cependant nos sauvages all�rent � la chasse, mais ils n'en revindrent point. Le chemin par o� nous descendismes ladicte riviere est beaucoup plus seur & meilleur que celuy par o� nous avions est�. L'isle de la tortue qui est devant l'entr�e de lad. riviere, est par la hauteur de 44 degrez de latitude & 19 degrez 12 minutes de declinaison de la guide-aymant. L'on va par ceste riviere au travers des terres jusques � Qu�bec quelque 50 lieues sans passer qu'un trajet de terre de deux lieues: puis on entre dedans une autre petite riviere 74 qui vient descendre dedans le grand fleuve S. Laurens. Ceste riviere de Quinibequy est fort dangereuse pour les vaisseaux � demye lieue au dedans, pour le peu d'eau, 50/198grandes mar�es, rochers & basses qu'il y a, tant dehors que dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit bien recogneu. Si peu de pays que j'ay veu le long des rivages est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts. Il y a quantit� de petits chesnes, & fort peu de terres labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les autres rivieres cy dessus dictes. Les peuples vivent comme ceux de nostre habitation, & nous dirent, que les sauvages qui semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres, & qu'ils avoient delaiss� d'en faire sur les costes pour la guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre. Voila ce que j'ay peu aprendre de ce lieu, lequel je croy n'estre meilleur que les autres.

Note 70: (retour)

Ici, Champlain n'est pas pr�cis�ment, dans la rivi�re de K�n�bec, dont le capitaine �tait Sasinou, mais dans celle de Chipscot (Sheepscott), o� �tait le capitaine de ces sauvages, Manthoumermer.

Note 71: (retour)

L'�le de J�r�mysquam, qui s�pare la baie de Monsouic, ou Monseag, du chenal de la rivi�re de Chipscot.

Note 72: (retour)

Ce passage est une nouvelle preuve que Champlain, en montant, �tait pass� par le c�t� oriental de l'�le de J�r�mysquam, et, par cons�quent, dans la rivi�re de Chipscot: car les sauvages, qui connaissaient bien les lieux, durent conduire les fran�ais par le plus court chemin pour aller au lac ou � la baie de Merry-Meeting.

Note 73: (retour)

Ce lac, appel� la baie de Merry-Meeting, est form� par la jonction des eaux du K�n�bec, au nord, et de la rivi�re de Sagadahok ou Amouchcoghin, dont on a fait Androscoggin.

Note 74: (retour)

La rivi�re Chaudi�re.

198a

Qui ni be guy

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le cours de la riviere.

B 2 Isles qui sont � l'antr� de la riviere.

C Deux rochers qui sont dans la riviere fort dangereux.

D Islets & rochers qui sont le long de la coste.

E Basses o� de plaine mer vaisseaux du port de 60 tonneaux peuvent

eschouer.

F Le lieu o� les sauvages cabannent quand ils viennent � la pesche du

poisson.

G Basses de sable qui sont le long de la coste.

H Un estang d'eau douce.

I Un ruisseau o� des chaloupes peuvent entrer � demy flot.

L Isles au nombre de 4 qui sont dans la riviere comme l'on est entr�

dedans.

Le 8 du mois partismes de l'emboucheure d'icelle riviere ce que ne peusmes faire plustost � cause des brumes que nous eusmes. Nous fismes ce jour quelque quatre lieux, & passames par une baye75 o� il y a quantit� d'isles, & voit on d'icelle de grandes montaignes � l'ouest, o� est la demeure d'un Capitaine sauvage appel� Aneda, qui se tient proche de la riviere de Quinibequy. Je me parsuaday par ce nom que c'estoit un de sa race qui avoit trouv� l'herbe appel�e Aneda76 que Jacques 51/199Quartier a dict avoir tant de puissance contre la maladie appel�e Scurbut, dont nous avons desja parl�, qui tourmenta ses gens aussi bien que les nostres, lors qu'ils yvernerent en Canada. Les sauvages ne cognoissent point ceste herbe, ny ne s�avent que c'est, bien que ledit sauvage en porte le nom. Le lendemain fismes huit lieues. Costoyant la coste nous apper�eusmes deux fum�es que nous faisoient des sauvages, vers lesquelles nous fusmes mouiller l'ancre derri�re un petit islet proche de la grande terre, o� nous vismes plus de quatre vingts sauvages qui accouroyent le long de la coste pour nous voir, dansant & faisant signe de la resjouissance qu'ils en avoient. Le sieur de Mons envoya deux hommes avec nostre sauvage77 pour les aller trouver: & apr�s qu'ils eurent parl� quelque temps � eux, & les eurent asseurez de nostre amiti� nous leur laissames un de nos gens, & eux nous baill�rent un de leurs compagnons en ostage: Cependant le sieur de Mons fut visiter une isle, qui est fort belle de ce qu'elle contient, y ayant de beaux chesnes & noyers, la terre deffrich�e & force vignes, qui aportent de beaux raisins en leur saison: c'estoit les premiers qu'eussions veu en toutes ces costes depuis le cap de la H�ve: Nous la 52/200nommasmes l'isle de Bacchus78. Estans de pleine mer nous levasmes l'ancre, & entrasmes dedans une petite riviere, o� nous ne peusmes plustost: d'autant que c'est un havre de barre, n'y ayant de basse mer que demie brasse d'eau, de plaine mer brasse & demie, & du grand de l'eau deux brasses; quand on est dedans il y en a trois, quatre, cinq & six. Comme nous eusmes mouill� l'ancre il vint � nous quantit� de sauvages sur le bort de la riviere, qui commenc�rent � dancer: Leur Capitaine pour lors n'estoit avec eux, qu'ils appeloient Honemechin79: il arriva environ deux ou trois heures apr�s avec deux canaux, puis s'en vint tournoyant tout autour de nostre barque. Nostre sauvage ne pouvoit entendre que quelques mots, d'autant que la langue Almouchiquoise, comme s'appelle ceste nation, diff�re du tout de celle des Souriquois & Etechemins. Ces peuples demonstroient estre fort contens: leur chef estoit de bonne fa�on, jeune & bien dispost: l'on envoya quelque marchandise � terre pour traicter avec eux, mais ils n'avoient rien que leurs robbes, qu'ils chang�rent, car ils ne font aucune provision de pelleterie que pour se vestir. Le sieur de Mons fit donner � leur chef quelques commoditez, dont il fut fort satisfait, & vint plusieurs fois � nostre bort pour nous veoir. Ces sauvages se rasent le poil de dessus le crasne assez haut, & portent le reste fort longs, qu'ils peignent & tortillent par derri�re en 53/201plusieurs fa�ons fort proprement, avec des plumes qu'ils attachent sur leur teste. Ils se peindent le visage de noir & rouge comme les autres sauvages qu'avons veus. Ce sont gens disposts bien formez de leur corps: leurs armes sont piques, massues, arcs & fl�ches, au bout desquelles aucuns mettent la queue d'un poisson appel� Signoc80, d'autres y accommodent des os, & d'autres en ont toutes de bois. Ils labourent & cultivent la terre, ce que n'avions encores veu. Au lieu de charu�s ils ont un instrument de bois fort dur, faict en fa�on d'une besche. Ceste riviere s'appelle des habitans du pays Chouacoet81.

Note 75: (retour)

La baie de Casco. Ce mot, parait-il, n'est qu'une contraction de l'ancien nom Acocisco. (Williamson, Hist. of Maine, Introd., sect. II.)

Note 76: (retour)

Cette phrase nous fait conna�tre quelques-unes des causes qui ont emp�ch� les Fran�ais de retrouver, en Acadie, le rem�de que les sauvages du Canada avaient enseign� � Cartier pour gu�rir ses gens du scorbut. D'abord, on avait d�figur� un peu le nom de la plante: les trois manuscrits qui existent du second voyage de Cartier sont unanimes � l'appeler amedda, d'apr�s M. d'Avezac (r�impression figur�e de l'�dit. de 1545, publi�e en 1863); tandis que Lescarbot �crit annedda, et Champlain aneda. En second lieu, cette plante n'�tait pas une herbe, mais bien un arbre de bonne taille; c'�tait probablement ce que l'on a toujours appel�, en Canada, l'�pinette. Voici ce qu'en dit le capitaine malouin: �Lors ledict Dom Agaya envoya deux femmes avecq le capitaine pour en qu�rir: lesquelz en apport�rent neuf ou dix rameaulx, & nous monstrerent comme il failloit piler l'escorce & les fueilles dudict boys, & mettre tout bouillir en eaue, puis en boire de deux jours l'un, & mettre le marcq sur les jambes enfl�es & malades, & que de toute maladie ledict arbre guerissoit, ilz appellent ledict arbre en leur langaige Ameda... Tout incontinent qu'ils en eurent beu, ils eurent l'advantage... Apres ce avoir veu & cogneu, y a eu telle presse ladicte m�decine, que on si vouloit tuer, � qui premier en auroit. De sorte que ung arbre aussi gros & aussi grand que je viz jamais arbre a est� employ� en moins de huit jours: lequel a faict telle op�ration, que si tous les m�decins de Louvain & de Montpellyer y eussent est� avec toutes les drogues de Alexandrie, ilz n'en eussent pas tant faict en ung an, que ledict arbre a faict en six jours.�

Note 77: (retour)

Panounias, alli� par sa femme � la nation almouchiquoise. (Voir ci-dessus, p. 4.) Ce sauvage fut, quelque temps apr�s, assassin� par les Almouchiquois, et sa mort fut la cause d'une guerre sanglante entre cette nation et celles des Souriquois et des Etchemins.

Note 78: (retour)

Cette �le, suivant la carte de 1632, est situ�e vers le nord de la baie de Saco ou Chouacouet. C'est probablement celle que l'on trouve indiqu�e, dans les cartes anglaises, sous les noms de Richmond et de Richman's island.

Note 79: (retour)

Lescarbot l'appelle Olmechin. Il fut tu� l'ann�e suivante par un parti d'Etchemins. (Voir ci-apr�s, ch. XVI, et Lescarbot, Muses de la Nouvelle-France.)

Note 80: (retour)

L'auteur donne, un peu plus loin (chapitre VIII), la description du signoc ou siguenoc.

Note 81: (retour)

Le nom de Saco, que porte aujourd'hui cette rivi�re, de m�me que la baie o� elle se jette, vient �videmment de ce nom sauvage Chouacouet, ou, si l'on veut, de Sawahquatok, comme on le trouve dans les auteurs anglais. De Souacouet, on a fait Sacouet, et enfin Saco.

Le lendemain le sieur de Mons fut � terre pour veoir leur labourage sur le bord de la riviere, & moy avec luy, & vismes leur bleds qui sont bleds d'Inde, qu'ils font en jardinages, semant trois ou quatre grains en un lieu, apr�s ils assemblent tout autour avec des escailles du susdit signoc quantit� de terre: Puis � trois pieds del� en sement encore autant; & ainsi consecutivement. Parmy ce bled � chasque tourteau ils plantent 3 ou 4 febves du Bresil, qui viennent de diverses couleurs. Estans grandes elles s'entrelassent au tour dudict bled qui leve de la hauteur de cinq � six pieds: & tiennent le champ fort net de mauvaises herbes. Nous y vismes force citrouilles, courges & petum, qu'ils cultivent aussi82.

Note 82: (retour)

Toutes ces plantes, le petun, ou tabac, les courges et citrouilles, les f�ves, le ma�s, sont-elles indig�nes dans les contr�e que parcourt ici Champlain? M. Asa Gray et le Dr. Harris, qui ont �tudi� cette question, pr�tendent qu'elles ne le sont pas � une latitude plus au nord que le Mexique, et, par cons�quent, que la culture de ces plantes a d� �tre transmise aux sauvages de la Nouvelle-Angleterre, comme � ceux de la Nouvelle-France, par les nations plus m�ridionales.

54/202Le bled d'Inde que nous y vismes pour lors estoit de deux pieds de haut, il y en avoit aussi de trois. Pour les febves elles commen�oient � entrer en fleur, comme faisoyent les courges & citrouilles. Ils sement leur bled en May, & le recueillent en Septembre. Nous y vismes grande quantit� de noix, qui sont petites, & ont plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point encores aux arbres, mais nous en trouvasmes assez dessoubs, qui estoient de l'ann�e pr�c�dente. Nous vismes aussi force vignes, ausquelles y avoit de fort beau grain, dont nous fismes de tresbon verjust, ce que n'avions point encores veu qu'en l'isle de Bacchus, distante d'icelle riviere pr�s de deux lieues. Leur demeure arrest�e, le labourage, & les beaux arbres, nous firent juger que l'air y est plus temp�r� & meilleur que celuy o� nous yvernasmes ny que les autres lieux de la coste: Mais que je croye qu'il n'y face un peu de froit, bien que ce soit par la hauteur de 43 degrez 3 quarts de latitude, non. Les forests dans les terres sont fort claires, mais pourtant remplies de chesnes, hestres fresnes & ormeaux: Dans les lieux aquatiques il y a quantit� de saules. Les sauvages se tiennent tousjours en ce lieu, & ont une grande Cabanne entour�e de pallissades, faictes d'assez gros arbres reng�s les uns contre les autres, o� ils se retirent lors que leurs ennemis leur viennent faire la guerre. Ils couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce lieu est fort plaisant & aussi aggreable que lieu que l'on 55/203puisse voir. La riviere est fort abondante en poisson, environn�e de prairies. A l'entr�e y a un islet capable d'y faire une bonne forteresse, o� l'on seroit en seuret�.

202b

Chouacoit-R

Les chifres montrent les brases d'eau.

A La riviere.

B Le lieu o� ils ont leur forteresse.

C Les cabannes qui sont parmy les champs o� aupr�s ils cultivent

la terre & sement du bled d'Inde.

D Grande compaigne sablonneuse, neantmoins remplie d'herbages.

E Autre lieu o� ils font leurs logemens tous en gros sans estre

separez apr�s la semence de leurs bleds estre faite.

F (1) Marais o� il y a de bons pasturages.

G Source d'eau vive.

H Grande pointe de terre toute deffrich�e horsmis quelques arbres

fruitiers & vignes sauvages.

I Petit islet � l'entr�e de la riviere.

L Autre islet (2).

M Deux isles o� vesseaux peuvent mouiller l'ancre � l'abry d'icelles

avec bon fons.

N Pointe de terre deffrich�e ou nous vint trouver Marchim.

O (3) Quatre isles.

P Petit ruisseau qui asseche de basse mer.

Q (4) Basses le long de la coste.

R La rade o� les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre attendant le flot.

(1) f, dans la carte.—(2) Cet �let est marqu� I. Des deux qui sont marqu�s de la m�me lettre, celui-ci est le plus �loign� de l'entr�e de la rivi�re.—(3) Des quatre O qui d�signaient les quatre �les, le graveur a fait quatre �les plus petites. Les quatre �les sont au nord-ouest de la pointe H.—(4.) Dans la carte, c'est une lettre minuscule.

Le dimanche 12 83 du mois nous partismes de la riviere appel�e Chouaco�t, & rengeant la coste apr�s avoir fait quelque 6 ou 7 lieues le vent se leva contraire, qui nous fit mouiller l'ancre & mettre pied � terre, o� nous vismes deux prairies, chacune desquelles contenoit environ une lieue de long, & demie de large. Nous y aperceusmes deux sauvages que pensions � l'abbord estre de gros oiseaux qui sont en ce pays l�, appel�s outardes, qui nous ayans advis�s, prindrent la fuite dans les bois, & ne parurent plus. Depuis Chouacoet jusques en ce lieu o� vismes de petits oiseaux84, qui ont le chant comme merles, noirs horsmis le bout des ailles, qui sont orang�s, il y a quantit� de vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la pluspart des endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous retournasmes deux ou trois lieux devers Chouacoet jusques � un cap qu'avons nomm� le port aux isles85, bon pour des vaisseaux de cent tonneaux, qui est parmy trois isles. Mettant le cap au nordest quart du nort 56/204proche de ce lieu, l'on entre en un autre port86 o� il n'y a aucun passage (bien que ce soient isles) que celluy par o� on entre, o� � l'entr�e y a quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y a tant de groiselles rouges que l'on ne voit autre chose en la pluspart, & un nombre infini de tourtes 87, dont nous en prismes bonne quantit�. Ce port aux isles est par la hauteur de 43 degrez 25 minutes de latitude.

Note 83: (retour)

Le 12 de juillet �tait un mardi. Comme M. de Monts et l'auteur semblent avoir visit� ce lieu assez en d�tail, et qu'ils mirent � terre le 10, il est probable qu'on ne repartit de Chouacouet que le 12.

Note 84: (retour)

On donne � cet oiseau le nom de Commandeur (Agelaius Phoeniceus, VIEILLOT). En Canada, on l'appelle �tourneau, parce qu'il a avec ce dernier une certaine conformit� de couleur et d'habitudes.

Note 85: (retour)

Il ne faut pas confondre ce cap du Port-aux-Iles avec celui que l'auteur appelle, un peu plus loin, le Cap-aux-Iles. Ce dernier porte aujourd'hui le nom de cap Anne, et le premier celui de cap Porpoise (cap au Marsouin). Williamson parle du cap Porpoise � peu pr�s dans les m�mes termes que Champlain. �Le cap Porpoise, dit-il, est un havre �troit et de difficile acc�s.� Le nom de Mousom, que l'on a donn� � la rivi�re du cap Porpoise, est vraisemblablement une corruption du mot marsouin; car il est impossible qu'il soit d�riv� du nom sauvage Meguncouk.

Note 86: (retour)

Ce doit �tre l'entr�e de la rivi�re Kenebunk, �qui est un bon havre pour les petits vaisseaux,� dit Williamson. (Hist. of Maine.)

Note 87: (retour)

Tourtres, ou Pigeons de passage (Ectopistes migratoria, AUDUBON).

Le 15 dudit mois fismes 12 lieues. Costoyans la coste nous apper�eusmes une fum�e sur le rivage de la mer, dont nous approchasmes le plus qu'il nous fut possible, & ne vismes aucun sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en estoient fuys. Le soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver lieu pour nous loger icelle nuict, � cause que la coste estoit platte, & sablonneuse. Mettant le cap au su pour nous esloigner, afin de mouiller l'ancre, ayant fait environ deux lieues nous apper�eusmes un cap 88 � la grande terre au su quart du suest de nous, o� il pouvoit avoir quelque six lieues: � l'est deux lieues apper�eusmes trois ou quatre isles assez hautes 89, & � l'ouest un grand cu de sac90. La coste de ce cul de sac toute reng�e jusques au cap peut entrer dans les terres du lieu o� 57/205nous estions environ quatre lieues: il en a deux de large nort & su91 & trois en son entr�e: Et ne recognoissant aucun lieu propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap cy dessus � petites voilles une partie de la nuict, & en aprochasmes � 16 brasses d'eaue o� nous mouillasmes l'ancre attendant le poinct du jour.

Note 88: (retour)

Le cap Anne.

Note 89: (retour)

Les �les appel�es Isles of Shoals (�les de Battures.) �Ces �les constituent le groupe auquel le c�l�bre capitaine John Smith donna son propre nom; mais l'ingratitude de l'homme a refus� � sa m�moire ce faible honneur.� (Dict. of Am.)

Note 90: (retour)

On voit, par ce qui suit, que ce grand cul-de-sac d�signe �videmment la grande baie que forme la c�te au nord du cap Anne. C'est ce m�me cul-de-sac que l'auteur appelle ailleurs baie Longue. Les cartes modernes ne lui assignent aucun nom particulier.

Note 91: (retour)

A rigoureusement parler, la largeur de cette baie n'est pas dans le sens nord et sud; mais il est �vident que l'auteur ne pr�tend point en donner ici une description math�matique, puisqu'il ne la d�crit que de loin et selon l'apparence qu'elle pr�sente � la distance de plusieurs lieues.

Le lendemain nous fusmes au susdict cap, o� il y a trois isles proches de la grand terre, pleines de bois de diferentes sortes, comme � Chouacoet & par toute la coste: & une autre platte, o� la mer brise, qui jette un peu plus � la mer que les autres, o� il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap aux isles 92, proche duquel apper�eusmes un canau, o� il y avoit 5 ou 6 sauvages, qui vindrent � nous, lesquels estans pr�s de nostre barque s'en all�rent danser sur le rivage. Le sieur de Mons m'envoya � terre pour les veoir, & leur donner � chacun un cousteau & du biscuit, ce qui fut cause qu'ils redanserent mieux qu'auparavant. Cela fait je leur fis entendre le mieux qu'il me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la coste. Apres leur avoir d�peint avec un charbon la baye 93 & le cap aux isles, o� nous estions, ils me figur�rent avec le 58/206mesme creon, une autre baye 94 qu'ils representoient fort grande, o� ils mirent six cailloux d'esgalle distance, me donnant par l� � entendre que chacune des marques estoit autant de chefs & peuplades 95: puis figur�rent dedans ladicte baye une riviere que nous avions pass�e 96, qui s'estent fort loing, & est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des vignes en quantit�, dont le verjust estoit un peu plus gros que des poix, & force noyers, o� les noix n'estoient pas plus grosses que des balles d'arquebuse. Ces sauvages nous dirent, que tous ceux qui habitoient en ce pays cultivoient & ensemensoient la terre, comme les autres qu'avions veu auparavant. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez, & quelque minutes 97 de latitude. Ayant fait demie lieue nous apper�eusmes plusieurs sauvages sur la pointe d'un rocher, qui couroient le long de la coste, en dansant, vers leurs compagnons, pour les advertir de nostre venue. Nous ayant monstr� le quartier de leur demeure, ils firent signal de fum�es pour nous monstrer l'endroit de leur habitation. Nous 59/207fusmes mouiller l'ancre proche d'un petit islet, o� l'on envoya nostre canau pour porter quelques cousteaux & gallettes aux sauvages; & apper�eusmes � la quantit� qu'ils estoient que ces lieux sont plus habitez que les autres que nous avions veus. Apr�s avoir arrest� quelques deux heures pour considerer ces peuples, qui ont leurs canaux faicts d'escorce de boulleau, comme les Canadiens, Souriquois & Etechemins, nous levasmes l'ancre, & avec apparence de beau temps nous nous mismes � la voille. Poursuivant nostre routte � l'ouest surouest, nous y vismes plusieurs isles � l'un & l'autre bort. Ayant fait 7 � 8 lieues nous mouillasmes l'ancre proche d'une isle o� apper�eusmes force fum�es tout le long de la coste, & beaucoup de sauvages qui accouroient pour nous voir. Le sieur de Mons envoya deux ou trois hommes vers eux dedans un canau, ausquels il bailla des cousteaux & patenostres pour leur presenter, dont ils furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement. Nous ne peusmes s�avoir le nom de leur chef, � cause que nous n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a quantit� de terre deffrich�e, & sem�e de bled d'Inde. Le pays est fort plaisant & aggreable: neantmoins il ne laisse d'y avoir force beaux bois. Ceux qui l'habitent ont leurs canaux faicts tout d'une pi�ce, fort subjets � tourner, si on n'est bien adroit � les gouverner: & n'en avions point encore veu de ceste fa�on. Voicy comme ils les font. Apres avoir eu beaucoup de peine, & est� long temps � abbatre un arbre le plus gros & le plus haut qu'ils ont peu trouver, avec des haches de pierre 60/208(car ils n'en ont point d'autres, si ce n'est que quelques uns d'eux en recouvrent par le moyen des sauvages de la coste d'Accadie, ausquels on en porte pour traicter de peleterie) ils ostent l'escorce & l'arrondissent, horsmis d'un cost�, o� ils mettent du feu peu � peu tout le long de la pi�ce: & prennent quelques fois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent aussi dessus: & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent avec un peu d'eau, non pas du tout, mais de peur que le bord du canau ne brusle. Estant assez creux � leur fantasie, ils le raclent de toutes parts avec des pierres, dont ils se servent au lieu de cousteaux. Les cailloux dequoy ils font leurs trenchans sont semblables � nos pierres � fusil.

Note 92: (retour)

Les Anglais lui ont donn� le nom de la reine Anne.

Note 93: (retour)

La baie dont l'auteur vient de parler, c'est-�-dire, la baie Longue.

Note 94: (retour)

La baie de Massachusets, au fond de laquelle est la baie de Boston. En comparant le r�cit des auteurs anglais sur les sauvages appel�s Massachusets, avec ce que Champlain et les fran�ais de son temps disent des Almouchiquois, on demeure convaincu que les uns et les autres ont d�sign� par ces deux mots, en apparence si diff�rents, une seule et m�me nation, ou qu'ils ont �tendu ce nom � toutes les tribus qui faisaient cause commune avec ces sauvages contre les nations des c�tes d'Acadie. �Les Massachusets, dit Gookin, demeuraient principalement vers cet endroit de la baie de Massachusets, o� les Anglais sont maintenant �tablis. Ils formaient un peuple grand et nombreux. Leur principal chef avait autorit� sur plusieurs capitaines subalternes... Cette nation pouvait autrefois mettre sur pied environ trois mille hommes de guerre, au rapport des vieux sauvages.� (Collect. of the Mass. Hist. Soc., premi�re s�rie, vol. I.) Suivant le m�me auteur, les Massachusets avaient pour alli�s les Patoukets, qui demeuraient plus au nord. D'o� l'on voit que les peuples qui habitaient la plus grande partie des c�tes de la Nouvelle-Angleterre, �taient les Massachusets et leurs alli�s. Or ce sont pr�cis�ment ces m�mes nations que les voyageurs fran�ais comprenaient sous le nom d'Almouchiquois. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Fran�ais appelaient Almouchiquois plusieurs peuples ou tribus que les Anglais comprenaient sous le nom de Massachusets, et, quelle que soit la vraie signification de ces deux mots, on ne peut nier qu'ils n'aient entre eux un certain air de parent� (al-moussicoua-set).

Note 95: (retour)

C'�taient, d'apr�s Gookin, les chefs de Weechagaskas, de Neponsitt, de Punkapaog, de Nonantum, de Nashaway, et d'une partie des Nipmucks, suivant le rapport des anciens.

Note 96: (retour)

Le Merrimack.

Note 97: (retour)

La latitude du cap Anne est d'environ 42� 38'.

Le lendemain 17 dudict mois levasmes l'ancre pour aller � un cap, que nous avions veu le jour pr�c�dent, qui nous demeuroit comme au su surouest98. Ce jour ne peusmes faire que 5 lieues, & passames par quelques isles remplies de bois. Je recognus en la baye tout ce que m'avoient d�peint les sauvages au cap des isles. Poursuivant nostre route il en vint � nous grand nombre dans des canaux, qui sortoient des isles, & de la terre ferme. Nous fusmes ancrer � une lieue du cap, qu'avons nomm� S. Loys99, o� nous apper�eusmes plusieurs fum�es: y voulant aller nostre barque eschoua sur une roche, o� nous fusmes en grand danger: car si nous n'y eussions promptement rem�di�, elle eut boulevers� dans la mer, qui perdoit tout � l'entour, o� il y avoit 5 � 6 brasses d'eau: mais Dieu nous preserva, & fusmes 61/209mouiller l'ancre proche du susdict cap, o� il vint quinze ou seize canaux de sauvages, & en tel y en avoit 15 ou 16 qui commenc�rent � monstrer grands signes de resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que nous n'entendions nullement. Le sieur de Mons envoya trois ou quatre hommes � terre dans nostre canau, tant pour avoir de l'eau, que pour voir leur chef nomm� Honabetha, qui eut quelques cousteaux, & autres jolivet�s, que le sieur de Mons luy donna, lequel nous vint voir jusques en nostre bort, avec nombre de ses compagnons, qui estoient tant le long de la rive, que dans leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, & luy fit-on bonne ch�re: &c y ayant est� quelque espace de temps, il s'en retourna. Ceux que nous avions envoy�s devers eux, nous apport�rent de petites citrouilles de la grosseur du poing, que nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui sont tresbonnes; & du pourpi�100, qui vient en quantit� parmy le bled d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de mauvaises herbes. Nous vismes en ce lieu grande quantit� de petites maisonnettes, qui sont parmy les champs o� ils sement leur bled d'Inde.

Note 98: (retour)

Ce cap, appel� plus loin cap Saint-Louis, leur �demeurait comme au sud-sud-ouest� dans la journ�e du 16.

Note 99: (retour)

La pointe Brandt. On ne la d�signe ordinairement que comme pointe, parce que, suivant l'expression m�me de Champlain, c'est �une terre m�diocrement basse.�

Note 100: (retour)

Portulaca oleracea. �Ce pourpier,� dit Miller (Dict. des Jardiniers), �cro�t naturellement en Am�rique et dans les parties les plus chaudes du globe.� Il est assez probable que cette plante se sera propag�e jusqu'� cette latitude avec la culture du tabac.

Plus y a en icelle baye 101 une riviere qui est fort spatieuse, laquelle avons nomm�e la riviere du Gas 102, qui, � mon jugement, va rendre vers les Yroquois, nation qui a guerre ouverte avec les montaignars qui sont en la grande riviere S. Lorans.

Note 101: (retour)

Dans la baie de Boston.

Note 102: (retour)

Du nom de M. de Monts, Pierre Du Gas. C'est probablement la rivi�re Charles; mais elle vient du sud-ouest, plut�t que du c�t� des Iroquois.




62/210 Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce qu'y avons remarqu� de particulier.

CHAPITRE VIII.

Le lendemain doublasmes le cap S. Louys, ainsi nomm� par le sieur de Mons, terre m�diocrement basse, soubs la hauteur de 42 degrez 3 quarts de latitude103; & fismes ce jour deux lieues de coste sablonneuse, & passant le long d'icelle, nous y vismes quantit� de cabannes & jardinages. Le vent nous estans contraire, nous entrasmes dedans un petit cu de sac, pour attendre le temps propre � faire nostre routte. Il vint � nous 2 ou 3 canaux, qui venoient de la pesche de morue, & autres poissons, qui sont l� en quantit�, qu'ils peschent avec des aims faits d'un morceau de bois, auquel ils fichent un os qu'ils forment en fa�on de harpon, & lient fort proprement, de peur qu'il ne sorte: le tout estant en forme d'un petit crochet: la corde qui y est attach�e est d'escorce d'arbre. Ils m'en donn�rent un, que je prins par curiosit�, o� l'os estoit attach� de chanvre, � mon opinion, comme celuy de France, & me dirent qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la cultiver, en nous monstrant la hauteur comme de 4 � 5 pieds. Ledict canau s'en retourna � terre avertir ceux de son habitation, qui nous firent des fum�es, & apper�eusmes 18 ou 20 sauvages, qui vindrent sur le bort de la coste, & se mirent � danser. Nostre canau fut � terre pour leur donner quelques 63/211bagatelles, dont ils furent fort contens. Il en vint aucuns devers nous qui nous pri�rent d'aller en leur riviere. Nous levasmes l'ancre pour ce faire, mais nous n'y peusmes entrer � cause du peu d'eau que nous y trouvasmes estans de basse mer, & fusmes contraincts de mouiller l'ancre � l'entr�e d'icelle. Je descendis � terre, o� j'en vis quantit� d'autres qui nous re�eurent fort gratieusement: & fus recognoistre la riviere, o� n'y vey autre chose qu'un bras d'eau qui s'estant quelque peu dans les terres, qui sont en partie desert�es; dedans lequel il n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter basteaux, sinon de pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de circuit. En l'une des entr�es duquel y a une mani�re d'icelle couverte de bois, & principalement de pins, qui tient d'un cost� � des dunes de sable, qui sont assez longues: l'autre cost� est une terre assez haute. Il y a deux islets dans ladicte baye, qu'on ne voit point si l'on n'est dedans, o� autour la mer asseche presque toute de basse mer. Ce lieu est fort remarquable de la mer, d'autant que la coste est fort basse, horsmis le cap de l'entr�e de la baye, qu'avons nomm�, le port du cap sainct Louys104, distant dudict cap deux lieues, & dix du cap aux isles. Il est environ par la hauteur du cap S. Louys.

Note 103: (retour)

La latitude de la pointe Brandt est d'environ 42� 6'.

Note 104: (retour)

Ce port Saint-Louis est pr�cis�ment le lieu o� abordaient, quinze ans plus tard, les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre, appel�s les P�lerins (Pilgrim Fathers). Ils lui donn�rent le nom de Plymouth, en m�moire de la ville d'o� ils �taient partis pour l'Am�rique. (Holme's Annals, an. 1620.)

211a

Port St-Louis

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Monstre le lieu o� posent les vaisseaux.

B L'achenal.

C Deux Isles.

D Dunes de sable

E Basses.

F Cabannes o� les sauvages labourent la terre.

G Le lieu o� nous fusmes eschouer nostre barque.

H Une mani�re d'isle remplie de bois tenant aux dunes de sable.

I Promontoire assez haut qui paroist de 4 � 5 lieux � la mer.

Le 19 du mois nous partismes de ce lieu. Rengeant la coste comme au su, nous fismes 4 � 5 lieues, & passames proche d'un rocher qui est � fleur d'eau. Continuant nostre route nous 64/212apper�eusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans plus pr�s nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous demeuroit au nord nordouest, qui estoit le cap d'une grande baye contenant plus de 18 � 19 lieues de circuit, o� nous nous engouffrasmes tellement, qu'il nous falut mettre � l'autre bort pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes le cap blanc105, pour ce que c'estoient sables & dunes, qui paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu: car autrement nous eussions est� en danger d'estre jett�s � la coste. Cette baye est fort seine, pourveu qu'on n'approche la terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers que celuy dont j'ay parl�, qui est proche d'une riviere, qui entre assez avant dans les terres, que nommasmes saincte suzanne du cap blanc 106, d'o� jusques au cap S. Louis y a dix lieues de traverse. Le cap blanc est une pointe de sable qui va en tournoyant vers le su quelque six lieues. Ceste coste est assez haute eslev�e de sables, qui sont fort remarquables venant de la mer, o� on trouve la sonde � pr�s de 15 ou 18 lieues de la terre � 30, 40, 50 brasses d'eau jusques � ce qu'on vienne � 10 brasses en approchant de la terre, qui est tr�s seine. Il y a une grande estendue de pays descouvert sur le bort de la coste devant que d'entrer dans les bois, qui sont fort aggreables & plaisans � voir. Nous mouillasmes l'ancre � 65/213la coste, & vismes quelques sauvages, vers lesquels furent quatre de nos gens, qui cheminant sur une dune de sable, advis�rent comme une baye & des cabannes qui la bordoient tout � l'entour. Estans environ une lieue & demye de nous, il vint � eux tout dansant (� ce qu'ils nous ont raport�) un sauvage qui estoit descendu de la haute coste, lequel s'en retourna peu apr�s donner advis de nostre venue � ceux de son habitation.

Note 105: (retour)

Sans aucun doute, l'auteur n'avait pas eu connaissance du voyage du capitaine Gosnold, qui, un peu plus de deux ans auparavant, s'�tait comme lui engouffr� dans la m�me baie, et qui avait, d�s 1602, donn� � ce cap le nom de cap Cod, parce qu'on y avait pris grande quantit� de morue (cod).

Note 106: (retour)

Ce que l'auteur appelle la rivi�re de Sainte-Suzanne du cap Blanc, est probablement la baie de Wellfleet, � l'entr�e de laquelle se trouve la batture de Billingsgate.

Le lendemain 20 du mois fusmes en ce lieu que nos gens avoient aper�eu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, � cause des basses & bancs, o� nous voiyons briser de toutes parts. Il estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y avoit que quatre pieds d'eau par la pass�e du nort; de haute mer il y a deux brasses. Comme nous fusmes dedans nous vismes ce lieu assez spatieux, pouvant contenir 3 � 4 lieues de circuit, tout entour� de maisonnettes, � l'entour desquelles chacun a autant de terre qu'il luy est necessaire pour sa nourriture. Il y descend une petite riviere, qui est assez belle, o� de basse mer y a quelque trois pieds & demy d'eau. Il y a deux ou trois ruisseaux bordez de prairies. Ce lieu est tresbeau, si le havre estoit bon. J'en prins la hauteur, & trouv� 42 degrez de latitude & 18 degrez 40 minuttes de declinaison107 de la guide-aymant. Il vint � nous quantit� de sauvages, tant hommes que femmes, qui accouroient de toutes parts en dansant. Nous avons nomm� ce lieu le port de Mallebarre108.

Note 107: (retour)

La d�clinaison aujourd'hui n'y est que de 7� environ.

Note 108: (retour)

Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41� 50'.

66/214Le lendemain 21 du mois le sieur de Mons prit resolution d'aller voir leur habitation, & l'accompaignasmes neuf ou dix avec nos armes: le reste demeura pour garder la barque. Nous fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que d'arriver � leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ sem� de bled d'Inde � la fa�on que nous avons dit cy dessus. Le bled estoit en fleur de la hauteur de 5 pieds & demy. Il y en avoit d'autre moins avanc� qu'ils sement plus tart. Nous vismes force febves du Bresil, & force citrouilles de plusieurs grosseurs, bonnes � manger, du petun & des racines, qu'ils cultivent, lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont remplis de chesnes noyers & de tresbeaux cypr�s, qui sont rougeastres & ont fort bonne odeur 109. Il y avoit aussi plusieurs champs qui n'estoient point cultivez: d'autant qu'ils laissent reposer les terres. Quand ils y veulent semer, ils mettent le feu dans les herbes, & puis labourent avec leurs b�ches de bois. Leurs cabannes sont rondes, couvertes de grosses nattes, faictes de roseaux, & par enhaut il y a au milieu environ un pied & demy de descouvert, par o� sort la fum�e du feu qu'ils y font. Nous leur demandasmes s'ils avoient leur demeure arrest�e en ce lieu, & s'il y negeoit beaucoup; ce que ne peusmes bien s�avoir, pour ne pas entendre leur langage, bien qu'ils s'y effor�assent par signe, en prenant du sable en leur main, puis l'espandant sur la terre, & monstrant estre de la couleur de nos rabats, & qu'elle venoit sur la terre de la hauteur d'un 67/215pied: & d'autres nous monstroient moins, nous donnant aussi � entendre que le port ne geloit jamais: mais nous ne peusmes s�avoir si la nege estoit de longue dur�e. Je tiens neantmoins que le pays est temp�r�, & que l'yver ny est pas rude. Pendant le temps que nous y fusmes, il fit une tourmente de vent de nordest, qui dura 4 jours, avec le temps si couvert que le soleil n'aparoissoit presque point. Il y faisoit fort froid: ce qui nous fit prendre nos cappots, que nous avions delaissez du tout: neantmoins je croy que c'estoit par accident, comme l'on void souvent arriver en d'autres lieux hors de saison.

Note 109: (retour)

La couleur rouge�tre et l'odeur de l'arbre mentionn� en cet endroit, font voir que l'auteur parle du c�dre rouge (juniperus virginiana). C'est une nouvelle preuve que ce qu'il appelle cypr�s dans son voyage de 1603, n'est rien autre chose que notre c�dre ordinaire (thuja)

Le 23 dudict mois de Juillet, quatre ou cinq mariniers estans all�s � terre avec quelques chaudi�res, pour qu�rir de l'eau douce, qui estoit dedans des dunes de sable, un peu esloign�e de nostre barque, quelques sauvages desirans en avoir aucunes, espierent l'heure que nos gens y alloyent, & en prirent une de force entre les mains d'un matelot, qui avoit puis� le premier, lequel n'avoit nulles armes: Un de ses compagnons voulant courir apr�s, s'en revint tout court, pour ne l'avoir peu atteindre, d'autant qu'il estoit plus viste � la cource que luy. Les autres sauvages voyans que nos matelos accouroient � nostre barque en nous criant que nous tirassions quelques coups de mousquets sur eux, qui estoient en grand nombre, ils se mirent � fuir. Pour lors y en avoit quelques uns dans nostre barque qui se jetterent � la mer, & n'en peusmes saisir qu'un. Ceux en terre qui s'en estoient fuis les appercevant nager, 68/216retourn�rent droit au matelot 110 � qui ils avoient ost� la chaudi�re, & luy tir�rent plusieurs coups de fl�ches par derri�re & l'abbatirent, ce que voyant ils coururent aussitost sur luy & l'acheverent � coups de cousteau. Cependant on fit diligence d'aller � terre, & tira on des coups d'arquebuse de nostre barque, dont la mienne creva entre mes mains & me pen�a perdre. Les sauvages oyans cette escopeterie se remirent � la fuite, qu'ils doubl�rent quand ils virent que nous estions � terre: d'autant qu'ils avoient peur nous voyans courir apr�s eux. Il n'y avoit point d'apparence de les attraper: car ils sont vistes comme des chevaux. L'on apporta le mort qui fut enterr� quelques heures apr�s: Cependant nous tenions tousjours le prisonnier attach� par les pieds & par les mains au bort de nostre barque, creignant qu'il ne s'enfuist. Le Sieur de Mons se resolut de le laisser aller, se persuadant qu'il n'y avoit point de sa faute, & qu'il ne s�avoit rien de ce qui s'estoit pass�, ny mesme ceux qui estoient pour lors dedans & autour de nostre barque. Quelques heures apr�s il vint des sauvages vers nous, faisant des excuses par signes & demonstrations, que ce n'estoit pas eux qui avoient fait ceste meschancet�, mais d'autres plus esloignez dans les terres. On ne leur voulut point faire de mal, bien qu'il fut en nostre puissance de nous venger.

Note 110: (retour)

C'�tait, suivant Lescarbot, un charpentier malouin. (Liv. IV, ch. VII.)

Tous ces sauvages depuis le cap des isles ne portent point de robbes, ny de fourrures, que fort rarement, encore les robbes sont faites d'herbes & de chanvre, qui � peine leur couvrent le corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la 69/217nature cach�e d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derri�re; tout le reste du corps est nud. Lors que les femmes nous venoient voir, elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes se coupent le poil dessus la teste comme ceux de la riviere de Chouacoet. Je vey entre autres choses une fille coiff�e assez proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brod�e par dessus de petites paten�tres de porceline: une partie de ses cheveux estoient pendans par derri�re, & le reste entrelass� de diverses fa�ons. Ces peuples se peindent le visage de rouge, noir, & jaune. Ils n'ont presque point de barbe, & se l'arrachent � mesure qu'elle croist. Ils sont bien proportionnez de leurs corps. Je ne s�ay quelle loy ils tiennent, & croy qu'en cela ils ressemblent � leurs voisins, qui n'en ont point du tout. Ils ne s�avent qu'adorer ny prier. Ils ont bien quelques superstitions comme les autres, que je descriray en leur lieu. Pour armes, ils n'ont que des picques, massues, arcs & fl�ches. Il semble � les voir qu'ils soient de bon naturel, & meilleurs que ceux du nort: mais tous � bien parler ne vallent pas grande chose. Si peu de fr�quentation que l'on ait avec eux, les fait incontinent cognoistre. Ils sont grands larrons; & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils y taschent avec les pieds, comme nous l'avons esprouv� souventefois. J'estime que s'ils avoient dequoy eschanger avec nous, qu'ils ne s'adonneroient au larrecin. Ils nous troqu�rent leurs arcs, fl�ches & carquois, pour des espingles & des boutons, & s'ils eussent eu autre chose de meilleur ils en 70/218eussent fait autant. Il se faut donner garde de ces peuples, & vivre en mesfiance avec eux toutefois sans leur faire apper�evoir. Ils nous donn�rent quantit� de petum, qu'ils font secher, & puis le reduisent en poudre111. Quand ils mangent le bled d'Inde ils le font bouillir dedans des pots de terre qu'ils font d'autre mani�re que nous 112. Ils le pilent aussi dans des mortiers de bois & le reduisent en farine, puis en font des gasteaux & galettes, comme les Indiens du P�rou.

Note 111: (retour)

Il n'y a aucun doute que les Almouchiquois pr�paraient leur tabac, ou petun, comme les sauvages du Canada, c'est-�-dire, qu'apr�s l'avoir fait s�cher, comme, dit Champlain, ils le broyaient assez menu pour pouvoir en charger commod�ment leurs pipes ou petunoirs, mais non pas si fin que le tabac r�p�. C'est ce que prouvent du reste les int�ressantes d�couvertes que vient de faire monsieur J. C. Tach�. Le riche mus�e d'antiquit�s huronnes que l'universit� Laval doit � la g�n�rosit� de cet infatigable antiquaire, renferme des �chantillons parfaitement conserv�s de pipes qui ont �t� trouv�es encore toutes charg�es de leur tabac, et par lesquelles on peut constater que cette esp�ce de poudre que les sauvages mettaient dans leurs calumets n'�tait gu�re plus fine que notre tabac hach�.

Note 112: (retour)

Ces vases de terre n'�taient point faits au tour, comme les poteries europ�ennes, ni cuits au four, mais � feu libre. Voici, d'apr�s Sagard, comment les femmes huronnes, et sans doute aussi les femmes almouchiquoises, s'y prenaient pour fabriquer leur poterie: �Elles ont l'industrie de faire de bons pots de terre, qu'elles cuisent dans leur foyer fort proprement, & sont si forts qu'ils ne se cassent point au feu sans eau comme les nostres, mais ils ne peuvent aussi souffrir longtemps l'humidit� ny l'eau froide, qu'ils ne s'attendrissent & ne se cassent au moindre heurt qu'on leur donne, autrement ils durent beaucoup. Les Sauvagesses les font prenans de la terre propre, laquelle elles nettoyent & petrissent tr�s bien entre leurs mains, & y mestent, je ne s�ay par quelle science, un peu de grais pill� parmy; puis la masse estant r�duite comme une boulle, elles y font un trou au milieu avec le poing, qu'elles agrandisent tousjours en frappant par dehors avec une petite palette de bois, tant & si longtemps qu'il est necessaire pour les parfaire: ces pots sont de diverses grandeurs, sans pieds & sans ances, & tous ronds comme une boulle, except� la gueulle qui sort un peu dehors.� (Hist. du Canada, liv. II, ch. XIII.) L'universit� Laval doit encore au m�me monsieur J. C. Tach� le plus bel �chantillon que l'on connaisse de cette ancienne poterie huronne.

218b

Malle Baiye

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Les deux entr�es du port.

B Dunes de sable o� les sauvages tu�rent un Matelot de la barque du

sieur de Mons.

C Les lieux o� fut la barque du sieur de Mons audit port.

D Fontaine sur le bort du port.

E Une riviere descendant audit port.

F Ruisseau.

G Petite riviere o� on prend cantit� de poisson.

H Dunes de sable o� il y a un petit bois & force vignes.

I Isle � la pointe des dunes.

L Les maisons & habitations des sauvages qui cultivent la terre.

M Basses & bancs de sable tant � l'entr�e que dedans ledit port.

O Dunes de sable.

P La coste de la mer.

q La barque du sieur de Poitrincourt quand il y fut deux apr�s le sieur

de Mons.

R Dessente des gens du sieur de Poitrincourt.

En ce lieu, & en toute la coste, depuis Quinibequi, il y a quantit� de figuenocs113, qui est un poisson portant une 71/219escaille sur le dos, comme la tortue: mais diferente pourtant; laquelle a au milieu une rang�e de petits piquants de couleur de fueille morte, ainsi que le reste du poisson: Au bout de laquelle escaille il y en a une autre plus petite, qui est bord�e d'esguillons fort piquans. La queue est longue selon qu'ils sont grands ou petits du bout de laquelle ces peuples ferrent leurs fl�ches, ayant aussi une rang�e d'esguillons comme la grande escaille sur laquelle sont les yeux. Il a huict petits pieds comme ceux d'un cancre, & derri�re deux plus longs & plats, desquels il se sert � nager. Il en a aussi deux autres fort petits devant, avec quoy il mange: quand il chemine ils sont tous cachez, except� les deux de derri�re qui paroissent un peu. Soubs la petite escaille il y a des membranes qui s'enflent, & ont un battement comme la gorge des grenouilles, & sont les unes sur les autres en fa�on des facettes d'un pourpoint. Le plus grand que j'aye veu, a un pied de large, & pied & demy de long.

Note 113: (retour)

C'est le Limule Polyph�ne (limulus poltphemus, LAMARCK). La femelle, qui est plus grande que le m�le, a ordinairement une vingtaine de pouces de longueur, et un peu moins de dix pouces de large. �Cette esp�ce, commune dans nos parages�, dit M. James-E. De Kay (New-York Fauna), �est connue ici sous le nom vulgaire de pied-de-cheval (horse-foot), � cause de sa forme, et retient encore dans quelques districts le nom de king-crab que lui donnaient les premiers colons anglais.� Jean de La�t fait aussi de ce singulier crustac�, une description d�taill�e et accompagn�e d'une figure.

Nous vismes aussi un oiseau marin 114 qui a le bec noir, le haut un peu aquilin, & long de quatre poulces, fait en forme de lancette, s�avoir la partie inf�rieure representant le manche & la superieure la lame qui est tenue, trenchante des deux costez & plus courte d'un tiers que l'autre, qui donne de l'estonnement � beaucoup de personnes, qui ne peuvent 72/220comprendre comme il est possible que cet oiseau puisse manger avec un tel bec115. Il est de la grosseur d'un pigeon, les ailles fort longues � proportion du corps, la queue courte & les jambes aussi, qui sont rouges, les pieds petits & plats: Le plumage par dessus est gris brun, & par dessous fort blanc. Il va tousjours en troupe sur le rivage de la mer, comme font les pigeons parde��.

Note 114: (retour)

Le Bec-en-ciseaux ou Coupeur-d'eau (rhynchops nigra, LATHAM). La singularit� de ses habitudes et l'�trange conformation de son bec, lui ont valu diff�rents noms populaires surtout chez les navigateurs anglais, comme ceux de cutwater, shearwater, razorbill, black skimmer, flood gull, skippang et autres. Il a le bec noir � l'extr�mit�, et tirant sur le rouge pr�s de la t�te. Cependant l'on rencontre des individus qui ont le bec enti�rement noir, comme celui dont parle ici l'auteur; mais ce n'est probablement qu'une vari�t� d'�ge. Il se trouve principalement sur les rivages de la Caroline du Sud, et du Texas, et quelquefois par vol�es immenses.

Note 115: (retour)

Avec un bec en apparence si incommode, cet oiseau sait fort bien trouver sa vie. Quand il veut p�cher, il rase lentement la surface de la mer, et, coupant l'eau avec la partie inf�rieure de son bec, il saisit en dessous le poisson, qui fait sa nourriture habituelle.

Les sauvages en toutes ces costes o� nous avons est�, disent qu'il vient d'autres oiseaux quand leur bled est � maturit�, qui sont fort gros; & nous contrefaisoient leur chant semblable � celuy du cocq d'Inde. Ils nous en montr�rent des plumes en plusieurs lieux, dequoy ils empannent leurs fl�ches & en mettent sur leurs testes pour parade, & aussi une mani�re de poil qu'ils ont soubs la gorge, comme ceux qu'avons en France: & disent qu'ils leur tumbe une creste rouge sur le bec. Ils nous les figur�rent aussi gros qu'une outarde, qui est une espece d'oye; ayant le col plus long & deux fois plus gros que celles de parde�a. Toutes ces demonstrations nous firent juger que c'estoient cocqs d'Inde. Nous eussions bien desir� voir de ces oiseaux, aussi bien que de la plume, pour plus grande certitude. Auparavant que j'eusse veu les plumes & le petit boquet de poil qu'ils ont soubs la gorge; & que j'eusse oy contrefaire leur chant, je croiyois que ce fussent de certains oiseaux116, qui se trouvent en quelques endroits du Perou en 73/221forme de cocqs d'Inde, le long du rivage de la mer, mangeans les charongnes autres choses mortes, comme font les corbeaux: mais ils ne sont pas si gros, & n'ont pas la barbe si longue, ny le chant semblable aux vrais coqs d'Inde, & ne sont pas bons � manger comme sont ceux que les sauvages disent qui viennent en troupe en est�; & au commencement de l'yver s'en vont aux pays plus chauts, o� est leur demeure naturelle.

Note 116: (retour)

L'oiseau dont parle ici Champlain, est vraisemblablement l'Aura (vultur aura, LINN�E), appel� Ouroua par les Br�siliens, et Suyuntu par les P�ruviens, �se nourrissant plut�t de chair morte et de vidanges, que de chair vivante�, suivant Buffon.




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CHAPITRE IX.

Ayant demeur� plus de cinq sepmaines � eslever trois degrez de latitude, nous ne peusmes estre plus de six sepmaines en nostre voyage; car nous n'avions port� des vivres que pour ce temps l�. Et aussi ne pouvans passer � cause des brumes & tempestes que jusques � Mallebarre, o� fusmes quelques jours attendans le temps propre pour sortir, & nous voyans pressez par la necessit� des vivres, le sieur de Mons d�lib�ra de s'en retourner � l'isle de saincte Croix, afin de trouver autre lieu plus propre pour nostre habitation: ce que ne peusmes faire en toutes les costes que nous descouvrismes en ce voyage.

Et partismes de ce port, pour voir ailleurs, le 25 du mois de Juillet, o� au sortir courusmes risque de nous pardre sur la barre qui y est � l'entr�e, par la faute de nos pilottes appelez Cramolet & Champdor� 117 Maistres de la barque, qui 74/222avoient mal balliz� l'entr�e de l'achenal du cost� du su, par o� nous devions passer. Ayans evit� ce p�ril nous mismes le cap au nordest six lieues jusques au cap blanc: & de l� jusques au cap des isles continuant 15 lieues au mesme vent: puis misme le cap � l'est nordest 16 lieues jusques � Chouacoet, o� nous vismes le Capitaine sauvage Marchim, que nous avions esper� voir au lac de Quinibequy118, lequel avoit la r�putation d'estre l'un des vaillans hommes de son pays: aussi avoit il la fa�on belle, o� tous ses gestes paroissoient graves, quelque sauvage qu'il fut. Le sieur de Mons luy fit present de beaucoup de choses, dont il fut fort satisfait, & en recompense donna un jeune gar�on Etechemin, qu'il avoit prins en guerre, que nous emmenasmes avec nous, & partismes de ce lieu ensemblement bons amis, & mismes le cap au nordest quart de l'est 15 lieues, jusques � Quinibequy, o� nous arrivasmes le 29 du mois, & o� pensions trouver un sauvage appel� Sasinou, dont j'ay parl� cy dessus, que nous attendismes quelque temps, pensant qu'il deust venir, afin de retirer de luy un jeune homme & une jeune fille Etechemins, qu'il tenoit prisoniers. En l'attendant il vint � nous un capitaine appel� Anassou pour nous voir, lequel traicta quelque peu de pelleterie, & fismes allience avec luy. Il nous 75/223dit qu'il y avoit un vaisseau 119 � dix lieues du port, qui faisoit pesche de poisson, & que ceux de dedans avoient tu� cinq sauvages d'icelle riviere, soubs ombre d'amiti�: & selon la fa�on qu'il nous despeignoit les gens du vaisseau, nous les jugeasmes estre Anglois, & nommasmes l'isle o� ils estoient la nef: pour ce que de loing elle en avoit le semblance. Voyant que ledict Sasinou ne venoit point nous mismes le cap � l'est suest 20 lieues jusques � l'isle haute o� mouillasmes l'ancre attendant le jour.

Note 117: (retour)

Pierre Angibaut dit Champdor�. (Lescarbot, Muses de la Nouv. France, p. 48.)

Note 118: (retour)

Voir ci-dessus p. 49, note 1.

Note 119: (retour)

Les diff�rentes circonstances de ce r�cit prouvent que le vaisseau dont parle Anassou, �tait celui du capitaine Waymouth. 1� C'�tait un vaisseau anglais, d'apr�s la description qu'en fait le capitaine sauvage. Or il ne para�t pas qu'il soit venu aux c�tes du Maine, en 1605, d'autre vaisseau anglais que l'Arkangel, command� par George Waymouth. Il est vrai que ce vaisseau �tait reparti d�s le 26 de juin (nouveau style), c'est-�-dire, depuis plus d'un mois; mais Anassou pouvait croire qu'il �tait encore dans ces parages, vu que le capitaine anglais, avant de reprendre directement la route de l'Angleterre, �tait retourn� � son havre de la Pentec�te, situ� en face de l'�le de Monahigan. Il est possible, en outre, qu'Anassou n'ait pas dit autre chose sinon que les Anglais s'�taient retir�s � cette �le, et que les Fran�ais aient compris qu'ils y �taient encore. 2� A dix lieues du port. Pr�cis�ment � dix lieues du port ou �tait mouill�e la barque de M. de Monts, se trouve cette �le remarquable, appel�e Monahigan, qui est celle o�, suivant les critiques anglais, a d� mouiller l'Arkangel � son arriv�e, et non loin de laquelle Waymouth jeta l'ancre encore avant que de repartir; c'est cette �le que Champlain appelle la Nef. 3� Qui faisait p�che de poisson. Quoique ce ne fut pas l� le but principal du voyage de Waymouth, l'�quipage employa effectivement une bonne partie du temps � faire la p�che soit � la ligne, soit � la seine. 4� Que ceux de dedans avaient tu� cinq sauvages. Le capitaine Waymouth, ayant de bonnes raisons de croire que les sauvages voulaient le surprendre tra�treusement, r�solut de les devancer, et en fit saisir cinq d'entre eux: Sassacomouet, Maneddo, Skitouarros, Amohouet, et un sagamo du nom de Tahanedo. Anassou pouvait croire qu'on les avait tu�s; cependant le capitaine anglais au contraire les traita si bien, qu'ils parurent ensuite contents de leur sort. �Quoique, au moment de la surprise, dit Rosier, ils aient r�sist� de leur mieux, ne sachant point nos vues, ni ce que nous �tions, ou ce que nous en pr�tendions faire; cependant, d�s qu'ils virent, par nos bons traitements que nous ne leur voulions point de mal, ils ne parurent pas depuis m�contents de nous.� (Rap. du voy. de Waymouth par Rosier, Coll. de la Soc. Hist. de Mass. 3e s�rie, vol. VIII.) 5� Sauvages d'icelle rivi�re. Ces sauvages �taient donc du K�n�bec. Cette circonstance vient � l'appui de l'ing�nieuse dissertation que M. John McKeen a publi�e en 1867, dans le cinqui�me volume des Collections de la Soci�t� Historique du Maine, et dans laquelle l'auteur prouve aussi bien qu'il est possible de le faire, suivant nous, que Waymouth a visit�, non pas le P�nobscot, comme le pr�tend Belknap et quelques autres auteurs, mais bien le K�n�bec. 6� Sous ombre d'amiti�. L'intention de Waymouth n'�tait pas d'abord d'user de ruse ou de trahison avec ces sauvages. �Ayant trouv�, dit Rosier, que ce lieu r�pondait parfaitement au motif de notre voyage de d�couverte, savoir, qu'on y pouvait faire un bon �tablissement, nous trait�mes ces gens avec toute la bont� qu'il nous fut possible d'imaginer, ou dont nous les croyions capables.� Cependant, il n'est pas surprenant qu'Anassou et les autres sauvages aient attribue la conduite des Anglais � un motif qui leur paraissait assez naturel. Ainsi, le vaisseau dont parle Anassou, est �videmment celui de George Waymouth.

Le lendemain premier d'Aoust nous le mismes � l'est quelque 20 lieues jusques au cap Corneille 120 o� nous pass�mes la nuit. 76/224Le 2 du mois le mettant au nordest 7 lieues vinsmes � l'entr�e de la riviere S. Croix du cost� de l'ouest. Ayant mouill� l'ancre entre les deux premi�res isles, le sieur de Mons s'embarqua dans un canau � six lieues de l'habitation S. Croix, o� le lendemain nous arrivasmes avec nostre barque. Nous y trouvasmes le sieur des Antons de sainct Maslo, qui estoit venu en l'un des vaisseaux du sieur de Mons, pour apporter des vivres, & autres commoditez pour ceux qui devoient yverner en ce pays.

Note 120: (retour)

La carte de 1612 et les distances donn�es ici par l'auteur, permettent de croire que ce cap est dans Cross Island (ou Crow's Island?)




L'habitation qui estoit en l'isle de. S. Croix transport�e au port Royal, & pourquoy.

CHAPITRE X.

Le sieur de Mons se d�lib�ra de changer de lieu & faire une autre habitation pour esviter aux froidures & mauvais yver qu'avions eu en l'isle saincte Croix. N'ayant trouv� aucun port qui nous fut propre pour lors, & le peu de temps que nous avions � nous loger & bastir des maisons � cest effect, nous fit �quipper deux barques, que l'on chargea de la charpenterie des maisons de saincte Croix, pour la porter au port Royal, � 25 lieues de l�, o� l'on jugeoit y estre la demeure beaucoup plus douce & temp�r�e. Le Pont & moy partismes pour y aller, o� estans arrivez cerchasmes un lieu propre pour la situation de nostre logement & � l'abry du norouest, que nous redoutions pour en avoir est� fort tourmentez.

77/225Apres avoir bien cerch� d'un cost� & d'autre, nous n'en trouvasmes point de plus propre & mieux scitu� qu'en un lieu qui est un peu eslev�, autour duquel y a quelques marescages & bonnes sources d'eau.

Ce lieu est devant l'isle qui est � l'entr�e de la riviere de la Guille121: Et au nord de nous comme � une lieue, il y a un costau de montagnes, qui dure pr�s de dix lieues nordest & surouest. Tout le pays est rempli de forests tres-espoisses ainsi que j'ay dit cy dessus, horsmis une pointe qui est � une lieue & demie dans la riviere, o� il y a quelques chesnes qui y sont fort clairs, & quantit� de lambruches, que l'on pourroit deserter aisement, & mettre en labourage, neantmoins maigres & sablonneuses. Nous fusmes presque en resolution d'y bastir: mais nous considerasmes qu'eussions est� trop engouffrez dans le port & riviere: ce qui nous fit changer d'advis.

Note 121: (retour)

Rivi�re de l'Equille. �On choisit la demeure,� dit Lescarbot, �vis-�-vis de l'�le qui est � l'entr�e de la rivi�re de l'Equille, dite aujourd'hui la rivi�re du Dauphin, laquelle fut appel�e l'�quille, parce que le premier poisson qu'on y print fut une �quille.� (Liv. IV, ch. VIII et ch. III.)

Ayant donc recogneu l'assiette de nostre habitation estre bonne, on commen�a � d�fricher le lieu, qui estoit plein d'arbres; & dresser les maisons au plustost qu'il fut possible: un chacun s'y employa. Apres que tout fut mis en ordre, & la pluspart des logemens faits, le sieur de Mons se d�lib�ra de retourner en France pour faire vers sa Majest� qu'il peust avoir ce qui seroit de besoin pour son entreprise. Et pour commander audit lieu en son absence, il avoit volont� d'y laisser le sieur d'Orville: mais la maladie de terre, dont il estoit atteint, ne luy peut permettre de pouvoir satisfaire au desir dudit sieur de Mons: qui fut occasion d'en parler au 78/226Pont-grav�, & luy donner ceste charge; ce qu'il eut pour aggreable: & fit parachever de bastir ce peu qui restoit en l'habitation 122. Et moy en pareil temps je pris resolution d'y demeurer aussi, sur l'esperance que j'avois de faire de nouvelles descouvertures vers la Floride: ce que le sieur de Mons trouva fort bon.

Note 122: (retour)

�A tant, dit Lescarbot, on met la voile au vent, & demeure ledit sieur du Pont pour lieutenant par del�, lequel ne manque de promptitude (selon son naturel) � faire & parfaire ce qui estoit requis pour loger soy & les tiens: qui est tout ce qui se peut faire pour cette ann�e en ce pais la. Car de s'�loigner du parc durant l'hiver, m�mes apr�s un si long harassement: il n'y avoit point d'apparence. Et quant au labourage de la terrer je croy qu'ils n'eurent le temps commode pour y vacquer: car ledit sieur du Pont n'etoit pas homme pour demeurer en repos, ni pour laisser ses gens oisifs s'il y e�t eu moyen de ce faire.� (Liv. IV, ch. VIII.)




Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusqu'� ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit promis, on partist du port Royal pour retourner en France.

CHAPITRE XI.

Aussi tost que ledit sieur de Mons fut party, de 40 ou 45 qui resterent, une partie commen�a � faire des jardins. J'en fis aussi un pour �viter oisivet�, entour� de fossez plains d'eau, esquels y avoit de fort belles truites que j'y avois mises, & o� descendoient trois ruisseaux de fort belle eaue courante, dont la pluspart de nostre habitation se fournissoit. J'y fis une petite escluse contre le bort de la mer, pour escouler l'eau quand je voulois. Ce lieu estoit tout environn� des prairies, o� j'accomoday un cabinet avec de beaux arbres, pour y aller prendre de la fraischeur. J'y fis aussi un petit 79/227reservoir pour y mettre du poisson d'eau sall�e, que nous prenions quand nous en avions besoin. J'y semay quelques graines, qui proffiterent bien: & y prenois un singulier plaisir: mais auparavant il y avoit bien fallu travailler. Nous y allons souvent passer le temps: & sembloit que les petits oiseaux d'alentour en eussent du contentement: car ils s'y amassoient en quantit�, & y faisoient un ramage & gasouillis si aggreable, que je ne pense pas jamais en avoir ouy de semblable.

Le plan de l'habitation estoit de 10 toises de long, & 8 de large, qui font trentesix de circuit. Du cost� de l'orient est un magazin de la largeur d'icelle, & une fort belle cave de 5 � 6 pieds de haut. Du cost� du Nord est le logis du sieur de Mons eslev� d'assez belle charpenterie 123. Au tour de la basse court sont les logemens des ouvriers. A un coing du cost� de l'occident y a une platte forme, o� on mit quatre pi�ces de canon, & � l'autre coing vers l'orient est une palissade en fa�on de platte forme: comme on peut veoir par la figure suivante124.

Note 123: (retour)

C'est le logis qui correspond aux lettres N, N, dans l'abitation du port royal, dont l'auteur nous a conserv� une vue. Autant qu'on peut en juger par le dessin, ce logis devait avoir environ quarante pieds de long.

Note 124: (retour)

Dans la premi�re �dition, la figure de l'habitation �tait intercal�e dans le texte.

227a

Habitation du Port Royal

A Logemens des artisans.

B Plate forme o� estoit le canon.

C Le magasin.

D Logement du sieur de Pontgrav� & Champlain.

E La forge.

F Palissade de pieux.

G Le four,

H La cuisine.

0 Petite maisonnette o� l'on retiroit les utansiles de nos barques;

que depuis le sieur de Poitrincourt fit rebastir, & y logea le sieur

Boulay quand le sieur du Pont s'en revint en France.

P (1) La porte de l'abitation.

Q (2) Le cemetiere.

R (3) La riviere.

(1) Cette lettre manque dans le dessin; mais la porte est bien reconnaissable tant par sa figure que par l'avenue qui y aboutit—(2) K, dans le dessin—(3) L, dans le dessin.

Quelques jours apr�s que les bastiments furent achevez, je fus � la riviere S. Jean, pour chercher le sauvage appell� Secondon, lequel avoit men� les gens de Preverd � la mine de cuivre, que j'avois desja est� chercher avec le sieur de Mons, quand nous fusmes au port aux mines, & y perdismes nostre temps. L'ayant trouv�, je le priay d'y venir avec nous: ce 80/228qu'il m'accorda fort librement: & nous la vint monstrer. Nous y trouvasmes quelques petits morceaux de cuivre de l'espoisseur d'un sold; & d'autres plus, enchassez dans des rochers grisastres & rouges. Le mineur qui estoit avec nous, appell� Maistre Jaques, natif d'Esclavonie, homme bien entendu � la recherche des min�raux, fut tout au tour des costaux voir s'il trouveroit de la gangue; mais il n'en vid point: Bien trouva il � quelques pas d'o� nous avions prins les morceaux de cuivre susdit, une mani�re de mine qui en approchoit aucunement. Il dit que par l'apparence du terrouer, elle pourroit estre bonne si on y travailloit, & qu'il n'estoit croyable que dessus la terre il y eut du cuivre pur, sans qu'au fonds il n'y en eut en quantit�. La v�rit� est, que si la mer ne couvroit deux fois le jour les mines, & qu'elles ne fussent en rochers si durs, on en espereroit quelque chose.

Apres l'avoir recogneue, nous nous en retournasmes � nostre habitation, o� nous trouvasmes de nos gens malades du mal de la terre, mais non si griefvement qu'en l'isle S. Croix, bien que de 45 que nous estions il en mourut 12 dont le mineur fut du nombre, & cinq malades, qui gu�rirent le printemps venant. Nostre chirurgien appelle des Champs, de Honfleur, homme expert en son art, fit ouverture de quelques corps, pour veoir s'il recognoistroit mieux la cause des maladies, que n'avoient fait ceux de l'ann�e pr�c�dente. Il trouva les parties du corps offenc�es comme ceux qui furent ouverts en l'isle S. Croix, & ne peut on trouver rem�de pour les gu�rir non plus que les autres.

81/229Le 20 Decembre il commen�a � neger: & passa quelques glaces par devant nostre habitation. L'yver ne fut si aspre qu'il avoit est� l'ann�e d'auparavant, ny les neges si grandes, ny de si longue dur�e. Il fit entre autres choses un si grand coup de vent le 20 de Fevrier 1605 125 qu'il abbattit une grande quantit� d'arbres avec leurs racines, & beaucoup qu'il brisa. C'estoit chose estrange � veoir. Les pluyes furent assez ordinaires, qui fut occasion du peu d'yver, au regard du pass�, bien que du port Royal � S. Croix, n'y ait que 25 lieues.

Note 125: (retour)

F�vrier 1606. C'est peut-�tre par inadvertance, plut�t que par un reste de l'ancienne coutume de commencer l'ann�e � P�ques, que Champlain met ici 1605: car on peut voir plus loin, au chapitre XVI, que, d�s l'ann�e suivante, il compte exactement comme nous.

Le premier jour de Mars, Pont-grav� fit accommoder une barque du port de 17 � 18 tonneaux, qui fut preste au 15 pour aller descouvrir le long de la coste de la Floride.

Pour cet effect nous partismes le 16 ensuivant, & fusmes contraints de relascher � une isle au su de Menasne, & ce jour fismes 18 lieues, & mouillasmes l'ancre dans une ance de sable, � l'ouvert de la mer, o� le vent de su donnoit, qui se renfor�a la nuit d'une telle impetuosit� que ne peusmes tenir � l'ancre, & fallut par force aller � la coste, � la mercy de Dieu & des ondes, qui estoient si furieuses & mauvaises, que comme nous appareillions le bourcet sur l'ancre, pour apr�s coupper le c�ble sur l'escubier, il ne nous en donna le loisir car aussitost il se rompit sans coup frapper. A la ressaque le vent & la mer nous jetterent sur un petit rocher, & n'attendions que l'heure de voir briser nostre barque, pour nous sauver sur 82/230quelques esclats d'icelle, si eussions peu. En ce desespoir il vint un coup de mer si grand & favorable, apr�s en avoir receu plusieurs autres, qu'il nous fit franchir le rocher, & nous jetta en une petite playe de sable, qui nous guarentit pour ceste fois de naufrage.

La barque estant eschou�e, l'on commen�a promptement � descharger ce qu'il y avoit dedans, pour voir o� elle estoit offenc�e, qui ne fut pas tant que nous croyons. Elle fut racoustr�e promptement par la diligence de Champdor� Maistre d'icelle. Estant bien en estat on la rechargea en attendant le beau temps, & que la fureur de la mer s'apaisast, qui ne fut qu'au bout de quatre jours, s�avoir le 21 Mars, auquel sortismes de ce malheureux lieu, & fusmes au port aux Coquilles, � 7 ou 8 lieues de l�, qui est � l'entr�e de la riviere saincte Croix, o� y avoit grande quantit� de neges. Nous y arrestasmes jusques au 29 dudit mois, pour les brumes & vents contraires, qui sont ordinaires en ces saisons, que le Pont-grav� print resolution de relascher au port Royal, pour voir en quel estat estoient nos compagnons, que nous y avions laissez malades. Y estans arriv�s le Pont fut atteint d'un mal de coeur, qui nous fit retarder jusques au 8 d'Avril.

Et le 9 du mesme mois il s'embarqua, bien qu'il se trouvast encores maldispos�, pour le desir qu'il avoit de voir la coste de la Floride, & croyant que le changement d'air luy rendroit la sant�. Ce jour fusmes mouiller l'ancre & passer la nuit � l'entr�e du port, distant de nostre habitation deux lieues. Le lendemain devant le jour Champdor� vint demander au Pont-grav� 83/231s'il desiroit faire lever l'ancre, lequel luy respondit que s'il jugeoit le temps propre, qu'il partist. Sur ce propos Champdor� fit � l'instant lever l'ancre & mettre le bourcet au vent, qui estoit nort nordest, selon son rapport. Le temps estoit fort obscur, pluvieux & plain de brumes, avec plus d'aparence de mauvais que de beau temps. Comme l'on vouloit sortir de l'emboucheure du port, nous fusmes tout � un coup transportez par les mar�es hors du passage, & fusmes plustost sur les rochers du cost� de l'est norouest, que nous ne les eusmes apperceus. Le Pont & moy qui estions couchez, entendismes les matelots s'escrians & disans, Nous sommes perdus: ce qui me fit bien tost jetter sur pieds, pour voir ce que c'estoit. Du Pont estoit encores malade, qui l'empescha de se lever si promptement qu'il desiroit. Je ne fus pas sitost sur le tillac, que la barque fut jett�e � la coste & le vent se trouva nort, qui nous poussoit sur une pointe. Nous deffrelasmes la grande voille, que l'on mit au vent, & la haussa l'on le plus qu'il fut possible pour nous pousser tousjours sur les rochers, de peur que le ressac de la mar�e, qui perdoit de bonne fortune, ne nous attirast dedans, d'o� il eust est� impossible de nous sauver. Du premier coup que nostre barque donna sur les rochers le gouvernail fut rompu, une partie de la quille, & trois ou quatre planches enfonc�es, avec quelques membres brisez, qui nous donna estonnement: car nostre barque s'emplit incontinent; & ce que nous peusmes faire, fut d'attendre que la mer se retirast de dessoubs, pour mettre pied � terre: car autrement nous courions risque de la vie, � cause 84/232de la houlle qui estoit fort grande & furieuse au tour de nous. La mer estant donc retir�e nous descendismes � terre par le temps qu'il faisoit, o� promptement on deschargea la barque de ce qu'il y avoit, & sauvasmes une bonne partie des commoditez qui y estoient, � l'aide du Capitaine sauvage Secondon, & de ses compagnons, qui vindrent � nous avec leurs canots, pour reporter en nostre habitation ce que nous avions sauv� de nostre barque, laquelle toute fracass�e s'en alla au retour de la mer en plusieurs pi�ces: & nous bien heureux d'avoir la vie sauve retournasmes en nostre habitation avec nos pauvres sauvages, qui y demeur�rent presque une bonne partie de l'yver, o� nous louasmes Dieu de nous avoir preservez de ce naufrage, dont n'esperions sortir � si bon march�.

La perte de nostre barque nous fit un grand desplaisir, pour nous voir, � faute de vaisseau, hors d'esperance de parfaire le voyage que nous avions entreprins, & de n'en pouvoir fabriquer un autre, car le temps nous pressoit, bien qu'il y eust encore une barque sur les chantiers: mais elle eut est� trop long temps � mettre en estat, & ne nous en eussions peu servir qu'au retour des vaisseaux de France, qu'attendions de jour en autre.

Ce fut une grande disgrace, & faute de prevoyance au Maistre, qui estoit opiniastre & peu entendu au fait de la marine, qui ne croioit que sa teste. Il estoit bon Charpentier, adroit � fabriquer des vaisseaux, & soigneux de les accommoder de choses necessaires: mais il n'estoit nullement propre � les conduire. Le Pont estant � l'habitation, fit informer � l'encontre de 85/233Champdor�, qui estoit accus� d'avoir malicieusement mis nostre barque � la coste; & sur ses informations fut emprisonn� & emmenott�, d'autant qu'on le vouloit mener en France pour le mettre entre les mains du sieur de Mons, & en requ�rir justice.

Le 15 de Juin le Pont voyant que les vaisseaux de France ne revenoient point, fit desemmenotter Champdor� pour parachever la barque qui estoit sur les chantiers, lequel s'aquitta fort bien de son devoir.

Et le 16 juillet, qui estoit le temps que nous nous devions retirer, au cas que les vaisseaux ne fussent revenus, ainsi qu'il estoit port� par la commission qu'avoit donn�e le sieur de Monts au Pont, nous partismes de nostre habitation pour aller au cap Breton ou � Gasp�, chercher le moyen de retourner en France, puis que nous n'en n'avions aucunes nouvelles.

Il y eust deux de nos hommes126 qui demeur�rent de leur propre volont� pour prendre garde � ce qui restoit des commoditez en l'habitation, � chacun desquels le Pont promit cinquante escus en argent, & cinquante autres qu'il devoit faire valoir leur practique, en les venant requ�rir l'ann�e suivante.

Note 126: (retour)

Lescarbot nous a conserv� les noms de ces deux braves: l'un s'appelait La Taille, et l'autre Miquelet. �Je ne puis que je ne loue, dit-il, le gentil courage de ces deux hommes... & m�ritent bien d'�tre ici enchass�es, pour avoir expos� si librement leurs vies � la conservation du bien de la Nouvelle-France. Car le sieur du Pont n'ayant qu'une barque & une patache, pour venir chercher vers la Terre-neuve des navires de France, ne pouvoit se charger de tant de meubles, blez, farines & marchandises, qui etoient par-del�, l�quels il e�t fallu jetter dans la mer (ce qui e�t �t� � notre grand prejudice, & en avions bien peur) si ces deux hommes n'eussent pris le hazard de demeurer l� pour la conservation de ces choses. Ce qu'ilz firent volontairement, & de gayet� de coeur.� (Liv. IV, ch. XII.)

86/234Il y eut un Capitaine des sauvages appell� Mabretou127 qui promit de les maintenir, & qu'ils n'auroient non plus de deplaisir que s'ils estoient ses propres enfans. Nous l'avions recogneu pour bon sauvage en tout le temps que nous y fusmes, bien qu'il eust le renom d'estre le plus meschant & traistre qui fut entre ceux de sa nation.

Note 127: (retour)

Lescarbot et le P. Biard �crivent Membertou.




Partement du port Royal pour retourner en France. Rencontre de Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrouser chemin.

CHAPITRE XII.

Le 17 du mois, suivant la resolution que nous avions prise, nous partismes de l'emboucheure du port Royal avec deux barques, l'une du port de 18 tonneaux, & l'autre de 7 � 8 pour parfaire la routte du cap Breton ou de Campseau & vinsmes mouiller l'ancre au destroit de l'isle Longue, o� la nuit nostre c�ble rompit & courusmes risque de nous perdre par les grandes mar�es qui jettent sur plusieurs pointes de rochers, qui sont dans & � la sortie de ce lieu: Mais par la diligence d'un chacun on y rem�dia & fit on en sorte qu'on en sortit pour ceste fois.

Le 21 du mois il vint un grand coup de vent qui rompit les ferremens de nostre gouvernail entre l'isle Longue & le cap fourchu, & nous mit en telle peine, que nous ne s�avions de quel bois faire flesches: car d'aborder la terre, la furie de la mer ne le permettoit pas, par ce qu'elle brisoit haute comme 87/235des montaignes le long de la coste: de fa�on que nous resolusmes plustost mourir � la mer, que d'aborder la terre, sur l'esperance que le vent & la tourmente s'appaiseroit, pour puis apr�s ayant le vent en pouppe aller eschouer en quelque playe de sable. Comme chacun pensoit � part soy � ce qui seroit de faire pour nostre seuret�, un matelot dit, qu'une quantit� de cordages attachez au derri�re de la barque, & tra�nant en l'eau, nous pourroit aucunement servir pour gouverner nostre vaisseau, mais ce fut si peu que rien, & vismes bien que si Dieu ne nous aidoit d'autres moyens, celuy l� ne nous eust guarentis du naufrage. Comme nous estions pensifs � ce qu'on pourroit faire pour nostre seuret�, Champdor�, qu'on avoit de rechef emmenott�, dit � quelques uns de nous, que si le Pont vouloit qu'il trouveroit moyen de faire gouverner nostre barque: ce que nous rapportasmes au Pont, quine refusa pas cette offre, & les autres encore moins. Il fut donc desemmenott� pour la seconde fois, & quant & quant prist un c�ble qu'il coupa, & en accommoda fort dextrement le gouvernail & le fit aussi bien gouverner que jamais il avoit fait: & par ce moyen repare les fautes qu'il avoit commises � la premi�re barque qui fut perdue: & fut lib�r� de ce dont il avoit est� accus�, par les pri�res que nous en fismes au Pont-grav� qui eut un peu de peine � s'y resoudre.

Ce jour mesme fusmes mouiller l'ancre prez la baye courante, � deux lieues du cap fourchu, & l� fut racommod�e la barque.

Le 23 du mois de Juillet fusmes proche du cap de Sable.

88/236Le 24 du dit mois sur les deux heures du soir nous apper�eusmes une chalouppe, proche de l'isle aux cormorans, qui venoit du cap de Sable, qu'aucuns jugeoient estre des sauvages qui se retiroient du cap Breton, ou de l'isle de Campseau: D'autres disoient que ce pouvoit estre des chalouppes qu'on envoyoit de Campseau pour s�avoir de nos nouvelles. Enfin approchant plus prez on vid que c'estoient Fran�ois, ce qui nous resjouit fort: Et comme elle nous eust presque joints, nous recogneusmes Ralleau Secr�taire du sieur de Mons, ce qui nous redoubla le contentement. Il nous fit entendre que le sieur de Mons envoyoit un vaisseau de six vingts tonneaux 128, & que le sieur de Poitrincourt y commandoit, & estoit venu pour Lieutenant g�n�ral, & demeurer au pays avec cinquante hommes: & qu'il avoit mis pied � terre � Campseau, d'o� ledit vaisseau avoit pris la plaine mer, pour voir s'il ne nous descouvriroit point, cependant que luy s'en venoit le long de la coste dans une chalouppe pour nous rencontrer au cas qu'y fussions en chemin, croyans que serions partis du port Royal, comme il estoit bien vray: Et en cela firent fort sagement. Toutes ces nouvelles nous firent rebrousser chemin; & arrivasmes au port Royal le 25 129 du mois, o� nous trouvasmes ledict vaisseau, & le sieur de Poitrincourt, ce qui nous apporta beaucoup de resjouissance, 89/237pour voir renaistre ce qui estoit hors d'esperance. Il nous dit que ce qui avoit caus� son retardement estoit un accident qui estoit survenu au vaisseau, au sortir de la chaine de la Rochelle, d'o� il estoit party, & avoit est� contrari� du mauvais temps sur son voyage 130.

Note 128: (retour)

C'�tait le Jonas, o� se trouvait Lescarbot.

Note 129: (retour)

Le 31 juillet, qui �tait un lundi. Pour que Pont-Grav� et Champlain eussent pu retourner au port Royal dans l'espace d'environ vingt-quatre heures, il e�t fallu un concours de circonstances si exceptionnelles, que l'auteur n'aurait pas manqu� de le faire observer. En outre, quand ils arriv�rent � Port-Royal, le vaisseau et M. de Poutrincourt y �taient d�j� rendus: or, suivant Lescarbot, qui, en cet endroit, donne toutes les dates de ces diverses circonstances, le vaisseau entra dans le port le jeudi 27 de juillet, et Pont-Grav� arriva �le lundi dernier jour de juillet.� (Liv. IV, ch. XIII.)

Note 130: (retour)

Toutes ces circonstances sont rapport�es en d�tail dans Lescarbot, liv. IV, chapitres IX-XIII.

Le lendemain le sieur de Poitrincourt commen�a � discourir de ce qu'il devoit faire, & avec l'advis d'un chacun se resolut de demeurer au port Royal pour ceste ann�e, d'autant que l'on n'avoit descouvert aucune chose depuis le sieur de Mons, & que quatre mois qu'il y avoit jusques � l'yver n'estoit assez pour chercher & faire une autre habitation: encore avec un grand vaisseau, qui n'est pas comme une barque, qui tire peu d'eau, furette par tout, & trouve des lieux � souhait pour faire des demeures: mais que durant ce temps on iroit seulement recognoistre quelque endroit plus commode pour nous loger131.

Note 131: (retour)

Tout en d�cidant qu'on hivernerait encore � Port-Royal, parce qu'on n'avait pu, jusqu'ici, trouver de lieu plus commode, M. de Poutrincourt devait suivre les instructions que lui avait donn�es M. de Monts, � son d�part de France. �Le sieur de Monts, dit Lescarbot, ayant desir� de s'�lever au su tant qu'il pourroit & chercher un lieu bien habitable par del� Malebarre, avoit pri� le sieur de Poutrincourt de passer plus loin qu'il n'avoit �t�, & chercher un port convenable en bonne temp�rature d'air, ne faisant plus de cas de Port-Royal que de sainte Croix, pour ce qui regarde la sant�. A quoy voulant obtemp�rer le dit sieur de Poutrincourt, il ne voulut attendre le printemps, sachant qu'il auroit d'autres exercices � s'occuper.�

Sur ceste resolution le sieur de Poitrincourt envoya aussitost quelques gens de travail au labourage de la terre, en un lieu qu'il jugea propre, qui est dedans la riviere, � une lieue & demie de l'habitation du port Royal, o� nous pensames faire 90/238nostre demeure 132, & y fit semer du bled, seigle, chanvre, & plusieurs autres graines, pour voir ce qu'il en reussiroit. Le 22 d'Aoust, on advisa une petite barque qui tiroit vers nostre habitation. C'estoit des Antons de S. Maslo, qui venoit de Campseau, o� estoit son vaisseau133, � la pesche du poisson, pour nous donner advis qu'il y avoit quelques vaisseaux au tour du cap Breton qui traittoient de pelleterie 134, & que si on vouloit envoyer nostre navire, il les prendroit en s'en retournant en France: ce qui fut resolu apr�s qu'il seroit descharg� des commodit�s qui estoient dedans.

Note 132: (retour)

Voir ci-dessus p. 77. C'est pr�cis�ment le lieu o� est maintenant Annapolis, au sud de la rivi�re de l'�quille (aujourd'hui rivi�re d'Annapolis), et pr�s de l'endroit o� la rivi�re du Moulin se jette dans celle de l'�quille.

Note 133: (retour)

Le Saint-�tienne.

Note 134: (retour)

�Quant au sieur du Pont, dit Lescarbot, il deliberoit en passant d'attaquer un marchand de Rouen nomm� Boyer (lequel contre les deffenses du Roy �toit all� par del� troquer avec les Sauvages, apr�s avoir �t� d�livr� des prisons de la Rochelle par le consentement du sieur de Poutrincourt, & souz promesse qu'il n'iroit point) mais il �toit ja parti.� (Liv. IV, ch. XIII.)

Ce qu'estant fait, du Pont-grav� s'enbarqua dedans avec le reste de ses compagnons qui avoient demeur� l'yver avec luy au port Royal, horsmis quelques uns, qui fut Champdor� & Foulgere de Vitr�. J'y demeuray aussi avec le sieur de Poitrincourt, pour moyennant l'aide de Dieu, parfaire la carte des costes & pays que j'avois commenc�. Toutes choses mises en ordre en l'habitation, le sieur de Poitrincourt fit charger des vivres pour nostre voyage de la coste de la Floride.

Et le 29 d'Aoust partismes du port Royal quant & Pont-grav�, & des Antons qui alloient au cap Breton & � Campseau pour se saisir des vaisseaux qui fesoient traitte de pelleterie, comme j'ay dit cy dessus. Estans � la mer nous fusmes contraints de relascher au port pour le mauvais vent qu'allions. Le grand vaisseau tint tousjours sa route & bientost le perdismes de veue.




91/239 Le sieur de Poitrincourt part du port Royal pour faire des descouvertures. Tout ce que l'on y vid: & ce qui y arriva jusques � Male-barre.

CHAPITRE XIII.

Le 5 Septembre nous partismes de rechef du port Royal 135.

Note 135: (retour)

D'apr�s Lescarbot, M. de Poutrincourt rel�cha par deux fois. �Quant au sieur de Poutrincourt, dit-il, il print la volte de l'ile sainte Croix premi�re demeure des Fran�ois, ayant Champdor� pour ma�tre & conducteur de sa barque, mais contrari� du vent, & pour ce que sa barque faisoit eau, il fut contraint de rel�cher par deux fois.�

Le 7 nous fusmes � rentr�e de la riviere S. Croix, o� trouvasmes quantit� de sauvages, entre autres Secondon & Messamouet. Nous nous y pensames perdre contre un islet de rochers, par l'opiniastret� de Champdor�, � quoy il estoit fort subject.

Le lendemain fusmes dedans une chalouppe � l'isle de S. Croix, o� le sieur de Mons avoit yvern�, voir si nous trouverions quelques espics du bled, & autres graines qu'il y avoit fait semer. Nous trouvasmes du bled qui estoit tomb� en terre, & estoit venu aussi beau qu'on eut sceu desirer136, & quantit� d'herbes potag�res qui estoient venues belles & grandes: cela nous resjouit infiniment, pour voir que la terre y estoit bonne & fertile.

Note 136: (retour)

Monsieur de Poutrincourt �nous en envoya au Port Royal, dit Lescarbot, o� j'�tois demeur�, ayant �t� de ce pri� pour avoir l'oeil � la maison, & maintenir ce qui y restoit de gens en concorde. A quoy j'avoy condescendu (encores que cela eust �t� laiss� � ma volont�) pour l'asseurance que nous nous donnions que l'an suivant l'habitation se seroit en pa�s plus chaut par del� Malebarre, & que nous irions tous de compagnie avec ceux qu'on nous envoyeroit de France. Pendant ce temps je me mis � pr�parer de la terre, & faire des cl�tures & compartimens de jardins pour y semer des l�gumes, & herbes de m�nage. Nous fimes aussi faire un foss� tout � l'entour du Fort, lequel �toit bien necessaire pour recevoir les eaux & humidit�s qui paravant decouloient par dessouz les logemens parmi les racines des arbres qu'on y avoit d�frichez: ce qui paraventure rendoit le lieu mal sain.� (Liv. IV, ch. XIII.)

92/240Apres avoir visit� l'isle, nous retournasmes � nostre barque, qui estoit du port de 18 tonneaux, & en chemin prismes quantit� de maquereaux, qui y sont en abondance en ce temps l�; & se resolut on de continuer le voyage le long de la coste, ce qui ne fut pas trop bien consider�: d'autant que nous perdismes beaucoup de temps � repasser sur les descouvertures que le sieur de Mons avoit faites jusques au port de Malebarre, & eut est� plus � propos, selon mon opinion, de traverser du lieu o� nous estions jusques audict Malebarre, dont on s�avoit le chemin, & puis employer le temps jusques au 40� degr�, ou plus su, & au retour revoir toute la coste � son plaisir.

Apr�s ceste resolution nous prismes avec nous Secondon & Messamouet, qui vindrent jusques � Chouacoet dedans une chalouppe, o� ils vouloient aller faire amiti� avec ceux du pays en leur faisant quelques presens.

Le 12 de Septembre nous partismes de la riviere saincte Croix.

93/241Le 21137 arrivasmes � Chouacoet, o� nous vismes Onemechin chef de la riviere, & Marchin, lesquels avoient fait la cueillette de leur bleds. Nous vismes des raisins � l'isle de Bacchus qui estoient meurs, & assez bons: & d'autres qui ne l'estoient pas, qui avoient le grain aussi beau que ceux de France, & m'asseure que s'ils estoient cultivez, on en feroit de bon vin.

Note 137: (retour)

Lescarbot nous donne sur cette navigation de Sainte-Croix � Chouacouet, quelques d�tails que Champlain omet sans doute parce qu'il �tait ennuy� de suivre le m�me chemin, et qu'il avait d�j� d�crit tous ces lieux, �Revenons au sieur de Poutrincourt, dit-il, lequel nous avons laiss� en l'ile Sainte-Croix. Apres avoir l� fait une reveue, & caress� les Sauvages qui y �toient, il s'en alla en quatre jours � Pemptegoet, qui est ce lieu tant renomm� souz le nom de Norombega. Et ne falloit un si long temps pour y parvenir, mais il s'arr�ta sur la route � faire racoutrer sa barque: car � cette fin il avoit men� un serrurier & un charpentier, & quantit� d'ais. Il traversa les iles qui sont � l'embouchure de la rivi�re, & vint � Kinibeki, l� o� sa barque fut en p�ril �-cause des grans courans d'eaux que la nature du lieu y fait. C'est pourquoy il ne s'y arr�ta point, ains passa outre � la Baye de Marchin, qui est le nom d'un Capitaine Sauvage, lequel � l'arriv�e dudit sieur commen�a � crier hautement H�, h�: A quoy on lui r�pondit de m�me. Il r�pliqua demandant en son langage: Qui �tes-vous? On lui dit que c'�toient amis. Et l� dessus � l'approcher le sieur de Poutrincourt traita amiti� avec lui, & lui fit des presens de couteaux, haches, & Matachiaz, c'est � dire �charpes, carquans, & brasselets faits de paten�tres, ou de tuyaux de verre blanc & bleu, dont il fut fort aise, m�me de la conf�d�ration que ledit sieur de Poutrincourt faisoit avec lui, reconnoissant bien que cela lui feroit beaucoup de support. Il distribua � quelques uns d'un grand nombre de peuple qu'il avoit autour de soy, les presens dudit sieur de Poutrincourt, auquel il apporta force chairs d'Orignac, ou Ellan (car les Basques appellent un Cerf, ou Ellan, Orignac) pour refraichir de vivres la compagnie. Cela fait, on tendit les voiles vers Chouakoet.� (Liv. IV, ch. XIV.)

En ce lieu le sieur de Poitrincourt retira un prisonnier qu'avoit Onemechin, auquel Messamouet fit des presens de chaudi�res, haches, cousteaux, & autres choses138. Onemechin luy en fit au r�ciproque, de bled d'Inde, cytrouilles, febves du Bresil: ce qui ne contenta pas beaucoup ledit Messamouet, qui partit d'avec eux fort mal content, pour ne l'avoir pas bien recogneu, de ce qu'il leur avoit donn�, en dessein de leur 94/242faire la guerre en peu de temps: car ces nations ne donnent qu'en donnant, si ce n'est � personnes qui les ayent bien obligez, comme de les avoir assistez en leurs guerres.

Note 138: (retour)

�Messamouet, capitaine en la rivi�re du port de la Heve, sur lequel on avoit pris ce prisonier,� & Secondon �avoient force marchandises troqu�es avec les Fran�ois, l�quelles ilz venoient l� d�biter, s�avoir chaudi�res grandes, moyennes, & petites, haches, couteaux, robbes, capots, camisoles rouges, pois, f�ves, biscuit, & autres choses. Sur ce voici arriver douze ou quinze bateaux pleins de Sauvages de la sujetion d'_Olmechin, iceux en bon ordre, tous peintur�s � la face, selon leur coutume, quand ilz veulent �tre beaux, ayans l'arc, & la fl�che en main, & le carquois aupr�s d'eux, l�quels ilz mirent bas � bord. A l'heure Messamoet commence � haranguer devant les Sauvages, leur remontrant comme par le pass� ils avoient eu souvent de l'amiti� ensemble; & qu'ilz pourroient facilement domter leurs ennemis s'ils se vouloient entendre, & se servir de l'amiti� des Fran�ois, l�quels ils voyoient l� presens pour reconoitre leur pais, � fin de leur porter des commodit�s � l'avenir, & les secourir de leurs forces, l�quelles il s�avoit, & les leur representoit d'autant mieux, que lui qui parloit �toit autrefois venu en France, & y avoit demeur� en la maison du sieur de Grandmont Gouverneur de Bayonne. Somme, il fut pr�s d'une heure � parler avec beaucoup de v�h�mence & d'affection, & avec un contournement de corps & de bras tel qu'il est requis en un bon Orateur. Et � la fin jetta toutes ses marchandises (qui valoient plus de trois cens escus rendues en ce pa�s-l�) dans le bateau d'Olmechin, comme lui faisant present de cela en asseurance de l'amiti� qu'il lui vouloit t�moigner. Cela fait la nuit s'approchoit, & chacun se retira.� (Lescarbot, liv, IV, ch. XIV.)

Continuant nostre routte, nous allasmes au cap aux isles, o� fusmes un peu contrariez du mauvais temps & des brumes; & ne trouvasmes pas beaucoup d'apparence de passer la nuit: d'autant que le lieu n'y estoit pas propre. Comme nous estions en ceste peine, il me resouvint, que rengeant la coste avec le sieur de Mons, j'avois, � une lieue de l�, remarqu� en ma carte un lieu, qui avoit apparence d'estre bon pour vaisseaux, ou n'entrasmes point � cause que nous avions le vent propre � faire nostre routte, lors que nous y passames. Ce lieu estoit derri�re nous, qui fut occasion que je dis au sieur de Poitrincourt qu'il faloit relascher � une pointe que nous y voiyons, o� estoit le lieu dont il estoit question, lequel me sembloit estre propre pour y passer la nuit. Nous fusmes mouiller l'ancre � l'entr�e, & le lendemain entrasmes dedans.

Le sieur de Poitrincourt y mit pied � terre avec huit ou dix de nos compagnons. Nous vismes de fort beaux raisins qui estoient � maturit�, pois du Bresil, courges, cytrouilles, & des racines qui sont bonnes, tirant sur le goust de cardes, que les sauvages cultivent. Il nous en firent quelques presens en contr'eschange d'autres petites bagatelles qu'on leur donna. Ils avoient desja fait leur moisson. Nous vismes 200 sauvages en ce lieu, qui est assez aggreable, & y a quantit� de noyers, cypr�s, sasafras, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont tresbeaux. Le chef de ce lieu s'appelle Quiouhamenec, qui nous 95/243vint voir avec un autre sien voisin nomm� Cohouepech, � qui nous fismes bonne ch�re. Onemechin chef de Chouacoet nous y vint aussi voir, � qui on donna un habit qu'il ne garda pas long temps, & en fit present � un autre, � cause qu'estant gesn� dedans il ne s'en pouvoit accommoder. Nous vismes aussi en ce lieu un sauvage qui se blessa tellement au pied, & perdit tant de sang, qu'il en tomba en syncope, autour duquel en vint nombre d'autres chantans un espace de temps devant que de luy toucher: apr�s firent quelques gestes des pieds & des mains, & luy secouerent la teste, puis le soufflant il revint � luy. Nostre chirurgien le pensa, & ne laissa apr�s de s'en aller gayement.

Le lendemain comme on calfeustroit nostre chalouppe, le sieur de Poitrincourt apperceut dans le bois quantit� de sauvages, qui venoyent en intention de nous faire quelque desplaisir, se rende � un petit ruisseau qui est sur le destroit d'une chauss�e, qui va � la grande terre, o� de nos gens blanchissoient du linge. Comme je me pourmenois le long d'icelle chauss�e ces sauvages m'apper�eurent, & pour faire bonne mine, � cause qu'ils virent bien que je les avois descouvers en pareil temps, ils commancerent � s'escrier & se mettre � danser: puis s'en vindrent � moy avec leurs arcs, flesches, carquois & autres armes. Et d'autant qu'il y avoit une prairie entre eux & moy, je leur fis signe qu'ils redansassent; ce qu'ils firent en rond, mettant toutes leurs armes au milieu d'eux. Ils ne faisoient presque que commencer, qu'ils adviserent le sieur de Poitrincourt dedans le bois avec 96/244huit arquebusiers, ce qui les estonna: toutesfois ne laisserent d'achever leur danse, laquelle estant finie, ils se retir�rent d'un cost� & d'autre, avec apprehention qu'on ne leur fit quelque mauvais party: Nous ne leur dismes pourtant rien, & ne leur fismes que toutes demonstrations de resjouinance; puis nous revinsmes � nostre chalouppe pour la mettre � l'eaue, & nous en aller. Ils nous pri�rent de retarder un jour, disans qu'il viendroit plus de deux mil hommes pour nous voir: mais ne pouvans perdre temps, nous ne voulusmes diferer d'avantage. Je croy que ce qu'ils en fesoient estoit pour nous surprendre. Il y a quelques terres desfrich�es, & en desfrichoient tous les jours: en voicy la fa�on. Ils couppent les arbres � la hauteur de trois pieds de terre, puis font brusler les branchages sur le tronc, & sement leur bled entre ces bois couppez: & par succession de temps ostent les racines. Il y a aussi de belles prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce port est tresbeau & bon, o� il y a de l'eau assez pour les vaisseaux, & o� on se peut mettre � l'abry derri�re des isles. Il est par la hauteur de 43 degrez de latitude; & l'avons nomm� le Beau-port 139.

Note 139: (retour)

Aujourd'hui Gloucester.

244a

Le beau port.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu o� estoit nostre barque.

B Prairies.

C Petite isle.

D Cap de rocher.

E Le lieu o� l'on faisoit calfeutrer nostre chalouppe.

F [f] Petit islet de rochers assez haut � la coste.

G Cabanes des sauvages, & o� ils labourent la terre.

H Petite riviere o� il y a des prairies.

I Ruisseau.

L Langue de terre plaine de bois o� il y a quantit� de safrans, noyers &

vignes.

M La mer d'un cul de sac en tournant le cap aux isles.

N Petite riviere.

0 Petit ruisseau venant des preries.

P Autre petit ruisseau o� l'on blanchissoit le linge.

Q Troupe de sauvages venant pour nous surprendre.

R Playe de sable.

S La coste de la mer.

T Le sieur de Poitrincourt en embuscade avec quelque 7 ou 8 arquebusiers.

V Le sieur de Champlain apersevant les sauvages.

Le dernier de Septembre nous partismes du beau port, & pass�mes par le cap S. Louys, & fismes porter toute la nuit pour gaigner le cap blanc. Au matin une heure devant le jour nous nous trouvasmes � vau le vent du cap blanc en la baye blanche � huict pieds d'eau, esloignez de la terre une lieue, o� nous mouillasmes l'ancre, pour n'en approcher de plus pr�s, en 97/245attendant le jour; & voir comme nous estions de la mar�e. Cependant envoyasmes sonder avec nostre chalouppe, & ne trouva on plus de huit pieds d'eau: de fa�on qu'il fallut d�lib�rer attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau diminua jusques � cinq pieds, & nostre barque talonnoit quelquefois sur le sable: toutesfois sans s'offencer ny faire aucun dommage: Car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de trois pieds d'eau soubs nous, lors que la mer commen�a � croistre, qui nous donna beaucoup d'esperance.

Le jour estant venu nous apperceusmes une coste de sable fort basse, o� nous estions le travers plus � vau le vent, & d'o� on envoya la chalouppe pour sonder vers un terrouer, qui est assez haut, o� on jugeoit y avoir beaucoup d'eau; & de fait on y en trouva sept brasses. Nous y fusmes mouiller l'ancre, & aussitost appareillasmes la chalouppe avec neuf ou dix hommes, pour aller � terre voir un lieu o� jugions y avoir un beau & bon port pour nous pouvoir sauver si le vent se fut eslev� plus grand qu'il n'estoit. Estant recogneu nous y entrasmes � 2, 3 & 4 brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5 & 6. Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux Huistres 140: & est par la hauteur de 42 degrez 141 de latitude. Il y vint � nous trois canots de sauvages. Ce jour le vent nous vint favorable, qui fut cause que nous levasmes l'ancre pour aller 98/246au Cap blanc, distant de ce lieu de 5 lieues, au Nord un quart du Nordest, & le doublasmes.

Note 140: (retour)

La baie de Barnstable. Il semble qu'elle ait l�gu� son ancien nom � une baie plus petite qu'elle renferme et que l'on appelle baie aux Hu�tres (Oysters Bay).

Note 141: (retour)

L'entr�e du port aux Hu�tres est par les 41� 45'.

Le lendemain 2 d'Octobre arrivasmes devant Malebarre, o� sejournasmes quelque temps pour le mauvais vent qu'il faisoit, durant lequel, le sieur de Poitrincourt avec la chalouppe accompagn� de 12 � 15 hommes, fut visiter le port, o� il vint au-devant de luy quelque 150 sauvages, en chantant & dansant, selon leur coustume. Apres avoir veu ce lieu nous nous en retournasmes en nostre vaisseau, o� le vent venant bon, fismes voille le long de la coste courant au Su.




Continuation des susdites descouvertures: & ce qui y fut remarqu� de singulier.

CHAPITRE XIV.

Comme nous fusmes � quelque six lieues de Malebarre, nous mouillasmes l'ancre proche de la coste, d'autant que n'avions bon vent. Le long d'icelle nous advisames des fum�es que faisoient les sauvages: ce qui nous fit d�lib�rer de les aller voir: pour cet effect on esquipa la chalouppe: Mais quand nous fusmes proches de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes l'aborder: car la houlle estoit trop grande: ce que voyant les sauvages, ils mirent un canot � la mer, & vindrent � nous 8 ou 9 en chantans, & faisans signes de la joye qu'ils avoient de nous voir, & nous monstrerent que plus bas il y avoit un port, o� nous pourrions mettre nostre barque en seuret�.

99/247Ne pouvant mettre pied � terre, la chalouppe s'en revint � la barque, & les sauvages retourn�rent � terre, qu'on avoit traict� humainement.

Le lendemain le vent estant favorable nous continuasmes notre routte au Nord142 5 lieues, & n'eusmes pas plustost fait ce chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau estans esloignez une lieue & demie de la coste: Et allans un peu de l'avant, le fonds nous haussa tout � coup � brasse & demye & deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehention, voyant la mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel nous pussions retourner sur nostre chemin: car le vent y estoit enti�rement contraire.

Note 142: (retour)

Il faut lire au sud, comme le prouve assez cette expression continuasmes notre routte; c'est, du reste, ce que donne � entendre tout le contexte.

De fa�on qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable, il fallut passer au hasart, selon que l'on pouvoit juger y avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que quatre pieds au plus: & vinsmes parmy ces brisans jusques � 4 pieds & demy: Enfin nous fismes tant, avec la gr�ce de Dieu, que nous passames par dessus une pointe de sable, qui jette pr�s de trois lieues � la mer, au Su Suest, lieu fort dangereux. Doublant ce cap que nous nommasmes le cap batturier, qui est � 12 ou 13 lieues de Malebarre143, nous mouillasmes l'ancre � deux brasses & demye d'eau, d'autant que nous nous voiyons entournez de toutes parts de brisans & battures, reserv� en quelques endroits o� la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On envoya la chalouppe pour trouver en achenal, � fin d'aller � un 100/248lieu que jugions estre celuy que les sauvages nous avoient donn� � entendre: & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere, o� pourrions estre en seuret�.

Note 143: (retour)

La t�te de Sankaty (Sankaty Head), qui fait la pointe sud-est la plus avanc�e de l'�le Nantucket.

Nostre chalouppe y estant, nos gens mirent pied � terre, & considererent le lieu, puis r�unirent avec un sauvage qu'ils amen�rent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions entrer, ce qui fut resolu, & aussitost levasmes l'ancre, & fusmes par la conduite du sauvage, qui nous pilotta, mouiller l'ancre � une rade qui est devant le port, � six brasses d'eau & bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans � cause que la nuit nous surprint.

Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc de sable qui est � l'embouchure du port: puis la plaine mer venant y entrasmes � deux brasses d'eau. Comme nous y fusmes, nous louasmes Dieu d'estre en lieu de seuret�. Nostre gouvernail s'estoit rompu, que l'on avoit accommod� avec des cordages, & craignions que parmy ces basses & fortes mar�es il ne rompist de rechef, qui eut est� cause de nostre perte. Dedans ce port il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine mer deux brasses, � l'Est y a une baye qui refuit au Nort quelque trois lieues, dans laquelle y a une isle & deux autres petits culs de sac, qui d�corent le pays, o� il y a beaucoup de terres d�frich�es, & force petits costaux, o� ils font leur labourage de bled & autres grains, dont ils vivent. Il y a aussi de tresbelles vignes, quantit� de noyers, chesnes, cypr�s, & peu de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du labourage & font provision de bled d'Inde pour l'yver, lequel ils conservent en la fa�on qui ensuit.

101/249Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le sable quelque cinq � six pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds & autres grains qu'ils mettent dans de grands tacs d'herbe, qu'ils jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de sable trois ou quatre pieds par dessus le superfice de la terre, pour en prendre � leur besoin, & ce conserve aussi bien qu'il s�auroit faire en nos greniers.

Nous vismes en ce lieu quelque cinq � six cens sauvages, qui estoient tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une petite peau de faon, ou de loup marin. Les femmes le sont aussi, qui couvrent la leur comme les hommes de peaux ou de fueillages. Ils ont les cheveux bien peignez & entrelassez en plusieurs fa�ons, tant hommes que femmes, � la mani�re de ceux de Chouacoet; & sont bien proportionnez de leurs corps, ayans le teinct olivastre. Ils se parent de plumes, de patenostres de porceline, & autres jolivet�s qu'ils accommodent fort proprement en fa�on de broderie. Ils ont pour armes des arcs, flesches & massues. Ils ne sont pas si grands chasseurs comme bons pescheurs & laboureurs.

Pour ce qui est de leur police, gouvernement & cr�ance, nous n'en avons peu juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre que nos sauvages Souriquois, & Canadiens, lesquels n'adorent ny la lune ny le soleil, ny aucune chose, & ne prient non plus que les bestes: Bien ont ils parmy eux quelques gens qu'ils disent avoir intelligence avec le Diable, � qui ils ont grande croyance, lesquels leur disent tout ce qui leur doit advenir, o� ils mentent le plus souvent: Quelques fois ils peuvent bien 102/250rencontrer, & leur dire des choses semblables � celles qui leur arrivent; c'est pourquoy ils ont croyance en eux, comme s'ils estoient Proph�tes, & ce ne sont que canailles qui les enjaulent comme les Aegyptiens & Boh�miens font les bonnes gens de vilage. Ils ont des chefs � qui ils obeissent en ce qui est de la guerre, mais non autrement, lesquels travaillent, & ne tiennent non plus de rang que leurs compagnons. Chacun n'a de terre que ce qui luy en faut pour sa nourriture.

Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond, couverts de natte faite de senne ou fueille de bled d'Inde, garnis seulement d'un lict ou deux, eslev�s un pied de terre, faicts avec quantit� de petits bois qui sont pressez les uns contre les autres, dessus lesquels ils dressent un estaire � la fa�on d'Espaigne (qui est une mani�re de natte espoisse de deux ou trois doits) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre de pulces en est�, mesme parmy les champs: Un jour en nous allant pourmener nous en prismes telle quantit�, que nous fusmes contraints de changer d'habits.

Tous les ports, bayes & costes depuis Chouacoet sont remplis de toutes sortes de poisson, semblable � celuy que nous avons devers nos habitations; & en telle abondance, que je puis asseurer qu'il n'estoit jour ne nuict que nous ne vissions & entendissions passer aux costez de nostre barque, plus de mille marsouins, qui chassoient le menu poisson. Il y a aussi quantit� de plusieurs especes de coquillages, & principalement d'huistres. La chasse des oyseaux y est fort abondante.

103/251Ce seroit un lieu fort propre pour y bastir & jetter les fondemens d'une republique si le port estoit un peu plus profond & l'entr�e plus seure qu'elle n'est.

Devant que sortir du port l'on accommoda nostre gouvernail, & fit on faire du pain de farines qu'avions apport�es pour vivre, quand nostre biscuit nous manqueroit. Cependant on envoya la chalouppe avec cinq ou six hommes & un sauvage, pour voir si on pourroit trouver un passage plus propre pour sortir, que celuy par o� nous estions venus.

Ayant fait cinq ou six lieues & abbordant la terre, le sauvage s'en fuit, qui avoit eu crainte que l'on ne l'emmenast � d'autres sauvages plus au midy, qui sont leurs ennemis, � ce qu'il donna � entendre � ceux qui estoient dans la chalouppe, lesquels estans de retour, nous firent rapport que jusques o� ils avoient est� il y avoit au moins trois brasses d'eau, & que plus outre il n'y avoit ny basses ny battures.

On fit donc diligence d'accommoder nostre barque & faire du pain pour quinze jours. Cependant le sieur de Poitrincourt accompagn� de dix ou douze arquebusiers visita tout le pays circonvoisin, d'o� nous estions, lequel est fort beau, comme j'ay dit cy dessus, o� nous vimes quantit� de maisonnettes �a & la.

Quelque 8 ou 9 jours apr�s le sieur de Poitrincourt s'allant pourmener, comme il avoit fait auparavant, nous apperceusmes que les sauvages abbatoient leurs cabannes & envoyoient dans les bois leurs femmes, enfans & provisions, & autres choses qui leur estoient necessaires pour leur vie, qui nous donna soub�on 104/252de quelque mauvaise intention, & qu'ils vouloyent entreprendre sur nos gens qui travailloient � terre, & o� ils demeuroient toutes les nuits, pour conserver ce qui ne se pouvoit embarquer le soir qu'avec beaucoup de peine, ce qui estoit bien vray: car ils resolurent entre eux, qu'apr�s que toutes leurs commoditez seroient en seuret�, il les viendroient surprendre � terre � leur advantage le mieux qu'il leur seroit possible, & enlever tout ce qu'ils avoient. Que si d'aventure ils les trouvoient sur leurs gardes, ils viendroient en signe d'amiti� comme ils vouloient faire, en quittant leurs arcs & flesches.

Or sur ce que le sieur de Poitrincourt avoit veu, & l'ordre qu'on luy dit qu'ils tenoient quand ils avoient envie de jouer quelque mauvais tour, nous passames par des cabannes, o� il y avoit quantit� de femmes, � qui on avoit donn� des bracelets, & bagues pour les tenir en paix, & sans crainte, & � la plus part des hommes apparens & antiens des haches, cousteaux, & autres choses, dont ils avoient besoing: ce qui les contentoit fort, payant le tout en danses & gambades, avec des harangues que nous n'entendions point. Nous passames partout sans qu'ils eussent asseurance de nous rien dire: ce qui nous resjouist fort, les voyans si simples en apparence comme ils montroient.

Nous revinmes tout doucement � nostre barque, accompagnez de quelques sauvages. Sur le chemin nous en rencontrasmes plusieurs petites trouppes qui s'amassoient peu � peu avec leurs armes, & estoient fort estonnez de nous voir si avant 105/253dans le pays; & ne pensoient pas que vinssions de faire une ronde de pr�s de 4 � 5 lieues de circuit au tour de leur terre, & passans pr�s de nous ils tremblotent de crainte que on ne leur fist desplaisir, comme il estoit en nostre pouvoir; mais nous ne le fismes pas, bien que cognussions leur mauvaise volont�. Estans arrivez o� nos ouvriers travailloient, le sieur de Poitrincourt demanda si toutes choses estoient en estat pour s'opposer aux desseins de ces canailles.

Il commanda de faire embarquer tout ce qui estoit � terre: ce qui fut fait, horsmis celuy qui faisoit le pain qui demeura pour achever une fourn�e, qui restoit, & deux autres hommes avec luy. On leur dit que les sauvages avoient quelque mauvaise intention & qu'ils fissent diligence, afin de s'embarquer le soir ensuivant, scachans qu'ils ne mettoient en ex�cution leur volont� que la nuit, ou au point du jour, qui est l'heure de leur surprinse en la pluspart de leurs desseins.

Le soir estant venu, le sieur de Poitrincourt commanda qu'on envoyast la chalouppe � terre pour qu�rir les hommes qui restoient: ce qui fut fait aussitost, que la mar�e le peut permettre, & dit on � ceux qui estoient � terre, qu'ils eussent � s'embarquer pour le subject dont l'on les avoit advertis, ce qu'ils refuserent, quelques remonstrances qu'on leur peust faire, & des risques o� ils se mettoient, & de la desobeissance qu'ils portoient � leur chef. Ils n'en feirent aucun estat, horsmis un serviteur du sieur de Poitrincourt, qui s'embarqua, mais deux autres se desembarquerent de la chalouppe qui furent trouver les trois autres, qui estoient � terre, lesquels 106/254estoient demeurez pour manger des galettes qu'ils prindrent sur le pain, que l'on avoit fait. Ne voulans donc faire ce qu'on leur disoit, la chalouppe s'en revint � bort sans le dire au sieur de Poitrincourt qui reposoit & pensoit qu'ils fussent tous dedans le vaisseau.

Le lendemain au matin 15 d'Octobre les sauvages ne faillirent de venir voir en quel estat estoient nos gens, qu'ils trouverent endormis, horsmis un qui estoit aupr�s du feu. Les voyans en cet estat ils vindrent doucement par dessus un petit costau au nombre de 400 & leur firent une telle salve de flesches, qu'ils ne leur donn�rent pas le loisir de se relever, sans estre frappez � mort: & se sauvant le mieux qu'ils pouvoient vers nostre barque, crians, � l'ayde on nous tue, une partie tomba morte en l'eau: les autres estoient tout lardez de coups de flesches, dont l'un mourut quelque temps apr�s. Ces sauvages menoient un bruit desesper�, avec des hurlemens tels que c'estoit chose espouvantable � ouir.

Sur ce bruit, & celuy de nos gens, la sentinelle qui estoit en nostre vaisseau s'escria, aux armes l'on tue nos gens: Ce qui fit que chacun se saisit promptement des tiennes, & quant & quant nous nous embarquasmes en la chalouppe quelque 15 ou 16 pour aller � terre: Mais ne pouvans l'abborder � cause d'un banc de sable qu'il y avoit entre la terre & nous, nous nous jettasmes en l'eau & passames � gay de ce banc � la grand terre la port�e d'un mousquet. Aussitost que nous y fusmes, ces sauvages nous voyans � un trait d'arc, prirent la fuitte dans les terres: De les poursuivre c'estoit en vain, car ils sont 107/255merveilleusement vistes. Tout ce que nous peusmes faire, fut de retirer les corps morts & les enterrer aupr�s d'une croix qu'on avoit plant�e le jour d'auparavant, puis d'aller d'un cost� & d'autre voir si nous n'en verrions point quelques uns, mais nous perdismes nostre temps: Quoy voyans, nous nous en retournasmes. Trois heures apr�s ils revindrent � nous sur le bord de la mer. Nous leur tirasmes plusieurs coups de petits espoirs de fonte verte: & comme ils entendoient le bruit ils se tapissoient en terre pour �viter le coup. En derision de nous ils abbatirent la croix, & desenterrerent les corps: ce qui nous donna un grand desplaisir, & fit que nous fusmes � eux pour la seconde fois: mais ils s'en fuirent comme ils avoient fait auparavant. Nous redressasmes la croix & renterrasmes les morts qu'ils avoient jett�s �a & la parmy des bruieres, o� ils mirent le feu pour les brusler, & nous en revinsmes sans faire aucun effect comme nous avions est� l'autre fois144, voyans bien qu'il n'y avoit gueres d'apparence de s'en venger pour ce coup, & qu'il failloit remettre la partie quand il plairoit � Dieu.

Note 144: (retour)

D'autres exemplaires portent: �sans avoir rien fait contre eux non plus que l'autre fois.�

Le 16 du mois nous partismes du port Fortun� 145 qu'avions nomm� de ce nom pour le malheur qui nous y arriva. Ce lieu est par la haulteur de 41 degr� & un tiers de latitude, & � quelque 12 ou 13 lieues de Malebarre.

Note 145: (retour)

Le port Fortun� est bien �videmment le port de Chatham, � en juger soit par la description que l'auteur en fait ici, soit par la place qu'il lui assigne dans sa grande carte de 1632. Cependant, il n'est pas � plus de sept ou huit lieues de Mallebarre, m�me par eau, et sa latitude est de 41 degr�s et deux tiers.

255a

Port fortune.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Estang d'eau sall�e.

B Les cabannes des sauvages & leurs terres o� ils labourent.

C Prairies o� il y a deux petis ruisseaux.

C Prairies � l'isle qui couvrent � toutes les mar�es.

D Petis costaux de montaignes en l'isle remplis de bois, vignes &

pruniers.

E Estang d'eau douce, o� il y a quantit� de gibier.

F Mani�res de prairies en l'isle.

G Isle remplie de bois dedans un grand cul de sac.

H Mani�re d'estang d'eau sal�e & o� il y a force coquillages,

entre autres quantit� d'hu�tres.

I Dunes de sable sur une lenguette de terre.

L Cul de sac.

M Rade o� mouillasmes l'ancre devant le port.

N Entr�e du port.

O Le port & lieu o� estoit nostre barque.

P La croix que l'on planta.

Q Petis ruisseau.

R Montaigne qui descouvre de fort loin.

S La coste de la mer.

T Petite riviere.

V Chemin que nous fismes en leur pais autour de leurs logement, il est

point� de petits points.

X Bans & baze.

Y Petite montagne qui paroit dans les terres.

Z Petits ruisseaux.

9 L'endroit o� nos gens furent tu�s par les sauvages pr�s la Croix.




108/256 L'incommodit� du temps ne nous permettant, pour lors, de faire d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en l'habitation. Et ce qui nous arriva jusques en icelle.

CHAPITRE XV.

Comme nous eusmes fait quelques six ou sept lieues nous eusmes cognoissance d'une isle que nous nommasmes la soup�onneuse 146, pour avoir eu plusieurs fois croyance de loing que ce fut autre chose qu'une isle, puis le vent nous vint contraire, qui nous fit relascher au lieu d'o� nous estions partis, auquel nous fusmes deux ou trois jours sans que durant ce temps il vint aucun sauvage se presenter � nous.

Note 146: (retour)

Dans l'�dition de 1632, l'auteur dit qu'elle est �� une lieue vers l'eau.� C'est donc vraisemblablement l'�le qui porte aujourd'hui le nom de Martha's Vineyard.

Le 20 partismes de rechef, & rengeant la coste au Surouest pr�s de 12 lieues, o� passames proche d'une riviere qui est petite & de difficile abord, � cause des basses & rochers qui sont � l'entr�e, que j'ay nomm�e de mon nom 147. Ce que nous vismes de ces costes sont terres basses & sablonneuses. Le vent nous vint de rechef contraire, & fort imp�tueux, qui nous fit mettre vers l'eau, ne pouvans gaigner ny d'un cost� ny d'autre, lequel enfin s'apaisa un peu, & nous fut favorable: mais ce ne fut que

109/257pour relascher encore au port Fortun�, dont la coste, bien qu'elle soit basse, ne laisse d'estre belle & bonne, toutesfois de difficile abbord, n'ayant aucunes retraites, les lieux fort batturiers, & peu d'eau � pr�s de deux lieues de terre. Le plus que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses 7 � 8 brasses, encore cela ne duroit que la longueur du cable, aussitost l'on revenoit � 2 ou 3 brasses, & ne s'y fie qui voudra qu'il ne l'aye bien recogneue la sonde � la main.

Note 147: (retour)

L'auteur, dans sa grande carte de 1632, la marque comme venant du nord-ouest. Or, dans l'espace d'environ douze lieues � l'ouest du port Fortun�, il n'y a, croyons-nous, qu'une seule rivi�re qui suive cette direction: c'est celle qui traverse le district de Machpee et se jette dans la baie de Popponesset, La plupart des cartes ne lui assignent aucun nom.

Estant relaschez au port, quelques heures apr�s le fils de Pontgrav� appel� Robert, perdit une main en tirant un mousquet qui se creva en plusieurs pi�ces sans offencer aucun de ceux qui estoient aupr�s de luy.

Or voyant tousjours le vent contraire & ne nous pouvans mettre en la mer, nous resolumes cependant d'avoir quelques sauvages de ce lieu pour les emmener en nostre habitation & leur faire moudre du bled � un moulin � bras, pour punition de l'assacinat qu'ils avoient commis en la personne de cinq ou six de nos gens: mais que cela se peust faire les armes en la main, il estoit fort malays�, d'autant que quand on alloit � eux en d�lib�ration de se battre, ils prenoient la fuite, & s'en alloient dans les bois, o� on ne les pouvoit attraper. Il fallut donc avoir recours aux finesses: & voicy comme nous advisames. Qu'il failloit lors qu'ils viendroient pour rechercher amiti� avec nous les amadouer en leur montrant des patinostres & autres bagatelles, & les asseurer plusieurs fois: puis prendre la chalouppe bien arm�e, & des plus robustes & 110/258forts hommes qu'eussions, avec chacun une cha�ne de patinostres & une brasse de m�che au bras, & les mener � terre, o� estans, & en faisant semblant de petuner avec eux (chacun ayant un bout de sa m�che allum�, pour ne leur donner soup�on, estant l'ordinaire de porter du feu au bout d'une corde pour allumer le petum) les amadoueroient par douces paroles pour les attirer dans la chalouppe; & que s'ils n'y vouloient entrer, que s'en approchant chacun choisiroit son homme, & en luy mettant les patinostres au col, luy mettroit aussi en mesme temps la corde pour les y tirer par force: Que s'ils tempestoient trop, & qu'on n'en peust venir � bout; tenant bien la corde on les poignarderoit: Et que si d'aventure il en eschapoit quelques uns, il y auroit des hommes � terre pour charger � coups d'esp�e sur eux: Cependant en nostre barque on tiendroit prestes les petites pi�ces pour tirer sur leurs compagnons, au cas qu'il en vint les secourir; � la faveur desquelles la chalouppe se pourroit retirer en asseurance. Ce qui fut fort bien ex�cut� ainsi qu'on l'avoit propos�.

258a

Port fortune.

Agrandissement (2901x1861 pixels, 16-couleurs)

A Le lieu o� estoient les Fran�ois faisans le pain.

B Les sauvages surprenans les Fran�ois en tirant sur eux � coups de

flesches.

C Fran�ois bruslez par les sauvages.

D Fran�ois s'enfuians � la barque tout lard�s de flesches.

E Trouppes de sauvages faisans brusler les Fran�ois qu'ils avoient tu�s.

F Montaigne sur le port.

G Cabannes des sauvages.

H Fran�ois � terre chargeans les sauvages.

I Sauvages desfaicts par les Fran�ois.

L Chalouppe o� estoient les Fran�ois.

M Sauvages autour de la chalouppe qui furent surpris par nos gens.

N Barque du sieur de Poitrincourt.

O Le port.

P Petit ruisseau.

Q Fran�ois tombez morts dans l'eau pensans se sauver � la barque.

R Ruisseau venant de certins marescages.

S Bois par o� les sauvages venoient � couvert.

Quelques jours apr�s que ces choses furent pass�es, il vint des sauvages trois � trois, quatre � quatre sur le bort de la mer, faisans signe que nous allassions � eux: mais nous voiyons bien leur gros qui estoit en embuscade au dessoubs d'un costau derri�re des buissons, & croy qu'ils ne desiroient que de nous attraper en la chalouppe pour descocher un nombre de flesches sur nous, & puis s'en fuir: toutesfois le sieur de Poitrincourt ne laissa pas d'y aller avec dix de nous autres, bien �quipez & en resolution de les combattre si l'occasion se presentoit. 111/259Nous fusmes dessendre par un endroit que jugions estre hors de leur embuscade, o� ils ne nous pouvoient surprendre. Nous y mismes trois ou quatre pied � terre avec le sieur de Poitrincourt: le reste ne bougea de la chalouppe pour la conserver & tenir preste � un besoin. Nous fusmes sur une butte & autour des bois pour voir si nous descouvririons plus � plain ladite embuscade. Comme ils nous virent aller si librement � eux ils leverent le siege & furent en autres lieux, que ne peusmes descouvrir, & des quatre sauvages n'en vismes plus que deux, qui s'en alloient tout doucement. En se retirant ils nous faisoient signe qu'eussions � mener nostre chalouppe en autre lieu, jugeant qu'elle n'estoit pas � propos pour leur dessein. Et nous voyans aussi qu'ils n'avoient pas envie de venir � nous, nous nous rembarquasmes & allasmes o� ils nous monstroient, qui estoit la seconde embuscade qu'ils avoient faite, taschant de nous attirer en signe d'amiti� � eux, sans armes: ce qui pour lors ne nous estoit permis: neantmoins nous fusmes assez proches d'eux sans voir ceste embuscade, qui n'en estoit pas esloign�e, � nostre jugement. Comme nostre chalouppe approcha de terre, ils se mirent en fuite, & ceux de l'embuscade aussi, apr�s qui nous tirasmes quelques coups de mousquets, voyant que leur intention ne tendoit qu'� nous decevoir par caresses, en quoy ils se trompoient: car nous recognoissions bien quelle estoit leur volont�, qui ne tendoit qu'� mauvaise fin. Nous nous retirasmes � nostre barque apr�s avoir fait ce qu'il nous fut possible.

Ce jour le sieur de Poitrincourt resolut de s'en retourner � 112/260nostre habitation pour le subject de 4 ou 5 mallades & blessez, � qui les playes empiroient � faute d'onguens, car nostre Chirurgien n'en avoit aport� que bien peu, qui fut grande faute � luy, & desplaisir aux malades & � nous aussi: d'autant que l'infection de leurs blesseures estoit si grande en un petit vaisseau comme le nostre, qu'on ne pouvoit presque durer: & craignions qu'ils engendrassent des maladies: & aussi que n'avions plus de vivres que pour faire 8 ou 10 journ�es de l'advant, quelque retranchement que l'on fist, & ne s�achans pas si le retour pourroit estre aussi long que l'aller, qui fut pr�s de deux mois.

Pour le moins nostre d�lib�ration estant prinse, nous ne nous retirasmes qu'avec le contentement que Dieu n'avoit laiss� impuny le mesfait de ces barbares. Nous ne fusmes que jusques au 41 degr� & demy, qui ne fut que demy degr� plus que n'avoit fait le sieur de Mons � sa descouverture. Nous partismes donc de ce port.

Et le lendemain vinsmes mouiller l'ancre proche de Mallebarre, o� nous fusmes jusques au 28 du mois que nous mismes � la voile. Ce jour l'air estoit assez froid, & fit un peu de neige. Nous prismes la traverse pour aller � Norambegue, ou � l'isle Haute. Mettant le cap � l'Est Nordest fusmes deux jours sur la mer sans voir terre, contrariez du mauvais temps. La nuict ensuivant eusmes cognoissance des isles qui sont entre Quinibequi & Norembegue. Le vent estoit si grand que fusmes contraincts de nous mettre � la mer, pour attendre le jour, o� nous nous esloignasmes si bien de la terre, quelque peu de 113/261voiles qu'eussions, que ne la peusmes revoir que jusques au lendemain, que nous vismes le travers de l'isle Haute.

Ce jour dernier d'Octobre, entre l'isle des Monts-deserts, & le cap de Corneille, nostre gouvernail se rompit en plusieurs pi�ces, sans s�avoir le subject. Chacun en disoit son opinion. La nuit venant avec beau frais, nous estions parmy quantit� d'isles & rochers, o� le vent nous jettoit, & resolumes de nous sauver, s'il estoit possible, � la premi�re terre que rencontrerions.

Nous fusmes quelque temps au gr� du vent & de la mer, avec seulement le bourcet de devant: mais le pis fut que la nuit estoit obscure & ne s�avions o� nous allions: car nostre barque ne gouvernoit nullement, bien que l'on fit ce qu'on pouvoit, tenant les escouttes du bourcet � la main, qui quelquefois la faisoient un peu gouverner. Tousjours on sondoit si l'on pourroit trouver fonds pour mouiller l'ancre & se pr�parer � ce qui pourroit subvenir. Nous n'en trouvasmes point; enfin allant plus viste que ne desirions, l'on advisa de mettre un aviron par derri�re avec des hommes pour faire gouverner � une isle que nous apperceusmes, afin de nous mettre � l'abry du vent. On mit aussi deux autres avirons sur les cost�s au derri�re de la barque, pour ayder � ceux qui gouvernoient, � fin de faire arriver le vaisseau d'un cost� & d'autre. Ceste invention nous servit si bien que mettions le cap o� desirions, & fusmes derri�re la pointe de l'isle qu'avions apperceue, mouiller l'ancre � 21 brasses d'eau attendant le jour, pour nous recognoistre & aller chercher un endroit pour faire un autre gouvernail.

114/262Le vent s'appaisa. Le jour estant venu nous nous trouvasmes proches des isles Rang�es, tout environn�s de brisans; & louasmes Dieu de nous avoir conserv�s si miraculeusement parmy tant de p�rils.

Le premier de Novembre nous allasmes en un lieu que nous jugeasmes propre pour eschouer nostre vaisseau & refaire nostre timon. Ce jour je fus � terre, & y vey de la glace espoisse de deux poulces, & pouvoit y avoir huit ou dix jours qu'il y avoit gel�, & vy bien que la temp�rature du lieu differoit de beaucoup � celle de Malebarre & port Fortun�: car les fueilles des arbres n'estoient pas encores mortes ny du tout tomb�es quand nous en partismes, & en ce lieu elles estoient toutes tomb�es, & y faisoit beaucoup plus de froid qu'au port Fortun�.

Le lendemain comme on alloit eschouer la barque, il vint un canot o� y avoit des sauvages Etechemins qui dirent � celuy que nous avions en nostre barque, qui estoit Secondon, que Jouaniscou avec ses compagnons avoit tu� quelques autres sauvages & emmen� des femmes prisonnieres, & que proche des isles des Montsdeserts ils avoient fait leur ex�cution.

Le neufiesme du mois nous partismes d'aupr�s du cap de Corneille & le mesme jour vinsmes mouiller l'ancre au petit passage148 de la riviere saincte Croix.

Note 148: (retour)

C'est le passage de l'ouest.

Le lendemain au matin mismes nostre sauvage � terre avec quelques commoditez qu'on luy donna, qui fut tres-aise & satisfait d'avoir fait ce voyage avec nous, & emporta quelques testes des sauvages qui avoient est� tuez au port Fortun�. 115/263Ledict jour allasmes mouiller l'ancre en une fort belle ance au Su de l'isle de Menasne.

Le 12 du mois fismes voile, & en chemin la chalouppe que nous traisnions derri�re nostre barque y donna un si grand & si rude coup qu'elle fit ouverture & brisa tout le haut de la barque: & de rechef au resac rompit les ferremens de nostre gouvernail, & croiyons du commencement qu'au premier coup qu'elle avoit donn�, qu'elle eut enfonc� quelques planches d'embas, qui nous eut fait submerger: car le vent estoit si eslev�, que ce que pouvions faire estoit de porter nostre misanne: Mais apr�s avoir veu le dommage qui estoit petit, & qu'il n'y avoit aucun p�ril, on fit en sorte qu'avec des cordages on accommoda le gouvernail le mieux qu'on peut, pour parachever de nous conduire, qui ne fut que jusques au 14 de Novembre, o� � l'entr�e du port Royal pensames nous perdre sur une pointe: mais Dieu nous delivra tant de ce p�ril que de beaucoup d'autres qu'avions courus.




Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant l'hyvernement.

CHAPITRE XVI.

A nostre arriv�e l'Escarbot qui estoit demeur� en l'habitation nous fit quelques gaillardises avec les gens qui y estoient restez pour nous resjouir149.

Note 149: (retour)

�Le sieur de Poutrincourt arriva au Port-Royal le quatorzi�me de Novembre, o� nous le receumes joyeusement & avec une solennit� toute nouvelle par del�. Car sur le point que nous attendions son retour avec grand desir, (& ce d'autant plus, que si mal lui f�t arriv� nous eussions �t� en danger d'avoir de la confusion) je m'avisay de representer quelque gaillardise en allant audevant de lui, comme nous f�mes. Et d'autant que cela fut en rhimes Fran�oises faites � la h�te, je l'ay mis avec Les Muses de la Nouvelle-France souz le tiltre de THEATRE DE NEPTUNE, o� je renvoy� mon Lecteur. Au surplus pour honorer davantage le retour de n�tre action, nous avions mis au dessus de la porte de notre Fort les armes de France, environn�es de couronnes de lauriers (dont il y a l� grande quantit� au long des rives des bois) avec la devise du Roy, DUO PROTEGIT UNUS. Et au dessous celles du sieur de Monts avec cette inscription, DABIT DEUS HIS QUOQUE FINEM: & celle-du sieur de Poutrincourt avec cette autre inscription, INVIA VIRTUTI NULLA EST VIA, toutes deux aussi ceintes de chapeaux de lauriers.� (Lescarbot, liv. IV, ch. XV.)

116/264Estans � terre, & ayans repris halaine chacun commen�a � faire de petits jardins, & moy d'entretenir le mien, attendant le printemps, pour y semer plusieurs sortes de graines, qu'on avoit apport�es de France, qui vindrent fort bien en tous les jardins.

Le sieur de Poitrincourt, d'autre part fit faire un moulin � eau � pr�s d'une lieue & demie de nostre habitation, proche de la pointe o� on avoit sem� du bled. Le moulin estoit basty aupr�s d'un saut d'eau, qui vient d'une petite riviere qui n'est point navigable pour la quantit� de rochers qui y sont, laquelle se va rendre dans un petit lac. En ce lieu il y a une telle abbondance de harens en sa saison, qu'on pourroit en charger des chalouppes, si on vouloit en prendre la peine, & y apporter l'invention qui y seroit requise. Aussi les sauvages de ces pays y viennent quelquesfois faire la pesche. On fit aussi quantit� de charbon pour la forge. Et l'yver pour ne demeurer oisifs j'entreprins de faire un chemin sur le bort du bois pour aller � une petite riviere qui est comme un ruisseau, que nommasmes la truittiere150, � cause qu'il y en avoit beaucoup. Je demanday deux ou trois hommes au sieur de Poitrincourt, qu'il me donna pour m'ayder � y faire une all�e. 117/265Je fis si bien qu'en peu de temps je la rendy nette. Elle va jusques � la truittiere, & contient pr�s de deux mille pas, laquelle servoit pour nous pourmener � l'ombre des arbres, que j'avois laisse d'un cost� & d'autre. Cela fit prendre resolution au sieur de Poitrincourt d'en faire une autre au travers des bois, pour traverser droit � l'emboucheure du port Royal, o� il y a pr�s de trois lieues & demie par terre de nostre habitation, & la fit commencer de la truittiere environ demie lieue, mais il ne l'ascheva pas pour estre trop p�nible, & s'occupa � d'autres choses plus necessaires pour lors. Quelque temps apr�s nostre arriv�e, nous apperceusmes une chalouppe, o� il y avoit des sauvages, qui nous dirent que du lieu d'o� ils venoient, qui estoit Norembegue, on avoit tu� un sauvage qui estoit de nos amis, en vengeance de ce que Jouaniscou aussi sauvage, & les siens avoient tu� de ceux de Norembegue, & de Quinibequi, comme j'ay dit cy dessus, & que des Etechemins l'avoient dit au sauvage Secondon qui estoit pour lors avec nous.

Note 150: (retour)

Ce ruisseau �tait du c�t� de l'ouest de l'habitation, comme le marque l'auteur dans sa carte du port Royal, tandis que son jardin �tait du c�t� de l'est.

Celuy qui commandoit en la chalouppe estoit le sauvage appelle Ouagimou151, qui avoit familiarit� avec Bessabes chef de la riviere de Norembegue, � qui il demanda le corps de Panounia qui avoit est� tu�: ce qu'il luy octroya, le priant de dire � ses amis qu'il estoit bien fasch� de sa mort, luy asseurant que c'estoit sans son s�eu qu'il avoit est� tu�, & que n'y ayant de sa faute, il le prioit de leur dire qu'il desiroit qu'ils demeurassent amis comme auparavant: ce que Ouagimou luy promit faire quand il seroit de retour. Il nous dit qu'il luy ennuya 118/266fort qu'il n'estoit hors de leur compagnie, quelque amiti� qu'on luy monstrast, comme estans subjects au changement, craignant qu'ils ne luy en fissent autant comme au deffunct: aussi n'y arresta il pas beaucoup apr�s sa despeche. Il emmena le corps en sa chalouppe depuis Norembegue jusques � nostre habitation, d'o� il y a 50 lieues.

Note 151: (retour)

Lescarbot �crit Oagimont.

Aussi tost que le corps fut � terre ses parens & amis commenc�rent � crier au pr�s de luy, s'estans peints tout le visage de noir, qui est la fa�on de leur dueil. Apr�s avoir bien pleur�, ils prindrent quantit� de petum, & deux ou trois chiens, & autres choses qui estoient au deffunct, qu'ils firent brusler � quelque mille pas de nostre habitation sur le bort de la mer. Leurs cris continu�rent jusques � ce qu'ils fussent de retour en leur cabanne.

Le lendemain ils prindrent le corps du deffunct, & l'envelopperent dedans une catalongue rouge, que Mabretou chef de ces lieux m'inportuna fort de luy donner, d'autant qu'elle estoit belle & grande, laquelle il donna aux parens dudict deffunct, qui m'en remerci�rent bien fort. Apr�s donc avoir emmaillott� le corps, ils le par�rent de plusieurs sortes de matachiats, qui sont patinostres & bracelets de diverses couleurs, luy peinrent le visage, & sur la teste luy mirent plusieurs plumes & autres choses qu'ils avoient de plus beau, puis mirent le corps � genoux au milieu de deux bastons, & un autre qui le soustenoit soubs les bras: & au tour du corps y avoit sa m�re, sa femme & autres de ses parens & amis, tant femmes que filles, qui hurloient comme chiens.

119/267Cependant que les femmes & filles crioient le sauvage appel� Mabretou, faisoit une harangue � ses compagnons sur la mort du deffunct, en incitant un chacun d'avoir vengeance de la meschancet� & trahison commise par les subjects de Bessabes, & leur faire la guerre le plus promptement que faire se pourroit. Tous luy accord�rent de la faire au printemps.

La harange faitte & les cris cessez, ils emport�rent le corps du deffunct en une autre cabanne. Apr�s avoir petun�, le renveloperent dans une peau d'Eslan, & le li�rent fort bien, & le conserverent jusques � ce qu'il y eust plus grande compagnie de sauvages, de chacun desquels le fr�re du defunct esperoit avoir des presens, comme c'est leur coustume d'en donner � ceux qui ont perdu leurs p�res, m�res, femmes, fr�res, ou soeurs.

La nuit du 26. D�cembre il fist un vent de Surest, qui abbatit plusieurs arbres.

Le dernier D�cembre il commen�a � neger, & cela dura jusqu'au lendemain matin.

Le 16 janvier ensuivant 1607, le sieur de Poitrincourt voulant aller au haut de la riviere de l'Equille la trouva scel�e de glaces � quelque deux lieues de nostre habitation, qui le fit retourner pour ne pouvoir passer.

Le 8 Fevrier il commen�a � descendre quelques glaces du haut de la riviere dans le port qui ne gele que le long de la coste.

Le 10 de May ensuivant, il negea toute la nuict, & sur la fin du mois faisoit de fortes gel�es blanches, qui dur�rent jusques au 10 & 12 de Juin, que tous les arbres estoient couverts de fueilles, horsmis les chesnes qui ne jettent les leurs que vers le 15.

120/268L'yver ne fut si grand que les ann�es pr�c�dentes, ny les neges aussi ne furent si long temps sur la terre. Il pleust assez souvent, qui fut occasion que les sauvages eurent une grande famine, pour y avoir peu de neges. Le sieur de Poitrincourt nourrist une partie de ceux qui estoient avec nous, s�avoir Mabretou, sa femme & ses enfans, & quelques autres.

Nous passames cest yver fort joyeusement, & fismes bonne ch�re, par le moyen de l'ordre de bontemps que j'y establis, qu'un chacun trouva utile pour la sant�, & plus profitable que toutes sortes de medicines, dont on eust peu user. Ceste ordre estoit une chaine que nous mettions avec quelques petites c�r�monies au col d'un de nos gens, luy donnant la charge pour ce jour d'aller chasser: le lendemain on la bailloit � un autre, & ainsi consecutivement: tous lesquels s'effor�oient � l'envy � qui feroit le mieux & aporteroit la plus belle chasse: Nous ne nous en trouvasmes pas mal, ny les sauvages qui estoient avec nous152.

Note 152: (retour)

Lescarbot donne quelques d�tails de plus sur ce sujet: �Je diray que pour nous tenir joyeusement & nettement, quant aux vivres, fut �tabli un Ordre en la Table dudit sieur de Poutrincourt, qui fut nomm� L'ORDRE DE BON-TEMPS, mis premi�rement en avant par Champlein, suivant lequel ceux d'icelle table �toient Maitres-d'hotel chacun � son tour, qui �toit en quinze jours une fois. Or avoit-il le soin de faire que nous fussions bien & honorablement trait�s. Ce qui fut si bien observ�, que (quoy que les gourmans de de�� nous disent souvent que l� nous n'avions point la rue aux Ours de Paris) nous y avons fait ordinairement aussi bonne ch�re que nous s�aurions faire en cette rue aux Ours, & � moins de frais. Car il n'y avoit celui qui deux jours devant que son tour vint ne f�t soigneux d'aller � la chasse, ou � la p�cherie, & n'apport�t quelque chose de rare, outre ce qui �toit de notre ordinaire. Si bien que jamais au d�jeuner nous n'avons manqu� de saupiquets de chair ou de poisson: & au repas de midi & du soir encor moins: car c'�toit le grand festin, l� o� l'Architriclin, ou Maitre-d'hotel (que les Sauvages appellent Atoctegic) ayant fait pr�parer toutes choses au cuisinier, marchoit la serviete sur l'�paule, le b�ton d'office en main, le collier de l'Ordre au col, & tous ceux d'icelui Ordre apr�s lui portant chacun son plat. Le m�me �toit au dessert, non toutefois avec tant de suite. Et au soir avant rendre gr�ce � Dieu, il resignoit le collier de l'Ordre, avec un verre de vin � son successeur en la charge, & buvoient l'un � l'autre.� (Liv. IV, ch. XVI.)

121/269

II y eut de la maladie de la terre parmy nos gens, mais non si aspre qu'elle avoit est� aux ann�es pr�c�dentes: Neantmoins il ne laissa d'en mourir sept; & un autre d'un coup de flesche qu'il avoit receu des sauvages au port Fortun�.

Nostre chirurgien appel� maistre Estienne, fit ouverture de quelques corps, & trouva presque toutes les parties de dedans offenc�es, comme on avoit fait aux autres les ann�es pr�c�dentes. Il y en eut 8 ou 10 de malades qui gu�rirent au printemps.

Au commencement de Mars & d'Avril, chacun se mit � pr�parer les jardins pour y semer des graines en May, qui est le vray temps, lesquelles vindrent aussi bien qu'elles eussent peu faire en France, mais quelque peu plus tardives: & trouve que la France est au plus un mois & demy plus advanc�e: & comme j'ay dit, le temps est de semer en May, bien qu'on peut semer quelquefois en Avril, mais ces semences n'advancent pas plus que celles qui sont sem�es en May, & lors qu'il n'y a plus de froidures qui puisse offencer les herbes, sinon celles qui sont fort tendres, comme il y en a beaucoup qui ne peuvent resister aux gel�es blanches, si ce n'est avec un grand soin & travail.

Le 24 de May apperceusmes une petite barque du port de 6 � 7 tonneaux qu'on envoya recognoistre, & trouva on que c'estoit un jeune homme de sainct Maslo appel� Chevalier qui apporta lettres du sieur de Mons au sieur de Poitrincourt, par lesquelles il luy mandoit de ramener ses compagnons en 122/270France153, & nous dit la naissance de Monseigneur le Duc d'Orl�ans 154, qui nous apporta de la resjouissance, & en fismes les feu de joye, & chantasmes le Te deum.

Note 153: (retour)

Lescarbot ajoute encore ici plusieurs autres d�tails, qui ne manquent pas d'int�r�t �Le soleil commen�oit � �chauffer la terre, & oeillader sa maitresse d'un regard amoureux, quand le Sagamos Membertou (apres noz pri�res solennellement faites � Dieu, & le desjeuner distribu� au peuple, selon la coutume) nous vint avertir qu'il avoit veu une voile sur le lac, c'est � dire dans le port, qui venoit vers notre Fort. A cette joyeuse nouvelle chacun va voir, mais encore ne se trouvoit-il persone qui e�t si bonne veue que lui, quoy qu'il soit �g� de plus de cent ans. Neantmoins on d�couvrit bient�t ce qui en �toit. Le sieur de Poutrincourt fit en diligence appr�ter la petite barque pour aller reconoitre. Champ-dor� & Daniel Hay y all�rent & par le signal qu'ils nous donn�rent �tans certains que c'�toient amis, incontinent fimes charger quatre canons, & une douzaine de fauconneaux, pour saluer ceux qui nous venoient voir de si loin. Eux de leur part ne manqu�rent � commencer la f�te, & d�charger leurs pi�ces, auxquels fut rendu le r�ciproque avec usure. C'�toit tant seulement une petite barque marchant souz la charge d'un jeune homme de saint-Malo nomm� Chevalier, lequel arriv� au Fort bailla ses lettres au sieur de Poutrincourt, l�quelles furent leu�s publiquement. On lui mandoit que pour ayder � sauver les frais du voyage, le navire (qui �toit encor le JONAS) s'arreteroit au port de Campseau pour y faire p�cherie de Morues, les marchans associez du sieur de Monts ne sachans pas qu'il y e�t p�cherie plus loin que ce lieu: toutefois que s'il �toit necessaire il fit venir ledit navire au Port Royal. Au reste, que la societ� �toit rompue, d'autant que contre l'honn�tet� & devoir les Holandois (qui ont tant d'obligations � la France) conduits par un traitre Fran�ois nomm� La Jeunesse, avoient l'an pr�c�dent enlev� les Castors & autres pelleteries de la Grande Rivi�re de Canada: chose qui tournoit au Grand detriement de la societ�, laquelle partant ne pouvoit plus fournir aux frais de l'habitation de del�, comme elle avoit fait par le pass�. Joint qu'au Conseil du Roy (pour ruiner cet affaire) on avoit nouvellement r�voqu� le privil�ge octroy� pour dix ans au sieur de Monts pour la traicte des Castors, chose que l'on n'e�t jamais esper�. Et pour cette cause n'envoyoient persone pour demeurer l� apr�s nous. Si nous e�mes de la joye de voir n�tre secours asseur�, nous e�mes aussi une grande tristesse de voir une si belle & si sainte entreprise rompue; que tant de travaux & de p�rils passez ne servissent de rien: & que l'esperance de planter l� le nom de Dieu, & la Foy Catholique, s'en all�t evanouie.� (Liv. IV, ch. XVII.)

Note 154: (retour)

Il ne faut pas confondre ce duc d'Orl�ans, second fils de Henri IV, avec son fr�re Gaston, qui ne prit le titre de duc d'Orl�ans qu'apr�s la mort de celui dont il est ici question. Ce second fils de Henri IV mourut, sans �tre nomm�, � Saint-Germain-en-Laye, le 17 novembre 1611. Il �tait n� le 16 avril de cette ann�e 1607. (Hist. g�n�alogique de la France, t. I, p. 146.)

Depuis le commencement de Juin jusqu'au 20 du mois, s'assemblerent en ce lieu quelque 30 ou 40 155 sauvages, pour s'en aller faire la guerre aux Almouchiquois, & venger la mort de Panounia, qui fut enterr� par les sauvages selon leur 123/271coustume, lesquels donn�rent en apr�s quantit� de pelleterie � un sien frere. Les presens faicts, ils partirent tous de ce lieu le 29 de Juin pour aller � la guerre � Chouacoet, qui est le pays des Almouchiquois.

Note 155: (retour)

Environ quatre cents, d'apr�s Lescarbot. �Au commencement de Juin,� dit-il, liv. IV, ch. XVII, �les Sauvages, au nombre d'environ quatre cens, partirent de la cabanne que le Sagamos Membertou avoit fa�onn� de nouveau en forme de ville environn�e de hautes palissades, pour aller � la guerre contre les Almouchiquois... Les Sauvages furent pr�s de deux mois � s'assembler l�. Membertou le grand Sagamos les avoit fait avertir durant & avant l'hiver, leur ayant envoy� hommes expr�s, qui �toient ses deux fils Actaudin & Actauddinech, pour leur donner l� le rendez-vous.� (Liv. IV, ch. XVII.)

Quelques jours apr�s l'arriv�e dudict Chevalier, le sieur de Poitrincourt l'envoya � la riviere S. Jean & saincte Croix pour traicter quelque pelleterie: mais il ne le laissa pas aller sans gens pour ramener la barque, d'autant que quelques uns avoient raport� qu'il desiroit s'en retourner en France avec le vaisseau o� il estoit venu, & nous laisser en nostre habitation. L'Escarbot estoit de ceux qui l'accompagn�rent, lequel n'avoit encores sorty du port Royal: c'est le plus loin qu'il ayt est�, qui sont seulement 14 � 15 lieues plus avant que ledit port Royal 156.

Note 156: (retour)

�Je ne s�ay, dit Lescarbot, � quel propos Champlein en la relation de ses voyages imprim�s l'an mil six cens treize, s'amuse � �crire que je n'ay point �t� plus loin que Sainte-Croix, veu que je ne di pas le contraire. Mais il est peu memoratif de ce qu'il fait, disant l� m�me, p. 151� (anc. �dit.) �que dudit Sainte-Croix au port Royal n'y a que quatorze lieues, & en la page 95� (p. 76 de cette �dit.) �il avoit dit qu'il y en a 25. Et si on regarde sa charte g�ographique, il s'en trouvera pour le moins quarante.� (Liv. IV, ch. XVII.)—Il ne faut pas faire un crime � Lescarbot d'avoir �t� piqu� de la remarque de Champlain; mais il est �vident que la mauvaise humeur lui fait voir des contradictions l� o� il n'y en a point. Champlain ne dit pas pr�cis�ment qu'il y ait quatorze lieues de Port-Royal � Sainte-Croix, mais seulement que Lescarbot ne fut pas plus loin que quatorze ou quinze lieues au-del� de Port-Royal; ce qui n'est point exact, il est vrai, si l'auteur veut parler de la distance � Sainte-Croix; mais il est visible que Champlain, dans cette phrase, reporte sa pens�e sur la rivi�re Saint-Jean, o� Chevalier se rendait directement, et qui est en effet � quatorze ou quinze lieues de Port-Royal. Quant aux distances marqu�es dans les cartes de Champlain, il est impossible, avec toute la bonne volont� du monde, de trouver m�me trente lieues de Sainte-Croix � Port-Royal. Ce qui a tromp� Lescarbot, sans doute, c'est que, dans les cartes de Champlain, les chiffres de ses �chelles, au lieu d'�tre marqu�s au bout de chacune des divisions, sont plac�s au milieu de l'espace qui les s�pare.

Attendant le retour dudit Chevalier, le sieur de Poitrincourt fut au fonds de la baye Fran�oise dans une chalouppe avec 7 � 8 hommes. Sortant du port & mettant le cap au Nordest quart de 124/272l'Est le de la coste quelque 25 lieues, fusmes � un cap, o� le sieur de Poitrincourt voulut monter sur un rocher de plus de 30 thoises de haut, o� il courut fortune de sa vie: d'autant qu'estant sur le rocher, qui est fort estroit, o� il avoit mont� avec assez de difficult�, le sommet trembloit soubs luy: le subject estoit que par succession de temps il s'y estoit amass� de la mousse de 4 � 5 pieds d'espois laquelle n'estant solide, trembloit quand on estoit dessus, & bien souvent quand on mettoit le pied sur une pierre il en tomboit 3 ou 4 autres: de sorte que s'il y monta avec peine, il descendit avec plus grande difficult�, encore que quelques matelots, qui sont gens assez adroits � grimper, luy eussent port� une haussiere (qui est une corde de moyenne grosseur) par le moyen de laquelle il descendit. Ce lieu fut nomm� le cap de Poitrincourt 157, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers de latitude.

Note 157: (retour)

Ce cap a �t� appel� depuis cap Fendu (Cape Split). Sa latitude est de 45� 22'.

Nous fusmes au fonds d'icelle baye 158, & ne vismes autre chose que certaines pierres blanches � faire de la chaux: Mais en petite quantit�, & force mauves, qui sont oiseaux, qui estoient dans des isles: Nous en prismes � nostre volont�, & fismes le tour de la baye pour aller au port aux mines, o� j'avois est� auparavant, & y menay le sieur de Poitrincourt, qui y print quelques petits morceaux de cuivre, qu'il eut avec bien grand peine. Toute ceste baye peut contenir quelque 20 lieues de circuit, o� il y a au fonds une petite riviere, qui est fort 125/273platte & peu d'eau. Il y a quantit� d'autres petits ruisseaux & quelques endroits, o� il y a de bons ports, mais c'est de plaine mer, o� l'eau monte de cinq brasses. En l'un de ces ports 159 3 � 4 lieues au Nort du cap de Poitrincourt trouvasmes une Croix qui estoit fort vieille, toute couverte de mousse & presque toute pourrie, qui monstroit un signe evident qu'autrefois il y avoit est� des Chrestiens. Toutes ces terres sont forests tres-espoisses, o� le pays n'est pas trop aggreable, sinon en quelques endroits.

Note 158: (retour)

Le bassin des Mines.

Note 159: (retour)

Probablement la baie de Greville.

Estant au port aux mines nous retournasmes � nostre habitation. Dedans icelle baye y a de grands transports de mar�e qui portent au Surouest.

Le 12 de Juillet arriva Ralleau secretaire du sieur de Mons, luy quatriesme dedans une chalouppe, qui venoit d'un lieu appel� Niganis160, distant du port Royal de quelque 160 ou 170 lieues, qui confirma au sieur de Poitrincourt ce que Chevalier lui avoit raport�.

Note 160: (retour)

Ou Niganiche, dans l'�le du Cap-Breton, � six ou sept lieues au sud du cap de Nord.

Le 3 Juillet 161 on fit �quiper trois barques pour envoyer les hommes & commoditez qui estoient � nostre habitation pour aller � Campseau, distant de 115 lieues de nostre habitation, & � 45 degrez & un tiers de latitude, o� estoit le vaisseau162 qui faisoit pesche de poisson, qui nous devoit repasser en France.

Note 161: (retour)

Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait le 30 juillet, ce qui s'accorderait assez bien avec le r�cit de Lescarbot. Voici comment celui-ci rapporte les circonstances du d�part. �Sur le point qu'il falut dire adieu au Port Royal, le sieur de Poutrincourt envoya son peuple les uns apr�s les autres trouver le navire, � Campseau... Nous avions une grande barque, deux petites & une chaloupe. Dans l'une des petites barques on mit quelques gens que l'on envoya devant. Et le trenti�me de Juillet partirent les deux autres. J'�tois dans la grande, conduite par Champ-dor�. (Liv. IV, ch. XVIII.)

Note 162: (retour)

C'�tait le Jonas, par lequel �tait retourn� Pont-Grav�. (Lescarbot, liv. IV, ch. XVII.)

126/274Le sieur de Poitrincourt renvoya tous ses compagnons, & demeura luy neufieme en l'habitation pour emporter en France quelques bleds qui n'estoient pas bien � maturit�.

Le 10 d'Aoust arriva de la guerre Mabretou, lequel nous dit avoir est� � Chouacoet, & avoir tu� 20 sauvages & 10 ou 12 de blessez, & que Onemechin chef de ce lieu, Marchin, & un autre avoient est� tu�s par Sasinou chef de la riviere de Quinibequi, lequel depuis fut tu� par les compagnons d'Onemechin & Marchin. Toute ceste guerre ne fut que pour le subject de Panounia sauvage de nos amis, lequel, comme j'ay dict cy dessus avoit est� tu� � Norembegue par les gens dudit Onemechin & Marchin.

Les chefs qui sont pour le jourd'huy en la place d'Onemechin, Marchin, & Sasinou, sont leurs fils, s�avoir pour Sasinou, Pememen: Abriou pour Marchin son p�re: & pour Onemechin Queconsicq. Les deux derniers furent blessez par les gens de Mabretou, qui les attrap�rent soubs apparence d'amiti�, comme est leur coustume, de quoy on se doit donner garde, tant des uns que des autres.




Habitation abandonn�e. Retour en France du sieur de Poitrincourt & de tous ses gens.

CHAPITRE XVII.

L'onsieme du mois d'Aoust partismes de nostre habitation dans une chalouppe, & rengeasmes la coste jusques au cap Fourchu, o� 127/275j'avois est� auparavant.

Continuant nostre routte le long de la coste jusques au cap de la H�ve (o� fut le premier abort avec le sieur de Mons, le 8 de May 1604.) nous recogneusmes la coste depuis ce lieu jusques � Campseau, d'o� il y a pr�s de 60 lieues: ce que n'avois encor fait, & la vis lors fort particuli�rement, & en fis la carte comme du reste.

Partant du cap de la H�ve jusques � Sesambre, qui est une isle ainsi appel�e par quelques Mallouins163, distante de la H�ve de 15 lieues. En ce chemin y a quantit� d'isles qu'avions nomm�es les Martyres pour y avoir eu des fran�ois autrefois tu�s par les sauvages. Ces isles sont en plusieurs culs de sac & bayes: En une desquelles y a une riviere appel�e saincte Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues, qui est par la hauteur de 44 degrez & 23 minuttes de latitude. Les isles & costes sont remplies de quantit� de pins, sapins, boulleaux, & autres meschants bois. La pesche du poisson y est abbondante, comme aussi la chasse des oiseaux.

Note 163: (retour)

En souvenir d'une petite �le du m�me nom qui est en face de Saint-Malo. De S�sambre, on a fait S. Sambre, et les navigateurs anglais, qui ne sont pas fort d�vots aux saints, l'ont appel�e simplement Sambro.

De Sesambre passames une baye fort saine164 contenant sept � huit lieues, o� il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au fonds, qui est � l'entr�e d'une petite riviere de peu d'eau 165, & fusmes � un port distant de Sesambre de 8 lieues mettant le cap au Nordest quart d'Est, qui est assez bon pour des vaisseaux du port de cent � six vingts tonneaux. En son entr�e 128/276y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller � la grande terre. Nous avons nomm� ce lieu, le port saincte Helaine166, qui est par la hauteur de 44 degrez 40 minuttes peu plus ou moins de latitude.

Note 164: (retour)

Cette baie Saine �tait appel�e par les sauvages Chibouctou. C'est la baie d'Halifax.

Note 165: (retour)

C'est, sans doute, pour cette raison que l'auteur l'appelle rivi�re Flatte, dans son �dition de 1632.

Note 166: (retour)

Le port de Sainte-H�l�ne est probablement celui qu'on a appel� plus tard baie de Th�odore, et dont on a fait Jeddore.

De ce lieu fusmes � une baye appel�e la baye de toutes isles 167, qui peut contenir quelques 14 � 15 lieues: lieux qui sont dangereux � cause des bancs, basses & battures qu'il y a. Le pays est tresmauvais � voir, rempli de mesmes bois que j'ay dict cy dessus. En ce lieu fusmes contrariez de mauvais temps.

Note 167: (retour)

Ce qu'on a appel�, et ce qu'on appelle encore baie de Toutes-Iles, n'est pas � proprement parler une baie. D�s les premiers temps, on d�signait sous ce nom tout l'archipel qui s'�tend depuis la cha�ne de la rivi�re Th�odore, jusqu'� quelques lieues en de�� de la rivi�re Sainte-Marie; ce qui pouvait faire quatorze � quinze lieues, comme dit Champlain. Aujourd'hui, ce que l'on appelle baie des Iles, ne s'�tend que du havre au Castor jusqu'� celui de Liscomb; c'est-�-dire que la baie des Iles d'aujourd'hui n'est pas m�me la moiti� de la baie de Toutes-Iles d'autrefois.

De l� passames proche d'une riviere qui en est distante de six lieues qui s'appelle la riviere de l'isle verte 168, pour y en avoir une en son entr�e. Ce peu de chemin que nous fismes est remply de quantit� de rochers qui jettent pr�s d'une lieue � la mer, o� elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez un quart de latitude.

Note 168: (retour)

Denys, dans sa Description de l'Am�rique, t. I, p. 116, dit que la rivi�re de l'�le Verte �a elle nomm�e Sainte-Marie par La Giraudi�re, qui s'y est venu habiter.� Pr�s de l'entr�e de cette rivi�re, il y a une �le appel�e Pierre-�-Fusil (Wedge Island), qui doit avoir port� le nom d'�le Verte, que l'on donne aujourd'hui � une autre �le, situ�e � l'entr�e du port Sandwich ou Country harbour; et une des raisons qui viennent � l'appui de cet avanc�, c'est l'expression dont se sert ici Champlain, pour y en avoir une en son entr�e. En effet cette �le est seule � l'entr�e de la rivi�re de Sainte-Marie; tandis que celle qu'on appelle aujourd'hui �le Verte ou Green island, est la plus petite des trois qui sont situ�es � l'entr�e du �cul-de-sac� dont parle l'auteur un peu plus loin.

129/277De l� fusmes � un lieu o� il y a un cul de sac 169, & deux ou trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte trois lieux. Nous passames aussi par plusieurs isles qui sont rang�es les unes proches des autres, & les nommasmes les isles rang�es170, distantes de l'isle verte de 6 � 7 lieues. En apr�s passames par une autre baye 171, o� il y a plusieurs isles, & fusmes jusque � un lieu o� trouvasmes un vaisseau qui faisoit pesche de poisson entre des isles qui sont un peu esloign�es de la terre, distantes des isles rang�es quatre lieues, & 130/278nommasmes 172 ce lieu le port de Savalette, qui estoit le maistre du vaisseau qui faisoit pesche qui estoit Basque, lequel nous fit bonne ch�re, & fut tres-aise de nous voir: d'autant qu'il y avoit des sauvages qui luy vouloient faire quelque desplaisir: ce que nous empeschasmes.

Note 169: (retour)

Ce cul-de-sac, � l'entr�e duquel il y a trois �les, �tait appel� autrefois Mocodome. Aujourd'hui il est connu sous le nom de Country harbour. Le cap qui ferme le port du c�t� de l'ouest a seul retenu le nom ancien.

Note 170: (retour)

Ces �les sont pr�s de la terre ferme, � l'est de l'entr�e de la rivi�re Sainte-Catherine.

Note 171: (retour)

Cette baie est �videmment celle qui porte maintenant le nom de Tor bay.

Note 172: (retour)

Quand l'auteur emploie cette expression nomm�mes, il veut dire simplement que le nom a �t� donn� ou sugg�r� par quelqu'un de la troupe. Cette fois ce fut � Lescarbot. �Nous arriv�mes, dit-il, � quatre lieues de Campseau, � un Port o� faisoit sa p�cherie un bon vieillart de Saint-Jean de Lus nomm� le Capitaine Savalet, lequel nous receut avec toutes les courtoisies du monde. Et pour autant que ce Port (qui est petit, mais tres-beau) n'a point de nom, je l'ay qualifi� sur ma Charte g�ographique du nom de Savalet. Ce bon personnage nous dit que ce voyage �toit le quarante-deuxi�me qu'il faisoit pardela, & toutefois les Terreneuviers n'en font tous les ans qu'un. Il �toit merveilleusement content de sa p�cherie, & nous disoit qu'il faisoit tous les jours pour cinquante �cus de Morues: & que son voyage vaudroit dix mille francs. Il avoit seze hommes � ses gages: & son vaisseau �toit de quatre vints tonneaux, qui pouvoit porter cent milliers de morues seches. Il �toit quelquefois inqui�t� des Sauvages l� cabannez, l�quelz trop priv�ment & impudemment alloient dans son navire, & lui cmportoient ce qu'ilz vouloient. Et pour �viter cela il les mena�oit que nous viendrions & les mettrions tous au fil de l'�p�e s'ilz lui faisoient tort. Cela les intimidoit, & ne lui faisoient pas tout le mal qu'autrement ilz eussent fait. Neantmoins toutes les fois que les p�cheurs arrivoient avec leurs chaloupes pleines de poissons, ces Sauvages choisissoient ce que bon leur sembloit, & ne s'amusoient point au Morues, ains prenoient des Merlus, Bars, & Fl�tans qui vaudroient ici � Paris quatre �cus, ou plus. Car c'est un merveilleusement bon manger, quand principalement ilz sont grands & �pais de six doits, comme ceux qui se p�choient l�. Et e�t �t� difficile de les emp�cher en cette insolence, d'autant qu'il e�t toujours fallu avoir les armes en main, & la besogne f�t demeur�e. Or l'honn�tet� de cet homme ne s'�tendit pas seulement envers nous, mais aussi envers tous les n�tres qui passerent � son Port, car c'�toit le passage pour aller & venir au Port-Royal. Mais il y en eut quelques uns de ceux qui nous vindrent querir, qui faisoient pis que les Sauvages, & se gouvernoient envers lui comme fait ici le gend'arme chez le bon homme: chose que j'ouy fort � regret.� Plusieurs raisons nous font croire que le port de Savalette est celui qu'on appelle aujourd'hui White haven. Il est � environ quatre lieues des �les Rang�es, et � six de Canseau, comme l'auteur le remarque plus loin. Il est vrai que Lescarbot le met � quatre lieues seulement de Canseau; mais rien, dans son r�cit, ne vient confirmer son avanc�: tandis que notre auteur marque s�par�ment la distance du port de Savalette aux �les Rang�es et � Canseau, et que ces deux distances r�unies donnent exactement le nombre de lieues qu'il y a des �les Rang�es � Canseau. De plus, � l'entr�e de ce port, il y a plusieurs �les qui sont un peu �loign�es de la terre; et, dans le port m�me, certains noms que l'on y retrouve, semblent rappeler la m�moire du vieux voyageur basque, comme l'�le du P�cheur, la pointe au Pilote.

Partant de ce lieu arrivasmes � Campseau le 27 du mois, distant du port de Savalette six lieues, ou passames par quantit� d'isles jusques audit Campseau, o� trouvasmes les trois barques arriv�es � port de salut. Champdor� & l'Escarbot vindrent audevant de nous pour nous recevoir. Aussi trouvasmes le vaisseau prest � faire voile qui avoit fait sa pesche, & n'attendoit plus que le temps pour s'en retourner: cependant nous nous donnasmes du plaisir parmy ces isles, o� il y avoit telle quantit� de framboises qu'il ne se peut dire plus.

Toutes les costes que nous rengeasmes depuis le cap de Sable jusques en ce lieu sont terres m�diocrement hautes, & costes de rochers, en la pluspart des endroits bord�es de nombres d'isles & brisans qui jettent � la mer par endroits pr�s de deux lieues, qui sont fort mauvais pour l'abort des vaisseaux: Neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & raddes le long des costes Seines, s'ils estoient descouverts. Pour ce qui est de la terre elle est plus mauvaise & mal aggreable, qu'en autres lieux qu'eussions veus; si ce ne sont en quelques rivieres ou ruisseaux, o� le pays est assez plaisant: & ne faut doubter qu'en ces lieux l'yver n'y soit froid, y durant pr�s de six � sept mois.

131/279Ce port de Campseau 173 est un lieu entre des isles qui est de fort mauvais abord, si ce n'est de beau-temps, pour les rochers & brisans qui sont au tour. Il s'y fait pesche de poisson vert & sec.

Note 173: (retour)

Ce nom de Campseau ou Canseau, que les Anglais �crivent Canso, est sauvage, suivant Lescarbot (page 221 de la 3e �dition). Le P. F. Martin (App. de sa trad. du P. Bressani, p. 320), apr�s avoir mentionn� Lescarbot, au sujet de ce mot, ajoute: �Th�vet, dans un manuscrit de 1586, dit qu'il vient de celui d'un navigateur fran�ais nomm� �Canse.� Le passage du manuscrit de 1586 est extrait mot pour mot de la Cosmographie Universelle de Th�vet. Or, en cet endroit l'auteur parle des Antilles, et non du Canada; et, en second lieu, il n'�crit pas Canse, mais Cause. Voici le passage en entier: �Quant � l'isle de Virgengorde & celle de Ricque� (Porto-Rico), �basse & sablonneuse, il vous faut tirer � celle de Sainct Domingue, & conduire les vaisseaux droit � la poincte de la Gouade� (del Aguada) �qui est au bout de l'isle� (de Porto-Rico), �puis � celle de Mona, premi�rement que venir aborder & mouiller l'ancre � l'isle Espagnole. Pass� qu'avez, & doubl� la haulteur de laditte isle, vous apparoist la terre de Cause, qui prend son nom de l'un des vaillans Capitaines pilotes, natif d'une certaine villette, nomm�e Cause� (Cozes), �en Xainctonge, une lieue de maison de Madion.� (Cosm. Universelle, verso du fol. 993.) Th�vet ne parle donc point de Canseau, dans ce passage, et son t�moignage n'infirme en rien celui de Lescarbot.

De ce lieu jusques � l'isle du cap Breton qui est par la hauteur de 45 degrez trois quars174 de latitude & 14 degrez 50 minuttes175 de declinaison de l'aimant y a huit lieues, & jusques au cap Breton 25, o� entre les deux y a une grande baye 176 qui entre quelque 9 ou 10 lieues dans les terres & fait passage entre l'isle du cap Breton & la grand terre qui va rendre en la grand baye sainct Laurens, par o� on va � Gasp� & isle parc�e, o� se fait pesche de poisson. Ce passage de l'isle du cap Breton est fort estroit: Les grands vaisseaux n'y passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, � cause des grands courans & transports de mar�e qui y sont: & avons nomm� ce lieu le passage courant 177, qui est par la hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude.

Note 174: (retour)

L'extr�mit� la plus m�ridionale de l'�le du Cap-Breton est � 45� 34', et la latitude du cap Breton lui-m�me est de 45� 57' environ.

Note 175: (retour)

Il est assez probable qu'il faut lire 24� 50'. Aujourd'hui la variation de l'aiguille au cap Breton est de pr�s de 24� de d�clinaison occidentale.

Note 176: (retour)

La baie de Ch�dabouctou, que l'on a appel�e quelque temps baie de Milford.

Note 177: (retour)

Le passage Courant a pris plus tard le nom de Fronsac, et aujourd'hui on l'appelle passage ou d�troit de Canseau.

132/280Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a quelque 80 lieues de circuit, & est la pluspart terre montagneuse: Neantmoins en quelques endroits fort aggreable. Au milieu d'icelle y a une mani�re de lac178, o� la mer entre par le cost� du Nord quart du Nordouest, & du Su quart du Suest179: & y a quantit� d'isles remplies de grand nombre de gibier, & coquillages de plusieurs sortes: entre autres des huistres qui ne sont de grande saveur. En ce lieu y a deux ports, o� l'on fait pesche de poisson: s�avoir le port aux Anglois180, distant du cap Breton quelque 2 � 3 lieues: & l'autre, Niganis, 18 ou 20 lieues au Nord quart du Nordouest. Les Portuguais autrefois voulurent habiter ceste isle, & y pass�rent un yver: mais la rigueur du temps & les froidures leur firent abandonner leur habitation.

Note 178: (retour)

Le Bras-d'or, ou Labrador, dont le nom sauvage �tait Bideauboch, d'apr�s Bellin.

Note 179: (retour)

L'auteur, dans sa carte de 1613, indique en effet une communication entre le Bras-d'Or et les eaux du golfe vers le nord-quart-de-nord-ouest; mais il n'en marque aucune du c�t� du sud-est. On sait que le Bras-d'Or ne communique avec la mer que du c�t� de l'est par la Grande et la Petite Entr�es.

Note 180: (retour)

Le port de Louisbourg.

Le 3 Septembre partismes de Campseau 181.

Note 181: (retour)

�Nous lev�mes les ancres, dit Lescarbot, & avec beaucoup de difficultez sortimes hors les brisans qui sont aux environs dudit Campseau. Ce que nos mariniers firent avec deux chaloupes qui portoient les ancres bien avant en mer pour soutenir notre vaisseau, � fin qu'il n'all�t donner contre les rochers. En fin �tans en mer on laissa � l'abandon l'une d�dites chaloupes, & l'autre fut tir�e dans le Jonas, lequel outre notre charge portoit cent milliers de Morues, que seches que vertes. Nous e�mes assez bon vent jusques � ce que nous approch�mes les terres de l'Europe.� (Liv. IV, ch. XVIII.)

Le 4 estions le travers de l'isle de Sable.

Le 6 Arrivasmes sur le grand banc, o� se fait la pesche du poisson vert, par la hauteur de 45 degrez & demy de latitude.

Le 26 entrasmes sur la Sonde proche des costes de Bretagne & Angleterre, � 65 brasses d'eau, & par la hauteur de 49 degrez & demy de latitude.

133/281Et le 28, relachasmes � Roscou182 en basse Bretagne, ou fusmes contrari�s du mauvais temps jusqu'au dernier de Septembre, que le vent venant favorable nous nous mismes � la mer pour parachever nostre routte jusques � sainct Maslo183, qui fut la fin de ces voyages 184, o� Dieu nous conduit sans naufrage ny p�ril.

Note 182: (retour)

�Nous demeur�mes� � Roscou, dit Lescarbot, �deux jours & demi � nous rafra�chir. Nous avions un sauvage qui se trouvoit assez �tonn� de voir les batimens, clochers & moulins � vent de France: m�me les femmes qu'il n'avoit onques veu v�tues � notre mode.�

Note 183: (retour)

�En quoy je ne puis que je ne loue,� ajoute Lescarbot, �la pr�voyante vigilance de notre ma�tre de navire Nicolas Martin, de nous avoir si dextrement conduit en une telle navigation, & parmi tant d'�cueils & caphar�es rochers dont est remplie la cote d'entre le cap d'Ouessans & ledit Saint Malo. Que si cetui ci est louable en ce qu'il a fait, le capitaine Foulques ne l'est moins de nous avoir men� parmi tant de vents contraires en des terres inconues o� nous nous sommes efforc�s de jetter les premiers fondemens de la Nouvelle France.�

Note 184: (retour)

Le vaisseau de Chevalier, qui �tait de Saint-Malo, �tait rendu � sa destination. Champlain dut prendre de l� le chemin de la Saintonge. Messieurs de Poutrincourt, de Biencourt et Lescarbot, y demeur�rent encore quelques jours, pendant lesquels ils visit�rent le Mont-Saint-Michel et les p�cheries de Cancale; puis ils se mirent dans une barque qui les conduisit � Honfleur. �En cette navigation,� dit Lescarbot, �nous servit beaucoup l'exp�rience du sieur de Poutrincourt, lequel voyant que nos conducteurs �toient au bout de leur latin, quand il se virent entre les iles de Jersey & Sart� (Serck) �... il print sa Charte marine en main, & fit le maitre de navire, de mani�re que nous passames le Raz-Blanchart (passage dangereux � des petites barques) & vinmes � l'aise suivant la c�te de Normandie audit Honfleur.� (Liv. IV, ch. XVIII.)

Fin des voyages depuis l'an 1604, jusques en 1608.




135/283

LES VOYAGES
FAITS AU GRAND FLEUVE
SAINCT LAURENS PAR LE
sieur de Champlain Capitaine ordinaire
pour le Roy en la marine, depuis
l'ann�e 1608. jusques en 1612.


LIVRE SECOND.




Resolution du sieur de Mons pour faire les descouvertures par dedans les terres; sa commission, & enfrainte d'icelle par des Basques qui d�sarm�rent le vaisseau de Pont-grav�; & l'accort qu'ils firent apr�s entre eux.

CHAPITRE I.

stant de retour en France apr�s avoir sejourn� trois ans au pays de la nouvelle France, je fus trouver le sieur de Mons, auquel je recitay les choses les plus singulieres que j'y eusse veues depuis son partement, & luy donnay la carte & plan des costes & ports les plus remarquables qui y soient.

Quelque temps apr�s ledit sieur de Mons se delibera de continuer ses dessins, & parachever de descouvrir dans les terres par le grand fleuve S. Laurens, o� j'avois est� par le commandement du feu Roy HENRY LE GRAND en l'an 1603. quelque 136/284180 lieues, commen�ant par la hauteur 48 degrez deux tiers de latitude, qui est Gasp� entr�e dudit fleuve jusques au grand saut, qui est sur la hauteur de 45 degrez & quelques minuttes de latitude, o� finist nostre descouverture, & o� les batteaux ne pouvoient passer � nostre jugement pour lors: d'autant que nous ne l'avions pas bien recogneue comme depuis nous avons fait.

Or apr�s que par plusieurs fois le sieur de Mons m'eust discouru de son intention touchant les descouvertures, print resolution de continuer une si genereuse, & vertueuse entreprinse, quelques peines & travaux qu'il y eust eu par le pass�. Il m'honora de sa lieutenance pour le voyage: & pour cest effect fit equipper deux vaisseaux, o� en l'un commandoit du Pont-grav�, qui estoit d�put� pour les negotiations, avec les sauvages du pays, & ramener avec luy les vaisseaux: & moy pour hyverner audict pays.

Le sieur de Mons pour en supporter la despence obtint lettres de sa Majest� pour un an, o� il estoit interdict � toutes personnes de ne trafficquer de pelleterie avec les sauvages, sur les peines port�es par la commission qui ensuit.

�HENRY PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, A nos amez & f�aux Conseillers, les officiers de nostre Admiraut� de Normandie, Bretaigne & Guienne, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Juges ou leurs Lieutenans, & � chacun d'eux endroict soy, en l'estendue de leurs ressorts, Jurisdictions & destroits, Salut: Sur l'advis qui nous a est� donn� par ceux qui sont venus de la nouvelle France, de la bont�, fertilit� des terres dudit pays, & que les peuples d'iceluy sont disposez � recevoir la cognoissance de Dieu, Nous avons resolu de faire continuer l'habitation qui avoit est� cy devant commenc�e audit pays, � fin que nos subjects y puissent aller librement trafficquer. Et sur l'offre que le sieur de Monts Gentil-homme ordinaire de nostre chambre, & nostre Lieutenant General audit pays, nous aurait propos�e de faire ladite habitation, en luy 137/285donnant quelque moyen & commodit� d'en supporter la despence: Nous avons eu aggreable de luy promettre & asseurer qu'il ne serait permis � aucuns de nos subjects qu'� luy de trafficquer de pelleteries & autres marchandises, durant le temps d'un an seulement, �s terres, pays, ports, rivieres & advenues de l'estendue de sa charge: Ce que voulons avoir lieu. Nous pour ces causes & autres considerations, � ce nous mouvans, vous mandons & ordonnons que vous ayez chacun de vous en l'estendue de vos pouvoirs, jurisdictions & destroicts, � faire de nostre part, comme nous faisons tres-expressement inhibitions & deffences � tous marchands, maistres & Capitaines de navires, matelots, & autres nos subjects, de quelque qualit� & condition qu'ils soient, d'equipper aucuns vaisseaux, & en iceux aller ou envoyer faire traffic, ou trocque de Pelleteries, & autres choses avec les Sauvages de la nouvelle France, fr�quenter, negotier, & communiquer durant ledit temps d'un an en l'estendue du pouvoir dudit sieur de Monts, � peine de desobeyssance, de confiscation enti�re de leurs vaisseaux, vivres, armes, & marchandises, au proffit dudit sieur de Monts & pour asseurance de la punition de leur desobeissance: Vous permettrez, comme nous avons permis & permettons audict sieur de Monts ou ses lieutenans, de saisir, appr�hender, & arrester tous les contrevenans � nostre pr�sente deffence & ordonnance, & leurs vaisseaux, marchandises, armes, vivres, & vituailles, pour les amener y remettre �s mains de la Justice, & estre proced�, tant contre les personnes que contre les biens des desobeyssans, ainsi qu'il appartiendra. Ce que nous voulons, & vous mandons faire incontinent lire & publier par tous les lieux & endroicts publics de vosdits pouvoirs & jurisdictions, o� vous jugerez, besoin estre, par le premier nostre Huissier ou Sergent sur ce requis, en vertu de ces presentes, ou coppie d'icelles, deuement collationn�es pour une fois seulement, par l'un de nos amez & f�aux Conseillers, Notaires & Secr�taires, ausquelles voulons foy estre adjoust�e comme au present original, afin qu'aucuns de nosdits subjects n'en pr�tendent cause d'ignorance, ains que chacun obeysse & se conforme sur ce � nostre volont�. Mandons en outre � tous Capitaines de navires, maistres d'iceux, contre-maistres, matelots, & autres estans dans vaisseaux ou navires au port & havres dudit pays, de permettre, comme nous avons permis audit sieur de Monts, & autres ayant pouvoir & charge de luy, de visiter dans leursdits vaisseaux qui auront traict� de laditte Pelleterie, apr�s que les presentes deffences leur auront est� signifi�es. Nous voulons qu'� la requeste dudit sieur de Monts, ses lieutenans, & autres ayans charge, vous proc�diez contre les desobeyssans & contrevenans, ainsi qu'il appartiendra: De ce faire vous donnons pouvoir, authorit�, commission, & mandement special, nonobstant l'Arrest de nostre Conseil du 17e jour de Juillet dernier, clameur de haro, chartre normande, prise �-partie, oppositions, ou appellations quelsconques: Pour lesquelles, & sans prejudice d'icelles, ne voulons estre differ�, & dont si aucune interviennent, nous en avons retenu & reserv� � nous & � nostre Conseil la cognoissance, privativement � tous autres juges, & icelle interdite & d�fendue � toutes nos Cours & Juges: Car tel est nostre plaisir. Donn� a Paris le septiesme jour de Janvier l'an de gr�ce, mil six cents huict. Et de nostre r�gne le dix-neufiesme. Sign�, HENRY. Et plus bas. Par le Roy, Delomenie.

Et seell� sur simple queue du grand seel de cire jaulne,

Collationn� � l'original par moy Conseiller, Notaire & Secr�taire du Roy.�

138/286Je fus � Honnefleur pour m'embarquer, o� je trouvay le vaisseau de Pontgrav� prest, qui partit du port, le 5 d'Avril; & moy le 13 & arrivay sur le grand banc le 15 de May, par la hauteur de 45 degrez & un quart de latitude, & le 26 eusmes cognoissance du cap saincte Marie, qui est par la hauteur de 46 degrez trois quarts 185 de latitude, tenant � l'isle de terreneufve. Le 27 du mois eusmes la veue du cap sainct Laurens tenant � la terre du cap Breton & isle de sainct Paul, distante du cap de saincte Marie 83 lieues. Le 30 du mois eusmes cognoissance de l'isle perc�e, & de Gasp� qui est soubs la hauteur de 48 degrez deux tiers de latitude, distant du cap de sainct Laurens, 70 � 75 lieues.

Note 185: (retour)

46� 51'.

Le 3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac186, distant de Gasp� 80 ou 90 lieues, & mouillasmes l'ancre � la radde du port 187 de Tadoussac, qui est � une lieue du port, lequel est comme une ance � l'entr�e de la riviere du Saguenay, o� il y a une mar�e fort estrange pour sa vistesse, o� quelquesfois il vient des vents imp�tueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient que ceste riviere a quelque 45 ou 50 lieues du port de Tadoussac jusques au premier saut, qui vient du Nort Norouest. Ce port est petit, & n'y pourroit que quelque 20 vaisseaux: Il y a de l'eau assez, & est � l'abry de la riviere de Saguenay & d'une petite isle de rochers qui est presque coup�e de la mer.

Note 186: (retour)

Ce que l'auteur dit ici de Tadoussac, est emprunt� presque mot pour mot au Voyage de 1603, p. 4-22.

Note 187: (retour)

La rade du port de Tadoussac est le mouillage du Moulin-Baude.

139/287Le reste sont montaignes hautes eslev�es, o� il y a peu de terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme sappins & bouleaux 188. Il y a un petit estanc proche du port renferm� de montagnes couvertes de bois. A l'entr�e y a deux pointes l'une du cost� du Surouest, contenant pr�s d'une lieue en la mer, qui s'appelle la pointe sainct Matthieu, ou autrement aux Allouettes, & l'autre du cost� du Nordouest contenant demy quart de lieue, qui s'appele la pointe de tous les Diables 189, pour le grand danger qu'il y a. Les vents du Su Suest frappent dans le port, qui ne sont point � craindre: mais bien celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nomm�es assechent de basse mer: nostre vaisseau ne peust entrer dans le port pour n'avoir le vent & mar�e propre. Je fis aussitost mettre nostre basteau hors du vaisseau pour aller au port voir si Pont-grav� estoit arriv�. Comme j'estois en chemin, je rencontray une chalouppe & le pilotte de Pont-grav� & un Basque, qui me venoit advertir de ce qui leur estoit survenu pour avoir voulu faire quelques deffences aux vaisseaux Basques de ne traicter suivant la commission que le sieur de Mons avoit obtenue de sa majest�, Qu'aucuns vaisseaux ne pourroient traicter sans la permission du sieur de Monts, comme il estoit port� par icelle.

Note 188: (retour)

L'auteur avait dit, en 1603, �pins, cyprez, sapins & quelques mani�res d'arbres de peu.� Il semble avoir reconnu que ce qu'il appelait cypr�s n'en �tait pas r�ellement.

Note 189: (retour)

Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Voir 1603, note 2 de la page 6.

Et que nonobstant les significations que peust faire Pont-grav� de la part de sa Majest�, ils ne laissoient de traicter la 140/288force en la main, & qu'ils s'estoient mis en armes & se maintenoient si bien dans leur vaisseau, que faisant jouer touts leurs canons sur celuy de Pont-grav�, & tirant force coups de mousquets, il fut fort bless�, & trois des siens, dont il y en eust un qui en mourut, sans que le Pont fit aucune resistance: Car d�s la premi�re salve de mousquets qu'ils tir�rent il fut abbatu par terre. Les Basques vindrent � bort du vaisseau & enleverent tout le canon & les armes qui estoient dedans, disans qu'ils traicteroient nonobstant les deffences du Roy, & que quand ils seroient pr�s de partir pour aller en France il luy rendroient son canon & son amonition, & que ce qu'ils en faisoient estoit pour estre en seuret�. Entendant toutes ces nouvelles, cela me fascha fort, pour le commencement d'une affaire, dont nous nous fussions bien passez.

Or apr�s avoir ouy du pilotte toutes ces choses je luy demanday qu'estoit venu faire le Basque au bort de nostre vaisseau, il me dit qu'il venoit � moy de la part de leur maistre appel� Darache, & de ses compagnons, pour tirer asseurance de moy, Que je ne leur ferois aucun desplaisir, lors que nostre vaisseau seroit dans le port.

Je fis responce que je ne le pouvois faire, que premier je n'eusse veu le Pont. Le Basque dit que si j'avois affaire de tout ce qui despendoit de leur puissance qu'ils m'en assisteroient. Ce qui leur faisoit tenir ce langage, n'estoit que la cognoissance qu'ils avoient d'avoir failly comme ils confessoient, & la crainte qu'on ne leur laissast faire la pesche de balene.

141/289Apr�s avoir assez parl� je fus � terre voir le Pont pour prendre d�lib�ration de ce qu'aurions affaire, & le trouvay fort mal. Il me conta particuli�rement tout ce qui s'estoit pass�. Nous considerasmes que ne pouvions entrer audit port que par force, & que l'habitation ne fut pardue pour cette ann�e, de sorte que nous advisasmes pour le mieux, (afin d'une juste cause n'en faire une mauvaise & ainsi se ruiner) qu'il failloit leur donner asseurance de ma part tant que je serois l� & que le Pont n'entreprendroit aucune chose contre eux, mais qu'en France la justice se feroit & vuideroit le diff�rent qu'ils avoient entr'eux.

Darache maistre du vaisseau me pria d'aller � son bort, o� il me fit bonne r�ception. Apr�s plusieurs discours je fis l'accord entre le Pont & luy, & luy fis promettre qu'il n'entreprendroit aucune chose sur Pont-grav� ny au prejudice du Roy & du sieur de Mons. Que s'ils faisoient le contraire je tiendrois ma parole pour nulle: Ce qui fut accord� & sign� d'un chacun.

En ce lieu y avoit nombre de sauvages qui y estoient venus pour la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent � nostre vaisseau avec leurs canots190, qui sont de 8 ou 9 pas de long, & environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, & vont en diminuant par les deux bouts. Il sont fort subjects � tourner si on ne les s�ay bien gouverner, & sont faicts d'escorce de boulleau, renforcez par le dedans de petits cercles de c�dre blanc, bien proprement arrangez: & sont si 142/290l�gers qu'un homme en porte aysement un. Chacun peut porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre pour aller en quelque riviere o� ils ont affaire, ils les portent avec eux. Depuis Chouacoet le long de la coste jusques au port de Tadoussac ils sont tous semblables.

Note 190: (retour)

Ce qui est dit ici du canot sauvage, est emprunt� au Voyage de 1603, p. 9 et 10.




De la riviere du Saguenay, & des sauvages qui nous y vindrent abborder. De l'isle d'Orl�ans; & de tout ce que nous y avons remarqu� de singulier.

CHAPITRE II.

Apr�s cest accord fait, je fis mettre des charpentiers � accommoder une petite barque du port de 12 � 14 tonneaux, pour porter tout ce qui nous seroit necessaire pour nostre habitation, & ne peut estre plustost preste qu'au dernier de Juin.

Cependant j'eu moyen de visiter quelques endroits de la riviere du Saguenay, qui est une belle riviere, & d'une profondeur incroyable, comme 150. & 200. brasses191. A quelque cinquante lieues de l'entr�e du port, comme dit est, y a un grand saut d'eau, qui descend d'un fort haut lieu & de grande impetuosit�. Il y a quelques isles dedans icelle riviere qui sont fort desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins & bruieres. Elle contient de large demie lieue en des endroits, & 143/291un quart en son entr�e, o� il y a un courant si grand qu'il est trois quarts de mar�e couru dedans la riviere, qu'elle porte encore hors. Toute la terre que j'y ay veue ne sont que montaignes & promontoires de rochers, la pluspart couverts de sapins & boulleaux, terre fort mal plaisante, tant d'un cost� que d'autre: enfin ce sont de vrays deserts inhabit�s d'animaux & oyseaux: car allant chasser par les lieux qui me sembloient les plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets, comme arondelles, & quelques oyseaux de riviere, qui y viennent en est�, autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure qu'il y fait. Ceste riviere vient du Norouest192.

Note 191: (retour)

L'auteur donne ici au Saguenay une trop grande profondeur; les plus forts sondages y sont de 150 brasses environ. Aussi corrige-t-il cette erreur dans sa derni�re �dition.

Note 192: (retour)

Ce que l'auteur dit ici du Saguenay, et de ce que lui ont rapport� les sauvages, est du Voyage de 1603, avec quelques corrections.

Les sauvages m'ont fait rapport qu'ayant pass� le premier saut ils en passent huit autres, puis vont une journ�e sans en trouver, & de rechef en passent dix autres, & vont dans un lac, o� ils font trois journ�es 193, & en chacune ils peuvent faire � leur aise dix lieues en montant: Au bout du lac y a des peuples qui vivent errans, & trois rivieres qui se deschargent dans ce lac, l'une venant du Nord 194, fort proche de la mer, qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide que leur pays; & les 144/292autres deux 195 d'autres costes par dedans les terres, o� il y a des peuples sauvages errans qui ne vivent aussi que de la chasse, & est le lieu o� nos sauvages vont porter les marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures qu'ils ont, comme castors, martres, loups serviers, & loutres, qui y sont en quantit�, & puis nous les apportent � nos vaisseaux. Ces peuples septentrionaux disent aux nostres qu'ils voient la mer sal�e196; & si cela est, comme je le tiens pour certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les terres par les parties du Nort. Les sauvages disent qu'il peut y avoir de la mer du Nort au port de Tadoussac 40 � 50197 journ�es � cause de la difficult� des chemins, rivieres & pays qui est fort montueux, o� la plus grande partie de l'ann�e y a des neges. Voyla au certain ce que j'ay appris de ce fleuve. J'ay desir� souvent faire ceste descouverture, mais je n'ay peu sans les sauvages, qui n'ont voulu que j'allasses avec eux ny aucuns de nos gens: Toutesfois ils me l'ont promis. Ceste descouverture ne seroit point mauvaise, pour oster beaucoup de personnes qui sont en doubte de ceste mer du Nort, par o� l'on tient que les Anglois ont est� en ces derni�res ann�es pour trouver le chemin de la Chine.

Note 193: (retour)

Dans le Voyage de 1603, l'auteur avait dit �o� ils sont deux jours � rapasser; en chasque jour, ils peuvent faire � leur aise quelques douze � quinze lieues�; ce qui �tait moins pr�s de la r�alit�. Le lac Saint-Jean a dix ou onze lieues de long; mais il est � remarquer que, si les sauvages mettent deux ou trois jours � le passer, c'est parce qu'ils ne se hasardent gu�re � le traverser, et qu'ils en font � moiti� le tour pour venir prendre l'une de ces grandes rivi�res dont l'auteur parle un peu plus loin.

Note 194: (retour)

La rivi�re Mistassini (grosse pierre), ou des Mistassins, qui est le chemin de la baie d'Hudson. On l'a appel�e aussi rivi�re des Sables.

Note 195: (retour)

Ces deux autres rivi�res sont: le Chomouchouan (Achouabmoussouan, guet � l'orignal), qui vient du nord-ouest, et le P�ribauca (rivi�re Perc�e), qui vient du nord-est.

Note 196: (retour)

La baie d'Hudson. Elle fut d�couverte en 1610 par Henry Hudson, anglais de naissance, qui y passa l'hiver, et y p�rit mis�rablement l'ann�e suivante 1611. Voir le 4e vol. de Purchas et Belknap's Biog. I, 394-407.

Note 197: (retour)

Voir 1603, note 3 de la page 21.

292a

R du Saguenay.

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Une montaigne ronde sur le bort de la riviere du Saguenay.

B Le port de Tadoussac.

C Petit ruisseau d'eau douce.

D Le lieu o� cabannent les sauvages quand ils viennent pour la traicte.

E Mani�re d'isle qui clost une partie du port de la riviere du Saguenay.

F (1) La pointe de tous les Diables.

G La riviere du Saguenay.

H La pointe aux allouettes (2).

I Montaignes fort mauvaises, remplies de sapins & boulleaux.

L Le moulin Bode.

M La rade o� les vaisseaux mouillent l'ancre attendant le vent & la

mar�e.

N Petit estang proche du port.

O Petit ruisseau sortant de l'estang, qui descharge dans le Saguenay.

P Place sur la pointe sans arbres, o� il y a quantit� d'herbages.

(1) f, dans la carte. Cette pointe s'appelle aujourd'hui la pointe aux Vaches.—(2) La lettre H est plac�e plut�t sur la batture que sur la pointe aux Alouettes.

Je party de Tadoussac le dernier du mois 198 pour aller � Quebecq, & passames pr�s d'une isle qui s'apelle l'isle aux 145/293lievres, distante de six lieues dudict port, & est � deux lieues de la terre du Nort, & � pr�s de 4 lieues 199 de la terre du Su. De l'isle au lievres, nous fusmes � une petite riviere, qui asseche de basse mer, o� � quelque 700 � 800 pas dedans y a deux sauts d'eau: Nous la nommasmes la riviere aux Saulmons200, � cause que nous y en prismes. Costoyant la coste du Nort nous fusmes � une pointe qui advance � la mer, qu'avons nomm� le cap Dauphin 201, distant de la riviere aux Saulmons 3 lieues. De l� fusmes � un autre cap que nommasmes le cap � l'Aigle 202, distant du cap Daulphin 8 lieues: entre les deux y a une grande ance, o� au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse mer 203. Du cap � l'Aigle fusmes � l'isle aux couldres qui en est distante une bonne lieue, & peut tenir environ lieue & demie de long. Elle est quelque peu unie venant en diminuant par les deux bouts: A celuy de l'Ouest y a des prairies 204 & pointes de rochers, qui advancent quelque peu dans la riviere: & du cost� du Surouest elle est fort batturiere; toutesfois assez aggreable, � cause des bois qui 146/294l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie lieue, o� il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, & l'avons nomm�e la riviere du gouffre 205, d'autant que le travers d'icelle la mar�e y court merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est tousjours fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la riviere est plat & y a force rochers en son entr�e & autour d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste fusmes � un cap, que nous avons nomm� le cap de tourmente 206, qui en est � cinq lieues, & l'avons ainsi nomm�, d'autant que pour pe qu'il face de vent la mer y esleve comme si elle estoit plaine. En ce lieu l'eau commence � estre douce. De l� fusmes � l'isle d'Orl�ans, o� il y a deux lieues, en laquelle du cost� du Su y a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes d'arbres, & fort aggreables, remplies de grandes prayries, & force gibier, contenant � ce que j'ay peu juger les unes deux lieux, & les autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a force rochers & basses fort dangereuses � passer qui sont esloign�s de quelques deux lieues de la grand terre du Su. Toute ceste coste, tant du Nord que du Su, depuis Tadoussac jusques � l'isle d'Orl�ans, est terre montueuse & fort mauvaise, o� il n'y a que des pins, 147/295sappins, & boulleaux, & des rochers tresmauvais, o� on ne s�auroit aller en la plus part des endroits.

Note 198: (retour)

Le 30 de juin.

Note 199: (retour)

La c�te du sud n'est qu'� environ 3 lieues; mais le peu d'�l�vation qu'elle a, comparativement � celle du nord, la fait para�tre plus �loign�e qu'elle n'est.

Note 200: (retour)

Suivant toutes les apparences, cette rivi�re aux Saumons est celle qui se jette dans le port � l'�quille, que l'on a appel� aussi port aux Quilles (Skittles port). Son embouchure est � trois lieues du cap au Saumon, et il n'y a point dans les environs d'autre rivi�re dont la position r�ponde aussi bien � ce qu'en dit l'auteur. Il ne faut pas la confondre avec le cap au Saumon.

Note 201: (retour)

Ce nom a compl�tement disparu. Le cap Dauphin doit �tre le m�me que le cap au Saumon. La pointe � l'Homme, sur laquelle il est situ�, avance � la mer d'une mani�re tr�s-remarquable.

Note 202: (retour)

Le cap aux Oies, qui est � pr�s de deux lieues de l'�le aux Coudres. Ici la tradition est �videmment en d�faut: car le cap � l'Aigle d'aujourd'hui est bien � six lieues plus bas que celui auquel Champlain a donn� ce nom.

Note 203: (retour)

Dans sa grande carte de 1632, l'auteur la d�signe, par le chiffre 4, sous le nom de rivi�re Platte. C'est celle de la Malbaie. (Voir la note 2 de la page suivante.)

Note 204: (retour)

Cette partie de l'�le aux Coudres s'appelle encore Les Prairies, ou C�te-des-Prairies.

Note 205: (retour)

La rivi�re du Gouffre a gard� fid�lement son nom, malgr� une erreur qui s'est gliss�e dans l'�dition de 1632. On y a reproduit tout ce passage, en appliquant � la rivi�re du Gouffre une addition que l'auteur destinait �videmment � celle de la Malbaie, comme le prouve surabondamment la l�gende de la grande carte, o� se trouvent �ndiqu�es s�par�ment la baie du Gouffre (la baie Saint-Paul, qui forme l'entr�e de la rivi�re du Gouffre) et la rivi�re Flatte ou Malbaie.

Note 206: (retour)

Le cap Tourmente est � environ huit lieues de l'�le aux Coudres. La grande hauteur des Caps fait para�tre les distances beaucoup moindres.

Or nous rangeasmes l'isle d'Orl�ans du cost� du Su, distante de la grand terre une lieue & demie: & du cost� du Nort demie lieue, contenant de long 6 lieues, & de large une lieue, ou lieue & demie, par endroits. Du cost� du Nort elle est fort plaisante pour la quantit� des bois & prayries qu'il y a: mais il y fait fort dangereux passer, pour la quantit� de pointes & rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, o� il y a quantit� de beaux chesnes, & des noyers en quelques endroits; & � l'embucheure207 des vignes & autres bois comme nous avons en France. Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la grande riviere, o� il y a de son entr�e 120.208 Au bout de l'isle y a un torent d'eau209 du cost� du Nort, qui vient d'un lac 210 qui est quelque dix lieues dedans les terres, & descend de dessus une coste qui a pr�s de 25 thoises211 de haut, au dessus de laquelle la terre est unie & plaisante � voir bien que dans le pays on voye de hautes montaignes, qui paroissent de 15 � 20 lieues.

Note 207: (retour)

Ou embuchure. Ce mot, qui ne para�t pas avoir �t� fort en usage, doit signifier ici entr�e du bois, et la phrase revient � celle-ci: �et, � l'entr�e du bois, (il y a) des vignes, et autres bois comme en France.� Notre vigne sauvage, en effet, se rencontre ordinairement le long des rivi�res ou � l'entr�e des bois.

Note 208: (retour)

Cent vingt lieues.

Note 209: (retour)

Au chapitre suivant, dans la carte des environs de Qu�bec, l'auteur l'indique, � la lettre H, sous le nom de Montmorency, et dans l'�dition de 1632, il ajoute ces mots, �que j'ay nomm� le sault de Montmorency.� Il est assez probable que ce fut � ce voyage de 1608 que Champlain lui donna ce nom, en l'honneur du duc de Montmorency, � qui il avait d�di� son Voyage de 1603.

Note 210: (retour)

Le lac des Neiges.

Note 211: (retour)

Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.




148/296Arriv�e � Quebecq, o� nous fismes nos logemens, sa situation. Conspiration contre, le service du Roy, & ma vie, par aucuns de nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa en cet affaire.

CHAPITRE III.

De l'isle d'Orl�ans jusques � Quebecq, y a une lieue, & y arrivay le 3 Juillet: o� estant, je cherchay lieu propre pour nostre habitation, mais je n'en peu trouver de plus commode, ny mieux situ� que la pointe de Quebecq, ainsi appell� des sauvages212, laquelle estoit remplie de noyers. Aussitost j'emploiay une partie de nos ouvriers � les abbatre pour y faire nostre habitation, l'autre � scier des aix, l'autre fouiller la cave & faire des fossez: & l'autre � aller qu�rir nos commoditez � Tadoussac avec la barque. La premi�re chose que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres � couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun, & le soin que j'en eu.

Note 212: (retour)

Par ces mots �ainsi appel� des Sauvages� l'auteur veut dire, suivant nous, que le mot Qu�bec est sauvage, et c'est ainsi que Lescarbot l'a compris. Dans les diff�rents dialectes de la langue algonquine, le mot kebec ou kepac signifie r�tr�cissement. �K�bec, en micmac,� dit un de nos missionnaires qui ont le mieux connu cette langue (M. Bellanger), �veut dire r�tr�cissement des eaux form� par deux langues ou pointes de terre qui se croisent. Dans les premiers temps que j'�tais dans les missions, je descendais de Riscigouche � Carleton; les deux sauvages qui me menoient en canot r�p�tant souvent le mot kebec, je leur demandai s'ils se pr�paraient � aller bient�t � Qu�bec Ils me repondirent: Non; regarde les deux pointes, et l'eau, qui est resserr�e en dedans: on appelle cela k�bec en notre langue.� (Cours d'Hist. de M. Ferland, I, p. 90.) Cette pointe de Qu�bec, o� est maintenant l'�glise de la basse ville, n'est presque plus reconnaissable par suite de la disparution du Cul-de-Sac, � la place duquel on a fait le march� Champlain.

296a

Quebec.

Agrandissement (3146x2051x16)

Les chifres montrent les brasses d'eau.

A Le lieu o� l'habitation est bastie (1).

B Terre deffrich�e o� l'on seme du bled & autres grains (2).

C Les jardinages (3).

D Petit ruisseau qui vient de dedans des marescages (4).

E Riviere (5) o� hyverna Jaques Quartier, qui de son temps la nomma

saincte Croix, que l'on a transf�r� � 15 lieues audessus de Qu�bec.

F Ruisseau des marais (6).

G Le lieu o� l'on amassoit les herbages pour le bestail que l'on y avoit

men� (7).

H Le grand saut de Montmorency qui descent de plus de 25 brasses de haut

dans la riviere (8).

I Bout de l'isle d'Orl�ans.

L Pointe fort estroite (9) du cost� de l'orient de Quebecq.

M Riviere bruyante, qui va aux Etechemains.

N La grande riviere S. Laurens.

O Lac de la riviere bruyante.

P Montaignes qui sont dans les terres; baye que j'ay nomm� la nouvelle

Bisquaye.

Q Lac du grand saut de Montmorency (10).

R Ruisseau de lours (11).

S Ruisseau du Gendre (12).

T Prairies qui sont inond�es des eaux � toutes les mar�es.

V Mont du Gas (13) fort haut, sur le bort de la riviere.

X Ruiseau courant, propre � faire toutes sortes de moulins.

Y Coste de gravier, o� il se trouve quantit� de diamants un peu

meilleurs que ceux d'Alanson.

Z La pointe aux diamants.

9 (14) Lieux o� souvent cabannent les sauvages.

(1)C'est l� proprement la pointe de Qu�bec, qui comprenait l'espace renferm� aujourd'hui entre la Place, la rue Notre-Dame et le fleuve.—(2)Ce premier d�frichement a d� �tre ce qu'on a appel� plus tard l'Esplanade du fort, ou la Grand-Place, ou peut-�tre l'un et l'autre. La Grand-Place devint en 1658 le fort des Hurons; c'�tait l'espace compris entre la C�te de la basse ville et la rue du Fort.—(3)Un peu au-dessus des jardinages, sur le penchant de la c�te du Saut-au-Matelot, on distingue une croix, qui semble indiquer que d�s lors le cimeti�re �tait o� on le trouve quelques ann�es apr�s mentionn� pour la premi�re fois.—(4)D'apr�s les anciens plans de Qu�bec, ces mar�cages auraient �t� � l'ouest du Mont-Carmel et au pied des glacis de la Citadelle. Le ruisseau venait passer � l'est du terrain des Ursulines et des J�suites, suivait quelque temps la rue de la Fabrique, jusqu'� la cl�ture de l'H�tel-Dieu, � l'est de laquelle il se jetait en bas du c�teau vers le pied de la c�te de la Canoterie.—(5)La rivi�re Saint-Charles. La lettre E n'indique pas pr�cis�ment le lieu o� hiverna Jacques Cartier, mais seulement l'embouchure de la rivi�re (voir p. 156).—(6)A en juger par les contours du rivage, ce ruisseau, qui venait du sud-ouest, se jetait dans le havre du Palais, vers l'extr�mit� ouest du Parc.—(7)C'est probablement ce qu'on appela plus tard la grange de Messieurs de la Compagnie, ou simplement la Grange, qui para�t avoir �t� quelque part sur l'all�e du Mont-Carmel.—(8)Le saut Montmorency a 40 brasses de haut, ou 240 pieds fran�ais, et m�me davantage.—(9)On voit qu'en 1613, cette pointe n'avait pas encore de nom; en 1629, Champlain l'appelle cap de L�vis: on peut donc conclure que cette pointe tire son nom de celui du duc de Ventadour, Henri de L�vis, et qu'elle dut �tre ainsi appel�e entre les ann�es 1625 et 1627, �poque o� il fut vice-roi.—(10)Le lac des Neiges est la source de la branche ouest de la rivi�re du Saut.—(11)La rivi�re de Beauport, qu'on appelle aussi la Distillerie.—(12)Appel� plus tard ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers, rivi�re Chalifour, et enfin rivi�re des Fous, � cause du nouvel asile des Ali�n�s, sur l'emplacement duquel il passe aujourd'hui.—(13)�l�vation o� est maintenant le bastion du Roi � la Citadelle. Ce nom lui fut donn� sans doute en souvenir de M. de Monts, Pierre du Gas.—(14)Ce chiffre se retrouve non-seulement � la pointe du cap Diamant, mais encore le long de la c�te de Beauport et au bout de l'�le d'Orl�ans.

Quelques jours apr�s que je fus audit Quebecq, il y eut un 149/297serrurier qui conspira contre le service du Roy; qui estoit m'ayant fait mourir, & s'estant rendu maistre de nostre fort, le mettre entre les mains des Basques ou Espagnols213, qui estoient pour lors � Tadoussac, o� vaisseaux ne peuvent passer plus outre pour n'avoir la cognoissance du partage ny des bancs & rochers qu'il y a en chemin 214.

Note 213: (retour)

Lescarbot pr�tend encore ici trouver Champlain en d�faut, parce que �les conspirateurs (qui d�voient ex�cuter leur entreprise dans quatre jours) avoient propos� de livrer la place aux Hespagnols, laquelle toutefois n'�toit � peine commenc�e � b�tir.� (Liv. V, ch. II.) Il suffit de consid�rer les diff�rentes circonstances du r�cit de Champlain, pour voir qu'il n'y a pas l'ombre de contradiction. Quand le complot fut form�, il n'�tait point question de livrer aux Espagnols un fort d�j� construit, puisque Duval �les avoit induits � telle trahison, d�s qu'ils partirent de France,� comme le d�posent les t�moins (voir ci-apr�s, p. 154). Le complot consistait donc � choisir le moment opportun pour s'emparer de tout, que le fort f�t achev� ou non. Or, comme l'auteur le remarque plus loin (p. 150), les conjur�s n'eussent pu venir � bout de leur dessein une fois les barques arriv�es de Tadoussac.

Note 214: (retour)

Dans un temps o� l'on n'avait encore pu faire que des observations incompl�tes, c'e�t �t� une vraie imprudence que de risquer � monter plus haut un vaisseau de gros tonnage, puisque, de nos jours m�me, avec des �tudes sp�ciales, avec le secours des cartes marines si exactes de l'Amiraut�, nos pilotes canadiens, qui certes n'ont pourtant pas d�g�n�r� de leurs anc�tres, regardent encore la Traverse comme la partie la plus difficile de la navigation du fleuve. (Voir Bayfield, I, partie II, ch. XI.)

Pour ex�cuter son malheureux dessin, sur l'esperance d'ainsi faire sa fortune, il suborna quatre215 de ceux qu'il croyoit estre des plus mauvais gar�ons, leur faisant entendre mille faulcetez & esperances d'acqu�rir du bien.

Note 215: (retour)

�Champlain racontant ce fait,� dit Lescarbot, �se met au nombre des juges & dit que du Val en d�baucha quatre, comme ainsi soit que par son discours il ne s'en trouve que trois.� (Liv. V, ch. II.) Si Champlain, apr�s avoir affirm� que Duval en avait d�bauch� quatre, disait ensuite qu'il n'en d�baucha que trois la contradiction sauterait aux yeux; mais il n'en est rien. L'auteur dit bien que Duval en d�baucha quatre, ce qui faisait cinq conjur�s; mais, de ces cinq, il n'en restait plus que quatre, d�s que Champlain eut accord� le pardon � Natel; c'est-�-dire, qu'il n'y en eut que quatre qui subirent leur proc�s, et qui furent condamn�s.

Apr�s que ces quatre hommes furent gaignez, ils promirent chacun de faire en sorte que d'attirer le reste � leur devotion, & que pour lors je n'avois personne avec moy en qui j'eusse fiance: ce qui leur donnoit encore plus d'esperance de faire reussir leur dessin: d'autant que quatre ou cinq de mes 150/298compagnons, en qui ils s�avoient que je me fiois, estoient dedans les barques pour avoir esgard � conserver les vivres & commoditez qui nous estoient necessaires pour nostre habitation.

Enfin ils sceurent si bien faire leurs men�es avec ceux qui restoient, qu'ils devoient les attirer tous � leur devotion, & mesme mon laquay, leur promettant beaucoup de choses qu'ils n'eussent sceu accomplir.

Estant donc tous d'accord, ils estoient de jour en autre en diverses resolutions comment ils me feroient mourir, pour n'en pouvoir estre accusez, ce qu'ils tenoient difficile: mais le Diable leur bandant � tous les yeux: & leur ostant la raison & toute la difficult� qu'ils pouvoient avoir, ils arresterent de me prendre � despourveu d'armes & m'estouffer, ou donner la nuit une fauce alarme, & comme je sortirois tirer sur moy, & que par ce moyen ils auroient plustost fait qu'autrement: tous promirent les uns aux autres de ne se descouvrir, sur peine que le premier qui en ouvriroit la bouche, seroit poignard�: & dans quatre jours ils devoient ex�cuter leur entreprise, devant que nos barques fussent arriv�es: car autrement ils n'eussent peu venir � bout de leur dessin.

Ce mesme jour arriva l'une de nos barques, o� estoit nostre pilotte appel� le Capitaine Testu, homme fort discret. Apr�s que la barque fut descharg�e & preste � s'en retourner � Tadoussac, il vint � luy un serrurier appel� Natel, compagnon de Jean du Val chef de la traison, qui luy dit, qu'il avoit 151/299promis aux autres de faire tout ainsi qu'eux: mais qu'en effect il n'en desiroit l'ex�cution, & qu'il n'osoit s'en d�clarer, & ce qui l'en avoit empesch�, estoit la crainte qu'il avoit qu'il ne le poignardassent.

Apr�s qu'Antoine Natel eust fait promettre audit pilotte de ne rien d�clarer de ce qu'il diroit, d'autant que si ses compagnons le descouvroient, ils le feroient mourir. Le pilotte l'asseura de toutes choses, & qu'il luy declarast le fait de l'entreprinse qu'ils desiroient faire: ce que Natel fit tout au long: lequel pilotte luy dist, Mon amy vous avez bien fait de descouvrir un dessin si pernicieux, & montrez que vous estes homme de bien, & conduit du S. Esprit. Mais ces choses ne peuvent passer sans que le sieur de Champlain le scache pour y remedier, & vous promets de faire tant envers luy, qu'il vous pardonnera & � d'autres: & de ce pas, dit le pilotte, je le vays trouver sans faire semblant de rien, & vous, allez faire vostre besoigne, & entendez tousjours ce qu'ils diront, & ne vous souciez du reste. Aussitost le pilotte me vint trouver en un jardin que je faisois accommoder, & me dit qu'il desiroit parler � moy en lieu secret, o� il n'y eust que nous deux. Je luy dis que je le voulois bien. Nous allasmes dans le bois, o� il me conta toute l'affaire. Je luy demanday qui luy avoit dit. Il me pria de pardonner � celuy qui luy avoit d�clar�: ce que je luy accorday bien qu'il devoit s'adresser � moy. Il croignoit dit-il qu'eussiez entr� en cholere, & que l'eussiez offenc�. Je luy dis que je s�avois mieux me gouverner que cela en telles affaires, & qu'il le fit venir, pour l'oyr parler. Il 152/300y fut, & l'amena tout tremblant de crainte qu'il avoit que luy fisse quelque desplaisir. Je l'asseuray, & luy dy qu'il n'eust point de peur & qu'il estoit en lieu de seuret�, & que je luy pardonnois tout ce qu'il avoit fait avec les autres, pourveu qu'il dist enti�rement la v�rit� de toutes chose, & le subjet qui les y avoit meuz, Rien, dit-il, sinon que ils s'estoient imaginez que rendant la place entre les mains des Basques ou Espaignols, ils seroient tout riches, & qu'ils ne desiroient plus aller en France, & me conta le surplus de leur entreprinse.

Apr�s l'avoir entendu & interrog�, je luy dis qu'il s'en allast � ses affaires: Cependant je commanday au pilotte qu'il fist: approcher sa chalouppe: ce qu'il fit; & apr�s donnay deux bouteilles de vin � un jeune homme, & qu'il dit � ces quatre galants principaux de l'entreprinse, que c'estoit du vin de present que ses amis de Tadoussac luy avoient donn� & qu'il leur en vouloit faire part: ce qu'ils ne r�fuserent, & furent sur le soir en la Barque, o� il leur devoit donner la collation: je ne tarday pas beaucoup apr�s � y aller, & les fis prendre & arrester attendant le lendemain.

Voyla donc mes galants bien estonnez. Aussitost je fis lever un chacun (car c'estoit sur les dix heures du soir) & leur pardonnay � tous, pourveu qu'ils me disent la v�rit� de tout ce qui s'estoit pass�, ce qu'ils firent, & apr�s les fis retirer.

Le lendemain je prins toutes leurs depositions les unes apr�s les autres devant le pilotte & les mariniers du vaisseau, lesquelles je fis coucher par escript, & furent fort aises � ce qu'ils dirent, d'autant qu'ils ne vivoient qu'en crainte, pour 153/301la peur qu'ils avoient les uns des autres, & principalement de ces quatre coquins qui les avoient ceduits; & depuis vesquirent en paix, se contentans du traictement qu'ils avoient receu, comme ils d�poserent.

Ce jour fis faire six paires de menottes pour les autheurs de la cedition, une pour nostre Chirurgien appel� Bonnerme, une pour un autre appel� la Taille que les quatre ceditieux avoient chargez, ce qui se trouva neantmoins faux, qui fut occasion de leur donner libert�.

Ces choses estans faites, j'emmenay mes galants � Tadoussac, & priay le Pont de me faire ce bien de les garder, d'autant que je n'avois encores lieu de seuret� pour les mettre, & qu'estions empeschez � �difier nos logemens, & aussi pour prendre resolution de luy & d'autres du vaisseau, de ce qu'aurions � faire l� dessus. Nous advisames qu'apr�s qu'il auroit fait ses affaires � Tadoussac, il s'en viendroit � Ouebecq avec les prisonniers, o� les ferions confronter devant leurs tesmoins: & apr�s les avoir ouis, ordonner que la justice en fut faite selon le d�lict qu'ils auroient commis.

Je m'en retournay le lendemain � Quebecq pour faire diligence de parachever nostre magazin, pour retirer nos vivres qui avoient est� abandonnez de tous ces belistres, qui n'espargnoient rien, sans considerer o� ils en pourroient trouver d'autres quand ceux l� manqueroient: car je n'y pouvois donner rem�de que le magazin ne fut fait & ferm�.

Le Pont-grav� arriva quelque temps apr�s moy, avec les prisonniers, ce qui apporta du mescontentement aux ouvriers qui 154/302restoient, craignant que je leur eusse pardonn�, & qu'ils n'usassent de vengeance envers eux, pour avoir d�clar� leur mauvais dessin.

Nous les fismes confronter les uns aux autres, o� ils leur maintindrent tout ce qu'ils avoient d�clar� dans leur d�positions, sans que les prisonniers leur deniassent le contraire, s'accusans d'avoir meschament fait, & m�rit� punition, si on n'usoit de misericorde envers eux, en maudissant Jean du Val, comme le premier qui les avoit induits � telle trahison, d�s qu'ils partirent de France. Ledit du Val ne sceut que dire, sinon qu'il meritoit la mort, & que tout le contenu �s informations estoit v�ritable, & qu'on eust piti� de luy, & des autres qui avoient adh�r� � ses pernicieuses vollontez.

Apr�s que le Pont & moy, avec le Capitaine du vaisseau, le Chirurgien, maistre, contre maistre, & autres mariniers eusmes ouy leurs d�positions & confrontations, Nous advisames que ce seroit assez de faire mourir le dit du Val, comme le motif de l'entreprinse, & aussi pour servir d'exemple � ceux qui restoient, de se comporter sagement � l'advenir en leur devoir, & afin que les Espagnols & Basques qui estoient en quantit� au pays n'en fissent troph�e: & les trois autres condamnez d'estre pendus, & cependant les remmener en France entre les mains du sieur de Mons, pour leur estre fait plus ample justice, selon qu'il adviseroit, avec toutes les informations, & la sentence, tant dudict Jean du Val qui fut pendu & estrangl� audit Quebecq, & sa teste mise au bout d'une pique pour estre plant�e au lieu le plus eminent de nostre fort & les autres trois renvoyez en France.




155/303Retour du Pont-grav� en France. Description de nostre logement & du lieu ou sejourna Jaques Quartier en l'an 1535.

CHAPITRE IV.

Apr�s que toutes ces choses furent pass�es le Pont partit de Quebecq le 18 Septembre pour s'en retourner en France avec les trois prisonniers. Depuis qu'ils furent hors tout le reste se comporta sagement en son devoir.

Je fis continuer nostre logement, qui estoit de trois corps de logis � deux estages. Chacun contenoit trois thoises de long & deux & demie de large. Le magazin216 six & trois de large, avec une belle cave de six pieds de haut. Tout autour de nos logemens je fis faire une galerie par dehors au second estage, qui estoit fort commode, avec des foss�s de 15 pieds de large & six de profond: & au dehors des foss�s, je fis plusieurs pointes d'esperons217 qui enfermoient une partie du logement, 156/304l� o� nous mismes nos pi�ces de canon: & devant le bastiment y a une place 218 de quatre thoises de large, & six ou sept de long, qui donne sur le bort de la riviere. Autour du logement y a des jardins qui sont tr�s-bons, & une place de cost� de Septemptrion qui a quelque cent ou six vingts pas de long, 50 ou 60 de large 219. Plus proche dudit Quebecq, y a une petite riviere 220 qui vient dedans les terres d'un lac distant de nostre habitation de six � sept lieues. Je tiens que dans cette riviere qui est au Nort & un quart du Norouest de nostre habitation, ce fut le lieu o� Jaques Quartier yverna, d'autant qu'il y a encores � une lieue 221 dans la riviere des vestiges comme d'une chemin�e, dont on a trouv� le fondement, & apparence d'y avoir eu des fossez autour de leur logement, qui estoit petit. Nous trouvasmes aussi de grandes pi�ces de bois escarr�es, vermoulues, & quelques 3 ou 4 balles de canon. Toutes ces choses monstrent evidemment que c'a est� une 157/305habitation, laquelle a est� fond�e par des Chrestiens: & ce qui me fait dire & croire que c'est Jaques Quartier, c'est qu'il ne se trouve point qu'aucun aye yvern� ny basty en ces lieux que ledit Jaques Quartier au temps de ses descouvertures, & failloit, � mon jugement, que ce lieu s'appelast sainte Croix, comme il l'avoit nomm�, que l'on a transf�r� depuis � un autre lieu qui est 15 lieues de nostre habitation � l'Ouest, & n'y a pas d'apparence qu'il eust yvern� en ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix, ny en d'autres: d'autant qu'en ce chemin il n'y a riviere ny autres lieux capables de tenir vaisseaux, si ce n'est la grande riviere ou celle dont j'ay parl� cy dessus, o� de basse mer y a demie brasse d'eau, force rochers & un banc � son entr�e: Car de tenir des vaisseaux dans la grande riviere, o� il y a de grands courans, mar�es & glaces qui charient en hyver, ils courroient risque de se perdre, aussi qu'il y a une pointe de sable qui advance sur la riviere, qui est remplie de rochers, parmy lesquels nous avons trouv� depuis trois ans un partage 222 qui n'avoit point encore est� descouvert: mais pour le passer il faut bien prendre son temps, � cause des pointes & dangers qui y sont. Ce lieu est � descouvert des vents de Norouest, & la riviere y court comme si c'estoit un saut d'eau, & y pert de deux brasses & demie. Il ne s'y voit aucune apparence de bastimens ny qu'un homme de jugement voulust s'establir en cest endroit, y en ayant beaucoup d'autres meilleurs quand on seroit forc� de demeurer, 158/306J'ay bien voulu traicter de cecy, d'autant qu'il y en a beaucoup qui croyent que ce lieu fust la residence dudit Jaques Quartier223: ce que je ne croy pas pour les raisons cy dessus: car ledit Quartier en eust aussi bien fait le discours pour le laisser � la posterit� comme il l'a fait de tout ce qu'il a veu & descouvert: & soustiens que mon dire est v�ritable: ce qui se peut prouver par l'histoire qu'il en a escrite.

Note 216: (retour)

Suivant toutes les apparences, ce premier magasin de Qu�bec �tait situ� � angle droit avec les longs pans de l'�glise de la basse ville, � peu pr�s � l'endroit o� est la chapelle lat�rale, et, comme ce terrain continua d'appartenir au gouvernement jusqu'� ce qu'on y b�tit, l'�glise, il y a tout lieu de croire que la limite de cette enceinte, du c�t� du sud-ouest, �tait l'alignement du mur auquel est adoss� le ma�tre-autel, avec l'encoignure des rues Saint-Pierre et Sous-le-Fort.

Note 217: (retour)

Les deux corps de logis les plus rapproch�s du fleuve devaient faire entre eux un angle correspondant � celui que fait, un peu plus en arri�re, la rue Notre-Dame; par cons�quent les deux pointes d'�perons que figurent l'auteur dans la vue de ce premier logement, enfermaient quelque peu l'habitation de ce c�t�. Cependant il semble que, s'il n'y en avait eu que deux, Champlain n'aurait pas dit plusieurs; en outre on remarque, dans ce dessin, la prolongation d'une des faces de l'enceinte au-del� de l'angle oriental de l'habitation; ce qui autorise � croire qu'il y avait une troisi�me pointe d'�peron du c�t� du nord-est. Ceci est d'autant plus vraisemblable, que ce c�t� �tait plus expos� � une attaque.

Note 218: (retour)

Cette place forme aujourd'hui une partie de la rue Saint-Pierre, dont la direction s'est trouv�e d�termin�e sans doute par la position du corps de logis qui �tait le plus � l'est, comme semble l'indiquer le dessin que nous en a conserv� l'auteur.

Note 219: (retour)

La largeur de la rue Notre-Dame, avec les emplacements qui la bordent du c�t� du Nord, forment en effet une profondeur d'une cinquantaine de pas.

Note 220: (retour)

Cette Petite Rivi�re (car les habitants de Qu�bec l'appellent encore ainsi) vient du lac Saint-Charles, qui n'est qu'� environ quatre lieues de Qu�bec. Les Montagnais, au rapport du Fr�re Sagard, l'appelaient Cabirecoubat, �� raison, dit-il, qu'elle tourne et fait plusieurs pointes.� (Hist. du Canada, liv. II, ch. V.) Jacques Cartier lui donna le nom de Sainte-Croix, parce qu'il y arriva le jour de l'Exaltation de la sainte Croix, 14 septembre 1535; et enfin les R�collets lui impos�rent le nom qu'elle porte g�n�ralement aujourd'hui, et l'appel�rent rivi�re Saint-Charles, en m�moire du grand vicaire de Pontoise, Charles Des Boues. (P. Chrestien LeClercq, Prem. �tabliss. de la foi, vol I, p. 157.)

Note 221: (retour)

Suivant l'auteur lui-m�me (�dit. 1632, liv. I, ch. II), Jacques Cartier hiverna � l'endroit o� les PP. J�suites fix�rent leur demeure, �Or, dit M. Ferland (I, p. 26), les J�suites b�tirent leur premi�re maison, ainsi que leur chapelle de Notre-Dame des Anges, � la pointe form�e par les rivi�res Saint-Charles et Lairet. C'est donc � l'embouchure de la rivi�re Lairet, et vis-�-vis la pointe aux Li�vres, que furent plac�s pour l'hiver la Grande et la Petite Hermine.� Il est vrai que l'embouchure de la rivi�re Lairet n'est qu'� environ une demi-lieue dans la Petite-Rivi�re; mais il est probable que Champlain compte la distance depuis l'habitation.

Note 222: (retour)

Le chenal du Richelieu. On sait combien il est difficile de faire, dans un courant aussi rapide, des observations r�guli�res et des sondages suivis.

Note 223: (retour)

Ce qu'il y a d'�tonnant, c'est que, un si�cle plus tard, Charlevoix, qui avait connaissance des relations et de Champlain et de Cartier, soutienne encore une opinion si d�nu�e de vraisemblance. (Voir Hist. g�n. de la Nouv. France, liv I.)

296b

Abitation de Quebecq.

A Le magazin.

B Colombier.

C Corps de logis o� sont nos armes, & pour loger les ouvriers.

D Autre corps de logis pour les ouvriers.

E Cadran.

F Autre corps de logis o� est la forge, & artisans log�s.

G Galleries tout au tour des logemens.

H Logis du sieur de Champlain.

I La porte de l'habitation, o� il y a pont-levis.

L Promenoir autour de l'habitation contenant 10 pieds de large jusques

sur le bort du foss�.

M Foss�s tout autour de l'habitation.

N Plattes formes, en fa�on de tenailles pour mettre le canon.

O Jardin du sieur de Champlain.

P La cuisine.

Q Place devant l'habitation sur le bort de la riviere.

R La grande riviere de sainct Lorens.

Et pour monstrer encore que ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix n'est le lieu o� yverna Jaques Quartier, comme la pluspart estiment, voicy ce qu'il en dit en des descouvertures, extrait de son histoire, as�avoir, Qu'il arriva � l'isle aux Coudres le 5 Decembre224 en l'an 1535. qu'il appella de ce nom pour y en avoir, auquel lieu y a grand courant de mar�e, & dit qu'elle contient 3 lieues de long, mais quand on contera lieue & demie c'est beaucoup 225.

Note 224: (retour)

Le 6 septembre. (Voir le second Voyage de Cartier.)

Note 225: (retour)

L'�le aux Coudres a deux lieues de long, et une lieue de large.

Et le 7 du mois jour de nostre dame 226, il partit d'icelle pour aller � mont le fleuve, o� il vit 14 isles distantes de l'isle aux Coudres de 7 � 8 lieues du Su. En ce compte il s'esgare un peu, car il n'y en a pas plus de trois 227: & dit que le lieu o� sont les isles susd. est le commencement de la 159/307terre ou province de Canada, & qu'il arriva � une isle de 10 lieues de long & cinq de large, o� il se fait grande pescherie de poisson, comme de fait elle est fort abondante, principalement en Esturgeon: mais de ce qui est de sa longueur elle n'a pas plus de six lieues & deux de large, chose maintenant assez cogneue. Il dit aussi qu'il mouilla l'ancre entre icelle isle & la terre du Nort, qui est le plus petit passage & dangereux, & l� mit deux sauvages � terre qu'il avoit amenez en France, & qu'apr�s avoir arrest� en ce lieu quelque temps avec les peuples du pays il fit admener ses barques, & passa outre � mont ledict fleuve avec le flot pour cercher havre & lieu de seuret� pour mettre les navires, & qu'ils furent outre le fleuve costoyant ladite isle contenant 10 lieues comme il met, o� au bout ils trouverent un affour d'eau fort beau & plaisant, auquel y a une petite riviere & havre de barre, qu'ils trouverent fort propre pour mettre leurs vaisseaux � couvert, & le nomm�rent saincte Croix 228, pour y estre arrivez ce jour l� lequel lieu s'appeloit au temps, & voyage dudit Quartier Stadaca229, que maintenant nous appelons Quebecq, & qu'apr�s qu'il eust recogneu ce lieu, il retourna qu�rir ses vaisseaux pour y yverner.

Note 226: (retour)

Champlain cite ici fid�lement; mais le 7 de septembre �tait, comme aujourd'hui, la veille, et non le jour, de la Nativit� de Notre-Dame. Aussi Ramusio met-il: la vigilia della Madona; et Hakluyt: being our Ladies even.

Note 227: (retour)

L'auteur e�t mieux fait, ce semble, de ne pas reprendre ici le capitaine malouin, qui, au fond, est plus exact que lui. Il est bien vrai que ces quatorze �les sont environ trois lieues plus haut, dans le fleuve, que ne l'est l'�le aux Coudres; mais celle-ci est tr�s-rapproch�e de la c�te du nord; tandis que les autres sont du c�t� du sud. En sorte que, de l'�le aux Coudres au point le plus rapproch� de l'�le aux Oies, il n'y a gu�re moins de cinq lieues; et m�me, pour entrer dans cet archipel, qui ne commence sensiblement qu'au haut de l'�le aux Grues, il faut faire pour le moins sept ou huit lieues en ligne droite.

Note 228: (retour)

Voir la note 3 de la page 156.

Note 229: (retour)

Stadacon� (Second Voyage de Cartier).

Or est il donc � juger que de l'isle aux Coudres jusques � l'isle d'Orl�ans, il n'y a que 5 lieues, au bout de laquelle vers l'Occidant la riviere est fort spacieuse, & n'y a audit 160/308affour, comme l'appelle Quartier, aucune riviere que celle qu'il nomma saincte Croix, distante de l'isle d'Orl�ans d'une bonne lieue, o� de basse mer n'y a que demie brasse d'eau, & est fort dangereuse en son entr�e pour vaisseaux, y ayant quantit� d'esprons, qui sont rochers espars par cy par l�, & faut balisser pour entrer dedans, o� de plaine mer, comme j'ay dict, il y a 3 brasses d'eau, & aux grandes mar�es 4 brasses, & 4 & demie ordinairement � plain flot, & n'est qu'� 1500 pas de nostre habitation, qui est plus � mont dans ladite riviere, & n'y a autre riviere, comme j'ay dit, depuis le lieu que maintenant on appelle saincte Croix, o� on puisse mettre aucuns vaisseaux: Ce ne sont que de petits ruisseaux. Les costes son plattes & dangereuses, dont Quartier ne fait aucune mention que jusques � ce qu'il partit du lieu de saincte Croix appel� maintenant Quebecq, o� il laissa ses vaisseaux, & y fit �difier son habitation comme on peut voir ainsi qu'il s'ensuit.

Le 19 Septembre il partit de saincte Croix o� estoient ses vaisseaux, & fit voile pour aller avec la mar�e � mont ledit fleuve qu'ils trouverent fort aggreable, tant pour les bois, vignes & habitations qu'il y avoit de son temps, qu'autres choses: & furent poser l'ancre � vingt cinq lieues de l'entr�e 161/309de la terre de Canada 230, qui est au bout de l'isle d'Orl�ans du cost� de l'oriant ainsi appel�e par ledit Quartier. Ce qu'on appelle aujourd'huy S. Croix s'appeloit lors Achelacy231, destroit de la riviere, fort courant & dangereux, tant pour les rochers qu'autres choses, & o� on ne peut passer que de flot, distant de Quebecq & de la riviere o� yverna ledit Quartier 15 lieues.

Note 230: (retour)

�Charlevoix,� dit M. Ferland (I, p. 24), �croit que Cartier s'est tromp� en restreignant le nom de Canada � une tr�s-petite partie du pays... Cependant, nonobstant la haute autorit� de Charlevoix, il est permis de croire que Cartier, dans ses rapports avec les sauvages pendant les deux hivers qu'il a pass�s pr�s de Stadacon�, a d� apprendre les noms des diff�rentes parties du pays. Il s'explique fort clairement sur les divisions territoriales reconnues par les nations qui habitaient les bords du grand fleuve; et, d'apr�s leur t�moignage, il �tablit l'existence des royaumes de Saguenay, de Canada et de Hochelaga, chacun desquels �tait soumis � un chef principal. Donnacona, dont la r�sidence ordinaire �tait � Stadacon� et dont l'autorit� ne s'�tendait pas au-del� de quelques lieues autour de sa bourgade, est toujours d�sign� comme roi de Canada. Cartier lui-m�me, le routier de Jean-Alphonse et l'auteur du voyage de Roberval, donnent le nom de Canada � Stadacon� et � la pointe de terre sur laquelle �tait ce village. Ce fut plus tard que le nom de rivi�re de Canada fut assign� par les Fran�ais au fleuve qui traverse le pays.�

Note 231: (retour)

L'auteur suit, pour ce mot, l'orthographe de Lescarbot; mais les trois relations manuscrites du Second Voyage de Cartier, portent Achelaiy ou Achelayy, et l'�dition de 1545 Ochelay.

Or en toute ceste riviere n'y a destroit depuis Quebecq jusques au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix, o� on a transf�r� ce nom d'un lieu � un autre qui est fort dangereux, comme j'ay descript: & appert fort clairement par son discours, que ce n'est point le lieu de son habitation, comme dit est, & que ce fut proche de Quebecq & qu'aucun n'avoit encore recerch� ceste particularit�, sinon ce que j'ay fait en mes voyages: Car d�s la premi�re fois qu'on me dit qu'il avoit habit� en ce lieu, cela m'estonna fort, ne voyant apparence de riviere pour mettre vaisseaux, comme il descrit. Ce fut ce qui m'en fit faire exacte recerche pour en lever le soub�on & doubte � beaucoup.

Pendant que les Charpentiers, scieurs d'aix & autres ouvriers travailloient � nostre logement, je fis mettre tout le reste � desfricher au tour de l'habitation, afin de faire des jardinages pour y semer des grains & grennes pour voir comme le tout succederoit, d'autant que la terre parroissoit fort bonne.

162/310Cependant quantit� des sauvages estoient cabann�s proche de nous, qui faisoient pesche d'anguilles qui commencent � venir comme au 15 de Septembre, & finit au 13 Octobre. En ce temps tous les sauvages se nourrissent de ceste manne, & en font secher pour l'yver jusques au mois de Fevrier, que les neiges sont grandes comme de 2 pieds & demy, & 3 pieds pour le plus, qui est le temps que quand leurs anguilles & autres choses qu'ils font checher, sont accommod�es, ils vont chasser aux Castors, o� ils sont jusques au commencement de Janvier. Comme ils y furent, ils nous laisserent en garde toutes leurs anguilles & autres choses jusques � leur retour, qui fut au 15 D�cembre, & ne firent pas grand chasse de Castors pour les eaux estre trop grandes, & les rivieres desbord�es, ainsi qu'ils nous dirent. Je leur rendis toutes leurs vituailles qui ne leur dur�rent que jusques au 20 de Janvier. Quand leurs anguilles leur faillent ils ont recours � chasser aux Eslans & autres bestes sauvages, qu'ils peuvent trouver en attendant le printemps, o� j'eu moyen de les entretenir de plusieurs choses. Je consideray fort particuli�rement leurs coustumes232.

Note 232: (retour)

L'auteur r�p�te ici, avec quelques corrections, ce qu'il dit dans son Voyage de 1603, ch. III.

Tous ces peuples patissent tant, que quelquesfois ils sont contraincts de vivre de certains coquillages, & manger leurs chiens & peaux dequoy ils se couvrent contre le froid. Je tiens que qui leur monstreroit � vivre, & leur enseigneroit le labourage des terres, & autres choses, ils apprendroient fort bien: car ils s'en trouve assez qui ont bon jugement & 163/311respondent � propos sur ce qu'on leur demande. Ils ont une meschancet� en eux, qui est d'user de vengeance, & d'estre grands menteurs, gens ausquels il ne se faut pas trop asseurer, sinon avec raison, & la force en la main. Ils promettent assez, mais ils tiennent peu. Ce sont gens dont la pluspart n'ont point de loy, selon que j'ay peu voir, avec tout plain d'autres fauces croyances. Je leur demanday de quelle sorte de c�r�monies ils usoient � prier leur Dieu, ils me dirent qu'ils n'en usoient point d'autres, sinon qu'un chacun le prioit en son coeur, comme il vouloit. Voila pourquoy il n'y a aucune loy parmy eux, & ne s�avent que c'est d'adorer & prier Dieu, vivans comme bestes bruttes, & croy que bien tost ils seroient r�duits bons Chrestiens si on habitoit leur terre, ce qu'ils d�sirent la pluspart. Ils ont parmy eux quelques sauvages qu'ils appellent Pillotois, qu'ils croient parler au Diable visiblement, leur disant ce qu'il faut qu'ils facent, tant pour la guerre que pour autres choses, & s'ils leur commandoit qu'ils allassent mettre en ex�cution quelque entreprinse, ils obeiroient aussitost � son commandement: Comme aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font, sont v�ritables: & de fait, il y en a beaucoup qui disent avoir veu & song� choses qui adviennent ou adviendront. Mais pour en parler avec v�rit�, ce sont visions Diabolique qui les trompe & seduit. Voila tout ce que j'ay peu apprendre de leur croyance bestialle. Tous ces peuples sont gens bien proportionnez de leurs corps, sans difformit�, & sont dispos. 164/312Les femmes sont aussi bien form�es, potel�es & de couleur bazann�e, � cause de certaines peintures dont elles se frotent, qui les fait demeurer olivastres. Ils sont habillez de peaux: une partie de leur corps est couverte & l'autre partie descouverte: mais l'yver ils rem�dient � tout: car ils sont habillez de bonnes fourrures, comme de peaux d'Eslan, Loustres, Castors, Ours, Loups marins, Cerfs & Biches qu'ils ont en quantit�. L'yver quand les neges sont grandes ils font une mani�re de raquettes qui sont grandes deux ou trois fois plus que celles de France, qu'ils attachent � leurs pieds, & vont ainsi dans les neges, sans enfoncer: car autrement ils ne pourroient chasser ny aller en beaucoup de lieux. Ils ont aussi une fa�on de mariage, qui est, Que quand une fille est en l'aage de 14 ou 15 ans, & qu'elle a plusieurs serviteurs elle a compagnie avec tous ceux que bon luy semble: puis au bout de 5 ou 6 ans elle prend lequel il luy plaist pour son mary, & vivent ensemble jusques � la fin de leur vie: sinon qu'apr�s avoir demeur� quelque temps ensemble, & elles n'ont point enfans, l'homme se peut desmarier & prendre une autre femme, disant que la sienne ne vaut rien: Par ainsi les filles sont plus libres que les femmes.

Depuis qu'elles sont mari�s, elles sont chastes, & leurs maris sont la pluspart jaloux, lesquels donnent des presens aux p�res ou parens des filles qu'ils ont espousez. Voila les c�r�monies & fa�ons dont ils usent en leurs mariages. Pour ce qui est de leurs enterremens: Quand un homme, ou une femme meurt, ils font une fosse, o� ils mettent tout le bien qu'ils ont, comme chaudi�res, fourrures, haches, arcs, fl�ches, 165/313robbes & autres choses: puis ils mettent le corps dans la fosse & le couvrent de terre, & mettent quantit� de grosses pi�ces de bois dessus, & une autre debout qu'ils peindent de rouge par enhaut. Ils croyent l'immortalit� des �mes, & disent qu'ils vont se rejouir en d'autres pays, avec leurs parens & amis qui sont morts. Si ce sont Capitaines ou autres ayans quelque cr�ance, ils vont apr�s leur mort, trois fois l'ann�e faire un festin, chantans & dan�ans sur leur fosse.

Tout le temps qu'ils furent avec nous, qui estoit le lieu le plus de seuret� pour eux, ils ne laissoient d'aprehender tellement leurs ennemis, qu'ils prenoient souvent des alarmes la nuit en songeant, & envoyoient leurs femmes & enfans � nostre fort, o� je leur faisois ouvrir les portes, & les hommes demeurer autour dudict: fort, sans permettre qu'ils entrassent dedans, car ils estoient autant en seuret� de leurs personnes comme s'ils y eussent est�, & faisois sortir cinq ou six de nos compagnons pour leur donner courage, & aller descouvrir parmy les bois s'ils verroient rien pour les contenter. Ils sont fort craintifs & aprehendent infiniment leurs ennemis, & ne dorment presque point en repos en quelque lieu qu'ils soient, bien que je les asseurasse tous les jours de ce qu'il m'estoit possible, en leur remonstrant de faire comme nous, s�avoir veiller une partie, tandis que les autres dormiront, & chacun avoir ses armes prestes comme celuy qui fait le guet, & ne tenir les songes pour v�rit�, sur quoy ils se reposent: d'autant que la pluspart ne sont que menteries, avec autres propos sur ce subject: mais peu leur servoient ces 166/314remonstrances, & disoient que nous s�avions mieux nous garder de toutes choses qu'eux, & qu'avec le temps si nous habitions leur pays, ils le pourroient apprendre.




Semences & vignes plant�es a Quebecq. Commencement de l'hiver & des glaces. Extresme necessit� de certains sauvages.

CHAPITRE V.

Le premier Octobre, je fis semer du bled, & au 15 du seigle.

Le 3 du mois il fit quelques gel�es blanches, & les feuilles des arbres commenc�rent � tomber au 15.

Le 24 du mois, je fis planter des vignes du pays, qui vindrent fort belles: Mais apr�s que je fus party de l'habitation pour venir en France, on les gasta toutes, sans en avoir eu soing, qui m'affligea beaucoup � mon retour.

Le 18 de Novembre tomba quantit� de neges, mais elles ne dur�rent que deux jours sur la terre, & fit en ce temps un grand coup de vent. Il mourut en ce mois un matelot & nostre serrurier233, de la dissenterie, comme firent plusieurs sauvages � force de manger des anguilles mal cuites, selon mon advis.

Note 233: (retour)

Antoine Natel (voir ci-dessus, p. 150).

Le 5 Fevrier il negea fort, & fit un grand vent qui dura deux jours.

Le 20 du mois il apparut � nous quelques sauvages qui estoient de dela la riviere, qui crioyent que nous les allassions 167/315secourir, mais il estoit hors de nostre puissance, � cause de la riviere qui charioit un grand nombre de glaces, car la faim pressoit si fort ces pauvres miserables, que ne s�achans que faire, ils se resolurent de mourir, hommes, femmes, & enfans, ou de passer la riviere, pour l'esperance qu'ils avoient que je les assisterois en leur extresme necessit�. Ayant donc prins ceste resolution, les hommes & les femmes prindrent leurs enfans, & se mirent en leurs canaux, pensant gaigner nostre coste par une ouverture de glaces que le vent avoit faitte: mais ils ne furent sitost au milieu de la riviere, que leurs canaux furent prins & brisez entre les glaces en mille pi�ces. Ils firent si bien qu'ils se jetterent avec leurs enfans que les femmes portoient sur leur dos, dessus un grand gla�on. Comme ils estoient l� dessus, on les entendoit crier, tant que c'estoit grand piti�, n'esperans pas moins que de mourir: Mais l'heur en voulut tant � ces pauvres miserables, qu'une grande glace vint choquer par le cost� de celle o� ils estoient, si rudement qu'elle les jetta � terre. Eux voyant ce coup si favorable furent � terre avec autant de joye que jamais ils en receurent, quelque grande famine qu'ils eussent eu. Ils s'en vindrent � nostre habitation si maigres & deffaits, qu'ils sembloyent des anathomies, la pluspart ne pouvans se soubstenir. Je m'estonnay de les voir, & de la fa�on qu'ils avoient pass�, veu qu'ils estoient si foibles & debilles. Je leur fis donner du pain & des feves. Ils n'eurent pas la patience qu'elles fussent cuites pour les manger. Je leur pretay aussi quelques escorces d'arbres, que d'autres sauvages 168/316m'avoient donn� pour couvrir leurs cabanes. Comme ils se cabannoient, ils adviserent une charongne qu'il y avoit pr�s de deux mois que j'avois fait jetter pour attirer des regnards, dont nous en prenions de noirs & roux, comme ceux de France, mais beaucoup plus chargez de poil. Ceste charongne estoit une truye & un chien qui avoient endur� toutes les rigueurs du temps chaut & froit. Quand le temps s'adoulcissoit, elles puoit si fort que l'on ne pouvoit durer aupr�s: neantmoins ils ne laisserent de la prendre & emporter en leur cabanne, o� aussitost ils la devorerent � demy cuite, & jamais viande ne leur sembla de meilleur goust. J'envoyay deux ou trois hommes les advertir qu'ils n'en mengeassent point s'ils ne vouloient mourir: comme ils approch�rent de leur cabanne, ils sentirent une telle puanteur de ceste charongne � demy eschauff�e, dont ils avoient chacun une pi�ce en la main, qu'ils pencerent rendre gorge, qui fit qu'ils n'y arresterent gueres. Ces pauvres miserables acheverent leur festin. Je ne laissay pourtant de les accommoder selon ma puissance, mais c'estoit peu pour la quantit� qu'ils estoient: & dans un mois ils eussent bien mang� tous nos vivres, s'ils les eussent eu en leur pouvoir, tant ils sont gloutons: Car quand ils en ont, ils ne mettent rien en reserve, & en font ch�re enti�re jour & nuit, puis apr�s ils meurent de faim. Ils firent encore une autre chose aussi miserable que la premi�re. J'avois fait mettre une chienne au haut d'un arbre, qui servoit d'appas aux martres & oiseaux de proye, o� je prenois plaisir, d'autant qu'ordinairement ceste charongne en estoit assaillie: Ces 169/317sauvages furent � l'arbre & ne pouvans monter dessus � cause de leur foiblesse, ils l'abbatirent, & aussitost enleverent le chien, o� il n'y avoit que la peau & les os, & la teste puante & infaicte, qui fut incontinent devor�.

Voila le plaisir qu'ils ont le plus souvent en yver: Car en est� ils ont assez de quoy se maintenir & faire des provisions, pour n'estre assaillis de ces extresmes necessitez, les rivieres abbondantes en poisson & chasse d'oiseaux & austres bestes sauvages. La terre est fort propre & bonne au labourage, s'ils vouloient prendre la peine d'y semer des bleds d'Inde, comme font tous leurs voisins Algommequins, Ochastaiguins234 & Yroquois, qui ne sont attaquez d'un si cruel assaut de famine pour y s�avoir rem�dier par le soin & prevoyance qu'ils ont, qui fait qu'ils vivent heureusement au pris de ces Montaignets, Canadiens 235 & Souriquois qui sont le long des costes de la mer. Voila la pluspart de leur vie miserable. Les neiges & les glaces y sont trois mois sur la terre, qui est depuis le mois de Janvier jusques vers le huictiesme d'Avril, qu'elles sont presque toutes fondues: Et au plus � la fin dudict mois il ne s'en voit que rarement au lieu de nostre habitation. C'est chose estrange, que tant de neiges & glaces qu'il y a espoisses de deux � trois brasses sur la riviere soient en moins de 12 jours toutes fondues. Depuis Tadoussac jusques � Gasp�, cap Breton, 170/318isle de terre neufve & grand baye, les glaces & neges y sont encores en la pluspart des endroits jusques � la fin de May: auquel temps toute l'entr�e de la grande riviere est scel�e de glaces: mais � Quebecq il n'y en a point: qui montre une estrange diff�rence pour 120 lieues de chemin en longitude236: car l'entr�e de la riviere est par les 49, 50 & 51 degr� de latitude, & nostre habitation par les 46. & deux tiers 237.

Note 234: (retour)

C'est ainsi que Champlain a d'abord appel� les Hurons, du nom d'Ochateguin, l'un de leurs chefs.

Note 235: (retour)

A cette �poque on comprenait sous le nom de Canadiens les sauvages qui demeuraient plus bas que le Saguenay, sur les bords de la grande rivi�re de Canada. �Au cost� gauche de ce fleuve� (du Saguenay), dit La�t, �commence la province des Sauvages appelles vulgairement Canadiens.� (Description des Indes Occidentales, liv. II, ch. VIII.)

Note 236: (retour)

Champlain n'ignorait pas que c'est surtout la diff�rence de latitude qui fait la diff�rence des climats; mais ce qui para�t le surprendre, c'est que, � une si petite distance dans le fleuve, il y ait une si grande diff�rence de temp�rature, lorsque la latitude ne diff�re que de trois ou quatre degr�s.

Note 237: (retour)

D'apr�s le capitaine Bayfield, la latitude de Qu�bec est de 46� 49' 8", au bastion de l'Observatoire.




Maladies de la terre, � Quebecq. Le suject de l'yvernement. Description dudit lieu. Arriv�e du sieur des Marais gendre de Pont-grav�, audit Quebecq.

CHAPITRE VI.

Les maladies de la terre commenc�rent � prendre fort tart, qui fut en Fevrier jusqu'� la my Avril. Il en fut frapp� 18 & en mourut dix, & cinq autres de la disenterie. Je fis faire ouverture de quelques uns, pour voir s'ils estoient offencez comme ceux que j'avois veus �s autres habitations: on trouva le mesme. Quelque temps apr�s nostre Chirurgien 238 mourut. Tout cela nous donna beaucoup de desplaisir, pour la peine que nous avions � penser les malades. Cy dessus J'ay descript la forme de ces maladies.

Note 238: (retour)

Il s'appelait Bonnerme (voir, ci-dessus, p. 153).

171/319Or je tiens qu'elles ne proviennent que de manger trop de salures & l�gumes, qui eschaufent le sang, & gastent les parties int�rieures. L'yver aussi en est en partie cause, qui reserre la chaleur naturelle qui cause plus grande corruption de sang: Et aussi la terre quand elle est ouverte il en sort de certaines vapeurs qui y sont encloses lesquelles infectent l'air: ce que l'on a veu par exp�rience en ceux qui ont est� aux autres habitations apr�s la premi�re ann�e que le soleil eut donn� sur ce qui estoit desert�, tant de nostre logement qu'autres lieux, o� l'air y estoit beaucoup meilleur & les maladies non si aspres comme devant. Pour ce qui est du pays, il est beau & plaisant, & apporte toutes sortes de grains & grennes � maturit�, y ayant de toutes les especes d'arbres que nous avons en nos forests par de��, & quantit� de fruits, bien qu'ils soient sauvages pour n'estre cultivez: comme Noyers, Serisiers, Pruniers, Vignes, Framboises, Fraizes, Groiselles verdes & rouges, & plusieurs autres petits fruits qui y sont assez bons. Aussi y a il plusieurs sortes de bonnes herbes & racines. La pesche de poisson y est en abondance dans les rivieres, o� il y a quantit� de prairies & gibier, qui est en nombre infiny. Depuis le mois d'Avril jusques au 13 de D�cembre l'air y est si sain & bon, qu'on ne sent en soy aucune mauvaise disposition: Mais Janvier Fevrier & Mars sont dangereux pour les maladies qui prennent plustost en ce temps qu'en est�, pour les raisons cy dessus dittes: Car pour le traitement, tous ceux qui estoient avec moy estoient bien vestus, & couchez dans de 172/320bons licts, & bien chauffez & nourris, s'entend des viandes sal�es que nous avions, qui � mon opinion les offensoient beaucoup, comme j'ay dict cy dessus: & � ce que j'ay veu, la maladie s'attacque aussi bien � un qui se tient d�licatement, & qui aura bien soin de soy, comme � celuy qui fera le plus miserable. Nous croiyons au commencement qu'il n'y eust que les gens de travail qui fussent prins de ces maladies: mais nous avons veu le contraire. Ceux qui navigent aux Indes Orientalles & plusieurs autres r�gions, comme vers l'Allemaigne & l'Angleterre, en sont aussi bien frappez qu'en la nouvelle France. Depuis quelque temps en �a les Flamans en estans attacquez en leurs voyages des Indes, ont trouv� un rem�de fort singulier contre ceste maladie, qui nous pourroit bien servir: mais nous n'en avons point la cognoissance pour ne l'avoir recherch�. Toutesfois je tiens pour asseur� qu'ayant de bon pain & viandes fra�ches, qu'on n'y feroit point subject.

Le 8 d'Avril les neges estoient toutes fondues, & neantmoins l'air estoit encores assez froit jusques en Avril239, que les arbres commencent � jetter leurs fueilles.

Note 239: (retour)

En mai. L'auteur corrige lui-m�me dans l'�dition de 1632.

Quelques uns de ceux qui estoient malades du mal de la terre, furent gu�ris venant le printemps, qui en est le temps de guerison. J'avois un sauvage du pays qui yverna avec moy, qui fut atteint de ce mal, pour avoir chang� sa nourriture en sal�e, lequel en mourut: Ce qui montre evidemment que les saleures ne valent rien, & y sont du tout contraires.

173/321Le 5 Juin arriva une chalouppe � nostre habitation, o� estoit le sieur des Marais, gendre du Pont-grav�, qui nous aportoit nouvelles que son beau p�re estoit arriv� � Tadoussac le 28 de May. Ceste nouvelle m'apporta beaucoup de contentement pour le soulagement que nous en esperions avoir. Il ne restoit plus que huit de 28 que nous estions, encores la moiti� de ce qui restoit esttoit mal dispos�e.

Le 7 de Juin je party de Quebecq, pour aller � Tadoussac communiquer quelques affaires, & priay le sieur des Marais de demeurer en ma place jusques � mon retour: ce qu'il fit.

Aussitost que j'y fus arriv� le Pont-grav� & moy discourusmes ensemble sur le subject de quelques descouvertures que je devois faire dans les terres, o� les sauvages m'avoient promis de nous guider. Nous resolusmes que j'y irois dans une chalouppe avec vingt hommes, & que Pont-grav� demeureroit � Tadoussac pour donner ordre aux affaires de nostre habitation, ainsi qu'il avoit est� resolu, il fut fait & y yverna: d'autant que je devois m'en retourner en France selon le commandement du sieur de Mons, qui me l'avoit escrit, pour le rendre certain des choses que je pouvois avoir faites, & des descouvertures dudit pays. Apr�s avoir prins ceste resolution je party aussitost de Tadoussac, & m'en retournay � Quebecq, o� je fis accommoder une chalouppe de tout ce qui estoit necessaire pour faire les descouvertures du pays des Yroquois, o� je devois aller avec les Montagnets nos alliez.




174/322 Partement de Quebecq jusques � l'isle saincte Esloy, & de la rencontre que j'y fis des sauvages Algomequins & Ochataiguins.

CHAPITRE VII.

Et pour cest effect je partis le 18 dudit mois, o� la riviere commence � s'eslargir, quelque fois d'une lieue & lieue & demie en tels endroits. Le pays va de plus en plus en embellisant. Ce sont costaux en partie le long de la riviere & terres unies sans rochers que fort peu. Pour la riviere elle est dangereuse en beaucoup d'endroits, � cause des bancs & rochers qui sont dedans, & n'y fait pas bon naviger, si ce n'est la sonde � la main. La riviere est fort abondante en plusieurs sortes de poisson, tant de ceux qu'avons parde�a, comme d'autres que n'avons pas. Le pays est tout couvert de grandes & hautes forests des mesmes sortes qu'avons vers nostre habitation. Il y a aussi plusieurs vignes & noyers qui sont sur le bort de la riviere, & quantit� de petits ruisseaux & rivieres, qui ne sont navigables qu'avec des canaux. Nous passames proche de la pointe Ste. Croix, o� beaucoup tiennent (comme j'ay dit ailleurs) estre la demeure o� yverna Jacques Quartier. Ceste pointe est de sable, qui advance quelque peu dans la riviere, � l'ouvert du Norouest, qui bat dessus. Il y a quelques prayries, mais elles sont innond�es des eaues � toutes les fois que vient la plaine mer, qui pert de pr�s de deux brasses & demie. Ce passage est fort dangereux � passer pour quantit� de rochers 175/323qui sont au travers de la riviere, bien qu'il y aye bon achenal, lequel est fort tortu, o� la riviere court comme un ras, & faut bien prendre le temps � propos pour le passer. Ce lieu a tenu beaucoup de gens en erreur, qui croyoient ne le pouvoir passer que de plaine mer, pour n'y avoir aucun achenal: maintenant nous avons trouv� le contraire: car pour descendre du haut en bas, on le peut de basse mer: mais de monter, il seroit mal-ais�, si ce n'estoit avec un grand vent, � cause du grand courant d'eau, & faut par necessit� attendre un tiers de flot pour le passer, o� il y a dedans le courant 6, 8, 10, 12, 15 brasses d'eau en l'achenal.

Continuant nostre chemin, nous fusmes � une riviere qui est fort aggreable, distante du lieu de saincte Croix, de neuf lieues, & de Quebecq, 24 & l'avons nomm�e la riviere saincte Marie 240. Toute ceste riviere 241 depuis saincte Croix est fort plaisante & aggreable.

Note 240: (retour)

Aujourd'hui rivi�re Sainte-Anne de La P�rade. Elle est � environ neuf lieues de l'�glise actuelle de Sainte-Croix, et � une vingtaine de lieues de Qu�bec.

Note 241: (retour)

Le fleuve Saint-Laurent.

Continuant nostre routte, je fis rencontre de quelques deux ou trois cens sauvages, qui estoient cabannez proche d'une petite isle, appel�e S. Esloy242, distant de S. Marie d'une lieue & demie, & l� les fusmes recognoistre, & trouvasmes que c'estoit des nations de sauvages appelez Ochateguins & Algoumequins qui venoient � Quebecq, pour nous assister aux descouvertures du pays des Yroquois, contre lesquels ils ont guerre mortelle, n'espargnant aucune chose qui toit � eux.

Note 242: (retour)

Voir le Voyage de 1603, p. 29.

176/324Apr�s les avoir recogneus, je fus � terre pour les voir, & m'enquis qui estoit leur chef: Ils me dirent qu'il y en avoit deux, l'un appel� Yroquet & l'autre Ochasteguin qu'ils me montr�rent: & fus en leur cabanne, o� ils me firent bonne r�ception, selon leur coustume.

Je commen�ay � leur faire entendre le subjet de mon voyage, dont ils furent fort resjouis: & apr�s plusieurs discours je me retiray: & quelque temps apr�s ils vindrent � ma chalouppe, o� ils me firent present de quelque pelleterie, en me monstrant plusieurs signes de resjouissance: & de l� s'en retourn�rent � terre.

Le lendemain les deux chefs s'en vindrent me trouver, o� ils furent une espace de temps sans dire mot, en songeant & petunant tousjours. Apr�s avoir bien pens�, ils commenc�rent � haranguer hautement � tous leurs compagnons, qui estoient sur le bort du rivage avec leurs armes en la main, escoutans fort ententivement ce que leurs chefs leur disoient, s�avoir.

Qu'il y avoit pr�s de dix lunes, ainsi qu'ils comptent, que le fils d'Yroquet m'avoit veu, & que je luy avois fait bonne r�ception, & d�clar� que le Pont & moy desirions les assister contre leurs ennemis, avec lesquels ils avoient, d�s longtemps, la guerre, pour beaucoup de cruaut�s qu'ils avoient exerc�es contre leur nation, soubs pr�texte d'amiti�: Et qu'ayant tousjours depuis desir� la vengeance, ils avoient solicit� tous les sauvages que je voyois sur le bort de la riviere, de venir � nous, pour faire alliance avec nous, & qu'ils n'avoient 177/325jamais veu de Chrestiens, ce qui les avoit aussi meus de nous venir voir: & que d'eux & de leurs compagnons j'en ferois tout ainsi que je voudrois; & qu'ils n'avoient point d'enfans avec eux, mais gens qui s�avoient faire la guerre, & plains de courage, s�achans le pays & les rivieres qui sont au pays des Yroquois; & que maintenant ils me prioyent de retourner en nostre habitation, pour voir nos maisons, & que trois jours apr�s nous retournerions � la guerre tous ensemble, & que pour signe de grande amiti� & resjouissance je feisse tirer des mousquets & arquebuses, & qu'ils seroient fort satisfaits: ce que je fis. Ils jetterent de grands cris avec estonnement, & principalement ceux qui jamais n'en avoient ouy ny veus.

Apr�s les avoir ouis, je leur fis responce, Que pour leur plaire, je desirois bien m'en retourner � nostre habitation pour leur donner plus de contentement, & qu'ils pouvoient juger que je n'avois autre intention que d'aller faire la guerre, ne portant avec nous que des armes, & non des marchandises pour traicter, comme on leur avoit donn� � entendre, & que mon desir n'estoit que d'accomplir ce que je leur avois promis: & si j'eusse sceu qu'on leur eut raport� quelque chose de mal, que je tenois ceux l� pour ennemis plus que les leur mesme. Ils me dirent qu'ils n'en croioyent rien, & que jamais ils n'en avoient ouy parler; neantmoins c'estoit le contraire: car il y avoit eu quelques sauvages qui le dirent au nostres: Je me contentay, attendant l'occasion de leur pouvoir montrer par effect autre chose qu'ils n'eussent peu esperer de moy.




178/326Retour � Quebecq, et depuis continuation avec les sauvages jusques au saut de la riviere des Yroquois.

CHAPITRE VIII.

Le lendemain 243 nous partismes tous ensemble, pour aller � nostre habitation, o� ils se resjouirent quelques 5 ou 6 jours, qui se passerent en dances & festins, pour le desir qu'ils avoient que nous fussions � la guerre.

Note 243: (retour)

Probablement le 22 de juin.

Le Pont vint aussitost de Tadoussac avec deux petites barques plaines d'hommes, suivant une lettre o� je le priois de venir le plus promptement qu'il luy seroit possible.

Les sauvages le voyant arriver se resjouirent encores plus que devant, d'autant que je leur dis qu'il me donnoit de ses gens pour les assister, & que peut estre nous yrions ensemble.

Le 28 du mois 244 nous esquipasmes des barques pour assister ces sauvages: le Pont se mit dans l'une & moy dans l'autre, & partismes tous ensemble. Le premier Juin245 arrivasmes � saincte Croix, distant de Quebecq de 15 lieues, o� estant, nous advisames ensemble, le Pont & moy, que pour certaines considerations je m'en yrois avec les sauvages, & luy � nostre habitation & � Tadoussac. La resolution estant prise, j'embarqu� dans ma chalouppe tout ce qui estoit necessaire avec neuf hommes, des Marais, & la Routte nostre pilotte, & moy.

Note 244: (retour)

Le 28 de juin.

Note 245: (retour)

Le premier juillet.

179/327Je party de saincte Croix, le de Juin246 avec tous les sauvages, & passames par les trois rivieres, qui est un fort beau pays, remply de quantit� de beaux arbres. De ce lieu � saincte Croix y a 15 lieues. A l'entr�e d'icelle riviere y a six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de quelque 15 � 1600. pas de long, qui sont fort plaisantes � voir. Et proches du lac sainct Pierre 247, faisant quelque deux lieues dans la riviere 248 y a un petit saut d'eau, qui n'est pas beaucoup dificile � passer. Ce lieu est par la hauteur de 46 degrez quelques minuttes moins de latitude. Les sauvages du pays nous donn�rent � entendre, qu'� quelques journ�es il y a un lac par o� passe la riviere, qui a dix journ�es, & puis on passe quelques sauts, & apr�s encore trois ou quatre autres lacs de 5 ou 6 journ�es: & estans parvenus au bout, ils font 4 ou 5 lieues par terre, & entrent de rechef dans un autre lac 249, ou le Sacqu� 250 prend la meilleure part de sa source. Les sauvages viennent dudit lac � Tadoussac. Les trois rivieres vont 40 journ�es des sauvages: & disent qu'au bout d'icelle riviere il y a des peuples 251 qui sont grands chasseurs, n'ayans de demeure arrest�e, & qu'ils voyent la mer du Nort en moins de six journ�es. Ce peu de terre que j'ay veu est 180/328sablonneuse, assez eslev�e en costaux, charg�e de quantit� de pins & sapins, sur le bort de la riviere, mais entrant dans la terre quelque quart de lieue, les bois y sont tresbeaux & clairs, & le pays uny.

Note 246: (retour)

Le 3 juillet.

Note 247: (retour)

C'est la premi�re fois qu'on trouve le nom de Saint-Pierredonn� � ce lac. En 1603, Champlain y entra le jour de la Saint-Pierre, 29 juin, et c'est l� probablement l'origine de ce nom. Th�vet et Wytfliet l'appellent lac d'Angoul�me.

Note 248: (retour)

Dans le Saint-Maurice. (Voir le Voyage de 1603, p. 31.)

Note 249: (retour)

Le lac Saint-Jean.

Note 250: (retour)

Sagn�, pour Saguenay.

Note 251: (retour)

Probablement les Atticam�gues ou Poissons-Blancs, qui �taient en effet plus chasseurs que guerriers, et qui avaient des rapports avec cinq ou six nations situ�es encore plus au nord qu'eux, (Voir Relat. 1641, p. 32, �d. 1858.)

Continuant nostre routte jusques � l'entr�e du lac sainct Pierre, qui est un pays fort plaisant & uny, & traversant le lac � 2, 3, & 4. brasses d'eau, lequel peut contenir de long quelque 8 lieues, & de large 4. Du cost� du Nort nous vismes une riviere qui est fort aggreable, qui va dans les terres quelques 20 lieues, & l'ay nomm�e saincte Suzanne252: & du cost� du Su, il y en a deux, l'une appel�e la riviere du Pont253,& l'autre de Gennes254, qui sont tresbelles & en beau & bon pays. L'eau est presque dormante dans le lac, qui est fort poissonneux. Du cost� du Nort, il parroist des terres � quelque douze ou quinze lieues du lac, qui sont un peu montueuses. L'ayant travers�, nous passames par un grand nombre d'isles, qui sont de plusieurs grandeurs, o� il y a quantit� de noyers & vignes, & de belles prayries avec force gibier & animaux sauvages, qui vont de la grand terre ausdites isles. La pescherie du poisson y est plus abondante qu'en aucun autre lieu de la riviere qu'eussions veu. De ces isles fusmes � l'entr�e de la riviere des Yroquois, o� nous sejournasmes deux jours & nous rafraichismes de bonnes venaisons, oiseaux, & 181/329poissons, que nous donnoient les sauvages, & o� il s'esmeut entre eux quelque diff�rent sur le subject de la guerre, qui fut occasion qu'il n'y en eut qu'une partie qui se resolurent de venir avec moy, & les autres s'en retourn�rent en leur pays avec leurs femmes & marchandises qu'ils avoient traict�es.

Note 252: (retour)

Elle porte maintenant le nom de rivi�re du Loup.

Note 253: (retour)

La rivi�re de Nicolet (voir la grande carte de 1612). Il est probable que c'est par inadvertance que l'auteur l'indique sous le nom de rivi�re du Gast, dans la grande carte de l'�dition de 1632; puisque, dans le texte, il reproduit le m�me passage en y laissant le nom de Du Pont. Il est possible aussi que le graveur ait mis sur cette rivi�re le chiffre que l'auteur destinait � la rivi�re dont il parle ci-dessus, p. 6l, et � laquelle il avait donn� le nom de Du Gast ou Du Gua.

Note 254: (retour)

Probablement, la rivi�re d'Yamaska.

Partant de ceste entr�e de riviere (qui a quelque 4. � 500. pas de large, & qui est fort belle, courant au Su) nous arrivasmes � un lieu qui est par la hauteur de 45 degrez 255 de latitude � 22 ou 23 lieues des trois rivieres. Toute ceste riviere depuis son entr�e jusques au premier saut, o� il y a 15 lieues, est fort platte & environn�e de bois, comme sont tous les autres lieux cy dessus nommez, & des mesmes especes. Il y a 9 ou 10 belles isles jusques au premier saut des Yroquois, lesquelles tiennent quelque lieue, ou lieue & demie, remplies de quantit� de chesnes & noyers. La riviere tient en des endroits pr�s de demie lieue de large, qui est fort poissonneuse. Nous ne trouvasmes point moins de 4 pieds d'eau. L'entr�e du saut est une mani�re de lac256, o� l'eau descend, qui contient quelque trois lieues de circuit, & y a quelques prairies o� il n'y habite aucuns sauvages, pour le subject des guerres. Il y a fort peu d'eau au saut qui court d'une grande vistesse, & quantit� de rochers & cailloux, qui font que les sauvages ne les peuvent surmonter par eau: mais au retour ils les descendent fort bien. Tout cedict pays est fort uny, remply de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores 182/330parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine � monter la riviere � la rame.

Note 255: (retour)

Les rapides de Chambly sont � environ 45� 30' de latitude.

Note 256: (retour)

Le bassin de Chambly.

Aussitost que nous fusmes arrivez au saut, des Marais, la Routte & moy, & cinq hommes fusmes � terre, voir si nous pourrions passer ce lieu, & fismes quelque lieue & demie sans en voir aucune apparence, sinon une eau courante d'une grandissime roideur, o� d'un cost� & d'autre y avoit quantit� de pierres, qui sont fort dangereuses & avec peu d'eau. Le saut peut contenir quelque 600 pas de large. Et voyant qu'il estoit impossible coupper les bois & faire un chemin avec si peu d'hommes que j'avois, je me resolus avec le conseil d'un chacun, de faire autre chose que ce que nous nous estions promis, d'autant que les sauvages m'avoient asseur� que les chemins estoient aisez: mais nous trouvasmes le contraire, comme j'ay dit cy dessus, qui fut l'occasion que nous en retournasmes en nostre chalouppe, o� j'avois laiss� quelques hommes pour la garder & donner � entendre aux sauvages quand ils seroient arrivez, que nous estions allez descouvrir le long du dit saut.

Apr�s avoir veu ce que desirions de ce lieu, en nous en retournant nous fismes rencontre de quelques sauvages, qui venoient pour descouvrir comme nous avions fait, qui nous dirent que tous leurs compagnons estoient arrivez � nostre chalouppe o� nous les trouvasmes fort contans & satisfaits de ce que nous allions de la fa�on sans guide, sinon que par le raport de ce que plusieurs fois ils nous avoient fait.

183/331Estant de retour, & voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de passer le saut avec nostre chalouppe, cela m'affligea, & me donna beaucoup de desplaisir, de m'en retourner sans avoir veu un grandicime lac, remply de belles isles, & quantit� de beau pays, qui borne le lac, o� habitent leurs ennemis, comme ils me l'avoient figur�. Apr�s avoir bien pens� en moy mesme, je me resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que j'avois: & m'embarquay avec les sauvages dans leurs canots, & prins avec moy deux hommes de bonne volont�. Apr�s avoir propos� mon dessein � des Marais, & autres de la chalouppe, je priay ledit des Marais de s'en retourner en nostre habitation avec le reste de nos gens soubs l'esperance qu'en brief, avec la gr�ce de Dieu, je les reverrois.

Aussitost je fus parler aux Capitaines des sauvages & leur donnay � entendre comme ils nous avoient dit le contraire de ce que j'avois veu au saut, s�avoir, qu'il estoit hors nostre puissance d'y pouvoir passer avec la chalouppe: toutesfois que cela ne m'empecheroit de les assister comme je leur avois promis. Ceste nouvelle les attrista fort & voulurent prendre une autre resolution: mais je leur dis & les y sollicitay, qu'ils eussent � continuer leurs premier dessin, & que moy troisieme, je m'en irois � la guerre avec eux dans leurs canots pour leur monstrer que quant � moy je ne voulois manquer de parole en leur, endroit, bien que fusse seul, & que pour lors je ne voulois forcer personne de mes compagnons de s'embarquer, sinon ceux qui en auroient la volont�, dont j'en avois trouv� deux, que je menerois avec moy.

184/332Ils furent fort contens de ce que je leur dis, & d'entendre la resolution que j'avois, me promettant tousjours de me faire voir choses belles.




Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audict lac, & de la fa�on & conduite qu'ils usent en allant attacquer les Yroquois.

CHAPITRE IX.

Je party donc dudit saut de la riviere des Yroquois, le 2. Juillet257. Tous les sauvages commenc�rent � apporter leurs canots, armes & bagages par terre quelque demie lieue, pour passer l'impetuosit� & la force du saut, ce qui fut promptement fait.

Note 257: (retour)

Probablement le 12 juillet. Si les dates de l'arriv�e de Pont-Grav� � Tadoussac, et de Desmarais � Qu�bec, sont exactes, la petite flottille dut partir de Qu�bec dans les derniers jours de juin, et, par cons�quent, arriver � Sainte-Croix, non le premier de juin, mais le premier de juillet, comme nous l'avons remarqu� ci-dessus. Elle en repart le 3 du m�me mois: elle ne pouvait donc pas avoir pass� le saut de la rivi�re des Iroquois le 2 de juillet. Mais, si l'on suit attentivement la marche de cette petite arm�e depuis Sainte-Croix jusqu'au saut, c'est-�-dire, jusqu'aux rapides de Chambly, et depuis ce lieu jusqu'� celui o� elle rencontra l'ennemi, le 29, on en viendra � la conclusion qu'elle devait avoir pass� le saut vers le 12. Or il est assez vraisemblable que le typographe, au lieu du 12, ait mis le 2.

Aussitost ils les mirent tous en l'eau, & deux hommes en chacun avec leur bagage, & firent aller un des hommes de chasque canot, par terre quelque trois lieues, que peut contenir ledit saut, mais non si imp�tueux comme � l'entr�e, sinon en quelques endroits de rochers qui barrent la riviere, qui n'est pas plus large de 3. � 400 pas. Apr�s que nous eusmes pass� le saut, qui ne fut sans peine, tous les sauvages qui estoient allez par 185/333terre, par un chemin assez beau & pays uny, bien qu'il y aye quantit� de bois, se rembarqu�rent dans leurs canots. Les hommes que j'avois furent aussi par terre, & moy par eau, dedans un canot. Ils firent reveue de tous leurs gens, & se trouva vingt quatre canots, o� il y avoit soixante hommes. Apr�s avoir fait leur reveue, nous continuasmes le chemin jusques � une isle258 qui tient trois lieues de long, remplye des plus beaux pins que j'eusse jamais veu. Ils firent la chasse & y prindrent quelques bestes sauvages. Passant plus outre environ trois lieues de l�, nous y logeasmes pour prendre le repos la nuit ensuivant.

Note 258: (retour)

L'�le Sainte-Th�r�se.

Incontinent un chacun d'eux commen�a, l'un � coupper du bois, les autres � prendre des escorces d'arbre pour couvrir leurs cabannes, pour se mettre � couvert: les autres � abbatre de gros arbres pour se barricader sur le bort de la riviere au tour de leurs cabannes, ce qu'ils s�avent si promptement faire, qu'en moins de deux heures, cinq cens de leurs ennemis auroient bien de la peine � les forcer, sans qu'ils en fissent beaucoup mourir. Ils ne barricadent point le cost� de la riviere o� sont leurs canots arrengez, pour s'embarquer si l'occasion le requeroit. Apr�s qu'ils furent logez, ils envoyerent trois canots avec neuf bons hommes, comme est leur coustume, � tous leurs logemens, pour descouvrir deux ou trois lieues s'ils n'appercevront rien, qui apr�s se retirent. Toute la nuit ils se reposent sur la descouverture des avant-coureurs, qui est une tresmauvaise coustume en eux: car quelque fois ils sont surpris de leurs ennemis en dormant, qui les assomment, sans 186/334qu'ils ayent le loisir de se mettre sur pieds pour leur defendre. Recognoissant cela je leur remonstrois la faute qu'ils faisoient,& qu'ils devoient veiller, comme ils nous avoient veu faire toutes les nuits, & avoir des hommes aux agguets, pour escouter & voir s'ils n'appercevroient rien, & ne point vivre de la fa�on comme bestes. Ils me dirent qu'ils ne pouvoient veiller, & qu'ils travailloient assez de jour � la chasse: d'autant que quand ils vont en guerre ils divisent leurs troupes en trois, s�avoir, une partie pour la chasse separ�e en plusieurs endroits: une autre pour faire le gros, qui sont tousjours sur leurs armes; & l'autre partie en avant-coureurs, pour descouvrir le long des rivieres, s'ils ne verront point quelque marque ou signal par o� ayent pass� leurs ennemis, ou leurs amis: ce qu'ils cognoissent par de certaines marques que les chefs se donnent d'une nation � l'autre, qui ne sont tousjours semblables, s'advertissans de temps en temps quand ils en changent; & par ce moyen ils recognoissent si sont amis ou ennemis qui ont pass�. Les chasseurs ne chassent jamais de l'advant du gros, ny des avant-coureurs, pour ne donner d'allarmes ny de d�sordre, mais sur la retraicte & du cost� qu'ils n'aprehendent leurs ennemis: & continuent ainsi jusques � ce qu'ils soient � deux ou trois journ�es de leurs ennemis, qu'ils vont de nuit � la desrob�e, tous en corps, horsmis les coureurs, & le jour se retirent dans le fort des bois, o� ils reposent, sans s'esgarer ny mener bruit, ny faire aucun feu, afin de n'estre apperceuz, si par fortune leurs ennemis passoient; ny pour ce qui est de leur manger durant ce temps.

187/335Ils ne font du feu que pour petuner, qui est si peu que rien. Ils mangent de la farine de bled d'Inde cuite, qu'ils destrempent avec de l'eau, comme bouillie. Ils conservent ces farines pour leur necessit�, & quand ils sont proches de leurs ennemis, ou quand ils font retraite apr�s leurs charges, qu'ils ne s'amusent � chasser, se retirant promptement.

A tous leurs logemens ils ont leur Pilotois ou Ostemoy259, qui sont mani�res de gens, qui sont les devins, en qui ces peuples ont cr�ance, lequel fait une cabanne, entour�e de petis bois, & la couvre de sa robbe: Apr�s qu'elle est faitte, il se met dedans en sorte qu'on ne le voit en aucune fa�on, puis prend un des piliers de sa cabanne & la fait bransler, marmotant certaines paroles entre ses dens par lesquelles il dit qu'il invoque le Diable, & qu'il s'apparoist � luy en forme de pierre, & luy dit s'ils trouveront leurs ennemis, & s'ils en tueront beaucoup. Ce Pilotois est prostern� en terre, sans remuer, ne faisant que parler au diable, & puis aussitost se leve sur les pieds, en parlant & se tourmentant d'une telle fa�on, qu'il est tout en eau, bien qu'il toit nud. Tout le peuple est autour de la cabanne assis sur leur cul comme des singes. Ils me disoient souvent que le branlement que je voyois de la cabanne, estoit le Diable qui la faisoit mouvoir, & non celuy qui estoit dedans, bien que je veisse le contraire: car 188/336c'estoit, comme j'ay dit cy dessus, le Pilotois qui prenoit un des bastons de sa cabanne, & la faisoit ainsi mouvoir. Ils me dirent aussi que je verrois sortir du feu par le haut: ce que je ne vey point. Ces drosles contrefont aussi leur voix grosse & claire, parlant en langage inconneu aux autres sauvages. Et quand ils la representent cass�e, ils croyent que c'est le Diable qui parle, & qui dit ce qui doit arriver en leur guerre, & ce qu'il faut qu'ils facent.

Note 259: (retour)

Ces deux mots �taient employ�s en Acadie, pour d�signer le jongleur ou sorcier. Le mot pilotais, suivant le P. Biard (Rel. 1611, p. 17), venait des Basques, et les Souriquois se servaient du mot autmoin, que Lescarbot �crit aoutmoin, et Champlain ostemoy. Le P. Lejeune, dans la Relation, de 1636 (p. 13), nous apprend que les Montagnais appelaient leurs sorciers manitousiouekhi, et, d'apr�s le P. Brebeuf (Rel. 1635, p. 35), les Hurons d�signaient les leurs par le nom de arendiouane.

Neantmoins tous ces garniments qui sont les devins, de cent paroles n'en disent pas deux v�ritables, & vont abusans ces pauvres gens, comme il y en a assez parmy le monde, pour tirer quelque denr�e du peuple, ainsi que sont ces galants. Je leur remonstrois souvent que tout ce qu'ils faisoient n'estoit que folie, & qu'ils ne devoient y adjouster foy.

Or apr�s qu'ils ont sceu de leurs devins ce qu'il leur doit succeder, les chefs prennent des bastons de la longueur d'un pied autant en nombre qu'ils sont, & signallent par d'autres un peu plus grands, leurs chefs: Puis vont dans le bois & esplanadent une place de 5 ou 6 pieds en quarr�, o� le chef, comme sergent major, met par ordre tous ces bastons comme bon luy semble: puis appelle tous ses compagnons, qui viennent tous armez, & leur monstre le rang & ordre qu'ils devront tenir lors qu'ils se battront avec leurs ennemis: ce que tous ces sauvages regardent attentivement, remarquant la figure que leur chef a faite avec ces bastons: & apr�s se retirent de l�, & commencent de se mettre en ordre, ainsi qu'ils ont veu lesdicts bastons: 189/337puis se mettent les uns parmy les autres, & retournent de rechef en leur ordre, continuant deux ou trois fois, & � tous leurs logemens sans qu'il soit besoin de sergent pour leur faire tenir leurs rangs, qu'ils s�avent fort bien garder, sans se mettre en confusion. Voila la reigle qu'ils tiennent � leur guerre.

Nous partismes le lendemain, continuant nostre chemin dans la riviere jusques � l'entr�e du lac. En icelle y a nombre de belles isles, qui sont basses remplies de tres-beaux bois & prairies, o� il y a quantit� de gibier & chasse d'animaux, comme Cerfs, Daims, Faons, Chevreuls, Ours, & autres sortes d'animaux qui viennent de la grand terre ausdictes isles. Nous y en prismes quantit�. Il y a aussi grand nombre de Castors, tant en la riviere qu'en plusieurs autres petites qui viennent tomber dans icelle. Ces lieux ne sont habitez d'aucuns sauvages, bien qu'ils soient plaisans, pour le subject de leurs guerres, & se retirent des rivieres le plus qu'ils peuvent au profont des terres, afin de n'estre si tost surprins.

Le lendemain entrasmes dans le lac, qui est de grande estandue comme de 80 ou 100 lieues260, o� j'y vis quatre belles isles, contenant 10, 12 & 15 lieues de long 261, qui autres fois ont est� habit�es par les sauvages, comme aussi la riviere des Yroquois: mais elles ont est� abandonn�es depuis qu'ils ont eu guerre les uns contre les autres: aussi y a il plusieurs rivieres qui viennent tomber dedans le lac, environn�es de 190/338nombre de beaux arbres, de mesmes especes nous avons en France, avec force vignes plus belles qu'en aucun lieu que j'eusse veu: force chastaigners, & n'en avois encores point veu que dessus le bort de ce lac, o� il y a grande abondance de poisson de plusieurs especes: Entre autres y en a un, appel� des sauvages du pays Chaousarou262, qui est de plusieurs longueurs: mais les plus grands contiennent, � ce que m'ont dict ces peuples, 8 � 10 pieds. J'en ay veu qui en contenoyent 5 qui estoient de la grosseur de la cuisse, & avoient la teste grosse comme les deux points, avec un bec de deux pieds & demy de long, & � double rang de dents fort agues & dangereuses. Il a toute la forme du corps tirant au brochet, mais il est arm� d'escailles si fortes qu'un coup de poignard ne les s�auroit percer, & de couleur de gris argent�. Il a aussi l'extr�mit� du bec comme un cochon. Ce poisson fait la guerre � tous les autres qui sont dans ces lacs, & rivieres: & a une industrie merveilleuse, � ce que m'ont asseur� ces peuples, qui est, quand il veut prendre quelques oyseaux, il va dedans des joncs ou roseaux, qui font sur les rives du lac en plusieurs endroits, & met le bec hors l'eau sans se bouger: de fa�on que lors que les oiseaux 191/339viennent se reposer sur le bec, pensans que ce soit un tronc de bois, il est si subtil, que serrant le bec qu'il tient entr'ouvert, ils les tire par les pieds soubs l'eau. Les sauvages m'en donn�rent une teste, dont ils font grand estat, disans que lors qu'ils ont mal � la teste, ils se seignent avec les dents de ce poisson � l'endroit de la douleur qui se passe soudain.

Note 260: (retour)

Il �tait bien difficile de se faire ainsi, � premi�re vue, une id�e exacte des dimensions d'un lac aussi �tendu que celui de Champlain. Aussi l'auteur lui donne-t-il presque trois fois la longueur qu'il a r�ellement.

Note 261: (retour)

Ces quatre �les sont sans doute celles de Contrecoeur (l'�le Longue et la Grande-Ile), l'�le La Motte, et celle de Valcour. Elles ne sont pas tout � fait aussi grandes que l'a cru notre auteur.

Note 262: (retour)

Nous rapprocherons de cette description du Chaousarou celle qu'en fait Sagard dans son Histoire du Canada (liv. ni, p. 765): �Au lieu nomm� par les Hurons Onthrand�en, & par nous le Cap de Victoire,... je vis en la cabane d'un montagnais un certain poisson, que quelques-uns appellent Chaousarou, gros comme un grand brochet. Il n'estoit qu'un des m�diocres, car il s'en voit de beaucoup plus grands, & qui ont jusqu'� 8, 9 & 10 pieds, � ce qu'on dit. Il avoit un bec d'environ un pied & demy de long, fait � peu pr�s comme celuy d'une becasse, sinon qu'il a l'extr�mit� mousse & non si pointu, gros � proportion du corps. Il a double rang de dens fort aigu�s & dangereuses,... & la forme du corps tirant au brochet, mais arm� de tr�s-fortes & dures escailles, de couleur gris argent�, & difficile � percer.� D'apr�s cette description, ce poisson doit appartenir au genre des L�pisost�es de Lac�p�de. Mais les individus d�crits par les Ichtyologistes n'ont pas d'aussi grandes proportions.

Continuant nostre route dans ce lac du cost� de l'Occident, consid�rant le pays, je veis du cost� de l'Orient de fort hautes montagnes, o� sur le sommet y avoit de la neige. Je m'enquis aux sauvages si ces lieux estoient habitez, ils me dirent que ouy, & que c'estoient Yroquois263, & qu'en ces lieux y avoit de belles vall�es, & campagnes fertiles en bleds, comme j'en ay mang� audit pays, avec infinit� d'autres fruits: & que le lac alloit proche des montagnes, qui pouvoient estre esloign�es de nous, � mon jugement, de vingt cinq 264 lieues. J'en veis au midy d'autres qui n'estoient moins hautes que les premi�res, horsmis qu'il n'y avoit point de neige. Les sauvages me dirent que c'estoit o� nous devions aller trouver leurs ennemis, & qu'elles estoient fort peupl�es & qu'il falloit passer par un saut d'eau 265 que je vis depuis: & de l� entrer dans un autre lac 266 qui contient quelque 9 ou 10 lieues de 192/340long, & qu'estant parvenus au bout d'iceluy, il falloit faire quelque deux lieues de chemin par terre, & passer une riviere267, qui va tomber en la coste de Norembegue, tenant � celle de la Floride 268, & qu'ils n'estoient que deux jours � y aller avec leurs canots, comme je l'ay s�eu depuis par quelques prisonniers que nous prismes, qui me discoururent fort particuli�rement de tout ce qu'ils en avoyent cognoissance, par le moien de quelques truchemens Algoumequins, qui s�avoient la langue des Yroquois.

Note 263: (retour)

Si ce rapport des sauvages est exact, il faut croire que la guerre entre les Mahingans et les Agniers, eut pour effet de rapprocher ceux-ci des autres tribus iroquoises, et de les faire �migrer au c�t� occidental du lac. Peut-�tre aussi les Montagnais qui accompagnaient Champlain traitaient-ils d'iroquois les Mahingans eux-m�mes, qui alors pouvaient �tre les alli�s de la nation iroquoise: car le P. J�r�me Lalemant, en parlant de ce qu'avaient �t� autrefois les Loups ou Mahingans, dit (Rel. 1646, 3) i �Les Iroquois Annierronnons les ayans domtez, ils se sont jettez de leur party.�

Note 264: (retour)

L'�dition de 1632 porte 15.

Note 265: (retour)

Ticonderoga.

Note 266: (retour)

Le lac Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George.

Note 267: (retour)

La rivi�re Hudson.

Note 268: (retour)

Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait: �tirant � celle de la Floride�; car Champlain ne devait pas ignorer qu'entre la c�te de Norembegue et la Floride, se trouvait la c�te de la Virginie ou les Virgines, comme il dit lui-m�me (Table de sa grande carte, �dit. 1632).

Or comme nous commen�asmes � approcher � quelques deux ou trois journ�es de la demeure de leurs ennemis, nous n'allions plus que la nuit, & le jour nous nous reposions, neantmoins ne laissoient de faire tousjours leurs superstitions accoustum�es pour s�avoir ce qui leur pourroit succeder de leurs entreprises; & souvent me venoient demander si j'avois song�, & avois veu leurs ennemis: le leur disois que non: Neantmoins ne laissois de leur donner du courage, & bonne esperance. La nuit venue nous nous mismes en chemin jusques au lendemain, que nous nous retirasmes dans le fort du bois, pour y passer le reste du jour. Sur les dix ou onze heures, apr�s m'estre quelque peu proumen� au tour de nostre logement, je fus me reposer, & en dormant, je songay que je voyois les Yroquois nos ennemis, dedans le lac, proche d'une montaigne, qui se noyoient � nostre 193/341veue, & les voulans secourir, nos sauvages alliez me disoient qu'il les falloit tous laisser mourir & qu'ils ne valoient rien. Estant esveill�, ils ne faillirent comme � l'acoustum�e de me demander si j'avois song� quelque chose: je leur dis en effect ce que j'avois veu en songe: Cela leur apporta une telle cr�ance qu'ils ne dout�rent plus de ce qui leur devoit advenir pour leur bien.

Le soir estant venu, nous nous embarquasmes en nos canots pour continuer nostre chemin, & comme nous allions fort doucement, & sans mener bruit, le 29 du mois, nous fismes rencontre des Yroquois sur les dix heures du soir au bout d'un cap 269 qui advance dans le lac du cost� de l'occident, lesquels venoient � la guerre. Eux & nous commen�asmes � jetter de grands cris, chacun se parant de ses armes. Nous nous retirasmes vers l'eau, & les Yroquois mirent pied � terre, & arrang�rent tous leurs canots les uns contre les autres, & commenc�rent � abbatre du bois avec des meschantes haches qu'ils gaignent quelquesfois � la guerre, & d'autres de pierre, & se barricad�rent fort bien.

Note 269: (retour)

Ce cap, ou cette pointe, qui s'avance dans le lac, non loin de la d�charge du lac George, comme l'indique la carte de 1632, nous para�t correspondre � la pointe Saint-Fr�d�ric (Crown point).

Aussi les nostres tindrent toute la nuit leurs canots arrangez les uns contre les autres attachez � des perches pour ne s'esgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin; & estions � la port�e d'une flesche vers l'eau du cost� de leurs barricades. Et comme ils furent armez, & mis en ordre, ils envoyerent deux canots separez de la trouppe, pour s�avoir de leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels 194/342respondirent qu'ils ne desiroient autre chose: mais que pour l'heure, il n'y avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit attendre le jour pour se cognoistre: & qu'aussitost que le soleil se leveroit, ils nous livreroient le combat: ce qui fut accord� par les nostres: & en attendant toute la nuit se passa en danses & chantons, tant d'un cost�, que d'autre, avec une infinit� d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage qu'ils avoient, avec le peu d'effet & resistance contre leurs armes, & que le jour venant, ils le sentiroyent � leur ruine. Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils verroient des effets d'armes que jamais ils n'avoient veu, & tout plain d'autres discours, comme on a accoustum� � un siege de ville. Apr�s avoir bien chant�, dans� & parlement� les uns aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent, preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans toutesfois separez, chacun en un des canots des sauvages montagnars. Apr�s que nous fusmes armez d'armes l�g�res, nous prismes chacun une arquebuse & descendismes � terre. Je vey sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient pr�s de 200 hommes forts & robustes � les voir, qui venoient au petit pas audevant de nous, avec une gravit� & asseurance qui me contenta fort � la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres aussi alloient en mesme ordre & me dirent que ceux qui avoient trois grands pannaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit que ces trois, & qu'on les recognoissoit � ces plumes, qui estoient beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons, & que je 195/343feisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis de faire ce qui seroit de ma puissance, & que j'estois bien fasch� qu'ils ne me pouvoient bien entendre pour leur donner l'ordre & fa�on d'attaquer leurs ennemis, & que indubitablement nous les desferions tous; mais qu'il n'y avoit rem�de, que j'estois tres-aise de leur monstrer le courage & bonne volont� qui estoit en moy quand ferions au combat.

Aussitost que fusmes � terre, ils commenc�rent � courir quelque deux cens pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, & n'avoient encores aper�eu mes compagnons, qui s'en all�rent dans le bois avec quelques sauvages. Les nostres commenc�rent � m'appeller � grands cris: & pour me donner passage ils s'ouvrirent en deux, & me mis � la teste, marchant quelque 20 pas devant, jusqu'� ce que je fusse � quelque 30 pas des ennemis, o� aussitost ils m'aperceurent, & firent alte en me contemplant, & moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer sur nous, je couchay mon arquebuse en joue, visay droit � un des trois chefs, & de ce coup il en tomba deux par terre, & un de leurs compagnons qui fut bless�, qui quelque temps apr�s en mourut. J'avois mis quatre balles dedans mon arquebuse. Comme les nostres virent ce coup si favorable pour eux, ils commenc�rent � jetter de si grands cris qu'on n'eust pas ouy tonner; & cependant les flesches ne manquoyent de cost� & d'autre. Les Yroquois furent fort estonnez, que si promptement deux hommes avoyent est� tuez, bien qu'ils fussent armez d'armes tissues de fil de cotton, & de bois � l'espreuve de 196/344leurs flesches; Cela leur donna une grande apprehension. Comme je rechargeois, l'un de mes compagnons tira un coup de dedans le bois, qui les estonna derechef de telle fa�on, voyant leurs chefs morts, qu'ils perdirent courage, & se mirent en fuite, & abandonn�rent le champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le profond des bois, o� les poursuivans, j'en fis demeurer encores d'autres. Nos sauvages en tu�rent aussi plusieurs, & en prindrent 10 ou 12 prisonniers: Le reste se sauva avec les blessez. Il y en eut des nostres 15 ou 16 de blessez de coups de flesches, qui furent promptement gu�ris.

Apr�s que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent � prendre force bled d'Inde, & les farines des ennemis, & de leurs armes, qu'ils avoient laiss�es pour mieux courir. Apr�s avoir fait bonne ch�re, dans� & chant�, trois heures apr�s nous en retournasmes avec les prisonniers. Ce lieu o� se fit ceste charge est par les 43 degrez & quelques minutes 270 de latitude, & fut nomm� le lac de Champlain.

Note 270: (retour)

La d�charge du lac George est environ � 44�.

344a

Desfaite des Yroquois au Lac Champlain.

Agrandissement (2985x1893x16) 1.33 Mo.

Desfaite des Yroquois au Lac Champlain.

A (1} Le fort des Yroquois.

B Les ennemis.

C Les Canots des ennemis faits d'escorce de chesne, qui peuvent tenir

chacun 10, 15, & 18 hommes.

D. E. Deux chefs tu�s, & un bless� d'un coup d'arquebuse par le sieur

de Champlain.

F (2) Le sieur de Champlain.

G (3) Deux Arquebusiers du sieur de Champlain.

H (4) Montaignets, Ochastaiguins, Algoumequins.

I Canots de nos sauvages ali�s faits d'escorce de bouleau.

K (5) Les bois.

(1) Cette lettre manque dans le dessin.—(2) La lettre manque; mais il est facile de reconna�tre Champlain post� seul entre les combattants.—(3) Cette lettre manque dans le dessin, mais on reconna�t ais�ment les deux arquebusiers sur la lisi�re du bois.—(4) La lettre H a �t� mise par inadvertance sur les canots des alli�s, o� il y a d�j� la lettre I.—(5) Cette lettre, qui manque aussi, est facile � suppl�er.




Retour de la bataille, & ce qui se passa par le chemin.

CHAPITRE X.

Apr�s avoir fait quelque 8 lieues, sur le soir, ils prindrent un des prisonniers, � qui ils firent une harangue des cruautez que luy & les siens avoyent exerc�es en leur endroit, sans 197/345avoir eu aucun esgard, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en recevoir autant, & luy command�rent de chanter s'il avoit du courage, ce qu'il fit, mais avec un chant fort triste � ouyr.

Cependant les nostres allum�rent un feu, & comme il fut bien embras� ils prindrent chacun un tizon, & faisoient brusler ce pauvre miserable peu � peu pour luy faire souffrir plus de tourmens. Ils le laissoient quelques fois, luy jettant de l'eau sur le dos: puis luy arrach�rent les ongles, & luy mirent du feu sur les extremitez des doigts & de son membre. Apr�s ils luy escorcherent le haut de la teste, & luy firent d�goutter dessus certaine gomme toute chaude: puis luy perc�rent les bras pr�s des poignets, & avec des bastons tiroyent les nerfs & les arrachoyent � force: & comme ils voioyent qu'ils ne les pouvoyent avoir, ils les couppoyent. Ce pauvre miserable jettoit des cris estranges, & me faisois piti� de le voir traitter de la fa�on, toutesfois avec une telle constance, qu'on eust dit quelquesfois qu'il ne sentoit presque point de mal. Ils me sollicitoyent fort de prendre du feu pour faire de mesme eux. Je leur remonstrois que nous n'usions point de ces cruautez, & que nous les faisions mourir tout d'un coup, & que s'ils vouloyent que je luy donnasse un coup d'arquebuze, j'en serois content. Ils dirent que non, & qu'il ne sentiroit point de mal. Je m'en allay d'avec eux comme fasch� de voir tant de cruautez qu'ils exercoient sur ce corps. Comme ils virent que je n'en estois contant, ils m'appel�rent & me dirent que je luy donnasse un coup d'arquebuse: ce que je fis, sans qu'il en vist rien; & luy fis passer tous les tourmens qu'il devoit souffrir, 198/346d'un coup, plustost que de le voir tyranniser. Apr�s qu'il fut mort ils ne se content�rent pas, il luy ouvrirent le ventre, & jetterent ses entrailles dedans le lac: apr�s ils luy coupperent la teste, les bras & les jambes, qu'ils separerent d'un cost� & d'autre, & reserverent la peau de la teste, qu'ils avoient escorch�e, comme ils avoient fait de tous les autres qu'ils avoient tuez � la charge. Ils firent encores une meschancet�, qui fut, de prendre le coeur qu'ils coupperent en plusieurs pi�ces & le donn�rent � manger � un sien fr�re, & autres de ses compagnons qui estoient prisonniers, lesquels le prindrent & le mirent en leur bouche, mais ils ne le voulurent avaller: quelques sauvages Algoumequins, qui les avoient en garde le firent recracher � aucuns, & le jetterent dans l'eau. Voila comme ces peuples se gouvernent � l'endroit de ceux qu'ils prennent en guerre: & mieux vaudroit pour eux mourir en combatant, ou se faire tuer � la chaude, comme il y en a beaucoup qui font, plustost que de tomber entre les mains de leurs ennemis. Apr�s ceste ex�cution faite, nous nous mismes en chemin pour nous en retourner avec le reste des prisonniers, qui alloient tousjours chantans, sans autre esperance que celuy qui avoit est� ainsi mal traict�. Estans aux sauts de la riviere des Yroquois les Algoumequins s'en retourn�rent en leur pays, & aussi les Ochatequins271 avec une partie des prisonniers, fort contens de ce qui s'estoit pass� en la guerre, & de ce que librement j'estois all� avec eux. Nous nous departismes donc comme cela, avec de grandes protestations 199/347d'amiti�, les uns & les autres, & me dirent si je ne desirois pas aller en leur pays pour les asister tousjours comme freres: je leur promis.

Note 271: (retour)

Ochateguins, ou Hurons.

Je m'en revins avec les Montagnets. Apr�s m'estre inform� des prisonniers de leurs pays, & de ce qu'il pouvoit y en avoir, nous ployames bagage pour nous en revenir, ce qui fut avec telle diligence, que chacun jour nous faisions 25 & 30 lieues dans leurs dicts canots, qui est l'ordinaire. Comme nous fusmes � l'entr�e de la riviere des Yroquois, il y eut quelques sauvages qui songerent que leurs ennemis les poursuivoient: ce songe les fit aussitost lever le siege, encores que celle nuit fut fort mauvaise � cause des vents & de la pluye qu'il faisoit; & furent passer la nuit dedans de grands roseaux, qui sont dans le lac sainct Pierre, jusqu'au lendemain, pour la crainte qu'ils avoient de leurs ennemis. Deux jours apr�s arrivasmes � nostre habitation, o� je leur fis donner du pain & quelques poix, & des patinostres, qu'ils me demand�rent pour parer la teste de leurs ennemis, qui les portent pour faire des resjouissances � leur arriv�e. Le lendemain je feu avec eux dans leurs canots � Tadoussac, pour voir leurs c�r�monies. Aprochans de la terre, ils prindrent chacun un baston, o� au bout ils pendirent les testes de leurs ennemis tu�s avec quelques patinostres, chantants les uns & les autres: & comme ils en furent prests, les femmes se despouillerent toutes nues, & se jetterent en l'eau, allant au devant des canots pour prendre les testes de leurs ennemis qui estoient au bout de longs bastons devant leurs batteaux, pour apr�s les pendre � 200/348leur col comme si c'eust est� quelque cha�ne precieuse, & ainsi chanter & danser. Quelques jours apr�s ils me rirent present d'une de ces testes, comme chose bien precieuse, & d'une paire d'armes de leurs ennemis, pour les conserver, affin de les montrer au Roy: ce que je leur promis pour leur faire plaisir.

Quelques jours apr�s je fus � Quebecq, o� il vint quelques sauvages Algoumequins, qui me firent entendre le desplaisir qu'ils avoient de ne s'estre trouvez � la deffaite de leurs ennemis, & me firent present de quelques fourrures, en consideration de ce que j'y avois est� & assist� leurs amis.

Quelques jours apr�s qu'ils furent partis pour s'en aller en leur pays, distant de nostre habitation de 120 lieues, je fus � Tadoussac voir si le Pont seroit de retour de Gasp�, o� il avoit est�. Il n'y arriva que le lendemain, & me dit qu'il avoit d�lib�r� de retourner en France. Nous resolusmes de laisser un honneste homme appel� le Capitaine Pierre Chavin, de Dieppe, pour commander � Quebecq, o� il demeura jusques � ce que le sieur de Mons en eust ordonn�.




Retour en France, & ce qui s'y passa jusques au rembarquement.

CHAPITRE XI.

Ceste resolution prinse nous fusmes � Quebecq pour l'establir, & luy laisser toutes les choses requises & necessaires � une habitation, avec quinze hommes. Toutes choses estant en estat 201/349nous en partismes le premier jour de Septembre pour aller � Tadoussac, faire appareiller nostre vaisseau, � fin de nous en revenir en France.

Nous partismes donc de ce lieu le 5 du mois, & le 8 nous fusmes mouiller l'ancre � l'isle Perc�e.

Le jeudy dixiesme partismes de ce lieu, & le mardy ensuivant 18272 du mois arrivasmes sur le grand banc.

Note 272: (retour)

Le mardi �tait le 15.

Le 2 d'Octobre, nous eusmes la sonde. Le 8 mouillasmes l'ancre au Conquet en basse Bretagne. Le Samedy 10 du mois partismes de ce lieu, & arrivasmes � Honfleur le 13.

Estans desembarqu�s, je n'y fis pas long sejour que je ne prinse la poste pour aller trouver le sieur de Mons, qui estoit pour lors � Fontaine-belau o� estoit sa Majest�, & luy representay fort particuli�rement tout ce qui s'estoit pass�, tant en mon yvernement, que des nouvelles descouvertures, & l'esperance de ce qu'il y avoit � faire � l'advenir touchant les promesses des sauvages appelez Ochateguins, qui sont bons Yroquois. Les autres Yroquois leurs ennemis sont plus au midy. Les premiers entendent, & ne diferent pas beaucoup de langage aux peuples descouverts de nouveau, &qui nous avoient est� incogneus cy devant.

Aussitost je fus trouver sa Majest�, � qui je fis le discours de mon voyage, � quoy il print plaisir & contentement.

J'avois une ceinture faite de poils de porc-espic, qui estoit fort bien tissue, selon le pays, laquelle sa Majest� eut pour 202/350aggreable, avec deux petits oiseaux gros comme des merles, qui estoient incarnats 273, & aussi la teste d'un certain poisson qui fut prins dans le grand lac des Yroquois, qui avoit un becq fort long avec deux ou trois rang�es de dents fort aigu�s. La figure de ce poisson est dans le grand lac de ma carte G�ographique 274.

Note 273: (retour)

Cette description convient au Pyranga rubra, AUD.

Note 274: (retour)

La grande carte de 1612. Voir plus haut, p. 190, la description de ce poisson.

Ayant fait avec sa Majest�, le sieur de Mons se d�lib�ra d'aller � Rouen trouver ses associez les sieurs Collier & le Gendre marchands de Rouen, pour adviser � ce qu'ils avoient � faire l'ann�e ensuivant. Ils resolurent de continuer l'habitation, & parachever de descouvrir dedans le grand fleuve S. Laurens, suivant les promesses des Ochateguins, � la charge qu'on les assisteroit en leurs guerres comme nous leur avions promis.

Le Pont fut destin� pour aller � Tadoussac tant pour la traicte que pour faire quelque autre chose qui pourroit apporter de la commodit� pour subvenir aux frais de la despence.

Et le sieur Lucas le Gendre de Rouen, l'un des associez, ordonn� pour avoir soin de faire tant l'achat des marchandises que vivres, & de la frette des vaisseaux, esquipages & autres choses necessaires pour le voyage.

Apr�s ces choses resolues le sieur de Mons s'en retourna � Paris, & moy avec luy, o� je fus jusques � la fin de Fevrier: durant lequel temps le sieur de Mons chercha moyen d'avoir nouvelle commission pour les traictes des nouvelles descouvertures, que nous avions faites, o� auparavant personne 203/351n'avoit traict�: Ce qu'il ne peut obtenir, bien que les demandes & propositions fussent justes & raisonnables.

Et se voyant hors d'esperance d'obtenir icelle commission, il ne laissa de poursuivre son dessin, pour le desir qu'il avoit que toutes choses reussissent au bien & honneur de la France.

Pendant ce temps, le sieur de Mons ne m'avoit dit encores sa volont� pour mon particulier, jusques � ce que je luy eus dit qu'on m'avoit raport� qu'il ne devroit que j'yvernasse en Canadas, ce qui n'estoit pas, car il remit le tout � ma volont�.

Je m'esquipay des choses propres & necessaires pour hyverner � nostre habitation de Quebecq, & pour cest effet party de Paris le dernier jour de Fevrier ensuivant, & fus � Honfleur, o� se devoit faire l'embarquement. Je passay par Rouen, o� je sejournay deux jours: & de l� fus � Honfleur, o� je trouvay le Pont, & le Gendre, qui me dirent avoir fait embarquer les choses necessaires pour l'habitation. Je fus fort aise de nous voir prests � faire voile: toutesfois incertain si les vivres estoient bons & suffisans pour la demeure & yvernement.




205/353

SECOND VOYAGE275
DU SIEUR DE CHAMPLAIN
fait en la Nouvelle France en
l'ann�e 1610.

Note 275: (retour)

Ce voyage est le second que l'auteur ait fait dans la Nouvelle-France avec une commission expresse et personnelle de fonder un �tablissement permanent. Dans les deux voyages pr�c�dents, il n'avait fait qu'accompagner M. de Monts ou ses lieutenants pour faire un rapport fid�le des avantages que pouvaient offrir les pays nouvellement d�couverts.




Partement de France pour retourner en la Nouvelle France, & ce qui se passa jusques � nostre arriv�e en l'habitation.

CHAPITRE I.

e temps venant favorable je m'enbarquay � Honfleur avec quelque nombre d'artisans le 7 du mois de Mars, & fusmes contrariez de mauvais temps en la Manche, & contraincts de relascher en Angleterre, � un lieu appel� Porlan276, o� fusmes quelques jours � la radde: & levasmes l'ancre pour aller � l'isle d'Huy277, qui est proche de la coste d'Angleterre, d'autant que nous trouvions la radde de Porlan fort mauvaise. Estans proches d'icelle isle, la brume s'esleva si fort que nous fusmes contraincts de relascher � la Houque.

Note 276: (retour)

Portland.

Note 277: (retour)

L'�le de Wight.

206/354Depuis le partement de Honfleur, je fus persecut� d'une fort grande maladie, qui m'ostoit l'esperance de faire le voyage, & m'estois embarqu� dans un batteau pour me faire reporter en France au Havre, & l� me faire traicter, estant fort mal au vaisseau: Et faisois estat recouvrant ma sant�, que je me rembarquerois dans un autre, qui n'estoit party de Honfleur, o� devoit s'embarquer des Marests, gendre de Pont-grav�: mais je me fis porter � Honfleur, tousjours fort mal, o� le 15 de Mars le vaisseau d'o� j'estois sorty relascha, pour y prendre du l'aist, qui luy manquoit, pour estre bien en assiete. Il fut en ce lieu jusques au 8 d'Avril. Durant ce temps je me remis en assez bon estat: toutesfois encore que foible & d�bile, je ne laissay pas de me rembarquer.

Nous partismes derechef le 18278 d'Avril, & arrivasmes sur le grand banc le 19 du mois, & eusmes cognoissance des isles S. Pierre le 22. Estans le travers de Menthane nous rencontrasmes 207/355un vaisseau de S. Maslo, o� il y avoit un jeune homme, qui beuvant � la sant� de Pont-grav�, ne se peut si bien tenir, que par l'esbranlement du vaisseau il ne tombast en la mer, & se noya sans y pouvoir donner rem�de, � cause que le vent estoit trop imp�tueux.

Note 278: (retour)

Le 8, ou, comme portait peut-�tre le manuscrit, le dit huit, que l'on aura pris pour dix-huit, et traduit en chiffres. Lescarbot n'a pas vu d'autre moyen de corriger ce passage que de faire arriver Champlain le 26 de mai, au lieu du 26 du mois. Ce qui nous surprend, c'est que M. Ferland, qui d'ordinaire est si exact, ait adopt� la supposition de Lescarbot, sans essayer lui-m�me de concilier ces dates. Mais il est � remarquer premi�rement, que la correction que nous faisons, est motiv�e par les circonstances m�mes du r�cit de l'auteur, puisque le vaisseau �fut en ce lieu jusqu'au 8�, et que, dans l'intervalle, Champlain se r�tablit assez bien pour pouvoir se rembarquer. En second lieu, cette seule correction obvie � toutes les difficult�s, tandis que celle de Lescarbot en laisse subsister d'assez graves: comment Champlain serait-il parti le dix-huit, quand il vient de dire que le vaisseau ne resta que jusqu'au huit? qu'aurait fait le vaisseau dans l'intervalle? Champlain n'aurait-il pas mentionn� la raison de ce nouveau retard comme celle du premier? Enfin comment croire que �depuis plus de soixante ans� on n'e�t pas vu les vaisseaux arriver � Tadoussac avant le 18 de mai, puisque la flotte du Canada partait ordinairement aux grandes mers de mars? (Fournier, Hydrogr., liv. III, ch. XLIX.) D'ailleurs, comme le vaisseau de Champlain avait d'abord fait voile au commencement de mars, il est extr�mement probable que les vaisseaux de traite, qui tenaient � n'�tre pas devanc�s, partirent aussi dans la premi�re moiti� du m�me mois; alors, rien d'�tonnant qu'ils aient �t� rendus � Tadoussac d�s le 18 d'avril. Champlain aurait donc fait la travers�e en dix-huit jours; ce qui n'est point incroyable, puisqu'on a vu des travers�es encore plus courtes. Il y a d'ailleurs raison de croire que le m�me vent qui amena si t�t les vaisseaux de traite � Tadoussac, dut favoriser �galement le vaisseau de Champlain.

Le 26 du mois arrivasmes � Tadoussac, o� il y avoit des vaisseaux qui y estoient arrivez d�s le 18, ce qui ne s'estoit veu il y avoit plus de 60. ans279, � ce que disoient les vieux mariniers qui voguent ordinairement audit pays. C'estoit le peu d'yver qu'il y avoit fait, & le peu de glaces 280, qui n'empescherent point l'entr�e desdicts vaisseaux. Nous s�eusmes par un jeune Gentilhomme appel� le sieur du Parc qui avoit yvern� � nostre habitation, que tous ses compagnons se portoient bien, & qu'il n'y en avoit eu que quelques uns de malades, encore fort peu, & nous asseura qu'il n'y avoit fait presque point d'yver, & avoient eu ordinairement de la viande fraische tout l'yver, & que le plus grand de leur travail estoit de se donner du bon temps.

Note 279: (retour)

�Cette remarque,� dit M. Ferland, �prouve que depuis le dernier voyage de M. de Roberval en 1649, les Basques, les Normands et les Bretons avaient continu� de faire le trafic des pelleteries � Tadoussac.� (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 157, note i.)

Note 280: (retour)

Champlain, en indiquant cette raison, se contente de mentionner un fait, sans pr�tendre le g�n�raliser, et il reste dans le vrai. Lescarbot, moins scrupuleux, tire de suite la conclusion que, si l'entr�e du golfe est obstru�e de glaces � la fin de mai, elle doit l'�tre � plus forte raison au commencement du m�me mois ou dans le mois d'avril; ce qui cependant est contraire aux faits. �L�, dit-il, ilz trouv�rent des vaisseaux arrivez d�s huit jours auparavant, chose qui ne s'�toit veue il y avoit plus de soixante ans, � ce que disoient les vieux mariniers. Car d'ordinaire les entr�es du golfe de Canada sont seel�es de glaces jusques � la fin de May.� (Liv. v, ch. v.)

Cest yver monstre comme se doivent comporter � l'advenir ceux qui auront telles entreprises, estant bien malais� de faire une nouvelle habitation sans travail, & courir la premi�re ann�e mauvaise fortune, comme il s'est trouv� en toutes nos premi�res 208/356habitations. Et � la v�rit� en ostant les salures, & ayant de la viande fraische, la sant� y est aussi bonne qu'en France.

Les sauvages281 nous attendoient de jour en autre pour aller � la guerre avec eux. Comme ils sceurent que le Pont & moy estions arrivez ensemble, il se resjouirent fort, & vindrent parler � nous. Je fus � terre, pour leur asseurer que nous irions avec eux, suivant les promesses qu'ils m'avoient faites, Qu'apr�s le retour de leur guerre, il me meneroient descouvrir les trois rivieres, jusques en un lieu o� il y a une si grande mer 282 qu'ils n'en voyent point le bout, & nous en revenir par le Saguenay audit Tadoussac: & leur demanday s'ils avoient encore ceste mesme volont�: Ils me dirent qu'ouy: mais que ce ne pouvoit estre que l'ann�e suivante: ce qui m'aporta du plaisir283: Toutesfois j'avois promis aux Algoumequins & Ochateguins de les assister aussi en leurs guerres, lesquels m'avoient promis de me faire voir leur pays, & le grand lac 284, & quelques mines de cuivre & autres choses qu'ils m'avoient donn� � entendre: si bien que j'avois deux cordes � mon arc: de fa�on que si l'une failloit, l'autre pouvoit reussir.

Note 281: (retour)

Les Montagnais, comme la suite le fait voir.

Note 282: (retour)

La Baie d'Hudson.

Note 283: (retour)

Le contexte prouve assez qu'il faut �du desplaisir.�

Note 284: (retour)

C'est-�-dire, leur grand lac, le lac Huron.

Le 28 dudit mois je party de Tadoussac, pour aller � Quebecq, o� je trouvay le Capitaine Pierre 285 qui y commandoit, & tous ses compagnons en bon estat; & avec eux un Capitaine sauvage 209/357appel� Batiscan, & aucuns de ses compagnons, qui nous y attendoient, lesquels furent fort resjouys de ma venue, & se mirent � chanter & danser tout le soir. Je leur fis festin ce qu'ils eurent fort aggreable, & firent bonne ch�re, dont ils ne furent point ingrats, & me convierent moy huictiesme qui n'est pas petite faveur parmy eux, o� nous portasmes chacun nostre escuelle, comme est la coustume, & de la remporter chacun plaine de viande, que nous donnions � qui bon nous sembloit.

Note 285: (retour)

Pierre Chavin. (Voir plus haut, p. 200.)

Quelques jours apr�s que je fus party de Tadoussac, les Montagnets arriverent � Quebecq au nombre de 60 bons hommes, pour s'acheminer � la guerre. Ils y sejournerent quelques jours, s'y donnant du bon temps, & n'estoit pas sans souvent m'importuner, s�avoir si je ne manquerois point � ce que je leur avois promis. Je les asseuray, & promis de rechef, leur demandant s'ils m'avoient trouv� menteur par le pass�. Ils se resjouirent fort lors que je leur reiteray mes promesses.

Et me disoient voila beaucoup de Basques & Mistigoches (ainsi appelent ils les Normans & Maslouins) qui disent qu'ils viendront � la guerre avec nous, que t'en semble? disent ils v�rit�? Je leur respondis que non, & que je s�avois bien ce qu'ils avoient au coeur, & que ce qu'ils en disoient n'estoient que pour avoir & attirer leurs commoditez. Ils me disoient tu as dit vray, ce sont femmes, & ne veulent faire la guerre qu'� nos Castors: avec plusieurs autres discours facetieux, & de l'estat & ordre d'aller � la guerre.

Ils se resolurent de partir, & m'aller attendre aux trois 210/358rivieres 30 lieues plus haut que Quebecq, o� je leur avois promis de les aller trouver, & quatre barques charg�es de marchandises, pour traicter de pelleterie, entre autres avec les Ochateguins, qui me devoient venir attendre � l'entr�e de la riviere des Yroquois, comme ils m'avoient promis l'ann�e pr�c�dente, & y amener jusques � 400 hommes, pour aller � la guerre.




Partement de Quebecq pour aller assister nos sauvages aliez � la guerre contre les Yroquois leurs ennemis, & tout ce qui se passa jusques � nostre retour en l'habitation.

CHAPITRE II.

Je party de Quebecq le 14 Juin pour aller trouver les Montagnets, Algoumequins & Ochateguins qui se devoient trouver � l'entr�e de la riviere des Yroquois. Comme je fus � 8 lieues de Quebecq, je rencontray un canot, o� il y avoit deux sauvages, l'un Algoumequin, & l'autre Montagnet, qui me venoient prier de m'advancer le plus viste qu'il me feroit possible, & que les Algoumequins & Ochateguins seroient dans deux jours au rendes-vous au nombre de 200 & 200 autres qui devoient venir un peu apr�s, avec Yroquet un de leurs chefs; & me demand�rent si j'estois content de la venue de ces sauvages: je leur dy que je n'en pouvois estre fasch�, puis qu'ils avoient tenu leur promesse. Ils se mirent dedans ma barque, o� je leur fis fort bonne ch�re. Peu de temps apr�s avoir devis� avec eux de plusieurs choses touchant leurs guerres, le sauvage 211/359Algoumequin, qui estoit un de leurs chefs, tira d'un sac une pi�ce de cuivre de la longueur d'un pied, qu'il me donna, lequel estoit fort beau & bien franc, me donnant � entendre qu'il y en avoit en quantit� l� o� il l'avoit pris, qui estoit sur le bort d'une riviere proche d'un grand lac, & qu'ils le prenoient par morceaux, & le faisant fondre le mettoient en lames, & avec des pierres le rendoient uny. Je fus fort ayse de ce present, encores qu'il fut de peu de valleur.

Arrivant aux trois rivieres, je trouvay tous les Montagnets qui m'attendoient, & quatre barques, comme j'ay dit cy dessus, qui y estoient all�es pour traicter avec eux.

Les sauvages furent resjouis de me voir. Je fus � terre parler � eux. Ils me pri�rent, qu'allant � la guerre je ne m'embarquasse point, ny mes compagnons aussi, en d'autres canots que les leurs; & qu'ils estoient nos antiens amis: ce que je leur promis, leur disant que je voulois partir tout � l'heure, d'autant que le vent estoit bon, & que ma barque n'estoit point si ais�e que leurs canots, & que pour cela je voulois prendre l'advant. Ils me pri�rent instamment d'attendre au lendemain matin, que nous irions tous ensemble, & qu'ils ne feroient pas plus de chemin que moy; Enfin pour les contenter, je leurs promis, dont ils furent fort joyeux.

Le jour ensuivant nous partismes tous ensemble vogans jusques au lendemain matin 19e jour dudit mois, qu'arrivasmes � une isle devant ladite riviere des Yroquois, en attendant les Algoumequins qui devoient y venir ce mesme jour. Comme les 212/360Montagnets couppoient des arbres pour faire place pour danser & se mettre en ordre � l'arriv�e desdits Algoumequins, voicy un canot Algoumequin qu'on aperceut venir en diligence advertir que les Algoumequins avoient fait rencontre des Yroquois, qui estoient au nombre de cent, & qu'ils estoient fort bien barricadez, & qu'il seroit malais� de les emporter, s'ils ne venoient promptement, & les Matigoches avec eux (ainsi nous appelent ils.)

Aussitost l'alarme commen�a parmy eux, & chacun se mit en son canot avec ses armes. Ils furent promptement en estat, mais avec confusion: car ils se precipitoient si fort que au lieu d'advancer ils se retardoient. Ils vindrent � nostre barque, & aux autres, me priant d'aller avec eux dans leurs canots, & mes compagnons aussi, & me presserent si fort que je m'y embarquay moy cinquiesme. Je priay la Routte qui estoit nostre pilotte, de demeurer en la barque, & m'envoyer encores quelque 4 ou 5 de mes compagnons, si les autres barques envoyoient quelques chalouppes avec hommes pour nous donner secours: Car aucunes des barques n'y voulut aller avec les sauvages, horsmis le Capitaine Thibaut qui vint avec moy, qui avoit l� une barque. Les sauvages crioyent � ceux qui restoient qu'ils avoient coeur de femmes, & ne s�avoient faire autre chose que la guerre � leurs pelleteries.

Cependant apr�s avoir fait quelque demie lieue, en traversant la riviere tous les sauvages mirent pied � terre, & abandonnant leurs canots prindrent leurs rondaches, arcs, flesches, massues & esp�es, qu'ils amanchent au bout de grands bastons, & 213/361commenc�rent � prendre leur course dans les bois, de telle fa�on que nous les eusmes bien tost perdus de veue, & nous laisserent cinq que nous estions sans guides. Cela nous apporta du desplaisir: neantmoins voyant tousjours leurs bris�es nous les suivions; mais souvent nous nous abusions. Comme nous eusmes fait environ demie lieue par l'espois des bois, dans des pallus & marescages, tousjours l'eau jusques aux genoux, armez chacun d'un corcelet de piquier qui nous importunoit beaucoup, & aussi la quantit� des mousquites, qui estoient si espoisses qu'elles ne nous permettoient point presque de reprendre nostre halaine, tant elles nous persecutoient, & si cruellement que c'estoit chose estrange, nous ne s�avions plus o� nous estions sans deux sauvages que nous apperceusmes traversans le bois, lesquels nous appelasmes, & leur dy qu'il estoit necessaire qu'ils fussent avec nous pour nous guider & conduire o� estoient les Yroquois, & qu'autrement nous n'y pourrions aller, & que nous nous esgarerions dans les bois. Ils demeur�rent pour nous conduire. Ayant fait un peu de chemin, nous apperceusmes un sauvage qui venoit en diligence nous chercher pour nous faire advancer le plus promptement qu'il seroit possible, lequel me fit entendre que les Algoumequins & Montagnets avoient voulu forcer la barricade des Yroquois & qu'ils avoient est� repouss�s, & qu'il y avoit eu de meilleurs hommes Montagnets tuez, & plusieurs autres blessez, & qu'ils s'estoient retirez en nous attendant, & que leur esperance estoit du tout en nous. Nous n'eusmes pas fait demy quart de lieue avec ce sauvage qui estoit Capitaine Algoumequin, que 214/362nous entendions les hurlemens & cris des uns & des autres, qui s'entre disoient des injures, escarmouchans tousjours l�g�rement en nous attendant. Aussitost que les sauvages nous apper�eurent ils commenc�rent � s'escrier de telle fa�on, qu'on n'eust pas entendu tonner. Je donnay charge � mes compagnons de me suivre tousjours, & ne m'escarter point. Je m'approchay de la barricade des ennemis pour, la recognoistre. Elle estoit faite de puissants arbres, arrangez les uns sur les autres en rond, qui est la forme ordinaire de leurs forteresses. Tous les Montagnets & Algoumequins s'approch�rent aussi de ladite barricade. Lors nous commen�asmes � tirer force coups d'arquebuse � travers les fueillards, d'autant que nous ne les pouvions voir comme eux nous. Je fus bless� en tirant le premier coup sur le bord de leur barricade, d'un coup de flesche qui me fendit le bout de l'oreille & entra dans le col. Je prins la flesche qui me tenoit encores au col & l'arachay: elle estoit ferr�e par le bout d'une pierre bien aigu�. Un autre de mes compagnons en mesme temps fut aussi bless� au bras d'une autre flesche que je luy arrachay. Neantmoins ma blesseure ne m'empescha de faire le devoir, & nos sauvages aussi de leur part, & pareillement les ennemis, tellement qu'on voyoit voler les flesches d'une part & d'autre, menu comme gresle: Les Yroquois s'estonnoient du bruit de nos arquebuses, & principalement de ce que les balles persoient mieux que leurs flesches; & eurent tellement l'espouvante de l'effet qu'elles faisoient, voyant plusieurs de leurs compaignons tombez morts, & blessez, que de crainte qu'ils avoient, croyans ces coups 215/363estre sans rem�de ils se jettoient par terre, quand ils entendoient le bruit: aussi ne tirions gueres � faute, & deux ou trois balles � chacun coup, & avions la pluspart du temps nos arquebuses appuy�es sur le bord de leur barricade. Comme je vy que nos munitions commen�oient � manquer, je dy � tous les sauvages, qu'il les falloit emporter de force & rompre leurs barricades, & pour ce faire prendre leurs rondaches & s'en couvrir, & ainsi s'en aprocher de si pr�s que l'on peust lier de bonnes cordes aux pilliers qui les soustenoient, & � force de bras tirer tellement qu'on les renversast, & par ce moyen y faire ouverture suffisante pour entrer dedans leur fort: & que cependant nous � coups d'arquebuses repousserions les ennemis qui viendroient se presenter pour les en empescher: & aussi qu'ils eussent � se mettre quelque quantit� apr�s de grands arbres qui estoient proches de ladite barricade, afin de les renverser dessus pour les accabler, que d'autres couvriroient de leurs rondaches pour empescher que les ennemis ne les endommageassent, ce qu'ils firent fort promptement. Et comme on estoit en train de parachever, les barques qui estoient � une lieue & demie de nous nous entendoient battre par l'equo de nos arquebusades qui resonnoit jusques � eux, qui fit qu'un jeune homme de sainct Maslo plein de courage, appel� des Prairies, qui avoit sa barque comme les autres pour la traite de pelleterie, dit � tous ceux qui restoient, que c'estoit une grande honte � eux de me voir battre de la fa�on avec des sauvages, sans qu'ils me vinssent secourir, & que pour luy il avoit trop l'honneur en recommandation, & qu'il ne vouloit 216/364point qu'on luy peut faire ce reproche: & sur cela se d�lib�ra de me venir trouver dans une chalouppe avec quelques siens compagnons, & des miens qu'il amena avec luy. Aussitost qu'il fut arriv� il alla vers le fort des Yroquois, qui estoit sur le bort de la riviere, o� il mit pied � terre, & me vint chercher. Comme je le vis, je fis cesser nos sauvages qui rompoient la forteresse, afin que les nouveaux venus eussent leur part du plaisir. Je priay le sieur des Prayries & ses compagnons de faire quelque salve d'arquebusades, auparavant que nos sauvages les emportassent de force, comme ils avoient d�lib�r�: ce qu'ils firent, & tir�rent plusieurs coups, o� chacun d'eux se comporta bien en son devoir. Et apr�s avoir assez tir�, je m'adresse � nos sauvages & les incitay de parachever: Aussitost s'aprochans de ladite barricade comme ils avoient fait auparavant, & nous � leurs aisles pour tirer sur ceux qui les voudroient empescher de la rompre. Ils firent si bien & vertueusement qu'� la faveur de nos arquebusades ils y firent ouverture, neantmoins difficile � passer, car il y avoit encores la hauteur d'un homme pour entrer dedans, & des branchages d'arbres abbatus, qui nuisoient fort: Toutesfois quand je vey l'entr�e assez raisonnable, je dy qu'on ne tirast plus: ce qui fut fait: Au mesme instant quelque vingt ou trente, tant des sauvages que de nous autres, entrasmes dedans l'esp�e en la main, sans trouver beaucoup de resistance. Aussitost ce qui restoit sain commen�a � prendre la fuitte: mais ils n'alloient pas loing, car ils estoient d�faits par ceux qui estoient � l'entour de ladite baricade: & ceux qui 217/365eschaperent se noy�rent dans la riviere. Nous prismes quelques quinze prisonniers, le reste tu� � coups d'arquebuse, de flesches & d'esp�e. Quand ce fut fait, il vint une autre chalouppe & quelques uns de nos compagnons dedans, qui fut trop tart: toutesfois assez � temps pour la despouille du butin, qui n'estoit pas grand chose: il n'y avoit que des robes de castor, des morts, plains de sang, que les sauvages ne vouloient prendre la peine de despouiller, & se moquoient de ceux qui le faisoient, qui furent ceux de la derni�re chalouppe: Car les autres ne se mirent en ce villain devoir. Voila donc avec la gr�ce de Dieu la victoire obtenue, dont ils nous donn�rent beaucoup de louange.

364a

Fort des Yroquois

Agrandissement(2863x20783x16) 1.38 Mo.

A Le fort des Yroquois.

B Yroquois se jettans en la riviere pour se sauver poursuivis par les Montaignets & Algoumequins se jettant apr�s eux pour les tuer.

D Le sieur de Champlain & 5 des siens.

E Tous nos sauvages amis.

F Le sieur des Prairies de S. Maslo avec ses compagnons.

G Chalouppe dudit sieur des Prairies.

H Grands arbres coupp�s pour ruiner le fort des Yroquois.

Ces sauvages escorcherent les testes de ceux qui estoient morts, ainsi qu'ils ont accoustum� de faire pour troph�e de leur victoire, & les emportent. Ils s'en retourn�rent avec cinquante blessez des leurs, & trois hommes morts desdicts Montagnets & Algoumequins, en chantant, & leurs prisonniers avec eux. Ayant les testes pendues � des bastons devant leurs canots & un corps mort coupp� par quartiers, pour le manger par vengeance, � ce qu'ils disoient, & vindrent en ceste fa�on jusques o� estoient nos barques audevant de ladite riviere des Yroquois.

Et mes compagnons & moy nous embarquasmes dans une chalouppe, o� je me fis penser de ma blesseure par le chirurgien de Boyer de Rouen qui y estoit venu aussi pour la traicte. Tout ce jour se passa avec les sauvages en danses & chan�ons.

Le lendemain ledit sieur du Pont arriva avec une autre chalouppe charg�e de quelques marchandises & une autre qu'il 218/366avoit laiss�e derri�re o� estoit le Capitaine Pierre qui ne pouvoit venir qu'avec peine, estant ladite barque un peu lourde & malais�e � nager.

Cedit jour on traicta quelque pelleterie, mais les autres barques emport�rent la meilleure part du butin. C'estoit leur avoir fait un grand plaisir de leur estre all� chercher des nations �trang�res, pour apr�s emporter le profit sans aucune risque ny hazard.

Ce jour je demanday aux sauvages un prisonnier Yroquois qu'ils avoient, lequel ils me donn�rent. Je ne fis pas peu pour luy, car je le sauvay de plusieurs tourmens qu'il luy eust fallu souffrir avec ses compagnons prisonniers, ausquels ils arrachoient les ongles, puis leur couppoient les doits, & les brusloient en plusieurs endroits. Ils en firent mourir ledit jour deux ou trois, & pour leur faire souffrir plus de tourmens ils en usent ainsi.

Ils prindrent leurs prisonniers & les emmen�rent sur le bort de l'eau & les attach�rent tous droits � un baston, puis chacun venoit avec un flambeau d'escorce de bouleau, les brullans tantost sur une partie tantost sur l'autre: & les pauvres miserables sentans ce feu faisoient des cris si haut que c'estoit chose estrange � ouyr, & des cruautez dont ces barbares usent les uns envers les autres. Apr�s les avoir bien fait languir de la fa�on, & les brullans avec ladite escorce, ils prenoient de l'eau & leur jettoient sur le corps pour les faire languir d'avantage: puis leur remettoient de rechef le feu de telle fa�on, que la peau tomboit de leurs corps, & continuoyent avec grands cris & exclamations, dansant jusques � 219/367ce que ces pauvres miserables tombassent morts sur la place.

Aussi tost qu'il tomboit un corps mort � terre, ils frappoient dessus � grands coups de baston, puis luy coupoient les bras & les jambes, & autres parties d'iceluy, & n'estoit tenu pour homme de bien entr'eux celuy qui ne couppoit un morceau de sa chair & ne la donnoit aux chiens. Voila la courtoisie que re�oivent les prisonniers. Mais neantmoins ils endurent si constamment tous les tourmens qu'on leur fait, que ceux qui les voyent en demeurent estonnez.

Quant aux autres prisonniers qui resterent, tant aux Algoumequins que Montagnets, furent conservez pour les faire mourir par les mains de leurs femmes & filles, qui en cela ne se monstrent pas moins inhumaines que les hommes, encores elles les surpassent de beaucoup en cruaut�: car par leur subtilit� elles inventent des supplices plus cruels, & y prennent plaisir, les faisant ainsi finir leur vie en douleurs extresmes.

Le lendemain arriva le Capitaine Yroquet & un autre Ochatagin, qui avoient quelques 80 hommes, qui estoient bien faschez de ne s'estre trouvez � la deffaite. En toutes ces nations il y avoit bien pr�s de 200 hommes qui n'avoient jamais veu de Chrestiens qu'alors, dont ils firent de grandes admirations.

Nous fusmes quelques trois jours ensemble � une isle286 le 220/368travers de la riviere des Yroquois, & puis chacune des nations s'en retourna en son pays. J'avois un jeune gar�on, qui avoit desja yvern� deux ans � Quebecq, lequel avoit desir d'aller avec les Algoumequins, pour apprendre la langue. Pont-grav� & moy advisasmes que s'il en avoit envie que ce seroit mieux fait de l'envoyer l� qu'ailleurs, pour s�avoir quel estoit leur pays, voir le grand lac, remarquer les rivieres, quels peuples y habitent; ensemble descouvrir les mines & choses les plus rares de ces lieux & peuples, afin qu'� son retour nous peussions estre informez de la v�rit�. Nous luy demandasmes s'il l'avoit aggreable: car de l'y forcer ce n'estoit ma volont�: mais aussi tost la demande faite, il accepta le voyage tr�s-volontiers.

Note 286: (retour)

L'�le de Saint-Ignace. Les sauvages, pour �viter les surprises, ayant pour habitude de camper dans les �les, on peut raisonnablement supposer que cette �le �tait proprement le lieu de la traite, quoiqu'on d�sign�t ce lieu sous le nom de cap au Massacre, ou cap de la Victoire, � cause de la proximit� de ce dernier. Sans aucun doute, le cap de la Victoire a d� son nom � la victoire remport�e sur les Iroquois dans cette exp�dition de 1610. �Ce lieu du Cap de la Victoire ou de Massacre,� �crit Sagard en 1632 (Grand Voyage, p. 60), est � douze ou quinze lieues au de�� de la Riviere des Prairies... La riviere en cet endroit n'a environ que demye lieue de large, & d�s l'entr�e se voyent tout d'un rang 6 ou 7 isles fort agr�ables & couvertes de beaux bois.—A l'issue du lac,� ajoute le m�me auteur dans son Histoire du Canada, �nous entrasmes peu apr�s au port du Cap de la Victoire... On voit du port six ou sept isles toutes de front,... qui couvrent le lac S. Pierre & la riviere des Ignerhonons (nation hyroquoyse) qui se descharge icy dans le grand fleuve, vis � vis du port, beau, large & fort spacieux.� Plus loin, p. 765, il parle encore du m�me lieu, �nomm�, dit-il, par les Hurons Onthrand�en, & par nous cap de la Victoire.� Un passage de Nicolas Perrot nous apprend d'une mani�re un peu plus pr�cise la position du cap de la Victoire: �Les Outao�as, dit-il, & toutes les autres nations qui commer�oient avec les Fran�ois... s'imaginoient que l'Irroquois estoit embusqu� partout. Ils n'en trouverent cependant qu'au cap Massacre, qui est l'endroit des derni�res concessions au bas de Saint-Ours.� (M�moire de Nicolas Perrot, �dit. du P. Tailhan, p. 93.) Or on sait que la concession de Saint-Ours finissait, sur le fleuve, � une lieue et demie au-dessus de Sorel. Enfin la Relation de 1646 (p. 10) dit que �le cap nomm� de Massacre �tait � une lieue plus haut que Richelieu,� ou Sorel.

Je fus trouver le Capitaine Yroquet qui m'estoit fort affectionn�, auquel je demanday s'il vouloit emmener ce jeune gar�on avec luy en son pays pour y yverner, & le ramener au printemps: Il me promit le faire, & le tenir comme son fils, & qu'il en estoit tres-content. Il le va dire � tous les Algoumequins, qui n'en furent pas trop contens, pour la crainte que quelque accident ne luy arriva: & que pour cela nous leur 221/369fissions la guerre. Ce doubte refroidit Yroquet, & me vint dire que tous ses compagnons ne le trouvoient pas bon: Cependant toutes les barques s'en estoient all�es, horsmis celle du Pont, qui ayant quelque affaire press�e, � ce qu'il me dit, s'en alla aussi: & moy je demeuray avec la mienne, pour voir ce qui reussiroit du voyage de ce gar�on que j'avois envie qu'il fit. Je fus donc � terre & demanday � parler aux Capitaines, lesquels vindrent � moy, & nous assismes avec beaucoup d'autres sauvages anciens de leurs trouppes; puis je leur demanday pourquoy le Capitaine Yroquet que je tenois pour mon amy, avoit refus� d'emmener mon gar�on avec luy. Que ce n'estoit pas comme fr�re ou amy, de me dernier une chose qu'il m'avoit promis, laquelle ne leur pouvoit apporter que du bien; & que en emmenant ce gar�on, c'estoit pour contracter plus d'amiti� avec eux & leurs voisins, que n'avions encores fait, & que leur difficult� me faisoit avoir mauvaise opinion d'eux; & que s'ils ne vouloient emmener ce gar�on, ce que le Capitaine Yroquet m'avoit promis, je n'aurois jamais d'amiti� avec eux, car ils n'estoient pas enfans pour rejetter ceste promesse. Alors ils me dirent qu'ils en estoient bien contens, mais que changeant de nourriture, ils craignoient que n'estant si bien noury comme il avoit accoustum�, il ne luy arriva quelque mal dont je pourrois estre fasch�, & que c'estoit la seule cause de leur refus.

Je leur fis responce que pour la vie qu'ils faisoient & des vivres dont ils usoient, ledit gar�on s'y s�auroit bien accommoder, & que si par maladie ou fortune de guerre il luy 222/370survenoit quelque mal, cela ne m'empescheroit de leur vouloir du bien, & que nous estions tous subjects aux accidens, qu'il failloit prendre en patience: Mais que s'ils le traitoyent mal, & qu'il luy arriva quelque fortune par leur faute, qu'� la v�rit� j'en serois mal content; ce que je n'esperois de leur part, ains tout bien.

Ils me dirent, puis donc que tu as ce desir, nous l'emmenerons & le tiendrons comme nous autres: Mais tu prendras aussi un jeune homme en sa place, qui ira en France: Nous serons bien aise qu'il nous rapporte ce qu'il aura veu de beau. Je l'acceptay volontiers, & le prins287. Il estoit de la nation des Ochateguins, & fut aussi fort aise de venir avec moy. Cela donna plus de subject de mieux traicter mon gar�on, lequel j'esquippay de ce qui luy estoit necessaire, & promismes les uns aux autres de nous revoir � la fin de Juin.

Note 287: (retour)

�J'ay vu souvent, dit Lescarbot, ce sauvage de Champlein nomm� Savignon, � Paris, gros garson & robuste, lequel se mocquoit voyant quelquefois deux hommes se quereller sans se battre, ou tuer, disant que ce n'�toient que des femmes, & n'avoient point de courage.� (Liv. v, ch. v.)

Nous nous separasmes avec force promesses d'amiti�. Ils s'en all�rent donc du cost� du grand saut de la riviere de Canadas, & moy, je m'en retournay � Quebecq. En allant je rencontray le Pont-grav�, dedans le lac sainct Pierre, qui m'attendoit avec une grande pattache qu'il avoit rencontr�e audit lac, qui n'avoit peu faire diligence de venir jusques o� estoient les sauvages, pour estre trop lourde de nage. Nous nous en retournasmes tous ensemble � Quebecq: puis ledit Pont-grav� s'en alla � Tadoussac, pour mettre ordre � quelques affaires 223/371que nous avions en ces quartiers l�; & moy je demeuray � Quebecq pour faire redifier quelques palissades au tour de nostre habitation, attendant le retour dudit Pont-grav�, pour adviser ensemblement � ce qui seroit necessaire de faire.

Le 4 de Juin288 des Marests arriva � Quebecq, qui nous resjouit fort: car nous doubtions qu'il luy fut arriv� quelque accident sur la mer.

Note 288: (retour)

Il est probable qu'il faut lire: le 4 de juillet.

Quelques jours apr�s un prisonnier Yroquois que j'y faisois garder, par la trop grande libert� que je luy donnois s'en fuit & se sauva, pour la crainte & apprehension qu'il avoit: nonobstant les asseurances que luy donnoit une femme de sa nation que nous avions en nostre habitation.

Peu de jours apr�s, le Pont-grav� m'escrivit qu'il estoit en d�lib�ration d'yverner en l'habitation, pour beaucoup de considerations qui le mouvoient � ce faire. Je luy rescrivy, que s'il croyoit mieux faire que ce que j'avois fait par le pass� qu'il seroit bien.

Il fit donc diligence de faire apporter les commoditez necessaires pour ladite habitation.

Apr�s que j'eu fait parachever la palissade autour de nostre habitation, & remis toutes choses en estat, le Capitaine Pierre revint dans une barque qui estoit all� � Tadoussac voir de ses amis: & moy j'y fus aussi pour voir ce qui reussiroit de la seconde traite & quelques autres affaires particuli�res, que j'y avois. O� estant je trouvay ledit Pont-grav� qui me communiqua fort particuli�rement son dessin, & ce qui l'occasionnoit d'yverner. Je luy dis sainement ce qu'il m'en 224/372sembloit, qui estoit, que je croyois qu'il n'y proffiteroit pas beaucoup, selon les apparences certaines qui se pouvoient voir.

Il d�lib�ra donc changer de resolution, & despescha une barque, & manda au Capitaine Pierre qu'il revint de Quebecq pour quelques affaires qu'il avoit avec luy: & aussi que quelques vaisseaux, qui estoient venus de Brouage apport�rent nouvelles, que monsieur de sainct Luc estoit venu en poste de Paris, & avoit chass� ceux de la Religion, hors de Brouage, & renforc� la garnison de soldats, & s'en estoit retourn� en Court; & que le Roy avoit est� tu�, & deux ou trois jours apr�s luy, le duc de Suilly, & deux autres seigneurs dont on ne s�avoit le nom289.

Note 289: (retour)

Henri IV avait en effet �t� assassin� le 14 de mai; mais ni le duc de Sully ni aucun autre Seigneur ne l'avaient �t�.

Toutes ces nouvelles apport�rent un grand desplaisir aux vrais Fran�ois, qui estoient lors en ces quartiers l�: Pour moy, il m'estoit fortmalais� de le croire, pour les divers discours qu'on en faisoit, qui n'avoient pas beaucoup d'apparence de v�rit�: & toutesfois bien afflig� d'entendre de si mauvaises nouvelles.

Or apr�s avoir sejourn� trois ou quatre jours � Tadoussac, & veu la perte que firent beaucoup de marchans qui avoient charg� grande quantit� de marchandises & �quip� bon nombre de vaisseaux, esperant faire leurs affaires en la traite de Pelleterie, qui fut si miserable pour la quantit� de vaiseaux, que plusieurs se souviendront long temps de la perte qu'ils firent en ceste ann�e 290.

Note 290: (retour)

Lescarbot nous fait conna�tre la cause de cette affluence de vaisseaux de traite. �Cette ann�e, dit-il, le refus fait au sieur de Monts de lui continuer son privil�ge, ayant �t� divulgu� par les ports de mer, l'avidit� des Merchens pour les Castors fut si grande, que les trois parts cuidans aller conqu�rir la toison d'or sans coup f�rir, ne conquirent pas seulement des toisons de laine, tant �toit grand le nombre des conquerans.� (Liv. v, ch. v.)

225/373Ledit sieur de Pont-grav� & moy, nous nous embarquasmes chacun dans une barque, & laissasmes ledit Capitaine Pierre au vaisseau & emmenasmes le Parc � Quebecq, o� nous parachevasmes de mettre ordre � ce qui restoit de l'habitation. Apr�s que toutes choses furent en bon estat, nous resolusmes que ledit du Parc qui avoit yvern� avec le Capitaine Pierre y demeuroit derechef, & que le Capitaine Pierre reviendroit aussi en France, pour quelques affaires qu'il y avoit, & l'y appelloient.

Nous laissasmes donc ledit du Parc, pour y commander, avec seize hommes, ausquels nous fismes une remonstrance, de vivre tous sagement en la crainte de Dieu, & avec toute l'obeissance qu'ils devoient porter audit du Parc, qu'on leur laissoit pour chef & conducteur, comme si l'un de nous y demeuroit; ce qu'ils promirent tous de faire, & de vivre en paix les uns avec les autres.

Quand aux jardins nous les laissasmes bien garnis d'herbes potag�res de toutes sortes, avec de fort beau bled d'Inde, & du froument, seigle & orge, qu'on avoit sem�, & des vignes que j'y avois fait planter durant mon yvernement (qu'ils ne firent aucun estat de conserver: car � mon retour, je les trouvay toutes rompues, ce qui m'aporta beaucoup de desplaisir, pour le peu de soin qu'ils avoient eu � la conservation d'un si bon & beau plan, dont je m'estois promis qu'il en reussiroit quelque chose de bon.)

Apr�s avoir veu toutes choses en bon estat, nous partismes de Quebecq, le 8 du mois d'Aoust, pour aller � Tadoussac, afin de faire apareiller nostre vaisseau, ce qui fut promptement fait.




226/374Retour en France. Rencontre d'une balaine, & de la fa�on qu'on les prent.

CHAPITRE III.

Le 13. dudit mois nous partismes de Tadoussac, & arrivasmes � l'isle Perc�e le lendemain, o� nous trouvasmes quantit� de vaisseaux faisant pesche de poisson sec & vert,

Le 18 dudit mois, nous partismes de l'isle Perc�e & passames par la hauteur de 42 degrez de latitude, sans avoir aucune cognoissance du grand banc, o� se fait la pesche du poisson vert, pour ledit lieu estre trop estroit en ceste hauteur.

Estant comme � demy travers�, nous rencontrasmes une balaine qui estoit endormie, & le vaisseau passant par dessus, luy fit une fort grande ouverture proche de la queue, qui la fit bien tost resveiller sans que nostre vaisseau en fut endomag�, & jetta grande abbondance de sang.

Il m'a sembl� n'estre hors de propos de faire icy une petite description de la pesche des balaines, que plusieurs n'ont veue, & croyent qu'elles se prennent � coups de canon, d'autant qu'il y a de si impudens menteurs qui l'afferment � ceux qui n'en s�avent rien. Plusieurs me l'ont soustenu obstinement sur ces faux raports.

Ceux donc qui sont plus adroits � cette pesche sont les Basques, lesquels pour ce faire mettent leurs vaisseaux en un port de seuret�, ou proche de l� o� ils jugent y avoir quantit� de ballaines, & �quipent plusieurs chalouppes garnies de bons

227/375hommes & haussieres, qui sont petites cordes faites du meilleur chanvre qui se peut recouvrer, ayant de longeur pour le moins cent cinquante brasses, & ont force pertusanes longues de demie pique qui ont le fer large de six pouces, d'autres d'un pied & demy & deux de long, bien tranchantes. Ils ont en chacune chalouppe un harponneur, qui est un homme des plus dispos & adroits d'entre eux; aussi tire il les plus grands salaires apr�s les maistres, d'autant que c'est l'office le plus hazardeux. Ladite chalouppe estant hors du port, ils regardent de toutes parts s'ils pourront voir & descouvrir quelque balaine, allant � la borde d'un cost� & d'autre: & ne voyant rien, ils vont � terre & se mettent sur un promontoire, le plus haut qu'ils trouvent pour descouvrir de plus loing, o� ils mettent un homme en sentinelle, qui apercevant la balaine, qu'ils descouvrent tant par sa grosseur, que par l'eau qu'elle jette par les esvans, qui est plus d'un poin�on � la fois, & de la hauteur de deux lances; & � ceste eau qu'elle jette, ils jugent ce qu'elle peut rendre d'huille. Il y en a telle d'o� l'on en peut tirer jusques � six vingts poin�ons, d'autres moins. Or voyant cet espouvantable poisson, ils s'embarquent promptement dans leurs chalouppes, & � force de rames ou de vent, vont jusques � ce qu'ils soient dessus. La voyant entre deux eaues, � mesme instant l'harponneur est au devant de la chalouppe avec un harpon, qui est un fer long de deux pieds & demy de large par le bas, emmanch� en un baston de la longueur d'une demie pique, o� au milieu il y a un trou o� s'attache la 228/376haussiere, & aussi tost que ledit harponneur voit son temps, il jette son harpon sur la balaine, lequel entre fort avant, & incontinent qu'elle se sent bless�e, elle va au fonds de l'eau. Et si d'adventure en se retournant quelque fois, avec sa queue elle rencontre la chalouppe, ou les hommes, elle les brise aussi facilement qu'un verre. C'est tout le hazard qu'ils courent d'estre tuez en la harponnant: Mais aussitost qu'ils ont jett� le harpon dessus, ils laissent filer leur haussiere, jusques � ce que la balaine soit au fonds: & quelque fois comme elle n'y va pas droit, elle entraine la chalouppe plus de huit ou neuf lieues, & va aussi viste comme un cheval, & sont le plus souvent contraints de coupper leur haussiere, craignant que la balaine ne les attire soubs l'eau: Mais aussi quand elle va au fonds tout droit, elle y repose quelque peu, & puis revient tout doucement sur l'eau: & � mesure qu'elle monte, ils rembarquent leur haussiere peu � peu & puis comme elle est dessus, ils se mettent deux ou trois chalouppes autour avec leurs pertusanes, desquelles ils luy donnent plusieurs coups, & se sentant frapp�e, elle descend de rechef soubs l'eau en perdant son sang, & s'affoiblit de telle fa�on, qu'elle n'a plus de force ne vigueur, & revenant sur l'eau ils achevent de la tuer: & quand elle est morte, elle ne va plus au fonds de l'eau, lors ils l'attachent avec de bonnes cordes, & la tra�nent � terre, au lieu o� ils font leur degrat, qui est l'endroit o� ils font fondre le lard de ladite balaine, pour en avoir l'huille. Voila la fa�on que elles se peschent, & non � coups de canon, ainsi que plusieurs pensent, comme j'ay dit cy dessus. Pour reprendre le fil de mon discours, Apr�s la 229/377blessure de la balaine cy devant, nous prismes quantit� de marsouins, que nostre contre maistre harponna, dont nous receusmes du plaisir & contentement.

Aussi prismes nous quantit� de poisson � la grand oreille avec une ligne & un aim, o� nous attachions un petit poisson ressemblant au hareng, & la laissions tra�ner derri�re le vaisseau, & la grand oreille pensant en effect que ce fut un poisson vif, venoit pour l'engloutir, & se trouvoit aussitost prins � l'aim qui estoit pass� dans le corps du petit poisson. Il est tresbon, & a de certaines aigrettes qui sont fort belles, & aggreables comme celles qu'on porte aux pennaches.

Le 22 de Septembre, nous arrivasmes sur la sonde, & advisasmes vingt vaisseaux qui estoient � quelque quatre lieux � l'Ouest de nous, que nous jugions estre Flamans � les voir de nostre vaisseau.

Et le 25 dudit mois nous eusmes la veue de l'isle de Grenez�, apr�s avoir eu un grand coup de vent, qui dura jusques sur le midy.

Le 27 dudit mois arrivasmes � Honfleur.




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LE TROISIESME
VOYAGE DU SIEUR DE
Champlain en l'ann�e 1611.




Partement de France pour retourner en la nouvelle France. Les dangers & autres choses qui arriverent jusques en l'habitation.

CHAPITRE I.

ous partismes de Honfleur, le premier jour de Mars avec vent favorable jusques au huictiesme dudit mois, & depuis fusmes contrari�s du vent de Su Surouest & Ouest Norouest qui nous fit aller jusques � la hauteur de 42 degrez de latitude, sans pouvoir eslever Su, pour nous mettre au droit chemin de nostre routte. Apr�s donc avoir eu plusieurs coups de vent, & est� contrari�s de mauvais temps: Et neantmoins, avec tant de peines & travaux, � force de tenir � un bort & � l'autre, nous fismes en sorte que nous arrivasmes � quelque 80 lieux du grand banc o� se fait la pesche du poisson vert, o� nous rencontrasmes des glaces de plus de trente � quarante brasses de haut, qui nous fit bien penser � ce que nous devions faire, craignant d'en rencontrer d'autres la nuit, & que le vent

232/380venant � changer, nous poussast contre, jugeant bien que ce ne feroit les derni�res, d'autant que nous estions partis de trop bonne heure de France. Navigeant donc le long de cedit jour � basse voile au plus pr�s du vent que nous pouvions, la nuit estant venue, il se leva une brume si espoisse, & Ci obscure, qu'� peine voyons nous la longueur du vaisseau. Environ sur les onze heures de nuit les matelots adviserent d'autres glaces qui nous donn�rent de l'apprehension, mais enfin nous fismes tant avec la diligence des mariniers, que nous les esvitasmes. Pensant avoir pass� les dangers nous vinsmes � en rencontrer une devant nostre vaisseau que les matelots apperceurent, & non si tost que nous fusmes presques portez dessus. Et comme un chacun se recommendoit � Dieu, ne pensant jamais esviter le danger de ceste glace qui estoit soubs nostre beau pr�, l'on crioit au gouverneur qu'il fit porter: Car ladite glace, qui estoit fort grande drivoit au vent d'une telle fa�on qu'elle passa contre le bord de nostre vaisseau, qui demeura court comme s'il n'eust boug� pour la laisser passer, sans toutesfois l'offencer: Et bien que nous fussions hors du danger: si est ce que le sang d'un chacun ne fut si promptement rassis, pour l'apprehention qu'on en avoit eue, & louasmes Dieu de nous avoir delivrez de ce p�ril. Apr�s cestuy l� pass�, ceste mesme nuit nous en passames deux ou trois autres, non moins dangereux que les premiers, avec une brume pluvieuse & froide au possible, & de telle fa�on que l'on ne se pouvoit presque r�chauffer. Le lendemain continuant nostre routte nous rencontrasmes plusieurs autres grandes & fort hautes glaces, qui sembloient des isles � les voir de 233/381loin, toutes lesquelles evitasmes, jusques � ce que nous arrivasmes sur ledit grand banc, o� nous fusmes fort contrariez de mauvais temps l'espace de six jours: Et le vent venant � estre un peu plus doux & assez favorable, nous desbanquasmes par la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, qui fut le plus Su que peusmes aller. Apr�s avoir fait quelque 60 lieues � l'Ouest-norouest nous apperceusmes un vaisseau qui venoit nous recognoistre, & puis fit porter � l'Est-nordest, pour esviter un grand banc de glace contenant toute l'estandue de nostre veue. Et jugeans qu'il pouvoit avoir panage par le milieu de ce grand banc, qui estoit separ� en deux, pour parfaire nostre dite routte nous entrasmes dedans & y fismes quelque 10 lieues sans voir autre apparence que de beau partage jusques au soir, que nous trouvasmes ledit banc seel�, qui nous donna bien � penser ce que nous avions � faire, la nuit venant, & au d�faut de la lune, qui nous ostoit tout moien de pouvoir retourner d'o� nous estions venus: & neantmoins apr�s avoir bien pens�, il fut resolu de rechercher nostre entr�e � quoy nous nous mismes en devoir: Mais la nuict venant avec brumes, pluye & nege & un vent si impetueux que nous ne pouvions presque porter nostre grand papefi291, nous osta toute cognoissance de nostre chemin. Car comme nous croyons esviter lesdites glaces pour passer, le vent avoit desja ferm� le passage, de fa�on que nous fusmes contraincts de retourner � l'autre bord, & n'avions loisir d'estre un quart d'heure sur un bord amur�s, pour r'amurer sur l'autre, afin d'esviter milles glaces qui estoient 234/382de tous costez: & plus de 20 fois ne pensions sortir nos vies sauves.

Note 291: (retour)

Pacfi, ou simplement pafi; c'est la plus basse voile du grand m�t.

Toute la nuict se passa en peines & travaux: & jamais ne fut mieux fait le quart, car parsonne n'avoit envie de reposer, mais bien de s'esvertuer de sortir des glaces & p�rils. Le froid estoit si grand que tous les maneuvres dudit vaisseau estoient si gelez & pleins de gros gla�ons, que l'on ne pouvoit manouvrer, ny se tenir sur le Tillac dudit vaisseau. Apr�s donc avoir bien couru d'un cost� & d'autre, attendant le jour, qui nous donnoit quelque esperance: lequel venu avec une brume, voyant que le travail & fatigue ne pouvoit nous servir, nous resolusmes d'aller � un banc de glace, o� nous pourrions estre � l'abri du grand vent qu'il faisoit, & amener tout bas, & nous laisser driver comme lesdites glaces, afin que quand nous les aurions quelque peu esloign�es nous remissions � la voile, pour aller retrouver ledit banc, & faire comme auparavant, attendant que la brume fut pass�e, pour pouvoir sortir le plus promptement que nous pourrions. Nous fusmes ainsi tout le jour jusques au lendemain matin, o� nous mismes � la voille, allant tantost d'un cost� & d'autre, & n'allions en aucun endroit que ne nous trouvassions enfermez en de grands bancs de glaces, comme en des estangs qui sont en terre. Le soir apperceusmes un vaisseau, qui estoit de l'autre cost� d'un desdicts bancs de glace, qui, je m'asseure, n'estoit point moins en soing que nous, & fusmes quatre ou cinq jours en ce p�ril en extr�mes peines, jusques � ce qu'� un matin jettans la veue de tous costez nous n'apperceusmes aucun passage, sinon � un endroit o� 235/383l'on jugea que la glace n'estoit espoisse, & que facillement nous la pourrions passer. Nous nous mismes en devoir & passames par quantit� de bourguignons, qui font morceaux de glace separez des grands bancs par la violance des vents. Estans parvenus audit banc de glasse, les matelots commenc�rent � s'armer de grands avirons, & autres bois pour repousser les bourguignons que pourrions rencontrer, & ainsi passasmes ledit banc, qui ne fut pas sans bien aborder des morceaux de glace qui ne firent nul bien � nostre vaisseau, toutesfois sans nous faire dommage qui peust nous offencer. Estant hors nous louasmes Dieu de nous avoir delivrez. Continuans nostre routte le lendemain, nous en rencontrasmes d'autres, & nous engageasmes de telle fa�on dedans, que nous nous trouvasmes environ�s de tous cost�s, sinon par o� nous estions venus, qui fut occasion qu'il nous fallut retourner sur nos bris�es pour essayer de doubler la pointe du cost� du Su: ce que ne peusmes faire que le deuxiesme jour, passant par plusieurs petits gla�ons separez dudit grand banc, qui estoit par la hauteur de 44 degrez & demy, & singlasmes jusques au lendemain matin, faisant le Norouest & Nor-nor-ouest, que nous rencontrasmes un autre grand banc de glace, tant que nostre veue se pouvoit estendre devers l'Est & l'Ouest, lequel quand l'on l'apperceut l'on croioit que ce fut terre: car ledit banc estoit si uny que l'on eust dit proprement que cela avoit est� ainsi fait expr�s, & avoit plus de dixhuit pieds de haut, & deux fois autant soubs l'eau, & faisions estat de n'estre qu'� quelque quinze lieues 236/384du cap Breton, qui estoit le vingtsixiesme jour dudit mois. Ces rencontres de glaces si souvent nous apportoient beaucoup de desplaisir: croyant aussi que le passage dudit cap Breton & cap de Raye seroit ferm�, & qu'il nous faudroit tenir la mer longtemps devant que de trouver passage. Ne pouvans donc rien faire nous fumes contraincts de nous remettre � la mer quelque quatre ou cinq lieues pour doubler une autre pointe dudit grand banc, qui nous demeuroit � l'Ouest-surouest, & apr�s retourn�mes � l'autre bord au Norouest, pour doubler ladite pointe, & singlasmes quelques sept lieues, & puis fismes le Nor-norouest quelque trois lieues, o� nous apper�usmes derechef un autre banc de glace. La nuit s'approchoit, & la brume se levoit, qui nous fit mettre � la mer pour passer le reste de la nuit attendant le jour, pour retourner recognoistre lesdites glaces. Le vintseptiesme jour dudit mois, nous advisasmes terre � l'Ouest-norouest de nous, & ne vismes aucunes glaces qui nous peuvent demeurer au Nor-nordest: Nous approchasmes de plus pr�s pour la mieux recognoistre, & vismes que c'estoit Campseau, qui nous fit porter au Nort pour aller � l'isle du cap Breton, nous n'eusmes pas plustost fait deux lieues que rencontrasmes un banc de glace qui fuioit au Nordest. La nuit venant nous fusmes contraincts de nous mettre � la mer jusques au lendemain, que fismes le Nordest, & rencontrasmes une autre glace qui nous demeuroit � l'Est & Est-suest, & la costoyasmes, mettant le cap au Nordest & au Nor plus de quinze lieux: En fin fusmes contraincts de refaire l'Ouest, qui nous donna beaucoup de desplaisir, voyant que ne pouvions trouver passage, & fusmes 237/385contraincts de nous en retirer & retourner sur nos bris�es: & le mal pour nous que le calme nous prit de telle fa�on que la houle nous pensa jetter sur la coste dudit banc de glace, & fusmes prests de mettre nostre batteau hors, pour nous servir au besoin. Quand nous nous fussions sauvez sur lesdites glaces il ne nous eut servy que de nous faire languir, & mourir tous miserables. Comme nous estions donc en deliberation de mettre nostre dit batteau hors, une petite fraischeur se leva, qui nous fit grand plaisir, & par ainsi �vitasmes lesdites glaces. Comme nous eusmes fait deux lieues, la nuit venoit avec une brume fort espoisse, qui fut occasion que nous amenasmes pour ne pouvoir voir: & aussi qu'il y avoit plusieurs grandes glaces en nostre routte, que craignions abborder: & demeurasmes ainsi toute la nuit jusques au lendemain vingtneufiesme jour dudit mois, que la brume renfor�a de telle fa�on, qu'� peine pouvoit on voir la longueur du vaisseau, & faisoit fort peu de vent: neantmoins nous ne laissasmes de nous appareiller pour esviter lesdites glaces: mais pensans nous desgager, nous nous y trouvasmes si embarrassez, que nous ne s�avions de quel bort amurer: & derechef fusmes contraints d'amener, & nous laisser driver jusques � ce que lesdites glaces nous fissent appareiller, & fismes cent bord�es d'un cost� & d'autre, & pensasmes nous perdre par plusieurs fois: & le plus asseur� y perdroit tout jugement, ce qu'eust aussi bien fait le plus grand astrologue du monde. Ce qui nous donnoit du desplaisir d'avantage, c'estoit le peu de veue, & la nuit qui venoit, & 238/386n'avions refuite d'un quart de lieue sans trouver banc ou glaces, & quantit� de bourguignons, que le moindre eust est� suffisant de faire perdre quelque vaisseau que ce fust. Or comme nous estions tousjours costoyans au tour des glaces, il s'esleva un vent si imp�tueux qu'en peu de temps il separa la brume, & fit faire veue, & en moins d'un rien rendit l'air clair, & beau soleil. Regardant au tour de nous, nous nous vismes enfermez dedans un petit estang, qui ne contenoit pas lieue & demie en rondeur, & apper�eusmes l'isle dudit cap Breton, qui nous demeuroit au Nort, presque � quatre lieues, & jugeasmes que le partage estoit encore ferm� jusques audit cap Breton. Nous apper�eusmes aussi un petit banc de glace au derri�re de nostre dit vaisseau, & la grand mer qui paroissoit au del�, qui nous fit prendre resolution de passer par dessus ledit banc, qui estoit rompu: ce que nous fismes dextrement sans offencer nostredit vaisseau, & nous nous mismes � la mer toute la nuit, & fismes le Suest desdites glaces. Et comme nous jugeasmes que nous pouvions doubler ledit banc de glace, nous fismes l'est-nordest quelques quinze lieues, & apper�eusmes seulement une petite glace, & la nuit amenasmes jusques au lendemain, que nous apper�eusmes un autre banc de glace au Nord de nous, qui continuoit tant que nostre veue se pouvoit estendre, & avions driv� � demy lieue pr�s, & mismes les voiles haut, cottoyant tousjours ladite glace pour en trouver l'extr�mit�. Ainsi que nous singlions nous avisasmes un vaisseau le premier jour de May qui estoit parmy les glaces, qui avoit bien eu de la peine d'en sortir aussi bien que nous, 239/387& mismes vent devant pour attendre ledit vaisseau qui faisoit large sur nous, d'autant que desirons s�avoir s'il n'avoit point veu d'autres glaces. Quand il fut proche, nous apper�eusmes que c'estoit le fils du sieur de Poitrincourt qui alloit trouver son p�re qui estoit � l'habitation du port Royal; & y avoit trois mois qu'il estoit party de France (je crois que ce ne fut pas sans beaucoup de peine) & s'ils 292 estoient encore � pr�s de cent quarante lieues dudit port Royal, bien � l'escart de leur routte. Nous leur dismes que nous avions eu cognoissance des isles de Campseau, qui � mon opinion les asseura beaucoup, d'autant qu'ils n'avoient point encore eu cognoissance d'aucune terre, & s'en alloient donner droit entre le cap S. Laurens, & cap de Raye, par o� ils n'eussent pas trouv� ledit port Royal, si ce n'eust est� en traversant les terres. Apr�s avoir quelque peu parl� ensemble, nous nous departismes chacun suivant sa routte. Le lendemain nous eusmes cognoissance des isles sainct Pierre, sans trouver glace aucune: & continuant nostre routte, le lendemain troisiesme jour du mois eusmes cognoissance du cap de Raye, sans aussi trouver glaces. Le quatriesme dudit mois eusmes cognoissance de l'isle sainct Paul, & cap sainct Laurens; & estions � quelques huit lieues au Nord dudit cap S. Laurens. Le lendemain eusmes cognoissance de Gasp�. Le septiesme jour dudit mois fusmes contrariez du vent de Norouest, qui nous fit driver pr�s de trente cinq lieues de chemin, puis le vent se vint � calmer, & en beauture, qui nous fut favorable jusques � Tadoussac, qui fut le tresiesme jour dudit mois de May, o� nous 240/388fismes tirer un coup de canon pour advertir les sauvages, afin de s�avoir des nouvelles des gens de nostre habitation de Quebecq. Tout le pays estoit encore presque couvert de neige. Il vint � nous quelques canots, qui nous dirent qu'il y avoit une de nos pattaches qui estoit au port il y avoit un mois, & trois vaisseaux qui y estoient arrivez depuis huit jours. Nous mismes nostre batteau hors, & fusmes trouver lesdicts sauvages, qui estoient assez miserables, & n'avoient � traicter que pour avoir seulement des rafraichissemens, qui estoit fort peu de chose: encore voulurent ils attendre qu'il vint plusieurs vaisseaux ensemble, afin d'avoir meilleur march� des marchandises: & par ainsi ceux s'abusent qui pensent faire leurs affaires pour arriver des premiers: car ces peuples sont maintenant trop fins & subtils.

Note 292: (retour)

Et si, pour et cependant.

Le dixseptiesme jour dudit mois je partis de Tadoussac pour aller au grand saut trouver les sauvages Algoumequins & autres nations qui m'avoient promis l'ann�e pr�c�dente de s'y trouver avec mon gar�on que je leur avois baill�, pour apprendre de luy ce qu'il auroit veu en son yvernement dans les terres. Ceux qui estoient dans ledit port, qui se doutoient bien, o� je devois aller, suivant les promesses que j'avois faites aux sauvages, comme j'ay dit cy dessus, commenc�rent � faire bastir plusieurs petites barques pour me suivre le plus promptement qu'ils pouroient: Et plusieurs, � ce que j'appris devant que partir de France, firent equipper des navires & pattaches sur l'entreprise de nostre voyage, pensant en revenir riches comme d'un voyage des Indes.

241/389Le Pont demeura audit Tadoussac sur l'esperance que s'il n'y faisoit rien, de prendre une pattache, & me venir trouver au dit saut. Entre Tadoussac & Quebecq nostre barque faisoit grand eau, qui me contraignit de retarder � Quebecq pour l'estancher, qui fut le 21e jour de May.




Descente � Quebecq pour faire racommoder la barque, Partement dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages & recognoistre un lieu propre pour une habitation.

CHAPITRE II.

Estans � terre je trouvay le sieur du Parc qui avoit yvern� en ladite habitation, & tous ses compagnons, qui se portoient fort bien, sans avoir eu aucune maladie. La chasse & gibier ne leur manqua aucunement en tout leur yvernement, � ce qu'ils me dirent. Je trouvay le Capitaine sauvage appel� Batiscan & quelques Algoumequins, qui disoient m'attendre, ne voulant retourner � Tadoussac qu'ils ne m'eussent veu. Je leur fis quelque proposition de mener un de nos gens aux trois rivieres pour les recognoistre, & ne peu obtenir aucune chose d'eux pour ceste ann�e, me remettant � l'autre: neantmoins je ne laissay de m'informer particuli�rement de l'origine & des peuples qui y habitent: ce qu'ils me dirent exactement. Je leur demanday un de leurs canots, mais ils ne s'en voulurent desfaire en aucune fa�on que ce fut pour la necessit� qu'ils en avoient: car j'estois d�lib�r� d'envoyer deux ou trois hommes descouvrir dedans lesdites trois rivieres voir ce qu'il y auroit: ce que 242/390je ne peu faire, � mon grand regret, remettant la partie � la premi�re occasion qui se presenteroit.

Je fis cependant diligeance de faire accommoder nostredicte barque. Et comme elle fut preste, un jeune homme de la Rochelle appel� Trefart, me pria que je luy permisse de me faire compagnie audit saut, ce que je luy refusay, disant que j'avois des dessins particuliers, & que je ne desirois estre conducteur de personne � mon prejudice, & qu'il y avoit d'autres compaignies que la mienne pour lors, & que je ne desirois ouvrir le chemin & servir de guide, & qu'il le trouveroit ass�s aisement sans moy. Ce mesme jour je partis de Quebecq, & arrivay audit grand saut le vingthuictiesme de May, o� je ne trouvay aucun des sauvages qui m'avoient promis d'y estre au vingtiessme dudit mois. Aussitost je fus dans un meschant canot avec le sauvage que j'avois men� en France, & un de nos gens. Apr�s avoir visit� d'un cost� & d'autre, tant dans les bois que le long du rivage, pour trouver un lieu propre pour la scituation d'une habitation, & y pr�parer une place pour y bastir, je fis quelques huit lieues par terre cottoyant le grand saut par des bois qui sont assez clairs, & fus jusques � un lac293, o� nostre sauvage me mena; o� je consideray fort particuli�rement le pays; Mais en tout ce que je vy, je n'en trouvay point de lieu plus propre qu'un petit endroit, qui est jusques o� les barques & chalouppes peuvent monter aisement: neantmoins avec un grand vent, ou � la cirque, � cause du grand courant d'eau: car plus haut que ledit lieu (qu'avons nomm� la 243/391place Royalle) � une lieue du mont Royal, y a quantit� de petits rochers & basses, qui sont fort dangereuses. Et proches de ladite place Royalle y a une petite riviere294 qui va assez avant dedans les terres, tout le long de laquelle y a plus de 60 arpens de terre desert�s qui sont comme prairies, o� l'on pourroit semer des grains, & y faire des jardinages. Autresfois des sauvages295 y ont labour�, mais ils les ont quit�es pour les guerres ordinaires qu'ils y avoient. Il y a aussi grande quantit� d'autres belles prairies pour nourrir tel nombre de bestail que l'on voudra: & de toutes les sortes de bois qu'avons en nos forests de parde�a: avec quantit� de vignes, 244/392noyers, prunes, serizes, fraises, & autres sortes qui sont tr�s-bonnes � manger, entre autres une qui est fort excellente, qui a le go�t sucrain, tirans � celuy des plantaines (qui est un fruit des Indes) & est aussi blanche que neige, & la fueille ressemblant aux orties, & rampe le long des arbres & de la terre, comme le lierre. La pesche du poisson y est fort abondante, & de toutes les especes que nous avons en France, & de beaucoup d'autres que nous n'avons point, qui sont tr�s-bons: comme aussi la chasse des oiseaux aussi de diferentes especes: & celle des Cerfs, Daims, Chevreuls, Caribous, Lapins, Loups-serviers, Ours, Castors, & autres petites bestes qui y sont en telle quantit�, que durant que nous fusmes audit saut, nous n'en manquasmes aucunement.

Note 293: (retour)

Le lac des Deux-Montagnes.

Note 294: (retour)

La petite rivi�re Saint-Pierre.

Note 295: (retour)

Les sauvages qui avaient cultiv� ces terres �taient �videmment ceux que Cartier y avait trouv�s en 1535, dans sa visite � Hochelaga et au Mont-Royal. �Commen�asmes, dit-il, � trouver les terres labour�es, & belles grandes champaignes plaines de bledz de leur terre, qui est comme mil de bresil, aussy gros ou plus que poix, dequoy vivent ainsi comme nous faisons de fourment; & au parmy d'icelles champaignes est situ�e la ville de Hochelaga, pr�s & joignant une montaigne qui est � l'entour d'icelle, labour�e & fort fertile.� (Second Voyage, fol. 23 b.) Or, selon toutes les apparences, les habitants d'Hochelaga �taient les m�mes que ceux auxquels plus tard on a donn� le nom d'Iroquois. D'abord ils �taient s�dentaires; ce qui �tait propre � la grande famille huronne-iroquoise; leurs villages, leurs cabanes avaient absolument la disposition et la forme qu'ont toujours eu les villages et les cabanes des Hurons et des Iroquois; tous les mots qui nous ont �t� conserv�s de leur langue par les relations de Cartier, se retrouvent encore dans la langue iroquoise; enfin les traditions qu'ont pu recueillir les missionnaires et les premiers voyageurs, attestent que les environs de Montr�al et m�me de Qu�bec �taient le pays des Iroquois. Nicolas Perrot, si bien instruit des traditions et de l'histoire des sauvages, dit que �le pays des Iroquois estoit autrefois le Montr�al & les Trois Rivieres,� et qu'ils s'en �loign�rent par suite d'un d�m�l� survenu entre eux et les Algonquins (M�moire de Nicolas Perrot, �dit. du P. Tailhan, p. 9); ce qui, explique pourquoi ceux-ci revendiquaient aussi l'�le de Montr�al comme le pays de leurs anc�tres (Relations 1642, p. 38, et 1646, p. 34, �dit. 1858). Le t�moignage du P. Lafitau confirme encore celui de Perrot: �Les Iroquois Agniers, dit-il, assurent qu'ils err�rent longtemps sous la conduite d'une femme nomm�e Gaihonariosk; cette femme les promena dans tout le nord de l'Am�rique, & les fit passer au lieu o� est situ�e maintenant la ville de Qu�bec... C'est ce que les Agni�s racontent de leur origine.� (Moeurs des sauvages, t. I, p. 101, 102.) Ce qu'il para�t y avoir de plus vraisemblable, c'est que les iroquois ou hurons de Hochelaga furent d'abord contraints de laisser leur pays aux Algonquins, qui alors avaient l'avantage sur eux; mais qu'ensuite les Iroquois, s'�tant aguerris, finirent par en chasser les Algonquins, sans toutefois y revenir eux-m�mes, parce que leur nouveau pays leur offrait autant d'avantages et plus de s�curit�. (Voir Histoire de la colonie fran�aise en Canada, t. I, p. 524 et s.)

Ayant donc recogneu fort particuli�rement & trouv� ce lieu un des plus beaux qui fut en ceste riviere, je fis aussitost coupper & deffricher le bois de ladite place Royalle296 pour la rendre unie, & preste � y bastir, & peut on faire passer l'eau au tour aisement, & en faire une petite isle, & s'y establir comme l'on voudra.

Note 296: (retour)

Cette place Royale que Champlain fit d�fricher, �tait sur la pointe � laquelle on donna depuis le nom de Calli�res. (Voir la lettre A de la carte du saut Saint-Louis.)

Il y a un petit islet � quelque 20 thoises de ladite place Royalle, qui a quelques cent pas de long, o� l'on peut faire une bonne & forte habitation. Il y a aussi quantit� de prairies de tr�s-bonne terre grasse � potier, tant pour bricque que pour bastir, qui est une grande commodit�. J'en fis accommoder une partie & y fis une mouraille de quatre pieds d'espoisseur & 3 � 245/3934 de haut, & 10 toises de long pour voir comme elle se conserveroit durant l'yver quand les eaux descenderoient, qui � mon opinion ne s�auroit parvenir jusques � lad. muraille, d'autant que le terroir est de douze pieds eslev� dessus ladite riviere, qui est assez haut. Au milieu du fleuve y a une isle d'environ trois quarts de lieues de circuit, capable d'y bastir une bonne & forte ville, & l'avons nomm�e l'isle de saincte Elaine297. Ce saut descend en mani�re de lac, o� il y a deux ou trois isles & de belles prairies.

Note 297: (retour)

L'auteur para�t avoir nomm� ainsi cette �le � l'occasion du mariage qu'il venait de contracter, un peu avant son d�part de France, avec Demoiselle H�l�ne Boull�, fille de Nicolas Boull�, secr�taire de la chambre du roi.

Le premier jour de Juin le Pont arriva audit saut, qui n'avoit rien sceu faire � Tadoussac; & bonne compagnie le suivirent & vindrent apr�s luy pour y aller au butin, car sans ceste esperance ils estoient bien de l'arri�re.

Or attendant les sauvages, je fis faire deux jardins, l'un dans les prairies, & l'autre au bois, que je fis deserter, & le deuxiesme jour de juin j'y semay quelques graines, qui sortirent toutes en perfection, & en peu de temps, qui demonstre la bont� de la terre.

Nous resolusmes d'envoyer Savignon nostre sauvage avec un autre, pour aller au devant de ceux de son pays, afin de les faire haster de venir, & se d�lib�rent d'aller dans nostre canot, qu'ils doubtoient, d'autant qu'il ne valoit pas beaucoup.

Ils partirent le cinquiesme jour dudit mois. Le lendemain arriva quatre ou cinq barques (c'estoit pour nous faire escorte) d'autant qu'ils ne pouvoient rien faire audit Tadoussac.

Le septiesme jour je fus recognoistre une petite riviere par o� 246/394vont quelques fois les sauvages � la guerre, qui se va rendre au saut de la riviere des Yroquois298: elle est fort plaisante, y ayant plus de trois lieues de circuit de prairies, & force terres, qui se peuvent labourer: elle est � une lieue du grand saut, & lieu & demie de la place Royalle.

Note 298: (retour)

En remontant la rivi�re Saint-Lambert, et en suivant celle de Montr�al, on arrive effectivement au bassin de Chambly, c'est-�-dire, au pied du saut de la rivi�re des Iroquois.

Le neufiesme jour nostre sauvage arriva, qui fut quelque peu pardela le lac qui a quelque dix lieues de long, lequel j'avois veu auparavant299, o� il ne fit rencontre d'aucune chose, & ne purent passer plus loin � cause de leur dit canot qui leur manqua; & furent contraints de s'en revenir. Ils nous rapport�rent que passant le saut ils virent une isle o� il y avoit si grande quantit� de h�rons, que l'air en estoit tout couvert. Il y eust un jeune homme qui estoit au sieur de Mons appel� Louys, qui estoit fort amateur de la chasse, lequel entendant cela, voulut y aller contenter sa curiosit�, & pria fort instamment nostredit sauvage de l'y mener: ce que le sauvage luy accorda avec un Capitaine sauvage Montagnet fort gentil personnage, appel� Outetoucos. D�s le matin led. Louys fut appeler les deux sauvages pour s'en aller � ladite isle des h�rons. Ils s'embarqu�rent dans un canot & y furent. Ceste isle est au milieu du saut300, o� ils prirent telle quantit� de heronneaux & autres oyseaux qu'ils voulurent, & se 247/395rembarquerent en leur canot. Outetoucos contre la volont� de l'autre sauvage & de l'instance qu'il peut faire voulut passer par un endroit fort dangereux, o� l'eau tomboit pr�s de trois pieds de haut, disant que d'autresfois il y avoit pass�, ce qui estoit faux, il fut long temps � debatre contre nostre sauvage qui le voulut mener du cost� du Su le long de la grand Tibie301, par o� le plus souvent ils ont accoustum� de passer, ce que Outetoucos ne desira, disant qu'il n'y avoit point de danger. Comme nostre sauvage le vit opiniastre, il condescendit � sa volont�: mais il luy dit qu'� tout le moins on deschargeast le canot d'une partie des oyseaux qui estoient dedans, d'autant qu'il estoit trop charg�, ou qu'infailliblement ils empliroient d'eau, & se perdroient: ce qu'il ne voulut faire, disant qu'il seroit assez � temps s'ils voyoient qu'il y eut du p�ril pour eux. Ils se laisserent donc driver dans le courant. Et comme ils furent dans la cheute du saut, ils en voulurent sortir & jetter leurs charges, mais il n'estoit plus temps, car la vitesse de l'eau les maistrisoit ainsi qu'elle vouloit, & emplirent aussitost dans les boullons du saut, qui leur faisoient faire mille tours haut & bas. Ils ne l'abandonn�rent de long temps: Enfin la roideur de l'eau les lassa de telle fa�on, que ce pauvre Louys qui ne s�avoit nager en aucune fa�on perdit tout jugement & le canot estant au fonds de l'eau il fut contraint de l'abandonner: & revenant au haut les deux autres qui le tenoient tousjours ne virent plus nostre 248/396Louys, & ainsi mourut miserablement302. Les deux autres tenoient tousjours ledit canot: mais comme ils furent hors du saut, ledit Outetoucos estant nud, & se fiant en son nager, l'abandonna, pensant gaigner la terre, bien que l'eau y courust encore de grande vitesse, & se noya: car il estoit si fatigu� & rompu de la peine qu'il avoit eue, qu'il estoit impossible qu'il se peust sauver ayant abandonn� le canot, que nostre sauvage Savignon mieux advis� tint tousjours fermement, jusques � ce qu'il fut dans un remoul, o� le courant l'avoit port�, & sceut si bien faire, quelque peine & fatigue qu'il eut eue, qu'il vint tout doucement � terre, o� estant arriv� il jetta l'eau du canot, & s'en revint avec grande apprehention qu'on ne se vangeast sur luy, comme ils font entre eux, & nous conta ces tristes nouvelles, qui nous apport�rent du desplaisir.

Note 299: (retour)

Le lac des Deux-Montagnes. (Conf. p. 242, ci-dessus.)

Note 300: (retour)

Cette expression au milieu du saut tranche une difficult� qui se rencontre dans la carte du Saut St. Louis, o� manque la lettre Q, tandis que la lettre P s'y trouve deux fois: l'�le aux H�rons est celle qui y est marqu�e R, et l'�le au Diable, situ�e au sud-ouest de la premi�re, devrait porter la lettre R. Nous regrettons d'�tre, sur ce point, en d�saccord avec l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada; mais nous avons du moins la consolation d'�tre d'accord avec la tradition.

Note 301: (retour)

La grand Tibie n'est rien autre chose que la grand Terre. C'est une faute typographique, que l'auteur a corrig�e lui-m�me dans l'�dition de 1632.

Note 302: (retour)

C'est sans doute en m�moire de la mort de ce jeune Louis, que l'on donna au Grand-Saut le nom de Saint-Louis, qu'il a toujours port� depuis.

396a

Le grand saut St Louis

A Petite place que je fis deffricher.

B Petit estang.

G Petit islet o� je fis faire une muraille de pierre.

D Petit ruisseau o� se tiennent les barques.

E Prairies o� se mettent les sauvages quand ils viennent en ce pays.

F Montaignes qui paroissent dans les terres.

G Petit estang.

H (1) Mont Royal.

I Petit ruisseau.

L Le saut.

M Le lieu o� les sauvages passent leurs canots, par terre du cost� du

Nort.

N Endroit o� un de nos gens & un sauvage se noy�rent.

O Petit islet de rochers.

P (2) Autre islet o� les oyseaux font leurs nids.

Q (3) L'isle aux h�rons.

R (4) Autre isle dans le saut.

S Petit islet.

T Petit islet rond.

V Autre islet demy couvert d'eau.

X (5) Autre islet ou il y a force oyseaux de riviere.

Y Prairies.

Z Petite riviere.

2 (6) Isles assez grandes & belles.

3 Lieux qui descouvrent quand le eaux baissent, o� il se fait grands

bouillonnements, comme aussi fait audit saut.

4 Prairies plaines d'eaux.

5 Lieux fort bas & peu de fonds

6 Autre petit islet.

7 Petis rochers.

8 Isle sainct Helaine.

9 Petit islet desgarny d'arbres.

oo Marescages qui s'escoulent dan le grand saut.

(1) La lettre H se trouve en double; l'une sur la montagne, et c'est l� sa place; l'autre au bas de 1 �lot Normandie. Cette derni�re n'est probablement que le chiffre 11, dont le graveur aura fait une lettre. (2) La lettre P est en double. Evidemment, cet autre islet est entre N et 0. (3) La lettre Q ne se trouve pas dans la carte. C'est la lettre H qui est � sa place (voir note 3 de la page 246). (4) Cette lettre devrait �tre � la place de celui des deux F qui d�signe l'�le au Diable, c'est-� dire, cette autre �le dans le saut qui est au sud-ouest de l'�le aux H�rons. (5) x dans la carte. (6) Ce chiffre 2 se trouve tellement plac� aupr�s de l'�le Saint-Paul, qu'on le prendrait pour la lettre N.

Le lendemain 303 je fus dans un autre canot audit saut avec le sauvage, & un autre de nos gens, pour voir l'endroit o� ils s'estoient perdus: & aussi si nous trouverions les corps, & vous asseure que quand il me monstra le lieu les cheveux me herisserent en la teste, de voir ce lieu si espouvantable, & m'estonnois comme les deffuncts avoient est� si hors de jugement de passer un lieu si effroiable, pouvant aller par ailleurs: car il est impossible d'y passer pour avoir sept � huit cheutes d'eau qui descendent de degr� en degr�, le moindre de trois pieds de haut, o� il se faisoit un train & bouillonnement estrange, & une partie dudit saut estoit toute blanche d'escume, qui montroit le lieu le plus effroyable, avec 249/397un bruit si grand que l'on eut dit que c'estoit un tonnerre, comme l'air retentissoit du bruit de ces cataraques. Apr�s avoir veu & consider� particuli�rement ce lieu & cherch� le long du rivage lesdicts corps, cependant qu'une chalouppe assez l�g�re estoit all�e d'un autre cost�, nous nous en revinsmes sans rien trouver.

Note 303: (retour)

Le 11 de juin. Nos trois chasseurs �taient partis le 10 au matin, et vraisemblablement l'accident arriva le m�me jour.




Deux cens sauvages ram�nent le Fran�ois qu'on leur avoit baill�, & remmenerent leur sauvage qui estoit retourn�, de France. Plusieurs discours de part & d'autre.

CHAPITRE III.

Le treisiesme jour dudit mois304 deux cens sauvages Charioquois305, avec les Capitaines Ochateguin, Yroquet & Tregouaroti fr�re de nostre sauvage amen�rent mon gar�on. Nous fusmes fort contens de les voir, je fus au devant d'eux avec un canot & nostre sauvage, & cependant qu'ils approchoient doucement en ordre, les nostres s'apareillerent de leur faire une escopeterie d'arquebuses & mousquets, & quelques petites pi�ces. Comme ils approchoient, ils commenc�rent � crier tous ensemble, & un des chefs commanda de faire leur harangue, o� ils nous louoient fort, & nous tenant pour v�ritables, de ce que je leur avois tenu ce que je leur promis, qui estoit de les venir trouver audit saut. Apr�s avoir fait trois autres cris, 250/398l'escopeterie tira par deux fois de 13 barques ou pattaches qui y estoient, qui les estonna de telle fa�on qu'ils me pri�rent de dire que l'on ne tirast plus, & qu'il y en avoit la plus grand part, qui n'avoient jamais veu de Chrestiens, ny ouy des tonnerres de la fa�on, & craignoient qu'il ne leur fit mal, & furent fort contans de voir nostredit sauvage sain, qu'ils pensoient mort, sur des rapports que leur avoient fait quelques Algoumequins qui l'avoient ouy dire � des sauvages Montagnets. Le sauvage me loua du traictement que je luy avois fait en France, & des singularitez qu'il avoit veues, dont ils entr�rent tous en admiration, & s'en all�rent cabaner dans le bois assez l�g�rement attendant le lendemain, que je leur monstrasse le lieu o� je desirois qu'ils se logassent. Aussi je vis mon gar�on qui vint habill� � la sauvage, qui se loua du traistement des sauvages, selon leur pays, & me fit entendre tout ce qu'il avoit veu en son yvernement, & ce qu'il avoit apris desdicts sauvages.

Note 304: (retour)

Le 13 de juin.

Note 305: (retour)

Ce nom, que l'auteur remplace par celui de Hurons, dans son �dition de 1632, �tait probablement celui d'un chef de cette nation, de m�me que celui d'Ochateguins.

Le lendemain venu, je leur monstray un lieu pour aller cabaner, o� les antiens & principaux deviserent fort ensemble: Et apr�s avoir est� un long temps en cest estat, ils me firent appeler seul avec mon gar�on, qui avoit fort bien apris leur langue, & luy dirent qu'ils desiroient faire une estroite amiti� avec moy, & estoient faschez de voir toutes ces chalouppes ensemble, & que nostre sauvage leur avoit dit qu'il ne les cognoissoit point, ny ce qu'ils avoient dans l'�me, & qu'ils voyoient bien qu'il n'y avoit que le gain & l'avarice qui les y amenoit, & que quand ils auroient besoin de leur assistance qu'ils ne leur 251/399donneroient aucun secours, & ne seroient comme moy qui m'offrois avec mes compagnons d'aller env leur pays, & les assister, & que je leur en avois monstr� des tesmoignages par le pass�, en se louant tousjours du traictement que j'avois fait � nostre sauvage comme � mon fr�re, & que cela les oubligeoit tellement � me vouloir du bien, que tout ce que je desirerois d'eux, ils assayeroient � me satisfaire, & craignoient que les autres pattaches ne leur fissent du desplaisir. Je leur asseuray que non feroient, & que nous estions tous soubs un Roy, que nostredit sauvage avoit veu, & d'une mesme nation, (mais pour ce qui estoit des affaires, qu'elles estoient particuli�res) & ne devoient point avoir peur, estant aussi asseurez comme s'ils eussent est� dans leur pays. Apr�s plusieurs discours, ils me firent un present de 100 castors. Je leur donnay en eschange d'autres sortes de marchandise, & me dirent qu'il y avoit plus de 400 sauvages qui devoient venir de leur pays, & ce qui les avoit retard�s, fut un prisonnier Yroquois qui estoit � moy, qui s'estoit eschapp� & s'en estoit all� en son pays, & qu'il avoit donn� � entendre que je luy avois donn� libert� & des marchandises, & que je devois aller audit saut avec 600 Yroquois attendre les Algoumequins, & les tuer tous: Que la crainte de ces nouvelles les avoit arrest�s, & que sans cela qu'ils fussent venus. Je leur fis response que le prisonnier s'estoit desrob� sans que je luy eusse donn� cong�, & que nostredit sauvage s�avoit bien de quelle fa�on il s'en estoit all�, & qu'il n'y avoit aucune apparence de laisser leur amiti� comme ils avoient ouy dire, ayant est� � la guerre avec eux, & envoy� mon gar�on en leur 252/400pays pour entretenir leur amiti�; & que la promesse que je leur avois si fid�lement tenue le confirmoit encore. Ils me respondirent que pour eux ils ne l'avoient aussi jamais pens�, & qu'ils recognoissoient bien que tous ces discours estoient esloignez de la v�rit�; & que s'ils eussent creu autrement, qu'ils ne fussent pas venus, & que c'estoit les autres qui avoient eu peur, pour n'avoir jamais veu de Fran�ois que mon gar�on. Ils me dirent aussi qu'il viendroit trois cens Algoumequins dans cinq ou six jours, si on les vouloit attendre, pour aller � la guerre avec eux contre les Yroquois, & que si je n'y venois ils s'en retourneroient sans la faire. Je les entretins fort sur le subjet de la source de la grande riviere, & de leur pays, dont ils me discoururent fort particuli�rement, tant des rivieres, sauts, lacs, & terres, que des peuples qui y habitent, & de ce qui s'y trouve. Quatre d'entre eux m'asseurerent qu'ils avoient veu une mer fort esloign�e de leur pays, & le chemin difficile, tant � cause des guerres, que des deserts qu'il faut passer pour y parvenir. Ils me dirent aussi que l'yver pr�c�dant il estoit venu quelques sauvages du cost� de la Floride par derri�re le pays des Yroquois, qui voyoient nostre mer Oceane, & ont amiti� avec lesdicts sauvages: Enfin ils m'en discoururent fort exactement, me demonstrant par figures tous les lieux o� ils avoient est�, prenant plaisir � m'en discourir: & moy je ne m'ennuiois pas � les entendre, pour estre fait certain des choses dont j'avois est� en doute jusques � ce qu'ils m'en eurent esclarcis. Apr�s tous ces discours finis, je leur dis qu'ils traictassent ce peu 253/401de commodit�s qu'ils avoient, ce qu'ils firent le lendemain, dont chacune des barques emporta sa pi�ce: nous toute la peine & advanture, les autres qui ne se soucioient d'aucunes descouvertures, la proye, qui est la seule cause qui les meut, sans rien employer ny hazarder.

Le lendemain apr�s avoir trait� tout ce qu'ils avoient, qui estoit peu de chose, ils firent une barricade autour de leur logement du cost� du bois, & en partie du cost� de nos pattaches, & disoient que c'estoit pour leur seuret�, afin d'esviter la surprinse de leurs ennemis: ce que nous prismes pour argent content. La nuit venue ils appellerent nostre sauvage qui couchoit � ma pattache, & mon gar�on, qui les furent trouver: Apr�s avoir tenu plusieurs discours, ils me firent aussi appeler environ sur la minuit. Estant en leurs cabannes, je les trouvay tous assis en conseil, o� ils me firent assoir pr�s d'eux, disans que leur coustume estoit que quand ils vouloient s'assembler pour proposer quelque chose, qu'ils le faisoient la nuit, afin de n'estre divertis par l'aspect d'aucune chose, & que l'on ne pensoit qu'� escouter, & que le jour divertissoit l'esprit par les objects: mais � mon opinion ils me vouloient dire leur volont� en cachette, se fians en moy. Et d'ailleurs ils craignoient les autres pattaches, comme ils me donn�rent � entendre depuis. Car ils me dirent qu'ils estoient faschez de voir tant de Fran�ois, qui n'estoient pas bien unis ensemble, & qu'ils eussent bien desir� me voir seul: Que quelques uns d'entre eux avoient est� battuz: Qu'ils me vouloient autant de bien qu'� leurs enfans, ayant telle fiance en moy, que ce que je leur dirois ils le feroient, 254/402mais qu'ils se mesfioient fort des autres: Que si je retournois, que j'amenasse telle quantit� de gens que je voudrois, pourveu qu'ils fussent soubs la conduite d'un chef: & qu'ils m'envoyoient qu�rir pour m'asseurer d'avantage de leur amiti�, qui ne se romproit jamais, & que je ne fusse point fach� contre eux: & que s�achans que j'avois pris deliberation de voir leur pays, ils me le feroient voir au p�ril de leurs vies, m'assistant d'un bon nombre d'hommes qui pourroient passer par tout. Et qu'� l'advenir nous devions esperer d'eux comme ils faisoient de nous. Aussitost ils firent venir 50 castors & 4 carquans de leurs porcelaines (qu'ils estiment entre eux comme nous faisons les chaisnes d'or) & que j'en fisse participant mon fr�re (ils entendoient Pont-grav� d'autant que nous estions ensemble) & que ces presens estoient d'autres Capitaines qui ne m'avoient jamais veu, qui me les envoyoient, & qu'ils desiroient estre tousjours de mes amis: mais que s'il y avoit quelques Fran�ois qui voulussent aller avec eux, qu'ils en eussent est� fort contens, & plus que jamais, pour entretenir une ferme amiti�. Apr�s plusieurs discours faits, je leur proposay, Qu'ayant la volont� de me faire voir leur pays, que je supplirois sa Majest� de nous assister jusques � 40 ou 30 hommes armez de choses necessaires pour ledit voyage, & que je m'embarquerois avec eux, � la charge qu'ils nous entretiendroient de ce qui seroit de besoin pour nostre vivre durant ledit voyage, & que je leur apporterois dequoy faire des presens aux chefs qui sont dans les pays par o� nous passerions, puis nous nous en reviendrions 255/403yverner en nostre habitation: & que si je recognoissois le pays bon & fertile, l'on y feroit plusieurs habitations; & que par ce moyen aurions communication les uns avec les autres, vivans heureusement � l'avenir en la crainte de Dieu, qu'on leur feroit cognoistre. Ils furent fort contens de ceste proposition, & me pri�rent d'y tenir la main, disans qu'ils feroient de leur part tout ce qu'il leur seroit possible pour en venir au bout: & que pour ce qui estoit des vivres, nous n'en manquerions non plus que eux mesmes, m'asseurans de rechef, de me faire voir ce que je desirois: & la dessus je pris cong� d'eux au point du jour, en les remerciant de la volont� qu'ils avoient de favoriser mon desir, les priant de tousjours continuer.

Le lendemain 17e jour dud. mois ils dirent qu'ils s'en alloient � la chasse des castors, & qu'ils retourneroient tous. Le matin venu ils acheverent de traicter ce peu qu'il leur restoit, & puis s'embarqu�rent en leurs canots, nous prians de ne toucher � leurs logements pour les deffaire, ce que nous leur promismes: & se separerent les uns des autres, faignant aller chasser en plusieurs endroits, & laisserent nostre sauvage avec moy pour nous donner moins de mesfience d'eux: & neantmoins ils s'estoient donnez le randez-vous par de l� le saut, o� ils jugeoient bien que nous ne pourrions aller avec nos barques: cependant nous les attandions comme ils nous avoient dit.

Le lendemain il vint deux sauvages, l'un estoit Yroquet, & l'autre le fr�re de nostre Savignon, qui le venoient requ�rir, & me prier de la part de tous leurs compagnons que j'allasse 256/404seul avec mon gar�on, o� ils estoient cabannez, pour me dire quelque chose de consequence, qu'ils ne desiroient communiquer devant aucuns Fran�ois: le leur promis d'y aller.

Le jour venu je donnay quelques bagatelles � Sauvignon qui partit fort content, me faisant entendre qu'il s'en alloit prendre une vie bien p�nible aux prix de celle qu'il avoit eue en France; & ainsi se separa avec grand regret, & moy bien aise d'en estre descharg�. Les deux Capitaines me dirent que le lendemain au matin ils m'envoyeroient qu�rir, ce qu'ils firent. Je m'enbarquay & mon gar�on avec ceux qui vinrent. Estant au saut, nous fusmes dans le bois quelques huit lieues, o� ils estoient cabannez sur le bort d'un lac, o� j'avois est� auparavant. Comme ils me virent ils furent fort contens, & commenc�rent � s'escrier selon leur coustume, & nostre sauvage s'en vint audevant de moy me prier d'aller en la cabanne de son fr�re, o� aussi tost il fit mettre de la cher & du poisson sur le feu, pour me festoyer. Durant que je fus l� il se fit un festin, o� tous les principaux furent invitez: je n'y fus oublig�306, bien que j'eusse desja pris ma refection honnestement, mais pour ne rompre la coustume du pays j'y fus. Apr�s avoir repeu, ils s'en all�rent dans les bois, tenir leur Conseil, & cependant je m'amusay � contempler le paisage de ce lieu, qui est fort aggreable. Quelque temps apr�s ils m'envoyerent appeler pour me communiquer ce qu'ils avoient resolu entre eux. J'y fus avec mon gar�on. Estant assis aupr�s d'eux ils me dirent qu'ils estoient fort aises de me voir, & 257/405n'avoir point manqu� � ma parolle de ce que je leur avois promis, & qu'ils recognoissoient de plus en plus mon affection, qui estoit � leur continuer mon amiti�, & que devant que partir, ils desiroient prendre cong� de moy, & qu'ils eussent eu trop de desplaisir s'ils s'en fussent allez sans me voir, croyant qu'autrement je leur eusse voulu du mal: & que ce qui leur avoit faict dire qu'ils alloient � la chasse, & la barricade qu'ils avoient faite, ce n'estoit la crainte de leurs ennemis, ny le desir de la chasse, mais la crainte qu'ils avoient de toutes les autres pattaches qui estoient avec moy � cause qu'ils avoient ouy dire que la nuit qu'ils m'envoyerent appeler qu'on les devoit tous tuer, & que je ne les pourrois deffendre contre les autres, estans beaucoup plus que moy, & que pour se desrober, ils userent de ceste finesse: mais que s'il n'y eust eu que nos deux pattaches qu'ils eussent tard� quelques jours d'avantage qu'ils n'avoient fait; & me pri�rent que revenant avec mes compagnons je n'en amenasse point d'autres. Je leur dis que je ne les amenois pas, ains qu'ils me suivoient sans leur dire, & qu'� l'advenir j'yrois d'autre fa�on que je n'avois fait, laquelle je leur declaray, dont ils furent fort contens.

Note 306: (retour)

Oubli�.

Et derechef ils me commenc�rent � reciter ce qu'ils m'avoient promis touchant les descouvertures des terres, & moy je leur fis promesse d'accomplir, moyennant la gr�ce de Dieu, ce que je leur avois dit. Ils me pri�rent encore de rechef de leur donner un homme: je leur dis que s'il y en avoit parmy nous qui y voulussent aller que j'en serois fort content.

258/406Ils me dirent qu'il y avoit un marchand appel� Bouvier qui commandoit en une pattache, qui les avoit pri�s d'emmener un jeune gar�on, ce qu'ils ne luy avoient voulu accorder qu'auparavant ils n'eussent s�eu de moy si j'en estois content, ne s�achant si nous estions amis, d'autant qu'il estoit venu en ma compagnie traicter avec eux; & qu'ils ne luy avoient point d'obligation en aucune fa�on: mais qu'il s'offroit de leur faire de grands presens.

Je leur fis response que nous n'estions point ennemis, & qu'ils nous avoient veu converser souvent ensemble: mais pour ce qui estoit du trafic, chacun faisoit ce qu'il pouvoit, & que ledit Bouyer peut estre desiroit envoyer ce gar�on, comme l'avois fait le mien pensant esperer � l'advenir, ce que je pouvois aussi pr�tendre d'eux: Toutesfois qu'ils avoient � juger auquel ils avoient le plus d'obligation, & de qui ils devoient plus esperer.

Ils me dirent qu'il n'y avoit point de comparaison des obligations de l'un � l'autre, tant des assistances que je leur avois faites en leurs guerres contre leurs ennemis, que de l'offre que je leur faisois de ma personne pour l'advenir, o� tousjours ils m'avoient trouv� v�ritable, & que le tout despendoit de ma volont�: & que ce qui leur en faisoit parler estoit lesdicts presens qu'il leur avoit offert: & que quand bien ledit gar�on iroit avec eux, que cela ne les pouvoit obliger envers ledit Bouvier comme ils estoient envers moy, & que cela n'importeroit de rien � l'advenir, veu que ce n'estoit que pour avoir lesdicts presens dudit Bouvier.

Je leur fis response qu'il m'estoit indifferent qu'ils le 259/407prinssent ou non, & qu'� la v�rit� s'ils le prenoient avec peu de chose, que j'en serois fasch�, mais en leur faisant de bons presens que j'en serois content, pourveu qu'il demourast avec Yroquet: ce qu'ils me promirent. Et apr�s m'avoir fait entendre leur volont� pour la derni�re fois, & moy � eux la mienne, il y eut un sauvage qui avoit est� prisonnier par trois fois des Yroquois, & s'estoit sauv� fort heureusement, qui resolut d'aller � la guerre luy dixiesme, pour se venger des cruautez que ses ennemis luy avoient fait souffrir. Tous les Capitaines me pri�rent de l'en destourner si je pouvois d'autant qu'il estoit fort vaillant, & craignoient qu'il ne s'engageast si avant parmy les ennemis avec si petite trouppe, qu'il n'en revint jamais. Je le fis pour les contenter, par toutes les raisons que je luy peus all�guer, lesquelles luy servirent peu, me monstrant une partie de ses doigts couppez, & de grandes taillades & bruslures qu'il avoit sur le corps, comme ils l'avoient tourmant�, & qu'il luy estoit impossible de vivre, s'il ne faisoit mourir de ses ennemis, & n'en avoit vengeance, & que son coeur luy disoit qu'il failloit qu'il partist au plustost qu'il luy seroit possible: ce qu'il fit fort d�lib�r� de bien faire.

Apr�s avoir fait avec eux, je les priay de me ramener en nostre pattache: pour ce faire ils equipperent 8 canots pour passer ledit saut & se despouillerent tous nuds, & me firent mettre en chemise: car souvant il arrive que d'aucuns se perdent en le passant, partant se tiennent les uns pr�s des autres pour se secourir promptement si quelque canot arrivoit � renverser. Ils me disoient si par malheur le tien venoit � tourner, ne sachant 260/408point nager, ne l'abandonne en aucune fa�on, & te tiens bien � de petits bastons qui y sont par le milieu, car nous te sauverons aysement: le vous asseure que ceux qui n'ont pas veu ny pass� ledit endroit en des petits batteaux comme ils ont, ne le pouroient pas sans grande apprehension mesmes le plus asseur� du monde. Mais ces nations sont si addextres � paner les sauts, que cela leur est facile: Je le passay avec eux, ce que je n'avois jamais fait, ny autre Chr�tien, horsmis mondit gar�on: & vinsmes � nos barques, o� j'en logay une bonne partie, & j'eus quelques paroles avec ledit Bouvier pour la crainte qu'il avoit que je n'empeschasse que son gar�on n'allast avec lesdits sauvages, qui le lendemain s'en retourn�rent avec ledit gar�on, lequel cousta bon � son maistre, qui avoit l'esperance � mon opinion, de recouvrir la perte de son voyage qu'il fit ass�s notable, comme firent plusieurs autres.

Il y eut un jeune homme des nostres qui se d�lib�ra d'aller avec lesdicts sauvages, qui sont Charioquois esloignez du saut de quelques cent cinquante lieues; & fut avec le fr�re de Savignon, qui estoit l'un des Capitaines, qui me promit luy faire voir tout ce qu'il pourroit: Et celuy de Bouvier fut avec ledit Yroquet Algoumequin, qui est � quelque quatre-vingts lieues dudit saut. Ils s'en all�rent fort contens & satisfaicts.

Apr�s que les susdicts sauvages furent partis, nous attend�mes encore les 300 autres que l'on nous avoit dit qui devoient venir sur la promesse que je leur avois faite. Voyant qu'ils ne venoient point, toutes les pattaches resolurent d'inciter 261/409quelques sauvages Algoumequins, qui estoient venus de Tadoussac, d'aller audevant d'eux moyennant quelque chose qu'on leur donneroit quand ils seroyent de retour, qui devoit estre au plus tard dans neuf jours, afin d'estre asseur�s de leur venue ou non, pour nous en retourner � Tadoussac: ce qu'ils accord�rent, & pour cest effect partit un canot.

Le cinquiesme jour de Juillet arriva un canot des Algoumequins de ceux qui devoient venir au nombre de trois cens, qui nous dit que le canot qui estoit party d'avec nous estoit arriv� en leur pays, & que leurs compagnons estans lassez du chemin qu'ils avoient fait de rafraischissoient, & qu'ils viendroient bien tost effectuer la promesse qu'ils avoient faite, & que pour le plus ils ne tarderoient pas plus de huit jours, mais qu'il n'y auroit que 24 canots: d'autant qu'il estoit mort un de leurs Capitaines & beaucoup de leurs compagnons, d'une fievre qui s'estoit mise parmy eux: & aussi qu'ils en avoyent envoy� plusieurs � la guerre, & que c'estoit ce qui les avoit empeschez de venir. Nous resolusmes de les attendre.

Voyant que ce temps estoit pass�, & qu'ils ne venoyent point: Pontgrav� partit du saut le 11e jour dudit mois, pour mettre ordre � quelques affaires qu'il avoit � Thadoussac, & moy je demeuray pour attendre lesdits sauvages.

Cedit jour arriva une pattache, qui apporta du rafraichissement � beaucoup de barques que nous estions: Car il y avoit quelques jours que le pain, vin, viande & le citre nous estoient faillis, & n'avions recours qu'� la pesche du poisson, & � la 262/410belle eau de la riviere, & � quelques racines qui sont au pays, qui ne nous manquerent en aucune fa�on que ce fust: & sans cela il nous en eust falu retourner. Ce mesme jour arriva un canot Algoumequin qui nous assura que le lendemain lesdits vingtquatre canots devoyent venir, dont il y en avoit douze pour la guerre.

Le 12 dudit mois arriverent lesdits Algoumequins avec quelque peu de marchandise. Premier que traicter ils firent un present � un sauvage Montagnet, qui estoit fils d'Annadabigeau307 dernier mort, pour l'appaiser & defascher de la mort de sondit p�re. Peu de temps apr�s ils se resolurent de faire quelques presents � tous les Capitaines des pattaches. Ils donn�rent � chacun dix Castors: & en les donnant, ils dirent qu'ils estoyent bien marris de n'en avoir beaucoup, mais que la guerre (o� la plus part alloyent) en estoit cause: toutesfois que l'on prist ce qu'ils offroyent de bon coeur, & qu'ils estoyent tous nos amis, & � moy qui estois assis aupr�s d'eux, par dessus tous les autres, qui ne leur vouloyent du bien que pour leurs Castors: ne faisant pas comme moy qui les avois tousjours assistez, & ne m'avoient jamais trouv� en deux parolles comme les autres. Je leur fis response que tous ceux qu'ils voioyent assemblez estoyent de leurs amis, & que peust-estre que quand il se presenteroit quelque occasion, ils ne laisseroyent de faire leur devoir, & que nous estions tous amis, & qu'ils continuassent � nous vouloir du bien, & que nous leur ferions des presens au reciprocque de ce qu'ils nous donnoyent, & qu'ils traitassent paisiblement: ce qu'ils firent, & chacun en emporta ce qu'il peut.

Note 307: (retour)

Ou Anadabijou. (Voir le Voyage de 1603, p. 7.)

263/411 Le lendemain ils m'apport�rent, comme en cachette quarante Castors, en m'asseurant de leur amiti�, & qu'ils estoient tres-aises de la deliberation que j'avois prinse avec les sauvages qui s'en estoyent allez, & que l'on faisoit une habitation au saut, ce que je leur asseuray, & leur fis quelque present en eschange.

Apr�s toutes choses pass�es, ils se delibererent d'aller querir le corps d'Outetoucos qui s'estoit noy� au saut, comme nous avons dit cy dessus. Ils furent o� il estoit, le desenterrerent & le port�rent en l'isle sainte Helaine, o� ils firent leurs c�r�monies accoustum�es, qui est de chanter & danser sur la fosse, suivies de festins & banquets. Je leur demanday pourquoy ils desenterroyent ce corps: Ils me respondirent que si leurs ennemis avoyent trouv� la fosse, qu'ils le feroyent, & le mettroient en plusieurs pi�ces, qu'ils pendroyent � des arbres pour leur faire du desplaisir, & pour ce subject ils le transportoyent en lieu escart� du chemin & le plus secrettement qu'ils pouvoyent.

Le 15e jour du mois arriverent quatorze canots, dont le chef s'appelloit Tecouehata. A leur arriv�e tous les autres sauvages se mirent en armes, & firent quelques tours de limasson. Apr�s avoir assez tourn� & dans�, les autres qui estoyent en leurs canots commenc�rent aussi � danser en faisant plusieurs mouvemens de leurs corps. Le chant fini, ils descendirent � terre avec quelque peu de fourrures, & firent de pareils presens que les autres avoyent faict. On leur en fit d'autres au r�ciproque selon la valeur. Le lendemain ils traitterent ce 264/412peu qu'ils avoyent, & me firent present encore particuli�rement de trente Castors, dont je les recompensay. Ils me pri�rent que je continuasse � leur vouloir du bien, ce que je leur promis. Ils me discoururent fort particuli�rement sur quelques descouvertures du cost� du Nord, qui pouvoyent apporter de l'utilit�: Et sur ce subject ils me dirent que s'il y avoit quelqu'un de mes compagnons qui voulut aller avec eux, qu'ils luy feroyent voir chose qui m'apporteroit du contentement, & qu'ils le traiteroyent comme un de leurs enfans. Je leur promis de leur donner un jeune gar�on, dont ils furent fort contens. Quand il prit cong� de moy pour aller avec eux, je luy baillay un m�moire fort particulier des choses qu'il devoit observer estant parmi eux. Apr�s qu'ils eurent traict� tout le peu qu'ils avoyent, ils se separerent en trois: les uns pour la guerre, les autres par ledit grand saut, & les autres par une petitte riviere qui va rendre en celle dudit grand saut: & partirent le dixhuictiesme jour dudit mois, & nous aussi le mesme jour.

Cedit jour fismes trente lieues qu'il y a dudit saut aux trois rivieres, & le dixneufiesme arrivasmes � Qu�bec, o� il y a aussi trente lieues desdites trois rivieres. Je disposay la plus part d'un chacun � demeurer en laditte habitation, puis y fis faire quelques r�parations & planter des rosiers, & fis charger du chesne de fente pour faire l'espreuve en France, tant pour le marrin lambris que fenestrages: Et le lendemain 20 dudit mois de juillet en partis. Le 23, j'arrivay � Tadoussac, o� estant je me resoulus de revenir en France, avec l'advis de Pont-grav�.

265/413Apr�s avoir mis ordre � ce qui despandoit de nostre habitation, suivant la charge que ledit sieur de Monts m'avoit donn�e, je m'enbarquay dedans le vaisseau du capitaine Tibaut de la Rochelle, l'onziesme d'Aoust. Sur nostre traverse nous ne manquasme de poisson, comme d'Orades, Grande-oreille, & de Pilotes qui sont comme harangs, qui se mettent autour de certains aix chargez de poulse-pied, qui est une sorte de coquillage qui s'y attache, & y croist par succession de temps. Il y a quelquesfois une si grande quantit� de ces petits poissons, que c'est chose estrange � voir. Nous prismes aussi des marsouins & autres especes. Nous eusmes ass�s beau temps jusques � Belle-isle308, o� les brumes nous prirent, qui dur�rent 3 ou 4 jours: puis le temps venant beau, nous eusmes cognoissance d'Alvert309, & arrivasmes � la Rochelle le dixsiesme Septembre 1611.

Note 308: (retour)

Belle-Ile, en Bretagne, ou Belle-Ile-en-Mer.

Note 309: (retour)

Ou Arvert.




Arriv�e � la Rochelle. Association rompue entre le sieur de Mons & ses associez, les sieurs Colier & le Gendre de Rouen, Envie des Fran�ois touchant les nouvelles descouvertures de la nouvelle France.

CHAPITRE IV.

Estans arriv�s � la Rochelle je fus trouver le sieur de Mons � Pont en Xintonge, pour luy donner advis de tout ce qui s'estoit passe au voyage, & de la promesse que les sauvages Ochateguins & Algoumequins m'avoient faitte, pourveu qu'on les assistast en 266/414leurs guerres, comme je leur avois promis. Le sieur de Mons ayant le tout entendu, se d�lib�ra d'aller en Cour pour mettre ordre � ceste affaire. Je prins le devant pour y aller aussi: mais en chemain je fus arrest� par un mal'heureux cheval qui tomba sur moy & me pensa tuer. Ceste cheute me retarda beaucoup: mais aussi tost que je me trouvay en ass�s bonne disposition, je me mis en chemin, pour parfaire mon voyage & aller trouver ledit sieur de Mons � Fontaine-Bleau, lequel estant retourn� � Paris parla � ses associez, qui ne voulurent plus continuer en l'association pour n'avoir point de commission qui peut empescher un chacun d'aller en nos nouvelles descouvertures negotier avec les habitans du pays. Ce que voyant ledit sieur de Mons, il convint avec eux de ce qui restoit en l'habitation de Qu�bec, moyennant une somme de deniers qui leur donna pour la part qu'ils y avoyent: & envoya quelques hommes pour conserver ladite habitation, sur l'esperance d'obtenir une commission de sa Majest�. Mais comme il estoit en ceste poursuitte, quelques affaires de consequence luy survindrent, qui la luy firent quitter, & me laissa la charge d'en rechercher les moyens: Et ainsi que j'estois apr�s � y mettre ordre, les vaisseaux arriverent de la nouvelle France, & par mesme moyen des gens de nostre habitation, de ceux que j'avois envoy� dans les terres avec les sauvages, qui m'aporterent d'assez bonnes nouvelles, disans que plus de deux cents sauvages estoient venus, pensans me trouver au grand saut S. Louys, o� je leur avois donn� le rendez-vous, en intention de les assister en ce qu'ils m'avoient suppli�: mais voyans que 267/415je n'avois pas tenu ma promesse, cela les fascha fort: toutesfois nos gens leur firent quelques excuses qu'ils prirent pour argent comptant, les assurant pour l'ann�e suivante ou bien jamais, & qu'ils ne menquassent point de venir: ce qu'ils promirent de leur part. Mais plusieurs autres qui avoient quitt� Tadoussac, traffic encien, vindrent audit saut avec quantit� de petites barques, pour voir s'ils y pourroient faire leurs affaires avec ces peuples, qu'ils asseuroient de ma mort, quoy que peussent dire nos gens, qui affermoyent le contraire. Voila comme l'envie se glisse dans les mauvais naturels contre les choses vertueuses; & ne leur faudroit que des gens qui se hasardassent en mille dangers pour descouvrir des peuples & terres, afin qu'ils en eussent la d�pouille, & les autres la peine. Il n'est pas raisonnable qu'ayant pris la brebis, les autres ayent la toison. S'ils vouloient participer en nos descouvertures, employer de leurs moyens, & hasarder leurs personnes, ils monstreroyent avoir de l'honneur & de la gloire: mais au contraire ils monstrent evidemment qu'ils sont poussez d'une pure malice de vouloir esgalement jouir du fruict de nos labeurs. Ce fruict me fera encore dire quelque chose pour monstrer comme plusieurs taschent � destourner de louables dessins, comme ceux de sainct Maslo & d'autres, qui disent, que la jouyssance de ces descouvertures leur appartient, pour ce que Jaques Quartier estoit de leur ville, qui fut le premier audit pays de Canada & aux isles de Terre-neufve: comme si la ville avoit contribu� aux frais des dittes descouvertures de Jaques Quartier, qui y fut par commendement, & aux despens du 268/416Roy Fran�ois premier �s ann�e 1534 & 1535 descouvrir ces terres aujourd'huy appel�es nouvelle France? Si donc ledit Quartier a descouvert quelque chose aux despens de sa Majest�, tous ses sujets peuvent y avoir autant de droit & de libert� que ceux de S. Maslo, qui ne peuvent empescher que si aucuns descouvrent autre chose � leurs despens, comme l'on fait paroistre par les descouvertures cy dessus descriptes, qu'ils n'en jouissent paisiblement: Donc ils ne doivent pas s'attribuer aucun droict, si eux mesmes ne contribuent. Leurs raisons sont foibles & d�biles, de ce cost�. Et pour monstrer encore � ceux qui voudroient soustenir ceste cause, qu'ils sont mal fondez, posons le cas qu'un Espagnol ou autre estranger ait descouvert quelques terres & richesses aux despens du Roy de France, s�avoir si les Espagnols ou autres estrangers s'attribueroient les descouvertures & richesses pour estre l'entrepreneur Espagnol ou estranger: non, il n'y a pas de raison, elles seroient tousjours de France: de sorte que ceux de S. Maslo ne peuvent se l'attribuer, ainsi que dit est, pour estre ledit Quartier de leur ville: mais seulement � cause qu'il en est sorty, ils en doivent faire estat, & luy donner la louange qui lui est deue. Davantage ledit Quartier au voyage qu'il a fait ne passa jamais ledit grand saut S. Louys, & ne descouvrit rien Nort ny Su, dans les terres du fleuve S. Laurens: ses relations n'en donnent aucun tesmoignage, & n'y est parl� que de la riviere du Saguenay, des trois rivieres & sainte Croix, o� il hyverna en un fort proche de nostre habitation: car il ne l'eust obmis non plus que ce qu'il a descrit, qui monstre qu'il 269/417a laiss� tout le haut du fleuve S. Laurens, depuis Tadoussac jusques au 1611. grand saut, difficile � descouvrir les terres, & qu'il ne s'est voulu hasarder ny laisser ses barques pour s'y adventurer: de sorte que cela est tousjours demeur� inutile, sinon depuis quatre ans que nous y avons fait nostre habitation de Qu�bec, o� apr�s l'avoir faite �difier, je me mis au hazard de passer ledit saut pour assister les sauvages en leurs guerres, y envoyer des hommes pour cognoistre les peuples, leurs fa�on de vivres & que c'est que de leurs terres. Nous y estans si bien employez, n'est-il pas raison que nous jouissions du fruit de nos labeurs, sa Majest� n'ayant donn� aucun moyen pour assister les entrepreneurs de ces dessins jusques � present? J'espere, que Dieu luy fera la gr�ce un jour de faire tant pour le service de Dieu, de sa grandeur & bien de ses subjets, que d'amener plusieurs pauvres peuples � la cognoissance de nostre foy, pour jouir un jour du Royaume celeste.




270/418INTELLIGENCE DES DEUX cartes Geograffiques de la nouvelle France.

IL m'a sembl� bon de traicter aussi quelque chose touchant les deux cartes geografiques, pour en donner l'intelligence: car bien que l'une represente l'autre, en ce qui est des ports, bayes, caps, promontoires, & rivieres qui entrent dans les terres, elles sont toutesfois diff�rentes en ce qui est des situations. La plus petite est en son vray m�ridien, suivant ce que le sieur de Castelfranc 310 le demonstre en son livre de la mecometrie de la guide-aymant, o� j'en ay observ� plusieurs declinaisons, qui m'ont beaucoup servi, comme il se verra en ladite carte, avec toutes les hauteurs, latitudes & longitudes, depuis le quarante uniesme degr� de latitude, jusques au cinquante uniesme, tirant au pole artique, qui sont les confins de Canada ou grande Baye 311, o� se faict le plus souvent la pesche de balaine, par les Basques & Espagnols. Je l'ay aussi observ� en certains endroits dans le grand fleuve de S. Laurens sous la hauteur de quarante cinq degrez de latitude jusques � vingt ung degr� de declinaison de la guide-aymant, qui est la plus grande que j'aye veue: & de ceste petite carte, l'on se pourra fort bien servir � la navigation, pourveu qu'on scache 271/419appliquer l'aiguille � la rose des vents du compas: Comme par exemple, je desire m'en servir, il est donc de besoin, pour plus de facilit�, de prendre une rose, o� les trentedeux vents soyent marquez egalement, & faire mettre la pointe de la guide-aymant � 12, 15 ou 16 degrez de la fleur de lis, du cost� du nortouest, qui est pr�s d'un quart & demy de vent, comme au Nort un quart du norouest, ou un peu plus de la fleur de lis de laditte rose des vents, & appliquer la rose dans le compas, quand l'on sera sur le grand banc, o� se fait la pesche du poisson vert, par ce moyen l'on pourra aller cercher fort asseurement toutes les hauteurs des caps, ports & rivieres. Je s�ay qu'il y en aura beaucoup qui ne s'en voudront servir, & courront plustost � la grande, d'autant qu'elle est fabriqu�e sur le compas de France, o� la guide-aymant nordeste, d'autant qu'ils ont si bien prins ceste routine, qu'il est mal ais� de leur faire changer. C'est pourquoy j'ay dress� la grande carte en ceste fa�on, pour le soulagement de la plus-part des pilotes & navigateurs des parties de la nouvelle France, craignant que si je ne l'eusse ainsi fait, ils m'eussent attribu� une faute, qu'ils n'eussent sceu dire d'o� elle procedoit. Car les petits cartrons ou cartes des terres neufves, pour la pluspart sont presque toutes diverses en tous les gisemens & hauteurs des terres. Et s'il y en a quelques uns qui ayent quelques petits eschantillons assez bons, ils les tiennent si pr�cieux qu'ils n'en donnent l'intelligence � leur patrie, qui en pourroit tirer de l'utilit�. Or la fabrique des cartaux est d'une telle fa�on, qu'ils font du Nor-nordest leur ligne m�ridienne, & de l'Ouest-norouest, l'Ouest, chose contraire au vray m�ridien de 272/420ce lieu, de l'appeler Nort-nordest pour le Nort: Car au lieu que l'aiguille doit norouester elle nordeste, comme si c'estoit en France. Qui a fait que l'erreur s'en est ensuivy & s'ensuivra, d'autant qu'ils ont cette vieille coustume d'anciennet�, qu'ils retiennent, encores qu'ils tombent en de grands erreurs. Ils se servent aussi d'un compas touch� Nort & Su, qui est mettre la poincte de la guide-aymant droit sous la fleur de lis. Sur ce compas beaucoup forment leurs petites cartes, ce qui me semble le meilleur, & approcher plus pr�s du vray m�ridien de la Nouvelle France, que non pas les compas de la France Orientale qui nordestent. Il s'est doncques ensuivy en ceste fa�on, que les premiers navigateurs qui ont navigu� aux parties de la nouvelle France Occidentale croioyent n'engendrer non plus d'erreur d'aller en ces parties que d'aller aux Essores312, ou autres lieux proches de France, o� l'erreur est presque insensible en la navigation, dont les pilotes n'ont autres compas que ceux de France, qui nordestent, & representent le vray m�ridien. Et naviguant tousjours � l'Ouest, voulant aller trouver une hauteur certaine, faisoient la routte droit � l'Ouest de leur compas, pensant marcher sur une paralelle o� ils vouloient aller. Et allant tousjours droictement en plat, & non circulairement, comme sont toutes les paralelles sur le globe de la terre, apr�s avoir faict une quantit� de chemin, pr�s de venir � la ve�e de la terre, ils se trouvoient quelquesfois trois, quatre ou cinq degr�s plus Su qu'il n'estoit de besoing: & par ainsi se trouvoient desceus de 273/421leur hauteur & estime. Toutesfois il est bien vray que quand le beau temps paroissoit, & que le soleil estoit beau, ils se redressoient de leur hauteur: mais ce n'estoit sans s'estonner d'o� procedoit que la routte estoit fausse; qui estoit qu'au lieu d'aller circulairement selon ladicte paralelle, ils alloient droictement en plat; & que changeant de m�ridien, ils changeoient aussi d'airs de vent du compas: & par ainsi de routte. C'est donc une chose fort necessaire de scavoir le m�ridien & declinaison de la guide-aymant: car cela peut servir pour tous pilotes qui voyagent par le monde, d'autant que ne la sachant point, & principalement au Nort & au Su o� il se fait de plus grandes variations de la guide-aymant: aussi que les cercles de longitude sont plus petits, & par ainsi l'erreur seroit plus grand � faute de ne scavoir ladicte declinaison de la guideaymant. C'est donques pourquoy laditte erreur s'est ensuivie, que les voyageurs ne l'ayant voulu ou ne le s�achant corriger, ils l'ont laiss� en la fa�on que maintenant elle est: de sorte qu'il est mal ais� d'oster ceste dicte fa�on accoustum�e de naviguer en cesdits lieux de la nouvelle France. C'est ce qui m'a fait faire ceste grande carte, tant pour estre plus particuli�re que la petite, que pour le contentement des naviguans qui pourront naviguer, comme si c'estoit sur leurs petits cartrons ou cartes: & m'excuseront si je ne les ay mieux faites & particularis�es, d'autant que l'aage d'un homme ne pourroit suffire � recognoistre si exactement les choses, qu'� la fin du temps il ne se trouvast quelque chose d'obmis, qui sera que toutes personnes curieuses & laborieuses pourront 274/422remarquer en voyageant des choses qui ne seront en ladicte carte & les y adapter: tellement qu'avec le temps on ne doutera d'aucunes choses de cesdicts lieux. Pour le moins il me semble que j'ay fait mon devoir en ce que j'ay peu, o� je n'ay oubli� rien de ce que j'ay veu � mettre en madicte carte, & donner une cognoissance particuli�re au public, qui n'avoit jamais est� descripte, ny descouverte si particuli�rement comme j'ay fait, bien que quelque autre par le pass� en ayt escript, mais c'estoit bien peu de chose au respect de ce que nous avons descouvert depuis dix ans en �a.

Note 310: (retour)

Guillaume de Nautonier, sieur de Castelfranc. Son ouvrage est ainsi intitul�: �M�com�trie de l'eymant, c'est � dire la maniere de mesurer les longitudes par le moyen de l'eymant, &c.� Champlain semble avoir adopt� le syst�me du sieur de Castelfranc sur le moyen de d�terminer la longitude des lieux.

Note 311: (retour)

Ce qu'on appelait autrefois la Grande-Baie est cette partie du golfe Saint-Laurent qui aboutit au d�troit de Belle-Isle, et qui forme en effet comme une grande baie entre la c�te occidentale de Terreneuve et le Labrador.

Note 312: (retour)

A�ores.

Moyen de prendre la ligne M�ridienne.

Prenez une planchette fort unie, & au milieu posez une esguille C, de trois pousses de haut, qui soit droictement � plomb, & le posez au Soleil devant Midy, � 8 ou 9 heures, o� l'ombre de l'esguille C, arrivera, soit marqu� avec un compas, lequel fera ouvert, s�avoir une poincte sur C, & l'autre sur l'ombre B, & puis trasserez un demy cercle A, B, laissant le tout jusqu'apr�s midy, qu'y verrez l'ombre parvenir sur le bort du demy cercle A. Puis partirez le demy cercle A. B. par la moiti�, & aussi tost prendrez une reigle que poserez sur le poinct C. & l'autre sur le poinct D. & trasserez une ligne tant qu'elle pourra courir le long de ladicte planchette, qu'il ne faut bouger que l'observation ne soit faicte, & la ligne sera la M�ridienne du lieu o� vous serez.

Et pour s�avoir la declinaison du lieu o� vous ferez sur la ligne M�ridienne, posez un quadran qui soit quarr�, comme demonstre la figure cy dessus le long de la ligne M�ridienne, & au fonds dudit quadran y aura un cercle divis� en 360. degrez, & partissez ledit cercle par entredeux lignes diam�trales, dont l'une est represent�e pour le septentrion, & l'autre pour le midy, comme monstrera E. F. & 1 autre ligne represente l'Orient & l'Occident, comme monstre G. H. & alors regardez l'aiguille de la guide-aymant, qui est au fonds du quadran, sur le pivot, laquelle verrez o� elle d�cline de la ligne M�ridienne fixe, qui est au fonds du quadran, & combien de degrez elle Nordeste ou Noroueste.

Carte A.
Agrandissement

Carte B.
Agrandissement

275/423

TABLE DES MATIERES.

Algoumequins. 261.

Almouchiquois n'adorent aucune chose. 69. Ont des superstitions. 69. Leur naturel 69. ont un langage diff�rent � celuy des Souriquois & Etechemins 52. vont tous nuds, hommes & femmes hormis leur nature 101. portent quelquesfois des robbes faictes d'herbes 68. ne font provision de pelleterie que pour se vestir 52. sont bien proportionnez de leurs corps 101. ont le tein olivastre 101. comment portent leurs cheveux 52, 69. se parent de plumes, de patenostres de porcelines & autres jolivetez 101. se peindent de noir rouge & jaune 69. s'arrachent le poil de la barbe 69. leurs logemens 66. 102. ont grande quantit� de puces, mesmes parmy les champs 102. comment se comportent quand ils ont quelque mauvais dessein 103. 104. leurs armes 101. n'ont point de police, gouvernement, ny cr�ance. 101. font entreprise sur les Fran�ois. 104. voyez Fran�ois. Amateurs du labourage 100. comment labourent les terres. 66. ont autant de terre qu'il est necessaire pour leur nourriture. 65. comment font leurs bleds d'Inde. 53. comment ils en conservent leur provision pour l'hyver. 101. comment l'accommodent pour le manger. 70. cultivent de certaines racines 66. sont fort vistes 107. voyez Sauvages.

Aneda herbe recommand�e par Jaques Quartier. 50.

Aubry Prestre esgar� dixsept jours dans des bois. 16. 17.

B

Balaines comment se peschent 226. 227. 228.

Basques pris faisant traitte de pelleterie. 28.

Basques traitent la force en la main & leur violence contre le vaisseau de Pont-grav�. 139. 140. 141. Barque eschou�e sur une roche miraculeusement sauv�e. 60.

Baye Fran�oise. 19. 21.

Baye sainct Laurens. 21.

Baye saincte Marie. 15. 17.

Baye de toutes isles. 128.

Bedabedec, pointe ainsi appel�e des sauvages. 32. 33.

C

Cap de la H�ve. 8.

Cap Negre. 9.

Cap de Sable. 10.

Cap Fourchu. 11.

Cap des deux Bayes. 20.

Cap aux isles. 57.

Cap sainct Louys. 60.

Cap Blanc. 64.

Cap Breton. 169.

Cap Batturier. 99.

Cap Dauphin. 145.

Cap de l'Aigle. 145.

Cap de tourmente. 146.

Campseau. 130

Canada. 160.

Canadiens ne font point de provision pour l'hyver. 169.

Canots des sauvages. 59. 60. 141. 142.

Champdor� pilote. 84. emmenot�, lib�r�. 87.

Champ sem� de bled d'Inde. 66.

Chanvre. 62.

Charioquois. 260.

Chasse des sauvages. 43. 44.

Chouacoet. 123.

Chouassarou poisson. 190. 191.

Citrouilles, 66.

Commission du sieur de Mons. 136.

Conspiration contre ma personne. 148. descouverte 150. conspirateurs pris 152. Proc�dures en leur proc�s. 152. 153. 154.

Corde faite d'escorce d'arbre. 62.

Coste de Norembegue. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39.

Coste des Almouchiquois. 45.

Croix fort ancienne marque de Chrestiens. 125.

Cul de sac o� il y a plusieurs isles & beaucoup d'endrois pour mettre nombre de vaisseaux. 24.

D

Danger proche de naufrage. 30. autre 1. autre 83. autre. 86.

Premi�re Defaite des Yroquois.

Seconde Defaite des Yroquois.

E

Espouvante des Montagnets � la riviere des Yroquois. 109..

Equille poisson. 18.

Etechemins n'ont point de demeure arrest�e. 35.

Habitent quelquefois la riviere de Quinibequi. 37.

276/424

F

Les Femmes sont un peu plus long habill�es que les hommes 68. 69. sont tous les vestemens 44. surpassent en cruaut� les hommes. 219.

Fran�ois assistent les sauvages leurs alli�s � la guerre contre leurs ennemis. 194. 195. 210. jusques � 217. Surpris par les Almouchiquois. 67. 68. 106. s'en vengent. 110.

G Gasp�. 169.

Gel�es fort grandes. 43.

Grande-oreille, poisson qui porte des �grettes. 229.

H

Habitation de l'isle saincte Croix. 26.

Habitation du port Royal. 79.

Habitation de Qu�bec. 155.

Harangue de Mantoumermer sauvage. 47-8.

Hyver fort court. 207.

J

Jaques Quartier, & de son Hyvernement. 156. jusques � 161.

I

Isle de Sable. 7.

Isle aux Cormorans. 10.

Isles aux oyseaux. 10. 11. 15.

Isles fort dangereuses. 10.

Isles aux Loups-marins, 11.

Isle Longue. 12. 13.

Isle Haute. 20. [autre du m�me nom] 33.

Isle aux Margots. 24.

Isle appel�e des sauvages Menane. 24. 46.

Isle saincte Croix. 25. 91. appel�e autrefois des sauvages Achelacy.313 157. 159. 160. 161.

Isles rang�es. 30. [autres � la c�te d'Acadie]. 129.

Isles des monts-deserts. 31.

Isles aux Corneilles. 46.

Isle de la tortue. 46.

Isle de Bacchus. 51. 52.

Isles Martyres. 127.

Isle Perc�e. 131.

Isle du cap Breton. 131. 132.

Isle aux coudres. 145. 158. 159. plusieurs Isles fort agr�ables environn�es de rochers & basses fort dangereuses. 146. 147.

Isle d'Orl�ans. 146. 147. ainsi appel�e par Jacques Cartier. 161.

Isle sainct Esloy. 175.

Isle aux H�rons. 246.

Note 313: (retour)

L'�le de Sainte-Croix n'a jamais port� le nom d'Achelacy, mais bien la pointe de Sainte-Croix, aujourd'hui le Platon, a environ douze lieues au-dessus de Qu�bec.

L

Lac de trois � quatre lieues de long. 49.

Lac sainct Pierre. 180.

Lac des Yroquois. 189.

Lac de Champlain. 196.

Lac. 143.

M

Mal de la terre, voy�s Scurbut.

Mauves oyseaux. 124.

Maslouins appelez Mistigoches par les Sauvages. 209..

Mine d'argent. 12.

Mines de cuivre. 20. 21. 28. 29. 79. 80.

Mines de fer. 13-22. 23.

Montagnets vont demy nuds. 162. l'hyver se couvrent de bonnes fourrures. 162. 164. sont bien proportionnez & les femmes aussi, qui se frottent de peinture, qui les rend basann�es. 163. quand peschent les anguilles qu'ils font secher pour l'hyver. 162. quand vont � la chasse aux castors. 162. vont � la chasse aux eslans & autres bestes sauvages, lors que leurs anguilles leur manquent. 162. ont quelquefois de grandes famines, mangent leurs chiens & les peaux de quoy ils se couvrent. 162. pressez d'une extresme necessit�. 166. jusques � 170. ne font point de provisions. 168. 169.

Montagnets croyent l'immortalit� de l'�me. 165. Disent qu'apr�s leur mort ils se vont resjouir en d'autres pa�s. 165. croyent que tous les songes qu'ils font sont v�ritables. 163. n'ont point ny foy, ny loy. 163. sont fort meschans, grands menteurs, & vindicatifs. 163. n'entreprennent rien sans consulter leur Pilotois. 163. leurs c�r�monies quand ils arrivent � leur pays au retour de la guerre. 199. 217. leurs mariages. 164. leurs enterremens. 164. 165. dansent trois fois l'ann�e sur la fosse de leurs amis. 165. ont fort craintifs & redoutent fort leurs ennemis. 165.

Miraculeusement sauvez d'un naufrage. 167. ont bon jugement. 162.

Mouches fort fascheuses. 27.

N

Normands appel�s Mistigoches par les sauvages. 209.

277/425O

Ordre de bon temps, 120.

Outarde oyseau. 72.

Oyseau qui a le bec en fa�on de lancette. 71. 72.

Oyseaux comme coqs d'Indes. 72. 73.

Oyseaux incarnats. 202.

P

Pierres � faire de la chaux. 124.

Pilotois devineurs de bonne & mauvaise fortune. 163. leurs diableries & simagr�es. 93.

Place Royale. 242. 243. 244. 245.

Pointe sainct Mathieu, autrement aux Allouettes. 139.

Pointe de tous les Diables. 139.

Poisson avec trois rangs de dens. 202.

Port au Mouton. 8.

Port saincte Marguerite. 13.

Port Royal. 17. 18.

Port aux mines. 20. 21.

Port aux isles. 55. 56.

Port du cap sainct Louys. 63.

Port de Malebarre. 65. 66.

Beau Port. 94. 95. 96.

Port aux huistres. 97.

Port fortun�. 100.

Port sainct Helaine. 127. 128.

Port de Savalette. 129. 130.

Port aux Anglois. 132.

Port Niganis. 132.

Q

Quebecq. 145. 148. 155. 170. 173. 264.

R

Racines que les sauvages cultivent. 66.

Rencontre des Yroquois � qui nous allions faire la guerre. 193.

Riviere du Boulay. 12.

Riviere de l'Equille. 18. 19.

Riviere sainct Antoine. 19.

Riviere sainct Jean appel�e des sauvages Ouygoudy. 22. 23.

Riviere des Etechemins. 25. 26.

Riviere de Pimptegouet appel�e de plusieurs pilotes & historiens Norembegue. 31. 32. 33. 34. 35. 37. 38

Riviere de Quinibequi. 46. 49. 50.

Riviere [lisez isle] de la tortue314. 46. 49.

Riviere de Chouacoet. 53. 55.

Riviere saincte Marguerite. 127.

Riviere de l'isle verte. 128.

Riviere de Saguenay. 172. 143. 144.

Riviere aux saumons. 145.

Grande Riviere de sainct Laurens. 170. 174. 175. 176. 177.

Riviere saincte Marie. 175.

Les trois Rivieres. 179.

Riviere des Yroquois. 181. 184. 189.

Note 314: (retour)

La Tortue �tait une �le. Ce qui a donn� occasion � la m�prise que nous corrigeons ici, est ce passage de la page 46: �L'isle de la tortue & la riviere sont su suresst & nort norouest.� Il va sans dire que la rivi�re, c'est le Quinib�qui. A nos yeux, cela seul suffit pour prouver que cette table n'a pas �t� faite par Champlain.

Saincte croix, nom transf�r� de lieu � autre. 1563 157. 158. 159. 160. 161.

Saincte Susanne du cap blanc. 64.

Sault d'eau. 34.

Grand Sault. 248. 249.

Sauvages quand sont mal disposez, se tirent du sang avec les dents d'un poisson appel� Couaffarou. 191. Leur dueil. 118. Leurs c�r�monies aux enterremens. 118. en leurs harangues. 36. Quand ils veulent d�lib�rer de quelque affaire, font leurs assembl�es la nuit. 253. Comment ils content les temps. 176. Leur fa�on de vivre en hyver. 44. en hyver ne peuvent chasser, si les neiges ne sont grandes. 43. attachent des raquettes soubs leurs pieds, quand ils vont chasser en temps de neige. 44. 164. comment peschent le poisson. 62. vivent de coquillage; quand ils ne peuvent chasser, 44. comment desfrichent les terres. 96. Danssent & monstrent signes de resjouissance, quand ils voyent arriver des vaisseaux de France. 51. Font de grandes admirations quand ils voyent premi�rement des Chrestiens. 219. Ont des gens parmi eux qui disent la bonne avanture ausquels ils adjoustent foy. 101. voyez Pilotois. Croyent les songes v�ritables. 192. 193. Quand ils entendent des coups de canon se couchent contre terre. 107.

Sauvages quand vont � la guerre separent leurs troupes en trois, pour la chasse en avantcoureurs & le gros. 186. Font des marques, par o� ils passent, par lesquelles ceux qui viennent apr�s reconoissent si ce sont amis ou ennemis qui ont pass�. 186. Leurs chasseurs ne chassent jamais de l'avant du gros. 278/426186. Envoyent descouvrir si on n'apercevra point d'ennemis. 195. Toute la nuict se reposent sur la reveue des avantcoureurs. 185. Aprochans des terres de leurs ennemis ne cheminent plus que la nuict. 192. Leurs retranchemens. 185. Ont des chefs � qui ils obeissent, en ce qui est du faict de la guerre seulement. 188. Comment les chefs monstrent � leurs gens le rang & l'ordre qu'ils doivent tenir au combat. 188. Ex�cutent leurs desseins la nuict & non le jour. 105. Quand sont poursuivis se sauvent dans les bois. 109. Escorchent la teste de leurs ennemis tuez pour troph�e de leur victoire. 217. comment traittent leurs prisonniers. 196. 197. 198. 218. 219.

Sauvages alliez vont � la guerre contre les Yroquois leurs ennemis. 210 jusques � 217 voyez Algoumequins & Montagnets.

Scurbut, ou maladie de la terre. Sa cause. plusieurs r�gions en sont frapp�es.

Siguenoc.

Superstition des Sauvages. 4.4. 8.8.

T

Tadoussac. 138.. 139.

Temp�rature fort diff�rente, pour 120 lieues. 170.

Terres desert�es o� le sieur de Mons fit semer du froment. 26. autres terres d�frich�es. 63.

Terre ensemenc�e par le sieur de Poitrincourt. 89. 90.

Terres bonnes & fertiles. 91.

Terres couvertes la plus part de l'ann�e. 144.

Terres couvertes de neiges jusques � la fin de May. 170.

Terre neufve. 170.

Traitte de pelleterie d�fendue. 139.

V

Vignes qui portent de tresbons raisins. 54.

Y

Yroquois. 191. desfaicts en guerre. 195. 196.

FIN.



279/427

QUATRIESME
VOYAGE DE
S. DE CHAMPLAIN
CAPITAINE ORDINAIRE POUR
LE ROY EN LA MARINE, ET
Lieutenant de Monseigneur le
Prince de Cond� en la Nouvelle France, fait en
l'ann�e 1613.

281/429

A TRES-HAUT,
TRES-PUISSANT ET TRES-EXCELLENT
HENRY DE BOURBON PRINCE
de Cond�, premier Prince du Sang, premier
Pair de France, Gouverneur & Lieutenant de
Sa Majest� en Guyenne.

ONSEIGNEUR

L'honneur que j'ay re�eu de vostre grandeur en la charge des descouvertures de la nouvelle France, m'a augment� l'affection de poursuivre avec plus de soing & diligence que jamais, la recherche de la mer du Nord. Pour cet effect en ceste ann�e 1613, j'y ay fait un voyage sur le rapport d'un homme que j'y avois envoy�, lequel m'asseuroit l'avoir veue, ainsi que vous pourrez voir en ce petit discours, que j'ose offrir � vostre excellence, o� toutes les peines & travaux que j'y ay eus sont particuli�rement d'escrits; desquels il ne me reste que le regret d'avoir perdu ceste ann�e, mais non pas l'esperance au premier voiage d'en avoir des nouvelles plus asseur�es par le moyen des Sauvages qui m'ont fait relation de plusieurs lacs & rivieres tirant vers le Nord, par lesquelles, outre l'asseurance qu'ils me donnent d'avoir la cognoissance de ceste 282/430mer, il me semble qu'on peut ais�ment tirer conjecture des cartes, qu'elle ne doit pas estre loing des derni�res descouvertures que j'ay cy devant faites. En attendant le temps propre & la commodit� de continuer ces desseins, je prieray le Cr�ateur qu'il vous conserve. Prince bien-heureux, en toutes sortes de f�licit�s, o� se terminent les voeux que je fais � vostre grandeur, en qualit� de son

Tres-humble & tres-affectionn� serviteur

SAMUEL. DE CHAMPLAIN.

283/431

QUATRIESME VOYAGE DU SIEUR
DE CHAMPLAIN, CAPITAINE ORDINAIRE POUR
le Roy en la marine, & Lieutenant de Monseigneur le Prince de
Cond� en la Nouvelle
France, fait en l'an 1613.




Ce qui m'a occasionn� de recercher un reglement. Commission obtenue. Oppositions � l'encontre. En fin la publication par tous les ports de France.

CHAPITRE I.

E desir que j'ay tousjours eu de faire nouvelles descouvertures en la Nouvelle France, au bien, utilit� & gloire du nom Fran�ois: ensemble d'amener ces pauvres peuples � la cognoissance de Dieu, m'a fait chercher de plus en plus la facilit� de ceste entreprise, qui ne peut estre que par le moyen d'un bon r�glement: d'autant que chacun voulant cueillir les fruits de mon labeur, sans contribuer aux frais & grandes despences qu'il convient faire � l'entretien des habitations necessaires pour amener ces desseins � une bonne fin, ruine ce commerce par l'avidit� de gaigner, qui est si grande, qu'elle fait partir les marchans devant la saison, & se pr�cipiter non seulement dans les glaces, en esperance d'arriver des premiers 284/432en ce pa�s; mais aussi dans leur propre ruine: car traictans avec les sauvages � la desrob�e, & donnant � l'envie l'un de l'autre de la marchandise plus qu'il n'est requis, sur-achetent les danr�es; & par ainsi pensant tromper leurs compagnons se trompent le plus souvent eux mesmes.

C'est pourquoy estant de retour en France le 10. Septembre 1611 j'en parlay � monsieur de Monts, qui trouva bon ce que je luy en dis: mais ses affaires ne luy permettant d'en faire la poursuitte en Cour, m'en laissa toute la charge 315.

Note 315: (retour)

Voir, ci-dessus, chapitre IV du Troisi�me Voyage, p. 265.

Deslors j'en dressay des m�moires, que je monstray � Monsieur le President Jeannin, lequel (comme il est desireux de voir fructifier les bonnes entreprises) loua mon dessein, & m'encouragea � la poursuitte d'iceluy.

Et m'asseurant que ceux qui ayment � pescher en eau trouble trouveroient ce r�glement fascheux, & rechercheroyent les moyens de l'empescher, il me sembla � propos de me jetter entre les bras de quelque grand, l'authorit� duquel peust servir contre leur envie.

Or cognoissant Monseigneur le Comte de Soissons 316 Prince pieux & affectionn� en toutes sainctes entreprises, par l'entremise du sieur de Beaulieu, Conseiller & aumosnier ordinaire du Roy, je m'adressay � luy, & luy remonstray l'importance de l'affaire, les moyens de la r�gler, le mal que le desordre avoit par cy devant apport�, & la ruine totale dont 285/433elle estoit menac�e, au grand des-honneur du nom Fran�ois, si Dieu ne suscitoit quelqu'sn qui la voulust relever, & qui donnast esperance de faire un jour r�unir ce que l'on a peu esperer d'elle. Comme il fut instruict de toutes les particularit�s de la chose, & qu'il eust veu la Carte du pays que j'avois faicte, il me promit, sous le bon plaisir du Roy, d'en prendre la protection.

Note 316: (retour)

Charles de Bourbon, comte de Soissons, alors gouverneur de Dauphin� et de Normandie. (Hist. g�n�alogique, etc., par le P. Anselme, t. I, p. 350.)

Aussi tost apr�s je presentay � sa Majest�, & � Nosseigneurs de son Conseil une requeste avec des articles, tendans � ce qu'il luy pleust vouloir apporter un r�glement en cet affaire, sans lequel, ainsi que j'ay dict, elle s'en alloit perdue, & pource sa Majest� en donna la direction & gouvernement � mondit Seigneur le Comte 317, lequel deslors m'honora de sa Lieutenance318.

Note 317: (retour)

La commission du comte de Soissons est du 8 octobre 1612, comme le prouve l'extrait suivant des lettres du duc d'Anville, rapport�es par Moreau de Saint-M�ry, et reproduites dans les M�moires et Documents de la Soci�t� Historique de Montr�al, page 110: �Voulant de toute notre affection continuer le m�me dessein que les d�funts Rois Henri le Grand notre a�eul, et Louis XIII notre tr�s-honor� Seigneur et P�re, avaient de favoriser la bonne intention de ceux qui avaient entrepris de rechercher et d�couvrir �s pays de l'Am�rique, des terres, contr�es, et lieux propres et commodes pour faire des habitations capables d'�tablir des Colonies, afin d'essayer, avec l'assistance de Dieu, d'amener les peuples qui en habitent les terres � sa connaissance, et les faire policer et instruire � la Foi et Religion Catholique, Apostolique et Romaine, et par ce moyen y �tablir notre autorit�, et introduire quelque commerce qui puisse apporter de l'utilit� � nos sujets: ayant �t� inform� que par les voyages faits le long des C�tes et Isles, desquelles nos pr�d�cesseurs en auraient fait habiter quelques-unes, il a �t� reconnu plusieurs Ports, Havres, et lieux propres et bien commodes pour y aborder, habiter et donner un bon et grand commencement pour l'entier accomplissement de ce dessein, et aussi pour y d�couvrir et chercher chemin facile pour aller au pays de la Chine, de Monoa et royaume des Incas, par dedans les Rivi�res et Terres fermes du dit pays, avec assistance des habitants d'icelles; pour faciliter laquelle entreprise ils auraient, par Lettres-Patentes du 8 Octobre 1612, donn� la charge d'icelle � feu notre tr�s-cher et bien am� Cousin le Comte de Soissons, et icelui fait Gouverneur et notre Lieutenant-G�n�ral du dit pays pour y repr�senter notre personne et amener les peuples d'icelui pays � la connaissance de Dieu, et les faire instruire � la Foi et Religion Catholique, Apostolique et Romaine, ainsi qu'il est plus au long port� par les dites Lettres...�

Note 318: (retour)

Dans l'�dition de 1632, l'auteur rapporte lui-m�me cette commission, qui est dat�e du 15 Octobre 1612.

Or comme je me preparois � faire publier la Commission du Roy 286/434par tous les ports & havres de France, la maladie de Monseigneur le Comte arriva, & sa mort319 tant regrett�e, qui recula un peu ceste affaire: Mais sa Majest� aussi tost en remit la direction � Monseigneur le Prince 320, qui la remit dessus: & mondit Seigneur m'ayant honor� pareillement de sa Lieutenance321, feit que je poursuivis la publication de ladite commission, qui ne fut si tost faicte, que quelques brouillons, qui n'avoyent aucun interest: en l'affaire, l'importunerent de la faire casser, luy faisant entendre le pretendu interest de tous les marchans de France, qui n'avoient aucun subject de se plaindre, attendu qu'un chacun estoit re�eu en l'association, & par ainsi aucun ne pouvoit justement s'offencer: c'est pourquoy leur malice estant recogneu� furent rejett�es, avec permission seulement d'entrer en l'association.

Note 319: (retour)

Le comte de Soissons mourut le premier novembre 1612. (Hist. g�n�alogique, etc., par le P. Anselme, t. I, p. 350.)

Note 320: (retour)

Henri de Bourbon, second du nom, auquel l'auteur d�die ce Quatri�me Voyage.

Note 321: (retour)

Cette nouvelle commission est du 22 novembre 1612, comme on peut le voir par celle que le duc de Ventadour donne � l'auteur le 15 f�vrier 1625, et qui est rapport�e ci-apr�s, liv. II de l'�dit. 1632, ch. I.

Pendant ces altercations, il me fut impossible de rien faire pour l'habitation de Quebeq, dans laquelle je desirois mettre des ouvriers pour la reparer & augmenter, d'autant que le temps de partir nous pressoit fort. Ainsi se fallut contenter pour cette ann�e d'y aller sans autre association, avec les passeports de Monseigneur le Prince, qui furent donn�s pour quatre vaisseaux, lesquels estoient ja pr�par�s pour faire le voyage; s�avoir trois de Rouen & un de la Rochelle, � condition que chacun fourniroit quatre hommes pour m'assister, tant en 287/435mes descouvertures qu'� la guerre, � cause que je voulois tenir la promesse que j'avois faicte aux sauvages Ochataiguins en l'ann�e 1611. de les assister en leurs guerres au premier voiage.

Et ainsi que je me preparois pour partir, je fus adverti que la Cour de Parlement de Rouen n'avoit voulu permettre qu'on publiast la Commission du Roy, � cause que sa Majest� se reservoit, & � son Conseil la seule cognoissance des diff�rents qui pourroient survenir en cet affaire: joint aussi que les marchans de S. Maslo s'y opposerent; ce qui me traversa fort, & me contraignit de faire trois voyages � Rouen, avec Jussions de sa Majest�, en faveur desquelles la Cour se d�porta de ses empeschemens, & d�bouta les opposans de leurs pr�tentions: & fut la Commission publi�e par tous les ports de Normandie.




Partement de France: & ce qui se passa jusques � nostre arriv�e au Saut.

CHAPITRE II.

Je partis de Rouen le 5 Mars pour aller � Honfleur, & le sieur l'Ange avec moy, pour m'assister aux descouvertures, & � la guerre si l'occasion s'en presentoit.

Le lendemain 6. du moys nous nous embarquasmes dans le vaisseau du sieur de Pont-grav�, o� aussi tost nous mismes les voiles au vent, qui estoit lors ass�s favorable.

288/436Le 10 Avril nous eusmes cognoissance du grand Banc, o� l'on mit plusieurs fois les lignes hors sans rien prendre.

Le 15, nous eusmes un grand coup de vent, accompagn� de pluye & gresle, suivi d'un autre, qui dura 48 heures, si imp�tueux, qu'il fit p�rir plusieurs vaisseaux � l'isle du cap Breton.

Le 21, nous eusmes cognoissance de l'isle & Cap de Raye.

Le 29, les Sauvages Montagnais de la pointe de tous les Diables 322 nous apercevans, se jetterent dans leurs canots, & vindrent au devant de nous, si maigres & hideux, que je les mescognoissois. A l'abord ils commenc�rent � crier du pain, disans, qu'ils mouroient de faim. Cela nous fit juger que l'hyver n'avoit pas est� grand, & par consequent, la chasse mauvaise: de cecy nous en avons parl� aux voyages precedens.

Note 322: (retour)

La pointe aux Vaches. (Voir 1603, p. 5, note 4.)

Quand ils furent dans nostre vaisseau ils regardoient chacun au visage, & comme je ne paroissois point, ils demand�rent o� estoit monsieur de Champlain, on leur fit response que j'estois demeur� en France: ce que ne croyans du tout, il y eut un vieillard qui vint � moy en un coin, o� je me promenois, ne desirant encor estre cognu, & me prenant l'oreille (car il se doutoyent qui j'estois) vid la cicatrice du coup de fl�che que je re�eus � la deffaicte des Yroquois: alors il s'escria, & tous les autres apr�s luy, avec grandes demonstrations de joye, disans, Tes gens sont au port de Tadoussac qui t'attendent.

289/437Ce mesme jour bien que nous fussions partis des derniers nous arrivasmes pourtant les premiers audit Tadoussac, & de la mesme mar�e le sieur Boyer de Rouen. Par l� l'on cognoist que partir avant la saison, ne sert qu'� se pr�cipiter dans les glaces. Ayans mouill� l'ancre nos gens nous vindrent trouver, & apr�s nous avoir d�clar� comme tout se portoit en l'habitation, se mirent � habiller trois outardes & deux lapins, qu'ils avoient apport�s, & en jetterent les tripailles � bort, sur lesquelles se ru�rent ces pauvres sauvages, & ainsi que bestes affam�es les devorerent sans les vuider, & racloient avec les ongles la graisse dont on avoit suiv� nostre vaisseau, & la mangeoient gloutonnement comme s'ils y eussent trouv� quelque grand goust.

Le lendemain 323 arriverent deux vaisseaux de S. Malo qui estoient partis avant que les oppositions fussent vuid�es, & que la Commission fut publi�e en Normandie. Je fus � bort d'eux, accompagn� de l'Ange: Les sieurs de la Moinerie & la Tremblaye y commandoient, ausquels je fis lecture de la Commission du Roy, & des deffences d'y contrevenir sur les peines port�es par icelles. Ils firent response qu'ils estoient subjects & fidelles serviteurs de sa Majest�, & qu'ils obeiroient � ses commandemens; & deslors je fis attacher sur le port � un poteau les armes & Commissions de sa Majest�, afin qu'on n'en pretendist cause d'ignorance.

Note 323: (retour)

Le 30 avril.

Le 2 May voyant deux chalouppes equipp�es pour aller au Saut, je m'embarquay avec ledict l'Ange dans l'une. Nous fusmes contrari�s de fort mauvais temps, en sorte que le mats de

290/438nostre chalouppe se rompit, & si Dieu ne nous eust preserv�s, nous nous fussions perdus, comme fit devant nos yeux une chalouppe de S. Maslo qui alloit � l'isle d'Orl�ans, de laquelle les hommes se sauverent.

Le 7 nous arrivasmes � Qu�bec, o� trouvasmes ceux qui y avoient hyvern� en bonne disposition, sans avoir est� malades, lesquels nous dirent que l'hyver n'avoit point est� grand, & que la riviere n'avoit point gel�. Les arbres commen�oient aussi � se revestir de feuilles, & les champs � s'esmailler de fleurs.

Le 13, nous partismes de Qu�bec pour aller au Saut S. Louys, o� nous arrivasmes le 21. & y trouvasmes l'une de nos barques qui estoit partie depuis nous de Tadoussac, laquelle avoit traict� quelque peu de marchandises, avec une petite troupe d'Algoumequins, qui venoyent de la guerre des Yroquois, & avoient avec eux deux prisonniers. Ceux de la barque leur firent entendre que j'estois venu avec nombre d'hommes pour les assister en leurs guerres, suivant la promesse que je leur avois faite les ann�es pr�c�dentes; & de plus, que je desirois aller en leur pays, & faire amiti� avec tous leurs amis; dequoy ils furent fort joyeux: Et d'autant qu'ils vouloient retourner en leur pays pour asseurer leurs amis de leur victoire, voir leurs femmes, & faire mourir leurs prisonniers en une solemnelle Tabagie. Pour gages de leur retour, qu'ils promettoient estre avant le milieu de la premi�re lune (ainsi qu'ils content) ils laisserent leurs rondaches, faictes de bois & de cuir d'Elland, & partie de leurs arcs & flesches. Ce me fut un grand desplaisir de ne m'estre trouv� � propos pour m'en aller avec eux en leur pays.

291/439Trois jours apr�s arriverent trois canots d'Algoumequins qui venoient du dedans des terres, charg�s de quelque peu de marchandises, qu'ils traict�rent, lesquels me dirent que le mauvais traitement qu'avoient re�eus les Sauvages l'ann�e pr�c�dente, les avoit d�go�t�s de venir plus, & qu'ils ne croyoient pas que je deusse retourner jamais en leurs pays, pour les mauvaises impressions que mes envieux leur avoient donn�es de moy; & pource 1200. hommes estoyent allez � la guerre, n'ayans plus d'esperance aux Fran�ois, lesquels ils ne croyoient pas vouloir plus retourner en leur pays.

Ces nouvelles attristerent fort les marchans, car ils avoient fait grande emplette de marchandises, sous esperance que les sauvages viendroient comme ils avoient accoustum�: ce qui me fit resoudre en faisant mes descouvertures, de passer en leur pays, pour encourager ceux qui estoyent rest�s, du bon traictement qu'ils recevroyent, & de la quantit� de bonnes marchandises qui estoyent au Saut, & pareillement de l'affection que j'avois de les assister � la guerre: Et pour ce faire, je leur fis demander trois canots & trois Sauvages pour nous guider, & avec beaucoup de peine j'en obtins deux, & un sauvage seulement, & ce moyennant quelques presens qui leur furent faits.




292/440Partement pour descouvrir la mer du Nort, sur le rapport qui m'en avoit este faict. Description de plusieurs rivieres, lacs, isles, du Saut de la chaudi�re, & autres Sauts.

CHAPITRE III.

Or n'ayant que deux Canots, je ne pouvois mener avec moy que quatre hommes, entre lesquels estoit un nomm� Nicolas de Vignau le plus impudent menteur qui se soit veu de long temps, comme la suitte de ce discours le fera voir, lequel autresfois avoit hyvern� avec les Sauvages, & que j'avois envoy� aux descouvertures les ann�es pr�c�dentes. Il me r'apporta � son retour � Paris en l'ann�e 1612. qu'il avoit veu la Mer du Nort, que la riviere des Algoumequins324 sortoit d'un lac qui s'y deschargeoit, & qu'en 17 journ�es l'on pouvoit aller & venir du Saut S. Louys � ladite mer: qu'il avoit veu le bris & fracas d'un vaisseau Anglois qui s'estoit perdu � la coste, o� il y avoit 80 hommes qui s'estoient sauv�s � terre, que les Sauvages tu�rent � cause que lesdits Anglois leur vouloyent prendre leurs bleds d'Inde & autres vivres par force, & qu'il en avoit veu les testes qu'iceux Sauvages avoient escorch�s (selon leur coustume) lesquelles ils me vouloient faire voir, ensemble me donner un jeune gar�on Anglois qu'ils m'avoient gard�. Ceste nouvelle m'avoit fort resjouy, pensant avoir trouv� bien pr�s ce que je cherchois bien loing: ainsi je le conjuray de me dire 293/441la v�rit�, afin d'en advertir le Roy, & luy remonstray que s'il donnoit quelque mensonge � entendre, il se mettoit la corde au col, aussi que si sa relation estoit vraye, il se pouvoit asseurer d'estre bien recompens�: Il me l'asseura encor avec sermens plus grands que jamais. Et pour mieux jouer son roole, il me bailla une relation du pa�s qu'il disoit avoir faicte, au mieux qu'il luy avoit est� possible. L'asseurance donc que je voyois en luy, la simplicit� de laquelle je le jugeois plain, la relation qu'il avoit dress�e, le bris & fracas du vaisseau, & les choses cy devant dictes, avoyent grande apparence, avec le voyage des Anglois vers Labrador, en l'ann�e 1612.325 o� ils ont trouv� un destroit326 qu'ils ont couru jusques par le 63e degr� de latitude, & 290 de longitude 327, & ont hyvern� par le 53e degr�, & perdu quelques vaisseaux328, comme leur relation en faict foy. Ces choses me faisant croire son dire v�ritable, j'en fis deslors rapport � Monsieur le Chancelier329 le fis voir � Messieurs le Mareschal de Brissac, & President Jeannin, & autres Seigneurs de la Cour, lesquels me dirent qu'il me falloit voir la chose en personne. Cela fut cause que je priay le sieur Georges, marchant de la Rochelle, de luy donner 294/442passage dans son vaisseau, ce qu'il feit volontiers; ou estant l'interrogea pourquoy il faisoit ce voyage: & d'autant qu'il luy estoit inutile, luy demanda s'il esperoit quelque salaire, lequel feit response que non, & qu'il n'en pretendoit d'autre que du Roy, & qu'il n'entreprenoit le voyage que pour me monstrer la mer du Nord, qu'il avoit veue, & luy en fit � la Rochelle une d�claration par devant deux Notaires.

Note 324: (retour)

Aujourd'hui, l'Outaouais.

Note 325: (retour)

La relation du dernier voyage de Henry Hudson fut publi�e en 1612; mais le voyage avait eu lieu en 1610 et 1611. Les d�tails de cette exp�dition du navigateur anglais se trouvent dans le tome IV du recueil de Purchas, et ont �t� extraits des journaux d'Hudson. (Voir Biog. univ., art. HUDSON.)

Note 326: (retour)

Le d�troit d'Hudson.

Note 327: (retour)

Au temps de Champlain les g�ographes, surtout en France, faisaient encore passer le premier m�ridien pour l'�le de Fer, et comptaient toujours les longitudes de l'ouest � l'est jusqu'� 360 degr�s. De mani�re que 290� d'alors, r�pondent � 90� ouest de Paris; ce qui donne � peu pr�s la longitude des c�tes occidentales de la baie d'Hudson.

Note 328: (retour)

Hudson, dans ce voyage, n'avait qu'un seul vaisseau.

Note 329: (retour)

Nicolas Br�lart de Sillery.

Or comme je prenois cong� de tous les Chefs, le jour de la Pentecoste330, aux pri�res desquels je me recommandois, & de tous en g�n�ral, je luy dis en leur presence, que si ce qu'il avoit cy devant dict: n'estoit vray, qu'il ne me donnast la peine d'entreprendre le voyage, pour lequel faire il falloit courir plusieurs dangers. Il asseura encore derechef tout ce qu'il avoit dict au p�ril de sa vie.

Note 330: (retour)

Le jour de la Pentec�te tombait, cette ann�e, le 26 de mai.

Ainsi nos Canots charg�s de quelques vivres, de nos armes & marchandises pour faire presens aux Sauvages, je partis le lundy 27 May de l'isle saincte Helaine avec 4 Fran�ois & un Sauvage, & me fut donn� un adieu avec quelques coups de petites pi�ces, & ne fusmes ce jour qu'au Saut S. Louys, qui n'est qu'une lieue au dessus, � cause du mauvais temps qui ne nous permit de passer plus outre.

Le 29, nous le passasmes, partie par terre, partie par eau, o� il nous fallut porter nos Canots, hardes, vivres & armes sur nos espaules, qui n'est pas petite peine � ceux qui n'y sont accoustum�s: & apr�s l'avoir esloign� deux lieues, nous entrasmes dans un lac331 qui a de circuit environ 12 lieues, o� 295/443se deschargent trois rivieres, l'une venant de l'ouest332, du cost� des Ochataiguins esloign�s du grand Saut de 150 ou 200 lieues; l'autre333 du Sud pays des Yroquois, de pareille distance334; & l'autre 335 vers le Nord, qui vient des Algoumequins, & Nebicerini336, aussi � peu pr�s de semblable distance. Cette riviere du Nord, suivant le rapport des Sauvages, vient de plus loing337, & passe par des peuples qui leur sont incogneus, distans environ de 300 lieues d'eux.

Note 331: (retour)

Le lac Saint-Louis. Ici, Lescarbot fait encore � Champlain un reproche de contradiction qui est assez mal fond�. �En trois endroicts il (Champlain) dit que le lac au dessus du saut de la grande rivi�re de Canada est � huit lieues de l�, & par apr�s il dit qu'il n'y a que deux lieues, & ne le fait que de douze lieues de circuit, comme ainsi soit que sur sa charte il le face de quinze journ�es de long.� (Hist. de la Nouv. France, p. 647.) D'abord, Champlain ne dit nulle part que le lac Saint-Louis soit � huit lieues du Saut. Au chapitre III de son Troisi�me Voyage (voir ci-dessus, p. 256), il dit avoir �t� �dans le bois, quelques huit lieues sur le bord d'un lac (probablement le lac des Deux-Montagnes, et non le lac Saint-Louis) o� il avait �t� auparavant�: et ici, il dit o� donne � entendre que le lac (Saint-Louis) n'est qu'� deux lieues du saut; ce qui n'est pas tr�s-inexacte. En second lieu, � quiconque sait un peu la g�ographie du pays, il suffit de jeter un coup d'oeil sur la grande carte de 1613 pour voir que le lac auquel Champlain marque 15 journ�es n'est rien autre chose que le lac Ontario, d�crit �videmment sur le r�cit des sauvages, mais tr�s-reconnaissable du reste, et que par cons�quent il n'y a pas l'ombre de contradiction.

Note 332: (retour)

C'est le Saint-Laurent m�me, qui vient plut�t du sud-ouest; mais, en entrant dans le lac Saint-Louis, il para�t effectivement avoir cette direction.

Note 333: (retour)

L'auteur semble d�signer ici la rivi�re de Ch�teauguay.

Note 334: (retour)

Le pays des Iroquois n'�tait qu'� environ la moiti� de cette distance.

Note 335: (retour)

Cette rivi�re s'appelait d�s lors rivi�re des Algoumequins, et l'on en voit ici la raison. Plus tard, et pour une raison analogue, on lui donna le nom de Rivi�re des Outaouais. Cette rivi�re ne vient pas du Nord; mais elle se d�charge dans le lac Saint-Louis, du c�t� du nord.

Note 336: (retour)

Ou Nipissirini. C'est le nom algonquin de la nation des Sorciers, qui demeurait au lac Nipissing. Les Hurons leur donnaient un nom �quivalent dans leur langue, Askiquan�ronon, c'est-�-dire, les Sorciers. �Les Fran�ois appellent ordinairement les Ebicerinys le peuple sorcier, non qu'ils le soient tous, mais pourceque c'est une nation qui faict particuli�re profession de consulter le diable en leur necessit�.� (Sagard, Hist. du Canada, p. 193.)

Note 337: (retour)

L'Outaouais, comme on sait, prend sa source une cinquantaine de lieues plus au nord que le lac Nipissing.

Ce lac est rempli de belles & grandes isles, qui ne sont que prairies, o� il y a plaisir de chasser, la venaison & le gibier y estans en abondance, aussi bien que le poisson. Le pa�s qui l'environne est rempli de grandes forests. Nous fusmes coucher 296/444� l'entr�e dudict lac, & fismes des barricades, � cause des Yroquois qui rodent par ces lieux pour surprendre leurs ennemis, & m'asseure que s'il nous tenoient, ils nous feroient aussi bonne ch�re qu'� eux, & pource toute la nuict fismes bon quart. Le lendemain je prins la hauteur de ce lieu, qui est par les 45 degrez 18 minutes de latitude338. Sur les trois heures du soir nous entrasmes dans la riviere qui vient du Nord, & passasmes un petit Saut 339 par terre pour soulager nos canots, & fusmes � une isle le reste de la nuict en attendant le jour.

Note 338: (retour)

Cette hauteur est un peu faible; l'entr�e du lac est vers les 45� 25'.

Note 339: (retour)

Ce saut para�t �tre celui qui s�pare l'�le Perrot et l'�le de Montr�al. Il est appel�, dans quelques cartes, rapide de Brussi.]

Le dernier May nous passasmes par un autre lac 340 qui a 7 ou 8 lieues de long, & trois de large, o� il y a quelques isles: Le pa�s d'alentour est fort uni, horsmis en quelques endroits, o� il y a des costaux couverts de pins. Nous passasmes un Saut qui est appel� de ceux du pa�s Quenechouan341 qui est rempli de pierres & rochers, o� l'eau y court de grand vistesse: il nous falut mettre en l'eau & traisner nos Canots bort � bort de terre avec une corde: � demi lieue de l� nous en passasmes un autre petit � force d'avirons, ce qui ne se faict sans suer, & 297/445y a une grande dext�rit� � passer ces Sauts pour eviter les bouillons & brisants qui les traversent, ce que les Sauvages sont d'une telle adresse, qu'il est impossible de plus, cherchans les destours & lieux plus ays�s qu'ils cognoissent � l'oeil.

Note 340: (retour)

Le lac des Deux-Montagnes, que l'auteur appelle lac de Soissons, dans sa carte de 1632.

Note 341: (retour)

�Plusieurs des noms employ�s par les sauvages� dit M. Ferland, �se conservent encore. Ainsi, Quenechouan, nom d'un rapide � l'entr�e de l'Outaouais, se retrouve dans celui de Quinchien, donn� � un gros ruisseau et � une pointe de terre qui sont dans le voisinage... Le nom de Quinchien fournit l'occasion de remarquer qu'en g�n�ral il faut se d�fier des �tymologies que l'imagination va chercher bien loin, quand elles se trouvent dans les langues des aborig�nes. On a dit, pour expliquer l'origine du nom de Quinchien, que les quinze premiers habitants de ce lieu, normands renforc�s, �taient sans cesse en proc�s, et que de l� on avait nomm� leur village Quinzechiens. Comme on le voit, tout cet �chafaudage tombe devant le mot sauvage de Quenechouan.� (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 163, note 2.) Ce saut et les trois ou quatre suivants dont parle ici l'auteur, forment ce que l'on a appel�, depuis, le Long-Saut.

Le samedy 1er de Juin nous passasmes encor deux autres Sauts: le premier contenant demie lieue de long, & le second une lieue, o� nous eusmes bien de la peine; car la rapidit� du courant est si grande, qu'elle faict un bruict effroyable, & descendant de degr� en degr�, faict une escume si blanche par tout, que l'eau ne paroist aucunement: ce Saut est parsem� de rochers & quelques isles qui sont �a & l�, couvertes de pins & c�dres blancs: Ce fut l�, o� nous eusmes de la peine: car ne pouvans porter nos Canots par terre � cause de l'espaisseur du bois, il nous les failloit tirer dans l'eau avec des cordes, & en tirant le mien, je me pensay perdre, � cause qu'il traversa dans un des bouillons; & si je ne fusse tomb� favorablement entre deux rochers, le Canot m'entraisnoit; d'autant que je ne peus deffaire assez � temps la corde qui estoit entortill�e � l'entour de ma main, qui me l'offen�a fort, & me la pensa coupper. En ce danger je m'escriay � Dieu, & commen�ay � tirer mon Canot, qui me fut renvoy� par le remouil de l'eau qui se faict en ces Sauts, & lors estant eschapp� je louay Dieu, le priant nous preserver. Nostre Sauvage vint apr�s pour me secourir, mais j'estois hors de danger; & ne se faut estonner si j'estois curieux de conserver nostre Canot: car s'il eut est� perdu, il falloit faire estat de demeurer, ou attendre que 298/446quelques Sauvages passassent par l�, qui est une pauvre attente � ceux qui n'ont de quoy disner, & qui ne sont accoustum�s � telle fatigue. Pour nos Fran�ois ils n'en eurent pas meilleur march�, & par plusieurs fois pensoient estre perdus: mais la Divine bont� nous preserva tous. Le reste de la journ�e nous nous reposasmes, ayans ass�s travaill�.

Nous rencontrasmes le lendemain 15 Canots de Sauvages appell�s Quenongebin 342, dans une riviere, ayant pass� un petit lac 343 long de 4 lieues, & large de 2, lesquels avoient est� advertis de ma venue par ceux qui avoient pass� au Saut S. Louys venans de la guerre des Yroquois: je fus fort aise de leur rencontre, & eux aussi, qui s'estonnoient de me voir avec si peu de gens en ce pa�s, & avec un seul Sauvage. Ainsi apr�s nous estre salu�s � la mode du pa�s, je les priay de ne passer outre pour leur d�clarer ma volont�, ce qu'ils firent, & fusmes cabaner dans une isle.

Note 342: (retour)

Ou Kinounchepirini, nation algonquine, dont le pays �tait situ� �au sud de l'Isle� (Relat. 1640, ch. x), c'est-�-dire, au sud de l'�le des Allumettes.

Note 343: (retour)

Au-dessus du Long-Saut, le cours de l'Outaouais est tranquille, et parfois la rivi�re s'�largit et forme comme une suite de lacs qui ont jusqu'� une lieue, une lieue et demie de largeur. Celui dont parle ici Champlain para�t r�pondre � ce bassin qui est au-dessus de la pointe � l'Orignal, et qui a pr�s de deux lieues de large vis-�-vis la baie des Atocas.

Le lendemain je leur fis entendre que j'estois all� en leurs pays pour les voir, & pour m'acquitter de la promesse que je leur avois par cy devant faicte; & que s'ils estoient resolus d'aller � la guerre, cela m'agreroit fort, d'autant que j'avois amen� des gens � ceste intention, dequoy ils furent fort satisfaits: & leur ayant dict que je voulois passer outre pour advertir les autres peuples, ils m'en voulurent destourner, 299/447disans, qu'il y avoit un meschant chemin, & que nous n'avions rien veu jusques alors; & pource je les priay de me donner un de leurs gens pour gouverner nostre deuxiesme Canot, & aussi pour nous guider, car nos conducteurs n'y cognoissoient plus rien: ils le firent volontiers, & en recompense je leur fis un present, & leur baillay un de nos Fran�ois, le moins necessaire, lequel je renvoyois au Saut avec une feuille de tablette, dans laquelle, � faute de papier, je faisois s�avoir de mes nouvelles.

Ainsi nous nous separasmes: & continuant nostre route � mont ladicte riviere, en trouvasmes une autre fort belle & spatieuse, qui vient d'une nation appel�e Ouescharini344, lesquels se tiennent au Nord d'icelle, & � 4 journ�es de l'entr�e. Ceste riviere est fort plaisante, � cause des belles isles qu'elle contient, & des terres garnies de beaux bois clairs qui la bordent, la terre est bonne pour le labourage.

Le quatriesme nous passasmes proche d'une autre riviere 345 qui vient du Nord, o� se tiennent des peuples appelles Algoumequins, laquelle va tomber dans le grand fleuve sainct Laurens 3 lieues aval le Saut S. Louys346, qui faict une grande 300/448isle contenant pr�s de 40 lieues, laquelle 347 n'est pas large, mais remplie d'un nombre infini de Sauts, qui font fort difficiles � passer: Et quelquesfois ces peuples passent par ceste riviere pour �viter les rencontres de leurs ennemis, s�achans qu'ils ne les recherchent en lieux de si difficile acc�s.

Note 344: (retour)

Ou Ouaouiechka�rini. C'est le nom algonquin de ceux qu'on a appel�s, quelques ann�es plus tard, la Petite Nation des Algonquins (Relations des J�suites); ce qui explique pourquoi la rivi�re s'appelle, encore aujourd'hui, rivi�re de la Petite-Nation.

Note 345: (retour)

Ce que l'auteur dit un peu plus loin, prouve �videmment qu'il parle ici de la Gatineau.

Note 346: (retour)

La petite et la grande cartes que l'auteur publia � cette �poque-l� m�me, prouvent qu'il avait assez bien compris le rapport que les sauvages lui faisaient de cette rivi�re. Mais alors comment faut-il entendre ce passage? Suivant nous, voici ce qu'a voulu dire Champlain: �laquelle (la Gatineau) va joindre dans les terres une autre riviere (le Saint-Maurice), qui va tomber 30 lieues (et non pas 3) aval le faut S. Louys.� Et il est tout � fait probable que le typographe aura pass� les mots que nous mettons en italiques, ou quelque chose d'�quivalent. La phrase ainsi r�tablie, tout devient clair ou du moins explicable. D'abord, la Gatineau et le Saint-Maurice entourent, avec le Saint-Laurent une �tendue de terre qui forme comme une grande �le de quarante lieues ou un peu plus. En second lieu, les sauvages, en suivant cette route, evitaient r�ellement �les rencontres de leurs ennemis�: tandis que, en reprenant le fleuve trois lieues au-dessous du saut, ils avaient encore � passer les endroits les plus dangereux, l'entr�e de la rivi�re des Iroquois et le lac Saint-Pierre.

Note 347: (retour)

Laquelle rivi�re, c'est-�-dire, la Gatineau.

A l'emboucheure d'icelle il y en a une autre 348 qui vient du Sud, o� � son entr�e il y a une cheute d'eau admirable: car elle tombe d'une telle impetuosit� de 20 ou 25 brasses349 de haut, qu'elle faict une arcade, ayant de largeur pr�s de 400 pas. Les sauvages passent dessoubs par plaisir sans se mouiller que du poudrin que fait ladite eau. Il y a une isle au milieu de la dicte riviere, qui est comme tout le terroir d'alentour, remplie de pins & c�dres blancs: Quand les Sauvages veulent entrer dans la riviere, ils montent la montagne en portant leurs Canots, & font demye lieue par terre. Les terres des environs sont remplies de toute sorte de chasse, qui faict que les Sauvages s'y arrestent plus tost, les Yroquois y viennent aussi quelquesfois les surprendre au passage.

Note 348: (retour)

La rivi�re Rideau.

Note 349: (retour)

Il s'en faut de beaucoup que cette chute soit aussi haute. Peut-�tre l'auteur a-t-il voulu dire 20 ou 25 pieds; ce qui serait plus proche de la r�alit�, puisqu'elle a 34 pieds anglais, ou un peu plus de 30 pieds fran�ais. (Smith's Canadian Gazetteer.)

Nous passasmes un Saut � une lieue de l�, qui est large de demie lieue, & descend de 6 � 7 brasses de haut. Il y a 301/449quantit� de petites isles qui ne sont que rochers aspres & difficiles, couverts de meschans petits bois. L'eau tombe � un endroit de telle impetuosit� sur un rocher, qu'il s'y est cav� par succession de temps un large & profond bassin: si bien que l'eau courant l� dedans circulairement, & au milieu y faisant de gros bouillons, a faict que les Sauvages l'appellent Asticou, qui veut dire chaudi�re. Ceste cheute d'eau meine un tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux lieues. Les Sauvages passants par l�, font une c�r�monie que nous dirons en son lieu. Nous eusmes beaucoup de peine � monter contre un grand courant, � force de rames, pour parvenir au pied dudict Saut, o� les Sauvages prirent les Canots, & nos Fran�ois & moy, nos armes, vivres & autres commodit�s pour passer par l'aspret� des rochers environ un quart de lieue que contient le Saut, & aussi tost nous fallut embarquer, puis derechef mettre pied � terre pour passer par des taillis environ 300 pas, apr�s se mettre en l'eau pour faire passer nos Canots par dessus les rochers aigus, avec autant de peine que l'on s�auroit s'imaginer. Je prins la hauteur du lieu & trouvay 45 degr�s 38 minutes, de latitude 350.

Note 350: (retour)

Le saut de la Chaudi�re est � environ 45� 12'.

Apr�s midy nous entrasmes dans un lac ayant 5 lieues de long, & 2 de large, o� il y a de fort belles isles remplies de vignes, noyers & autres arbres aggreables, 10 ou 12 lieues de l� amont la riviere nous passasmes par quelques isles remplies de Pins; La terre est sablonneuse, & s'y trouve une racine qui teint en couleur cramoysie, de laquelle les Sauvages se peindent le 302/450visage, & de petits affiquets � leur usage. Il y a aussi une coste de montagnes du long de cette riviere, & le pa�s des environs semble �nes fascheux. Le reste du jour nous le passasmes dans une isle fort aggreable.

Le lendemain 351 nous continuasmes nostre chemin jusques � un grand Saut352, qui contient pr�s de 3 lieues de large, o� l'eau descend comme de 10 ou 12 brasses de haut en talus, & faict un merveilleux bruit. Il est rempli d'une infinit� d'isles, couvertes de Pins & de C�dres: & pour le passer il nous fallut resoudre de quitter nostre Ma�s ou bled d'Inde, & peu d'autres vivres que nous avions, avec les hardes moins necessaires, reservans seulement nos armes & filets, pour nous donner � vivre selon les lieux & l'heur de la chasse. Ainsi all�g�s nous passasmes tant � l'aviron, que par terre, en portant nos Canots & armes par ledict Saut, qui a une lieue & demie de long, o� nos Sauvages qui sont infatigables � ce travail, & accoustum�s � endurer telles necessit�s, nous soulagerent beaucoup.

Note 351: (retour)

Le 5 de juin.

Note 352: (retour)

Ce saut et les deux autres qui sont mentionn�s plus loin, forment ce qu'on appelle le rapide des Chats.

Poursuivans nostre route nous passasmes deux autres Sauts, l'un par terre, l'autre � la rame & avec des perches en d�boutant, puis entrasmes dans un lac 353 ayant 6 ou 7 lieues de long, o� se descharge une riviere354 venant du Sud, o� � cinq journ�es de l'autre riviere 355 il y a des peuples qui y habitent appel�s Matou-ouescarini. Les terres d'environ ledit lac sont 303/451sablonneuses, & couvertes de pins, qui ont est� presque tous brusl�s par les sauvages. Il y a quelques isles, dans l'une desquelles nous reposames, & vismes plusieurs beaux cypr�s rouges, les premiers que j'eusse veus en ce pa�s, desquels je fis une croix, que je plantay � un bout de l'isle, en lieu eminent, & en veue, avec les armes de France, comme j'ay faict aux autres lieux o� nous avions pos�. Je nommay ceste isle, l'isle saincte Croix.

Note 353: (retour)

Le lac des Chats.

Note 354: (retour)

La rivi�re de Madaouaska, ou des Madaouaskairini.

Note 355: (retour)

C'est-�-dire, le Saint-Laurent.

Le 6, nous partismes de ceste isle saincte croix, o� la riviere est large d'une lieue & demie, & ayant faict 8 ou 10 lieues, nous passasmes un petit Saut � la rame, & quantit� d'isles de diff�rentes grandeurs. Icy nos sauvages laisserent leurs sacs avec leurs vivres, & les choses moins necessaires afin d'estre plus l�gers pour aller par terre, & eviter plusieurs Sauts qu'il falloit passer. Il y eut une grande contestation entre nos sauvages & nostre imposteur, qui affermoit qu'il n'y avoit aucun danger par les Sauts, & qu'il y falloit passer: Nos sauvages luy disoient tu es lass� de vivre; & � moy, que je ne le devois croire, & qu'il ne disoit pas v�rit�. Ainsi ayant remarqu� plusieurs fois qu'il n'avoit aucune cognoissance desdits lieux, je suivis l'advis des sauvages, dont bien il m'en prit, car il cherchoit des difficultez pour me perdre, ou pour me d�go�ter de l'entreprise, comme il a confess� depuis (dequoy fera parl� cy apr�s.) Nous traversames donc � l'ouest la riviere qui couroit au Nord, & pris la hauteur de ce lieu qui estoit par 46 2/3356 de latitude. Nous eusmes beaucoup de 304/452peine � faire ce chemin par terre, estant charg� seulement pour ma part de trois arquebuses, autant d'avirons, de mon capot, & quelques petites bagatelles; j'encourageois nos gens qui estoient quelque peu plus charg�s, & plus grev�s des mousquites que de leur charges. Ainsi apr�s avoir pass� 4 petits estangs, & chemin� deux lieues & demie, nous estions tant fatigu�s qu'il nous estoit impossible de passer outre, � cause qu'il y avoit pr�s de 24 heures que n'avions mang� qu'un peu de poisson rosti, sans autre sauce, car nous avions laiss� nos vivres, comme j'ay dit cy dessus. Ainsi nous posasmes sur le bort d'un estang, qui estoit assez aggreable, & fismes du feu pour chasser les Mousquites qui nous molestoient fort, l'importunit� desquelles est si estrange qu'il est impossible d'en pouvoir faire la description. Nous tendismes nos filets pour prendre quelques poissons.

Note 356: (retour)

L'on ne pouvait pas �tre � une si grande hauteur, puisque l'on venait de passer les Chenaux, et que l'on n'�tait tout au plus qu'au portage du Fort, dont la latitude est d'environ 45� 36'.

Le lendemain nous passasmes cet estang qui pouvoit contenir une lieue de long, & puis par terre cheminasmes 3 lieues par des pa�s difficiles plus que n'avions encor veu, � cause que les vents avoient abatu des pins, les uns sur les autres, qui n'est pas petite incommodit�, car il faut passer tantost dessus & tantost dessous ces arbres, ainsi nous parvinsmes � un lac357, ayant 6 lieues de long, & 2 de large, fort abondant en poisson, aussi les peuples des environs y font leur pescherie. Pr�s de ce lac y a une habitation de Sauvages qui cultivent la terre, & recueillent du Ma�s: le chef se nomme Nibachis, lequel nous 305/453vint voir avec sa troupe, esmerveill� comment nous avions peu passer les Sauts & mauvais chemins qu'il y avoit pour parvenir � eux. Et apr�s nous avoir present� du petun selon leur mode, il commen�a � haranguer ses compagnons, leur disant, Qu'il falloit que fussions tomb�s des nues, ne sachant comment nous avions peu passer, & qu'eux demeurans au pa�s avoient beaucoup de peine � traverser ces mauvais passages, leur faisant entendre que je venois � bout de tout ce que mon esprit vouloit: bref qu'il croyoit de moy ce que les autres sauvages luy en avoient dict. Et scachans que nous avions faim, ils nous donn�rent du poisson, que nous mangeasmes, & apr�s disn� je leur fis entendre par Thomas mon truchement, l'aise que j'avois de les avoir rencontr�s, que j'estois en ce pays pour les assister en leurs guerres, & que je desirois aller plus avant voir quelques autres capitaines pour mesme effect, dequoy ils furent joyeux, & me promirent assistance. Ils me monstrerent leurs jardinages & champs, o� il y avoit du Ma�s. Leur terroir est sablonneux, & pource s'adonnent plus � la chasse qu'au labour, au contraire des Ochataiguins. Quand ils veulent rendre un terroir labourable, ils bruslent les arbres, & ce fort ays�ment, car ce ne sont que pins charg�s de resine. Le bois brusl� ils remuent un peu la terre, & plantent leur Ma�s grain � grain, comme ceux de la Floride: il n'avoit pour lors que 4 doigts de haut.

Note 357: (retour)

Le lac du Rat-Musqu�; mais les dimensions que l'auteur donne � ce lac sont un peu trop fortes.




306/454

Continuation. Arriv�e vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me feit. Fa�on de leurs cimeti�res. Les Sauvages me promettent 4 Canots pour continuer mon chemin. Tost apr�s me les refusent. Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrant les difficult�s. Response � ces difficult�s. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir est� o� il disoit. Il leur maintient son dire v�ritable. Je les presse de me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession.

CHAPITRE IV.

Nibachis feit equipper deux Canots pour me mener voir un autre Capitaine nomm� Tessouat, qui demeuroit � 8 lieues de luy, sur le bort d'un grand lac, par o� passe la riviere que nous avions laiss�e qui refuit au Nord; ainsi nous traversasmes le lac � l'Ouest Nord-ouest, pr�s de 7 lieu�s358, o� ayans mis pied � terre fismes une lieue au Nort-est parmy d'ass�s beaux pa�s, o� il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer ays�ment, & arrivasmes sur le bort de ce lac 359, o� estoit l'habitation de Tessouat360, qui estoit avec un autre chef sien voisin, tout estonn� de me voir, & nous dit qu'il pensoit que je fusse un songe, & qu'il ne croyoit pas ce qu'il voyoit. De 307/455l� nous passasmes en une isle361, o� leurs Cabanes sont assez mal couvertes d'escorces d'arbres, qui est remplie de chesnes, pins & ormeaux, & n'est subjette aux innondations des eaux, comme sont les autres isles du lac.

Note 358: (retour)

Pour faire sept lieues au nord-ouest, il fallait non-seulement traverser le lac du Rat-Musqu�, mais descendre une partie de la d�charge, ou rivi�re du Rat-Musqu�.

Note 359: (retour)

Le lac des Allumettes.

Note 360: (retour)

Probablement le m�me qu'il avait vu � Tadoussac en 1603. (Voir 1603, p. 12.)

Note 361: (retour)

L'�le des Allumettes. Cette �le occupe une place importante dans l'histoire des nations sauvages du Canada; si bien que, dans les Relations, on l'appelle simplement l'Ile, et l'on disait les Sauvages de l'Ile, pour d�signer la nation qui y demeurait, et dont le nom algonquin �tait Kichesipirini, hommes de la Grande-Rivi�re. �Les sauvages qui l'habitent,� dit le P. Le Jeune (Relat. 1636), �sont extr�mement superbes... Ces insulaires voudroient bien que les Hurons ne vinssent point aux Fran�ois, & que les Fran�ois n'allassent point aux Hurons, afin d'emporter eux seuls tout le trafic... C'est chose estrange que quoy que les Hurons soient dix contre un seul insulaire, si est-ce qu'ils ne passeront pas si un seul insulaire s'y oppose.� �Ce peuple,� dit Sagard (Hist. du Canada, p. 810), �est malicieux jusques l�, que de ne laisser passer par leurs terres au temps de la traite, un ou deux canots seulement, mais veulent qu'ils s'attendent l'un l'autre, & passent tous � la fois, pour avoir leurs bleds & farines � meilleur prix, qui leur contraignent de traiter pour des pelleteries.�

Ceste isle est forte de situation: car aux deux bouts d'icelle, & � l'endroit o� la riviere se jette dans le lac, il y a des Sauts fascheux, & l'aspret� d'iceux la rendent forte; & s'y sont log�s pour eviter les courses de leurs ennemis. Elle est par les 47. 362 degr�s de latitude, comme est le lac, qui a 20 lieues de long363, & 3 ou 4 de large, abondant en poisson, mais la chasse n'y est pas beaucoup bonne.

Note 362: (retour)

Si l'on part de la supposition que cette latitude est exacte, sans se donner la peine de concilier ce chiffre avec tous les autres d�tails du r�cit de Champlain, on pourra, comme ont fait quelques-uns de nos historiens, conclure que l'auteur est rendu au lac T�miscaming. Mais, si l'on a suivi nos voyageurs pas � pas et la carte � la main, il est impossible de ne pas reconna�tre ici le lac et l'�le des Allumettes, qui cependant n'atteignent pas m�me le quarante-sixi�me parall�le. La carte m�me de l'auteur en fournit une double preuve. D'abord l'�le des Allumettes y est figur�e de la mani�re la plus claire, et la table des renvois lui assigne le nom d'Ile de Tessouat. En second lieu, Champlain, dans cette carte, met l'�le des Allumettes au quarante-septi�me degr�, suivant la hauteur qu'il trouve ici. �Pareille erreur,� remarque � cette occasion M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, p. 164), �n'a rien qui doive surprendre, dans une exp�dition o� il lui devait �tre difficile de faire des observations exactes.�

Note 363: (retour)

Telle est la longueur que l'auteur donne au lac des Allumettes, dans la carte de 1632; cependant le lac des Allumettes proprement dit n'a qu'une dizaine de lieues de long, et c'est aussi la longueur qu'il lui donne dans le texte de l'�dition de 1632.

Ainsi comme je visitois l'isle j'apperceus leurs cimeti�res, o� je fus ravi en admiration, voyant des sepulchres de forme 308/456semblable aux chasses, fais de pi�ces de bois, crois�es par en haut & fich�es en terre, � la distance de 3 pieds ou environ: sur les crois�es en haut ils y mettent une grosse pi�ce de bois, & au devant une autre tout debout, dans laquelle est grav� grossierement (comme il est bien croyable) la figure de celuy ou celle qui y est enterr�. Si c'est un homme ils y mettent une rondache, une esp�e amanch�e � leur mode, une masse, un arc & des flesches; S'il est Capitaine, il aura un panache sur la teste, & quelque autre matachia ou enjoliveure; si un enfant, ils luy baillent un arc & une flesche, si une femme, ou fille, une chaudi�re, un pot de terre, une cueillier de bois & un aviron; Tout le tombeau a de longueur 6 ou 7 pieds pour le plus grand, & de largeur 4 les autres moings. Ils sont peints de jaune & rouge, avec plusieurs ouvrages aussi d�licats que la sculpture. Le mort est enseveli dans sa robe de castor ou d'autres peaux, desquelles il se servoit en sa vie, & luy mettent toutes ses richesses aupr�s de luy, comme haches, couteaux, chaudi�res & aleines, affin que ces choses luy servent au pays o� il va: car ils croyent l'immortalit� de l'�me, comme j'ay dict autre part364. Ces sepulchres grav� ne se font qu'aux guerriers, car aux autres ils n'y mettent non plus qu'ils font aux femmes, comme gens inutiles, aussi s'en retrouve il peu entr'eux.

Note 364: (retour)

Ci-dessus, page 165, et aussi Voyage de 1603, pages 19, 20.

Apr�s avoir consider� la pauvret� de ceste terre, je leur demanday comment ils s'amusoient � cultiver un si mauvais pa�s, veu qu'il y en avoit de beaucoup meilleur qu'ils laissoyent 309/457desert & abandonn�, comme le Saut S. Louys. Ils me respondirent qu'ils en estoient contraints, pour se mettre en seuret�, & que l'aspret� des lieux leur servoit de boulevart contre leurs ennemis: Mais que si je voulois faire une habitation de Fran�ois au Saut S. Louys, comme j'avois promis, qu'ils quitteroyent leur demeure pour se venir loger pr�s de nous, estans asseur� que leurs ennemis ne leur feroyent point de mal pendant que nous serions avec eux. Je leur dis que ceste ann�e nous ferions les pr�paratifs de bois & pierres pour l'ann�e suivante faire un fort, & labourer ceste terre: Ce qu'ayant entendu ils firent un grand cry en signe d'applaudissement. Ces propos finis, je priay tous les Chefs & principaux d'entr'eux, de se trouver le lendemain en la grand terre, en la cabane de Tessouat, lequel me vouloit faire Tabagie, & que l� je leur dirois mes intentions, ce qu'ils me promirent; & deslors envoyerent convier leurs voisins pour s'y trouver.

Le lendemain tous les convi�s vindrent avec chacun son escuelle de bois, & sa cueillier365, lesquels sans ordre, ny c�r�monie s'assirent contre terre dans la cabane de Tessouat, qui leur distribuast une mani�re de bouillie, faite de Ma�s, escras� entre deux pierres, avec de la chair & du poisson, coup�s par petits morceaux, le tout cuit ensemble sans sel. Ils avoyent aussi de la chair rostie sur les charbons, & du poisson bouilli � part, qu'il distribua aussi. Et pour mon regard, d'autant que je ne voulois point de leur bouillie, � cause qu'ils cuisinent 310/458fort salement, je leur demanday du poisson & de la chair, pour l'accommoder � ma mode; ils m'en donn�rent. Pour le boire nous avions de belle eau claire. Tessouat qui faisoit la Tabagie nous entretenoit sans manger suivant leur coustume.

Note 365: (retour)

La cuiller de bois s'appelle, en algonquin, micouanne, mot qui a �t� adopt� par les Canadiens.

La Tabagie faite, les jeunes hommes qui n'assistent pas aux harangues & conseils, & qui aux Tabagies demeurent � la porte des cabanes, sortirent, & puis chacun de ceux qui estoient demeur�s commen�a � garnir son petunoir, & m'en presenterent les uns & les autres, & employasmes une grande demie heure � cet exercice, sans dire un seul mot, selon leur coustume.

Apr�s avoir parmi un si long silence amplement petun�, je leur fis entendre par mon Truchement que le subject de mon voyage n'estoit autre que pour les asseurer de mon affection, & du desir que j'avois de les assister en leurs guerres, comme j'avois auparavant faict Que ce qui m'avoit empesch� l'ann�e derni�re de venir, ainsi que je leur avois promis, estoit que le Roy m'avoit occupp� en d'autres guerres, mais que maintenant il m'avoit command� de les visiter, & les asseurer de ces choses, & que pour cet effect j'avois nombre d'hommes au Saut S. Louys, & que je m'estois venu promener en leur pa�s pour recognoistre la fertilit� de la terre, les lacs, rivieres, & mer qu'ils m'avoyent dict estre en leur pays: & que je desirois voir une nation distant de 6 journ�es d'eux, nomm�e Nebicerini, pour les convier aussi � la guerre; & pource je les priay de me donner 4 Canots, avec huict sauvages pour me conduire esdictes 311/459terres. Et d'autant que les Algoumequins ne sont pas grands amis des Nebicerini366, ils sembloyent m'escouter avec plus grande attention.

Note 366: (retour)

Ces Nipissirini �taient eux-m�mes algonquins; mais, en leur qualit� de sorciers, ils �taient ou redout�s ou mal vus des autres nations m�me algonquines, suivant la remarque de Tessouat, qui les accuse, un peu plus loin, �d'avoir fait mourir beaucoup de leurs gens par sort et empoisonnements.�

Mon discours achev�, ils commenc�rent derechef � petuner, & � deviser tout bas ensemble touchant mes propositions: puis Tessouat pour tous prit la parole & dict, Qu'ils m'avoient tousjours recognu plus affectionn� en leur endroit, qu'aucun autre Fran�ois qu'ils eussent veu, que les preuves qu'ils en avoient eues le pass�, leur facilitoyent la cr�ance pour l'advenir; de plus, que je monstrois estre bien leur amy, en ce que j'avois pass� tant de hazards pour les venir voir, & pour les convier � la guerre, & que toutes ces choses les obligeoyent � me vouloir du bien, comme � leurs enfans propres; Que toutesfois l'ann�e derni�re je leur avois manqu� de promesse, & que 2000 sauvages estoient venus au Saut en intention de me trouver, pour aller � la guerre, & me faire des presens, & ne m'ayant trouv�, furent fort attristez, croyant que je fusse mort, comme quelques uns leur avoyent dict: aussi que les Fran�ois qui estoient au Saut ne les voulurent assister � leurs guerres, & qu'ils furent mal traict�s par aucuns, de sorte qu'ils avoyent resolu entr'eux de ne plus venir au Saut, & que cela les avoit occasionn�s (n'esperans plus me voir) d'aller � la guerre seuls, & de fait que 1200 des leurs y estoyent all�s. Et d'autant que la pluspart des guerriers estoyent absens, ils me prioient de remettre la partie � 312/460l'ann�e suivante, & qu'ils feroient s�avoir cela � tous ceux de la contr�e. Pour ce qui estoit des 4 Canots que je demandois, ils me les accord�rent, mais avec grandes difficult�s, me disans qu'il leur desplaisoit fort de telle entreprise, pour les peines que j'y endurerois; que ces peuples estoient sorciers, & qu'ils avoient faict mourir beaucoup de leurs gens par sort & empoisonnemens, & que pour cela ils n'estoient amis: au surplus que pour la guerre je n'avois affaire d'eux, d'autant qu'ils estoyent de petit coeur, me voulans destourner avec plusieurs autres propos sur ce subject.

Moy d'autrepart qui n'avois autre desir que de voir ces peuples, & faire amiti� avec eux, pour voir la mer du Nord, facilitois leurs difficultez, leur disant, qu'il n'y avoit pas loing jusques en leurs pa�s; que pour les mauvais passages, ils ne pouvoyent estre plus fascheux que ceux que j'avois pass� par cy devant; & pour le regard de leurs sortileges qu'ils n'auroient aucune puissance de me faire tort, & que mon Dieu m'en preserveroit; que je cognoissois aussi leurs herbes, & par ainsi je me garderois d'en manger; que je les voulois rendre ensemble bons amis, & leur ferois des presens pour cet effect, m'asseurant qu'ils feroient quelque chose pour moy. Avec ces raisons ils m'accord�rent, comme j'ay dict, ces 4 Canots, dequoy je fus fort joyeux, oubliant toutes les peines pass�es, sur l'esperance que j'avois de voir ceste mer tant desir�e.

Pour passer le reste du jour, je me fus promener par leurs jardins, qui n'estoient remplis que de quelques citrouilles, phasioles, & de nos pois, qu'ils commencent � cultiver, o� 313/461Thomas mon truchement, qui entend fort bien la langue, me vint trouver, pour m'advertir que ces sauvages, apr�s que je les eus quitt�s, avoient song� que si t'entreprends ce voyage, que je mourrois, & eux aussi, & qu'ils ne me pouvoient bailler ces Canots promis, d'autant qu'il n'y avoit aucun d'entreux qui me voulut conduire; mais que je remisse ce voyage � l'ann�e prochaine, & qu'ils m'y meneroient en bon equippage, pour se deffendre d'iceux, s'il leur vouloient mal faire, pource qu'ils sont mauvais.

Ceste nouvelle m'affligea fort, & soudain m'en allay les trouver, & leur dis, que je les avois jusques � ce jour estim�s hommes, & v�ritables, & que maintenant ils se monstroyent enfans, & mensongers, & que s'ils ne vouloient effectuer leurs promesses, ils ne me feroient paroistre leur amiti�; toutesfois que s'ils se sentoient incommod�s de 4 Canots, qu'ils ne m'en baillassent que 2 & 4 sauvages seulement.

Ils me representerent derechef la difficult� des partages, le nombre des Sauts, la meschancet� de ces peuples, & que c'estoit pour crainte qu'ils avoyent de me perdre qu'ils me faisoient ce refus.

Je leur fis response, que j'estois fasch� de ce qu'ils se monstroient si peu mes amis, & que je ne l'eusse jamais creu; que j'avois un gar�on, (leur monstrant mon imposteur) qui avoit est� dans leur pays, & n'avoit recognu toutes les difficult�s qu'ils faisoient, ny trouv� ces peuples si mauvais qu'ils disoient. Alors ils commenc�rent � le regarder, & specialement Tesso�at vieux Capitaine, avec lequel il avoit hyvern�, & l'appelant par son nom, luy dict en son langage, Nicolas est il 314/462vray que tu as dit avoir est� aux Nebicerini? Il fut long temps sans parler, puis il leur dict en leur langue, qu'il parle aucunement, Ouy j'y ay est�. Aussi tost ils le regard�rent de travers, & se jettans sur luy, comme s'ils l'eussent voulu manger ou deschirer, firent de grands cris, & Tesso�at luy dict, tu es un asseur� menteur, tu s�ais bien que tous les soirs tu couchois � mes cost�s avec mes enfans, & tous les matins tu t'y levois, si tu as est� vers ces peuples, �a est� en dormant, comment as tu est� si impudent d'avoir donn� � entendre � ton chef des mensonges, & si meschant de vouloir hazarder sa vie parmi tant de dangers? tu es un homme perdu, il te devroit faire mourir plus cruellement que nous ne faisons nos ennemis: je ne m'estonnois pas367 s'il nous importunoit tant sur l'asseurance de ses paroles. A l'heure je luy dis qu'il eust � respondre � ces peuples, & puis qu'il avoit est� en ces terres qu'il en donnast des enseignemens pour me le faire croire, & me tirer de la peine o� il m'avoit mis, mais il demeura muet & tout esperdu.

Note 367: (retour)

Il faudrait: je ne m'estonne pas.

A l'heure je le tiray � l'escart des sauvages, & le conjuray de me d�clarer la v�rit� du faict: que s'il avoit veu ceste mer, que je luy ferois donner la recompense que je luy avois promise, & s'il ne l'avoit veue, qu'il eut � me le dire sans me donner d'avantage de peine: Derechef avec juremens il afferma tout ce qu'il avoit par cy devant dict, & qu'il me le feroit voir, si ces sauvages vouloient bailler des Canots.

Sur ces discours Thomas me vint advertir que les sauvages de l'isle envoyoient secrettement un Canot aux Nebicerini, pour les advertir de mon arriv�e.

315/463Et lors pour me servir de l'occasion, je fus trouver lesdits sauvages, pour leur dire que j'avois song� ceste nuict qu'ils vouloyent envoyer un Canot aux Nebicerini sans m'en advertir, dequoy j'estois estonn�, veu qu'ils s�avoyent que j'avois volont� d'y aller: � quoy ils me firent response, disans, que je les offen�ois fort, en ce que je me fiois plus � un menteur, qui me vouloit faire mourir, qu'� tant de braves Capitaines qui estoient mes amys, & qui avoyent ma vie ch�re: je leur repliquay, que mon homme (parlant de nostre imposteur) avoit est� en ceste contr�e avec un des parens de Tesso�at, & avoit veu la Mer, le bris & fracas d'un vaisseau Anglois, ensemble 80 testes que les sauvages avoient, & un jeune gar�on Anglois qu'ils tenoient prisonnier, dequoy ils me vouloient faire present.

Ils s'escrierent plus que devant, entendant parler de la Mer, des vaisseaux, des testes des Anglois, & du prisonnier, qu'il estoit un menteur, & ainsi le nomm�rent-ils depuis, comme la plus grande injure qu'ils luy eussent peu faire, disans tous ensemble qu'il le falloit faire mourir, ou qu'il dist celuy avec lequel il y avoit est�, & qu'il declarast les lacs, rivieres & chemins par lesquels il avoit pass�; � quoy il fit response asseurement qu'il avoit oubli� le nom du sauvage, combien qu'il me l'eust nomm� plus de vingt fois, & mesme le jour de devant. Pour les particularitez du pa�s, il les avoit descriptes dans un papier qu'il m'avoit baill�. Alors je presentay la carte, & la fis interpr�ter aux sauvages, qui l'interrog�rent sur icelle, � quoy il ne fit response, ains par son morne silence manifesta sa meschancet�.

316/464Mon esprit vogant en incertitude, je me retiray � part, & me representay les particularit�s du voyage des Anglois cy devant dictes, & les discours de nostre menteur estre ass�s conformes, aussi qu'il y avoit peu d'apparence que ce gar�on eust invent� tout cela, & qu'il n'eust voulu entreprendre le voyage, mais qu'il estoit plus croyable qu'il avoit veu ces choses, & que son ignorance ne luy permettoit de respondre aux interrogations des sauvages: joint aussi que si la relation des Anglois est v�ritable, il faut que la mer du Nord ne soit pas esloign�e de ces terres de plus de 100 lieues de latitude, car j'estois sous la hauteur de 47 degr�s 368 de latitude, & 296. de longitude 369: mais il se peut faire que la difficult� de passer les Sauts, l'aspret� des montagnes remplies de neiges, soit cause que ces peuples n'ont aucune cognoissance de ceste mer; bien m'ont-ils toujours dict, que du pa�s des Ochataiguins il n'y a que 35 ou 40 journ�es jusques � la mer qu'ils voyent en 3 endroits: ce qu'ils m'ont encores asseur� ceste ann�e: mais aucun ne m'a parl� de ceste mer du Nord, que ce menteur, qui m'avoit fort resjouy � cause de la briefvet� du chemin.

Note 368: (retour)

46�. (Voir la note 2 de la page 307)

Note 369: (retour)

L'auteur n'�tait pas rendu tout � fait � 296�. Suivant sa carte de 1632, il �tait � environ 297� 30', et encore, dans cette carte, l'�le des Allumettes est-elle trop � l'ouest d'environ deux degr�s et demi: car la pointe occidentale de cette �le est � peu pr�s 300� � l'est du m�ridien de l'�le de Fer. (Voir la note 3 de la page 293.)

Or comme ce Canot s'apprestoit, je le fis appeler devant ses compagnons; & en luy representant tout ce qui s'estoit pass�, je luy dis qu'il n'estoit plus question de dissimuler, & qu'il falloit dire s'il avoit veu les choses dictes, ou non; que je 317/465voulois prendre la commodit� qui se presentoit; que j'avois oubli� tout ce qui s'estoit pass�: Mais que si je passois plus outre, je le ferois pendre & estrangler sans luy faire autre merci. Apr�s avoir song� � luy, il se jetta � genoux & me demanda pardon, disant, que tout ce qu'il avoit dict, tant en France qu'en ce pa�s, touchant ceste mer, estoit faux; qu'il ne l'avoit jamais veue, & qu'il n'avoit pas est� plus avant que le village de Tesso�at; qu'il avoit dict ces choses pour retourner en Canada. Ainsi transport� de cholere je le fis retirer, ne le pouvant plus endurer devant moy, donnant charge � Thomas de s'enqu�rir de tout particuli�rement; auquel il poursuivit de dire qu'il ne croyoit pas que je deusse entreprendre le voyage, � cause des dangers, croyant que quelque difficult� je pourroit presenter qui m'empescheroit de passer, comme celle de ces sauvages, qui ne me vouloient bailler des Canots: ainsi que l'on remettroit le voyage � une autre ann�e, & qu'estant en France, il auroit recompense pour sa descouverture: & que si se le voulois laisser en ce pays, qu'il yroit tant qu'il la trouveroit, quand il y devroit mourir. Ce sont ses paroles, qui me furent rapport�es par Thomas, & ne me content�rent pas beaucoup, estant esmerveill� de l'effronterie & meschancet� de ce menteur: & ne me puis imaginer comment il avoit forg� ceste imposture, sinon qu'il eust ouy parler du voyage des Anglois cy mentionn�; & que sur l'esperance d'avoir quelque recompense, comme il a dict, il ait eu la t�m�rit� de mettre cela en avant.

Peu de temps apr�s je fus advertir les sauvages, � mon grand 318/466regret, de la malice de ce menteur, & qu'il m'avoit confess� la v�rit�, dequoy ils furent joyeux, me reprochant le peu de confiance que j'avois en eux, qui estoyent Capitaines, mes amis, & qui parloient tousjours v�rit�, & qu'il falloit faire mourir ce menteur qui estoit grandement malitieux, me disant, Ne vois-tu pas qu'il t'a voulu faire mourir, donne le nous, & nous te promettons qu'il ne mentira plus. Et � cause qu'ils estoient tous apr�s luy crians, & leurs enfans encores plus, je leur deffendis de luy faire aucun mal, & aussi d'empescher leurs enfans de ce faire, d'autant que je le voulois remener au Saut pour le faire voir � ces Messieurs, ausquels il devoit porter de l'eaue sal�e; & qu'estant l� j'adviserois � ce qu'on en feroit.

Mon voyage estant achev� par ceste voye, & sans aucune esperance de voir la mer de ce cost� l�, sinon par conjecture, le regret de n'avoir mieux employ� le temps m'est demeur�, avec les peines & travaux qu'il m'a fallu neantmoins tol�rer patiemment. Si je me fusse transport� d'un autre cost�, suivant la relation des sauvages, j'eusse esbauch� une affaire qu'il faut remettre � une autre fois. N'ayant pour l'heure autre desir que de m'en revenir, je conviay les sauvages de venir au Saut S. Louys, o� il y avoit quatre vaisseaux fournis de toutes sortes de marchandises, & o� ils recevroient bon traitement; ce qu'ils firent s�avoir � tous leurs voisins. Et avant que partir, je fis une croix de c�dre blanc, laquelle je plantay sur le bort du lac en un lieu eminent, avec les armes de France, & priay les sauvages la vouloir conserver, comme aussi 319/467celles qu'ils trouveroient du long des chemins o� nous avions pass�; & que s'ils les rompoient, que mal leur arriveroit; & les conservant, ils ne seroient assaillis de leurs ennemis. Ils me promirent ainsi le faire, & que je les retrouverois quand je retournerois vers eux.




Nostre retour au Saut. Fausse alarme. C�r�monie du Saut de la chaudi�re. Confession de nostre menteur devant tous les chefs. Et nostre retour en France.

CHAPITRE V.

Le 10 Juin je prins cong� de Tesso�at, bon vieux Capitaine, & luy fis quelques presens, & luy promis, si Dieu me preservoit en sant�, de venir l'ann�e prochaine, en equippage pour aller � la guerre; & luy me promit d'assembler grand peuple pour ce temps l�, disant, que je ne verrois que, sauvages, & armes qui me donneroyent contentement, & me bailla son fils pour me faire compagnie. Ainsi nous partismes avec 40 Canots, & passasmes par la riviere que nous avions laiss�e, qui court au Nord370, o� nous mismes pied � terre pour traverser des lacs 371. En chemin nous rencontrasmes 9 grands Canots de Ouescharini, avec 40 hommes forts & puissants qui venoient aux nouvelles qu'ils avoient eues; & d'autres que rencontrasmes aussi, qui faisoient 320/468ensemble 60 Canots, & 20 autres qui estoient partis devant nous, ayans chacun ass�s de marchandises.

Note 370: (retour)

Qui court au Nord, � l'endroit o� Champlain l'avait laiss�e.

Note 371: (retour)

Par cette expression traverser des lacs, l'auteur veut dire sans doute traverser d'un lac � un autre. Entre les six ou sept rapides qu'il y a depuis les Allumettes jusqu'au bas du Grand-Calumet, la rivi�re forme comme autant de lacs, s�par�s les uns des autres par des rapides, o� il faut �mettre pied � terre� et faire portage, �pour ensuite traverser ces lacs.�

Nous passasmes 6 ou 7 Sauts depuis l'isle des Algoumequins372 jusques au petit Saut373, pa�s fort desagreable. Je recogneus bien que si nous fussions venus par l� que nous eussions eu beaucoup plus de peine, & malais�ment eussions nous pass�: & ce n'estoit sans raison que les sauvages contestoient contre nostre menteur, qui ne cerchoit qu'� me perdre.

Note 372: (retour)

Ou �le de Tessouat, c'est-�-dire, celle des Allumettes. On voit ici pourquoi, plus tard, Champlain appelle le lac des Allumettes, lac des Algonquins.

Note 373: (retour)

Au-dessous du lac Coulonge, le premier et le plus consid�rable des sauts que l'on ait � passer, est le Grand-Calumet, o� le Grand-Saut des pierres � calumet. Il semble que c'est le dernier de cette suite de rapides, celui du Portage-du-Fort, que Champlain appelle le, Petit-Saut.

Continuant nostre chemin 10 ou 12 lieues au dessous l'isle des Algoumequins, nous posasmes dans une isle fort agr�able, remplie de vignes & noyers, o� nous fismes pescherie de beau poisson. Sur la minuict arriva deux Canots qui venoient de la pesche plus loing, lesquels rapport�rent avoir veu 4 Canots de leurs ennemis. Aussi tost on despescha 3 Canots pour les recognoistre, mais ils retourn�rent sans avoir rien veu. En ceste asseurance chacun prit le repos, except� les femmes qui se resolurent de passer la nuict dans leurs Canots, ne se trouvans asseur�es � terre. Une heure avant le jour un sauvage songeant que les ennemis le chargeoyent se leva en sursaut, & se prit � courir vers l'eau pour se sauver, criant, On me tue. Ceux de sa bande s'esveillerent tous estourdis, & croyans estre poursuivis de leurs ennemis se jetterent en l'eau, comme feit 321/469un de nos Fran�ois, qui croyoit qu'on l'assommast. A ce grand bruit nous autres qui estions �loign�s, fusmes aussi tost esveill�s, & sans plus s'enqu�rir accourusmes vers eux: mais les voyans en l'eau errans �a & l�, estions fort estonn�s, ne les voyans poursuivis de leurs ennemis, ny en estat de se deffendre, quand cela eust est�, mais seulement de se perdre. Apr�s que j'eus enquis nostre Fran�ois de la cause de ceste esmotion, il me dict qu'un sauvage avoit song�, & luy avec les autres pour se sauver, s'estoit jett� en l'eau, croyant avoir est� frapp�. Ainsi ayant recognu ce que c'estoit, tout se passa en ris�e.

En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au Saut de la chaudi�re, o� les sauvages firent la c�r�monie accoustum�e, qui est telle. Apr�s avoir port� leurs Canots au bas du Saut, ils s'assemblent en un lieu, o� un d'entr'eux avec un plat de bois va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau de petun; la queste faicte, le plat est mis au milieu de la troupe, & tous dansent � l'entour, en chantant � leur mode, puis un des Capitaines faict une harangue, remonstrant que d�s long temps ils ont accoustum� de faire telle offrande, & que par ce moyen ils sont garantis de leurs ennemis, qu'autrement il leur arriveroit du malheur, ainsi que leur persuade le diable, & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs autres, comme nous avons dict en d'autres lieux. Cela faict, le harangueur prent le plat, & va jetter le petun au milieu de la chaudi�re, & font un grand cry tous ensemble. Ces pauvres gens sont si superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon voyage, s'ils n'avoient faict ceste c�r�monie en ce lieu, 322/470d'autant que leurs ennemis les attendent � ce passage, n'osans pas aller plus avant, � cause des mauvais chemins, & les surprennent l�: ce qu'ils ont quelquesfois faict.

Le lendemain nous arrivasmes � une isle, qui est � l'entr�e du lac, distante du grand Saut S. Louys de 7 � 8 lieues, o� reposans la nuict, nous eusmes une autre alarme, les sauvages croyans avoir veu des Canots de leurs ennemis: ce qui leur fit faire plusieurs grands feux, que je leur fis esteindre, leur remonstrant l'inconvenient qui en pouvoit arriver, s�avoir, qu'au lieu de se cacher il se manifestoient.

Le 17. Juin nous arrivasmes au Saut S. Louys, o� je trouvay l'Ange qui estoit venu au devant de moy dans un Canot, pour m'advertir que le sieur de Maison-neufve de S. Maslo avoit apport� un passeport de Monseigneur le Prince pour trois vaisseaux. En attendant que je l'eusse veu, je fis assembler tous les sauvages pour leur faire entendre que je ne desirois pas qu'ils traictassent aucunes marchandises, que je ne leur eusse permis: & que pour des vivres je leur en ferois bailler si tost que serions arriv�s; ce qu'ils me promirent, disans, qu'ils estoient mes amis. Ainsi poursuivant nostre chemin, nous arrivasmes aux barques, & fusmes salu�s de quelques canonades, dequoy quelques uns de nos sauvages estoient joyeux, & d'autres fort estonn�s, n'ayans jamais ouy telle musique. Ayans mis pied � terre, Maison-neufve me vint trouver avec le passeport de Monseigneur le Prince: & aussi tost que l'eus veu, je le laissay jouir, & les siens, du b�n�fice d'iceluy, comme nous autres, & fis dire aux sauvages qu'ils pouvoyent traicter le lendemain.

323/471Ayans veu tous les Chefs, & d�duit les particularit�s de mon voyage, & la malice de nostre menteur, dequoy ils furent fort estonn�s, je les priay de s'assembler, afin qu'en leur presence, des sauvages & de ses compagnons, il declarast sa meschancet�; ce qu'ils firent volontiers. Ainsi estans assembl�s, ils le firent venir, & l'interrog�rent, pourquoy il ne m'avoit monstr� la mer du Nord, comme il m'avoit promis � son d�part: Il leur fit response qu'il avoit promis une chose impossible � luy, d'autant qu'il n'avoit jamais veu ceste mer, & que le desir de faire le voyage luy avoit fait dire cela, aussi qu'il ne croyoit que je le deusse entreprendre, & les prioit luy vouloir pardonner, comme il fit � moy derechef, confessant avoir grandement failly: mais que si je le voulois laisser au pays, qu'il feroit tant par son labeur, qu'il repareroit la faute, & verroit ceste mer, & en rapporteroit certaines nouvelles l'ann�e suivante: & pour quelques considerations je luy pardonnay � ceste condition.

Apr�s leur avoir d�duit par le menu le bon traictement que j'avois re�eu dans les demeures de ces sauvages, & mon occupation journaliere, je m'enquis aussi de ce qu'ils avoyent faict pendant mon absence, & de leurs exercices, lesquels estoient la chasse, o� ils avoient faict tel progr�s, que le plus souvent ils apportoient six cerfs. Une fois entre autres le jour de la S. Barnab�, le sieur du Parc y estant avec deux autres, en tua 9. Ils ne sont pas du tout semblables aux 324/472nostres, & y en a de diff�rentes especes374, les uns plus grands, les autres plus petits, approchant fort de nos dains. Ils avoient aussi si grande quantit� de Palombes 375 qu'impossible estoit de plus, ils n'avoient pas moins de poisson, comme Brochets, Carpes, Esturgeons, Aloses, Barbeaux, Tortues, Bars, & autres qui nous sont incognus, desquels ils disnoient & souppoient tous les jours, aussi estoyent-ils tous en meilleur point que moy, qui estois att�nu� par le travail & la fascherie que j'avois eue, & n'avois mang� le plus souvent qu'une fois le jour de poisson mal cuit, & � demy rosti.

Note 374: (retour)

Les esp�ces de cerfs du Canada sont 1� l'Orignal ou �lan (Cervus alces), que nos sauvages appellent Moussou, d'o� les Anglais ont fait Moose-Deer. Suivant Lescarbot, le nom d'orignal, ou orignac, nous vient des Basques, et les Souriquois l'appelaient Aptaptou. Voici la description qu'il en fait. �C'est un animal le plus haut qui toit apr�s le Dromadaire & le Chameau, car il est plus haut que le cheval. Il a le poil ordinairement grison, & quelquefois fauve, long quasi comme les doigts de la main. Sa t�te est fort longue, & a un fort long ordre de dents, qui paroissent doubles pour recompenser le d�faut de la m�choire superieure, qui n'en a point. Il porte son bois double comme le cerf, mais large comme une planche, & long de trois piedz, garni de cornichons d'un cost� & au-dessus. Le pied en est fourchu comme du cerf, mais beaucoup plus plantureux. La chair en est courte & fort d�licate. Il pa�t aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des arbres. C'est la plus abondante chasse qu'ayent nos sauvages apr�s le poisson.� (Hist. de la Nouv. France, p. 893.) 2� Le Caribou. Les naturalistes distinguent aujourd'hui le caribou des r�gions arctiques (Tarandus arcticus), et le caribou ordinaire (Tarandus bastalis), qui habite principalement le Bas-Canada. 3� Le cerf de Virginie (Cervus Virginianus), qui ne se retrouve que dans le Haut-Canada. 4� Une quatri�me esp�ce, le Wapiti (Elaphus Canadensis), qu'on trouvait en Canada au temps de Champlain, para�t avoir �migr� vers les pays de l'ouest. (Voir The Canadian Naturalist, vol. I.)

Note 375: (retour)

Ou tourtes, comme nous disons aujourd'hui en Canada (Ectopistes migratoria).

Le 22 Juin Sur les 8 heures du Soir les sauvages nous donn�rent une alarme, � cause qu'un des leurs avoit song� qu'il avoit veu les Yroquois: pour les contenter chacun prit ses armes, & quelques-uns furent envoy�s vers leurs cabanes pour les asseurer, & aux advenues pour descouvrir: si bien qu'ayant recognu que c'estoit une fausse alarme, l'on se contenta de tirer quelques 200 mousquetades & harquebusades, puis on posa les armes en laissant la garde ordinaire. Cela les asseura 325/473fort, & furent bien contens de voir les Fran�ois qui se pr�par�rent pour les secourir.

Apr�s que les sauvages eurent traict� leurs marchandises, & qu'ils eurent resolu de s'en retourner, je les priay de mener avec eux deux jeunes hommes pour les entretenir en amiti�, leur faire voir le pa�s & les obliger � les ramener, dont ils firent grande difficult�, me representant la peine que m'avoit donn� nostre menteur, craignans qu'ils me feroient de faux rapports, comme il avoit faict. Je leur fis response qu'ils estoient gens de bien & v�ritables, & que s'ils ne les vouloient emmener, ils n'estoyent pas mes amys, & pource ils s'y resolurent. Pour nostre menteur aucun de ces sauvages n'en voulust, pour pri�re que je leur feit, & le laissasmes � la garde de Dieu.

Voyant n'avoir plus rien affaire en ce pays, je me resolus de passer dans le premier vaisseau qui retourneroit en France. Le sieur de Maison-neufve ayant le sien prest m'offrit le passage, lequel j'acceptay, & le 27 Juin avec le sieur l'Ange nous partismes du Saut, o� nous laissasmes les autres vaisseaux, qui attendoyent que les sauvages qui estoient � la guerre fussent de retour, & arrivasmes � Tadoussac le 6 Juillet.

Le 8 Aoust376 le temps se trouva propre qui nous en feit partir.

Note 376: (retour)

Le 8 juillet; car 1� comment Champlain, �qui n'avait plus rien � faire en ce pays�, et qui voulait prendre �le premier vaisseau qui retournerait en France�, aurait-il pu se r�signer � passer un mois et deux jours � Tadoussac? 2� Est-il croyable que, dans la belle saison de l'ann�e, il e�t fallu attendre plus d'un mois, avant que �le temps se trouv�t propre� pour partir? Et l'expression qu'emploie ici l'auteur marque bien que le vaisseau de Maison-Neuve n'attendait en effet qu'un temps favorable pour mettre � la voile.

326/474

Le 18, sortismes de Gasp� � l'isle perc�e.

Le 28, nous estions sur le grand banc, o� se faict la pesche de poisson vert, o� l'on prit du poisson tant que l'on voulut.

Le 26 Aoust arrivasmes � S. Maslo, o� je vis les Marchans, ausquels je remonstray combien il estoit facile de faire une bonne association pour l'advenir, � quoy ils se sont resolus, comme ont faict ceux de Rouen, & de la Rochelle apr�s qu'ils ont recognu ce r�glement estre necessaire, & sans lequel il est impossible d'esperer quelque fruict de ces terres. Dieu par sa gr�ce face prosperer ceste entreprise � son honneur, � sa gloire, � la conversion de ces pauvres aveugles, & au bien & honneur de la France.

FIN.

327/475

TABLE DES CHAPITRES DU
QUATRIESME VOYAGE.

Ce qui m'a occasionn� de recercher un r�glement. Commission obtenue. Oppositions � l'encontre. En fin la publication par tous les ports de France. Chap. I. p. 279

Partement de France: Et ce qui se passa jusques � nostre arriv�e au Saut. Chap. II. p. 287

Partement pour descouvrir la mer du Nord, sur le rapport qui m'en avoit est� faict. Description de plusieurs rivieres, lacs, isles, du Saut de la chaudi�re, & autres Sauts. Chap. III. p. 292

Continuation. Arriv�e vers Tesso�at, & le bon accueil qu'il me feit. Fa�on de leurs cimeti�res. Les Sauvages me promettent 4 Canots pour continuer mon chemin. Tost apr�s me les r�futent. Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrant les difficult�s. Response � ces difficult�s. Tesso�at argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir est� o� il disoit. Il leur maintient son dire v�ritable. Je les presse de me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession. Chap. IV. p. 306

Nostre retour au Saut. Fausse alarme. C�r�monie du Saut de la chaudi�re. Confession de nostre menteur devant tous les chefs. Et nostre retour en France. Chap. V. p. 319


Fin du Tome III




478



479Le recueil des Voyages de Champlain publi� en 1619, est la continuation des volumes imprim�s en 1603 et 1613. Ce qui le recommande surtout, c'est qu'il est beaucoup plus complet que la reproduction qui en a �t� faite 1632. On y trouve en effet, sur l'arriv�e des R�collets et sur leurs travaux, des d�tails ou des faits int�ressants, dont la suppression en 1632 ne peut gu�re s'expliquer sans l'intervention d'une main �trang�re, comme nous le remarquerons en son lieu.

Il y a eu plusieurs �ditions, ou pour mieux dire, plusieurs tirages de ce volume de 1619, entre autres ceux de 1620 et de 1627, que nous avons pu consulter. Ce dernier porte, dans le titre. Seconde �dition; cependant, � part quelques passages, que nous avons signal�s dans l'occasion, le texte n'a pas �t� recompos�, comme le prouve, �videmment l'identit� des d�tails et des fautes typographiques.

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Carte 1632

Agrandissement (8451x5891) 7.5 Mo.

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VOYAGES

ET DESCOUVERTURES

FAITES EN LA NOUVELLE

France, depuis l'ann�e 1615. jusques
� la fin de l'ann�e 1618.

Par le Sieur de Champlain Cappitaine ordinaire pour
le Roy en la Mer du Ponant.

O� sont descrits les moeurs, coustumes, habits, fa�ons de guerroyer, chasses, dances, festins, & enterrements de divers peuples Sauvages, & de plusieurs choses remarquables qui luy sont arriv�es audit pa�s, avec une description de la beaut�, fertilit� & temperature d'iceluy.

A PARIS,

Chez CLAUDE COLLET, au Palais, en la gallerie des Prisonniers.


M. D. C. XIX.

Avec privil�ge du Roy.



iii/483

AU ROY.

ire,

Voicy un troisiesme livre contenant le discours de ce qui s'est pass� de plus remarquable aux voyages par moy faits en la nouvelle France, � la lecture duquel j'estime que V. M. prendra un plus grand plaisir qu'aux pr�c�dents, d'autant qu'iceux ne designent rien que les ports, havres, scituations, d�clinaisons, & autres mati�res plus propres aux Nautonniers, & Mariniers, que non pas aux autres. En celuy-cy vous y pourrez remarquer plus particuli�rement les moeurs & fa�ons de vivre de ces peuples, tant en particulier que g�n�rale leurs guerres, munitions, fa�ons d'assaillir, & se desfendre, leurs exp�ditions, retraicte en plusieurs particularit�s, servant � contenter un esprit curieux; Et comme ils ne sont point tant sauvages, qu'avec le temps, & la fr�quentation d'un peuple civiliz�, ils ne puissent estre rendus polis: Vous y verr�s pareillement quelle & combien grande est l'esperance que nous avons de tant de longs & p�nibles travaux que depuis quinze ans nous soustenons, pour planter en ce pais l'estendart de la Croix, & leur enseigner la cognoissance de Dieu, & gloire de son Sainct Nom, estant nostre desir d'augmenter la Charit� envers ses miserables Cr�atures, qui nous convient supporter iv/484patiemment plus qu'aucune autre chose, & encore que plusieurs n'ayent pas pareil dessein, ains que l'on puisse dire que le desir du gain est ce qui les y pousse: Neantmoins on peut probablement croire que ce sont des moyens dont Dieu se sert pour plus faciliter le sainct desir des autres: Que si les fruicts que les arbres portent sont de Dieu, � celuy qui est Seigneur du Sol, ou ils sont plantez, & qui les a arrousez, & entretenus, avec un soing particulier, V. M. se peut dire l�gitime Seigneur de nos travaux, & du bien qui en reussira, non seulement pour ce que la terre vous en appartient, mais aussi pour nous avoir proteg� contre tant de sortes de personnes qui n'avoyent autre desseing qu'en nous troublant empescher qu'une si saincte d�lib�ration ne peust reussir, & nous ostant la permission de pouvoir librement negotier, en partie de ses pa�s, & mettre le tout en confusion, qui seroit en un mot tracer le chemin pour tout perdre, au prejudice de vostre estat, vos sujects ayant employ� � cet effect tous les artifices dont il se sont peu adviser, & tous les moyens qu'ils ont creu nous y pouvoir nuire, qui tous ont est� lou�s par V. M. assist�e de son prudent Conseil, nous authorisant de son nom, & soustenants par ses arrests qu'elle a rendus � nostre faveur. Cest un occasion pour accroistre en nous le desir qu'avons d�s long-temps d'envoyer des peuplades & colonnies par del�, pour leur enseigner avec la cognoissance de Dieu, la gloire & les triomphes de V. M. de faire en sorte qu'avec la langue Fran�oise ils consoivent aussi un coeur, & courage fran�ois, lequel ne respirera rien tant apr�s la crainte de Dieu, que le desir qu'ils auront de vous servir: Que si nostre desseing reussit, la gloire en sera premi�rement � Dieu, puis � V. M. qui outre mille benedictions quelle en recevra du Ciel, v/485en recompense de tant d'�mes ausquelles elle en donnera par ce moyen l'entr�e, son nom en sera immortalis� pour avoir port� la gloire, & le sceptre des Fran�ois, autant en Occident que vos devanciers l'ont estendu en Orrient, & par toute la terre habitable: ce fera augmenter la qualit� de Tres-Chrestien qui vous appartient par dessus tous les Rois de la terre, & montrer qu'elle vous est autant deue par m�rite, comme elle vous est propre de droit, ayant est� transmise par vos predecesseurs depuis qu'ils se l'acquirent par leurs vertus, d'avoir voulu embrasser avec tant d'autres importans affaires le soing de celle-cy grandement n�glig�e par cy-devant, estant une gr�ce specialle de Dieu d'avoir voulu reserver sous vostre regne l'ouverture de la pr�dication de son Evangille, & la cognoissance de son Saint Nom � tant de nations qui n'en avoient jamais ouy parler, qu'un jour Dieu leur fera la grace, comme nous, de le prier incessamment qu'il accroisse son empire, & donne mille benedictions � vostre Majest�.

SIRE

Vostre tres-humble, tres-fidelle & ob�issant serviteur & subject,

CHAMPLAIN.

vii/487

PREFACE.

out ainsi qu'en la diversit� des affaires du Monde chacune chose tend � sa perfection, & � la conservation de son estre, aussi d'autrepart l'homme se plaist aux choses diff�rentes des autres pour quelque subject, ou pour le bien public, ou pour acqu�rir (en cet eslongnement du commun) une louange & r�putation avec quelque proffict. C'est pourquoy plusieurs ont fray� ceste voye, mais quant � moy j'ay faict eslection du plus fascheux & p�nible chemin, qui est la perilleuse navigation des Mers, � dessein toutesfois, non d'y acqu�rir tant de biens, que d'honneur, & gloire de Dieu, pour le service de mon Roy, & de ma patrie, & apporter par mes labeurs quelque utilit� au public, protestant de n'estre tent� d'aucune autre ambition, comme il se peut assez recognoistre, tant par mes deportements du pass�, que par le discours de mes voyages, faits par le commandement de sa Majest� en la nouvelle France, contenus en mon premier & second livre, ainsi qu'il se verra par celuy-cy: Que si Dieu benist nostre desseing, qui ne tend qu'� sa gloire, & de nos d�couvertures & laborieux travaux il me reussit quelque fruict je luy en renderay l'action de gr�ces, & � sa Majest�, pour sa protection & assistance une continuation de pri�res pour l'augmentation & accroissement de son regne.

viii/488


EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY.

Par gr�ce & Privilege du Roy, il est permis � CLAUDE COLLET, Marchand Libraire en nostre ville de Paris, d'Imprimer ou faire Imprimer par tel Imprimeur que bon luy semblera, un livre intitul�. Les voyages & descouvertures faites en la nouvelle France, depuis l'ann�e 1615 jusques � la fin de l'ann�e 1618. par le Sieur de Champlain, Cappitaine ordinaire pour le Roy, en la Mer du Ponant. Et sont faites deffences � tous Libraires & Imprimeurs de nostre Royaume, d'Imprimer ny faire Imprimer, vendre ny d�biter ledit livre, si ce n'est du contentement dudit Collet, & ce pour le temps & terme de six ans, � commencer du jour que ledit livre sera achev� d'Imprimer, sur peine de confiscation des exemplaires, & de quatre cens livres d'amende, moiti� � nous applicable, & l'autre audit exposant. Voulans en oultre quoy fesant, mettre ledit Privilege au commencement ou � la fin dudit livre. Car tel est nostre plaisir.

Donn� � Paris, le 18e jour de May, 1619.
Et de nostre r�gne le dixiesme.
Par le Conseil.
DE CESCAUD.

1/489

VOYAGE DU SIEUR

DE CHAMPLAIN, EN LA NOUVELLE FRANCE,

Faict en l'ann�e 1615.



'extr�me affection que j'ay tousjours eue aux descouvertures de la nouvelle France, m'a rendu desireux de plus en plus � traverser les terres, pour en fin avoir une parfaicte cognoissance du pays, par le moyen des fleuves, lacs, & rivieres, qui y sont en grand nombre, & aussi recognoistre les peuples qui y habitent, � dessein de les amener � la cognoissance de Dieu. A quoy j'ay travaill� continuellement depuis quatorze � quinze ans1 sans pouvoir avancer que fort peu de mes desseins, pour n'avoir est� assist� comme il eust est� necessaire � une telle entreprise. Neantmoins ne perdant courage, je n'ay laiss� de poursuivre, & fr�quenter plusieurs nations de ces peuples sauvages, & familiarisant avec eux, j'ay recogneu, & jug�, tant par leurs discours, que par la cognoissance des-j� acquise; qu'il n'y avoit autre ny meilleur moyen, que de patienter, laissant passer tous les orages & difficultez, qui se presenteroient jusques � ce que sa Majest� 2/490y apportast l'ordre requise, & en attendant continuer, tant les descouvertures audit pays, qu'� apprendre leur langue, & contracter des habitudes, & amitiez, avec les principaux des Villages, & des Nations, pour jetter les fondements d'un �difice perp�tuel, tant pour la gloire de Dieu, que pour la renomm�e des Fran�ois.

Note 1: (retour)

Champlain livrait ceci � l'impression au commencement de l'ann�e 1619, comme on peut le voir par l'extrait du privil�ge qui se trouve en t�te de cette relation.

Et depuis sa Majest� ayant remis, & dispos� la surintendance de ceste affaire entre les mains de Monseigneur le Prince de Cond�, pour y apporter l'ordre, & que ledit Sieur soubs l'auctorit� de sa Majest�, nous maintenoit contre toutes sortes d'envies, & alt�rations, qui provenoient d'aucuns mal vueillants. Cela, dis-je, m'a comme anim� & redoubl� le courage en la continuation de mes labeurs aux descouvertures de ladite nouvelle France, & en augmentant icelles je poussay ce dessein jusques dans les terres fermes & plus avant que je n'avois point encores fait par le pass�, comme il sera dit cy-apr�s, en l'ordre & suite de ce discours.

Mais auparavant il est � propos de dire, qu'ayant recogneu aux voyages pr�c�dents, qu'il y avoit en quelques endroicts des peuples arrestez, & amateurs du labourage de la terre, n'ayans ny foy ny loy, vivans sans Dieu, & sans religion, comme bestes brutes. Lors je jugay � part moy que ce seroit faire une grande faute si je ne m'employois � leur pr�parer quelque moyen pour les faire venir � la cognoissance de Dieu. Et pour y parvenir je me suis efforc� de rechercher quelques bons Religieux, qui 3/491eussent le z�le, & affection, � la gloire de Dieu: Pour les persuader d'envoyer, o� se transporter avec moy en ces pays, & essayer d'y planter la foy, ou du moins y faire ce qui y seroit possible selon leur vacation, & en ce faisant remarquer & cognoistre s'il s'y pourroit faire quelque bon fruict, d'autant que pour y parvenir il faloit faire une despence qui eust exed� mon pouvoir, & pour quelque raison j'ay n�glig� ceste affaire pour un temps, me representant les difficultez qu'il y auroit au recouvrement des choses necessaires, & requises en telle affaire, comme il est ordinaire en semblables voyages. D'ailleurs qu'aucunes personnes ne se presentoient pour y contribuer. Neantmoins estant sur ceste recherche, & la communiquant � plusieurs, il se seroit present� un homme d'honneur, duquel j'avois la fr�quentation ordinaire, appell� le Sieur Houel2, Secr�taire du Roy, & Contrerolleur G�n�ral des Sallines de Brouage, homme adonn� � la piet�, & dou� d'un grand z�le, & affection, � l'honneur de Dieu, & � l'augmentation de sa Religion, lequel me donna un advis qui me fut fort agr�able. A s�avoir qu'il cognoissoit de bons P�res Religieux, de l'ordre des Recollez, desquels il s'asseuroit, & avoit tant de familiarit�, & de cr�ance envers eux, qu'il les feroit condescendre facillement, & entreprendre le voyage, & que pour les commoditez necessaires pour trois ou quatre Religieux qu'on y pourroit envoyer, on ne manqueroit point de gens de bien qui leur donneroient ce qui leur seroit de besoing, offrant de sa part les assister de son pouvoir, & de 4/492faict il en rescrivit au P�re du Verger3, lequel gousta & prit fort bien ceste affaire & suivant l'advis du Sieur Houel, il en communiqua & parla � aucuns de ses fr�res, qui tous bruslants de charit� s'offrirent librement � l'entreprise de ce Sainct voyage4.

Note 2: (retour)

Louis Houel, suivant Ducreux (liste des Cent-Associ�s).

Note 3: (retour)

Bernard du Verger, provincial de l'Immacul�e-Conception, religieux d'une grande vertu et d'un rare talent. (T. le Clercq, Premier �tabliss. de la Foy, t. I, p. 31.)

Note 4: (retour)

De cet expos� simple et na�f, il ressort, � la v�rit�, que le sieur Houel a eu le m�rite de fixer le choix de Champlain sur celui des ordres religieux auquel celui-ci pourrait le plus s�rement s'adresser; mais, d'un autre c�t�, il ressort aussi de toutes les circonstances des d�marches que Champlain avait d�j� faites quand on lui donne cet avis, que la gloire de l'initiative doit en revenir � celui-ci. C'est ce que le Fr�re Sagard, dans son z�le pour un bienfaiteur de son ordre, semble n'avoir pas assez distingu�. Aussi, le P. le Clercq, quoique r�collet lui-m�me, a-t-il cru ne pas devoir suivre ici les traces de son devancier, et a franchement adopt� la version de Champlain. Apr�s cela, il y a lieu de s'�tonner que l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada (t. I, pages 143 et 144) ait commenc� par citer Sagard sur un point o� naturellement l'int�r�t pouvait influencer les id�es de cet auteur, pour ne mentionner ensuite que juste la partie du texte de Champlain qui ne d�truit pas la fausse impression qui peut avoir �t� produite, gr�ce � la pr�caution qu'on a prise d'en retrancher, sans rien dire, les expressions qui pouvaient nuire � la th�se.

Or estoit-il pour lors en Xaintonge, duquel lieu il en envoya deux � Paris, avec une commission, non toutesfois avec un pouvoir absolu, remettant le surplus � Monsieur le Nonce 5 de nostre Sainct Pere le Pape, qui pour lors estoit en France, en l'ann�e 1614. & estans iceux Religieux en leur maison � Paris, il les fut visiter, estant fort aise & content de leur resolution, & lors tous ensemble fusmes trouver ledict Sieur Nonce, avec laditte commission pour la luy communiquer, & le supplier d'y interposer son auctorit�. Mais au contraire il nous dist qu'il n'avoit point de pouvoir pour telles affaires, & que c'estoit � leur G�n�ral � qui ils se devoient adresser. 5/493Neantmoins laquelle responce lesdits Religieux remarquans la difficult� de ceste mission, ne voulurent entreprendre le voyage, sur le pouvoir du P�re du Verger, craignant qu'il ne fust assez autentique, & saditte commission valable, � cause dequoy l'affaire fut remise � l'autre ann�e suivante. En attendant laquelle ils prirent advis & resolution, suivant laquelle on disposa toutes choses pour ceste entreprise, qui se devoit effectuer au printemps lors prochain: en attendant lequel, les deux Religieux seroient retournez en leur Couvent en Brouage.

Note 5: (retour)

Robert Ubaldini, et non pas Gui Bentivole, comme le dit, par inadvertence sans doute, l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada (t. I, p. 146). Ubaldini �tait nonce � Paris depuis environ huit ans, lorsqu'il re�ut de Paul V le chapeau de cardinal, le 2 d�cembre de cette ann�e 1615. Il fut rappel� � Rome un an plus tard, comme on le voit par une lettre de Louis XIII au Souverain Pontife, en date du 24 d�cembre 1616, qui commence par ces mots: �Mon cousin le Cardinal Ubaldini s'en retournant vers vous,� etc. (Lettres du card. de Richelieu, par Avenel, l. I, p. 198, note 4.—Voir Ciaconii Vitae Pontificum, IV, 432, 434; et Schoel, Hist. des �tats europ., t. XXXV, p. 334.)

Et moy de mon cost�, je ne laissay de mettre ordre � mes affaires, pour la pr�paration de ce voyage.

Et quelque mois apr�s le despartement des deux Religieux que le Reverend P�re Chapouin6 Provincial des Peres Recollez, (homme fort pieux) fut de retour � Paris. Ledit Sieur Houel le fut voir, & luy fit le discours de ce qui s'estoit pass�, touchant le pouvoir du P�re du Verger, & la mission qu'il avoit donn�e aux P�res Recollez. Sur lequel discours, ledit Pere Provincial commen�a � louer ce dessein, & le prendre en affection, promettant d'y faire ce qui seroit de son pouvoir, n'ayant auparavant bien pris le subject de ceste mission, & est � croire que Dieu l'inspira de plus en plus � poursuivre ceste affaire, & en parla d�s lors � Monseigneur le Prince de Cond�, & � tous Messieurs les Cardinaux, & Evesques, estans lors � Paris assemblez pour la tenue des estats7, qui tous ensemble 6/494louerent & approuverent ce dessein, & pour montrer qu'ils y estoient portez, asseurerent ledit sieur Provincial qu'ils trouveroient entr'eux, & ceux de la Court, un moyen de leur faire un petit fonds, & leur amasser quelque argent pour assister quatre Religieux, qu'on choisiroit, & furent d�s lors choisis pour l'ex�cution d'une si sainte oeuvre. Et affin d'advancer la facilit� de ceste affaire, je fus trouver aux estats Nosseigneurs les Cardinaux & Evesques, & leur remonstray, & representay le bien & utilit� qui en pouvoit un jour revenir, pour les supplier & esmouvoir � donner, & faire donner � autres, qui pourroient y estre �mulez par leur exemple, quelques aumosnes & gratifications, remettant le tout � leur volont� & discretion.

Note 6: (retour)

Jacques Garnier de Chapouin, premier provincial des R�collets de la province de Saint-Denis. (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 34.)

Note 7: (retour)

L'assembl�e des �tats G�n�raux devait avoir lieu, cette ann�e (1614), � Sens, le 10 de septembre; mais l'absence du roi et de la reine la fit remettre au 10 octobre suivant. Dans l'intervalle, le roi ayant atteint l'�ge de majorit�, et un grand nombre de d�put�s des trois ordres de la France s'�tant rendu � Paris, la tenue des �tats se fit � Paris, et les assembl�es des trois ordres se tinrent aux Augustins. L'ouverture des �tats eut lieu dans la salle de Bourbon, le lundi 27 octobre, apr�s une procession solennelle faite, le jour pr�c�dent, des Augustins � Notre-Dame. La Chambre Eccl�siastique comptait cent quarante d�put�s, entre lesquels �taient cinq cardinaux, sept archev�ques, quarante-sept �v�ques, et deux chefs d'ordres; celle de la Noblesse, cent-trente gentils-hommes, et celle du Tiers-�tat, cent quatre-vingt-douze d�put�s, qui �taient presque tous officiers de justice ou de finance. (Mercure fran�ais, t. III, p. 415 et s.)

Les aumosnes qu'on amassa pour fournir aux frais de ce voyage, se mont�rent � pr�s de quinze cent livres, qui furent mis entre mes mains, & furent d�s lors employez, de l'advis & en la presence des P�res, en la despence & achapt des choses necessaires, tant pour la nourriture des P�res qui feroient le voyage en ladite nouvelle France, qu'habits, linges, & ornemens qui leur estoit de besoing, pour faire, & dire, le service Divin, lesquels Religieux furent envoyez devant � Honfleur, o� se devoit faire leur embarquement.

7/495Or les Peres Religieux qui furent nommez & designez pour ceste saincte entreprise, estoient le P�re Denis 8, pour Commissaire, Jean Delbeau9, Joseph le Caron, & Pacifique du Plessis 10, chacun desquels estoit port� d'une saincte 8/496affection, & brusloient de faire le voyage, moyennant la gr�ce de Dieu, affin de voir s'ils pourroient faire quelque bon fruit, & planter en ces lieux l'estendart de Jesus-Christ, avec une d�lib�ration de vivre & mourir pour son sainct Nom, s'il estoit necessaire, & que l'occasion s'en presentast. Toutes choses prepar�es, ils s'accommoderent des ornements d'Eglise, & nous des choses necessaires pour nostre voyage.

Note 8: (retour)

Denis Jamay. Quoique le Fr�re Sagard �crive Jamet, nous pr�f�rons l'orthographe du P. le Clercq, qui, en g�n�ral, para�t avoir puis� aux sources, et c'est pour cette raison, sans doute, que M. Ferland et l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada s'accordent � �crire Jamay.

Note 9: (retour)

Le P. Jean d'Olbeau, d�sign� successeur du P. Denis, en cas de mort. (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 53.) Il est �vident que Champlain �crit ce nom comme on le pronon�ait, sans se mettre en peine d'�tre toujours d'accord avec lui-m�me sur ce point. Le Fr�re Sagard �crit constamment Dolbeau. Enfin le P. le Clercq, sans s'arr�ter � aucune de ces orthographes, adopte celle qui vraisemblablement �tait celle du P. d'Olbeau lui-m�me. Nous ne savons pourquoi M. Ferland �crit ce nom comme le Fr�re Sagard.

Note 10: (retour)

Le Fr�re Pacifique du Plessis. Quoique Champlain, dans cette relation, donne indistinctement le titre de P�re � chacun des quatre r�collets, il est constant que ce religieux n'�tait que Fr�re lai: aussi l'auteur se corrige-t-il dans son �dition de 1632: �Nous s�eusmes, dit-il, la mort de fr�re Pacifique� (page 3 de la seconde partie); ce qu'il n'e�t jamais dit d'un P�re. Sagard lui donne �galement le m�me titre: �On ne peut bien mourir, remarque cet auteur, qu'en bien vivant, comme a fait nostre bon fr�re Pacifique d�c�d� � Kebec le 23 d'Aoust l'an 1619.� Et, en marge, on lit: � Mort de F. Pacifique.� (Hist. du Canada, pages 54 et 55.) Le P. le Clercq, qui avait toutes sortes de raisons, en m�me temps que les moyens, de ne pas se tromper en pareille mati�re, est encore plus explicite: �La joye de leur arriv�e, � dit-il en parlant des PP. Paul et Guillaume, �fut travers�e par la mort de Fr�re Pacifique... Quoi qu'il ne fut qu'un Fr�re la�c, on peut dire qu'il a extr�mement travaill� en peu de temps � l'avancement spirituel & temporel de la Mission.� (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 155.) Apr�s ces t�moignages non �quivoques d'auteurs si comp�tents, on se demande comment l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada a pu avoir le courage de s'�carter de l'opinion suivie jusqu'� ce jour, en donnant nomm�ment au Fr�re Pacifique le titre de P�re, sans citer d'autre autorit� que celle du m�me P. le Clercq; et, ce qu'il y a de plus singulier, c'est que le passage m�me auquel il renvoie, prouve exactement le contraire de ce qu'il donne � entendre, puisque, � la page cit�e (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 53), le P. le Clercq, qui qualifie de P�res les trois premiers religieux, ne donne cependant � celui dont nous parlons que le titre de Fr�re. Plus d'un lecteur, en v�rifiant les citations, sera �tonn� sans doute qu'on s'appuie de l'autorit� d'un auteur en lui faisant dire autre chose que ce qu'il dit. Nous eussions volontiers laiss� passer cette expression comme inadvertence, si l'illustre auteur n'avait �t� jusqu'� ajouter au texte de Champlain, comme nous verrons ci-apr�s, pour donner � entendre que Fr�re Pacifique ait dit la messe, et par cons�quent qu'il fut pr�tre. On peut inf�rer de l� que le m�me auteur, en donnant � Sagard le titre de P�re, veut �galement faire croire qu'il �tait pr�tre; et cependant, sans parler de Champlain, qui, dans l'�dition de 1632, ne l'appelle jamais autrement que Fr�re Gabriel, le P. le Clercq dit en toutes lettres qu'il n'�tait que Fr�re lai. �On s�avoit par exp�rience,� dit-il (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 245), �que ne s'agissant presque que d'humaniser les Sauvages & les disposer � la lumi�re de l'Evangile, les Fr�res Lays non-seulement n'y estoient pas inutiles, mais y servoient beaucoup, & pouvoient estre associez aux Minist�res Apostoliques. C'est pourquoy on y destina le Fr�re Gabriel Sagard.�

Je partis de Paris le dernier jour de Febvrier, pour aller � Rouen trouver nos associez, & leur representer la volont� de Monseigneur le Prince, entr'autres choses le desir qu'il avoit que ces bons P�res Religieux fissent le voyage, recognoissant que mal-ais�ment les affaires du pa�s pourroient venir � quelque perfection ou advancement, si premierement Dieu n'y estoit servy11, dequoy nos associez furent fort contens, promettans d'assister lesdits P�res de leur pouvoir, & les entretenir � l'advenir de leur nourritures.

Note 11: (retour)

Apr�s avoir cit� Champlain en cet endroit, l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada ajoute, sans indiquer d'autre source: �La compagnie, apr�s les engagements qu'elle avait pris, ne pouvait d�cliner cette proposition, et, sur le motif de la volont� du roi, all�gu� par Champlain, elle promit de nourrir les religieux qui seraient d�sign�s� (t. I, p. 145). Sur quoi nous nous permettrons d'abord de remarquer, que le �motif all�gu� par Champlain� n'est pas pr�cis�ment la volont� du roi, mais le d�sir du prince de Cond�, qui, comme on sait, n'�tait pas, � cette �poque, en fort bons termes avec la cour. Ensuite, le lecteur peut se demander si cette phrase que nous venons de citer, rend bien celle de Champlain: Dequoy nos associez furent fort contents, &c.

Lesdits P�res arriverent � Rouen le vingtiesme de Mars ensuivant, o� nous sejournasmes quelque temps, & de l� fusmes � Honfleur, pour nous embarquer, o� nous sejournasmes aussi quelques jours, en attendant que nostre vaisseau fut appareill�, & charg� des choses necessaires pour un si long 9/497voyage, & cependant on se pr�para pour la conscience, � ce que chacun de nous s'examinast, & se purgeast de ses p�chez, par une p�nitence, & confession d'iceux, affin de faire son bon jour, & se mettre en estat de gr�ce, pour puis apr�s estants plus libres, chacun en sa conscience, s'exposer en la garde de Dieu, & � la mercy des vagues de ceste grande & perilleuse Mer.

Ce faict, nous nous embarquasmes dedans le vaisseau de ladite Association, qui estoit de trois cens cinquante tonneaux, appel� le S. Estienne, dans lequel commandoit le Sieur de Pont Grav�, & partismes dudit Honfleur le vingt-quatriesme jour d'Aoust12 audit an, & fismes voile avec vent fort favorable, & vogu�mes sans rencontre de glaces, ny autres hazards, gr�ces � Dieu, & en peu de temps arrivasmes devant le lieu appell� Tadoussac, le vingt-cinquiesme jour de May, o� nous rendismes gr�ces � Dieu, de nous avoir conduit si � propos au port de salut.

Note 12: (retour)

Le 24 d'avril. A d�faut d'autres t�moignages, le contexte suffirait pour prouver qu'il y a ici erreur purement typographique. � Nous part�mes d'Honfleur,� �crit le P. d'Olbeau � son ami le P. Didace David, �le 24 d'Avril au soir, & arriv�mes le 25 May � un Port o� s'arresterent les navires qui navigent icy. Ce port s'appelle Tadoussac.� (Lettre cit�e par le P. le Clercq, Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 62.) �Ces bons P�res, dit Sagard, s'estant tous disposez par fr�quentes oraisons & bonnes oeuvres � une entreprise si pieuse & m�ritoire, se mirent en chemin pour commencer leur glorieux voyage, � pied & sans argent � l'Apostolique selon la coustume des vrais fr�res Mineurs, & s'embarqu�rent � Honfleur l'an 1615, le 24 d'Avril environ les cinq heures du soir que le vent & la mar�e leur estoient favorables.� (Hist, du Canada, p. 22.)

Apr�s on commen�a � mettre des hommes en besongne pour accommoder nos barques, affin d'aller � Qu�bec, lieu de nostre habitation, & au grand sault Sainct Louys, o� estoit le rendez-vous des Sauvages qui y viennent traicter.

10/498Les barques accommod�es nous nous mismes dedans, avec lesdits Peres Religieux 13, l'un desquels appell� le Pere Joseph sans s'arrester ny faire aucun sejour � Qu�bec, voulut aller droict au grand sault, o� estant, il veit tous les Sauvages, & leur fa�on de faire. Ce qui l'esmeut d'aller hyverner dans le pays, entr'autres celuy des peuples qui ont leur demeure arrest�e, tant pour apprendre leur langue, que voir ce qu'on en pourroit esperer, en ce qui regarde leur r�duction au Christianisme. Ceste resolution ainsi prise, il s'en retourna � Qu�bec le vingtiesme jour de Juin14, pour avoir quelques ornements d'Eglise, &; autres choses pour sa commodit�. Cependant j'estois demeur� 15 audit Qu�bec pour donner ordre � ce qui deppendoit de l'habitation, tant pour le logement des P�res Religieux, qu'ornements d'Eglise, & construction d'une Chappelle, pour y dire & chanter la Messe, comme aussi d'employer autres personnes pour deffricher les terres. Je m'embarquay pour aller audit sault, avec le P�re Denis 16 qui estoit arriv� ce mesme jour de Tadoussac, avec ledit sieur du Pont-Grav�.

Note 13: (retour)

Plusieurs d�tails que nous ont conserv�s le Fr�re Sagard et le P. le Clercq, nous font voir comment il faut entendre ce passage. �Apr�s avoir sejourn� deux jours � Tadoussac,� dit celui-ci (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 57), �le R. P. Commissaire destina le P. Jean Dolbeau pour aller devant � Qu�bec, pour y pr�parer toutes choses.� D'apr�s Sagard (Hist. du Canada, p. 24), le m�me P. d'Olbeau, �apr�s avoir sejourn� un jour ou deux � Tadoussac, partit pour Kebec dans la premi�re barque qui se mit � veille, & les autres p�res cinq ou six jours apr�s dans d'autres vaisseaux pour le mesme lieu.� Le P. d'Olbeau serait donc parti de Tadoussac le 27 de mai. D'un autre c�t�, il nous apprend lui-m�me, dans sa lettre au P. Didace David (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 63), qu'il arriva � Qu�bec �seul de religieux le second de Juin.� Les autres, c'est-�-dire, le P. Denis, le P. Joseph et le F. Pacifique, ayant quitt� Tadoussac cinq ou six jours apr�s, durent arriver � l'habitation vers le 8. Cependant, le P. Joseph dut passer � Qu�bec un peu avant le P. Denis, puisque celui-ci, qui en repartit le jour m�me qu'il y �tait arriv�, le rencontra � la rivi�re des Prairies, qui s'en revenait � Qu�bec. Quant � Champlain il y a tout lieu de croire qu'il prit la premi�re barque pr�te, et que par cons�quent il arriva � Qu�bec le 2 de juin avec le P. d'Olbeau: car, d'abord, sa pr�sence y �tait grandement n�cessaire tant pour la direction des travaux, que pour le logement des p�res, et le choix de l'emplacement de la chapelle; en second lieu, on voit qu'il �tait d�j� � Qu�bec depuis quelques jours quand le P. Denis y arriva vers le 8, puisque, le jour m�me de l'arriv�e de ce p�re, il part avec lui pour le saut Saint-Louis, et que d'un autre c�t� il dit lui-m�me �tre demeur� quelque temps � Qu�bec. Il est donc � peu pr�s certain que Champlain arriva � Qu�bec le 2 de juin, et en repartit vers le 8 ou le 10.

Note 14: (retour)

Cette date, suivant nous, doit s'entendre du retour du P. Joseph � Qu�bec, et non pas de son d�part du saut Saint-Louis. En effet, Champlain, qui devait �tre parti de l'habitation vers le 8, comme nous avons vu ci-dessus, pouvait avoir mis huit ou dix jours � monter � la rivi�re des Prairies, et y aurait rencontr� le P. Joseph le 17 ou le 18. Deux jours apr�s, le p�re pouvait �tre � Qu�bec. De plus, Champlain, en descendant, le rencontre de nouveau � la rivi�re des Prairies, et arrive lui-m�me � Qu�bec le 26. Donc le p�re �tait de retour � la rivi�re des Prairies au moins deux jours avant le 26, puisque Champlain ne pouvait gu�res mettre moins de deux jours � descendre. Or il est presque incroyable qu'il e�t pu, du 20 au 24 descendre du saut Saint-Louis � Qu�bec, y r�gler ses petites affaires, et remonter � la rivi�re des Prairies. Enfin, ce qui vient donner encore plus de vraisemblance � cette supposition, c'est que, si le P. Joseph est reparti de Qu�bec le 20 ou au moins le 21 au matin, il a pu c�l�brer la sainte messe � la rivi�re des Prairies le 24, par cons�quent avant que le P. d'Olbeau l'e�t dite � Qu�bec le 25, comme l'affirme le M�moire des R�collets de 1637 (Archives de Versailles), lequel a d� �tre fait sous la dict�e des P�res qui �taient venus au Canada. On y lit entre autres ces mots: �La premi�re messe qui fust jamais dicte en la Nouvelle-France, fut c�l�br�e par eux � la riviere des Prairies, & la seconde � Qu�bec.�

Note 15: (retour)

Champlain dut demeurer � l'habitation cinq ou six jours, c'est-�-dire, depuis le 2 de juin jusque vers le 8. (Voir la note l de la page pr�c�dente.)

Note 16: (retour)

Comme on le voit, le P. Denis part avec Champlain, et non pas avec le P. Joseph. L'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada (t. I, p. 148), apr�s avoir invoqu� le t�moignage de Champlain sur un fait que personne assur�ment ne songera � contester, avance, sans citer aucune autorit� que le P. le Caron, apr�s s'�tre fourni d'ornements d'�glise et d'autres objets, �remonta le fleuve Saint-Laurent avec le P. Denis Jamay, qui, � son tour,� ajoute-t-il, �d�sirait aussi beaucoup de voir les sauvages.� On doit supposer qu'il s'appuie ici sur le P. le Clercq, vu que Sagard ne fait aucune mention de cette circonstance. Mais il restera toujours � expliquer pourquoi l'on met ainsi de c�t� un t�moin oculaire aussi digne de foi que Champlain, pour suivre un auteur qui, �crivant plus de soixante ans apr�s, pouvait se tromper sur des d�tails de cette nature, et qui, apr�s tout, ne donne aucune preuve de ce qu'il affirme. Il est bien vrai que le P. d'Olbeau, qui �tait � Qu�bec dans le moment, dit que �le P. Commissaire & le P. Joseph n'y arresterent pas [� l'habitation], ains vogu�rent le long de la rivi�re�... (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 63); mais cela ne veut pas dire que les deux p�res soient partis ensemble ou dans la m�me barque. Le P. Denis quitta donc Qu�bec vers le 8 de juin (voir note l, page 10), et non pas apr�s que le P. Joseph fut redescendu du saut Saint-Louis, ce qui n'aurait pu �tre qu'apr�s le 20 du m�me mois.

11/499

Quant est des autres Religieux, � s�avoir les P�re Jean, & 12/500Pacifique, ils demeur�rent audit Quebec17 pour accommoder leur Chappelle, & donner ordre � leur logement, lesquels furent grandement �difiez d'avoir veu le lieu tout autrement qu'ils ne s'estoient imaginez, & qui leur augmenta leur z�le.

Note 17: (retour)

� la date du 20 juillet de cette ann�e 1615, le P. Jean d'Olbeau �crivait de Qu�bec au P. Didace David: �... J'arrivay seul de Religieux [� l'habitation] le second de Juin. Les autres y vinrent apr�s selon la commodit�. Le P. Commissaire & le P. Joseph n'y arresterent pas, ains ils voguerent le long de la rivi�re quarante ou cinquante lieues... J'ay presque demeur� toujours seul avec Fr�re Pacifique depuis que nous sommes � terre...� Il continua vraisemblablement � y demeurer jusqu'au mois de d�cembre. �Le P. d'Olbeau,� dit Sagard (Hist. du Canada, p. 26), �tousjours plein de z�le, prit le premier l'essor pour les Montagnais... Il partit le second jour de D�cembre, pour y cabaner, apprendre leur langue, les catechiser, �courir les bois avec eux;... mais la fum�e luy pensa perdre la veue, qu'il n'avoit des-ja guere bonne, & fut plusieurs jours sans pouvoir ouvrir les yeux, qui luy faisoient une douleur extr�me, tellement que dans l'apprehension que ce mal augmentait il fut contraint de les quitter apr�s deux mois de temps, & revenir � l'habitation vivre avec ses fr�res.� Le P. d'Olbeau �tait donc de retour � Qu�bec vers le commencement de f�vrier 1616.

Nous arrivasmes � la riviere des Prairies, cinq lieues au dessous du saut Sainct Louys, o� estoient descendus les Sauvages. Je ne diray point le contentement que re�eurent nos P�res Religieux, non seulement en voyant l'estendue d'un si grand fleuve, remply de plusieurs belles isles, entour� d'un pa�s de costes assez fertiles, comme on peut juger en apparence. Mais aussi pour y voir grande quantit� d'hommes forts & robustes, qui montrent n'avoir l'esprit tant sauvage, comme les moeurs, & qu'ils se l'estoient represent�, comme eux-mesmes le confessoient & ce seulement faute d'estre cultivez, & le tout autrement qu'on ne leur avoit fait entendre. Je n'en feray point la description, renvoyant le Lecteur � ce que j'en ay dit en nos livres pr�c�dents, imprimez en l'an mil six cens quatorze 18.

Note 18: (retour)

C'est dans son �dition de 1613, que Champlain d�crit le plus en d�tail les diff�rentes parties du pays. Il lui semblait probablement qu'il n'y avait qu'un an de tout cela.

Et continuant mon discours nous trouvasmes le P�re Joseph qui s'en retournoit � Qu�bec, comme j'ay dit cy-dessus, pour se pr�parer & prendre ce qui luy estoit necessaire, affin d'aller hyverner dans le pays. Ce que je ne trouvois � propos pour le temps, ains je luy conseillois pour sa commodit� qu'il passast 13/501l'hyver en l'habitation seulement, & que le Printemps venu, il pourroit faire le voyage, au moins durant l'Est�, m'offrant de luy faire compagnie & en ce faisant il ne laisseroit de voir ce qu'il eust peu voir en hyvernant, & retourner parler l'hyver audit Qu�bec, o� il eust eu la fr�quentation ordinaire de ses fr�res, & d'autres personnes qui restoient � l'habitation, � quoy il eust mieux proffit� que de demeurer seul parmy ces peuples, o� � mon advis il ne pouvoit pas avoir beaucoup de contentement: neantmoins pour quelque chose qu'on luy peust faire entendre, dire, & representer, il ne voulut changer de dessein, estant pouss� du z�le de Dieu, & d'affection envers ces peuples, se promettant de leur faire congnoistre leur salut. Et ce qui luy faisoit entreprendre ce dessein estoit, � ce qu'il nous representa, qu'il estoit necessaire qu'il y allast, tant pour mieux recognoistre le naturel des peuples, que pour apprendre plus ais�ment leur langage, & quant aux difficultez qu'on luy representoit debvoir se rencontrer en leur conversation, il s'asseuroit d'y resister, & de les supporter, & de s'accommoder � leurs vivres & incommoditez fort bien, & alaigrement, moyennant la gr�ce de Dieu: de la bont� & assistance duquel il se tenoit certain & asseur�, & que puis qu'il y alloit de son service, & que c'estoit pour la gloire de son nom, & pr�dication de son sainct Evangile, qu'il entreprenoit librement ce voyage, s'asseurant qu'il ne l'abandonneroit jamais en telle d�lib�ration. Et pour ce qui regarde les commoditez temporelles, il falloit bien peu de chose pour contenter un homme qui ne fait profession que d'une 14/502perp�tuelle pauvret�, & qui ne recherche autre chose que le Ciel, non tant pour luy que pour les autres ses Confr�res: n'estant chose convenable � sa reigle d'avoir autre ambition que la gloire de Dieu, s'estant propos� de souffrir & supporter toutes les necessit�s, peines & travaux qui s'offriront pour la gloire de Dieu. Et le voyant pouss� d'un si sainct z�le, & ardante charit�, je ne l'en voulus plus destourner, & partit avec ceste d�lib�ration d'y annoncer le premier le nom de Dieu, moyennant sa saincte gr�ce, ayant un grand contentement que l'occasion se presentast pour souffrir quelque chose pour le nom, & gloire, de nostre Sauveur Jesus-Christ.

Or incontinent que je fus arriv� au sault19, je visitay ces peuples qui estoient fort desireux de nous voir, & joyeux de nostre retour, sur l'esperance qu'ils avoient que nous leur donnerions quelques uns d'entre nous pour les assister en leurs guerres contre leurs ennemis, nous remontrant que mal-ais�ment ils pourroient venir � nous si nous ne les assistions: parce que les Iroquois leurs anciens ennemis, estoient tousjours sur le chemin qui leur fermoient le passage, outre que je leur avois tousjours promis de les assister en leurs guerres, comme ils nous firent entendre par leur truchement. Surquoy ledit sieur du Pont, & moy, advisames20 qu'il estoit tres-necessaire 15/503de les assister, tant pour les obliger d'avantage � nous aymer, que pour moyenner la facilit� de mes entreprises & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit comme un acheminement, & pr�paration, pour venir au Christianisme, en faveur de quoy je me resolu d'y aller recognoistre leurs pa�s, & les assister en leur guerres, afin de les obliger � me faire veoir ce qu'ils m'avoient tant de fois promis.

Note 19: (retour)

Champlain dut arriver au saut Saint-Louis � peu pr�s en m�me temps que le P. Joseph arrivait � Qu�bec, c'est-�-dire, vers le 19 ou le 20 de juin. (Voir ci-dessus, p. 10.)

Note 20: (retour)

Pour cette exp�dition, comme pour celles de 1609 et de 1610, Champlain ne part donc point inconsid�r�ment ou sans r�flexion, comme le donne � entendre Charlevoix (Hist. de la Nouv. France, liv. IV), puisque ce n'�tait qu'apr�s en avoir conf�r� avec Pont-Grav�, qui pouvait, mieux que personne, juger de l'opportunit� de la chose. Les divers motifs qui le d�terminent, et qui se trouvent ici �nonc�s si clairement, ne sont pas non plus l'appas de quelques pelleteries ou une avarice qui le pousse jusqu'� la cruaut�, comme pr�tend le prouver l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada (t. I, p. 136-142). Le lecteur impartial trouvera le contraire en parcourant cette seule relation de 1615, et pourra se convaincre en m�me temps qu'on e�t beaucoup mieux rendu justice � Champlain en donnant un bon r�sum� de ses exp�ditions, et de celle-ci en particulier, qu'en rapprochant des textes pris �a et l�, et cit�s plus ou moins fid�lement, pour faire peser sur un homme aussi estimable les graves soup�ons d'int�r�t personnel et de cruaut�. Quant aux r�sultats que pouvait avoir la conduite de Champlain, il est beaucoup plus facile de les constater apr�s coup, qu'il ne l'�tait alors de pr�voir toutes les chances et les alternatives d'une lutte internationale � laquelle il n'�tait peut-�tre pas possible de ne prendre aucune part. �Il semble aujourd'hui,� dit M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 149), �que la dignit� et les int�r�ts de la France y auraient beaucoup gagn�, si le fondateur de Qu�bec e�t agi comme le firent les Hollandais, et f�t rest� neutre au milieu des dissensions des tribus aborig�nes. Il serait cependant injuste de taxer Champlain de pr�cipitation ou d'imprudence: car nous sommes trop �loign�s de son temps, et trop peu au fait des circonstances dans lesquelles il se trouvait, pour juger s�rement de l'opportunit� de sa d�marche. Plusieurs consid�rations importantes ont d� l'engager dans cette exp�dition. (M. Ferland parle ici de l'exp�dition de 1609 en particulier.) Il voulait se concilier ses voisins imm�diats, qui auraient �t� des ennemis tr�s-redoutables. Ne connaissant ni la puissance ni l'�nergie de la nation iroquoise, il esp�rait l'assujettir, et la forcer � vivre en paix avec les autres peuples du pays. Il ne pouvait pr�voir qu'avant peu ses projets de pacification par la guerre seraient rompus, et que, si la sup�riorit� des armes europ�ennes donnait alors l'avantage aux Fran�ais, qui seuls en �taient pourvus, d'autres Europ�ens, � une �poque assez rapproch�e, en fourniraient aux cinq nations, et qu'alors la lutte deviendrait in�gale.�

Nous les fismes donc tous assembler pour leur dire nos volontez, lesquelles entendues, ils nous promirent de nous fournir deux mil cinq cents hommes de guerre, qui feroient merveilles, & qu'� ceste fin je menasse de ma part le plus d'hommes qu'il me feroit possible. Ce que je leur promis faire, estant fort aise de les voir si bien d�lib�rez. Lors je commen�ay � leur descouvrir les moyens qu'il falloit tenir pour combattre, � quoy ils prenoient un singulier plaisir, avec 16/504demonstration d'une bonne esperance de victoire. Et toutes resolutions prises nous nous separasmes, avec intention de retourner pour l'ex�cution de nostre entreprise. Mais auparavant que faire ce voyage, qui ne pouvoit estre moindre que de trois ou quatre mois, il estoit � propos que je fisse un voyage � nostre habitation pour donner l'ordre requise, pendant mon absence, aux choses necessaires.

Et le ... jour de ... ensuivant 21, je party de l� pour retourner � la riviere des Prairies, o� estant avec deux canaux de Sauvages, je fis rencontre du P�re Joseph, qui retournoit � 22 nostre habitation, avec quelques ornements d'Eglise pour c�l�brer le sainct Sacrifice de la messe, qui fut chant�e 23 sur le bord de ladite riviere avec toute devotion, par le Reverend P�re Denis, & P�re, Joseph, devant tous ces peuples qui estoient en admiration, de voir les c�r�monies dont on usoit, & des ornements qui leur sembloient si beaux, comme chose qu'ils n'avoient jamais veue: car c'estoient les premiers qui y ont c�l�br� la Saincte Messe24.

Note 21: (retour)

Il est probable que Champlain partit du saut le 23 de juin et v�nt coucher � la rivi�re des Prairies, o� la messe dut se chanter le lendemain matin 24, jour de la Saint-Jean-Baptiste. C'est du moins ce qui para�t le plus vraisemblable, quand on a bien examin� toutes les circonstances rapport�es par Champlain lui-m�me, qui �tait sur les lieux, et par le Fr�re Sagard, dont le t�moignage, comme auteur contemporain, doit avoir ici une grande valeur, puisqu'il a v�cu avec plusieurs de ces premiers missionnaires.

Note 22: (retour)

Le contexte montre assez qu'il faut lire: de nostre habitation.

Note 23: (retour)

Cette messe put �tre chant�e en effet, puisqu'il se trouvait l� plusieurs fran�ais, sans compter les deux P�res. Il est tout � fait probable, comme nous l'avons dit dans les notes pr�c�dentes, que ce fut le jour de la Saint-Jean-Baptiste. Alors cette messe aurait �t� en effet la premi�re qui se soit dite en Canada, depuis l'�poque de Jacques Cartier. Champlain ne dit pas qu'il y ait assist�; mais il semble que les d�tails qu'il en donne, le laissent entendre suffisamment; et, quoiqu'il fut extr�mement press�, puisqu'il avait promis d'�tre de retour au saut dans quatre jours, comme il est dit plus loin, il est � croire que sa pi�t� l'aura fait passer par dessus toute consid�ration humaine.

Note 24: (retour)

C'est-�-dire: C'�taient les premiers qui ont c�l�br� la sainte messe chez eux ou dans le pays. Il semble, en effet, que la pens�e de l'auteur, dans ce passage, se reporte moins sur le lieu, que sur �tous ces peuples, qui estoient en admiration, de voir les c�r�monies dont on usoit, & des ornements qui leur sembloient si beaux, comme chose qu'ils n'avoient jamais veue,� et la raison de leur �tonnement, c'est que �c'estoient les premiers qui y ont c�l�br�,� ou qui c�l�braient parmi ces peuples. Du reste, il e�t �t� superflu de faire remarquer que la messe n'avait pas encore �t� dite dans un lieu o� il n'y avait jamais eu d'habitation, et qui n'�tait pas m�me le lieu ordinaire de la traite. Mais une preuve positive que tel doit �tre le sens qu'il faut attacher � cette phrase, c'est que le M�moire des R�collets de 1637 (Archives de Versailles) dit formellement que �la premi�re Messe qui fust jamais dicte en la Nouvelle France, fut c�l�br�e par eux � la riviere des Prairies, & la seconde � Qu�bec.� Il est vrai que le P. d'Olbeau (lettre d�j� cit�e, note 2 de la page 10) affirme de son c�t� avoir dit � Qu�bec �la premi�re Messe qui ait est� dite en ce pays,� et il avait bien quelque raison de le croire, puisqu'il y avait si peu d'apparence que le P. le Caron f�t rendu au saut, ou qu'il se f�t arr�t� en chemin pour la dire. Cependant, tout bien consid�r�, il semble que le M�moire a raison, et que la premi�re messe dite en ce pays, depuis l'�poque de Jacques Cartier, fut c�l�br�e � la rivi�re des Prairies par le P. Commissaire, selon toutes les apparences, et la seconde � Qu�bec, par le P. d'Olbeau.

17/505Pour retourner � la continuation de mon voyage, j'arrivay audit lieu de Qu�bec le 26 o� je trouvay le P�re Jean, & le P�re Pacifique en bonne disposition, qui de leur part firent leur debvoir audit lieu, d'apprester toutes choses. Ils y celebrerent25 la saincte Messe, qui ne s'y estoit encores ditte26, aussi n'y avoit-il jamais est� de Prebstre en ce cost�-l�.

Note 25: (retour)

Dans la bouche d'un th�ologien, cette expression Ils y c�l�br�rent signifierait sans doute que les deux religieux qui �taient � l'habitation y dirent chacun la messe; mais, dans la bouche de Champlain, elle veut dire simplement, qu'ils contribu�rent, chacun selon leur pouvoir, � ce qui �tait n�cessaire pour la c�l�bration du saint sacrifice: de m�me que un peu plus haut, quand il rapporte que �la M�fie fut chant�e... par le Reverend P. Denis, & P. Joseph,� il n'entend pas dire non plus que la messe ait �t� chant�e � deux. Suppos� m�me qu'il ait cru alors que Fr�re Pacifique f�t pr�tre aussi bien que le P. d'Olbeau, ce qui est assez probable, puisque, dans cette relation de 1615, il lui donne le titre de P�re, il ne devait pas vraisemblablement parler avec autant de pr�cision que s'il e�t �t� r�ellement t�moin oculaire; car il ne faut point oublier que Champlain n'�tait pas � Qu�bec le jour qu'on y c�l�brait cette premi�re messe. Or, s'il est possible d'interpr�ter comme nous le faisons cette expression ils y c�l�br�rent, il faut absolument l'entendre ainsi, puisqu'il est prouv�, par des t�moignages clairs et positifs, que Pacifique du Plessis n'�tait que Fr�re lai. (Voir p. 7, note 3.) Comment donc s'expliquer que l'auteur de l'Histoire de la Colonie francise en Canada ait non seulement pris ces mots au pied de la lettre, mais ait cru devoir en fixer le sens d'une mani�re plus pr�cise, en �crivant: ils y celebrerent l'un et l'autre? Car si Champlain, comme la�c, plus vers� dans la science de la navigation que dans la connaissance des ordres religieux ou de la langue th�ologique, est excusable de n'avoir aper�u d'abord aucune diff�rence entre des religieux qui portaient le m�me habit, il n'en est pas de m�me d'un �crivain eccl�siastique, qui a sous les yeux les documents historiques les plus clairs et la rectification de Champlain lui-m�me (�dit. 1632, p. 3, deuxi�me partie). On dira peut-�tre qu'on n'a pas cit� Champlain textuellement en cet endroit. Mais, donner la substance du texte sans indiquer d'autre source, et renvoyer, un instant apr�s, � la page pr�cise o� se trouvent les expressions dont nous parlons, n'est-ce pas dire au lecteur: Pour parler ainsi, je m'appuie sur le t�moignage de Champlain?

Note 26: (retour)

Cette messe, la premi�re dite � Qu�bec depuis sa fondation, fut c�l�br�e le 25 de juin. �Le 25 de Juin,� �crit le P. d'Olbeau lui-m�me � son ami le P. Didace David, �en l'absence du R�v�rend P. Commissaire j'ay c�l�br� la sainte Messe, la premi�re qui ait est� dite en ce pays, dont les habitans sont v�ritablement Sauvages de nom & d'effet.� (Lettre cit�e par le P. le Clercq, Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 62-65.) �Rien ne manqua pour rendre cette action solemnelle, autant que la simplicit� de cette petite troupe d'une Colonie naissante le pouvoit permettre. Le c�l�brant & les assistans tous baignez de larmes par un effet de la consolation int�rieure, que Dieu repandoit dans leurs �mes de voir descendre pour la premi�re fois, le Dieu, & Verbe Incarn� sous les especes du Sacrement dans ces terres auparavant inconnues; s'estant pr�par� par la Confession, ils y receurent le Sauveur par la Communion Eucharistique: le Te Deum y fut chant� au bruit de leur petite artillerie, & parmy les acclamations de joye dont cette solitude retentissoit de toute part, l'on eut dit qu'elle estoit chang�e en un Paradis, tous y invoquans le Roy du Ciel, benissans son saint nom, & appellans � leur secours les Anges tutelaires de ces vastes Provinces, pour attirer ces peuples plus efficacement � la connoissance & adoration du vray Dieu.� (Ibid. p. 60-62.)

18/506Ayant mis ordre � toutes choses, audit Qu�bec, je pris deux hommes avec moy, & m'en retournay � la riviere des Prairies, pour m'en aller avec les Sauvages, & partis de Qu�bec le quatriesme jour de Juillet, & le huictiesme dudit mois estant sur le chemin, je rencontray27 le sieur du Pont, & le P�re Denis, qui s'en revenoient audit Qu�bec, & me dirent que les Sauvages estoient partis bien faschez, de ce que je n'estois all� avec eux, du nombre desquels plusieurs nous faisoient morts, ou prins des Iroquois, d'autant que je ne devois tarder que quatre, ou cinq jours, & neantmoins j'en retarday dix 28. Ce qui faisoit desesperer ces peuples, & mesmes nos Fran�ois, tant ils estoient desireux de nous revoir. Ils me dirent que le 19/507P�re Joseph estoit party29 avec douze Fran�ois qu'on avoit baill� aux Sauvages les assister. Ces nouvelles m'afflig�rent un peu, d'autant que si j'y eusse est�, j'eusse mis ordre � beaucoup de choses pour le voyage, ce que je ne peu pas, tant pour le petit nombre d'hommes, comme aussi pource qu'il n'y en avoit pas plus de quatre ou cinq seulement qui sceussent le maniement des armes, veu qu'en telle entreprise les meilleurs n'y sont pas trop bons. Tout cela ne me fist point pourtant perdre courage � poursuivre l'entreprise, pour l'affection que j'avois de continuer mes descouvertures. Je me separay donc d'avec lesdits sieurs du Pont, & P�re Denis, avec resolution de m'en aller dans les deux canaux qui estoient avec moy, & suivre apr�s nos sauvages, ayans pris les choses qui m'estoient necessaires.

Note 27: (retour)

Ce devait �tre � quelques lieues au-dessus de Sorel, puisque, apr�s avoir quitt� Pont-Grav� et le P. Denis, il fait encore environ six lieues avant de prendre la rivi�re des Prairies.

Note 28: (retour)

C'est-�-dire, qu'il fut � son voyage dix jours de plus qu'il n'avait compt�. Il �tait parti du saut Saint-Louis le 23 ou le 24 de juin, comme nous avons vu (p. 16, note l); par cons�quent, il devait y �tre de retour le 28 ou le 29, et l'on �tait d�j� au 8 de juillet. Il est � remarquer que, sur la nouvelle du d�part des sauvages, il ne remonte pas jusqu'au saut, mais qu'il coupe au plus court, par la rivi�re des Prairies.

Note 29: (retour)

Si le P. le Caron �tait parti d�s le 8 de juillet, il est impossible qu'il ait dit la messe aux Trois-Rivi�res le 26 du m�me mois, comme l'affirme le P. le Clercq (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 66), et apr�s lui M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, 170) et l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada (t. I, p. 149). Si r�ellement la messe fut dite aux Trois-Rivi�res le 26 de juillet, ce fut vraisemblablement par le P. Denis, qui dut en effet y arr�ter en descendant avec Pont-Grav�.

Le 9 dudit mois, je m'embarquay moy troisiesme, � s�avoir l'un de nos truchemens30, & mon homme, avec dix Sauvages, dans lesdits deux canaux, qui est tout ce qu'ils pouvoient porter, d'autant qu'ils estoient fort chargez & embarassez de hardes, ce qui m'empeschoit de mener des hommes d'avantage.

Note 30: (retour)

Probablement �tienne Br�l�, dont il est parl� plus loin dans cette relation.

Nous continuasmes nostre voyage amont le fleuve S. Laurens, quelques six lieues, & fumes par la riviere des Prairies, qui descharge dans ledit fleuve, laissant le sault Sainct Louys cinq ou six lieues plus amont, � la main senestre, o� nous passasmes plusieurs petits sauts par ceste riviere, puis entrasmes dans un lac 31, lequel pass�, rentrasmes dans la 20/508riviere, o� j'avois est� auparavant32, laquelle va, & conduit aux Algommequins, distante du sault Sainct Louys de quatre-vingt neuf 33 lieues, de laquelle riviere j'ay fait ample description en mon precedent livre, & traict� de mes descouvertures, imprim� en l'ann�e mil six cents quatorze 34. C'est pourquoy je n'en parleray point en ce traict�, & continueray mon voyage jusques au lac des Algommequins 35, o� estant, rentrasmes dedans une riviere 36 qui descend dedans ledit lac, & allasmes amont icelle quelque trente-cinq lieues, & passasmes grande quantit� de saults, tant par terre, que par eau, & en un pays mal aggreable, remply de sapins, boulleaux, & quelques chesnes, force rochers, & en plusieurs endroicts un peu montagneux. Au surplus fort desert, & sterille, & peu habit�, si ce n'est de quelques Sauvages Algommequins, appellez Otaguottouemin37, qui se tiennent dans les terres, & vivent de leurs chasses, & pescheries qu'ils font aux rivieres, estangs, 21/509& lacs, dont le pa�s est assez muny. Il est vray qu'il semble que Dieu a voulu donner � ces terres affreuses & d�sertes quelque choses en sa saison, pour servir de rafraichissement � l'homme, & aux habitans de ces lieux. Car je vous asseure qu'il se trouve le long des rivieres si grande quantit� de blues 38, qui est un petit fruict fort bon � manger, & force framboises, & autres petits fruicts, & en telle quantit�, que c'est merveilles: desquels fruicts ces peuples qui y habitent en font seicher pour leur hyver, comme nous faisons des pruneaux en France, pour le Caresme. Nous laissames icelle riviere qui vient du Nort39, & est celle par laquelle les Sauvages vont au Sacquenay pour traicter des Pelleteries, pour du Petun. Ce lieu est par les quarante & six degrez de latitude 40 assez aggreable � la veue, encores que de peu de rapport.

Note 31: (retour)

Le lac des Deux-Montagnes.

Note 32: (retour)

La rivi�re des Algonquins, aujourd'hui l'Outaouais, qu'il avait remont� jusqu'aux Allumettes, en 1613.

Note 33: (retour)

Il est probable qu'il y avait, dans le manuscrit, 8 � 9 lieues, et que le typographe aura lu 89, qu'il aura mis en toutes lettres. Du saut Saint-Louis � l'embouchure de l'Outaouais, il y a en effet huit ou neuf lieues.

Note 34: (retour)

Le cours de l'Outaouais est d�crit par l'auteur dans son �dition de 1613, Quatri�me Voyage.

Note 35: (retour)

Le lac des Algonquins n'est autre chose que le lac des Allumettes. On appelait les Kichesipirini Algonquins de l'Ile, ou Sauvages de l'Ile, et, pour d�signer leur �le et leur lac, on disait l'�le des Algonquins, et le lac des Algonquins. (Voir 1613, p. 320.)

Note 36: (retour)

Depuis cet endroit jusqu'aux Joachims, c'est-�-dire, l'espace d'environ dix lieues, l'Outaouais prend le nom de rivi�re Creuse, au-dessus de laquelle il reste encore vingt ou vingt-cinq lieues � faire avant de prendre la rivi�re Mataouan; ce qui fait � peu pr�s les trente-cinq lieues que compte l'auteur.

Note 37: (retour)

La Relation de 1650 leur donne � peu pr�s le m�me nom avec une terminaison sauvage, Outaoukotouemiouek: �Ce sont peuples qui ne descendent quasi jamais vers les Fran�ois; leur langue est mesl�e de l'Algonquine & de la Montagn�se.� La Relation de 1640, qui les appelle Kotakoutouemi, nous apprend qu'ils demeuraient du c�t� du nord de la rivi�re. �Montant plus haut,� y est-il dit (ch. X), �on trouve les Kichesipirini, les Sauvages de l'Isle, qui ont � cost� dans les terres au Nord les Kotakoutouemi.�

Note 38: (retour)

Bluets. Quoique ce mot n'ait pas trouv� gr�ce aupr�s de l'Acad�mie, au moins dans l'acception qu'il a ici, on le trouve employ� dans la plupart des auteurs qui ont �crit sur le Canada, et en particulier dans le P. de Charlevoix, qui lui consacre un article sp�cial dans sa Description des Plantes de l'Am. Sept. XCIII, sous le titre de BLUET DU CANADA, Vitis idoea Canadensis, Myrti folio. Les botanistes d'aujourd'hui rapportent les diverses esp�ces de Bluets au genre Vaccin�um.

Note 39: (retour)

� cet endroit o� l'on prend la rivi�re Mataouan pour gagner le lac Nipissing, l'Outaouais vient en effet du Nord; mais, depuis sa source jusqu'� quelques lieues de la, il vient du nord-ouest, ou � peu pr�s. Du lac T�miscaming, ou des diff�rentes sources de l'Outaouais, on peut, comme le remarque Champlain, aller rejoindre la t�te du Saint-Maurice, et de l� passer � la rivi�re Chomouchouan, qui va tomber dans le lac Saint-Jean.

Note 40: (retour)

La latitude du lieu o� la rivi�re Mataouan se jette dans l'Outaouais, est d'environ 46� 18'. On ne peut gu�res s'expliquer, que par l'imperfection de ses instruments, comment Champlain peut trouver ici une hauteur si faible, quand deux ans auparavant, il avait plac� l'�le des Allumettes au quarante-septi�me degr�.

Continuant nostre chemin par terre, en laissant ladite riviere des Algommequins, nous passames par plusieurs lacs, o� les sauvages portent leurs canaux jusques � ce que nous entrasmes dans le lac des Nipisierinij, par la hauteur de quarante-six 22/510degrez & un quart de latitude. Et le vingt-sixiesme jour dudit mois41, apr�s avoir fait, tant par terre que par les lacs vingt-cinq lieues, ou environ. Ce faict nous arrivasmes aux cabannes des Sauvages, o� nous sejournasmes deux jours avec eux. Ils nous firent fort bonne r�ception, & estoient en bon nombre: Ce sont gens qui ne cultivent la terre que fort peu. A. vous montre l'habit de ces peuples allant � la guerre. B. celuy des femmes, qui ne diffaire en rien de celuy des montaignairs, & Algommequins grands peuples & qui s'estendent fort dans les terres 42.

Note 41: (retour)

Le 26 de juillet. Toute cette phrase, �videmment, doit se rattacher � la pr�c�dente.

Note 42: (retour)

Voir les figures indiqu�es par les lettres A et B.

Durant le temps que je fus avec eux, le Chef de ces peuples, & autres des plus anciens, nous festoyerent en plusieurs festins, selon leur coustume, & m'estoient peine 43 d'aller pescher & chasser, pour nous traicter le plus d�licatement qu'ils pouvoient. Ces dicts peuples estoient bien en nombre de sept � huict cent ames, qui se tiennent ordinairement sur le lac, o� il y a grand nombre d'isles fort plaisantes, & entr'autres une qui a plus de six lieues de long, o� il y a 3 ou 4 beaux estans, & nombre de belles prairies, avec de tresbeaux bois qui l'environnent, o� il y a abondance de gibier, qui se retirent dans cesdits petits estangs, o� les Sauvages y prennent du poisson. Le cost� du Septentrion dudict lac est fort agr�able, il y a de belles prairies pour la nourriture du bestail, & plusieurs petites rivieres qui se deschargent dans iceluy lac.

Note 43: (retour)

Mettaient peine, prenaient la peine de.

Ils faisoient lors pescherie dans un lac fort abondant de 23/511plusieurs sortes de poisson, entr'autres d'un tresbon, qui est de la grandeur d'un pied de long, comme aussi d'autres especes, que les sauvages peschent pour faire seicher, & en font provision. Ce lac44 a en son estendue quelque huict lieues de large, & vingt-cinq de long, dans lequel descend une riviere45 qui vient du Norouest, par o� ils vont traicter les marchandises que nous leur donnons en troque, & retour de leur Pelletries, & ce avec ceux qui y habitent 46, lesquels vivent de chasse, & de pescheries, pays peupl� de grande quantit�, tant d'animaux, qu'oyseaux, & poissons.

Note 44: (retour)

Ici l'auteur parle encore du lac Nipissing, qu'il fait cependant un peu trop long.

Note 45: (retour)

La rivi�re aux Esturgeons. Elle vient plut�t du nord, que du nord-ouest; mais elle se jette dans le lac Nipissing du c�t� du nord-ouest, et sert de d�charge au lac Tamagaming, qui semble avoir �t� la demeure des Outimagami. (Voir la note suiv.)

Note 46: (retour)

�Les Nipissiriniens,� dit la Relation de 1640 (ch. X), �ont au Nord les Timiscimi, les Outimagami, les Ouachegami, les Mitchitamou, les Outurbi, les Kiristinon, qui habitent sur les rives de la mer du Nord, o� les Nipissiriniens vont en marchandise.�

Apr�s nous avoir repos� deux jours avec le chef desdits Nipisierinij: nous nous rembarquasmes en nos canaux, & entrames dans une riviere47, par o� ce lac se descharge, & fismes par icelle quelques trente-cinq lieues & descendismes par plusieurs petits saults, tant par terre, que par eau, jusques au lac Attigouautan48. Tout ce pa�s est encores plus mal-aggreable que le pr�c�dent, car je n'y ay point veu le long d'iceluy dix arpens de terre labourable, sinon rochers, & pa�s aucunement montagneux. Il est bien vray que proche du lac des Attigouautan nous trouvasmes des bleds d'Inde, mais en petite quantit�, o� nos Sauvages furent prendre des sitrouilles qui nous semblerent 24/512bonnes, car nos vivres commen�oient � nous faillir, par le mauvais mesnage desdits Sauvages, qui mang�rent si bien au commencement, que sur la fin il en restoit fort peu, encores que ne fissions qu'un repas le jour. Il elt vray, comme j'ay dit cy-dessus, que les blues, & framboises ne nous manqu�rent en aucune fa�on, car autrement nous eussions est� en danger d'avoir de la necessit�.

Note 47: (retour)

La rivi�re des Fran�ais.

Note 48: (retour)

Le lac Huron. Attigouautan, ou Attignaouantan, �tait le nom d'une des plus consid�rables tribus huronnes, la tribu de l'Ours, qui �tait la plus voisine du lac. (Relations des J�suites; Sagard.)

Nous fismes rencontre de 300 hommes d'une nation que nous avons nommez les cheveux relevez 49, pour les avoir fort relevez, & agencez, & mieux peignez que nos courtisans, & n'y a nulle comparaison, quelque fers, & fa�on qu'ils y puissent apporter. Ce qui semble leur donner une belle apparence. Ils n'ont point de brayer, & sont fort decouppez par le corps, en plusieurs 25/513fa�ons de compartiment: Ils se paindent le visage de diverses couleurs, ayants les narines perc�es, & les oreilles bord�es de patinostres. Quand ils sortent de leurs maisons ils portent la massue, je les visitay & familiarisay quelque peu, & fis amiti� avec eux. Je donnay une hache � leur Chef, qui en fut aussi content, & resjouy, que si le luy eusse fait quelque riche pr�tent, & communiquant avec luy, je l'entretins sur ce qui estoit de son pa�s, qu'il me figura avec du charbon sur une escorce d'arbre. Il me fist entendre qu'ils estoient venus en ce lieu pour faire secherie de ce fruict appelle blues, pour leur servir de manne en hyver, & lors qu'ils ne trouvent plus rien. A. C. montre de la fa�on qu'ils s'arment allant � la guerre. Ils n'ont pour armes que l'arc, & la flesche, mais elle est faite en la fa�on que voyez d�painte, qu'ils portent ordinairement, & une rondache de cuir boullu50, qui est d'un animal comme le bufle.

Note 49: (retour)

Le nom huron de ces sauvages �tait Andatahouat (Sagard, Hist. du Canada, p. 199), ou Ondataouaouat (Relat. des J�suites). Sagard, dans son Dictionnaire de la langue huronne, nous donne de plus les noms des trois nations qui en d�pendaient, les Chis�rhonon, les Squierhonon et les Hoindarhonon; c'�taient probablement autant de tribus d'une m�me nation. Mais il est � remarquer que le nom de Cheveux-Relev�s n'est point la traduction du mot Ondatahouat, Ondata ou Onnhata, en huron, signifie bois; et il est tout � fait probable que la nation de Bois, ou les gens de bois, dont parle Sagard (Hist. du Canada, p. 197), sont les Andatahouat m�mes. �Ils sont,� dit-il, en parlant de ces gens de bois, �d�pendants des cheveux relevez & comme une mesme nation.� Du mot Ondatahouat, s'est form� Outaouat, ou Outaouais, nom sous lequel on a d�sign� plus tard tous les Algonquins Sup�rieurs. Ces Cheveux-Relev�s ne demeuraient point � l'embouchure de la rivi�re des Fran�ais, o� Champlain les rencontre ici; puisque, comme il est dit un peu plus loin, �ils estoient venus en ce lieu pour faire pescherie de blues�; et, quelques ann�es plus tard, lorsque Sagard suit la m�me route, il trouve au m�me endroit ces m�mes Cheveux-Relev�s, �qui s'estoient venus camper, dit-il, proche la mer douce, � dessein de traicter avec les Hurons & autres qui retournoient de la traicte de Kebec.� O� �tait donc la demeure de ces peuples? Champlain, dans sa grande carte de 1632, les place � l'ouest de la nation du Petun; ce qui porterait � croire qu'ils occupaient cette longue pointe qui s'avance dans l lac Huron vers les iles de Manitoualin. D'un autre c�t�, la Relation de 1640 place dans ces �les m�mes les Outaouan, �peuples venus de la nation des Cheveux-Relev�s.� Ce qui est d'accord avec la Relat. de 1671, o� il est dit (ch. II, art. III), que l'�le d'Ekaentouton (Manitoualin) �tait l'ancien pays des Outaouais; et avec Nicolas Perrot, qui appelle cette �le, l'ile des Outaouaks (M�moire publ. par le P. Tailhan, p. 126). Si l'on fait attention que l'�le de Manitoualin n'est pas figur�e dans la carte de Champlain, et que la mer Douce y est pos�e en longueur de l'est � l'ouest, tandis qu'elle est nord-ouest sud-est, on trouvera que la place assign�e, dans cette carte, aux Cheveux-relev�s, n'est pas en contradiction avec les textes que nous avons rapport�s, ou du moins ne prouve pas que les Outaouais n'aient point habit� cette �le, m�me � cette �poque.

Note 50: (retour)

Cuir bouilli.

Le lendemain nous nous separasmes, & continuasmes nostre chemin le long du rivage de ce lac des Attigouautan, o� il y a un grand nombre d'isles, & fismes environ 45 lieues, costoyant tousjours cedit lac. Il est fort grand, & a pr�s de quatre cent 51 lieues de longueur, de l'Orient � l'Occident, & de large cinquante lieues, & pour la grande estendue d'iceluy, je l'ay nomm� la Mer douce. Il est fort abondant en plusieurs especes 26/514de tr�s-bons poissons, tant de ceux que nous avons, que de ceux que n'avons pas, & principalement des Truittes qui sont monstrueusement grandes, en ayant veu qui avoient jusques � quatre pieds & demy, & les moindres qui se voyent sont de deux pieds & demy. Comme ausi des Brochets au semblable, & certaine mani�re d'Esturgeon, poisson fort grand, & d'une merveilleuse bont�. Le pays qui borne ce lac en partie est aspre du cost� du Nort, & en partie plat, & inhabit� de Sauvages, quelque peu couvert de bois, & de chesnes: Puis apr�s nous traversames une baye52 qui faict une des extremitez du lac, & fismes quelques sept lieues 53, jusques � ce que nous arrivasmes en la contr�e des Attigouautan54, � un village appell� Otouacha55, qui fut 27/515le premier jour d'Aoust, o� trouvasmes un grand changement de pa�s, cestuy-cy estant fort beau, & la plus grande partie desert�, accompagn� de force collines, & de plusieurs ruisseaux, qui rendent ce terroir aggreable. Je fus visiter leurs bleds d'Inde, qui estoient pour lors fort avancez pour la saison.

Note 51: (retour)

C'est � peu pr�s trois fois la longueur que Champlain lui-m�me donne � ce lac dans sa grande carte de 1632, o� cependant il le fait d�j� double de ce qu'il est r�ellement. Il est possible qu'il ait appr�ci� la longueur de la mer Douce sur le nombre de journ�es de canots que comptaient les sauvages depuis le pays des Hurons jusqu'au fond du lac Michigan, ou du lac Sup�rieur, ou m�me dans les deux r�unis.

Note 52: (retour)

La baie de Matchidache, qui, avec celle de Nataouassaga, fait l'extr�mit� m�ridionale dela baie G�orgienne.

Note 53: (retour)

Ces sept lieues doivent s'entendre de la traverse m�me de la baie de Matchidache; autrement il est impossible de rien comprendre � tout ce qui suit. Nous devons dire ici, une fois pour toutes, que, pour l'intelligence de la carte du pays huron, o� Champlain aborde en ce moment, nous sommes redevables � M. le chevalier Tach� d'une foule de d�couvertes et d'observations extr�mement importantes, sans lesquelles une grande partie de ce voyage de 1615 serait rest�e incomprise.

Note 54: (retour)

La contr�e des Attignaouantans, ou des Ours, s'�tendait � l'est et au nord-est de la baie de Nataouassaga, et se composait principalement de la presqu'�le qui s�pare cette baie de celle de Matchidache. Apr�s cette traverse de sept lieues, dont nous parlons dans la note pr�c�dente, nos voyageurs devaient naturellement aborder � la baie du Tonnerre, comme font et ont toujours fait ceux qui, de la c�te nord du lac, viennent aborder au pays des Hurons; parce que, comme nous le faisait observer M. Tach�, cette baie est un petit port naturel et de facile d�barquement, et que c'�tait alors le point de cette c�te le plus voisin d'un emplacement de bourgade, d'apr�s les recherches faites jusqu'� ce jour.

Note 55: (retour)

Otouacha est probablement le m�me que Toenchain, ou Toanch�. C'est vers cette bourgade que le P. le Caron dit la premi�re messe au pays des Hurons (Sagard, Hist. du Canada, p. 224). Ce fut l� aussi que vint aborder, en 1634, le P. de Brebeuf. �Je pris terre, dit-il, au port du village de Toanch�, ou de Teandeou�ata, o� autresfois nous estions habituez; mais ce fut avec une petite disgrace... Mes sauvages, apr�s m'avoir d�barqu�,... m'abandonn�rent l� tout seul... Le mal estoit que le village de Toanch� avoit chang� depuis mon d�part... Je m'en allay chercher le village, que je rencontray heureusement environ � trois quarts de lieue, ayant en passant veu avec attendrissement & ressentiment le lieu o� nous avions habit�, & c�l�br� le S. sacrifice de la Messe trois ans durant, converty en un beau champ, comme aussi la place du vieux village...� (Relat. de ce qui s'est pass� aux Hurons en l'ann�e 1635). On voit par ce passage du P. de Brebeuf, que le village de Toanch� �tait � un peu moins de trois quarts de lieue du port, et l'on trouve en effet, d'apr�s M. Tach�, � environ un mille de la baie du Tonnerre, les restes de ce qui devait �tre le premier Toanch� ou Otouacha.

513a

Ces lieux me semblerent tres-plaisans, au regard d'une si mauvaise contr�e, d'o� nous venions de sortir. Le lendemain 56, je feus � un autre village appell� Carmaron 57, distant d'iceluy d'une lieue, o� ils nous re�eurent fort aimablement, nous faisant festin de leur pain, sitrouilles, & poisson: pour la viande, elle y est fort rare. Le Chef du dit Village me pria fort d'y sejourner, ce que je ne peu luy accorder, ains m'en retournay � nostre Village, o� la deuxiesme nuit comme j'estois all� hors la cabanne pour fuir les puces qui y estoient en grande quantit�, & dont nous estions tourmentez: une fille peu honteuse, & effront�ment vint � moy, s'offrant � me faire 28/516compagnie, dequoy je la remerciay, la renvoyant avec douces remonstrances, & passay la nuict avec quelques Sauvages.

Note 56: (retour)

Le 2 d'ao�t.

Note 57: (retour)

Le nom de ce village �tait �videmment huron, comme le donne � entendre cette expression �appel� Carmaron.� Cependant, la langue huronne n'ayant pas de labiales, on est en droit de supposer, ou que Champlain aura exprim� par cette orthographe ce qui paraissait approcher davantage du mot huron, ou bien que le typographe aura mal lu le manuscrit de l'auteur. Dans le premier cas, il faudrait vraisemblablement lire Carouaron; puisque les Hurons ne trouvaient rien de mieux, pour rendre la lettre m, que la diphthongue ou, et l'on sait que, dans leur bouche, les mots Marie, Lemoine, devenaient Ouarie, Ouane. Dans le second cas, le mot tel que Champlain l'aurait �crit, pourrait bien �tre Cannaron; ce qui vient donner plus de vraisemblance � cette supposition, c'est que, � une petite distance d'Otouacha, et � peu pr�s dans la direction que devait naturellement prendre Champlain pour p�n�trer plus avant dans le pays, se trouvait une bourgade remarquable, appel�e, d'apr�s les Relations, Kontarea, mot qui pourrait s'�crire Conndarea ou simplement Connarea. Il va sans dire, ici, que nous n'avons point d'autre pr�tention que celle de sugg�rer une id�e � ceux qui s'occupent de l'histoire de cette contr�e si pleine de souvenirs.

Le lendemain 58, je party de ce Village, pour aller � un autre, appell� Touaguainchain59, & � un autre appell� Tequenonquiaye60, esquels nous fusmes re�eus des habitans desdits lieux fort amiablement, nous faisant la meilleure ch�re qu'ils pouvoient de leurs bleds d'Inde en plusieurs fa�ons, tant ce pays est tresbeau, & bon, par lequel il faict beau cheminer.

Note 58: (retour)

Probablement le 3 d'ao�t.

Note 59: (retour)

D'apr�s les pers�v�rantes recherches de M. Tach�, ce village devait �tre quelques milles � l'ouest de Carmaron, et Carmaron lui-m�me � environ une demi-lieue vers le sud-ouest de Ouenrio, ou du fond de la baie de P�n�tangouchine. Il serait donc possible que Touaguainchain f�t le nom sauvage du bourg de Sainte-Madeleine, dont il est parl� dans les Relations de 1640 et de 1648, et qui, autant qu'on en peut juger par la carte de Ducreux, devait �tre dans ces environs.

Note 60: (retour)

Ce village, qui �tait comme la capitale des Attignaouantans, a port� cinq ou six noms diff�rents. �Mon sauvage & moy avec un autre,� dit Sagard (Hist. du Canada, p. 208), �tinsmes le chemin de Tequeunonkiaye, autrement nomm� Quieuindohian, par quelques Fran�ois la Rochelle, & par nous la ville de sainct Gabriel, pour estre la premi�re ville du pays dans laquelle je fois entr�, elle est aussi la principale, & comme la gardienne & le rempart de toutes celles de la Nation des Ours, & o� se d�cident ordinairement les affaires de plus grande importance. Ce lieu est assez bien fortifi� � leur mode, & peut contenir environ deux ou trois cens mesnages, en trente ou quarante cabanes qu'il y a.� Quelques ann�es apr�s, La Rochelle portait le nom d'Ossossan�, et les P�res J�suites y �tablissaient une mission et une r�sidence sous le titre de l'Immacul�e-Conception. Cette bourgade a donc port� les diff�rents noms sauvages de Tequeunonkiaye, de Quieuindohian et d'Ossossan�, sans compter les noms fran�ais de La Rochelle, de Saint-Gabriel et de La Conception. Elle �tait, de toutes celles de la nation des Ours, �la plus proche voisine des Hyroquois� (Sag. ibid. p. 214), et � environ quatre lieues d'Otouacha, ou, si l'on veut, de la baie du Tonnerre, par cons�quent � deux bonnes lieues plus au sud que Carmaron.

De l�, je me fis conduire � Carhagouha61, ferm� de triple pallissade de bois, de la hauteur de trente cinq pieds pour leur deffence & conservation: auquel Village estoit le P�re 29/517Joseph demeurant, & que nous y trouvasmes, estant fort aise de le voir en sant�, ne l'estant pas moins de sa part, qui n'esperoit rien moins que de me veoir en ce pa�s. Et le 12e jour d'Aoust, le R. P. c�l�bra la saincte Messe62, & y fut plant� une Croix proche d'une petite maisonnette 63, separ�e du village que les Sauvages y bastirent pendant que j'y sejournay64, en attendant que nos gens s'apprestoient, & se preparoient pour aller � la guerre, � quoy ils furent fort longtemps.

Note 61: (retour)

Carhagouha ne devait pas �tre � une grande distance du point o� l'auteur avait abord�; car, pour qu'il y e�t quatorze lieues de Carhagouha jusqu'au point le plus �loign� du pays huron, il fallait que ce village f�t situ� vers le nord de la contr�e des Attignaouantans. C'est ce que prouve du reste ce passage de Sagard; �Auparavant nous, ny Prestres, ny Religieux n'y avoit mis le pied que le seul P. Joseph le Caron, qui y dit la premi�re messe vers la bourgade de Toenchain� [ou Otouacha]. (Hist. du Canada, p. 224.)

Note 62: (retour)

Le M�moire des R�collets de 1637 (Archives de Versailles) dit que la messe fut c�l�br�e dans ce village le 10 d'ao�t, et qu'au dit lieu la messe ne s'�tait point encore dite. Il est difficile de savoir qui a raison; cependant, cette relation d�taill�e et suivie que Champlain publie peu de temps apr�s les �v�nements, semble m�riter plus d'attention, qu'un m�moire fait plus de vingt ans apr�s et dans lequel une date n'�tait pas absolument d'une grande importance. Cette messe n'�tait pas la premi�re dite au pays des Hurons, si l'on en croit le Fr�re Sagard, qui assure que le P. le Caron �dit la premi�re Messe vers la bourgade de Toenchain.� (Hist. du Canada, p. 224.)

Note 63: (retour)

Ce fut l� la premi�re chapelle construite au pays des Hurons; celle de 1623 �tait la seconde (Hist. du Canada, p. 224), et celle des J�suites, en 1635, fut la troisi�me.

Note 64: (retour)

Champlain �tait arriv� � Carhagouha vers le 4 ou le 5, et il n'en repartit que le 14; il y demeura donc une dizaine de jours.

Et voyant une telle longueur qu'ils apportoient � faire leur gros, & que j'aurois du temps pour visiter leur pays: je me deliberay de m'en aller � petites journ�es de village en village � Cahiagu�65, ou debvoit estre le rendez-vous de toute l'arm�e, distant de Carhagouha de quatorze lieues, & partismes de ce Village le 14 d'Aoust, avec dix de mes compagnons.

Note 65: (retour)

Cahiagu� est �videmment le nom huron de Saint-Jean-Baptiste, qui, suivant les Relations, �tait le bourg principal des Arendaronons, ou tribu de la Roche. �Les Arendaronons sont une des quatre nations qui composent ceux qu'� proprement parler on nomme Hurons: elle est la plus Orientale de toutes, & est celle qui la premi�re a d�couvert les Fran�ois, & � qui en suite appartenoit la traitte selon les loix du pays. Ils en pouvoient jouir seuls, neantmoins ils trouverent bon d'en faire part aux autres nations, se retenant toutefois plus particuli�rement la qualit� de nos aliez, & se portans en cette consideration � la protection des Fran�ois, lors que quelque malheur est arriv�. C'est o� feu monsieur de Champlain s'arresta plus long temps au voyage qu'il fit icy haut, il y a environ 22 ans, & o� sa r�putation vit encore dans l'esprit de ces peuples barbares, qui honorent mesme apr�s tant d'ann�es plusieurs belles vertus qu'ils admiroient en luy, & particuli�rement sa chastet� & continence envers les femmes... Cette alliance si particuliere que ces peuples Arendaronons ont avec les Fran�ois nous avoit souvent donn� la pens�e de leur aller communiquer les richesses de l'Evangile, mais le deffaut de langue nous avoit tousjours empesch� de pousser jusques l�, nous estant trouvez engagez de premier abord � nostre premi�re demeure, qui estoit situ�e � l'autre extr�mit� du pays toute oppos�e. Cette ann�e nous estant trouvez assez forts pour cette entreprise, nous y avons commenc� une mission, qui a eu dans son ressort trois bourgs: de S. Jean Baptiste, de S. Joachim, & de Saincte Elizabeth. Les P�res Antoine Daniel & Simon le Moine en ont eu le soin. Ils firent leur premi�re demeure & la plus ordinaire dans le bourg plus peupl� de S. Jean Baptiste, y ayant plus � travailler.� (Relat. du pays des Hurons, 1639-40, ch. IX.)

30/518Je visitay cinq des principaux Villages 66, fermez de pallissades de bois, jusques � ce qu'� 67 Cahiagu�, le principal Village du pa�s, o� il y a deux cents cabannes ass�s grandes, o� tous les gens de guerre se debvoient assembler. Or en tous ces Villages ils nous re�eurent fort courtoisement avec quelque humble accueil. Tout ce pays o� je fus par terre contient quelque 20 � 30 lieues, & est tr�s-beau, soubs la hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, pays fort desert�, o� ils sement grande quantit� de bleds d'Inde, qui y vient tr�s-beau, comme aussi des sitrouilles, herbe au Soleil, dont ils font de l'huille de la graine: de laquelle huille ils se frottent la teste. Le pays est fort travers� de ruisseaux qui se deschargent dedans le lac. Il y a force vignes & prunes, qui sont tresbonnes, framboises, fraises, petites pommes sauvages, noix & une mani�re de fruict, qui est de la forme, & couleur de petits citrons, & en ont aucunement le goust, mais le dedans est tresbon, est presque semblable � celuy des 31/519figues. C'est une plante qui les porte, laquelle � la hauteur de deux pieds & demy, chacune plante n'a que trois � quatre feuilles pour le plus, & de la forme de celle du figuier, & n'aporte que deux pommes chacun pied. Il y en a quantit� en plusieurs endroits, & en est le fruict tresbon, & de bon goust68: les chesnes, ormeaux, & hestres, y sont en quantit�, y ayans dedans ce pays force sapinieres, qui est la retraicte ordinaire des perdrix, & lapins. Il y a aussi quantit� de cerises petites & merises, & les mesmes especes de bois que nous avons en nos forests de France, sont en ce pays-l�. A la v�rit� ce terroir me semble un peu sablonneux, mais il ne laisse pas d'estre bon pour cet espece de froment. Et en ce peu de pays j'ay recogneu qu'il est fort peupl� d'un nombre infiny d'ames, sans en ce comprendre les autres contr�es, o� je n'ay pas est�, qui sont, au rapport commun, autant ou plus peupl�es, que ceux cy-dessus: Me representant que c'est grand dommage que tant de pauvres cr�atures vivent, & meurent sans avoir la cognoissance de Dieu, & mesmes sans aucune Religion ny Loy, soit divine, Politique, ou Civille, establie parmy eux. Car ils n'adorent, & ne prient, aucune chose, du moins en ce que j'ay peu recognoistre en leur conversation: Ils ont bien encore quelque espece de c�r�monie entr'eux, que je descriray en son lieu, comme pour ce qui est des mallades, ou pour s�avoir ce 32/520qui leur doibt arriver, mesme touchant les morts: mais ce sont de certains personnages estans parmy eux qui s'en veulent faire � croire, tout ainsi que faisoient, ou se faisoit du temps des anciens Payens qui se laissoient emporter aux persuasions des enchanteurs, & devins, neantmoins la pluspart de ces peuples ne croyent rien de ce qu'ils font, & disent. Ils sont assez charitables entr'eux, pource qui est des vivres: mais au reste, fort avaricieux. Ils ne donnent rien pour rien. Ils sont couverts de peaux de Cerfs, & Castor, qu'ils traictent avec les Algommequins, & Nipisierinij, pour du bled d'Inde, & farines d'iceluy.

Note 66: (retour)

Ces cinq principaux villages palissad�s �taient presque tous situ�s sur la fronti�re du c�t� des Iroquois. A part Tequenonkiaye et Carhagouha, qu'il venait de visiter, il dut passer par Scanonahenrat, qui formait � lui seul la nation des Tohontahenrat, et par Teanaustaya�, chef-lieu des Attignenonghac. L'auteur compte sans doute Cahiagu� pour le cinqui�me; car, en passant par Teanaustay�, il devait naturellement laisser de c�t� Taenhatentaron, appel� plus tard Saint-Ignace, qui �tait � deux bonnes lieues plus au nord, et qui compl�te le nombre de villages palissad�s que compte Champlain lui-m�me un peu plus loin.

Note 67: (retour)

Dans l'�dition de 1632, on a corrig� en mettant simplement: jusques � Cahiagu�.

Note 68: (retour)

Le fruit de cette plante (Podophyllum peltatum, LINN.), que l'on appelle citronnier, dans le pays, est bon � manger; mais la racine est un poison violent, dont les sauvages se servaient quelquefois quand ils ne pouvaient survivre � leur chagrin. (Catal. des Plantes Canad. contenues dans l'herbier de l'Univ. Laval, par l'abb� O. Brunet, prem. livraison, p. 15.)

Le dixseptiesme jour d'Aoust j'arrivay � Cahiagu�, o� je fus re�eu avec grande alegresse, & recognoissance de tous les Sauvages du pays, qui avoient rompu leur desseing, pensant ne me revoir plus, & que les Iroquois m'avoient pris, comme j'ay dict cy-dessus, qui fut cause du grand retardement qui se trouva en ceste exp�dition, jusques l� mesmes qu'ils avoient remis la partie � l'autre ann�e suivante: Sur lesquelles entrefaictes ils re�eurent nouvelles comme certaine nation de leurs alliez 69, qui habitent � trois bonnes journ�es plus 33/521haut que les Entouhonorons70, ausquels71 les Iroquois font aussi la guerre, lesquels aliez les vouloient assister en ceste expedition de cinq cens bons hommes, & faire alliance, & jurer amiti� avec nous, ayants grand desir de nous voir, & que nous fissions la guerre tous ensemble, & dont ils tesmoignoient avoir du contentement de nostre cognoissance, & moy d'avoir trouv� cette opportunit�, pour le desir que j'avois de s�avoir des nouvelles de ce pays-l�: qui n'est qu'� sept journ�es, d'o� les Flamens vont traicter sur le quarentiesme degr�, lesquels Sauvages72, assistez des Flamens, leur font la guerre, & les prennent prisonniers, & les font mourir cruellement, comme de faict ils nous dirent que l'ann�e pass�e faisant la guerre, ils prirent trois desdicts Flamens qui les assistoient, comme nous faisons les Attigouautan: & qu'au combat, il en fut tu� un des leurs. Neantmoins ils ne laisserent pas de renvoyer les trois Flamens prisonniers, sans leur faire aucun mal, croyans que ce fussent des nostres, encores qu'ils n'eussent aucune cognoissance de nous, que par o�y dire, n'ayans jamais veu de Chrestien: car autrement ces trois prisonniers n'eussent pas pass� � si bon march�, ny ne passeront, s'ils en peuvent prendre, & atraper. Ceste nation est fort belliqueuse, � ce que 34/522tiennent ceux de la nation des Attigouotans, il n'y a que trois Villages qui sont au millieu de plus de 20 autres, ausquels ils font la guerre, ne pouvant avoir de secours de leurs amis, d'autant qu'il faut passer par le pays [de] ces Chouontouarouon73, qui est fort peupl�, ou bien faudroit prendre un bien grand tour de chemin.

Note 69: (retour)

Champlain, dans sa grande carte de 1632, les appelle Carantouanais. �C'est une nation,� dit-il (Table de la carte, p. 8), qui s'est retir�e au Midy des Antouhonorons, en tr�s beau & bon pa�s, o� ils sont fortement logez, & sont amis de toutes les autres nations, fors desdits Antouhonorons, desquels ils ne sont qu'� trois journ�es.� Ce nom de Carantouanais n'�tait probablement que le nom particulier ou d'une tribu, ou d'un village de la nation des Andastes, ou Andasto�ronons. �Andasto�,� dit le P. Ragueneau (Rel. des Hurons, 1647-8, ch. VIII), �est un pays au del� de la Nation Neutre, �loign� des Hurons en ligne droite pr�s de cent cinquante lieues, au Sud-est quart de Sud des Hurons... Ce sont peuples de langue Huronne, & de tout temps alliez de nos Hurons. Ils sont tr�s-belliqueux, & comptent en un seul bourg treize cens hommes portans armes...� Plusieurs europ�ens �s'estans mis sous la protection du Roy de Su�de, ont appell� ce pays-l� Nouvelle Su�de. Nous avions jug� autrefois que ce fust une partie de la Virginie.� De ce qui pr�c�de, et de l'examen attentif des cartes anciennes, on peut conclure que les Carantouanais, ou Andastes, s'�taient �tablis assez pr�s de la rivi�re Susquehanna, vers le sud-est de la Pensylvanie. C'est aussi l'opinion de M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 174).

Note 70: (retour)

Ces Entouhonorons, que l'auteur appelle un peu plus loin Chouontouaronons sont les m�mes que les Sountouaronons ou Tsountouaronons, appel�s plus souvent Tsonnontouans.

Note 71: (retour)

Auxquels ali�s; car, d'apr�s Champlain lui-m�me (Table de la carte de 1632, p. 8), les Entouhonorons, conjointement avec les Iroquois proprement dits, �faisoient la guerre par ensemble � toutes les autres nations, except� � la nation Neutre. �

Note 72: (retour)

Les Iroquois, et tr�s-probablement les Agniers, avec lesquels les Andastes eurent souvent des d�m�l�s.

Note 73: (retour)

Faut-il ici suppl�er de, et lire de ces Chouontouaronon? ou bien mettre tout bonnement des � la place de ces, comme on a fait dans l'�dition de 1632? Nous osons croire que le premier mode de correction vaut mieux; parce que le mot Chouontouaronon est l'�quivalent de Entouhoronon. Il est bien �vident, en effet que Chouontouaronon, Souontouaronon, Sountouaronon, Tsountouaronon, ne sont que des orthographes diff�rentes du nom des Tsonnontouans, que Champlain appelle Entouhonorons, ou plut�t Entouhoronons. D'ailleurs, si Champlain avait voulu parler ici d'une autre nation, il devait naturellement dire qu'elle �tait l'ennemie des Carantouanais, et ne pas se contenter de remarquer qu'elle �tait fort peupl�e.

Arriv� que je fus en ce Village, o� il me convint sejourner, attendant que les hommes de guerre vinsent des Villages circonvoisins pour nous en aller au plustost qu'il nous seroit possible, pendant lequel temps on estoit tousjours en festins, & dances, pour la resjouyssance en laquelle ils estoient de nous voir si resolus de les assister en leur guerre, & comme s'asseurant desja de leur victoire.

La plus grande partie de nos gens assemblez nous partismes du village le premier jour de Septembre, & passasmes sur le bord d'un petit lac 74, distant dudit village de trois lieues, o� il se fait de grandes pescheries de poisson, qu'ils conservent pour l'hyver. Il y a un autre lac 75 tout joignant, qui a 35/523vingt-six lieues de circuit, descendant dans le petit par un endroict, o� se faict la grande pesche dudit poisson, par le moyen de quantit� de pallissades, qui ferme presque le destroit, y laissant seulement de petites ouvertures, o� ils mettent leurs fillets, o� le poisson se prend, & ces deux lacs se deschargent dans la mer douce. Nous sejournasmes quelque peu en ce lieu pour attendre le reste de nos Sauvages, o� estans tous assemblez avec leurs armes, farines, & choses necessaires: on se d�lib�ra de choisir des hommes des plus resolus qui se trouveroient en la trouppe, pour aller donner advis de nostre partement � ceux qui nous debvoient assister des cinq cents hommes pour nous joindre, affin qu'en un mesme temps nous nous trouvassions devant le fort des ennemis. Ceste d�lib�ration prinse, ils despescherent deux canaux, avec douze Sauvages des plus robustes, & par mesme moyen l'un de nos truchements 76 qui me pria luy permettre faire le voyage: ce que facillement je luy accorday, puisque de sa volont� il y estoit port�, & par ce moyen verroit leur pays, & pourroit recognoistre les peuples qui y habitent. Le danger n'estoit pas petit, d'autant qu'il faloit passer par le milieu des ennemis. Ils partirent le 8 dudit mois, & le dixiesme ensuivant il fit une forte gel�e blanche. Nous continuasmes nostre chemin vers les ennemis, & fismes quelque cinq � six lieues dans ces lacs 77, & de l� les sauvages port�rent leurs canaux environ dix lieues par terre, & 36/524rencontrasmes un autre lac78 de l'estendue de six � sept lieues de long, & trois de large. C'est d'o� sort une riviere79 qui se va d�charger dans le grand lac des Entouhonorons, & ayans travers� ce lac, nous passasmes un saut d'eau, continuant le cours de ladite riviere, tousjours aval, environ soixante quatre lieues, qui est rentr�e 80 dudit lac des Entouhonorons & allans, nous passasmes cinq saults par terre. Les uns de quatre � cinq lieues de long, & passasmes par plusieurs lacs, qui sont d'assez belles estendues, comme aussi ladicte riviere qui passe parmy, est fort abondante en bons poissons, estant certain que tout ce pa�s est fort beau, & plaisant. Le long du rivage il semble que les arbres ayent est� plantez par plaisir, en la pluspart des endroicts: aussi que tous ces pays ont est� habitez au temps pass� de Sauvages, qui depuis ont est� contraincts l'abandonner pour la crainte de leurs ennemis. Les vignes, & noyers, y sont en grande quantit�, les raisins viennent de maturit�: mais il y reste tousjours une aigreur fort acre, que l'on sent � la gorge en le mangeant en quantit�. Ce qui provient � faute d'estre cultivez: ce qui est desert� en ces lieux est assez agr�able. La chasse des Cerfs, & Ours, y est fr�quente, & pour l'exp�rience nous y chassasmes, & en prismes un assez bon nombre en dessendans, & pour ce faire ils se mettoient quatre ou cinq cents sauvages en haye dans le 37/525bois, jusques � ce qu'ils eussent attaint certaines pointes qui donnent dans la riviere, & puis marchant par ordre ayant l'arc & la flesche en la main, en criant & menant un grand bruit pour estonner les bestes, ils vont tousjours jusques � ce qu'ils viennent au bout de la pointe. Or tous les animaux qui se trouvent entre la pointe & les chasseurs sont contraints de se jetter � l'eau, sinon qu'ils passent � la mercy des flesches qui leur sont tir�es par les chasseurs, & cependant les Sauvages qui sont dans les canaux posez & mis exprez sur le bord du rivage, s'approchant facillement des Cerfs, & autres animaux chassez & harassez & fort estonnez: lors les chasseurs les tuent facillement avec des lames d'esp�es, emmanch�es au bout d'un bois, en fa�on de demie picque, & font ainsi leur chasse: comme aussi au semblable dans les isles, o� il y en a quantit�. Je prenois un singulier plaisir � les voir ainsi chasser, remarquant leur industrie. Il en fut tu� beaucoup de coups d'arquebuse, dont ils s'estonnoient fort: mais il arriva de malheur qu'en tirant un Cerf, par mesgarde un sauvage se rencontra devant le coup, & fut bless� d'une arquebusade, n'y pensant nullement, comme il est � presupposer, dont il s'ensuit une grande rumeur entr'eux, qui neantmoins s'appaisa, en donnant quelques presens au blesse, qui est la fa�on ordinaire pour appaiser, & amortir les querelles & o� le bless� decederoit, on fait les presens, & dons, aux parens de celuy qui aura est� tu�. Pour le gibier, il est en grande quantit�, 38/526lors de sa saison. Il y a aussi force grues 81, blanches comme signes, & d'autres especes d'oiseaux, semblables � ceux de France.

Note 74: (retour)

Le lac Couchichine, dans lequel se d�charge le lac Simcoe, et qui se d�charge lui-m�me dans le lac Huron par la rivi�re de Matchidache, ou Severn. Il ne devait pas y avoir trois lieues de Cahiagu� � ce lac; mais il est clair qu'on ne mit les canots � l'eau que vers le D�troit, o� se faisait �la grande pesche de poisson,� puisqu'on ne fit que �passer sur le bord� de ce petit lac. Or de ce lieu � Cahiagu� il pouvait y avoir trois lieues, ou environ.

Note 75: (retour)

Le lac Simcoe, dont le nom sauvage para�t avoir �t� Ouentaronk, et que l'on a appel� aussi lac aux Claies, probablement � cause de ce mode particulier d'y faire la p�che.

Note 76: (retour)

�tienne Br�l�. (Voir, plus loin, le voyage de 1618.)

Note 77: (retour)

La traverse du lac Simcoe, de l'ouest � l'est, est d'environ cinq lieues.

Note 78: (retour)

Le lac � l'Esturgeon (Sturgeon lake) a environ cinq ou six lieues de long, et, en certains endroits, trois lieues de large, quoique ce ne soit point sa largeur moyenne. De ce lac qui n'est qu'� sept ou huit lieues du lac Simcoe, jusqu'aux Mille-Isles, en suivant les nombreux d�tours de la rivi�re Otonabi, de celle de Trent et de la baie de Quint�, il y a � peu pr�s soixante-quatre lieues, comme trouve l'auteur.

Note 79: (retour)

La partie sup�rieure de cette rivi�re, jusqu'au point o� elle se d�charge dans le lac au Riz (Rice lake), s'appelle aujourd'hui Otonabi, le reste, jusqu'� la baie de Quinte, porte le nom de rivi�re Trent.

Note 80: (retour)

Cette entr�e du lac Ontario, est parsem�e d'un si grand nombre d'�les, qu'on lui a donn� le nom de Mille-Isles.

Note 81: (retour)

�Nous avons, dit Charlevoix, des grues de deux couleurs: les unes sont toutes blanches, les autres d'un gris de lin.� (Journal historique, lettre IX.—Voir Ornithologie du Canada, par J. M. Lemoine, p. 320.)

Nous fusmes � petites journ�es jusques sur le bord du lac des Entouhonorons, tousjours chassant, comme dit est cy-dessus, o� estans, nous fismes la traverse en l'un des bouts, tirant � l'Orient, qui est l'entr�e de la grande riviere Sainct Laurens, par la hauteur de quarante-trois degrez82 de latitude, o� il y a de belles isles fort grandes en ce passage. Nous fismes environ quatorze lieues 83 pour passer jusques � l'autre cost� du lac, tirant au Su, vers les terres des ennemis. Les Sauvages cach�rent tous leurs canaux dans les bois, proches du rivage: nous fismes par terre quelque quatre lieues sur une playe de sable, o� je remarquay un pays fort agr�able, & beau, travers� de plusieurs petits ruisseaux, & deux petites rivieres84 qui se deschargent au susdit lac, & force estangs & prairies, o� il y avoit un nombre infiny de gibier, & force vignes, & beaux bois, grand nombre de Chastaigners, dont le fruict estoit 39/527encore en leur escorce. Les Chastaignes sont petites, mais d'un bon goust. Le pays est remply de forests, sans estre desert�, pour la pluspart de ce terroir. Tous les canaux estans ainsi cachez, nous laissasmes le rivage du lac, qui a quelque quatre-vingt lieues de long, & vingt-cinq de large 85. La plus grande partie duquel est habit� de Sauvages sur les costes des rivages d'iceluy, & continuasmes nostre Chemin par terre, environ vingt-cinq � 30 lieues: Durant quatre journ�es nous traversames quantit� de ruisseaux, & une riviere86, proc�dante d'un lac qui se descharge dans celuy des Entouhonorons. Ce lac est de l'estendue de 25 ou 30 lieues de circuit, o� il y a de belles isles, & est le lieu o� les Iroquois ennemis font leur pesche de poisson, qui est en abondance.

Note 82: (retour)

Quarante-quatre degr�s et quelques minutes.

Note 83: (retour)

De la baie de Quinte � l'embouchure de la rivi�re Chouaguen ou Oswego, la petite flotte n'aurait eu �galement que quatorze lieues de traverse, et ce serait bien le chemin que prendraient aujourd'hui les vaisseaux � vapeur. Mais nos sauvages avaient toutes sortes de raisons pour ne point traverser dans cette direction. D'abord avec leurs petits canots, si commodes d'ailleurs pour ces sortes d'exp�ditions, ils ne se hasardaient pas facilement sur ces mers int�rieures, qu'un coup de vent peut rendre, en un instant, redoutables m�me aux plus gros vaisseaux. Ensuite une traverse aussi directe les mettait au coeur du pays ennemi, sans qu'ils eussent pu cacher ou d�guiser leur marche, et leur �tait toute chance de retraite, parce qu'il n'e�t pas �t� possible de bien cacher leurs canots. On dut donc passer d'�le en �le jusqu'� cette pointe que l'on a appel�e, pour les raisons que nous venons de mentionner, pointe � la Traverse (aujourd'hui Stoney point); et il est � regretter que nos g�ographes modernes n'aient pas respect� un nom aussi significatif. Cette pointe est � peu pr�s au sud-est de l'entr�e de la baie de Quint�; mais il faut remarquer que Champlain, dans sa carte de 1632, la place vers le sud; ce qui peut rendre compte de cette expression tirant au Su.

Note 84: (retour)

Probablement la rivi�re des Sables et la rivi�re � la Famine (aujourd'hui Salmon river), qui sont � quatre ou cinq lieues l'une de l'autre.

Note 85: (retour)

Le lac Ontario a environ soixante-dix lieues de long, sur dix-sept ou dix-huit de large, dans ses plus grandes dimensions.

Note 86: (retour)

La rivi�re Chouaguen, ou Ochouaguen; les Anglais disent Oswego. Le lac dont parle ici Champlain, et qui se d�charge dans le lac Ontario par cette rivi�re, est celui d'Oneida, ou lac des Onneyouts; son nom propre �tait, en iroquois, T�chiroguen.

Le 9 du mois d'Octobre nos Sauvages allant pour descouvrir rencontr�rent 11 Sauvages qui 87 prirent prisonniers, � s�avoir 4 femmes, trois gar�ons, une fille, & trois hommes, qui alloient � la pesche de poisson, eslongnez du fort des ennemis de quelque quatre lieues. Or est � noter que l'un des chefs voyant ces prisonniers couppa le doigt � une de ces pauvres femmes pour commencer leur supplice ordinaire: surquoy je survins sur ces entrefaittes, & blasm� le Capitaine Yroquet, luy representant que ce n'estoit l'acte d'un homme de guerre, comme il se disoit estre, de se porter cruel envers les femmes, qui n'ont deffence aucune que les pleurs, lesquelles � cause de 40/528leur imbecilit�, & foiblesse, on doibt traicter humainement. Mais au contraire que cet acte fera jug� provenir d'un courage vil & brutal, & que s'il faisoit plus de ces cruautez, qu'il ne me donneroit courage de les assister, ny favoriser, en leur guerre: A quoy il me r�pliqua pour toute responce, que leurs ennemis les traictoient de mesme fa�on. Mais puis que ceste fa�on m'apportoit du d�plaisir, il ne feroit plus rien aux femmes, mais bien aux hommes, puis que cela ne nous estoit aggreable.

Note 87: (retour)

Qu'ils.

Le lendemain, sur les trois heures apr�s Midy, nous arrivasmes devant le fort88 de leurs ennemis, o� les Sauvages firent quelques escarmouches les uns contre les autres: encore que nostre desseing ne fust de nous descouvrir jusques au lendemain: mais l'impatience de nos Sauvages ne le peust permettre, tant pour le desir qu'ils avoient de veoir tirer sur leurs ennemis, comme pour delivrer quelques-uns des leurs qui s'estoient par trop engagez, & qui estoient poursuivis de fort pr�s. Lors je m'approchay, & y fus, mais avec si peu d'hommes que j'avois: neantmoins nous leur montrasmes ce qu'ils n'avoient jamais veu, ny o�y. Car aussi-tost qu'ils nous veirent, & entendirent les coups d'harquebuse, & les balles siffler � leurs oreilles, ils se retir�rent promptement en leur fort, emportant leurs morts, & blessez, en ceste charge, & nous aussi semblablement fismes la retraite en nostre gros, avec cinq ou six des nostres blessez, dont l'un y mourut.

Note 88: (retour)

A en juger par l'espace que nos guerriers ont jusqu'ici parcouru, c'est-�-dire, vingt-cinq ou trente lieues, d'apr�s l'estimation de Champlain, et par les indications de la carte de 1632, ce fort devait �tre � une petite distance du fond du lac de Canondaguen, ou Canandaiga, et vers le sud du lac Honeoye, dans le comt� d'Ontario.

41/529

Cela estant faict, nous nous retirasmes � la port�e d'un canon, hors de la veue des ennemis, neantmoins contre mon advis, & ce qu'ils m'avoient promis. Ce qui m'esmeut � leur dire & user de parolles assez rudes, & fascheuses, affin de les inciter � se mettre en leur devoir, prevoyant que si toutes choses alloient � leur fantaisie, & selon la conduitte de leur conseil, il n'en pouvoit r�ussir que du mal � leur perte & ruyne. Neantmoins je ne laissay pas de leur envoyer, & proposer, des moyens dont il falloit user, pour avoir leurs ennemis, qui fut de faire un Cavallier avec de certains bois, qui leur commanderoit par dessus leurs pallissades: sur lequel on poseroit quatre ou cinq de nos harquebusiers, qui tireroient force harquebusades par dessus leurs pallissades & galeries, qui estoient bien munies de pierres, & par ce moyen on deslogeroit les ennemis qui nous offen�oient de dessus leurs galleries, & cependant nous donnerions ordre d'avoir des ais pour faire une mani�re de mantelets, pour couvrir & garder nos gens des coups de flesche, & de pierre, dont ils usoient ordinairement. Lesquelles choses, � s�avoir ledit Cavalier & les mantelets se pourroient porter � la main, & force d'hommes, & y en avoir un fait en telle sorte, que l'eau ne pouvoit pas estaindre le feu que l'on y appliqueroit devant le fort, & cependant ceux qui seroient sur le Cavalier feroient leur devoir avec quelques arquebusiers qui y seroient log�s, & en ce faisant nous nous deffendrions en sorte, qu'ils ne pourroient aprocher pour esteindre le feu que nous y appliquerions � leurs clostures. Ce qu'ils trouverent 42/530bon, & fort � propos, & y firent travailler � l'instant suivans mon advis. Et de faict, le lendemain 89 ils se mirent en besongne, les uns � coupper du bois, les autres � l'amasser, pour bastir, & dresser, lesdits Cavalliers, & mantelets: ce qui fut promptement ex�cut�, & en moins de quatre heures, horsmis du bois dont ils amasserent bien peu pour brusler contre leurs pallissades, affin d'y mettre le feu. Ils esperoient que ledit jour les cinq cents hommes promis viendroient, desquels neantmoins on se doutoit, parce qu'ils ne s'estoient point trouvez au rendez vous, comme on leur avoit donn� charge, & qu'ils l'avoient promis. Ce qui affligeoit fort nos Sauvages: Mais voyants qu'ils estoient en assez bon nombre pour prendre leur fort, sans autre assistance, & jugeant de ma part que la longueur en toutes affaires est tousjours prejudiciable, du moins � beaucoup de choses. Je le90 pressay d'attaquer ledit fort, leur remonstrant que les ennemis ayant recogneu leurs forces, & de nos armes, qui per�oient ce qui estoit � l'espreuve des fl�ches, ils commenc�rent � se barricader, & � eux couvrir de bonnes pi�ces de bois, dont ils estoient bien munis, & leur Village remply, & que le moins temporiser estoit le meilleur, comme de fait ils y rem�di�rent fort bien: car leur Village estoit enclos de quatre bonnes pallissades de grosses pi�ces de bois, entrelass�es les unes parmy les autres, o� il n'y avoit pas plus de demy pied d'ouverture entre-deux, de la hauteur de trente pieds, & les galleries, comme en mani�re de parapel qu'ils avoient garnis de doubles pi�ces de 43/531bois, � l'espreuve de nos harquebusades, & proche d'un estang qu'ils estoient, o� l'eau ne leur manquoit aucunement, avec quantit� de goutti�res qu'ils avoient mises entre-deux, lesquelles jettoient l'eau au dehors, & la mettoient par dedans � couvert pour estaindre le feu. Voila en effect la fa�on dont ils usent, tant en leurs fortifications qu'en leurs deffences, & bien plus forts que les villages des Attigouautan, & autres.

Note 89: (retour)

Le 11 octobre.

Note 90: (retour)

Les.

Nous nous approchasmes pour attaquer ce village, faisant porter nostre Cavallier par 200 hommes les plus forts, qui le poserent devant ce village, � la longueur d'une picque, o� je fis monter trois 91 harquebusiers, bien � couvert des flesches & pierres, qui leur pouvoient estre tir�es, & jett�es. Cependant l'ennemy ne laissa pour cela de tirer un grand nombre de flesches, qui ne manqu�rent point, & quantit� de pierres qu'ils jettoient par dessus leurs pallissades. Neantmoins la multitude infinie des coups d'harquebuse les contraignirent de desloger, & d'abandonner leurs galleries, par le moyen, & faveur, d'un Cavallier qui les descouvroit, & ne s'osoient descouvrir, ny montrer, combattans � couvert. Et comme on portoit le Cavalier, au lieu d'apporter les mantelets par ordre, & celuy o� nous debvions mettre le feu, ils les abandonn�rent, & se mirent � crier contre leurs ennemis, en tirant des coups de flesches dedans le fort, qui, � mon oppinion, ne faisoient pas beaucoup de mal aux ennemis. Mais il faut les excuser, car ce ne sont 44/532pas gens de guerre, & d'ailleurs qu'ils ne veulent point de discipline, ny de correction, & ne font que ce qui leur semblent bon. C'est pourquoy inconsid�r�ment un d'entr'eux mist le feu au bois, contre le fort de leurs ennemis, & tout au rebours de bien, & contre le vent, tellement qu'il ne fin: aucun effect.

Note 91: (retour)

L'�dition de 1632 porte quatre, au lieu de trois. Dans le dessin qui repr�sente le cavalier devant le fort, on en distingue sept.

Agrandissement (1014x874)

Le feu donc pass�, la pluspart des Sauvages commenc�rent � apporter le bois contre les pallissades, mais en petite quantit� qui feut cause que le feu, si peu fourny de bois ne peut faire grand effect: aussi que le d�sordre survint entre ce peuple, tellement qu'on ne se pouvoit entendre: ce qui m'affligeoit fort, j'avois beau crier � leurs oreilles & leur remonstrer au mieux qu'il m'estoit possible le danger o� ils se mettoient par leur mauvaise intelligence, mais ils n'entendoient rien pour le grand bruit qu'ils faisoient, & voyant que c'estoit me rompre la teste de crier, & que mes remonstrances estoient vaines, & ne pouvant rem�dier � ce d�sordre, ny faire davantage: je me resolu avec mes gens de faire ce qui me seroit possible, & tirer sur ceux que nous pourrions d�couvrir, & apercevoir. Cependant les ennemis faisoient proffit de nostre d�sordre, ils alloient � l'eau, & en jettoient en telle abondance, que vous eussiez dit que c'estoient ruisseaux qui tomboient par leurs goutti�res, de telle fa�on, qu'en moins de rien ils rendirent le feu du tout estaint, sans que pource ils laissassent de tirer des coups de fl�ches, qui tomboient sur nous comme gresle. Ceux qui estoient sur le Cavallier en tu�rent, & estropierent, beaucoup. Nous fusmes en ce combat environ trois heures, il y eut deux de nos 45/533Chefs, & des principaux blessez, � s�avoir un appell� Ochateguain, l'autre Orani, & quelque quinze d'autres particuliers aussi blessez. Les autres de leur cost� voyants leurs gens blessez, & quelques-uns de leurs Chefs, ils commenc�rent � parler de retraicte, sans plus combattre, attendant les cinq cents hommes 92 qui ne debvoient plus gueres tarder � venir, & ainsi se retir�rent, n'ayants que ceste bouttade de d�sordre. Au reste les Chefs n'ont point de commandement absolu sur leurs compagnons, qui suivent leur volont�, & font � leur fantaisie, qui est la cause de leur d�sordre, & qui ruyne toutes leurs affaires: Car ayant resolu quelque chose avec les principaux, il ne faudra qu'un belistre, ou de n�ant, pour rompre une resolution, & faire un nouveau desseing, si la fantaisie luy en prend. Ainsi les uns pour les autres ne font rien, comme il se peut veoir par ceste exp�dition.

Note 92: (retour)

C'�taient les cinq cents hommes que leur avaient offerts les Carantouanais ou Andastes; ils arriv�rent deux jours trop tard. (Voir � la fin de cette relation, p. 135.)

Mais nous nous retirasmes en nostre fort, moy estant bless� de deux coups de flesches, l'un dans la jambe, & l'autre au genouil, qui m'apporta grande incommodit�, outre les grandes & extresmes douleurs. Et estans tous assemblez, je leur fis plusieurs remonstrances sur le d�sordre qui s'estoit pass�, mais tous mes discours servoient aussi peu que le taire, & ne les �meut aucunement, disans que beaucoup de leurs gens avoient est� blessez, & moy-mesme, & que cela donneroit beaucoup de fatigue, & d'incommodit�, aux autres, faisant la retraite pour les porter, & que de retourner plus contre leurs ennemis, comme 46/534je leur proposois le debvoir faire, il n'y avoit aucun moyen, mais bien qu'ils attendroient encores quatre jours les cinq cents hommes qui debvoient venir, & estans venus ils feroient un second effort contre leurs ennemis, & executeroient mieux ce que je leur dirois, qu'ils n'avoient fait par le pass�. Il en fallut demeurer l�, � mon grand regret. Cy-devant est represent� comme ils fortifient leurs villes, & par ceste figure l'on peut entendre, & voir, que celles des amis, & ennemis, sont semblablement fortifiez.

Le lendemain93 il fit un vent imp�tueux qui dura deux jours, fort favorable � mettre le feu de rechef au fort des ennemis: sur quoy je les pressay fort, mais ils n'en voulurent rien faire, comme doutant d'avoir pis, & d'ailleurs se representans leurs blessez.

Note 93: (retour)

Le 12 octobre.

Nous fusmes campez jusques au 16 dudit mois, o� durant ce temps il se fist quelques escarmouches entre les ennemis, & les nostres, qui demeur�rent le plus souvent engagez parmy les ennemis, plustost par leur imprudence, que faute de courage, vous asseurant qu'il nous falloit, � toutes les fois qu'ils alloient � la charge, les aller requ�rir, & les desengager de la prise, ne se pouvant retirer qu'en la faveur de nos harquebusiers, ce que les ennemis redoubtent & appr�hendent fort. Car si tost qu'ils apper�oivoient quelqu'un de nos harquebusiers, ils se retiroient promptement, nous disans par forme de persuasion que nous ne nous meslassions pas en leurs combats, & que leurs ennemis avoient bien peu de courage de nous requ�rir de les assister avec tout plain d'autres discours sur ce subject pour nous en �mouvoir.

47/535

J'ay represent� de la fa�on qu'ils s'arment allant � la guerre, figure E94.

Note 94: (retour)

L'�dition originale de 1619, et la seconde �dition de 1627, renvoient ici, par inadvertance, � la page 23; dans ces deux �ditions, la figure E se trouve au verso de la page 87.

Et quelques jours passez voyans que les cinq cens hommes ne venoient point, ils d�lib�r�rent de partir, & faire retraite au plustost, & commenc�rent � faire certains paniers pour porter les blessez, qui sont mis l� dedans, entassez en un monceau pliez & garrottez de telle fa�on, qu'il est impossible de se mouvoir, moins qu'un petit enfant en son maillot, & n'est pas sans faire recevoir aux blessez de grandes & extresmes douleurs. Je le puis bien dire avec v�rit�, quand � moy, ayant est� port� quelques jours, d'autant que je ne pouvois me soustenir, principallement � cause du coup de flesche que j'avois re�eu au genouil, car jamais je ne m'estois veu en une telle gehenne, durant ce temps, car la douleur que j'endurois � cause de la blesseure de mon genouil, n'estoit rien au pris de celle que je supportois li� & garrott� sur le dos de l'un de nos Sauvages: ce qui me faisoit perdre patience, & qui fist qu'aussitost que je peu avoir la force de me soustenir, je sortis de c�te prison, ou � mieux dire de la gehenne.

Les ennemis nous poursuivirent environ demie lieue, mais c'estoit de loing, pour essayer d'attrapper quelques-uns de ceux qui faisoient l'arriere-garde, mais leurs peines leur demeura vaines, & se retir�rent.

Or tout ce que j'ay veu de bon en leur guerre est, qu'ils font leur retraicte fort seurement, mettans tous les blessez, & les 48/536vieux, au milieu d'eux, estant sur le devant aux aiselles & sur le derri�re bien armez 95, & arrangez par ordre de la fa�on, jusques � ce qu'ils soient en lieu de seuret�, sans rompre leur ordre.

Note 95: (retour)

Estant, sur le devant, aux ailles & sur le derri�re, bien armez.

Leur retraite estoit fort longue, comme de vingt-cinq � 30 lieues, qui donna beaucoup de fatigue aux blessez, & � ceux qui les portoient, encores qu'ils se changeassent de temps en temps.

Le dix-huictiesme jour dudict mois, il tomba forces neiges, & gresle, avec un grand vent qui nous incommoda fort. Neantmoins nous fismes tant que nous arrivasmes sur le bord dudict lac des Entouhonorons, & au lieu o� estoient nos canaux cach�s, que l'on trouva tous entiers: car on avoit eu crainte que les ennemis les eussent rompus, & estans tous assemblez, les voyants prests de se retirer � leur Village, je les priay de me remener � nostre habitation, ce qu'ils ne vouloient accorder du commencement: mais en fin ils se resolurent, & cherch�rent 4 hommes pour me conduire, ce qui fut fait, lesquels quatre hommes s'y offrirent volontairement: Car, comme j'ay dit cy-dessus, les chefs n'ont point de commandement sur leurs compagnons, qui est cause que bien souvent ils ne font pas ce qu'ils voudroient bien, & ces hommes estant trouv�s, il falut trouver un canau, qui ne se peut recouvrer, chacun ayant affaire du sien, & n'en ayant plus qui 96 ne leur en faloit. Ce n'estoit pas me donner sujet de contentement, ains au contraire cela m'affligeoit fort, mettant en doute quelque 49/537mauvaise volont�, d'autant qu'ils m'avoient promis de me remener & conduire, jusques � nostre habitation, apr�s leur guerre, & outre que j'estois fort mal accommod� pour hyverner avec eux, car autrement je ne m'en fusse pas souci�: & ne pouvans rien faire, il fallut se resoudre � la patience. Mais depuis apr�s quelques jours je recogneu que leur desseing estoit de me retenir avec mes compagnons en leur pays, tant pour leur seuret�, craignant leurs ennemis, que pour entendre ce qui se passoit en leurs Conseils, & assembl�es, que pour resoudre ce qu'il convenoit faire � l'advenir contre leursdits ennemis, pour leur seuret� & conservation.

Note 96: (retour)

Qu'il.

Le lendemain vingt-huictiesme dudit mois, chacun commen�a � se pr�parer les uns pour aller � la chasse des Cerfs, les autres aux Ours Castors, autres � la pesche du poisson, autres � se retirer en leurs Villages, & pour ma retraite & logement il y eut un appell� Durantal97, l'un des principaux chefs, avec lequel j'avois desja quelque familiarit�, me fist offre de sa cabanne, vivres, & commoditez, lequel prit aussi le chemin de la chasse du Cerf, qui est tenue pour la plus noble entr'eux, & en la plus grande quantit�. Et apr�s avoir travers� le bout du 50/538lac de laditte isle98, nous entrasmes dans une riviere99 qui a quel que douze lieues, puis ils port�rent leurs canaux par terre quelque demie lieue, au bout de laquelle nous entrasmes en un lac qui a d'estendue environ dix � douze lieues de circuit, ou il y avoit grande quantit� de gibier, comme Cygnes, grues blanches, houstardes, canarts, sarcelles, mauvis, allouettes, beccassines, oyes, & plusieurs autres sortes de vollatilles que l'on ne peut nombrer, dont j'en tuay bon nombre, qui nous servit bien, attendant la prinse de quelque Cerf, auquel lieu nous fusmes en un certain endroict eslongn� de quelque dix lieues, o� nos Sauvages jugeoient qu'il y avoit des Cerfs en quantit�. Ils s'assemblerent quelques vingt-cinq Sauvages, & se mirent � bastir deux ou trois cabannes de pi�ces de bois, accommod�es l'une sur l'autre, & les calfestrerent avec de la mousse pour empescher que l'air n'y entrast, les couvrant d'escorces d'arbres: ce qu'estant faict ils furent dans le bois, proche d'une petite sapiniere, o� ils firent un clos en forme de triangle, ferm� des deux costez, ouvert par l'un d'iceux. Ce clos fait de grandes pallissades de bois fort presse, de la hauteur de huict � 9 pieds, & de long de chacun cost� pr�s de mil cinq cent pas, au bout duquel triangle y a un petit clos, qui va tousjours en diminuant, couvert en partie de branchage, y laissant seulement une ouverture de cinq pieds, 51/539comme la largeur d'un moyen portail, par o� les Cerfs debvoient entrer: Ils firent si bien, qu'en moins de dix jours ils mirent leur clos en estat, cependant d'autres sauvages alloient � la pesche du poisson, comme truittes & brochets de grandeur monstrueuse, qui ne nous manqu�rent en aucune fa�on. Toutes choses estant faites, ils partirent demie heure devant le jour, pour aller dans le bois, � quelque demie lieue de leurdit clos, s'esloignant les uns des autres de quelque quatre-vingt pas, ayant chacun deux bastons, desquels ils frappent l'un sur l'autre, marchant au petit pas en cet ordre, jusques � ce qu'ils arrivent � leur clos. Les Cerfs oyant ce bruit s'enfuyent devant eux, jusques � ce qu'ils arrivent au clos o� les sauvages les pressent d'aller, & se joignant peu � peu vers la baye & ouverture de leur triangle, o� lesdits Cerfs coulent le long desdites pallissades jusques � ce qu'ils arrivent au bout, o� les Sauvages les poursuivent vivement, ayant l'arc & la flesche en main, prests � descocher, & estant au bout de leurdit triangle ils commencent � crier, & contrefaire les loups, dont y a quantit�, qui mangent les Cerfs, lesquels Cerfs oyant ce bruict effroyable, sont contraincts d'entrer en la retraicte par la petite ouverture, o� ils sont poursuivis fort vivement a coups de fl�che, o� estans entrez ils sont pris ays�ment en cette retraicte, qui est si bien close & ferm�e, qu'ils n'en peuvent sortir aucunement. Je vous asseure qu'il y a un singulier plaisir en ceste chasse, qui se faisoit de deux jours en deux jours, & firent si bien qu'en trente-huit jours 52/540100 que nous y fusmes ils prirent six-vingts Cerfs, desquels ils se donnent bonne cur�e, reservant la graisse pour l'hyver, en usant d'icelle comme nous faisons du beurre, & quelque peu de chair qu'ils emportent � leurs maisons, pour faire des festins entr'eux. Ils ont d'autres inventions � prendre le Cerf, comme au pi�ge, dont ils en font mourir beaucoup. Vous voyez cy-devant d�paint la forme de leur chasse, clost & pi�ge, & des peaux ils en font des habits. Voila comme nous passasmes le temps attendant la gel�e, pour retourner plus ays�ment, d'autant que le pa�s est marescageux. Au commencement que l'on estoit sorty pour aller chasser, je m'engagis tellement dans les bois pour poursuivre un certain oyseau qui me sembloit estrange ayant le bec approchant d'un perroquet, & de la grosseur d'une poulle, le tout jaune, fors la teste rouge, & les aisles blues, & alloit de vol en vol comme une perdrix. Le desir que j'avois de le tuer me fist le poursuivre d'arbre en arbre fort longtemps, jusques � ce qu'il s'envolla � bon escient, & en perdant toute esperance je voulus retourner sur mes bris�es, o� je ne trouvay aucun de nos chasseurs, qui avoient tousjours gaign� pa�s, jusques � leur clos, & taschant les attrapper, allant ce me sembloit droict o� estoit ledict clos, je me treuvay �gar� parmy les forests, allant tantost d'un cost�, tantost d'un autre, sans me pouvoir recognoistre, & la nuit venant me contraignit de la passer au pied d'un grand arbre, jusques au lendemain, o� je commen�ay � faire chemin jusques sur les trois heures du soir, o� je rencontray un petit estang dormant, o� j'aper�eus du gibier que je fus gyboyer, & 53/541tuay trois ou quatre oyseaux qui me firent grand bien, d'autant que je n'avois mang� aucune chose. Et le mal pour moy qui101 durant trois jours il n'avoit fait aucun soleil, que pluye, & temps couvert, qui m'augmentoit mon desplaisir. Las & recreu, je commen�ay � me reposer, & faire cuire de ces oyseaux pour assouvir la faim qui comman�oit � m'affaiblir cruellement, si Dieu n'y eust rem�di�: mon repas pris, je commen�ay � songer en moy ce que je debvois faire, & prier Dieu qu'il me donnait l'esprit, & le courage, de pouvoir supporter patiemment mon infortune, s'il falloit que je demeurasse abandonn� dans ces deserts, sans conseil, ny consolation, que de la bont� & misericorde Divine, & neantmoins m'�vertuer de retourner � nos chasseurs. Et ainsi remettant le tout en sa misericorde, je repris courage plus que devant allant �a & l� tout le jour, sans m'apper�evoir d'aucune trace, ou sentier, que celuy des bestes sauvages, dont j'en voyois ordinairement en bon nombre. Je fus contrainct de passer icelle nuict, & le mal pour moy estoit que j'avois oubli� apporter sur moy un petit cadran qui m'eust remis en mon chemin, � peu pr�s. L'aube du jour venu, apr�s avoir repeu un peu, je commen�ay � m'acheminer jusques � ce que je peusse rencontrer quelque ruisseau, & costoyer iceluy, jugeant qu'il falloit de necessit� qu'il allast d�charger en la riviere, ou sur le bord, o� estoient cabanez nos chasseurs. Ceste resolution prise, je l'executay, si bien, que sur le midy se me treuvay sur le bord d'un petit lac, comme de lieue & demie, o� j'y tuay quelque gibier, qui m'accommodoit 54/542fort � ma necessit�, & avois encore quelque huict � dix charges de poudre, qui me consoloit fort. Je suivay le long de la rive de ce lac, pour voir o� il d�chargoit, & trouvay un ruisseau assez spacieux que je comman�ay � suivre, jusques sur les cinq heures du soir, que j'entendis un grand bruict, & prestant l'oreille, je ne pouvois bonnement comprendre ce que c'estoit, jusques � ce que j'entendis le bruict plus clairement & jugay que c'estoit un sault d'eau de la riviere que je cherchois: je m'acheminay de plus prest, & apperceus un eclasie, o� estant parvenu je me rancontray en un grand pr�, & spacieux, o� il y avoit grand nombre de bestes Sauvages & regardant � la main droite, j'apperceus la riviere, large & spacieuse: te commen�ay � regarder si je ne pourrois recognoistre cet endroit, & marchant en ce pr� j'apperceut un petit sentier, qui estoit par o� les Sauvages portoient leurs canaux, & en fin apr�s avoir bien consider�, je recognus que c'estoit la mesme riviere, & que j'avois pass� par l�, & passay encore la nuict avec plus de contentement que je n'avois fait, & ne laissay de soupper de si peu que j'avois. Le matin venu, je reconsideray le lieu o� j'estois, & recognus de certaines montagnes qui estoient sur le bord de ladite riviere, que je ne m'estois point tromp�, & que nos chasseurs devoient estre au dessoubs de moy, de quatre ou cinq bonne lieues que je fis � mon aise, costoyant le bord de ladite riviere, jusques � ce que j'apperceus la fum�e de nosdits chasseurs, auquel lieu j'arrivay avec beaucoup de contentement tant de moy que d'eux qui estoient encore en 55/543queste � me chercher, & avois perdu comme esperance de me revoir, me priant de ne m'�carter plus d'eux ou tousjours porter avec moy mon cadran, & ne l'oublier: & me disoient si tu ne fusse venu, & que nous n'eussions peu te trouver, nous ne serions plus allez aux Fran�ois, de peur que ils ne nous eussent accusez de t'avoir fait mourir. Depuis il102 �toit sort soigneux de moy quand j'allois � la chasse, me donnant tousjours un Sauvage pour ma compagnie, qui s�avoit si bien retrouver le lieu d'o� il partoit, que c'est chose estrange � voir. Pour retourner � mon propos, ils ont une certaine resverie en ceste chasse, telle, qu'ils croyent que s'ils faisoient rostir d'icelle viande, prise en ceste fa�on, ou qu'il tombast de la graisse dans le feu, ou que quelques os y fussent jettez, qu'ils ne pourroient plus prendre de Cerfs, me priant fort de n'en point faire rostir, mais je me riois de cela, & de leur fa�on de faire: mais pour ne les scandaliser, je m'en d�portois volontiers, du moins estant devant eux, mais en arri�re j'en prenois du meilleur, que je faisois rostir, n'adjoustant foy en leurs superstitions, & puis leur ayans dict, ils ne me vouloient croire, disant que si cela eust est� ils n'auroient pris aucuns Cerfs, depuis que telle chose auroit est� commise.

Note 97: (retour)

Plus loin, l'auteur l'appelle d'Arontal et Darontal, orthographe qui se rapproche davantage de celle de Sagard et des Relations des J�suites. �La contr�e, dit Sagard (Grand Voyage, ch. VI), o� commandoit le Grand Capitaine Atironta, s'appelle Henarhonon� (Arendaronon). On voit, dans la Relation du pays des Hurons de 1640 (ch. IX), que le capitaine des Arendaronons, Atironta, portait le nom du premier capitaine huron qui ait rencontr� les Fran�ais. Celle de 1642 s'exprime � peu pr�s dans les m�mes termes: �Il estoit question de faire revivre le nom d'Atironta, celuy qui autrefois le premier des Hurons avoit descendu � Kebec, & li� amiti� avec les Fran�ois.�

Note 98: (retour)

Il semble qu'il y a ici quelque chose de pass�. Cette dite �le, dont on n'a point encore parl�, et de laquelle on traverse le bout du lac, devait �tre dans le voisinage de la pointe � la Traverse, et faisait vraisemblablement partie du groupe des �les aux Galops, o� l'on dut se r�unir, avant que chaque bande pr�t sa route vers le pays huron, ou vers les endroits de chasse. C'est du moins ce que permet de supposer le texte, qui semble ici s'�tre ressenti de l'�tat de souffrance de l'auteur.

Note 99: (retour)

Cette rivi�re �tait probablement celle de Cataracoui: car, d'abord l'auteur donne � entendre qu'on ne prit pas, imm�diatement du moins, la m�me route qu'en descendant; en second lieu, la rivi�re de Cataracoui est la seule un peu consid�rable que l'on trouve au bout de cette traverse; enfin elle m�ne pr�cis�ment au coeur du pays o�, suivant la carte de Champlain, il y a force Cerfs, vers le nord de l'entr�e de la baie de Quint�.

Note 100: (retour)

Du 28 octobre au 4 d�cembre.

Note 101: (retour)

Que.

Note 102: (retour)

Darontal (�dition de 1632).

Le quatriesme jour de D�cembre nous partismes de ce lieu, marchant sur la riviere qui estoit gel�e, & sur les lacs & estangs glassez, & quelquesfois cheminans par les bois l'espace de dix-neuf jours, ce n'estoit pas sans beaucoup de peine, & travail tant pour les Sauvages qui estoient chargez de cent 56/544livres pesant, comme de moy-mesme qui avoit la pesanteur de vingt livres, qui � la longue m'importunoit beaucoup. Il est bien vray que j'estois quelques-fois soulag� par nos Sauvages, mais nonobstant je ne laissois pas d'en recevoir de l'incommodit�. Quand � eux pour plus ais�ment traverser les glaces, ils ont accoustum� de faire de certaines tra�n�es 103 de bois, sur lesquels ils mettent leurs charges & les tra�nent apr�s eux sans aucune difficult�, & vont fort promptement, mais il se fist quelques jours apr�s un desgel qui nous apporta beaucoup de peine & d'incommodit�: Car il nous falloit passer par dedans des sapinieres plaines de ruisseaux estangs, marais, & pallus, avec quantit� des bois�es, renvers�es les unes sur les autres, qui nous donnoit mille maux, avec des ambarassemens qui nous apportoit de grandes incommoditez pour estre tousjours mouillez jusques au dessus du genouil. Nous fusmes quatre jours en cet estat � cause qu'en la plus grande partie des lieux les glaces ne portoient point, nous fismes donc tant que nous arrivasmes � nostre village le vingtiesme104 jour dudit mois, o� le Capitaine Yroquet vint hiverner avec ses compagnons, qui vont Algommequins105 & son fils, qu'il amena pour faire traiter, lequel allant � la chasse, avoit est� fort offens� d'un Ours, le voulant tuer.

Note 103: (retour)

Tra�nes. La tra�ne sauvage se compose de deux planches minces d'un bois dur et coulant bien assujetties l'une � cot� de l'autre a de petites traverses auxquelles elles sont attach�es avec ce que l'on appelle de la babiche, c'est-�-dire, une petite lani�re de cuir de la grosseur d'une moyenne ficelle. De chaque c�t� court une longue baguette attach�e de la m�me mani�re, et qui sert comme de ridelle. Les planches sont relev�es par devant repli�es sur elles-m�mes et retenues dans cet �tat par de plus fortes attaches; cette partie de la tra�ne s'appelle chaperon.

Note 104: (retour)

On dut arriver � Cahiagu� le 23 de d�cembre, comme porte l'�dition de 1632; car on �tait parti le 4, et l'on fut dix-neuf jours � faire le trajet.

Note 105: (retour)

Le nom huron de la nation d'Yroquet, �tait Onontchataronon (Relations).

57/545M'estant repos� quelques jours je me deliberay d'aller voir le P�re Joseph, & de l� voir les peuples en l'hiver, que l'est�, & la guerre ne m'avoient peu permettre de les visiter. Je party de ce Village le quatorziesme106 de Janvier en suivant, apr�s avoir remerci� mon hoste du bon traictement qu'il m'avoit fait, esperans ne le revoir de trois mois, & prins cong� de luy.

Note 106: (retour)

Quatri�me.

Le lendemain je vis le P�re Joseph en sa petite maisonnette 107 o� il s'estoit retir�, comme j'ay dit cy-dessus: je demeuray avec luy quelques jours, se trouvant en d�lib�ration de faire un voyage aux gens du Petun108, comme j'avois d�lib�r�, encores qu'il face tres-fascheux de voyager en temps d'hyver, & partismes ensemble le quinziesme Fevrier109, pour aller vers icelle nation, o� nous arrivasmes le dix-septiesme dudit mois. Ces peuples du Petun sement le Ma�s appelle par de�� bled de Turquie, & ont leur demeure arrest�e comme les autres. Nous fusmes en sept autres Villages leurs voisins & alliez, avec lesquels nous contractasmes amiti�: ils nous promirent de venir un bon nombre � nostre habitation. Ils nous firent fort bonne ch�re, & pr�tent de chair & poisson pour faire festin comme est leur coustume, o� tous les peuples accouroient de toutes parts pour nous voir, en nous faisant mille demonstrations d'amiti�, & nous conduisoient en la pluspart du chemin. Le pa�s est remply de costaux, & petites campagnes, qui rendent ce terroir 58/546aggreable: ils commen�oient � bastir deux Villages, par o� nous passasmes, au milieu des bois pour la commodit� qui110 treuvent d'y bastir & enclore leurs Villes. Ces peuples vivent comme les Attignouaatitans, & mesmes coustumes, & sont proches de la nation neutre 111, qui est puissante, qui tient une grande estendue de pays. Apr�s avoir visit� ces peuples nous partismes de ce lieu, & fusmes � une nation de Sauvages que nous avons nommez les cheveux relevez112, lesquels furent fort joyeux de nous revoir, avec lesquels nous jurasmes aussi amiti�, & qui pareillement nous promirent de nous venir trouver, & voir � ladite habitation, � cet endroit113: il m'a sembl� � propos de les d�paindre, & d�crire leurs pays, moeurs, & fa�ons de faire. En premier lieu ils font la guerre � une autre nation de Sauvages, qui s'appellent Asistaguero�on 114, qui veut dire des gens de feu, eslongnez d'eux de dix journ�es: ce fait, je m'informay fort particuli�rement de leur pays, & des nations 59/547qui y habitent, quels ils sont, & en quelle quantit�. Icelle nation sont en grand nombre, & la pluspart grands guerriers, chasseurs, & pescheurs: Ils ont plusieurs chefs qui commandent chacun en sa contr�e, la plus grand part sement des bleds d'inde, & autres. Ce sont chasseurs qui vont par trouppes en plusieurs r�gions & contr�es, o� ils trafficquent avec d'autres nations, eslongn�es de plus de quatre � cinq cent lieues: ce sont les plus propres Sauvages que j'aye veu en leurs mesnages, & qui travaillent le plus industrieusement aux fa�ons des nates, qui sont leurs tapis de Turquie: Les femmes ont le corps couvert, & les hommes d�couvert, sans aucune chose, sinon qu'une robbe de fourrure, qu'ils mettent sur leur corps, qui est en fa�on de manteau, laquelle ils laissent ordinairement, & principallement en Est�: Les femmes & les filles ne sont non plus �mues de les voir de la fa�on, que si elles ne voyoient rien qui sembleroit estrange: Elles vivent fort bien avec leurs maris, & ont ceste coustume que lors qu'elles ont leurs mois, elles se retirent d'avec leur mary, ou la fille d'avec son p�re, & sa m�re, & autres parens, s'en allant en de certaines maisonnettes, o� elles se retirent, pendant que le mal leur tient, sans avoir aucune compagnie d'hommes, lesquels leur font porter des vivres & commoditez jusques � leur retour, & ainsi l'on s�ait celles qui ont leurs mois & celles qui ne les ont pas. Ce sont gens qui font de grands festins, & plus que les autres nations: ils nous firent fort bonne ch�re, & nous re�eurent fort amiablement, & me pri�rent fort de les assister contre leurs ennemis, qui sont sur le bord de la Mer douce, 60/548eslongn�e de deux cent lieues, � quoy je leur dist que ce seroit pour une autre fois, n'estant accommod� des choses necessaires. Ils ne s�avoient quelle ch�re nous faire: j'ay d�painct en la figure C. comme ils sont en guerre. Il y a aussi � deux journ�es d'iceux une autre nation de Sauvages, qui sont grand nombre de Petun, d'un cost� tirant au Su, lesquels s'appellent la nation neutre115, qui sont au nombre de quatre mil hommes de guerre, qui habitent vers l'Occident du lac des Entouhonorons de quatre-vingt � cent lieues d'estendue, lesquels neantmoins assistent les cheveux relevez contre les gens de feu: Mais entre les Yroquois, & les nostres ils ont paix, & demeurent comme neutres: de chacune nation est la bien venue, & o� ils n'osent s'entredire, ny faire, aucune fascherie, encores que souvent ils mangent & boivent ensemble, comme s'ils estoient bons amis. J'avois bien desir d'aller voir icelle nation, sinon que les peuples o� nous estions m'en dissuaderent, disant que l'ann�e pr�c�dente un des nostres en avoit tu� un, estant � la guerre des Entouhonorons, & qu'ils en estoient faschez, nous representant qu'ils sont fort subjects � la vengeance, ne regardant point � ceux qui ont fait le coup, mais le premier qu'ils rencontrent de la nation, ou bien leurs amis, ils leur font porter la peine, quand ils peuvent en attrapper, si auparavant on n'avoit fait accord avec eux, & leur avoir donn� quelques dons & presens aux parens du deffunct, qui m'empescha pour lors d'y aller, encores qu'aucuns 61/549d'icelle nation nous asseurerent qu'ils ne nous feroient aucun suject & occasionna de retourner par le mesme chemin que nous estions venus, & continuant mon voyage, je fus trouver la nation des Pisierinij 116, qui avoient promis de me mener plus outre en la continuation de mes desseins & descouvertures: mais je fus diverty pour les nouvelles qui survindrent de nostre grand village, & des Algommequins, d'o� estoit le Cappitaine Yroquet, � s�avoir que ceux de la nation des Atignouaatitans auroient mis & d�pos� entre ses mains un prisonnier de nation ennemie, esperant que ledit Cappitaine Yroquet deubst exercer sur ce prisonnier la vengeance ordinaire entr'eux. Mais au lieu de ce, l'auroit non seulement mis en libert�, mais l'ayant trouv� habille, & excellent chasseur, & tenu comme son fils, les Atignouaatitans seroient entrez en jalousie, & design� de s'en venger, & de faict auroient dispos� un homme pour entreprendre d'aller tuer ce prisonnier, ainsi alli� qu'il estoit. Comme il fut ex�cut� en la presence des principaux de la nation Algommequine, qui indignez d'un tel acte, & meus de cholere tuerent sur le champ ce t�m�raire entrepreneur meurtrier, duquel meurtre les Atignouaatitans se trouvans offensez, & comme injuriez en cet action, voyant un de leurs compagnons morts prindrent les armes, & se transporterent aux tentes des Algommequins qui viennent hiverner proches de leurdict Village, lesquels offencerent fort & o� ledit 62/550Cappitaine Yroquet fut bless� de deux coups de fl�che, & une autre fois pill�rent quelques cabannes desdits Algommequins, sans qu'ils se peussent mettre en deffence: car aussi le party n'eust pas est� �gal, & neantmoins cela lesdits Algommequins ne furent pas quittes, car il leur fallut accorder, & contraints pour avoir la paix, de donner ausdits Atignouaatitans cinquante colliers de pourceline, avec cent becasses117 d'icelle: ce qu'ils estiment de grand valeur parmy eux, & outre ce nombre de chaudi�res & haches, avec deux femmes prisonnieres en la place du mort: bref ils furent en grande dissention, c'estoit ausdits Algommequins de souffrir patiemment ceste grande furie, & penserent estre tous tuez, n'estans pas bien en seuret�, nonobstans leurs presens, jusques � ce qu'ils se veirent en un autre estat. Ces nouvelles m'afflig�rent fort, me representant l'inconvenient qui en pourroit arriver, tant pour eux que pour nous, qui estions en leur pays.

Note 107: (retour)

A Carhagouha.

Note 108: (retour)

Les Tionnontat�ronons, qui demeuraient au sud de la baie de Nataouassaga.

Note 109: (retour)

Par le contexte, on voit qu'il faut lire janvier; c'est aussi ce que met l'�dition de 1632.

Note 110: (retour)

Qu'ils.

Note 111: (retour)

Les Attiouandaronk. Ils demeuraient � l'ouest du lac Ontario. Champlain, dans sa grande carte de 1632, les place au sud du lac �ri�; mais il y a tout lieu de croire qu'il n'aura pas bien saisi le rapport des sauvages. Car cette nation garda pendant de longues ann�es sa position et son pays; or toutes les relations de cette �poque la place au nord du lac �ri� et � l'ouest du lac Ontario. Cette expression m�me de l'auteur, sont proches de la nation neutre, prouve suffisamment que ces Attiouandaronk devaient �tre situ�s comme nous avons dit, et il suffit de jeter les yeux sur la carte de 1632, pour comprendre que la cause de cette erreur de Champlain est qu'il n'avait pas une id�e bien exacte de l'immense contour du fleuve depuis le lac Huron jusqu'au lac Ontario. D'ailleurs s'ils eussent �t� au sud du lac �ri�, ils n'auraient pu commander aussi ais�ment le passage entre les Iroquois et les Hurons.

Note 112: (retour)

Les Andatahouats (Sagard). En comparant ce que dit ici Champlain avec la position qu'il donne aux Cheveux-Relev�s dans sa carte de 1632, on ne peut gu�res s'emp�cher de conclure que cette nation demeurait au sud ou au sud-ouest du fond de la baie G�orgienne. (Voir p. 24, note 1.)

Note 113: (retour)

Ces mots � cet endroit appartiennent, ce semble, � la phrase suivante; cependant il est possible que par ladite habitation Champlain entende celle que les Fran�ais avaient a cet endroit, c'est-�-dire, au pays huron, et dont il parle un peu plus loin.

Note 114: (retour)

Atsistah�roron. C'est ainsi que les appelaient les Hurons.Leur nom algonquin �tait Mascoutens. Ils demeuraient au-del� de la rivi�re du D�troit.

Note 115: (retour)

Voir ci-dessus, p. 58, note 2.

Note 116: (retour)

Nipissirini. Ces Nipissings pouvaient �tre de ceux qui avaient fait partie de l'exp�dition contre les Iroquois, ou de ceux qui venaient tous les ans hiverner pr�s des Hurons. Car il para�t �vident que Champlain ne fit pas le voyage du lac Nipissing, puisqu'il dit, un peu plus loin: � En passant, je visitay les Pisirinins.� D'ailleurs, s'il e�t fait ce voyage, qui �tait de pr�s de soixante lieues, il n'aurait pas manqu� d'en donner quelque d�tail.

Note 117: (retour)

Lisez brasses. Le collier �tait une esp�ce de bande compos�e d'un certain nombre de brasses de porcelaine, avec cette diff�rence, n�anmoins, que la porcelaine en brasses, ou en branches, �tait la porcelaine blanche et commune; tandis que celle dont se composaient les colliers, �tait d'un violet plus ou moins fonc�, et dispos�e d'une mani�re sym�trique. Cette porcelaine, comme on sait, �tait bien diff�rente de celle de la Chine et du Japon; elle consistait en fragments de coquillages de Virginie ou de Floride, qui se taillaient en petits cylindres ou rondelles, et que l'on enfilait pour en faire des brasses, ou des branches, et des colliers. Les auteurs anciens, comme de Lery (Hist. du Br�sil, ch. VIII, p. 106) et Champlain, ne mentionnent que la porcelaine en brasses et en colliers; tandis que les �crivains plus modernes ne parlent point de brasses, mais de branches et de colliers. La figure que nous en a conserv�e La Potherie (t. I, p. 333, 334), donne � entendre, que les branches �taient plus courtes que la brasse, et s'attachaient trois ou quatre ensemble par un bout, de mani�re � former comme des branches. (Voir, sur ce sujet, le P. LAFITEAU, t. I, p. 502 et suiv.—LA POTHERIE, t. I, p. 333, 334.—CHARLEVOIX, Journal Historique, lettre XIII.)

Ce faict, je rencontray deux ou trois Sauvages de nostre grand Village, qui me soliciterent fort d'y aller, pour les mettre d'accord, me disant que si je n'y allois, aucun d'eux ne 63/551reviendroient plus vers les Fran�ois, ayant guerre avec lesdicts Algommequins, nous tenans pour leurs amis. Ce que voyant je m'acheminay au plustost, & en passant je visitay les Pisirinins pour s�avoir quand ils seroient prests pour le voyage du Nort que je trouvay rompu pour le sujet de ces querelles & batteries, ainsi que nostre truchement me fist entendre, & que ledict Cappitaine Iroquet estoit venu � toutes ces nations pour me trouver, & m'attendre. Il les pria de se trouver � l'habitation des Fran�ois, en mesme temps que luy, pour voir l'accord qui se feroit entr'eux, & les Atignouaatitans118, & qu'ils remissent ledit voyage du Nort � une autre fois: & pour cet effect ledit Yroquet avoit donn� de la pourceline pour rompre ledict voyage, & � nous ils promirent de se trouver � nostre-dite habitation, au mesme temps qu'eux. Qui fut bien afflig� ce fut moy, m'attendant bien de voir en ceste ann�e, ce qu'en plusieurs autres pr�c�dentes j'avois recherch� avec beaucoup de soing, & de labeur, par tant de fatigues, & de hazards de ma vie: Et voyans n'y pouvoir rem�dier, & que le tout d�ppendoit de la volont� de Dieu, je me consolay en moy-mesme, me resolvant de le voir en bref, en ayant de si certaines nouvelles qu'on n'en peut douter de ces peuples qui vont negotier avec d'autres qui se tiennent en ces parties Septentrionnalles, estans une bonne partie de ces 64/552nations en lieu fort abondant en chasses, & o� il y a quantit� de grands animaux, dont j'ay veu plusieurs peaux, & eux m'ayant figur� la forme d'iceux, j'ay jug� estre des buffles 119: aussi que la pesche du poisson y est fort abondante, ils sont quarante jours � faire ce voyage, tant � aller que retourner.

Note 118: (retour)

Dans l'�dition originale, la page finit au milieu de ce mot Atigno, et la r�clame indique pour finale uaatitans, tandis que la page suivante commence par uaenteps. Cette derni�re orthographe, qui �tait probablement celle du manuscrit de Champlain, figure � peu pr�s la m�me prononciation que celle des divers auteurs qui ont parl� des Atignaouentans.

Note 119: (retour)

C'est le boeuf musqu�. Voy. Charlev. Jour. p. 131.

Je m'acheminay vers nostredict Village le quinziesme jour de Febvrier, menant avec moy six de nos gens, & estans arrivez audict lieu, les habitans furent fort aises, comme aussi les Algommequins que j'envoyay visiter par nostre truchement 120, pour s�avoir comme le tout s'estoit pass�, tant d'une part que d'autre, n'y ayant voulu aller pour ne leur donner ny aux uns ny aux autres aucun soup�on. Deux jours se pass�rent pour entendre des uns & des autres comme le tout s'estoit pass�: ce faict, les principaux & anciens du lieu s'en vindrent avec nous, & tous ensemble allasmes vers les Algommequins, o� estant en l'une de leurs cabannes o� plusieurs & des plus principaux se trouverent, lesquels tous ensemble apr�s quelques discours demeurent d'accord de venir, & avoir agr�able tout ce qu'on diroit, comme arbitre sur ce suject, & ce que je leur proposerois, ils le mettroient en ex�cution. Alors je recueilly les voix d'un chacun, colligeant & recerchant la volont� & inclination de l'une & de l'autre partie: jugeant neantmoins qu'ils ne demandoient que la paix. Je leur representay que le 65/553meilleur estoit de pacifier le tout, & demeurer amis, pour estans unis & liez ensemble, resister plus facillement � leurs ennemis, & partant je les priay qu'ils ne m'appellassent point pour ce faire, s'ils n'avoient intention de suivre de poinct en poinct l'advis que je leur donnerois sur ce different, puis qu'ils m'avoient faict ce bien d'en dire mon oppinion. Sur quoy ils me dirent derechef qu'ils n'avoient desir� mon retour � autre fin, & moy d'autre-part jugeant bien que si je ne les mettois d'accord, & en paix, ils sortiroient mal contens les uns des autres, chacun d'eux pensans avoir le meilleur droict, aussi qu'ils ne fussent allez � leurs cabannes, si je n'eusse est� avec eux, ny mesme vers les Fran�ois, si je ne m'embarquois, & prenois comme la charge & conduitte de leurs affaires. A cela je leur dis, que pour mon regard je n'avois autre intention que de m'en aller avec mon hoste, qui m'avoit tousjours bien traict�, & mal-ays�ment en pourrois-je trouver un si bon, car c'estoit en luy que les Algommequins mettoient la faute, disant qu'il n'y avoit que luy de Cappitaine qui fist prendre les armes. Plusieurs discours se passerent tant d'une part que d'autre, & la fin fut, que je leur dirois ce qu'il m'en sembleroit, & mon advis, & voyans � leurs discours qu'ils remettoient le tout � ma volont�, comme � leur p�re, me promettant en se faisant qu'� l'advenir je pourrois disposer d'eux ainsi que bon me sembleroit, me remettant le tout � ma discretion, pour en disposer: alors je leur fis responce que j'estois tres-aise de les voir en une si bonne volont� de suivre mon conseil, leur protestant qu'il ne seroit que pour le bien & utilit� des peuples.

Note 120: (retour)

Il �tait donc mont� deux interpr�tes: �tienne Br�l�, qui n'�tait pas encore revenu de son ambassade chez les Carantouanais, et celui dont l'auteur parle dans ce passage. Ce dernier �tait truchement pour la langue algonquine, puisque Champlain l'envoie visiter les Algonquins, et il est tout � fait probable que c'�tait Thomas, qui l'avait suivi dans son malheureux voyage de 1613.

66/554D'autre cost� j'avois est� fort afflig� d'avoir entendu d'autres tristes nouvelles, � s�avoir de la mort de l'un de leurs parents, & amis, que nous tenions comme le nostre, & que ceste mort avoit peu causer une grande desolation, dont il ne s'en feust ensuivy que guerres perp�tuelles entre les uns & les autres, avec plusieurs grands dommages & alt�ration de leur amiti�, & par consequent les Fran�ois privez de leur veue & fr�quentation, & contraincts d'aller rechercher d'autres nations, & ce d'autant que nous nous aymions comme fr�res, laissant � nostre Dieu le chastiment de ceux qui l'auroient m�rit�.

Je commen�ay � leur dire, & faire entendre, que ces fa�ons de faire entre deux nations, amis, & fr�res, comme ils se disoient, estoit indigne entre des hommes raisonnables, ains plustost que c'estoit � faire aux bestes bruttes: D'autre part qu'ils estoient assez empeschez d'ailleurs � repousser leurs ennemis qui les poursuivoient, battans le plus souvent, & les prenans prisonniers jusques dans leurs villages, lesquels ennemis voyant une division, & des guerres civilles entr'eux, leur apporteront beaucoup d'advantage, les resjouyront & les pousseront � faire nouveaux & pernicieux desseins, sur l'esperance qu'ils auroient de voir bien-tost leur ruyne, du moins s'affaiblir par eux-mesmes, qui seroit le vray moyen, & plus facille, pour vaincre, & se rendre les maistres de leurs contr�es, n'estans point secourus les uns des autres, & qu'ils ne jugeoient pas le mal qui leur en pouvoit arriver, que pour la mort d'un homme ils en mettoient dix mille en danger de mourir, & le reste de demeurer en perp�tuelle servitude, bien 67/555qu'� la v�rit� un homme estoit de grande consequence, mais qu'il falloit regarder comme il avoit est� tu�, & considerer que ce n'estoit pas de propos d�lib�r�, ny pour commancer une guerre civille parmy eux, cela estant trop �vident que le mort avoit premi�rement offenc� en ce que de propos d�lib�r� il avoit tu� le prisonnier dans leurs cabannes, chose trop audacieusement entreprinse, encores qu'il fust ennemy. Ce qui esmeut les Algommequins, car voyant un homme si t�m�raire de tuer un autre en leur cabanne, auquel ils avoient donn� la libert�, & le tenoient comme un d'entr'eux, ils furent emportez de la promptitude, & le sang esmeu � quelques-ungs, plus qu'aux autres, se seroient avancez, ne se pouvant tenir ny commander � leur cholere, ils auroient tu� cet homme dont est question, mais pour cela ils n'en voulloient nullement � toute la nation, & n'avoient dessein plus avant � l'encontre de cet audacieux, & qu'il avoit bien m�rit� ce qu'il avoit luy-mesme recerch�.

Et d'ailleurs qu'il falloit remarquer que l'Entouhonoron se sentant frapp� de deux coups dedans le ventre, arracha le cousteau de sa playe, que son ennemy y avoit laiss�, & luy en donna deux coups, � ce qu'on m'avoit certiffi�: De fa�on que bonnement on ne pouvoit s�avoir au vray si c'estoient Algommequins qui ussent tu�: & pour montrer aux Attigouautan que les Algommequins n'aymoient pas le prisonnier: que Yroquet ne luy portoit pas tant d'affection comme ils pensoient bien, ils l'avoient mang�, d'autant qu'il avoit donn� des coups de 68/556cousteau � son ennemy, chose neantmoins indigne d'homme, mais plustost de bestes bruttes. D'ailleurs que les Algommequins estoient fort faschez de tout ce qui s'estoit pass�e, & que s'ils eussent pens� que telle chose feust arriv�e, ils leur eussent donn� cet Yroquois en sacrifice: d'autrepart qu'ils avoient recompens� icelle mort, & faute, si ainsi il la falloit appeller, avec de grands presents, & deux prisonnieres, n'ayant subject � present de se plaindre, & qu'ils debvoient se gouverner plus modestement en leurs d�portemens envers les Algommequins, qui sont de leurs amis, & que puis qu'ils m'avoient promis toutes choses mises en d�lib�ration, je les priay les uns & les autres d'oublier tout ce qui s'estoit pass� entr'eux, sans jamais plus y penser, ny en porter aucune haine & mauvaise volont� les uns envers les autres & demeurer bons amis comme auparavant, & ce faisant qu'ils nous obligeroient � les aymer, & les assister comme j'avois faict par le pass�, & neantmoins, o� ils ne seroient contans de mon advis, je les priay de se trouver le plus grand nombre d'entr'eux qu'ils pourroient � nostre habitation, o� devant tous les Cappitaines des vaisseaux on confirmeroit d'avantage ceste amiti�, & adviseroit-on de donner ordre pour les garentir de leurs ennemis, � quoy il falloit penser.

Alors ils comman�erent � dire que j'avois bien parl�, & qu'ils tiendroient tout ce que je leur avois dict, & tous contents en apparance s'en retourn�rent en leurs cabannes, sinon les Algommequins, qui deslogerent pour faire retraicte en leur Village, mais selon mon oppinion ils faisoient demonstration de 69/557n'estre pas trop contens, d'autant qu'ils disoient entr'eux que ils ne viendroient plus hyverner en ces lieux. Ceste mort de ces deux hommes leur ayant par trop coust�, pour mon regard je m'en retournay chez mon hoste, � qui je donnay le plus de courage qu'il me fut possible, affin de l'esmouvoir � venir � nostre habitation, & d'y amener avec luy tous ceux du pays.

Durant le temps de l'hyver qui dura quatre mois, j'eu assez de loisir pour considerer leur pays, moeurs, coustumes, & fa�on de vivre & la forme de leurs assembl�es, & autres choses que je desirerois volontiers d�crire. Mais auparavant il est necessaire de parler de la situation du pays 121, & contr�es, tant pour ce qui regarde les nations, que pour les distances d'iceux. Quand � l'estendue, tirant de l'Orient � l'Occident, elle contient pr�s de quatre cent cinquante lieues de long, & quelque quatre-vingt ou cent lieues par endroicts de largeur du Midy au Septentrion, soubs la hauteur de quarante & un degr� de latitude, jusques � quarante huit & quarante-neuf degrez. Ceste terre 122 est presque une isle, que la grande riviere de Saint Laurens entoure, passant par plusieurs lacs de grande estendue, sur le rivage desquels il habite plusieurs nations, parlans divers langages, qui ont leurs demeures arrest�es, tous amateurs du labourage de la terre, lesquels neantmoins ont diverses fa�ons de vivres, & de moeurs, & les uns meilleurs que les autres. Au cost� vers le Nort, icelle grande riviere tirant 70/558� l'Occident quelque cent lieues par de l� vers les Attigouautans123. Il y a de tr�s-hautes montagnes, l'air y est temp�r� plus qu'en aucun autre lieu desdites contr�es, & soubs la hauteur de quarante & un degr� de latitude: toutes ces parties & contr�es sont abondantes en chasses, comme de Cerfs, Caribous, Eslans, Dains, Buffles, Ours, Loups, Castors, Regnards, Fouines, Martes, & plusieurs autres especes d'animaux, que nous n'avons pas par de��. La pesche y est abondante en plusieurs sortes & especes de poisson, tant de ceux que nous avons, que d'autres que nous n'avons pas aux costes de France. Pour la chasse des oyseaux, elle y est aussi en quantit�, & qui y viennent en leur temps, & saison: Le pays est travers� de grand nombre de rivieres, ruisseaux, & estangs, qui se deschargent les unes dans les autres, & en leur fin aboutissent dedans ledict fleuve Sainct Laurens, & dans les lacs par o� il passe: Le pa�s est fort plaisant en son Printemps, il est charg� de grandes & hautes forests, & remplies des bois de pareilles especes que ceux que nous avons en France, bien est-il vray qu'en plusieurs endroicts il y a quantit� de pa�s desert�, o� ils sement des bleds d'Inde: aussi que ce pays est abondant en prairies, pallus, & marescages, qui sert pour la nourriture desdicts animaux. Le pays du Nort de ladite grande riviere est fort aspre & montueux, soubs la hauteur de quarante-sept � quarante-neuf degrez de latitude, 71/559remply de rochers forts en quelques endroicts, � ce que j'ay peu voir, lesquels sont habitez de Sauvages qui vivent errants parmy le pays, ne labourans, & ne faisans aucune culture, du moins si peu que rien, & sont chasseurs124, estans ores 125 en un lieu, & tantost en un autre, le pa�s y estant assez froid & incommode. L'estendue d'icelle terre du Nord soubs la hauteur de quarante-neuf degrez de latitude, de l'Orient � l'Occident a six cents lieues de longitude, qui est aux lieux dont nous avons ample cognoissance. Il y a aussi plusieurs belles & grandes rivieres qui viennent de ce cost�-l�, & se deschargent dedans ledit fleuve, accompagnez d'un nombre infiny de belles prairies, lacs, & estangs, par o� elles passent, dans lesquels y a abondance de poissons, & force isles, la pluspart desertes, qui sont d�lectables � voir, o� en la pluspart il y a grande quantit� de vignes, & autres fruicts Sauvages 126. Quand aux parties qui tirent plus � l'Occident, nous n'en pouvons, s�avoir bonnement le traget, d'autant que les peuples n'en ont aucune cognoissance, sinon de deux ou trois cents lieues, ou plus, vers l'Occident, d'o� vient ladicte grande riviere qui passe entr'autres lieux, par un lac qui contient pr�s de trante journ�es de leurs canaux, � s�avoir celuy qu'avons nomm� la Mer douce, eu esgard � sa grande estendue, ayant pr�s de quatre 72/560cent lieues de long 127: aussi que les Sauvages avec lesquels nous avons accez, ont guerre avec autres nations, tirant � l'Occident dudit grand lac, qui est la cause que nous n'en pouvons avoir plus ample cognoissance, sinon qu'ils nous ont dict plusieurs fois que quelques prisonniers de cent lieues leur ont rapport� y avoir des peuples semblables � nous en blancheur, & autres choses, ayans par eux veu de la chevelure de ces peuples, qui est fort blonde, & qu'ils estiment beaucoup, pource qu'ils les disent estre comme nous. Je ne puis que penser l� dessus, sinon que ce fussent gens plus civilisez qu'eux, & qu'ils disent nous ressembler: il seroit bien besoing d'en s�avoir la v�rit� par la veue, mais il faut de l'assistance, il n'y a que le temps, & le courage de quelques personnes de moyens, qui puissent, ou vueillent, entreprendre d'assister ce desseing, affin qu'un jour on puisse faire une ample & parfaite d�couverture de ces lieux, affin d'en avoir une cognoissance certaine.

Note 121: (retour)

Par pays il faut entendre ici le pays en g�n�ral, ou la Nouvelle-France, et non pas le pays des Hurons, encore moins le pays des Algonquins, comme a fait Sagard (Hist. du Canada, p. 201, 202).

Note 122: (retour)

Cette terre o� �tait Champlain, c'est-�-dire, le Haut-Canada.

Note 123: (retour)

Voici comme l'�dition de 1632 corrige ce passage: �Au cost� vers le nort d'icelle grande riviere tirant au surouest environ cent lieues par del� vers les Attigouamans, le pays est partie montagneux... � On voit donc que Champlain veut parler ici de cette cha�ne de montagnes que nous appelons aujourd'hui les Laurentides.

Note 124: (retour)

L'�dition de 1627, remplace ce mot chasseurs par ambullatoires.

Note 125: (retour)

Maintenant.

Note 126: (retour)

Dans l'�dition de 1627, presque toute cette phrase a �t� modifi� notablement. Apr�s le mot fleuve, on y lit ce qui suit: �& d'autres qui � mon oppinion se deschargent en la Mer, par la partie & cost� du Nort, soubs la hauteur de cinquante � cinquante & un degrez de latitude, suivant le rapport & resolution que m'en ont faict ceux qui y vont n�gocier, & traicter, avec les peuples qui y habitent.�

Note 127: (retour)

Voir la note 2 de la p. 25, ci-dessus.

Pour ce qui est du Midy de ladite grande riviere, elle est fort peupl�e, & beaucoup plus que le cost� du Nort, & de diverses nations ayans guerres les uns contre les autres. Le pays y est fort aggreable, beaucoup plus que le cost� du Septentrion, & l'air plus temp�r�, y ayant plusieurs especes d'arbres & fruicts qu'il n'y a pas au Nort dudit fleuve, aussi y a-il beaucoup de choses au Nort qui le recompense, qui n'est pas du cost� du Midy128: Pour ce qui est du cost� de l'Orient, ils 73/561sont assez cogneus, d'autant que la grand'Mer Oceanne borne ces endroicts-l�, � s�avoir les costes de la Brador, terre-Neufve, Cap Breton, la Cadie, Almonchiguois129, lieux assez communs, en ayant trait� � suffire au discours de mes voyages pr�c�dents, comme aussi des peuples qui y habitent, c'est pourquoy je n'en feray mention en ce traict�, mon subject n'estant que faire un rapport par discours succint & v�ritable de ce que j'ay veu & recogneu de plus particulier.

Note 128: (retour)

Dans l'�dition de 1627, la derni�re partie de cette phrase a �t� ainsi corrig�e: �aussi n'est-il pas de tant de proffist & d'utilit�, quand aux lieux o� se font les traictez des Pelletries.�

Note 129: (retour)

Lisez Almouchiquois. La c�te des Almouchiquois r�pond � ce que les Anglais ont appel� Nouvelle-Angleterre (New England).

La contr�e de la nation des Attigouautan est soubs la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, & deux cents trante lieues 130 de longitude � l'Occident & dix de latitude, & en ceste estendue de pays il y a dix-huict Villages 131, dont six dont clos & fermez de pallissades de bois � triple rang, entre-lassez les uns dans les autres, o� au dessus ils ont des galleries, qu'ils garnissent de pierres, & d'eau, pour ruer & estaindre le feu que leurs ennemis pourroient appliquer contre leurs pallissades. Ce pays est beau & plaisant, la pluspart desert�, ayant la forme & mesme situation que la Bretagne, estans presque environnez & circuits de la Mer douce 132, & 74/562prennent ces 18 villages estre peupl�s de deux mil hommes de guerre, sans en ce comprendre le commun, qui peuvent faire en nombre 30000 �mes: leurs cabannes133 sont en fa�on de tonnelles, ou berceau, couvertes d'escorces d'arbres de la longueur de 25 � 30 toises, plus ou moins, & six de large, laissant par le milieu une all�e de 10 � 12 pieds de large, qui va d'un bout � l'autre, aux deux costez y a une mani�re d'establie 134, de la hauteur de 4 pieds, o� ils couchent en Est�, pour �viter l'importunit� des puces dont ils ont grande quantit�, & en hyver ils couchent en bas sur des nattes, proches du feu pour estre plus chaudement que sur le haut de l'establie, ils font provision de bois sec, & en emplissent leurs cabannes, pour br�ler en hyver, & au bout d'icelles cabannes y a une espace, o� ils conservent leurs bleds d'Indes, qu'ils mettent en de grandes tonnes, faites d'escorce d'arbres, au milieu de leur logement: il y a des bois qui sont suspendus, o� ils mettent leurs habits, vivres, & autres choses, de peur des souris qui y sont en grande quantit�. En telle cabanne y aura douze feux, qui sont vingt-quatre mesnages, & o� il fume � bon escient, qui fait que plusieurs en re�oivent de grandes commoditez aux yeux, � quoy ils sont subjects, jusques � en perdre la veue sur la fin de leur aage, n'y ayant fenestre aucune, ni ouverture que celle qui est au dessus de leurs cabannes, par o� la fum�e fort, qui est tout ce qui se peut 75/563dire & s�avoir de leurs comportements, vous ayant descript enti�rement ceste forme d'habitation de ces peuples, comme elle se peut s�avoir, mesme de toutes les nations qui habitent en ces contr�es de pays. Ils changent quelquesfois leur Village de dix, de vingt, ou trente ans, & le transportent d'une, deux, ou trois lieues du pr�c�dent lieu, s'ils ne sont contraints par leurs ennemis, de desloger, & s'eslongnez plus loing, comme ont fait les Antouhonorons de quelque 40 � 50 lieues. Voila la forme de leur logements qui sont separez les uns des autres, comme de trois � quatre pas, pour la crainte du feu qu'ils appr�hendent fort.

Note 130: (retour)

Le seul moyen, suivant nous, de rendre ce passage intelligible, est de remplacer deux cent trente par douze ou treize. Car il est �vident que l'auteur, apr�s avoir d�termin� la hauteur moyenne du pays huron, veut en donner les dimensions en longitude, ou de l'orient � l'occident, et en latitude, ou du nord au sud. Or, en longitude, le pays huron n'a que douze ou treize lieues; c'est tout ce que l'on peut compter depuis le Couteau-Croche, jusqu'� l'extr�mit� la plus occidentale du canton de Tiny. Du nord au sud, il pouvait avoir une dizaine de lieues, comme dit l'auteur. Il est possible que le manuscrit de Champlain port�t 23, ou 20 � 30; avec quoi l'imprimeur aurait bien pu faire 230.

Note 131: (retour)

Sagard, quelques ann�es apr�s, en comptait �vingt ou vingt-cinq� (Hist. du Canada, p. 247); mais il est clair qu'il ne pr�tend donner qu'un nombre approximatif. �Nos Hurons,� dit le P. Brebeuf � la fin de la Relation de 1636, �sont en vingt villages environ trente mille �mes.�

Note 132: (retour)

Cette expression montre bien que Champlain ne parle ici que du pays huron proprement dit, qui �tait en effet presque environn� des eaux de la mer Douce. Il �tait born� � l'ouest et au nord par le lac Huron, au nord-est, par la rivi�re Matchidache, et du c�t� de l'est et du sud-est par les lacs Couchichine et Simcoe, qui se d�chargent eux-m�mes dans le lac Huron.

Note 133: (retour)

�Qu'ils appellent ganonchiac�, ajoute Sagard (Hist. du Canada, p. 248).

Note 134: (retour)

�Qu'ils appellent endicha.� (Sagard, ibid.)

Leur vie est miserable au regard de la nostre, mais heureuse entr'eux qui n'en ont pas goust� de meilleure, croyant qu'il ne s'en trouve pas de plus excellente. Leur principal manger, & ordinaire vivre, est le bled d'Inde, & febves du bresil qu'ils accommodent en plusieurs fa�ons, ils en pillent en des mortiers de bois, le reduisent en farine, de laquelle ils prennent la fleur par le moyen de certains vants, faits d'escorce d'arbres, & d'icelle farine font du pain avec des febves, qu'ils font premi�rement bouillir, comme le bled d'Inde un bouillon, pour estre plus ays� � battre, mettent le tout ensemble, quelquesfois y mettent des blues, ou des framboises seiches, autrefois y mettent des morceaux de graisse de Cerf, mais ce n'est pas souvent, leur estant fort rare, puis apr�s ayant le tout destramp� avec eau ti�de ils en font des pains en forme de gallettes ou tourteaux, qu'ils font cuire soubs les cendres, & 76/564estant cuittes, ils les lavent, & en font assez souvent d'autres, ils les enveloppent de feuilles de bled d'inde, qu'ils attachent, & mettent, en l'eaue bouillante, mais ce n'est pas leur ordinaire, ains ils en font d'une autre sorte qu'ils appellent Migan135, � s�avoir, ils prennent le bled d'inde pill�, sans oster la fleur, duquel ils mettent deux ou trois poign�es dans un pot de terre plein d'eau, le font bouillir, en le remuant de fois � autre, de peur qu'il ne brusle, ou qu'il ne se prenne au pot, puis mettent en ce pot un peu de poisson frais, ou sec, selon la saison, pour donner goust audit Migan, qui est le nom qu'ils luy donnent, & en font fort souvent, encores que ce soit chose mal odorante, principalement en hyver, pour ne le s�avoir accommoder, ou pour n'en vouloir prendre la peine: Ils en font de deux especes, & l'accommodent assez bien quand ils veulent, & lors qu'il y a de ce poisson ledit Migan ne sent pas mauvais, ains seulement � la venaison. Le tout estant cuit ils tirent le poisson, & l'escrasent bien menu, ne regardant de si pr�s � oster les arrestes, les escailles, ny les trippes, comme nous faisons, mettant le tout ensemble dedans ledit pot, qui cause le plus souvent le mauvais goust, puis estant ainsi fait, le despartent � chacun quelque portion: Ce Migan est fort clair, & non de grande substance, comme on peut bien juger: Pour le regard du boire, il n'est point de besoing estant ledit Migan assez clair de soymesme. Ils ont une autre sorte de Migan, � s�avoir, ils 77/565font greller du bled nouveau, premier qu'il soit � maturit�, lequel ils conservent, & le font cuire entier avec du poisson, ou de la chair, quand ils en ont: une autre fa�on, ils prennent le bled d'Inde bien sec le font greller dans les cendres, puis le pilent, & le reduisent en farine, comme l'autre cy-devant, lequel ils conservent pour les voyages qu'ils entreprennent, tant d'une part que d'autre, lequel Migan faict de ceste fa�on est le meilleur, � mon goust. En la figure H. se voit comme les femmes pilent leurs bleds d'Inde. Et pour le faire, ils font cuire force poisson, & viande, qu'ils d�couppent par morceaux, puis la mettent dans de grandes chaudi�res qu'ils emplissent d'eau, la faisant fort bouillir: ce faict, ils recueillent avec une cuillier la graisse de dessus, qui provient de la chair, & poisson, puis mettent d'icelle farine grull�e dedans, en la mouvant tousjours, jusques � ce que ledit Migan toit cuit, & rendu espois comme bouillie. Ils en donnent & despartent � chacun un plat, avec une cuiller�e de la dite graisse, ce qu'ils ont de coustume de faire aux festins & non pas ordinairement, mais peu souvent: or est-il que ledict bled nouveau grull�, comme est cy-dessus, est grandement estim� entr'eux. Ils mangent aussi des febves qu'ils font bouillir avec le gros de la farine grull�e, y meslant un peu de graisse, & poisson. Les Chiens sont de requeste en leurs festins qu'ils font souvent les uns & les autres, principallement durant l'hyver qu'ils font � loisir: Que s'ils vont � la chasse aux Cerfs, ou au poisson, ils le reservent pour faire ces festins, ne leur demeurant rien en leurs cabannes que le Migan clair 78/566pour ordinaire, lequel ressemble � de la brann�e, que l'on donne � manger aux pourceaux. Ils ont une autre mani�re de manger le bled d'Inde, & pour l'accommoder ils le prennent par espics, & le mettent dans l'eau, sous la bourbe, le laissant deux ou trois mois en cet estat, & jusques � ce qu'ils jugent qu'il soit pourry, puis ils l'ostent de l� & le font bouillir avec la viande ou poisson, puis le mangent, aussi le font-ils gruller, & est meilleur en cette fa�on que bouilly, mais je vous asseure qu'il n'y a rien qui sente si mauvais, comme fait cedit bled sortant de l'eau tout boueux: n�antmoins les femmes, & enfans, le prennent & le sucent comme on faict les cannes de succre, n'y ayant autre chose qui leur semble de meilleur goust, ainsi qu'ils en font la demonstration, leur ordinaire n'est que de faire deux repas par jour: Quant � nous autres, nous y avons jeusn� le Karesme entier, & plus pour les esmouvoir � quelque exemple, mais c'estoit perdre temps: Ils engraissent aussi des Ours, qu'ils gardent deux ou trois ans, pour faire des festins entr'eux: j'ay recognu que si ces peuples avoient du bestail, ils en seroient curieux, & le conserveroient fort bien, leur ayant montr� la fa�on de le nourrir, chose qui leur seroit ais�e, attendu qu'ils ont de bons pasturages, & en grande quantit� en leur pa�s, pour toute sorte de bestail, soit chevaux, boeufs, vaches, mouttons, porcs, & autres especes, � faute desquels bestiaux on les juge miserables comme il y a de l'apparance: Neantmoins avec toutes leurs miseres je les estime heureux entr'eux, d'autant qu'ils n'ont autre ambition que de vivre, & de se conserver, & sont 79/567plus asseurez que ceux qui sont errants par les forests, comme bestes bruttes: aussi mangent-ils force sitrouilles, qu'il font bouillir, & rostir soubs les cendres. Quand � leur habit, ils sont de plusieurs sortes, & fa�ons, & diversitez de peaux de bestes sauvages, tant de celles qu'ils prennent, que d'autres qu'ils eschangent pour leur bled d'inde, farines, pourcelines, & fillets � pescher, avec les Algommequins, Piserenis, & autres nations, qui sont chasseurs, & n'ont leurs demeures arrest�es: tous leurs habits sont d'une m�me fa�on, sans diversit� d'invention nouvelle: ils passent & accommodent assez raisonnablement les peaux, faisant leur brayer d'une peau de Cerf, moyennement grande, & d'un autre le bas de chausses, ce qui leur va jusques � la ceinture, estant fort pliss�, leurs souliers sont de peaux de Cerfs, Ours, & Castors, dont ils usent en bon nombre: Plus, ils ont une robbe de mesme fourrure, en forme de couverte, qu'ils portent � la fa�on Irlandoise, ou �gyptienne, & des manches qui s'attachent avec un cordon par le derri�re: voila comme ils sont habillez durant l'hyver, comme il se voit en la figure D. Quand ils vont par la campagne, ils seignent leur robbe autour du corps, mais estans � leur Village, ils quittent leurs manches, & ne se seignent point: les passements de Milan pour enrichir leurs habits sont de colle & de la raclure desdites peaux, dont ils font des bandes en plusieurs fa�ons, ainsi qu'ils s'avisent, y mettant par endroits des bandes de painture rouge, brun, parmy celles de colle, qui parroissent tous-jours blanchastres, n'y perdant point leurs fa�ons, quelques salles qu'elles puissent estre. Il 80/568y en a entre ces nations qui sont bien plus propre � passer les peaux les uns que les autres, & ing�nieux pour inventer des compartiments � mettre dessus leurs habits: Sur tous autres nos Montagnais, & Algommequins, ce sont ceux qui y prennent plus de peine, lesquels mettent � leurs robbes des bandes de poil de porc-espy, qu'ils taindent en fort belle couleur d'escarlatte: ils tiennent ces bandes bien ch�res entr'eux, & les destachent pour les faire servir � d'autres robbes, quand ils en veulent changer, plus pour embellir la face, & avoir meilleure gr�ce, quand ils se veulent bien parer: La pluspart se paindent le visage noir, & rouge, qu'ils desmeslent avec de l'huyle, faite de la graine d'herbe au Soleil, ou bien avec de la graisse d'ours, ou autres animaux, comme aussi ils se taindent les cheveux qu'ils portent, les uns longs, les autres courts, les autres d'un cost� seulement: Pour les femmes, & les filles, elles les portent tousjours d'une mesme fa�on, elles sont vestus comme les hommes, horsmis qu'elles ont tousjours leurs robbes saintes, qui leur viennent en bas, jusques au genouil: c'est en quoy elles diff�rent des hommes, elles ne sont point honteuses de montrer le corps, � s�avoir depuis la cainture en haut, & depuis la moiti� des cuisses en bas, ayant tousjours le reste couvert & sont charg�es de quantit� de pourceline, tant en colliers, que chaisnes, qu'elles mettent devant leurs robbes, pendans � leurs ceintures, bracelets, & pendants d'oreilles, ayant les cheveux bien paignez, paints, & graissez, & ainsi s'en vont aux dances, ayans un touffeau de leurs cheveux par derri�re, qui leur sont liez de peaux d'anguilles, 81/569qu'ils accommodent & font servir de cordon, ou quelquesfois ils attachent des platines d'un pied en carr�, couvertes de ladite pourceline, qui pend par derri�re, & en ceste fa�on poupinement vestues & habill�es, elles se montrent volontiers aux dances, o� leurs p�res, & m�res les envoyent, n'oubliant rien de ce qu'ils peuvent apporter d'invention pour embellir & parer leurs filles, & puis asseurer avoir veu en des dances ou j'ay est�, telle fille qui avoit plus de douze livres de pourceline sur elles, sans les autres bagatelles, dont elles sont charg�es & attour�es. En la figure desja cit�e se voit comme les femmes sont habill�es, comme montre F. & les filles allant � la dance, G.

Note 135: (retour)

Dans le tirage de 1620, on a corrig�, en marge seulement, et l'on a mis le mot michan au lieu de migan. Ce changement se retrouve encore dans l'�dition de 1627. L'on sait que, dans l'�criture de cette �poque, les lettres ch avaient beaucoup de ressemblance avec le g.

Tous ces peuples sont d'une humeur assez joviale, bien qu'il y en aye beaucoup de complexion triste, & saturnienne entr'eux: Ils sont bien proportionn�s de leurs corps, y ayant des hommes bien formez, forts, & robustes, comme aussi des femmes, & filles, dont il s'en trouve un bon nombre d'agr�able, & belles, tant en la taille, couleur, qu'aux traicts du visage, le tout � proportion, elles n'ont point le saing ravall� que fort peu, si elles ne sont vieilles, & se trouvent parmy ces nations de puissantes femmes, & de hauteur extraordinaire: car ce sont elles qui ont presque tout le soing de la maison, & du travail, car elles labourent la terre, sement le bled d'Inde, font la provision de bois pour l'hyver, tillent la chanvre, & la fillent, dont du fillet ils font les rets � pescher, & prendre le poisson, & autres choses necessaires, dont ils ont affaire, comme aussi ils ont le soing de faire la cueillette de leurs 82/570bleds, les serrer, accommoder � manger, & dresser leur mesnage, & de plus sont tenues de suivre & aller avec leurs maris, de lieu en lieu, aux champs, o� elles servent de mulle � porter le bagage, avec mille autres sortes d'exercices, & services, que les femmes font & sont tenues faire. Quant aux hommes, ils ne font rien qu'aller � la chasse du Cerf, & autres animaux, p�cher du poisson, de faire des cabannes, & aller � la guerre.

Ces choses faites, ils vont aux autres nations, o� ils ont de l'acc�s, & cognoissance, pour traicter & faire des eschanges de ce qu'ils ont, avec ce qu'ils n'ont point, & estans de retour, ils ne bougent des festins, & dances, qu'ils se font les uns aux autres, & � l'issue se mettent � dormir, qui est le plus beau de leur exercice.

Ils ont une espece de mariage parmy eux, qui est tel, que quand une fille eat en l'�ge d'onze, douze, treize, quatorze, ou quinze ans, elle aura des serviteurs, & plusieurs, qu'elle fera, & selon ses bonnes gr�ces, la rechercheront quelque temps: cela faict, elles seront demand�es aux p�res, & m�res, bien que souvent elles ne prennent pas leur consentement, fors celles qui sont les plus sages & mieux advis�es, qui se soubsmettent � la volont� de leur p�re & m�re. Cet amoureux, ou serviteur, presentera � la fille quelques colliers, chaisnes, & bracelets de pourceline: si la fille a ce serviteur aggreable, elle re�oit ce present, ce faict, cet amoureux viendra coucher avec elle trois ou quatre nuicts sans lui dire mot, durant ce temps, & l� ils recueillent le fruict de leurs affections, d'o� il arrivera le plus souvent qu'apr�s avoir pass� huict, ou 83/571quinze jours, s'ils ne se peuvent accorder, elle quittera son serviteur, lequel y demeurera engag� pour ses colliers, & autres dons par luy faicts, n'en retirant qu'un maigre passe-temps: & cela pass�, frustr� de son esperance, il recerchera un autre femme, & elle un autre serviteur, s'ils voyent qu'il soit � propos, & ainsi continuent ceste fa�on de faire, jusques � une bonne rencontre: Il s'en trouve telle qui passe ainsi sa jeunesse, qui aura eu plus de vingt maris, lesque�s vingt maris ne sont pas seuls en la jouyssance de la beste, quelques mariez qu'ils soient: car la nuict venue, les jeunes femmes courent d'une cabanne en une autre, comme font les jeunes hommes de leur cost�, qui en prennent par o� bon leur semble, toutesfois sans violance aucune, remettant le tout � la volont� de la femme: Le Mary fera le semblable � sa voisine, nulle jalousie ne se trouve entr'eux pour cela, & n'en re�oivent aucune infamie, ny injure, la coustume du pays estant telle. Or le temps qu'elles ne delaissent point leurs maris est quand elles ont des enfans: les Maris pr�c�dants reviennent vers elles, leur remonstrer l'affecrion, & amiti�, qu'ils leur ont port�e par le pass�, & plus que nul autre, & que l'enfant qu'elles auront est � luy, & est de son faict: un autre luy en dira autant, en fin c'est � qui mieux, & qui le pourra emporter, & l'avoir pour femme: & par ainsi il est au choix & option de la femme, de prendre, & d'accepter celuy qui luy plaira le plus, ayant en ses recerches, & amours, gaign� beaucoup de pourceline, & de plus, ceste �lection de Mary: Elles demeurent avec luy sans plus le delaisser, ou si elles le 84/572laissent, il faut que ce soit avec un grand subject, autre que l'impuissance, car il est � l'espreuve: neantmoins estant avec ce mary elle ne laisse pas de se donner carri�re, mais elle se tient, & reside, tousjours au mesnage, faisant bonne mine, de fa�on que les enfans qu'ils ont ensemble, ainsi nez d'une telle femme, ne se peuvent asseurer l�gitimes, aussi ont-ils une coustume, prevoyant ce danger, qui est telle, � s�avoir, que les enfans ne succedent jamais aux biens, & dignitez, de leurs p�res, doubtant comme j'ay dit de leur g�niteur, mais bien font-ils leurs successeurs, & h�ritiers, les enfans de leurs soeurs, & desquels ils sont asseurez d'estre yssus, & sortis: Pour la nourriture & eslevation de leurs enfans 136, ils le mettent durant le jour sur une petite planche de bois, & le 85/573vestent, & enveloppent de fourrures, ou peaux, & le bandent sur ladite planchette, la dressent debout, & laissant une petite ouverture par o� l'enfant faict ses petites affaires, & si c'est une fille, ils mettent une feuille de bl� d'Inde entre les cuisses, qui presse contre sa nature, & font sortir le bout de ladite feuille dehors qui est renvers�e, & par ce moyen l'eau de l'enfant coulle par ceste feuille, & sort dehors, sans gaster l'enfant de ses eaues, ils mettent aussi soubs les enfants du duvet de certains roseaux, que nous appelions pied de li�vre, surquoy ils sont couch�s fort mollement, & le nettoyent du mesme duvet, & pour parer l'enfant, ils garnissent ladite planchette de patinostres, & en mettent � son col, quelque petit qu'il soit: & la nuict, ils le couchent tout nud, entre le p�re, & la m�re, considerant en cela une grande merveille de Dieu, qui les conserve de telle fa�on, qu'il n'en arrive pas beaucoup d'inconvenient, comme il feroit � croire par quelque estouffemens, estant le p�re, & la m�re, en un profond sommeil, ce qui n'arrive pas que bien rarement. Les enfans sont fort libertins entre ces nations: les p�res, & m�res, les flattent trop, & ne les chastient point du tout, aussi sont-ils si meschants, & de si perverse nature, que le plus souvent ils battent leurs m�res, & autres, des plus fascheux, battent leur p�re, en ayant acquis la force, & le pouvoir: � s�avoir, si le p�re, ou la m�re, leur font chose qui ne leur agr�e pas, qui est une espece de mal�diction que Dieu leur envoye.

Note 136: (retour)

Sagard ajoute l�-dessus quelques d�tails qui compl�tent ce que dit ici Champlain. �Nos Huronnes, dit-il, emmaillottent leurs petits enfans durant le jour dans des peaux sur une petite planchette de bois de c�dre blanc, d'environ deux pieds de longueur ou peu plus, & un bon pied de largeur, o� il y a � quelqu'uns un petit arrest, ou aiz pli� en demy rond attach� au dessous des pieds de l'enfant, qu'ils appuyent contre le plancher de la cabane, ou bien elles les portent promener avec icelles derri�re leur dos, avec un collier ou cordelette qui leur pend sur le front. Elles les portent aussi quelquefois nuds hors du maillot dans leur robbe ceinte, pendus � la mammelle, ou derri�re leur dos, presque debouts, la teste en dehors, qui regarde des yeux d'un cost� & d'autre par dessus les espaules de celle qui le porte. Lors que l'enfant est emmaillott� sur la petite planchette, ordinairement enjoliv�e de matachias & chapelets de pourceleine, ils luy laissent une ouverture devant la nature, par o� il faict son eau, & si c'est une fille, il y adjoustent une fueille de bled d'Inde renvers�e, qui sert � porter l'eau dehors, sans que l'enfant soit gast� de ses eaues, ny salle de ce cost� l�... Les Sauvagesses comme elles n'ont jamais eu l'usage du linge, ny la m�thode d'en faire, encore qu'elles ayent du chanvre assez, ont trouv� l'invention d'un duvet fort doux de certains roseaux, sur lesquels elles couchent leurs enfans fort mollement, & les nettoyent du mesme duvet, ou avec de la poudre de bois fec & pourry, & la nuict venue, elles les couchent souvent tout nuds entre le p�re, & la m�re, ou dans le sain de la m�re mesme, envelopp� de sa robe pour le tenir plus chaudement, & n'en arrive que tr�s-rarement d'accident. Les Canadiens, & presque tous les peuples errants, se servent encore d'une pareille planchette pour coucher leurs enfans, qu'ils appuyent contre quelque arbre ou l'attachent aux branches, mais encores dans des peaux sans planchette, � la mani�re qu'on accommode ceux de de�� dans des langes, & en cet estat les posent de leur long doucement dans une peau suspendue en l'air, attach�e par les quatre coins aux bois de la cabane, comme sont les lits de roseau des Mattelots sous le tillac des navires, & s'ils veulent bercer l'enfant, il n'ont qu'� donner un bransle � cette peau suspendue, laquelle se berce d'elle mesme.� (Hist, du Canada, p. 338, 339, 340.)

Pour ce qui est de leurs loix, je n'ay point veu qu'ils en ayent, ny chose qui en approche, comme de faict ils n'en ont 86/574point, d'autant qu'il n'y a en eux aucune correction, chastiment, ny de reprehension � l'encontre des malfaicteurs, sinon par une vangeance, randant le mal pour le mal, non par forme de reigle, mais par une passion qui leur engendre les guerres & diff�rents, qu'ils ont entr'eux le plus souvent.

Au reste, ils ne recognoissent aucune Divinit�, ils n'adorent & ne croyent en aucun Dieu, ny chose quelconque137: ils vivent comme bestes bruttes, ils ont bien quelque respect au Diable, ou d'un nom semblable, ce qui est doubteux, parce que soubs ce mot qu'ils prononcent, sont entendus diverses significations & comprend en soy plusieurs choses: de fa�on que mal-ais�ment peut-on s�avoir, & discerner s'ils entendent le Diable, ou une autre chose, mais ce qui fait plustost croire estre le Diable, qu'ils entendent, est que lors qu'ils voyent un homme faisant quelque chose extraordinaire, ou est plus habille que le commun, ou bien est vaillant guerrier, ou d'ailleurs en furie, comme hors de la raison, & de soy-mesme, ils l'appellent Oqui, comme si nous disions un grand esprit s�avant, ou un grand Diable 138.

Note 137: (retour)

�Ils ne recognoissent, dit Sagard, & n'adorent aucune vraye Divinit�, ny Dieu celeste ou terrestre, duquel ils puissent rendre quelque raison, & que nous puissions s�avoir, car encore bien qu'ils tiennent tous en g�n�ral Youskeha pour le premier principe & Cr�ateur de tout l'Univers avec Eataentsic, si est-ce qu'ils ne luy offrent aucunes pri�res, offrandes, ny sacrifices comme � Dieu, & quelqu'uns d'entr'eux le tiennent fort impuissant au regard de nostre Dieu, duquel ils admiroient les oeuvres.� (Hist. du Canada, p. 494.)

Note 138: (retour)

� Ils ont bien, dit Sagard, quelque respect particulier � ces d�mons ou esprits qu'ils appellent Oki, mais c'est en la mesme mani�re que nous avons le nom d'Ange, distinguant le bon du mauvais, car autant est abominable l'un, comme l'autre est v�n�rable. Aussi ont-ils le bon & le mauvais Oki, tellement qu'en pronon�ant ce mot Oki ou Ondaki, sans adjonction, quoy qu'ordinairement il soit pris en mauvaise part, il peut signifier un grand Ange, un Proph�te ou une Divinit�, aussi bien qu'un grand diable, un M�decin, ou un esprit furieux & possed�. Ils nous y appelloient aussi quelquesfois, pour ce que nous leur enseignions des choses qui surpassoient leur capacit� & les faisoient entrer en admiration, qui estoit chose ays�e veu leur ignorance.� (Hist. du Canada, p. 494, 495.)

87/575Quoy que ce soit, ils ont de certaines personnes, qui sont les Oqui, ou Manitous, ainsi appellez par les Algommequins & Montagnais, & ceste sorte de gens font les M�decins pour guarir les mallades, & pencer les blessez: pr�dire les choses futures, au reste toutes abusions illusions du Diable, pour les tromper, & decevoir. Ces Oquis, ou devins, leur persuadent, & � leurs patients, & mallades, de faire, ou faire faire des festins, & quelques c�r�monies, pour �tire plustost guaris, & leur intention est affin d'y participer, & en tirer la meilleure part, & soubs esperance d'une plus prompte guarison leur faire faire plusieurs autres c�r�monies, que je diray cy-apr�s en son lieu. Ce sont ceux-l� en qui ils croyent le plus, mais d'estre possedez du Diable, & tourmentez comme d'autres Sauvages plus eslongnez qu'eux, c'est ce qui se voit fort rarement, qui donne plus d'occasion, & subject de croire leur r�duction en la cognoissance de Dieu plus facille, si leur pays estoit habitu� de personnes qui prissent la peine, & le soing, de leur enseigner, & ce n'est pas assez d'y envoyer des Religieux, s'il n'y a des gens pour les maintenir, & assister: car encores que ces peuples ayent le desir aujourd'huy de cognoistre que c'est que de Dieu, le lendemain ceste volont� leur changera, quand il conviendra oster, & suprimer, leurs salles coustumes, la dissolution de leurs moeurs, & leurs libertez incivilles: De fa�on qu'il faut des peuples, & des familles, pour les tenir en debvoir, & avec douceur les contraindre � faire mieux, & par bons exemples les esmouvoir � correction de vie. Le P�re Joseph, & moy, les avons maintesfois

88/576entretenu sur ce qui estoit de nostre cr�ance, loix, & coustumes: ils escoutoient avec attention en leurs conseils, nous disans quelquefois, tu dis choses qui passe nostre esprit, & que ne pouvons comprandre par discours, comme chose qui surpasse nostre entendement: Mais si tu veus bien faire est d'habiter ce pays, & amener femmes, & enfans, lesquels venant en ces r�gions, nous verrons comme tu sers ce Dieu que tu adore, & de la fa�on que tu vis avec tes femmes, & enfans, de la mani�re que tu cultive les terres, & en semant139, & comme tu obeys � tes loix, & de la fa�on que l'on nourrit les animaux, & comme tu fabrique tout ce que nous voyons sortir de tes inventions: Ce que voyant, nous apprendrons plus en un an, qu'en vingt � ouyr discourir, & si nous ne pouvons comprandre, tu prendras nos enfans, qui seront comme les tiens: & ainsi jugeant nostre vie miserable, au pris de la tienne, il est ais� � croire que nous la prenderont, pour laisser la nostre: leurs discours me sembloit d'un bon sens naturel, qui montre le desir qu'ils ont de cognoistre Dieu. C'est un grand dommage de laisser perdre tant d'hommes & les voir p�rir � nos portes, sans leur donner secours, qui ne peut estre sans l'assistance des Roys, Princes, & Ecclesiastiques, qui seuls ont le pouvoir de ce faire: Car aussi en doibvent-ils seuls emporter l'honneur d'un si grand oeuvre, � s�avoir de planter la foy Chrestienne en un pays incognu, & barbare, aux autres nations, estant bien inform� de ces peuples, comme nous sommes, qu'ils ne respirent, & ne d�sirent autre chose que d'estre plainement instruits de

89/577ce qu'il leur faut suivre & �viter, c'est donc � ceux qui ont le pouvoir d'y travailler, & y contribuer de leur abondance, car un jour ils respondront devant Dieu de la perte de tant d'�mes qu'ils laissent p�rir par leur n�gligence & avarice, car ils ne sont pas peu, mais en tr�s-grand nombre: or ce sera quand il plaira � Dieu de leur en faire la gr�ce, pour moy j'en desire plustost l'effect aujourd'huy que demain, pour le zelle que j'ay � l'advancement de la gloire de Dieu, � l'honneur de mon Roy, au bien, & r�putation de ma patrie.

Note 139: (retour)

Le manuscrit de l'auteur portait vraisemblablement: & ensemance.

Pour ce qui est des mallades, celuy, ou celle, qui sera frapp�, ou attaint de quelque malladie, mandera qu�rir l'Oqui, lequel venu qu'il sera, visitera le mallade, & apprendra, & s'instruira de son mal, & de sa douleur: cela fait ledit Oqui envoyera qu�rir un grand nombre d'hommes, femmes, & filles, avec trois ou quatre vieilles femmes, ainsi qu'il sera ordonn� par ledict Oqui, & entrant en leurs cabannes en dan�ant, avec chacune une peau d'ours sur la teste, ou d'autres bestes, mais celles d'ours est la plus ordinaire, n'en ayant point de plus monstrueuse, & y aura deux ou trois autres vieilles qui seront proches de la mallade, ou patiente, qui est le plus souvent mallade par hypocrisie ou fausse imagination: mais de cette malladie elles sont bientost guaries, & lesquelles le plus souvent font les festins aux despens de leurs amis, ou parens, qui leur donnent dequoy mettre en leur chaudi�re, outre celles qu'ils re�oivent des presents des danceurs, & danceuses comme de la pourceline, & autre bagatelles, ce qui faict qu'elles

90/578sont bien-tost guaries: car comme ils voyent ne plus rien esperer, ils se levent, avec ce qu'elles ont peu amasser, car d'autres bien mallades mal-ais�ment se guarissent-elles de tels jeux, & dances, & fa�ons de faire. Et pour retourner � mon propos, les vieilles qui sont proches de la mallade re�oivent les presens, chantans chacune � son tour, & puis ils cessent de chanter, & alors que tous les presens sont faicts, ils commancent � lever leurs voix d'un mesme accord, chantans toutes ensembles, & frappant � la mesure avec des bastons sur des escorces d'arbres seiches, alors toutes les femmes, & filles, commancent � se mettre au bout de la cabanne, comme s'ils vouloient faire l'entr�e d'un ballet, ou d'une mascarade: les vieilles marchans devant avec leurs peaux d'ours sur leurs testes, & toutes les autres les suivent l'une apr�s l'autre. Ils n'ont que de deux sortes de dances qui ont quelque mesure, l'une de quatre pas, & l'autre de douze, comme si on dan�oit le Trioly de Bretagne. Ils ont assez bonne gr�ce en dan�ant, il se met souvent avec elles de jeunes hommes, & apr�s avoir danc� une heure, ou deux, les vieilles prendront la mallade pour dancer qui fera mine de se lever tristement, puis se mettra en dance, ou estant, apr�s quelque espace de temps elle dancera, & s'esjouyra aussi bien que les autres: Je vous laisse � penser comme elle se doibt porter en sa malladie. Cy-dessoubs est la forme de leurs dances.

Le M�decin y acquiert de l'honneur, & de la r�putation, de voir si tost sa patiente guarie, & debout: ce qui ne se faict pas � celles qui sont mallades � l'extr�mit�, & accablez de langueur,

91/579ains plustost ceste espece de m�decine leur donne la mort plustost que la guarison: car je vous assure qu'il font quelquesfois un tel bruict, & tintamarre, depuis le matin jusques � deux heures de nuict, qu'il est impossible au patient de le supporter, sinon avec beaucoup de peine. Quelquesfois il prendra bien envie au patient de faire dancer les femmes, & filles, toutes ensemble, mais ce sera par l'ordonnance de l'Oqui, & ce n'est pas encores le tout, car luy & le Manitou, accompagnez de quelques autres, feront des singeries, & des conjurations, & se tourneront tant, qu'ils demeureront le plus souvent comme hors d'eux-mesme, comme fols & insensez, jettent le feu par la cabanne d'un cost� & d'autre, mangeant des charbons ardans, les tenant en leurs mains un espace de temps, jettant aussi des cendres toutes rouges sur les yeux des autres spectateurs, & les voyans en cet estat, on diroit que le Diable Oqui, ou Manitou, si ainsi les faut appeller, les possedent, & les font tourmenter de la sorte. Et ce bruit, & tintamarre, ainsi faict ils se retirent chacun chez soy, & ceux qui ont bien de la peine durant ce temps, ce sont les femmes des possedez, & tous ceux de leurs cabannes, pour la crainte qu'ils ont que ces enragez ne bruslent tout ce qui est dedans leurs maisons, ce qui les induit � oster tout ce qui est en voye, car lors qu'il arrive, il vient tout furieux, les yeux estincellans, & effroyables, quelquesfois debout, & quelquesfois assis, ainsi que la fantaisie les prend: aussi-tost une quinte le prendra, empoignant tout ce qu'il trouvera, & rencontrera, en son chemin, le jette d'un cost�, & 92/580d'autre, & puis se couche, o� il s'endort quelque espace de temps, & se r�veillant en sursault, prend du feu, & des pierres, qu'il jette de toutes parts, sans aucun esgard, ceste furie se passe par le sommeil qui luy reprend, & lors il fait furie, ou il appelle plusieurs de ses amis, pour suer avec luy, qui est le rem�de qu'ils ont le plus propre pour se continuer en leur sant�, & cependant qu'ils suent, la chaudi�re trotte pour accommoder leur manger, apr�s avoir est� quelquefois deux ou trois heures enfermez avec de grandes escorces d'arbres, couverts de leurs robbes, ayans au milieu d'eux grande quantit� de cailloux, qu'ils auront fait rougir dans le feu, & tousjours chantent, durant qu'ils sont en furie, & quelquesfois ils reprennent leur vent: on leur donne force pott�es d'eau pour boire, d'autant qu'ils sont fort alt�rez, & tout cela faict, le demoniacle fol, ou endiabl�, devient sage: Cependant il arrivera que trois, ou quatre, de ces mallades s'en trouveront bien, & plustost par heureuse rencontre, & d'advanture, que par science, ce qui leur confirme leur fauce cr�ance, pour estre persuadez qu'ils sont guaris par le moyen de ces c�r�monies, sans considerer que pour deux qu'ils en guerissent, il en meurt dix autres par leur bruict & grand tintamarre, & soufflements qu'ils font, qui est plus capable de tuer, que de guarir un mallade: mais quoy ils esperent recouvrir leur sant� par ce bruict, & nous au contraire par le silence & repos, c'est comme le diable fait tout au rebours de bien. Il y a aussi des femmes qui entrent en ces furies, mais ils ne font tant de mal, ils marchent � quatre pattes, comme bestes: ce que voyant, ce 93/581Magicien appelle l'Oqui, commance � chanter, puis avec quelques mines la soufflera, luy ordonnant � boire de certaines eaues, & qu'aussitost elle face un festin, soit de poisson, ou de chair, qu'il faut trouver, encores qu'il toit rare pour lors, neantmoins est aussitost fait. La crierie faite, & le banquet finy, ils s'en retournent chacun en sa cabanne, jusques � une autre fois qu'il la reviendra visiter, la soufflant & chantant avec plusieurs autres, appellez pour cet effect, tenans en la main une tortue seiche, remplie de petits cailloux qu'ils font servir140 aux oreilles de la mallade, luy ordonnant qu'elle doit faire 3 ou 4 festins tout de suitte, une partie de chanterie, & dancerie, o� toutes les filles se trouvent par�es, & paintes, comme j'ay represent� en la figure G. Ledit Oqui ordonnera qu'il se face des mascarades, & soient desguisez, comme ceux qui courent le Mardy gras par les rues, en France: ainsi ils vont chanter pr�s du lict de la mallade, & se prom�nent tout le long du Village cependant que le festin se pr�pare pour recevoir les masques qui reviennent bien las, ayans pris assez d'exercice pour vuider le Migan de la chaudi�re.

Note 140: (retour)

Lisez sonner.

Leurs coustumes sont, que chacun mesnage vit de ce qu'il peut pescher & semer, ayant autant de terre comme il leur est necessaire: ils la desertent avec grand'peine, pour n'avoir des instruments propres pour ce faire: une partie d'eux esmondera les arbres de toutes ses branches qu'ils font brusler au pied dudit arbre pour le faire mourir. Ils nettoyent bien la terre entre les arbres, & puis sement leur bled de pas en pas, o� ils 94/582mettent en chacun endroict quelques dix grains, ainsi continuant jusques � ce qu'ils en ayent assez pour trois ou quatre ans de provision, craignant qu'il ne leur succede quelque mauvaise ann�e. Ces femmes ont le soing de semer, & cueillir, comme j'ay dict cy-devant, & de faire la provision de bois pour l'hyver, toutes les femmes s'aydent � faire leur provision de bois, qui141 font d�s le mois de Mars, & Avril, & est avec cet ordre en deux jours. Chaque mesnage est fourny de ce qui luy est necessaire, & si il se marie une fille, chacune femme, & fille, est tenue de porter � la nouvelle mari�e un fardeau de bois pour sa provision, d'autant qu'elle ne le pourroit faire seulle, & hors de saison qu'il faut vacquer � autre chose. Le gouvernement qui est entr'eux est tel, que les anciens & principaux s'assemblent en un conseil, o� ils d�cident, & proposent, tout ce qui est de besoing, pour les affaires du Village: ce qui se fait par la pluralit� des voix 142, ou du conseil de quelques-uns d'entr'eux, qu'ils estiment estre de bon jugement, & meilleur que le commun: Il est pri� de la compagnie de donner son advis sur les propositions faites, lequel advis est exactement suivy: Ils n'ont point de Chefs particuliers qui commandent absolument, mais bien portent-ils de l'honneur aux plus anciens & vaillants qu'il nommera143 Cappitaines par honneur, & un respect, & desquels il se trouve plusieurs en un Village: bien est-il vray qu'ils portent � 95/583quelqu'un plus de respect qu'aux autres, mais pour cela il ne faut qu'il s'en prevalle, ny qu'il se doibve estimer plus que ses compagnons, si ce n'est par vanit�. Quant pour les chastiments, ils n'en usent point, ny aussi de commandement absolu, ains ils font le tout par pri�res des anciens, & � force de harangues, & remonstrances, ils font quelque chose, & non autrement, ils parlent tous en g�n�ral, & l� o� il se trouve quelqu'un de l'assembl�e qui s'offre de faire quelque chose pour le bien du Village, ou aller en quelque part pour le service du commun, on fera venir celuy l� qui s'est ainsi offert, & si on le juge capable d'ex�cuter ce desseing propos�, on luy remonstre par belles, & bonnes parolles, son debvoir: on luy persuade qu'il est homme hardy, propres aux entreprises, qu'il aquerra de l'honneur � l'ex�cution d'icelles: bref les flattent par blandissements, affin de luy continuer, voire augmenter ceste bonne volont� qu'il a au bien de ses Concitoyens: or s'il luy plaist il accepte la charge, ou s'en excusera, mais peu y manquent, d'autant que de l� ils sont tenus en bonne r�putation: Quant aux guerres qu'ils entreprennent, ou aller au pays des ennemis, ce seront deux, ou trois, des anciens, ou vaillans Cappitaines, qui entreprendront cette conduitte pour ceste fois, & vont aux Villages circonvoisins faire entendre leur volont�, en donnant des presents � ceux desdits Villages, pour les obliger d'aller, & les accompagner � leursdictes guerres, & par ainsi sont comme g�n�raux d'arm�es: ils designent le lieu o� ils veullent aller & disposent des prisonniers qui sont pris, & autres choses de plus grande consequence, dont ils ont l'honneur s'ils font 96/584bien, s'ils font mal le deshonneur, � s�avoir de la guerre leur en demeure 144, n'ayant veu, ny recognu, autres que ces Cappitaines pour chefs de ces nations 145. Plus ils font des assembl�es generalles, s�avoir des r�gions loingtaines, d'o� il vient chacun an un Ambassadeur de chaque Province, & se trouvent en une ville qu'ils nomment, qui est le rand�s-vous de toute l'assambl�e, o� il se faict de grands festins, & dances, 97/585durant trois 146 sepmaines, ou un mois, selon qu'ils advisent entre eux, & l� contractent amiti� de nouveau, d�cidant & ordonnant ce qu'ils advisent, pour la conservation de leur pays, contre leurs ennemis, & l� se donnent aussi de grands presents les uns aux autres, & apr�s avoir fait ils se retirent chacun en son quartier.

Note 141: (retour)

Qu'ils.

Note 142: (retour)

�Qu'ils colligent, ajoute Sagard, avec de petits f�tus de joncs.� (Hist., p. 421.)

Note 143: (retour)

Qu'ils nomment.

Note 144: (retour)

Dans l'�dition de 1627, on a retouch� ce passage de la mani�re suivante: dont ils ont l'honneur s'ils font bien, s'ils font mal le deshonneur, � s�avoir de la victoire ou du courage, n'en ayant veu, etc. Cette correction ne nous para�t pas heureuse; aussi est-il probable qu'elle n'a pas �t� faite, ni m�me sugg�r�e par l'auteur, de m�me que la plupart des autres changements qui ont �t� faits dans cette �dition de 1627. On sait que Champlain passa toute cette ann�e 1627 au Canada, occup� de bien autre chose que de corrections d'�preuves.

Note 145: (retour)

Cette derni�re phrase devrait �tre d�tach�e de ce qui pr�c�de. Voici comment le P. Brebeuf compl�te et en m�me temps appr�cie la relation de Champlain sur cette mati�re: �Je ne parle point de la conduite qu'ils tiennent en leurs guerres, & de leur discipline militaire, cela vient mieux � Monsieur de Champlain qui s'y est trouv� en personne, & y a command�; aussi en a-t'il parl� amplement, & fort pertinemment, comme de tout ce qui regarde les moeurs de ces nations barbares... Pour ce qui regarde l'autorit� sde commander, voicy ce que j'en ay remarqu�. Toutes les affaires des Hurons se rapportent � deux chefs: les unes sont comme les affaires d'Estat, soit qu'elles concernent ou les citoyens, ou les Estrangers, le public ou les particuliers du Village, pour ce qui est des festins, danses, jeux, crosses, & ordre des fun�railles. Les autres sont des affaires de guerre. Or il se trouve autant de sortes de Capitaines que d'affaires. Dans les grands Villages il y aura quelquefois plusieurs Capitaines tant de la police, que de la guerre, lesquels divisent entre eux les familles du Village, comme en autant de Capitaineries; on y void mesme par fois des Capitaines, � qui tous ces gouvernemens se rapportent � cause de leur esprit, faveur, richesses, & autres qualitez, qui les rendent considerables dans le Pays. Il n'y en a point, qui en vertu de leur �lection soient plus grands les uns que les autres. Ceux l� tiennent le premier rang, qui se le sont acquis par leur esprit, �loquence, magnificence, courage, & sage conduite, de sorte que les affaires du Village s'addressent principalement � celuy des Capitaines, qui a en luy ces qualitez; & de mesme en est-il des affaires de tout le Pays, o� les plus grands esprits sont les plus grands Capitaines, & d'ordinaire il n'y en a qu'un qui porte le faix de tous. C'est en son nom que se passent les Traictez de Paix avec les Peuples estrangers; le Pays mesme porte son nom... Il faut qu'un Capitaine fasse estat d'estre quasi toujours en campagne: si on tient Conseil � cinq ou six lieues pour les affaires de tout le Pays, Hyver ou Est� en quelque saison que ce soit il faut marcher: s'il se fait une Assembl�e dans le Village, c'est en la Cabane du Capitaine: s'il y a quelque chose � publier, c'est � luy � le faire; & puis le peu d'authorit� qu'il a d'ordinaire sur ses sujets, n'est pas un puissant attrait pour accepter cette charge. Ces Capitaines icy ne gouvernent pas leurs sujets par voye d'empire, & de puissance absolue; ils n'ont point de force en main, pour les ranger � leur devoir. Leur gouvernement n'est que civil, ils representent seulement ce qu'il est question de faire pour le bien du Village, ou de tout le Pays. Apr�s cela se remue qui veut. Il y en a neantmoins, qui s�avent bien se faire obeyr, principalement quand ils ont l'affection de leurs sujets.� (Relation du pays des Hurons, 1636, seconde partie, ch. VI.)

Note 146: (retour)

L'�dition de 1627 porte cinq.

Pour ce qui est de l'enterrement des deffuncts, ils prennent le corps du d�c�d�, l'enveloppent de fourreures, le couvrent d'escorces d'arbres fort proprement, puis ils l'eslevent sur quatre pilliers, sur lesquels ils font une cabanne, couverte d'escorces d'arbres, de la longueur du corps: autres qu'ils mettent en terre, o� de tous costez la soustiennent, de peur qu'elle ne tombe sur le corps & la couvrent d'escorces d'arbres, mettans de la terre par dessus, & aussi sur icelle fosse font une petite cabanne. Or il faut entendre que ces corps ne sont en ces lieux ainsi inhumez que pour un temps, comme de huict ou dix ans, ainsi que ceux du Village adviseront le lieu o� se doibvent faire leurs c�r�monies, ou pour mieux dire, ils tiennent un conseil g�n�ral, o� tous ceux du pa�s assistent pour dessigner le lieu o� se doibt faire la feste. Ce fait, chacun s'en retourne � son Village, & prennent tous les ossements des deffuncts, qu'ils nettoyent, & rendent fort nets, & les gardent soigneusement, encores qu'ils sentent comme des corps fraischement enterrez: ce fait, tous les parents, & amis des deffuncts, prennent lesdicts os avec leurs colliers, fourreures, haches, chaudi�res, & autres choses qu'ils estiment de valeur, avec quantit� de vivres qu'ils portent au lieu destin�, & estans tous assemblez, ils mettent les vivres en un 98/586lieu, o� ceux de ce village en ordonnent, faisant des festins, & dances continuelles l'espace de dix jours que dure la feste, & pendant icelle les autres nations de toutes parts y abordent, pour voir ceste feste, & les c�r�monies qui s'y font, & qui sont de grands frais entr'eux. Or par le moyen de ces c�r�monies, comme dances, festins, & assembl�es ainsi faictes, ils contractent une nouvelle amiti� entr'eux, disans que les os de leurs parents, & amis, sont pour estre mis tous ensemble, posant une figure, que tout ainsi que leurs os sont assemblez & unis en un mesme lieu, ainsi aussi que durant leur vie ils doivent estre unis en une amiti�, & concorde, comme parents, & amis, sans s'en pouvoir separer. Ces os des uns & des autres parents & amis, estans ainsi meslez ensemble, font plusieurs discours sur ce subject, puis apr�s quelques mines, ou fa�ons de faire, ils font une grande fosse de dix thoises en quarr�, dans laquelle ils mettent cesdits os avec les colliers, chaisnes de pourcelines, haches, chaudi�res, lames d'esp�es, cousteaux, & autres bagatelles, lesquelles neantmoins ne sont pas de petite valleur parmy eux, & couvrent le tout de terre, y mettant plusieurs grosses pi�ces de bois, avec quantit� de pilliers qu'ils mettent � l'entour, faisant une couverture sur iceux. Voila la fa�on dont ils usent, pour les morts, c'est la 99/587plus grande c�r�monie qu'ils ayent entr'eux 147: Aucuns d'eux croyent l'immortalit� des �mes, autre partie en doubtent, & neantmoins ils ne s'en esloignent pas trop loing, disans qu'apr�s leur deceds ils vont en un lieu o� ils chantent comme les corbeaux, mais ce chant est bien diff�rent de celuy des Anges. En la page suivante est represent� leurs tombeaux, & de la fa�on qu'ils les enterrent.

Note 147: (retour)

�La feste des Morts,� dit le P. Brebeuf, �est la c�r�monie la plus c�l�bre qui soit parmy les Hurons; ils luy donnent le nom de festin, d'autant que, comme je diray tout maintenant, les corps estans tirez des Cimeti�res, chaque Capitaine fait un festin des �mes dans son Village: le plus considerable & le plus magnifique est celuy du Maistre de la Feste, qui est pour ceste raison appell� par excellence le Maistre du festin. Cette Feste est toute pleine de c�r�monies, mais vous diriez que la principale est celle de la chaudi�re, cette-cy �touffe toutes les autres, & on ne parle quasi de la feste des Morts, mesmes dans les Conseils les plus serieux, que sous le nom de chaudi�re: ils y approprient tous les termes de cuisine; de sorte que pour dire avancer ou retarder la feste des Morts, ils diront d�liter, ou attiser le feu dessous la chaudi�re: & quand on est sur ces termes, qui diroit la chaudi�re est renvers�e, ce feroit � dire, il n'y aura point de feste des Morts.� (Relation du pays des Hurons, 1636, seconde partie, ch. IX.) Le m�me P�re, qui fut t�moin de la grande f�te des Morts de 1636, rapporte toutes les circonstances de cette c�r�monie, lesquelles sont parfaitement d'accord avec ce que dit ici Champlain :�Retournant de ceste feste,� ajoute-t-il, �avec un Capitaine qui a l'esprit fort bon, & est pour estre quelque jour bien avant dans les affaires du Pa�s, je luy demanday pourquoy ils appelloient les os des morts Atisken. Il me repondit du meilleur sens qu'il eust, & je recueilly de son discours, que plusieurs s'imaginent que nous avons deux �mes, toutes deux divisibles & mat�rielles, & cependant toutes deux raisonnables; l'une se separe du corps � la mort, & demeure neantmoins dans le Cimeti�re jusques � la feste des Morts, apr�s laquelle, ou elle se change en Tourterelle, ou selon la plus commune opinion, elle s'en va droit au village des �mes. L'autre est comme attach�e au corps & informe, pour ainsi dire, le cadavre, & demeure en la fosse des morts, apr�s la feste, & n'en fort jamais, si ce n'est que quelqu'un l'enfante de rechef. Il m'apporta pour preuve de cette metempsychose, la parfaite ressemblance qu'ont quelques-uns avec quelques personnes d�funtes; Voila une belle Philosophie. Tant y a, que voila pourquoy ils appellent les os des morts, Atisken, les �mes.� (Ibid.)

Reste de s�avoir comme ils passent le temps en hyver, � s�avoir depuis le mois de D�cembre, jusques � la fin de Mars, qui est le commencement de nostre Printemps, & que les neiges sont fondues, tout ce qu'ils pourroient faire durant l'Automne, comme j'ay dict cy-dessus, ils le reservent � faire durant l'hyver, � s�avoir leurs festins & dances ordinaires en la fa�on qu'ils les font, pour, & en faveur des malades, comme j'ay represent� cy-dessus, & ce, convient les habitans d'un village � l'autre, & appelle-on ces festins de chanteries, & dances, Tabagis148, o� se trouveront quelquesfois cinq cents 100/588personnes, tant hommes que femmes, & filles, lesquels y vont bien attif�es, & par�es, de ce qu'elles ont de beau & plus pr�cieux, & � certains jours ils font des mascarades, & vont par les cabannes les uns des autres, demandans les choses qu'ils auront en affection, & s'ils se rencontre qu'ils l'ayent, � s�avoir la chose demand�e, ils la leur donnent librement, & ainsi demanderont plusieurs choses, jusques � l'infiny, de fa�on que tel de ces demandeurs auront des robbes de Castors, d'Ours, de Cerfs, de Loups cerviers, & autres fourreures, Poisson, bled d'Inde, Pethun, ou bien des chauderons, chaudi�res, pots, haches, serpes, cousteaux & autres choses semblables, allans aux maisons, & cabannes du Village chantants (ces mots) un tel m'a donn� cecy, un autre m'a donn� cela, & telles semblables parolles par forme de louange: & s'ils voyent qu'on ne leur donne rien, ils se faschent, & prendra tel humeur � l'un d'eux, qu'il tordra hors la porte, & prendra une pierre & la mettera aupr�s de celuy, ou celle, qui ne luy aura rien donn�, & sans dire mot s'en retournera chantant, qui est une marque d'injure, reproche, & mauvaise volont�. Les femmes y vont aussi bien que les hommes & ceste fa�on de faire se faict la nuict, & dure ceste mascarade sept ou huict jours. Il se trouve aucuns de leurs villages qui tiennent, & re�oivent les momons, ou fallots149, comme nous 101/589faisons le soir du Mardy gras, & d�ment les autres villages � venir les voir & gaigner leurs ustancilles, s'ils peuvent, & cependant les festins ne manquent point, voila comme ils passent le temps en hyver: aussi que les femmes filent150, & pilent des farines pour voyager en est� pour leurs maris qui vont en traffic � d'autres nations, comme ils ont d�lib�r� ausdits conseils, s�avoir la quantit� des hommes qui doibvent partir de chaque village pour ne les laisser desgarny d'hommes de guerres, pour se conserver, & nul ne sort du pa�s sans le commun consentement des chefs, bien qu'ils le pourroient faire, mais ils seroient tenus comme mal appris. Les hommes font les rets pour pescher, & prendre le poisson en est� comme en hyver, qu'ils peschent ordinairement, & prennent le poisson jusques soubs la glace � la ligne, ou � la seine.

Note 148: (retour)

Ce mot tabagie n'est pas d'origine huronne. Il �tait employ� parmi les nations algonquines, montagnaises et en g�n�ral parmi les sauvages du bas du fleuve. Suivant le P. Brebeuf, les Hurons avaient quatre esp�ces principales de festins: l'athatayon, festin d'adieu; l'enditeuhoua, festin de r�jouissance; l'atourontoachien, festin de chanterie, et l'aoutaerohi, qui se faisait pour la d�livrance de certaine maladie. (Relat. 1636.)

Note 149: (retour)

�Ils pratiquent en quelques-uns de leurs villages,� dit Sagard, �ce que nous appelons en France porter les momons: car ils deffient & invitent les autres villes & villages de les venir voir, jouer avec eux, & gaigner leurs ustencilles, s'il eschet, & cependant les festins ne manquent point.� (Grand Voyage du pays des Hurons, p. 124.)

Note 150: (retour)

�Elles ont, dit Sagard, l'invention de filer le chanvre sur leur cuisse, n'ayans pas l'usage de la quenouille & du fuseau, & de ce filet les hommes en lassent leurs rets & filets.� (Grand Voy., p. 131.)

Et la fa�on de ceste pesche est telle, qu'ils font plusieurs trous en rond sur la glace & celuy par o� ils doibvent tirer la seine � quelque cinq pieds de long, & trois pieds de large, puis commancent par ceste ouverture � mettre leur filet, lesquels ils attachent � une perche de bois, de six � sept pieds de long, & la mettent dessoubs la glace, & font courir ceste perche de trou en trou, o� un homme, ou deux, mettent les mains par les trous, prenant la perche o� est attach� un bout du filet, jusques � ce qu'ils viennent joindre l'ouverture de cinq � six pieds. Ce faict, ils laissent cou lier le rets au fonds de l'eau, qui va bas, par le moyen de certaines petites 102/590pierres qu'ils attachent au bout, & estans au fonds de l'eau, ils le retirent � force de bras par les deux bouts, & ainsi am�nent le poisson qui se trouve prins dedans. Voila la fa�on en bref comme ils en usent pour leur pesche en hyver.

L'hyver commance au mois de Novembre, & dure jusques au mois d'Avril, que les arbres commancent � pousser leur ceve dehors, & � montrer le bouton.

Le 22e jour du mois d'Avril, nous eusmes nouvelles de nostre truchement, qui estoit all� � Carento�an par ceux qui en estoient venus, lesquels nous dirent l'avoir laiss� en chemin, & s'en estoit retourn� au Village pour certaines considerations qui l'avoient meu � ce faire 151.

Note 151: (retour)

Les aventures d'�tienne Br�l� sont rapport�es un peu plus loin.

Et reprenant le fil de mes discours, nos Sauvages s'assemblerent pour venir avec nous, & reconduire � nostre habitation, & pour ce faire nous partismes152 de leur pays le vingtiesme jour dudit mois 153, & fusmes quarante jours sur les 103/591chemins, & pechasmes grande quantit� de poisson & de plusieurs especes, comme aussi nous prismes plusieurs sortes d'animaux, avec du gibier, qui nous donna un singulier plaisir, outre la commodit� que nous en receusmes par le chemin, jusques � ce que nous arrivasmes � nos Fran�ois, qui fut sur la fin du mois de juing, o� je trouvay le sieur du Pont, qui estoit venu de France, avec deux vaisseaux, qui desesperoient presque de me revoir, pour les mauvaises nouvelles qu'il avoit entendues des Sauvages, s�avoir que j'estois mort.

Note 152: (retour)

Tout ce qu'il y avait de Fran�ais avec Champlain, y compris le P. le Caron. Il ne manquait apparemment qu'�tienne Br�l�; du moins, on ne trouve nulle part qu'il en soit mort aucun pendant cette exp�dition, ni pendant l'hiver pass� au pays des Hurons.

Note 153: (retour)

Le 20 de mai, puisque l'on fut �quarante jours jur les chemins,� et qu'on arriva aux Fran�ais sur la fin du mois de juin; c'est ce que confirme, du reste, le passage suivant du Fr�re Sagard: �Ce bon P�re� (le P. le Caron) �partit donc de son village, pour Kebec le 20 de May 1616 dans l'un des Canots Hurons, destinez pour descendre � la Traicte; & firent tant par leurs diligences qu'ils arriverent aux trois Rivieres le premier jour de juillet ensuivant, o� ils trouverent le P. Dolbeau qui si estoit rendu dans les barques des Navires nouvellement arriv�es de France pour la mesme Traicte. Apr�s qu'ils se furent entresaluez & rendu les actions de gr�ces � Dieu nostre Seigneur, le bon P�re Dolbeau leur aprit comme d�s le 24e jour du mois de Mars pass�, il avoit ensepultur� un Fran�ois nomm� Michel Colin, avec les c�r�monies usit�es en la saincte Eglise Romaine, qui fut le premier qui receut cette gr�ce l� dans le pa�s... Le 15 du mesme mois,� (de juillet) �le P. Dolbeau donna pour la premi�re fois l'Extreme-onction � une femme nomm�e Marguerite Vienne, qui estoit arriv�e la mesme ann�e dans le Canada avec son mary pensans s'y habituer, mais qui tomba bientost malade apr�s son d�barquement, & mourut dans la nuict du 19, puis enterr�e sur le soir avec les c�r�monies de la saincte Eglise.� (Hist. du Canada, p. 30, 31.)

Nous vismes aussi tous les P�res Religieux 154, qui estoient demeurez � nostre habitation, lesquels aussi furent fort contents de nous revoir, & nous d'autrepart qui ne l'estions pas moins. Toutes r�ceptions, & caresses, ainsi faictes, je me dispos� de partir du sault Sainct Louys, pour aller � nostre habitation, & men� mon hoste appelle d'Arontal avec moy, ayants prins cong� de tous les autres Sauvages, & apr�s que je les eu asseurez de mon affection, & que si je pouvois je les verrois � l'advenir pour les assister comme j'avois des-j� faict par le pass�, & leur porteroient des presents honnestes, pour les entretenir en amiti�, les uns avec les autres, les priant d'oublier toutes les disputes qu'ils avoient eues ensemble, lors que je les mis d'accord, ce qu'ils me promirent.

Note 154: (retour)

Cette phrase semble mise ici par anticipation; car, outre qu'il est peu probable qu'aucun des P�res ne f�t rest� � l'habitation, le texte de Sagard cit� � la page pr�c�dente, note 3, donne assez � entendre que le P. d'Olbeau monta seul, et ne fut pas plus loin que les Trois-Rivi�res.

Ce fait, nous partismes le huictiesme jour de Juillet, & arrivasmes � nostre habitation le 11 dudict mois, o� estant, je 104/592trouvay tout le monde en bon estat, & tous ensemble rendismes gr�ces � Dieu, avec nos P�res Religieux, qui chant�rent le service divin, en le remerciant du soing qu'il avoit eu de nous conserver, & preserver, de tant de p�rils & dangers, o� nous estions trouvez.

Apr�s ces choses, & le tout estant en repos, je me mis en debvoir de faire bonne ch�re � mon hoste d'Arontal, lequel admiroit nostre bastiment, comportement, & fa�ons de vivre, & nous ayant bien consider�, il me dit en particulier qu'il ne mourroit jamais content, qu'il ne vist tous ses amis, ou du moins bonne partie, venir faire leur demeurance avec nous pour apprendre � servir Dieu, & la fa�on de nostre vie qu'il estimoit infiniment heureuse, au regard de la leur, & que ce qu'il ne pouvoit comprendre par le discours il l'apprendroit, & beaucoup mieux, & plus facillement par la veue, & fr�quentation famili�re qu'ils auroient avec nous, & que si leur esprit ne pouvoit comprandre l'usage de nos arts, sciences, & mestiers, que leurs enfans qui sont jeunes le pourront faire comme ils nous avoient souvent dict, & represent�, en leur pays, en parlant au P�re Joseph, & que pour l'advancement de cet oeuvre nous faisions une autre habitation au sault Sainct Louys, pour leur donner la seuret� du passage de la riviere pour la crainte de leurs ennemis, & qu'aussi-tost que nous aurions basty une maison ils viendront en nombre � nous pour y vivre comme fr�res: ce que je leur promis & asseur�, faire � s�avoir une habitation pour eux, au plustost qu'il nous seroit possible.

105/593Et apr�s avoir demeur� quatre ou cinq jours ensemble, je luy donnay quelques honnestes dons, il se contenta fort, le priant tous-jours de nous aymer, & de retourner voir nostredite habitation, avec ses compagnons, & ainsi s'en retourna contant au sault Sainct Louys, o� ses compagnons l'attendoient.

Comme ce Cappit. appell� d'Arontal, fut party d'avec nous nous fismes bastir, fortifier & accroistre nostre-ditte habitation du tiers, pour le moins, par ce qu'elle n'estoit suffisamment logeable, & propre pour recevoir, tant ceux de nostre compagnie, qu'autres estrangers qui nous venoient voir, & fismes le tout bien bastir de chaux, & sable, y en ayant trouv� de tresbonne, en un lieu proche de ladite habitation, qui est une grande commodit� pour bastir, � ceux qui s'y voudront porter, & habituer.

Les P�re Denis, & P�re Joseph se d�lib�r�rent de s'en revenir 106/594en France 155, pour t�moigner par de�� tout ce qu'ils avoient veu, & l'esperance qu'ils se pouvoient promettre de la conversion de ces premiers peuples, qui n'attendoient autre secours que l'assistance des bons P�res Religieux, pour estre convertis, & amenez, � nostre foy, & Religion Catholique.

Note 155: (retour)

�Selon le projet form� d�s l'ann�e pr�c�dente,� dit le P. le Clercq, �nos Religieux d�voient se trouver � Qu�bec au mois de Juillet de l'ann�e presente, pour faire ensemble un rapport fidel de leurs connoissances, & convenir de ce qu'il y auroit � entreprendre pour la gloire de Dieu. Ils pri�rent Monsieur de Champlain d'y assister, le connoissant autant z�l� pour l'�tablissement de la Foi, comme pour le temporel de la Colonie, & six autres personnes des mieux intentionn�es. Pour le bien du pa�s, ils convinrent tous d'un commun accord, des articles suivans, exprimez plus au long dans nos m�moires qui subsistent encore aujourd'huy... Il paroist donc qu'il fut conclu; Qu'� l'�gard des nations du bas du Fleuve, & de celles du Nord, qui comprennent les Montagnais, Et�chemins, Betsiamites, & Papinachois, les grands & petits Eskimaux,... il faudroit beaucoup de temps pour les humaniser: Que par le rapport de ceux qui avoient visit� les c�tes du Sud, les rivi�res du Loup, du Bic, des Monts N�tre-Dame, & p�n�tr� m�me par les terres jusqu'� la Cadie, Cap Breton, & Baye des chaleurs, l'Isle perc�e, & Gasp�, le pa�s estoit plus temp�r�, & plus propre � la culture, qu'il y auroit des dispositions moins �loign�es pour le Christianisme, les peuples y ayant plus de pudeur, de docilit�, & d'humanit� que les autres. Qu'� l'�gard du haut du fleuve, & de toutes les nations nombreuses, des Sauvages, que Monsieur de Champlain, & le P�re Joseph avoient visit� par eux-m�mes, ou par d'autres,... on ne reussiroit jamais � leur conversion, si avant que de les rendre Chrestiens, on ne les rendoit hommes. Que pour les humaniser il falloit necessairement, que les Fran�ois se m�lassent avec eux, & les habituer parmy nous, ce qui ne se pourroit faire que par l'augmentation de la Colonie, � laquelle le plus grand obstacle estoit de la part des Messieurs de la compagnie, qui pour s'attirer tout le commerce, ne vouloient point habituer le pa�s, ny souffrir m�me que nous rendissions les Sauvages sedentaires, sans quoy on ne pouvoit rien avancer pour le salut de ces Infid�les. Que les Protestans, ou Huguenots, ayant la meilleure part au commerce, il estoit � craindre, que le m�pris qu'ils faisoient de nos mysteres, ne retard�t beaucoup l'�tablissement de la Foi. Que m�me le mauvais exemple des Fran�ois pourroit y estre pr�judiciable, si ceux qui avoient authorit� dans le pa�s n'y donnoient ordre. Que la million estoit p�nible & laborieuse parmy des nations si nombreuses, & qu'ainsi on avanceroit peu, si on n'obtenoit de Meilleurs de la compagnie un plus grand nombre de Missionnaires defrayez. Nous voyons encore par l'�tat de leur projet, que tous convinrent qu'il faudrait plusieurs ann�es, & de grands travaux pour humaniser ces nations enti�rement grossieres, & barbares, & qu'� l'exception d'un tr�s-petit nombre de sujecs, encore fort douteux, on ne pourroit risquer les Sacremens � des adultes, c'est ce qui se voit encore aujourd'huy; car depuis tant d'ann�es, on a fort peu avanc�, quoy qu'on ait beaucoup travaill�. Il paroist enfin qu'il fut conclu qu'on n'avanceroit rien, si l'on ne fortifioit la Colonie d'un plus grand nombre d'Habitans. Laboureurs, & artisans: que la libert� de la traitte avec les Sauvages, fut indiff�remment permise � tous les Fran�ois. Qu'� l'avenir les Huguenots en fussent exclus, qu'il estoit necessaire de rendre les Sauvages sedentaires, & les �lever � nos mani�res, & � nos loix. Qu'on pourroit avec le secours des personnes z�l�es de France �tablir un S�minaire, afin d'y �lever des jeunes Sauvages au Christianisme, lesquels apr�s pourroient avec les Missionnaires contribuer � l'instruction de leurs compatriotes. Qu'il falloit necessairement soutenir les Millions que nos P�res avoient �tablies tant en haut qu'au bas du Fleuve, ce qui ne se pouvoit faire, si Messieurs les associez ne temoignoient toute l'ardeur qu'on pouvoit esperer de leur z�le, quand ils feroient informez de tout d'une autre mani�re, qu'ils ne l'estoient en France par le rapport des commis qu'ils avoient envoy� sur les lieux l'ann�e pr�c�dente; Monsieur le Gouverneur, & nos P�res n'ayant pas sujet d'en estre contens. C'est � peu pr�s l'abbreg� des conclusions qui furent prises dans cette petite assembl�e de nos Missionnaires, & des personnes les mieux intentionn�es pour l'�tablissement spirituel & temporel de la Colonie; mais comme rien ne se pouvoit faire sans l'aide de la France, Monsieur de Champlain qui avoit dessein d'y passer, pria le P. Commissaire & le P. Joseph de l'y accompagner, pour faire rapport de tout, & obtenir plus efficacement tous les secours necessaires. Ils eurent assez de peine � s'y rendre, mais enfin considerant de quelle importance il estoit de jetter les solides fondemens de leur entreprise, ils se rendirent aux persuasions & aux instances de la compagnie, & disposerent tout pour leur d�part.� (Prem, �tabliss. de la Foy, t. I, p. 91 et s.)

Ce fait, & pendant mon sejour en l'habitation, je fis coupper du bled commun, � s�avoir, du bled Fran�ois qui y avoit est� sem�, & lequel y estoit eslev� tresbeau, affin d'en apporter du grain en France, & tesmoigner que ceste terre est bonne, & fertile: aussi d'autre-part y avoit-il du bled d'Inde fort 107/595beau, & des antes, & arbres, que nous avoit donn� le Sieur du Mons en Normandie: bref tous les jardinages du lieu estants en admirable beaut�, semez en poix, febves, & autres l�gumes, sitrouilles, racines de plusieurs sortes & tr�s-bonnes par excellences, plantez en choux, poir�es, & autres herbes necessaires. Nous estans sur le point de nostre partement, nous laissasmes deux de nos Religieux � nostre habitation, � s�avoir le P�res Jean d'Elbeau, & P�re Paciffique156, fort contant de tout le temps qu'ils avoient pass� audit lieu, & resoulds d'y attendre le retour du P�re Joseph qui les debvoit retourner voir comme il fist l'ann�e suivante157.

Note 156: (retour)

Le P. Jean d'Olbeau et le Fr�re Pacifique. (Voir ci-dessus, notes de la page 7.)

Note 157: (retour)

Le P. le Caron revint l'ann�e suivante avec le P. Paul Huet; mais le P. Denis Jamay demeura en France. �La Province des Recollets,� dit le P. le Clercq, �offrit assez de sujets; mais Messieurs de la compagnie, allant un peu trop � l'�pargne, n'accord�rent place que pour deux. Les Sup�rieurs jug�rent que le P�re Denis cy-devant Commissaire devoit rester en France, parce qu'estant instruit � fonds de l'�tat du Canada, il pourroit mieux que personne en g�rer les affaires, & en procurer les avantages en Cour, & ailleurs. On designa donc le P�re Joseph le Caron pour Commissaire des Missions, & parmy le grand nombre de Religieux qui se presentoient, on luy donna le P�re Paul Huet pour second.� (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 104, 105.)

Nous embarquasmes en nos barques le vingtiesme jour de Juillet, & arrivasmes � Tadoussac le vingt-troisiesme jour dudit mois, & o� le sieur du Pont nous attendoit avec son vaisseau prest & appareill�, dans lequel nous ambarquasmes, & partismes le troisiesme jour du mois d'Aoust, & eusmes le vent si � propos, que nous arrivasmes � Honfleur en sant�, gr�ces � Dieu, qui fut le 10e jour de Septembre, mil six cents seize, ou estants arrivez, nous rendismes louange & actions de gr�ces � Dieu, de tant de soing qu'il avoit eu de nous en la conservation de nos vies, & de nous avoir comme arrachez, & tirez, de tant de 108/596hazards o� nous avions est� exposez, comme aussi de nous avoir ramenez & conduits en sant�, jusques dans nostre patrie, le priant aussi d'esmouvoir le coeur de nostre Roy & Nosseigneurs de son Conseil, pour y contribuer de ce qui est necessaire de leur assistance, affin d'amender ces pauvres peuples Sauvages � la cognoissance de Dieu, dont l'honneur reviendra � sa Majest�, la grandeur & l'accroissement de son estat, & l'utilit� � ses sujects, & la gloire de tous ces desseings, & labeur, � Dieu seul autheur de toute perfection, � luy donc soit honneur, & gloire. Amen158.

Note 158: (retour)

On voit que Champlain avait les sentiments d'un vrai missionnaire; malheureusement les marchands associes n'�taient pas pouss�s du m�me z�le. �Messieurs de la societ�,� dit Sagard, �furent fort ayse de voir le bon P�re Joseph comme une personne de cr�ance, & d'apprendre de luy mesme du succez de son voyage, du bien qu'il leur faisoit esperer pour le spirituel & temporel du pa�s, & du z�le qu'il avoit pour la conversion des Sauvages, neantmoins avec tout cela, il ne peut obtenir d'eux autre chose qu'un remerciement de ses travaux & une r�it�ration de leur bonne volont� � l'endroit de nos P�res, sans autre effect. C'est ce qui obligea ce bon P�re de chercher ailleurs le secours qu'il n'avoit pu trouver en ceux qui y estoient obligez, & de penser de son retour en Canada en la compagnie du P. Paul Huet, puis que de parler de peuplades & de Colonies, estoit perdre temps, & glacer des coeurs des-ja assez peu eschauffez, jusques � ce qu'il pleust � nostre Seigneur inspirer luy mesme les puissances superieures d'y donner ordre, puis que les subalternes n'y vouloient entendre, & ne s'interessoient qu'� leur interest propre.� (Histoire du Canada, p. 32.)

1617

En 1617, Champlain fit au Canada un voyage, �o� il ne se passa rien de remarquable,� dit-il dans l'�dition de 1632 (Prem. partie, p. 214.) Cependant nous devons savoir gr� au Fr�re Sagard et au P. le Clercq, de nous en avoir conserv� quelques d�tails. �Monsieur de Champlain de sa part,� dit celui-ci, n'oublioit rien pour soutenir son entreprise, malgr� tous les obstacles qu'il y rencontroit � chaque pas, il ne laissa pas de disposer un embarquement plus fort que le pr�c�dent, mais on peut dire que ce qu'il obtint de plus avantageux, fut de persuader le Sieur H�bert de passer en Canada avec toute sa famille qui a produit & produira dans la suite de bons sujets, des plus considerables, & des plus zelez pour la Colonie... Toutes choses estant prestes pour faire voile, on leva l'anchre � Honfleur le 11 Avril 1617. Le vaisseau fut command� par le Capitaine Morel.� (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 104, 105.) La travers�e fut longue et orageuse. Arriv�s � environ soixante lieues du grand Banc, nos voyageurs se virent entour�s de glaces immenses, que le vent et les courants poussaient avec violence contre le vaisseau. Dans la consternation g�n�rale, �le P�re Joseph, voyant que tout le secours humain n'estoit point capable de les d�livrer du naufrage, demanda tres-instament celuy du Ciel par les voeux & les pri�res qu'il fit publiquement dans le vaisseau. Il conseilla tout le monde & se mit luy-m�me en �tat de paroistre devant Dieu. On fut touch� de compassion & sensiblement attendri, quand la Dame H�bert �leva par les �coutils le plus petit de ses enfans, afin qu'il receut aussi bien que tous les autres la b�n�diction de ce bon 109/597P�re. Ils n'echaperent que par miracle, comme ils le reconnurent par les lettres �crites en France.� (Ibid. p. 107.) �On avoit des-ja pri� Dieu pour eux � Kebec,� dit Sagard, �les croyans morts & submergez, lors que Dieu leur fist la gr�ce de les delivrer & leur donner passage pour Tadoussac, o� ils arriverent � bon port le 14 jour de juin, apr�s avoir est� treize semaines & un jour en mer dans des continuelles apprehensions de la mort, & si fatiguez qu'ils n'en pouvoient plus... Le P. Joseph monta � Kebec dans les premi�res barques appareill�es, pour aller promptement asseurer les hyvernants de leur delivrance, & comme Dieu avoit eu soin d'eux au milieu de leurs plus grandes afflictions & les avoit prot�g�.� Sans doute, Champlain partit imm�diatement avec le P. le Caron, pour monter � Qu�bec, comme il avait fait au voyage pr�c�dent. �Le P. Paul resta � Tadoussac, o� il c�l�bra la S. Messe pour la premi�re fois dans une Chappelle qu'il bastit � l'ayde des Mattelots & du Capitaine Morel, avec des rameaux & fueillages d'arbres le plus commod�ment que l'on peut. Pendant le S. Sacrifice deux hommes d�cemment vestus estoient � ses cost�s avec chacun un rameau en main pour en chasser les mousquites & cousins, qui donnoient une merveilleuse importunit� au Prestre, & l'eussent aveugl� ou faict quitter le S. Sacrifice sans ce rem�de qui est assez ordinaire & autant utile que facile. Le Capitaine Morel fist en mesme temps tirer tous les canons de son bord, en action de gr�ce & resjouissance de voir dire la saincte Messe o� jamais elle n'avoit est� c�l�br�e, & apr�s les pri�res faictes, pour rendre le corps participant de la feste aussi bien que l'esprit, il donna � disner � tous les Catholiques, & l'apr�s midy on retourna derechef dans la Chappelle, chanter les Vespres solemnellement, de mani�re que cet aspre desert en ce jour l� fut chang� en un petit Paradis, o� les louanges divines retentissaient jusques au Ciel, au lieu qu'auparavant on n'y entendoit que la voix des animaux qui courent ces aspres solitudes... Cette Chappelle a subsist� plus de six ann�es sus pied, bien qu'elle ne fust bastie que de perches & de rameaux comme j'ay dit, mais la modestie & retenue de nos Sauvages n'est pas seulement considerable en cela, mais ce que j'admire encore davantage, est: qu'ils ne touchent point aux barques ny aux chalouppes, que les Fran�ois laissent sur la greve pendant les hyvers, modestie que les Fran�ois mesme n'auroient peut estre pas en pareille libert�, s'ils n'avoient l'exemple des Sauvages... Les affaires du Capitaine Morel estant exp�di�es � Tadoussac, on se mist sous voile pour Kebec, o� la necessit� de toutes choses commen�oit � estre grande & importune aux hivernants, qui ne furent neantmoins gueres soulagez par la venue des barques, qui ne leur donn�rent pour tout rafraichissement, � 50 ou 60 personnes qu'ils estoient, qu'une petite barrique de lard, laquelle un homme seul porta sur son espaule depuis le port jusques � l'habitation, de mani�re qu'avant la fin de l'ann�e, ils tomb�rent presque tous malades de la faim, & d'une certaine espece de maladie qu'ils appellent le mal de la terre, qui les rendoit miserables & languissants, & ce par la faute des chefs qui n'avoient pas fait cultiver les terres, ou eu moyen de le faire... Le retour du P. Joseph minuta un autre pareil voyage au P. Dolbeau qui croyoit y pouvoir op�rer davantage, & representer mieux les necessitez du pa�s, mais il eut affaire avec les mesmes esprits, & tousjours aussi mal disposez au bien, & partant n'y fist rien davantage que de perdre ses peines & s'en retourner derechef en Canada en qualit� de Commissaire avec le fr�re Modeste Guines, aussi mal satisfaict de ces Messieurs qu'avoit est� le P. Joseph. Ce peu d'ordre les fist � la fin resoudre de recommander le tout � Dieu, sans se plus attendre aux marchands, & faire de leur cost� ce qu'ils pourroient, puis qu'il n'y avoit plus d'esperance de secours. En suitte dequoy un chacun des Religieux se proposa un pieux & particulier exercice avec l'ordre du R. P. Commissaire, les uns d'aller hyverner avec les Montagnais, les autres d'administrer les Sacremens aux Fran�ois, & ceux qui ne pouvoient davantage chantoient les louanges de nostre Dieu en la petite Chappelle, instruisoient les Sauvages qui les venoient voir, & vacquoient � la saincte Oraison, & � ce qui estoit des fonctions de Religieux. Pendant le voyage du P. Dolbeau, le P. Joseph fist le premier Mariage qui se soit faict en Canada avec les c�r�monies de la S. Eglise, entre Estienne Jonquest Normand, & Anne H�bert, fille aisn�e du sieur H�bert, qui depuis un an estoit arriv� � Kebec, luy, sa femme, deux filles & un petit gar�on, en intention de s'y habituer... � (Hist. du Canada, p. 34-41.) Le P. le Clercq donne � entendre que ce premier, mariage, fait en Canada, eut lieu dans l'automne de 1617. �Apr�s le d�part des navires,� dit-il, �le P�re Sup�rieur c�l�bra avec les solemnitez ordinaires, le premier mariage qui 110/598se soit fait en Canada. Ce fut entre le sieur Estienne Jonquest natif de Normandie, & la fille aisn�e du sieur H�bert.� Cependant le texte de Sagard laisse supposer qu'Etienne Jonquest ne se serait mari� que dans le printemps de 1618, puisqu'en parlant de Louis Hebert cet auteur remarque qu'il �tait arriv� � Qu�bec depuis un an. Un autre point ou le P. le Clercq se trouve en d�saccord avec le Fr�re Sagard, c'est le motif du voyage du P. d'Olbeau. D'apr�s celui-ci, comme nous venons de le voir, le P. d'Olbeau aurait entrepris le voyage uniquement par l'espoir de faire mieux que ses devanciers: tandis que suivant le P. le Clercq, �les p�rils du voyage engag�rent Champlain � demander le P. Jean Dolbeau au P�re Commissaire, afin de l'accompagner en France.� (Prem. �tabliss. de la Foy, l. I, p. 111, 112.) Ce qu'il y a d'assez probable, c'est que Champlain avait � la fois ces deux motifs de demander le P. d'Olbeau.





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CONTINUATION DES VOYAGES & d�couvertures faictes en la nouvelle France par ledit Sieur de Champlain, Cappitaine pour le Roy en la Marine du Ponant l'an 1618.

u commencement de l'ann�e mil six cens dix-huict, le vingt-deuxiesme de Mars je party de Paris, & mon beau fr�re 159 que je menay avec moy, pour me rendre � Honfleur, havre ordinaire de nostre embarquement, o� estant apr�s un long sejour pour passer la contrari�t� des vents, & retournez en leur bonace & favorables au voyage, nous embarquasmes dans ledit grand vaisseau de ladite association, o� commandoit le sieur du Pont-Grav�, & avec un Gentil-homme, appell� le sieur de la Mothe160, lequel auroit d�s auparavant fait voyage avec les Jesuistes aux lieux de la Cadye, o� il fut pris par les Anglois, & par eux men� aux Virginies, lieu de leur habitation: & quelque temps apr�s 161 le repasserent en Angleterre, & de l� en France, o� le desir & l'affection luy augmenta de voyager derechef en ladite nouvelle France, qui luy fist rechercher les 112/600occasions en mon endroit. Surquoy je l'aurois asseur� d'y apporter mon pouvoir & l'assister envers Messieurs nos associez, comme me promettant qu'ils auroient aggreable la rencontre d'un tel personnage, attendu qu'il leur feroit fort necessaire esdicts lieux.

Note 159: (retour)

Eustache Boull�, fils de Nicolas Boull�, secr�taire de la chambre du roi, et de dame Marguerite Alix. Il �tait �g� alors d'environ dix-huit ans. (State Paper Office, Colonial S�ries, vol. V, 34.)

Note 160: (retour)

Nicolas de Lamothe-le-Vilin. Il �tait lieutenant de la Saussaye, � Saint-Sauveur, en 1613. (Edit. 1632, premi�re partie, p. 106, 112.—Relation du P. Biard, ch. XXXV.)

Note 161: (retour)

En 1614.

Nostre embarquement ainsi faict, nous partismes dudict lieu de Honfleur le 24e jour de May ensuivant audit an 1618, ayant le vent propre pour nostre route, qui neantmoins ne nous dura que bien peu de jours, qui changea aussi-tost, & fusmes tousjours contrari� de mauvais temps, jusques � arriver sur le grand banc o� se font les pescheries du poisson vert, qui fut le troisiesme jour de Juin ensuivant, o� estant, nous apper�eusmes au vent de nous quelques bancs de glaces, qui se deschargeoient du cost� du Nort, & en attendant le vent commode, nous fismes pescheries de poisson, o� il y avoit un grand plaisir, non pour la pesche du poisson seulement, mais aussi d'une sorte d'oiseaux, appellez Fauquets162, & d'autres sortes qui se prennent � la ligne, comme le poisson, car jettant la ligne, & l'ame�on, garny de foye des morues, qui leur servoit d'appast: ces oiseaux se jettoient � la foulle, & en telle quantit� les uns sur les autres, qu'on n'avoit pas le loisir de tirer la ligne hors pour la rejetter, qu'ils se prenoient par le bec, par les pieds, & par les ailles en vollant, & se pr�cipitant sur l'appast, � cause de leur grande avidit�, & gourmandise, dont ceste nature d'oiseaux est compos�e, & en ceste pescherie nous eusmes un extresme contentemens, tant en ceste exercice, 113/601qu'au grand nombre infiny d'oiseaux, & grande quantit� de poisson que nous prismes, fort excellents � manger, & commodes pour un rafraischissement, chose fort necessaire audit vaisseau.

Note 162: (retour)

Ou plut�t fouquets, hirondelles de mer.

Et continuant nostre route le 15e jour dudict mois, nous nous trouvasmes au travers de l'isle perc�e, & le jour S. Jean163 ensuivant nous entrasmes au port de Tadoussac, o� nous trouvasmes nostre petit vaisseau, arriv� trois sepmaines devant nous, les gents duquel nous dirent que le Sieur des Chesnes qui commandoit en icelle estoit all� � Qu�bec, lieu de nostre habitation, & de l� devoit aller aux trois rivieres pour attendre les sauvages qui y debvoient venir de plusieurs contr�es pour traicter, comme aussi pour s�avoir ce qu'on debvoit faire, & d�lib�rer, sur la mort advenue de deux de nos hommes de l'habitation, qui perfidement, & par trahison, hommes, furent tuez par deux meschants gar�ons sauvages, Montaigners, ainsi que ceux dudict vaisseau nous firent entendre, & que ces deux pauvres gents furent tuez allans � la chasse, il y avoit pr�s de deux ans 164, ayans ceux de ladicte habitation tousjours creu qu'ils s'estoient noy�s par le moyen de leur canau, renvers� sur eux, jusques � ce que depuis peu de temps l'un desdicts hommes ayant conceu une haine contre les meurtriers, en auroient adverty, & donn� l'advis � nos gens de 114/602ladite habitation, & comment ce meurtre arriva, & le subject d'icelluy, duquel pour aucunes considerations il m'a sembl� � propos d'en faire le r�cit, & de ce qui se passa lors sur ce subject.

Note 163: (retour)

Le 24 juin.

Note 164: (retour)

Suivant Sagard (Hist. du Canada, p. 42), ce meurtre aurait �t� commis �environ la my-Avril de l'an 1617�: tandis que d'apr�s Champlain, qui fit lui-m�me comme une esp�ce d'enqu�te sur les lieux, la chose se serait pass�e vers la fin de l'�t� 1616. Notre auteur a, du moins, la vraisemblance de son c�t�: car la chasse du gibier, encore aujourd'hui, est extr�mement abondante sur toutes les battures et prairies naturelles de la c�te de Beaupr� et du cap Tourmente, depuis la fin d'ao�t jusque vers la Toussaint; tandis qu'� la mi-avril, il n'y a jamais beaucoup de gibier, pour la bonne raison que le Chenal du Nord est encore, � cette �poque, compl�tement obstru� de glaces.

Quand au discours de ceste affaire, il est presque impossible d'en tirer la v�rit�, tant � cause du peu de tesmoignage qu'on en peut avoir eu, que par la diversit� des rapports qui s'en sont faits, & la plus grande partie d'iceux par presupposition, mais du moins en rapporteray-je en ce lieu, suivant le r�cit du plus grand nombre, plus conforme � la v�rit�, & que j'ay trouv� estre le plus vray-semblable. Le sujet de l'assassin de ces deux pauvres deffuncts est, que l'un de ces deux meurtriers frequentoient ordinairement en nostre habitation, & y recevoit mille courtoisies, & gratiffications, entr'autres du sieur du Parc, Gentilhomme de Normandie, commandant lors audict Qu�bec, pour le service du Roy, & le bien des Marchands de ladite affectation, qui fut en l'ann�e 1616, lequel Sauvage en ceste fr�quentation ordinaire, par quelque jalousie receut un jour quelque mauvais traictement de l'un des 2 morts, qui estoit serrurier de son art, lequel sur aucunes parolles b�tit tellement ledict Sauvage, qu'il luy donna occasion de s'en resouvenir, & ne se contentant pas de l'avoir battu, & outrag�, il incitoit ses compagnons de faire le semblable: ce qui augmenta d'avantage au coeur ledit Sauvage la haine, & animosit� � l'encontre dudit Serrurier, & ses compagnons, & qui le poussa � rechercher l'occasion de s'en venger, espiant le temps, & l'opportunit� pour ce faire, se comportant neantmoins 115/603discrettement & � l'accoustum�e, sans faire demonstration d'aucun ressentiment: Et quelque temps apr�s, ledit Serrurier, & un Mathelot, appell� Charles Pillet, de l'isle de R�, se d�lib�r�rent d'aller � la chasse, & coucher trois ou quatre nuicts dehors, & � cet effect �quipperent un canau, & se mirent dedans, partirent de Qu�bec pour aller au Cap de Tourmente, en de petites isles, o� grande quantit� de gibier, & oiseaux, faisoient leur retraicte, ce lieu estant proche de l'isle d'Orl�ans, distant de sept lieues dudit Qu�bec, lequel partement des nostres fut incontinent descouvert par lesdits deux sauvages, qui ne tard�rent gueres � se mettre en chemin pour les suivre, & ex�cuter leur mauvais desseing: En fin ils espierent o� ledict serrurier, & son compagnon, iroient coucher, affin de les surprendre: ce qu'ayant recognu le soir devant, & le matin venu, � l'aube du jour, lesdits deux sauvages s'escoulent doucement le long de certaines prairies165, assez aggreables, & arrivez qu'ils furent � une 116/604pointe proche du giste de Recerch�166 & de leur canau, mirent pied � terre, & se jetterent en la cabanne, o� avoient couch� nos gents, & o� ils ne trouverent plus que le Serrurier, qui se preparoit pour aller chasser, apr�s son compagnon, & qui ne pensoit rien moins que ce qui luy debvoit advenir: l'un desquels Sauvages s'approcha de luy, & avec quelques douces parolles il luy leva le doubte de tout mauvais soup�on, afin de mieux le tromper: & comme il le vit baiss�, accommodant son harquebuse, il ne perdit point de temps, & tira une massue qu'il avoit sur luy cach�e, & en donna au Serrurier sur la teste si grand coup, qu'il le rendit chancelant & tout estourdy: Et voyant le Sauvage que le Serrurier vouloit se mettre en deffence, il redouble derechef son coup, & le renverse par terre, & se jette sur luy, & avec un cousteau luy en donna trois, ou quatre, coups dedans le ventre, & le tua ainsi miserablement, & affin d'avoir aussi le Mathelot, compagnon du Serrurier, qui estoit party du grand matin pour aller � la chasse, non pour aucune haine particuli�re qu'ils luy portassent, mais afin de n'estre d�couverts, ny accusez par luy. Ils vont le cerchant de�� & del�, en fin le descouvrent par l'ouye d'une harquebusade, laquelle entendue par eux, ils s'advancerent promptement vers le coup, affin de ne donner temps audict Mathelot de recharger son harquebuse, & se mettre en deffence, & s'aprochant de luy, il le tira167 � coups de flesche, & l'ayant abattu par terre de ces coups, ils courent sur luy, & l'achevent � coups de cousteau. Ce faict, ces 117/605meurtriers emportent le corps avec l'autre, & les li�rent ensemble, l'un contre l'autre, si bien qu'ils ne se pouvoient separer, apr�s il leur attach�rent quantit� de pierres, & cailloux, avec leurs armes, & habits, affin de n'estre descouverts par aucune remarque, & les port�rent au milieu de la riviere, les jettent, & coulent au fonds de l'eau, o� ils furent un long-temps, jusques � ce que par la permission de Dieu les cordes se rompirent, & les corps jettez sur le rivage, & si loing de l'eau, que c'estoit une merveille, le tout pour servir de parties complaignantes, & de tesmoins irr�prochables � l'encontre de ces deux cruels, & perfides, assassinateurs: car on trouva ces deux corps loing de l'eau, plus de vingt pas dans le bois, encore liez, & garottez, n'ayans plus que les os tous d�charnez, comme une carcasse, qui neantmoins ne s'estoient point separez pour un si long-temps, & furent les deux pauvres corps trouvez long-temps apr�s par ceux de nostre habitation, les cherchant & d�plorant leur absence le long des rivages de ladite riviere, & ce contre l'opinion de ces deux meurtriers qui pensoient avoir faict leurs affaires si secrettes qu'elles ne se devoient jamais s�avoir, mais comme Dieu ne voulant par sa Justice souffrir une telle meschancet�, l'auroit faict d�couvrir par un autre sauvage, leur compagnon, en faveur de quelque disgrace par luy receue d'eux, & ainsi les meschants desseings se descouvrent.

Note 165: (retour)

Cette expression seule montre assez que les deux fran�ais pass�rent par le Chenal du Nord; car il n'y a point de prairies naturelles du c�t� du sud de l'�le d'Orl�ans. Et il y a bien de l'apparence que cette �pointe proche du giste recerch�,� pr�s de laquelle il y avait �de certaines prairies assez aggreables,� vers le cap Tourmente et proche de l'�le d'Orl�ans, �tait la pointe du Petit-Cap: c'est dans le voisinage de cette pointe qu'�taient les prairies o� Champlain, quelques ann�es plus tard, faisait faire la provision de foin n�cessaire � l'habitation.

Note 166: (retour)

Le manuscrit de l'auteur portait-il du giste de recerche, ou du giste du recerch�, ou enfin du giste recerch�? Dans ces trois suppositions, le sens serait le m�me. Mais Recerch� ne serait-il pas le nom, peut-�tre d�figur�, du serrurier � qui en voulaient les deux sauvages? C'est ce qui para�t bien difficile � d�terminer. Il n'est fait mention, jusqu'� cette �poque, que d'un seul serrurier, Antoine Natel, qui d�couvrit la conspiration tram�e contre Champlain en 1608, et qui, pour cette raison, re�ut sa gr�ce; il est possible que la Providence ait r�serv� une pareille mort � celui qui avait �t� capable de consentir � un complot si criminel. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que Sagard, qui rapporte les choses un peu diff�remment, et qui a presque l'air de vouloir corriger ou compl�ter Champlain, ne donne pas non plus le nom de ce serrurier, quoiqu'il ait vu et connu plusieurs t�moins oculaires de ces �v�nements.—D�s le second tirage de cette �dition, en 1620, on a supprim� les mots de Recerch�, &, et la phrase se lit ainsi: ...proche du giste, sortants de leur canau... Cette m�me correction subsiste encore dans l'�dition de 1627.

Note 167: (retour)

Au lieu de ces mots il le tira, dans l'�dition de 1627, on lit le tir�rent.

Ce qui rendit au P�re Religieux 168, & ceux de l'habitation, fort estonnez en voyant les corps de ces 2 miserables, ayant 118/606les os tous d�couvers, & ceux de la teste brisez des coups de la massue qu'il avoit re�eus des sauvages, & furent lesdicts Religieux, & autres, � l'habitation, d'advis de referrer en quelque part d'icelle, jusques au retour de nos vaisseaux169, affin d'adviser entre tous les Fran�ois � ce qui seroit trouv� bon pour ce regard: Cependant nos gens de l'habitation se resolurent de se tenir sur leurs gardes, & de ne donner plus tant de libert� ausdits sauvages, comme ils avoient accoustum�, mais au contraire qu'il falloit avoir raison d'un si cruel assassin par une forme de justice, ou par quelque autre voye, ou pour le mieux attendre nos vaisseaux, & nostre retour, affin d'adviser tous ensemble le moyen qu'il falloit tenir pour ce faire, & en attendant conserver les choses en estat.

Note 168: (retour)

Pendant l'hivernement 1617-18, le P. le Caron demeura � l'habitation, le P. Paul Huet fut charg� de la mission de Tadoussac, et le Fr�re Pacifique, de celle des Trois-Rivi�res. (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. III.)

Note 169: (retour)

De ce passage, on peut conclure avec assez de vraisemblance, que les corps ne furent retrouv�s qu'au printemps de 1618.

Mais les sauvages voyant que leur malice estoit d�couverte, & eux, & leur assassin, en mauvais odeur aux Fran�ois, ils entr�rent en deffiance, & crainte, que nos gents n'exer�assent sur eux la vangeance de ce meurtre, se retir�rent de nostre habitation pour un temps, tant les coulpables du faict que les autres convaincus d'une crainte dont ils estoient saisis170, & ne venoient plus � laditte habitation comme ils avoient accoustum�, attendant quelque plus grande seuret� pour eux.

Note 170: (retour)

Suivant Sagard, il y avait quelque chose de plus grave. �On estoit menac� de huict cens Sauvages de diverses nations, qui s'estoient assemblez �s trois rivieres � dessein de venir surprendre les Fran�ois & leur coupper � tous la gorge, pour prevenir la vengeance qu'ils eussent pu prendre de deux de leurs hommes tuez par les Montagnais... Mais comme entre une multitude il est bien difficile qu'il n'y aye divers advis, cette arm�e de Sauvages pour avoir est� trop long-temps � se resoudre de la mani�re d'assaillir les Fran�ois, en perdirent l'occasion, plus par divine permission, que pour difficult� qu'il y eust d'avoir le dessus de ceux qui estoient des-ja plus que demi morts de faim, & abbatus de foiblesse.� (Hist. du Canada, p. 42.)

119/607Et se voyant privez de nostre conversation, & bon accueil accoustum�, lesdicts Sauvages envoyerent un de leurs compagnons, nomm� par les Fran�ois la Ferriere171, pour faire leurs excuses de ce meurtre, � s�avoir qu'ils protestoient n'y avoir jamais adh�r�, ny consenty aucunement, se soubsmettant que si on vouloit avoir les deux meurtriers pour en faire la justice, les autres sauvages le consentiroient volontiers, si mieux les Fran�ois n'avoient aggreable pour r�paration & recompense des morts, quelques honnestes presents des pelletries, comme est leur coustume, & pour une chose qui est irr�cup�rable: ce qu'ils pri�rent fort les Fran�ois d'accepter plustost, que la mort des accusez qu'ils prevoyoient mesme leur estre de difficille ex�cution, & ce faisant oublier toutes choses comme non advenues172.

Note 171: (retour)

La Foriere, d'apr�s Sagard, �(que j'ay fort cognu), dit-il, fin & hault entre tous les Sauvages & capable de conduire quelque bonne entreprise.� (Hist. du Canada, p. 42.)

Note 172: (retour)

Sagard nous a conserv�, sur cette premi�re d�marche des sauvages, quelques d�tails qui compl�tent ce que dit ici l'auteur. �Ils envoyerent le mesme la Foriere demander pardon & reconciliation avec les Fran�ois, avec promesse de mieux faire � l'advenir, ce qu'ils obtindrent d'autant plus facilement que la paix estoit necessaire � l'une & � l'autre des parties. En suitte ils envoyerent quarante Canots de femmes & d'enfans pour avoir dequoy manger, disans qu'ils mouroient tous de faim, ce que consider� par ceux de l'habitation, ils leur distribuerent ce qu'ils purent, un peu de pruneaux & rien plus, car la necessit� estoit grande par tout entre nous aussi bien qu'entre les Sauvages: laquelle fut cause de nous faire tous filer doux & tendre � la paix. La chose estant r�duite a ce point, il ne restoit plus qu'� conclure les articles, mais pource que les Sauvages demeuroient tousjours � leur ancien poste, on envoya sauf conduit � leurs Capitaines pour descendre � Kebec, ou ils arriv�rent chargez de presens & de complimens avec des demonstrations de vraie amiti�, pendant que leur arm�e faisoit alte � demi lieue de l�. Les harangues ayans est� faictes & les questions necessaires agit�es avec une ample protestation des Montagnais qu'ils ne cognoissoient les meurtriers des Fran�ois; ils offrirent leurs presens & promirent qu'en tout cas ils satisferoient � ceste mort. Beauchesne & tous les autres Fran�ois estoient bien d'avis de les recevoir � ceste condition, mais le P. Joseph le Caron & le V. Paul Huet s'y opposerent absolument, disans qu'on ne devoit pas ainsi vendre la vie & le sang des Chrestiens pour des pelleteries, & que ce seroit tacitement autoriser le meurtre, & permettre aux Sauvages de se vanger sur nous & nous mal traicter � la moindre fantasie musqu�e qui leur prendroit, & que si on recevit quelque chose d'eux, que ce devoit estre seulement en depost, & non en satisfaction, jusques � l'arriv�e des Navires, qui en ordonneroient ce que de raison. Ainsi Beauchesne ne receut rien qu'a ceste condition. De plus nos P�res influ�rent que les meurtriers devoient estre representez...� (Hist. du Canada, P. 44, 45.)

120/608A quoy de l'advis des P�res Religieux fut respondu & conclu, que lesdicts Sauvages ameneroient, & representeroient, les deux mal-faicteurs, affin de s�avoir d'eux leurs complices, & qui les avoit incit�s � ce faire: ce qu'ils firent entendre audit la Ferriere pour en faire rapport � ses compagnons.

Ceste resolution ainsi prise, ledict la Ferriere se retira vers ses compagnons, & leur ayant fait entendre la resolution des Fran�ois, ils trouverent ceste proc�dure, & forme de justice � eux fort estrange, & assez difficille, d'autant qu'ils n'ont point de justice establie entr'eux, sinon la vengeance ou la recompense par presens. Et ayant consider� le tout, & consult� ceste affaire entr'eux, ils appellerent les deux meurtriers & leur representerent le malheur o� ils s'estoient pr�cipitez, & l'�venement de ce meurtre, qui pourroit causer une guerre perp�tuelle avec les Fran�ois; leurs femmes, & enfans, en pourroient p�tir, quant bien ils nous pourroient donner des affaires, & nous tiendroient serrez en nostre habitation, nous empescheroient de chasser, cultiver, & labourer les terres, que nous sommes en trop petit nombre pour tenir la riviere serr�e, comme par leurs discours ils se persuadoient, mais qu'en fin de toutes leurs conclusions il valloit mieux vivre en paix avec lesdict Fran�ois, qu'en une guerre, & une deffiance perp�tuelle, & � ceste cause la compagnie desdicts sauvages finissant le discours, & ayant represent� l'intelligence de ces choses ausdits accusez, leur demandent s'ils n'auroient pas bien le courage de se transporter avec nous en ladite habitation des Fran�ois, & de comparoir devant eux, leur 121/609promettant qu'ils n'auroient point de mal, que les Fran�ois estoient doux, & pardonnoient volontiers, bref qu'ils feroient tant envers eux, qu'ils leur remettroient ceste faute, � la charge de ne retourner plus � telle meschancet�, lesquels deux criminels se voyant convaincus en leur conscience, subirent � ceste proposition, & s'accordent de suivre cet advis, suivant lequel, � s�avoir l'un deux qui se pr�para, & accommoda, d'habits, & d'ornements � luy possible, comme s'il eust est� invit� d'aller aux nopces, ou � quelque feste solemnelle, lequel en ceste equippage vint en laditte habitation, accompagn� de son p�re, & autres des principaux chefs, & Cappitaine de leur compagnie: Quant � l'autre meurtrier, il s'excusa de ce voyage173, craignant quelque punition estant convaincu en soy-mesme de ce meschant acte.

Note 173: (retour)

Des Trois-Rivi�res � Qu�bec. C'est aux Trois-Rivi�res, suivant Sagard, que s'�taient assembl�s les sauvages.

Estans donc entrez en ladicte habitation, qui aussi tost fut circuite d'une multitude de Sauvages de leur compagnie, on leva le pont174, & chacun des Fran�ois se mit sur ses gardes, & leurs armes en main faisant bon guet, & sentinelles pos�es aux lieux necessaires, craignant l'effort des Sauvages de dehors, par ce qu'ils se doubtoient qu'on voulust faire justice actuelle du coulpable, qui si librement s'estoit expos� � nostre mercy, & non luy seulement, mais aussi ceux qui l'avoient accompagn� au dedans, lesquels pareillement n'estoient pas trop asseurez de leurs personnes, voyant les 122/610choses dispos�es en ceste fa�on, n'esperoient pas sortir leur vies sauves. Le tout fut assez bien fait, conduit, & ex�cut�, pour leur faire sentir la grandeur de ce mal, & appr�hender pour le futur, autrement il n'y eust eu plus de seuret� en eux, que les armes en la main, avec une perp�tuelle deffiance.

Note 174: (retour)

Tout autour de la petite habitation de Qu�bec, r�gnait un foss� de quinze pieds de large, sur lequel il y avait, du c�t� du fleuve, un pont-levis, que Champlain avait fait faire d�s l'automne de 1608. (Voir le dessin de l'Abitation de Quebecq, �d. 1613, ch. IV.)

Ce faict, estans lesdicts sauvages sur l'incertitude de l'�venement de quelque effet contraire � ce qu'ils esperoient de nous, les P�res Religieux comman�ent � leur faire une forme de harangue sur ce subject criminel, leur representant l'amiti� que les Fran�ois leur avoient port�e depuis dix ou douze ans en �a, que nous avions commenc� � les cognoistre, & depuis tous-jours vescu paisiblement, & famili�rement avec eux, mesme avec telle libert�, qu'elle ne se pouvoit exprimer: & de plus, que je les avois assistez de ma personne par plusieurs fois � la guerre, contre leurs ennemis, & � icelle expos� ma vie pour leur bien, sans qu'au pr�alable ils nous y eussent oblig�s aucunement, sinon que nous estions poussez d'une amiti� & bonne vollont� envers eux, ayans compassion de leurs miseres & persecutions que leur faisoient souffrir & endurer leurs ennemis. C'est pourquoy nous ne pouvions croire que ce meurtre se fut faict sans leur consentement, veu d'autre part qu'ils entreprenoient de favoriser ceux qui l'ont commis.

Et parlant au P�re du criminel, il 175 luy represente l'enormit� du faict ex�cut� par son fils, & que pour r�paration d'icelle, il meritoit la mort, attendu que par nostre loy un 123/611tel faict si pernicieux ne demeuroit impuny, & quiconque s'en trouve attaint & convaincu, m�rite condemnation de mort, pour r�paration d'un si meschant faict, mais pour ce qui regardoit les autres habitants du pa�s, non coulpables de ce crime, on ne leur vouloit aucun mal, ny en tirer contr'eux aucune consequence.

Note 175: (retour)

Le P. le Caron, sans doute. (Voir, ci-devant, p. 117, note l.)

Ce qu'ayant tous lesdicts sauvages bien entendu, ils dirent pour toutes excuses, neantmoins avec tout respect, qu'il n'estoient point consentants de ce faict, qu'ils s�avoient tr�s-bien que ces deux criminels meritoient la mort, si mieux on n'aymoient leur pardonner, qu'ils s�avoient bien de fait leur meschancet�, non devant, mais apr�s le coup faict, & la mort de ces deux pauvres miserables, ils en avoient eu l'advis, mais trop tard, pour y rem�dier, & que ce qu'ils avoient tenu secret, estoit pour tousjours maintenir leur famili�re conversation, & cr�dit envers nous, protestant qu'ils en avoient faict aux malfaicteurs de grandes reprimendes, & r�put� le malheur qu'ils avoient attir�, non sur eux seulement, mais sur toute leur nation, parents, & amis: surquoy ils leur auroient promis qu'un tel malheur ne leur adviendroit jamais, les priant d'oublier ceste faute, & de ne la tirer en consequence, que ce fait pourroit bien m�riter, mais plustost de rechercher la cause premi�re qui a meu ces deux Sauvages d'en venir l�, & d'y avoir esgard: d'ailleurs, que librement le present criminel s'estoit venu rendre entre nos bras, non pour estre puny, ains pour y recevoir gr�ce des Fran�ois: Neantmoins le p�re parlant aux Religieux dist en plorant, tien voila mon 124/612fils qui a commis le delict suppos�, il ne vaut rien, mais ayes esgard que c'est un jeune fol & inconsid�r�, qui a plustost fait cet acte par folie, pouss� de quelque vangeance, que par prudence, il est en toy de luy donner la vie ou la mort, tu en peus faire ce que tu voudras, d'autant que luy, & moy, sommes en ta puissance, & en suitte de ce discours le fils criminel prist la parolle, & se presentant, asseur� qu'il estoit, dit ces mots: L'apprehension de la mort ne m'a point tant saisi le coeur, qu'il m'aye empesch� de la venir recevoir pour l'avoir m�rit�, selon vostre loy, me recognoissant bien coulpable d'icelle: & lors fist entendre � la compagnie la cause de ce meurtre, ensemble le desseing, & l'ex�cution d'iceluy, selon, & tout ainsi, que je l'ay recit�, & represent� cy-dessus.

Apr�s le r�cit par luy faict, il s'adresse � l'un des facteurs, & commis des Marchands de nostre association, appel� Beauchaine, le priant qu'il le fist mourir sans autre formalit�.

Alors les P�res Religieux prirent la parole, & leur dirent que les Fran�ois n'avoient ceste coustume de faire mourir entr'eux ainsi subittement les hommes, & qu'il en falloit d�lib�rer avec tous ceux de l'habitation, & ceste affaire mise en d�lib�ration sur le tapis, fut advis� qu'elle estoit de grande consequence, qu'il la falloit conduire dextrement, & la mesnager � propos, attendant une autre occasion meilleure, & plus seure, pour en tirer la raison, & que pour lors il n'estoit ny � propos, ny raisonnable pour beaucoup de raisons. La premi�re que nous estions foibles, au regard du nombre des Sauvages qui estoit 125/613dehors & dedans nostre habitation, qui vindicatifs & pleins de vangeance, comme ils sont, eussent peu mettre le feu par tout, & nous mettre en desordre. La deuxiesme raison est, qu'il n'y eust plus eu de seuret� en leur conversation, & vivre en perp�tuelle deffiance. La troisiesme, que le commerce pourroit estre alt�r�, & le service du Roy retard�, & autres raisons assez preignantes, lesquelles bien consider�es fut advis� qu'il se falloit contenter de ce qu'ils s'estoient mis en leur debvoir, & submis d'y vouloir satisfaire, tant par le p�re du criminel, l'ayant represent�, & offert, � la compagnie, que par luy mesme, � s�avoir le coulpable offrant & exposant sa vie pour r�paration de sa faute, mesme que le p�re offroit le representer toutesfois & quantes qu'il en seroit requis: Ce qu'il failloit tenir pour une espece d'amande honorable, & une satisfaction � justice: que luy remettant ceste faute, non le criminel seullement tiendroit sa vie de nous, mais aussi son p�re & ses compagnons se tiendroient fort obligez, & que cependant il leur falloit dire par forme d'excuse, & de suject, que puisque le criminel avoit asseur� par affirmation publique, que tous les autres Sauvages n'estoient en rien adherans ny coulpables de ce fait, & qu'avant l'ex�cution d'iceluy ils n'en avoient eu aucun advis: consider� aussi que librement il s'estoit present� � la mort, il avoit est� advis� de le rendre � son P�re, qui en demeureroit charg�, pour le representer toutesfois & quantes, � la charge aussi que d'ores-en-avant il feroit service aux Fran�ois, on luy donnoit la vie, pour demeurer luy & tous les Sauvages amis, & serviteurs des Fran�ois.

126/614Ceste resolution faite, neantmoins en attendant les vaisseaux de retour de France, pour, suivant l'advis des Cappitaines, & autres, en resoudre deffinitivement, & avec plus d'authorit�, leur promettant tous-jours toute faveur, & de leur faire sauver la vie, & cependant pour seuret� leur fut dit, qu'ils laisseroient quelques-uns de leurs enfans par forme d'hostage, � quoy ils s'accord�rent fort volontiers, & en laisserent deux176 � l'habitation, entre les mains desdicts P�res Religieux, qui leur comman�erent � montrer les lettres, & en moins de trois mois leur apprirent l'alphabet des lettres, & � les former, qui de l� fait juger qu'ils se peuvent rendre propres & docilles � l'�rudition, comme le P�re Joseph en peut rendre tesmoignage.

Note 176: (retour)

�L'un nomm� Nigamon, & l'autre Tebachi, assez mauvais gar�on bien qu'il fust fils d'un bon p�re, pour le premier il estoit assez bon enfant & se porta tousjours au bien. Nos P�res l'instruisirent � la foy & aux lettres pendant tout un hyver qu'il demeura avec nous, & � l'arriv�e des navires il eust est� bien aise d'aller en France pour y vivre parmi les Chrestiens, mais ny luy ny eux ne le peurent obtenir des marchands, non plus que pour plusieurs autres; pour le second il s'enfuit apr�s avoir est� quelque temps � l'habitation, dequoy on ne se mit gu�re en peine, aussi n'y avoit-il gu�re d'esperance de pouvoir faire d'un si mauvais gar�on un bon Chrestien.� (Sagard, Hist. du Canada, p. 45, 46.)

Et iceux vaisseaux arrivez � bon port, nous eusmes l'advis du sieur du Pont Grav�, & quelques autres, & moy, comme cette affaire s'estoit pass�e 177, selon le discours cy-dessus, & alors tous ensemble advisasmes qu'il estoit � propos de faire ressentir aux Sauvages l'�normit� de ce meurtre, & neantmoins n'en venir � ex�cution pour aucunes bonnes raisons, voire pour plusieurs considerations qui se pourront dire cy-apr�s.

Note 177: (retour)

Pont-Grav� ne faisant que d'arriver comme Champlain, il nous semble que la phrase doit se lire ainsi: nous eusmes l'advis, le sieur du Pont Grav�, & quelques autres, & moy, comme ceste affaire s'estoit pass�e.

Et aussi-tost que nos vaisseaux furent entrez au port de 127/615Tadoussac, mesme d�s le lendemain au matin178, le sieur du Pont, & moy, nous remontasmes en une petite barque du port, de dix � douze tonneaux, comme d'autre-part le sieur de la Mothe, avec le P�re Jean d'Albeau179 Religieux, & l'un des Commis, & Facteur des Marchands, appelle Loquin, s'embarqu�rent en une petite Challouppe, & ainsi partismes ensemble dudit Tadoussac, demeurans180 au vaisseau un autre Religieux, appelle P�re Modeste181, avec le Pillotte, & le Maistre du vaisseau, pour la conservation de l'�quippage, restans en icelluy, & arrivasmes � Qu�bec, lieu de nostre habitation, le vingt-septiesme Jour de juin ensuivant, o� nous trouvasmes les P�res Joseph, Paul, & Passifique Religieux, avec le sieur H�bert, & sa famille, & autres hommes de l'habitation, se portans tous bien, & joyeux de nostre retour, en bonne sant�, eux & nous, gr�ces � Dieu.

Note 178: (retour)

Le 25 juin.

Note 179: (retour)

D'Olbeau. (Voir p. 7, note 2.) �Nos P�res mesmes ne purent se deffendre des pri�res que le P. Jean d'Olbeau leur fit pour retourner en Canada avec M. de Champlain.� (Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 124.)

Note 180: (retour)

A la place du mot demeurans, l'�dition de 1627 porte restants.

Note 181: (retour)

Fr�re Modeste Guines. (Sagard, Hist. du Canada, p. 40.—Le Clercq, Prem. �tabliss. de la Foy, t. I, p. 124.)

Le mesme jour le sieur du Pont d�lib�ra d'aller au lieu des trois rivieres, ou se faisoit la traite des Marchands, & porter avec luy quelques marchandises pour aller trouver le sieur des Chesnes qui y estoit des-ja, & mena avec luy ledict Loquin, comme susdict, & pour mon regard je demeuray en nostre habitation quelques jours 182, o� je m'occupp� aux affaires d'icelles, entr'autres choses � faire un fourneau pour faire une espreuve de certaines cendres dont on m'avoit donn� le 128/616m�moire, lesquelles, � la v�rit�, sont de grande valleur, mais il y a de la peine, de l'industrie, vigillance, & de la conduite, & parce qu'il est requis en l'exercice, & fa�on de ces cendres des hommes entendus en cet art, & en quantit� convenable. Ceste premi�re espreuve n'a peu sortir � effect, la reservant � une autre plus grande commodit�.

Note 182: (retour)

Depuis le 27 de juin jusqu'au 5 de juillet.

Je visitay les lieux, les labourages 183 des terres que je trouvay ensemenc�es, & charg�es, de beaux bleds: les jardins184 chargez de toutes sortes d'herbes, comme choux, raves, laictues, pourpi�, oseille, persil, & autres herbes, sitrouilles, concombres, melons, poix, f�ves, & autres l�gumes, aussi beaux, & advancez, qu'en France, ensemble les vignes transport�es, & plantez sur le lieu des-j� bien advanc�es, bref le tout s'augmentant, & accroissant, � la veue de l'oeil: non qu'il en faille donner la louange apr�s Dieu ny aux laboureurs, ny au fient qu'on y ait mis, car comme il est � croire, il n'y en a pas beaucoup, mais � la bont�, & valleur de la terre, qui de soy est naturellement bonne, & fertille en toute sorte de biens, ainsi que l'exp�rience le d�montre, & pourroit-on y faire de l'augmentation & du profit, tant par le labourage d'icelle, culpture, & plants d'arbres fruittiers, & vignes, qu'en nourriture & eslevation de bestiaux, & vollatilles 129/617ordinaires en France: Mais ce qui manque � ce beau desseing est le peu de zelle,& affection, que l'on a au bien & service du Roy.

Note 183: (retour)

C'�taient les labourages de Louis H�bert, ou, comme on disait alors, son d�sert, et, un peu plus tard, son enclos. Cette terre (le fief du Saut-au-Matelot) lui fut d'abord conc�d�e par le duc de Montmorency, en date du 4 f�vrier 1623; puis,—le dernier de f�vrier 1626, son premier titre lui f�t confirm� par le duc de Ventadour. (Archives du S�minaire de Qu�bec, Registre A, seconde partie, fol. I, et Carton AA.)

Note 184: (retour)

Les jardins �taient �autour du logement� (Voy. 1613, p. 156); mais comme il y avait une place devant l'habitation, et une autre � du c�t� du septentrion,� il faut conclure que la meilleure partie du jardin �tait le terrain o� passe maintenant la rue Sous-le-Fort, et celui qui avoisinait le Cul-de-Sac.

Je sejournay quelque espace de temps audict Qu�bec, en attendant autres nouvelles, & lors survint une barque venant de Tadoussac185, envoy�e par le sieur du Pont pour venir qu�rir les hommes, & marchandises, restants audit grand vaisseau audit lieu, & passants par Qu�bec je m'embarquay avec eux pour aller audit lieu des trois rivieres, o� se faisoit la traicte, affin de voir les Sauvages, & communiquer avec eux, & voir 186 ce qui se passait touchant l'assassin cy-dessus d�clar�, & ce qu'on y pourroit faire pour pacifier & adoucir le tout.

Note 185: (retour)

; C'est-�-dire, une barque venant de Tadoussac, qui y avait �t� envoy�e des Trois-Rivi�res par le sieur du Pont, etc. Ou bien il faudrait lire: venant � Tadoussac...

Note 186: (retour)

L'�dition de 1627 remplace ce mot par descouvrir.

Et le cinquiesme jour de Juillet ensuivant, je party de Qu�bec le Sr. de la Motte avec moy187, pour aller audit lieu des trois rivieres, tant pour faire ladicte traicte, que voir les Sauvages, & arrivasmes sur le soir devant Saincte Croix 188, lieu sur le chemin ainsi appell�, o� nous apper�eusmes une Challouppe, venant droict � nous, o� il y avoit quelques hommes, de la part des sieurs du Pont, des Chesnes, & quelques autres Commis & facteurs des Marchands me pri�rent de depescher promptement laditte Chalouppe, & l'envoyer audict Qu�bec qu�rir quelques marchandises restantes, & qu'il estoit venu un grand nombre de Sauvages, � desseing d'aller faire la guerre 189.

Note 187: (retour)

Dans l'�dition de 1627, on lit: je party de Quebec avec le sieur de la Motthe, etc.

Note 188: (retour)

Le Platon.

Note 189: (retour)

Cette derni�re partie de la phrase se lit ainsi, dans l'�dition de 1627: qu�rir des marchandises, d'autant que les sauvages estoient venus au lieu de la traite en si grand nombre, que les marchandises qu'on leur avoit apport�es ne pouvoient suffire.

130/618Lesquelles nouvelles nous furent fort aggreables, & pour leur satisfaire d�s le lendemain au matin 190, je laissay ma barque, & m'embarquis dans une challouppe, pour aller plus promptement veoir les sauvages, & l'autre qui venoit des trois rivieres continua son chemin � Qu�bec, & fismes tant � force de rames,191 que nous arrivasmes audit lieu le septiesme jour de Juillet, sur les trois heures du soir, o� estans, je mis pied � terre, lors tous les sauvages de ma cognoissance, & au pa�s desquels j'avois est� famillier avec eux, m'attendoient avec impatience & vindrent au devant de moy & comme fort contans & joyeux de me revoir, m'embrassant l'un apr�s l'autre, avec demonstration d'une grande resjouissance, comme aussi de ma part je leur faisois le semblable & ainsi se passa la soir�e, & reste dudict jour en ceste allegresse jusques au lendemain que lesdits Sauvages tindrent entr'eux Conseil, pour s�avoir de moy si je les assisterois encores en leurs guerres contre leurs ennemis, ainsi que j'avois fait par le pass�, & comme je leur avois asseur�192, desquels ennemis ils sont cruellement molestez & travaillez.

Note 190: (retour)

Le 6 de juillet.

Note 191: (retour)

Apparemment, il y avait ici, dans le manuscrit de l'auteur, quelque chose qui avait �t� omis dans le travail de la composition typographique; car l'�dition de 1627, en reproduisant ce passage, y ajoute toute une phrase, qui ne pouvait �tre suppl��e que par l'auteur ou par un t�moin oculaire. Apr�s ces mots je laissay ma barque, on y lit: & montay en laditte challouppe pour retourner audict Quebec, o� estants, je la fis charger de plusieurs especes de marchandises en quantit�, y des plus exquises y necessaires ausdits sauvages gui restoient aux magasins de ladite habitation. Ce fait, le lendemain matin je m'embarquis en une chalouppe moi sixiesme pour aller � laditte traite, & fismes tant qu'� force de rames... Les quelques autres changements qu'on y a faits, n'affectent point le sens, et n'ont gu�res d'autre but que de faciliter le remaniement typographique.

Note 192: (retour)

L'�dition de 1627 porte promis.

Et cependant de nostre part consultasmes ensemble pour resoudre 131/619ce que nous avions affaire sur le subject du meurtre de ces deux pauvres deffuncts, affin d'en faire justice, & par ce moyen les ranger au devoir de rien faire � l'advenir193.

Note 193: (retour)

Dans l'�dition de 1627, la phrase se lit ainsi: affin d'en tirer vangeance en justice, � l'encontre des deux assassinateurs leurs complices & adherans.

Quand � l'instance requise par les Sauvages, pour faire la guerre � leurs ennemis, je leur fis responce que la volont� ne m'avoit point chang�e, ny le courage diminu�: Mais ce qui m'empeschoit de les assister estoit, que l'ann�e derni�re, lors que l'occasion, & l'opportunit� s'en presentoit, ils me manqu�rent au besoing, d'autant qu'ils m'avoient promis de revenir avec bon nombre d'hommes de guerre, ce qu'ils ne firent, qui me donna subject de me retirer sans faire beaucoup d'effect, & que neantmoins il falloit en adviser, mais que pour le present il estoit raisonnable de resoudre ce qu'il falloit faire sur la mort assassinat de ces deux pauvres hommes, & qu'il en falloit tirer raison, alors sortans de leur conseil comme en cholere & faschez sur ce subject194, ils s'offrirent de tuer les criminels, & y aller d�s lors en faire l'ex�cution si on voulloit le consentir, recognoissant bien entr'eux l'enormit� de ceste affaire, � quoy neantmoins nous ne voullusmes entendre, remettant seullement leur assistance � une autre fois, en les obligeant de revenir vers nous avec bon nombre d'hommes l'ann�e prochaine, & que cepandant je supplierois le Roy de nous favoriser d'hommes, de moyens, & commoditez, pour les assister, & les faire jouyr du repos par eux esper�, & de la victoire sur leurs ennemis, dont ils furent 132/620fort contents, & ainsi nous nous separasmes, encores qu'ils firent deux ou trois assembl�es sur ce subject, qui nous fist passer quelques heures de temps. Deux ou trois jours apr�s mon arriv�e audit lieu195, ils comman�erent � se resjouyr, dancer, & faire plusieurs grands festins sur l'esperance de la guerre � l'advenir, o� je les devois assister196.

Note 194: (retour)

Dans l'�dition de 1627, au lieu de ces mots en cholere & faschez sur ce subject, on lit: en col�re de les rabattre sur ce subject.

Note 195: (retour)

Le 9 ou le 10 de juillet.

Note 196: (retour)

Dans l'�dition de 1627, cette derni�re phrase a �t� remplac�e par la suivante: 2 ou 3 jours apr�s mon arriv�e audit lieu, on comman�a � traiter avec les sauvages tout ce qu'on avoit apport� de marchandise, bonne & mauvaise, mesme celle qui de long-temps avoit est� mise � mespris, & gardaient le magasin.

Ce fait, je represent� audict sieur du Pont ce qu'il me sembloit de ce meurtre, qu'il estoit � propos d'en faire une plus grande instance, & quoy voyant les Sauvages se pourroient licentier, non seulement d'en faire de mesme, mais de plus prejudiciable, que je les recognoissois estre gents qui se gouvernent par exemple, qu'ils pourroient accuser les Fran�ois de manquer de courage, que de n'en parler plus, ils jugeront que nous aurons peur, & crainte d'eux, & les laissans passer � si bon march�, ils se rendront plus insolents, audacieux, & insupportables, mesmes leur donneroit subject d'entreprendre de plus grands & pernicieux desseings: d'ailleurs que les autres nations sauvages qui ont, ou auront cognoissance de ce faict, & demeurez sans estre vengez, ou vengez par quelque dons & presens, comme c'est leur coustume, ils se pourroient vanter que de tuer un homme, ce n'est pas grande chose, puisque que les Fran�ois en font si peu d'estat, de voir tuer leurs compagnons par leurs voisins, qui bornent & mangent avec eux, 133/621se pourmenent, & conversent famili�rement avec les nostres, ainsi qu'il se peut voir197.

Note 197: (retour)

Cette raison �tait fort bien motiv�e, car quelques sauvages, entre autre les Hurons, au rapport de Sagard, ne purent s'emp�cher de faire la remarque, que les Fran�ais avaient coul� assez doucement sur cette affaire. �Les Chefs Fran�ois, dit cet auteur, firent assembler en un conseil g�n�ral, tous les Sauvages qui se trouverent pour lors � la traite, o� les meurtriers ayans est� grandement blasmez, furent en fin pardonnez � la pri�re de ceux de leur nation, qui promirent, un amendement pour l'advenir, moyennant quoy le sieur Guillaume de Caen g�n�ral de la flotte, assist� du sieur de Champlain, & des Capitaines de Navires, prit une esp�e nue qu'il fit jetter au milieu du grand fleuve sainct Laurens en la presence de nous tous, pour asseurance aux meurtriers Canadiens, que leur faute leur estoit enti�rement pardonn�e, & ensevelie dans l'oubly, en la mesme sorte que cette esp�e estoit perdue & ensevelie au fond des eaues, & par ainsi qu'ils n'en parleroient plus. Mais nos Hurons qui s�avent bien dissimuler & qui tenoient bonne mine en cette action, estans de retour dans leur pays, tourn�rent toute cette c�r�monie en ris�e, & s'en mocquerent disans que toute la cholere des Fran�ois avoit est� noy�e en ceste esp�e, & que pour tuer un Fran�ois on en seroit doresnavant quite pour une douzaine de castors, en quoy ils se trompoient bien fort, car ailleurs on ne pardonne pas si facilement, & eux-mesme y seront quelques jours trompez s'ils sont des mauvais, & que nous soyons les plus forts.� (Hist. du Canada, p. 236, 237.)

Mais aussi d'autre-part recognoissants les Sauvages gents sans raison, de peu d'acc�s, & faciles � s'estranger, & fort prompts � la vangeance: Que si on les presse d'en faire la justice, il n'y auroit nulle seuret� pour ceux qui se disposeront de faire les descouvertures parmy eux. C'est pourquoy, le tout consider�, nous nous resolusmes de couller ceste affaire � l'amiable, & passer les choses doucement, laissant faire leur traict�198 en paix avec les commis & facteurs des Marchands, & autres qui en avoient la charge.

Or y avoit-il avec eux un appell� Estienne Br�l�, l'un de nos truchemens, qui s'estoit addonn� avec eux depuis 8 ans, tant pour passer son temps, que pour voir le pays, & apprendre leur langue & fa�on de vivre, & est celuy que j'avois envoy�, & donn� charge d'aller vers les Entouhonorons 199 � Caranto�an, 134/622affin d'amener avec luy les 500 hommes de guerre qu'ils avoient promis nous envoyer pour nous assister en la guerre o� nous estions engag�s contre leurs ennemis, & dont mention est faite au discours de mon pr�c�dent livre200. J'appelle cet homme, s�avoir Estienne Br�l�, & communiquant avec luy, je luy demanday pourquoy il n'avoit pas amen� le secours des 500 hommes, & la raison de son retardement, & qu'il ne m'en avoit donn� advis, alors il m'en dist le subject, duquel il ne sera trouv� hors de propos d'en faire le r�cit, estans plus � plaindre qu'� blasmer, pour les infortunes qu'il receut en ceste commission.

Note 198: (retour)

Traicte.

Note 199: (retour)

Du c�t� des Entouhoronons, ou Tsonnontouans, mais au-del�.

Note 200: (retour)

Voir p. 35.

Il comman�a � me dire que depuis qu'il eut prins cong� de moy pour aller faire son voyage, & executer sa commission, il se mit en chemin, avec les 12 Sauvages que je luy avois baill� lors pour le conduire, & luy faire escorte � cause des dangers qu'il avoit � passer, & tant chemin�rent qu'ils parvindrent jusques audit lieu de Caranto�an, qui ne fut pas sans courir fortune, d'autant qu'il leur falloit passer par les pa�s & terres des ennemis, & pour �viter quelque mauvais desseing, ils furent en cerchant leur chemin plus asseur� de passer par des bois, forests, & halliers espois & difficiles, & par des pallus marescageux, lieux & deserts fort affreux, & non fr�quent�s, le tout pour �viter le danger, & la rencontre des ennemis.

Et neantmoins ce grand soin ledit Br�l�, & ses compagnons sauvages en traversans une campagne ne laisserent de faire rencontre de quelques sauvages ennemis, retournans � leur village, lesquels furent surprins, & deffaicts par nosdicts 135/623sauvages, dont quatre des ennemis furent tu�s sur le champ, & deux prins prisonniers, que ledit Br�l�, & ses compagnons emmen�rent jusques audit lieu de Caranto�an, o� ils furent re�eus des habitans dudit lieu, de bonne affection, & avec toute allegresse, & bonne ch�re, accompagn�e de dances, & festins, dont ils ont accoustum� festoyer, & honorer, les estrangers.

Quelques jours se pass�rent en ceste bonne r�ception, & apr�s que ledit Br�l� leur eust dit sa l�gation, & fait entendre le subject de son voyage, les sauvages dudit lieu s'assemblerent en conseil, pour d�lib�rer & resoudre sur l'envoi des 500 hommes de guerre, demand�s par ledit Br�l�.

Le conseil tenu, & la resolution prise de les envoyer, ils donn�rent charge de les assembler, pr�parer, & armer, pour partir & venir nous joindre, & trouver o� nous estions campez devant le fort & village de nos ennemis, qui n'estoit qu'� 3 petites journ�es de Caranto�an, ledit village muny de plus de 800 hommes de guerre, bien fortifi� � la fa�on de ceux cydessus specifiez, qui ont de hautes & puissantes pallissades, bien li�es & joinctes ensemble, & leur logement de pareille fa�on.

Ceste resolution ainsi prinse par les habitants dudict Caranto�an, d'envoyer les 500 hommes, lesquels furent fort long-temps � s'aprester, encores qu'ils fussent press�s par ledit Br�l� de s'advancer, leur representant que s'ils tardoient d'avantage, ils ne nous trouveroient plus audict lieu, comme de faict ils ny peurent arriver que deux jours apr�s nostre partement dudict lieu, que nous fusmes contraincts 136/624d'abandonner, pour estre trop foibles & fatiquez par l'injure du temps. Ce qui donna subject audict Br�l�, & le secours desdicts cinq cents hommes qu'il nous amenoit, de se retirer, & retourner sur leurs pas vers leur village de Caranto�an, o� estans de retour, ledit Br�l� fut contrainct de demeurer & passer le reste de l'Automne, & tout l'Hyver, en attendant compagnie, & escorte, pour s'en retourner, & en attendant ceste opportunit�, il s'employe � d�couvrir le pa�s, visiter les nations voisines, & terres dudict lieu, & se pourmenant le long d'une riviere qui se descharge du cost� de la Floride, o� il y a forces nations qui sont puissantes & belliqueuses, qui ont des guerres les unes contre les autres. Le pays y est fort temp�r�, o� il y a grand nombre d'animaux, & chasse de gibier, mais pour parvenir & courir ces contr�es, il faut bien avoir de la patience pour les difficultez qu'il y a � passer par la pluspart de ses deserts.

Et continuant son chemin le long de ladicte riviere jusques � la Mer, par des isles, & les terres proches d'icelles, qui sont habit�es de plusieurs nations, & en grand nombre de peuples Sauvages, qui sont neantmoins de bon naturel, aymant fort la nation Fran�oise sur toutes les autres: Mais quant � ceux qui cognoissent les Flamans, ils se plaignent fort d'eux, parce qu'ils les traictent trop rudement, entr'autres choses qu'il a remarqu� est, que l'hyver y est assez temp�r�, & y nege fort rarement, mesme lors qu'il y nege elle n'y est pas de la hauteur d'un pied, & incontinent fondue sur la terre.

Et apr�s qu'il eut couru le pa�s & d�couvert ce qui estoit � 137/625remarquer, il retourna au village de Caranto�an, afin de trouver quelque compagnie pour s'en retourner vers nous en nostre habitation: Et apr�s quelque sejour audit Caranto�an, 5 ou 6 des Sauvages prirent revolution de faire le voyage avec ledict Br�l�, & sur leur chemin firent rencontre d'un grand nombre de leurs ennemis, qui charg�rent ledict Br�l�, & ses compagnons, si vivement, qu'ils les firent escarter, & separer les uns des autres, de telle fa�on qu'ils ne se peurent r'allier, mesme ledict Br�l� qui avoit fait bande � part, sur l'esperance de se sauver, & s'�carta tellement des autres, qu'il ne peut plus se remettre, ny trouver chemin & adresse, pour faire sa retraite en quelque part que ce fust, & ainsi demeura errant par les bois, & forests, durant quelques jours sans manger, & presque desesper� de sa vie, estant press� de la faim: En fin rencontra fortuitement un petit sentier, qu'il se resolut suivre, quelque part qu'il allast, fut vers les ennemis, ou non, s'exposant plustost entre leurs mains sur l'esperance qu'il avoit en Dieu, que de mourir seul & ainsi miserable: d'ailleurs qu'il s�avoit parler leur langage, qui luy pourroit apporter quelque commodit�.

Or n'eust-il pas chemin� longue espace, qu'il d�couvrit trois sauvages, charg�s de poisson, qui se retiroient � leur village. Il se haste de courir apr�s eux pour les joindre, & les approchant il comman�a les crier, comme est leur coustume, auquel cry ils se retourn�rent, & sur quelque aprehension, & crainte, firent mine de s'enfuir, & laisser leur charge, mais ledit Br�l� parlant � eux les asseura, qui leur fist mettre bas 138/626leurs arcs & fl�ches, en signe de paix, comme aussi ledit Br�l� de sa part ses armes, encores qu'il fust assez foible & d�bile de soy-mesme, pour n'asoir mang� depuis trois ou quatre jours: Et � leur abort apr�s leur avoir faict entendre sa fortune, & l'estat de sa misere en laquelle il estoit r�duit, ils petunerent ensemble, comme ils ont accoustum� entr'eux, & ceux de leur fr�quentation lors qu'ils se visitent.

Ils eurent comme une piti� & compassion de luy, luy offrant toute assistance, mesme le men�rent jusques � leur village, o� ils le traicterent, & donn�rent � manger: mais aussi-tost les peuples dudit lieu en eurent advis, � s�avoir qu'un Adoreseto�y estoit arriv�, car ainsi appellent-ils les Fran�ois, lequel nom vaut autant � dire, comme gents de fer, & vindrent � la foule en grand nombre voir ledit Br�l�, lequel ils prirent & men�rent en la cabanne de l'un des principaux chefs, o� il fut interrog�, & luy fut demand� qu'il estoit, d'o� il venoit, qu'elle occasion l'avoit pouss� & amen� en cedit lieu, & comme il s'estoit �gar�, & outre s'il n'estoit pas de la nation des Fran�ois qui leur faisoient la guerre: sur ce il leur fist responce qu'il estoit d'une autre nation meilleure, qui ne desiroient que d'avoir leur cognoissance, & amiti�, ce qu'ils ne voulurent croire, ains se jetterent sur luy, & luy arrach�rent les ongles avec les dents, le bruslerent avec des tisons ardens, & luy arrach�rent la barbe poil � poil, n�ant-moins contre la volont� du chef. Et en cet accessoire l'un des sauvages advisa un Agnus Dei, qu'il avoit pendu au col, quoy voyant, demanda qu'il avoit ainsi pendu � son col, & 139/627le voullut prendre & arracher, mais ledict Br�l� luy dit (d'une parolle assur�e) si tu le prends & me fais mourir, tu verras que tout incontinent apr�s tu mouras subitement, & tous ceux de ta maison, dont il ne fit pas estat, ains continuant sa mauvaise volont�, s'effor�oit de prendre l'Agnus Dei, & le luy arracher, & tous ensemble dispos�s � le faire mourir, & auparavant luy faire souffrir plusieurs douleurs & tourments par eux ordinairement exerc�s sur leurs ennemis. Mais Dieu qui luy faisant gr�ce ne le voullust permetre, ains par sa providence fist que le Ciel, qui de serain & beau qu'il estoit, se changea subitement en obscurit�, & charg� de grosses & espoisses nu�es, se termin�rent en tonnerres & esclairs si viollents, & continus, que c'estoit chose estrange, & �pouvantable, & donn�rent ces orages un tel �pouvantement aux Sauvages, pour ne leur estre commun, mesme n'en avoir jamais entendu de pareil, ce qui leur fist divertir, & oublier, leur mauvaise volont� qu'ils avoient � l'encontre dudit Br�l�, leur prisonnier, & le laissans l'abandonn�rent, sans toutesfois le deslier, n'osans l'approcher: Qui donna subject au patient de leur user de douces parolles, les appellant & leur remonstrant le mal qu'ils luy faisoient sans cause, leur faisans entendre combien nostre Dieu estoit courrouc� contr'eux pour l'avoir ainsi maltraict�.

Lors le Cappitaine s'approcha dudit Br�l�, le deslia, & le mena en sa maison, o� il luy cura & medicamenta ses playes, cela faict, il ne se faisoit plus de danses, & festins, ou resjouyssances, que ledict Br�l� ne fust appell�, & apr�s avoir 140/628est� quelque temps avec ces Sauvages, il print resolution de se retirer en nos quartiers vers nostre habitation.

Et prenans cong� d'eux, il leur promist de les mettre d'accord avec les Fran�ois, & leurs ennemis, & leur faire jurer amiti� les uns envers les autres, & qu'� ceste fin il retourneroit vers eux le plustost qu'il pourroit, & luy partant d'avec eux ils le conduirent jusques � quatre journ�es de leur village, & de l� s'en vint en la contr�e & village des Atinouaentans201, o� j'avois des-ja est�, & l� demeura ledit Br�l� quelque temps, puis reprenant chemin vers nous, il passa par la Mer douce, & navigea sur les costes d'icelle quelques dix journ�es du cost� du Nort, o� aussi j'avois passe allant � la guerre, & eust ledict Br�l� passe plus outre pour d�couvrir les terres de ces lieux comme je luy avois donn� charge, n'eust est� qu'un bruict de leur guerre qui se preparoit entr'eux, reservant ce desseing � une autre fois, ce qu'il me promist de continuer, & effectuer dans peu de temps, avec la gr�ce de Dieu, & de m'y conduire pour en avoir plus ample & particuli�re cognoissance: Et apr�s qu'il m'en eust faict le r�cit, je luy donnay esperance que l'on recognoistroit ses services, & l'encouragay de continuer ceste bonne volont� jusques � nostre retour, o� nous aurions moyen de plus en plus � faire chose dont il recevroit du contentement. Voila en fin tout le discours & r�cit de son voyage, depuis qu'il partit d'avec moy 202 pour aller ausdites 141/629descouvertures, ce qui me donna du contentement, sur l'esperance de mieux parvenir par ce moyen � la continuation & advancement d'icelle.

Note 201: (retour)

Cette orthographe montre que l'auteur, dans la premi�re partie de cette relation, n'avait pas �crit Atigouautans, mais Atignoantans.

Note 202: (retour)

Il �tait parti, pour son ambassade, le 8 septembre 1615.

Et � cet effect print cong� de moy pour s'en retourner avec les peuples Sauvages, dont il avoit cognoissance & affinit� par luy acquise en ses voyages & descouvertures, le priant de les continuer jusques � l'ann�e prochaine que je retournerois avec bon nombre d'hommes, tant pour le recognoistre de ses labeurs, que pour assister les sauvages, ses amis, en leurs guerres, comme par le pass�.

Et reprenant le fil de mon discours premier, faut noter qu'en mes derniers & pr�c�dents voyages & descouvertures, j'avois pass� par plusieurs & diverses nations 203 de Sauvages non cogneus aux Fran�ois, ny � ceux de nostre habitation, avec lesquels j'avois fait alliance, & jur� amiti� avec eux, � la charge qu'ils viendroient faire traicte avec nous, & que je les assisterois en leurs guerres: car il faut croire qu'il n'y a une seulle nation qui vive en paix, que la nation neutre, & suivant leur promesse vindrent de plusieurs nations de peuples Sauvages nouvellement descouvertes les uns pour traicte de leur pelletrie, les autres pour voir les Fran�ois, & exp�rimenter quel traictement & r�ception on leur feroit, ce que voyant encouragea tout le monde, tant les Fran�ois � leur faire bonne ch�re, & r�ception, les honorant de quelques gratifications & presents, que les facteurs des marchands leur donn�rent pour les contenter, qui fut � leur contentement, comme aussi 142/630d'autre-part tous lesdits Sauvages promirent � tous les Fran�ois de venir, & vivre � l'advenir en amiti� les uns & les autres, avec protestation chacun de se comporter avec une telle affection envers nous autres, qu'aurions sujet de nous louer d'eux, & au semblable que nous les assistassions de nostre pouvoir en leurs guerres.

Note 203: (retour)

Voir ci-dessus, pages 57-60.

La traicte ainsi faicte & parachev�e, & les sauvages partis & cong�diez, nous nous retirasmes & partismes des trois rivieres le 14 Juillet audict an, & le lendemain arrivasmes � Qu�bec, lieu de nostre habitation, o� les barques furent descharg�es des marchandises qui avoient rest� de ladicte traite, & mises dedans le magasin des Marchands qu'ils ont audit lieu.

Ce faict, le sieur du Pont s'en retourna � Tadoussac, avec les barques, afin de les faire charger & porter en laditte habitation les vivres, & choses necessaires pour la nourriture & entrenement de ceux qui y devoient hiverner & demeurer, & cepandant que les barques alloient & venoient pour apporter les vivres & autres commoditez necessaires pour l'entretien de ceux qui demeuroient � l'habitation, auquel lieu je me deliberay d'y demeurer pour quelques jours, affin de faire fortifier & reparer les choses necessaires pandant mon sejour.

Et lors de mon partement de laditte habitation, je pris cong� des P�res Religieux, du sieur de la Mothe, & de tous autres qui demeuroient en icelle, sur l'esperance que je leur donnay de retourner, Dieu aydant, avec bon nombre de familles pour peupler ce pays. Je m'embarquay le 26 Juillet, & les P�res Pol 143/631& Pacifique qui y avoit hivern� trois ans, & l'autre P�re un an & demy204 afin de faire rapport, tant de ce qu'ils avoient veu audit pa�s, que de ce qui s'y pouvoit faire: Nous partismes cedict jour de laditte habitation pour venir � Tadoussac faire nostre embarquement pour retourner en France, auquel lieu nous arrivasmes le lendemain, o� nous trouvasmes nos vaisseaux prests � faire voile & nostre embarquement faict, nous partismes dudict lieu de Tadoussac pour venir en France le 30 du mois de Juillet 1618 & arrivasmes � Hondefleur le 28e jour d'Aoust, avec vent favorable, & contentement d'un chacun.

Note 204: (retour)

Le P. Paul Huet �tait venu l'ann�e pr�c�dente, 1617, et le Fr�re Pacifique du Plessis en 1615. (Voir ci-dessus, pages 7, 108, 109.)



FIN.

634

QU�BEC

Imprim� au S�minaire par GEO.-E. DESBARATS

1870



635

Nous avons cru quelque temps, avec plusieurs auteurs, que l'on avait fait, en 1640, une nouvelle, �dition du volume de 1632. Mais, apr�s un examen attentif, nous avons constat� que les �diteurs n'ont fait que rafra�chir le titre, et changer le mill�sime; partout, le texte est absolument conforme � certains exemplaires de 1632, et nous avons toujours eu soin de faire remarquer, dans nos notes, les principales divergences.

Cette �dition est, sans contredit, la plus compl�te de toutes celles que publia l'auteur. On y trouve en effet, dans la Premi�re Partie, une reproduction � peu pr�s textuelle des voyages de Champlain publi�s jusqu'alors, avec quelques nouvelles r�flexions sur les difficult�s qui avaient eu lieu entre les diverses compagnies; la Seconde Partie renferme tout ce qui �tait encore in�dit des voyages de d�couverte et des �v�nements qui se pass�rent en Canada depuis 1620, et l'on peut dire que cette seconde moiti� du volume de 1632 est unique et indispensable.

636

Le but des diverses publications de Champlain, fut toujours de faire conna�tre les avantages que la Nouvelle-France pouvait offrir � la m�re patrie; mais, dans celle-ci, la pens�e de l'auteur semble se dessiner de plus en plus. D'un cot�, il �tait naturel qu'on se demand�t, quel si grand int�r�t la France pouvait avoir � conserver cette petite colonie lointaine et ces froides r�gions du Canada. Champlain commence cette �dition par �num�rer les ressources et les richesses de ces pays encore trop peu connus. Le premier chapitre, joint � quelques observations extraites, en grande partie, de ses divers ouvrages, forma m�me un petit m�moire, qu'il pr�senta au roi vers 1630.

D'un autre cot�, il �tait important de bien faire comprendre � la France qu'il y allait de son honneur de ne point laisser si facilement entre les mains des Anglais d'immenses contr�es dont elle �tait � juste titre en possession depuis tr�s-longtemps et par droit de d�couverte. Champlain jugea qu'une �dition plus compl�te de ses Voyages atteindrait ce but; en remettant sous les yeux du lecteur toute la s�rie des �v�nements accomplis jusque-l�: Il commence, par �tablir que les Fran�ais fr�quentaient les Terres-Neuves et le Canada longtemps avant que les Anglais y pr�tendissent quelque chose; puis, � la fin de son volume, craignant que le lecteur ne perde de vue ce point important, il donne encore un �Abr�g� des d�couvertes attribu�es tant 637aux Anglais qu'aux Fran�ais, suivant le rapport des historiens, afin que chacun, dit-il, puisse juger du tout sans passion.�

M. de Puibusque, dans une lettre dont nous avons cit� quelques extraits en t�te du Voyage de 1603, disait, en parlant de notre auteur: �Ses relations imprim�es ont �t� retouch�es par un arrangeur si habile, qu'elles parlent une autre langue que la sienne.� Nous ne savons jusqu'� quel point cette remarque est fond�e relativement aux premiers voyages de Champlain; mais elle semble avoir surtout son application dans ce volume de 1632.

On y trouve en effet certains passages, et surtout des notes marginales, qui ne peuvent pas �tre de la main de l'auteur, Que l'on nous permette de citer quelques exemples.

Page 131 (de cette pr�sente �dition), premi�re partie: pour se conformer � l'usage qui commen�ait � pr�valoir, Champlain donne � la pointe de Tous-les-Diables le nom de pointe aux Vaches; que fait le r�viseur? Le typographe avait mis dans le texte pointe aux roches; la note marginale vient aggraver la faute en substituant pointe aux Rochers. Or, Champlain connaissait trop bien cette pointe pour laisser passer ainsi une double faute.

Page 174, en marge: �Des Prairies remontre aux n�tres le peu d'honneur de combattre avec les sauvages.�

638

�videmment, celui qui a fait cette note n'a pas compris le sens du texte en regard: Des Prairies repr�sente � ses compagnons qu'il serait honteux de laisser Champlain se battre seul avec les sauvages.

Page 182: le sommaire du chapitre, qui ne se trouve pas dans l'�dition 1613, ne peut vraisemblablement avoir �t� fait par l'auteur; car il ne s'accorde pas avec le texte.

Page 187, On lit en marge: �Les deux sauvages,� etc. Or l'auteur, qui �tait sur les lieux lors de l'accident, dit dans son texte que c'�taient un fran�ais nomm� Louis et un sauvage.

Page 253, seconde partie: �Prise de l'auteur par l'Anglais,� au lieu de Prise du sieur de Caen. L'auteur pouvait-il se tromper sur ce fait?

Nous pourrions citer bien d'autres passages de cette nature, que nous avons not�s dans l'occasion.

Non-seulement quelqu'un a revu, ou m�me retouch� le r�cit de Champlain; mais on peut affirmer que ce travail a �t� fait soit par un j�suite, soit par un ami des religieux de cet ordre.

Il faut remarquer d'abord que cette �dition s'imprimait au moment ou les R�collets faisaient d'inutiles efforts pour rentrer dans une mission dont ils �taient les fondateurs; tandis que les P�res J�suites revenaient seuls, �videmment prot�g�s par la toute-puissance du cardinal de Richelieu.

639

D'un autre, cot�, Champlain ne devait pas �tre ennemi des R�collets, lui qui les avait amen�s dans le pays. Du reste, le P. le Clercq nous apprend �qu'il prenait leurs int�r�ts � coeur, quoiqu'il n'os�t para�tre, et qu'il fut m�me le premier � les avertir des v�ritables intentions de ceux qui, faisant mine de les servir, les traversaient effectivement.�

Maintenant, que le lecteur examine attentivement l'�dition de 1632, et il remarquera que l'on retranche � dessein, des �ditions pr�c�dentes, tout ce qui �tait en faveur des R�collets, et que l'on y introduit au contraire tout ce qui pouvait servir la cause des J�suites. Ainsi, toute l'�dition de 1619 est reproduite mot pour mot, � la r�serve de quelques passages ou il �tait fait mention des travaux des R�collets. En revanche, on intercale un r�sum� de la relation du P. Biard sur les missions des J�suites � l'Acadie, et l'on ajoute � la fin du volume des �chantillons des deux principales langues parl�es dans le pays, opuscules faits tous deux par des p�res j�suites.

Il est donc �vident qu'une main �trang�re s'est charg�e de la r�vision de l'ouvrage de Champlain. Il para�t �galement certain que ces changements significatifs introduits dans son oeuvre originale, doivent �tre attribu�s au motif de laisser dans l'ombre les P�res R�collets au profit de ceux qu'ils avaient d'abord appel�s � leur secours. Or, le caract�re franc et loyal de 640Champlain ne permet pas de supposer qu'il ait eu recours � de pareils proc�d�s, outre que le t�moignage du P. le Clercq, cit� plus haut, semble le laver de tout soup�on � cet �gard.

On ne peut donc gu�re s'emp�cher de conclure, qu'un correcteur officieux aura fait agr�er � l'auteur certaines additions tr�s-bonnes en elles-m�mes, et aura pris sur lui de biffer, sous pr�texte de longueur, les passages qui pouvaient nuire � la cause.

1/641

LES

VOYAGES

DE LA

NOUVELLE FRANCE

OCCIDENTALE, DICTE

CANADA

FAITS PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN

Xainctongeois, Capitaine pour le Roy en la Marine
du Ponant, & toutes les Descouvertes
qu'il a faites en ce pa�s depuis l'an
1603 jusques en l'an 1629.

O� Je voit comme ce pays a est� premi�rement descouvert par les
Fran�ois, sous l'authorit� de nos Roys tres-Chrestiens, jusques au r�gne
de sa Majest� � present r�gnante LOUIS XIII.
Roy de France & de Navarre.

Avec un traitt� des qualitez & conditions requises � un bon & parfaict Navigateur pour cognoistre la diversit� des Estimes qui se font en la Navigation. Les Marques & enseignements que la providence de Dieu a mises dans les Mers pour redresser les Mariniers en leur routte, sans lesquelles ils tomberoient en de grands dangers. Et la mani�re de bien dresser Cartes marines avec leurs Ports, Rades, Isles. Sondes, & autre chose necessaire � la Navigation.

Ensemble une Carte generalle de la description dudit pays faicte en son M�ridien selon la d�clinaison de la guide Aymant, & un Cat�chisme ou Instruction traduicte du Fran�ois au langage des peuples Sauvages de quelque contr�e, avec ce qui s'est pass� en ladite Nouvelle France en l'ann�e 1631.

A MONSEIGNEUR LE CARDINAL DUC DE RICHELIEU.

A PARIS.

Chez Louis SEVESTRE Imprimeur-Libraire, rue du Meurier, pr�s la porte S. Vidior, & en sa Boutique dans la Cour du Palais.


MDCXXXII.

Avec Privilege du Roy.




3/643

A

MONSEIGNEUR

L'ILLUSTRISSIME CARDINAL

Duc DE RICHELIEU, Chef,

Grand Maistre & Sur-Intendant
G�n�ral du Commerce &
Navigation de France.

ONSEIGNEUR,

Ces Relations se presentent � vous; comme, � celuy auquel elles sont principalement deues, tant � cause de l'eminente Puissance que vous avez en l'Eglise, & en l'Estat comme en l'authorit� de toute la Navigation, que pour estre inform� ponctuellement de la grandeur, la bont�, & la beaut� des lieux qu'elles vous rapportent. Partant que ce n'est pas sans grandes 4/644& preignantes causes que les Roys Predecesseurs de sa Majest�, & elle, non seulement y ont arbor� l'estendart de la Croix, pour y planter la foy comme ils ont fait, ains encores y ont voulu adjouster le nom de la Nouvelle France. Vous y verrez les grands & p�rilleux Voyages qui y ont est� entreprins, les Descouvertes qui s'en sont ensuivies, l'estendue de ces terres, non moins grandes quatre fois que la France, leur disposition, la facilit� de l'asseur� et important Commerce qui s'y peut faire, la grande utilit� qui s'en peut retirer, la possession que nos Roys ont prinse d'une bonne partie de ces Pays, la mission qu'ils y ont faite de divers Ordres de Religieux, leur progr�s en la conversion de plusieurs Sauvages, celle du d�frichement de quelques unes de ces Terres, par lequel vous cognoistrez qu'elles ne c�dent en aucune fa�on en bont� � celle de la France, et en fin les habitations et forts qui y ont est� construicts sous le nom Fran�ois. A la conservation desquels, comme en une bonne partie de ces Descouvertes ayant ainsi que j'ay est� assiduement employ� depuis trente ans, tant sous l'auctorit� de nos Vice-rois, que de celle de vostre Grandeur, c'est Monseigneur, ce qui excusera s'il vous plaist la libert� que je prends de vous offrir ce petit Traitt�: en ceste asseurance qu'il ne vous sera point desagr�able. Non pour ma consideration propre: Mais bien seulement pour celle du public: qui faict desja retentir vostre nom en toute l'estendue des rivages maritimes 5/645de la Terre habitable, par les acclamations des effects qu'il se promet de la continuation de la gloire de vos actions: & que comme vostre Grandeur les a eslev�es en terre jusques au dernier degr�, par la Paix qu'elle a procur�e en ce Royaume, apr�s tant & de si heureuses victoires, aussi ne sera elle moins port�e � se faire admirer durant la Paix aux choses qui la concernent. Sur tout au restablissement du Commerce de France: dans les pays plus esloygnez; comme le moyen plus asseur� qu'elle ait pour reflorir de nouveau sous vos heureux auspices. Mais entre ces nations estranges celles de la Nouvelle France vous tendent principalement les mains: se figurans avec toute la France que puisque Dieu vous a constitu� d'un cost� Prince de l'Eglise, et de l'autre eslev� aux sureminantes dignitez que vous tenez, non seulement vous leur redonnerez la lumi�re de la foy, laquelle ils respirent continuellement, mais encores releverez et soustiendrez la possession de ceste Nouvelle Terre, par les Peuplades et Colonies qui s'y trouverront necessaires, et qu'en fin Dieu vous ayant choisy expressement entre tous les hommes pour la perfection de ce grand Oeuvre, il sera enti�rement accomply par vos mains. C'est le souhait que je faits sans cesse, auquel je joincts encores les offres que je vous presente du reste de mes ans, que je tiendray tres-heureusement et necessairement employez en un si glorieux dessein, si avec 6/646tous mes labeurs passez je puis estre encores honor� des commandemens qu'attend de vostre Grandeur,

MONSEIGNEUR,

Vostre tr�s-humble & tres-affectionn� serviteur

CHAMPLAIN.

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SUR LE LIVRE DES

VOYAGES

du Sieur de Champlain Capitaine

pour le Roy en la Marine.



Veux tu Voyageur hazardeux

Vers Canada tenter fortune?

Veux tu sur les flots escumeux

Recevoir l'ordre de Neptune?

Bien �quip� fay chois soudain

D'un temps propice � ton dessain,

Et tu verras qu'en son empire

Le vent plus violent & fort

Pressant les flancs de ton navire

Te fera tost surgir au port.

Que si le Pilote est mal duict

Aux routes qu'il luy convient suivre

Il pourra estre mieux conduict

S'il se gouverne par le Livre

Qu'en sa faveur a fait Champlain,

A qui les Gr�ces ont � plain

Prodigu� tout leur heritage:

De qui Pithon a prins le soing

D'orner son �l�gant langage,

Afin qu'il t'aide � ton besoing.

Va donc Pilote sans frayeur

Ancrer en la Nouvelle France;

Ne crain de Thetis la fureur

Ny des Autans la violence:

Champlain comme s'il estoit fils,

Ou de Neptune, ou de Typhys

8/648

Rendra ta nef si asseur�e,

Que ny les monstres de la mer,

Ny tous les efforts de Bor�e

Ne la pourront faire abysmer.

Que si quelqu'un par vanit�

Estime avoir cet advantage

De porter quelque D�it�

Et ne pouvoir faire naufrage,

Reproche luy qu'en ce qu'il croit

Tu es fond� en meilleur droict,

Si la raison trouve en toy place;

Car deferant aux bons advis

DIEU favorise de sa gr�ce

Ceux qui tousjours les ont suivis.

PIERRE TRICHET

Advocat Bourdelois.

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TABLE DES CHAPITRES

contenus en la premi�re Partie.

LIVRE PREMIER.


stendue de la Nouvelle France, & la bont� de ses terres. Sur quoy fond� le dessein d'establir des Colonies � la Nouvelle France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, & Isles de la nouvelle France, sa fertilit�, ses peuples. Chap. I. P. 1

Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs Estats. Voyages des Fran�ois faits es Terres neufves, depuis l'an 1504. Chap. II. P. 8

Voyage en la Floride sous le r�gne du Roy Charles IX. par Jean Ribaus. Fit bastir un fort, appell� le Fort de Charles, sur la riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans vivres, & est tu� des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par un Anglois. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque d'estre tu� des siens: en fait pendre quatre. Est press� de famine. Recompense de l'Empereur Charles V � ceux qui firent la descouverte des Indes. Fran�ois chassez de la riviere de May par les Espagnols. Attaquent Laudonniere. Fran�ois tuez, & pendus avec des escriteaux. Chap. III. P. 16

Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut des Espagnols en la cruaut� qu'ils exerc�rent envers les Fran�ois. La vengeance en fut reserv�e au sieur Chevalier de Gourgues. Son voyage: son arriv�e aux costes de la Floride. Est assailly des Espagnols, qu'il d�fait, & les traitte comme ils avoient fait les Fran�ois. Chap. IIII. P. 23

Voyage que fit faire le sieur de Roberval. Envoye Alphonse Xainctongeois vers Labrador. Son parlement: son arriv�e. Retourne � cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort, pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la Roche sans fruict. Sa mort. D�faut remarquable en son entreprise. Chap. V.P. 36

Voyage du sieur Chauvin. Son dessein. Remonstrances que luy fait du Pont Grav�. Le Sieur de Mons voyage avec luy. Retour dudit Sieur Chauvin & du Pont en France. Second voyage de Chauvin: son entreprise blasmable. Chap. VI. P. 40

Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur de Charte. Le sieur de Pont Grav� eslu pour le voyage de Tadoussac. L'Autheur se met 10/650en voyage avec ledit sieur Commandeur. Leur arriv�e au Grand sault Sainct Louis. Sa difficult� � le passer. Leur retraite. Mort dudit Commandeur, qui rompt le 6e voyage. Chap. VII. P. 44

Voyage du sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu Commandeur de Chaste. Obtient commission du Roy pour aller descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands de Rouen & de la Rochelle. L'Autheur voyage avec luy. Arrivent au Cap de H�ve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le sieur de Poitrincourt va avec le sieur de Mons. Plaintes dudit sieur de Mons. Sa commission revoqu�e. Chap. VIII. P. 48


Livre Second.

Description de la H�ve. Du port au Mouton. Du port du Cap N�gre. Du Cap & Baye de Sable. De l'isle aux Cormorans. Du Cap Fourchu. De l'isle Longue. De la Baye Saincte Marie. Du port de Saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui sont le long de la coste d'Acadie. Chap. I. P. 55

Description du Port Royal, & des particularitez d'iceluy. De l'isle Haute. Du port aux Mines. De la grande baye Fran�oise. De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqu� depuis le port aux Mines jusques � icelle. De l'isle appell�e par les Sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins, & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres choses remarquables d'icelle coste. Chap. II. P. 60

De la coste, peuples, & riviere de Norembeque. Chap. III. P. 68

Descouverture de la riviere de Quinibequy, qui est de la coste des Almouchiquois, jusques au 42. degr� de latitude, & des particularitez de ce voyage. A quoy les hommes & les femmes passent le temps durant l'hyver. Chap. IIII. P. 75

Riviere de Cho�acoet. Lieux que l'Autheur y recognoist. Cap aux Isles. Canaux de ces peuples faits d'escorce de bouleau. Comme les Sauvages de ce pays l� font revenir � eux ceux qui tombent en syncope. Se servent de pierres au lieu de couteaux. Leur chef honorablement receu de nous. Chap. V. P. 83

Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce qu'y avons remarqu� de particulier. Chap. VI. P. 90

Continuation des susdites descouvertures jusques au port Fortun�, & quelque vingt lieues par de l�. Chap. VII. P. 98

Descouverture depuis le Cap de la H�ve, jusques � Canseau, fort particuli�rement. Chap. VIII. P. 104

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Livre Troisiesme.

Voyages du sieur de Poitrincourt en la Nouvelle France, ou il laisse son fils le sieur de Biencourt. P�res Jesuistes qui y sont envoyez, & les progr�s qu'ils y firent, y faisans fleurir la Foy Chrestienne. Chap. I. P. 109

Seconde entreprise du sieur de Mons. Conseil que l'Autheur luy donne. Obtient Commission du Roy. Son partement. Bastimens que l'Autheur fait au lieu de Qu�bec. Crieries contre le sieur de Mons. Chap. II, p. 127

Embarquement de l'Autheur pour aller habiter la grande riviere Sainct Laurent. Description du port de Tadoussac. De la riviere de Saguenay. De l'Isle d'Orl�ans. Chap. III. P. 130

Descouverte de l'isle aux Lievres. De l'isle aux Couldres: & du sault de Montmorency. Chap. IIII. P. 133

Arriv�e de l'Autheur � Qu�bec, o� il fit ses logemens. Forme de vivre des Sauvages de ce pays l�. Chap. V. P. 136

Semences de vignes plant�es � Qu�bec par l'Autheur. Sa charit� envers les pauvres Sauvages. Chap. VI. P. 141

Partement de Qu�bec jusques � l'Isle Sainct Eloy, & de la rencontre que j'y fis des Sauvages Algomequins & Ochataiguins. Chap. VII. P. 145

Retour � Qu�bec, & depuis continuation avec les Sauvages jusques au Sault de la riviere des Hiroquois. Chap. VIII. P. 149

Partement du sault de la riviere des Hiroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit lac, & de la fa�on & conduite qu'ils usent en allant attaquer les Hiroquois. Chap. IX. P. 155

Retour de la rencontre, & ce qui se passa par le chemin. Chap, X. P. 167

Deffaite des Hiroquois pr�s de l'emboucheure de ladite riviere des Hiroquois. Chap. XI. P. 170

Description de la pesche des Baleines en la Nouvelle France, Ch. XII. P. 179

Partement de l'Autheur de Qu�bec: du Mont Royal, & ses Rochers. Isles o� se trouve la terre � potier. Isle de faincte H�l�ne. Chap. XIII. P. 182

Deux cents Sauvages ram�nent le Fran�ois qu'on leur avoit baill�, & remmen�rent leur Sauvage qui estoit retourn� de France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. XIIII. P. 188

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Livre Quatriesme.

Partement de France: & ce qui se passa jusques � nostre arriv�e au Sault sainct Louys. Chap. I. P. 198

Continuation. Arriv�e vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me fit. Fa�on de leurs cimeti�res. Les Sauvages me promirent quatre canaux pour continuer mon chemin. Tost apr�s me les refusent. Harangue des Sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrans les difficultez. Response � ces difficultez. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir est� o� il disoit. Il leur maintient son dire v�ritable. Je les presse de me donner des canaux. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession. Chap. II. P. 211

Nostre retour au Sault. Fausse alarme. C�r�monie du sault de la Chaudi�re. Confession de nostre menteur devant un chacun. Nostre retour en France. Chap. III. P. 224

L'Autheur va trouver le sieur de Mons, qui luy commet la charge d'entrer en la societ�. Ce qu'il remonstre � Monsieur le Comte de Soissons. Commission qu'il luy donne. L'Autheur s'addresse � Monsieur le Prince, qui le prend en sa protection. Chap. IIII. P. 229

Embarquement de l'Autheur pour aller en la Nouvelle France. Nouvelles descouvertures en l'an 1615. Chap. V. P. 241

Nostre arriv�e � Cahiagu�. Description de la beaut� du pays: naturel des Sauvages qui y habitent, & les incommoditez que nous receusmes. Chap. VI. P. 253

Comme les Sauvages traversent les glaces. Des peuples du petum. Leur forme de vivre. Peuples appellez la nation neutre. Chap. VII. P. 272

Changement de Viceroy de feu Monsieur le Mareschal de Th�mines, qui obtient la charge de Lieutenant g�n�ral du Roy en la Nouvelle France, de la Royne R�gente. Articles du sieur de Mons � la Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par tes envieux. Chap. VIII. P. 310

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TABLE DES CHAPITRES

contenus en la Seconde Partie.

LIVRE PREMIER.

Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son arriv�e � Qu�bec. Prend possession du Pays, au nom de Monsieur de Montmorency. Chap. I. P. 1

Arriv�e des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France. Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de France apport�es au sieur de Champlain. Chap. II. P. 8

Arriv�e du sieur du Pont � la Nouvelle France. Le sieur de May mis au Fort. Arriv�e des Commis du sieur du Pont � Qu�bec, & ce qui se passa sur ce qu'ils pretendoient. Chap. III. P. 16

Arriv�e du sieur du Pont � Qu�bec & du Canau d'Halard, & du sieur de Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du p�re George � Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de l'Autheur pour aller � Tadoussac. Diff�rents entr'eux. Sur l'arrest de sa Majest�. Magazin de Qu�bec achev� par l'Autheur. Armes pour le fort de Qu�bec. Chap. IV. P. 21

L'Autheur faist travailler au fort de Qu�bec. Voye asseur�e qu'il pr�pare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est exp�dient d'attirer quelques sauvages. Arriv�e du sieur Santin commis du sieur Dolu. R�union des deux societ�s. Chap. V. P. 36

L'Autheur s'est acquis une parfaite cognoissance aux decouvertes. Advis qu'il a souvent donnez � Messieurs du Conseil. Des commoditez qui reviendroient de ces decouvertures. Paix que ces sauvages traittent avec les Yroquois. Forme de faire la paix entr'eux. Chap. VI. P. 44

Arriv�e du sieur du Pont & de la Ralde avec vivres. L'Autheur leur raconte la paix faicte entre les sauvages. Lettre du Roy � l'Autheur. Arriv�e du sieur de la Ralde � Tadoussac. Ce qui se passa le reste de l'ann�e 1622. & aux premiers mois de 1623. Chap. VII. P. 49

Arriv�e de l'Autheur devant la riviere des Yroquois. Advis du Pilote Doublet au sieur de Caen, de quelques Basques retirez en l'Isle S. Jean. Plaintes des Sauvages accord�es. Le meurtrier est pardonn�. C�r�monies observ�es en recevant le pardon du Roy de France. Accord entre ces nations sauvages & les Fran�ois. Retour du sieur du Pont en France. L'Autheur fait faire de Nouveaux �difices. Chap. VIII. P. 6l

14/654


Livre Second.

Monsieur le duc de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France, continue la Lieutenance au sieur de Champlain. Commission qu'il luy fait exp�dier. Retour du sieur de Caen de la Nouvelle France. Trouble qu'il eut avec les anciens associez. Chap. I. P. 87

Description de l'Isle de terre Neufve. Isles aux Oyseaux, Ram�es, S. Jean, Enticosty, & de Gaspey, Bonaventure, Miscou, Baye de Chaleu, avec celle qui environne le Golfe S. Laurent, avec les Costes, depuis Gaspey, jusques � Tadoussac, & de l� � Qu�bec, sur le grand fleuve S. Laurent. Chap. II. P. 98

Les Fran�ois sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois. L'Autheur envoye son beau fr�re aux trois rivieres. Chap. III. P. 133

Mort, & assassinat de Pierre Magnan, Fran�ois, du chef des Sauvages appell� Reconcili�, & d'autres deux Sauvages. Retour d'Emery de Caen & du P. l'Allemand � Qu�bec. Necessitez en la Nouvelle France. Chap. IV. P. 142

Guerre d�clar�e par les Yroquois. Assembl�e des sauvages. Assassinat de deux hommes appartenans aux Fran�ois. Recherche de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amen�, ce que les Sauvages offrent pour estre alliez avec les Fran�ois. L'Autheur veut venger ce meurtre. Chap. V. P. 149

D�fauts observez par l'Autheur au voyage du sieur de Roquemont. Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement. Le Sauvage Erouachy arrive � Qu�bec. Le r�cit qu'il nous fit de la punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de faire la guerre aux Yrocois. Chap. VI. P. 184


Livre Troisiesme.

Rapport du combat faict entre les Fran�ois & les Anglois. Des Fran�ois emmenez prisonniers � Gaspey. Retour de nos gens de guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle amy des Fran�ois promet les advertir de toutes les men�es des Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient. Chap. I. P. 207

Arriv�e de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglois. Chap. II. P. 222

Le sieur de Champlain, ayant eu advis de l'arriv�e des Anglois, donne ordre de n'estre surpris, se resould � composer avec eux. Lettre qu'un Gentil-homme Anglois luy apporte, & sa response. Articles de leur composition. Infidelles< 16/655Fran�ois prennent des commoditez de l'habitation. Anglois s'emparent de Qu�bec. Chap. III. P. 237

Combat des Fran�ois avec les Anglois. On fait parler l'Autheur au sieur Emery. Voyage des Fran�ois pour secourir Qu�bec. Le beau fr�re de l'Autheur luy compte son voyage. Emery taschoit de se retirer. Chap. IV. P. 251

Voyages de Quer G�n�ral Anglois � Qu�bec. Ce qu'il dit au sieur de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de l'Autheur au G�n�ral Quer. Le G�n�ral refuse � l'Autheur d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites en la Foy. Chap. V. P. 268

Le G�n�ral Quer demande � l'Autheur certificat des armes & munitions du fort & de l'habitation de Qu�bec. Mort mal heureuse de Jacques Michel. Plainte contre le G�n�ral Quer. Chap. VI. P. 282

Partement des Anglois au port de Tadoussac, G�n�ral Quer craint l'arriv�e du sieur de Rasilly. Arriv�e en Angleterre. L'Autheur y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy & le conseil d'Angleterre promettent rendre Qu�bec. Arriv�e de l'Autheur � Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du Reverend p�re l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arriv�e de l'Autheur � Paris. Chap. VII. P. 292

Relation du Voyage fait par le Capitaine Daniel de Dieppe, en la Nouvelle France, la presente ann�e 1629. P. 299

Abrege des descouvertures de la Nouvelle France, tant de ce que nous avons descouvert comme aussi les Anglois, depuis les Virgines jusqu'�u Freton Davis & de ce qu'eux & nous pouvons pr�tendre, suivant le rapport des Historiens qui en ont descrit, que je rapporte cy dessous, qui feront juger � un chacun du tout sans passion. P. 322.



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TABLE Du TRAIT�

de la Marine, & du devoir

d'un bon Marinier.


DE la Navigation. P. 5

Que les cartes pour la navigation sont necessaires. P. 19.

Comme l'on doit user de la carte marine. P. 20.

Comme les cartes sont necessaires � la navigation, pour tous Mariniers qui peuvent s�avoir le moyen de les fabriquer pour s'en ayder, en figurant les costes & autres choses cy dessus dictes, & la fa�on comme l'on y doit proc�der selon la Boussole des Mariniers. P. 2l

Des accidents qui arrivent � beaucoup de navigateurs pour ce qui est des estimes, de quoy on ne se donne garde. P. 26

Premier que rapporter les diverses estimes l'on verra une chose remarquable de la providence de Dieu, des moyens qu'il a donn� aux hommes pour eviter les p�rils de la plus part des navigations qui se treuvent aux longitudes, puisqu'il n'y a point de reigle bien asseur�e, non plus qu'en l'estime du marinier, p. 28

Comme l'on doit dresser la table des estimes de jour en jour au papier journal. P. 37

S'ensuit comme l'on peut s�avoir si un pilote a bien fait son estime, & pointer la carte. P. 40

De pointer la carte. P. 42

Autre mani�re d'estimer & arrester le poind sur la carte. P. 45

Autre mani�re d'estimer que font beaucoup de navigateurs. P. 48

Autre mani�re de pointer apr�s l'estime faicte. P. 49

Autre mani�re d'estimer, que j'ay veu pratiquer parmy aucuns Anglois bons navigateurs, qui m'a sembl� fort seure au respect des estimes que l'on fait ordinairement. P. 50

Autre mani�re de s�avoir le lieu o� se treuve un vaisseau cinglant par quelque vent que ce soit. P. 54

Autre fa�on d'estimer par fantaisie. P. 54

FIN.

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LES VOYAGES

DU SIEUR DE

CHAMPLAIN.

LIVRE PREMIER.


Estendue de la nouvelle France, & la bont� de ses terres. Sur quoy fond� le dessein d'establir des Colonies � la nouvelle France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, & Isles de la nouvelle France, sa fertilit�, ses peuples.

CHAPITRE PREMIER.

ES travaux que le Sieur de Champlain a soufferts aux descouvertes de plusieurs terres, lacs, rivieres, & isles de la nouvelle France depuis vingt-sept ans1, ne luy ont point fait perdre courage pour les difficultez qui s'y sont rencontr�es: mais au contraire les p�rils & hazards qu'il y a courus, le luy ont redoubl�, au lieu de l'en destourner: & sur tout, deux puissantes considerations l'ont fait resoudre 2/658d'y faire de nouveaux voyages. La premi�re, que souz le r�gne du Roy Louis le Juste, la France se verra enrichie & accreue d'un pa�s dont l'estendue excede plus de seize cents lieues en longueur, & de largeur pr�s de cinq cents. La seconde, que la bont� des terres, & l'utilit� qui s'en peut tirer, tant pour le commerce du dehors, que pour la douceur de la vie au dedans, est telle, que l'on ne peut estimer l'avantage que les Fran�ois en auront quelque jour, si les Colonies Fran�oises y estans establies, y sont prot�g�es de la bien-veillance & authorit� de sa Majest�.

Note 1: (retour)

Champlain fit son premier voyage en la Nouvelle-France d�s 1603: par cons�quent en 1632, il y avait vingt-neuf ans qu'il avait commenc� ses d�couvertes de ce c�t�. Ce nombre de vingt-sept ans, qui se trouve au commencement de cette �dition de 1632, est une preuve assez forte que l'auteur commen�a son travail de publication peu de temps apr�s la prise de Qu�bec par les fr�res Kerck, peut-�tre m�me des l'automne de 1629. Une �dition compl�te de ses voyages devait avoir le bon effet d'�clairer la cour de France sur les ressources que pouvait offrir pour l'avenir un pays si avantageusement dou� de la nature, et surtout de faire bien comprendre les droits de priorit� de possession que pouvaient revendiquer les Fran�ais sur toutes ces nouvelles et importantes r�gions qui portaient depuis longtemps d�j� le nom de Nouvelle-France. Aussi, quelques lignes plus loin, l'auteur laisse assez entrevoir le motif de cette �dition, qui r�sume ses premiers voyages, et renferme tous les principaux �v�nements des ann�es subs�quentes.

Ces nouvelles descouvertes ont caus� le dessein d'y faire ces Colonies, lesquelles quoy que d'abord elles ayent est� de petite consideration, n�antmoins par succession de temps, au moyen du commerce, elles �galent les Estats des plus grands Rois. On peut mettre en ce rang plusieurs villes que les Espagnols ont �difi�es au P�rou, & autres parties du monde, depuis six vingt ans en �a, qui n'estoient rien en leur principe. L'Europe peut rendre tesmoignage de celle de Venise, qui estoit � son commencement une retraitte de pauvres pescheurs. Gennes, l'une des plus superbes villes du monde, �difi�e dedans un pa�s environn� de montagnes, fort desert, & si infertile, que les habitans sont contraints3/659 de faire apporter la terre de dehors pour cultiver leurs jardinages d'alentour, & leur mer est sans poisson. La ville de Marseille, qui autre-fois n'estoit qu'un marescage, environn� de collines & montagnes assez fascheuses, neantmoins par succession de temps a rendu son territoire fertile, & est devenue fameuse, & grandement marchande. Ainsi plusieurs petites Colonies ayans la commodit� des ports & des havres, se sont accreue en richesses & r�putation.

Il se peut dire aussi, que le pays de la nouvelle France est un nouveau monde, & non un royaume, beau en toute perfection, & qui a des scituations tr�s-commodes, tant sur les rivages du grand fleuve Sainct Laurent (l'ornement du pays) qu'�s autres rivieres, lacs, estangs, & ruisseaux, ayant une infinit� de belles isles accompagn�es de prairies & boccages fort plaisans & agr�ables, o� durant le Printemps & l'Est� se voit un grand nombre d'oiseaux, qui y viennent en leur temps & saison: les terres tr�s-fertiles pour toutes sortes de grains, les pasturages en abondance, la communication des grandes rivieres & lacs, qui sont comme des mers traversant les contr�es, & qui rendent une grande facilit� � toutes les descouvertes, dans le profond des terres, d'o� on pourroit aller aux mers de l'Occident, de l'Orient, du Septentrion, & s'estendre jusques au Midy.

Le pays est remply de grandes & hautes forests, peupl� de toutes les mesmes sortes de bois que nous avons en France; l'air salubre, & les eaux excellentes sur les mesmes parallelles d'icelle: &l'utilit� qui 4/660se trouvera dans le pa�s, selon que le Sieur de Champlain espere le representer, est assez suffisant pour mettre l'affaire en consideration, puis que ce pays peut produire au service du Roy les mesmes advantages que nous avons en France, ainsi qu'il paroistra par le discours suivant.

Dans la nouvelle France y a nombre infiny de peuples sauvages, les uns sont sedentaires amateurs du labourage, qui ont villes & villages fermez de pallissades, les autres errans qui vivent de la chasse & pesche de poisson, & n'ont aucune cognoissance de Dieu. Mais il y a esperance que les Religieux qu'on y a menez, & qui commencent � s'y establir, y faisant des S�minaires, pourront en peu d'ann�es y faire de beaux progrez pour la conversion de ces peuples. C'est le principal soin de sa Majest�, laquelle levant les yeux au ciel, plustost que les porter � la terre, maintiendra, s'il luy plaist, ces entrepreneurs, qui s'obligent d'y faire passer des Ecclesiastiques, pour travailler � ceste saincte moisson, & qui se proposent d'y establir une Colonie, comme estant le seul & unique moyen d'y faire recognoistre le nom du vray Dieu, & d'y establir la Religion Chrestienne, obligeant les Fran�ois qui y passeront, de travailler au labourage de la terre, avant toutes choses, afin qu'ils ayent sur les lieux le fondement de la nourriture, sans estre obligez de le faire apporter de France: & cela estant, le pays fournira avec abondance, tout ce que la vie peut souhaitter, soit pour la necessit�, ou pour le plaisir, ainsi qu'il sera dit cy-apr�s.

Si on desire la vollerie, il se trouvera dans ces5/661 lieux de toutes sortes d'oiseaux de proye, & autant qu'on en peut d�sirer: les faucons, gerfauts, sacres, tiercelets, esperviers, autours, esmerillons, mouschets2, de deux sortes d'aigles, hiboux petits & grands, ducs grands outre l'ordinaire3, pies griesches, piverts, & autres sortes d'oyseaux de proye, bien que rares au respect des autres, d'un plumage gris sur le dos, & blanc souz le ventre, estans de la grosseur & grandeur d'une poulle, ayans un pied comme la serre d'un oyseau de proye, duquel il prend le poisson: l'autre est comme celuy d'un canard, qui luy sert � nager dans l'eau lors qu'il s'y plonge pour prendre le poisson: oiseau qu'on croit ne s'estre veu ailleurs qu'en la nouvelle France 4.

Note 2: (retour)

Dans quelques parties de la France, et surtout en Picardie, on donnait le nom de mouchets aux petits oiseaux de proie.

Note 3: (retour)

C'est une vari�t� du Grand Duc (Bubo Virginianus).

Note 4: (retour)

L'oiseau dont parle ici Champlain, est le Balbuzard de la Caroline (Pandion Carolinensis). Ce passage montre qu'on a fait sur notre aigle p�cheur les m�mes contes que sur celui d'Europe. �C'est une erreur populaire,� dit Buffon, �que cet oiseau nage avec un pied, tandis qu'il prend le poisson avec l'autre, et c'est cette erreur populaire qui a produit la m�prise de M. Linnaeus. Auparavant, M, Klein a dit la m�me chose de l'orfraie ou grand aigle de mer; il s'est �galement tromp�, car ni l'un ni l'autre de ces oiseaux n'a de membranes entre aucuns doigts du pied gauche. La source commune de ces erreurs est dans Albert-le-Grand, qui a �crit que cet oiseau avait l'un des pieds pareil � celui d'un �pervier, et l'autre semblable � celui d'une oie: ce qui est non-seulement faux, mais absurde et contre toute analogie.�

Pour la chasse du chien couchant, les perdrix s'y trouvent de trois sortes5; les unes sont vrayes gelinotes, 6/662 autres noires, autres blanches, qui viennent en hyver, & qui ont la chair comme les ramiers, & d'un tr�s-excellent goust.

Note 5: (retour)

Les trois esp�ces de perdrix que mentionne ici Champlain, sont celles que l'on rencontre commun�ment dans nos for�ts: la Perdrix de savane, ou Gelinotte du Canada (Tetrao Canadens�s, LINN.); la Perdrix de bois, ou Coq de bruy�re (Bonasa umbellus, STEPH.), et la Perdrix blanche (Lagopus albus, AUD.). Boucher et Charlevoix n'en mentionnent aussi que trois esp�ces. �Il y a, dit le premier, trois sortes de Perdrix; les unes sont blanches, & elles ne se trouvent qu'en Hyver, elles ont de la plume jusque sur les argots, elles sont belles & plus grosses que celles de France, la chair en est d�licate. Il y a d'autres perdrix qui sont toutes noires, qui ont des yeux rouges: elles sont plus petites que celles de France, la chair n'en est pas si bonne � manger; mais c'est un bel oyseau, & elles ne sont pas bien communes. Il y a aussi des Perdrix grises, qui sont grosses comme des Poules: celles-l� sont fort communes & bien ais�es � tuer, car elles ne s'enfuyent quasi pas du monde: la chair est extr�mement blanche & seiche.� (Hist. v�ritable & naturelle, ch. VI.) Nous avons cependant une quatri�me esp�ce de Perdrix, le Lagopus rupestris; mais on ne la trouve que vers la c�te du Labrador.

Quant � l'autre chasse du gibbier, il y abonde grande quantit� d'oiseaux de riviere, de toutes sortes de canards, sarcelles, oyes blanches & grises, outardes, petites oyes, beccasses, beccassines, allouettes grosses & petites, pluviers, h�rons, grues, cygnes, plongeons de deux ou trois fa�ons, poulles d'eau, huarts, courlieux, grives, mauves blanches & grises, & sur les costes & rivages de la mer, les cormorans, marmettes, perroquets de mer, pies de mer, apois, & autres en nombre infiny, qui y viennent selon leur saison.

Dans les bois, & en la contr�e o� habitent les Hiroquois, peuples de la nouvelle France, il se trouve nombre de cocs d'Inde sauvages, & � Quebec quantit� de tourtres tout le long de l'est�, merles, fauves, allouettes de terre, autres sortes d'oiseaux de divers plumages, qui sont en leur saison de tr�s-doux ramages.

Apr�s cette sorte de chasse, y en a une autre non moins plaisante & agr�able, mais plus p�nible, y ayant audit pays des renards, loups communs, & loups cerviers, chats sauvages, porcs-espics, castors, rats musquez, loutres, martres, fouines, especes de blereaux, lapins, ours, eslans6, cerfs, dains, caribous 7/663de la grandeur des asnes sauvages, chevreux, escurieux vollans, & autres, des hermines, & autres especes d'animaux que nous n'avons pas en France. On les peut chasser, soit � l'affus, ou au pi�ge, par hu�es dans les isles, o� ils vont le plus souvent, & comme ils se jettent en l'eau entendant le bruit, on les peut tuer ais�ment, ou ainsi que l'industrie de ceux qui voudront y prendre le plaisir, le fera voir.

Note 6: (retour)

Par �lan, les auteurs qui ont �crit sur le Canada ont d�sign� g�n�ralement l'Orignal, ou Orignac. �Premi�rement, dit Lescarbot, parlons de l'Ellan... lequel noz Basques appellent Orignac.� (Hist. de la Nouv. France, p. 893.) �Commen�ons, dit Boucher, par le plus commun & le plus universel de tous les animaux de ce pays, qui est l'Elan, qu'on appelle en ces quartiers icy Orignal.� (Hist. v�ritable & naturelle, ch. v.) �Les eslans, dit Sagard, ou orignats, en Huron Sondareinta, sont fr�quents & en grand nombre au pays des Montagnais, & fort rares � celuy des Hurons, sinon � la contr�e du Nort.� (Hist. du Canada, p. 749.) �Ce qu'on appelle ici Orignal, dit Charlevoix, c'est ce qu'en Allemagne, en Pologne & en Moscovie on nomme Elan, ou la Grand-B�te.� (Journal historique, lettre VII.) A part l'Orignal (Alce Americanus, BAIRD), la m�me famille compte encore, en Canada, quatre esp�ces diff�rentes de Cerfs, qui peuvent correspondre � celles que mentionne ici Champlain: 1� Le Cerf du Canada (Cervus Canadensis, GRAY). 2� Le Caribou, dont il y a deux esp�ces: le Rangifer caribou, AUD., et le Rangifer Groenlandicus, BAIRD. 3� Le Chevreuil, ou Cerf de Virginie (Cervus Virginianus, AUD.).

Si on aime la pesche du poisson, soit avec les lignes, filets, parcs, nasses, & autres inventions, les rivieres, ruisseaux, lacs, & estangs sont en tel nombre que l'on peut desirer, y ayant abondance de saumons, truittes tr�s-belles, bonnes & grandes de toutes sortes, esturgeons de trois grandeurs, aloses, bars fort bons, & tel se trouve qui pese vingt livres: carpes de toutes sortes, dont y en a de tr�s-grandes, & des brochets, aucuns de cinq pieds de long, barbus qui sont sans escaille, de deux � trois sortes grands & petits: poisson blanc d'un pied de long7: poisson dor�, esplan, tanche, perche, tortue, loups marins, dont l'huile est fort bonne, mesme � frire, marsouins blancs, & beaucoup d'autres que nous n'avons point, & ne se trouvent dedans nos rivieres & estangs. Toutes ces especes de poissons se trouvent dans le grand fleuve Sainct Laurent: & d'avantage, mollues & baleines se peschent tout le long des costes de la nouvelle France presque en toute saison.

Note 7: (retour)

Le Poisson Blanc, en certaines parties du Canada et sp�cialement aux environs de Qu�bec, atteint jusqu'� pr�s de deux pieds.

8/664Ainsi de l� on peut juger le plaisir que les Fran�ois auront en ces lieux y estans habituez, vivans dans une vie douce & tranquille, avec toute libert� de chasser, pescher, se loger & s'accommoder selon sa volont�, y ayans dequoy occuper l'esprit � faire bastir, desfricher les terres, labourer des jardinages, y planter, enter, & faire p�pini�res, semer de toutes sortes de grains, racines, l�gumes, sallades, & autres herbes potag�res, en telle estendue de terre, & en telle quantit� que l'on voudra. La vigne y porte des raisins assez bons, bien qu'elle soit sauvage, laquelle estant transplant�e, & labour�e, portera des fruicts en abondance. Et celuy qui aura trente arpents de terre d�frich�e en ce pays l�, avec un peu de bestail, la chasse, la pesche, & la traitte avec les Sauvages, conform�ment � l'establissement de la Compagnie de la nouvelle France, il y pourra vivre luy dixiesme, aussi bien que ceux qui auroient en France quinze � vingt mil livres de rente.



Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs Estats. Voyages des Fran�ois faits �s Terres neufves depuis l'an 1504.

CHAPITRE II.

Les palmes & les lauriers les plus illustres que les Rois & les Princes peuvent acqu�rir en ce monde, est que mesprisans les biens temporels, porter leur desir � acqu�rir les spirituels: ce qu'ils ne peuvent faire plus utilement, qu'en attirant 9/665par leur travail & piet� un nombre infiny d'�mes sauvages (qui vivent sans foy, sans loy, ny cognoissance du vray Dieu) � la profession de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Car la prise des forteresses, ny le gain des batailles, ny la conqueste des pays, ne sont rien en comparaison ny au prix de celles qui se pr�parent des coronnes au ciel, si ce n'est contre les Infid�les, o� la guerre est non seulement necessaire, mais juste & saincte, en ce qu'il y va du salut de la Chrestient�, de la gloire de Dieu, & de la d�fende de la foy, & ces travaux sont de soy louables & tres-recommandables, outre le commandement de Dieu, qui dit, Que la conversion d'un infid�le vaut mieux que la conqueste d'un Royaume. Et si tout cela ne nous peut esmouvoir � rechercher les biens du ciel aussi passionn�ment du moins que ceux de la terre, d'autant que la convoitise des hommes pour les biens du monde est telle, que la plus-part ne se soucient de la conversion des infid�les, pourveu que la fortune corresponde � leurs desirs, & que tout leur vienne � souhait. Aussi est-ce ceste convoitise qui a ruin�, & ruine enti�rement le progrez & l'advancement de ceste saincte entreprise, qui ne s'est encores bien avanc�e, & est en danger de succomber, si sa Majest� n'y apporte un ordre tres-sainct, charitable, & juste, comme elle est, & qu'elle mesme ne prenne plaisir d'entendre ce qui se peut faire pour l'accroissement de la gloire de Dieu, & le bien de son Estat, repoussant l'envie qui se met par ceux qui devroient maintenir ceste affaire, lesquels en cherchent plustost la ruine que l'effect.

10/666Ce n'est pas chose nouvelle aux Fran�ois d'aller par mer faire de nouvelles conquestes: car nous s�avons assez que la descouverte des Terres neufves, & les entreprises genereuses de mer ont est� commenc�es par nos devanciers.

Ce furent les Bretons & les Normands, qui en l'an 1504-descouvrirent8 les premiers des Chrestiens, le grand Banc des Moluques, & les Isles de Terre neufve, 11/667ainsi qu'il se remarque �s histoires de Niflet9, & d'Antoine Maginus.

Note 8: (retour)

Les Bretons, les Normands et les Basques fr�quentaient d�j� le grand banc de Terreneuve d�s l'an 1504, et cela depuis longtemps, d'apr�s le t�moignage de plusieurs auteurs tant fran�ais qu'�trangers. �Quant au premier,� dit Lescarbot, en parlant de Terreneuve, �il est certain que tout ce pais que nous avons dit se peut appeller Terre-neuve, & le mot n'en est pas nouveau: car de toute m�moire, & d�s plusieurs si�cles noz Dieppois, Maloins, Rochelois, & autres mariniers du Havre de Gr�ce, de Honfleur & autres lieux, ont les voyages ordinaires en ces pa�s-l� pour la p�cherie des Morues dont ilz nourrissent presque toute l'Europe, & pourvoyent tous vaisseaux de mer. Et quoy que tout pais de nouveau d�couvert se puisse appeller Terre-neuve, comme nous avons rapport� au quatri�me chapitre du premier livre que Jean Verazzan appella la Floride Terre-neuve, pource qu'avant lui aucun n'y avoit encore mis le pied: toutefois ce mot est particulier aux terres plus voisines de la France �s Indes Occidentales, l�quelles sont depuis les quarante jusques au cinquanti�me degr�. Et par un mot plus g�n�ral on peut appeller Terre-neuve tout ce qui environne le Golfe de Canada, o� les Terre-neuviers indiff�remment vont tous les ans faire leur p�cherie: ce que j'ay dit �tre d�s plusieurs siecles; & partant ne faut qu'aucune autre nation se glorifie d'en avoir fait la d�couverte. Outre que cela est tr�s-certain entre noz mariniers Normans, Bretons, & Basques, l�quels avoient impos� nom � plusieurs ports de ces terres avant que le Capitaine Jacques Quartier y all�t; je mettray encore ici le t�moignage de Postel que j'ay extrait de sa Charte g�ographique en ces mots: Terra haec ob lucrosissimam piscationis utilitatem summa literarum memoria a Gallis adiri solita, & ante mille sexcentos annos frequentari solita est: sed eo quod sit urbibus inculta & vasta, spreta est. De mani�re que n�tre Terre-neuve �tant du continent de l'Am�rique, c'est aux Fran�ois qu'appartient l'honneur de la premi�re d�couverte des Indes Occidentales, & non aux Hespagnols. Quant au nom de Bacalos il est de l'imposition de noz Basques, l�quels appellent une Morue Bacaillos, & � leur imitation noz peuples de la Nouvelle-France ont appris � nommer aussi la Morue Bacaillos, quoy qu'en leur langage le nom propre de la morue soit Apeg�. Et ont d�s si long temps la fr�quentation d�dits Basques, que le langage des premi�res terres est � moiti� de Basque.� (Hist. de la Nouv. France, p. 228, 229.) �Les grands profits,� dit le commentateur des Jugements d'Oleron, �& la facilit� que les habitans de Capberton� (Cap breton) �prez Bayonne, & les Basques de Guienne ont trouv� � la pescherie des Balenes, ont servi de Leurre & d'amorce � les rendre hazardeux � ce point, que d'en faire la queste sur l'Oc�an, par les longitudes & les latitudes du monde. A cest effet ils ont cy-devant �quipp� des Navires, pour chercher le repaire ordinaire de ces monstres. De sorte que suivant ceste route, ils ont descouvert cent ans avant les navigations de Christophe Colomb, le grand & petit banc des Morues, les terres de Terre-neufve, de Capberton & Baccaleos (Qui est � dire Morue en leur langage) le Canada ou nouvelle France, o� c'est que les mers sont abondantes & foisonnent en Balenes. Et si les Castillans n'avoient pris � tasche de d�rober la gloire aux Fran�ois de la premi�re atteinte de l'Isle Athlantique, qu'on nomme Indes Occidentales, ils advoueroient, comme ont fait Corneille Wytfliet & Anthoine Magin, Cosmographes Flamans, ensemble F. Antonio S. Roman, Monge de S. Benico, del Historia g�n�ral de la India, lib. I, cap. 2, pag. 8. que le Pilote lequel porta la premi�re nouvelle � Christophe Colomb, & luy donna la connoissance & l'adresse de ce monde nouveau, fut un de nos Basques Terre-neufiers.� (Jugements d'Oleron, p. 151, 152). �Si, dans la langue primitive des Basques,� dit M. Francis Parkman (Pioneers of France in the New World, p. 171, note), �le mot baccaleos veut dire morue, et que Cabot l'ait trouv� en usage parmi les habitants de Terreneuve, il est difficile d'�luder la conclusion, que les Basques y avaient �t� avant lui.�

Note 9: (retour)

Wytfliet. L'auteur parle ici, sans doute, de l'�dition fran�aise publi�e � Douay en 1611, et qui a pour titre: �Histoire universelle des Indes Occidentales et Orientales, et de la Conversion des Indiens, divis�e en trois parties, par Cornille Wytfliet, et Anthoine Magin, et autres historiens.� La premi�re partie, qui est de Wytfliet, avait d'abord paru en latin, � Louvain, en 1597, sous le titre: Descriptionis Ptolemaicae Augmentum sive Occidentis notitia brevi commentario illustrata studio et op�ra Cornely Wytjliet Louaniensis. L'ann�e suivante, il en parut une seconde �dition, dans le titre de laquelle on a ajout� et bac secundo editione magna sui parte aucta C. Wytfliet auctore. Dans les �ditions subs�quentes, ce sont les m�mes cartes que celles de 1597; et, dans quelques-unes de ces cartes, on retrouve encore les restes du chiffre mal effac� 1597, en particulier dans celles intitul�es Chica, etc., Peruani regni descriptio. Limes Occidentis Quivira et Anian Norumbega et Virginia, Nova Francia et Canada. La seconde partie est intitul�e �Histoire Universelle des Indes Occidentales, divis�e en deux livres, faicte en latin par Antoine Magin, nouvellement traduite...�

Il est aussi tr�s-certain que du temps du Roy Fran�ois premier en l'an 1323.10 il envoya Verazzano Florentin descouvrir les terres, costes,& havres de la Floride, comme les relations de ses voyages font foy: o� apr�s avoir recognu depuis le 33e degr� 11, jusques au 47. de pays 12, ainsi comme 12/668il pensoit s'y habituer, la mort luy fit perdre la vie avec ses desseins13.

Note 10: (retour)

V�razzani �tait parti en 1523; mais ce ne fut qu'au commencement de l'ann�e suivante qu'il se rendit en Am�rique, comme on peut le voir par la lettre qu'il adressa, de Dieppe, � Fran�ois I, en date du 8 juillet 1524, pour lui rendre compte de ce qu'il avait pu faire jusque-l�. Ramusio (vol. III, fol. 35�) et Hakluyt (vol. III, p. 295) nous ont conserv� cette lettre, qui n'est cependant, � ce qu'il para�t, qu'un abr�g� de celle conserv�e � Florence, dans la biblioth�que Magliabecchi. (Voir Pioneers of France in the New World, par FRANCIS PARKMAN, p. 175, note I.)

Note 11: (retour)

V�razzani a d� m�me se rendre jusque vers le trente-deuxi�me degr�, c'est-�-dire, non loin de l'embouchure de la rivi�re Savannah; car, suivant sa propre relation, apr�s avoir fait cinquante lieues vers le sud, pour chercher un havre, il revint sur ses pas, fit voile vers le nord, et, se trouvant dans le m�me embarras, il mouilla par la hauteur de 34�. Il avait donc fait plus de cinquante lieues au-del� du trente-quatri�me degr�, dans une direction � peu pr�s sud-est; ce qui �quivaut � environ deux degr�s de latitude.

Note 12: (retour)

C'est la latitude de la c�te m�ridionale de Terreneuve, et c'est en effet la derni�re terre de l'Am�rique que V�razzani para�t avoir vue: �Faisant le nord-est, dit-il, l'espace de cent cinquante lieues, nous approch�mes la terre qui dans les temps pass�s fut d�couverte par les Bretons, laquelle est par les cinquante degr�s.� (Hakluyt, voi. 111.)

Note 13: (retour)

V�razzani ne p�rit point � ce voyage, puisqu'il fit au roi de France rapport de ses d�couvertes. Il n'avait fait, cette fois, qu'un simple voyage d'exploration; mais, d'apr�s Ramusio (vol. III, fol. 438), son intention �tait d'engager Fran�ois I � fonder une colonie en Am�rique. On ignore absolument quelle fut la fin de cet intr�pide voyageur; seulement, on voit, par une lettre d'Annibal Caro, I, 6, qu'il �tait encore vivant en 1537. Cette lettre est cit�e dans Tiraboschi.

Du depuis, le mesme Roy Fran�ois, � la persuasion de Messire Philippes Chabot Admiral de France, d�pescha Jacques Cartier, pour aller descouvrir nouvelles terres: & pour ce sujet il fit deux voyages �s ann�es 1534 & 35. Au premier il descouvrit l'isle de Terre neufve, & le golphe de Sainct Laurent, avec plusieurs autres Isles de ce golphe; & eust fait davantage de progr�s, n'eust est� la saison rigoureuse qui le pressa de s'en revenir. Ce Jacques Cartier estoit de la ville de Sainct Malo, fort entendu & exp�riment� au faict de la marine, autant qu'autre de son temps: aussi Sainct Malo est oblig�e de conserver sa m�moire, tout son plus grand desir estant de descouvrir nouvelles terres: & � la sollicitation de Charles de Mouy sieur de la Mailleres 14, lors Vice-Admiral, il entreprint le mesme voyage pour la deuxiesme fois: & pour venir � chef de son dessein, & y faire jetter par sa Majest� le fondement d'une Colonie, afin d'y accroistre l'honneur de Dieu, & son authorit� Royale, pour cet effect il donna ses commissions, avec celle du dit sieur Admiral, qui avoit la direction de cet embarquement, auquel il contribua de son pouvoir.

Note 14: (retour)

Meilleraye.

Les commissions exp�di�es, sa Majest� donna la charge audit Cartier, qui se met en mer avec deux 13/669vaisseaux le 16 May15 1535. & navige si heureusement, qu'il aborde dans le golfe Sainct Laurent, entre dans la riviere avec les vaisseaux du port de 800. tonneaux 16, & fait si bien qu'il arrive jusques � une isle, qu'il nomma l'isle d'Orl�ans 17, � cent vingt lieues � mont le fleuve. De l� va � quelque dix lieues du bout d'amont dudit fleuve hyverner � une petite riviere qui asseche presque de basse mer, qu'il nomma Saincte Croix, pour y estre arriv� le jour de l'Exaltation de saincte Croix: lieu qui s'appelle maintenant la riviere sainct Charles, sur laquelle � pr�tent sont logez les P�res Recollets, & les Peres Jesuites18, pour y faire un S�minaire � instruire la jeunesse.

Note 15: (retour)

La relation du second voyage de Cartier commence en effet par cette date; mais le d�part n'eut lieu que le 19 suivant. �Le dimenche, dit-il, jour & feste de la Penthecoste seziesme jour de May, en l'an mil cinq cens trente cinq du commandement du cappitaine & bon vouloir de tous, chascun se confessa, & receusmes tous ensemblement nostre cr�ateur en l'esglise cath�drale de sainct Malo. Apr�s lequel avoir re�u, feusmes nous presenter au coeur de ladicte eglise, devant reverend p�re en Dieu monsieur de sainct Malo, lequel en son estat episcopal nous donna sa benediction. Et le mercredy ensuivant dix neufiesme jour de May, le vent vint bon & convenable, & appareillasmes avec trois navires, Scavoir la grand Hermine du port environ cent � six vingtz tonneaulz... Le second navire nomm� la petite Hermine, du port environ soixante tonneaulz... Le tiers navire nomm� l'Emerillon du port de environ quarante tonneaulz...� (Second Voy.)

Note 16: (retour)

Deux cents � deux cent vingt tonneaux. (Voir la note pr�c�dente.)

Note 17: (retour)

En remontant le fleuve, dans l'automne de 1535, Cartier l'appela �le de Bacchus, et, le printemps suivant, au retour du m�me voyage, il dit: �Vinsmes poser au bas de l'isle d'Orl�ans.� (Voir Brief R�cit, Notes de M. d'Avezac, verso 63.—Voir aussi le Voyage 1603, p. 24, note 1 de cette �dition.)

Note 18: (retour)

On sait que les P�res J�suites, en arrivant � Qu�bec, log�rent chez les P�res R�collets, � leur couvent de Notre-Dame-des-Anges, pendant deux ans et demi (Sagard, Hist. du Canada, p. 868); mais, � l'�poque de l'�dition de 1632, les J�suites demeuraient de l'autre c�t� de la rivi�re Saint-Charles, pr�s de l'embouchure de la petite rivi�re Lairet. �Nos Fr�res, dit Sagard, leur offrirent charitablement, & les mirent en possession cordialement, de la juste moiti� de nostre maison (� leur choix) du jardin & tout nostre enclos, qui est de fort longue estendue ferm� de bonnes palissades & pi�ces de bois, qu'ils ont occupez par l'espace de deux ans & demy. De plus ils leur presterent une charpente toute dispos�e & preste � mettre en oeuvre, pour un nouveau corps de logis, d'environ 40 pieds de longueur, & 28 de large, & en l'an 1627, ils leur en presterent encore une autre que nos Religieux avoient de rechef fait dresser pour aggrandir nostre Convent, lesquelles ils ont employ�es � leur bastiment commenc� au del� de la petite riviere sept ou 800 pas de nous, en un lieu que l'on appelle commun�ment le fort de Jacques Cartier.� (Ibid.)

14/670De l� ledit Cartier alla � mont ledit fleuve quelques soixante lieues, jusques � un lieu qui s'appelloit de son temps Ochelaga, & qui maintenant s'appelle Grand Sault sainct Louis, lesquels lieux estoient habitez de Sauvages, qui estans sedentaires, cultivoient les terres. Ce qu'ils ne font � present, � cause des guerres qui les ont fait retirer dans le profond des terres.

Cartier ayant recognu, selon son rapport, la difficult� de pouvoir passer les Sauts, & comme estant impossible, s'en retourna o� estoient ses vaisseaux, o� le temps & la saison le presserent de telle fa�on, qu'il fut contraint d'hyverner en la riviere Saincte Croix, en un endroit o� maintenant les P�res Jesuites ont leur demeure, sur le bord d'une autre petite riviere qui se descharge dans celle de Saincte Croix, appell�e la riviere de Jacques Cartier19, comme ses relations font foy.

Note 19: (retour)

Aujourd'hui la rivi�re Lairet. (Voir la note 4 de la page pr�c�dente.)

Cartier receut tant de mescontentement en ce voyage, qu'en l'extr�me maladie du mal de scurbut, dont ses gens la plus-part moururent, que le printemps revenu il s'en retourna en France assez triste & fasch� de ceste perte, & du peu de progr�s qu'il s'imaginoit ne pouvoir faire, pensant que l'air estoit si contraire � nostre naturel, que nous n'y pourrions vivre qu'avec beaucoup de peine, pour avoir esprouv� en son hyvernement le mal de scurbut, qu'il appelloit mal de la terre. Ainsi ayant fait sa relation au Roy, & audit Sieur Admiral, & de Malli�res 20, lesquels n'approfondirent pas ceste affaire, l'entreprise 15/671fut infructueuse. Mais si Cartier eust peu juger les causes de sa maladie, & le rem�de salutaire & certain pour les eviter, bien que luy & ses gens receurent quelque soulagement par le moyen d'une herbe appell�e aneda comme nous avons fait � nos despens aussi bien que luy, il n'y a point de doute que le Roy d�s lors n'auroit pas n�glig� d'assister ce dessein comme il avoit desja fait: car en ce temps l� le pays estoit plus peupl� de gens sedentaires qu'il n'est � pr�tent: qui occasionna sa Majest� � faire ce second voyage, & poursuivre ceste entreprise, ayant un sainct desir d'y envoyer des peuplades. Voila ce qui en est arriv�.

Note 20: (retour)

De Meilleraye, vice-amiral.

D'autres que Cartier eussent bien peu entreprendre ceste affaire, qui ne se fussent si promptement estonnez, & n'eussent pour cela laiss� de poursuivre l'entreprise, estant si bien commenc�e. Car, � dire vray, ceux-l� qui ont la conduitte des descouvertures, sont souventefois ceux qui peuvent faire cesser un louable dessein, quand on s'arreste � leurs relations: car y adjoustant foy, on le juge comme impossible, ou tellement travers� de difficultez, qu'on n'en peut venir � bout qu'avec des despenses & difficultez presque insupportables. Voila le sujet qui a empesch� d�s ce temps l� que ceste entreprise sortist effects: outre que dans un Estat se presentent quelquefois des affaires importantes, qui font que celle-cy se n�gligent pour un temps: ou bien que ceux qui ont bonne volont� de les poursuivre, viennent � mourir, & ainsi les ann�es se panent sans rien faire.

16/672


Voyage en la Floride souz le r�gne du Roy Charles IX. par Jean Ribaus. Fit bastir un Fort, appell� le Fort de Charles, sur la riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans vivres, & est tu� des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par un Anglais. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque d'estre tu� des siens: en fait pendre quatre. Est press� de famine. Recompense de l'Empereur Charles V. � ceux qui firent la descouverte des Indes. Fran�ois chassez de la riviere de May par les Espaynols, Attaquent Laudonniere. Fran�ois tuez, & pendus avec des escriteaux.

CHAPITRE III.

Souz le r�gne du Roy Charles IX. & � la poursuitte de l'Admirai de Chastillon21, Jean Ribaus se met en mer le 18 Fevrier 1562. avec deux vaisseaux �quipez de ce qui luy estoit necessaire pour aller jetter les fondemens d'une Colonie. Passant par les isles du golphe de Mexique, vint ranger la coste de la Floride, o� il reconnut une riviere, qu'il appella la riviere de May 22, & y fit �difier un fort, qu'il nomma du nom de Charles, y laissant pour y commander le Capitaine Albert, fourny & muny de tout ce qu'il jugeoit estre necessaire. Cela fait, il met la voile au vent, & s'en revint en France le 20 de Juillet, & fut pr�s de six mois � son voyage.

Note 21: (retour)

Gaspard de Ch�tillon, sire de Coligny.

Note 22: (retour)

Aujourd'hui la rivi�re Saint-Jean.

Cependant le Capitaine Albert ne se soucie de 17/673faire d�fricher les terres, pour ensemencer & eviter les necessitez, mangent leurs vivres sans y apporter l'ordre necessaire en telles affaires: ce que faisant, ils se trouverent courts de telle fa�on, que la disette fut extr�me. Sur ce, les soldats & autres qui estoient souz son obeissance, ne voulans luy ob�ir, en fit pendre un pour un bien petit sujet, ce qui fut cause que quelques jours apr�s la mutinerie s'y esmeut si violente, & la desobeissance fut telle, qu'ils tu�rent leur chef, & en esleverent un autre, appelle Nicolas Barr�, homme de conduitte. Et voyans que nul secours ne leur venoit de France, ils firent �difier une petite barque pour s'y en retourner, & se mettent en mer avec fort peu de vivres. L'histoire dit que la famine fut si cruelle, qu'ils mang�rent un leurs compagnons. Mais Dieu ayant piti� de ceste troupe miserable, leur fit tant de gr�ce, qu'ils furent rencontrez d'un Anglois, qui les secourut & emmena en Angleterre, o� ils se rafraischirent. Voila le peu de soin que l'on eut � les secourir, pour les guerres qui estoient entre la France & l'Espagne.

Cependant c'estoit une grande cruaut� de laisser mourir des hommes de faim, & r�duits � tel poinct que de s'entre-manger, faute d'envoyer une petite barque au risque de la mer, qui les pouvoit secourir. Ce fut un retardement pour la Colonie, & un presage d'une plus mauvaise fin, puis que le commencement avoit est� mal conduit en toutes choses.

La paix se fait entre la France & l'Espagne, qui donne loisir de faire nouveaux desseins & embarquemens. Ledit Sieur Admiral de Chastillon fit 18/674equipper d'autres vaisseaux 23 souz la charge du Capitaine Laudonniere24, qui fut accommod� de toutes choses pour sa peuplade. Il partit25 le 22 d'Avril 1564. & arriva � la coste de la Floride par le 32e degr�, au lieu de la riviere de May, o� estant, & ayant mis tous ses compagnons � terre, & autres commoditez, il fit �difier un fort, qu'il nomma la Caroline 26.

Note 23: (retour)

�Trois vaisseaux, l'un de six vingts tonneaux, l'autre de cent, l'autre de soixante.� (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, p. 60.)

Note 24: (retour)

Ren� de Laudonniere, gentilhomme poitevin, qui avait accompagn� Ribaut en 1562.

Note 25: (retour)

�Du Havre de Gr�ce.� (Lescarbot.)

Note 26: (retour)

�En l'honneur de Charles IX, ce fort re�ut le nom de Caroline, qui s'est conserv� et a �t� plus tard donn� � deux des �tats de la r�publique am�ricaine.� (M. Ferland, Cours d'Hist., I, 51.)

Pendant le temps que les vaisseaux estoient en ce lieu, se firent des conspirations contre Laudonniere, qui furent descouvertes: & toutes choses remises, Laudonniere se d�lib�re de renvoyer ses vaisseaux en France, & laissa pour y commander le Capitaine Bourdet, lequel singlant en haute mer pour achever son voyage, laissant l� Laudonniere, avec ses compagnons, partie desquels se mutin�rent de telle fa�on, qu'ils menac�rent de faire mourir leur Capitaine, s'il ne leur permettoit d'aller ravager vers les isles des Vierges, & Sainct Dominique, force luy fut leur permettre, & donner cong�. Ils se mettent en une petite barque, font quelque proye sur les vaisseaux Espagnols, & apr�s qu'ils eurent bien couru toutes ces isles, ils furent contraints s'en retourner au fort de la Caroline, o� estans arrivez, Laudonniere fit prendre quatre des principaux seditieux, qui furent ex�cutez � mort. En suitte de ces malheurs, les vivres venans � leur manquer, ils 19/675souffrirent beaucoup jusques en May, sans avoir aucun secours de France; & estans contraints d'aller chercher des racines dans les bois l'espace de six sepmaines, en fin ils se resolurent de bastir une barque pour estre preste au mois d'Aoust, & avec icelle retourner en France.

Cependant la famine croissait de plus en plus, & ces hommes devenoient si foibles & d�biles, qu'ils ne pouvoient presque parachever leur travail; qui les occasionna d'aller chercher � vivre parmy les Sauvages, qui les traittoient fort mal, leur survendant les vivres beaucoup plus qu'ils ne valloient, se rians & moquans des Fran�ois, qui ne souffroient ces moqueries qu'� regret. Laudonniere les appaisoit le plus doucement qu'il pouvoit: mais quoy qu'il en fust, il fallut avoir la guerre avec les Sauvages, pour avoir dequoy te substanter, & firent si bien qu'ils recouvrerent du bled d'Inde, qui leur donna courage de parachever leur vaisseau: cela fait, ils se mirent � ruiner & d�molir le fort, pour s'en retourner en France. Comme ils estoient sur ces entre-faites, ils apperceurent quatre voiles, & craignans au commencement que ce ne fussent Espagnols, en fin ils furent recognus estre Anglois, lesquels voyans la necessit� des Fran�ois, les assisterent de commoditez, & mesmes les accommod�rent de leurs vaisseaux. Ceste courtoisie remarquable fut faite par le chef de cet embarquement, qui s'appelloit Jean Hanubins27. Les ayant accommodez au 20/676mieux qu'il peut, leve les anchres, met � la voile, pour parachever le dessein de son voyage.

Note 27: (retour)

Hawkins. �Somme, dit Lescarbot, il ne se peut exprimer au monde de plus grande courtoisie que celle de cet Anglois, appell� Jean Hawkins, duquel si j'oubliois le nom, je penserois avoir contre lui commis ingratitude.� (Hist. de la Nouv. France, p. 106, 107.)

Comme Laudonniere estoit prest de s'embarquer avec tes compagnons, il apperceut des voiles en mer; & estant en impatience de s�avoir qui ils estoient, on recognut que c'estoit le Capitaine Ribaus, qui venoit donner secours � Laudonniere. Les resjouissances de part & d'autre furent grandes, voyans renaistre leur esperance, qui sembloit auparavant estre du tout perdue, mais fort faschez d'avoir fait d�molir leur fort. Ledit Ribaus fit entendre � Laudonniere que plusieurs mauvais rapports avoient est� faits de luy, ce qu'il recognoissoit estre faux, & eust eu sujet de faire ce qui luy estoit command�, s'il en eust est� autrement.

C'est tousjours l'ordinaire que la vertu est opprim�e par la medisance des meschans, qui en fin les fait recognoistre pour tels, & mesprisez d'un chacun: l'on s�ait assez combien cela a apport� de troubles aux conquestes des Indes, tant envers Christoffe Colomb, que depuis contre Ferdinand Cortais, & autres, qui blasmez � tort, se justifierent en fin devant l'Empereur. C'est pourquoy l'on ne doit adjouster foy l�g�rement, premier que les choses n'ayent est� bien examin�es, recognoissant tousjours le m�rite & la valeur des g�n�reux courages, qui se sacrifient pour Dieu, leur Roy & leur patrie, comme firent ceux-cy qui estans recognus de l'Empereur, mal-gr� l'envie, les honora de bien, & de belles & honorables charges, pour leur donner courage de bien faire, � d'autres l'envie de les imiter, & au meschant de s'amender.

21/677Cependant que Laudonniere & Ribaus estoient � consulter pour faire descharger leurs vivres, voicy que le 4 Septembre 1565. l'on apperceut six voiles, qui sembloient estre grand vaisseaux, & furent recognus pour estre Espagnols 28, qui vinrent mouiller l'anchre � la rade o� les quatre vaisseaux de Ribaus&8s recognoissans que partie des soldats estoient � terre, ils tir�rent des coups de canon sur les nostres: qui fit qu'estans avec peu de force, coup�rent le c�ble sur les ecubiers, & mettent � la voile: ce que font aussi les Espagnols, qui les chassent tous le lendemain. Et comme nos vaisseaux estoient meilleurs voliers qu'eux, ils retourn�rent � la coste, prennent port � une riviere distante de huict lieues du fort de la Caroline, & nos vaisseaux retourn�rent � la riviere de May. Cependant trois des vaisseaux Espagnols estoient venus � la rade, o� ils firent descendre leur infanterie, vivres, & munitions.

Note 28: (retour)

Ces six vaisseaux espagnols �taient command�s par Don Pedro Menendez de Avilez, l'un des meilleurs officiers de la marine espagnole.

Le Capitaine Ribaus, contre l'advis de Laudonniere, qui luy representoit les inconveniens qui pouvoient arriver, tant pour les grands vents qui regnoient ordinairement en ce temps l�, que pour autre sujet, quoy que ce soit un traict d'opiniastre, ne voulant faire qu'� sa volont�, sans conseil, chose tres-mauvaise en telles affaires, il se d�lib�re de voir l'Espagnol, & le combatre � quelque prix que ce fust. A cet effect il fit �quiper ses vaisseaux d'hommes, & de tout ce qui luy estoit necessaire, s'embarqua le 8. Septembre, laissant les siens fort incommodez 22/678de toutes choses, & Laudonniere assez malade, qui ne laissoit pas de donner courage tant qu'il peut � ses soldats, & les exhorter � se fortifier au mieux qu'ils pourroient, pour resister aux forces de leur ennemy, lequel se mit en estat de venir attaquer Laudonniere le 20 Septembre, auquel temps il fit une pluye fort violente, & si continuelle, que les nostres fatiguez d'estre en sentinelle, se retir�rent de leur faction, croyans aussi que les ennemis ne viendroient durant un temps si mauvais & imp�tueux. Quelques-uns allans sur le rampart appercevans les Espagnols venir � eux, crient allarme, allarme, l'ennemy vient. A ce cry Laudonniere se met en estat de les attendre, & encourage les siens au combat, qui voulurent soustenir deux bresches qui n'estoient encores rempar�es: mais en fin ils furent forcez, & tuez. Laudonniere voyant ne pouvoir plus soustenir, en esquivant pensa estre tu�, & se sauve dans les bois avec les Sauvages, o� il trouva nombre de ses soldats, qu'il r'allia avec beaucoup de peine. S'acheminant par des palus & marescages difficiles, fait tant qu'il arrive � l'entr�e de la riviere de May, o� estoit un vaisseau, y commandant un Nepveu du Capitaine Ribaus29, qui n'avoit peu gaigner que ce lieu, pour la grande tourmente. Les autres vaisseaux furent perdus � la coste; comme aussi plusieurs soldats & mariniers, Ribaus pris, avec beaucoup d'autres, qu'ils firent mourir cruellement & inhumainement; & en pendirent aucuns, avec un escriteau sur le dos, portant ces mots: Nous n'avons pas fait pendre ceux-cy 23/679comme Fran�ois, mais comme Luth�riens, ennemis de la foy.

Note 29: (retour)

Jacques Ribaut.

Laudonniere voyant tant de desastres, d�libere s'en retourner en France, le 23 Septembre 1565. Il fait lever les anchres, met souz voile le 11 de Novembre30, 7 arrive proche de la coste d'Angleterre, o� se trouvant malade, se fit mettre � terre pour recouvrer sa sant�, & de l� venir en France faire son rapport au Roy. Cependant les Espagnols se fortifient en trois endroits, pour s'asseurer contre tout evenement. Nous verrons au chapitre suivant le chastiment que Dieu rendit aux Espagnols, pour l'injustice & cruaut� dont ils userent envers les Fran�ois.

Note 30: (retour)

�L'onzi�me de Novembre ilz se trouverent � soixante-quinze brasses d'eau... sur la c�te d'Angleterre.� (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, p. 116.)



Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut des Espagnols en la cruaut� qu'ils exercerent envers les Fran�ois. La vengeance en fut reserv�e au sieur Chevalier de Gourgues. Son voyage: son arriv�e aux costes de la Floride. Est assailly des Espagnols, qu'il d�fait & les traitte comme ils avoient fait les Fran�ois.

CHAPITRE IIII.

Le Roy s�achant l'injustice & les ignominies faites aux Fran�ois ses subjects par les Espagnols, comme j'ay dit cy dessus, eut raison d'en demander justice & satisfaction � Charles V. 31 Empereur & Roy d'Espagne, comme estant un outrage

24/680fait au prejudice de ce que les Espagnols leur avoient promis, de ne les inqui�ter ny molester en la conservation de ce qu'avec tant de travail ils s'estoient acquis en la Nouvelle France, suivant les commissions du Roy de France leur maistre, que les Espagnols n'ignoroient point; & neantmoins les firent mourir ainsi ignominieusement, souz le pretexte specieux qu'ils estoient Luth�riens, � leur dire, quoy qu'ils fussent meilleurs Catholiques qu'eux32, sans hypocrisie, ny superstition, & initiez en la foy Chrestienne plusieurs siecles devant que les Espagnols.

Note 31: (retour)

C'�tait alors Philippe II, fils de Charles V, qui r�gnait en Espagne. Il avait, comme son p�re, les titres d'empereur d'Allemagne et de roi d'Espagne.

Note 32: (retour)

Voici comme Menendez rend compte lui-m�me, au roi d'Espagne, des motifs de sa conduite. �J'ai sauv� la vie � deux jeunes gens d'environ dix-huit ans, et � trois autres, le fifre, le tambour et le trompette, et j'ai pass� au fil de l'�p�e Jean Ribaut, avec tous les autres, jugeant la chose utile au service de Notre Seigneur et de Votre Majest�, et j'estime que sa mort est d'un grand avantage, car le roi de France pouvait plus avec lui et cinq cents ducats, qu'avec d'autres et cinq mille, et il pouvait plus en un an, qu'un autre en dix; c'�tait en effet le plus habile marin et commandant que l'on conn�t, et d'une grande adresse dans cette navigation des Indes et des c�tes de la Floride; il �tait si aim� en Angleterre, qu'il y fut nomm� capitaine g�n�ral de toute l'arm�e anglaise contre les catholiques de France, dans la guerre qui a eu lieu, il y a quelques ann�es, entre l'Angleterre et la France.� (Carta de Pedro Menendez, apud F. Parkman, Pioneers, p. 132.)

Sa Majest� dissimula cette offence pour un temps, pour avoir les deux Coronnes quelques differents � vuider auparavant, & principalement avec l'Empereur, qui empescha que l'on ne tiraft raison de telles inhumanitez.

Mais comme Dieu ne delaisse jamais les tiens, & ne laisse impunis les traittemens barbares qu'on leur fait souffrir, ceux-cy furent payez de la mesme monnoye qu'ils avoient pay� les Fran�ois.

Car en l'an 1567, se presenta le brave Chevalier de Gourgues33, qui plein de valeur & de courage, pour venger cet affront fait � la nation Fran�oise; 25/681& recognoissant qu'aucun d'entre la Noblesse, dont la France foisonne, ne s'offroit pour tirer raison d'une telle injure, entreprint de le faire. Et pour ne faire cognoistre du commencement son dessein, fit courir le bruit qu'un embarquement se faisoit pour quelque exploict qu'il vouloit faire en la coste d'Afrique. Pour ce sujet nombre de matelots & soldats s'assemblent � Bourdeaus, o� se faisoit tout l'appareil de mer: il se pourveut & fournit de toutes les choses qu'il jugea estre necessaires en ce voyage.

Note 33: (retour)

�Dominique de Gourgues, gentilhomme gascon, n� au Mont-de-Marsan, dans le comt� de Comminges d'une famille distingu�e de tout temps par un attachement inviolable � l'ancienne religion: lui-m�me ne s'en �loigna jamais, quoique le dernier historien espagnol de la Floride l'ait accus� d'avoir �t� h�r�tique furieux.� (Charlevoix, Hist. de la Nouv. France, liv. II.)

Son embarquement se fit le 23 Aoust de la mesme ann�e en trois vaisseaux, ayant avec luy 250 hommes34. Estant en mer, il relascha � la coste d'Afrique, soit pour se rafraischir, ou autrement, mais ce ne fut pas pour long temps: car incontinent il fit voile, & fait publier par quelques siens amis affidez, qu'il avoit chang� son premier dessein en un autre plus honorable que celuy de la coste d'Afrique, moins p�rilleux, & plus facile � ex�cuter: & au lieu o� il avoit relasch�, il eut advis que ce qu'il disoit deplaisoit � plusieurs des siens, qui croyoient que le 26/682voyage estoit rompu, & qu'il faudroit s'en retourner sans rien faire: toutesfois ils avoient tous grand desir de tenter quelque autre dessein.

Note 34: (retour)

�Il s'embarqua � Bourdeaux le second jour d'aoust... & descend le long de la riviere � Royan � vingt lieues de Bourdeaux, o� il fait sa monstre, tant de soldats que de mariniers. Il y avoit cent harquebouziers aians tous harquebouze de calibre & morrion en teste, dont plusieurs estoient gentilshommes, & quatre vingtz mariniers... Apr�s la monstre faicte, le Cappitaine Gourgue donne le rendez-vous accoustum� en telles exp�ditions. Mais ainsi qu'il estoit prest � partir, se leve ung vent contraire qui le contrainct de sejourner huict jours � Roian, ce vent estant un peu remis il se meit sur mer pour faire voille; mais bientost apr�s il fut repouss� vers la Rochelle, & ne pouvant mesme estre � la radde de la Rochelle pour la violance du temps, il fut contrainct de se retirer � la bouche de la Charente, & sejourner l� huict jours... Le vingt-deuxiesme jour d'aoust, le vent estant cess�, & le ciel donnant apparence d'un plus doulx temps pour l'advenir, il se remect sur mer.� (La reprinse de la Floride, Ternaux-Compans, p. 309, 310.)

Le Sieur de Gourgues s�achant la volont� de ses compagnons, qui ne perdoient point courage, & estant asseur� de son �quipage, trouva � propos d'assembler son conseil, auquel il fit entendre la raison pourquoy il ne pouvoit ex�cuter ce qu'il avoit entrepris, qu'il ne falloit plus songer � ce dessein: mais aussi que de retourner en France sans avoir rien fait, il n'y avoit point d'apparence. Qu'il s�avoit une autre entreprise non moins glorieuse que profitable, � des courages tels qu'ils en avoit en ses vaisseaux, & de laquelle la m�moire seroit immortelle, qui estoit un exploict des plus signalez qui se puisse faire: chacun brusloit d'ardeur & de desir de voir l'effect de ce qu'il disoit; & leur fit entendre que s'il estoit bien assist� en ceste louable entreprise, il se sentiroit fort glorieux de mourir en l'ex�cutant. Et voulant ledit Sieur de Gourgues leur d�clarer son dessein, les ayant tous fait assembler, parla ainsi. �Mes compagnons & fid�les amis de ma fortune, vous n'estes pas ignorans combien je ch�ris les braves courages comme vous, & l'avez assez tesmoign� par la belle resolution que vous avez prise de me suivre & assister en tous les p�rils & hazards honorables que nous aurons � souffrir & essuyer, lors qu'ils se presenteront devant nos yeux, & l'estat que je fais de la conservation de vos vies; ne desirant point vous embarquer au risque d'une entreprise que je s�aurois r�ussir � une ruine sans honneur: ce seroit � moy une trop 27/683grande & blasmable t�m�rit�, de hazarder vos personnes � un dessein d'un accez si difficile, ce que je ne croy pas estre, bien que j'aye employ� une bonne partie de mon bien & de mes amis, pour �quiper ces vaisseaux, & les mettre en mer, estant le seul entrepreneur de tout le voyage. Mais tout cela ne me donne pas tant de sujet de m'affliger, comme j'en ay de me resjouir, de vous voir tous resolus � une autre entreprise, qui retournera � vostre gloire, s�avoir d'aller venger l'injure que nostre nation a receue des Espagnols, qui ont fait une telle playe � la France, qu'elle saignera � jamais, par les supplices & traictemens infames qu'ils ont fait souffrir � nos Fran�ois, & exerc� des cruautez barbares & inou�es en leur endroit. Les ressentimens que j'en ay quelquefois, m'en font jetter des larmes de compassion, & me relevent le courage de telle sorte, que je suis resolu, avec l'assistance de Dieu, & la vostre, de prendre une juste vengeance d'une telle felonnie & cruaut� Espagnolle, de ces coeurs lasches & poltrons, qui ont surpris mal-heureusement nos compatriotes, qu'ils n'eussent os� regarder sur la defense de leurs armes. Ils sont assez mal logez, & les surprendrons ais�ment. J'ay des hommes en mes vaisseaux qui cognoissent tr�s-bien le pa�s, & pouvons y aller en seuret�. Voicy, chers compagnons, un subject de relever nos courages, faites paroistre que vous avez autant de bonne volont� � ex�cuter ce bon dessein, que vous avez d'affection � me suivre: ne serez vous pas contents de remporter les lauriers triomphans de la despouille de nos ennemis?�

28/684Il n'eut pas plustost achev� de parler, que chacun de joye s'escrierent: �Allons o� il vous plaira, il ne nous pouvoit arriver un plus grand plaisir & honneur que celuy que vous nous proposez, & mille fois plus honorable qu'on ne se peut imaginer, aimans beaucoup mieux mourir en la poursuitte de cette juste vengeance de l'affront qui a est� fait � la France, que d'estre blessez en une autre entreprise; tout nostre plus grand souhait est de vaincre ou mourir, en vous tesmoignant toute sorte de fid�lit�: commandez ce que vous jugerez estre plus exp�dient, vous avez des soldats qui ont du courage de reste pour effectuer ce que vous direz: nous n'aurons point de repos jusques � ce que nous nous voyons aux mains avec l'ennemy.�

La joye creut plus que jamais dans les vaisseaux. Le sieur de Gourgues fait changer la routte, & tirer quelques coups de canon, pour commencer la resjouissance, & donner courage � tous les soldats: & alors ce g�n�reux Chevalier fait singler vers les costes de la Floride, & fut tellement favoris� du beau temps, qu'en peu de jours il arriva proche du fort de la Caroline, & le jour apperceu, les Sauvages du pays firent voir force fum�es, jusques � ce que le Le sieur de Sieur de Gourgues eust fait abbaisser les voiles, & mouiller l'anchre. Il envoya � terre s'informer des Sauvages de l'Estat des Espagnols, qui estoient fort ailes de voir le sieur de Gourgues resolu de les attaquer. Ils asseurerent qu'ils estoient en nombre de 400, tr�s bien armez, & pourveus de tout ce qui leur estoit necessaire. Puis s'estant fait instruire de la 29/685fa�on en laquelle les Espagnols estoient campez, il commen�a d'ordonner ses gens de guerre pour les assaillir. Voyons s'ils auront le courage de soustenir le Sieur de Gourgues, comme ils firent Laudonniere, mal pourveu de munitions, & de ce qui luy estoit necessaire.

Doncques le Sieur de Gourgues se faisant conduire par ses hommes, & de quelques Sauvages par l'espaisseur des bois, sans estre apperceu des Espagnols, fait recognoistre les places, & l'estat auquel elles estoient: & le Samedy d'auparavant Quasimodo35, au mois d'Avril 1568. attaque furieusement les deux forts36,& se dispose de les avoir par escalade, en quoy il trouva grande resistance: & le combat s'eschauffant, ce fut alors que parut le courage de nos Fran�ois, qui se jettoient � corps perdu parmy les coups, tantost repoussez, puis reprenans coeur retournent au combat avec plus de valeur qu'auparavant. Bien attaqu�, mieux d�fendu. La mort ny les blesseures ne les fait point paslir, ny ne leur fait perdre le sens, ny la vaillance.

Note 35: (retour)

Le samedi d'avant la Quasimodo �tait le 24 d'avril.

Note 36: (retour)

Outre le grand fort de la Caroline, les Espagnols en avaient �lev� deux petits, pour prot�ger l'entr�e de la rivi�re de May, comme on l'apprit de la bouche d'un jeune fran�ais, Pierre Debr�, natif du Havre-de-Gr�ce, qui �tait demeur� parmi les sauvages. (Reprinse de la Floride, Tern.-Compans, p. 332.) Ces deux petits forts furent emport�s du premier coup le m�me jour 24 avril. De Gourgues laissa reposer ses soldats le dimanche et le lundi, et commen�a par assurer cette premi�re victoire avant d'entreprendre l'attaque du grand fort.

Nostre g�n�reux Chevalier de Gourgues le coutelas � la main, leur enflamme le courage, & comme un lion hardy � la teste des tiens gaigne le dessus du rampart, repousse les Espagnols, se fait voye parmy eux. Ses soldats se suivent, & combattent vaillamment, entrent de force dans les deux forts, tuent 30/686tout ce qu'ils rencontrent: de sorte que le reste de ceux qui y moururent & s'enfuirent, demeur�rent prisonniers des Fran�ois; & ceux qui pensoient se sauver dans les bois, furent taillez en pi�ces par les Sauvages, qui les traitterent comme ils avoient fait les nostres. Deux jours apr�s le sieur de Gourgues se rend maistre du grand fort, que les ennemis avoient abandonn�, apr�s quelque resistance, desquels partie furent tuez, les autres prisonniers.

Ainsi demeurant victorieux, & estant venu � bout d'une si glorieuse entreprise, se ressouvenant de l'injure que les Espagnols avoient faite aux Fran�ois, en fit pendre quelques-uns, avec des escriteaux sur le dos, portans ces mots: Je n'ay pas fait pendre ceux-cy comme Espagnols, mais comme pirates bandoliers & escumeurs de mer37 Apr�s ceste ex�cution, il fit d�molir & ruiner les forts 38, puis s'embarque pour revenir en France, laissant au coeur des Sauvages un regret immortel de se voir privez d'un si magnanime Capitaine. Son partement fut le 30 de May 39 1568, 31/687& arriva � la Rochelle le 6 de Juin, & de l� � Bourdeaus, o� il fut receu aussi honorablement, & avec autant de joye, que jamais Capitaine auroit est�.

Note 37: (retour)

�Ils sont branchez aux mesmes arbres o� ils avoient penduz les Fran�ois, & au lieu d'un escriteau que Pierre Malendez y avoit faict mettre contenant ces mots en langage Espaignol: Je ne faicts cecy comme � Fran�ois mais comme � Luth�riens, le cappitaine Gourgue faict graver en une table de sapin avec ung fer chault: Je ne faicts cecy comme � Espaignols, n'y comme � Marannes; mais comme � traistres, volleurs & meurtriers.� (Manuscrit de Gourgues.) On sait que Maran ou Marane �tait un terme de m�pris que les Espagnols donnaient aux Maures, et, par suite, � tous les malfaiteurs.

Note 38: (retour)

De Gourgues eut l'adresse d'int�resser les sauvages � la ruine de ces forts. �Affin, dit le manuscrit d�j� cit�, que les sauvaiges ne trouvassent mauvais que les fortz fussent ruynez, ains qu'en estant bien aises ils les ruynassent eulx-mesmes, il assemble les Rois, & leur aiant remonstr� du commencement comment il leur avoit tenu promesse, & les avoit vengez de ceulx qui les avoient tirannisez si cruellement, il vint tomber puis apr�s sur le propos de ruyner les forts, employant tout ce qui pouvoit servir � leur persuader que tout ce qu'il en vouloit faire estoit pour leur proffit & en haine de tant de meschancetez & cruaultez que les Espaignols y avoient commises. A quoy ils presterent si volontiers l'oreille, que le Cappitaine Gourgue n'eut pas plustost achev� de parler, qu'ils s'en coururent droict au fort, crians & appellans leurs subjects apr�s eulx, o� ils feirent telle diligence qu'en moing d'ung jour ils ne laisserent pierre sur pierre.�

Note 39: (retour)

�Le troisi�me jour de May (ung lundi), le rendez-vous fut donn� comme l'on a accoustum� de faire sur mer, & les anchres lev�es firent voilles, & eurent le vent si propre qu'en dix-sept jours ils firent unze cens lieues de mer, & depuis continuantz leur navigation arriv�rent � la Rochelle le lundy sixi�me jour de juing...� (Reprinse de la Floride.)

Mais il n'est si tost arriv� en France, que l'Empereur envoya au Roy demander justice de ses subjects, que le Sieur de Gourgues avoit fait pendre en l'Inde Occidentale: dequoy sa Majest� fut tellement irrit�e, qu'elle mena�oit ledit Sieur de Gourgues de luy faire trencher la teste, & fut contraint de s'absenter pour quelque temps, pendant lequel la col�re du Roy se passa: & ainsi ce g�n�reux Chevalier repara l'honneur de la nation Fran�oise, que les Espagnols avoient offens�e: ce qu'autrement eust est� un regret � jamais pour la France, s'il n'eust veng� l'affront receu de la nation Espagnolle. Entreprise genereuse d'un Gentil-homme, qui l'ex�cuta � ses propres cousts & despens, seulement pour l'honneur, sans autre esperance: ce qui luy a r�ussi glorieusement, & ceste gloire est plus � priser que tous les tresors du monde 40.

Note 40: (retour)

�Il est f�cheux cependant pour sa gloire,� remarque M. Ferland, �que de Gourgues ait imit� la conduite des Espagnols, en livrant ses prisonniers � la mort; ces tristes repr�sailles ne sauraient �tre approuv�es par la justice, puisque souvent elles tombent sur des innocents, plut�t que sur les coupables.� (Cours d'Hist. du Canada, I, 57.)

On a remarqu� aux voyages de Ribaus & de Laudonniere de grands d�fauts & manquemens. Ribaus fut blasm� au sien, pour n'avoir port� des vivres que pour dix mois, sans donner ordre de faire d�fricher les terres, & les rendre aptes au labourage, pour rem�dier aux disettes qui peuvent survenir, & aux p�rils que courent les vaisseaux sur mer, ou bien pour le retardement de leur arriv�e en saison 32/688convenable, pour soulager les necessitez, qui en fin reduisent les entrepreneurs � de grandes extremitez, jusques � estre homicides les uns des autres, pour se nourrir de chair humaine, comme ils firent en ce voyage, qui causerent de grandes mutineries des soldats contre leur chef, & ainsi le d�sordre & la desobeissance r�gnant parmy eux, en fin ils furent contraints (quoy qu'avec un regret incroyable, & apr�s une perte notable d'hommes & de biens) d'abandonner les terres & possessions qu'ils avoient acquises en ce pays; & tout cela, faute d'avoir pris leurs mesures avec jugement & raison.

L'experience fait voir qu'en tels voyages & embarquemens les Roys & les Princes, & les gens de leur conseil qui les ont entrepris, avoient trop peu de cognoissance �s ex�cutions de leurs desseins. Que s'il y en a eu d'experimentez en ces choses, ils ont est� en petit nombre, pource que la plus-part ont tent� telles entreprises sur les vains rapports de quelques cajoleurs, qui faisoient les entendus en telles affaires, dont ils estoient tres-ignorans, seulement pour se rendre considerables: car pour les commencer, & terminer avec honneur & utilit�, faut consommer de longues ann�es aux voyages de mer, & avoir l'exp�rience de telles descouvertes41.

Note 41: (retour)

Dans la plupart des exemplaires de l'�dition originale, ce passage se termine l�. Mais quelques-uns renferment la phrase censur�e qui obligea l'auteur de r�imprimer les feuilles DII et DIII, et qui finissait ainsi; �... de telles descouvertes; ce que n'ont pas les grands hommes d'estat, qui s�avent mieux manier & conduire le gouvernement & l'administration d'un Royaume, que celle de la navigation, des exp�ditions d'outre-mer, & des pays loingtains, pour ne l'avoir jamais practiqu�.� (H. Stevens, Historical Nuggets, I, 131.)

La plus grande faute que fit Laudonniere, qui y alloit � dessein d'y hyverner, fut de n'estre fourny 33/689que de peu de vivres, au lieu qu'il se devoit gouverner sur l'exemple de l'hyvernement du Capitaine Albert � Charles-fort, que Ribaus laissa si mal pourveu de toutes choses; & ces manquemens arrivent ordinairement en telles entreprises, pour s'imaginer que les terres de ces pays l� rapportent sans y semer; joint � cela, qu'on entreprend mal � propos tels voyages sans practique ny exp�rience. Il y a bien de la diff�rence � bastir de tels desseins en des discours de table, parler par imagination de la scituation des lieux, de la forme de vivre des peuples qui les habitent, des profits & utilitez qui s'en retirent; envoyer des hommes au del� des mers en des pays loingtains, traverser des costes & des isles incognues, & se former ainsi telles chim�res en l'esprit, faisans des voyages & des navigations id�ales & imaginaires; ce n'est pas l� le chemin de sortir � l'honneur de l'ex�cution des descouvertes: il faut auparavant meurement considerer les choses qui se presentent en telles affaires, communiquer avec ceux qui s'en sont acquis de grandes cognoissance, qui s�avent les difficultez & les p�rils qui s'y rencontrent, sans s'embarquer ainsi inconsider�ment sur de simples rapports & discours. Car il sert de peu de discourir des terres lointaines, & les aller habiter, sans les avoir premi�rement descouvertes, & y avoir demeur� du moins un an entier, afin d'apprendre la qualit� des pays, & la diversit� des saisons, pour par apr�s y jetter les fondemens d'une Colonie. Ce que ne font pas la plus-part des entrepreneurs & voyageurs, qui se contentent seulement de voir les costes & les �levations des terres en passant, sans s'y arrester.

34/690D'autres entreprennent telles navigations sur de simples relations, faites � des personnes, qui, quoy que bien entendues dans les affaires du monde, & ayent de grandes & longues exp�riences, neantmoins estans ignorans en celles-cy, croyent que toutes choses se doivent gouverner selon les �levations des lieux o� ils sont, & c'est en quoy ils se trouvent grandement trompez: car il y a des changemens si estranges en la nature, que ce que nous en voyons nous fait croire ce qui en est. Les raisons de cela sont fort diverses & en grand nombre, qui est cause que j les passeray souz silence. J'ay dit cecy en passant, afin que ceux qui viendront apr�s nous, & qui bastiront de nouveaux desseins, s'en servent, & les considerent: de sorte que lors qu'ils s'y embarqueront, la ruine & la perte d'autruy leur serve d'exemple, & d'apprentissage.

Le troisiesme d�faut, & le plus prejudiciable, est en ce que fit Ribaus, de n'avoir fait descharger les vivres & munitions qu'il avoit apportez pour Laudonniere & ses compagnons, avant que s'exposer au risque de perdre tout, comme il fit (quoy qu'il n'y allast pas pour combatre l'ennemy) mais demeurer tousjours sur la defensive, aider avec ses hommes � Laudonniere, se fortifier, & attendre de pied ferme ceux qui le viendroient assaillir: pouvant bien juger que puis que son dessein estoit de prendre le Fort, qu'il devoit estre plus fort que ceux qui le gardoient, sans s'exposer inconsider�ment au p�ril & � la fortune; & eust mieux fait de recognoistre les forces de l'ennemy avant qu'il l'allast attaquer, & qu'il ne fust asseur� de la victoire. Mais au contraire 35/691ayant mespris� les conseils de Laudonniere, qui estoit plus exp�riment� que luy en la cognoissance des lieux, il luy en prit tr�s-mal.

Davantage, en telles entreprises les vaisseaux qui portent les vivres & les munitions de guerre pour une Colonie, doivent tousjours faire leur routte le plus droit qu'il est possible, sans se d�tourner pour donner la chasse � quelque autre vaisseau, d'autant que s'il se faut battre, & qu'ils viennent � se perdre, ce mal-heur ne leur sera pas seulement particulier, mais ils mettent la Colonie en danger d'estre perdue, & les hommes contraints d'abandonner toutes choses, se voyans r�duits � souffrir une mort miserable, caus�e par la faim, qui les assailliroit faute de vivres, pour ne s'estre pourveus & munis du moins pour deux ans, en attendant que la terre soit d�frich�e, pour nourrir ceux qui sont dans le pays. Fautes tr�s-grandes, qui sont semblables � celles qu'ont faites ces nouveaux entrepreneurs, qui n'ont fait d�fricher aucunes terres, ny trouv� moyen de le faire depuis vingt-deux ans42 que le pays est-habit�, n'ayans eu autre pens�e qu'� tirer profit des pelleteries: & un jour arrivera qu'ils perdront tout ce que nous y possedons. Ce qui est ais� � juger si le Roy n'y fait ordonner un bon r�glement.

Note 42: (retour)

Ce passage est une nouvelle preuve que l'�dition de 1632 a �t� commenc�e peu de temps apr�s la prise de Qu�bec; car, au printemps de 1630, il y avait juste vingt-deux ans que notre auteur �tait parti de la vieille France, pour venir fonder, dans la nouvelle, cette petite habitation de Qu�bec, que l'avarice des soci�t�s marchandes tint jusqu'� cette �poque dans un �tat de faiblesse qui lui fait dire ici: �Un jour arrivera qu'ils perdront tout ce que nous y possedons... si le Roy n'y fait ordonner un bon r�glement.�

Ce sont les plus grands d�fauts qui se peuvent remarquer �s premiers voyages, & les suivans n'ont est� gueres plus heureux.


36/692


Voyage, que fit faire le Sieur de Roberval. Envoye Alphonse Sainctongeois vers Labrador. Son partement: son arriv�e. Retourne � cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort, pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la Roche sans fruict. Sa mort. D�faut remarquable en son entreprise.

CHAPITRE V.

L'An 1541 43 le Sieur de Roberval ayant renouvell� cette saincte entreprise, envoya Alphonse Sainctongeois (homme des plus entendus au faict de la navigation qui fust en France de son temps) qui voulut par ses descouvertes voir & rencontrer plus au Nort un passage vers Labrador. Il fit �quiper deux 44 bons vaisseaux de ce qui luy estoit necessaire pour ceste descouverte, & partit audit an 1541.45 Et apr�s avoir navig� le long des costes du Nort, & terres de Labrador, pour trouver un passage qui peust faciliter le commerce avec les Orientaux, par un chemin plus court que celuy que l'on fait par le Cap de bonne esperance, & destroit de Magellan, les obstacles fortunez, & le risque qu'il courut � cause des glaces, le fit retourner sur ses bris�es, & n'eut pas plus dequoy se glorifier que Cartier.

Note 43: (retour)

Cinq des vaisseaux qui faisaient partie de l'exp�dition de M. de Roberval, partirent en effet de Saint-Malo le 23 mai 1541, sous les ordres de Jacques Cartier; mais il ne put partir lui-m�me qu'au printemps suivant, le 16 avril 1542, avec trois autres vaisseaux; et Jean Alphonse, son premier pilote, �tait avec lui. (Hakluyt, III, 232, 237, 240.)

Note 44: (retour)

Trois. (Relation de Roberval.)

Note 45: (retour)

1542.

37/693Ceste seconde entreprise n'estoit que pour decouvrir un passage46, mais l'austre estoit pour le profond des terres, & y habiter, s'il se pouvoit; & ainsi ces deux voyages n'ont pas r�ussi. Pour le passage, je n'allegueray point le discours au long des nations estrangeres qui ont tent� fortune de trouver passage par le Nort, pour aller aux Indes Orientales, comme �s ann�es 1576, 77 & 78. Messire Martin Forbichet47 fit trois voyages: sept ans apr�s Hunfoy Gilbert y fut avec 5 vaisseaux, qui se perdit sur l'isle de Sable, o� il demeura deux ans 48. Apr�s Jean Davis Anglois fit trois voyages, p�n�tra souz le 72e degr�, passa par un destroit appell� aujourd'huy de son nom. Un autre appell� le Capitaine Georges 49, en l'an 1590. fit ce voyage, & fut contraint � cause des glaces de s'en retourner sans effect: & quelques autres qui l'ont entrepris, ont eu pareille fortune.

Note 46: (retour)

Tel �tait, sans aucun doute, le but auquel aspirait le pilote saintongeois; mais M. de Roberval avait bien certainement dessein de fonder une colonie, comme le prouve abondamment la relation de son voyage.

Note 47: (retour)

Frobisher. La relation de ses trois voyages se trouve dans Hakluyt, vol. III.

Note 48: (retour)

Sir Humphrey Gilbert p�rit en ce voyage, l'ann�e m�me de son d�part. (Hakl. III.)

Note 49: (retour)

D'apr�s Bergeron, le capitaine George Weymouth fit un voyage pour chercher le passage du nord-ouest, mais en l'ann�e 1602. (Trait� de la Navigation, ch, X.)

Quant aux Espagnols & Portugais, ils y ont perdu leur temps. Les Hollandois n'en ont pas eu plus certaine cognoissance par la nouvelle Zambie du cost� de l'Est, pour trouver ce passage, que les autres ont perdu tant de temps pour le chercher par l'Occident, au dessus des terres dites Labrador.

Tout cecy n'est que pour faire cognoistre que si ce passage tant desir� se fust trouv�, combien cela eust apport� d'honneur � celuy qui l'eust rencontr�, 38/694& de biens � l'Estat ou Royaume qui l'eust possed�. Puis donc que nous seuls avons jug� ceste entreprise d'un tel prix, elle n'est pas moins � m�priser en ce temps cy, & ce qui ne s'est peu faire par un lieu, se peut recouvrer par un autre avec le temps, pourveu que sa Majest� vueille assister les entrepreneurs d'un si louable dessein. Je laisseray ce discours, pour retourner � nos nouveaux conquerans au pays de la nouvelle France.

Le Sieur Marquis de la Roche de Bretagne, pouss� d'une saincte envie d'arborer l'estendart de Jesus Christ, & y planter les armes de son Roy, en l'an 1598 50 prit commission du Roy Henry le Grand (d'heureuse m�moire) qui avoit de l'amour pour ce dessein, fit �quiper quelques vaisseaux, avec nombre d'hommes, & un grand attirail de choses necessaires � un tel voyage: mais comme ledit Sieur Marquis de la Roche n'avoit aucune cognoissance des lieux, que par un pilote de navire appelle Ch�dotel, du pays de Normandie, il mit les gens dudit Sieur Marquis sur l'isle de Sable, distante de la terre du Cap Breton de 25 lieues au Sud, o� cependant les hommes qui resterent en ce lieu avec fort peu de commoditez, furent sept ans abandonnez sans secours que de Dieu, & furent contraints de se tenir comme les renards dans la terre, pour n'y avoir ny bois, ny pierre en ceste isle propre � bastir, que le d�bris & fracas des vaisseaux qui viennent � la coste de ladite isle; & vescurent seulement de la chair des boeufs & vaches, qu'ils y trouverent en quantit�, s'y 39/695estans sauvez par la perte d'un vaisseau Espagnol qui s'estoit perdu voulant aller habiter l'isle du Cap Breton; & se vestirent de peaux de loups marins, ayans us� leurs habits, & conserverent les huiles pour leur usage, avec la pescherie de poisson, qui est abondante autour de ladite isle; jusques � ce que la Cour de Parlement de Rouen par arrest condamna ledit Ch�dotel d'aller repasser ces pauvres miserables, � la charge qu'il auroit la moiti� des commoditez de ce qu'ils auroient peu pratiquer pendant leur sejour en cette isle, comme cuirs de boeufs, peaux de loups marins, huile, renards noirs, ce qui fut ex�cut�: & revenans en France au bout de sept ans, partie vint trouver sa Majest� � Paris, qui commanda au Duc de Suilly de leur donner quelques commoditez, comme il fit, jusques � la somme de 50 escus, pour les encourager de s'en retourner51.

Note 50: (retour)

Le marquis de la Roche avait d�j� obtenu une premi�re commission en 1578. (Voir Voyage 1613, p. 4, note 1.)

Note 51: (retour)

Lescarbot rapporte la chose un peu diff�remment. �Cependant ses gens demeurent cinq ans d�grad�s en ladite ile, se mutinent, & coupent la gorge l'un � l'autre, tant que le nombre se racourcit de jour en jour. Pendant lesdits cinq ans ils ont l� v�cu de p�cherie, & des chairs des animaux... dont ils en avoient apprivoisez quelques uns qui leur fournissaient de laictage, & autres petites commoditez. Ledit Marquis �tant d�livr� fit r�cit au Roy � Rouen de ce qui lui �toit survenu. Le Roy commanda � Chef-d'hotel Pilote d'aller recueillir ces pauvres hommes quand il iroit aux Terres-neuves. Ce qu'il fit, & en trouva douze de reste, auxquels il ne dit point le commandement qu'il avoit du Roy, afin d'attraper bon nombre de cuirs, & peaux de Loups marins dont ils avoient fait r�serve durant lesdites cinq ann�es. Somme, revenus en France ilz se presentent � sa Majest� v�tus d�dites peaux de Loups-marins. Le Roy leur fit bailler quelque argent, & se retir�rent. Mais il y eut proc�s entre eux, & ledit Pilote, pour les cuirs & pelleteries qu'il avoit extorqu�es d'eux, dont par apr�s ilz composerent amiablement.� (Hist. de la Nouv. France, liv. III, ch. XXXII.—Voir Biographie G�n�rale des hommes illustres de la Bretagne, par Pol de Courcy, Cours d'Hist. du Canada, par M. Ferland, I, 60, 6l.)

Cependant le Marquis de la Roche estant � poursuivre en Cour les choses que sa Majest� luy avoit promises pour son dessein, elles luy furent d�ni�es par la sollicitation de certaines personnes qui n'avoient desir que le vray culte de Dieu s'accreust, 40/696ny d'y voir florir la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Ce qui luy causa un tel desplaisir, que pour cela, & autre chose, il se trouva assailly d'une forte maladie, qui l'emporta, apr�s avoir consomm� son bien & son travail, sans en ressentir aucun fruict.

En ce sien dessein se remarquent deux d�fauts; l'un, en ce que ledit Marquis n'avoit fait descouvrir & recognoistre le lieu par quelque homme entendu en telle affaire, & o� il devoit aller habiter, premier que s'obliger � une despense excessive. L'autre, que les envieux qui estoient en ce temps pr�s du Roy en son Conseil, empescherent l'effect & la bonne volont� qu'avoit sa Majest� de luy faire du bien. Voila comme les Roys sont souvent deceus par ceux en qui ils ont quelque confiance. Les histoires du temps pass� le font assez cognoistre, & ceste-cy nous en peut fournir d'eschantillon. Voicy un quatriesme voyage rompu, venons au cinquiesme.



Voyage du Sieur de Sainct Chauvin. Son dessein. Remonstrances que luy fait du Pont Grav�. Le Sieur de Mons voyage avec luy. Retour de S. Chauvin & du Pont en France, Second voyage de Chauvin: son entreprise.

CHAPITRE VI.

Un an apr�s, l'an 1599, le Sieur Chauvin de Normandie, Capitaine pour le Roy en la marine, homme tr�s-expert & entendu au faict de la navigation (qui avoit servy sa Majest� aux guerres pass�es, quoy qu'il fust de la religion pretendue 41/697reform�e) entreprit ce voyage souz la commission de sadite Majest�, � la sollicitation du Sieur du Pont Grav�, de Sainct Malo (fort entendu aux voyages de mer, pour en avoir fait plusieurs) accompagnez d'autres vaisseaux jusques � Tadoussac, quatre vingts dix lieues � mont la riviere, lieu o� ils faisoient trafic de pelleterie & de castors, avec les Sauvages du pays, qui s'y rendoient tous les printemps: ledit du Pont desireux de trouver moyen de rendre ce trafic particulier, va en Cour rechercher quelqu'un d'authorit� & pouvoir eminent aupr�s du Roy, pour obtenir une commission, portant que le trafic de ceste riviere seroit interdit � toutes personnes, sans la permission & consentement de celuy qui seroit pourveu de ladite commission, � la charge qu'ils habiteroient le pays, & y feroient une demeure. Voila un commencement de bien faire, sans qu'il en couste rien au Roy, si ce qui est en ladite commission s'effectue, ayant dessein d'y mener cinq cents hommes, pour s'y fortifier & d�fendre le pays. Le Roy qui avoit grande confiance en cet entrepreneur, qui neantmoins pretendoit n'y faire que la moindre despense qu'il pourroit, pour souz le pr�texte d'habiter, & ex�cuter tout ce qu'il promettoit, vouloit priver tous les sujects du Royaume de ce trafic, & retirer luy seul les castors. Et pour donner un esclat � ceste affaire, se met en devoir de l'ex�cuter. Les vaisseaux s'�quipent de choses les plus necessaires qu'il croit estre propres � son entreprise. Plusieurs personnes d'arts & de mestiers s'acheminent & se rendent au lieu de Hondefleur lieu de l'embarquement. Ses vaisseaux hors, il met 42/698ledit Pont Grav� pour son Lieutenant en l'un d'iceux: mais le chef estant de contraire religion, ce n'estoit pas le moyen de bien planter la foy parmy des peuples qu'on veut r�duire, & c'estoit � quoy l'on songeoit le moins. Ils navigent jusques au port de Tadoussac, lieu de la traitte, & fut ceste affaire assez mal conduite pour y faire grand progr�s. Ils se d�lib�rent d'y faire une habitation; lieu le plus desagreable & infructueux qui soit en ce pays, qui n'estant remply que de pins, sapins, bouleaux, montagnes, & rochers presque inaccessibles, & la terre tr�s-mal dispos�e pour y faire aucun bon labourage, & o� les froidures sont si excessives, que s'il y a une once de froid � 40 lieues � mont la riviere, il y en a l� une livre: aussi combien de fois me suis-je estonn�, ayant veu ces lieux si effroyables sur le printemps.

Or comme ledit Sieur Chauvin y vouloit bastir, & y Laisser des hommes, & les couvrir contre la rigueur des froidures extr�mes, ayant sceu du Pont Grav� que son opinion n'estoit que l'on y deust bastir, remonstra audit Sieur Chauvin plusieurs fois qu'il falloit aller � mont ledit fleuve, o� le lieu est plus commode � habiter, ayant est� en un autre voyage jusques aux trois rivieres, pour trouver les Sauvages, afin de traiter avec eux.

Le Sieur de Mons fit le mesme voyage pour son plaisir, avec ledit Sieur Chauvin, qui estoit de la mesme opinion que Grav�, qui recognoissant ce lieu estre fort desagreable, eust bien voulu voir plus � mont ledit fleuve 52. Mais quoy que c'en soit, ou le 43/699temps ne le permettant pour lors, ou autres considerations qui estoient en l'esprit de l'entrepreneur, fut cause qu'il employa quelques ouvriers � �difier une maison de plaisance, de quatre toises de long, sur trois de large, de huict pieds de haut, couverte d'ais, & une chemin�e au milieu, en forme d'un corps de garde, entour� de clayes, (laquelle j'ay veue en ce lieu l�) & d'un petit foss� fait dans le sable 53. Car en ce pays l� o� il n'y a point de rochers, ce sont tous sables fort mauvais. Il y avoit un petit ruisseau au dessous, o� ils laisserent 16. hommes fournis de peu de commoditez, qu'ils pouvoient retirer dans le mesme logis, o� ce peu qu'il y avoit estoit � l'abandon des uns & des autres, ce qui dura peu. Les voila bien chaudement pour leur hyver. Ce qui fut cause que le sieur Chauvin s'en retourna, ne voulant voir, ny descouvrir plus avant, comme aussi fit le dit du Pont.

Note 52: (retour)

La mauvaise impression que fit ce voyage sur l'esprit de M. de Monts, explique pourquoi il ne se d�cida � faire une habitation sur le fleuve qu'apr�s plusieurs tentatives infructueuses pour s'�tablir dans des climats moins rigoureux.

Note 53: (retour)

Voir la carte des environs de Tadoussac, 1613.

Pendant qu'ils sont en France, nos hyvernans consomment en bref ce peu qu'ils avoient, & l'hyver survenant, leur fit bien cognoistre le changement qu'il y avoit entre la France & Tadoussac: c'estoit la cour du Roy Petault, chacun vouloit commander; la paresse & faineantise, avec les maladies qui les surprirent, ils se trouverent r�duits en de grandes necessitez, & contraints de s'abandonner aux sauvages, qui charitablement les retir�rent avec eux, & quitt�rent leur demeure; les unze moururent miserablement, les autres patissans fort attendans le retour des vaisseaux.

Le sieur Chauvin voyant ses gens humer le vent 44/700du Saguenay, fort dangereux, poursuit ses affaires pour refaire un second voyage, qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire un troisiesme mieux ordonn�; mais il n'y demeure long temps sans estre saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.

Ce qui fut � blasmer en ceste entreprise, est d'avoir donn� une commission � un homme de contraire religion, pour pulluler la foy Catholique, Apostolique, & Romaine, que les h�r�tiques ont tant en horreur, & abhomination. Voila les d�fauts que j'avois � dire sur ceste entreprise.



Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur de Chaste. Le Sieur de Pont Grav� esleu pour le voyage de Tadoussac. L'Autheur se met en voyage. Leur arriv�e au Grand sault Sainct Louys. Sa difficult� � le passer. Leur retraite. Mort dudit Commandeur, qui rompt le 6e voyage.

CHAPITRE VII.

La quatri�me entreprise fut celle du Sieur Commandeur de Chaste, gouverneur de Dieppe, qui estoit homme tr�s-honorable, bon Catholique, grand serviteur du Roy, qui avoit dignement & fid�lement servy sa Majest� en plusieurs occasions signal�es. Et bien qu'il eust la teste charg�e d'autant de cheveux gris que d'ann�es, vouloit encore laisser � la posterit� par ceste louable entreprise une remarque tr�s charitable en ce dessein, & mesmes s'y porter en personne, pour consommer 45/701le reste de ses ans au service de Dieu & de son Roy, en y faisant une demeure arrest�e, pour y vivre & mourir glorieusement, comme il esperoit, si Dieu ne l'eust retir� de ce monde plustost qu'il ne pensoit, & se pouvoit-on bien asseurer que souz sa conduite l'heresie ne se fust jamais plant�e aux Indes: car il avoit de tres-chrestiens desseins, dont je pourrois rendre de bons tesmoignages, pour m'avoir fait l'honneur de m'en communiquer quelque chose.

Donc apr�s la mort dudit sieur Chauvin, il obtint nouvelle commission de sa Majest�. Et d'autant que la despense estoit fort grande, il fit une societ� avec plusieurs Gentils hommes, & principaux marchands de Rouen, & d'autres lieux, sur certaines conditions. Ce qu'estant fait, ils font �quiper vaisseaux tant pour l'ex�cution de ceste entreprise, que pour descouvrir & peupler le pays. Ledit Pont-Grav� avec commission de sa Majest� (comme personne qui avoit desja fait le voyage, & recognu les defauts du pass�) fut �leu pour aller � Tadoussac, & promet d'aller jusques au Sault Sainct Louys, le descouvrir, & passer outre, pour en faire son rapport � son retour, & donner ordre � un second embarquement; & ledit Sieur Commandeur quitter son gouvernement, avec la permission de sa Majest�, qui l'aimoit uniquement, s'en aller au pays de la nouvelle France.

Sur ces entre-faites, je me trouvay en Cour, venu fraischement des Indes Occidentales, o� j'avois est� pr�s de deux ans & demy54, apr�s que les Espagnols 46/702furent partis de Blavet55, & la paix faite en France, o� pendant les guerres j'avois servy sadite Majest� souz Messeigneurs le Mareschal d'Aumont, de Sainct Luc, & Mareschal de Brissac. Allant voir de fois � autre ledit Sieur Commandeur de Chaste, jugeant que je luy pouvois servir en son dessein, il me fit ceste faveur, comme j'ay dit, de m'en communiquer quelque chose, & me demanda si j'aurois agr�able de faire le voyage, pour voir ce pays, & ce que les entrepreneurs y feroient. Je luy dis que j'estois son serviteur: que pour me licencier de moy-mesme � entreprendre ce voyage, je ne le pouvois faire sans le Commandement de sadite Majest�, � laquelle j'estois oblig� tant de naissance, que d'une pension de laquelle elle m'honoroit, pour avoir moyen de m'entretenir pr�s d'elle, & que s'il luy en plaisoit parler, & me le commander, que je l'aurois tres-agreable. Ce qu'il me promit, & fit, & receut commandement de sa Majest� pour faire ce voyage, & luy en faire fidel rapport: & pour cet effect Monsieur de Gesvre Secr�taire de ses commandemens, m'exp�dia, avec lettre addressante audit Pont-Grav�, pour me recevoir en son vaisseau, & me faire voir & recognoistre tout ce qui se pourroit en ces lieux, en m'assistant de ce qui luy seroit possible en ceste entreprise.

Note 54: (retour)

Champlain avait �t� deux ans et deux mois � ce voyage des Indes Occidentales. Parti du Blavet au commencement d'ao�t 1598, avec son oncle le capitaine Proven�al, il se rendit en Espagne, o� on lui confia le commandement d'un des vaisseaux de la flotte des Indes, qui partit au �commencement de janvier 1599�. Il fut de retour au commencement de 1601.

Note 55: (retour)

Aujourd'hui Port-Louis, d�partement du Morbihan.

Me voila exp�di�, je pars de Paris, & m'embarque dans le vaisseau dudit du Pont l'an 1603. nous faisons heureux voyage jusques � Tadoussac, avec 47/703de moyennes barques de 12 � 15 tonneaux, & fusmes jusques � une lieue � mont le Grand-sault Sainct Louis. Le Pont Grav� & moy nous nous mettons dans un petit bateau fort l�ger, avec cinq matelots, pour n'en pouvoir faire naviger de plus grand, � cause des difficultez. Ayant fait une lieue avec beaucoup de peine dans une forme de lac, pour le peu d'eau que nous y trouvasmes, & estans parvenus au pied dudit Sault, qui se descharge en ce lac, nous jugeasmes impossible de le passer avec nostre esquif, pour estre si furieux, & entre-mesl� de rochers, que nous nous trouvasmes contraints de faire presque une lieue par terre, pour voir le dessus de ce Sault, n'en pouvans voir d'avantage, & tout ce que nous peusmes faire fut de remarquer les difficultez, tout le pais, & le long de ladite riviere, avec le rapport des Sauvages de ce qui estoit dedans les terres, des peuples, des lieux, & origines des principales rivieres, & notamment du grand fleuve S. Laurent.

Je fis d�s lors un petit discours, avec la carte 56 exacte de tout ce que j'avois veu & recognu, & ainsi nous nous en retournasmes � Tadoussac, sans faire que fort peu de progr�s: auquel lieu estoient nos vaisseaux qui faisoient la traitte avec les Sauvages, ce qu'estant fait, nous nous embarquasmes, mettant les voiles au vent, jusques � ce que nous fussions arrivez � Honnefleur, o� sceusmes les nouvelles de la mort du Sieur Commandeur de Chaste57, qui m'affligea fort, recognoissant que mal-ais�ment un 48/704autre pourroit entreprendre ceste entreprise, qu'il ne fust travers�, si ce n'estoit un Seigneur de qui l'authorit� fust capable de repousser l'envie.

Note 56: (retour)

Cette carte ne se trouve pas m�me dans l'exemplaire du Voyage de 1603 que poss�de la Biblioth�que Imp�riale.

Note 57: (retour)

Il �tait mort le 13 mai de cette ann�e 1603 (Asseline, ms de Dieppe). Son tombeau est dans l'�glise de Saint-R�mi � Dieppe.

Je n'arrest� gueres en ce lieu de Honnefleur, que j'allay trouver sa Majest�, � laquelle je fis voir la carte dudit pays, avec le discours fort particulier que je luy en fis, qu'elle eut fort agr�able, promettant de ne laisser ce dessein, mais de le faire poursuivre & favoriser. Voila le cinquiesme voyage rompu par la mort dudit Sieur commandeur.

En ceste entreprise je n'ay remarqu� aucun defaut pour avoir est� bien commenc�: mais je s�ay qu'aussi tost plusieurs marchands de France qui avoient interest en ce n�goce, commen�oient � faire des plaintes de ce qu'on leur interdisoit le trafic des pelleteries, pour le donner � un seul.



Voyage du Sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu Commandeur de Chastes. Obtient commission du Roy pour aller descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands de Rouen & de la Rochelle, L'Autheur voyage avec luy. Arrivent au Cap de H�ve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le Sieur de Poitrincourt va avec le Sieur de Mons. Plaintes dudit Sieur de Mons. Sa commission revoqu�e.

CHAPITRE VIII.

Apr�s la mort du Sieur Commandeur de Chaste, le Sieur de Mons58, de Sainctonge, de la religion pr�tendue reform�e, Gentil-homme ordinaire de la chambre du Roy, & Gouverneur 49/705de Pons, qui avoit rendu de bons services � sa Majest� durant toutes les guerres pass�es, en qui elle avoit une grande confiance, pour sa fid�lit� comme il a tousjours fait paroistre jusques � sa mort, port� d'un z�le & affection d'aller peupler & habiter le pays de la nouvelle France, & y exposer sa vie & son bien, voulut marcher sur les bris�es du feu sieur Commandeur audit pays, o� il avoit est�, comme dit est, avec le sieur Chauvin, pour le recognoistre, bien que ce peu qu'il avoit veu, luy avoit fait perdre la volont� d'aller dans le grand fleuve Sainct Laurent, n'ayant veu en ce voyage qu'un fascheux pays, luy qui desiroit aller plus au Midy, pour jouir d'un air plus doux & agr�able. Et ne s'arrestant aux relations que l'on luy en avoit faites, vouloit chercher un lieu duquel il ne s�avoit l'assiette ny la temp�rature que par l'imagination & la raison, qui trouve que plus vers le Midy il y fait plus chaud. Estant en volont� d'ex�cuter ceste genereuse entreprise, il obtient commission du Roy l'an 1623, 59 pour peupler & habiter le pays, � condition d'y planter la foy Catholique, Apostolique & Romaine, permettant de laisser vivre chacun selon sa religion. Cela estant, il continue sa societ� avec les marchands de Rouen, de la Rochelle, & autres lieux, � qui la traitte de pelleterie estoit accord�e par ladite commission privativement � tous les subjects de sa Majest�. Toutes choses ordonn�es, ledit Sieur de Mons fait son embarquement au Havre de Gr�ce, s'embarque faisant �quiper plusieurs vaisseaux tant pour ledit 50/706trafic de pelleterie de Tadoussac, que des costes de la nouvelle France. Il assembla nombre de Gentils-hommes, & de toutes sortes d'artisans, soldats & autres, tant d'une que d'autre religion, Prestres & Ministres.

Note 58: (retour)

Pierre du Gast, ou du Gua, sieur de Monts.

Note 59: (retour)

Cette commission est du 8 novembre 1603. (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, liv, IV, c. I.)

Ledit Sieur de Mons me demanda si j'aurois agr�able de faire ce voyage avec luy. Le desir que j'avois eu au dernier s'estoit accreu en moy, qui me fit luy accorder, avec la licence que m'en donneroit sa Majest�, qui me le permit, pour tousjours en voyant & descouvrant, luy en faire fidel rapport. Estans tous � Dieppe, on s'embarque, un vaisseau va � Tadoussac, ledit du Pont avec la commission dudit sieur de Mons � Canseau, & le long de la coste vers l'isle du Cap Breton, voir ceux qui contreviendroient aux d�fenses de sa Majest�. Le Sieur de Mons prend sa routte plus � val vers les costes de l'Acadie60, & le temps nous fut si favorable, que nous ne fusmes qu'un mois � parvenir jusques au Cap de la H�ve, o� estans, nous passasmes plus outre cherchans lieu pour y habiter, ne trouvans celuy-cy agr�able. Le Sieur de Mons me commit � la recherche de quelque lieu qui fut propre: ce que je fis avec quelque pilote que je menay avec moy, o� descouvrismes plusieurs ports & rivieres, jusques � ce que ledit Sieur de Mons s'arresta en une isle, qu'il jugea d'assiette forte, & le terroir d'alentour tr�s-bon, la temp�rature douce, sur la hauteur de 45.5�61 de latitude, comme 62 Saincte Croix.

Note 60: (retour)

D'apr�s l'�dition de 1613 et Lescarbot, M. de Monts ne serait parti qu'avec deux vaisseaux: celui du capitaine Morel, et celui du capitaine Timoth�e; ici cependant l'auteur en mentionne �videmment trois, qui ont une mission tout � fait distincte. (Voir 1613, p. 6, 7; Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, liv. IV, c. II.)

Note 61: (retour)

L'�le de Sainte-Croix n'est que quelques minutes au-del� du quarante-cinqui�me degr�.

Note 62: (retour)

Lisez nomm�e.

51/707Il y fait venir ses vaisseaux, employ� chacun selon sa condition, & mestier, tant pour les descharger, que pour se loger promptement. Ses vaisseaux deschargez, il les renvoye au plustost, & le sieur de Poitrincourt (qui estoit venu avec ledit sieur de Mons pour voir le pays, afin de l'habiter, & avoir quelque lieu de luy, en vertu de sa commission) s'en retourna.

Mais laissons-le aller, en attendant si nous aurons meilleur march� des froidures, que ceux qui hyvernerent � Tadoussac. Nos vaisseaux estans retournez en France, ouirent un nombre infiny de plaintes tant des Bretons, Basques, que autres, de l'excez & mauvais traittement qu'ils recevoient aux costes, par les Capitaines dudit Sieur de Mons, qui les prenoit, & empeschoit de faire leur pesche, les privans de l'usage des choses qui leur avoient tousjours est� libres: de sorte que si le Roy n'y apportoit un r�glement, toute ceste navigation s'en alloit perdre, & ses douanes par ce moyen diminu�es, leurs femmes & enfans pauvres & miserables, & contraints � mendier leurs vies. Requestes sont present�es � ce sujet, mais l'envie & les crieries ne cessent point; il ne manque en Cour de personnes qui promettent que pour une somme de deniers l'on feroit casser la commission du Sieur de Mons. Ceste affaire se practique en telle fa�on, que ledit Sieur de Mons ne sceut si bien faire, que la volont� du Roy ne fust destourn�e par quelques personnages qui estoient en cr�dit, qui luy avoient promis d'entretenir trois cents hommes audit pays. Doncques en peu de temps la commission de sa Majest� fut revoqu�e,< 52/708pour le prix de certaine somme qu'un certain personnage eut, sans que sadite Majest� en sceust rien. Cependant, pour recompense de trois ans que le Sieur de Mons avoit consommez, avec une despense de plus de 100000 livres, en la premi�re desquelles trois ann�es il souffrit beaucoup, & endura de grandes incommoditez � cause des rigueurs du froid, & la longue dur�e, des neges de trois pieds de haut, durant cinq mois, bien que l'on puisse aborder en tout temps aux costes o� la mer ne gele point, si ce n'est � l'entr�e des rivieres qui charrient des glaces qui vont se descharger en la mer. Outre cela, presque la moiti� de ses hommes moururent de la maladie de la terre, & fut contraint de faire revenir le reste de ses gens, avec le Sieur de Poitrincourt, qui en ceste ann�e estoit son Lieutenant: car le Pont Grav� l'avoit est� l'an precedent.

Voila tous les desseins du Sieur de Mons rompus, lequel s'estoit promis d'aller plus au Midy pour faire une habitation plus saine & temp�r�e que l'Isle de Saincte Croix, o� il avoit hyvern�, & depuis l'on fut au port Royal, o� l'on se trouva un peu mieux, pour n'avoir trouv� l'hyver si aspre, souz la hauteur de 45 degrez de latitude. Pour recompense de ses pertes, luy fut ordonn� par le Conseil de sa Majest� 6000 livres, � prendre sur les vaisseaux qui iroient trafiquer des pelleteries.

Mais quelle despense luy eust-il fallu faire en tous les ports & havres, pour recouvrer ceste somme, s'informer de ceux qui auroient traitt�, & le d�partement qu'il faudroit, sur plus de quatre vingts vaisseaux qui fr�quentent ces costes? c'estoit luy donner 53/709la mer � boire, en faisant une despense qui eust surmont� la recepte, comme il en a bien apparu. Car ledit Sieur de Mons n'en a presque rien retir� & a est� contraint de laisser aller cet arrest comme il a peu. Voila comme ces affaires furent mesnag�es au Conseil de sa Majest�: Dieu face pardon � ceux qu'il a appellez, & amender ceux qui sont vivans. H� bon Dieu! qu'est-ce que l'on peut plus entreprendre, si tout se revoque de la fa�on, sans juger meurement des affaires, premier que d'en venir l�? ceux qui ont le moins de cognoissance crient le plus fort, & en veulent plus s�avoir que ceux qui en auront une parfaite exp�rience; & ne parlent que par envie, ou pour leur interest particulier, sur de faux rapports & apparences, sans s'en informer davantage.

Il se trouve quelque chose � redire en ceste entreprise, qui est, en ce que deux religions contraires ne font jamais un grand fruict pour la gloire de Dieu parmy les Infideles, que l'on veut convertir. J'ay veu le Ministre & nostre Cur� s'entre-battre � coups de poing, sur le diff�rend de la religion. Je ne s�ay pas qui estoit le plus vaillant, & qui donnoit le meilleur coup, mais je s�ay tr�s-bien que le Ministre se plaignoit quelquefois au Sieur de Mons d'avoir est� battu, & vuidoient en ceste fa�on les poincts de controverse. Je vous laisse � penser si cela estoit beau � voir; les Sauvages estoient tantost d'un cost� tantost de l'autre, & les Fran�ois menez selon leur diverse croyance, disoient pis que pendre de l'une & de l'autre religion, quoy que le Sieur de Mons y apportast la paix le plus qu'il pouvoit. Ces insolences estoient v�ritablement un moyen � l'infid�le 54/710de le rendre encore plus endurcy en son infid�lit�.

Or puis que ledit Sieur de Mons n'avoit voulu aller habiter au fleuve Sainct Laurent, il devoit envoyer recognoistre un lieu propre pour y jetter les fondemens d'une Colonie, qui ne fut subjecte � estre delaiss�e comme celle de Saincte Croix, & Port Royal, o� personne n'y cognoissoit rien, & devoit faire une despense de quatre � cinq mille livres, pour estre asseur� du lieu, & mesme donner charge d'y passer un hyver, pour cognoistre ce climat. Cela estant, il n'y a point de doute que le terroir, & la chaleur, correspondans � quelque bonne temp�rature, l'on s'y fust arrest�. Et bien que la commission dudit sieur de Mons eust est� revoqu�e, l'on n'eust pas laiss� d'habiter le pays en trois ans & demy, comme l'on avoit fait en l'Acadie, & eust-on assez d�frich� de terre, pour se pouvoir passer des commoditez de France. Que si ces choses eussent est� bien ordonn�es, peu � peu l'on s'y fust habitu�, & les Anglois & Flamens n'auroient jouy des lieux qu'ils ont surpris sur nous, qui s'y sont establis � nos despens.

Il ne sera hors de propos pour contenter le lecteur curieux, & principalement les voyageurs de mer, de descrire les descouvertes de ces costes, pendant trois ans & demy que je fus � l'Acadie, tant � l'habitation de Saincte Croix, qu'au Port Royal, o� j'eus moyen de voir & descouvrir le tout, comme il se verra au Livre suivant.


Fin du premier Livre.




55/711

LES VOYAGES

DU SIEUR DE

CHAMPLAIN.

LIVRE SECOND.



Description de la H�ve. Du port au Mouton. Du port du Cap Negre. Du Cap & Baye de Sable. De l'isle aux Cormorans. Du Cap Fourchu. De l'isle Longue. De la Baye Saincte Marie, Du port de Saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui sont le long de la coste d'Acadie.

CHAPITRE PREMIER.

E Cap de la H�ve est un lieu o� il y a une Baye, o� sont plusieurs isles couvertes de sapins, & la grande terre de chesnes, ormeaux, & bouleaux. Il est � la coste d'Acadie par les 44 degrez, & cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15 minutes de declinaison de la Guide-aymant, distant � l'Est nordest du Cap Breton 75 63 lieues.

Note 63: (retour)

L'�dition de 1613 porte 85. De la H�ve au cap Breton, il y a un peu plus de quatre-vingts lieues.



711a

CARTE DE 1632

Agrandissement (7.5 Mo.)



56/712

A sept lieues de cestuy-cy s'en trouve un autre appelle le Port au Mouton, o� sont deux petites rivieres par la hauteur de 44. degrez, & quelques minutes de latitude, dont le terroir est fort pierreux, remply de taillis & de bruy�res, il y a quantit� de lapins, & bon nombre de gibbier, � cause des estangs qui y sont.

Allant le long de la coste, se voit aussi un port tr�s-bon pour les vaisseaux, & au fonds une petite riviere, qui entre assez avant dans les terres, que je nommay le port du Cap Negr�, � cause d'un rocher qui de loin en a la semblance, lequel est eslev� sur l'eau proche d'un cap o� nous passasmes le mesme jour64, qui en est � quatre lieues, & � dix du port au Mouton. Ce cap est fort dangereux, � raison des rochers qui jettent � la mer. Les costes que je veis jusques l� sont fort basses, couvertes de pareil bois qu'au cap de la H�ve, & les isles toutes remplies de gibbier. Tirant plus outre, nous fusmes passer la nuict � la Baye de Sable, o� les vaisseaux peuvent mouiller l'anchre, sans aucune crainte de danger.

Le cap de Sable, distant de deux bonnes lieues de la Baye de Sable, est aussi fort dangereux, pour certains rochers & batteures qui jettent presque une lieue � la mer. De l� on va en l'isle aux Cormorans qui en est � une lieue, ainsi appell�e � cause du nombre infini qu'il y a de ces oiseaux, & remplismes une barrique de leurs oeufs: & de ceste isle faisant l'ouest environ six lieues traversant une baye 65 qui fuit au nort deux ou trois lieues, l'on rencontre 57/713plusieurs isles 66 qui jettent deux ou trois lieues � la mer, lesquelles peuvent contenir les unes deux, les autres trois lieues, & d'autres moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont la plus-part fort dangereuses � aborder aux grands vaisseaux, � cause des grandes mar�es, & des rochers qui sont, � fleur d'eau. Ces isles sont remplies de pins, sapins, bouleaux, & de trembles. Un peu plus outre 67, il y en a encores quatre. En l'une y a si grande quantit� d'oiseaux appellez tangueux, qu'on les peut tuer ais�ment � coups de b�ton. En une autre y a des loups marins. Aux deux autres il y a une telle abondance d'oiseaux de diff�rentes especes, qu'on ne pourroit se l'imaginer, si l'on ne l'avoit veu, comme cormorans, canards de trois sortes, oyes, marmettes, outardes, perroquets de mer, beccacines, vaultours, & autres oiseaux de proye: mauves, allouetes de mer de deux ou trois especes: h�rons, goillans, courlieux, pies de mer, plongeons, huats, appoils, corbeaux, grues, & autres sortes, lesquels y font leurs nids. Je les nommay isles aux loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez & demy de latitude, distantes de la terre ferme, ou cap de Sable, de quatre � cinq lieues. De l� l'on va � un cap que j'appellay le port Fourchu 68, d'autant que sa figure est ainsi, distant des isles aux loups marins cinq � six lieues. Ce port est fort bon pour les vaisseaux en son entr�e, mais au fonds il asseche presque tout de basse mer, fors le cours d'une petite riviere, toute environn�e de 58/714prairies, qui rendent ce lieu assez agr�able. La pesche de morues y est bonne aupr�s du port; faisant le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port pour les vaisseaux, sinon quantit� d'ances, ou playes tr�s-belles, dont les terres semblent estre propres pour cultiver. Les bois y sont tr�s-beaux, mais il y a bien peu de pins & de sapins. Ceste coste est fort saine, sans isles, rochers, ne bases: de sorte que selon mon jugement les vaisseaux y peuvent aller en asseurance. Estans esloignez un quart de lieue de la coste, je fus � une isle, qui s'appelle l'isle Longue, qui gist nort nordest, & sur surouest, laquelle fait passage pour aller dedans la grande baye Fran�oise, ainsi nomm�e par le sieur de Mons.

Note 64: (retour)

En abr�geant le texte de 1613, on a oubli� de retrancher les dates, qui, ici, ne veulent rien dire. Ce jour �tait le 19 mai 1604. (Voy. 1613, p, 9.)

Note 65: (retour)

La baie Courante, aujourd'hui la baie de Townsend.

Note 66: (retour)

Les �les Tousquet.

Note 67: (retour)

C'est-�-dire, plus loin au large.

Note 68: (retour)

Le cap Fourchu. Dans la Table de sa grande carte, l'auteur appelle ce port, port du cap Fourchu.

Cette isle est de six lieues de long, & a en quelques endroits pr�s d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement. Elle est remplie de quantit� de bois, comme pins, & bouleaux. Toute la coste est bord�e de rochers fort dangereux, & n'y a point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle quelques petites retraites pour des chaloupes, & trois ou quatre islets de rochers, o� les Sauvages prennent force loups marins. Il y court de grandes mar�es, & principalement au petit passage de l'isle, qui est fort dangereux pour les vaisseaux, s'ils vouloient se mettre au hazard de le passer.

Du passage de l'isle Longue faisant le nordest deux lieues69, y a une ance o� les vaisseaux peuvent anchrer en seuret�, laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bord�e de rochers 59/715assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent tres-bonne, selon le rapport d'un Mineur appell� maistre Simon, qui estoit avec moy70. A quelques lieues plus outre est aussi une petite riviere, nomm�e du Boulay, o� la mer monte demie lieue dans les terres, � l'entr�e de laquelle il y peut librement surgir des navires du port de cent tonneaux. A un quart de lieue d'icelle il y a un port bon pour les vaisseaux, o� nous trouvasmes une mine de fer, que le Mineur jugea rendre cinquante pour cent. Tirant trois lieues plus outre au nordest, y a une autre mine de fer assez bonne, proche de laquelle il y a une riviere environn�e de belles & agr�ables prairies. Le terroir d'alentour est rouge comme sang. Quelques lieues plus avant il y a encores une autre riviere qui asseche de basse mer, horsmis son cours qui est fort petit, qui va proche du port Royal. Au fonds de ceste baye y a un achenal qui asseche aussi de basse mer, autour duquel y a nombre de prez, & de bonnes terres pour cultiver, toutesfois remplies de quantit� de beaux arbres de toutes les sortes que j'ay dit cy dessus. Ceste baye peut avoir depuis l'isle Longue jusques au fonds environ six lieues. Toute la coste des mines 71 est terre assez haute, d�coup�e par caps, qui paroissent ronds, advan�ans un peu � la mer. De l'autre cost� de la baye au suest, les terres sont basses & bonnes, o� il y a un fort bon port, & � son entr�e un banc par o� il faut passer, qui a de basse mer brasse & demie d'eau, & l'ayant pass�, on en trouve trois, & bon fonds.

Note 69: (retour)

Dans la baie Sainte-Marie.

Note 70: (retour)

En 1604. (Voyages 1613, p. 12.)

Note 71: (retour)

La c�te nord-ouest de la baie Sainte-Marie.

60/716Entre les deux pointes du port il y a un islet de cailloux qui couvre de plaine mer. Ce lieu va demie lieue dans les terres. La mer y baisse de trois brasses, & y a force coquillages, comme moules, coques, & bregaux. Le terroir est des meilleurs que j'aye veu: & nommay ce port, le port Saincte Marguerite 72. Toute cette coste du suest est terre beaucoup plus basse que celle des mines, qui ne sont qu'� une lieue & demie de la coste du port de Saincte Marguerite, de la largeur de la baye, laquelle a trois lieues en son entr�e. Je pris la hauteur en ce lieu, & la trouvay par les 45 degrez & demy, & Un peu plus de latitude 73, & 17 degrez 16 minutes de declinaison de la Guide-aymant. Ceste baye fut nomm�e la baye Saincte Marie.

Note 72: (retour)

Parce qu'il y entra probablement le 10 juin, en 1604.

Note 73: (retour)

Le fond de la baie Sainte-Marie est � environ 44� 35'.




Description du Port-Royal, & des particularit�s d'iceluy. De l'isle Haute. Du Port aux mines. De la grande baye Fran�oise. De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqu� depuis le port aux mines jusques � icelle. De l'isle appell�e par les Sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins, & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de Saincte Croix, & autres choses remarquables d'icelle coste.

CHAPITRE II.

Du passage de l'isle Longue, mettant le cap au nordest 6 lieues, il y a une ance74 o� les vaisseaux peuvent mouiller l'anchre � 4, 5, 6, & 7. brasses d'eau. Le fonds est sable. Ce lieu n'est61/717 que comme une rade. Continuant au mesme vent deux lieues, l'on entre en l'un des beaux ports qui soit en toutes ces costes, o� il pourroit grand nombre de vaisseaux en seuret�. L'entr�e est large de 800 pas, & sa profondeur de 25 brasses d'eau; a deux lieues de long, & une de large, que je nommay75 port Royal, o� descendent trois rivieres, dont il y en a une assez grande, tirant � l'est, appell�e la riviere de l'Esquille, qui est un petit poisson de la grandeur d'un esplan, qui s'y pesche en quantit�; comme aussi on fait du haranc, & plusieurs autres sortes de poissons qui y sont en abondance en leurs saisons. Ceste riviere a pr�s d'un quart de lieue de large en son entr�e, o� il y a une isle 76, laquelle peut contenir demie lieue de circuit, remplie de bois ainsi que tout le reste du terroir, comme pins, sapins, pruches, bouleaux, trembles, & quelques chesnes qui sont parmy les autres bois en petit nombre.

Note 74: (retour)

La fosse de Gulliver.

Note 75: (retour)

Voir Voyages 1613, p. 18, note I.

Note 76: (retour)

L'�le aux Ch�vres, que l'on trouve indiqu�e, dans la carte de Lescarbot, sous le nom de Biencourville.

Il y a deux entr�es en ladite riviere, l'une du cost� du nort77, l'autre au sud de l'isle78. Celle du nord est la meilleure, o� les vaisseaux peuvent mouiller l'anchre � l'abry de l'isle � 5, 6, 7, 8, & 9 brasses d'eau: mais il faut se donner garde de quelques bases qui sont tenant � l'isle, & � la grande terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal. je fus 14 ou 15 lieues o� la mer monte, & ne va pas beaucoup plus avant dedans les terres pour porter bateaux. En ce lieu elle contient 60 pas de 62/718large, & environ brasse & demie d'eau. Le terroir de ceste riviere est remply de force chesnes, fresnes, & autres bois. De l'entr�e de la riviere jusques au lieu o� nous fusmes, y a nombre de prairies, mais elles sont inond�es aux grandes mar�es, y ayant quantit� de petits ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par o� des chaloupes & bateaux peuvent aller de plaine mer. Dedans le port y a une autre isle79, distante de la premi�re pr�s de deux lieues, o� il y a une autre petite riviere 80 qui va assez avant dans les terres, que j'ay nomm�e la riviere Sainct Antoine 81. Son entr�e est distante du fonds de la baye Saincte Marie d'environ quatre lieues par le travers des bois. Pour ce qui est de l'autre riviere, ce n'est qu'un ruisseau remply de rochers, o� on ne peut monter en aucune fa�on que ce soit, pour le peu d'eau. Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez de latitude 82, & 17 degrez 8 minutes de declinaison de la Guide-aimant.

Note 77: (retour)

La Bonne-Passe.

Note 78: (retour)

La Passe-aux-Fous.

Note 79: (retour)

L'�le d'H�bert, appel�e aussi Imbert, et enfin Bear Island.

Note 80: (retour)

Voir Voyages 1613, note 2 de la page 19.

Note 81: (retour)

Lescarbot l'appelle rivi�re H�bert. Elle a pris plus tard le nom d'Imbert, et les Anglais l'ont appel�e Bear River.

Note 82: (retour)

La latitude de ce premier Port-Royal, qui �tait situ� au nord du port, �tait d'environ 44� et trois quarts. Il ne faut pas le confondre avec le second Port-Royal, qui a pris le nom d'Annapolis; ce dernier �tait au sud du port Royal, et situ� un peu plus haut que le premier.

Partant du port Royal, mettant le cap au nordest 8 ou 10 lieues, rangeant la coste du port Royal, je traversay une partie de la baye, comme de quelque 5 ou 6 lieues, jusques � un lieu qu'ay nomm� le Cap des deux Bayes 83, & passay par une isle84 qui en est � une lieue, laquelle contient autant de circuit, eslev�e de 40 ou 45 toises de haut, toute entour�e de 63/719gros rochers, horsmis en un endroit qui est en talus, au pied duquel y a un estang d'eau sal�e, qui vient par dessous une pointe de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de l'isle est plat, couvert d'arbres, avec une fort belle source d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De l� j'allay � un port85 qui en est � une lieue & demie, o� il y a aussi une mine de cuivre. Ce port est souz les 45 degrez deux tiers de latitude 86, lequel asseche de basse mer. Pour entrer dedans il faut ballizer & recognoistre une batture de sable qui est � l'entr�e, laquelle va rangeant un canal, suivant l'autre cost� de terre ferme, puis on entre dans une Baye qui contient pr�s d'une lieue de long, & demie de large. En quelques endroits le fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer. La mer y pert & croist de 4 � 5 brasses. Ce Cap des deux Bayes o� est le port aux mines est ainsi appell�, parce qu'au nort & sud dudit cap y a deux Bayes 87 qui courent vers l'est nordest, & nordest quelques 12 � 15 lieues, & y a un destroit � chaque Baye qui ne contient pas plus de demie lieue de large. Cela pass�, il s'eslargit tout d'un coup d'environ 3, 4, � 5 lieues. Il y a aussi quelques isles en ceste Baye 88 o� il y a des estangs, & deux ou trois petites rivieres qui y descendent avec les canaux des Sauvages, qui y vont � Tregat�, & Misamichy dans le golphe Sainct Laurent, partie par eau, partie par terre.

Note 83: (retour)

Le cap de Chignectou.

Note 84: (retour)

L'�le Haute.

Note 85: (retour)

Le port aux Mines, appel� plus tard Havre � l'Avocat.

Note 86: (retour)

45� 25'.

Note 87: (retour)

La baie de Chignectou, et le bassin des Mines.

Note 88: (retour)

Celle de Chignectou.

Tout le pays que j'ay veu depuis le petit passage

64/720De l'isle Longue rangeant la coste, ne sont que rochers, o� il n'y a aucun endroit o� les vaisseaux se puissent mettre en seuret�, sinon le port Royal. Le pays est remply de quantit� de pins & bouleaux, & � mon advis n'est pas trop bon.

Nous fismes l'ouest deux lieues jusques au Cap des deux Bayes, puis le nort89 cinq ou six lieues, & traversasmes l'autre Baye. Faisant l'ouest quelques six lieues, y a une petite riviere90, � l'entr�e de laquelle y a un cap assez bas, qui advance � la mer, & un peu dans les terres une montagne qui a la forme d'un chapeau de Cardinal. En ce lieu y a une mine de fer, & n'y a anchrage que pour des chaloupes. A quatre lieues � l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui advance un peu vers l'eau, o� il y a de grandes mar�es, qui sont fort dangereuses. Proche de la pointe y a une ance91 qui a environ demie lieue de circuit, en laquelle est une autre mine de fer, qui est tresbonne. A quatre lieues encores plus avant y a une belle Baye 92 qui entre dans les terres, o� au fonds y a trois isles & un rocher, deux sont � une lieue du cap tirant � l'ouest, & l'autre est � l'emboucheure d'une riviere des plus grandes & profondes que j'eusse encores veu, que je nommay la riviere Sainct Jean, pource que ce fut ce jour l� que j'y arrivay, & des Sauvages elle est appell�e Ouygoudy. Ceste riviere est dangereuse, si on ne recognoist bien certaines pointes & rochers qui sont 65/721des deux costez. Elle est estroite en son entr�e, puis vient � s'eslargir, & ayant doubl� une pointe elle estressit derechef, & fait comme un sault entre deux grands rochers, o� l'eau y court d'une si grande vistesse, qu'en y jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit-on plus: mais attendant la plaine mer, l'on peut passer fort ais�ment ce destroit, & lors elle s'eslargit environ une lieue par aucuns endroits, o� il y a trois isles, auxquelles y a grande quantit� de prairies & beaux bois, comme chesnes, hestres, noyers, & lambruches de vignes sauvages. Les habitans du pays vont par icelle riviere jusques � Tadoussac, qui est dans la grande riviere de Sainct Laurent, & ne passent que peu de terre pour y parvenir. De la riviere Sainct Jean jusques � Tadoussac y a 65 lieues 93. A l'entr�e d'icelle, qui est par l� hauteur de 45 degrez deux tiers 94, y a une mine de fer. Les chaloupes ne peuvent aller plus de quinze lieues dans ceste riviere, � cause des saults qui ne se peuvent naviger que par les canaux des Sauvages.

Note 89: (retour)

Par les d�tails que l'auteur donne un peu plus loin, il para�t �vident qu'il traversa la baie de Chignectou plut�t dans la direction du nord-nord-ouest, vers la hauteur de la t�te Saint-Martin.

Note 90: (retour)

La rivi�re et la t�te de Quaco.

Note 91: (retour)

Cette ance porte aujourd'hui le nom de Gardner.

Note 92: (retour)

Le havre de Saint-Jean, qui forme l'embouchure de la rivi�re Saint-Jean.

Note 93: (retour)

De l'embouchure de la rivi�re Saint-Jean � Tadoussac, il y a, en ligne droite, environ cent lieues.

Note 94: (retour)

45� et un tiers.

De la riviere Sainct Jean je fus � quatre isles, en l'une desquelles y a grande quantit� d'oiseaux appellez margos, dont les petits sont aussi bons que pigeonneaux. Ceste isle est esloign�e de la terre ferme de trois lieues. Plus � l'ouest y a d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui s'appelle des Sauvages Menane95, au sud de laquelle il y a entre les isles plusieurs ports, bons pour les vaisseaux.

Note 95: (retour)

Menane est le vrai nom de cette �le. L'auteur, par inadvertance sans doute, avait mis dans l'�dition de 1613, Manthane. Quelques exemplaires, sous le mill�sime 1632 et 1640, portent encore Manthane, dans la marge, et Menane dans le texte.

66/722Des isles aux Margos96 je fus � une riviere en la grande terre, qui s'appelle la riviere des Etechemins97, nation de Sauvages ainsi nomm�e en leur pays, & passe-t'on par si grande quantit� d'isles, assez belles, que je n'en ay peu s�avoir le nombre; les unes contenans deux lieues, les autres trois, les Cul de sac autres plus ou moins. Elles sont toutes en un cul de sac98, qui contient � mon jugement plus de quinze lieues de circuit, y ayant plusieurs endroits bons pour y mettre tel nombre de vaisseaux que l'on voudra; autour desquelles y a bonne pescherie de mollues, saulmons, bars, harancs, flaitans, & autres poissons en grand nombre. Faisant l'ouest norouest trois lieues par les isles, l'on entre dans une riviere99 qui a presque demie lieue de large en son entr�e, o� ayant fait une lieue ou deux, il y a deux isles, l'une fort petite proche de la terre de l'ouest, & l'autre au milieu, qui peut avoir huict ou neuf cents pas de circuit, elev�e de tous costez de trois � quatre toises de rochers, fors un petit endroit d'une pointe de sable & terre grasse, laquelle peut servir � faire briques, & autres choses necessaires. Il y a un autre lieu � couvert pour mettre des vaisseaux de quatre vingts � cent tonneaux, mais il asseche de basse mer. L'isle est remplie de sapins, bouleaux, �rables, & chesnes. De soy elle est en fort bonne scituation, & n'y a qu'un cost� o� elle baisse d'environ 40 pas, qui est ais� � fortifier: les costes de la terre ferme 67/723en estans des deux costez �loign�es d'environ neuf cents � mille pas, les vaisseaux ne pourroient passer sur la riviere qu'� la mercy du canon d'icelle, qui est le lieu que l'on jugea le meilleur, tant pour la scituation, bon pays, que pour la communication que l'on pretendoit avec les Sauvages de ces costes, & du dedans des terres, estans au milieu d'eux, lesquels avec le temps on esperoit pacifier, & amortir les guerres qu'ils ont les uns contre les autres, pour en tirer � l'advenir du service, & les r�duire � la foy Chrestienne. Ce lieu fut nomm� par le sieur de Mons l'isle Saincte Croix100. Passant plus outre, on voit une grande baye en laquelle y a deux isles, l'une haute, & l'autre platte, & trois rivieres, deux m�diocres, dont l'une tire vers l'Orient, & l'autre au nort, & la troisiesme grande, qui va vers l'Occident: c'est celle des Etechemins. Allant dedans icelle deux lieues, il y a un sault d'eau, o� les Sauvages portent leurs canaux par terre environ 500 pas, puis r'entrent dedans icelle, d'o� en apr�s en traversant un peu de terre, on va dans la riviere de Norembegue101 & de Sainct Jean. En ce lieu du sault les vaisseaux ne peuvent passer, � cause que ce ne sont que rochers, & qu'il n'y a que 4 � 5 pieds d'eau. En May & Juin il s'y prend si grande abondance de harancs & bars, que l'on y en pourroit charger des bateaux. Le terroir est des plus beaux, & y a 15 ou 20 arpents de terre d�frich�e. Les Sauvages s'y retirent quelquefois cinq ou six sepmaines durant la pesche. Tout le reste du pays sont forests fort 68/724espoisses. Si les terres estoient d�frich�es, les grains y viendroient fort bien. Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez un tiers de latitude, & 17 degrez 32 minutes de declinaison de la Guide-aymant. En cet endroit y fut faite l'habitation en l'an 1604.

Note 96: (retour)

Ces �les ont �t� aussi appel�es �les aux Oiseaux. Aujourd'hui elles portent le nom de Wolves Islands.

Note 97: (retour)

La rivi�re Sainte-Croix, ou Scoudic.

Note 98: (retour)

La baie Passamaquoddi, y compris sans doute celle de Capscouk.

Note 99: (retour)

C'est ici proprement l'embouchure de la rivi�re Sainte-Croix.

Note 100: (retour)

Voir 1613, p. 25, et la carte de l'�le Sainte-Croix, ibid.

Note 101: (retour)

Le P�nobscot.




De la coste, peuples, & riviere de Norembeque.

CHAPITRE III.

De ladite riviere de Saincte Croix continuant le long de la coste faisant environ 25 lieues, passasmes102 par une grande quantit� d'isles, bancs, battures, & rochers, qui jettent plus de 4 lieues � la mer par endroits, que je nommay les isles rang�es, la plus-part desquelles sont couvertes de pins & sapins, & autres meschans bois. Parmi ces isles y a force beaux & bons ports, mais mal agr�ables; & passay proche d'une isle qui contient environ 4 ou 5 lieues de long. De ceste isle jusques au nort de la terre ferme 103 il n'y a pas cent pas de large. Elle est fort haute, & coup�e par endroits, qui paroissent, estant en la mer, comme 7 ou 8 montagnes rang�es les unes proches des autres. Le sommet de la plus-part d'icelles est desgarni d'arbres, parce que ce ne sont que rochers. Les bois ne sont que pins, sapins, & bouleaux. Je l'ay nomm�e l'isle des Monts-deserts. La hauteur est par les 44 degrez & demy de latitude.

Note 102: (retour)

Le 5 septembre 1604. (Voir 1613, page 26-30.)

Note 103: (retour)

Il faudrait ou jusques au nort � la terre ferme, ou bien jusqu'� la terre ferme au nort.

Les Sauvages de ce lieu ayans fait alliance avec 69/725nous, ils nous guid�rent en leur riviere de Pemetegoit104, ainsi d'eux appell�e, o� ils nous dirent que leur Capitaine nomm� Bessabez, estoit chef d'icelle. Je croy que ceste riviere est celle que plusieurs Pilotes & Historiens appellent Norembegue105, & que la plus-part ont escrit estre grande & spacieuse, avec quantit� d'isles, & son entr�e par la hauteur de 43 & 3/4 & demy106, & d'autres par les 44 degrez, plus ou moins de latitude. Pour la declinaison, je n'en ay leu ny ouy parler � personne. On descrit aussi qu'il y a une grande ville fort peupl�e de Sauvages adroits &, habiles, ayans du fil de cotton. Je m'asseure que la plus-part de ceux qui en font mention ne l'ont veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire � gens qui n'en s�avoient pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y en a qui ont peu en avoir veu l'emboucheure, � cause qu'en effect il y a quantit� d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44 degrez de latitude en son entr�e, comme ils disent: mais qu'aucun y ait jamais entr�, il n'y a point d'apparence, car ils l'eussent descrit d'une autre fa�on, afin d'oster beaucoup de gens de ce doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay recognu & veu depuis le commencement jusques o� j'ay est�.

Note 104: (retour)

Voir 1613, p. 31, note 2.

Note 105: (retour)

Voir 1613, p. 31, note 4.

Note 106: (retour)

L'entr�e de la baie de P�nobscot, qui forme l'embouchure de cette rivi�re, est un peu au-del� de 44�. Il para�t bien �vident qu'il faut lire plut�t comme dans l'�dition de 1613, d'o� ceci est tir�: �43 & 43 & demy, & d'autres par les 44 degrez...�

Premi�rement en son entr�e il y a plusieurs isles esloign�es de la terre ferme 10 ou 12 lieues, qui sont par la hauteur de 44. degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de la Guide-aymant.

70/726L'isle des Monts-deserts fait une des pointes de l'emboucheure, tirant � l'est, & l'autre est une terre basse appell�e des Sauvages Bedabedec, qui est � l'ouest d'icelle, distantes l'une de l'autre neuf ou dix lieues: & presque au milieu � la mer y a une autre isle fort haute & remarquable, laquelle pour ceste raison j'ay nomm�e l'isle haute. Tout autour il y en a un nombre infiny de plusieurs grandeurs & largeurs, mais la plus grande est celle des Monts-deserts. La pesche du poisson de diverses sortes y est fort bonne, comme aussi la chasse du gibbier. A deux ou trois lieues de la pointe de Bedabedec, rangeant la grande terre au nort, qui va dedans icelle riviere, ce sont terres fort hautes qui paroissent � la mer en beau temps 12 � 15 lieues. Venant au sud de l'isle haute, en la rangeant comme d'un quart de lieue, o� il y a quelques battures qui sont hors de l'eau, mettant le cap � l'ouest jusques � ce que l'on ouvre toutes les montagnes qui sont au nort d'icelle isle, vous vous pouvez asseurer qu'en voyant les huict ou neuf d�coup�es de l'isle des Monts-deserts, & celle de Bedabedec, l'on fera107 le travers de la riviere de Norembegue, & pour entrer dedans il faut mettre le cap au nort, qui est sur les plus hautes montagnes dudit Bedabedec, & ne verrez aucunes isles devant vous, & pouvez entrer seurement, y ayant assez d'eau, bien que voyez quantit� de brisans, isles & rochers � l'est & ouest de vous. Il faut les eviter la sonde en la main, pour plus grande seuret�, & croy, � ce que j'en ay peu juger, que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere 71/727par autre endroit, sinon avec des petits vaisseaux ou chaloupes: car (comme j'ay dit cy-dessus) la quantit� des isles, rochers, bases, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte, que c'est chose estrange � voir.

Note 107: (retour)

Dans l'�dition de 1640, on a mis l'on fera; ce qui n'�tait pas fort � propos.

Or pour revenir � la continuation de nostre routte108, entrant dans la riviere il y a de belles isles qui sont fort agr�ables, comme des prairies, Je fus jusques � un lieu o� les Sauvages nous guid�rent, qui n'a pas plus de demy quart de lieue de large, & � quelque deux cents pas de la terre de l'ouest y a un rocher � fleur d'eau, qui est dangereux. De l� � l'isle haute y a quinze lieues: & depuis ce lieu estroit (qui est la moindre largeur que nous eussions trouv�e) apr�s avoir fait environ 7 ou 8 lieues, nous rencontrasmes une petite riviere, o� aupr�s il fallut mouiller l'anchre; d'autant que devant nous y vismes quantit� de rochers qui descouvrent de basse mer; & aussi que quand nous eussions voulu passer plus avant, il eust est� impossible de faire demie lieue, � cause d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque 7 � 8 pieds, que je veis allant dedans un canau, avec les Sauvages que nous avions, & n'y trouvasmes de l'eau que pour un canau: mais pass� le sault, qui a environ deux cents pas de large, la riviere est belle & plaisante, jusques au lieu o� nous avions mouill� l'anchre. Je mis pied � terre pour voir le pays, & allant � la chasse je le trouvay fort plaisant & agr�able en ce que j'y fis de chemin, & semble que les chesnes qui y sont ayent est� plantez 72/728par plaisir. J'y veis peu de sapins, mais bien quelques pins � un cost� de la riviere; tous chesnes � l'autre, & un peu de bois taillis qui s'estendent fort avant dans les terres: & diray que depuis l'entr�e o� je fus, qui sont environ 25 lieues, je ne veis aucune ville, ny village, ny apparence d'y en avoir eu, mais bien une ou deux cabannes de Sauvages, o� il n'y avoit personne, lesquelles estoient faites de la mesme fa�on que celles des Souriquois, couvertes d'escorces d'arbres; & � ce que j'ay peu juger, il y a peu de Sauvages en icelle riviere, qu'on appelle aussi Pemetegoit109. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que quelques mois en est� durant la pesche du poisson, & la chasse du gibbier, qui y est en quantit�. Ce sont gens qui n'ont point de retraite arrest�e, � ce que j'ay recognu, & appris d'eux: car ils hyvernent tantost en un lieu, & tantost � un autre, o� ils voyent que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent quand la necessit� les presse, sans mettre rien en reserve pour subvenir aux disettes qui sont grandes quelquefois.

Note 108: (retour)

C'�tait au voyage de d�couverte que fit M. de Monts, dans l'automne de 1604, avec Champlain.

Note 109: (retour)

Les sauvages de Pentagouet �taient des Etchemins. En 1613, l'auteur avait dit: qu'on appelle aussi Etechemins. En rempla�ant ici leur nom par celui de leur rivi�re, on a oubli� de retrancher le mot aussi.

Or il faut de necessit� que ceste riviere soit celle de Norembegue: car pass� icelle jusques au 41e degr� que j'ay costoy�, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy dessus dites, que celle de Quinibequy, qui est presque en mesme hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part, il ne peut y en avoir qui entrent avant dans les terres, d'autant que la grande riviere Sainct Laurent costoye la coste d'Acadie & de Norembegue, o� il n'y a pas plus de 73/729l'une � l'autre par terre de 45 lieues, ou 60 au plus large en droite ligne.

Or je laisseray ce discours, pour retourner aux Sauvages qui m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue, lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres Sauvages, qui all�rent en une autre petite riviere advertir aussi le leur, nomm� Cabahis, & luy donner advis de nostre arriv�e.

Le 16 du mois110 il vint � nous environ trente Sauvages, sur l'asseurance que leur donn�rent ceux qui nous avoient servy de guide. Vint aussi ledit Bessabez nous trouver ce mesme jour avec six canaux. Aussi tost que les Sauvages qui estoient � terre le veirent arriver, ils se mirent tous � chanter, dancer, sauter, jusques � ce qu'il eust mis pied � terre: puis apr�s s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume, lors qu'ils veulent faire quelque harangue, ou festin. Cabahis l'autre chef peu apr�s arriva aussi avec vingt ou trente de ses compagnons, qui se retir�rent � part, & se resjouirent fort de nous voir, d'autant que c'estoit la premi�re fois qu'ils avoient veu des Chrestiens. Quelque temps apr�s je fus � terre avec deux de mes compagnons, & deux de nos Sauvages, qui nous servoient de truchement, & donnay charge � ceux de nostre barque d'approcher pr�s des Sauvages, & tenir leurs armes prestes pour faire leur devoir s'ils appercevoient quelque �motion de ces peuples contre nous. Benabez nous voyant � terre nous fit asseoir, & commen�a � petuner avec ses compagnons, 74/730comme ils font ordinairement auparavant que faire leur discours, & nous firent present de venaison & de gibbier. Tout le reste de ce jour & la nuict suivante, ils ne firent que chanter, dancer, & faire bonne ch�re, attendant le jour. Par apr�s chacun s'en retourna, Bessabez avec ses compagnons de son cost�, & nous du nostre, fort satisfaits d'avoir eu cognoissance de ces peuples.

Note 110: (retour)

Le 16 de septembre 1604. (Voir, 1613, liv. I, c. v.)

Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez, & 25 minutes de latitude. Ce fait, je partis pour aller � une autre riviere appell�e Quinibequy, distante de ce lieu de 35 lieues, & pr�s de 15 de Bedabedec. Ceste nation de Sauvages de Quinibequy s'appelle Etechemins111, aussi bien que ceux de Norembegue.

Note 111: (retour)

Voir 1613, p. 38, note 1.

Le 18 du mois je paissay pr�s d'une petite riviere o� estoit Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque environ 12 lieues. Et luy ayant demand� d'o� venoit la riviere de Norembegue, il me dit qu'elle passe le sault dont j'ay fait cy-dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle, on entroit dans un lac par o� ils vont � la riviere de Saincte Croix quelque peu par terre, puis entrent dans la riviere des Etechemins. Plus au lac descend une autre riviere par o� ils vont quelques jours, en apr�s entrent en un autre lac, & passent par le milieu puis estans parvenus au bout, ils font encore ..................................................... autre petite riviere 112 qui va se descharger dans le grand fleuve Sainct Laurent. Tous ces peuples de 75/731Norembegue sont fort basannez, habillez de peaux de castors, & autres fourrures, comme les Sauvages Canadiens & Souriquois, & ont mesme fa�on de vivre.

Note 112: (retour)

La rivi�re Etchemin.

Voil� au vray tout ce que j'ay remarqu� tant des costes, peuples, que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal agr�able en hyver, que celuy de Saincte Croix.



Descouvertures de la riviere de Quinibequy, qui est de la coste des Almouchiquois113 jusques au 42e degr� de latitude, & des particularit�s de ce voyage. A quoy les hommes & les femmes passent le temps durant l'hyver.

Note 113: (retour)

Les sauvages de K�n�bec, quoique etchemins aussi bien que ceux de Pentagouet et de la rivi�re Sainte-Croix, �taient ennemis de ceux-ci (Voy. 1613, p. 38, 39). C'est ce qui explique pourquoi les auteurs font commencer le pays des Almouchiquois tant�t au-del� et tant�t en-de�� du K�n�bec.


CHAPITRE IIII.

Rangeant la coste de l'ouest, l'on passe les montagnes de Bedabedec, & cogneusmes114 l'entr�e de la riviere, o� il peut aborder de grands vaisseaux, mais dedans il y a quelques battures qu'il faut eviter la sonde en la main. Faisant environ 8 lieues, rangeant la coste de l'ouest, passasmes par quantit� d'isles & rochers qui jettent une lieue � la mer, jusques � une isle115 distante de Quinibequy dix lieues, o� � l'ouvert d'icelle il y a une isle assez 76/732haute, qu'avions nomm�e la Tortue 116, & entre icelle & la grande terre y a quelques rochers espars, qui couvrent de pleine mer: neantmoins on ne laisse de voir briser la mer par dessus. L'isle de la Tortue, & la riviere 117 sont sud suest, & nort norouest. Comme l'on y entre, il y a deux moyennes isles, qui sont l'entr�e, l'une d'un cost�, & l'autre de l'autre, & � quelques 300 pas au dedans il y a deux rochers o� il n'y a point de bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'anchre � 300 pas de l'entr�e, � cinq & six brasses d'eau. Je me resolus d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere, & les Sauvages qui y habitent. Ayans fait quelques lieues, nostre barque pensa se perdre sur un rocher que nous frayasmes en passant. Plus outre rencontrasmes deux canaux qui estoient venus � la chasse aux oiseaux, qui la plus-part muent en ce temps, & ne peuvent voler. Nous accostasmes ces Sauvages, qui nous guid�rent. Et allans plus avant pour voir leur Capitaine, appell� Manthoumermer, comme nous eusmes fait 7 � 8 lieues, nous passasmes par certaines isles, destroits, & ruisseaux, qui se deschargent dans la riviere, o� je veis de belles prairies: & costoyant une isle118 qui a environ 4 lieues de long, ils nous men�rent o� estoit leur chef, avec 25 ou 30 Sauvages, lequel aussi tost que nous eusmes mouill� l'anchre, vint � nous dedans un canau un peu separ� de dix autres, o� estoient ceux qui l'accompagnoient. Approchant pr�s de nostre barque il fit une harangue, o� il faisoit entendre l'aise qu'il 77/733avoit de nous voir, & qu'il desiroit avoir nostre alliance, & faire paix avec leurs ennemis par nostre moyen, disant que le lendemain il envoyeroit � deux autres Capitaines Sauvages qui estoient dedans les terres, l'un appell� Marchim, & l'autre Sazinou, chef de la riviere de Quinibequy.

Note 114: (retour)

En septembre 1604 et en juin 1605. (Voir 1613, p. 31-39, et 46.)

Note 115: (retour)

Cette �le, situ�e � huit lieues de la pointe de Bedabedec, et � environ dix lieues de l'embouchure du K�n�bec, est celle que Champlain appela la Nef, et dont le nom est aujourd'hui Monahigan. (Voy. 1613, p. 74, note 2.)

Note 116: (retour)

L'�le S�guin.

Note 117: (retour)

La rivi�re de K�n�bec,

Note 118: (retour)

L'�le de J�r�mysquam.

Le lendemain ils nous guid�rent en descendant la riviere 119 par un autre chemin que n'estions venus, pour aller � un lac 120, & passans par des isles, ils laisserent chacun une flesche proche d'un cap, par o� tous les Sauvages passent, & croyent que s'ils ne le faisoient, il leur arriveroit du mal-heur, ainsi que leur persuade le diable, & vivent en ces superstitions, comme ils font en beaucoup d'autres.

Note 119: (retour)

Ce que l'auteur appelle la rivi�re, �tait un des nombreux chenaux par o� la rivi�re de Chipscot vient confondre son embouchure avec celle du K�n�bec. (Voir 1613, p. 47, 48.)

Note 120: (retour)

La baie de Merry-Meeting, qui est une esp�ce de lac o� viennent sejoindre les eaux du K�n�bec et de la rivi�re Androscoggin.

Par del� ce cap nous passasmes un sault d'eau fort estroit, mais ce ne fut pas sans grande difficult�: car encores qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions porter dans nos voiles le plus qu'il nous fut possible, si ne le peusmes nous passer de la fa�on, & fusmes contraints d'attacher � terre une haussiere � des arbres, & y tirer tous. Ainsi nous fismes tant � force de bras, avec l'aide du vent qui nous favorisoit, que le passasmes. Les Sauvages qui estoient avec nous port�rent leurs canaux par terre, ne les pouvans passer � la rame. Apr�s avoir franchi ce sault, nous veismes de belles prairies. Je m'estonnay si fort de ce sault, que descendant avec la mar�e nous l'avions fort bonne, & estans au sault 78/734nous la trouvasmes contraire, & apr�s l'avoir pass� elle descendoit comme auparavant, qui nous donna grand contentement.

Poursuivans nostre routte, nous vinsmes au lac, qui a trois � quatre lieues de long, o� il y a quelques isles, & y descend deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, & l'autre 121 du norouest, par o� devoient venir Marchim & Sasinou, qu'ayant attendu tout ce jour, & voyant qu'ils ne venoient point, resolusmes d'employer le temps. Nous levasmes donc l'anchre, & vint avec nous deux Sauvages de ce lac pour nous guider, & ce jour vinsmes mouiller l'anchre � l'emboucheure de la riviere, o� nous peschasmes quantit� de plusieurs sortes de bons poissons: cependant nos Sauvages all�rent � la chasse, mais ils n'en revindrent point. Le chemin par o� nous descendismes ladite riviere est beaucoup plus seur & meilleur que celuy par o� nous avions est�. L'isle de la Tortue, qui est devant l'entr�e de ladite riviere, est par la hauteur de 44 degrez de latitude, & 19 degrez 12 minutes de declinaison de la Guide-aymant. Il y a environ 4 lieues de l� en mer, vers le suest trois petites isles, o� les Anglois font pesche de molu�s. L'on va par ceste riviere au travers des terres jusques � Qu�bec quelque 50 lieues, sans passer qu'un trajet de terre de 2 lieues, puis on entre dedans une autre petite riviere 122 qui vient descendre dedans le grand fleuve Sainct Laurent. Ceste riviere de Quinibequy est dangereuse pour les vaisseaux � demie lieue au 79/735dedans, pour le peu d'eau, grandes mar�es, rochers, & bases qu'il y a, tant dehors que dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit bien recognu. Si peu de pa�s que j'ay veu le long des rivages est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts. Il y a quantit� de petits chesnes, & fort peu de terres labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les autres rivieres cy dessus dites. Les peuples vivent comme ceux de nostre habitation, & nous dirent, que les Sauvages qui semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres, & qu'ils avoient delaiss� d'en faire sur les costes, pour la guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre. Voila ce que j'ay peu apprendre de ce lieu, lequel je crois n'estre meilleur que les autres.

Note 121: (retour)

La rivi�re Sagadahoc, ou Androscoggin.

Note 122: (retour)

La rivi�re Chaudi�re.

Les Sauvages qui habitent en toutes ces costes sont en petite quantit�. Durant l'hyver au fort des neges ils vont chasser aux eslans, & autres bestes dequoy ils vivent la plus-part du temps: & si les neges ne sont grandes, ils ne font gueres bien leur profit, d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un grandissime travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent fort. Lors qu'ils ne vont � la chasse, ils vivent d'un coquillage qui s'appelle coque. Ils se vestent l'hyver de bonnes fourrures de castors & d'eslans. Les femmes font tous les habits, mais non pas si proprement qu'on ne leur voye la chair au dessouz des aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de les mieux accommoder. Quand ils vont � la chasse ils prennent de certaines raquetes, deux fois aussi grandes que celles de parde�a, qu'ils s'attachent 80/736souz les pieds, & vont ainsi sur la nege sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant trouv�e ils la suivent, jusques � ce qu'ils appercoivent la beste, & lors ils tirent dessus avec leurs arcs, ou la tuent avec coups d'esp�es emmanch�es au bout d'une demie pique, ce qui se fait fort ais�ment, d'autant que ces animaux ne peuvent aller sur les neges sans enfoncer dedans; & lors les femmes & enfans y viennent, & l� cabannent, & se donnent la cur�e: apr�s ils retournent voir s'ils en trouveront d'autres.

Costoyant la coste123, fusmes mouiller l'anchre derri�re un petit islet proche de la grande terre, o� nous veismes plus de quatre vingts Sauvages qui accouroient le long de la coste pour nous voir, dan�ans, & faisans signe de la resjouissance qu'ils en avoient. Je fus visiter124 une isle, qui est fort belle de ce qu'elle contient, y ayant de beaux chesnes & noyers, la terre d�frich�e, & force vignes, qui apportent de beaux raisins en leur saison: c'estoit les premiers que j'esse veu en toutes ces costes depuis le cap de la H�ve: nous la nommasmes l'isle de Bacchus125. Estans de pleine mer nous levasmes l'anchre, & entrasmes dedans une petite riviere, o� nous ne peusmes plustost, d'autant que c'est un havre de barre, n'y ayant de basse mer que demie brasse d'eau, de plaine mer brasse & demie, & du

grand de l'eau deux brasses: quand on est dedans il y en a trois, quatre, cinq, & six. Comme nous eusmes mouill� l'anchre, il vint � nous quantit� de Sauvages sur le bord de la riviere, qui commencerent � dancer. Leur Capitaine pour lors n'estoit avec eux, qu'ils appelloient Honemechin. Il arriva environ deux ou trois heures apr�s avec deux canaux, puis s'en vint tournoyant tout autour de nostre barque. Ces peuples se razent le poil de dessus Comme les le cr�ne assez haut, & portent le reste fort long, qu'ils peignent & tortillent par derri�re en plusieurs fa�ons fort proprement, avec des plumes qu'ils attachent sur leur teste. Ils se peindent le visage de noir & rouge, comme les autres Sauvages que j'ay veus. Ce sont gens disposts, bien formez de leur corps. Leurs armes sont piques, massues, arcs, & flesches, au bout desquelles aucuns mettent la queue d'un poisson appelle signoc126: d'autres y accommodent des os, & d'autres en ont toutes de bois. Ils labourent & cultivent la terre, ce que n'avions encores veu. Au lieu de charrues ils ont un instrument de bois fort dur, fait en fa�on d'une besche. Cette riviere s'appelle des habitans du pays Chouacoet127.

Note 123: (retour)

M. de Monts et Champlain partirent de K�n�bec le 8 juillet (1605), et ce fut apr�s avoir c�toy� la c�te une partie de ce jour et du suivant, qu'ils mouill�rent l'ancre pr�s de ce petit �let, non loin de la rivi�re de Chouacoet ou Saco. (Voy. 1613, p. 50, 53.)

Note 124: (retour)

L'�dition de 1613 porte �le sieur de Mons fut visiter.�

Note 125: (retour)

Probablement Richmond ou Richman's Island.

Note 126: (retour)

Ou siguenoc, comme l'auteur l'�crit ailleurs. (Limulus Polyphenius; LAM.) Voir 1613, p. 70, 71.

Note 127: (retour)

Aujourd'hui Saco.

81/737Je fus � terre pour voir leur labourage sur le bord de la riviere, & veis leurs bleds, qui sont bleds d'Inde, qu'ils font en jardinages, semans trois ou quatre grains en un lieu, apr�s ils assemblent tout autour avec des escailles du susdit signoc quantit� de terre, puis � trois pieds de l� en sement encore autant, & ainsi consecutivement. Parmy ce bled � 82/738chasque touffeau ils plantent 3 ou 4 febves de Bresil, qui viennent de diverses couleurs. Estans grandes elles s'entrelacent autour dudit bled, qui leve de la hauteur de 3 � 6 pieds, & tiennent le champ fort net de mauvaises herbes. Nous y veismes force citrouilles, courges, & petum, qu'ils cultivent aussi. Le bled d'Inde que j'y veis pour lors estoit de deux pieds de haut: il y en avoit aussi de trois. Ils le sement en May, & le recueillent en Septembre. Pour les febves, elles commen�oient � entrer en fleur, comme aussi les courges & citrouilles. J'y veis grande quantit� de noix, qui sont petites, & ont plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point encores aux arbres, mais nous en trouvasmes assez dessouz, qui estoient de l'ann�e pr�c�dente. Il y a aussi force vignes, ausquelles y avoit de fort beau grain, dont nous fismes de tr�s-bon verjus, ce que n'avions point encores veu qu'en l'isle de Bacchus, distante d'icelle riviere pr�s de deux lieues. Leur demeure arrest�e, le labourage, & les beaux arbres, me fit juger que l'air y est plus temp�r� & meilleur que celuy o� nous hyvernasmes, ny que les autres lieux de la cotte. Les forests dans les terres sont fort claires, mais pourtant remplies de chesnes, hestres, fresnes, & ormeaux. Dans les lieux aquatiques il y a quantit� de saules. Les Sauvages se tiennent tousjours en ce lieu, & ont une grande cabanne entour�e de pallissades faites d'assez gros arbres rangez les uns contre les autres, o� ils se retirent lors que leurs ennemis leur viennent faire la guerre; & couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce lieu est fort plaisant, & aussi agr�able que l'on en puisse voir: 83/739la riviere abondante en poisson, environn�e de prairies. A l'entr�e y a un islet capable d'y faire une bonne forteresse, o� l'on seroit en seuret�.



Riviere de Cho�acoet. Lieux que l'Autheur y recognoist. Cap aux Isles. Canots de ces peuples faits d'escorce de bouleau. Comme les Sauvages de ce pays l� font revenir � eux ceux qui tombent en syncope. Se servent de pierres au lieu de couteaux. Leur Chef honorablement receu de nous.

CHAPITRE V.

Le Dimanche 12 128 du mois nous partismes de la riviere appell�e Cho�acoet, & rangeant la coste, apr�s avoir fait environ 6 ou 7 lieues, le vent se leva contraire, qui nous fit mouiller l'anchre & mettre pied � terre, o� nous veismes deux prairies, chacune desquelles contient une lieue de long, & demie de large. Depuis Cho�acoet jusques en ce lieu (o� veismes de petits oiseaux, qui ont le chant comme merles, noirs horsmis le bout des ailles, qui sont oreng�es) il y a quantit� de vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la pluspart des endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous retournasmes 2 ou 3 lieues devers Cho�acoet, jusques � un cap qu'avons nomm� le port aux isles129, bon pour des vaisseaux de cent tonneaux, qui est parmy trois isles.

Note 128: (retour)

Le 12 de juillet 1605 �tait un mardi. D'apr�s l'�dition de 1613, M. de Monts et Champlain arriv�rent � Chouacouet le 10, et durent n'en repartir que le 12.

Note 129: (retour)

Le cap du Port-aux-Isles est le cap Purpoise. (Voir 1613, p. 55, note 3.)

Mettant le cap au nordest quart du nort proche 843/740de ce lieu, l'on entre en un autre port130 o� il n'y a aucun passage (bien que ce soient isles) que celuy par o� on entre, o� � l'entr�e y a quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y a tant de groiselles rouges, que l'on ne voit autre chose en la plus-part, & un nombre infiny de tourtes, dont nous en prismes bonne quantit�. Ce port aux isles est par la hauteur de 43 degrez 25 minutes de latitude.

Note 130: (retour)

Probablement l'entr�e de la rivi�re Kenebunk.

Costoyans la coste nous apperceusmes une fum�e sur le rivage de la mer, dont nous approchasmes le plus qu'il nous fut possible, & ne veismes aucun Sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en estoient fuis. Le Soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver lieu pour nous loger icelle nuict, � cause que la coste estoit platte, & sablonneuse. Mettant le cap au sud pour nous esloigner, afin de mouiller l'anchre, ayans fait environ deux lieues, nous apperceusmes un cap 131 � la grande terre au sud quart du suest de nous, o� il pouvoit avoir six lieues: � l'est deux lieues apperceusmes trois ou quatre isles132 assez hautes, & � l'ouest un grand cul de sac133. La coste de ce cul de sac toute rang�e jusques au cap peut entrer dans les terres du lieu o� nous estions environ 4 lieues: il en a 2 de large nord & sud, & 3 en son entr�e. Et ne recognoissant aucun lieu propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap cy-dessus � petites voiles une partie de la nuict, & en approchasmes 85/741� 16 brasses d'eau, o� nous mouillasmes l'anchre attendant le poinct du jour.

Note 131: (retour)

Le cap Anne, que l'auteur appelle plus loin cap aux Iles.

Note 132: (retour)

Les �les de Battures (Isles of Shoals).

Note 133: (retour)

La baie Longue, comme l'auteur l'appelle lui-m�me dans sa Table de la grande carte de 1632. C'est cet enfoncement que forme la c�te au nord-ouest du cap Anne.

Le lendemain nous fusmes au susdit cap, o� il y a trois isles proches de la grande terre, pleines de bois de diff�rentes sortes, comme � Cho�acoet, & par toute la coste; & une autre platte, ou la mer brise, qui jette un peu plus bas � la mer que les autres o� il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap aux isles, proche duquel apperceusmes un canau o� il y avoit 5 ou 6 Sauvages qui vindrent � nous, lesquels estans pr�s de nostre barque s'en all�rent danser sur le rivage. Je fus � terre pour les voir, & leur donner � chacun un couteau, & du biscuit; ce qui fut cause qu'ils redancerent mieux qu'auparavant. Cela fait, je leur fis entendre le mieux qu'il me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la coste. Apr�s leur avoir d�peint avec un charbon la baye & le cap aux isles, o� nous estions, ils me figur�rent avec le mesme crayon une autre baye 134, qu'ils representoient fort grande, o� ils mirent six cailloux d'�gale distance; me donnans par l� � entendre que chacune de ces marques estoient autant de chefs & peuplades 135: puis figur�rent dedans ladite baye 136 une riviere 137 que nous avions pass�e, qui s'estend fort loin, & est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des vignes en quantit�, dont le verjus estoit un peu plus gros que des pois, & force noyers, dont les noix n'estoient pas plus grosses que des balles d'harquebuze. Ces Sauvages nous dirent, que 86/742tous ceux qui habitoient en ce pays cultivoient & ensemen�oient la terre comme les autres qu'avions veus auparavant. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez & quelques minutes de latitude 138.

Note 134: (retour)

La baie de Massachusetts.

Note 135: (retour)

Voir 1613, p. 58, note l.

Note 136: (retour)

La dite baie Longue.

Note 137: (retour)

Le Merrimack.

Note 138: (retour)

La latitude du cap Anne est d'environ 42� 38'.

Doublant le cap 139, nous entrasmes en une ance140 o� il y avoit force, vignes, pois de Bresil, courges, citrouilles & des racines qui sont bonnes, tirans sur le goust de cardes que les Sauvages cultivent.

Note 139: (retour)

En septembre 1606. Dans l'�dition de 1632, on a intercal� ici la description du Beau-Port, que M. de Monts n'avait pas visit� en 1605, mais que Champlain avait remarqu� en passant. Les trois alin�as qui suivent font partie de la narration du voyage de M. de Poutrincourt, qui eut lieu dans l'automne de 1606.

Note 140: (retour)

Le Beau-Port, aujourd'hui la baie de Gloucester, ou havre du cap Anne. (Voir 1613, p. 94, 95, 96.)

Ce lieu, qui est assez agr�able, est fertile en quantit� de noyers, cypr�s, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont tr�s-beaux.

Nous veismes l� un Sauvage qui se blessa tellement au pied, & perdit tant de sang, qu'il en tomba en syncope; autour duquel vindrent nombre d'autres chantans quelque temps avant qu'ils le touchassent: puis faisans certaines gestes des pieds & des mains, luy remuoient la teste, & le soufflant il revint � soy. Nostre Chirurgien le pensa, & ne laissa pour cela de s'en aller gayement.

Ayans fait demie lieue 141 nous apperceusmes plusieurs Sauvages sur la pointe d'un rocher, qui couroient le long de la coste, en dan�ant, vers leurs compagnons, pour les advertir de nostre venue. Nous ayans monstr� le quartier de leur demeure, ils firent signal de fum�es, pour nous monstrer l'endroit de leur habitation & fusmes mouiller l'anchre< 87/743proche d'un petit islet, o� l'on envoya nostre canau pour leur porter des couteaux & des gallettes, & apperceusmes � la quantit� qu'ils estoient, que ces lieux sont plus habitez que les autres que nous avions veus. Apr�s avoir arrest� deux heures pour considerer ces peuples, qui ont leurs canaux faits d'escorce de bouleau, comme les Canadiens142, Souriquois, & Etechemins, nous levasmes l'anchre, & avec apparence de beau temps nous nous mismes � la voile. Poursuivant nostre routte � l'ouest surouest, nous y veismes plusieurs isles � l'un & l'autre bord. Ayant fait 7 � 8 lieues, nous mouillasmes l'anchre proche d'une isle, o� apperceusmes force fum�es tout le long de la coste, & beaucoup de Sauvages qui accouroient pour nous voir. L'on envoya 2 ou 3 hommes vers eux dedans un canau, ausquels on bailla des couteaux & patenostres pour leur presenter, dont ils furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement. Nous ne peusmes s�avoir le nom de leur chef, � cause que nous n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a quantit� de terre d�frich�e, & sem�e de bled d'Inde. Le pays est fort plaisant & agr�able, y ayant force beaux bois. Ceux qui l'habitent ont leurs canaux faits tout d'une pi�ce, fort subjets � tourner, si on n'est bien adroit � les gouverner, & n'en avions point encores veu de ceste fa�on. Voicy comme ils les font. Apr�s avoir eu beaucoup de peine, & est� long temps � abatre un arbre le plus gros & le plus haut qu'ils ont peu trouver, avec des haches de pierre (car ils n'en ont point en ce temps d'autres, si ce n'est que 88/744quelques uns d'eux en recouvrent par le moyen des Sauvages de la coste d'Acadie, ausquels on en porte pour traicter de pelleterie) ils ostent l'escorce, & l'arrondissent, horsmis d'un cost�, o� ils mettent du feu peu � peu tout le long de la pi�ce; & prennent quelquefois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent aussi dessus, & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent avec un peu d'eau, non pas du tout, mais seulement de peur que le bord du canau ne brusle. Estant assez creux � leur fantaisie, il le raclent de toutes parts avec ces pierres. Les cailloux dequoy ils font leurs trenchans sont semblables � nos pierres � fuzil.

Note 141: (retour)

Ici reprend le r�cit du voyage de M. de Monts, en 1605. (Voir 1613, p. 58.) Par cons�quent cette demi-lieue doit se compter du cap Anne, et non du Beau-Port.

Note 142: (retour)

A cette �poque, on appelait Canadiens les tribus montagnaises du bas du fleuve.

Le lendemain 17 dudit mois143 nous levasmes l'anchre pour aller � un cap, que nous avions veu le jour pr�c�dant, qui nous demeuroit comme au sud surouest. Ce jour nous ne peusmes faire que 5 lieues, & passasmes par quelques isles remplies de bois. Je recognus en la baye tout ce que m'avoient d�peint les Sauvages au cap des isles. Poursuivant nostre routte, il en vint � nous grand nombre dans des canaux, qui sortoient des isles, & de la terre ferme. Nous fusmes anchrer � une lieue du cap qu'ay nomm� Sainct Louys 144, o� nous apperceusmes plusieurs fum�es: & y voulant aller, nostre barque eschoua sur une roche, o� nous fusmes en grand danger: car si nous n'y eussions promptement remedi�, elle eust boulevers� dans la mer, qui perdoit tout � l'entour, o� il y avoit 5 � 6 brasses d'eau: mais Dieu nous preserva, & fusmes mouiller l'anchre 89/745proche du susdit cap, o� vindrent 15 ou 16 canaux de Sauvages, & en tel y en avoit 15 ou 16 qui commenc�rent � monstrer grands signes de resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que nous n'entendions nullement. L'on envoya 3 ou 4 hommes � terre dans nostre canau, tant pour avoir de l'eau, que pour voir leur chef nomm� Honabetha, qui eut quelques couteaux, & autres jolivetez, que trouvay � propos leur donner 145, lequel nous vint voir jusques en nostre bord, avec nombre de ses compagnons, qui estoient tant le long de la rive, que dans leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, & luy fit-on bonne ch�re: & y ayant est� quelque espace de temps, il s'en retourna. Ceux que nous avions envoyez devers eux, nous apport�rent de petites citrouilles de la grosseur du poing, que nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui sont tr�s-bonnes; & du pourpi�, qui vient en quantit� parmy le bled d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de mauvaises herbes. Nous veismes en ce lieu grande quantit� de petites maisonnettes, qui sont parmy les champs o� ils sement leur bled d'Inde.

Note 143: (retour)

Le 17 juillet 1605.

Note 144: (retour)

Aujourd'hui la pointe Brandt.

Note 145: (retour)

Dans l'�dition de 1613, il y avait �que le sieur de Mons luy donna.� Dans l'�dition de 1640, on remarque une autre correction: le mot luy a �t� mis � la place de leur.

Plus y a en icelle baye une riviere146 qui est fort spacieuse, laquelle avons nomm�e la riviere du Gas, qui, � mon jugement, va rendre vers les Hiroquois, nation qui a guerre ouverte avec les montagnars qui sont en la grande riviere Sainct Laurent.

Note 146: (retour)

Probablement la rivi�re Charles. (Voir 1613, p. 61, note 3.)



90/746

Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce, qu'y avons remarqu� de particulier.

CHAPITRE VI.

Le lendemain 147 doublasmes le cap S. Louys, que nous avons ainsi nomm�, terre m�diocrement basse, souz la hauteur de 42 degrez 3 quarts de latitude 148, & fismes ce jour 2 lieues de coste sablonneuse; & passant le long d'icelle, nous y veismes quantit� de cabannes & jardinages, & entrasmes dedans un petit cul de sac. Il vint � nous 2 ou 3 canaux, qui venoient de la pesche des morues, & autres poissons, qui sont l� en quantit�, qu'ils peschent avec des haims faits d'un morceau de bois, auquel ils fichent un os, qu'ils forment en fa�on de harpon, & lient fort proprement, de peur qu'il ne sorte, le tout estant en forme d'un petit crochet. La corde qui y est attach�e est de chanvre, � mon opinion, comme celuy de France; & me dirent qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la cultiver, en nous monstrant la hauteur comme de 4 � 5 pieds. Ledit canau s'en retourna � terre advertir ceux de son habitation, qui nous firent des fum�es, & apperceusmes 18 ou 20 Sauvages qui vindrent sur le bord de la coste, & se mirent � dancer. Nostre canau fut � terre pour leur donner quelques bagatelles, dont ils furent fort contents. Il en vint aucuns devers nous qui nous pri�rent d'aller en leur riviere. Nous levasmes l'anchre pour ce faire: mais nous 91/747n'y peusmes entrer � cause du peu d'eau que nous y trouvasmes estans de base mer, & fusmes contraints de mouiller l'anchre � l'entr�e d'icelle. Je descendis � terre, o� j'en veis quantit� d'autres qui nous receurent fort gracieusement, & fus recognoistre la riviere, o� je n'y veis autre chose qu'un bras d'eau qui s'estend quelque peu dans les terres, qui sont en partie desert�es, dedans lequel il n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter bateaux, sinon de pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de circuit, en l'une des entr�es duquel y a une mani�re d'isle couverte de bois, & principalement de pins, qui tient d'un cost� � des dunes de sable, qui sont assez longues: l'autre cost� est une terre assez haute. Il y a deux islets dans ladite baye, qu'on ne voit point si l'on n'est dedans, & autour d'icelle, la mer asseche presque toute de basse mar�e. Ce lieu est fort remarquable de la mer, d'autant que la coste est fort basse, horsmis le cap de l'entr�e de la baye, qu'avons nomm� le port du cap Sainct Louys149, distant dudit cap deux lieues, & dix du cap aux isles. Il est environ par la hauteur du cap Sainct Louys.

Note 147: (retour)

Le 18 juillet 1605.

Note 148: (retour)

46� 6'.

Note 149: (retour)

Les P�lerins (Pilgrim Fathers) lui donn�rent, quinze ans plus tard, le nom de Plymouth.

Nous partismes150 de ce lieu, & rangeant la coste comme au sud, nous fismes 4 � 5 lieues, & passasmes proche d'un rocher qui est � fleur d'eau. Continuant nostre routte, nous apperceusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans plus pr�s, nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous demeuroit au nort norouest, qui estoit le cap d'une grande baye contenant plus de 18 � 19 lieues de 92/748circuit, o� nous nous engouffrasmes tellement, qu'il nous fallut mettre � l'autre bord pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes le cap Blanc151, pource que c'estoient sables & dunes, qui paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu, car autrement nous eussions est� en danger d'estre jettez � la coste. Ceste baye est fort saine, pourveu qu'on n'approche la terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers que celuy dont j'ay parl�, qui est proche d'une riviere, qui entre assez avant dans les terres, que nommasmes Saincte Suzanne du cap Blanc 152, d'o� jusques au cap Sainct Louys y a dix lieues de traverse. Le cap Blanc est une pointe de sable qui va en tournoyant vers le sud environ six lieues. Ceste coste est assez haute eslev�e de sables, qui sont fort remarquables venant de la mer, o� on trouve la sonde � pr�s de 15 ou 18 lieues de la terre � 30, 40, 50 brasses d'eau, jusques � ce qu'on vienne � dix brasses en approchant de la terre, qui est tres-saine. Il y a une grande estendue de pays descouvert sur le bord de la coste devant que d'entrer dans les bois, qui sont fort agr�ables, & plaisans � voir. Nous mouillasmes l'anchre � la coste, & veismes quelques Sauvages, vers lesquels furent 4 de nos gens, qui cheminans sur une dune de sable, advis�rent comme une baye & des cabannes qui la bordoient tout � l'entour. Estans environ une lieue & demie de nous, vint � eux dan�ant (comme ils nous rapport�rent) un Sauvage, qui estoit descendu de la haute coste, lequel 93/749s'en retourna peu apr�s donner advis de nostre venue � ceux de son habitation.

Note 150: (retour)

Le 19 juillet 1605. (�dit. 1613, liv. I, c. VIII.)

Note 151: (retour)

Le capitaine Gosnold lui avait d�j� donn�, d�s 1602, le nom de cap Cod, qu'il conserve encore aujourd'hui.

Note 152: (retour)

Probablement la baie de Wellfleet.

Le lendemain 153 nous fusmes en ce lieu que nos gens avoient apperceu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, � cause des bases & bancs, o� nous voyons briser de toutes parts. Il estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y avoit que 4 pieds d'eau par la pass�e du nort; de haute mer il y a 2 brasses. Comme nous fusmes dedans, nous veismes ce lieu assez spacieux, pouvant contenir 3 � 4 lieues de circuit, tout entour�e de maisonnettes, � l'entour desquelles chacun a autant de terre qu'il luy est necessaire pour sa nourriture. Il y descend une petite riviere qui est assez belle, o� de basse mer y a environ 3 pieds & demy d'eau, & y a 2 ou 3 ruisseaux bordez de prairies. Ce lieu est tr�s-beau, si le havre estoit bon. J'en prins la hauteur, & trouvay 42 degrez de latitude, & 18 154 degrez 40 minutes de declinaison de la Guide-aymant. Il vint � nous quantit� de Sauvages, tant hommes que femmes, qui accouroient de toutes parts en dan�ant. Nous nommasmes ce lieu le port de Mallebarre155.

Note 153: (retour)

Le 20 juillet 1605.

Note 154: (retour)

Voir 1613, p. 65; note 1.

Note 155: (retour)

Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41� 50'.

Le lendemain nous fusmes voir leur habitation avec nos armes, & fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que d'arriver � leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ sem� de bled d'Inde, � la fa�on que nous avons dit cy-dessus. Il estoit en fleur, & avoit de haut 5 pieds & demy, & d'autre moins advanc�, qu'ils sement plus tard. Nous veismes 94/750aussi force feves de Bresil, & des citrouilles de plusieurs grosseurs, bonnes � manger; du petum & des racines qu'ils cultivent, lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont remplis de chesnes, noyers, & de tr�s beaux cypr�s156, qui sont rougeastres, & ont fort bonne odeur. Il y avoit aussi plusieurs champs qui n'estoient point cultivez, d'autant qu'ils laissent reposer les terres; & quand ils y veulent semer, ils mettent le feu dans les herbes, & puis labourent avec leurs besches de bois. Leurs cabannes sont rondes, couvertes de grosses nattes faites de roseaux, & par en haut il y a au milieu environ un pied & demy de descouvert, par o� fort la fum�e du feu qu'ils y font. Nous leur demandasmes s'ils avoient leur demeure arrest�e en ce lieu, & s'il y negeoit beaucoup: ce que ne peusmes bien s�avoir, pour ne pas entendre leur langage, bien qu'ils s'y effor�assent par signes, en prenant du sable en leur main, puis l'espandant sur la terre, & monstrant estre de la couleur de nos rabats &, qu'elle venoit sur la terre de la hauteur d'un pied, & d'autres nous monstroient moins; nous donnans aussi � entendre que le port ne geloit jamais: mais nous ne peusmes s�avoir si la nege estoit de longue dur�e. Je tiens neantmoins que le pays est temp�r�, & que l'hyver n'y est pas rude.

Note 156: (retour)

Le Juniperus Virginiana. (Voir 1613, p. 66, note 1.)

Tous ces Sauvages depuis le cap aux isles ne portent point de robbes, ny de fourrures, que fort rarement, & sont icelles robbes faites d'herbes, & de chanvre, qui � peine leur couvrent le corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la nature 95/751cach�e d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derri�re, tout le reste du corps estant nud & lors qu'elles nous venoient voir, elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes se coupent le poil dessus la teste, comme ceux de la riviere de Cho�acoet. Je vey entre autres choses une fille coiff�e assez proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brod�e par dessus de petites patenostres de porceline; une partie de ses cheveux estoient pendans par derri�re, & le reste entre-lac� de diverses fa�ons. Ces peuples se peindent le visage de rouge, noir, & jaulne. Ils n'ont presque point de barbe, & se l'arrachent � mesure qu'elle croist, & sont bien proportionnez de leur corps. Je ne s�ay quelle loy ils tiennent, & croy qu'en cela ils ressemblent � leurs voisins, qui n'en ont point du tout, & ne s�avent adorer, ny prier. Pour armes, ils n'ont que des picques, massues, arcs, & flesches. Il semble � les voir qu'ils soient de bon naturel, & meilleurs que ceux du nort, mais � dire vray ils sont meschans, & si peu de fr�quentation que l'on a avec eux, les fait ais�ment cognoistre. Ils sont grands larrons, & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils taschent de le faire avec les pieds, comme nous l'avons esprouv� souventefois: & se faut donner garde de ces peuples, & vivre en m�fiance avec eux, sans toutefois leur faire appercevoir. Ils nous troqu�rent leurs arcs, flesches, & carquois, pour des espingles & des boutons, & s'ils eussent eu autre chose de meilleur, ils en eussent fait autant. Ils nous donn�rent quantit� de petum, qu'ils font secher, 96/752puis le reduisent en poudre 157. Quand ils mangent le bled d'Inde ils le font bouillir dedans des pots de terre, qu'ils font d'autre mani�re que nous158. Il le pilent aussi dans des mortiers de bois, & le reduisent en farine, puis en font des gasteaux & galettes, comme les Indiens du P�rou.

Note 157: (retour)

Voir 1613, p. 70, note 1.

Note 158: (retour)

Voir 1613, p. 70, note 2.

Il y a quelques terres d�frich�es 159, & en d�frichoient tous les jours. En voicy la fa�on. Ils coupent les arbres � la hauteur de trois pieds de terre, puis font brusler les branchages sur le tronc, & sement leur bled entre ces bois coupez, & par succession de temps ostent les racines. Il y a aussi de belles prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce port 160 est tr�s-beau & bon, o� il y a de l'eau assez pour les vaisseaux, & o� on se peut mettre � l'abry derri�re des isles. Il est par la hauteur de 43 degrez de latitude, & l'avons nomm� le Beau-port161.

Note 159: (retour)

Il s'agit du Beau-Port. L'on passe, ici, du voyage de M. de Monts � celui de M. de Poutrinconrt, en 1606.

Note 160: (retour)

Le Beau-Port. (Voir 1613, p. 96.)

Note 161: (retour)

La baie de Gloucester, ou havre du cap Anne.

Le dernier de Septembre 162 nous partismes du Beau-port, & passasmes par le cap Sainct Louys, & fismes porter toute la nuict pour gaigner le cap Blanc. Au matin une heure devant le jour nous nous trouvasmes � vau le vent du cap Blanc en la baye blanche163 � huict pieds d'eau, esloignez de la terre une lieue, o� nous mouillasmes l'anchre, pour n'en approcher de plus pr�s, en attendant le jour, & voir comme nous estions de la mar�e. Cependant envoyasmes sonder avec nostre chaloupe, & ne 97/753trouva-on plus de 8 pieds d'eau, de fa�on qu'il fallut d�lib�rer attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau diminua jusques � 5 pieds & nostre barque talonnoit quelquefois sur le sable sans toutesfois s'offenser, ny faire aucun dommage car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de 3 pieds d'eau souz nous, lors que la mer commen�a � croistre, qui nous donna grande esperance.

Note 162: (retour)

De l'ann�e 1606.

Note 163: (retour)

La baie du cap Cod.

Le jour estant venu, nous apperceusmes une coste de sable fort basse, o� nous estions le travers plus � val le vent, & d'o� on envoya la chaloupe pour sonder vers un terroir qui est assez haut, o� on jugeoit y avoir beaucoup d'eau, & de faict on y en trouva 7 brasses. Nous y fusmes mouiller l'anchre, & aussi tost appareillasmes la chaloupe avec neuf ou dix hommes, pour aller � terre voir un lieu o� jugions y avoir un beau & bon port pour nous pouvoir sauver si le vent se fust eslev� plus grand qu'il n'estoit. Estant recogneu, nous y entrasmes � 2. 3. & 4. brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5 & 6 Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux Huistres164, & est par la hauteur de 42 degrez de latitude 165). 11 y vint � nous trois canaux de Sauvages. Ce jour le vent nous fut favorable, qui fut cause que nous levasmes l'anchre pour aller au cap Blanc, distant de ce lieu de 5 lieues, au nort un quart du nordest, & le doublasmes.

Note 164: (retour)

La baie de Barnstable.

Note 165: (retour)

41� 45'.

Le lendemain 2 d'Octobre 166 arrivasmes devant 98/754Mallebarre, o� sejournasmes quelque temps, pour le mauvais vent qu'il faisoit, durant lequel nous fusmes avec la chaloupe, avec douze � quinze hommes, visiter le port, o� il vint au devant de nous cent cinquante Sauvages, en chantant & dan�ant, selon leur coustume. Apr�s avoir veu ce lieu, nous nous en retournasmes en nostre vaisseau, o� le vent venant bon, fismes voile le long de la coste courant au sud.

Note 166: (retour)

De l'ann�e 1606.



Continuation des susdites descouvertures jusques au port Fortun�, & quelque vingt lieues par del�.

CHAPITRE VII.

Comme nous fusmes � six lieues de Malebarre, nous mouillasmes l'anchre proche de la coste, dautant que n'avions bon vent. Le long d'icelle nous advisasmes des fum�es que faisoient les Sauvages, ce qui nous fit d�lib�rer de les aller voir, & pour cet effect on �quipa la chaloupe. Mais quand nous fusmes proche de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes l'aborder, car la houlle estoit trop grande. Ce que voyans les Sauvages, ils mirent un canau � la mer, & vindrent � noua 8 ou 9 en chantant, & faisans signe de la joye qu'ils avoient de nous voir, puis nous monstrerent que plus bas il y avoit un port, o� nous pourrions mettre nostre barque en seuret�. Ne pouvant mettre pied � terre, la chaloupe s'en revint � la barque, & les Sauvages retourn�rent � terre, apr�s les avoir traict� humainement.

99/755Le lendemain 167 le vent estant favorable, nous continuasmes nostre routte au nort 5 lieues 168, & n'eusmes pas plustost fait ce chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau, estans esloignez une lieue & demie de la coste. Et allans un peu de l'avant, le fonds nous haussa tout � coup � brasse & demie, & deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehension, voyans la mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel nous peussions retourner sur nostre chemin, car le vent y estoit enti�rement contraire.

Note 167: (retour)

Le 3 octobre 1606.

Note 168: (retour)

Voir 1613, p. 99, note 1.

De fa�on qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable, il fallut passer au hazard, selon que l'on pouvoit juger y avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que 4 pieds au plus, & vinsmes parmy ces brisans jusques � quatre pieds & demy. En fin nous fismes tant, avec la gr�ce de Dieu, que nous passasmes par dessus une pointe de sable, qui jette pr�s de trois lieues � la mer, au sud suest, lieu fort dangereux. Doublant ce cap, que nous nommasmes le cap Batturier169, qui est � douze ou treize lieues de Mallebarre, nous mouillasmes l'anchre � deux brasses & demie d'eau, d'autant que nous nous voiyons entourez de toutes parts de brisans & battures, reserv� eu quelques endroits o� la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On envoya la chaloupe pour trouver un achenal, afin d'aller � un lieu que jugions estre celuy que les Sauvages nous avoient 100/756donn� � entendre; & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere, o� nous pourrions estre en seuret�.

Note 169: (retour)

Ce cap Batturier para�t correspondre � la t�te de Sankaty, qui forme la pointe sud-est de l'�le de Nantucket, et qui est en effet � environ douze lieues du port de Mallebarre, ou Nauset.

Nostre chaloupe y estant, nos gens mirent pied � terre, & considererent le lieu, puis revindrent avec un Sauvage qu'ils amen�rent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions entrer, ce qui fut resolu; & aussi tost levasmes l'anchre, & fusmes par la conduite du Sauvage, qui nous pilota, mouiller l'anchre � une rade qui est devant le port � six brasses d'eau, & bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans � cause que la nuict nous surprint.

Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc de sable qui est � l'emboucheure du port; puis la plaine mer venant y entrasmes � 2 brasses d'eau. Comme nous y fusmes, nous louasmes Dieu d'estre en lieu de seuret�. Nostre gouvernail s'estoit rompu, que l'on avoit accommod� avec des cordages, & craignions que parmy ces bases & fortes mar�es il ne rompist derechef, qui eust est� cause de nostre perte.

Dedans ce port170 il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine mer deux; � l'est y a une baye qui refuit au nort environ trois lieues, dans laquelle se voyent une isle & deux autres petits culs de sac, qui d�corent le pays: l� sont beaucoup de terres d�frich�es, & force petits costaux, o� ils font leur labourage de bled & autres grains dont ils vivent. Il y a aussi de tresbelles vignes, quantit� de noyers, chesnes, cypr�s, & peu de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du labourage, & font provision 101/757de bled d'Inde pour l'hyver, lequel ils conservent en la fa�on qui ensuit.

Note 170: (retour)

Le port de Chatham, que l'auteur appelle plus loin port Fortun�.

Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le fable 5 � 6 pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds & autres grains, qu'ils mettent dans de grands sacs d'herbe, qu'ils jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de fable 3 ou 4 pieds par dessus le superfice de la terre, pour en prendre � leur besoin, & se conserve aussi bien qu'il s�auroit faire en nos greniers.

Nous veismes en ce lieu cinq � six cents Sauvages, qui estoient tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une petite peau de faon, ou de loup marin. Les femmes aussi couvrent la leur avec des peaux, ou des fueillages, & ont les cheveux tant l'un que l'autre bien peignez, & entrelacez en plusieurs fa�ons, � la mani�re de ceux de Cho�acoet, & sont bien proportionnez de leurs corps, ayans le teint olivastre. Ils se parent de plumes, de patenostres de porceline, & autres jolivetez, qu'ils accommodent fort proprement en fa�on de broderie. Ils ont pour armes des arcs, flesches, & massues: & ne sont pas si grands chasseurs comme bons pescheurs & laboureurs.

Pour ce qui est de leur police, gouvernement, & Leur croyance, je n'en ay peu que juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre que nos Sauvages Souriquois & Canadiens, lesquels n'adorent ny le Soleil, ny la Lune, ny aucune chose, & ne prient non plus que les bestes. Bien ont-ils parmy eux quelques gens qu'ils disent avoir intelligence avec le diable, � qui ils ont grande croyance, lesquels leur disent tout ce 102/758qui leur doit advenir, encores qu'ils mentent le plus souvent: c'est pourquoy ils les tiennent comme Proph�tes, bien qu'ils les enjaulent comme les Egyptiens & Boh�miens font les bonnes gens de village. Ils ont des chefs � qui ils obeissent en ce qui est de la guerre, mais non autrement, lesquels travaillent, & ne tiennent non plus de rang que leurs compagnons.

Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond, couverts de natte, ou fueille de bled d'Inde, garnis seulement d'un lict ou deux, eslevez un pied de terre, faits avec quantit� de petits bois qui sont pressez les uns contre les autres, dessus lesquels ils dressent un estaire � la fa�on d'Espagne (qui est une mani�re de natte espoisse de deux ou trois doigts) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre de pulces en est�, mesme parmy les champs. En nous allans pourmener nous en fusmes remplis en telle quantit�, que nous fusmes contraints de changer d'habits.

Tous les ports, bayes & costes depuis Cho�acoet sont remplis de toutes sortes de poisson, semblable � celuy qui est aux costes d'Acadie, & en telle abondance, que je puis asseurer qu'il n'estoit jour ne nuict que nous ne veissions & entendissions passer aux costez de nostre barque plus de mille marsouins, qui chassoient le menu poisson. Il y a aussi quantit� de plusieurs especes de coquillages, & principalement d'huistres. La chasse des oiseaux y est fort abondante.

C'est un lieu fort propre pour y bastir, & jetter les 103/759fondemens d'une R�publique, si le port estoit un peu plus profond, & l'entr�e plus seure qu'elle n'est. Il fut nomm� le port Fortun�, pour quelque accident qui y arriva171. Il est par la hauteur de 41 & un tiers de latitude, � 13 lieues de Mallebarre. Nous visitasmes tout le pays circonvoisin, lequel est fort beau, comme j'ay dit cy-dessus, o� nous veismes quantit� de maisonnettes �a & l�.

Note 171: (retour)

Voir 1613, p. 105, 106, 107.

Partans du port Fortun�, ayans fait six ou sept lieues, nous eusmes cognoissance d'une isle, que nous nommasmes la Soup�onneuse 172, pour avoir eu plusieurs fois croyance de loing que ce fust autre chose qu'une isle. Rangeant la coste au surouest pr�s de douze lieues, passasmes proche d'une riviere qui est fort petite, & de difficile abord, � cause des bases & rochers qui sont � l'entr�e, que j'ay nomm�e de mon nom. Ce que nous veismes de ces costes sont terres basses & sablonneuses, qui ne laissent d'estre belles & bonnes, toutesfois de difficile abord, n'ayans aucunes retraites, les lieux fort batturiers, & peu d'eau � pr�s de deux lieues de terre. Le plus que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses sept � huict brasses, encores cela ne duroit que la longueur du c�ble, aussi tost l'on revenoit � deux ou trois brasses, & ne s'y fie qui voudra qu'il ne l'aye bien recognue la sonde � la main.

Note 172: (retour)

Probablement Martha's Vineyard.

Voila toutes les costes que nous descouvrismes tant � l'Acadie, que �s Etechemins & Almouchiquois173, desquelles je fis la carte fort exactement de 104/760ce que je veis, que je fis graver en l'an 1604.174 qui depuis a est� mite en lumi�re aux discours de mes premiers voyages.

Note 173: (retour)

Depuis 1604, jusqu'� l'automne de 1606.

Note 174: (retour)

Champlain ne put faire graver, en 1604, que la carte du voyage d'exploration qu'il fit dans le Saint-Laurent, en 1603, avec Pont-Grav�. Cette premi�re carte est encore � retrouver.



Descouverture depuis le Cap de la H�ve jusques � Canseau, fort particuli�rement.

CHAPITRE VIII.

Partant du cap de la H�ve jusques � Sesambre175, qui est une isle ainsi appell�e par quelques Mallouins, distante de la H�ve de 15 lieues, se trouvent en ce chemin quantit� d'isles, qu'avons nomm�es les Martyres, pour y avoir eu des Fran�ois autrefois tuez par les Sauvages. Ces isles sont en plusieurs culs de sac & bayes, en l'une desquelles y a une riviere appell�e Saincte Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues, qui est par la hauteur de 44 degrez, & 25 minutes de latitude. Les isles & costes sont remplies de quantit� de pins, sapins, bouleaux, & autres meschans bois. La pesche du poisson y est abondante, comme aussi la chasse des oiseaux.

Note 175: (retour)

Aujourd'hui Sambro.

De Sesambre passasmes une baye fort saine 176 contenant 7 � 8 lieues, o� il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au fonds, qui est � l'entr�e d'une petite riviere de peu d'eau, & fusmes � un port distant de Sesambre de 8 lieues, mettant le cap au 105/761nordest quart d'est, qui est assez bon pour des vaisseaux du port de cent � six vingts tonneaux. En son entr�e y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller � la grande terre. Nous avons nomm� ce lieu le port Saincte Heleine177, qui est parla hauteur de 44 degrez 40 minutes peu plus ou moins de latitude.

Note 176: (retour)

La baie de Chibouctou, aujourd'hui le havre d'Halifax.

Note 177: (retour)

Probablement ce qu'on appelle aujourd'hui le havre de Jeddore,

De ce lieu fusmes � une baye appell�e la baye de toutes isles 178, qui peut contenir 14 � 15 lieues: lieux qui sont dangereux � cause des bancs, bases, & battures qu'il y a. Le pays est tres-mauvais � voir, remply de mesmes bois que j'ay dit cy-dessus.

Note 178: (retour)

Voir 1613, p. 128, note 2.

De l� passasmes proche d'une riviere qui en est distante de six lieues, qui s'appelle la riviere de l'isle verte 179, pour y en avoir une en son entr�e. Ce peu de chemin que nous fismes est remply de quantit� de rochers qui jettent pr�s d'une lieue � la mer, o� elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez un quart de latitude.

Note 179: (retour)

La rivi�re Sainte-Marie. (Voir 1613, p. 128, note 3.)

De l� fusmes � un lieu o� il y a un cul de sac 180 & deux ou trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte trois lieues. Nous passasmes aussi par plusieurs isles qui sont rang�es les unes proches des autres, & les nommasmes les isles rang�es, distantes de l'isle verte de 6 � 7 lieues. En apr�s passasmes par une autre baye 181 o� il y a plusieurs isles, & fusmes jusques � un lieu o� trouvasmes un vaisseau qui faisoit pesche de poisson entre des isles qui sont un peu esloign�es de la terre, distantes des isles rang�es 4 106/762lieues, & appellasmes ce lieu le port de Savalette182, qui estoit le maistre du vaisseau qui faisoit pesche, qui estoit Basque.

Note 180: (retour)

Aujourd'hui Country Harbour.

Note 181: (retour)

Aujourd'hui Torbay.

Note 182: (retour)

Probablement White Haven. (Voir 1613, p. 129, note 3.)

Partant de ce lieu arrivasmes � Canseau183 le 27 du mois, distant du port de Savalette six lieues, o� passasmes par quantit� d'isles jusques audit Canseau, ausquelles y a telle abondance de framboises, qu'il ne se peut dire plus.

Note 183: (retour)

Voir 1613, p. 130, note I.

Toutes les costes que nous rangeasmes depuis le cap de Sable jusques en ce lieu, sont terres m�diocrement hautes, & costes de rochers, en la plus-part des endroits bord�es de nombre d'isles & brisans qui jettent � la mer par endroits pr�s de deux lieues, qui sont fort mauvais pour l'abord des vaisseaux: neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & rades le long des costes & isles. Pour ce qui est de la terre, elle est plus mauvaise, & mal agr�able qu'en autres lieux qu'eussions veus, except� en quelques rivieres ou ruisseaux, o� le pays est assez plaisant: & ne faut douter qu'en ces lieux l'hyver n'y soit froid, durant pr�s de six mois184.

Note 184: (retour)

L'�dition de 1640 porte �pr�s de six � sept mois,� comme l'�dition de 1613.

Ce port de Canseau est un lieu entre des isles, qui est de fort mauvais abord, si ce n'est de beau temps, pour les rochers & brisans qui sont autour. Il s'y fait pesche de poisson verd & sec.

De ce lieu jusques � l'isle du cap Breton, qui est par la hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude 185, & 14. degrez 50. minutes de declinaison de 107/763l'Aymant y a huict lieues, & jusques au cap Breton 25 o� entre les deux y a une grande baye186 qui entre environ 9 ou 10 lieues dans les terres, & fait partage entre l'isle du cap Breton, & la grand'terre qui va rendre en la grande baye Sainct Laurent, par o� on va � Gasp� & isle Perc�e, o� se fait pesche de poisson. Ce passage de l'isle du cap Breton est fort estroit. Les grands vaisseaux n'y passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, � cause des grands courans & transports de mar�es qui y sont, & avons nomm� ce lieu le passage courant187, qui est par la hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude.

Note 185: (retour)

La latitude du cap Breton est d'environ 45� 57', et la variation de l'aiguille y est aujourd'hui de pr�s de 24� de d�clinaison occidentale.

Note 186: (retour)

La baie de Ch�dabouctou.

Note 187: (retour)

Aujourd'hui le d�troit de Canseau.

Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a 80 lieues de circuit, & est la plus-part terre montagneuse, toutesfois en quelques endroits agr�able. Au milieu d'icelle y a une mani�re de lac 188, o� la mer entre par le cost� du nort quart du nordest, & du sud quart du suest189, & y a quantit� d'isles remplies de grand nombre de gibbier, & coquillages de plusieurs sortes, entre autres des huistres qui ne sont de grande saveur. En ce lieu y a plusieurs ports & endroits o� l'on fait pesche de poisson, s�avoir le port aux Anglois190, distant du cap Breton environ deux � trois lieues: & l'autre, Niganis, 18 ou 20 lieues plus au nort. Les Portugais autrefois voulurent habiter ceste isle, & y passerent un hyver: mais la rigueur du temps & les froidures leur firent abandonner leur habitation. Toutes ces choses veues, je 108/764repassay en France, apr�s avoir demeur� quatre ans tant � l'habitation de Saincte Croix, qu'au port Royal 191.

Note 188: (retour)

Le Bras-d'or, ou Labrador.

Note 189: (retour)

Voir 1613, p. 132, note 2.

Note 190: (retour)

Appel� depuis Louisbourg.

Note 191: (retour)

Champlain partit de Canseau le 3 septembre 1607; il avait quitt� le Havre au commencement d'avril 1604: il y avait donc trois ans et cinq mois qu'il, �tait � l'Acadie.


Fin du second Livre.



109/765

LES VOYAGES

DU SIEUR DE

CHAMPLAIN.

LIVRE TROISIESME.


Voyages du sieur de Poitrincourt en la nouvelle France, o� il laisse son fils le Sieur de Biencourt. P�res Jesuites qui y sont envoyez & les progr�s qu'ils y firent, y faisans fleurir la Foy Chrestienne.

CHAPITRE PREMIER.

e sieur de Poitrincourt p�re ayant obtenu un don du Sieur de Mons, en vertu de sa commission, de quelques terres adjacentes au port Royal, qu'il avoit abandonn�es, l'habitation demeurant en son entier, ledit Sieur de Poitrincourt fait tout devoir de l'habiter, & y laisse son fils Sieur de Biencourt, lequel pendant qu'il excogite les moyens de s'y pouvoir establir, les Rochelois & les Basques l'assistent en la plus grande partie des embarquemens, souz esperance d'avoir les pelleteries par leur moyen: mais son dessein ne luy r�ussit pas comme il desiroit. Car Madame de Guercheville tr�s-charitable, s'entremet en ceste affaire 110/766en faveur & consideration des P�res Jesuites. En voicy le discours.

Ledit sieur Jean de Poitrincourt, avant que le sieur de Mons partist de la nouvelle France, luy demanda en don le Port Royal, qu'il luy accorda, � condition que dans deux ans en suitte ledit sieur de Poitrincourt s'y transporteroit avec plusieurs autres familles, pour cultiver & habiter le pays; ce qu'il promit faire, & en l'an 1607, le feu Roy Henry le Grand luy ratifia & confirma ce don, & dit au feu Reverend P�re Coton qu'il vouloit se servir de leur Compagnie en la conversion des Sauvages, promettant deux mille livres pour leur entretien. Le P�re Coton ob��t au commandement de sa Majest�; & entre autres de leurs Peres se presenta le Pere Biard, pour estre employ� en un si sainct voyage: & l'an 1608, il fut envoy� � Bordeaux, o� il demeura long temps sans entendre aucunes nouvelles de l'embarquement pour Canada.

L'an 1609. le sieur de Poitrincourt arriva � Paris: le Roy en estant adverty, & ayant sceu que contre l'opinion de sa Majest� il n'avoit boug� de France, se fascha fort contre luy. Mais pour contenter sadite Majest�, il s'�quipe pour faire le voyage. Sur cette resolution le P�re Coton offre luy donner des Religieux: sur quoy ledit sieur de Poitrincourt luy dit qu'il seroit meilleur d'attendre jusques en l'an suivant, promettant qu'aussi tost qu'il seroit arriv� au port Royal, il renvoyeroit son fils, avec lequel les PP. Jesuites viendroient.

111/767De faict l'an 1610, ledit sieur de Poitrincourt s'embarqua sur la fin de Fevrier, & arriva au port Royal au mois de Juin suivant, o� ayant assembl� le plus de Sauvages qu'il peut, il en fit baptiser environ 25 le jour de sainct Jean Baptiste, par un Prestre appelle Messire Josu� Fleche, surnomm� le Patriarche.

Peu de temps apr�s il renvoya en France le sieur de Biencourt son fils, aag� d'environ 19 ans, pour apporter les bonnes nouvelles du baptesme des Sauvages 192, & faire en sorte qu'il fust en brief secouru de vivres, dont il estoit mal pourveu, pour y passer l'hyver.

Note 192: (retour)

Lescarbot nous a conserv� les noms de vingt-et-un sauvages baptis�s � Port Royal par un pr�tre du dioc�se de Langres, nomm� Jess� Fl�ch�. (Hist. de la Nouv. France, liv. V, ch. VIII.)

Le Reverend P�re Christoffe Balthazar, Provincial, commit pour aller avec le sieur de Biencourt, les Peres Pierre Biart, & Remond Masse193; le Roy Louys le Juste leur ayant fait delivrer cinq cents escus promis par le feu Roy son p�re, & plusieurs riches ornemens donnez par les Dames de Guercheville & de Sourdis. Estans arrivez � Dieppe, il y eut quelque contestation entre les P�res Jesuites, & des marchands194, ce qui fut cause que lesdits P�res se retir�rent en leur Coll�ge d'Eu.

Note 193: (retour)

Enemond Mass�. (Voir Hist. de la Colonie fran�aise en Canada, t. I, note de la p. 101.)

Note 194: (retour)

Ces marchands �taient Duchesne et Dujardin, tous deux de la religion pr�tendue reform�e. (Relat. du P. Biart, ch. XII.—Lescarbot, liv. V, ch. X.—Asseline, ms. de Dieppe.)

Ce qu'ayant sceu Madame de Guercheville, fut fort indign�e de ce que de petits marchands avoient est� se outrecuidez d'avoir offens�, & travers� ces Peres, dit qu'ils devoient estre punis, mais tout leur 112/768chastiement fut qu'ils ne furent receus � l'embarquement. Et ayant sceu que l'�quipage ne se monsteroit qu'� quatre mil livres, elle fit une queste en la Cour, & par cet office charitable elle recueillit ladite somme dont elle paya les marchands qui avoient troubl� lesdits P�res, & les fit casser de toute association: & du reste de ceste somme, & d'autres grands biens, fit un fonds pour l'entretien desdits Peres, ne voulant qu'ils fussent � charge au sieur de Poitrincourt, & faire en sorte que le profit qui reviendroit des pelleteries & des pesches que le navire remporteroit, ne reviendroit point au profit des associez, & autres marchands, mais retourneroit en Canada, en la possession des Sieurs Robin & de Biencourt, qui l'employeroient � l'entretien du port Royal & des Fran�ois qui y resident.

A ce subject fut conclu & arrest� que cet argent de Madame de Guercheville, ayant est� destin� pour le profit de Canada, les Jesuites auroient part aux �moluments de l'association desdits sieurs Robin & de Biencourt, & y participeroient avec eux. C'est ce contract d'association qui a fait tant semer de bruits, de plaintes, & de crieries contre les P�res Jesuites, qui en cela, & en toute autre chose se sont equitablement gouvernez selon Dieu & raison, � la honte & confusion de leurs envieux & mesdisans.

Le 26. Janvier 1611, les mesmes Peres s'embarquerent avec ledit sieur de Biencourt, lequel ils assisterent d'argent pour mettre le vaisseau hors, & soulager les grandes necessitez qu'ils avoient eues en ceste navigation; d'autant que costoyans les 113/769costes ils s'arreterent & sejournerent en plusieurs endroits avant qu'arriver au port Royal, qui fut le 12 juin195 1611, le jour de la Pentecoste; & pendant ce voyage lesdits Peres eurent grande disette de vivres, & d'autres choses, ainse que rapport�rent les pilotes David de Bruges, & le Capitaine Jean Daune, tous deux de la religion pr�tendue reform�e, confessans qu'ils avoient trouv� ces bons Peres tout autres que l'on les leur avoit d�peint.

Note 195: (retour)

Le 22 mai, comme le prouvent abondamment les d�tails renferm�s dans les lettres du P. Biard. C'est ce jour-l�, au reste, que tombait la Pentec�te en 1611.

Le sieur de Poitrincourt desirant retourner en France, pour mieux donner ordre � ses affaires, laissa son fils le sieur de Biencourt, & les P�res Jesuites aupr�s luy, qui faisoient tous ensemble environ 20196 personnes. Il partit la my-Juillet de la mesme ann�e 1611 & arriva en France sur la fin du mois d'Aoust.

Note 196: (retour)

�Vingt & deux personnes, en comptant les deux Jesuites,� dit la Relat. du P. Biard ch. XXV.

Pendant l'hyvernement ledict sieur de Biencourt fit encores quelques fascheries aux gens du fils dudit Pontgrav�, appelle Robert Grav�197, qu'il traitta assez mal: mais en fin par le travail des P�res Jesuites, le tout fut appais�, & demeur�rent bons amis.

Note 197: (retour)

�Le jeune du Pont avoit l'ann�e prochainement pass�e, est� faist prisonnier par le sieur de Poitrincourt, d'o� s'estant �vad� subtilement, il avoit est� contrainct courir les bois en grande misere... Le P. Biard supplia le sieur de Poitrincourt d'avoir esgard aux grands merites du sieur du Pont le p�re, & aux belles esperances qu'il y avoit du fils... Il amena ledit du Pont au sieur de Poitrincourt, & paix & reconciliation faicte on tira le canon.� (Relat. du P. Biard, ch. XIV.) �Reconciliatus quoque magni quidam juvenis & animi & spei. Is, quod sibi a D. Potrincurtio timeret, annum jam unum cum silvicolis eorum more atq vestitu pererrabat, & suspicio erat pejoris quoq rei. Obtulit eum mihi Deus: colloquor deniq post multa juvenis sese credit. Deduco eum ad Potrincurtium. Non poenituit fidei datae: pax facta est maximo omnium gaudio, & juvenis postridie, antequam ad sacram Eucharistiam accederet, suapte ipse sponte a circumstantibus mali exempli veniam petiit.� (Lettre du P. Biard, 1612, Archives du Gesu.)

Le sieur de Poitrincourt cherchant en France tous moyens d'aller secourir son fils. Madame de 114/770Guercheville, pieuse, vertueuse, & fort affectionn�e � la conversion des Sauvages, ayant desja recueilly quelques charitez, en communiqua avec luy, & dit que tr�s-volontiers elle entreroit en la compagnie, & qu'elle envoyeroit avec luy des Peres Jesuites, pour le secours de Canada.

Le contract d'association fut pass�, lad. Dame authoris�e de Monsieur de Liencour198, premier Escuyer du Roy, & Gouverneur de Paris, son mary. Par ce contract fut arrest�, Que presentement elle donneroit mil escus pour la cargaison d'un vaisseau, moyennant quoy elle entreroit au partage des profits que ce navire rapporteroit, & des terres que le Roy avoit donn�es au sieur de Poitrincourt, ainsi qu'il est port� en la minute de ce contract. Lequel sieur de Poitrincourt se reservoit le port Royal, & ses terres; n'entendant point qu'elles entrassent en la communaut� des autres Seigneuries, Caps, Havres, & Provinces qu'il dit avoir audit pays contre le port Royal. Ladite Dame luy demanda qu'il eust � faire paroistre tiltres par lesquels ces Seigneuries & terres luy appartenoient, & comme il possedoit tant de domaine. Mais il s'en excusa, disant que ses filtres & papiers estoient demeurez en la nouvelle France.

Note 198: (retour)

Dans d'autres exemplaires cette phrase se lit ainsi: �Le contract d'association fut pass� avec lad. Dame, authoris�e de Mr. de Liencourt...�

Ce qu'entendant ladite Dame, se mesfiant de ce que disoit le sieur de Poitrincourt, & voulant se garder d'estre surprise, elle traicta avec le sieur de Mons, � ce qu'il luy retrocedast tous les droicts, actions, & pr�tentions qu'il avoit, ou jamais eu en la 115/771nouvelle France, � cause de la donation � luy faite par feu Henry le Grand. La Dame de Guercheville obtient lettres de sa Majest� � present r�gnant, par lesquelles donation luy est faite de nouveau 199 de toutes les terres de la nouvelle France, depuis la grande riviere, jusques � la Floride, horsmis seulement le port Royal, qui estoit ce que ledit sieur de Poitrincourt avoit presentement200, & non autre chose.

Note 199: (retour)

L'�dition de 1640 porte: �donation nouvelle luy est faite de toutes...�

Note 200: (retour)

L'�dition de 1640 porte: �premi�rement.�

Ladite Dame donna l'argent aux P�res Jesuites pour le mettre entre les mains de quelque marchand � Dieppe: mais ledit sieur de Poitrincourt fit tant avec les mesmes Peres, que de ces mille escus il en tira quatre cents.

Il commit � cet embarquement un sien serviteur appell� Simon Imbert Sandrier, qui s'acquitta assez mal de l'administration de ce navire �quip� & fr�t�. Il partit de Dieppe le 31 de D�cembre au fort de l'hyver, & arriva au port Royal le 23 de Janvier l'an suivant 1612.

Le sieur de Biencourt fort aise d'une part de voir ce nouveau secours arriv�, & d'autre fasch� de voir Madame de Guercheville hors de ceste compagnie, suivant ce que ledit Imbert luy avoit dit, & des plaintes que luy firent les P�res Jesuites du mauvais mesnage fait en tel embarquement par cet Imbert, qui � tort & sans cause accusoit les Peres, lesquels neantmoins le contraignirent de confesser qu'il estoit gaillard quand il parla audit sieur de Biencourt.

En fin toutes ces choses estans appais�es & pardonn�es, le Pere Masse estant avec les Sauvages 116/772pour apprendre leur langue, il devint malade en un lieu, o� il eut grande disette, car tout estoit en d�sordre en ceste demeure. Le P�re Biart demeura au port Royal, o� il souffrit plusieurs fatigues, & de grandes necessitez quelques jours durant, � amasser du gland, & chercher des racines pour son vivre. Pendant ce temps on dressoit en France un equipage pour retirer les jesuites du port Royal, & fonder une nouvelle demeure en un autre endroit. Le chef de cet �quipage estoit la Saussaye, ayant avec luy trente personnes qui y devoient hyverner, y compris deux jesuites & leur serviteur, qui se prendroient au port Royal. Il avoit desja avec luy deux autres Peres Jesuites, s�avoir le P�re Quentin 201, & le P�re Gilbert du Thet 202, mais ils devoient revenir en France avec l'�quipage des matelots, qui estoient 38.203 La Royne avoit contribu� � la despense des armes, des poudres, & de quelques munitions. Le vaisseau estoit de cent tonneaux, qui partit de Honnefleur le 12 Mars l'an 1613, & arriva � la H�ve � l'Acadie le 16 de May, o� ils mirent pour marque de leur possession les armes de Madame de Guercheville. Ils vindrent au port Royal, o� ils ne trouverent que 5 personnes, deux Peres Jesuites, H�bert 204 Apoticaire (qui tenoit la place du Sieur de Biencourt, pendant qu'il estoit all� bien loin chercher dequoy vivre) & deux autres personnes. Ce fut 117/773� luy qu'on presenta les lettres de la Royne, pour relascher les P�res, & leur permettre aller o� bon leur sembleroit; ce qu'il fit: & ces Peres retir�rent leurs commoditez du pays, & laisserent quelques vivres audit H�bert, afin qu'il n'en eust necessit�.

Note 201: (retour)

Jacques Quentin. �On a quelquefois confondu ce P. Jacques Quentin avec Claude Quentin, que nous trouvons port� sur le Catalogue de 1625 comme �tudiant en th�ologie � la Fl�che.�.(Premi�re mission des J�suites en Canada, par le P. Carayon, note de la p. 109.)

Note 202: (retour)

Gilbert du Thet n'�tait que Fr�re.

Note 203: (retour)

Le P. Biard dit 48. (Relat, ch. XXIII.)

Note 204: (retour)

Louis H�bert, qui plus tard vint s'�tablir � Qu�bec.

Ils sortirent de ce lieu, & furent habiter les monts deserts � l'entr�e de la riviere de Pemetegoet. Le pilote arriva au cost� de l'est de l'isle des monts deserts, o� les Peres log�rent, & rendirent gr�ces � Dieu, eslevans une croix, & firent le sainct sacrifice de la Messe: & fut ce lieu nomm� Sainct Sauveur, � 44 degrez & un tiers de latitude.

L� � peine commen�oient-ils � s'accommoder, & deserter le lieu, que l'Anglois survint, qui leur donna bien d'autre besongne.

Depuis que ces Anglois se sont establis aux Virgines, afin de se pourveoir de molu�s, ont accoustum� de venir faire leur pesche � seize lieues de l'isle des monts deserts: & ainsi y arrivans l'an 1613, estans surpris des bruines & jettez � la coste des Sauvages de Pemetegoet, estimans qu'ils estoient Fran�ois, leur dirent qu'il y en avoit � Sainct Sauveur. Les Anglois estans en necessit� de vivres, & tous leurs hommes en pauvre estat, deschirez, & � demy nuds, s'informent diligemment des forces des Fran�ois: & ayans eu response conforme � leur desir, ils vont droit � eux, & se mettent en estat de les combattre. Les Fran�ois voyans venir un seul navire � pleines voiles, sans s�avoir que dix autres approchoient, recogneurent que c'estoient Anglois. Aussi tost le sieur de la Motte le Vilin, Lieutenant de la Saussaye, & quelques autres, accourent au bord pour 118/774le d�fendre. La Saussaye demeure � terre avec la plus-part de ses hommes: mais en fin l'Anglois estant plus fort que les Fran�ois, apr�s quelque combat prirent les nostres. Les Anglois estoient en nombre de 60 soldats, & avoient 14 pi�ces de canon. En ce combat Gilbert du Thet fut tu�205 d'un coup de mousquet, quelques autres blessez, & le reste furent pris, except� Lamets, & quatre autres qui se sauverent206. Par apr�s il entrent au vaisseau des Fran�ois, s'en saisissent, pillent ce qu'ils y trouvent, desrobent la Commission du Roy que la Saussaye avoit en son coffre. Le Capitaine qui commandoit en ce vaisseau s'appelloit Samuel Argal.

Note 205: (retour)

Il re�ut un coup de mousquet au travers du corps, et mourut de sa blessure le lendemain. Outre ce Fr�re, deux autres fran�ais furent tu�s, et quatre bless�s, du nombre desquels �tait le capitaine Flory. �Or le P. Biard ayant sceu la blessure du P. Gilbert du Thet, fit demander au Capitaine que les blessez fussent portez � terre, ce qui fut accord�, & par ainsi le dit Gilbert eut le moyen de se confesser, & de louer & b�nir Dieu juste & misericordieux en la compagnie de ses fr�res, mourant entre leurs mains; ce qu'il fit avec grande constance, resignation & devotion vingt-quatre heures apr�s sa blessure. Il eut son souhait, car au d�part de Honfleur, en presence de tout l'�quipage, il avoit hauss� les mains & les yeux vers le ciel, priant Dieu qu'il ne revinst plus en France, mais qu'il mourust travaillant � la conqueste des �mes & au salut des Sauvages. Il fut enterr� le mesme jour au pied d'une grande croix que nous avions dress�e du commencement.� (Relat. du P. Biard.)

Note 206: (retour)

�Le Capitaine anglois avoit une espine au pied qui le tourmentoit: c'estoit le pilote & les matelots qui estoient evadez, & desquels il ne pouvoit s�avoir nouvelles. Ce pilote appell� le Bailleur, de la ville de Rouen, s'en estant all� pour recognoistre, ainsi qu'il vous a est� dit, ne put point retourner � temps au navire pour le deffendre, & partant il retira sa chaloupe � l'escart, & la nuict venue, prit encore avec luy les autres matelots, & se mit en suret� hors la veue & le pouvoir des Anglois,� (Ibid.)

Les ennemis mettent pied � terre, cherchent la Saussaye, qui s'estoit retir� dans les bois. Le lendemain vint trouver l'Anglois, qui luy fit bonne r�ception: & luy demandant sa Commission, il va � son coffre pour la prendre, croyant qu'on ne l'auroit point ouvert. Il y trouve toutes ses bardes & commoditez, horsmis la Commission, dont il demeura fort estonn�. Et alors l'Anglois faisant le 119/775fasch�, luy dit: Quoy? vous nous donnez � entendre que vous avez Commission du Roy vostre Maistre, & ne la pouvez produire? vous estes donc des forbans & pirates, qui meritez la mort. D�s lors les Anglois partirent le butin entr'eux.

Les P�res Jesuites voyans le p�ril auquel les Fran�ois estoient r�duits, font en sorte avec Argal, qu'ils appaiserent les Anglois, & par des raisons puissantes que luy donna le P�re Biart, il prouve que tous leurs hommes estoient gens de bien, & recommandez par sa Majest� Tres-chrestienne. L'Anglois fit mine de s'accorder, & croire aux raisons des Peres, & dirent au sieur de la Saussaye: Il y a bien de vostre faute de laisser ainsi perdre vos lettres. Et par apr�s firent disner lesdits Peres � leur table.

Il fut parl� de renvoyer les Fran�ois en France, mais on ne leur vouloit donner qu'une chaloupe � 30 qu'ils estoient, pour aller trouver passage le long des costes. Les P�res leur remonstrerent qu'il estoit impossible qu'une chaloupe peust suffire � les conduire sans p�ril. Et alors Argal dit: J'ay trouv� un autre exp�dient pour les conduire aux Virgines. Les artisans, souz promesse qu'on ne les forceroit point au faict de leur religion, & qu'apr�s un an de service on les feroit repasser en France, trois accept�rent cet offre: aussi le sieur de la Motte avoit d�s le commencement consenty de s'en aller � la Virgine, avec ce Capitaine Anglois, lequel l'honoroit pour l'avoir trouv� faisant son devoir; & luy permit d'amener quelques uns des siens avec luy, & le P�re Biart: que quatre qu'ils estoient, s�avoir deux Peres, & deux autres, fussent conduits aux isles o� les Anglois 120/776faisoient la pesche des molu�s, & qu'il leur mandast que par leur moyen il peust passer en France: ce que le Capitaine Anglois luy accorda tr�s-volontiers.

De cette fa�on la chaloupe se trouva capable de porter les hommes divisez en trois bandes. Quinze estoient avec le pilote qui s'estoit eschap�: quinze avec l'Anglois, & quinze en la chaloupe accord�e, o� estoit le Pere Masse, & fut delivr�e entre les mains de la Saussaye, & du mesme Pere Masse, avec quelques vivres, mais il n'y avoit aucuns mariniers, & de bonne fortune le pilote la rencontra, qui fut un grand bien pour eux, & furent jusques � Sesembre, par del� la H�ve, o� estoit le vaisseau de Robert Grav�, & un autre. Ils diviserent les Fran�ois en deux bandes, pour les repasser en France, & arriverent � Sainct Malo, sans avoir couru aucun peril par les tempestes.

Le Capitaine Argal mena les quinze Fran�ois & les P�res Jesuites aux Virgines, o� estans, le chef d'icelle appell� le Mareschal, commandant au pays, mena�oit de faire mourir les Peres, & tous les Fran�ois: mais Argal se banda contre luy, disant qu'il leur avoit donn� sa parole.. Et se voyant trop foible pour les soustenir & d�fendre, se resolut de monstrer les Commissions qu'il avoit d�rob�s; & le Mareschal les voyant s'apaisa, & promit que la parole qu'on leur avoit donn�e leur seroit tenue.

Ce Mareschal fait assembler son conseil, & se resoult d'aller � la coste d'Acadie, & y razer toutes les demeures & forteresses jusques au 46e degr�e, pretendant que tout ce pays luy appartenoit.

121/777Sur ceste resolution du Mareschal, Argal reprend la routte avec trois vaisseaux, divise les Fran�ois en iceux, & retournent � Sainct Sauveur; ou croyans y trouver la Saussaye, & un navire nouvellement arriv�, ils sceurent qu'il estoit retourn� en France. Ils y plant�rent une croix, au lieu de celle que les Peres y avoient plant�e, qu'ils rompirent, & sur la leur ils escrivirent le nom du Roy de la grand'Bretagne, pour lequel ils prenoient possession de ce lieu.

De l� il fut � la Saincte Croix, qu'il brusla, osta toutes les marques qui y estoient, & print un morceau du sel qu'il y trouva.

Par apr�s il fut au port Royal, conduit d'un Sauvage qu'il print par force, les Fran�ois ne le voulant enseigner, met pied � terre, entre dedans, visite la demeure, & n'y trouvant personne, prend ce qui y estoit de butin, la fit brusler, & en deux heures le tout fut r�duit en cendres, & osta toutes les marques que les Fran�ois y avoient mises: de sorte que ceux qui y estoient furent contraints d'abandonner ceste demeure, & s'en aller avec les Sauvages.

un Fran�ois meschant & desnatur�, qui estoit avec ceux qui s'estoient sauvez dans les bois, approchant du bord de l'eau, cria tout haut, & demanda � parlementer, ce qui luy fut accord�, & lors il dit: Je m'estonne qu'y ayant avec vous un Jesuite Espagnol, appell�, le Pere Biart, vous ne le faites mourir comme un meschant homme, qui vous fera du mal s'il peut, si le laissez faire. Est-il possible que la nation Fran�oise produise de tels monstres d'hommes detestables, 122/778semeurs de faussetez calomnieuses, pour faire perdre la vie � ces bons Peres?

Les Anglois partent du port Royal le 9 Novembre 1613 pour retourner aux Virgines. En ce voyage la contrari�t� des vents & des tempestes fut telle, que les trois vaisseaux se separerent. La barque o� estoient six Anglois ne s'est peu recouvrer du depuis, & le vaisseau du Capitaine Argal abordant les Virgines, qui fit entendre au Mareschal ce qu'estoit le P�re Biart, qu'il tenoit pour Espagnol, & qui l'attendoit pour le faire mourir. Il estoit alors au troisiesme vaisseau, o� commandoit un Capitaine nomme Turnel, ennemy mortel des Jesuites; & ce vaisseau fut tellement battu du vent de surouest, que mettant � contre-bord, il fut contraint de relascher aux Sores207, � 500 lieues des Virgines, o� l'on tua tous les chevaux qui avoient est� pris au port Royal, qu'ils mang�rent au defaut d'autres vivres. En fin ils arriverent � une isle des Sores, & alors il dit au Pere: Dieu est courrouc�, contre nous, & nous contre vous208, pour le mal que nous vous avons fait souffrir injustement. Mais je m'estonne comme des Fran�ois estans dans les bois, au milieu de tant de miseres & apprehensions, ayant fait courir le bruit que vous estes Espagnol: & l'ont non seulement dit & asseur�, mais l'ont signe? Monsieur (dit le P�re) vous s�avez que pour toutes les calomnies & mesdisances, je n'ay jamais mal parl� de ceux qui m'accusoient, vous estes tesmoin de la patience que j'ay eue contre tant d'adversitez, mais Dieu cognoist la v�rit�. Non seulement 123/779je n'ay jamais est� en Espagne, ny aucun de mes parents, mais je suis bon fid�le Fran�ois pour le service de Dieu, & de mon Roy, & feray tousjours paroistre au p�ril de ma vie que c'est � tort que l'on m'a calomni�, & que l'on m'appelle Espagnol. Dieu leur pardonne, & qu'il luy plaise nous delivrer d'entre leurs mains, & vous particuli�rement, pour nostre bien, & oublions le pass�.

Note 207: (retour)

L'�dition de 1640 porte: �Esores.�

Note 208: (retour)

Et non contre vous. (Voir Relat. du P. Biard.)

De l� ils vont mouiller l'anchre � la rade de l'isle du Fal209, qui est une des Sores, & furent contraints d'anchrer en ce port, & cacher les Peres en quelque endroit au fonds du vaisseau, & tir�rent parole d'eux qu'ils ne se descouvriroient point, ce qu'ils firent.

Note 209: (retour)

L'�dition de 1640 porte: �Fayal, qui est une des Esores.�

La visite du vaisseau fut faite par les Portugais, qui descendirent au bas o� les Peres estoient, & qui les voyoient sans faire aucun signe, & neantmoins s'ils se fussent donnez � cognoistre aux Portugais, ils eussent est� aussi tost delivrez, & tous les Anglois pendus: mais ces visiteurs pour ne chercher exactement, ne veirent point les Peres Jesuites, & s'en retourn�rent � terre, & ainsi les Anglois furent delivrez du hazard qu'ils couroient d'estre pendus, all�rent qu�rir tout ce qui leur estoit necessaire, puis levans l'anchre, mettent en mer, & font mille remerciemens aux Peres, qu'ils caressent; & n'ayans plus opinion qu'ils fussent Espagnols, les traittent le plus humainement qu'ils peuvent, admirent leur grande constance & vertu � souffrir les paroles qu'ils avoient dites d'eux, & ne furent que bienveillances & tesmoignages de bonne amiti�, jusques � ce qu'ils fussent arrivez en Angleterre: leur monstrans par 124/780l� que c'estoit contre l'opinion de plusieurs ennemis de l'Eglise Catholique & au prejudice de la v�rit�, qu'ils leur imposent que leur doctrine enseigne qu'il ne faut garder la foy aux H�r�tiques.

En fin Argal arrive au port de Milfier l'an 1614. en la Province de Galles, o� le Capitaine fut emprisonn�210, pour n'avoir passe-port, ny commission, son G�n�ral l'ayant, & s'estant esgar�, comme avoit fait son Vice-Admiral.

Note 210: (retour)

Suivant le P. Biard, Argal fut emprisonn� � Pembroke, �ville principale de cest endroit & vice-admiraut�.� (Relat. du P. Biard, ch. XXXII.)

Les Peres Jesuites racont�rent comme le tout s'estoit pass�, & par apr�s le Capitaine Argal fut delivr�, & retourna en son vaisseau, & les Peres furent retenus � terre, aimez & caressez de plusieurs personnes. Et sur le discours que le Capitaine de leur vaisseau faisoit de ce qui se passa aux Esores, la nouvelle vint � Londres � la Cour du Roy de la grand'Bretagne, l'Ambassadeur de sa Majest� Tres-chrestienne poursuivit la delivrance des peres, qui furent conduits � Douvre, & de l� pass�rent en France, & se retir�rent en leur Coll�ge d'Amiens, apr�s avoir est� neuf mois & demy entre les mains des Anglois.

Le sieur de la Motte arriva aussi au mesme temps en Angleterre, dans un vaisseau qui estoit de la Bermude, ayant pass� aux Virgines. Il fut pris en son vaisseau, & arrest�, mais delivr� par l'entremise de Monsieur du Biseau, pour lors Ambassadeur du Roy en Angleterre.

Madame de Guercheville ayant advis de tout cecy, envoya la Saussaye � Londres, pour solliciter la restitution 125/781du navire, & fut tout ce que l'on peut retirer pour lors trois Fran�ois moururent � la Virginie, & 4 y resterent, pendant qu'on travailloit � leur delivrance.

Les P�res y baptiserent 30 petits enfans, except� trois, qui furent baptisez en necessit�211.

Note 211: (retour)

Cette phrase, qui, �videmment, est extraite de la relation du P. Biard, comme tout le reste de ce chapitre, se rapporte aux travaux des PP. J�suites � l'Acadie: �Le Patriarche Flesche, dit ce P�re, en avoit baptis� [des sauvages] �peut-estre quatre-vingts, les Jesuites seulement une vingtaine, & iceux petits enfans, horfmis trois qui ont est� baptisez en extr�me necessit� de maladie, & sont allez jouir de la vie bienheureuse, apr�s avoir est� r�g�n�rez � icelle, comme aussi aucun des petits enfans.� (Relat. de la Nouv. France, ch. XXXIV.)

Il faut advouer que ceste entreprise fut travers�e de beaucoup de malheurs, qu'on eust bien peu eviter au commencement, si Madame de Guercheville eust donn� trois mil six cents livres au sieur de Mons, qui desiroit avoir l'habitation de Qu�bec, & de toute autre chose. J'en portay parole deux ou trois fois au R. P. Coton, qui mesnageoit cet affaire, lequel eust bien desir� que le traict� se fust fait avec de moindres conditions, ou par d'autres moyens, qui ne pouvoit estre � l'avantage dudit sieur de Mons, qui fut le sujet pourquoy rien ne se fit, quoy que je peusse representer audit Pere avec les avantages qu'il pourroit avoir en la conversion des infid�les, que pour le commerce & trafic qui s'y pouvoit faire par le moyen du grand fleuve Sainct Laurent, beaucoup mieux qu'en l'Acadie, mal ais�e � conserver, � cause du nombre infiny de ses ports, qui ne se pouvoient garder que par de grandes forces, joint que le terroir y est peu peupl� de Sauvages, outre que l'on ne pourroit p�n�trer par ces lieux dans les terres, o� sont nombre d'habitans sedentaires, 126/782comme on pourroit faire par ladite riviere Sainct Laurent, plustost qu'aux costes d'Acadie.

D'avantage, que l'Anglois qui faisoit alors ses peches en quelques isles esloign�es de 13 � 14 lieues de l'isle des monts deserts, qui est l'entr�e de la riviere de Pemetegoet, feroit ce qu'il pourroit pour endommager les nostres, pour estre proche du port Royal & autres lieux. Ce que pour lors ne se pouvoit esperer � Qu�bec, o� les Anglois n'avoient aucune cognoissance. Que si ladite dame de Guercheville eust en ce temps l� entr� en possession de Quebec, on se fust peu asseurer212 que par la vigilance des P�res Jesuites, & les instrucions que je leur pouvois donner, le pays se fust beaucoup mieux accommod�, & l'Anglois ne l'eust trouv� d�nu� de vivres & d'armes, & ne s'en fust empar�, comme il a fait en ces derni�res guerres. Ce qu'il a fait par l'industrie de quelques mauvais Fran�ois, joint qu'alors lesdits P�res n'avoient avec eux aucun homme pour conduire leur affaire, except� la Saussaye, peu exp�riment� en la cognoissance des lieux. Mais on a beau dire & faire, on ne peut eviter ce qu'il plaist � Dieu de disposer.

Note 212: (retour)

On e�t pu s'assurer.

Voila comme les entreprises qui se font � la haste, & sans fondement, & faites sans regarder au fonds de l'affaire, reussissent tousjours mal.

127/783



Seconde entreprise du Sieur de Mons. Conseil que l'Autheur luy donne. Obtient Commission du Roy. Son partement. Bastimens que l'Autheur fait au lieu de Quebec. Crieries contre le Sieur de Mons.

CHAPITRE II.

Retournons & poursuivons la seconde entreprise du Sieur de Mons, qui ne perd point courage, & ne veut demeurer en si beau chemin. Le R. P. Coton ayant refus� de convenir avec luy des 3600 livres, il me discourut particuli�rement de ses desseins. Je le conseillay, & luy donnay advis de s'aller loger dans le grand fleuve Sainct Laurent, duquel j'avois une bonne cognoissance par le voyage que j'y avois fait, luy faisant goutter les raisons pourquoy il estoit plus � propos & convenable d'habiter ce lieu qu'aucun autre. Il s'y resolut, & pour cet effect il en parle � sa Majest�, qui luy accorde, & luy donne Commission de s'aller loger dans le pays. Et pour en supporter plus facilement la despense, interdit le trafic de pelleterie � tous ses subjects, pour un an seulement.

Pour cet effect il fait �quiper 2 vaisseaux � Honnefleur, & me donna sa lieutenance au pays de la nouvelle France l'an 1608. Le Pont Grav� prit le devant pour aller � Tadoussac, & moy apr�s luy dans un vaisseau charg� des choses necessaires & propres � une habitation. Dieu nous favorisa si heureusement, que nous arrivasmes dans ledit fleuve au port de Tadoussac; auquel lieu je fais descharger toutes nos commoditez, avec les hommes, manouvriers, & 128/784artisans, pour aller � mont ledit fleuve trouver lieu commode & propre pour habiter. Trouvant un lieu le plus estroit de la riviere, que les habitans du pays appellent Qu�bec, j'y fis bastir & �difier une habitation, & d�fricher des terres, & faire quelques jardinages. Mais pendant que nous travaillons avec tant de peine, voyons ce qui se pane en France pour l'ex�cution de ceste entreprise.

Le Sieur de Mons qui estoit demeur� � Paris pour quelques siennes affaires, & esperant que sa Majest� luy continueroit sadite Commission, il ne demeura pas beaucoup en repos que l'on ne crie plus que jamais qu'il faut aller au Conseil. Les Bretons, Basques, Rochelois & Normands renouvellent les plaintes; & estans ouis de ceux qui les veulent favoriser, disent que c'est un peuple, c'est un bien public. Mais l'on ne recognoist pas que ce sont peuples envieux, qui ne demandent pas leur bien, ains plustost leur ruine, comme il se verra en la suitte de ce discours.

Quoy que c'en soit, voila pour sa seconde fois la Commission revoqu�e, sans y pouvoir rem�dier. Il s'en faudra retourner de Qu�bec au printemps prochain; de sorte que qui plus y aura mis, plus y aura perdu, comme sera sans doute ledit Sieur de Mons, lequel me r'escrivit ce qui s'estoit pass�e, qui me donna sujet de retourner en France voir ces remuemens, & comme l'habitation demeuroit au sieur de Mons, qui en convint quelque temps de l� avec ses associez; lequel cependant la met entre les mains de quelque marchand de la Rochelle, � certaines conditions, pour leur servir de retraitte � retirer leurs 129/785marchandises, & traicter avec les Sauvages. C'estoit en ce temps l� que je fis l'ouverture aud. Reverend Pere Coton, pour Madame de Guercheville, si elle le vouloit avoir, ce qui ne se p�t, comme j'ay dit cy-dessus, puis que la traicte estoit permise, jusques � ce qu'il renouvellast une autre commission, qui apportait un meilleur r�glement que par le pass�. J'allay trouver le sieur de Mons, auquel je representay tout ce qui s'estoit pass� en nostre hyvernement, et ce que j'avois peu cognoistre & apprendre des commoditez que l'on pouvoit esperer dans le grand fleuve Sainct Laurent, qui m'occasionna de voir sa Majest� pour luy en faire particuli�rement r�cit, auquel elle y prit grand plaisir. Cependant le sieur de Mons port� d'affection d'embrasser cet affaire � quelque prix que ce fust, fait derechef ce qu'il peut pour avoir nouvelle commission. Mais ses envieux, au moyen de la faveur, avoient mis si bon ordre, que son travail fut en vain. Ce que voyant, pour le desir qu'il avoit de voir les terres peupl�es, il ne laissa, sans commission, de vouloir continuer l'habitation, & faire recognoistre plus particuli�rement le dedans des terres � mont ledit fleuve. Et pour l'ex�cution de ceste entreprise, il fait �quiper avec la Soci�t� des vaisseaux, comme font plusieurs autres, � qui le trafic n'estoit pas interdit, qui couroient sur nos bris�es, qui emport�rent le lucre des peines de nostre travail, sans qu'ils voulussent contribuer � ses entreprises.

Les vaisseaux estans prests, le Pont Grav� & moy nous embarquasmes pour faire ce voyage l'an 1610. avec artisans & autres manouvriers, & fusmes traversez 130/786de mauvais temps. Arrivans au port de Tadoussac, & de l� � Qu�bec, nous y trouvasmes chacun en bonne disposition.

Premier que passer plus outre, j'ay pens� qu'il ne seroit hors de sujet de descrire la description de la grande riviere, & de quelques descouvertes que j'ay faites � mont ledit fleuve Sainct Laurent, de sa beaut� & fertilit� du pays, & de ce qui s'est pass� �s guerres contre les Hiroquois.



Embarquement de, l'Autheur pour aller habiter la grande riviere Sainct Laurent. Description du port de Tadoussac. De la riviere de Saguenay. De l'isle d'Orl�ans.

CHAPITRE III.

Apr�s avoir racont� au feu Roy tout ce que j'avois veu & descouvert, je m'embarquay pour aller habiter la grande riviere Sainct Laurent au lieu de Qu�bec, comme Lieutenant pour lors du sieur de Mons. Je partis de Honnefleur le 13 d'Avril 1608. & le 3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac, distant de Gasp� 80 ou 90 lieues, & mouillasmes l'anchre � la rade du port de Tadoussac, qui est � une lieue du port, qui est comme une ance � l'entr�e de la riviere du Saguenay, o� il y a une mar�e fort estrange pour sa vistesse, o� quelquefois se levent des vents imp�tueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient que cette riviere a 45 ou 50 lieues du port de Tadoussac jusques au premier sault, qui vient du nort norouest. Ce port est petit, & n'y pourroit qu'environ 20 vaisseaux.

131/787Il y a de l'eau assez, & est � l'abry de la riviere de Saguenay, & d'une petite isle de rochers qui est presque coup�e de la mer. Le reste sont montagnes hautes eslev�es, o� il y a peu de terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme sapins & bouleaux. Il y a un petit estang proche du port renferm� de montagnes couvertes de bois. A l'entr�e sont deux pointes, l'une du cost� du surouest, contenant pr�s d'une lieue en la mer, qui s'appelle la pointe aux Allouettes, & l'autre du cost� du nordouest, contenant demy quart de lieue, qui s'appelle la pointe aux roches 213. Les vents du sud suest frappent dans le port, qui ne sont point � craindre, mais bien celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nomm�es, assechent de basse mer.

Note 213: (retour)

La pointe aux Vaches. (Voir 1603, p. 5, note 4.)

En ce lieu y avoit nombre de Sauvages qui y estoient venus pour la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent � nostre vaisseau avec leurs canaux, qui sont de 8 ou 9 pas de long, & environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, & vont en diminuant par les deux bouts. Ils sont fort subjects � tourner si on ne les s�ait bien gouverner, & sont faits d'escorce de bouleau, renforcez par dedans de petits cercles de c�dre blanc, bien proprement arrangez, & sont si l�gers, qu'un homme en porte ais�ment un. Chacun peut porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre pour aller en quelque riviere o� ils ont affaire, ils les portent avec eux. Depuis Cho�acoet le long de la coste jusques au port de Tadoussac, ils sont tous semblables.

132/788Je fus visiter quelques endroits de la riviere du Saguenay, qui est une belle riviere, & d'une grande profondeur, comme de 80 & 100 brasses. A 50 lieues de l'entr�e du port, comme dit est, y a un grand sault d'eau, qui descend d'un fort haut lieu, & de grande impetuosit�. Il y a quelques isles dedans ceste riviere fort desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins & bruy�res. Elle contient de large demie lieue en des endroits, & un quart en son entr�e, o� il y a un courant si grand, qu'il est trois quarts de mar�e couru dedans la riviere, qu'elle porte encores hors: & en toute la terre que j'y aye veue, ce ne sont que montagnes & promontoires de rochers, la plus-part couverts de sapins & bouleaux; terre fort mal plaisante, tant d'un cost� que d'autre: en fin ce sont de vrais deserts inhabitez. Allant chasser par les lieux qui me sembloient les plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets, comme arondelles, & quelques oiseaux de riviere, qui y viennent en est�; autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure qu'il y fait. Ceste riviere vient du norouest.

Les Sauvages m'ont fait rapport qu'ayans pass� le premier sault ils en passent huict autres, puis vont une journ�e sans en trouver, & derechef en passent dix autres, & vont dans un lac, o� ils font trois journ�es214, & en chacune ils peuvent faire � leur aise dix lieues en montant. Au bout du lac y a des peuples qui vivent errans. Il y a 3 rivieres qui se deschargent dans ce lac, l'une venant du nort, fort proche de la mer, qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide 133/789que leur pays; & les autres deux d'autres costes par dedans les terres, o� il y a des peuples Sauvages errans, qui ne vivent aussi que de la chasse, & est le lieu ou nos Sauvages vont porter les marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures qu'ils ont, comme castors, martres, loups cerviers, & loutres, qui y sont en quantit�, & puis nous les apportent � nos vaisseaux. Ces peuples Septentrionaux disent aux nostres qu'ils voyent la mer sal�e; & si cela est, comme je le tiens pour certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les terres par les parties du nort. Les Sauvages disent qu'il peut y avoir de la mer du nort au port de Tadoussac 40 � 50 journ�es, � cause de la difficult� des chemins, rivieres, & pays qui est fort montueux, o� la plus grande partie de l'ann�e y a des neges. Voila au vray ce que j'ay appris de ce fleuve. J'ay souvent desir� faire ceste descouverte, mais je ne l'ay peu faire sans les Sauvages, qui n'ont voulu que j'allasse avec eux, ny aucuns de nos gens; toutesfois ils me l'avoient promis215.

Note 214: (retour)

Voir 1613, p. 143, note 3.

Note 215: (retour)

Voir 1613, p. 143, 144, notes, et 1603, p. 21.



Descouverte de l'isle aux Lievres. De l'isle aux Couldres: & du sault de Montmorency.

CHAPITRE IIII.

Je partis de Tadoussac216 pour aller � Qu�bec, & passasmes pr�s d'une isle qui s'appelle l'isle aux Lievres, distante de 6 lieues dudit port, & est � deux lieues de la terre du nort, & � pr�s de 4 134/790 lieues 217 de la terre du sud. De l'isle aux Lievres, nous fusmes � une petite riviere qui asseche de basse mer, o� � quelque 700 � 800 pas dedans y a deux sauts d'eau. Nous la nommasmes la riviere aux Saulmons218, � cause que nous y en prismes. Costoyant la coste du nort, nous fusmes � une pointe qui advance � la mer, qu'avons nomm� le cap Dauphin 219, distant de la riviere aux Saulmons trois lieues. De l� fusmes � un autre cap que nommasmes le cap � l'Aigle220, distant du cap Dauphin 8 lieues. Entre les deux y a une grande ance, o� au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse mer 221, & peut tenir environ lieue & demie. Elle est quelque peu unie, venant en diminuant par les deux bouts. A celuy de l'ouest y a des prairies & pointes de rochers, qui advancent quelque peu dans la riviere: & du cost� du surouest elle est fort batturiere, toutesfois assez agr�able, � cause des bois qui l'environnent, distante de la terre du nort d'environ demie lieue, o� il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, & l'avons nomm�e la riviere platte, ou malle baye 222, d'autant que le travers d'icelle la mar�e y 135/791court merveilleusement: & bien qu'il face calme, elle est tousjours fort emeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la riviere est plat, & y a force rochers en son entr�e, & autour d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste, fusmes � un cap, que nous avons nomm� le cap de Tourmente, qui en est � sept lieues 223, & l'avons ainsi appell�, d'autant que pour peu qu'il face de vent, la mer y esleve comme si elle estoit pleine. En ce lieu l'eau commence � estre douce. De l� fusmes � l'isle d'Orl�ans, o�, il y a deux lieues, en laquelle du cost� du sud y a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes d'arbres, & fort agr�ables remplies de grandes prairies, & force gibbier, contenans � ce que j'ay peu juger, les unes deux lieues, & les autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a force rochers, & bases fort dangereuses � passer, qui sont esloignez d'environ deux lieues de la grande terre du sud. Toute ceste coste, tant du nort, que du sud, depuis Tadoussac, jusques � l'isle d'Orl�ans, est terre montueuse, & fort mauvaise, o� il n'y a que des pins, sapins & bouleaux, & des rochers tres-mauvais, & ne s�auroit-on aller en la plus-part de ces endroits.

Note 216: (retour)

Le 30 juin 1608.

Note 217: (retour)

Pr�s de trois lieues.

Note 218: (retour)

Probablement la rivi�re du port � l'�quille, ou port aux Quilles. (Voir 1613. P. 145, note 3.)

Note 219: (retour)

Le cap au Saumon.

Note 220: (retour)

Aujourd'hui le cap aux Oies.

Note 221: (retour)

En reproduisant ici le texte de 1613, on a pass�, dans l'�dition de 1632, ce qui suit: �Du cap � l'Aigle fusmes � l'isle aux Couldres, qui en est distante une bonne lieue...�

Note 222: (retour)

Ces mots �& l'avons nomm�e la riviere platte ou malle baye� devaient �tre, dans la pens�e de l'auteur, plac�s quelques lignes plus haut, et le contre-sens que l'on remarque ici, est �videmment le fait de l'imprimeur. Pour que l'on puisse mieux en juger, nous remettrons en entier le passage de l'�dition de 1613, tel que Champlain a du vouloir le corriger: �Entre les deux y a une grande ance, o� au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse mer, & l'avons nomm�e la riviere platte ou malle baye. Du cap � l'Aigle fusmes � l'isle aux Couldres qui en est distante une bonne lieue, & peut tenir environ lieue & demie de long. Elle est quelque peu unie venant en diminuant par les deux bouts: A celuy de l'Ouest y a des prairies & pointes de rochers, qui aduancent quelque peu dans la riviere: & du cost� du Surouest elle est fort batturiere; toutesfois assez aggreable, � cause des bois qui l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie lieue, o� il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, & l'avons nomm�e la riviere du gouffre, d'autant que le travers d'icelle la mar�e y court merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est tousjours fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la riviere est plat & y a force rochers en son entr�e & autour d'icelle...� (Voir 1613, p. 146, note 2.)

Note 223: (retour)

Environ huit lieues.

Or nous rangeasmes l'isle d'Orl�ans du cost� du sud, distante de la grande terre une lieue & demie, & du cost� du nort demie lieue, contenant de long 136/792six lieues, & de large une lieue, ou lieue & demie par endroits. Du cost� du nort elle est fort plaisante, pour la quantit� des bois & prairies qu'il y a, mais il y fait fort dangereux passer, pour la quantit� de pointes & rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, o� il y a quantit� de beaux chesnes, & des noyers en quelques endroits, & � l'emboucheure224 des vignes & autres bois comme nous avons en France.

Note 224: (retour)

A l'entr�e du bois.

Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la grande riviere, o� il y a de son entr�e 120 lieues. Au bout de l'isle y a un torrent d'eau du cost� du nort, que j'ay nomm� le sault de Montmorency, qui vient d'un lac 225 qui est environ dix lieues dedans les terres, & descend de dessus une coste qui a pr�s de 25 toises de haut 226, au dessus de laquelle la terre est unie & plaisante � voir, bien que dans le pays on voye de hautes montagnes, qui paroissent de 15 � 20 lieues.

Note 225: (retour)

Le lac des Neiges.

Note 226: (retour)

Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.



Arriv�e de l'Autheur � Quebec, ou il fit ses logemens. Forme de vivre des Sauvages de ce pays l�.

CHAPITRE V.

De l'isle d'Orl�ans jusques � Qu�bec y a une lieue, & y arrivay le 3 Juillet, o� estant, je cherchay lieu propre pour nostre habitation: mais je n'en peus trouver de plus commode, ny mieux scitu� que la pointe de Qu�bec, ainsi appell� des 137/793Sauvages, laquelle estoit remplie de noyers & de vignes. Aussi tost j'employay une partie de nos ouvriers � les abbatre, pour y faire nostre habitation, l'autre � scier des aix, l'autre � fouiller la cave, & faire des fossez, & l'autre � aller qu�rir nos commoditez � Tadoussac avec la barque. La premi�re chose que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres � couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun & le soin que j'en eu227. Proche de ce lieu est une riviere agr�able 228, o� anciennement hyverna Jacques Cartier.

Note 227: (retour)

Ici se trouvent, dans l'�dition de 1613, les d�tails de la conspiration tram�e contre Champlain, et de la construction des premiers logements �lev�s sur la pointe de Qu�bec. (1613, p. 148-156.)

Note 228: (retour)

La Petite-Rivi�re, ou rivi�re Saint-Charles, � laquelle Cartier donna le nom de Sainte-Croix. (Voir 1613, p. 156-161.)

Pendant que les Charpentiers, Scieurs d'aix, & autres ouvriers travailloient � nostre logement, je fis mettre tout le reste � d�fricher autour de l'habitation, afin de faire des jardinages pour y semer des grains & graines, pour voir comme le tout succederoit, d'autant que la terre paroissoit fort bonne.

Cependant quantit� de Sauvages estoient cabannez proche de nous, qui faisoient pesche d'anguilles, qui commencent � venir comme au 15 de Septembre & finit au 15 Octobre. En ce temps tous les Sauvages se nourrissent de ceste manne, & en font secher pour l'hyver jusques au mois de Fevrier, que les neges sont grandes comme de deux pieds & demy, & trois pieds pour le plus, qui est le temps que quand leurs anguilles, & autres choses qu'ils font secher, sont accommod�es, ils vont chasser aux 138/794castors, o� ils sont jusques au commencement de janvier. Ils ne firent pas grand chasse de castors, pour estre les eaues trop grandes, & les rivieres desbord�es, ainsi qu'ils nous dirent. Quand leurs anguilles leur faillent, ils ont recours � chasser aux eslans & autres bestes sauvages, qu'ils peuvent trouver en attendant le printemps, o� j'eus moyen de les entretenir de plusieurs choses. Je consideray fort particuli�rement leurs coustumes.

Tous ces peuples patissent tant, que quelquefois ils sont contraints de vivre de certains coquillages, & manger leurs chiens, & peaux, dequoy ils se couvrent contre le froid. Qui leur monstreroit � vivre, & leur enseigneroit le labourage des terres, & autres choses, ils apprendroient fort bien: car il s'en trouve assez qui ont bon jugement, & respondent � propos sur ce qu'on leur demande. Ils ont une meschancet� en eux, qui est d'user de vengeance, d'estre grands menteurs, & ausquels il ne le faut pas trop asseurer, sinon avec raison, & la force en la main. Ils promettent assez, mais ils tiennent peu, la plus-part n'ayans point de loy, selon que j'ay peu voir, avec tout plein d'autres faulses croyances. Je leur demanday de quelle sorte de c�r�monies ils usoient � prier leur Dieu; ils me dirent qu'ils n'en usoient point d'autres, sinon qu'un chacun le prioit en son coeur comme il vouloit. Voila pourquoy il n'y a aucune loy parmy eux, & ne s�avent que c'est d'adorer & prier Dieu, vivans comme bestes brutes, mais je croy qu'ils seroient bien tost r�duits au Christianisme, si on habitoit & cultivoit leur terre, ce que la plus-part d�sirent. Ils ont parmy eux quelques 139/795Sauvages qu'ils appellent Pilotois229, qu'ils croyent parler au diable visiblement, leur disant ce qu'il faut qu'ils facent tant pour la guerre, que pour autres choses, & s'ils leur commandoient qu'ils allassent mettre en ex�cution quelque entreprise, ils ob�iroient aussi tost � son commandement. Comme aussi ils croyent que tous les songes qu'ils ont, sont v�ritables: & de faict, il y en a beaucoup qui disent avoir veu & song� choses qui adviennent ou adviendront. Mais pour en parler avec v�rit�, ce sont visions diaboliques, qui les trompe & seduit. Voila tout ce que j'ay peu apprendre de leur croyance bestiale.

Note 229: (retour)

Ce mot, cependant, serait basque, suivant le P. Biard. (Rel. de la Nouv. France, ch. VII.)

Tous ces peuples sont bien proportionnez de leurs corps, sans difformit�, & sont dispos. Les femmes sont aussi bien form�es, potel�es, & de couleur bazann�e, � cause de certaines peintures dont elles se frotent, qui les fait paroistre olivastres. Ils sont habillez de peaux: une partie de leur corps est couverte, & l'autre partie descouverte: mais l'hyver ils rem�dient � tout, car ils sont habillez de bonnes fourrures, comme de peaux d'eslan, loutres, castors, ours, loups marins, cerfs, & biches, qu'ils ont en quantit�. L'hyver quand les neges sont grandes, ils font une mani�re de raquettes, qui sont grandes deux ou trois fois plus que celles de France, qu'ils attachent � leurs pieds, & vont ainsi dans les neges, sans enfoncer: car autrement ils ne pourroient chasser, ny aller en beaucoup de lieux. Ils ont aussi une fa�on de mariage, qui est, Que quand une fille est 140/796en l'aage de 14 ou 15 ans, & qu'elle a plusieurs serviteurs, elle a compagnie avec tous ceux que bon luy semble: puis au bout de 5 ou 6 ans elle prend lequel il luy plaist pour son mary, & vivent ensemble jusques � la fin de leur vie: sinon qu'apr�s avoir demeur� quelque temps ensemble, & elles n'ont point d'enfans, l'homme se peut d�marier, & prendre une autre femme, disant que la sienne ne vaut rien. Par ainsi les filles sont plus libres que les femmes.

Depuis qu'elles sont mari�es elles sont chastes, & leurs maris sont la plus-part jaloux, lesquels donnent des presens aux p�res ou parents des filles qu'ils ont espous�es. Voila les c�r�monies & fa�ons dont ils usent en leurs mariages.

Pour ce qui est de leurs enterremens, quand un homme ou une femme meurt, ils font une fosse, o� ils mettent tout le bien qu'ils ont, comme chaudieres, fourrures, haches, arcs, flesches, robbes, & autres choses: puis ils mettent le corps dans la fosse, & le couvrent de terre, & mettent quantit� de grosses pi�ces de bois dessus, & une autre debout, qu'ils peindent de rouge par en haut. Ils croyent l'immortalit� des �mes, & disent qu'ils sont se resjouir en d'autres pays, avec leurs parents & amis qui sont morts. Si ce sont Capitaines ou autres d'auctorit�, ils vont apr�s leur mort 3 fois l'an faire un festin, chantans & dan�ans sur leur fosse.

Ils sont fort craintifs, & appr�hendent infiniment leurs ennemis, & ne dorment presque point en repos en quelque lieu qu'ils soient, bien que je les asseurasse tous les jours de ce qu'il m'estoit possible, en leur remonstrant de faire comme nous, s�avoir, 141/797veiller une partie, tandis que les autres dormiront, & chacun avoir tes armes prestes, comme celuy qui fait le guet, & ne tenir les songes pour v�rit�, sur quoy ils se reposent. Mais peu leur servoient ces remonstrances, & disoient que nous s�avions mieux nous garder de toutes ces choses qu'eux, & qu'avec le temps si nous habitions leur pays, ils le pourroient apprendre.



Semences de vignes plant�es � Quebec par l'Autheur. Sa charit� envers les pauvres Sauvages.

CHAPITRE VI.

Le premier Octobre230 je fis semer du bled, & au 15 du seigle.

Note 230: (retour)

De l'ann�e 1608.

Le 3 du mois il fit quelques gel�es blanches, & les fueilles des arbres commenc�rent � tomber au 15.

Le 24 du mois, je fis planter des vignes du pays, qui vindrent fort belles. Mais apr�s que je fus party de l'habitation pour venir en France, on les gasta toutes, sans en avoir eu soin, ce qui m'affligea beaucoup � mon retour.

Le 18 de Novembre tomba quantit� de neges, mais elles ne dur�rent que deux tours sur la terre.

Le 5 Fevrier il negea fort.

Le 20. du mois il apparut � nous quelques Sauvages qui estoient au del� de la riviere, qui crioient que nous les allassions secourir: mais il estoit hors de nostre puissance, � cause de la riviere qui charrioit 142/798un grand nombre de glaces. Car la faim pressoit si fort ces pauvres miserables, que ne s�achans que faire, ils se resolurent de mourir, hommes, femmes, & enfans, ou de passer la riviere, pour l'esperance qu'ils avoient que je les assisterois en leur extr�me necessit�. Ayant donc prins ceste resolution, les hommes & les femmes prindrent leurs enfans, & se mirent en leurs canaux, pensans gaigner nostre coste par une ouverture de glaces que le vent avoit faite: mais il ne furent si tost au milieu de la riviere, que leurs canaux furent prins & brisez entre les glaces en mille pi�ces. Ils firent si bien qu'ils se jetterent avec leurs enfans, que les femmes portoient sur leur dos, dessus un grand gla�on. Comme ils estoient l� dessus, on les entendoit crier, tant que c'estoit grand piti�, n'esperans pas moins que de mourir. Mais l'heur en voulut tant � ces pauvres miserables qu'une grande glace vint choquer par le cost� de celle o� ils estoient, si rudement, qu'elle les jetta � terre. Eux voyans ce coup si favorable, furent � terre avec autant de joye que jamais ils en receurent, quelque grande famine qu'ils eussent eu. Ils s'en vindrent � nostre habitation si maigres & d�faits, qu'ils sembloient des anatomies, la plus-part ne se pouvans soustenir. Je m'estonnay de les voir, & de la fa�on qu'ils avoient pass�, veu qu'ils estoient si foibles & d�biles. Je leur fis donner du pain & des febves, mais ils n'eurent pas la patience qu'elles fussent cuites pour les manger: & leur prestay des escorces d'arbres pour couvrir leurs cabanes. Comme ils se cabanoient, ils advis�rent une charongne qu'il y avoit pr�s de deux mois que j'avois fait jetter 143/799pour attirer des regnards, dont nous en prenions de noirs & de roux, comme ceux de France, mais beaucoup plus chargez de poil. Ceste charongne estoit une truye & un chien, qui avoient est� expos�s durant la chaleur & le froid. Quand le temps s'adoucissoit; elle puoit si fort que l'on ne pouvoit durer aupr�s, neantmoins il ne laisserent de la prendre & emporter en leur cabanne, o� aussi tost ils la devorerent � demy cuite, & jamais viande ne leur sembla de meilleur goust. J'envoyay deux ou trois hommes les advertir qu'ils n'en mangeassent point, s'ils ne vouloient mourir. Comme ils approch�rent de leur cabanne, ils sentirent une telle puanteur de ceste charongne � demy eschauff�e, dont ils avoient chacun une pi�ce en la main, qu'ils penserent rendre gorge, qui fit qu'ils n'y arr�t�rent gueres. Je ne laissay pourtant de les accommoder selon ma puissance, mais c'estoit pour la quantit� qu'ils estoient, & dans un mois ils eussent bien mang� tous nos vivres, s'ils les eussent eus en leur pouvoir, tant ils sont gloutons. Car quand ils en ont, ils ne mettent rien en reserve, & en font ch�re continuelle jour & nuict, puis apr�s ils meurent de faim.

Ils firent encores une autre chose aussi miserable que la premi�re. J'avois fait mettre une chienne au haut d'un arbre, qui servoit d'appast aux martres & oiseaux de proye, o� je prenois plaisir, d'autant qu'ordinairement ceste charongne en estoit assaillie. Ces Sauvages furent � l'arbre, & ne pouvans monter dessus � cause de leur foiblesse, ils l'abbatirent, & aussi tost enleverent le chien, o� il n'y avoit que 144/800la peau & les os, & la teste puante & infecte, qui fut incontinent devor�.

Voila le plaisir qu'ils ont le plus souvent en hyver: car en est� ils ont assez dequoy se maintenir, & faire des provisions, pour n'estre assaillis de ces extr�mes necessitez, les rivieres abondantes en poisson, & chasse d'oiseaux, & autres bestes sauvages.

La terre est fort propre & bonne au labourage, s'ils vouloient prendre la peine d'y semer des bleds d'Inde, comme font tous leurs voisins Algomequins, Hurons231, & Hiroquois, qui ne sont attaquez d'un si cruel assaut de famine, pour y s�avoir rem�dier par le foin & prevoyance qu'ils ont, qui fait qu'ils vivent heureusement au prix de ces Montaignets, Canadiens 232, & Souriquois, qui sont le long des costes de la mer. Les neges y sont 5 mois sur la terre, qui est depuis le mois de D�cembre, jusques vers la fin d'Avril, qu'elles sont presque toutes fondues. Depuis Tadoussac jusques � Gasp�, cap Breton, nie de terre neufve, & grand baye 233, les glaces & neges y sont encores en la plus-part des endroits jusques � la fin de May: auquel temps quelquefois l'entr�e de la grande riviere est seell�e de glaces, mais � Qu�bec il n'y en a point, qui monstre une estrange diff�rence pour 120 lieues de chemin en longitude: car l'entr�e de la riviere est par les 49, 50 & 51 degr� de latitude, & nostre habitation par les 46 & demy234.

Note 231: (retour)

Dans l'�dition de 1613, Champlain avait mis Ochastaiguins. C'�tait le nom d'un de leurs chefs.

Note 232: (retour)

Voir 1613, p. 169, note 2.

Note 233: (retour)

Ce qu'on appelait la Grand Baye �tait cette partie du Golfe qui s'�tend vers le nord-est, entre la c�te de Terreneuve et celle du Labrador.

Note 234: (retour)

L'�dition de 1613 porte, en cet endroit: �46 & deux tiers.� Ce qui �tait plus proche de ce qu'on a trouv� de notre temps: d'apr�s Bayfield, la latitude de Qu�bec, au bastion de l'observatoire, est de 46� 49' 8".

145/801Pour ce qui est du pays, il est beau & plaisant, & apporte toutes sortes de grains & graines � maturit�, y ayant de toutes les especes d'arbres que nous avons en nos forests par de��, & quantit� de fruicts, bien qu'ils soient sauvages, pour n'estre cultivez: comme noyers, cerisiers, pruniers, vignes, framboises, fraises, groiselles vertes & rouges, & plusieurs autres petits fruicts qui y sont assez bons. Aussi y a-il plusieurs sortes de bonnes herbes & racines. La pesche de poisson y est en abondance dans les rivieres, o� il y a quantit� de prairies & gibbier, qui est en nombre infiny.

Le 8 d'Avril en ce temps les neges estoient toutes fondues, & neantmoins l'air estoit encores assez froid jusques en May, que les arbres commencent � jetter leurs fueilles.



Partement de Qu�bec jusques � l'isle Sainct Eloy, & de la rencontre que j'y fis des Sauvages Algomequins & Uchataiguins.

CHAPITRE VII.

Pour cet effect235 je partis le 18 dudit mois236, o� la riviere commence � s'eslargir quelquefois d'une lieue, & lieue & demy en tels endroits. Le pays va de plus en plus en embellissant. Ce sont costaux en partie le long de la riviere, & terres unies sans rochers que fort peu. Pour la riviere elle est dangereuse en beaucoup d'endroits, � cause 146/802des bancs & rochers qui sont dedans, & n'y fait pas bon naviger, si ce n'est la sonde � la main. La riviere est fort abondante en plusieurs sortes de poisson, tant de ceux qu'avons par de��, comme d'autres que n'avons pas. Le pays est tout couvert de grandes & hautes forests des mesmes sortes qu'avons vers nostre habitation. Il y a aussi plusieurs vignes & noyers qui sont sur le bord de la riviere, & quantit� de petits ruisseaux & rivieres, qui ne sont navigeables qu'avec des canaux. Nous passasmes proche de la pointe Saincte Croix. Cette pointe est de sable qui advance quelque peu dans la riviere, � l'ouvert du norouest, qui bat dessus. Il y a quelques prairies, mais elles sont innond�es des eaues � toutes les fois que vient la plaine mer, qui pert de pr�s de deux brasses & demie. Ce partage est fort dangereux � passer pour la quantit� de rochers qui sont au travers de la riviere, bien qu'il y aye bon achenal, lequel est fort tortu, o� la riviere court comme un ras, & faut bien prendre le temps � propos pour le passer. Ce lieu a tenu beaucoup de gens en erreur, qui croyoient ne le pouvoir passer que de plaine mer, pour n'y avoir aucun achenal: maintenant nous avons trouv� le contraire: car pour descendre du haut en bas, on le peut de basse mer: mais de monter, il seroit mal-ais�, si ce n'estoit avec un grand vent, � cause du grand courant d'eau, & faut par necessit� attendre un tiers de flot pour le passer, o� il y a dedans le courant 6, 8, 10, 12, 15 brasses d'eau en l'achenal.

Note 235: (retour)

C'est-�-dire: �Pour faire les descouvertures du pays des Yroquois.� (Voir 1613, fin du ch. VI, et commencement du ch. VII.)

Note 236: (retour)

Le 18 juin. (Ibid.)

Continuant nostre chemin, nous fusmes � une riviere qui est fort agr�able, distante du lieu de 147/803Saincte Croix de neuf lieues, & de Qu�bec 24 & l'avons nomm�e la riviere Saincte Marie 237. Toute ceste riviere depuis Saincte Croix est fort plaisante & agr�able.

Note 237: (retour)

Aujourd'hui la rivi�re Sainte-Anne, qui est � une vingtaine de lieues de Qu�bec.

Continuant nostre routte, je fis rencontre de deux ou trois cents Sauvages, qui estoient cabannez proche d'une petite isle appell�e S. Eloy238, distante de Saincte Marie d'une lieue & demie, & l� les fusmes recognoistre, & trouvasmes que c'estoit des nations de Sauvages appeliez Ochateguins & Algoumequins, qui venoient � Qu�bec, pour nous assister aux descouvertures du pays des Hiroquois, contre lesquels ils ont guerre mortelle, n'espargnant aucune chose qui soit � eux.

Note 238: (retour)

Cette �le est situ�e devant l'�glise de Batiscan. Mais il y a apparence que le petit chenal qui la s�pare de la c�te nord, et qui porte encore le nom de Saint-�loi, s'est exhauss� depuis le temps de Champlain.

Apr�s les avoir recognus, je fus � terre pour les voir, & m'enquis qui estoit leur chef. Ils me dirent qu'il y en avoit deux, l'un appell� Yroquet, & l'autre Ochasteguin, qu'ils me monstrerent: & fus en leur cabane, o� ils me firent bonne r�ception, selon leur coustume. Je commen�ay � leur faire entendre le sujet de mon voyage, dont ils furent fort resjouis, & apr�s plusieurs discours je me retiray. Quelque temps apr�s ils vindrent � ma chaloupe, o� ils me firent present de quelque pelleterie, en me monstrant plusieurs signes de resjouinance, & de l� s'en retourn�rent � terre.

Le lendemain les deux chefs s'en vindrent me trouver, o� ils furent une espace de temps sans dire mot, en songeant & petunant tousjours. Apr�s avoir

148/804bien pens�, ils commenc�rent � haranguer hautement � tous leurs compagnons qui estoient sur le bord du rivage avec leurs armes en la main, escoutans fort ententivement ce que leurs chefs leur disoient, s�avoir, Qu'il y avoit pr�s de dix lunes, ainsi qu'ils comptent, que le fils d'Yroquet m'avoit veu, & que je luy avois fait bonne r�ception, & desirions les assister contre leurs ennemis, avec lesque�s ils avoient d�s long temps la guerre, pour beaucoup de cruautez qu'ils avoient exerc�es contre leur nation, souz pr�texte d'amiti�; & qu'ayans tousjours depuis desir� la vengeance, ils avoient sollicit� tous les Sauvages sur le bord de la riviere de venir � nous, pour faire alliance avec nous, & qu'ils n'avoient jamais veu de Chrestiens, ce qui les avoit aussi meus de nous venir voir, & que d'eux & de leurs compagnons j'en ferois tout ainsi que je voudrois. Qu'ils n'avoient point d'enfans avec eux, mais gens qui s�avoient faire la guerre, & pleins de courage, s�achans le pays & les rivieres qui sont au pays des Hiroquois, & que maintenant ils me prioient de retourner en nostre habitation, pour voir nos maisons: que trois tours apr�s nous retournerions � la guerre tous ensemble: & que pour signe de grande amiti� & resjouissance je fisse tirer des mousquets & harquebuses, & qu'ils seroient fort satisfaits: ce que je fia. Ils jet�rent de grands cris avec estonnement, & principalement ceux qui jamais n'en avoient ouy ny veus.

Apr�s les avoir ouis, je leur fis response, que pour leur plaire, je desirois bien m'en retourner � nostre habitation, pour leur donner plus de contentement, 149/805& qu'ils pouvoient juger que je n'avois autre intention que d'aller faire la guerre, ne portant avec moy que d�s armes, & non des marchandises pour traicter, comme on leur avoit donn� � entendre. Que mon desir n'estoit que d'accomplir ce que je leur avois promis: & si j'eusse sceu qu'on leur eust rapport� quelque chose de mal, que je tenois ceux l� pour ennemis plus que les leur mesme. Ils me dirent qu'ils n'en croyoient rien, & que jamais ils n'en avoient ouy parler, neantmoins c'estoit le contraire: car il y avoit quelques Sauvages qui le dirent aux nostres. Je me contentay, attendant l'occasion de leur pouvoir monstrer par effect autre chose qu'ils n'eussent peu esperer de moy.



Retour � Quebec, & depuis continuation avec les Sauvages jusques au saut de la riviere des Hiroquois.

CHAPITRE VIII.

Le lendemain 239) nous partismes tous ensemble pour aller � nostre habitation, o� ils se resjouirent cinq ou six jours, qui se pass�rent en dances & festins, pour le desir qu'ils avoient que nous fussions � la guerre.

Note 239: (retour)

Le 21 ou le 22 de juin 1609. (Voir 1613, ch. VIII et IV.)

Le Pont vint aussi tost de Tadoussac avec deux petites barques pleines d'hommes, suivant une lettre o� je le priois de venir le plus promptement qu'il luy seroit possible.

Les Sauvages le voyans arriver se resjouirent encores plus que devant, d'autant que je leur dis qu'il 150/806me donnoit de ses gens pour les assister, & que peut estre nous irions ensemble.

Le 28 du mois240 je partis de Qu�bec pour assister ces Sauvages. Le premier Juin241 arrivasmes � saincte Croix, distant de Qu�bec de 15 lieues, avec une chaloupe �quip�e de tout ce qui m'estoit necessaire. Je partis de Saincte Croix le 3 de Juin242 avec tous les Sauvages, & passasmes par les trois rivieres, qui est un fort beau pays, remply de quantit� de beaux arbres. De ce lieu � Saincte Croix y a 15 lieues. A l'entr�e d'icelle riviere y a six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de 15 � 1600 pas de long, qui sont fort plaisantes � voir: & proche du lac Sainct Pierre 243, faisant environ deux lieues dans la riviere 244 y a un petit sault d'eau, qui n'est pas beaucoup difficile � passer. Ce lieu est par la hauteur de 46 degrez quelques minutes moins de latitude. Les Sauvages du pays nous donn�rent � entendre, qu'� quelques journ�es il y a un lac par o� passe la riviere, qui a dix journ�es, & puis on passe quelques saults, & apr�s encore 3 ou 4 autres lacs de 5 ou 6 journ�es: & estans parvenus au bout, ils font 4 ou 5 lieues par terre, & entrent derechef dans un autre lac 245, o� le Saguenay prend la meilleure part de sa source. Les Sauvages viennent dudit lieu � Tadoussac. Les trois rivieres vont 20 246 journ�es des Sauvages; & disent qu'au bout d'icelle 151/807riviere il y a des peuples 247 qui sont grands chasseurs, n'ayans de demeure arrest�e, & qu'ils voyent la mer du nort en moins de six journ�es. Ce peu de terre que j'ay veu est sablonneuse, assez eslev�e en costaux, charg�e de quantit� de pins & sapins sur le bord de la riviere: mais entrant dans la terre environ un quart de lieue, les bois y sont tr�s-beaux & clairs, & le pays uny.

Note 240: (retour)

Le 28 juin 1609.

Note 241: (retour)

Le premier juillet. (Voir 1613, p. 184, note I.)

Note 242: (retour)

Le 3 juillet.

Note 243: (retour)

Voir 1613, p. 179, note 2.

Note 244: (retour)

Dans le Saint-Maurice. (Voir 1603, p. 30, 31.)

Note 245: (retour)

Le lac Saint-Jean.

Note 246: (retour)

L'�dition de 1613 porte: �40 journ�es.� Les sources du Saint-Maurice sont � environ cent lieues des Trois-Rivi�res.

Note 247: (retour)

Probablement les Atticam�gues, ou Poissons-Blancs.

Continuant nostre routte jusques � l'entr�e du lac Sainct Pierre, qui est un pays fort plaisant & uny, & traversant le lac � 2, 3 & 4 brases d'eau, lequel peut contenir de long 8 lieues, & de large 4. Du cost� du nort nous veismes une riviere qui est fort agr�able, qui va dans les terres 50 lieues, & l'ay nomm�e saincte Suzanne 248: & du cost� du sud il y en a deux, l'une appell�e la riviere du Pont249, & l'autre de Gennes250, qui sont tr�s-belles, & en beau & bon pays. L'eau est presque dormante dans le lac, qui est fort poissonneux. Du cost� du nort il paroist des terres � 12 ou 13 lieues du lac, qui sont un peu montueuses. L'ayant travers�, nous passasmes par un grand nombre d'isles251, qui sont de plusieurs grandeurs, o� il y a quantit� de noyers, & vignes, & de belles prairies, avec force gibbier, & animaux sauvages, qui vont de la grand terre ausdites isles. La pescherie du poisson y est plus abondante qu'en aucun autre lieu de la riviere qu'eussions veu. De ces isles fusmes � l'entr�e de la riviere 152/808des Hiroquois252, o� nous sejournasmes deux jours, & nous rafraischismes de bonnes venaisons, oiseaux & poissons, que nous donnoient les Sauvages, & o� il s'esmeut entre eux quelque diff�rend sur le sujet de la guerre, qui fut occasion qu'il n'y en eut qu'une partie qui se resolurent de venir avec moy, & les autres s'en retourn�rent en leur pays avec leurs femmes & marchandises, qu'ils avoient traict�es.

Note 248: (retour)

Aujourd'hui, la rivi�re du Loup.

Note 249: (retour)

Aujourd'hui, la rivi�re de Nicolet. (Voir 1613, p. 180, note 2.)

Note 250: (retour)

Probablement la rivi�re d'Yamaska.

Note 251: (retour)

Les �les de Sorel.

Note 252: (retour)

Cette rivi�re a port�, depuis, les noms de Richelieu, de Sorel et de Chambly.

Partant de cette entr�e de riviere (qui a environ 4 � 500 pas de large, & est fort belle, courant au sud) nous arrivasmes � un lieu qui est par la hauteur de 45 degrez de latitude, � 22 ou 23 lieues des trois rivieres. Toute ceste riviere depuis son entr�e jusques au premier sault, o� il y a 15 lieues, est fort platte & environn�e de bois, comme sont tous les autres lieux cy-dessus nommez, & des mesmes especes. Il y a neuf ou dix belles isles jusques au premier sault des Hiroquois, lesquelles tiennent environ lieue, ou lieue & demie, remplies de quantit� de chesnes & noyers. La riviere tient en des endroits pr�s de demie lieue de large, qui est fort poissonneuse. Nous ne trouvasmes point moins de 4 pieds d'eau. L'entr�e du sault est une mani�re de lac 253 o� l'eau descend, qui contient environ trois lieues de circuit, & y a quelques prairies o� il n'y habite aucuns Sauvages, pour le sujet des guerres. Il y a fort peu d'eau au sault, qui court d'une grande vistesse, & quantit� de rochers & cailloux, qui font que les Sauvages ne les peuvent surmonter par eau: mais au retour ils les descendent fort bien. Tout cedit 153/809pays est fort uny, remply de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine � monter la riviere � la rame.

Note 253: (retour)

Le bassin de Chambly.

Aussi tost que je fus arriv� au sault, je prins 5 hommes 254, & fusmes � terre voir si nous pourrions passer ce lieu, & fismes environ lieue & demie sans en voir aucune apparence, sinon une eau courante d'une grande impetuosit�, o� d'un cost� & d'autre y avoit quantit� de pierres, qui sont fort dangereuses, & avec peu d'eau. Le sault peut contenir 600 pas de large. Et voyant qu'il estoit impossible couper les bois, & faire un chemin avec si peu d'hommes que j'avois, je me resolus avec le conseil d'un chacun, de faire autre chose que ce que nous nous estions promis, d'autant que les Sauvages m'avoient asseur� que les chemins estoient aisez: mais nous trouvasmes le contraire, comme j'ay dit cy-dessus, qui fut l'occasion que nous en retournasmes en nostre chaloupe, o� j'avois laiss� quelques hommes pour la garder, & donner � entendre aux Sauvages quand ils seroient arrivez, que nous estions allez descouvrir le long dudit sault.

Note 254: (retour)

Dans l'�dition de 1613, on lit: �Des Marais, la Routte & moy, & cinq hommes fusmes � terre�...

Apr�s avoir veu ce que desirions de ce lieu, en nous en retournant nous fismes rencontre de quelques Sauvages, qui venoient pour descouvrir comme nous avions fait, qui nous dirent que tous leurs compagnons estoient arrivez � nostre chaloupe, o� nous les trouvasmes fort contents & satisfaits de ce que nous allions de la fa�on sans guide, sinon que 154/810par le rapport de ce que plusieurs fois ils nous avoient fait.

Estant de retour, & voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de passer le sault avec nostre chaloupe, cela m'affligea, & me donna beaucoup de desplaisir de m'en retourner sans avoir veu un grand lac remply de belles isles, & quantit� de beau pays, qui borne le lac o� habitent leurs ennemis, comme ils me l'avoient figur�. Apr�s avoir bien pens� en moy mesme, je me resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que j'avois, & m'embarquay avec les Sauvages dans leurs canaux, & prins avec moy deux hommes de bonne volont�. Car quand ce fut � bon escient que nos gens veirent que je me deliberay d'aller avec leurs canaux, ils saignerent du nez, ce qui me les fit renvoyer � Tadoussac255.

Note 255: (retour)

Au lieu de cette derni�re phrase, il y avait, dans l'�dition de 1613: �Apr�s avoir propos� mon dessein � des Marais & autres de la chalouppe, je priay ledit des Marais de s'en retourner en nostre habitation avec le reste de nos gens, soubs l'esperance qu'en brief, avec la gr�ce de Dieu, je les reverrois.�

Aussi tost je fus parler aux Capitaines des Sauvages & leur donnay � entendre comme ils nous avoient dit le contraire de ce que j'avois veu au sault, s�avoir, qu'il estoit hors nostre puissance d'y pouvoir passer avec la chaloupe, toutesfois que cela ne m'empescheroit de les assister comme je leur avois promis. Ceste nouvelle les attrista fort, & voulurent prendre une autre revolution: mais je leur dis, & les y sollicitay, qu'ils eussent � continuer leur premier dessein, & que moy troisiesme, je m'en irois � la guerre avec eux dans leurs canaux, pour leur monstrer que quant � moy je ne voulois manquer de parole en leur endroit, bien que je fusse seul, & 155/811que pour lors je ne voulois forcer personne de mes compagnons de s'embarquer, sinon ceux qui en auroient la volont�, dont j'en avois trouv� deux, que je menerois avec moy.

Ils furent fort contents de ce que je leur dis & d'entendre la resolution que j'avois, me promettant toujours de me faire voir choses belles.



Partement du sault de la riviere des Hiroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit lac, & de la fa�on & conduite qu'ils usent en allant attaquer les Hiroquois.

CHAPITRE IX.

Je partis dudit Sault de la riviere des Hiroquois le 2 Juillet256. Tous les Sauvages commenc�rent � apporter leurs canaux, armes & bagage par terre environ demie lieue, pour passer l'impetuosit� & la force du sault, ce qui fut promptement fait.

Note 256: (retour)

Probablement le 12 juillet. (Voir 1613, p. 184, note 1.)

Aussi tost ils les mirent tous en l'eau, & deux hommes en chacun, avec leur bagage, & firent aller un des hommes de chasque canot par terre environ 1 lieue 1/2 que peut contenir ledit sault, mais non si imp�tueux comme � l'entr�e, sinon en quelques endroits de rochers qui barrent la riviere, qui n'est pas plus large de trois � quatre cents pas. Apr�s que nous eusmes pass� le sault, qui ne fut sans peine, tous les Sauvages qui estoient allez par terre, par un chemin assez beau & pays uny, bien qu'il y aye 156/812quantit� de bois, se rembarqu�rent dans leurs canaux. Les hommes que j'avois furent aussi par terre, & moy par eau, dedans un canau. Ils firent reveue de tous leurs gens, & se trouva 24 canaux, o� il y avoit 60 hommes. Apr�s avoir fait leur reveue, nous continuasmes le chemin jusques � une isle257 qui tient trois lieues de long, remplie des plus beaux pins que j'eusse jamais veu. Ils firent la chasse, & y prindrent quelques bestes sauvages. Passant plus outre environ trois lieues de l�, nous y logeasmes pour prendre le repos la nuict ensuivant.

Note 257: (retour)

L'ile Sainte-Th�r�se.

Incontinent un chacun d'eux commen�a l'un � couper du bois, les autres � prendre des escorces d'arbre pour couvrir leurs cabanes, pour se mettre � couvert: les autres � abbatre de gros arbres pour se barricader sur le bord de la riviere autour de leurs cabanes; ce qu'ils s�avent si proprement faire, qu'en moins de deux heures cinq cents de leurs ennemis auroient bien de la peine � les forcer, sans qu'ils en fissent beaucoup mourir. Il ne barricadent point le cost� de la riviere o� sont leurs canaux arrangez, pour s'embarquer si l'occasion le requeroit.

Apr�s qu'ils furent logez, ils envoyerent trois canaux avec neuf bons hommes, comme est leur coustume, � tous leurs logemens, pour descouvrir deux ou trois lieues s'ils n'apperceuront rien, qui apr�s se retirent. Toute la nuict ils se reposent sur la descouverture des avant-coureurs, qui est une tres-mauvaise coustume en eux: car quelquefois ils sont surpris de leurs ennemis en dormant, qui les 157/813assomment, sans qu'ils ayent le loisir de se mettre sur pieds pour se d�fendre.

Recognoissant cela, je leur remonstrois la faute qu'ils faisoient, & qu'ils devoient veiller, comme ils nous avoient veu faire toutes les nuicts, & avoir des hommes aux aguets, pour escouter & voir s'ils n'appercevroient rien; & ne point vivre de la fa�on comme bestes. Ils me dirent qu'ils ne pouvoient veiller, & qu'ils travailloient assez de jour � la chasse; d'autant que quand ils vont en guerre ils divisent leurs troupes en trois, s�avoir, une partie pour la chasse separ�e en plusieurs endroits: une autre pour faire le gros, qui sont tousjours sur leurs armes: & l'autre partie en avant-coureurs, pour descouvrir le long des rivieres, s'ils ne verront point quelque marque ou signal par o� ayent pass� leurs ennemis, ou leurs amis: ce qu'ils cognoissent par de certaines marques que les Chefs se donnent d'une nation � l'autre, qui ne sont tousjours semblables, s'advertissans de temps en temps quand ils en changent; & par ce moyen ils recognoissent si ce sont amis ou ennemis qui ont pass�. Les chasseurs ne chassent jamais de l'avant du gros, ny des avant-coureurs, pour ne donner d'allarme ny de d�tordre, mais sur la retraite & du cost� qu'ils n'appr�hendent leurs ennemis, & continuent ainsi jusques � ce qu'ils soient � deux ou trois journ�es de leurs ennemis, qu'ils vont de nuict � la desrob�e, tous en corps, horsmis les coureurs, & le jour se retirent dans le fort des bois, o� ils r�p�tent, sans s'esgarer ny mener bruit, ni faire aucun feu, afin de n'estre apperceus, si par fortune leurs ennemis passoient, ny pour ce 158/814qui est de leur manger durant ce temps. Ils ne font du feu que pour petuner; & mangent de la farine de bled d'Inde cuite, qu'ils destrempent avec de l'eau, comme bouillie. Ils conservent ces farines pour leur necessit�, & quand ils sont proches de leurs ennemis, o� quand ils font retraitte apr�s leurs charges, ils ne s'amusent � chasser, se retirant promptement.

A tous leurs logemens ils ont leur Pilotois, ou Ostemouy258, qui sont mani�res de gens qui font les devins, en qui ces peuples ont croyance, lequel fait une cabanne entour�e de petits bois, & la couvre de sa robbe. Apr�s qu'elle est faite, il se met dedans en sorte qu'on ne le voit en aucune fa�on, puis Comme ce prend un des piliers de sa cabanne, & la fait bransler, marmotant certaines paroles entre ses dents, par lesquelles il dit qu'il invoque le diable, & qu'il s'apparoist � luy en forme de pierre, & luy dit s'ils trouveront leurs ennemis, & s'ils en tueront beaucoup. Ce Pilotois est prostern� en terre, sans remuer, ne faisant que parler au diable; puis aussi tost se leve sur les pieds, en parlant & se tourmentant d'une telle fa�on, qu'il est tout en eau, bien qu'il soit nud. Tout le peuple est autour de la cabanne assis sur leur cul comme des singes. Ils me disoient souvent que le branslement que je voyois de la cabanne, estoit le diable qui la faisoit mouvoir, & non celuy qui estoit dedans, bien que je veisse le contraire: car c'estoit (comme j'ay dit cy-dessus) le Pilotois qui prenoit un des b�tons de sa cabanne, & la faisoit 159/815ainsi mouvoir. Ils me dirent aussi que je verrois sortir du feu par le haut, ce que je ne veis point. Ces drosles contrefont aussi leur voix grosse & claire, parlant en langage incogneu aux autres Sauvages, & quand ils la representent cass�e, ils croyent que c'est le diable qui parle, & qui dit ce qui doit arriver en leur guerre, & ce qu'il faut qu'ils facent. Neantmoins tous ces garnimens que font les devins, de cent paroles n'en disent pas deux v�ritables, & vont abusans ces pauvres gens, comme il y en a assez parmy le monde, pour tirer quelque denr�e du peuple. Je leur remonstrois souvent que tout ce qu'ils faisoient n'estoit que folie, & qu'ils ne devoient y adjouster foy.

Note 258: (retour)

L'�dition de 1613 porte: �Ostemoy.� Ce mot, que Lescarbot �crit Aoutmoin, �tait employ� par les Souriquois; le mot pilotais para�t �tre d'origine basque. (Voir 1613, p. 187, note 1.)

Or apr�s qu'ils ont sceu de leurs devins ce qui leur doit succeder, les Chefs prennent des b�tons de la longueur d'un pied autant en nombre qu'ils sont, & signalent par d'autres un peu plus grands, leurs Chefs: puis vont dans le bois, & esplanadent une place de cinq ou six pieds en quarr�, o� le chef, comme Sergent major, met par ordre tous ces b�tons comme bon luy semble, puis appelle tous tes compagnons, qui viennent tous armez, & leur monstre le rang & ordre qu'ils devront tenir lors qu'ils se battront avec leurs ennemis: ce que tous ces Sauvages regardent attentivement, remarquans la figure que leur chef a faite avec ces b�tons, & apr�s se retirent de l�, & commencent � se mettre en ordre, ainsi qu'ils ont veu lesdits b�tons, puis se meslent les uns parmy les autres, & retournent derechef en leur ordre, continu ans deux ou trois fois, & font ainsi � tous leurs logemens, sans qu'il soit besoin de 160/816Sergent pour leur faire tenir leurs rangs, qu'ils s�avent fort bien garder, sans se mettre en confusion. Voila la r�gle qu'ils tiennent � leur guerre.

Nous partismes le lendemain, continuant nostre chemin dans la riviere jusques � l'entr�e du lac. En icelle y a nombre de belles isles, qui sont basses, remplies de tr�s-beaux bois & prairies, o� il y a quantit� de gibbier, & chasse d'animaux, comme cerfs, daims, faons, chevreuls, ours, & autres sortes d'animaux qui viennent de la grand'terre ausdites isles. Nous y en prismes quantit�. Il y a aussi grand nombre de castors tant en la riviere qu'en plusieurs autres petites qui viennent tomber dans icelle. Ces lieux ne sont habitez d'aucuns Sauvages, bien qu'ils soient plaisans, pour le sujet de leurs guerres, & se retirent des rivieres le plus qu'ils peuvent au profond des terres; afin de n'estre si tost surpris.

Le lendemain entrasmes dans le lac, qui est de grande estendue, comme de 50 ou 60 lieues 259, o� j'y veis 4 belles isles260, contenans 10, 12 & 15 lieues de long, qui autrefois ont est� habit�es par les Sauvages, comme aussi la riviere des Hiroquois: mais elles ont est� abandonn�es depuis qu'ils ont eu guerre les uns contre les autres: aussi y a-il plusieurs rivieres qui viennent tomber dedans le lac, environn�es de nombre de beaux arbres, de mesmes especes que nous avons en France, avec force vignes, plus belles qu'en aucun lieu que j'eusse veu: force chastaigniers, 161/817& n'en avois encores point veu que dessus le bord de ce lac, o� il y a grande abondance de poisson de plusieurs especes. Entre autres y en a un, appell� des Sauvages du pays chaoufarou 261, qui est de plusieurs longueurs: mais les plus grands contiennent, � ce que m'ont dit ces peuples, huict � dix pieds. J'en ay veu qui en contenoient 5 qui estoient de la grosseur de la cuisse, & avoient la teste grosse comme les deux poings, avec un bec de deux pieds & demy de long, & a double rang de dents fort aigu�s & dangereuses. Il a toute la forme du corps tirant au brochet, mais il est arm� d'escailles si fortes, qu'un coup de poignard ne les s�auroit percer, & est de couleur de gris argent�. Il a aussi l'extr�mit� du bec comme un cochon. Ce poisson fait la guerre � tous les autres qui sont dans ces lacs & rivieres, & a une industrie merveilleuse, � ce que m'ont asseur� ces peuples, qui est, que quand il veut prendre quelques oiseaux, il va dedans des joncs ou roseaux, qui sont sur les rives du lac en plusieurs endroits, & met le bec hors l'eau sans se bouger: de fa�on que lors que les oiseaux viennent se reposer sur le bec, pensans que ce soit un tronc de bois, il est si subtil, que serrant le bec qu'il tient entr'ouvert, il les tire par les pieds souz l'eau. Les Sauvages m'en donn�rent une teste, dont ils font grand estat, disans que lors qu'ils ont mal � la teste, ils se saignent avec les dents de ce poisson � l'endroit de la douleur, qui se passe soudain.

Note 259: (retour)

L'auteur, en 1632, avait acquis des id�es plus exactes sur l'�tendue du lac Champlain, qu'il n'en avait lors de sa premi�re exp�dition. Aussi, au lieu de �80 ou 100 lieues,� comme il avait dit en 1613, il ne met ici que �50 ou 60�: ce qui cependant est encore un peu trop fort, car le lac Champlain n'a que trente et quelques lieues de long.

Note 260: (retour)

Voir 1613, p. 189, note 2.

Note 261: (retour)

Voir 1613, p. 190, note 1.

Continuant nostre routte dans ce lac du cost� de l'Occident, considerant le pays, je veis du cost� de 162/818l'Orient de fort hautes montagnes, o� sur le sommet y avoit de la nege. Je m'enquis aux Sauvages si ces lieux estoient habitez: ils me respondirent qu'ouy, & que c'estoient Hiroquois262, & qu'en ces lieux y avoit de belles vall�es, & campagnes fertiles en bleds, comme j'en ay mang� aud. pays, avec infinit� d'autres fruicts; & que le lac alloit proche des montagnes, qui pouvoient estre esloign�es de nous, � mon jugement, de 15 lieues. J'en veis au midy d'autres qui n'estoient moins hautes que les premi�res, horsmis qu'il n'y avoit point de nege. Les Sauvages me dirent que c'estoit o� nous devions aller trouver leurs ennemis, & qu'elles estoient for peupl�es, & qu'il falloit passer par un sault d'eau que je veis depuis, & de l� entrer dans un autre lac 263 qui contient trois � quatre lieues de long, & qu'estans parvenus au bout d'iceluy, il falloit faire 4 lieues 264 de chemin par terre, & passer une riviere, qui va tomber en la coste des Almouchiquois, tenant � celle des Almouchiquois 265, & qu'ils n'estoient que deux jours � y aller avec leurs canaux, comme je l'ay sceu depuis par quelques prisonniers que nous prismes, qui me discoururent fort particuli�rement de tout ce qu'ils en avoient recogneu, par le moyen de quelques truchemens Algoumequins, qui s�avoient la langue des Hiroquois 266.

Note 262: (retour)

Voir 1613, p. 191, note 1.

Note 263: (retour)

Le lac Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George, qui a une dizaine de lieues de long. C'est aussi la longueur que lui donne Champlain, en 1613.

Note 264: (retour)

L'�dition de 1613 porte: �quelques deux lieues.�

Note 265: (retour)

En comparant ce passage avec le texte de 1613, qui lui-m�me est fautif en cet endroit, on peut juger que l'auteur a voulu mettre: �passer une rivi�re (l'Hudson), qui va tomber en la c�te des Almouchiquois, tenant � celle de Noremb�gue.�

Note 266: (retour)

L'auteur s'exprimait ainsi d�s 1613.

163/819Or comme nous commen�asmes � approcher � deux ou trois journ�es de la demeure de leurs ennemis, nous n'allions plus que la nuict, & le jour nous nous reposions, neantmoins ne laissoient tousjours de faire leurs superstitions accoustum�es, pour s�avoir ce qui leur pourroit succeder de leurs entreprises, & souvent me venoient demander si j'avois song�, & avois veu leurs ennemis. Je leur respondois que non, & leur donnois courage, & bonne esperance. La nuict venue, nous nous mismes en chemin jusques au lendemain, o� nous nous retirasmes dans le fort du bois, pour y passer le reste du jour. Sur les dix ou onze heures, apr�s m'estre quelque peu proumen� autour de nostre logement, je me fus reposer, & en dormant, je songeay que je voyois les Hiroquois nos ennemis dedans le lac, proche d'une montagne, qui se noyoient � nostre veue; & les voulant secourir, nos Sauvages alliez me disoient qu'il les falloit tous laisser mourir, & qu'ils ne valloient rien. Estant esveill�, ils ne faillirent comme � l'accoustum�e, de me demander si j'avois song� quelque chose. Je leur dis en effect ce que j'avois song�. Cela leur apporta une telle croyance, qu'ils ne dout�rent plus de ce qui leur devoit advenir pour leur bien.

Le soir estant venu, nous nous embarquasmes en nos canaux pour continuer nostre chemin: & comme nous allions fort doucement, & sans mener bruit, le vingt-neufiesme du mois267 nous fismes rencontre des Hiroquois sur les dix heures du soir au bout 164/820d'un cap268 qui advance dans le lac du cost� de l'Occident, lesquels venoient � la guerre. Eux & nous commen�asmes � jetter de grands cris, chacun se parant de ses armes. Nous nous retirasmes vers l'eau, & les Hiroquois mirent pied � terre, & arrang�rent tous leurs canaux les uns contre les autres, & commencerent � abbatre du bois avec de meschantes haches qu'ils gaignent quelquefois � la guerre, & d'autres de pierre, & se barricad�rent fort bien.

Note 267: (retour)

Le 29 juillet 1609.

Note 268: (retour)

Probablement la pointe Saint-Fr�d�ric (Crown Point).

Aussi les nostres tindrent toute la nuict leurs canaux arrangez les uns contre les autres attachez � des perches pour ne s'esgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin; & estions � la port�e d'une flesche vers l'eau du cost� de leurs barricades. Comme ils furent armez & mis en ordre, ils envoyerent deux canaux separez de la troupe, pour s�avoir de leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels respondirent qu'ils ne desiroient autre chose: mais que pour l'heure, il n'y avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit attendre le jour pour se cognoistre, & qu'aussi tost que le Soleil se leveroit, ils nous livreroient le combat: ce qui fut accord� par les nostres; & en attendant toute la nuict se passa en dances & chansons, tant d'un cost� que d'autre, avec une infinit� d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage qu'ils avoient, avec le peu d'effect & resistance contre leurs armes, & que le jour venant, ils le sentiroient � leur ruine. Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils verroient des effects d'armes que jamais ils n'avoient veus; & tout plein d'autres discours, comme 165/821on a accoustum� � un siege de ville. Apr�s avoir bien chant�, danc� & parlement� les uns aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent, preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans toutesfois separez, chacun en un des canaux des Sauvages montagnars. Apr�s que nous fusmes armez d'armes l�g�res, nous prismes chacun une harquebuse, & descendismes � terre. Je vey sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient pr�s de 200 hommes fort & robustes � les voir, qui venoient au petit pas au devant de nous, avec une gravit� & asseurance, qui me contenta fort, � la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres aussi alloient en mesme ordre, & me dirent que ceux qui avoient trois grands pennaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit que ces trois, & qu'on les recognoissoit � ces plumes qui estoient beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons, & que je fisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis de faire ce qui seroit de ma puissance, & que j'estois bien fasch� qu'ils ne me pouvoient bien entendre, pour leur donner l'ordre & fa�on d'attaquer leurs ennemis, & qu'indubitablement nous les desferions tous, mais qu'il n'y avoit rem�de: que j'estois tres-aise de leur donner courage, & leur monstrer la bonne volont� qui estoit en moy, quand serions au combat.

Aussi tost que fusmes � terre ils commenc�rent � courir environ deux cents pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, & n'avoient encores apperceu mes compagnons, qui s'en all�rent dans les bois avec quelques Sauvages. Les nostres commencerent 166/822� m'appeller � grands cris; & pour me donner passage ils s'ouvrirent en deux, & me mis � la teste, marchant environ 20 pas devant, jusqu'� ce que je fusse � 30 pas des ennemis, o� aussi tost ils m'apperceurent, & firent alte en me contemplant, & moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer sur nous, je couchay mon harquebuse en joue, & visay droit � un des trois chefs, duquel coup il en tomba deux par terre, & un de leurs compagnons qui fut bless�, qui quelque temps apr�s en mourut. J'avois mis 4 balles dedans mon harquebuse. Les nostres ayans veu ce coup si favorable pour eux, ils commenc�rent � jetter de si grands cris, qu'on n'eust pas ouy tonner; & cependant les flesches ne manquoient de part ne d'autre. Les Hiroquois furent fort estonnez, que si promptement deux hommes avoient est� tuez, bien qu'ils fussent armez d'armes tissues de fil de cotton, & de bois, � l'espreuve de leurs flesches; ce qui leur donna une grande apprehension. Comme je rechargeois, l'un de mes compagnons tira un coup de dedans le bois, qui les estonna derechef de telle fa�on, voyans leurs chefs morts, qu'ils perdirent courage, se mirent en fuitte, & abandonn�rent le champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le profond des bois, o� les poursuivant, j'en fis demeurer encores d'autres. Nos Sauvages en tu�rent aussi plusieurs, & en prindrent dix ou douze prisonniers. Le reste se sauva avec les blessez. Il y en eut des nostres quinze ou seize de blessez de coups de flesches, qui furent promptement gu�ris.

Apr�s que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent � prendre force bled d'Inde, & les farines des 167/823ennemis, & aussi leurs armes, qu'ils avoient laiss�es pour mieux courir. Et ayans fait bonne ch�re, danc� & chant�, trois heures apr�s nous en retournasmes avec les prisonniers.

Ce lieu o� se fit ceste charge est par les 43 degrez & quelques minutes de latitude, & je nommay le lac de Champlain.



Retour de la rencontre, & ce qui se passa par le chemin.

CHAPITRE X.

Apr�s avoir chemin� huict lieues, sur le soir ils prindrent un des prisonniers, � qui ils firent une harangue des cruautez que luy & les tiens avoient exerc�es en leur endroit, sans avoir eu aucun �gard, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en recevoir autant, & luy command�rent de chanter, s'il avoit du courage; ce qu'il fit, mais avec un chant fort triste � ouir.

Cependant les nostres allum�rent un feu, & comme il fut bien embraz�, ils prindrent chacun un tizon, & faisoient brusler ce pauvre miserable peu � peu pour luy faire souffrir plus de tourmens. Ils le laissoient quelquefois, luy jettant de l'eau sur le dos, puis luy arrach�rent les ongles, & luy mirent du feu sur les extremitez des doigts, & de son membre. Apr�s ils luy escorcherent le haut de la teste, & luy firent d�goutter dessus certaine gomme toute chaude: puis luy perc�rent les bras pr�s des poignets, & avec des b�tons tiroient les nerfs, & les arrachoient � force: & comme ils voyoient qu'ils ne les pouvoient 1687/824r'avoir, ils les coupoient. Ce pauvre miserable jettoit des cris estranges, & me faisoit piti� de le voir traitter de la fa�on; toutesfois il estoit si constant, qu'on eust dit qu'il ne sentoit par fois aucune douleur. Ils me sollicitoient fort de prendre du feu, pour faire comme eux: mais je leur remonstrois que nous n'usions point de ces cruautez, & que nous les faisions mourir tout d'un coup, & que s'ils vouloient que je luy donnasse un coup d'harquebuze, j'en serois content. Ils dirent que non, & qu'il ne sentiroit point de mal. Je m'en allay d'avec eux comme fasch� de voir tant de cruautez qu'ils exercoient sur ce corps. Comme ils veirent que je n'en estois content, ils m'appellerent, & me dirent que je luy donnasse un coup d'harquebuse: ce que je fis, sans qu'il en veist rien. Apr�s qu'il fut mort, ils ne se content�rent pas: car ils luy ouvrirent le ventre, & jetterent ses entrailles dedans le lac, puis luy coup�rent la teste, les bras, & les jambes, qu'ils separerent d'un cost� & d'autre, & reserverent la peau de la teste, qu'ils avoient escorch�e, comme ils avoient fait de tous les autres qu'ils avoient tuez � la charge.

Ils firent encores une autre meschancet�, qui fut, de prendre le coeur, qu'ils coup�rent en plusieurs pieces & le donnerent � manger � un sien frere, & autres de ses compagnons qui estoient prisonniers, lesquels en mirent en leur bouche, mais ils ne le voulurent avaler. Quelques Sauvages Algoumequins qui les avoient en garde, le firent recracher � aucuns, & le jetterent dans l'eau. Voila comme ces peuples traittent ceux qu'ils prennent en guerre, & 169/825vaudroit mieux pour eux mourir en combatant, ou se faire tuer � la chaude, comme il y en a beaucoup qui font, plustost que de tomber entre les mains de leurs ennemis. Apr�s ceste ex�cution faite, nous nous mismes en chemin pour nous en retourner avec le reste des prisonniers, qui alloient toujours chantans, sans autre esperance d'estre mieux traittez que l'autre. Estans aux sauts de la riviere des Hiroquois les Algoumequins s'en retourn�rent en leur pays, & aussi les Ochatequins269, avec une partie des prisonniers, fort contents de ce qui s'estoit passe en la guerre, & de ce que librement j'estois all� avec eux. Nous nous departismes donc les uns des autres avec de grandes protestations d'amiti�, & me dirent si je ne desirois pas aller en leur pays, pour les assister tousjours comme frere: je le leur promis, & m'en revins avec les Montagnets.

Note 269: (retour)

Ochateguins; c'�taient des hurons, dont le chef s'appelait Ochateguin.

Apr�s m'estre inform� des prisonniers de leurs pa�s, & de ce qu'il pouvoit y en avoir, nous ployasmes bagage pour nous en revenir: ce que fismes avec telle diligence, que chacun jour nous faisions 25 & 30 lieues dans leurs canaux, qui est l'ordinaire. Comme nous fusmes � l'entr�e de la riviere des Hiroquois, il y eut quelques Sauvages qui song�rent que leurs ennemis les poursuivoient. Ce songe leur fit aussi tost lever le siege, encores que ceste nuict fust fort mauvaise, � cause des vents & de la pluye qu'il faisoit, & furent passer la nuict dedans de grands roseaux, qui sont dans le lac Sainct Pierre, jusqu'au lendemain. Deux tours apr�s arrivasmes � nostre habitation, o� je leur fis donner 170/826du pain, des pois, & des patenostres, qu'ils me demanderent pour parer la teste de leurs ennemis, pour faire des resjouissances � leur arriv�e. Le lendemain je fus avec eux dans leurs canaux � Tadoussac, pour voir leurs c�r�monies. Approchans de la terre, ils prindrent chacun un b�ton, o� au bout estoient pendues les testes de leurs ennemis, avec ces patenostres, chantans les uns & les autres. Comme ils en furent pr�s, les femmes se despouillerent toutes nues, & se jetterent en l'eau, allans au devant des canaux pour prendre ces testes, pour apr�s les pendre � leur col, comme une chaisne precieuse. Quelques tours apr�s ils me firent present d'une de ces testes, & d'une paire d'armes de leurs ennemis, pour les conserver, afin de les monstrer au Roy: ce que je leur promis, pour leur faire plaisir270.

Note 270: (retour)

Ici, l'�dition de 1613 renferme quelques d�tails de plus, sur ce qui se passa dans l'automne de 1609 et au printemps de 1610. (Voir 1613, p. 200-211.)



Desfaite des Hiroquois pr�s de l'emboucheure de ladite riviere des Hiroquois.

CHAPITRE XI.

L'An 1610271 estant all� dans une barque & quelques hommes de Qu�bec � l'entr�e de la riviere des Hiroquois, attendre 400 Sauvages qui devoient me venir trouver pour les assister en une autre guerre qui se presenta plus proche que nous ne pensions, un Sauvage Algomequin avec son canot vint en diligence advertir que les Algoumequins 171/827avoient fait rencontre des Hiroquois, qui estoient au nombre de cent, & qu'ils estoient fort bien barricadez, & qu'il seroit mal ais� de les emporter, si les Misthigosches ne venoient promptement, (ainsi nous appellent-ils).

Note 271: (retour)

Champlain partit de Qu�bec le 14 juin, et arriva le 19, �� une isle devant ladite riviere des Yroquois.� (Voir 1613, p. 210, 211.)

Aussi tost l'allarme commen�a parmy quelques Sauvages, & chacun se mit en son canot avec ses armes. Ils furent promptement en estat, mais avec confusion; car ils se precipitoient si fort, qu'au lieu d'advancer ils se retardoient. Ils vindrent � nostre barque, me prians d'aller avec eux dans leurs canaux, & mes compagnons aussi, & me presserent si fort, que je m'y embarquay moy cinquiesme. Je priay la Routte, qui estoit nostre pilote, de demeurer en la barque, & m'envoyer encores 4 ou 5 de mes compagnons.

Ayant fait environ demie lieue en traversant la riviere272, tous les Sauvages mirent pied � terre, & abandonnans leurs canaux prindrent leurs rondaches, arcs, flesches, massues, & esp�es, qu'ils emmanchent au bout de grands b�tons, & commenc�rent � prendre leur course dans les bois de telle fa�on, que nous les eusmes bien tost perdus de veue, & nous laisserent 5 que nous estions sans guide: neantmoins nous les suivismes tousjours. Comme nous eusmes chemin� environ demie lieue par l'espois des bois, dans des pallus & marescages, tousjours l'eau jusques aux genoux, armez chacun d'un corcelet de piquier, qui nous importunoit beaucoup, & aussi la quantit� des mousquites qui estoient si espoisses qu'elles ne nous permettoient point presque 172/828de reprendre nostre baleine, tant elles nous persecutoient, & si cruellement, que c'estoit chose estrange, & ne s�avions o� nous estions sans deux Sauvages que nous apperceusmes traversans le bois lesquels nous appellasmes, & leur dy qu'il estoit necessaire qu'ils fussent avec nous pour nous guider & conduire o� estoient les Hiroquois, & qu'autrement nous n'y pourrions aller, & nous esgarerions; ce qu'ils firent. Ayans un peu chemin�, nous apperceusmes un Sauvage qui venoit en diligence nous chercher, pour nous faire advancer le plus promptement qu'il seroit possible, lequel me fit entendre que les Algoumequins & Montagnets avoient voulu forcer la barricade des Hiroquois, & qu'ils avoient est� repoussez, & les meilleurs hommes des Montagnets tuez, & plusieurs autres blessez. Qu'ils s'estoient retirez en nous attendant, & que leur esperance estoit du tout en nous. Nous n'eusmes pas fait demy quart de lieue avec ce Sauvage, qui estoit capitaine Algoumequin, que nous entendions les heurlemens & cris des uns & des autres, qui s'entre-disoient des injures, escarmouchans tousjours l�g�rement en nous attendant. Aussi tost que les Sauvages nous apperceurent, ils commenc�rent � s'escrier de telle fa�on, qu'on n'eust pas entendu tonner. Je donnay charge � mes compagnons de me suivre tousjours, & ne m'escarter point. Je m'approchay de la barricade des ennemis pour la recognoistre. Elle estoit faite de puissans arbres arrangez les uns sur les autres en rond, qui est la forme ordinaire de leurs forteresses273. Tous les 173/829Montagnets & Algoumequins s'approch�rent aussi de lad. barricade. Lors nous commen�asmes � tirer force coups d'harquebuze � travers les fueillards, d'autant que nous ne les pouvions voir comme eux nous. Je fus bless�e en tirant le premier coup sur le bord de leur barricade, d'un coup de flesche qui me fendit le bout de l'oreille, & entra dans le col. Je la prins, & l'arrachay: elle estoit ferr�e par le bout d'une pierre bien aigu�. Un autre de mes compagnons en mesme temps fut aussi bless� au bras d'une autre flesche, que je luy arrachay. Neantmoins ma blesseure ne m'empescha de faire le devoir, & nos Sauvages aussi de leur part, & pareillement les ennemis, tellement qu'on voyoit voler les flesches de part & d'autre menu comme gresle. Les Hiroquois s'estonnoient du bruit de nos harquebuzes, & principalement de ce que les balles per�oient mieux que leurs flesches; & eurent tellement l'espouvente de l'effect qu'elles faisoient, voyans plusieurs de leurs compagnons tombez morts, & blessez, que de crainte qu'ils avoient, croyans ces coups estre sans rem�de, ils se jettoient par terre quand ils entendoient le bruit, aussi ne tirions nous gueres � faute, & deux ou trois balles � chacun coup, & avions la plus-part du temps nos harquebuzes appuy�es sur le bord de leur barricade. Comme je veis que nos munitions commen�oient � manquer, je dis � tous les Sauvages qu'il les falloit emporter de force, & rompre leurs barricades, & pour ce faire, prendre leurs rondaches & s'en couvrir, & ainsi s'en approcher de si pr�s, que 174/830l'on peust lier de bonnes cordes aux pilliers qui les soustenoient, & � force de bras tirer tellement qu'on les renversast, & par ce moyen y faire ouverture suffisante pour entrer dedans leur fort, & que cependant nous � coups d'harquebuzes repousserions les ennemis qui viendroient se presenter pour ses en empescher, & aussi qu'ils eussent � se mettre quelque quantit� apr�s de grands arbres qui estoient proches de ladite barricade, afin de les renverser dessus pour les accabler. Que d'autres couvriroient de leurs rondaches, pour empescher que les ennemis ne les endommageassent, ce qu'ils firent fort promptement. Et comme on estoit en train de parachever, la barque qui estoit � une lieue & demie de nous, nous entendoient batre par l'�cho de nos harquebuzades qui retentissoit jusques � eux, qui fit qu'un jeune homme de Sainct Malo, plein de courage, appell� des Prairies, qui avoit sa barque pr�s de nous pour la traitte de pelleterie, dit � tous ceux qui restoient, que c'estoit une grande honte � eux de me voir battre de la fa�on avec des Sauvages, sans qu'ils me vinssent secourir, & que pour luy il avoit trop l'honneur en recommandation, & ne vouloit point qu'on luy peust faire ce reproche: & sur cela d�lib�ra de me venir trouver dans une chaloupe avec quelques siens compagnons, & des miens, qu'il amena avec luy.

Note 272: (retour)

C'est-�-dire, le fleuve. (Voir 1613, p. 21l et 212, o� il y a quelques d�tails de plus.)

Note 273: (retour)

En comparant le dessin que l'auteur nous a conserv� de cette bataille de 1610, dans l'�dition de 1613, avec les diverses circonstances du r�cit, on doit conclure que la barricade des Iroquois �tait � environ une lieue de l'embouchure du Richelieu, et du c�t� de Contrecoeur, comme l'indique assez la position de la chaloupe du sieur des Prairies; car il est �vident qu'elle ne dut pas remonter au-del� de la barricade.

Aussi tost qu'il fust arriv�, il alla vers le fort des Hiroquois, qui estoit sur le bord de la riviere, o� il mit pied � terre, & me vint chercher. Comme je le veis, je fis cesser nos Sauvages qui rompoient la forteresse, 175/831afin que les nouveaux venus eussent leur part du plaisir. Je priay le sieur des Prairies & ses compagnons de taire quelques salves d'harquebuzades, auparavant que nos Sauvages les emportassent de force, comme ils avoient d�lib�r�: ce qu'ils firent, & tir�rent plusieurs coups, o� chacun se comporta selon son devoir. Apr�s avoir assez tir�, je m'addresse � nos Sauvages, & les incitay de parachever. Aussi tost s'approchans de ladite barricade, comme ils avoient fait auparavant, & nous � leurs aisles, pour tirer sur ceux qui les voudroient empescher de la rompre, ils se comport�rent si bien & si vertueusement, qu'� la faveur de nos harquebuzades ils y firent ouverture, neantmoins difficile � passer, car il y avoit encores la hauteur d'un homme pour entrer dedans, & des branchages d'arbres abbatus, qui nuisoient fort: toutesfois quand je veis l'entr�e assez raisonnable, je dis qu'on ne tirast plus: ce qui fut fait. Au mesme instant vingt ou trente, tant des Sauvages, que de nous autres, entrasmes dedans l'esp�e � la main, sans trouver gueres de resistance. Aussi tost ce qui restoit sain commen�a � prendre la fuitte, mais ils n'alloient pas loin, car ils estoient d�faits par ceux qui estoient � l'entour de ladite barricade, & ceux qui eschaperent se noy�rent dans la riviere. Nous prismes 15 prisonniers, & le reste fut tu� � coups d'harquebuzes, de flesches, & d'esp�es. Quand ce fut fait, il vint une autre chaloupe, & quelques uns de nos compagnons dedans, qui fut trop tard, toutesfois assez � temps pour la despouille du butin, qui n'estoit pas grand'chose: car il n'y avoit que des robbes de castor, des morts 176/832pleins de sang, que les Sauvages ne vouloient prendre la peine de despouiller, & se moquoient de ceux qui le faisoient, qui furent ceux de la derni�re chaloupe. Ayans obtenu la victoire, par la gr�ce de Dieu, ils nous donn�rent beaucoup de louange. Ces Sauvages escorcherent les testes de leurs ennemis morts, ainsi qu'ils ont accoustum� de faire pour troph�e de leur victoire, & les emport�rent. Ils s'en retourn�rent avec 50 blessez des leurs, & 3 morts desdits Montagnets & Algoumequins, en chantant, & leurs prisonniers avec eux. Ils pendirent ces testes � des b�tons devant leurs canaux, & un corps mort coup� par quartiers, pour le manger par vengeance, � ce qu'ils disoient, & vindrent en ceste fa�on jusques o� estoient nos barques, au devant de ladite riviere des Hiroquois.

Mes compagnons & moy nous embarquasmes dans une chaloupe, o� je me fis penser de ma blesseure. Je demanday aux Sauvages un prisonnier Hiroquois, lequel ils me donn�rent. Je le delivray de plusieurs tourments qu'il eust soufferts, comme ils firent � ses compagnons, ausquels ils arrach�rent les ongles, puis leur coup�rent les doigts, & les bruslerent en plusieurs endroits. Cedit jour ils en firent mourir trois de la fa�on. Ils en amen�rent d'autres sur le bord de l'eau, & les attach�rent tous droits � un b�ton, puis chacun venant avec u flambeau d'escorce de bouleau, les brusloient tantost sur une partie, tantost sur l'autre; & ces pauvres miserables sentans ce feu, jettoient des cris si hauts, que c'estoit chose estrange � ouir. Apr�s les avoir bien fait languir de la fa�on, ils prenoient de l'eau, & leur versoient sur le corps, 177/833pour les faire languir davantage; puis leur remettoient derechef le feu de telle fa�on, que la peau tomboit de leurs corps, & continuoient avec grands cris & exclamations, dan�ans jusques � ce que ces pauvres malheureux tombassent morts sur la place.

Aussi tost qu'il tomboit un corps mort � terre, ils frapoient dessus � grands coups de b�ton, puis luy coupoient les bras & les jambes, & autres parties d'iceluy, & n'estoit tenu pour homme de bien entr'eux, celuy qui ne coupoit un morceau de sa chair, & ne la donnoit aux chiens. Neantmoins ils endurent tous ces tourments si constamment, que ceux qui les voyent en demeurent tout estonnez.

Quant aux autres prisonniers qui resterent, tant aux Algoumequins, que Montagnets, ils furent conservez pour les faire mourir, par les mains de leurs femmes & filles, qui en cela ne se monstrent pas moins inhumaines que les hommes, & les surpassent encores en cruaut�: car par leur subtilit� elles inventent des supplices plus cruels, & prennent plaisir de leur faire ainsi finir leur vie.

Le lendemain arriva le Capitaine Yroquet, & un autre Ochategin274, qui avoient 80 hommes, & estoient bien faschez de ne s'estre trouvez � la d�faite. En toutes ces nations il y avoit bien pr�s de 200 hommes, qui n'avoient jamais veu de Chrestiens qu'alors, dont ils firent de grandes admirations.

Note 274: (retour)

Ochateguin.

Nous fusmes trois jours ensemble � une isle275 le travers de la riviere des Hiroquois, puis chacune nation s'en retourna en son pays. J'avois un jeune 178/834gar�on 276, qui avoit hyvern� deux ans � Qu�bec, lequel avoit desir d'aller avec les Algoumequins, pour apprendre la langue, cognoistre leur pays, voir le grand lac, remarquer les rivieres, & quels peuples y habitent: ensemble descouvrir les mines, & choses plus rares de ces lieux, afin qu'� son retour il nous peust donner cognoissance de toutes ces choses. Je luy demanday s'il l'avoit agr�able, car de l'y forcer capitaine ce n'estoit ma volont�. Je fus trouver le Capitaine Yroquet, qui m'estoit fort affectionn�, auquel je demanday s'il vouloit emmener ce jeune gar�on avec luy en son pays pour y hyverner, & le ramener au printemps. Il me promit le faire, & le tenir comme son fils. Il le dit aux Algoumequins, qui n'en furent pas trop contents, pour la crainte qu'il ne luy arrivast quelque accident277.

Note 275: (retour)

Vraisemblablement l'�le de Saint-Ignace. (Voir 1613, p. 219, note l.)

Note 276: (retour)

Ce jeune gar�on �tait, ce semble, �tienne Br�l�; car on lit, dans l'�dition de 1619: �Or y avoit-il avec eux un appell� Estienne Br�l�, l'un de nos truchemens, qui s'estoit adonn� avec eux depuis 8 ans, tant pour passer son temps, que pour voir le pays, & apprendre leur langue & fa�on de vivre�... (1619, p. 133.)

Note 277: (retour)

L'�dition de 1613 renferme ici quelques d�tails de plus sur cet �change d'un jeune fran�ais, que nous croyons �tre �tienne Br�l�, pour un jeune sauvage, (p. 220, 221, 222.)

Leur ayant remonstr� le desir que j'en avois, ils me dirent: Que puis que j'avois ce desir, qu'ils l'emmeneroient, & le tiendroient comme leur enfant; m'obligeant aussi de prendre un jeune homme 278 en sa place, pour mener en France, afin de leur rapporter ce qu'il y auroit veu. Je l'acceptay volontiers, & en fut fort aise. Il estoit de la nation des Ochateguins dits Hurons279. Cela donna plus de sujet de mieux traitter mon gar�on, lequel j'equipay 179/835de ce qui luy estoit necessaire, & promismes les uns aux autres de nous revoir � la fin de Juin.

Note 278: (retour)

Savignon, dont il est parl� en plusieurs endroits de l'�dition 1613, et surtout dans, le Troisi�me Voyage.

Note 279: (retour)

Voir ci-dessus, p. 144.

Quelques jours apr�s ce prisonnier Hiroquois que je faisois garder, par la trop grande libert� que je luy donnois, s'enfuit & se sauva, pour la crainte & appr�hension qu'il avoit, nonobstant les asseurances que luy donnoit une femme de sa nation, que nous avions en nostre habitation280.

Note 280: (retour)

Dans l'�dition de 1613, on trouve, � la fin de ce chapitre, plusieurs autres d�tails importants sur ce qui se passa jusqu'au retour des vaisseaux en 1610, et l'on y voit en m�me temps pourquoi l'auteur place ici la description de la p�che � la baleine, qui occupe le chapitre suivant. (Voir 1613, p. 222-226.)



Description de la pesche des Baleines en la nouvelle France.

CHAPITRE XII.

Il m'a sembl� n'estre hors de propos de faire icy une petite description de la pesche des Baleines que plusieurs n'ont veue & croyent qu'elles se prennent � coups de canon, d'autant qu'il y a de si impudents menteurs qui l'afferment � ceux qui n'en s�avent rien. Plusieurs me l'ont soustenu obstin�ment sur ces faux rapports.

Ceux donc qui sont plus adroits � ceste pesche sont les Basques, lesquels pour ce faire mettent leurs vaisseaux en un port de seuret�, o� proche de l� ils jugent y avoir quantit� de Baleines, & �quipent plusieurs chaloupes garnies de bons hommes & haussieres, qui sont petites cordes faites du meilleur chanvre qui se peut recouvrer, ayant de longueur pour le moins cent cinquante brasses, & ont force pertuisanes longues de demie pique, qui ont 180/836le fer large de six poulces, d'autres d'un pied & demy, & deux de long, bien trenchantes. Ils ont en chacune chaloupe un harponneur, qui est un homme des plus dispos & adroits d'entre eux, aussi tire-t'il les plus grands salaires apr�s les maistres, d'autant que c'est l'office le plus hazardeux. Ladite chaloupe estant hors du port, ils regardent de toutes parts s'ils pourront voir & descouvrir quelque baleine allant � la borde d'un cost� & d'autre; & ne voyans rien, ils vont � terre & se mettent sur un promontoire le plus haut qu'ils trouvent, pour descouvrir de plus loing, o� ils mettent un homme en sentinelle, qui appercevant la baleine, qu'ils descouvrent tant par sa grosseur, que par l'eau qu'elle jette par les �vans, qui est plus d'un poin�on � la fois, & de la hauteur de deux lances; & � ceste eau qu'elle jette, ils jugent ce qu'elle peut rendre d'huile. Il y en a telle d'o� l'on en peut tirer jusques � six vingts poin�ons, d'autres moins.

Or voyans cet espouventable poisson, ils s'embarquent promptement dans leurs chaloupes, & � force de rames, ou de vent, vont jusques � ce qu'ils soient dessus. La voyant entre deux eaues, � mesme instant l'harponneur est au devant de la chaloupe avec un harpon, qui est un fer long de deux pieds & demy de large par les orillons, emmanch� en un baston de la longueur d'une demie pique, o� au milieu il y a un trou o� s'attache la haussiere; & aussi tost que le dit harponneur voit son temps, il jette son harpon sur la baleine, lequel entre fort avant, & incontinent qu'elle se sent bless�e, elle va au fonds de l'eau. Et si d'avanture en se retournant 181/837quelquefois, avec sa queue elle rencontre la chaloupe, ou les hommes, elle les brise aussi facilement qu'un verre. C'est tout le hazard qu'ils courent d'estre tuez en la harponnant. Mais aussi tost qu'ils ont jett� le harpon dessus, ils laissent filer leur haussiere, jusques � ce que la baleine soit au fonds: & quelquefois comme elle n'y va pas droit, elle entraine la chaloupe plus de huict ou neuf lieues, & va aussi viste qu'un cheval, & sont le plus souvent contraints de couper leur haussiere, craignant que la baleine ne les attire souz l'eau. Mais aussi quand elle va tout droit au fonds, elle y repose quelque peu, & puis revient tout doucement sur l'eau, & � mesure qu'elle monte, ils rembarquent leur haussiere peu � peu, & puis comme elle est dessus, ils se mettent deux ou trois chaloupes autour avec leurs pertuisanes, desquelles ils luy donnent plusieurs coups; & se sentant frap�e, elle descend derechef souz l'eau en perdant son sang, & s'affoiblit de telle fa�on, qu'elle n'a plus de force ny de vigueur, & revenant sur l'eau, ils achevent de la tuer. Quand elle est morte, elle ne va plus au fonds de l'eau: & lors ils l'attachent avec de bonnes cordes, & la tra�nent � terre, au lieu o� ils font leur degrat, qui est l'endroit o� ils font fondre le lard de ladite baleine, pour en avoir l'huile.

Voila la fa�on comme elles se peschent, & non � coups de canon, ainsi que plusieurs pensent, comme j'ay dit cy-dessus281.

Note 281: (retour)

� la suite de cette description, se trouvent, dans l'�dition de 1613, les d�tails du retour en France et des dangers que courut l'auteur en revenant en Canada le printemps suivant. (Voir 1613, p. 229-242.)

182/838



Partement de l'Autheur de Quebec: du Mont Royal, ses rochers. Isles ou se trouve la terre � potier. Isle de Saincte H�l�ne 282.

Note 282: (retour)

Il nous para�t �vident que le titre de ce chapitre n'a pas �t� fait par l'auteur lui-m�me. D'abord, cette expression du Mont Royal, pour d�signer autre chose que la Montagne, n'est pas ordinaire � Champlain, qui, dans ce chapitre-ci m�me, se sert encore des noms saut Saint-Louis, ou Grand-Saut, et fait la remarque que ces rochers et basses sont � une lieue du Mont Royal. En second lieu, Champlain n'aurait pas de lui-m�me fait usage de ces mots Isles ou se trouve la terre � potier; puisque, dans le texte, il donne � entendre que cette terre � potier se trouvait dans les prairies voisines. �Il y a aussi, dit-il, quantit� de prairies de tr�s-bonne terre grasse � potier.� Or il est clair que le petit Islet, qui avait � peine �cent pas de long,� ne pouvait contenir quantit� de prairies. (Voir ci-apr�s, p. 184.)

CHAPITRE XIII.

L'An 1611, je remenay mon Sauvage � ceux de sa nation, qui devoient venir au grand Sault Sainct Louys, & retirer mon serviteur qu'ils avoient pour ostage. Je partis de Qu�bec le 20 283 de May, & arrivay audit grand sault le 28, o� je ne trouvay aucun des Sauvages, qui m'avoient promis d'y estre au 20 dudit mois. Aussi tost je fus dans un meschant canot avec le Sauvage que j'avois men� en France, & un de nos gens. Apr�s avoir visit� d'un cost� & d'autre, tant dans les bois, que le long du rivage, pour trouver un lieu propre pour la scituation d'une habitation, & y pr�parer une place pour y bastir, je cheminay 8 lieues par terre costoyant le grand sault par des bois qui sont assez clairs, & fus jusques � un lac 284, o� nostre Sauvage me mena, o� je consideray fort particuli�rement le pays. Mais en tout ce que je veis, je ne trouvay point de lieu plus propre qu'un petit endroit 285, qui est jusques 183/839o� les barques & chaloupes peuvent monter ais�ment, neantmoins avec un grand vent, ou � la cirque, � cause du grand courant d'eau: car plus haut que ledit lieu (qu'avons nomm� la Place royale) � une lieue du Mont royal, y a quantit� de petits rochers & bases, qui sont fort dangereuses. Et proche de ladite Place Royale y a une petite riviere286, qui va assez avant dans les terres, tout le long de laquelle y a plus de 60 arpents de terre desert�es qui sont comme prairies, o� l'on pourroit semer des grains, & y faire des jardinages. Autrefois des Sauvages y ont labour�, mais ils les ont quitt�es pour les guerres ordinaires qu'ils y avoient. Il y a aussi grande quantit� d'autres belles prairies, pour nourrir tel nombre de bestail que l'on voudra, & de toutes les sortes de bois qu'avons en nos forests de parde�a, avec quantit� de vignes, noyers, prunes, cerises, fraises, & autres sortes qui sont tr�s-bonnes � manger; entre autres une qui est fort excellente, qui a le goust sucrain, tirant � celuy des plantaines (qui est un fruict des Indes) & est aussi blanche que nege, & la fueille ressemblant aux orties, & rampe le long des arbres & de la terre comme le lierre. La pesche du poisson y est fort abondante, & de toutes les especes que nous avons en France, & de beaucoup d'autres que nous n'avons point, qui sont tr�s-bons: comme aussi la chasse des oiseaux de diff�rentes especes, & celle des cerfs, daims, chevreuls, caribous, lapins, loups cerviers, ours, castors, & autres petites bestes qui y sont en telle quantit�, que durant que 184/840nous fusmes audit sault, nous n'en manquasmes aucunement.

Note 283: (retour)

On voit, par l'�dition de 1613, que Champlain arr�ta � Qu�bec le 21, pour �tancher sa barque, et qu'il en repartit le m�me jour. (1613, p. 241, 242.)

Note 284: (retour)

Probablement celui des Deux-Montagnes.

Note 285: (retour)

C'est l'endroit m�me o� se fix�rent, en 1642, les premiers habitants de Montr�al, pr�s de ce qu'on a appel� depuis Pointe-�-Calli�res, ou Pointe-Calli�res.

Note 286: (retour)

La petite rivi�re Saint-Pierre.

Ayant donc recogneu fort particuli�rement, & trouv� ce lieu un des plus beaux qui fust en ceste riviere, je fis aussi tost couper & d�fricher le bois de ladite place Royale, pour la rendre unie, & preste � y bastir, & peut-on faire passer l'eau autour ais�ment, & en faire une petite isle, & s'y establir comme l'on voudra.

Il y a un petit islet287 � 20 toises de ladite Place royale, qui a environ cent pas de long, o� l'on peut faire une bonne & forte habitation. Il y a aussi quantit� de prairies de tr�s-bonne terre grasse � potier, tant pour brique, que pour bastir, qui est une grande commodit�. J'en fis accommoder une partie 288, & y fis une muraille de quatre pieds d'espoisseur, & 3 � 4 de haut, & 10 toises de long, pour voir comme elle se conserveroit durant l'hyver quand les eaux descendroient, qui � mon opinion ne s�auroit289 parvenir jusques � ladite muraille, d'autant que le terroir est de 12 pieds eslev� dessus ladite riviere, qui est assez haut. Au milieu du fleuve y a une isle d'environ trois quarts de lieue de circuit, capable d'y bastir une bonne & forte ville, & l'ay nomm�e l'isle de Saincte Heleine290. Ce sault 185/841descend en mani�re de lac, o� il y a deux ou trois isles, & de belles prairies.

Note 287: (retour)

Ce petit �let, dans la carte du grand sault Saint-Louis, est indiqu� par la lettre C, et l'auteur ajoute, au bas: �o� je fis faire une muraille de pierre.�

Note 288: (retour)

Ces mots �J'en fis accommoder une partie,� ont �t� remplac�s, dans l'�dition de 1640, par ceux-ci: �J'en fis faire un bon essay.� Comme il est tr�s-probable que cette correction n'est pas de Champlain, il est permis de douter qu'elle ait �t� faite � propos: car elle change le sens d'une phrase qui, suivant nous, est parfaitement intelligible, �J'en fis accommoder une partie,� c'est-�-dire, je fis accommoder, ou pr�parer une partie de l'�let, �& y fis une muraille,� etc.

Note 289: (retour)

L'�dition de 1640 remplace ce mot par �pouvoit.�

Note 290: (retour)

Voir 1613, p. 245, note l.—Hist. de la Colonie fran�aise en Canada, I, p. 129, 130.

En attendant les Sauvages je fis faire deux jardins, l'un dans les prairies, & l'autre au bois, que je fis deserter, & le deuxiesme jour de juin l'y semay quelques graines, qui sortirent toutes en perfection, & en peu de temps, qui demonstre la bont� de la terre.

Je me resolus d'envoyer Savignon nostre Sauvage avec un autre, pour aller au devant de ceux de son pays, afin de les faire haster de venir & se deliberent291 d'aller dans nostre canot, qu'ils doutoient, d'autant qu'il ne valloit pas beaucoup.

Note 291: (retour)

L'�dition de 1640 porte: �delibererent.�

Le 7e jour 292 je fus recognoistre une petite riviere 293 par o� vont quelquefois les Sauvages � la guerre, qui se va rendre au sault de la riviere des Hiroquois: elle est fort plaisante, y ayant plus de trois lieues de circuit de prairies, & force terres, qui se peuvent labourer. Elle est � une lieue du grand sault, & lieue & demie de la Place Royale.

Note 292: (retour)

Le 7 juin.

Note 293: (retour)

La rivi�re Saint-Lambert. Les prairies dont parle ici Champlain, nous font conna�tre l'origine du nom de Laprairie, o� passe cette rivi�re.

Le 9e jour nostre Sauvage arriva, qui fut quelque peu pardel� le lac 294, qui a environ dix lieues de long, lequel j'avois veu auparavant, o� il ne fit rencontre d'aucune chose, & ne peurent passer plus loin � cause de leurd. canot qui leur manqua, & furent contraints de s'en revenir. Ils nous rapport�rent que passant le sault ils veirent une isle o� il y avoit si grande quantit� de h�rons, que l'air en estoit tout 186/842couvert. Il y eut un jeune homme 295 appell� Louys, qui estoit fort amateur de la chasse, lequel entendans cela voulut y aller contenter sa curiosit�, & pria fort instamment nostredit sauvage de l'y mener: ce que le Sauvage luy accorda, avec un Capitaine Sauvage Montagnet, fort gentil personnage, appelle Outetoucos. D�s le matin ledit Louys fut appeller les deux Sauvages, pour s'en aller � ladite isle des H�rons. Ils s'embarqu�rent dans un canot, & y furent. Ceste isle est au milieu du sault296, o� ils prirent telle quantit� de heronneaux, & autres oiseaux qu'ils voulurent, & se r'embarquerent en leur canot. Outetoucos contre la volont� de l'autre Sauvage, & de l'instance qu'il peut faire, voulut passer par un endroit fort dangereux, o� l'eau tomboit pr�s de trois pieds de haut, disant que d'autres fois il y avoit pass�, ce qui estoit faux. Il fut long temps � d�battre contre nostre Sauvage, qui le voulut mener du cost� du sud le long de la grand terre, par o� le plus souvent ils ont accoustum� de passer: ce que Outetoucos ne desira, disant qu'il n'y avoit point de danger. Comme nostre Sauvage le veit opiniastre, il condescendit � sa volont�: mais il luy dit qu'� tout le moins on deschargeast le canot d'une partie des oiseaux qui estoient dedans, d'autant qu'il estoit trop charg�, ou qu'infailliblement ils empliroient d'eau, & se perdroient: ce qu'il ne voulut faire, disant qu'il seroit assez � temps s'ils voyoient qu'il y eust du p�ril pour eux. Ils se laisserent donc tomber dans le courant.

Note 294: (retour)

Le lac des Deux-Montagnes a environ dix lieues dans sa plus grande longueur, et c'est l� que Champlain s'�tait rendu quelques jours auparavant. (Voir ci-dessus, p. 182.)

Note 295: (retour)

�Qui estoit au sieur de Mons.� (�dit. 1613.)

Note 296: (retour)

Voir 1613, p. 246, note 3.

187/843Comme ils furent dans la cheutte du sault, ils en voulurent sortir, & jetter leurs charges, mais il n'estoit plus temps, car la vistesse de l'eau les maistrisoit ainsi qu'elle vouloit, & emplirent aussi tost dans les bouillons du sault, qui leur faisoient faire mille tours haut & bas, & ne l'abandonn�rent de long temps. En fin la roideur de l'eau les lassa de telle fa�on, que ce pauvre Louys qui ne s�avoit aucunement nager, perdit tout jugement, & le canot estant au fonds de l'eau, il fut contraint de l'abandonner; & revenant au haut, les deux autres qui le tenoient tousjours ne veirent plus nostre Louys, & ainsi mourut miserablement297.

Note 297: (retour)

Voir 1613, p. 247, note 2.

Estans sortis hors dudit sault, ledit Outetoucos estant nud, & se fiant en son nager, abandonna le canot, pour gaigner la terre, si que l'eau y courant de grande vistesse, il se noya: car il estoit si fatigu� & rompu de la peine qu'il avoit eue, qu'il estoit impossible qu'il se peust sauver.

Nostre Sauvage Savignon mieux advis�, tint tousjours fermement le canot, jusques � ce qu'il fut dans un remoul, o� le courant de l'eau l'avoit port�, & sceut si bien faire, quelque peine & fatigue qu'il eust eue, qu'il vint tout doucement � terre, o� estant arriv� il jetta l'eau du canot, & s'en revint avec grande apprehension qu'on ne se vengeast sur luy, comme ils font entr'eux, & nous conta ces tristes nouvelles, qui nous apport�rent du desplaisir.

Le lendemain 298 je fus dans un autre canot audict 188/844sault avec le Sauvage, & un autre de nos gens, pour voir l'endroit o� ils s'estoient perdus, & aussi si nous trouverions les corps. Je vous asseure que quand il me monstra le lieu, les cheveux me herisserent en la teste, & m'estonnois comme les defuncts avoient est� si hardis & hors de jugement de passer en un endroit si effroyable, pouvans aller ailleurs: car il est impossible d'y passer, pour avoir sept � huict cheuttes d'eau, qui descendent de degr� en degr�, le moindre de trois pieds de haut, o� il se faisoit un frein & bouillonnement estrange, & une partie dudit sault estoit toute blanche d'escume, avec un bruit si grand, que l'on eust dit que c'estoit un tonnerre, comme l'air retentissoit du bruit de ces cataraques. Apr�s avoir veu & consider� particuli�rement ce lieu, & cherch� le long du rivage lesdits corps, cependant qu'une chaloupe assez l�g�re estoit all�e d'un autre cost�, nous nous en revinsmes sans rien trouver.

Note 298: (retour)

Vraisemblablement, le 11 juin.



Deux cents Sauvages ram�nent le Fran�ois qu'on leur avoit baill� & remmen�rent leur Sauvage qui estoit retourn� de France. Plusieurs discours de part & d'autre.

CHAPITRE XIIII.

Le 13e jour dudit mois299, deux cents Sauvages Hurons300, avec les Capitaines Ochateguin, Yroquet, & Tregouaroti301, fr�re de nostre Sauvage, 189/845amen�rent mon gar�on. Nous fusmes fort contents de les voir, & fus au devant d'eux avec un canot, & nostre Sauvage. Cependant qu'ils approchoient doucement en ordre, les nostres s'appareill�rent de leur faire une escopeterie d'harquebuzes & mousquets, & quelques petites pi�ces. Comme ils approchoient, ils commenc�rent � crier tous ensemble, & un des chefs commanda de faire leur harangue, o� ils nous louoient fort, & nous tenant pou v�ritables, de ce que je leur avois tenu ce que je leur promis, qui estoit de les venir trouver audit sault. Apr�s avoir fait trois autres cris, l'escopeterie tira par deux fois, qui les estonna de telle fa�on, qu'ils me pri�rent de dire que l'on ne tirast plus, & qu'il y en avoit la plus grand'part qui n'avoient jamais veu de Chrestiens, ny ouy des tonnerres de la fa�on, & craignoient qu'il ne leur fist mal, & furent fort contents de voir nostredict Sauvage sain, qu'ils pensoient estre mort, sur des rapports que leur avoient faits quelques Algoumequins, qui l'avoient ouy dire � des Sauvages Montagnets. Le Sauvage se loua grandement du bon traittement que je luy avois fait en France, & des singularitez qu'il y avoit veues, dont ils entr�rent tous en admiration, & s'en all�rent cabaner dans le bois assez l�g�rement, attendant le lendemain que je leur monstrasse le lieu o� je desirois qu'ils se logeassent. Aussi je veis mon gar�on qui estoit habill� � la Sauvage, qui se loua aussi302 du bon traittement des Sauvages, selon leur pays, & me fit entendre tout ce qu'il avoit veu en son hyvernement, & ce qu'il avoit appris avec eux.

Note 299: (retour)

Le 13 de juin.

Note 300: (retour)

Comparez 1613, p. 249.

Note 301: (retour)

Tregouaroti �tait huron, puisque Savignon, son fr�re, �tait de la nation huronne, comme il est dit plus haut. Mais Iroquet �tait algonquin.

Note 302: (retour)

L'�dition de 1640 remplace aussi par bien.

190/846Le lendemain venu, je leur monstray un lieu pour aller cabaner, o� les anciens & principaux deviserent fort ensemble. Et apr�s avoir est� un long temps en cet estat, ils me virent appeller seul avec mon gar�on, qui avoit fort bien appris leur langue303, & luy dirent qu'ils desiroient contracter une estroitte amiti� avec moy, veu les courtoisies que je leur avois faites par le pass�, en se louant tousjours du traittement que j'avois fait � nostre Sauvage, comme � mon fr�re, & que cela les obligeoit tellement � me vouloir du bien, que tout ce que je desirerois d'eux, ils essayeroient � me satisfaire. Apr�s plusieurs discours, ils me firent un pr�tent de 100 cators. Je leur donnay en eschange d'autres sortes de marchandises, & me dirent qu'il y avoit plus de 400 Sauvages qui devoient venir de leur pays, & ce qui les avoit retardez, fut un prisonnier Hiroquois qui estoit � moy, qui s'estoit eschap�, & s'en estoit retourn� en son pays. Qu'il avoit donn� � entendre que je luy avois donn� libert�, & des marchandises, & que je devois aller audit sault avec 600 Hiroquois attendre les Algoumequins, & les tuer tous. Que la crainte de ces nouvelles les avoit arrestez, & que sans cela ils fussent venus. Je leur fis response, que le prisonnier s'estoit desrob� sans que je luy eusse donn� cong�, & que nostredit Sauvage s�avoit bien de quelle fa�on il s'en estoit all�, & qu'il n'y avoit aucune apparence de laisser leur amiti�, comme ils avoient ouy dire, ayant est� � la guerre avec eux, & envoy� mon gar�on en leur 191/847pays, pour entretenir leur amiti�, & que la promesse que je leur avois si fid�lement tenue, le confirmoit encores. Ils me respondirent, Que pour eux ils ne l'avoient aussi jamais pens�, & qu'ils recognoissoient bien que tous ces discours estoient esloignez de la v�rit�; & que s'ils eussent creu autrement, qu'ils ne fussent pas venus, & que c'estoit les autres qui avoient eu peur, pour n'avoir jamais veu de Fran�ois, que mon gar�on. Ils me dirent aussi qu'il viendroit trois cents Algoumequins dans cinq ou six tours, si on les vouloit attendre, pour aller � la guerre avec eux contre les Hiroquoits, & que si je n'y venois ils s'en retourneroient sans la faire. Je les entretins fort sur le sujet de la source de la grande riviere, & de leur pays, dont ils me discoururent fort particuli�rement, tant des rivieres, sauts, lacs, terres, que des peuples qui y habitent, & de ce qui s'y trouve. Quatre d'entre eux m'asseurerent qu'ils avoient veu une mer fort esloign�e de leur pays, & le chemin difficile, tant � cause des guerres, que des deserts qu'il faut passer pour y parvenir. Ils me dirent aussi que l'hyver pr�c�dant il estoit venu quelques Sauvages du cost� de la Floride, par derri�re le pays des Hiroquois, qui voyoient nostre mer Oceane, & ont amiti� avec lesd. Sauvages. En fin ils m'en discoururent fort exactement, me demonstrans par figures tous les lieux o� ils avoient est�, prenans plaisir � me raconter toutes ces choses; & moy je ne m'ennuyois � les entendre, pour s�avoir d'eux ce dont j'estois en doute. Apr�s tous ces discours finis, je leur dis qu'ils mesnageassent ce peu de commoditez qu'ils avoient, ce qu'ils firent.

Note 303: (retour)

Cette circonstance vient encore nous confirmer dans l'opinion que ce jeune fran�ais �tait �tienne Br�l�: c'est parce qu'il poss�dait bien la langue huronne, que l'on continua � l'employer comme interpr�te pendant un grand nombre d'ann�es.

192/848Le lendemain304 apr�s avoir traict� tout ce qu'ils avoient, qui estoit peu de chose, ils firent une barricade autour de leur logement, du cost� du bois, & disoient que c'estoit pour leur seuret�, afin d'eviter la surprise de leurs ennemis: ce que nous prismes pour argent comptant. La nuict venue, ils appellerent nostre Sauvage, qui couchoit � ma patache, & mon gar�on, qui les furent trouver. Apr�s avoir tenu plusieurs discours, ils me firent aussi appeller environ sur la my-nuict. Estant en leurs cabanes, je les trouvay tous assis en conseil, o� ils me firent asseoir pr�s d'eux, disans que leur coustume estoit que quand ils vouloient proposer quelque chose, ils s'assembloient de nuict, afin de n'estre divertis par l'aspect d'aucune chose, & que le jour divertissoit l'esprit par les objects: mais � mon opinion ils me vouloient dire leur volont� en cachette, se fians en moy, comme ils me donn�rent � entendre depuis, me disans qu'ils eussent bien desir� me voir seul. Que quelques-uns d'entr'eux avoient est� battus. Qu'ils me vouloient autant de bien qu'� leurs enfans, ayans telle fiance en moy, que ce que je leur dirois ils le feroient, mais qu'ils se mesfioient fort des autres Sauvages. Que si je retournois, que j'amenasse telle quantit� de gens que je voudrois, pourveu qu'ils fussent souz la conduite d'un chef, & qu'ils m'envoyoient qu�rir, pour m'asseurer d'avantage de leur amiti�, qui ne se romproit jamais, & que je ne fusse point fasch� contre eux. Que s�achans que j'avois pris d�lib�ration de voir leur pays, ils me le feroient voir au p�ril de leurs vies, m'assistans 193/849d'un bon nombre d'hommes qui pourroient passer par tout, & qu'� l'advenir nous devions esperer d'eux comme ils faisoient de nous. Aussi tost ils firent venir 30 castors & 4 carquans de leurs porcelaine (qu'ils estiment entre eux comme nous faisons les chaisnes d'or). Que ces presens estoient d'autres Capitaines, qui ne m'avoient jamais veu, qui me les envoyoient, & qu'ils desiroient estre tousjours de mes amis: mais que s'il y avoit quelques Fran�ois qui voulurent aller avec eux, qu'ils en eussent est� fort contents, & plus que jamais, pour entretenir une ferme amiti�.

Note 304: (retour)

Le 15 de juin.

Apr�s plusieurs discours, je leur proposay, Qu'ayans la volont� de me faire voir leur pays, je supplierois sa Majest� de nous assister jusques � 40 ou 50 hommes armez de choses necessaires pour ledit voyage, & que je m'embarquerois avec eux, � la charge qu'ils nous entretiendroient de ce qui seroit de besoin pour nostre vivre durant ledit voyage. Que je leur apporterois dequoy faire des presens aux chefs qui sont dans les pays par o� nous passerions, puis nous nous en reviendrions hyverner en nostre habitation. Que si je recognoissois le pays bon & fertile, l'on y feroit plusieurs habitations, & que par ce moyen aurions communication les uns avec les autres, vivans heureusement � l'avenir en la crainte de Dieu, qu'on leur feroit cognoistre.

Ils furent fort contents de ceste proposition, & me prierent d'y tenir la main, disans qu'ils feroient de leur part tout ce qui leur seroit possible pour en venir � bout; & que pour ce qui estoit des vivres, nous n'en manquerions non plus qu'eux-mesmes: 194/850m'asseurans derechef de me faire voir ce que je desirois. L� dessus je pris cong� d'eux au poinct du jour en les remerciant de la volont� qu'ils avoient de favoriser mon desir, les priant de tousjours continuer.

Le lendemain 17e jour dudit mois, ils d�libererent s'en retourner, & emmener Savignon, auquel je donnay quelques bagatelles, me faisant entendre qu'il s'en alloit mener une vie bien p�nible, au prix de celle qu'il avoit eue en France. Ainsi il se separa avec grand regret, & moy bien aise d'en estre descharg�. Deux Capitaines me dirent que le lendemain au matin ils m'envoyeroient qu�rir, ce qu'ils firent. Je m'embarquay, & mon gar�on avec ceux qui vinrent. Estant au sault, nous fusmes dans le bois quelques lieues, o� ils estoient cabannez sur le bord d'un lac, o� j'avois est� auparavant. Comme ils me veirent, ils furent fort contents, & commencerent � s'escrier selon leur coustume, & nostre Sauvage s'en vint au devant de moy me prier d'aller en la cabanne de son fr�re, o� aussi tost il fit mettre de la chair & du poisson sur le feu, pour me festoyer.

Durant que je fus l� il se fit un festin, o� tous les principaux furent invitez, & moy aussi. Et bien que t'eusse desja pris ma refection honnestement, n�antmoins pour ne rompre la coustume du pays j'y fus. Apr�s avoir repeu ils s'en all�rent dans les bois tenir leur conseil, & cependant je m'amusay � contempler le pa�sage de ce lieu, qui est fort agr�able. Quelque temps apr�s ils m'envoyerent appeller pour me communiquer ce qu'ils avoient resolu entre eux.

195/851J'y fus avec mon gar�on. Estant assis aupr�s d'eux ils me dirent qu'ils estoient fort aises de me voir, & n'avoir point manqu� � ma parole de ce que je leur avois promis, & qu'ils recognoissoient de plus en plus mon affection, qui estoit � leur continuer mon amiti�, & que devant que partir, ils desiroient prendre cong� de moy, & qu'ils eussent eu trop de desplaisir s'ils s'en fussent aller sans me voir encore une fois, croyans qu'autrement je leur eusse voulu du mal305. Ils me pri�rent encores de leur donner un homme. Je leur dis que s'il y en avoit parmy nous qui y voulussent aller, que j'en serois fort content.

Note 305: (retour)

Conf. 1613, p. 257.

Apr�s m'avoir fait entendre leur volont� pour la derni�re fois, & moy � eux la mienne, il y eut un Sauvage qui avoit est� prisonnier par trois fois des Hiroquois, & s'estoit sauv� fort heureusement, qui resolut d'aller � la guerre luy dixiesme, pour se venger des cruautez que ses ennemis luy avoient fait souffrir. Tous les Capitaines me pri�rent de l'en destourner si je pouvois, d'autant qu'il estoit fort vaillant, & craignoient qu'il ne s'engageait si avant parmy les ennemis avec si petite troupe, qu'il n'en revinst jamais. Je le fis pour les contenter, par toutes les raisons que je luy peus all�guer, lesquelles luy servirent peu, me monstrant une partie de ses doigts coupez, & de grandes taillades & bruslures qu'il avoit sur le corps, & qu'il luy estoit impossible de vivre, s'il ne faisoit mourir de ses ennemis, & n'en avoit la vengeance, & que son coeur luy disoit qu'il falloit qu'il partist au plustost qu'il luy seroit possible: ce qu'il fit.

196/852Apr�s avoir fait avec eux, je les priay de me ramener en nostre patache. Pour ce faire, ils �quip�rent 8 canaux pour passer ledit sault, & se despouillerent tout nuds, & me firent mettre en chemise; car souvent il arrive que d'aucuns se perdent en le passant parquoy se tiennent-ils les uns pr�s des autres pour se secourir promptement, si quelque canot venoit � se renverser. Ils me disoient: Si par mal-heur le tien venoit � tourner, ne s�achant point nager, ne l'abandonne en aucune fa�on, & te tiens bien � de petits b�tons qui y sont par le milieu, car nous te sauverons ais�ment. Je vous asseure que ceux qui n'ont veu ny pass� ledit endroit en des petits bateaux comme ils ont, ne le pourroient pas passer sans grande apprehension, mesmes les plus asseur�s du monde. Mais ces peuples sont si adroits � passer les sauts, que cela leur est facile. Je le passay avec eux: ce que je n'avois jamais fait, ny aucun Chrestien, horsmis mon gar�on: & vinsmes � nos barques, o� j'en logeay une bonne partie 306.

Note 306: (retour)

Conf. 1613, p. 260.

Il y eut un jeune homme des nostres qui se delib�ra d'aller avec les Sauvages qui sont Hurons307, esloignez du sault d'environ 180 lieues, & fut avec le fr�re de Savignon 308, qui estoit l'un des Capitaines, qui me promit luy faire voir tout ce qu'il pourroit309.

Note 307: (retour)

L'�dition de 1613 porte: �Charioquois.�

Note 308: (retour)

Tregouaroti.

Note 309: (retour)

�Et celuy de Bouvier fut avec ledit Yroquet Algoumequin.� (1613, p. 260.)

Le lendemain310 vindrent nombre de Sauvages Algoumequins, qui traitterent ce peu qu'ils avoient, & me firent encores present particuli�rement de 197/853trente castors, dont je les recompensay. Ils me prierent que je continuasse � leur vouloir du bien: ce que je leur promis. Ils me discoururent fort particuli�rement sur quelques descouvertures du cost� du nort, qui pouvoient apporter de l'utilit�. Et sur ce sujet ils me dirent que s'il y avoit quelqu'un de mes compagnons qui voulust aller avec eux, qu'ils luy feroient voir chose qui m'apporteroit du contentement, & qu'ils le traitteroient comme un de leurs enfans. Je leur promis de leur donner un jeune gar�on 311, dont ils furent fort contents. Quand il print cong� de moy pour aller avec eux, je luy baillay un memoire fort particulier des choses qu'il devoit observer estant parmy eux.

Note 310: (retour)

Le 16 de juillet. L'�dition de 1613 renferme beaucoup de d�tails sans lesquels il est difficile de bien entendre ce passage. (Voir 1613, p. 260-263.)

Note 311: (retour)

Il est assez probable que ce jeune gar�on �tait Nicolas de Vignau, dont il est parle quelques pages plus loin; car nous avons vu (p. 178, 190) que celui qu'il confia aux sauvages, en 1610, �tait vraisemblablement �tienne Br�l�, et il ne para�t pas qu'il en ait envoy� d'autres les ann�es pr�c�dentes, ni en 1612.

Apr�s qu'ils eurent traict� tout le peu qu'ils avoient, ils se separerent en trois, les uns pour la guerre, les autres par ledit grand sault, & les autres par une petite riviere, qui va rendre en celle dudit grand sault; & partirent le 18e jour dudit mois 312, & nous aussi. Le 19 j'arrivay � Qu�bec, o� je me resolus de retourner en France 313, & arrivay � la Rochelle le 11 d'Aoust314.

Note 312: (retour)

Le 18 juillet.

Note 313: (retour)

�Le 23 j'arrivay � Tadoussac, o� estant je me resolus de revenir en France, avec l'advis de Pont-grav�.� (1613, p. 264.)

Note 314: (retour)

Le 10 septembre. En revoyant le texte de l'�dition de 1613, on reconna�t ais�ment que c'est ici une inadvertance. (Voir 1613, p. 265.) Champlain s'embarque, � Tadoussac, dans le vaisseau du capitaine Tibaut de La Rochelle, le 11 d'ao�t, et il arrive � La Rochelle le 10 septembre. L'�dition de 1613 renferme de plus les d�tails de toutes les difficult�s qui retinrent l'auteur en France l'ann�e suivante. Ces d�tails, dans l'�dition de 1632, que nous reproduisons ici, forment le chapitre V du livre suivant, et l'auteur y ajoute, entre autres choses, la commission qui lui fut donn�e par le comte de Soissons.

Fin du troisiesme Livre.




198/854

LES VOYAGES

DU SIEUR DE

CHAMPLAIN.


LIVRE QUATRIESME.


Partement de France; & ce qui se passa jusques � nostre arriv�e au Sault Sainct Louys.

CHAPITRE PREMIER.

Je partis de Rouen le 5 Mars315 pour aller Honfleur, o� je m'embarquay316, & le 7 May j'arrivay � Qu�bec, o� je trouvay ceux qui y avoient hyvern� en bonne disposition, sans avoir est� malades, lesquels nous dirent que l'hyver n'avoit point est� grand, & que la riviere n'avoit point gel�. Les arbres commen�oient aussi � se revestir de fueilles, & les champs � s'esmailler de fleurs.

Note 315: (retour)

De l'ann�e 1613. Pour plus amples d�tails, voir 1613, p. 283-287, et ci-apr�s, ch. v.

Note 316: (retour)

Il s'embarqua le lendemain, 6 de mars, dans le vaisseau de Pont-Grav�. (1613, P. 287.)

Le 13, je partis de Qu�bec pour aller au Sault Sainct Louys, o� j'arrivay le 21 317. Or n'ayant que deux canaux, je ne pouvois mener avec moy que 199/8554 hommes, entre lesquels estoit un nomm� Nicolas de Vignau, le plus impudent menteur qui se soit veu de long temps, comme la suitte de ce discours le fera voir, lequel autrefois avoit hyvern� avec les Sauvages, & que j'avois envoy� aux descouvertes les ann�es pr�c�dentes. Il me rapporta � son retour � Paris en l'ann�e 1612. qu'il avoit veu la mer du nort. Que la riviere des Algoumequins318 sortoit d'un lac qui s'y deschargeoit, & qu'en 17 journ�es l'on pouvoit aller & venir du Sault Sainct Louys � ladite mer. Qu'il avoit veu le bris & fracas d'un vaisseau Anglois, qui s'estoit perdu � la coste, o� il y avoit 80 hommes qui s'estoient sauvez � terre, que les Sauvages tu�rent, � cause que lesdits Anglois leur vouloient prendre leurs bleds d'Inde, & autres vivres, par force, & qu'il en avoit veu les testes, qu'iceux Sauvages avoient escorch�es (selon leur coustume) lesquelles ils me vouloient faire voir, ensemble me donner un jeune gar�on Anglois qu'ils m'avoient gard�. Ceste nouvelle m'avoit fort resjouy, pensant avoir trouv� bien pr�s ce que je cherchois bien loin. Ainsi je le conjuray de me dire la verit�, afin d'en advertir le Roy, & luy remonstray que s'il donnoit quelque mensonge � entendre, il se mettoit la corde au col: aussi que si sa relation estoit veritable, il se pouvoit asseurer d'estre bien recompens�. Il me l'asseura encor avec serments plus grands que jamais. Et pour mieux jouer son rolle, il me bailla une relation du pays, qu'il disoit avoir faite au mieux qu'il luy avoit est� possible. L'asseurance donc que je voyois en luy, la simplicit� de laquelle se le jugeois 200/856plein, la relation qu'il avoit dress�e, le bris & fracas du vaisseau, & les choses cy-devant dites, avoient grande apparence, avec le voyage des Anglois vers Labrador, en l'ann�e 1612. o� ils ont trouv� un destroit qu'ils ont couru jusques par le 63 degr� de latitude, & 290 de longitude, & ont hyvern� par le 53 degr� & perdu quelques vaisseaux, comme leur relation en fait foy319. Ces choses me faisans croire son dire v�ritable, j'en fis d�s lors rapport � Monsieur le Chancelier 320; & le fis voir � Messieurs le Mareschal de Brissac, & President Jeanin, & autres Seigneurs de la Cour, lesquels me dirent qu'il falloit que je veisse la chose en personne. Cela fut cause que je priay le sieur Georges, marchand de la Rochelle, de luy donner passage dans son vaisseau, ce qu'il fit volontiers; o� estant, il l'interrogea pourquoy il faisoit ce voyage. Et d'autant qu'il luy estoit inutile, il luy demanda s'il esperoit quelque salaire, lequel fit response que non, & qu'il n'en pretendoit d'autre que du Roy, & qu'il n'entreprenoit le voyage que pour me monstrer la mer du nort, qu'il avoit veue, & luy en fit � la Rochelle une d�claration pardevant deux Notaires.

Note 317: (retour)

Conf. 1613, p. 290, 291.

Note 318: (retour)

L'Outaouais.

Note 319: (retour)

Voir 1613, p. 293.

Note 320: (retour)

Nicolas Br�lart de Sillery.

Or comme je prenois cong� de tous les Chefs, le our de la Pentecoste321, aux pri�res desquels je me recommandois, & de tous en g�n�ral, je luy dis en leur presence, que si ce qu'il m'avoit cy devant dit n'estoit vray, qu'il ne me donnast la peine d'entreprendre le voyage, pour lequel faire, il falloit courir< 201/857plusieurs dangers. Il asseura encores derechef tout ce qu'il avoit dit, au p�ril de sa vie.

Note 321: (retour)

La Pentec�te, cette ann�e, tombait le 26 de mai.

Ainsi nos canaux chargez de quelques vivres, de nos armes & marchandises, pour faire present aux Sauvages, je partis le Lundy 27 May de l'isle de Saincte Heleine, avec quatre Fran�ois & un Sauvage, & me fut donn� un adieu de nostre barque avec quelques coups de petites pi�ces. Ce jour nous ne fusmes qu'au Sault Sainct Louys, qui n'est qu'une lieue au dessus, � cause du mauvais temps, qui ne nous permit de passer plus outre.

Le 29, nous le passasmes partie par terre, partie par eau, o� il nous fallut porter nos canaux, hardes, vivres & armes sur nos espaules, qui n'est pas petite peine � ceux qui n'y sont pas accoustumez: & apr�s l'avoir esloign� deux lieues, nous entrasmes dans un lac322 qui a de circuit environ 12 lieues, o� se deschargent 3 rivieres323, l'une venant de l'ouest, du cost� des Ochataiguins, esloignez du grand sault de 150 ou 200 lieues: l'autre du sud pays des Hiroquois, de pareille distance: & l'autre vers le nort, qui vient des Algoumequins & Nebicerini, aussi � peu pr�s de semblable distance. Ceste riviere du nort (suivant le rapport des Sauvages) vient de plus loin 324, & passe par des peuples qui leur sont incogneus, distans environ de 300 lieues d'eux.

Note 322: (retour)

Le lac Saint-Louis. (Voir 1613, p. 294, note 2.)

Note 323: (retour)

Voir 1613, p. 295, notes 1, 2, 3, 4.

Note 324: (retour)

Vient de plus loin que les Nebicerini: l'Outaouais, comme on sait, prend sa source une cinquantaine de lieues plus au nord que le lac Nipissing.

Ce lac est remply de belles & grandes isles, qui ne sont que prairies, o� il y a plaisir de chasser, la 202/858venaison & le gibbier y estans en abondance, aussi bien que le poisson. Le pays qui l'environne est remply de grandes forests. Nous fusmes coucher �, l'entr�e dudit lac, & fismes des barricades, � cause des Hiroquois qui rodent par ces lieux pour surprendre leurs ennemis; & m'asseure que s'ils nous eussent tenu, ils nous eussent fait le mesme traittement; c'est pourquoy toute la nuict nous fismes bon guet. Le lendemain je prins la hauteur de ce lieu, qui est par les 45 degrez 18 minutes de latitude. Sur les trois heures du soir nous entrasmes dans la riviere qui vient du nort, & passasmes un petit sault par terre pour soulager nos canaux, & fusmes � une isle le reste de la nuict en attendant le jour. Le dernier May nous passasmes par un autre lac325 qui a 7 ou 8 lieues de long, & 3 de large, o� il y a quelques isles. Le pays d'alentour est fort uny, horsmis en quelques endroits, o� il y a des costaux couverts de pins. Nous passasmes un sault, qui Sault de est appell� de ceux du pays Quenechouan326, qui est remply de pierres & rochers, o� l'eau y court de grand' vistesse; & nous fallut mettre en l'eau, & traisner nos canaux bord � bord de terre avec une corde. A demie lieue de l� nous en passasmes un autre petit � force d'avirons, ce qui ne se fait sans suer, & y a une grande dext�rit� � passer ces sauts, pour eviter les bouillons & brisans qui les traversent: ce que les Sauvages sont d'une telle adresse, qu'il est impossible de plus, cherchans les destours & lieux plus aisez qu'ils cognoissent � l'oeil.

Note 325: (retour)

Le lac des Deux-Montagnes.

Note 326: (retour)

Voir 1613, p. 296, note 4.

203/859Le Samedy premier de Juin nous passasmes encor deux autres sauts: le premier contenant demie lieue de long, & le second une lieue, o� nous eusmes bien de la peine: car la rapidit� du courant est si grande, qu'elle fait un bruit effroyable; & descendant de degr� en degr�, fait une escume si blanche par tout, que l'eau ne paroist aucunement. Ce sault est sem� de rochers, & quelques isles qui sont �a & l�, couvertes de pins & c�dres blancs. Ce fut l� o� nous eusmes de la peine: car ne pouvans porter nos canaux par terre, � cause de l'espoisseur du bois, il nous les falloit tirer dans l'eau avec des cordes, & en tirant le mien, je me pensay perdre, � cause qu'il traversa dans un des bouillons; & si je ne fusse tomb� favorablement entre deux rochers, le canot m'entraisnoit, d'autant que je ne peus d�faire assez � temps la corde qui estoit entortill�e � l'entour de ma main, qui me l'offensa fort, & me la pensa couper. En ce danger je m'escriay � Dieu, & commen�ay � tirer mon canot, qui me fut renvoy� par le remouil de l'eau qui se fait en ces sauts: & lors estant eschap� je louay Dieu, le priant nous preserver. Nostre Sauvage vint apr�s pour me secourir, mais j'estois hors de danger; & ne se faut estonner si j'estois curieux de conserver nostre canot: car s'il eust est� perdu, il falloit faire estat de demeurer, ou attendre que quelques Sauvages passassent par l�, qui est une pauvre attente � ceux qui n'ont dequoy disner, & qui ne sont accoustumez � telle fatigue. Pour nos Fran�ois, ils n'en eurent pas meilleur march�, & par plusieurs fois pensoient estre perdus: mais la divine bont� nous preserva tous.

204/860Le reste de la journ�e nous nous reposasmes, ayans assez travaill�.

Nous rencontrasmes le lendemain 15 canaux de Sauvages appellez Quenongebin 327, dans une riviere, ayans pass� un petit lac long de 4 lieues, & large de 2, lesquels avoient est� advertis de ma venue par ceux qui avoient pass� au sault S. Louis, venans de la guerre des Hiroquois. Je fus fort aise de leur rencontre, & eux aussi, qui s'estonnerent de me voir avec si peu de gens, & avec un seul Sauvage. Apr�s nous estre saluez � la mode du pays, je les priay de ne passer outre, pour leur d�clarer ma volont�, & fusmes cabaner dans une isle.

Note 327: (retour)

Ou Kinounchepirini. (Voir 1613, p. 298, note I.)

Le lendemain je leur fis entendre que j'estois all� en leur pays pour les voir, & pour m'acquitter de la promesse que je leur avois par cy devant faite; & que s'ils estoient resolus d'aller � la guerre, cela m'agr�roit fort, d'autant que j'avois amen� des gens � ceste intention, dequoy ils furent fort satisfaits. Et leur ayant dit que je voulois passer outre, pour advertir les autres peuples, ils m'en voulurent destourner, disans qu'il y avoit un meschant chemin, & que nous n'avions rien veu jusques alors. Pour ce je les priay de me donner un de leurs gens pour gouverner nostre deuxiesme canot, & aussi pour nous guider, car nos conducteurs n'y cognoissoient plus rien.

Ils le firent volontiers & en recompense je leur fis un present, & leur baillay un de nos Fran�ois, le moins necessaire, lequel je renvoyois au sault, avec 205/861une fueille de tablette, dans laquelle, � faute de papier, je faisois s�avoir de mes nouvelles.

Ainsi nous nous separasmes: & continuant nostre routte � mont ladite riviere, en trousasmes une autre fort belle & spacieuse, qui vient d'une nation appell�e Ouescharini328, lesquels se tiennent au nort d'icelle, & � 4 journ�es de l'entr�e. Ceste riviere est fort plaisante, � cause des belles isles qu'elle contient, & des terres garnies de beaux bois clairs qui la bordent: & la terre est bonne pour le labourage.

Note 328: (retour)

Ou Ouaouiechka�rini, la Petite Nation. (Voir 1613, p. 299, note 1.)

Le 4, nous passasmes proche d'une autre riviere 329 qui vient du nort, o� se tiennent des peuples appellez Algoumequins, laquelle va tomber dans le grand fleuve Sainct Laurent, trois lieues aval le Sault Sainct Louys330 qui fait une grande isle contenant pr�s de 40 lieues, laquelle 331 n'est pas large, mais remplie d'un nombre infiny de sauts, qui sont fort difficiles � passer. Quelquefois ces peuples passent par ceste riviere pour eviter les rencontres de leurs ennemis, s�achans qu'ils ne les recherchent en lieux de il difficile accez.

Note 329: (retour)

La Gatineau.

Note 330: (retour)

En remontant la Gatineau, on va tomber par le Saint-Maurice, trente lieues � val le saut Saint-Louis. (Voir 1613, p. 299, note 3.)

Note 331: (retour)

Laquelle rivi�re, c'est-�-dire, la Gatineau.

A l'emboucheure d'icelle il y en a une autre 332 qui vient du sud, o� � son entr�e il y a une cheutte d'eau admirable: car elle tombe d'une telle impetuosit� de 20 ou 25 brasses333 de haut, qu'elle fait une arcade, ayant de largeur pr�s de 400 pas. Les 206/862Sauvages passent dessouz par plaisir, sans se mouiller, que du poudrin que fait ladite eau. Il y a une isle au milieu de ladite riviere, qui est comme tout le terroir d'alentour, remplie de pins & c�dres blancs. Quand les Sauvages veulent entrer dans la riviere, ils montent la montagne en portant leurs canaux, & font demie lieue par terre. Les terres des environs sont remplies de toute sorte de chasse, qui fait que les Sauvages s'y arrestent plustost. Les Hiroquois y viennent aussi quelquefois les surprendre au passage.

Note 332: (retour)

La rivi�re Rideau.

Note 333: (retour)

Cette chute a une trentaine de pieds de haut.

Nous passasmes un sault � une lieue de l�, qui est large de demie lieue, & descend de 6 � 7 brasses de haut. Il y a quantit� de petites isles, qui ne sont que rochers aspres & difficiles, couverts de meschans petits bois. L'eau tombe � un endroit de telle impetuosit� sur un rocher, qu'il s'y est cav� par succession de temps un large & profond bassin: si bien que l'eau courant l� dedans circulairement, & au milieu y faisant de gros bouillons, a fait que les Sauvages l'appellent asticou, qui veut dire chaudiere. Ceste cheutte d'eau meine un tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux lieues. Les Sauvages passans par l�, font une c�r�monie que nous dirons en son lieu. Nous eusmes beaucoup de peine � monter contre un grand courant, � force de rames, pour parvenir au pied dudit sault, o� les Sauvages prirent les canaux, & nos Fran�ois & moy, nos armes, vivres, & autres commoditez, pour passer par l'aspret� des rochers environ un quart de lieue que contient le sault, & aussi tost nous fallut embarquer, puis derechef mettre pied � terre pour 207/863passer par des taillis environ 300 pas; & apr�s se mettre en l'eau pour faire passer nos canaux par dessus les rochers aigus, avec autant de peine que l'on s�auroit s'imaginer. Je prins la hauteur du lieu, & trouvay 45 degrez 38 minutes de latitude 334.

Note 334: (retour)

Le saut de la Chaudi�re est � environ 45� 12'.

Apr�s midy nous entrasmes dans un lac335 ayant 5 lieues de long, & 2 de large, o� il y a de fort belles isles remplies de vignes, noyers, & autres arbres agr�ables: & 10 ou 12 lieues de l� amont la riviere nous passasmes par quelques isles remplies de pins. La terre est sablonneuse, & s'y trouve une racine qui teint en couleur cramoisie, de laquelle les Sauvages se peindent le visage, & mettent de petits affiquets � leur usage. Il y a aussi une coste de montagnes du long de ceste riviere, & le pays des environs semble assez fascheux. Le reste du jour nous le passasmes dans une ise fort agr�able.

Note 335: (retour)

Le lac de la Chaudi�re.

Le lendemain 336 nous continuasmes nostre chemin jusques � un grand sault337, qui contient pr�s de 3 lieues de large, o� l'eau descend comme de 10 ou 12 brasses de haut en talus, & fait un merveilleux bruit. Il est remply d'une infinit� d'isles couvertes de pins & de c�dres; & pour le passer il nous fallut resoudre de quitter nostre ma�s ou bled d'Inde, & peu d'autres vivres que nous avions, avec les hardes moins necessaires, reservans seulement nos armes & filets, pour nous donner � vivre selon les lieux, & l'heur de la chasse. Ainsi, all�gez, nous passasmes 208/864tant � l'aviron, que par terre, en portant nos canaux & armes par ledit sault, qui a une lieue & demie de long, o� nos Sauvages qui sont infatigables � ce travail, & accoustumez � endurer telles necessitez, nous soulagerent beaucoup.

Note 336: (retour)

Le 5 de juin.

Note 337: (retour)

Ce saut et les deux autres mentionn�s plus loin, forment ce qu'on appelle le rapide des Chats.

Poursuivans nostre routte nous passasmes deux autres sauts, l'un par terre, l'autre � la rame, & avec des perches en debouttant, puis entrasmes dans un lac338 ayant 6 ou 7 lieues de long, o� se descharge une riviere 339 venant du sud, o� � cinq journ�es de l'autre riviere il y a des peuples qui y habitent appellez Matououescarini. Les terres d'environ ledit lac sont sablonneuses, & couvertes de pins, qui ont est� presque tous bruslez par les Sauvages. Il y a quelques isles, dans l'une desquelles nous reposasmes, & veismes plusieurs beaux cypr�s rouges, les premiers que j'eusse veu en ce pays, desquels je fis une croix, que je plantay � un bout de l'isle, en lieu eminent, & en veue, avec les armes de France, comme j'ay fait aux autres lieux o� nous avions pos�. Je nommay cette isle, l'isle Ste Croix.

Note 338: (retour)

Le lac des Chats.

Note 339: (retour)

La rivi�re de Madaouaska, ou des Madaouaska�rini.

Le 6 nous partismes de ceste isle saincte Croix, o� la riviere est large d'une lieue & demie, & ayans fait 8 ou 10 lieues, nous passasmes un petit sault � la rame, & quantit� d'isles de diff�rentes grandeurs. Icy nos Sauvages laisserent leurs sacs avec leurs vivres, & les choses moins necessaires, afin d'estre plus l�gers pour aller par terre, & eviter plusieurs sauts qu'il falloit passer. Il y eut une grande contestation entre nos Sauvages & nostre imposteur, qui affermoit 209/865qu'il n'y avoit aucun danger par les sauts, & qu'il y falloit passer. Nos Sauvages luy dirent, Tu es las de vivre. Et � moy, que je ne le devois croire, & qu'il ne disoit pas v�rit�. Ainsi ayant remarqu� plusieurs fois qu'il n'avoit aucune cognoissance desdits lieux, je suivis l'advis des Sauvages, dont bien m'en print, car il cherchoit des difficultez pour me perdre, ou pour me d�gouster de l'entreprise, comme il confessa depuis (dequoy sera parl� cy-apr�s). Nous traversasmes donc la riviere � l'ouest, qui couroit au nort, & pris la hauteur de ce lieu, qui estoit par 46� 2/3340 de latitude. Nous eusmes beaucoup de peine � faire ce chemin par terre, estant charg� seulement pour ma part de trois harquebuzes, autant d'avirons, de mon capot, & quelques petites bagatelles. J'encourageois nos gens, qui estoient un peu plus chargez, & plus grevez des mousquites, que de leur charge.

Note 340: (retour)

Il faut lire 45� et deux tiers. (Voir 1613, p. 303, note 1.)

Ainsi apr�s avoir passe quatre petits estangs, & chemin� deux lieues & demie, nous estions tant fatiguez, qu'il nous estoit impossible de passer outre, � cause qu'il y avoit pr�s de 24 heures que n'avions mang� qu'un peu de poisson rosty, sans autre saulce, car nous avions laisse nos vivres, comme j'ay dit cy-dessus. Nous nous reposasmes sur le bord d'un estang, qui estoit assez agr�able, & fismes du feu pour chasser les mousquites qui nous molestoient fort, l'importunit� desquelles est si estrange, qu'il est impossible d'en pouoir faire la description. Nous tendismes nos filets pour prendre quelques poissons.

210/866Le lendemain 341 nous passasmes cet estang, qui pouvoit contenir une lieue de long, & puis par terre cheminasmes 3 lieues par des pays difficiles plus que n'allions encor veu, � cause que les vents avoient abbatu des pins les uns sur les autres, qui n'est pas petite incommodit�, car il faut passer tantost dessus & tantost dessouz ces arbres. Ainsi nous parvinsmes � un lac342, ayant 6 lieues de long, & 2 de large, fort abondant en poisson, aussi les peuples des environs y font leur pescherie. Pr�s de ce lac y a une habitation de Sauvages qui cultivent la terre, & recueillent du ma�s. Le chef se nomme Nibachis, lequel nous vint voir avec sa troupe, esmerveill� comment nous avions peu passer les sauts & mauvais chemins qu'il y avoit pour parvenir � eux. Et apr�s nous avoir present� du petum selon leur mode, il commen�a � haranguer ses compagnons, leur disant; Qu'il falloit que fussions tombez des nues, ne s�achant comment nous avions peu passer, & qu'eux demeurans au pays avoient beaucoup de peine � traverser ces mauvais passages, leur faisant entendre que je venois � bout de tout ce que mon esprit vouloit. Bref qu'il croyoit de moy ce que les autres Sauvages luy en avoient dit. Et s�achans que nous avions faim, ils nous donn�rent du poisson, que nous mangeasmes: & apr�s disn�, je leur fis entendre par Thomas mon truchement, l'aise que j'avois de les avoir rencontrez. Que j'estois en ce pays pour les assister en leurs guerres, & que je desirois aller plus avant voir quelques autres Capitaines pour 211/867mesme effect, dequoy ils furent joyeux, & me promirent assistance. Ils me monstrerent leurs jardinages & champs, o� il y avoit du ma�s. Leur terroir est sablonneux, & pource s'adonnent plus � la chasse qu'au labeur, au contraire des Ochataiguins 343. Quand ils veulent rendre un terroir labourable, ils coupent & bruslent les arbres, & ce fort ais�ment: car ce ne sont que chesnes & ormes. Le bois brusl� ils remuent un peu la terre, & plantent leur ma�s grain � grain, comme ceux de la Floride. Il n'avoit pour lors que 4 doigts de haut.

Note 341: (retour)

Le 7 de juin.

Note 342: (retour)

Le lac au Rat-Musqu�.

Note 343: (retour)

Ou Hurons.



Continuation. Arriv�e vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me fit. Fa�on de leurs cimeti�res. Les Sauvages me promirent quatre canaux pour continuer mon chemin. Tost apr�s me les refusent. Harangue des Sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrans les difficult�s. Response � ces difficult�s. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir est� ou il disoit. Il leur maintint son dire v�ritable. Je les presse de me donner des canaux. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession.

CHAPITRE II.

Nibachis fit �quiper deux canaux pour me mener voir un autre Capitaine nomm� Tessouat344, qui demeuroit � 8 lieues de luy, sur le bord d'un grand lac345, par o� passe la riviere que nous avions laiss�e qui refuit au nort. Ainsi nous 212/868traversasmes le lac � l'ouest norouest pr�s de 7 lieues, o� ayans mis pied � terre, fismes une lieue au nordest parmy d'assez beaux pays, o� il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer ais�ment; & arrivasmes sur le bord de ce lac, o� estoit l'habitation de Tessouat, qui estoit avec un autre chef sien voisin, tout estonn� de me voir, & nous dit qu'il pensoit que ce fust un songe, & qu'il ne croyoit pas ce qu'il voyoit. De l� nous passasmes en une isle346, o� leurs cabanes sont assez mal couvertes d'escorces d'arbres, qui est remplie de chesnes, pins & ormeaux, & n'est subjecte aux inondations des eaux, comme sont les autres isles du lac.

Note 344: (retour)

Conf. 1603, p. 12.

Note 345: (retour)

Le lac des Allumettes.

Note 346: (retour)

L'�le des Allumettes. (Voir 1613, p. 307, note 1.)

Cette isle est forte de scituation: car aux deux bouts d'icelle, & � l'endroit o� la riviere se jette dans le lac, il y a des sauts fascheux, & l'aspret� d'iceux la rendent forte, & s'y sont logez pour eviter les courses de leurs ennemis. Elle est par les 47 347 degrez de latitude, comme est le lac, qui a 10 lieues de long 348, & 3 ou 4 de large, abondant en poisson, mais la chasse n'y est pas beaucoup bonne.

Note 347: (retour)

Par les 46�. (Voir 1613, p. 307, note 2.)

Note 348: (retour)

Conf. 1613, p. 307.

Ainsi comme je visitois l'isle, j'apperceus leurs cimeti�res, o� je fus grandement estonn�, voyant des sepulchres de forme semblable aux bi�res, faits de pi�ces de bois, crois�es par en haut, & fich�es en terre, � la distance de 3 pieds ou environ. Sur les crois�es en haut ils y mettent une grosse pi�ce de bois, & au devant une autre tout debout, dans laquelle est grav� grossierement (comme il est bien croyable) la figure de celuy ou celle qui y est enterr�.

213/869Si c'est un homme, ils y mettent une rondache, une esp�e emmanch�e � leur mode, une masse, un arc, & des flesches. S'il est capitaine, il aura un pennache sur la teste, & quelque autre bagatelle ou jolivet�. Si un enfant, ils luy baillent un arc & une flesche. Si une femme, ou fille, une chaudi�re, un pot de terre, une cueillier de bois, & un aviron. Tout le tombeau a de longueur 6 ou 7 pieds pour le plus grand, & de largeur 4, les autres moins. Ils sont peints de jaulne & rouge, avec plusieurs ouvrages aussi d�licats que le tombeau. Le mort est ensevely dans sa robbe de castor, ou d'autres peaux, desquelles il se servoit en sa vie, & luy mettent toutes ses richesses aupr�s de luy, comme haches, couteaux, chaudi�res, & aleines, afin que ces choses luy servent au pays o� il va: car ils croyent l'immortalit� de l'�me, comme j'ay dit autre part349. Ces sepulchres de ceste fa�on ne se font qu'aux guerriers, car aux autres ils n'y mettent non plus qu'ils font aux femmes, comme gens inutiles, aussi s'en retrouve-il peu entr'eux.

Note 349: (retour)

Voir 1603, p. 19, 20, et 1613, p. 165.

Apr�s avoir consider� la pauvret� de ceste terre, je leur demanday comment ils s'amusoient � cultiver un si mauvais pays, veu qu'il y en avoit de beaucoup meilleur qu'ils laissoient desert & abandonn�, comme le Sault Sainct Louys. Ils me respondirent qu'ils en estoient contraints, pour se mettre en seuret�, & que l'aspret� des lieux leur servoit de boulevart contre leurs ennemis: Mais que si je voulois faire une habitation de Fran�ois au Sault Sainct Louys, comme j'avois promis, qu'ils quitteroient 214/870leur demeure pour se venir loger pr�s de nous, estans asseurez que leurs ennemis ne leur feroient point de mal pendant que nous serions avec eux. Je leur dis que ceste ann�e nous ferions, les pr�paratifs de bois & pierres, pour l'ann�e suivante faire un fort, & labourer ceste terre. Ce qu'ayans entendu, ils firent un grand cry en signe d'applaudissement. Ces propos finis, je priay tous les Chefs et principaux d'entr'eux, de se trouver le lendemain en la grand'terre, en la cabane de Tessouat, lequel me vouloit faire Tabagie, & que la je leur dirois mes intentions, ce qu'ils me promirent, & d�s lors envoyerent convier leurs voisins pour s'y trouver.

Le lendemain350 tous les conviez vinrent avec chacun son escuelle de bois, & sa cueillier, lesquels sans ordre ny c�r�monie s'assirent contre terre dans la cabane de Tessouat, qui leur distribua une maniere de bouillie faite de ma�s, escraz� entre deux pierres, avec de la chair & du poisson, coupez par petits morceaux, le tout cuit ensemble sans sel. Ils avoient aussi de la chair rostie sur les charbons, & du poisson bouilly � part, qu'il distribua aussi. Et pour mon regard, d'autant que je ne voulois point de leur bouillie, � cause qu'ils cuisinent fort salement, je leur demanday du poisson & de la chair, pour l'accommoder � ma mode, qu'ils me donn�rent. Pour le boire, nous avions de belle eau claire. Tessouat qui faisoit la Tabagie, nous entretenoit sans manger, suivant leur coustume.

Note 350: (retour)

Le 8 juin.

La Tabagie faite, les jeunes hommes qui n'assistent pas aux harangues & conseils, & qui aux Tabagies 215/871demeurent � la porte des cabanes, sortirent, & puis chacun de ceux qui estoient demeurez commen�a � garnir son petunoir, & m'en presenterent les uns & les autres, & employasmes une grande demie heure � cet exercice, sans dire un seul mot, selon leur coustume.

Apr�s avoir parmy un si long silence amplement petun�, je leur fis entendre par mon truchement que le sujet de mon voyage n'estoit autre, que pour les asseurer de mon affection, & du desir que j'avois de les assister en leurs guerres, comme j'avois fait auparavant. Que ce qui m'avoit empesch� l'ann�e derni�re de venir, ainsi que je leur avois promis, estoit que le Roy m'avoit occup� en d'autres guerres, mais que maintenant il m'avoit command� de les visiter, & les asseurer de ces choses, & que pour cet effect j'avois nombre d'hommes au sault Sainct Louys. Que je m'estois venu promener en leur pays pour recognoistre la fertilit� de la terre, les lacs, rivieres & mer, qu'ils m'avoient dit estre en leur pays. Que je desirois voir une nation distante de 8 journ�es d'eux, nomm�e Nebicerini, pour les convier aussi � la guerre; & pource je les priay de me donner 4 canaux, avec 8 Sauvages, pour me conduire esdites terres. Et d'autant que les Algoumequins ne sont pas grands amis des Nebicerini 351, ils sembloient m'escouter avec plus grande attention.

Note 351: (retour)

Voir 1613, p. 311, note 1.

Mon discours achev�, ils commenc�rent derechef � petuner, & � deviser tout bas ensemble touchant mes propositions: puis Tessouat pour tous print la parole, & dit; Qu'ils m'avoient tousjours recogneu 216/872affectionn� en leur endroit, qu'aucun autre Fran�ois qu'ils eussent veu. Que les preuves qu'ils en avoient eues par le passe, leur facilitoient la croyance pour l'advenir. De plus, que je monstrois bien estre leur amy, en ce que j'avois pass� tant de hazards pour les venir voir, & pour les convier � la guerre, & que toutes ces choses les obligeoient � me vouloir du bien comme � leurs propres enfans. Que toutesfois l'ann�e derni�re je leur avois manqu� de promesse, & que 200 Sauvages estoient venus au sault, en intention de me trouver, pour aller � la guerre, & me faire des presens; & ne m'ayans trouv�, furent fort attristez, croyans que je fusse mort, comme quelques-uns leur avoient dit: aussi que les Fran�ois qui estoient au sault ne les voulurent assister � leurs guerres, & qu'ils furent mal traittez par aucuns, de sorte qu'ils avoient resolu entr'eux de ne plus venir au sault352, & que cela les avoit occasionnez (n'esperans plus de me voir) d'aller � la guerre seuls, comme de faict 200 des leurs y estoient allez. Et d'autant que la plus-part des 217/873guerriers estoient absents, ils me prioient de remettre la partie � l'ann�e suivante, & qu'ils feroient s�avoir cela � tous ceux de la contr�e. Pour ce qui estoit des quatre canaux que je demandois, ils me les accord�rent, mais avec grandes difficultez, me disans qu'il leur desplaisoit fort de telle entreprise, pour les peines que j'y endurerois. Que ces peuples estoient sorciers, & qu'ils avoient fait mourir beaucoup de leurs gens par sort & empoisonnemens, & que pour cela ils n'estoient amis. Au surplus, que pour la guerre je n'avois affaire d'eux, d'autant qu'ils estoient de petit coeur, me voulans destourner, avec plusieurs autres propos sur ce sujet.

Note 352: (retour)

Ce passage nous fait voir combien Pont-Grav� et Champlain avaient raison de cultiver tous ces peuples. Comment, en effet, �tablir solidement une colonie dans un pays aussi �loign�, avec si peu de moyens, si l'on ne commen�ait par s'assurer l'amiti� des nations indig�nes? si l'on ne cherchait � s'en faire des alli�s, en les secourant m�me contre leurs ennemis, afin de pouvoir explorer le pays, en bien conna�tre toutes les ressources, et les avantages qu'il pouvait offrir soit au commerce, soit � la colonisation et � la culture des terres? Voil� ce qui explique la plupart des d�marches de Champlain, dans ses rapports avec les sauvages du Canada. Ce qu'il y a d'�tonnant, c'est que nos historiens modernes n'aient pas mieux saisi les motifs de sa conduite, quand il prend la peine de les donner lui-m�me en cent endroits diff�rents, et surtout au commencement de son exp�dition de 1615: �Surquoy ledit sieur du Pont, & moy, advisames qu'il estoit tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger d'avantage � nous aymer, que pour moyenner la facilit� de mes entreprises & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit comme un acheminement, & pr�paration, pour venir au Christianisme, en faveur dequoy je me resolu d'y aller recognoistre leurs pais, & les assister en leurs guerres, afin de les obliger � me faire veoir ce qu'ils m'avoient tant de fois promis.� (1619, p. 14, 15.—Voir de plus 1603, p. 7, 8; 1613, p. 173, 175-178, 208, 220, 257, 260, 264, 290, 291.)

Moy d'autre-part qui n'avois autre desir que de voir ces peuples, & faire amiti� avec eux, pour voir la mer du nort, facilitois leurs difficultez, leur disant, qu'il n'y avoit pas loin jusques en leurs pays. Que pour les mauvais partages, ils ne pouvoient estre plus fascheux que ceux que j'avois pass� par cy-devant: & pour le regard de leurs sortileges, qu'ils n'auroient aucune puissance de me faire tort, & que mon Dieu m'en preserveroit. Que je cognoissois aussi leurs herbes, & par ainsi je me garderois d'en manger. Que je les voulois rendre ensemble bons amis, & leur ferois des presens pour cet effect, m'asseurant qu'ils feroient quelque chose pour moy. Avec ces raisons, ils m'accord�rent, comme j'ay dit, ces quatre canaux, dequoy je fus fort joyeux, oubliant toutes les peines pass�es, sur l'esperance que j'avois de voir ceste mer tant desir�e.

Pour passer le reste du jour, je me fus proumener par les jardins, qui n'estoient remplis que de quelques 218/874citrouilles, phasioles, & de nos pois, qu'ils commencent � cultiver, o� Thomas mon truchement, qui entendoit fort bien la langue, me vint trouver pour m'advertir que ces Sauvages, apr�s que je les eus quittez, avoient song� que si j'entreprenois ce voyage, que je mourrois, & eux aussi, & qu'ils ne me pouvoient bailler ces canaux promis, d'autant qu'il n'y avoit aucun d'entr'eux qui me voulust conduire, mais que je remisse ce voyage � l'ann�e prochaine, & qu'ils m'y meneroient en bon �quipage, pour se d�fendre d'iceux, s'ils leur vouloient mal faire, pource qu'ils sont mauvais.

Ceste nouvelle m'affligea fort, & soudain m'en allay les trouver, & leur dis, que je les avois jusques � ce jour estimez hommes, & v�ritables, & que maintenant ils se monstroient enfans & mensongers, & que s'ils ne vouloient effectuer leurs promesses, ils ne me feroient paroistre leur amiti�. Toutesfois que s'ils se sentoient incommodez de quatre canaux, qu'ils ne m'en baillassent que deux, & 4 Sauvages seulement.

Ils me representerent derechef la difficult� des passages, le nombre des sauts, la meschancet� de ces peuples, & que c'estoit pour crainte qu'ils avoient de me perdre qu'ils me faisoient ce refus. Je leur fis response, que j'estois fasch� de ce qu'ils se monstroient si peu mes amis, & que je ne l'eusse jamais creu. Que j'avois un gar�on (leur monstrant mon imposteur) qui avoit est� dans leur pays, & n'avoit recogneu toutes les difficultez qu'ils faisoient, ny trouv� ces peuples si mauvais qu'ils disoient. Alors ils commenc�rent � le regarder, & specialement 219/875Tessouat vieux Capitaine, avec lequel il avoit hyvern�, & l'appellant par son nom, luy dit en son langage: Nicolas, est-il vray que tu as dit avoir est� aux Nebicerini? Il fut long temps sans parler, puis il leur dit en leur langue, qu'il parloit aucunement, Ouy, j'y ay est�. Aussi tost ils le regard�rent de travers, & se jettans sur luy, comme, s'ils l'eussent voulu manger ou deschirer, firent de grands cris, & Tessouat luy dit: Tu es un asseur� menteur: tu s�ais bien que tous les soirs tu couchois � mes costez avec mes enfans, & tous les matins tu t'y levois: si tu as est� vers ces peuples, c'a est� en dormant. Comment as tu est� si impudent d'avoir donn� � entendre � ton chef des mensonges, & si meschant de vouloir hazarder sa vie parmy tant de dangers? tu es un homme perdu, & te devroit faire mourir plus Cruellement que nous ne faisons nos ennemis. je ne m'estonne pas s'il nous importunoit tant sur l'asseurance de tes paroles. A l'heure je luy dis qu'il eust � respondre, & que s'il avoit est� en ces terres qu'il en donnast des enseignemens pour me le faire croire, & me tirer de la peine o� il m'avoit mis, mais il demeura muet & tout esperdu. Alors je le tiray � l'escart des Sauvages, & le conjuray de me d�clarer s'il avoit veu ceste mer, & s'il ne l'avoit veue, qu'il me le dist. Derechef avec juremens il afferma tout ce qu'il avoit par cy-devant dit, & qu'il me le feroit voir, si ces Sauvages vouloient bailler des canaux.

Sur ces discours Thomas me vint advertir que les Sauvages de l'isle envoyoient secrettement un canot aux Nebicerini, pour les advertir de mon arriv�e.

220/876Et pour me servir de l'occasion, je fus trouver lesd. Sauvages, pour leur dire que j'avois song� ceste nuict qu'ils vouloient envoyer un canot aux Nebicerini, sans m'en advertir; dequoy j'estois adverty, veu qu'ils s�avoient que j'avois volont� d'y aller. A quoy ils me firent response, disans que je les offensois fort, en ce que je me fiois plus � un menteur, qui me vouloit faire mourir, qu'� tant de braves Capitaines qui estoient mes amis, & qui cherissoient ma vie. Je leur repliquay, que mon homme (parlant de nostre imposteur) avoit est� en ceste contr�e avec un des parens de Tessouat, & avoit veu la mer, le bris & fracas d'un vaisseau Anglois, ensemble 80 testes que les Sauvages avoient, & un jeune gar�on Anglois qu'ils tenoient prisonnier, dequoy ils me vouloient faire present.

Ils s'escrierent plus que devant, entendans parler de la mer, des vaisseaux, des testes des Anglois, & du prisonnier, qu'il estoit un menteur, & ainsi le nomm�rent-ils depuis, comme la plus grande injure qu'ils luy eussent peu faire, disans tous ensemble qu'il le falloit faire mourir, ou qu'il dist celuy avec lequel il y avoit est�, & qu'il declarast les lacs, rivieres & chemins par lesquels il avoit pass�. A quoy il fit response, qu'il avoit oubli� le nom du Sauvage, combien qu'il me l'eust nomm� plus de vingt fois, & mesme le jour de devant. Pour les particularitez du pays, il les avoit descrites dans un papier qu'il m'avoit baill�. Alors je presentay la carte, & la fis interpr�ter aux Sauvages, qui l'interrog�rent sur icelle: � quoy il ne sit response, ains par son morne silence manifesta sa meschancet�.

221/877Mon esprit voguant en incertitude, je me retiray � part, & me representay les particularitez du voyage des Anglois cy-devant dites, & les discours de nostre menteur estre assez conformes; aussi qu'il y avoit peu d'apparence que ce gar�on eust invent� tout cela, & qu'il n'eust voulu entreprendre le voyage: mais qu'il estoit plus croyable qu'il avoit veu ces choses, & que son ignorance ne luy permettoit de respondre aux interrogations des Sauvages: joint aussi que si la relation des Anglois est v�ritable, il faut que la mer du nort ne soit pas esloign�e de ces terres de plus de 100 lieues de latitude: car j'estois souz la hauteur de 47 degrez de latitude, & 296 de longitude353: mais il se peut faire que la difficult� de passer les sauts, l'aspret� des montagnes remplies de neiges, soit cause que ces peuples n'ont aucune cognoissance de ceste mer: bien m'ont-ils tousjours dit, que du pays des Ochataiguins il n'y a que 35 ou 40 tourn�es jusques � la mer qu'ils voyent en 3 endroits, ce qu'ils m'ont encores asseur� ceste ann�e: mais aucun ne m'a parl� de ceste mer du nort, que ce menteur, qui m'avoit fort resjouy � cause de la briefvet� du chemin.

Note 353: (retour)

Voir 1613, p. 293, note 3, 307 note 2, et 316 note 2.

Or comme ce canot s'apprestoit, je le fis appeller devant ses compagnons, & en luy representant tout ce qui s'estoit pass�, je luy dis qu'il n'estoit plus question de dissimuler, & qu'il falloit dire s'il avoit veu les choses dites, ou non. Que je me voulois servir de la commodit� qui se presentoit. Que j'avois oubli� tout ce qui s'estoit pass�: mais que si je passois plus outre, je le ferois pendre & estrangler.

222/878Apr�s avoir song� � luy, il se jetta � genoux, & me demanda pardon, disant, que tout ce qu'il avoit dit, tant en France, qu'en ce pays, touchant ceste mer, estoit faux. Qu'il ne l'avoit jamais veue, & qu'il n'avoit pas est� plus avant que le village de Tessouat; & avoit dit ces choses pour retourner en Canada. Ainsi transport� de col�re je le fis retirer, ne le pouvant plus voir devant moy, donnant charge � Thomas de s'enqu�rir de tout particuli�rement: auquel il acheva de dire qu'il ne croyoit pas que je deusse entreprendre le voyage, � cause des dangers, croyant que quelque difficult� se pourroit presenter, qui m'empescheroit de passer, comme celle de ces Sauvages, qui ne me vouloient bailler des canaux: ainsi que l'on remettroit le voyage � une autre ann�e, & qu'estant en France, il auroit recompense pour sa descouverture, & que si je le voulois laisser en ce pays, qu'il iroit tant qu'il la trouveroit, quand il y devroit mourir. Ce sont ses paroles, qui me furent rapport�es par Thomas, qui ne me contenterent pas beaucoup, estant esmerveill� de l'effronterie & meschancet� de ce menteur: ne pouvant m'imaginer comment il avoit forg� ceste imposture, sinon qu'il eust ouy parler du voyage des Anglois cy mentionn�, & que sur l'esperance d'avoir quelque recompense comme il disoit, il avoit en la t�m�rit� de mettre cela en avant.

Peu de temps apr�s je fus advertir les Sauvages, � mon grand regret, de la malice de ce menteur, & qu'il m'avoit confess� la v�rit�, dequoy ils furent joyeux, me reprochans le peu de confiance que j'avois en eux, qui estoient Capitaines, mes amis, qui 223/879disoient tousjours v�rit�, & qu'il falloit faire mourir ce menteur, qui estoit grandement malicieux, me disans: Ne vois-tu pas qu'il t'a voulu faire mourir? donne le nous, & nous te promettons qu'il ne mentira jamais. Comme je veis qu'eux & leurs enfans crioient tous apr�s luy, je leur d�fendis de luy faire aucun mal, & aussi d'empescher leurs enfans de ce faire, d'autant que je le voulois remener au sault pour luy faire faire son rapport, & qu'estant l�, j'adviserois ce que j'en ferois.

Mon voyage estant achev� par ceste voye, & sans aucune esperance de voir la mer de ce cost� l�, sinon par conjecture, le regret de n'avoir mieux employ� le temps me demeura, avec les peines & travaux qu'il me fallut tollerer patiemment. Si je me fusse transport� d'un autre cost�, suivant la relation des Sauvages, j'eusse esbauch� une affaire qu'il fallut remettre � une autre fois.

N'ayant pour l'heure autre desir que de m'en revenir, je conviay les Sauvages de venir au Sault Sainct Louis, o� ils recevroient bon traittement, ce qu'ils firent s�avoir � tous leurs voisins.

Avant que partir, je fis une croix de cedre blanc, laquelle je plantay sur le bord du lac en un lieu eminent, avec les armes de France, & priay les Sauvages la vouloir conserver, comme aussi celles qu'ils trouveroient du long des chemins o� nous avions pass�. Ils me promirent ainsi le faire, & que je les retrouverois quand je retournerois vers eux.

224/880



Nostre retour au Sault. Fausse alarme. C�r�monie du sault de la Chaudi�re. Confession de nostre menteur devant un chacun. Nostre retour en France.

CHAPITRE III.

Le 10 Juin je prins cong� de Tessouat, auquel je fis quelques presens, & luy promis, si Dieu me conservoit en sant�, de venir l'ann�e prochaine en �quipage, pour aller � la guerre: & luy me promit d'assembler grand peuple pour ce temps l�, disant, que je ne verrois que Sauvages, & armes, qui me donneroient contentement; & me bailla son fils pour me faire compagnie. Ainsi nous partismes avec 4354 canaux, & passasmes par la riviere que nous avions laiss�e, qui court au nort355, o� nous mismes pied � terre pour traverser des lacs 356. En chemin nous rencontrasmes 9 grands canaux de Ouescharini, avec 40 hommes forts & puissans, qui venoient aux nouvelles qu'ils avoient eues; & d'autres que rencontrasmes aussi, qui faisoient ensemble 60 canaux, & 20 autres qui estoient partis devant nous, ayans chacun assez de marchandises.

Note 354: (retour)

L'�dition de 1613 porte �40.�; ce qui para�t plus vraisemblable.

Note 355: (retour)

La rivi�re court au nort � l'endroit o� il l'avait quitt�e.

Note 356: (retour)

Voir 1613, p. 319, note 2.

Nous passasmes six ou sept sauts depuis l'isle des Algoumequins357 jusques au petit sault, pays fort desagreable. Je recogneus bien que si nous fussions venus par l�, que nous eussions eu beaucoup plus de peine, & mal-ais�ment eussions nous pass�: & ce n'estoit sans raison que les Sauvages contestoient 225/881contre nostre menteur, qui ne cherchoit qu'� me perdre.

Note 357: (retour)

L'�le des Allumettes. (Voir 1613, p. 320, notes 1 et 2.)

Continuant nostre chemin dix ou douze lieues au dessouz l'isle des Algoumequins, nous posasmes dans une isle fort agr�able, remplie de vignes & noyers, o� nous fismes pescherie de beau poisson. Sur la minuict arriva deux canaux qui venoient de la pesche plus loin, lesquels rapport�rent avoir veu quatre canaux de leurs ennemis. Aussi tost on depescha trois canaux pour les recognoistre, mais ils retourn�rent sans avoir rien veu. En ceste asseurance chacun print le repos, except� les femmes, qui se resolurent de passer la nuict dans leurs canaux, ne se trouvans asseur�es � terre. Une heure avant le jour un Sauvage songeant que les ennemis le chargeoient, se leva en sursault, & se print � courir vers l'eau pour se sauver, criant, On me tue. Ceux de sa bande s'esveillerent tout estourdis; & croyans estre poursuivis de leurs ennemis se jetterent en l'eau, comme aussi fit un de nos Fran�ois, qui croyoit qu'on l'assommast. A ce bruit nous autres qui estions esloignez, fusmes aussi tost esveillez, & sans plus s'enqu�rir accourusmes vers eux. Mais les voyans en l'eau errans �a & l�, estions fort estonnez, ne les voyans poursuivis de leurs ennemis, ny en estat de se d�fendre. Apr�s que j'eus enquis nostre Fran�ois de la cause de ceste �motion, & m'avoir racont� comme cela estoit arriv�, tout se passa en ris�e & moquerie.

En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au sault de la Chaudi�re, o� les Sauvages firent la ceremonie accoustum�e, qui est telle. Apr�s avoir 226/882port� leurs canaux au bas du sault, ils s'assemblent en un lieu, o� un d'entr'eux avec un plat de bois va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau de petum. La queste faite, le plat est mis au milieu de la troupe, & tous dancent � l'entour, en chantant � leur mode: puis un des Capitaines fait une harangue, remonstrant que d�s long temps ils ont accoustum� de faire telle offrande, & que par ce moyen ils sont garentis de leurs ennemis: qu'autrement il leur arriveroit du mal-heur, ainsi que leur persuade le diable, & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs autres, comme nous avons dit ailleurs. Cela fait, le harangueur prend le plat, & va jetter le petum au milieu de la chaudi�re, & font un grand cry tous ensemble. Ces pauvres gens sont si superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon voyage, s'ils n'avoient fait ceste c�r�monie en ce lieu, d'autant que leurs ennemis les attendent � ce passage, n'osans pas aller plus avant � cause des mauvais chemins, & les surprennent l� quelquefois.

Le lendemain nous arrivasmes � une isle qui est � l'entr�e du lac, distante du grand sault Sainct Louis de 7 � 8 lieues, o� reposans la nuict, nous eusmes une autre alarme, les sauvages croyans avoir veu des canaux de leurs ennemis: ce qui leur fit faire plusieurs grands feux, que je leur fis esteindre leur remonstrant l'inconvenient qui en pouvoit arriver, s�avoir, qu'au lieu de se cacher, ils se manifestoient.

Le 17 Juin nous arrivasmes au Sault Sainct Louys, o� je leur fis entendre que je ne desirois pas qu'ils traittassent aucunes marchandises que je ne leur 227/883eusse permis 358, & que pour des vivres je leur en ferois bailler si tost que serions arrivez; ce qu'ils me promirent, disans qu'ils estoient mes amis. Ainsi poursuivant nostre chemin, nous arrivasmes aux barques, & fusmes saluez de quelques canonades, dequoy quelques uns de nos Sauvages estoient joyeux, & d'autres fort estonnez, n'ayans jamais ouy telle musique. Ayans mis pied � terre, Maisonneufve me vint trouver, avec le passeport de Monseigneur le Prince. Aussi tost que je l'eus veu, je le laissay luy & les siens jouir du b�n�fice d'iceluy, comme nous autres, & fis dire aux Sauvages qu'ils pouvoient traitter le lendemain.

Note 358: (retour)

On se demande pourquoi cette d�fense, quand Champlain lui-m�me les a engag�s � venir � la traite: c'est que, comme il est dit dans l'�dition de 1613, �L'Ange �tait venu au-devant de l'auteur, dans un canot, pour l'avertir que le sieur de Maisonneuve, de Saint-Malo, avait apport� un passe-port de Monseigneur le Prince pour trois vaisseaux.� (1613, p. 322.)

Ayant racont� � tous ceux de la barque 359 les particularitez de mon voyage, & la malice de nostre menteur, ils furent fort estonnez, & les priay de s'assembler, afin qu'en leur presence, des Sauvages, & de ses compagnons, il declarast sa meschancet�; ce qu'ils firent volontiers. Ainsi estans assemblez, ils le firent venir, & l'interrog�rent pourquoy il ne m'avoit monstr� la mer du nort, comme il m'avoit promis. Il leur fit response, qu'il avoit promis une chose impossible, d'autant qu'il n'avoit jamais veu cette mer: mais que le desir de faire le voyage luy avoit fait dire cela, aussi qu'il ne croyoit que je le deusse entreprendre. Parquoy les prioit luy vouloir pardonner, comme il fit � moy, confessant avoir grandement failly: mais que si je le voulois laisser 228/884au pays, qu'il feroit tant qu'il repareroit la faute, verroit ceste mer, & en rapporteroit certaines nouvelles l'ann�e suivante. Pour quelques considerations je luy pardonnay, � ceste condition 360.

Note 359: (retour)

Conf. 1613, p. 323.

Note 360: (retour)

Ici, l'�dition de 1613, renferme quelques d�tails de plus. (Voir 6l3, p. 323, 324.)

Apr�s que les Sauvages eurent traitt� leurs marchandises, & qu'ils eurent resolu de s'en retourner, je les priay de mener avec eux deux jeunes hommes pour les entretenir en amiti�, leur faire voir le pays, & les obliger � les ramener, dont ils firent grande difficult�, me representans la peine que m'avoit donn� nostre menteur, craignans qu'ils me feroient de faux rapports, comme il avoit fait. Je leur fis response, que s'ils ne les vouloient emmener ils n'estoient pas mes amis, & pour ce ils s'y resolurent.

Pour nostre menteur, aucun de ces Sauvages n'en voulut, pour pri�re que je leur fis, & le laissasmes � la garde de Dieu.

Voyant n'avoir plus rien � faire en ce pays, je me resolus de passer en France, & arrivasmes � Tadoussac le 6 Juillet.

Le 8 Aoust361 le temps se trouva propre, qui nous en fit partir, & le 26 du mesme mois 362 nous arrivasmes � Sainct Malo.

Note 361: (retour)

Le 8 juillet. (Voir 1613, p. 325, note 1.)

Note 362: (retour)

Le 26 ao�t.



229/885

L'Autheur va trouver le Sieur de Mons, qui luy commet la charge d'entrer en la societ�. Ce qu'il remonstre � Monsieur le Comte de Soissons. Commission qu'il luy donne. L'Autheur s'addresse � Monsieur le Prince qui le prend en sa protection.

CHAPITRE IIII.363

Note 363: (retour)

Chapitre V de la premi�re �dition. Le chapitre IV, ayant rapport aux ann�es 1616-1620, a �t� remis � la place que l'auteur lui-m�me a d� lui destiner, c'est-�-dire, � la fin de cette premi�re partie.

Apr�s mon retour en France 364, je fus trouver le Sieur de Mons � Pons en Xainctonge, d'o� il estoit gouverneur, auquel je fis entendre le succez de toute l'affaire, & le rem�de qu'il y falloit apporter. Il trouva bon tout ce que je luy en dis; & es affaires ne luy pouvant permettre de venir en Cour, il m'en commit la poursuitte, & m'en laissa toute la charge, avec procuration d entrer en ceste societ�, de telle somme que j'adviserois bon estre pour luy. Estant arriv� en Cour, j'en dressay des m�moires, lesquels je communiquay � feu Monsieur le President Jeannin, qui les trouva tres-justes, & m'encouragea � la poursuitte, & mesmes voulut me faire ceste faveur que de se charger desdits m�moires, pour les faire voir au Conseil. Et voyant bien que ceux qui aimeroient � pescher en eau trouble trouveroient ces reglemens fascheux, & recercheroient 230/886les moyens de l'empescher, comme ils avoient fait par le pass�, il me sembla � propos de me jetter entre les bras de quelque grand, du quel l'auctorit� peust repousser l'envie.

Note 364: (retour)

En 1611. (Voir 1613, p. 284.) L'auteur semble avoir voulu, dans ce chapitre, faire comme un r�sum� de toutes les difficult�s qu'il fallut surmonter depuis que les associ�s de M. de Monts �ne voulurent plus continuer en l'association, pour n'avoir point de commission qui p�t emp�cher un chacun d'aller en ces nouvelles d�couvertures n�gocier avec les habitants du pays� (1613, p. 266). Mais pour avoir une id�e compl�te de ce qui se passa alors, il faut rapprocher de ce passage les suivants: 1613, p. 265-7, 283-7; 1619, p. 2, 108, 112.

Ayant eu cognoissance avec feu Monseig. le Comte de Soissons (Prince pieux & affectionn� en toutes vertueuses & sainctes entreprises) par l'entremise de quelques miens amis qui estoient de son conseil, je luy monstray l'importance de l'affaire, le moyen de la r�gler, le mal que le d�sordre avoit apport� par le pass�, & apporteroit une ruine totale, au grand deshonneur du nom Fran�ois, si Dieu ne suscitoit quelqu'un qui le voulust relever. Comme il fut instruit de toute l'affaire, il veit la carte du pays, & me promit souz le bon plaisir du Roy d'en prendre la protection. Cependant monsieur le President Jeanin fait voir les articles � Messeig. du Conseil, par lesquels nous demandions � sa Majest� qu'il luy pleust nous donner mond. Seigneur le Comte pour protecteur. Ce qui fut accord� par nosdits Seigneurs de son Conseil; lequel renvoya neantmoins les articles � feu Monseig. le Duc d'Anville, Pair & Admiral de France, qui approuva grandement ce dessein, promettant d'y apporter tout ce qu'il pourroit du sien en faveur de ceste entreprise. Comme j'estois sur le point de faire publier les patentes de sa Commission 365 par tous les ports & havres du Royaume, & m'ayant honor� de sa Lieutenance, pour faire telle societ� qui me sembleroit bonne, ainsi qu'il se voit par sad. Commission 231/887icy ins�r�e, une griesve maladie surprit mond. Seigneur � Blandy, dont il mourut366, qui recula ceste affaire; ausquelles choses nos envieux n'avoient os� attenter, jusques apr�s sa mort, qu'ils pensoient que tout fust d�cheu.

Note 365: (retour)

La commission du comte de Soissons est du 8 octobre 1612. (Voir 1613, p. 285, note 1.)

Note 366: (retour)

�Le jour de la Toussaincts premier de Novembre� (1612) �� quatre heures du matin, Monsieur le Comte de Soissons, Prince du sang de France, mourut en son chasteau de Blandy. Tous les Fran�ois regrett�rent ce Prince pour sa vertu.� (Mercure Fran�ois, an. 1612, p. 582.)

CHARLES DE BOURBON Comte de Soissons, Pair & grand Maistre de France, Gouverneur pour le Roy �s pays de Normandie & Dauphin�, & son Lieutenant g�n�ral au pays de la nouvelle France. A tous ceux qui ces presentes Lettres verront, Salut. S�avoir faisons � tous qu'il appartiendra, que pour la bonne & enti�re confiance que nous avons de la personne du Sieur Samuel de Champlain, Capitaine ordinaire pour le Roy en la marine, & de ses sens, suffisance, practique & exp�rience au faict de la marine, & bonne diligence, cognoissance qu'il a audit pays, pour les diverses n�gociations, voyages & fr�quentations qu'il y a faits, & en autres lieux circonvoisins d'iceluy: A iceluy Sieur de Champlain pour ces causes, & en vertu du pouvoir � nous donn� par sa Majest�, Avons commis, ordonn� & d�put�, commettons, ordonnons & d�putons par ces presentes, nostre Lieutenant, pour representer nostre personne audit pays de la nouvelle France: & pour cet effect luy avons ordonn� d'aller se loger avec tous ses gens, au lieu appelle Qu�bec, estant dedans le fleuve Sainct Laurent, autrement appell� 232/888la grande riviere de Canada audit pays de la nouvelle France: & audit lieu, & autres endroits que ledit Sieur de Champlain advisera bon estre, y faire construire & bastir tels autres forts & forteresses qui luy sera besoin & necessaire pour sa conservation, & de sesdits gens, lequel fort, ou forts, nous gardera � son pouvoir: pour audit lieu de Qu�bec, & autres endroits en l'estendue de nostre pouvoir, & tant & si avant que faire se pourra, establir, estendre, & faire cognoistre le nom, puissance, & autorit� de sa Majest�, & � icelle assubjectir, souz-mettre, & faire ob�ir tous les peuples de ladite terre, & les circonvoisins d'icelle, & par le moyen de ce, & de toutes autres voyes licites, les appeller, faire instruire, provoquer & esmouvoir � la cognoissance & service de Dieu, & � la lumi�re de la foy & Religion Catholique, Apostolique & Romaine, la y establir, & en l'exercice & profession d'icelle maintenir, garder & conserver lesdits lieux souz l'obeissance & auctorit� de sad. Majest�. Et pour y avoir �gard & vacquer avec plus d'asseurance, Nous avons en vertu de nostredit pouvoir, permis audit Sieur de Champlain commettre, establir, & constituer tels Capitaines & Lieutenans que besoin sera. Et pareillement commettre des Officiers pour la distribution de la justice, & entretien de la police, reglemens & ordonnances, traitter, contracter � mesme effect, paix, alliance, & conf�d�ration, bonne amiti�, correspondance & communication avec lesdits peuples, & leurs Princes, ou autres ayans pouvoir & commandement sur eux, entretenir, garder, & 233/889soigneusement conserver les traittez & alliances dont il conviendra avec eux, pourveu qu'ils y satisfacent de leur part. Et � ce default, leur faire guerre ouverte, pour les contraindre & amener � telle raison qu'il jugera necessaire, pour l'honneur, obeissance, & service de Dieu, & l'establissement, manutention & conservation de l'authorit� de sadite Majest� parmy eux; du moins pour vivre, demeurer, hanter, & fr�quenter avec eux en toute asseurance, libert�, fr�quentation, & communication, y n�gocier & trafiquer amiablement & paisiblement: faire faire � ceste fin les descouvertures & recognoissances desdites terres, & notamment depuis ledit lieu appell� Qu�bec, jusques & si avant qu'il se pourra estendre au dessus d'icelui, dedans les terres & rivieres qui se deschargent dedans ledit fleuve Sainct Laurent, pour essayer de trouver le chemin facile pour aller par dedans ledit pa�s au pa�s de la Chine & Indes Orientales, ou autrement, tant & si avant qu'il se pourra, le long des costes, & en la terre ferme: faire soigneusement rechercher & recognoistre toutes sortes de mines d'or, d'argent, cuivre, & autres m�taux, & min�raux; les faire faire fouiller, tirer, purger, & affiner, pour estre convertis, & en disposer selon & ainsi qu'il est prescript par les Edicts & Reglemens de sa Majest�, & ainsi que par nous sera ordonn�. Et o� led. Sieur de Champlain trouveroit des Fran�ois, & autres, trafiquans, negocians, & communiquans avec les Sauvages, & peuples estans depuis led. lieu de Qu�bec, & au dessus d'iceluy, comme dessus est 234/890dit, & qui n'ont est� reservez par sa Majest�, Luy avons permis & permettons s'en saisir & apprehender, ensemble leurs vaisseaux, marchandises, & tout ce qui s'y trouvera � eux appartenant, & iceux faire conduire & amener en France �s havres de nostre Gouvernement de Normandie, �s mains de la justice, pour estre proc�d� contre eux selon la rigueur des Ordonnances Royaux, & ce qui nous a est� accord� par sad. Majest�: Et ce faisant, gerer, n�gocier, & se comporter par led. Sieur de Champlain en la fonction de lad. charge de nostre Lieutenant, pour tout ce qu'il jugera estre � l'advancement desd. conqueste & peuplement: Le tout, pour le bien, service, & authorit� de sad. Majest�, avec mesme pouvoir, puissance & authorit� que nous ferions si nous y estions en personne, & comme si le tout y estoit par expr�s & plus particuli�rement specifi� & d�clar�. Et outre tout ce que dessus, Avons audit Sieur de Champlain permis & permettons d'associer & prendre avec luy telles personnes, & pour telles sommes de deniers qu'il advisera bon estre pour l'effect de nostre entreprise. Pour l'execution de laquelle, mesme pour faire les embarquemens, & autres choses necessaires � cet effect qu'il fera �s villes & havres de Normandie, & autres lieux o� jugerez estre � propos, Vous avons de tout donn� & donnons par ces presentes, toute charge, pouvoir, commission, & mandement special; & pource vous avons substitu� & subrog� en nostre lieu & place, � la charge d'observer & faire observer par ceux qui seront souz vostre charge & commandement, 235/891tout ce que dessus, & nous faire bon & fidel rapport � toutes occasions de tout ce qui aura est� fait & exploit�, pour en rendre par Nous prompte raison � ladite Majest�. Si prions & requ�rons tous Princes, Potentats, & Seigneurs estrangers, leurs Lieutenans g�n�raux, Admiraux, Gouverneurs de leurs Provinces, Chefs & conducteurs de leurs gens de guerre, tant par mer que par terre, Capitaines de leurs villes & forts maritimes, ports, costes, havres, & destroits, donner audit Sieur de Champlain pour l'entier effect & ex�cution de ces presentes, tout support, secours, assistance, retraite, main-forte, faveur & aide, si besoin en a, & en ce qu'ils pourront estre par luy requis. En tesmoin de ce nous avons cesdites presentes sign�es de nostre main, & fait contre-signer par l'un de nos Secr�taires ordinaires, & � icelles fait mettre & apposer le cachet de nos armes; A Paris le quinziesme jour d'Octobre, mil six cents douze.

Sign�e CHARLES DE BOURBON.

Et sur le reply, Par Monseigneur le Comte,

BRESSON.

Mais ceste affaire ne dura que le moins qu'il me fut possible: car je me resolus de m'addresser � Monseig. le Prince; auquel ayant remonstr� l'importance & le merite de ceste affaire, que mond. Seigneur le Comte avoit embrass�e, comme protecteur d'icelle, il eust pour tres-agreable de la continuer souz son authorit�; qui m'occasionna de faire dresser ses Commissions367, sa Majest� luy 236/892ayant donn� la protection. Ses Commissions seell�es, mond. Seigneur me continua en l'honneur de la Lieutenance de feu Monseigneur le Comte, avec l'intendance d'icelle, pour associer telles personnes que j'adviserois bon estre, & capables d'aider � l'execution de ceste entreprise.

Note 367: (retour)

Cette commission est du 22 novembre 1612. (Voir, ci-apr�s, celle que le duc de Ventadour donne � l'auteur le 15 f�vrier 1625, seconde partie, liv. II, ch. I.)

Comme je moyennois de faire publier en tous les ports & havres du Royaume les Commissions de mond. Seigneur le Prince, quelques brouillons qui n'avoient aucun interest en l'affaire, l'importunerent de la faire casser, luy faisans entendre le pretendu interest de tous les marchands de France, qui n'avoient aucun sujet de se plaindre, attendu qu'un chacun estoit receu en l'association, & par ainsi l'on ne se pouvoit justement offenser: c'est pourquoy leur malice estant recognue, ils furent rejettez, avec permission seulement d'entrer en la societ�.

Pendant ces alt�rations 368, il me fut impossible de rien faire pour l'habitation de Qu�bec, & se fallut contenter pour ceste ann�e369 d y aller sans aucune association qu'avec passe-port de Monseigneur, qui fut donn� pour cinq vaisseaux, s�avoir trois de Normandie, un de la Rochelle, & un autre 370 de Sainct Malo; � condition que chacun me fourniroit six371 hommes, avec ce qui leur seroit necessaire, pour m'assister aux descouvertes372 que j'esperois faire par 237/893del� le, grand Sault, & le vingtiesme de ce qu'ils pourroient faire de pelleterie, pour estre employ� aux r�parations de l'habitation, qui s'en alloit en d�cadence. C'est donc tout ce qui se peut faire pour ceste ann�e, en attendant que la societ� se formast.

Note 368: (retour)

Altercations. C'est aussi ce que porte l'�dition de 1613 (p. 286).

Note 369: (retour)

1613.

Note 370: (retour)

Ce cinqui�me vaisseau n'est pas mentionn� dans l'�dition de 1613. (Conf. 1613, p. 286.)

Note 371: (retour)

L'�dition de 1613 porte �quatre.�

Note 372: (retour)

L'auteur omet ici un motif qu'il avait exprim� en 1613, celui de faire la guerre aux sauvages. C'est que Champlain ne se joignit aux nations alli�es que par la n�cessit� des circonstances, et pour parvenir plus efficacement au but que l'on devait se proposer: conna�tre le pays et ses ressources.

Tous ces vaisseaux s'appresterent chacun en son port & havre, & moy je m'en allay embarquer � Honnefleur373 avec led. sieur du Pont-grav�, qui faisoit pour les anciens associez qui ne s'estoient desunis. Nous voila embarquez jusques � arriver � Tadoussac374, & de l� � Quebec375, o� tous estoient en bonne sant�, qui fut l'an 1613. l'an 1613.

Note 373: (retour)

Conf. 1613, p. 287, et ci-devant, liv. IV, ch. I.

Note 374: (retour)

Le 29 avril. (1613, p. 289.)

Note 375: (retour)

Le 7 mai. (Ci-dessus, p. 198, et 1613, p. 290.)

De l� continuant nostre voyage jusques au grand Sault Sainct Louis 376, o� chacun faisoit sa traitte de pelleterie, je cherchay le vaisseau le plustost prest pour m'en retourner, qui fut celuy de Sainct Malo, dans lequel je m'embarquay; & levant les anchres & mettant souz voile, nous singlasmes si favorablement, qu'en peu de jours377 nous arrivasmes en France, o� estant, je donnay � entendre � plusieurs marchands le bien & utilit� qu'apportoit une compagnie bien r�gl�e, & conduitte souz l'authorit� d'un grand Prince, qui les pouvoit maintenir contre toute sorte d'envie, & qu'ils eussent � considerer ce que par le d�r�glement du pass� ils avoient perdu, & mesme 238/894en la presente ann�e, � l'envie les uns des autres. Et jugeans bien tous ces d�fauts, ils me promirent venir en Cour pour former leur compagnie, souz de certaines conditions. Ce qu'estant accord�, je m'acheminay � Fontainebleau, o� estoit le Roy, & Monseigneur le Prince, ausquels je fis fid�le rapport de tout mon voyage.

Note 376: (retour)

Champlain, cette ann�e 1613, arriva au saut Saint-Louis le 21 de mai, et en repartit, apr�s avoir remont� l'Outaouais avec son imposteur de Vignau, le 27 juin, pour Tadoussac, d'o� il fit voile pour la France le 8 juillet, dans le vaisseau de Maisonneuve. (Voir 1613, p. 288, 289 et 325.)

Note 377: (retour)

Le vaisseau partit de Tadoussac le 8 juillet, et arriva � Saint-Malo le 26 ao�t. (Voir 1613, p. 325, 326.)

Quelques jours apr�s ceux de Sainct Malo & de Normandie se trouverent prests, mais ceux de la Rochelle manqu�rent. Cependant je ne laissay de faire la societ� � Paris, reserv� le tiers aux Rochelois, qu'au cas que dedans un certain temps ils n'y voulussent entrer, ils n'y seroient plus receus. Ils furent si longtemps en ceste affaire, que ne venans pas au temps ils furent d�mis, & ceux de Rouen & Sainct Malo prirent l'affaire moiti� par moiti�.

En ce temps il falloit de tout bois faire flesches, car les importunitez qu'avoit Monseig. le Prince, occasionnoit que je faisois beaucoup de choses par son commandement. Voila donc la societ� & le contract fait, lequel je fais ratifier � mond. Seig. le Prince, & de sa Majest�, pour unze ann�es. Ceste Soci�t� ayant vescu quelque temps en tranquillit�, il y eut quelque dissention entr'eux & les Rochelois, qui estoient faschez de ce qu'on les avoit d�mis, pour ne s'estre trouvez au temps prescrit, qui fit qu'ils eurent un grand procez, lequel est demeur� au crocq, jusques � ce qu'ils obtindrent de mond. Seign. le Prince un passe-port par surprise pour un vaisseau, qui par la permission de Dieu se perdit � quinze lieues � val de Tadoussac, � la coste du nort. Car sans ceste fortune, il n'y a point de 239/895doute que comme il estoit bien arm�, il se fust battu, voulant jouir de son passe-port injustement acquis contre les nostres, o� mond. Seig. s'obligeoit ne donner passe-port autre qu'� ceux de nostre Soci�t�, & que s'il s'en trouvoit d'autres obtenus en quelque mani�re & fa�on que ce fust, qu'il les declaroit nuls d�s � present comme d�s lors. C'est pourquoy il y eust eu raison de se saisir des Rochelois, ce qui ne se pouvoit faire qu'avec la perte de nombre d'hommes. Partie des marchandises de ce vaisseau furent sauv�es, & prises par les nostres, qui en firent tr�s-bien leur profit avec les Sauvages, qui leur causa une tr�s-bonne ann�e: aussi � leur retour eurent-ils un grand procez contre les Rochelois, qui fut enfin jug� au b�n�fice de lad. Soci�t� 378.

Note 378: (retour)

Apparemment, les tribunaux d'alors ne jugeaient point des choses comme l'a fait, de nos jours, certain historien. Ils condamn�rent les Rochelois, parce que sans doute ils jug�rent qu'un vaisseau qui, apr�s avoir refus� ou n�glig� d'entrer dans la soci�t�, venait, avec un passe-port frauduleux, enlever � une compagnie l�galement constitu�e, sa principale source de revenu, pr�t au besoin � employer la force pour soutenir ses injustes pr�tentions, devait �tre regard� comme un vrai pirate, et poursuivi comme tel suivant toute la rigueur du droit. Mais l'auteur de l'Hist. de la Colonie fran�aise en Canada, voit, et tient � faire voir les choses sous un autre jour; � l'entendre, c'est tout bonnement un vaisseau jet� � la c�te, qui devient la victime de l'injustice et de la rapacit� de ses compatriotes. �Un vaisseau Rochelois,� dit-il, �ayant �chou� pr�s de Tadoussac, la soci�t� ne manqua pas de tirer avantage de son privil�ge,� (quel crime!) �&]a rigueur dont elle usa dans cette occasion montre combien l'int�r�t mercantile �touffait jusqu'aux sentiments de fraternit� inspir�s par l'esprit de secte.� Cette derni�re phrase, pour avoir un sens, suppose admises deux choses dont l'une est au moins incertaine, et l'autre fausse, savoir: 1� que le vaisseau rochelois �tait de la religion pr�tendue r�form�e, ce que l'on ne sait pas au juste, puisque Champlain est le seul qui parle de ce vaisseau, et qu'il ne le dit point; 2� que la compagnie �tait �galement toute calviniste, comme le m�me auteur le fait dire � Champlain ailleurs (voir ci-apr�s, ch. VIII), ce qui est faux. Cette compagnie renfermait, � la v�rit�, des marchands qui �taient de la r�forme; mais il y avait aussi des catholiques, pour le moins Champlain lui-m�me, ce qui �tait bien quelque chose, puisque c'�tait lui qui avait form� cette soci�t�. Apr�s une r�flexion si peu fond�e, le m�me auteur cite la phrase suivante entre guillemets, tout en la retouchant un peu, suivant sa coutume: �Une partie des marchandises que portait ce navire furent sauv�es, dit Champlain, & prises par les n�tres, qui en firent tr�s-bien leur profit avec les sauvages, ce qui leur causa une tr�s-bonne ann�e.� Mais il n'a garde de pousser plus loin la citation, le reste de la phrase �tant de nature � faire na�tre des doutes sur la justesse de son appr�ciation, puisque les cours de justice jug�rent le proc�s en faveur de la soci�t�.

Continuant tousjours ceste entreprise souz l'authorit� 240/896de mond. Seign. le Prince, & voyant que nous n'avions aucun Religieux, nous en eusmes par l'entremise du sieur Houel379, qui avoit une affection particuli�re � ce sainct dessein, & me dit que les p�res Recollets y seroient propres, tant pour la demeure de nostre habitation, que pour la conversion des infideles. Ce que je jugeay � propos, estans sans ambition, & du tout conformes � la r�gle sainct Fran�ois. J'en parlay � mond. Seig. le Prince, qui l'eut pour tr�s-agr�able; & ceste Compagnie s'offrit volontairement de les nourrir, attendant qu'ils peussent avoir un S�minaire, comme ils esperoient, par les charitables aumosnes qui leur seroient faites, pour prendre & instruire la jeunesse.

Note 379: (retour)

Voir 1619, p. 4, note 2.

Quelques particuliers de Sainct Malo poussez par d'autres aussi envieux qu'eux, de n'estre de la Societ�, (bien qu'il y en eust de leurs compatriotes) voulurent tenter une chose: mais n'osans se presenter devant mond. Seig. le Prince, ny trouver des Conseillers d'Estat, qui se voulussent charger de leur requeste contre son authorit�, ils font en sorte de faire mettre dans le cahier g�n�ral des Estats380, Qu'il fut permis d'avoir la traitte de pelleterie libre en toute la Province comme chose tr�s-importante. C'estoit un article fort serieux, & ceux qui l'avoient fait coucher devoient estre pardonnez, car ils ne s�avoient pas bien ce que c'estoit de ceste affaire, qu'on leur avoit donn� � entendre, contraire � la v�rit�.

Note 380: (retour)

Voir 1619, p. 6, note 1.

Voila comme par les plus c�l�bres assembl�es il 241/897se commet souvent des fautes, sans s'informer davantage. Ces envieux pensent avoir fait un grand coup, & qu'en ceste assembl�e des Estats tenus � Paris il se feroit des merveilles sur ce sujet, comme s'ils n'eussent eu autre fil � devider. Ayant ouy le vent de cecy, j'en parlay � Monseigneur le Prince, & luy remonstray l'interest qu'il avoit en la defense si juste de cet article, & que s'il luy plaisoit me faire l'honneur de me faire ouir, je ferois voir que la Bretagne n'a nul interest en cela, que ceux de Sainct Malo, dont des plus apparents avoient entr� en ladite societ�, & que d'autres l'avoient refus�e, & pour ce desplaisir avoient fait ins�rer cedit article au cahier g�n�ral de la Province. Il me dit qu'il me feroit parler � ces Messieurs; ce qui fut fait, o� je fis entendre la v�rit� de l'affaire, qui fut cause que l'article estant recogneu, il ne fut mis au n�ant.



Embarquement de l'Autheur pour aller en la nouvelle France. Nouvelles descouvertures en l'an 1615.

CHAPITRE V.381

Note 381: (retour)

Chapitre VI de la premi�re �dition.

Nous partismes de Honnefleur le 24e jour d'Aoust382 1615, avec quatre Religieux383, & fismes voile avec vent fort favorable, & voguasmes sans rencontre de glaces, ny autres hazards, & en peu de temps arrivasmes � Tadoussac le 25e jour de May, o� nous rendismes gr�ces � Dieu, de nous avoir conduit si � propos au port de salut.

Note 382: (retour)

Le 24 avril. (Voir 1619, p. 9, note l.)

Note 383: (retour)

Voir 1619, p. 7, 8, 9, o� il y a d'int�ressants d�tails sur l'arriv�e de ces religieux.

242/898On commen�a � mettre des hommes en besongne pour accommoder nos barques, afin d'aller � Qu�bec, lieu de nostre habitation, & au grand Sault Sainct Louys, o� estoit le rendez-vous des Sauvages qui y viennent traitter384. Incontinent que je fus arriv� au Sault385, je visitay ces peuples, qui estoient fort desireux de nous voir, & joyeux de nostre retour, sur l'esperance qu'ils avoient que nous leur donnerions quelques-uns d'entre nous pour les assister en leurs guerres contre leurs ennemis, nous remonstrans que mal ais�ment ils pourroient venir � nous, si nous ne les assistions, parce que les Yroquois leurs anciens ennemis, estoient tousjours sur le chemin, qui leur fermoient le passage; outre que je leur avois tousjours promis de les assister en leurs guerres, comme ils nous firent entendre par leur truchement. Sur quoy j'advisay386 qu'il estoit tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger davantage � nous aimer, que pour moyenner la facilit� de mes entreprises, & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit comme un acheminement & pr�paration pour venir au Christianisme, en faveur de 243/899quoy je me resolus d'y aller recognoistre leurs pays, & les assister en leurs guerres, afin de les obliger � me faire voir ce qu'ils m'avoient tant de fois promis.

Note 384: (retour)

Il est bon de remarquer qu'on a omis, dans l'�dition de 1632, tous les d�tails qui ont rapport aux P�res R�collets. Ici, l'�dition de 1619 s'�tendait assez au long sur ce qui se passa � leur arriv�e (Conf. 1619, p. 9-14). Il faut se rappeler de plus, qu'au moment o� cette �dition de 1632 se publiait, les R�collets faisaient d'inutiles efforts pour venir reprendre leurs missions. Maintenant, en jetant un coup-d'oeil sur ces passages de 1619 auxquels nous renvoyons, on comprend ais�ment, � voir l'obscurit� et l'embarras de la narration, qu'il n'y avait que Champlain lui-m�me qui p�t ou compl�ter le r�cit, ou le remettre dans un ordre plus clair, et tout autre que Champlain devait renoncer � d�brouiller le chaos. De sorte que, tout bien consid�r�, il semble que l'�dition de 1632 n'ait pas �t� faite, ou surveill�e, par l'auteur lui-m�me, et de plus qu'elle ait �t� confi�e � un p�re j�suite ou � un ami de leur ordre, comme on peut encore en trouver d'autres raisons ailleurs.

Note 385: (retour)

Vers le 20 de juin (1619, p. 14, note l).

Note 386: (retour)

L'�dition de 1619 porte: �Sur quoy ledit du Pont & moy advisasmes� (p. 14, note 2).

Je les fis tous assembler pour leur dire ma volont�, laquelle entendue, ils promirent nous fournir deux mil cinq cents hommes de guerre, qui feroient merveilles, & qu'� ceste fin je menasse de ma part le plus d'hommes qu'il me seroit possible: ce que je leur promis faire, estant fort aise de les voir si bien d�lib�rez. Lors je commen�ay � leur descouvrir les moyens qu'il falloit tenir pour combattre, � quoy ils prenoient un singulier plaisir, avec demonstration d'une bonne esperance de victoire. Toutes ces resolutions prises, nous nous separasmes, avec intention de retourner pour l'ex�cution de nostre entreprise. Mais auparavant que faire ce voyage, qui ne pouvoit estre moindre que de trois ou quatre mois, il estoit � propos que je fisse un voyage � nostre habitation, pour donner ordre, pendant mon absence, aux choses qui y estoient necessaires. Et le jour ensuivant387, je partis de l� pour retourner � la riviere des Prairies, avec deux canaux de Sauvages388.

Note 387: (retour)

L'�dition de 1619 porte; �Et.....le jour de.....ensuivant.� Vraisemblablement le 23 de juin. (Voir 1619, p. 16, note 1.)

Note 388: (retour)

Ici encore, l'�dition de 1619 renferme d'assez amples d�tails sur les R�collets, et sur les premi�res messes qu'ils dirent dans ce pays (p. 16-19).

Le 9 dudit mois 389 je m'embarquay moi troisiesme, � s�avoir l'un de nos truchemens, & mon homme, avec dix Sauvages, dans lesdits deux canaux, qui est tout ce qu'ils pouvoient porter, d'autant qu'ils estoient fort chargez & embarrassez de hardes, ce qui m'empeschoit de mener des hommes davantage.

Note 389: (retour)

Le 9 de juillet 1615. (Voir 1619, p. 19.)

244/900Nous continuasmes nostre voyage amont le fleuve Sainct Laurent environ six lieues, & fusmes par la riviere des Prairies, qui descharge dans ledit fleuve, laissant le sault sainct Louys cinq ou six lieues plus � mont, � la main senextre, ou nous passasmes plusieurs petits sauts par cette riviere, puis entrasmes dans un lac390, lequel pass�, r'entrasmes dans la riviere, o� j'avois est� autrefois, laquelle va & conduit aux Algoumequins, distante du sault sainct Louis de 89 lieues391, de laquelle riviere j'ay fait ample description cy-dessus392. Continuant mon voyage jusques au lac des Algoumequins393, r'entrasmes dedans une riviere 394 qui descend dedans ledit lac, & fusmes � mont icelle environ trente-cinq lieues, & passasmes grande quantit� de sauts, tant par terre, que par eau, & en un pays mal agr�able, remply de sapins, bouleaux, & quelques chesnes, force rochers, & en plusieurs endroits un peu montagneux. Au surplus fort desert, sterile, & peu habit�, si ce n'est de quelques Sauvages Algoumequins, appeliez Otaguottouemin395, qui se tiennent dans les terres, & vivent de leurs chasses & pescheries qu'ils font aux rivieres, estangs, & lac, dont le pays est assez muny. Il est vray qu'il semble que Dieu a voulu donner � ces terres affreuses & desertes quelque chose en sa saison, pour servir de rafraischissement � l'homme, & aux habitans de ces lieux. Car je vous asseure 245/901qu'il se trouve le long des rivieres si grande quantit� de blues 396, qui est un petit fruict fort bon � manger, & force framboises, & autres petits fruicts, & en telle quantit�, que c'est merveille: desquels fruicts ces peuples qui y habitent en font seicher pour leur hyver, comme nous faisons des pruneaux en France, pour le Caresme. Nous laissasmes icelle riviere qui vient du nort397, & est celle par laquelle les Sauvages vont au Sacquenay pour traitter des pelleteries, pour du petum. Ce lieu est par les 46 degrez398 de latitude, assez agr�able � la veue, encores que de peu de rapport.

Note 390:(retour)

Le lac des Deux-Montagnes.

Note 391: (retour)

Lisez: 8 � 9 lieues. (Voir 1619, p. 19, 20.)

Note 392: (retour)

Livre IV, chapitre I, II et III.

Note 393: (retour)

Le lac des Allumettes. (Voir 1619, p. 20, note 4.)

Note 394: (retour)

La rivi�re Creuse, qui est une partie de l'Outaouais. (1619, p. 20, note 5.)

Note 395: (retour)

Outaoukotouemiouek suivant la Relation de 1650, et Kotakoutouemi suivant celle de 1640. (Voir 1619, p. 20, note 6.)

Note 396: (retour)

Voir 1619, p. 21, note 1.

Note 397: (retour)

Voir 1619, p. 21, note 2.

Note 398: (retour)

Voir 1619, p. 21, note 3.

Poursuivant nostre chemin par terre, en laissant ladite riviere des Algoumequins, nous passasmes par plusieurs lacs, o� les Sauvages portent leurs canaux, jusques � ce que nous entrasmes dans le lac des Nipisierinij399, par la hauteur de quarante-six degrez & un quart de latitude. Et le vingt-sixiesme jour dud. mois400, apr�s avoir fait tant par terre, que par les lacs vingt-cinq lieues, ou environ. Ce fait, nous arrivasmes aux cabannes des Sauvages, o� nous sejournasmes deux jours avec eux. Ils nous firent fort bonne r�ception, & estoient en bon nombre. Ce sont gens qui ne cultivent la terre que fort peu. A, vous monstre l'habit de ces peuples allans � la guerre. B, celuy des femmes, qui ne diff�re en rien de celuy des montagnars, & Algommequins, grands peuples, & qui s'estendent fort dans les terres 401.

Note 399: (retour)

Le lac Nipissing.

Note 400: (retour)

Le 26 de juillet. Cette phrase, �videmment, doit se rattacher � la pr�c�dente.

Note 401: (retour)

Voir les figures indiqu�es par les lettres A et B.

246/902Durant le temps que je fus avec eux, le Chef de ces peuples, & autres des plus anciens, nous festoyerent en plusieurs festins, selon leur coustume, & mettoient peine d'aller pescher & chasser, pour nous traitter le plus d�licatement qu'ils pouvoient. Ils estoient bien en nombre de sept � huict cents �mes, qui se tiennent ordinairement sur le lac, o� il y a grand nombre d'isles fort plaisantes, & entr'autres une qui a plus de six lieues de long, o� il y a trois ou quatre beaux estangs, & nombre de belles prairies, avec de tr�s-beaux bois qui l'environnent, & y a grande abondance de gibbier, qui se retire dans cesdits petits estangs, o� les Sauvages y prennent du poisson. Le cost� du Septentrion dudit lac est fort agr�able. Il y a de belles prairies pour la nourriture du bestail, & plusieurs petites rivieres qui se deschargent dedans.

Ils faisoient lors pescherie dans un lac fort abondant de plusieurs sortes de poisson, entre autres d'un tr�s-bon, qui est de la grandeur d'un pied de long, comme aussi d'autres especes, que les Sauvages peschent pour faire secher, & en font provision. Ce lac402 a en son estendue environ 8 lieues de large, & 25 de long, dans lequel descend une riviere403 qui vient du norouest, par o� ils vont traitter les marchandises que nous leur donnons en trocq, & retour de leurs pelleteries, & ce avec ceux qui y habitent 404, lesquels vivent de chasse, & de 247/903pescherie, parce que ce pays est grandement peupl� tant d'animaux, oiseaux, que poisson.

Note 402: (retour)

Le lac Nipissing.

Note 403: (retour)

La rivi�re aux Esturgeons. (Voir 1619, p. 23, notes 2 et 3.)

Note 404: (retour)

Les Outimagami, qui demeuraient vraisemblablement au lac Timiscimi, les Ouachegami, les Mitchitamou, les Outurbi, et les Kiristinons, ou Cris. (Voir Relat, 1640, ch. x.)

Apr�s nous estre reposez deux jours avec le Chef desdits Nipisierinij, nous nous r'embarquasmes en nos canaux, & entrasmes dans une riviere 405 par o� ce lac se descharge, & fismes par icelle environ 33 lieues, & descendismes par plusieurs petits sauts, tant par terre, que par eau, jusques au lac Attigouantan. Tout ce pays est encores plus mal agr�able que le pr�c�dent, car je n'y ay point veu le long d'iceluy dix arpents de terre labourable, sinon rochers, & montagnes. Il est bien vray que proche du lac des Attigouantan 406 nous trouvasmes des bleds d'Inde, mais en petite quantit�, o� nos Sauvages prirent des citrouilles, qui nous semblerent bonnes, car nos vivres commen�oient � nous faillir, par le mauvais mesnage des Sauvages, qui mang�rent si bien au commencement, que sur la fin il en restoit fort peu, encores que ne fissions qu'un repas le jour: & nous aid�rent beaucoup ces blues & framboises (comme j'ay dit cy dessus) autrement nous eussions est� en danger d'avoir de la necessit�.

Note 405: (retour)

La rivi�re des Fran�ais.

Note 406: (retour)

Le lac Huron. (Voir note 2 de la page suivante et note 3 de la page 249.)

Nous fismes rencontre de 300 hommes d'une nation que nous nommasmes les cheveux relevez, pour les avoir fort relevez & ageancez, & mieux peignez que nos Courtisans, & n'y a nulle comparaison, quelques fers & fa�ons qu'ils y puissent apporter: ce qui semble leur donner une belle apparence. A. C. monstre la fa�on qu'ils s'arment allant 248/904� la guerre. Ils n'ont pour armes que l'arc & la flesche, fait en la fa�on que voyez d�peints, qu'ils portent ordinairement, & une rondache de cuir bouilly, qui est d'un animal comme le bufle407. Quand ils sortent de leurs maisons ils portent la massue. Ils n'ont point de brayer, & sont fort d�coupez par le corps, en plusieurs fa�ons de compartiment: & se peindent le visage de diverses couleurs, ayans les narines perc�es, & les oreilles bord�es de patenostres. Les ayant visitez, & contract� amiti� avec eux, je donnay une hache � leur Chef, qui en fut aussi content & resjouy, que si je luy eusse fait quelque riche present. Et m'enquerant sur ce qui estoit de son pa�s, il me le figura avec du charbon sur une escorce d'arbre: & me fit entendre qu'ils estoient venus en ce lieu pour faire secherie de ce fruict appell� blues, pour leur servir de manne en hyver, lors qu'ils ne trouvent plus rien.

Note 407: (retour)

Conf. 1619, p. 25. Tout ce passage a �t� remani�, dans l'�dition de 1632.

Le lendemain nous nous separasmes, & continuasmes nostre chemin le long du rivage de ce lac des Attigouantan 408, o� il y a un grand nombre d'isles, & fismes environ 45 lieues, costoyant tousjours cedit lac. Il est fort grand, & a pr�s de trois 409 cents lieues de longueur de l'Orient � l'Occident, & de large cinquante 410; & � cause de sa grande estendue, 249/905je l'ay nomm� la mer douce. Il est fort abondant en plusieurs especes de tr�s-bons poissons, tant de ceux que nous avons, que de ceux que n'avons pas, & principalement des truittes qui sont monstrueusement grandes, en ayant veu qui avoient jusques � quatre pieds & demy de long, & les moindres qui se voyent sont de deux pieds & demy. Comme aussi des brochets au semblable, & certaine mani�re d'esturgeon, poisson fort grand, & d'une merveilleuse bont�. Le pays qui borne ce lac en partie est aspre du cost� du nort, & en partie plat, & inhabit� de Sauvages, quelque peu couvert de bois, & de chesnes. Puis apr�s nous traversasmes une baye411, qui fait une des extremitez du lac, & fismes environ sept lieues412, jusques � ce que nous arrivasmes en la contr�e des Attigouantan413, � un village appelle Otouacha414, qui fut le premier jour d'Aoust, ou trouvasmes un grand changement de pays, cestuy-cy estant fort beau, & la plus grande partie desert�, accompagn� de force collines, & de plusieurs ruisseaux, qui rendent ce terroir agr�able. Je fus visiter leurs bleds d'Inde, qui estoient lors fort advancez pour la saison.

Note 408: (retour)

Attignouantan, ou Attignaouantan; c'est le lac Huron, ou mer Douce. Les Attignaouantan, nation des Ours, formaient l'une des tribus huronnes les plus consid�rables, et demeuraient plus proche du lac que les autres tribus.

Note 409: (retour)

L'�dition de 1640, pour se conformer sans doute � celle de 1619, a remis dans le texte comme � la marge: �quatre cents.� Le lac Huron n'a environ que quatre-vingts lieues de longueur; mais, dans son immense contour, on peut bien compter quatre cents lieues, et c'est peut-�tre ce que Champlain a voulu dire, ou ce que lui auront dit les sauvages. Il est possible aussi que le manuscrit port�t en toutes lettres quatre vint, et que le typographe ait lu quatre cent.

Note 410: (retour)

L'�dition 1640 ajoute le mot �lieues.�

Note 411: (retour)

La baie de Matchidache.

Note 412: (retour)

C'est-�-dire, la traverse m�me de cette baie de Matchidache. (Voir 1619, p. 26, note 2.)

Note 413: (retour)

La contr�e des Attignaouantan, ou des Ours, se composait principalement de cette pointe du comt� actuel de Simcoe, qui s'�tend de cinq � six lieues vers le nord-ouest dans la baie G�orgienne, entre la baie de Matchidache et celle de Nataouassagu�.

Note 414: (retour)

Otouacha, qui est probablement le m�me que Toanch�, ou Toanchain, para�t avoir �t� situ� � environ un mille du fond de la baie du Tonnerre. Il ne faut pas confondre ce premier emplacement d'Otouacha, ou de Touanch�, avec le second dont parle la Relation de 1635, qui �tait encore un mille plus loin de la baie. (Voir 1619, p. 26, notes 3 et 4.)

Ces lieux me semblerent tres-plaisans, au regard d'une si mauvaise contr�e d'o� nous venions de sortir. Le lendemain je fus � un autre village appelle 250/906Carmaron415, distant d'iceluy d'une lieue, o� ils nous receurent fort amiablement, nous faisans festin de leur pain, citrouilles, & poisson. Pour la viande, elle y est fort rare. Le chef dudit village me pria fort d'y sejourner, ce que je ne peus luy accorder, ains m'en retournay � nostre village 416.

Note 415: (retour)

A environ trois ou quatre milles au sud-est d'Otouacha, l'on trouve encore les restes d'un village qui doit avoir �t� Carmaron. Ce nom, que l'auteur semble donner comme huron, a probablement �t� mal lu par le typographe, la langue huronne n'ayant pas de labiales. Il est tr�s-possible que Champlain ait �crit Cannaron, ou Connarea, mot qui se rapproche beaucoup de Kontarea, mentionn� dans les Relations et dans la carte de Ducreux; or la position de ce dernier village pourrait r�pondre � celle de Carmaron. (Voir 1619, p. 27, note 2.)

Note 416: (retour)

Conf. 1619, p. 27.

Le lendemain 417 je partis de ce village pour aller � un autre, appell� Touaguainchain 418, & � un autre appell� Tequenonquiaye 419, esquels nous fusmes receus des habitans desdits lieux fort amiablement, nous faisans la meilleure chere qu'ils pouvoient de leurs bleds d'Inde en plusieurs fa�ons, tant ce pays est beau & bon, par lequel il fait beau cheminer.

Note 417: (retour)

Probablement le 3 d'ao�t.

Note 418: (retour)

Il semble que Touaguainchain soit le nom huron de ce que les P�res J�suites appel�rent plus tard Sainte-Madeleine. Il devait �tre � environ quatre milles au sud d'Otouacha, et deux milles � l'ouest de Carmaron. (Voir 1619, p. 28, note 2.)

Note 419: (retour)

�Autrement nomm�, dit Sagard, Quieuindohian, par quelques Fran�ois la Rochelle, & par nous la ville de sainct Gabriel.� (Hist. du Canada, p. 208.) Quelques ann�es plus tard, la Rochelle portait le nom d'Ossossan�, et les J�suites y �tablirent la r�sidence de la Conception. (Voir 1619, p. 28, note 3.) Ce village �tait � environ quatre lieues au sud-sud-est d'Otouacha, et par cons�quent deux lieues plus au sud que Carmaron. (Sagard, et Relations des J�suites.)

De l� je me fis conduire � Carhagouha420, ferm� de triple pallissade de bois, de la hauteur de trente-cinq pieds, pour leur defense & leur conservation. Estant en ces lieux421 le 12 d'Aoust422, j'y trouvay 251/90713 � 14 Fran�ois423 qui estoient partis devant moy de ladite riviere des Prairies. Et voyant que les Sauvages apportoient une telle longueur � faire leur gros, & que j'avois du temps pour visiter leur pays, je deliberay de m'en aller � petites journ�es de village en village � Cahiagu�424, o� devoit estre le rendez-vous de toute l'arm�e, distant de Carantouan425 de 14 lieues, & partis de ce village le 14 d'Aoust avec dix de mes compagnons. Je visitay cinq des principaux villages 426, fermez de pallissades de bois, jusques � Cahiagu�, le principal village du pays, o� il y a deux cents cabannes assez grandes, o� tous les gens de guerre se devoient assembler. Par tous ces villages ils nous receurent fort courtoisement & humainement. Ce pa�s est tr�s-beau, souz la hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, & fort desert�, o� ils sement grande quantit� de bleds d'Inde, qui y vient tr�s-beau, comme aussi des citrouilles, herbe au Soleil, dont ils font de l'huile de la graine, de laquelle ils se frottent la teste. Il est fort travers� de ruisseaux qui se deschargent dedans le lac: & y a force vignes & prunes, qui sont tr�s-bonnes, framboises, fraises, petites pommes sauvages, noix, & une mani�re de fruict qui est de la forme & couleur de petits citrons, comme de la grosseur d'un oeuf. La plante qui le porte a de hauteur deux 252/908pieds & demy, & n'a que trois � quatre fueilles pour le plus, de la forme de celle du figuier, & n'apporte que deux pommes chaque plante. Les chesnes, ormeaux, & hestres y sont en quantit�, comme aussi force sapinieres, qui est la retraite ordinaire des perdrix & lapins. Il y a aussi quantit� de petites cerises 427, & merises, & les mesmes especes de bois que nous avons en nos forests de France, sont en ce pays l�. A la v�rit� ce terroir me semble un peu sablonneux, mais il ne laisse pas d'estre bon pour cet espece de froment. Et en ce peu de pays j'ay recogneu qu'il est fort peupl� d'un nombre infiny d'ames, sans en ce comprendre les autres contr�es o� je n'ay pas est�, qui sont (au rapport commun) autant ou plus peupl�es que ceux cy-dessus: me representant que c'est grand piti� que tant de cr�atures vivent & meurent, sans avoir la cognoissance de Dieu, & mesmes sans aucune religion, ny loy, soit divine, politique, ou civile, establie parmy eux. Car ils n'adorent & ne prient en aucune fa�on, ainsi que j'ay peu recognoistre en leur conversation. Ils ont bien quelque espece de c�r�monie entr'eux, que je descriray en son lieu, comme pour ce qui est des malades, ou pour s�avoir ce qui leur doit arriver, mesme touchant les morts; mais ce sont de certains personnages qui s'en veulent faire accroire, tout ainsi que faisoient, ou se faisoit du temps des anciens Payens, qui se laissoient emporter aux persuasions des enchanteurs & devins: neantmoins la plus-part de ces peuples ne croyent rien de ce qu'ils font, & disent. Ils sont assez charitables entr'eux, 253/909pour ce qui est des vivres, mais au reste fort avaricieux, & ne donnent rien pour rien. Ils sont couverts de peaux de cerfs, & castors, qu'ils traittent avec les Algommequins & Nipisierinij, pour du bled d'Inde, & farines d'iceluy.

Note 420: (retour)

Voir 1619, p. 28, note 4.

Note 421: (retour)

Conf. 1619, p. 28, 29. Les d�tails omis ici, dans l'�dition de 1632, ont rapport au P. le Caron. Cette suppression est assez significative, et prouve jusqu'� l'�vidence que l'�diteur tenait � ne point nuire � la cause des P�res J�suites. Voil� pourquoi, sans doute, le M�moire des R�collets de 1637 insiste sur ce point d'une mani�re remarquable.

Note 422: (retour)

Champlain arriva � Carhagouha vers le 4 ou le 5 d'ao�t. (Voir 1619, p. 28, 29.)

Note 423: (retour)

Le P. Joseph �tait parti avec douze fran�ais, non pas pr�cis�ment de la rivi�re des Prairies, mais du saut Saint-Louis. (1619, p. 18, 19.)

Note 424: (retour)

Cahiagu� ne peut �tre autre chose que le nom huron du village que les missionnaires appel�rent plus tard Saint-Jean-Baptiste. Ce village devait �tre situ� vers le centre de la presqu'�le entour�e par la rivi�re Matchidache ou S�vern. (Voir 1619, p. 20 note 4.)

Note 425: (retour)

Il faut lire Carhagouha. (Voir 1619, p. 19.)

Note 426: (retour)

� part Tequenonkiay� et Carhagouha, qu'il venait de visiter, il dut passer par Scanonahenrat, Teanaustaya�, et Taenhatentaron. (Voir 1619 p. 30 note l.)

Note 427: (retour)

L'�dition de 1640 a remis le texte de 1619: �cerises petites.�



Nostre arriv�e � Cahiagu�. Description de la beaut�. du pays: naturel des Sauvages qui y habitent, & les incommodit�s que nous receusmes.

CHAPITRE VI.428

Note 428: (retour)

Chapitre VII de la premi�re �dition.

Le dix-septiesme jour d'Aoust j'arrivay � Cahiagu�, ou le fus receu avec grande allegresse, & recognoissance de tous les Sauvages du pays 429. Ils receurent nouvelles comme certaine nation de leurs alliez 430, qui habitent � trois bonnes journ�es plus haut que les Entouhonorons431, ausquels432 les Hiroquois font aussi la guerre, les vouloient assister en ceste exp�dition de cinq cents bons hommes, & faire alliance, & jurer amiti� avec nous, ayans grand desir de nous voir, & que nous fissions la guerre tous ensemble, & tesmoignoient avoir du contentement de nostre cognoissance: & moy pareillement d'avoir trouv� ceste opportunit�, pour le desir que j'avois de s�avoir des nouvelles de ce pays l�. Ceste nation est fort belliqueuse, � ce que tiennent ceux de la nation des Attigouotans. Il ny a que trois villages qui sont au milieu de plus de vingt autres, 254/910ausquels ils font la guerre, ne pouvans avoir de secours de leurs amis, d'autant qu'il faut passer par le pays des Chouontouarouon433, qui est fort peupl�, ou bien faudroit prendre un bien grand tour de chemin.

Note 429: (retour)

Conf. 1619, p. 32.

Note 430: (retour)

Les Carantouanais. (Voir 1619, p. 32, note 1.)

Note 431: (retour)

Entouhoronons, ou Tsonnontouans. (Voir 1619, p. 33, note 1.)

Note 432: (retour)

Auxquels alli�s. (Voir 1619, p. 33, note 2.)

Note 433: (retour)

Ou Sountouaronon, Tsonnontouans. (Voir 1619, p. 34, note 1.)

Arriv� que je fus en ce village, o� il me convint sejourner, attendant que les hommes de guerre vinsent des villages circonvoisins, pour nous en aller au plustost qu'il nous seroit possible, pendant lequel temps on estoit tousjours en festins & dances, pour la resjouissance en laquelle ils estoient de nous voir si resolus de les assister en leur guerre, & comme s'asseurans desja de la victoire.

La plus grande partie de nos gens assemblez, nous partismes du village le premier jour de Septembre, & passasmes sur le bord d'un petit lac 434, distant dudit village de trois lieues, o� il se fait de grandes pescheries de poisson, qu'ils conservent pour l'hyver. Il y a un autre lac435 tout joignant, qui a 26 lieues de circuit, descendant dans le petit par un endroit o� se fait la grande pesche dudit poisson, par le moyen de quantit� de pallissades, qui ferment presque le destroit, y lainant seulement de petites ouvertures o� ils mettent leurs filets, o� le poisson se prend, & ces deux lacs se deschargent dans la mer douce. Nous sejournasmes quelque peu en ce lieu pour attendre le reste de nos Sauvages, o� estans tous assemblez avec leurs armes, farines, & choses necessaires, on se d�lib�ra de choisir des hommes des 255/911plus resolus qui je trouveroient en la troupe, pour aller donner advis de nostre partement � ceux qui nous devoient assister de cinq cents hommes pour nous joindre, afin qu'en un mesme temps nous nous trouvassions devant le fort des ennemis. Ceste d�lib�ration prinse, ils depescherent deux canaux, avec douze Sauvages des plus robustes, & par mesme moyen l'un de nos truchemens436, qui me pria luy permettre faire le voyage, ce que je luy accorday facilement, puis qu'il en avoit la volont�, & par ce moyen verroit leur pays, & recognoistroit437 les peuples qui y habitent. Le danger n'estoit pas petit, dautant qu'il falloit passer par le milieu des ennemis. Nous continuasmes nostre chemin vers les ennemis, & fismes environ cinq � six lieues dans ces lacs 438, & de l� les Sauvages port�rent leurs canaux environ dix lieues par terre, & rencontrasmes un autre lac 439 de l'estendue de six � sept lieues de long, & trois de large. C'est d'o� sort une riviere440 qui se va descharger dans le grand lac des Entouhonorons441. Et ayans travers� ce lac, nous passasmes un sault d'eau, continuant le cours de ladite riviere, tousjours � val, environ soixante-quatre lieues, qui est l'entr�e dudit val 442 des Entouhonorons, & passasmes cinq sauts par terre, les uns de quatre � cinq lieues de long, o� y a plusieurs lacs qui sont d'assez belle estendue; 256/912comme aussi ladite riviere qui passe parmy, est fort abondante en bons poissons, & est tout ce pays fort beau & plaisant. Le long du rivage il semble que les arbres y ayent est� plantez par plaisir en la pluspart des endroits: aussi que tous ces pays ont est� autrefois habitez de Sauvages, qui depuis ont est� contraints de l'abandonner, pour la crainte de leurs ennemis. Les vignes & noyers y sont en grande quantit�, & les raisins y viennent � maturit�, mais il y reste tousjours une aigreur acre, ce qui provient � faute d'estre cultivez: car ce qui est desert� en ces lieux est assez agr�able.

Note 434: (retour)

Le lac Couchichine. (Voir 1619, p. 34, note 2.)

Note 435: (retour)

Le lac Simcoe. (Voir 1619, p. 34, note 3.)

Note 436: (retour)

�tienne Br�l�, (Voir 1619, pages 35 et 133.)

Note 437: (retour)

L'�dition de 1640 porte: recognoistre.

Note 438: (retour)

La traverse du lac Simcoe de l'ouest � l'est est d'environ cinq lieues.

Note 439: (retour)

Le lac � l'�turgeon (Sturgem lake). (Voir 1619, p. 35, note 3.)

Note 440: (retour)

La rivi�re Otonabi, qui, au-dessous du lac au Riz, prend le nom de Trent, et se jette dans la baie de Quint�.

Note 441: (retour)

Le lac Ontario.

Note 442: (retour)

Lisez: lac.

La chasse des cerfs & des ours y est fort fr�quente. Nous y chassasmes, & en prismes bon nombre en descendant. Pour ce faire, ils se mettoient quatre ou cinq cents Sauvages en haye dans le bois, jusques � ce qu'ils eussent attaint certaines pointes qui donnent dans la riviere, & puis marchans par ordre ayans l'arc & la flesche en la main, en criant & menant un grand bruit pour estonner les bestes, ils vont tousjours jusques � ce qu'ils viennent au bout de la pointe. Or tous les animaux qui se trouvent entre la pointe & les chasseurs, sont contraints de se jetter � l'eau, sinon qu'ils passent � la mercy des flesches qui leur sont tir�es par les chasseurs, & cependant les Sauvages qui sont dans les canaux posez & mis expr�s sur le bord du rivage, s'approchent des cerfs, & autres animaux chassez & harassez, & fort estonnez. Lors les chasseurs les tuent facilement avec des lames d'esp�es emmanch�es au bout d'un bois, en fa�on de demie pique, & font ainsi leur chasse; comme aussi au semblable dans les isles, o� 257/913il y en a � quantit�. Je prenois un singulier plaisir � les voir ainsi chasser, remarquant leur industrie. Il en fut tu� beaucoup de coups d'harquebuze, dont ils s'estonnoient fort. Mais il arriva par malheur qu'en tirant sur un cerf, un Sauvage se rencontra devant le coup, & fut bless� d'une harquebuzade, n'y pensant nullement, comme il est � presupposer, dont il s'ensuivit une grande rumeur entre eux, qui neantmoins s'appaisa, en donnant quelques presens au bless�, qui est la fa�on ordinaire pour appaiser & amortir les querelles. Et o� le bless� decederoit, on fait les presens & dons aux parens de celuy qui aura est� tu�. Pour le gibbier, il y est en grande quantit� lors de la saison. Il y a aussi force grues blanches comme les cygnes, & plusieurs autres especes d'oiseaux semblables � ceux de France.

Nous fusmes � petites journ�es jusques sur le bord du lac des Entouhonorons, tousjours chassant, comme dit est cy-dessus, o� estans, nous fismes la traverse443 en l'un des bouts, tirant � l'Orient, qui est l'entr�e de la grande riviere Sainct Laurent, par la hauteur de quarante-trois degrez444 de latitude, o� il y a de belles isles fort grandes en ce passage. Nous fismes environ quatorze lieues pour passer jusques � l'autre cost� du lac, tirant au sud, vers les terres des ennemis. Les Sauvages cach�rent tous leurs canaux dans les bois, proches du rivage. Nous fismes par terre environ 4 lieues sur une playe de sable, o� je remarquay un pays fort agr�able & beau, travers� 258/914de plusieurs petits ruisseaux, & deux petites rivieres 445 qui te deschargent audit lac, & force estangs & prairies, o� il y avoit un nombre infiny de gibbier, force vignes & beaux bois, grand nombre de chastaigniers, dont le fruict estoit encore en son escorce, qui est fort petit, mais d'un bon goust. Tous les canaux estans ainsi cachez, nous laissasmes le rivage du lac, qui a 80 lieues de long, & 25 de large446; la plus grande partie duquel est habit� de Sauvages sur les costes des rivages d'iceluy, & continuasmes nostre chemin par terre 25 � 30 lieues. Durant quatre journ�es nous traversasmes quantit� de ruisseaux, & une riviere447, proc�dante d'un lac 448 qui se descharge dans celuy des Entouhonorons. Ce lac est de l'estendue de 25 ou 30 lieues de circuit, o� il y a de belles isles, & est le lieu o� les Hiroquois ennemis font leur pesche de poisson, qui y est en abondance.

Note 443: (retour)

De la baie de Quint� � la pointe � la Traverse, aujourd'hui Stoney point, (Voir 1619, p. 38, note 2.)

Note 444: (retour)

Quarante-quatre degr�s et quelques minutes.

Note 445: (retour)

Probablement la rivi�re des Sables et la rivi�re � la Famine (dont on a fait Salmon river.)

Note 446: (retour)

Le lac Ontario a environ soixante-dix lieues de long, et dix-sept ou dix-huit de large.

Note 447: (retour)

La rivi�re Chouaguen, ou Ochouaguen. Les Anglais disent Oswego.

Note 448: (retour)

Le lac des Onneyouts, appel� encore aujourd'hui Oneida.

Le 9 du mois d'Octobre nos Sauvages allans pour descouvrir, rencontr�rent unze Sauvages qu'ils prindrent prisonniers, � s�avoir 4. femmes, trois gar�ons, une fille, & trois hommes, qui alloient � la pesche de poisson, esloignez du fort des ennemis de 4 lieues. Or est � noter que l'un des chefs voyant ces prisonniers, coupa le doigt � une de ces pauvres femmes pour commencer leur supplice ordinaire. Sur quoy je survins sur ces entrefaites, & blasmay le Capitaine Hiroquet, luy representant que ce 259/915n'estoit l'acte d'un homme de guerre, comme il se disoit estre, de se porter cruel envers les femmes, qui n'ont defense aucune que les pleurs, lesquelles � cause de leur imb�cillit� & foiblesse, on doit traitter humainement. Mais au contraire qu'on jugeroit cet acte provenir d'un courage vil & brutal, & que s'il faisoit plus de ces cruautez, il ne me donneroit courage de les assister, ny favoriser en leur guerre449. A quoy il me r�pliqua pour toute response, que leurs ennemis les traittoient de mesme fa�on. Mais puis que ceste fa�on m'apportoit du desplaisir, il ne feroit plus rien aux femmes, mais bien aux hommes.

Note 449: (retour)

Cette remontrance, pleine de courage et dict�e par un profond sentiment d'humanit�, est une preuve entre mille que Champlain ne s'�tait pas joint aux sauvages alli�s pour faire un �usage meurtrier des armes � feu contre les Iroquois,� comme l'avance l'auteur de l'Histoire de la Colonie Fran�aise en Canada t. I, p. 137. Il est bien �vident que cette exp�dition se fit aussi r�guli�rement qu'il �tait possible de le faire alors, et suivant les r�gles d'une bonne guerre.

Le lendemain sur les trois heures apr�s midy nous arrivasmes devant le fort 450 de leurs ennemis, o� les Sauvages firent quelques escarmouches les uns contre les autres, encores que nostre dessein ne fust de nous descouvrir jusques au lendemain: mais l'impatience de nos Sauvages ne le peut permettre, tant pour le desir qu'ils avoient de voir tirer sur leurs ennemis, comme pour delivrer quelques-uns des leurs qui s'estoient par trop engagez. Lors je m'approchay, & y fus, mais avec si peu d'hommes que j'avois: neantmoins nous leur monstrasmes ce qu'ils n'avoient jamais veu, ny ouy. Car aussi tost qu'ils nous veirent, & entendirent les coups d'harquebuze, & les balles siffler � leurs oreilles, ils se retir�rent promptement en leur fort, emportans 260/916leurs morts & blessez, & nous aussi semblablement fismes la retraite en nostre gros, avec cinq ou six des nostres blessez, dont l'un y mourut.

Note 450: (retour)

Ce fort devait �tre situ� vers le fond du lac de Canondaguen, ou Canandaiga, dans le comt� d'Ontario, �tat de New-York. (Voir 1619, p. 40, note 1.)

Cela estant fait, nous nous retirasmes � la port�e d'un canon, hors de la veue des ennemis, n�antmoins contre mon advis, & ce qu'ils m'avoient promis. Ce qui m'esmeut � leur user & dire des paroles assez rudes & fascheuses, afin de les inciter � se mettre en leur devoir, prevoyant que si toutes choses alloient � leur fantaisie, & selon la conduitte de leur conseil, il n'en pouvoit r�ussir que du mal � leur perte & ruine. Neantmoins je ne laissay pas de leur envoyer & proposer des moyens dont il falloit user pour avoir leurs ennemis, qui fut de faire un cavallier avec de certains bois, qui leur commanderoit par dessus leurs pallisades, sur lequel on poseroit quatre ou cinq de nos harquebuziers, qui tireroient par dessus leurs pallissades & galleries qui estoient bien munies de pierres & par ce moyen on deslogeroit les ennemis qui nous offensoient de dessus leurs galleries, & cependant nous donnerions ordre d'avoir des ais pour faire une mani�re de mantelets, pour couvrir & garder nos gens des coups de flesches & de pierres. Lesquelles choses, � s�avoir ledit cavallier, & les mantelets, se pourroient porter � la main � force d'hommes, & y en avoit un fait en telle sorte que l'eau ne pouvoit pas esteindre le feu, que l'on appliqueroit devant le fort. Se ceux qui seroient sur le cavallier feroient leur devoir, avec quelques harquebuziers qui y seroient logez, & en ce faisant nous nous d�fendrions en sorte, qu'ils ne pourroient approcher pour esteindre le 261/917feu que nous appliquerions � leurs clostures. Ce que trouvans bon, le lendemain 451 ils se mirent en besongne pour bastir & dresser lesdits cavalliers & mantelets, & firent telle diligence, qu'ils furent faits en moins de quatre heures. Ils esperoient que ledit jour les cinq cents hommes promis viendroient, desquels neantmoins on se doutoit, parce que ne s'estans point trouvez au rendez-vous, comme on leur avoit donn� charge, & l'avoient promis, cela affligeoit fort nos Sauvages. Mais voyans qu'ils estoient bon nombre pour prendre leur fort, & jugeant de ma part que la longueur en toutes affaires est tousjours prejudiciable, du moins � beaucoup de choses, je les pressay d'attaquer led. fort, leur remonstrant que les ennemis ayans recogneu leurs forces, & l'effect de nos armes, qui per�oient ce qui estoit � l'espreuve des flesches, ils se seroient barricadez & couverts, comme de faict ils y rem�di�rent fort bien: car leur village estoit enclos de quatre bonnes pallissades de grosses pi�ces de bois entrelass�es les unes parmy les autres, o� il n'y avoit pas plus de demy pied d'ouverture entre deux, de la hauteur de trente pieds, & les galeries comme en mani�re de parappel, qu'ils avoient garnies de double pi�ces de bois, � l'espreuve de nos harquebuzes, & estoient proches d'un estang, o� l'eau ne leur manquoit aucunement, avec quantit� de goutieres qu'ils avoient mises entre deux, lesquelles jettoient l'eau au dehors, & la mettoient par dedans � couvert pour esteindre le feu. Voil� la fa�on dont ils usent tant en leurs fortifications, qu'en leurs defenses, 262/918& bien plus forts que les villages des Attigouautan, & autres.

Note 451: (retour)

Le 11 octobre.

Donc nous nous approchasmes pour attaquer ce village, faisant porter nostre cavallier par deux cents hommes des plus forts, qui le poserent devant � la longueur d'une pique, o� je fis monter quatre452 harquebuziers, bien � couvert des flesches & pierres qui leur pouvoient estre tir�es & jett�es. Cependant l'ennemy ne laissa pour cela de tirer & jetter grand nombre de flesches & de pierres par dessus leurs pallissades. Mais la multitude des coups d'harquebuze qu'on leur tiroit, les contraignit de desloger, & d'abandonner leurs galeries. Et comme on portoit le cavallier, au lieu d'apporter les mantelets par ordre, & celuy o� nous devions mettre le feu, il les abandonn�rent & se mirent � crier contre leurs ennemis, en tirant des coups de flesches dedans le fort, qui (� mon opinion) ne faisoient pas beaucoup d'ex�cution. Il les faut excuser, car ce ne sont pas gens de guerre, & d'ailleurs ils ne veulent point de discipline, ny de correction, & ne font que ce qui leur semble bon. C'est pour quoy inconsider�ment un mit le feu contre le fort tout au rebours de bien, & contre le vent, tellement qu'il ne fit aucun effect. Le feu pass�, la plus-part des Sauvages commenc�rent � apporter du bois contre les pallissades, mais en si petite quantit�, que le feu ne fit grand effect aussi le d�sordre qui survint entre ce peuple fut fi grand, qu'on ne se pouvoit entendre. J'avois beau crier apr�s eux, & leur remonstrer au mieux qu'il m'estoit possible, le danger o� ils se mettoient par 263/919leur mauvaise intelligence, mais ils n'entendoient rien pour le grand bruit qu'ils faisoient. Et voyant que c'estoit me rompre la teste de crier, & que mes remonstrances estoient vaines, & n'y avoit moyen de rem�dier � ce d�sordre, je me resolus avec mes gens de faire ce qui me seroit possible, & tirer sur ceux que nous pourrions descouvrir, & appercevoir. Cependant les ennemis faisoient profit de nostre d�sordre: ils alloient � l'eau, & en jettoient en telle abondance, qu'on eust dit que c'estoient ruisseaux qui tomboient par leurs goutieres, tellement qu'en moins de rien le feu fut du tout esteint, & ne cessoient de tirer plusieurs coups de flesches, qui tomboient sur nous comme gresle. Ceux qui estoient sur le cavallier en tu�rent & estropierent beaucoup. Nous fusmes en ce combat environ trois heures. Il y eut deux de nos Chefs, & des principaux blessez, � s�avoir un appelle Ochateguain, l'autre Orani, & environ quinze d'autres particuliers. Les autres de leur cost� voyans leurs gens blessez, & quelques-uns de leurs Chefs, commenc�rent � parler de retraitte sans plus combattre, attendant les cinq cents hommes 453, qui ne devoient plus gueres tarder � venir, & ainsi se retir�rent, n'ayans que ceste boutade de d�sordre. Au reste, les Chefs n'ont point de commandement absolu sur leurs compagnons, qui suivent leur volont�, & font � leur fantaisie, qui est la cause de leur d�sordre, & qui ruine toutes leurs affaires. Car ayans resolu quelque chose entr'eux, il ne faudra qu'un belistre, pour rompre leur resolution, & faire un nouveau dessein. Ainsi les uns pour les autres 264/920ils ne font rien, comme il se peut voir par ceste exp�dition.

Note 452: (retour)

Conf. �d. 1619, p. 43.

Note 453: (retour)

Les Carantouanais, qui arriv�rent deux jours trop tard. (Voir 1619, p. 135.)

Ayant est� bless� de deux coups de flesche, l'un dans la jambe, & l'autre au genouil, qui m'apporta une grande incommodit�, nous nous retirasmes en nostre fort. O� estans tous assemblez, je leur fis plusieurs remonstrances sur le desordre qui s'estoit passe, mais tous mes discours ne servirent de rien, & ne les esmeut aucunement, disans que beaucoup de leurs gens avoient est� blessez, & moy-mesme, & que cela donneroit beaucoup de fatigue & d'incommodit� aux autres faisant la retraite, pour les porter. Que de retourner plus contre leurs ennemis, comme je leur proposois, il n'y avoit aucun moyen: mais bien qu'ils attendroient encores quatre jours les cinq cents hommes qui devoient venir, & estans venus, ils feroient encores un second effort contre leurs ennemis, & executeroient mieux ce que je leur dirois, qu'ils n'avoient fait par le pass�. Il en fallut demeurer l�, � mon grand regret. Cy devant est represent� comme ils fortifient leurs villes, & par ceste figure l'on peut entendre & voir, que celles des amis & ennemis font semblablement fortifi�es.

Le lendemain 454 il fit un vent fort imp�tueux qui dura deux jours, grandement favorable � mettre derechef le feu au fort des ennemis; sur quoy je les pressay fort: mais craignans d'avoir pis, & d'ailleurs se representans leurs blessez, cela fut cause qu'ils n'en voulurent rien faire.

Note 454: (retour)

Le 12 octobre.

Nous fusmes campez jusques au 16 dudit mois, 265/921o� durant ce temps il se fit quelques escarmouches entre les ennemis & les nostres, qui demeuroient le plus souvent engagez parmy eux, plustost par leur imprudence, que faute de courage; & vous puis certifier qu'il nous falloit � toutes les fois qu'ils alloient � la charge, les aller desgager de la presse, ne se pouvans retirer qu'en faveur de nos harquebuzades, que les ennemis redoutoient & apprehendoient fort. Car si tost qu'ils appercevoient quelqu'un de nos harquebuziers, ils se retiroient promptement, nous disans par forme de persuasion, que nous ne nous meslassions point en leurs combats, & que leurs ennemis avoient bien peu de courage de nous requ�rir de les assister, avec tout plein d'autres discours sur ce sujet.

Voyant que les cinq cents hommes ne venoient point, ils d�lib�r�rent de partir, & faire retraite au plustost, & commenc�rent � faire certains paniers pour porter les blessez, qui sont mis l� dedans, entassez en un monceau, pliez & garrotez de telle fa�on, qu'il est impossible de se mouvoir, moins qu'un petit enfant en son maillot, & n'est pas sans leur faire ressentir de grandes douleurs. Je le puis certifier, ayant est� port� quelques jours sur le dos de l'un de nos Sauvages ainsi li� & garrot�, ce qui me faisoit perdre patience. Aussi tost que je peux avoir la force de me soustenir, je sortis de ceste prison, ou � mieux dire, de la g�henne.

Les ennemis nous poursuivirent environ demie lieue de loin, pour essayer d'attraper quelques-uns de ceux qui faisoient l'arri�re-garde: mais leurs peines furent inutiles, & se retir�rent.

266/922Tout ce que j'ay remarqu� de bon en leur guerre, est qu'ils font leur retraite fort seurement, mettans tous les blessez & les vieux au milieu d'eux, estans sur le devant, aux aisselles455, & sur le derri�re bien armez, & arrangez par ordre de la fa�on, jusques � ce qu'ils soient en lieu de seuret�, sans rompre leur ordre. Leur retraite estoit fort longue, comme de 25 � 30 lieues, qui donna beaucoup de fatigue aux blessez, & � ceux qui les portoient, encores qu'ils se changeassent de temps en temps.

Note 455: (retour)

Aux aisles. �tant bien arm�s sur le devant, aux ailes et sur le derri�re.

Le 18 dudit mois il tomba force neiges, qui durerent fort peu, avec un grand vent, qui nous incommoda fort: neantmoins nous fismes tant que nous arrivasmes sur le bord dudit lac des Entouhonorons, & au lieu o� estoient nos canaux cachez, que l'on trouva tous entiers: car on avoit eu crainte que les ennemis les eussent rompus. Estans tous assemblez, & prests de se retirer � leur village, je les priay de me remener � nostre habitation; ce qu'ils ne voulurent m'accorder du commencement: mais en fin ils s'y resolurent, & cherch�rent 4 hommes pour me conduire, lesquels s'offrirent volontairement. Car (comme j'ay dit cy-dessus) les Chefs n'ont point de commandement sur leurs compagnons, qui est cause que bien souvent ils ne font pas ce qu'ils voudroient bien. Ces 4 hommes estans prests, il ne se trouva point de canau, chacun ayant affaire du sien. Ce n'estoit pas me donner sujet de contentement, au contraire cela m'affligeoit, fort, d'autant qu'ils m'avoient promis de me remener & conduire apr�s leur guerre, � nostre habitation: 267/923outre que j'estois fort mal accommod� pour hyverner avec eux, car autrement je ne m'en fusse pas souci�. Quelques jours apr�s j'apperceus que leur dessein estoit de me retenir, & mes compagnons aussi, tant pour leur seuret�, craignans leurs ennemis, que pour entendre ce qui se passoit en leurs conseils & assembl�es, que pour resoudre ce qu'il convenoit faire � l'advenir.

Le lendemain 28 dudit mois, chacun commen�a � se pr�parer, les uns pour aller � la chasse des cerfs, les autres aux ours, castors, autres � la pesche du poisson, autres � se retirer en leurs villages. Et pour ma retraite & logement, il y eut un des principaux Chefs appelle Darontal456, avec lequel j'avois quelque familiarit�, qui me fit offre de sa cabanne, vivres, & commoditez, lequel prit aussi le chemin de la chasse du cerf, qui est tenue pour la plus noble entr'eux. Apr�s avoir travers� le bout du lac de ladite isle457, nous entrasmes dans une riviere458 environ 12 lieues, puis ils port�rent leurs canaux par terre demie lieue, au bout de laquelle nous entrasmes en un lac qui a d'estendue 10 � 12 lieues de circuit, ou il y avoit grande quantit� de gibbier, comme cygnes, grues blanches, outardes, canards, sarcelles, mauvis, allouettes, beccassines, oyes, & plusieurs autres sortes de vollatilles que l'on ne peut nombrer, dont j'en tuay bon nombre, qui nous servit bien, attendant la prise de quelque cerf, auquel lieu nous fusmes en un certain endroit esloign� de 268/924dix lieues, o� nos Sauvages jugeoient qu'il y en avoit quantit�. Ils s'assemblerent 25 Sauvages, & se mirent � bastir deux ou trois cabannes de pi�ces de bois, accommod�es les unes sur les autres, & les calfeutr�rent avec de la mousse, pour empescher que l'air n'y entrast, les couvrant d'escorces d'arbres. Ce qu'estant fait, ils furent dans le bois, proche d'une petites sapiniere, o� ils firent un clos en forme de triangle, ferm� des deux costez, ouvert par l'un d'iceux. Ce clos fait de grandes pallissades de bois fort press�, de la hauteur de 8 � 9 pieds, & de long de chacun cost� pr�s de mil cinq cents pas; au bout duquel triangle y a un petit clos, qui va tousjours en diminuant, couvert en partie de branchages, y laissant seulement une ouverture de cinq pieds, comme la largeur d'un moyen portail, par o� les cerfs devoient entrer. Ils firent si bien, qu'en moins de dix jours ils mirent leur clos en estat. Cependant d'autres Sauvages alloient � la pesche du poisson, comme truites & brochets de grandeur monstrueuse, qui ne nous manqu�rent en aucune fa�on. Toutes choses estans faites, ils partirent demie heure devant le jour pour aller dans le bois, � quelque demie lieue de leurdit clos, s'esloignant les uns des autres de quatre vingts pas, ayant chacun deux bastons, desquels ils frapent l'un sur l'autre, marchant au petit pas en cet ordre, jusques � ce qu'ils arrivent � leur clos. Les cerfs oyans ce bruit s'enfuyent devant eux, jusques � ce qu'ils arrivent au clos, o� les Sauvages les pressent d'aller, & se joignent peu � peu vers l'ouverture de leur triangle, o� les cerfs coulent le long desdites pallissades, 269/925jusques � ce qu'ils arrivent au bout, o� les Sauvages les poursuivent vivement, ayant l'arc & la flesche en main, prests � descocher, & estant au bout de leurdit triangle ils commencent � crier, & contrefaire les loups, dont y a quantit�, qui mangent les cerfs: lesquels oyans ce bruit effroyable, sont contraints d'entrer en la retraitte par la petite ouverture, o� ils sont poursuivis fort vivement � coups de flesches, & l� sont pris ais�ment: car cette retraitte est si bien close & ferm�e, qu'ils n'en peuvent sortir. Il y a un grand plaisir en ceste chasse, qu'ils continuoient de deux jours en deux jours, si bien qu'en trente-huict jours459 ils en prirent six vingts, desquels ils se donnent bonne cur�e, reservans la graine pour l'hyver, & en usent comme nous faisons du beurre, & quelque peu de chair qu'ils emportent � leurs maisons, pour faire des festins entr'eux, & des peaux ils en font des habits.

Note 456: (retour)

Voir 1619, p. 49, note 1.

Note 457: (retour)

Voir 1619, p. 49, note 2.

Note 458: (retour)

Probablement celle de Cataracoui. (Voir 1619, p. 50, note l.)

Note 459: (retour)

Du 28 octobre au 4 d�cembre.

Ils ont d'autres inventions � prendre les cerfs, comme au pi�ge, dont ils en font mourir beaucoup, ainsi que voyez cy-devant d�peinte la forme de leur chasse, clos, & pi�ges. Voila comme nous passasmes le temps attendant la gel�e, pour retourner plus ais�ment, d'autant que le pays est grandement marescageux.

Au commencement que nous sortismes pour aller chasser, je m'engageay tellement dans les bois � poursuivre un certain oiseau, qui me sembloit estrange, ayant le bec approchant d'un perroquet, & de la grosseur d'une poulie, le tout jaulne, fors la teste rouge, & les aisles bleues, & alloit de vol en 270/926vol comme une perdrix. Le desir que l'avois de le tuer me le fit poursuivre d'arbre en arbre fort long temps, jusques � ce qu'il s'envolla. Et perdant toute esperance, je voulus retourner sur mes bris�es, o� je ne trouvay aucun de nos chasseurs, qui avoient tousjours gaign� pays jusques � leur clos: & taschant de les attraper, allant ce me sembloit droit o� estoit ledit clos, je m'esgaray parmy les forests, allant tantost d'un cost�, tantost d'un autre, sans me pouvoir recognoistre, & la nuict survenant, je la passay au pied d'un grand arbre. Le lendemain je commen�ay � faire chemin jusques sur les 3 heures du soir, o� je rencontray un petit estang dormant, & y apperceus du gibbier, & tuay trois ou quatre oiseaux. Las & recreu je commen�ay � me reposer, & faire cuire ces oiseaux dont je me repeus. Mon repas pris, je pensay � par-moy ce que je devois faire, priant Dieu qu'il luy pleust m'assister en mon infortune dans ces deserts, car trois tours durant il ne fit que de la pluye entre-mesl�e de nege.

Remettant le tout en sa misericorde, je repris courage plus que devant, allant �a & l� tout le jour sans appercevoir aucune trace ou sentier que celuy des bestes sauvages, dont j'en voyois ordinairement bon nombre, & passay ainsi la nuict sans aucune consolation. L'aube du jour venu (apr�s avoir un peu repeu) je pris resolution de trouver quelque ruisseau, & le costoyer, jugeant qu'il falloit de necessit� qu'il s'allast descharger en la riviere, ou sur le bord o� estoient nos chasseurs. Ceste resolution prise, je l'executay si bien, que sur le midy se me trouvay sur le bord d'un petit lac, comme de lieue 271/927& demie, o� l'y tuay quelque gibbier, qui m'accommoda fort, & avois encores huict � dix charges de poudre. Marchant le long de la rive de ce lac pour voir o� il deschargeoit, je trouvay un ruisseau assez spacieux, que je suivis jusques sur les cinq heures du soir, que t'entendis un grand bruit: & prestant l'oreille, je ne peus comprendre ce que c'estoit, jusques � ce que t'entendis ce bruit plus clairement, & jugeay que c'estoit un sault d'eau de la riviere que je cherchois. M'approchant de plus pr�s, j'apperceus une escluse, o� estant parvenu, je me rencontray en un pr� fort grand & spacieux, o� il y avoit grand nombre de bestes sauvages. Et regardant � la main droite, je veis la riviere large & spacieuse. Desirant recognoistre cet endroit, & marchant en ce pr�, je me rencontray en un petit sentier, o� les Sauvages portent leurs canaux. Ayant bien consider� ce lieu, je recogneus que c'estoit la mesme riviere, & que j'avois pass�e par l�. Bien aise de cecy, je soupay de si peu que j'avois, & couchay l� la nuict. Le matin venu, considerant le lieu o� j'estois, je jugeay par certaines montagnes qui sont sur le bord de ladite riviere, que je ne m'estois point tromp�, & que nos chasseurs devoient estre au dessus de moy de quatre ou cinq bonnes lieues, que je fis � mon aise, costoyant le bord de lad. riviere, jusques � ce que j'apperceus la fum�e de nosd. chasseurs: auquel lieu j'arrivay avec beaucoup de contentement, tant de moy, que de deux 460 qui me cerchoient, & avoient perdu esperance de me revoir, & me pri�rent de ne m'escarter plus d'eux, 272/928ou que je portasse mon cadran sur moy, lequel j'avois oubli�, qui m'eust peu remettre en mon chemin. Ils me disoient: Si tu ne fusses venu, & que nous n'eussions peu te trouver, nous ne serions plus allez aux Fran�ois, de peur qu'ils ne nous eussent accusez de t'avoir fait mourir. Du depuis Darontal estoit fort soigneux de moy quand j'allois � la chasse, me donnant toujours un Sauvage pour m'accompagner. Retournant � mon propos, ils ont une certaine resverie en ceste chasse, telle, qu'ils croyent que s'ils faisoient rostir de la viande prise en ceste fa�on, ou qu'il tombast de la graisse dans le feu, ou que quelques os y fussent jettez, qu'ils ne pourroient plus prendre de cerfs, & pour ce sujet me prioient de n'en point faire rostir. Pour ne les scandaliser, je m'en deportois, estant devant eux: puis leur ayant dit que j'en avois fait rostir, ils ne me vouloient croire, disans que si cela eust est�, ils n'auroient pris aucuns cerfs, telle chose ayant est� commise.

Note 460: (retour)

Conf. 1619, p. 54.



Comme les Sauvages traversent les glaces. Des peuples du petum. Leur forme de vivre. Peuples appellez la nation neutre.

CHAPITRE VII.461

Note 461: (retour)

Chapitre VIII de la premi�re �dition.

Le quatri�me jour de Decembre nous partismes de ce lieu, marchant sur la riviere qui estoit gel�e, & sur les lacs & estangs glacez, & par les bois, l'espace de dix-neuf jours, qui n'estoit pas sans beaucoup de peine & travail, tant pour les 273/929Sauvages qui estoient chargez de cent livres pesant chacun comme de moy-mesme qui portois la pesanteur de 20 livres. Il est bien vray que t'estois quelquefois soulag� par nos Sauvages, mais nonobstant je ne laissois pas de recevoir beaucoup d'incommoditez. Quant � eux, pour traverser plus ais�ment les glaces, ils ont accoustum� de faire de certaines tra�n�es 462 de bois, sur lesquels ils mettent leurs charges, & les traisnent apr�s eux sans aucune difficult�, & vont fort promptement. Quelques jours apr�s il arriva un grand d�gel qui nous tourmenta grandement: car il nous falloit passer par dedans des sapinieres pleines de ruisseaux, estangs, marais & pallus, avec quantit� de bois�es renvers�es les unes sur les autres, qui nous donnoit mille maux, avec des embarrassemens qui nous apportoient de grandes incommoditez, pour estre tousjours mouillez jusques au dessus du genouil. Nous fusmes quatre jours en cet estat, � cause qu'en la plus grande partie des lieux les glaces ne portoient point: & fismes tant, que nous arrivasmes � nostre village 463 le 23e jour dudit mois, o� le capitaine Yroquet vint hyverner avec ses compagnons, qui sont Algommequins, & son fils, qu'il amena pour faire traitter & penser, lequel allant � la chasse avoit est� fort offens� d'un ours, le voulant tuer.

Note 462: (retour)

Tra�nes. (Voir 1619, p. 56, note 1.)

Note 463: (retour)

Cahiagu�.

M'estant repos� quelques jours je deliberay d'aller voir464 les peuples en l'hyver, que l'est� & la guerre ne m'avoient peu permettre de visiter. Je partis de 274/930ce village le 14 465 de Janvier ensuivant, apr�s avoir remerci� mon hoste du bon traittement qu'il m'avoit fait: & croyant ne le revoir de trois mois, je prins cong� de luy. Menant avec moy quelques Fran�ois466, je m'acheminay � la nation du petum 467, o� j'arrivay le 17 dudit mois de Janvier. Ces peuples sement le ma�s, appell� par de�� bled de Turquie, & ont leur demeure arrest�e comme les autres. Nous fusmes en sept autres villages leurs voisins & alliez, avec lesquels nous contractasmes amiti�, & nous promirent de venir un bon nombre � nostre habitation. Ils nous firent fort bonne ch�re, & nous firent present de chair & poisson pour faire festin, comme est leur coustume, o� tous les peuples accouroient de toutes parts pour nous voir, en nous faisant mille demonstrations d'amiti�, & nous conduisoient en la plus-part du chemin. Le pays est remply de costaux, & petites campagnes, qui rendent ce terroir agr�able. Ils commen�oient � bastir deux villages, par o� nous passasmes, au milieu des bois, pour la commodit� qu'ils trouvent d'y bastir & les enclorre. Ces peuples vivent comme les Attignouaatitans, & mesmes coustumes, & sont proches de la nation neutre, qui est puissante, qui tient une grande estendue de pays, � trois journ�es d'eux.

Note 464: (retour)

Conf 1619, p. 57. Ici encore l'�dition de 1632 fait une suppression assez significative: elle �te simplement le nom du P. Joseph, qui, comme on sait, �tait r�collet.

Note 465: (retour)

Ou plut�t probablement le 4. Ici, comme dans le texte de 1619, il y a erreur quelque part; mais il nous para�t �vident qu'il faut faire la correction en cet endroit. Arriv� � Cahiagu� le 23 d�cembre, Champlain se repose quelques jours. Il repart pour aller rejoindre le P. Joseph le 4 janvier; le 5, il est � Carhagouha, o� il demeure avec lui quelques jours. Le 15, ils partent ensemble pour aller visiter les Tionnontat�s, o� ils arrivent le 17. Apr�s s'�tre rendus chez les Cheveux-Relev�s, ils reviennent vers la mi-f�vrier.

Note 466: (retour)

Conf. 1619, p. 57.

Note 467: (retour)

Les Tionnoncat�ronons.

Apr�s avoir visit� ces peuples, nous partismes de 275/931ce lieu, & fusmes � une nation de Sauvages, que nous avons nommez les cheveux relevez468, lesquels furent fort joyeux de nous revoir, avec lesquels nous fismes aussi amiti�, & qui pareillement nous promirent de nous venir trouver, & voir � ladite habitation. En cet endroit 469 il m'a sembl� � propos de les d�peindre, & faire une description de leurs pays, moeurs, & fa�ons de faire. En premier lieu, ils font la guerre � une autre nation de Sauvages, qui s'appellent Asistagueronon, qui veut dire gens de feu, esloignez d'eux de dix journ�es. Ce fait, je m'informay fort particuli�rement de leur pays, & des nations qui y habitent, quels ils sont, & en quelle quantit�. Icelle nation sont en grand nombre, & la plus-part grands guerriers, chasseurs, & pescheurs. Ils ont plusieurs Chefs qui commandent chacun en leur contr�e. La plus grand' part sement des bleds d'Inde, & autres. Ce sont chasseurs qui vont par troupes en plusieurs r�gions & contr�es, o� ils trafiquent avec d'autres nations esloign�es de plus de quatre � cinq cents lieues. Ce sont les plus propres Sauvages en leurs mesnages que j'aye veu, & qui travaillent le plus industrieusement aux fa�ons des nattes, qui sont leurs tapis de Turquie. Les femmes ont le corps couvert, & les hommes descouvert, sans aucune chose, sinon qu'une robbe de fourrure, qu'ils mettent sur leurs corps, qui est en fa�on de manteau, laquelle ils laissent ordinairement, & principalement en est�. Les femmes 276/932& les filles ne sont non plus �meues de les voir de la fa�on, que si elles ne voyoient rien, qui sembleroit estrange. Elles vivent fort bien avec leurs maris, & ont ceste coustume que lors qu'elles ont leurs mois, elles se retirent d'avec leurs maris, ou les filles d'avec leurs p�res & m�res, & autres parents, s'en allans en de certaines maisonnettes, o� elles fe retirent pendant que le mal leur tient, sans avoir aucune compagnie d'hommes, lesquels leur font porter des vivres & commoditez jusques � leur retour, & ainsi l'on s�ait celles qui les ont, & celles qui ne les ont pas. Ce sont gens qui font de grands festins, & plus que les autres nations. Ils nous firent fort bonne ch�re, & nous receurent fort amiablement, & me pri�rent fort de les assister contre leurs ennemis, qui sont sur le bord de la mer douce, esloign�e de deux cents lieues; � quoy je leur dis que ce seroit pour une autre fois, n'estant accommod� des choses necessaires.

Note 468: (retour)

Les Andatahouats. (Voir 1619, p. 24 et 58.)

Note 469: (retour)

Conf. 1619, p. 58.

Il y a aussi � deux ou trois journ�es d'iceux une autre nation de Sauvages, d'un cost� tirant au sud, qui font grand nombre de petum, lesquels s'appellent la nation neutre470, qui sont grand nombre de gens de guerre, qui habitent vers le midy de la mer douce, lesquels assistent les Cheveux relevez contre les gens de feu. Mais entre les Yroquois & les nostres, ils ont paix, & demeurent comme neutres. J'avois grand desir de voir ceste nation, mais ils m'en dissuaderent, disans que l'ann�e pr�c�dente un des nostres en avoit tu� un, estant � la guerre des Entouhonorons, & qu'ils en estoient faschez: 277/933nous representans qu'ils sont fort subjects � la vengeance, ne regardans point � ceux qui ont fait le coup, mais le premier qu'ils rencontrent de la nation, ou bien de leurs amis, ils leur font porter la peine, quand ils en peuvent attraper, si auparavant on n'avoit fait accord avec eux, & avoir donn� quelques dons & presens aux parens du defunct; qui m'empescha pour lors d'y aller, encores qu'aucuns d'icelle nation nous asseurerent qu'ils ne nous feroient aucun mal pour cela. Ce qui nous donna sujet & occasion de retourner par le mesme chemin que nous estions venus: & continuant mon voyage, j'allay trouver la nation des Pisierinij 471, qui avoient promis de me mener plus outre en la continuation de mes desseins & descouvertures: mais je fus diverty pour les nouvelles qui survindrent de nostre grand village, & des Algommequins, d'o� estoit le Capitaine Yroquet, � s�avoir que ceux de la nation des Attignouantans avoient mis & d�pos� entre ses mains un prisonnier de nation ennemie, esperant que ledit Capitaine Yroquet deust exercer sur ce prisonnier la vengeance ordinaire entr'eux. Mais au lieu de ce, l'auroit non seulement mis en libert�, ains l'ayant trouv� habile, excellent chasseur, & tenu comme son fils, les Attignouantans seroient entrez en jalousie, & resolus de s'en venger: & de faict avoient dispos� un homme pour entreprendre d'aller tuer ce prisonnier, ainsi alli� qu'il estoit. Comme il fut ex�cut� en la presence des principaux de la nation Algommequine, qui indignez d'un tel acte, & meus de col�re, tu�rent sur le champ ce 278/934t�m�raire entrepreneur meurtrier; duquel meurtre les Attignouantans se trouvans offensez, & comme injuriez en ceste action, voyans un de leurs compagnons mort, prindrent les armes, & se transporterent aux tentes des Algommequins (qui viennent hyverner proche de leurdit village) lesquels offenserent fort ledit Capitaine Yroquet, qui fut bless� de deux coups de flesche; & une autre fois pill�rent quelques cabannes desdits Algommequins, sans qu'ils se peussent mettre en defense, aussi le party n'eust pas est� �gal. Neantmoins cela, lesdits Algommequins ne furent pas quittes, car il leur fallut accorder, & contraints pour avoir la paix, de donner ausdits Attignouantans quelques colliers de pourceline, avec cent brasses d'icelle, ce qu'ils estiment de grand valeur entr'eux: & outre ce, nombre de chaudi�res & haches, avec deux femmes prisonnieres en la place du mort. Bref ils furent en grande dissention (c'estoit ausdits Algommequins de souffrir patiemment ceste grande furie) & penserent estre tous tuez, n'estans pas bien en seuret�, nonobstant leurs presens, jusques � ce qu'ils se veirent en un autre estat. Ces nouvelles m'afflig�rent fort, me representant l'inconvenient qui en pourroit arriver, tant pour eux, que pour nous, qui estions en leur pays.

Note 470: (retour)

Les Attiouandaronk. (Voir 1619, p. 58 et 60, note 2.)

Note 471: (retour)

Nipissirini, ou Nipissingues.

Ce fait, je rencontray deux ou trois Sauvages de nostre grand village, qui me solliciterent fort d'y aller, pour les mettre d'accord, me disans que si je n'y allois, aucuns d'eux ne reviendroient plus vers les Fran�ois, ayans guerre avec lesdits Algommequins, & nous tenans pour leurs amis. Ce que voyant, je m'acheminay au plustost, & en partant je 279/935visitay les Pisirinis pour s�avoir quand ils seroient prests pour le voyage du nort; que je trouvay rompu pour le sujet de ces querelles & batteries, ainsi que nostre truchement me fit entendre, & que ledit Capitaine Yroquet estoit venu � toutes ces nations pour me trouver, & m'attendre. Il les pria de se trouver � l'habitation des Fran�ois, en mesme temps que luy, pour voir l'accord qui se feroit entr'eux, & les Atignouaanitans, & qu'ils remissent ledit voyage du nort � une autre fois. Pour cet effect ledit Yroquet avoit donn� de la pourceline pour rompre ledit voyage, & nous promirent de se trouver � nostred. habitation au mesme temps qu'eux. Qui fut bien afflig� ce fut moy, m'attendant bien de voir en ceste ann�e, ce qu'en plusieurs autres pr�c�dentes j'avois recherch� avec beaucoup de soing & de labeur. Ces peuples vont n�gocier avec d'autres qui se tiennent en ces parties Septentrionales, estans une bonne partie de ces nations en lieu fort abondant en chasses, & o� il y a quantit� de grands animaux, dont j'ay veu plusieurs peaux: & m'ayans figur� leur forme, j'ay jug� estre des buffles: aussi que la pesche du poisson y est fort abondante. Ils sont 40 jours � faire ce voyage, tant � aller, que retourner.

Je m'acheminay vers nostred. village le 15e jour de Fevrier, menant avec moy six de nos gens, o� estans arrivez, les habitans furent fort aises, comme aussi les Algommequins, que j'envoyay visiter par nostre truchement472, pour s�avoir comme le tout s'estoit pass� tant d'une part que d'autre, n'y ayant 280/936voulu aller pour ne leur donner ny aux uns ny aux autres aucun soup�on. Deux jours se pass�rent pour entendre des uns & des autres comme le tout s'estoit pass�: ce fait, les principaux & anciens du lieu s'en vindrent avec nous, & tous ensemble allasmes vers les Algommequins, o� estant en l'une de leurs cabannes, apr�s quelques discours, ils demeur�rent d'accord de tenir, & avoir agr�able tout ce que je dirois, comme arbitre sur ce sujet; & ce que je leur proposerois, ils le mettroient en ex�cution. Colligeant & recherchant la volont� & inclination de l'une & de l'autre partie, & jugeant qu'ils ne demandoient que la paix, je leur representay que le meilleur estoit de pacifier le tout, & demeurer amis, pour resister plus facilement � leurs ennemis, & partant je les priay qu'ils ne m'appellassent point pour ce faire, s'ils n'avoient intention de future de poinct en poinct l'advis que je leur donnerois cur ce diff�rend, puis qu'ils m'avoient pri� d'en dire mon opinion. Sur quoy ils me dirent derechef, qu'ils n'avoient desir� mon retour � autre fin. Moy d'autre-part jugeant bien que si je ne les mettois d'accord, & en paix, ils sortiroient mal contents les uns des autres, chacun d'eux pensant avoir le meilleur droict, aussi qu'ils ne fussent allez � leurs cabannes, si je n'eusse est� avec eux, ny mesme vers les Fran�ois, si je ne m'embarquois, & prenois comme la charge & conduitte de leurs affaires. A cela je leur dis, que pour mon regard je n'avois autre intention que de m'en aller avec mon hoste, qui m'avoit tousjours bien traitt�, & mal-ais�ment en pourrois-je trouver un si bon, car c'estoit en luy que 281/937les Algommequins mettoient la faute, disans qu'il n'y avoit que luy de Capitaine qui fist prendre les armes. Plusieurs discours se passerent tant d'une part que d'autre, & la fin fut, que je leur dirais mon advis, & ce qui m'en sembleroit.

Note 472: (retour)

Voir. 1619, p. 64, note 2.

Voyant qu'ils remettoient le tout � ma volont�, comme � leur pere, & me promettans en ce faisant qu'� l'advenir je pourrois disposer d'eux ainsi que bon me sembleroit; je leur fis response que j'estois tres-aise de les voir en une si bonne volont� de suivre mon conseil, leur protestant qu'il ne seroit que pour le bien et utilit� des peuples.

D'autre cost� j'estois fort afflig� d'avoir entendu d'autres tristes nouvelles, � s�avoir la mort de l'un de leur parents & amis, que nous tenions comme le nostre, & que ceste mort avoit peu causer une grande desolation, dont il ne s'en fust ensuivy que guerre perpetuelles entre les uns et les autres avec plusieurs grand dommages, & alteration de leur amiti�, et par consequent les Fran�ois privez de leur veue & frequentation, & contraints d'aller chercher d'autres nations & ce d'autant que nous nous aimions comme freres, laissant � nostre Dieu le chastiment de ceux qui l'avoient merit�.

Je leur remonstray, que ces fa�ons de faire entre deux nations, amis, & freres, comme ils se disoient, estoit indigne entre des hommes raisonnables, ains plustost que c'estoit � faire aux bestes brutes. D'ailleurs, qu'ils estoient assez empeschez � repousser leurs ennemis qui les poursuivoient, les battans le plus souvent, & les prenans prisonniers, jusques dans leurs villages: lesquels voyans une telle division, & 282/938des guerres civiles entr'eux, se resjouiroient & en feroient leur profit, & les pousseroient & encourageroient � faire & ex�cuter de nouveaux desseins, sur l'esperance qu'ils auroient de voir bien tost leur ruine, du moins s'affoiblir par eux-mesmes, qui seroit le vray & facile moyen pour les vaincre & triompher d'eux, & se rendre les maistres de leurs contr�es, n'estans point secourus les uns des autres. Qu'ils ne jugeoient pas le mal qui leur en pouvoit arriver. Que pour la mort d'un homme ils en mettoient dix mille en danger de mourir, & le reste de demeurer en perp�tuelle servitude. Qu'� la v�rit� un homme estoit de grande consequence, mais qu'il falloit regarder comme il avoit est� tu�, & considerer que ce n'estoit pas de propos d�lib�r�, ny pour commencer une guerre civile parmy eux; cela estant trop evident que le defunct avoit premi�rement orient� en ce que de guet-�-pens il avoit tu� le prisonnier dans leurs cabannes, chose trop audacieusement entreprise, encores qu'il fust ennemy.

Ce qui esmeut les Algommequins: car voyans un homme si t�m�raire d'avoir tu� un autre en leur cabane, auquel ils avoient donn� la libert�, & le tenoient comme un d'entr'eux, ils furent emportez de la promptitude, & le sang esmeu � quelques-uns plus qu'aux autres se seroient advancez, ne se pouvans contenir, ny commander � leur col�re, & auroient tu� cet homme dont est question: mais pour cela ils n'en vouloient nullement � toute la nation, & n'avoient dessein plus avant � l'encontre de cet audacieux, & qu'il avoit bien m�rit� ce qu'il avoit eu, puis qu'il l'avoit luy-mesme recherch�.

283/939Et d'ailleurs, qu'il falloit remarquer que l'Entouhonoron se sentant frap� de deux coups dedans le ventre, arracha le cousteau de sa playe, que son ennemy y avoit laiss�, & luy en donna deux coups, � ce qu'on m'avoit certifi�: de fa�on qu'on ne pouvoit s�avoir au vray si c'estoient Algommequins qui eussent tu�. Et pour monstrer aux Attigouantans que les Algommequins n'aimoient pas le prisonnier, & que Yroquet ne luy portoit pas tant d'affection comme ils pensoient bien, ils l'avoient mang�, d'autant qu'il avoit donn� des coups de cousteau � son ennemy, chose neantmoins indigne d'homme, mais plustost de bestes brutes. D'ailleurs, que les Algommequins estoient fort faschez de tout ce qui s'estoit pass�, & que s'ils eussent pens� que telle chose fust arriv�e, ils leur eussent donn� cet Yroquois en sacrifice. D'autre part, qu'ils avoient recompens� icelle mort, & faute, (si ainsi il la falloit appeller) avec de grands presens, & deux prisonniers, n'ayans sujet � present de se plaindre, & qu'ils devoient se gouverner plus modestement en leurs deportemens envers les Algommequins, qui sont de leurs amis; & que puis qu'ils m'avoient promis toutes choses mises en d�lib�ration, je les priois les uns & les autres d'oublier tout ce qui s'estoit pass� entr'eux, sans jamais plus y penser, ny se porter aucune haine & mauvaise volont�, & ce faisant, qu'ils nous obligeroient � les aimer, & les assister, comme l'avois fait par le pass�. Et ou ils ne seroient contents de mon advis, je les priois de se trouver le plus grand nombre d'entr'eux qu'ils pourroient � nostre habitation, o� devant tous les 284/940Capitaines des vaisseaux on confirmeroit d'avantage ceste amiti�, & adviseroit-on de donner ordre pour les garentir de leurs ennemis, � quoy il falloit penser.

Lors ils dirent qu'ils tiendroient tout ce que je leur avois dit, & fort contents en apparence s'en retourn�rent en leurs cabanes, sinon les Algommequins, qui d�rog�rent pour faire retraitte en leur village: mais selon mon opinion ils faisoient demonstration de n'estre pas trop contents, d'autant qu'ils disoient entr'eux qu'ils ne viendroient plus hyverner en ces lieux. La mort de ces deux hommes leur ayant par trop coust�473, je m'en retournay chez mon hoste, � qui je donnay le plus de courage qu'il me fut possible, afin de l'esmouvoir � venir � nostre habitation, & d'y amener tous ceux du pays.

Note 473: (retour)

Il est �vident que ces mots doivent se rattacher � la phrase pr�c�dente.

Pendant quatre mois que dura l'hyver, j'eus assez de loisir pour considerer leur pa�s, moeurs, coustumes, & fa�on de vivre, & la forme de leurs assembl�es, & autres choses, que je descriray cy-apr�s. Mais auparavant il est necessaire de parler de la scituation du pa�s 474, & contr�es, tant pour ce qui regarde les nations, que pour les distances d'iceux. Quant � l'estendue, tirant de l'Orient � l'Occident, elle contient pr�s de quatre cents cinquante lieues de long, & deux cents par endroits de largeur du Midy au Septentrion, souz la hauteur de quarante & un degr� de latitude, jusques � quarante-huict & quarante-neuf. Ceste terre est comme une isle, que la grande riviere Sainct Laurent enceint, partant 285/941par plusieurs lacs de grande estendue, sur le rivage desquels il habite plusieurs nations, parlans divers langages, qui ont leurs demeures arrest�es, les uns475 amateurs du labourage de la terre, & autres qui ne le sont pas, lesquels neantmoins ont diverses fa�ons de vivre, & de moeurs, & les uns meilleurs que les autres. Au cost� vers le nort d'icelle grande riviere tirant au surouest environ cent lieues par del� vers les Attigouantans, le pays est partie montagneux, & l'air y est assez temp�r�, plus qu'en aucun autre lieu desdites contr�es, souz la hauteur de quarante & un degr� de latitude. Toutes ces parties & contr�es sont abondantes en chasses, comme de cerfs, caribous, eslans, daims, buffles, ours, loups, castors, regnards, fouines, martes, & plusieurs autres especes d'animaux que nous n'avons pas par de��. La pesche y est abondante en plusieurs sortes & especes de poisson, tant de ceux que nous avons, que d'autres que nous n'avons pas aux costes de France. Pour la chasse des oyseaux, elle y est aussi en quantit�, & qui y viennent en leur temps & saison. Le pays est travers� de grand nombre de rivieres, ruisseaux & estangs, qui se deschargent les uns dans les autres & en leur fin aboutissent dedans le fleuve Sainct Laurent, & dans les lacs par o� il passe. Le pays est fort plaisant, estant charg� de grandes & hautes forests, remplies de bois de pareilles especes que ceux que nous avons en France. Bien est-il vray qu'en plusieurs endroits il y a quantit� de pays desert�, o� ils sement des bleds d'Inde: aussi ce pays est abondant en prairies, pallus, & marescages, 286/942qui sert pour la nourriture desdits animaux. Le pays du nort de ceste grande riviere n'est si agr�able que celuy du midy, souz la hauteur de quarante-sept � quarante-neuf degrez de latitude, remply de forts rochers en quelques endroits, � ce que j'ay peu voir, lesquels sont habitez de Sauvages, qui vivent errans parmy le pays, ne labourans & ne faisans aucune culture, du moins si peu que rien, & sont ambulatoires476, estans ores en un lieu, & tantost en un autre, le pays y estant assez froid & incommode. L'estendue d'icelle terre du nort souz la hauteur de quarante-neuf degrez de latitude de l'Orient � l'Occident, a six cents lieues de longitude, qui est aux lieux dont nous avons ample cognoissance. Il y a aussi plusieurs belles & grandes rivieres qui viennent de ce cost�, & se deschargent dedans ledit fleuve, & d'autres qui (� mon opinion) se deschargent en la mer, par la partie & cost� du nort, souz la hauteur de cinquante � cinquante & un degrez de latitude, suivant le rapport & relation que m'en ont fait ceux qui vont n�gocier, & traitter avec les peuples qui y habitent.477

Note 474: (retour)

Du pays en g�n�ral, c'est-�-dire, de la Nouvelle-France. C'est ce que n'a pas compris Sagard. (Hist. du Canada, p. 201, 202.)

Note 475: (retour)

Conf. 1619, p. 69.

Note 476: (retour)

Conf. �dit. 1619, et 1627, verso 74.

Note 477: (retour)

1619, p. 71, note 3.

Quant aux parties qui tirent plus � l'Occident, nous n'en pouvons s�avoir bonnement le trajet, dautant que les peuples n'en ont aucune cognoissance, sinon de deux ou trois cents lieues, ou plus, vers l'Occident, d'o� vient ladite grande riviere, qui passe entre autres lieux par un lac qui contient pr�s de trente journ�es de leurs canaux, � s�avoir celuy qu'avons nomm� la mer douce, eu esgard � 287/943sa grande estendue, ayant quarante journ�es de canaux478 de Sauvages, avec lesquels nous avons accez, qui ont guerre avec d'autres nations, tirant � l'Occident dudit grand lac, qui est la cause que nous n'en pouvons pas avoir plus ample cognoissance, sinon qu'ils nous ont dit par plusieurs & diverses fois, que quelques prisonniers de ces lieux leur ont rapport� y avoir des peuples semblables � nous en blancheur, ayans veu de leur chevelure, qui est fort blonde. Je ne puis que penser l� dessus, sinon que ce soient gens plus civilisez qu'eux. Pour en bien s�avoir la v�rit�, il faudroit les voir, mais il faut de l'assistance, & n'y a que le temps & le courage de quelques personnes de moyens, qui puissent ou vueillent entreprendre ce dessein.

Note 478: (retour)

Quarante journ�es de canot peuvent donner environ quatre cents lieues; ce qui est � peu pr�s la mesure de l'immense contour du lac Huron. (Voir ci-dessus, p. 248, note 3.)

Pour ce qui est du Midy de ladite grande riviere, elle est fort peupl�e, & beaucoup plus que le cost� du Nort, de diverses nations, ayans guerre les uns contre les autres. Le pays y est fort agr�able, beaucoup plus que le cost� du Septentrion, & l'air plus temp�r�, y ayant plusieurs especes d'arbres & fruicts qu'il n'y a pas au nort dudit fleuve, aussi n'est-il pas de tant de profit & d'utilit� quant aux lieux o� se font les traittes de pelleteries. Pour ce qui est des terres du cost� de l'Orient, elles sont assez cogneues, d'autant que la grand' mer Oceane borne ces endroits l�, � s�avoir les costes de Labrador, Terre-neufve, Cap Breton, l'Acadie, Almouchiquois, comme aussi des peuples qui y habitent, en ayant fait ample description cy-dessus.

288/944La contr�e de la nation des Attigouantan est souz la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, & 230 lieues de longitude � l'Occident479. Il y a 18 villages, dont 8 480 sont clos & fermez de pallissades de bois � triple rang, entre-lacez les uns dans les autres, o� au dessus y a des galeries qu'ils garnissent de pierres & d'eau, pour ruer & esteindre le feu, que leurs ennemis pourroient appliquer contre. Ce pays est beau & plaisant, la plus-part desert�, ayant la forme & mesme scituation que la Bretagne, estant presque environn� & enceint de la mer douce. Ces 18 villages (selon leur dire) sont peuplez de 2000 hommes de guerre, sans en ce comprendre le commun, qui peut faire en nombre 20000. ames481. Leurs cabanes sont en fa�on de tonnelles, ou berceau, couvertes d'escorces d'arbres de la longueur de 25 � 30 toises, plus ou moins, & six de large, laissant par le milieu une all�e de dix � douze pieds de large, qui va d'un bout � l'autre. Aux deux costez y a une mani�re d'establie482, de la hauteur de quatre pieds o� ils couchent en est�, pour eviter l'importunit� des pulces, dont ils ont grande quantit�: & en hyver ils couchent en bas sur des nattes, proches du feu, pour estre plus chaudement. Ils font provision de bois sec, & en emplissent leurs cabanes, pour se chauffer en hyver. Au bout d'icelles cabanes y a 289/945une espace, o� ils conservent leurs bleds d'Inde, qu'ils mettent en de grandes tonnes faites d'escorces d'arbres, au milieu de leur logement. Il y a des bois qui sont suspendus, o� ils mettent leurs habits, vivres, & autres choses, de peur des souris, qui y sont en grande quantit�. En telle cabane y aura 12 feux, qui font 24 mesnages, o� il fume � bon escient en hyver, qui fait que plusieurs en re�oivent de grandes incommoditez aux yeux, � quoy ils sont subjects, jusques � en perdre la veue sur la fin de leur aage, n'y ayant fenestre aucune, ny ouverture, que celle qui est au dessus de leurs cabanes, par o� la fum�e sort. Ils changent quelquefois leur village de dix, vingt, ou trente ans, & le transportent d'une, deux, ou trois lieues, d'autant que leur terre se lasse d'apporter du bled sans estre amend�e, & par ainsi vont deserter en autre lieu, & aussi pour avoir le bois plus � commodit�, s'ils ne sont contraints par leurs ennemis de desloger, & s'esloigner plus loin, comme ont fait les Antouhonorons de quelque 40 � 50 lieues. Voila la forme de leurs logemens, qui sont separez les uns des autres, comme de trois � quatre pas, pour la crainte du feu, qu'ils appr�hendent fort.

Note 479: (retour)

Conf. 1619, p. 73. Cette phrase, qui d'abord, en 1619, avait �t� mal lue par un typographe, est devenue, par une malheureuse suppression, absolument inintelligible. Voici, suivant nous, ce qu'a voulu dire l'auteur: La contr�e des Attigouantan, c'est-�-dire, le pays huron, est sous la hauteur de 44 degr�s et demi, et a douze ou treize lieues de longitude (longueur) de l'Orient � l'Occident, et dix de latitude (largeur).

Note 480: (retour)

L'�dition de 1619, et celle de 1627 portent �six.�

Note 481: (retour)

Les �ditions de 1619 et de 1627 portent �30000.�

Note 482: (retour)

Qu'ils appellent endicha.� (Sagard, Hist. du Canada, p. 248.)

Leur vie est miserable au regard de la nostre, mais heureuse entr'eux qui n'en ont pas goust� de meilleure, croyans qu'il ne s'en trouve pas de plus excellente. Leur principal manger & vivre ordinaire est le bled d'Inde, & febves du Bresil, qu'ils accommodent en plusieurs fa�ons. Ils en pilent en des mortiers de bois, & le reduisent en farine, de laquelle ils prennent la fleur par le moyen de certains 290/946vans faits d'escorce d'arbres, & d'icelle farine font du pain avec des febves, qu'ils font premi�rement bouillir un bouillon, comme le bled d'Inde, pour estre plus ais� � battre, & mettent le tout ensemble: quelquefois ils y mettent des blues, ou des framboises seches; autrefois des morceaux de graisse de cerf: puis ayans le tout destremp� avec eau ti�de, ils en font des pains en forme de gallettes ou tourteaux, qu'ils font cuire souz les cendres, & estans cuites ils les lavent,& les enveloppent de fueilles de bled d'Inde, qu'ils y attachent, & mettent en l'eau bouillante, mais ce n'est pas leur ordinaire, ains ils en font d'une autre sorte qu'ils appellent migan, � s�avoir, ils prennent le bled d'Inde pil�, sans oster la fleur, duquel ils mettent deux ou trois poign�es dans un pot de terre plain d'eau, le font bouillir, en le remuant de fois � autre, de peur qu'il ne brusle, ou qu'il ne se prenne au pot; puis mettent en ce pot un peu de poisson frais, ou sec, selon la saison, pour donner goust audit migan, qui est le nom qu'ils luy donnent, & en font fort souvent, encores que ce soit chose mal odorante, principalement en hyver, pour ne le s�avoir accommoder, ou pour n'en vouloir prendre la peine. Ils en font de deux especes, & l'accommodent assez bien quand ils veulent, & lors qu'il y a de ce poisson, ledit migan ne sent pas mauvais, ains seulement � la venaison. Le tout estant cuit, ils tirent le poisson, & l'escrasent bien menu, ne regardans de si pr�s � oster les arestes, les escailles, ny les tripailles, comme nous faisons, & mettent le tout ensemble dedans le pot, qui cause le plus souvent 291/947le mauvais goust: puis estant ainsi fait, ils en d�partent � chacun quelque portion. Ce migan est fort clair, & non de grande substance, comme on peut bien juger. Pour le regard du boire, il n'est point de besoin, estant ledit migan assez clair de soy-mesme. Ils ont une autre sorte de migan, � s�avoir, ils font greller du bled nouveau, premier qu'il soit � maturit�, lequel ils conservent, & le font cuire entier avec du poisson, ou de la chair, quand ils en ont une autre fa�on, ils prennent le bled d'Inde bien sec, le font greller dans les cendres, puis le pilent, & le reduisent en farine, comme l'autre cy-devant, lequel ils conservent pour les voyages qu'ils entreprennent, tant d'une part que d'autre: lequel migan fait de ceste fa�on est le meilleur, � mon goust. Pour le faire, ils font cuire force viande & poisson, qu'ils d�coupent par morceaux, puis la mettent dans de grandes chaudi�res qu'ils emplissent d'eau, la faisant fort bouillir: ce fait, ils recueillent avec une cueillier la graisse de dessus, qui provient de la chair & poisson, puis mettent d'icelle farine grull�e dedans, en la mouvant tousjours jusques � ce que ledit migan soit cuit, & rendu espois comme bouillie. Ils en donnent & d�partent � chacun un plat, avec une cueiller�e de ladite graisse: ce qu'ils ont coustume de faire aux festins. Or est-il que ledit bled nouveau grull�, est grandement estim� entr'eux. Ils mangent aussi des febves, qu'ils font bouillir avec le gros de la farine grull�e, y meslant un peu de graisse, & poisson. Les chiens sont de requeste en leurs festins, qu'ils font souvent les uns aux autres, principalement durant leurs festins. 292/948l'hyver, qu'ils sont de loisir. Que s'ils vont � la chasse aux cerfs, ou au poisson, ils les reservent pour faire ces festins, ne leur demeurant rien en leurs cabanes que le migan clair pour ordinaire, lequel ressemble � de la bran�e que l'on donne � manger aux pourceaux. Ils ont une autre mani�re de manger le bled d'Inde, & pour l'accommoder ils le prennent par espics, & le mettent dans l'eau, souz la bourbe, le laissant deux ou trois mois en cet estat, jusques � ce qu'ils jugent qu'il soit pourry, puis ils l'ostent de l�, & le font bouillir avec la viande ou poisson, puis le mangent: aussi le font-ils gruller, & est meilleur en ceste fa�on que bouilly. Il n'y a rien qui sente si mauvais que ce bled sortant de l'eau tout boueux, & neantmoins les femmes & enfans le succent, comme on fait les cannes de sucre, n'y ayant chose qui leur semble de meilleur goust, ainsi qu'ils le demonstrent. D'ordinaire ils ne font que deux repas le jour.

Ils engraissent aussi des ours, qu'ils gardent deux ou trois ans, pour se festoyer: & ay recognu que s'ils avoient du bestial, ils en seroient curieux, & le conserveroient fort bien, leur ayant monstr� la fa�on de le nourrir, chose qui leur seroit ais�e, attendu qu'ils ont de bons pasturages, & en grande quantit�, soit pour chevaux, boeufs, vaches, moutons, porcs, & autres especes: � faute dequoy on les juge miserables, comme il y a de l'apparence. Neantmoins avec toutes leurs miseres je les estime heureux entr'eux, d'autant qu'ils n'ont autre ambition que de vivre, & de se conserver, & sont plus asseurez que ceux qui sont errans par les forests, comme bestes brutes, aussi mangent-ils force citrouilles, 293/949qu'ils font bouillir, & rostir souz les cendres. Quant � leurs habits, ils sont faits de plusieurs sortes & fa�ons de diverses peaux de bestes sauvages, tant de celles qu'ils prennent, que d'autres qu'ils eschangent pour leur bled d'Inde, farines, pourcelines, & filets � pescher, avec les Algommequins, Piserinis, & autres nations, qui sont chasseurs, & n'ont leurs demeures arrest�es. Ils passent & accommodent assez raisonnablement les peaux, faisans leur brayer d'une peau de cerf moyennement grande, & d'une autre le bas de chausses, ce qui leur va jusques � la ceinture, estant fort pliss�. Leurs souliers sont de peaux de cerfs, ours, & castors, dont ils usent en bon nombre. Plus ils ont une robbe de mesme fourrure, en forme de couverte, qu'ils portent � la fa�on Irlandoise, ou Egyptienne, & des manches qui s'attachent avec un cordon par le derri�re. Voila comme ils sont habillez durant l'hyver, ainsi qu'il se voit en la figure D. Quand ils vont par la campagne, ils ceignent leur robbe autour du corps, mais estans � leur village, ils quittent leurs manches, & ne se ceignent point. Les passements de Milan pour enrichir leurs habits sont de colle, & de la raclure desdites peaux, dont ils font des bandes en plusieurs fa�ons, ainsi qu'ils s'advisent, y mettans par endroits des bandes de peinture rouge-brun, parmy celles de colle, qui paroissent tousjours blancheastres, n'y perdant point leurs fa�ons, quelques sales qu'elles puissent estre. Il y en a entre ces nations qui sont bien plus propres � passer les peaux les uns que les autres, & ing�nieux pour inventer des compartimens � mettre 294/950dessus leurs habits. Sur tous autres nos Montagnais & Algommequins y prennent plus de peine, lesquels mettent � leurs robbes des bandes de poil de porc-espy, qu'ils teindent en fort belle couleur d'escarlate. Ils tiennent ces bandes bien ch�res entr'eux, & les d�tachent pour les faire servir � d'autres robbes, quand ils en veulent changer, plus pour embellir la face, & avoir meilleure gr�ce. Quand ils se veulent bien parer, ils se peindent le visage de noir & rouge, qu'ils d�meslent avec de l'huile, faite de la graine d'herbe au Soleil, ou bien avec de la graisse d'ours ou autres animaux. Comme aussi ils se teindent les cheveux, qu'ils portent les uns longs, les autres courts, les autres d'un cost� seulement. Pour les femmes & les filles, elles les portent tousjours d'une mesme fa�on. Elles sont vestues comme les hommes, horsmis qu'elles ont tousjours leurs robbes ceintes, qui leur viennent jusqu'au genouil. Elles ne sont point honteuses de monstrer leur corps, � s�avoir depuis la ceinture en haut, & depuis la moiti� des cuisses en bas, ayans tousjours le reste couvert, & sont charg�es de quantit� de pourceline, tant en colliers, que chaisnes, qu'elles mettent devant leurs robbes, pendant � leurs ceintures, bracelets, & pendans d'oreilles, ayans les cheveux bien peignez, peints, & graissez, & ainsi s'en vont aux dances, ayans un touffeau de leurs cheveux par derri�re, qui sont liez de peaux d'anguilles, qu'ils accommodent & font servir de cordon, o� quelquefois ils attachent des platines d'un pied en quarr�, couvertes de ladite pourceline, qui pend par derri�re, & en ceste fa�on vestues & habill�es poupinement, 295/951elles se monstrent volontiers aux dances leurs p�res & m�res les envoyent, n'espargnans rien pour les embellir & parer, & puis asseurer avoir veu en des dances, telle fille qui avoit plus de douze livres de pourceline sur elle, sans les autres bagatelles dont elles sont charg�es & atour�es. Cy-contre se voit comme les femmes sont habill�es, comme monstre F. & les filles allans � la dance, G. Se voit aussi comme les femmes pilent leur bled d'Inde, lettre H.

Ces peuples sont d'une humeur assez joviale (bien qu'il y en aye beaucoup de complexion triste & saturnienne). Ils sont bien formez & proportionnez de leurs corps, y ayant des hommes forts & robustes. Comme aussi il y a des femmes & des filles fort belles & agr�ables, tant en la taille, couleur (bien qu'olivastre) qu'aux traits du visage, le tout � proportion, & n'ont point le sein raval� que fort peu, si elles ne sont vieilles. Il s'en trouve parmy elles de fort puissantes, & de hauteur extraordinaire, ayans presque tout le soing de la maison, & du travail: car elles labourent la terre, sement le bled d'Inde, font la provision de bois pour l'hyver, tillent la chanvre, & la filent, dont du filet ils font les rets � pescher, & prendre le poisson, & autres choses necessaires. Comme aussi de faire la cueillette de leurs bleds, les serrer, accommoder � manger, & dresser leur mesnage. De plus, elles suivent leurs maris de lieu en lieu, aux champs, o� elles servent de mulles � porter le bagage.

Quant aux hommes, ils ne font rien qu'aller � la chasse du cerf, & autres animaux, pescher du poisson, 296/952faire des cabannes, & aller � la guerre. Ces choses faites, ils vont aux autres nations, o� ils ont de l'accez & cognoissance, pour traitter & faire des eschanges de ce qu'ils ont, avec ce qu'ils n'ont point; & estans de retour, ils ne bougent des festins & dances, qu'ils se font les uns aux autres, & � l'issue se mettent � dormir, qui est le plus beau de leur exercice.

Ils ont une espece de mariage parmy eux, qui est tel, que quand une fille est en l'aage d'onze, douze, treize, quatorze, ou quinze ans, elle aura plusieurs serviteurs, selon ses bonnes gr�ces, qui la rechercheront, & la demanderont aux p�re & m�re, bien que souvent elles ne prennent pas leur contentement, fors celles qui sont les plus sages & mieux advis�es, qui se souzmettent � leur volont�. Cet amoureux ou serviteur presentera � la fille quelques colliers, chaisnes & bracelets de pourceline. Si la fille a ce serviteur agr�able, elle re�oit ce present: ce fait, il viendra coucher avec elle trois ou quatre nuicts sans luy dire mot, o� ils recueillent le fruict de leurs affections. Et arrivera le plus souvent qu'apr�s avoir pass� huict ou quinze jours ensemble, s'ils ne se peuvent accorder, elle quittera son serviteur, lequel y demeurera engag� pour ses colliers, & autres dons par luy faits. Frustr� de son esperance, il en recherchera une autre, & elle aussi un autre serviteur, & continuent ainsi jusques � une bonne rencontre. Il y en a telle qui aura pass� ainsi. sa jeunesse avec plusieurs maris, lesquels ne sont pas seuls en la jouyssance de la beste, quelques mariez qu'ils soient: car la nuict venue, les jeunes 297/953femmes courent d'une cabane � une autre, comme font les jeunes hommes de leur cost�, qui en prennent par o� bon leur semble, toutesfois sans aucune violence, remettant le tout � la volont� de la femme. Le mary fera le semblable � sa voisine, sans que pour cela il y ait aucune jalousie entr'eux, ou peu, & n'en re�oivent aucune infamie, ny injure, la coustume du pays estant telle.

Quand elles ont des enfans, les maris pr�c�dents reviennent vers elles, leur remonstrer l'amiti� & l'affection qu'ils leur ont port�e par le pass�, & plus que nul autre, & que l'enfant qui naistra est � luy, & est de son faict. Un autre luy en dira autant; & par ainsi il est au choix & option de la femme de prendre & d'accepter celuy qui luy plaira le plus, ayant en ses amours gaign� beaucoup de pourceline. Elles demeurent avec luy sans plus le quitter, ou si elles le laissent, il faut que ce soit avec un grand sujet, autre que l'impuissance, car il est � l'espreuve: neantmoins estans avec ce mary, elles ne laissent pas de se donner carri�re, mais se tiennent & resident tousjours au mesnage, faisans bonne mine: de fa�on que les enfans qu'ils ont ensemble ne se peuvent asseurer l�gitimes: aussi ont-ils une coustume, prevoyans ce danger qu'ils ne succedent jamais � leurs biens; mais font leurs h�ritiers & successeurs les enfans de leurs soeurs, desquels ils sont asseurez d'estre issus & sortis.

Pour la nourriture & eslevation de leurs enfans, ils les mettent durant le jour sur une petite planche de bois, & les vestent & enveloppent de fourrures, ou peaux, & les bandent sur ladite planchette: puis 298/954la dressent debout, & y laissent une petite ouverture par o� l'enfant fait ses petites affaires. Si c'est une fille, ils mettent une fueille de bled d'Inde entre les cuisses, qui presse contre sa nature, & font sortir le bout de ladite fueille dehors, qui est renvers�e, & par ce moyen l'eau de l'enfant coule par ceste fueille, sans qu'il soit gast� de ses eaues. Ils mettent aussi souz les enfans du duvet fait de certains roseaux, que nous appelions pied de lievre, sur quoy ils sont couchez fort mollement, & le nettoyent du mesme duvet: & pour le parer, ils garnissent lad. planchette de patenostres, & en mettent � son col, si petit qu'il soit. La nuict ils les couchent tout nuds entre les peres & meres, o� faut consid�rer en cela la providence de Dieu, qui les conserve de telle fa�on, sans estre estouffez, que fort rarement. Ces enfans sont grandement libertins, pour n'avoir est� chastiez, & sont de si perverse nature, qu'ils battent leurs p�res & m�res, qui est une espece de mal�diction que Dieu leur envoye.

Ils n'ont aucunes loix parmy eux, ny chose qui en approche, n'y ayant aucune correction ny reprehension � l'encontre des mal-faicteurs, rendans le mal pour le mal, qui est cause que souvent ils sont en dissentions & en guerres pour leurs diff�rents.

Comme aussi ils ne recognoissent aucune Divinit�, & ne croyent en aucun Dieu, ny chose quelconque, vivans comme bestes brutes. Ils ont quelque respect au diable, ou d'un nom semblable, parce que souz ce mot qu'ils prononcent, sont entendues diverses significations, & comprend en soy plusieurs choses: 299/955de fa�on que mal-ais�ment peut-on s�avoir & discerner s'ils entendent le diable, ou autre chose: mais ce qui fait croire que c'est le diable, est, que lors qu'ils voyent un homme faire quelque chose extraordinaire, ou est plus habile que le commun, vaillant guerrier, furieux, & hors de soy-mesme, ils l'appellent Oqui, comme si nous disions un grand esprit, ou un grand diable. Il y a de certaines personnes entr'eux qui sont les Oqui, ou Manitous (ainsi appeliez par les Algommequins & Montagnais) lesquels se meslent de guarir les malades, penser les blessez, & pr�dire les choses futures. Ils persuadent � leurs malades de faire, ou faire faire des festins, en intention d'y participer; & souz esperance d'une prompte guerison, leur font faire plusieurs autres c�r�monies, croyans & tenans pour vray tout ce qu'ils leur disent.

Ces peuples ne sont possedez du malin esprit comme d'autres Sauvages plus esloignez qu'eux, qui fait croire qu'ils se reduiroient en la cognoissance de Dieu, si leur pays estoit habit� de personnes qui prissent la peine & le soin de les enseigner par bons exemples � bien vivre. Car aujourd'huy ont-ils desir de s'amender, demain ceste volont� leur changera, quand il conviendra supprimer leurs sales coustumes, la dissolution de leurs moeurs, & leurs incivilitez. Maintefois les entretenant483 sur ce qui estoit de nostre croyance, loix & coustumes, ils m'escoutoient avec grande attention en leurs conseils, puis me disoient: Tu dis des choses qui surpassent nostre esprit & nostre entendement, & que ne pouvons comprendre par discours. Mais si tu desires que les 300/956s�achions, il est necessaire d'amener en ce pays femmes & enfans, afin qu'apprenions la fa�on de vivre que tu meines, comme tu adores ton Dieu, comme tu ob�is aux loix de ton Roy, comme tu cultives & ensemences les terres, & nourris les animaux. Car voyans ces choses, nous apprendrons plus en un an, qu'en vingt, jugeans nostre vie miserable au prix de la tienne. Leurs discours me sembloient d'un bon sens naturel, qui demonstre le desir qu'ils ont de cognoistre Dieu484.

Note 483: (retour)

Conf. 1619, p. 87.

Note 484: (retour)

Conf. 1619, p. 88, 89

Quand ils sont malades, ils envoyent qu�rir l'Oqui, lequel apr�s s'estre enquis de leur maladie, fait venir grand nombre d'hommes, femmes & filles, avec trois ou quatre vieilles femmes, ainsi qu'il sera ordonn� par ledit Oqui, lesquels entrent en leurs cabanes en dan�ant, ayans chacune une peau d'ours, ou d'autres bestes sur la teste, mais celle d'ours est la plus ordinaire, comme la plus monstrueuse, & y a deux ou trois autres vieilles qui sont proches du patient ou malade, qui l'est souvent par imagination: mais de cette maladie ils sont bien tost gu�ris, & font des festins aux despens de leurs parents ou amis, qui leur donnent dequoi mettre en leur chaudi�re, outre les dons & presens qu'ils re�oivent des danceurs & danceuses, comme de la pourceline, & autres bagatelles, ce qui fait qu'ils sont bien tost gu�ris. Car comme ils voyent ne plus rien esperer, ils se levent, avec ce qu'ils ont peu amasser: mais les autres qui sont fort malades, difficilement se guerissent-ils de tels jeux, dances, & fa�ons de faire. Les vieilles qui sont proches du malade re�oivent les presens, chantans chacune � son tour, puis cessent 301/957de chanter: & lors que tous les presens sont faits, ils commencent � lever leurs voix d'un mesme accord, chantans toutes ensemble, & frapans � mesure avec des b�tons sur des escorces seiches d'arbres; puis toutes les femmes & filles se mettent au bout de la cabanne, comme s'ils vouloient faire l'entr�e d'un ballet, les vieilles marchans les premi�res avec leurs peaux d'ours sur leurs testes. Ils n'ont que de deux sortes de dances qui ont quelque proportion, l'une de quatre pas, & l'autre de douze, comme si on dan�oit le trioly de Bretagne, & ont assez bonne gr�ce. Il s'y entremet souvent avec elles de jeunes hommes, lesquels ayans danc� une heure ou deux, les vieilles prendront le malade, qui fera mine de se lever tristement, puis se mettra en dance, o� estant, il dancera & s'esjouira comme les autres.

Quelquefois le M�decin y acquiert de la r�putation, de voir si tost son malade guery & debout: mais ceux qui sont accablez & languissans, meurent plustost que de recevoir guerison. Car ils font un tel bruit & tintamarre depuis le matin, jusques � deux heures de nuict, qu'il est impossible au patient de le supporter, sinon avec beaucoup de peine. Que s'il luy prend envie de faire dancer les femmes & les filles ensemble, il faut que ce soit par l'ordonnance de l'Oqui: car luy & le Manitou, accompagnez de quelques autres, font des singeries & des conjurations, & se tourmentent de telle fa�on, qu'ils sont le plus souvent hors d'eux-mesmes, comme fols & insensez, jettans le feu par la cabanne d'un cost� & d'autre, mangeans des charbons ardans (les ayans 302/958tenus un espace de temps en leurs mains) puis jettent des cendres toutes rouges sur les yeux des spectateurs. L'on diroit les voyant de la sorte, que le diable Oqui, ou Manitou (si ainsi les faut appeller) les possedent, & les font tourmenter de la sorte. Ce bruit & tintamarre ainsi fait, ils se retirent chacun chez soy: mais les femmes de ces possedez & ceux de leurs cabanes sont en grande crainte, qu'ils ne bruslent tout ce qui est dedans, qui fait qu'ils ostent tout ce qui y est. Car lors qu'ils arrivent, ils viennent tout furieux, les yeux estincellans & effroyables, tantost debout, & tantost assis, ainsi que la fantaisie les prend, & empoignans tout ce qu'ils trouvent & rencontrent, le jettent d'un cost� & d'autre, puis se couchent & dorment quelque espace de temps, & se reveillans comme en sursault, ils prennent du feu & des pierres, qu'ils jettent de toutes parts, sans aucun �gard. Cette furie se passe par le sommeil qui les reprend, puis venans � suer, ils appellent leurs amis pour suer avec eux, croyans estre le vray remede pour recouvrer leur sante. Ils se couvrent de leurs robbes, & de grandes escorces d'arbres, ayans au milieu d'eux quantit� de cailloux qu'ils font rougir au feu, chantans tousjours durant qu'ils suent. Et d'autant qu'ils sont fort alt�rez, ils boivent grande quantit� d'eau, qui est l'occasion que de fols ils deviennent sages. Il arrive par rencontre, plustost que par science, que trois ou quatre de ces malades se portent bien, ce qui leur confirme leur fausse croyance d'avoir est� gu�ris par le moyen de ces c�r�monies, sans considerer qu'il en meurt dix autres. 303/959Il y a aussi des femmes qui entrent en ces furies, & marchent sur les mains & pieds comme bestes, mais elles ne font tant de mal. Ce que voyant l'Oqui, il commence � chanter, puis faisant quelques mines il la soufflera, luy ordonnant � boire de certaines eaues, & qu'elle face un festin, soit de chair, ou de poisson, qu'il faut trouver. La crierie faite, & le banquet finy, chacun se retire en sa cabane, jusques � une autre fois qu'il la reviendra visiter, la soufflant & chantant avec plusieurs autres appellez pour cet effect, tenans en la main une tortue seiche remplie de petits cailloux, qu'ils font sonner aux oreilles du malade, luy ordonnant qu'elle face trois ou quatre festins tout de suitte, une partie de chanterie & dancerie, o� toutes les filles se trouvent par�es & peintes, avec des mascarades, & gens desguisez. Ainsi assemblez, ils vont chanter pr�s du lict de la malade, puis se prom�nent tout le long du village, cependant que le festin s'appreste & se pr�pare.

Pour ce qui concerne leur mesnage & vivre, chacun vit de ce qu'il peut pescher & recueillir, ayant autant de terre comme il leur est necessaire. Ils la desertent avec grand' peine, pour n'avoir des instrumens propres pour ce faire, puis �mondent les arbres de toutes tes branches, qu'ils bruslent au pied d'iceluy, pour le faire mourir. Ils nettoyent bien la terre entre les arbres, puis sement leur bled de pas en pas, o� ils mettent en chacun endroit environ dix grains, & continuent ainsi jusques � ce qu'ils en ayent assez pour trois ou quatre ans de provision, craignans qu'il ne leur arrive quelque mauvaise ann�e, sterile & infructueuse.

304/960S'il y a quelque fille qui se marie en hyver, chasque femme & fille est tenue de porter � la nouvelle mari�e un fardeau de bois pour sa provision (car chaque mesnage est fourny de ce qui luy est necessaire) d'autant qu'elle ne le pourroit faire seule, & aussi qu'il convient vacquer � d'autres choses qui sont lors de temps & saison.

Pour ce qui est de leur gouvernement, les anciens & principaux s'assemblent en un conseil, o� ils d�cident & proposent tout ce qui est de besoin pour les affaires du village; ce qui se fait par la pluralit� des voix, ou du conseil de quelques uns d'entr'eux, qu'ils estiment estre de bon jugement; lequel conseil ainsi donn�, est exactement suivy. Ils n'ont point de Chefs particuliers qui commandent absolument, mais bien portent-ils de l'honneur aux plus anciens & vaillans, qu'ils nomment Capitaines.

Quant aux chastiemens ils n'en usent point, ains font le tout par prieres des anciens, & � force de harangues & remonstrances, & non autrement. Ils parlent tous en g�n�ral, & l� o� il se trouve quelqu'un de l'assembl�e qui s'offre de faire quelque chose pour le bien du village, ou aller en quelque part pour le service du commun, si on le juge capable d'ex�cuter ce qu'il promet, on luy remonstre & persuade par belles paroles qu'il est homme hardy, propre � telles entreprises, & qu'il y acquerra beaucoup de r�putation. S'il veut accepter, ou r�futer ceste charge, il luy est permis, mais il s'en trouve peu qui la r�futent.

Quant ils veulent entreprendre des guerres, ou aller au pays de leurs ennemis, deux ou trois des 305/961anciens ou vaillans Capitaines entreprendront ceste conduitte pour ceste fois, & vont aux villages circonvoisins faire entendre leur volont�, en leur donnant des presens, pour les obliger de les accompagner. Puis ils d�lib�rent le lieu o� ils veulent aller, disposant des prisonniers qui seront pris, & autres choses de consideration. S'ils font bien, ils en re�oivent de la louange, s'ils font mal ils en sont blasmez. Ils font des assembl�es g�n�rales chacun an en une ville qu'ils nomment, o� il vient un Ambassadeur de chaque Province, & l� font de grands festins & dances durant un mois ou cinq sepmaines, selon qu'ils advisent entr'eux, contractans nouvelle amiti�, decidans ce qu'il faut faire pour la conservation de leur pays, & se donnans des presens les uns aux autres. Cela estant fait, chacun se retire en ton quartier.

Quand quelqu'un est d�c�d�, ils enveloppent le corps de fourrures, & le couvrent d'escorces d'arbres fort proprement, puis ils l'eslevent sur quatre pilliers, sur lesquels ils font une cabanne aussi couverte d'escorces d'arbres de la longueur du corps. Ces corps ne sont inhumez en ces lieux que pour un temps, comme de huict ou dix ans, ainsi que ceux du village advisent le lieu o� se doivent faire leurs c�r�monies, ou pour mieux dire, conseil g�n�ral, o� tous ceux du pa�s assistent. Cela fait, chacun s'en retourne � son village, prenant tous les ossemens des deffuncts, qu'ils nettoyent & rendent fort nets, & les gardent soigneusement; puis les parens & amis les prennent, avec leurs colliers, fourrures, haches, chaudi�res, & autres choses de valeur, avec 306/962quantit� de vivres qu'ils portent au lieu destin�, o� estans tous assemblez, ils mettent ces vivres o� ceux de ce village ordonnent, y faisans des festins & dances continuelles l'espace de dix jours que dure la feste, pendant lesquels les autres nations y accourent de toutes parts, pour voir les c�r�monies qui s'y font, par le moyen desquelles ils contractent une nouvelle amiti�, disans que les os de leurs parents & amis sont pour estre mis tous ensemble, posans une figure, que tout ainsi qu'ils sont assemblez en un mesme lieu, aussi doivent-ils estre unis en amiti� & concorde, comme parents & amis, sans s'en pouvoir separer. Ces os estans ainsi meslez, ils font plusieurs discours sur ce sujet, puis apr�s quelques mines ou fa�ons de faire, ils font une grande fosse, dans laquelle ils les jettent, avec les colliers, chaisnes de pourceline, haches, chaudi�res, lames d'esp�es, couteaux, & autres bagatelles, lesquelles ils prisent beaucoup, & couvrans le tout de terre, y mettent plusieurs grosses pi�ces de bois, avec quantit� de piliers � l'entour & une couverture sur iceux. Aucuns d'eux croyent l'immortalit� des �mes, disans qu'apr�s leur deceds ils vont en un lieu o� ils chantent comme les corbeaux.

Reste � d�clarer la forme & mani�re qu'ils usent en leurs pesches. Ils font plusieurs trous en rond sur la glace, & celuy par o� ils doivent tirer la seine a environ cinq pieds de long, & trois de large, puis commencent par ceste ouverture � mettre leur filet, lequel ils attachent � une perche de bois de six � sept pieds de long, & la mettent dessouz la glace, & la font courir de trou en trou, o� un homme ou 307/963deux mettent les mains par iceux, prenant la perche o� est attach� un bout du filet, jusques � ce qu'ils viennent joindre l'ouverture de cinq � six pieds. Ce fait, ils laissent couler le rets au fonds de l'eau, qui va bas, par le moyen de certaines petites pierres qu'ils attachent au bout, & estans au fonds de l'eau, ils le retirent � force de bras par ses deux bouts, & ainsi am�nent le poisson qui se trouve prins dedans.

Apr�s avoir discouru amplement des moeurs, coustumes, gouvernement, & fa�on de vivre de nos Sauvages, nous reciterons qu'estans assemblez pour venir avec nous, & reconduire � nostre habitation, nous partismes de leur pays le 20e jour de May485, & fusmes 40 jours sur les chemins, o� peschasmes grande quantit� de poisson de plusieurs especes: comme aussi nous prismes plusieurs sortes d'animaux, & gibbier, qui nous donna un singulier plaisir, outre la commodit� que nous en receusmes, & arrivasmes vers nos Fran�ois 486 sur la fin du mois de Juin, o� je trouvay le sieur du Pont, qui estoit venu de France avec deux vaisseaux, qui desesperoit presque de me revoir pour les mauvaises nouvelles qu'il avoit entendues des Sauvages que j'estois mort.

Note 485: (retour)

Voir 1619, p. 102, note 3.

Note 486: (retour)

Au saut Saint-Louis. (Voir plus loin.)

Nous veismes aussi tous les P�res Religieux, qui estoient demeurez � nostre habitation, lesquels furent fort contents de nous revoir, & nous aussi eux: puis je me disposay de partir du Sault Sainct Louis, pour aller � nostre habitation, menant avec moy mon hoste Darontal. Parquoy prenant cong� de 308/964tous les Sauvages, & les asseurant de mon affection, je leur dis que je les reverrois quelque jour pour les assister, comme j'avois fait par le pass�, & leur apporterois des presens pour les entretenir en amiti� les uns avec les autres, les priant d'oublier les querelles qu'ils avoient eues ensemble, lors que je les mis d'accord, ce qu'ils me promirent faire. Nous partismes le 8e jour de Juillet, & arrivasmes � nostre habitation le 11 dudit mois, o� trouvasmes chacun en bon estat, & tous ensemble, avec nos P�res Religieux, rendismes gr�ces � Dieu, en le remerciant du soin qu'il avoit eu de nous conserver & preserver de tant de p�rils & dangers o� nous nous estions trouvez.

Pendant cecy, je faisois la meilleure ch�re que je pouvois � mon hoste Darontal, lequel admirant nostre bastiment, comportement, & fa�on de vivre, me dit en particulier, Qu'il ne mourroit jamais content qu'il ne veist tous ses amis, ou du moins bonne partie, venir faire leur demeure avec nous, afin d'apprendre � servir Dieu, & la fa�on de nostre vie, qu'il estimoit infiniment heureuse, au regard de la leur. Que ce qu'il ne pouvoit comprendre par le discours, il l'apprendroit beaucoup mieux & plus facilement par la fr�quentation qu'il auroit avec nous 487. Que pour l'advancement de cet oeuvre nous fissions une autre habitation au Sault Sainct Louys, pour leur donner la seuret� du passage de la riviere, pour la crainte de leurs ennemis, & qu'aussi tost ils viendroient en nombre � nous pour y vivre comme 309/965fr�res: ce que je luy promis faire le plustost qu'il me seroit possible. Ainsi apr�s avoir demeur� 4 ou 5 jours ensemble, & luy ayant donn� quelques honnestes dons (desquels il se contenta fort) il s'en retourna au Sault Sainct Louys, o� ses compagnons l'attendoient488.

Note 487: (retour)

Ici encore, dans l'�dition de 1632, a �t� retranch� comme � dessein un passage o� se trouvait mentionn� le P. Joseph. (Voir 1619, p. 104.)

Note 488: (retour)

En cet endroit, l'�dition de 1619 (p. 105, et 106) renferme de plus quelques d�tails sur les travaux faits � l'habitation et sur le passage des PP. Denis et Joseph en France.

Pendant mon sejour � l'habitation, je fis couper du bled commun, � s�avoir du bled Fran�ois qui y avoit est� sem�, lequel estoit tr�s-beau, afin d'en apporter en France, pour tesmoigner que ceste terre est tr�s-bonne & fertile. Aussi y avoit-il du bled d'Inde fort beau, & des entes & arbres que nous y avions port� 489.

Note 489: (retour)

L'�dition de 1632 retranche encore ici un passage important, o� il est question des P�res R�collets: �Nous estans,� dit Champlain, �sur le point de nostre partement, nous laissasmes deux de nos Religieux � nostre habitation, � s�avoir les P�res Jean d'Elbeau & P�re Paciffique� (P. Jean d'Olbeau et Fr�re Pacifique), �fort content de tout le temps qu'ils avoient pass� audit lieu, & resoulds d'y attendre le retour du P�re Joseph qui les debvoit retourner voir comme il fit l'ann�e suivante.� (1619, p. 107.)

Je m'embarquay en nos barques le 20e jour de Juillet, & arrivay � Tadoussac le 23e jour dudit mois, o� le sieur du Pont nous attendoit avec son vaisseau prest & appareill�, dans lequel nous nous embarquasmes, & partismes le troisiesme jour du mois d'Aoust, & eusmes le vent si � propos que nous arrivasmes � Honnefleur le 10 jour de Septembre 1616, o� nous rendismes louange & action de gr�ces � Dieu de nous avoir preservez de tant de p�rils & hazards o� nous avions est� exposez, & de nous avoir ramenez en sant� dans nostre patrie. A luy donc soit gloire & honneur � jamais. Ainsi soit-il490.

Note 490: (retour)

Conf. 1619, p. 108. Ici se termine le voyage de 1615; l'�dition de 1619 renferme en outre le voyage de 1618, que l'�dition de 1632 n'a pas cru devoir reproduire soit qu'on ait jug� de peu d'importance les faits qui y sont rapport�s, soit qu'on ait trouve difficile de retrancher la part qu'y ont eue les P�res R�collets.



310/966

Changement de Viceroy de feu M. le Mareschal de Themines, qui obtient la charge de Lieutenant g�n�ral du Roy en la nouvelle France, de la Royne R�gente. Articles du sieur de Mons � la Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par ses envieux.

CHAPITRE VIII.491

Note 491: (retour)

Chapitre IV de la premi�re �dition.

Estant arriv� en France, nous eusmes nouvelles de la d�tention de Monseigneur le Prince 492, qui me fit juger que nos envieux ne tarderoient gueres � vomir leur poison, & qu'ils feroient ce qu'ils n'avoient os� faire auparavant: car le chef estant malade, les membres ne peuvent estre en sant�. Aussi d�s lors les affaires changerent de face, & firent naistre un nouveau Vice-roy, par l'entremise d'un certain personnage, lequel s'addresse au Sieur de Beaumont Maistre des Requestes, lequel estoit amy de Monsieur le Mareschal de Themines, qui donne advis de demander la charge de Lieutenant de Roy de la nouvelle France, pendant la d�tention de mond. Seigneur le Prince: lequel l'obtint de la Royne-mere R�gente. Cet entremetteur va trouver Monsieur le Mareschal de Themines, luy fait voir que l'on donnoit un cheval de mille escus � Monseigneur le Prince, & qu'il en pourroit bien avoir un de quatre mil cinq cents livres, par les moyens qu'il luy dira, moyennant 311/967que mond. sieur luy face quelque gratification, & le continue en la charge de faire les affaires de la Compagnie, & pouvoir estre son Secr�taire. Il luy dit qu'en consideration de l'advis qu'il luy avoit fait donner, & aussi pour le soin qu'il avoit des affaires, il le recognoistroit, comme dit est. Cela accord�, ledit Solliciteur dit aux associez, Qu'il avoit appris que Monsieur de Themines avoit l'affaire de Canada, & demandoit cinq cents escus davantage que les mille, d'autant qu'il y en avoit d'autres qui vouloient prendre ce party, & luy offroient, mais qu'il les vouloit pr�f�rer. Ces associez adjoustent foy � cecy, jusques � ce que la mesche fust descouverte par l'un des Secr�taires de mond. Sieur de Themines, fasch� de ce que ce personnage emportoit ce qui luy devoit estre acquis. En ces entrefaites, on donne advis � Monseigneur le Prince de tout ce qui se passoit, qui donna charge � Monsieur Vignier de mesnager ceste affaire: lequel fait arrest de ce qui estoit deub � mond. Seign. le Prince, & que s'ils payoient � Monsieur de Themines, ils payeroient deux fois. Voila un procez qui s'esmeut au Conseil entre les associez, Monseigneur le Prince, le Sieur de Themines, & le Sieur de Villemenon, comme Intendant de l'Admiraut�, qui s'y entremet pour Monseigneur de Montmorency, sur quelque poinct qui dependoit de la charge dudit Sieur, pour le bien de la Soci�t�, qui desiroit aussi que les mille escus fussent employez au bien du pa�s: chose qui eust est� tres-raisonnable. Ils sont tous au Conseil, & de l� renvoyez � la Cour de Parlement. Laissons les plaider, pour aller appareiller nos vaisseaux, qui 312/968ne perdoient temps pour aller secourir les hyvernans de l'habitation.

Note 492: (retour)

Le prince de Cond� avait �t� arr�t� le premier de septembre de cette ann�e 1616. (Mercure fran�ais, t. IV, an. 1616, p. 195 et suiv.)

En ce mesme temps remonstrances furent faites � Messieurs les associez du peu de fruict qu'ils avoient fait cognoistre � advancer le progrez de l'habitation, & qu'il n'y avoit chose plus capable de rompre leur societ�, s'ils n'y remedioient par quelque augmentation de faire bastir, & envoyer quelques familles pour d�fricher les terres.

Ils se resolurent donc d'y rem�dier, & pour cet effect le Sieur de Mons desirant de voir de plus en plus fructifier ce dessein, met la plume � la main, fait quelques articles, par lesquels lad. Compagnie s'obligeoit � l'augmentation des hommes pour la conservation du pays, munitions de guerre, & des vivres necessaires pour deux ans, attendant que la terre peust fructifier.

Ces articles furent mis entre les mains de Monsieur de Marillac, pour estre rapportez au Conseil. Voicy un bel acheminement sans profit: car le tout s'en alla en fum�e, par je ne s�ay quels accidents, & Dieu ne permit pas que ces articles eussent lieu. Neantmoins Monsieur de Marillac trouva tout cela juste, & s'en resjouit, grandement port� � l'advancement de ceste affaire.

Pendant ces choses, je fus � Honnefleur pour aller au voyage, o� estant, un de la compagnie, aussi malicieux, que grand chicaneur, appell� Boyer, comparoissant pour toute icelle Compagnie, me tait signifier un arrest de Messieurs de la Cour de Parlement, par lequel il disoit que je ne pouvois plus pr�tendre l'honneur de la charge de Lieutenant 313/969de Monseigneur le Prince, attendu que la Cour avoit ordonn� que les Seigneurs Prince de Cond�, de Montmorency, & de Themines, sans prejudicier � leurs qualitez, ne pourroient recevoir aucuns deniers de ce qu'ils pouvoient pr�tendre, & defense aux associez de ne rien donner, sur les peines du quadruple. Tout cela ne me touchoit point; car ayant servy comme j'avois fait, ils ne me pouvoient oster ny la charge, ny moins les appointemens, � quoy volontairement ils s'estoient obligez lors que je les associay. Voila la recompense de ces Messieurs les associez, qui se deschargeoient sur ledit Boyer, que ce qu'il avoit fait estoit de son mouvement. Je protestay au contraire, attendant le retour de mon voyage.

Je m'embarquay donc pour le voyage de l'an 1617. o� il ne se pana rien de remarquable493. Estant de retour � Paris, je fus trouver mond. sieur de Themines, duquel j'avois eu la commission de son Lieutenant pendant la d�tention de mond. Seigneur le Prince. Il obtient lettres du Conseil de sa Majest� pour y faire renvoyer l'affaire, qui n'avoit pas est� jug�e � son profit. Estant au Conseil, la Compagnie ne demande maintenant que la descharge de ce qu'elle doit payer, & qu'ils ne payent point � deux. Ordonn� que l'on donnera l'argent � mond. sieur de Themines. Neantmoins led. sieur Vignier Intendant de Monseig. le Prince, dit que les Associez regardent ce qu'ils font, � ce qu'un jour ils ne payent derechef. Ceste Compagnie se trouve en peine, & eust voulu qu'ils se fussent accordez.

Note 493: (retour)

Voir 1619, p. 108, 109, 110, o� nous avons donn� un r�sum� de ce voyage.

314/970Quoy que c'en soit, ils payent � M. de Themines, en vertu de l'arrest du Conseil. Or c'est � faire � payer encore une autre fois, s'il y eschet (dirent-ils). Au lieu que tous devroient contribuer � ce sainct dessein, on en oste les moyens. Car les associez disent qu'ils ne peuvent faire aucun advancement au pays, si on ne les veut assister, & employer le peu d'argent qu'ils donnent annuellement, ou le donner aux Religieux, pour aider � faire leur S�minaire: lesquels perdirent ceste occasion envers mond. Seigneur le Prince.

Estans pour lors empeschez � des affaires qui leur touchoient d'avantage que celles de cette entreprise, ils ne s'y voulurent employer, disans qu'ils avoient assez d'affaires pour eux en France, sans solliciter pour celles de Canada. Cecy fut froidement sollicit�; qui est le moyen de ne rien faire, si Dieu n'eust suscit� d'autres voyes.

En ceste mesme ann�e arrive un autre assault des effects du malin esprit. Les envieux croyent qu'ils auroient meilleur march� pendant la d�tention de Monseigneur le Prince, pour faire rompre sa commission & par consequent celle de Monsieur de Themines; & font tant que Messieurs des Estats de Bretagne tentent la fortune pour la seconde fois, afin de les favoriser, & de coucher en leurs articles celuy de la traitte libre pour la Province de Bretagne. Ils viennent � Paris, presentent leurs cahiers � Messieurs du Conseil; lesquels leur accordent cet article, sans avoir ouy les parties, qui estoient engag�es bien avant en ceste affaire. J'en parlay au feu sieur Evesque de Nantes, d�put� pour lors des 315/971Estats, & � Moniteur de Sceaux, qui avoit les r�gistres des Estats de Bretagne, lequel me disant que c'estoit la v�rit�, je luy repartis: Monsieur, comment est-il possible que l'on aye octroy� si promptement cet article sans ouyr partie? Il me respondit, L'on ny a pas song�. Je fais aussi tost presenter une requeste � Messieurs du Conseil, qui ordonn�rent des Commissaires pour juger l'affaire. Cependant l'article est sursis, jusques � ce qu'il en aye est� autrement ordonn�, & que les parties seroient appell�es & ou�es sur ce faict. J'escris aussi tost � nos associez � Rouen, qu'ils eussent � venir promptement, ce qu'ils firent, car la chose leur touchoit de pr�s. Estans venus, les Commissaires s'assemblent chez Monsieur de Chasteau-neuf. Messieurs les D�putez des Estats & moy s'y trouvent avec nos associez, pour d�cider de ceste affaire. L'on fut long temps � d�battre sur ce que les Bretons pretendoient la pr�f�rence de ce n�goce aux autres subject de ce Royaume, & plusieurs raisons furent agit�es d'un cost� & d'autre. Je n'y oubliay rien de ce que j'en s�avois, & avois peu apprendre par des Autheurs dignes de foy. Le tout bien consider�, fut dit, que l'article seroit ray�, jusques � ce que plus � plain il en fust ordonn�, & cependant defenses faites aux Bretons, de par le Roy, de trafiquer en aucune mani�re que ce soit de pelleterie, avec les Sauvages, sans le consentement de lad. Soci�t�: & tans l'advis que j'en eus, l'affaire eust est� rompue pour lors. Car combien de querelles & procez se fussent-ils �meus tant en la nouvelle France, qu'au Conseil de sa Majest�?

En la mesme ann�e 1618, les Associez craignans 316/972d'estre d�mis de la traitte de pelleterie, pour ne faire quelque chose de plus que ce qu'ils estoient obligez par leurs articles, comme de passer des hommes par del� pour habiter & d�fricher les terres; � quoy je les portois le plus qu'il m'estoit possible; & au default des personnes, s'offroient d'en mener, en leur accordant les mesmes privileges qu'ils avoient. Que de moy j'avois � informer sad. Majest� & Monseig. le Prince, du progr�s qui se faisoit de temps en temps comme j'avois fait. Que les troubles ordinaires qui avoient est� en France avoient empesch� sad. Majest� d'y rem�dier, & qu'ils eussent � mieux faire. Qu'autrement, ils pourroient estre depossedez de toutes leurs pr�tentions, qui ne tendoient qu'� leur profit particulier, bien dissemblable aux miennes, qui n'avois autre dessein que de voir le pays habit� de gens laborieux, pour d�fricher les terres, afin de ne point s'assubjectir � porter des vivres annuellement de France, avec beaucoup de despense, & laisser les hommes tomber en de grandes necessitez, pour n'avoir dequoy se nourrir, comme il estoit ja advenu, les vaisseaux ayans retard� pr�s de deux mois plus que l'ordinaire, & pensa y avoir une �motion & revolte � ce sujet les uns contre les autres.

A tout cecy nosd. Associez disoient, que les affaires de France estoient si muables, qu'ayans fait une grande despense, ils n'avoient lieu de seuret� pour eux, ayans veu ce qui s'estoit pass� au sujet du Sieur de Mons. Je leur dis, qu'il y avoit bien de la diff�rence de ce temps l� � cestuy cy, entant que c'estoit un Gentil-homme qui n'avoit pas assez 317/973d'authorit� pour se maintenir en Court contre l'envie dans le Conseil de sa Majest�. Que maintenant ils avoient un Prince pour protecteur, & Viceroy du pays, qui les pouvoit prot�ger & d�fendre envers & contre tous, souz le bon plaisir du Roy. Mais j'appercevis bien qu'une plus grande crainte les tenoit; que si le pays s'habitoit leur pouvoir se diminueroit, ne faisans en ces lieux tout ce qu'ils voudroient, & seroient frustrez de la plus grand' partie des pelleteries, qu'ils n'auroient que par les mains des habitans du pays, & peu apr�s seroient chassez par ceux qui les auroient installez avec beaucoup de despense. Considerations pour jamais n'y rien faire, par tous ceux qui auront de semblables desseins; & ainsi souz de beaux pr�textes promettent des merveilles pour faire peu d'ex�cution, & empescher ceux qui eussent eu bonne envie de s'habituer en ces terres, qui volontiers y eussent port� leur bien, & leur vie, s'ils n'en eussent est� empeschez. Et si cela eust r�ussi, jamais l'Anglois n'y eust est�, comme il a fait, par le moyen des rebelles Fran�ois.

A force de solliciter lesd. Associez, ils s'assemblerent, & firent un estat du nombre d'hommes & familles qu'ils y devoient envoyer, outre celles qui y estoient: duquel estat j'en pris copie pardevant Notaires, comme il s'ensuit.


Estat des personnes qui doivent estre men�es & entretenues en l'habitation de Quebec, pour l'ann�e 1619.

Il y aura 80 personnes, y compris le Chef, trois Peres Recollets, commis, officiers, ouvriers, & laboureurs.

318/974Deux personnes auront un matelas, paillasse, deux couvertes, trois paires de linceulx neufs, deux habits � chacun, six chemises, quatre paires de souliers, & un capot.

Pour les armes, 40 mousquets avec leurs bandolieres, 24 piques, 4 harquebuzes � rouet de 4 � 5 pieds, 1000 livres de poudre fine, 1000 de poudre � canon, 1000 livres de balles pour les pi�ces, six milliers de plomb, un poin�on de mesche.

Pour les hommes, une douzaine de faux avec leur manche, marteaux, & le reste de l'�quipage, 12 faucilles, 24 besches pour labourer, 12 picqs, 4000 livres de fer, 2 barils d'acier, 10 tonneaux de chaulx (l'on n'en avoit encore point trouv� audit pays comme l'on a fait depuis) dix milliers de tuille creuse, ou vingt mille de platte, dix milliers de brique pour faire un four & des chemin�es, deux meules de moulin, car il ne s'y en estoit trouv� que depuis trois ans.

Pour le service de la table du Chef, 36 plats, autant d'escuelles & d'assiettes, 6 salieres, 6 aiguieres, 2 bassins, 6 pots de deux pintes chacun, 6 pintes, 6 chopines, 6 demy-septiers, le tout d'estain, deux douzaines de nappes, vingt-quatre douzaines de serviettes.

Pour la cuisine, une douzaine de chaudi�res de cuivre, 6 paires de chesnets, 6 poisles � frire, 6 grilles.

Sera aussi port� deux taureaux d'un an, des genices, & des brebis ce que l'on pourra: de toutes sortes de graines pour semer.

Il y eust bien fallu plusieurs autres commoditez 319/975qui manquoient en ce m�moire: mais ce n'eust pas est� peu, s'il eust est� accomply comme il estoit.

De plus y avoit: Celuy qui commandera � l'habitation, se chargera des armes & munitions qui y sont, & de celles qui y seront port�es, durant qu'il y demeurera.

Et le Commis qui sera � l'habitation pour la traitte des marchandises, se chargera d'icelles, ensemble des meubles & ustensiles qui seront � la compagnie, & de tout il envoyera par les navires un estat, lequel il signera.

Sera aussi port� une douzaine de materas garnis, comme ceux des familles, qui seront mis dans le magazin, pour aider aux malades & blessez.

Il sera besoin aussi que le navire qui pourra estre achet� pour la compagnie, ou fr�t�, aille � Qu�bec, & qu'il soit port� par la charte partie, & selon la facilit� qui se trouvera, il faudra aussi faire monter le grand navire de la compagnie.

Fait & arrest� par nous souz-signez, & promettons accomplir en ce qui sera possible le contenu cy dessus. En tesmoin dequoy nous avons sign� ces presentes. A Paris le 21 D�cembre 1619494. Ainsi sign�, Pierre, Dagua495, Le Gendre, tant pour luy que pour les Vermulles, Bellois, & M. Dustrelot.

Note 494: (retour)

1618.

Note 495: (retour)

Pierre Dugua.

Collationn� � l'original en papier. Ce fait rendu par les Notaires souz-signez, l'an 1619, le 11e jour de Janvier. GUERREAU. FOURCY.

Je portay cet estat � Monsieur de Marillac, pour le faire voir � Messieurs du Conseil, qui trouverent 320/976tr�s-bon qu'il s'executast, recognoissans la bonne volont� qu'avoient lesdits Associez de se porter au bien de ceste affaire, & ne voulurent entendre d'autres propositions qui leur estoient faites par ceux de Bretagne, la Rochelle, & Sainct Jean de Lus. Quoy que ce soit, ce fut un bruit & une demonstration de bien augmenter la peuplade, qui ne sortit pourtant � nul effect. L'ann�e s'escoula, & ne se fit rien, non plus que la suivante, que l'on recommen�a � crier, & se plaindre de ceste Soci�t�, qui donnoit des promesses, sans rien effectuer.

Voila comme ceste affaire se pana, & sembloit que tous obstacles se mettoient au devant, pour empescher que ce sainct dessein ne reussist � la gloire de Dieu.

Une partie de cesdits associez estoient de la religion pr�tendue reform�e, qui n'avoient rien moins � coeur que la nostre s'y plantast, bien qu'ils consentoient d'y entretenir des Religieux, parce qu'ils s�avoient que c'estoit la volont� de sa Majest�. Les Catholiques en estoient tr�s-contents, & c'estoit la chambre my-partie: car au commencement on n'y avoit peu faire davantage, & ne se trouvoit des Catholiques qui voulussent tant hazarder, qui fit que l'on receut les pr�tendus reformez, � la charge neantmoins que l'on n'y feroit nul exercice de leur religion. Ce qui occasionnoit en partie tant de divisions & procez les uns contre les autres, que ce l'un vouloit, l'autre ne le vouloit pas, vivans ainsi avec une telle mesfiance, que chacun avoit son commis, pour avoir �gard � tout ce qui se passeroit, qui n'estoit qu'augmentation de despense.

321/977Et de plus, combien ont-ils eu de procez contre les Rochelois, qui n'en vouloient perdre leur part, souz des passe-ports qu'ils obtenoient par surprise, sans rien contribuer? & autres sans commission se mettoient en mer � la desrob�e pour aller voler & piller contre les d�fenses de sadite Majest�, & ne pouvoit-on avoir aucune raison ny justice en l'enclos de leur ville: car quand on alloit pour faire quelque exploict de Justice, le Maire disoit: Je crois ne vous faire pas peu de faveur & de courtoisie, en vous conseillant de ne faire point de bruit, & de vous retirer au plustost. Que si le peuple s�ait que veniez en ce lieu, pour ex�cuter les commandemens de Messieurs du Conseil vous courez fortune d'estre noyez dans le port de la Chaisne, � quoy je ne pourrois rem�dier.

Si faut-il que je dise encore, que ce qui sembloit n'estre � leur advantage, l'estoit plus qu'ils ne pensoient; d'autant que c'est chose certaine, qu'outre le bien spirituel, le temporel s'accro�t infiniment par les peuplades, & plus il y a de gens laborieux, plus de commoditez peut-on esperer, lesquels ayant leur nourriture & logement, se plaisent � faire valloir les commoditez qui y sont, & le d�bit ne se peut faire que par les vaisseaux qui y vont porter des marchandises qui leur sont necessaires, pour les eschanger en celles du pays: & par ainsi ceux qui ont les commissions de sa Majest�, d'aller seuls trafiquer privativement � tous autres avec les Fran�ois habituez, pour subvenir � la despense qu'ils pourroient avoir faite � y mener des hommes de toutes conditions, avec ce qui leur seroit necessaire, ils peuvent s'asseurer que pendant le temps de leur 322/978commission les habitans de ces lieux seroient contraints & forcez de porter au magazin des associez ce qu'ils pourroient avoir de pelleterie, qui sont de mauvaise garde pour un long temps, pour les inconveniens qui en peuvent arriver: en les faisant valoir un honneste prix pour recevoir de France beaucoup de choses qui leur seroient necessaires. Que les vouloir contraindre � ne traitter avec les Sauvages, cela leur donneroit tel mescontentement, qu'ils tascheroieht � perdre le tout, plustost que les porter au magazin, comme j'ay veu plusieurs fois. Car � quoy penseroit-on que ces peuples voulurent faire amas de pelleterie que pour leur usage, & traitter le reste pour avoir des commoditez du magazin, dont ils ne se peuvent passer? Au contraire, trafiquant & n�gociant, en leur laissant la traitte libre, ils prendront courage de travailler, & d'aller en plusieurs contr�es faire ce n�goce avec les Sauvages, pour trouver quelque advantage en ce commerce.

Les Associez ayans leur arrest en main, font nouveaux �quipages, & apprestent leur vaisseau. Je me mets en estat de partir avec ma famille, & leur fais s�avoir, lesquels entrent en doute: neantmoins ils me mandent qu'ils me feront bonne r�ception, & qu'ils avoient advis� entr'eux que le Sieur du Pont devoit demeurer pour commander � l'habitation sur leurs gens, & moy � m'employer aux descouvertes, comme estant de mon faict, & � quoy je m'estois oblig�. C'estoit en un mot, qu'ils pensoient avoir le gouvernement � eux seuls, & faire l� comme une Republique � leur fantaisie, & se 323/979servir des Commissions de sa Majest� pour effectuer leurs passions, sans qu'il y eust personne qui les peust controller, pour tousjours tirer le bon bout devers eux, sans y rien adjouster, s'ils n'estoient bien pressez. Ils n'ont plus affaire de personne, & tout ce que j'avois fait pour eux n'entre point en consideration. Je suis honneste homme, mais je ne d�pens pas d'eux. Ils ne considerent plus leurs articles, & � quoy ils s'estoient obligez tant envers le Roy, qu'envers Monseigneur le Prince, & moy. Ils n'estiment rien leurs contracts & promesses qu'ils avoient faites souz leur seing, & sont sur le haut du pav�. Je ne s�ay pas en fin ce qui en sera, mais je s�ay bien qu'ils n'avoient point de raison ny de justice de plaider contre leur seing. Tout cecy s'esmouvoit � la sollicitation de Boyer, qui dans le tracas vivoit des chicaneries qu'il exer�oit: car s'il despensoit un sol, il en comptoit pour le moins quatre � chacun, ainsi que j'ay ouy dire depuis.

Voyant ce qu'ils m'avoient mand�, je leur escrivis, & m'achemine � Rouen avec tout mon �quipage 496. Je leur monstre les articles, & comme Lieutenant de Monseigneur le Prince, que j'avois droict de commander en l'habitation, & � tous les hommes qui y seroient, fors & except� au magazin o� estoit leur premier Commis, qui demeuroit pour mon Lieutenant en mon absence. Que pour les descouvertes, ce s'estoit point � eux de me donner la loy: 324/980que je les faisois, quand je voyois l'occurence des temps propres � cet effect, comme j'avois fait par le pass�. Que je n'estois pas oblig� � plus que ce que les articles portoient, qui ne disoient rien de tout cela. Que pour le Sieur du Pont j'estois son amy, & que son aage me le feroit respecter comme mon p�re: mais de consentir qu'on luy donnast ce qui m'appartenoit par droict & raison, je ne le soufrirois point. Que les peines, risques, & fortunes de la vie que j'avois couru aux descouvertes des terres & peuples amenez � nostre cognoissance, dont ils en recevoient le bien, m'avoient acquis l'honneur que je possedois. Que le Sieur du Pont & moy ayans vescu par le pass� en bonne amiti�, je desirois y perseverer. Que je n'entendois point faire le voyage qu'avec la mesme auctorit� que j'avois eue auparavant: autrement, que je protestois tous despens, dommages & interests contre eux � cause de mon retardement. Et sur cela, je leur presentay ceste lettre de sa Majest�.

Note 496: (retour)

Il est �vident que, par cette expression �mon �quipage�, Champlain veut parler ici du personnel de sa maison; car, apr�s les articles convenus et sign�s (ci-dessus, p. 322), c'est-�-dire, au printemps de 1619, �il se mit en �tat d�partir avec sa famille.� Madame de Champlain serait donc venue au Canada d�s 1619, sans les difficult�s que soulev�rent les associ�s. (Voir ci-apr�s, p. 325.)

DE PAR LE ROY.

Chers & bien-aimez, Sur l'advis qui nous a est� donn�, qu'il y a eu cy-devant du mauvais ordre en l'establissement des familles & ouvriers que l'on a menez en l'habitation de Quebec, & autres lieux de la Nouvelle France, Nous vous escrivons ceste lettre, pour vous d�clarer le desir que nous avons que toutes choses aillent mieux � l'advenir: & vous mander, que nous aurons � plaisir que vous assistiez, autant que vous le pourrez commod�ment, le sieur de Champlain, 325/981des choses requises & necessaires pour l'execution du commandement qu'il a receu de Nous, de choisir des hommes exp�rimentez & fid�les pour employer � descouvrir, habiter, d�fricher, cultiver, & ensemencer les terres, & faire tous les ouvrages qu'il jugera necessaires pour l'establissement des Colonies que nous desirons de planter audit pays, pour le bien de nostre service, & l'utilit� de nos Subjects, sans que pour raison desdites descouvertures & habitations, vos Facteurs, Commis, & Entremetteurs au faict: du trafic de la pelleterie, soient troublez ny empeschez en aucune fa�on & mani�re que ce soit, durant le temps que nous vous avons accord�. Et � ce ne faites faute. Car tel est nostre plaisir. Donn� � Paris le 12e jour de Mars, 1618.

Ainsi sign� LOUIS. Et plus bas, POTIER.

Ils ne voulurent rien dire davantage que ce qu'ils m'avoient escrit; ce qui m'occasionna de faire ma protestation, & m'en retournay � Paris. Ils font leur voyage497, & ledit du Pont hyverna ceste ann�e � l'habitation, pendant que je plaide mon droict au Conseil de sa Majest�.

Note 497: (retour)

On voit que Champlain ne vint point au Canada en 1619.

Je presente requeste avec la copie des articles, afin de les faire venir. Nous voila � chicaner, & Boyer qui n'en devoit rien � personne, cecy me donna sujet de suivre le Conseil � Tours, o� je fais voir la malice de leur plaidoy�, assez recogneu� d'un chacun. Et apr�s avoir bien d�battu, j'obtiens un arrest de Messieurs du conseil, par lequel il estoit 326/982dit que je commanderois tant � Qu�bec, qu'autres lieux de la nouvelle France, & defenses aux Associez de ne me troubler, ny empescher en la fonction de ma charge, � peine de tous despens, dommages & interests, & d'amende arbitraire, & hors de despens: Lequel arrest je leur fais signifier en plaine Bourse de Rouen. Ils s'excusent sur ledit Boyer, & disent qu'ils n'y avoient pas consenty: mais j'estois tres-asseur� du contraire.

En ce temps Monseigneur le Prince estant mis en libert�498, on luy donne mille escus, desquels il en donna cinq cents aux P�res Recollets, pour aider � faire leur S�minaire, qui ne firent pas grand' chose. Estant r'entr� en possession de sa commission pour la nouvelle France, Monsieur le Mareschal de Th�mines hors de ses pr�tentions, le Sieur de Villemenon qui d�s long temps avoit desir que ceste affaire tombast entre les mains de Monseigneur l'Admiral, pource qu'il croyoit que toutes choses seroient mieux r�gl�es � l'honneur de Dieu, du service du Roy, & bien dudit pays; & qu'ayant l'intendance de l'Admiraut�, tout se feroit avec advancement; Il en parle � Monseigneur de Montmorency, qui monstroit le desirer par les ouvertures que led. Sieur de Villemenon luy donna. Mond. Seigneur en parle � Monseigneur le Prince, qui remet ceste affaire au Sieur Vignier, qui fait en sorte qu'il tire de Monseigneur de Montmorency unze mille escus pour ses pr�tentions, & promet souz le bon plaisir du Roy, luy donner la commission de Vice-roy aud. 327/983pays de la nouvelle France, qui en donne l'intendance � Monsieur Dolu, grand Audiancier de France, pour y apporter quelque bon r�glement: lequel s'y employe de toute son affection, bruslant d'ardeur de faire quelque chose � l'advancement de la gloire de Dieu, & du pays, & mettre nostre Soci�t� en meilleur estat de bien faire qu'elle n'avoit fait. Je le veis sur ceste affaire, & luy fis cognoistre ce qui en estoit, & luy en donnay des memoires pour s'en instruire.

Note 498: (retour)

Le prince de Cond� fut mis en libert� le 20 octobre 1619; la lettre de gr�ce du roi est du 9 novembre, et elle ne fut v�rifi�e en parlement que le 26 suivant. (MERC. FRANC.)

Mond. Seigneur de Montmorency me continuant en l'honneur de sa Lieutenance en lad. nouvelle France, me commande de faire le voyage, & d'aller � Qu�bec m'y fortifier au mieux qu'il me seroit possible, & luy donner advis de tout ce qui se passeroit, pour y apporter l'ordre requis. Donc je partis de Paris avec ma famille, �quip� de tout ce qui m'estoit necessaire. Estant � Honnefleur, il y eut encore quelque brouillerie sur le commandement que je devois avoir audit pays, & ceste compagnie receut un extr�me desplaisir de ce changement. J'en escris � Monseigneur, & aud. Sieur Dolu, qui leur mandent que le Roy & Monseigneur entendoient que j'eusse l'entier & absolu commandement en toute l'habitation, & sur tout ce qui y seroit, horsmis pour ce qui estoit du magazin de leurs marchandises, desquelles leurs commis ou facteurs pouvoient disposer. Que sa Majest� avoit promis de nous donner armes & munitions de guerre, pour la defense du fort que je ferois bastir. Et s'ils ne vouloient obeir aux volontez de sa Majest�, & de mond. seigneur que je fisse arrester le vaisseau, 328/984jusques � ce que cela fust ex�cut�. On en r'escrit au sieur de Br�court, maistre d'hostel de mond. Seigneur, & Receveur de l'Admiraut�, & aux Officiers nos associez, bien faschez de tout cecy, mais en fin ils acquiescerent � la raison. Au mesme temps sa Majest� me fit l'honneur de m'escrire ceste lettre sur mon partement.

CHAMPLAIN, Ayant sceu le commandement que vous aviez receu de mon cousin le Duc de Montmorency, Admiral de France, & mon Vice-roy en la nouvelle France, de vous acheminer audit pa�s, pour y estre son Lieutenant, & avoir soin de ce qui se presentera pour le bien de mon service, j'ay bien voulu vous escrire ceste lettre, pour vous asseurer que j'auray bien agreables les services que me rendrez en ceste occasion, surtout si vous maintenez led. pa�s en mon obeissance, faisant vivre les peuples qui y sont, le plus conform�ment aux loix de mon Royaume, que vous pourrez, & y ayant le soin qui est requis de la Religion Catholique, afin que vous attiriez par ce moyen la b�n�diction divine sur vous, qui sera reussir vos entreprises & actions � la gloire de Dieu, que je prie (Champlain) vous avoir en sa saincte & digne garde. Escrit � Paris le 7e jour de May, 1620.

Sign�, LOUIS. Et plus bas, BRULART.

1/985

SECONDE

PARTIE DES

VOYAGES DU SIEUR

de Champlain.


LIVRE PREMIER.


Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son arriv�e � Qu�bec. Prend possession du Pais, au nom de monsieur de Montmorency.

CHAPITRE PREMIER.

'AN 1620, je retournay avec ma famille � la Nouvelle France, o� arrivasmes au mois de May499. Nous traversasmes plusieurs Isles, & entr'autres celles aux Oyseaux, o� il y en a tel nombre, qu'on les tue � coups de bastons. Le 24500 nous passasmes proche Gaspey, entr�e du fleuve sainct Laurent.

Note 499: (retour)

Juin. Champlain, �tant arriv� � la rade de Tadoussac le 7 juillet, apr�s une travers�e de deux mois, avait d� partir de Honfleur vers le 8 de mai, comme le prouve du reste la date de la lettre que le roi lui adressa �sur son parlement� (p. 328, 1�re partie). Il devait donc �tre en vue de Terreneuve vers le 20 de juin; puisque le 24 il n'�tait qu'� Gasp�.

Note 500: (retour)

Le 24 juin.

2/986Le 7 de Juillet nous mouillasmes l'anchre au moulin Baud�, � une lieue du port de Tadoussac, ayant est� deux mois � la traverse de nostre voyage, o� un chacun loua Dieu de nous voir � port de salut, & principalement moy, pour le sujet de ma famille, qui avoit beaucoup endur� d'incommoditez en cette fascheuse traverse.

Le lendemain un petit batteau vient � nostre bord, qui nous dit que le vaisseau o� estoit le Sieur Deschesnes, party un mois auparavant nous, estoit arriv�, qui fut pr�s de deux mois � sa traverse 501. Le Sieur Boull�, mon beau fr�re estoit en ce batteau, qui fut fort estonn� de voir sa soeur, & comme elle s'estoit resolue de passer une mer s fascheuse, & fut grandement resjouy, & elle & moy au prealable; lequel nous dit que deux vaisseaux de la Rochelle, l'un du port de 70 tonneaux, l'autre de 45 estoient venus proche de Tadoussac traitter; nonobstant les deffences du Roy, & avoient couru fortune d'estre pris par ledit Deschesnes proche du Bicq, � 15 lieues de Tadoussac, neantmoins se sauverent comme meilleurs voilliers. Ils emport�rent cette ann�e nombre de pelleteries, & avoient donn� quantit� d'armes � feu, avec poudre, plomb, mesche, aux Sauvages; chose tres-pernicieuse & prejudiciable, d'armer ces infid�les de la fa�on, qui s'en pourroyent servir contre nous aux occasions. Voila comme tousjours 3/987ces rebelles ne cessent de mal faire, n'ayant encore bien commenc�, desobeissant aux commandemens de sa Majest�, qui le d�fend par ses Commissions, sur peine de la vie. Telles personnes meriteroient d'estre chastiez severement, pour enfraindre les Ordonnances: mais quoy, dit on, sont Rochelois, c'est � dire tr�s mauvais & desobeissans subjects, o� il n'y a point de justice: prenez les si pouvez & les chastiez, le Roy vous le permet par les commissions qu'il vous donne. D'avantage ces meschans larrons qui vont en ce pa�s subornent les sauvages, & leurs tiennent des discours de nostre Religion, tr�s-pernicieux & meschans, pour nous rendre d'autant plus odieux en leur endroit.

Note 501: (retour)

Ce vaisseau �tait la Sallemande. On voit, par une lettre du P. Jamay, qui y �tait passager, avec Fr�re Bonaventure, qu'il partit de Honneur le 5 d'avril, et arriva � Tadoussac le 30 mai. �Nous nous divisames en deux bandes,� dit-il, �je partis le premier avec l'un de nos fr�res appell� F. Bonaventure, dans le premier Navire, qu'on nomme la Sallemande; nous sortismes du Havre de Honfleur le Dimanche de la Passion� (qui, cette ann�e, 1620, tombait le 5 avril), �& arriv�mes le Samedy des Octaves de l'Ascension� (30 mai), �dans le port de Tadoussac.� (Sagard. Hist. du Canada, p. 58.)

Nous apprismes que les sieurs du Pont & Deschesne estoient partis de Qu�bec pour aller � mont ledit fleuve affin de traitter � une isle devant la riviere des Hiroquois, ayant laiss� � Tadoussac deux moyennes barques pour nous attendre, & les d�pescher promptement, afin de leur porter marchandises, avant que s�avoir de nos nouvelles; ce qui fut fait ce jour mesme, & en envoyerent une devant l'autre, que nous retinsmes pour nous en aller � Qu�bec. Nous sceusmes la mort de fr�re Pacifique502, bon Religieux, qui estoit tr�s charitable, & celle de la fille 503 de H�bert en travail d'enfant, tout le reste se portoit bien: & pour l'habitation, elle estoit en tr�s mauvais estat, pour avoir diverty 4/988les Ouvriers � un logement que l'on avoit fait aux P�res Recollets, � demy lieue de l'habitation, sur le bord de la riviere sainct Charles504, & deux autres logemens, un pour ledit H�bert � son labourage505, un autre proche de l'habitation pour le Serrurier & Boulenger, qui ne pouvoient estre en l'enclos des logemens. Locquin partit promptement dans une chaloupe charg�e de marchandises, pour aller treuver ledit du Pont.

Note 502: (retour)

Le Fr�re Pacifique du Plessis �d�c�da ledit 23e jour d'Aoust, apr�s avoir receu tous les sacremens en grande devotion, & fut enterr� � la Chappelle de Kebec, avec les c�r�monies de la S. Eglise.� (Sagard, Hist. du Canada, p. 55.—Mortuologe des R�collets, 26 d'ao�t. Archives de l'Archev�ch� de Qu�bec.)

Note 503: (retour)

Anne H�bert, fille a�n�e de Louis H�bert; elle �tait mari�e � �tienne Jonquest.

Note 504: (retour)

Ce logement des P�res R�collets �tait pr�cis�ment � l'endroit o� est aujourd'hui l'H�pital-G�n�ral. �Le 7. Septembre,� dit Sagard (Hist. du Canada, p. 56), �l'on commen�a d'amasser les mat�riaux, & de joindre la charpenterie de nostre Convent de nostre Dame des Anges, o� le P�re Dolbeau fist mettre la premi�re pierre le 3 juin 1620.� �A nostre arriv�e,� dit le P. Denis Jamay, dans une lettre dat�e de Qu�bec le 15 ao�t 1620, �nous sceumes que le sieur du Pont Grav� Capitaine pour les Marchands dans l'habitation, avoit commenc� � nous faire bastir une maison (laquelle depuis nostre arriv�e nous avons fait achever) dont je fus fort resjouy tant pour l'assiette du lieu, que de la beaut� du bastiment. Le corps du logis donc est faist de bonne & forte charpente, & entre les grosses pi�ces une muraille de 8 & 9 pouces jusques � la couverture, sa longueur est de trente-quatre pieds, sa largeur de vingt-deux, il est � double estage: nous divisons le bas en deux: de la moiti� nous en faisons nostre Chappelle en attendant mieux: de l'autre une belle grande chambre, qui nous servira de cuisine & o� logeront nos gens: au second estage nous avons une belle grande chambre, puis quatre autres petites; dans deux desquelles, que nous avons faict faire tant soit peu plus grandes que les autres, y a des chemin�es pour retirer les malades, � ce qu'ils soient seuls: la muraille est faicte de bonne pierre, bon sable & meilleure chaux que celle qui se faict en France, au dessoubs est la cave de vingt pieds en carr�, & sept de profond.� (Sagard, Hist. du Canada, p. 58, 59.)

Note 505: (retour)

Quelque respect que nous ayons pour les opinions de M. Ferland, nous ne pouvons admettre que la maison d'H�bert ait �t� �vers la partie de la rue Saint-Joseph, o� elle re�oit les rues Saint-Fran�ois et Saint-Flavien� (Notes sur les Registres, p. 10). D'abord, l'acte de partage de 1634, sur lequel M. Ferland para�t s'appuyer (Cours d'Hist. P. 190), est fort obscur sur ce point et tr�s-peu concluant; en second lieu, cette premi�re maison �tait dans le voisinage de celle de Couillard, comme le prouve un acte d'arbitrage de 1639, (�tude de Piraube, Greffe de Qu�bec). Des arbitres, nomm�s pour faire la visite d'un �estre de maison scitu�e proche celle de Couillard, de la succession de deffunt [Guill.] H�bert, & contenant trente-huict piedz de long sur dix-neuf de large,� le jugent �inhabitable & non manable... comme fondant en ruyne� depuis longtemps... Or, en 1639, il ne pouvait y avoir, � la haute-ville, que la maison d'H�bert qui f�t dans un pareil �tat de v�tust�, puisque les autres maisons durent �tre construites apr�s 1632. (Relat. 1632.) Cette premi�re maison a d� �tre vers l'emplacement de l'archev�ch�; car la part de Guillaume H�bert et de Guillaume Hubou, � qui �tait remari�e la veuve H�bert, �tait de ce c�t�. (Archives du S�minaire de Qu�bec, acte de partage 1634, et acte d'�change entre Guill. H�bert et Nicolas Pivert en 1637, pass� pardevant Audouart 1641.)

Le 11 je partis de Tadoussac avec ma famille, & les Religieux que nous avions menez, au nombre 5/989de trois 506, mon beau-fr�re, qui avoit hyvern� deux ans & demy, & Guers, arrivasmes � Qu�bec, o� estant fusmes � la Chapelle rendre gr�ces � Dieu de nous voir au lieu ou nous esperions. Le lendemain je fis charger le canon, ce qu'estant fait, apr�s la saincte Messe dite un P�re Recollet507 fit un sermon d'Exhortation, o� il remonstroit � un chacun le devoir o� l'on se devoit mettre pour le service de sa Majest�, & de celuy de mondit seigneur de Montmorency, & que chacun eut � se comporter en l'obeissance de ce que je leur commanderois, suivant les patentes de sa Majest�, donn�es � mondit seigneur le Viceroy, & la Commission � moy donn�e de son Lieutenant, lesquelles seroient leu�s publiquement en presence de tous, � ce qu'ils n'en pretendissent cause d'ignorance. Apr�s ceste exhortation l'on sortit de la Chappelle, je fis assembler tout le monde, & commanday � Guers Commissionnaire, de faire publique lecture de la Commission de sa Majest�, & de celle de Monseigneur le Viceroy � moy donn�e. Ce faict chacun crie Vive le Roy, le Canon fut tir� en signe d'allegresse, & ainsi je pris possession de l'habitation & du Pays au nom de mondit seigneur le Viceroy. Ledit Guers 6/990en fit son proc�s verbal pour servir en temps & lieu.

Note 506: (retour)

Il �tait venu en effet trois religieux, cette ann�e 1620, le P. Denis Jamay, le P. George le Baillif et le Fr�re Bonaventure; mais le P. Denis et le Fr�re Bonaventure �taient arriv�s, depuis plus d'un mois, dans le vaisseau du sieur Deschesnes (voir ci-dessus, p. 2); le P. Georges �tait avec Champlain.—Cette phrase semble donner � entendre que le P. Denis et Fr�re Bonaventure auraient attendu � Tadoussac que le second vaisseau f�t arriv�, pour monter tous ensemble � Qu�bec. Ce qu'il y a du moins de certain, d'apr�s Sagard et le Clercq, c'est que ce fut le P. d'Olbeau qui fit la b�n�diction de la premi�re pierre du couvent de Notre-Dame-des-Anges, le 3 juin; d'o� l'on peut inf�rer avec un peu de vraisemblance, que le P. Denis, qui revenait avec la charge de sup�rieur, n'�tait pas encore arriv�.

Note 507: (retour)

D'apr�s le P. le Clercq, ce fut le P. Denis Jamay. (Premier �tabliss. de la Foy, I, 163.)

Je resolus d'envoyer ledit Guers avec six hommes aux trois rivieres o� estoit le Pont & les Commis de la societ�, pour s�avoir ce qui se passeroit par del�, & moy je fus visiter quelques petits jardinages & les bastiments dont on m'avoit parl�; & en effect je treuvay cette habitation si desol�e & ruin�e qu'elle me faisoit piti�. Il y pleuvoit de toutes parts, l'air entroit par toutes les jointures des planchers, qui s'estoient restressis de temps en temps, le magasin s'en alloit tomber, la court si salle & orde, avec un des logements qui estoit tomb�, que tout cela sembloit une pauvre maison abandonn�e aux champs o� les Soldats avoient passe, & m'estonnois grandement de tout ce mesnage: tout cecy estoit pour me donner de l'exercice � reparer ceste habitation. Et voyant que le plustost qu'on se mettroit � reparer ces choses estoit le meilleur, j'employay les ouvriers pour y travailler, tant en pierre, qu'en bois, & toutes choses furent si bien mesnag�es, que tout fut en peu de temps en estat de nous loger, pour le peu d'ouvriers qu'il y avoit, partie desquels commenc�rent un Fort508, pour eviter aux dangers qui peuvent advenir, veu que sans cela il n'y a nulle seuret� en un pays esloign� presque de tout secours. J'establis ceste demeure en une scituation tr�s bonne, sur une montagne 509 qui commandoit sur 7/991le travers du fleuve sainct Laurent, qui est un des lieux des plus estroits de la riviere510, & tous nos associez n'avoient peu gouster la necessit� d'une place forte, pour la conservation du Pays & de leur bien. Ceste maison ainsi bastie ne leur plaisoit point, & pour cela il ne faut pas que je laisse d'effectuer le commandement de Monseigneur le Viceroy, & cecy est le vray moyen de ne point recevoir d'affront, pour un ennemy, qui recognoissant qu'il n'y a que des coups � gaigner, & du temps, & de la despence perdue, se gardera bien de se mettre au risque de perdre ses vaiseaux & ses hommes. C'est pourquoy il n'est pas tousjours � propos de suivre les passions des personnes, qui ne veulent r�gner que pour un temps, il faut porter sa consideration plus avant.

Note 508: (retour)

Le fort Saint-Louis. �Le lieu qui fut choisi, dit M. Ferland, est celui o�, pendant pr�s d'un si�cle et demi, r�sid�rent les gouverneurs fran�ais du Canada, et d'o� les ordres du repr�sentant des rois tr�s-chr�tiens �taient port�s jusques aux confins du Mexique. Longtemps apr�s la cession du Canada aux Anglais, le drapeau de la Grande-Bretagne a flott� au m�me endroit, sur la demeure des gouverneurs g�n�raux de l'Am�rique Britannique.� (Cours d'Hist. du Canada, I, 191.)

Note 509: (retour)

Environ 172 pieds anglais au-dessus du niveau du fleuve.

Note 510: (retour)

Le fleuve n'a, en cet endroit, qu'un quart de lieue de large, ou une vingtaine d'arpents.

Quelques tours apr�s lesdits du Pont & Deschesnes descendirent des trois rivieres avec leurs barques, & les peleteries qu'ils avoient traitt�es. Il y en avoit la pluspart � qui ce changement de Viceroy & de l'ordre ne plaisoit pas; ledit du Pont se resolut de repasser en France qui avoit hyvern�, & laissa Jean Caumont, dit le Mons, pour commis du magazin & des marchandises pour la traitte. Ledit du Pont s'en alla � Tadoussac511, & nous fit apporter le reste de nos vivres, & mande Roumier sous-commis, qui avoit aussi hyvern�, lequel s'en retourna en France, sur ce qu'on ne luy vouloit rehausser ses gages, & moy demeurant visitay les vivres, pour les mesnager jusques � l'arriv�e des vaisseaux, faisant tousjours 8/992fortifier & continuer les r�parations ja commenc�es, attendant d'en faire une nouvelle de pierre: car nous avions treuv� de bonnes pierres � chaux, qui estoit une grande commodit�. Ils demeur�rent ceste ann�e � hyverner 60 personnes, tant hommes, que femmes, Religieux, & enfans, dont il y avoit dix hommes pour travailler au S�minaire des Religieux & � leurs despens: tout l'Automne & l'hyver fut employ� � reparer l'habitation, & les maisons d'aupr�s, & nous fortifier: chacun se porta tr�s-bien, horsmis un homme qui fut tu� par la cheute d'un arbre qui luy tomba sur la teste, & l'escrasa, & ainsi mourut miserablement.

Note 511: (retour)

Pont-Grav� dut partir de Qu�bec peu apr�s le 15 d'ao�t, comme le laisse supposer la date de la lettre du P. Denis. (Sagard, Hist. du Canada, p. 63.)



Arriv�e des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France. Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de France apport�es au sieur de Champlain.

CHAPITRE II.

Le quinziesme de May512, une barque estant preste l'on la mit � l'eau, qui fut charg�e de vivres, pour traitter avec les Sauvages de Tadoussac. Le Mons commis s'embarqua en icelle luy huictiesme, & en son chemin fit rencontre d'une chalouppe, o� estoit le Capitaine du May, & Guers, Commissionnaires de monseigneur de Montmorency, avec cinq matelots, trois soldats, & un gar�on, qui fut cause que nostre commis retourna sur sa route, & s'en revinrent ensemble � nostre 9/993habitation. Ledit du May fut tr�s-bien receu, venant de la part de mondit seigneur de Montmorency, lequel me dit estre venu devant, en un vaisseau du port d'environ trente cinq tonneaux, avec trente personnes en tout, pour me donner advis de ce qui se passoit en France, & que proche de Tadoussac, il avoit fait rencontre d'un petit vaisseau volleur de Rochelois, de quarante cinq tonneaux, & en avoit approch� de si pr�s, qu'ils s'en tendoient parler, estans l'un & l'autre sous voiles: Mais comme le Rochelois estoit meilleur voilier, il se sauva. Ce fut une belle occasion perdue, par ce que ceux qui estoient dedans avoient traitt� nombre de peleteries.

Note 512: (retour)

Il est �vident, par le contexte, que c'est le 15 mai 1621.

Ledit Guers me donna les lettres qu'il pleut au Roy & � Monseigneur me faire l'honneur de m'escrire, accompagn�es de celle de Monsieur de Puisieux, & autres, des sieurs Dolu, de Villemenon & de Caen. Voicy celle du Roy.

Champlain, j'ay veu par vos lettres du 15 du mois d'Aoust, avec quelle affection vous travaillez par del� � vostre establissement, & � ce qui regarde le bien de mon service, dequoy, comme je vous s�ay tr�s-bon gr�, aussi auray-je � plaisir de le recognoistre � vostre advantage, quand il s'en offrira l'occasion: & ay bien volontiers accord� quelques munitions de guerre, qui m'ont est� demand�es, pour vous donner tousjours plus de moyen de subsister, & de continuer en ce bon devoir, ainsi que je me le promets de vostre soing & fidelit�. A Paris le 24e 10/994jour de Fevrier 1621, sign� LOUIS, et plus bas, Brulart.

En suitte de celle de sa Majest�, j'en receus une autre de Monsieur de Puisieux, Secr�taire de ses commandements, par laquelle entr'autres choses, il me mandoit que le sieur Dolu avoit demand� des armes pour m'envoyer, � laquelle chose on avoit pourveu, & icelles envoy�es. Auparavant Monseigneur le Duc de Montmorency m'�crivit la pr�sente.

Monsieur Champlain, pour plusieurs raisons J'ay estim� � propos, d'exclure les anciens Associez de Rouen, & de sainct Malo, pour la traitte de la Nouvelle France, d'y retourner. Et pour vous faire secourir, & pourvoir de ce qui vous y est necessaire, j'ay choisi les sieurs de Caen513 oncle & nepveu, & leurs Associez, l'un est bon Marchand, & l'autre bon Capitaine de mer, comme il vous s�aura bien ayder & faire recognoistre l'authorit� du Roy de del� sous mon gouvernement. Je vous recommande de l'assister, & ceux qui iront de sa part, contre tous autres, pour les maintenir en la jouissance des articles que je leur ay accordez. J'ay charg� le sieur Dolu Intendant des affaires du pays, de vous envoyer coppie du traitt� par le premier voyage, afin que vous scachiez � quoy ils sont tenus, pour les faire executer, comme je desire leur entretenir ce que je leur ay promis. J'ay eu soing de faire conserver vos 11/995appointements, comme je croy que vous continuerez au desir de bien servir le Roy, ainsi que continue en la bonne volont�, Monsieur Champlain, Vostre plus affectionn� & parfait amy, sign�, MONTMORANCY, DE PARIS le 2 Fevrier 1621.

Note 513: (retour)

Guillaume de Caen, marchand, et son neveu, �mery ou �meric, alors capitaine de vaisseau.

Les lettres du sieur Dolu me mandoient que j'eusse � fermer les mains des Commis, & me saisir de toutes les marchandises tant traitt�es que � traitter, pour les interests que le Roy & mondit Seigneur pretendoient contre ladite Soci�t� ancienne, pour ne s'estre acquitt�e au peuplement comme elle estoit oblig�e, & que pour le sieur de Caen, bien qu'il fust de la religion contraire, on se promettoit tant de luy, qu'il donnoit esperance de se faire Catholique, & que pour ce qui estoit de l'exercice de sa religion que je luy die qu'il n'en devoit faire ny en terre ny en mer, remettant le reste � ce que j'en pouvois juger. Celle du sieur de Villemenon Intendant de l'admirault�, ne tendoit qu'� la mesme fin: la lettre dudit sieur de Caen se conformant aussi � la sienne, & qu'il venoit avec deux bons vaisseaux bien armez & munitionnez de toutes les choses necessaires, tant pour luy que pour nostre habitation, avec de bons arrests qu'il esperoit apporter en sa faveur. Davantage ayant fait assembler le sieur de May & Guers commissionnaire, & le p�re George514, auquel Monseigneur, & les sieurs Dolu, & Villemenon, luy avoient escrit des lettres � mesme fin que celles qu'ils m'escrivoient, m'enchargeant 12/996de ne rien faire sans luy communiquer, & resolu que rien ne se perderoit en quelque fa�on que ce fut, & qu'il ne falloit innover aucune chose attendant ledit sieur de Ca�n, qui estoit assez fort, ayant l'arrest en main � son advantage, pour se saisir des vaisseaux & marchandises, & ce pendant je conserverois toutes les pelleteries, jusqu'� ce que l'on vit dequoy les pouvoir prendre & saisir justement.

Note 514: (retour)

Le P. Georges le Baillif, �illustre par sa naissance, par son m�rite personnel, & par l'estime singuliere dont sa Majest� l'honoroit.� (Premier �tabliss. de la Foy, I, 162.)

De plus qu'il falloit considerer les inconveniens qui en pourroient arriver d'autre part, ne voyant aucun pouvoir du Roy, � quoy ledit commis 515vouloit ob�ir, & non aux advis que nous avions receus de France. Ledit commis fut adverty de ce, par les Matelots du sieur de May, qui faisoient courir un bruit que ledit sieur de Caen, se saisiroit de tout ce qui leur appartenoit, quand il seroit arriv�: ils donn�rent tellement en l'esprit du Commis & de tous, qu'ils deliberoient entr'eux de ne permettre de se saisir de leurs marchandises, jusques � ce que je leur fisse apparoir lettre ou commandement de sa Majest�, ce que je ne pouvois, & tous les hommes qui dependoient des associez & gagez, craignans de perdre leurs gages, comme on leur donnoit � entendre, pretendoient comme les plus forts de l'empescher s'ils eussent peu, quand j'eusse eu la volont� de saisir leurs marchandises. C'est pourquoy pendant qu'une societ�, en un pa�s comme cetuy-cy, tient la bource, elle paye, donne & assiste qui bon luy semble: ceux qui commandent pour sa Majest� sont fort peu ob�is n'ayant personne 13/997pour les assister, que sous le bon plaisir de la Compagnie, qui n'a rien tant � contre coeur: que les personnes qui sont mis par le Roy ou les Vice-rois, comme ne d�pendant point d'eux, ne desirant que l'on voye & juge de ce qu'ils font, ny de leurs actions & deportemens en telles affaires, veulent tout attirer � eux, ne s'en soucient ce qu'il arrive, pourveu qu'ils y trouvent leur compte. De forts & forteresses, ils n'en veulent que quand la necessit� le requiert, mais il n'est plus temps. Quand je leurs parlois de fortifier, c'estoit leur grief, j'avois beau leur remonstrer les inconvenients qui en pourroient arriver, ils estoient sourds: & tout cela n'estoit que la crainte en laquelle ils estoient, que s'il y avoit un fort ils seroient maistrisez, & qu'on leur feroit la loy. Ce pendant ces pens�es, ils mettoient tout le pays & nous en proye du Pirate ou ennemy, qui pensant faire du butin n'estant en estat de se deffendre ira tout ravager. J'en escrivois assez � messieurs du Conseil, il falloit y donner ordre, qui jamais n'arrivoit: & si sa Majest� eust seulement donn� le commerce libre aux associez avoir leur magazin avec leur commis. Pour le reste des hommes qui devoient estre en la plaine puissance du Lieutenant du Roy audit pays, pour les employer � ce qu'il jugeroit estre necessaire, tant pour le service de sa Majest�, qu'� se fortifier, & d�fricher la terre, pour ne venir aux famines qui pourroient arriver s'il arrivoit fortune aux vaisseaux. Si cela se pratiquoit, l'on verroit plus d'advencement & de progrez en dix ans, qu'en trente, en la fa�on que l'on fait: & permettre aussi qu'� ceux qui iroient 14/998pour habiter en desertant les terres, qu'ils pourroient traitter avec les Sauvages de peleteries, & des commoditez que le pays produit: en les livrant au commis � un pris raisonnable, pour donner courage � un chacun d'y habiter, & ne pouvant traitter que ce qui viendroit du pays, sur les peines port�es qu'il plairoit � sa Majest�, 11 n'y a point de doute que la Soci�t� en eut receu quatre fois plus de bien qu'elle ne pouvoit esperer par autre voye, d'autant qu'il est fort malais� � des peuples d'un pays de pouvoir empescher de s'accommoder de ce qui croist au lieu: Car dire qu'on ne les pourra contraindre � une certaine quantit� pour une necessit�: c'est la mer � boire, car ils feront tout le contraire, quand ils deveroient perdre tout ce qu'ils en auroient, plustost qu'on s'en saisit sans leur payer: l'exp�rience a fait assez cognoistre ces choses. Voila ce que j'avois � vous dire sur ce sujet.

Note 515: (retour)

Jean Caumont, dit le Mons. (Voir ci-dessus, p. 7.)

Pour revenir � la suitte du discours, ledit commis & tous les autres ensemble, commenc�rent � murmurer: disant, Qu'on leur vouloit faire perdre leurs salaires, & qu'il valloit autant qu'ils perdissent la vie que de les traitter de la fa�on: ce qui donna suject audit commis de m'en parler de rechef, & me faire ses plaintes, que si j'avois commandement du Roy, qu'il ne falloit que le monstrer pour le contenter, & maintenir chacun en paix. Je luy dis qu'on ne luy feroit point de tort, ny � ses marchandises, & qu'il pouvoit traitter avec autant d'asseurance comme il avoit fait par le pass�, il se contenta, & un chacun. Je fis une r�primande aux matelots du sieur de May, qui leur avoient donn� cette 15/999crainte, & sem� ce bruit, & de plus qu'ils s'asseurassent que je n'innoverois rien que ledit de Caen ne sut arriv� avec arrest de sa Majest�, qui donneroit ordre � toute chose, auquel il faudroit ob�ir.

D'avantage fut advis� si l'on permettoit516 la traitte au sieur de May, qui avoit apport� des marchandises pour eschanger � des castors avec les sauvages: il fut arrest� que pour lever tout ombrage l'on ne le permetteroit point, & aussi qu'ils n'avoient aucun pouvoir de ce faire, les deux societez estant en procez au Conseil de sa Majest�, quand ils partirent de France, & que l'ancienne pouvoit tousjours jouir des privileges que le Roy leur avoit accordez sous l'authorit� de monseigneur le Prince, attendant qu'il en fut autrement ordonn�: mais que si messieurs du Conseil donnoient un arrest si favorable qu'il confisquast au profit de la Nouvelle Soci�t�, que cela ne servoit de rien, puisque le tout luy demeureroit, comme il se promettoit, & que si autrement il avoit permission de traitter comme l'ancienne Soci�t�, que l'on verroit la facture des marchandises que l'on avoit envoy�es, & que suivant icelles l'on donneroit des castors du magazin pour la valleur des marchandises, suivant la traitte qui se faisoit alors, & par ainsi ladite barque ne perderoit rien de ce qu'elle pouvoit pr�tendre, pour ne traitter jusques � ce qu'on eust l'arrest du Conseil, que devoit apporter ledit sieur de Caen: Ainsi fut arrest� en la presence dudit sieur de May & Guers, faisant pour ladite nouvelle Soci�t�.

Note 516: (retour)

Permettroit.

Ce d�lib�r�, je fais partir le Capitaine du May, 16/1000le 25 de May, pour donner advis audit sieur de Caen de tout ce qui s'estoit passe, de l'Estat en quoy il nous avoit laisse, & m'envoyer des hommes de renfort.



Arriv�e du sieur du Pont � la Nouvelle France, & de Hallard avec l'equipage du sieur de Caen. L'Autheur fait advertir les sauvages de la venue dudit de Caen. Arrest du Conseil permettant le trafic aux deux Compagnies. De Caen saisit par force le vaisseau du sieur du Pont.

CHAPITRE III.

Le 3 de Juin arriva ledit de May dans une chalouppe luy onziesme, qui me donna advis de l'arriv�e du sieur du Pont, en un vaisseau de cent cinquante tonneaux nomm� la Salemande, avec soixante cinq hommes d'esquipage, accompagn�s de tous les commis de l'ancienne Soci�t�, & s�avoir en quoy je le voudrois employer. Voicy qui rejouit grandement les commis de l'ancienne Soci�t�, & un chacun des hommes qui dependoient d'eux: c'est un renfort qui leur vient, & si nous les eussions desobligez sans un pouvoir absolu du Roy, ou de monseigneur, par la saisie de leurs marchandises, ils pouvoient nous nuire grandement, car le petit vaisseau dudit du May, qui estoit � Tadoussac pouvoit estre pris, o� il n'y avoit que dix-huict hommes, & quelque douze que j'avois � Qu�bec avec moy, lesquels avoient fort peu de vivres qui fut l'occasion que j'en secourus ledit du May.

17/1001Ce qu'ayant entendu, je me d�lib�r� de mettre ledit du May en un petit fort, ja commenc�, contre le sentiment dudit commis, avec mon beau-fr�re Boull�, & huict hommes, & quatre de ceux commenc�. des p�res Recollets qu'ils me donn�rent: & quatre autres hommes de l'ancienne societ�, faisant porter quelques vivres, armes, poudre, plomb, & autres choses necessaires, au mieux qu'il me fut possible, pour la defence de la place: en ceste fa�on nous pouvions parler � cheval, faisant tousjours continuer le travail du fort pour le mieux mettre en defence.

Pour mon particulier je demeuray en l'habitation, avec trois hommes dudit du May, & quatre autres des p�res Recollets, & Guers commissionnaire, & le reste des hommes de l'habitation: le fort asseuroit tout, avec l'ordre que j'avois donn� audit Capitaine du May.

Le Lundy 7e jour du mois arriva la barque de nostre habitation, o� estoient les commis des anciens associez au nombre de trois, ce que voyant je fais prendre les armes, donnant � chacun son quartier, & semblablement au fort, & fis lever le pont-levis de l'habitation: le p�re George accompagn� de Guers furent sur le bort du rivage, attendant que lesdits commis vinssent � terre, & s�avoir avec quelle ordre ils venoient, quelle commission ils avoient, n'ignorant point ce qui ce passoit en France, sur les advis que nous avions receus. Ils dirent qu'ils n'avoient autre ordre que de leur compagnie, pour estre encore au droict du contract & articles que je leurs avois donnez, sous le bon plaisir de Monseigneur 18/1002le Prince, attendant un arrest de Nosseigneurs du Conseil, qu'ils esperoient avoir favorable contre la nouvelle societ�, qui les vouloit demettre de leur societ�, devant que leur temps fut fini. De plus qu'ils avoient protest� contre ceux de l'admiraut�, qui ne leurs avoient pas voulu donner de cong�, & que voyant les dangers evidents o� toutes les affaires devoient aller, tant pour les hommes qui estoient icy, comme pour recevoir leurs marchandises, que l'on ne pouvoit pr�tendre qu'injustement, qu'il s'estoit mis en tout devoir d'ob�ir au Roy.

Ils dirent tout ce qu'ils voulurent, avec plusieurs autres discours, monstrant avoir un grand desplaisir de se voir receus ainsi extraordinairement, ce qu'ils n'avoient accoustum�.

Ledit p�re ayant ouy une partie de leurs plaintes, il leur demanda s'ils nous apportoient des vivres pour nous maintenir, ils dirent que ouy, & qu'ils croyoient asseurement estre d'accord avec mondit seigneur, ou qu'ils auroient un arrest favorable: Tous ces discours passez ledit p�re leur dit, qu'il me venoit treuver pour me donner advis, & s�avoir ce que je voudrois faire, lequel m'ayant rapport� ce qu'ils disoient, nous advisasmes pour le mieux ce qu'il falloit faire.

Il fut conclud en suitte de la premi�re resolution, voyant que ledit sieur de Caen n'estoit encore venu, pour esviter aux dangers qui pouvoient arriver.

Il fut arrest� qu'on laisseroit entrer les commis au nombre de cinq, qu'on leur livreroit leurs marchandises, 19/1003pour traitter amont ledit fleuve sainct Laurent, & les assister de ce qu'ils auroient affaire, ce qu'ils accept�rent.

Ils entr�rent en l'habitation, o� particuli�rement je leur fis entendre la volont� de sa Majest�, & ce qu'ils avoient commis contre l'intention du Roy, qui me commandoit de maintenir le pays en paix, & sous son obeissance, comme faisoit aussi monseigneur, qui les avoit exclus de la societ� par une nouvelle: qu'ils ne d�notent pas venir sans un bon arrest en main de Nosseigneurs du Conseil, & attendant la venue des autres vaisseaux, qui apporteroient tout ordre, on leur livreroit en bref des marchandises pour traittes, ce qu'ils accept�rent, & leurs furent livr�es sans tirer � la rigueur: ils demand�rent des armes, ce que je ne leurs pus accorder, leur disant qu'ils ne devoient pas venir sans cela: ils charg�rent deux barques, & me demand�rent les castors qui estoient en l'habitation: je leur refusay, leurs disant, qu'ils ne pouvoient partir de l'habitation, que nous n'eussions des vivres pour maintenir parmy nous l'authorit� du Roy, en cas qu'il arrivast quelque accident audit sieur de Caen, & qu'ayant des peleteries nous aurions des vivres que nous apporteroient les vaisseaux qui estoient � Gaspay. Ils firent tout ce qu'ils peurent pour les avoir, mena�ant de faire des protestations, sur ce que je refusois leurs peleteries, & munitions: & de plus que j'eusse � faire sortir ledit Capitaine de May, & ses hommes, du fort & habitation, o� je l'avois mis sans commandement du Roy: Je leur dis que sadite 20/1004Majest� me commandoit de maintenir le pays, & conserver la place: que le mandement que j'avois de Monseigneur suffisoit, qui estoit celuy du Roy, & qu'� cela j'obeissois, recevant ledit Capitaine du May pour y avoir toute fiance. Cela seroit bon, dirent ils, s'il avoit apport� un arrest du Conseil, ce qu'il n'avoit fait, en attendant je me maintiendrais au mieux qu'il me seroit possible, & qu'ils fissent telles protestations qu'ils voudroient pour leurs descharges.

Quand il fut question de les faire, je les sceus bien rembarer sur leurs protestations, leur monstrant qu'ils ne s�avoient pas en quelle forme il la falloit faire, ce qui leur fit changer d'advis, craignant de s'engager mal � propos, en chose qui leur eust peu nuire: & ainsi ils s'embarqu�rent pour aller aux trois rivieres, & y traitter: qui fut le 9 de Juin.

Ce mesme jour, je fis esquipper la chalouppe dudit Capitaine du May, avec six hommes pour aller � Tadoussac advertir ledit sieur de Caen, qu'aussi tost qu'il seroit arriv� il ne manquast � nous envoyer des hommes pour nous r'enforcer: me persuadant qu'il auroit arrest en sa faveur, comme il m'avoit fait esperer par ses lettres.



21/1005

Arriv�e du sieur du Pont & du Canau d'Halard, & du sieur de Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du p�re George � Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de l'Autheur pour aller � Tadoussac. Diff�rents entr'eux. Magasin de Qu�bec achev� par l'Autheur. Armes pour le fort de Qu�bec.

CHAPITRE IV.

Le Dimanche 13 Avril517 arriva ledit du Pont, dans une moyenne barque, luy treiziesme avec marchandises de traitte, lequel fut receu comme les pr�c�dents, luy ayant fait entendre le commandement que j'avois tant du Roy que de mondit Seigneur, de conserver ceste place, & la maintenir en son obeissance, & tenir toutes choses en paix, faisant recognoistre son authorit�: & que attendant nouvelle desdits vaisseaux, qui devoient venir, pour voir & s�avoir particuli�rement ce qui se seroit pass� au Conseil de sa Majest�, sur les diff�rents qu'ils avoient eus avec mondit Seigneur qui les avoit exclus de la societ�, pour y adjoindre la Nouvelle societ�. Il me dit qu'il croyoit que tout seroit d'accord, estant sur lesdits termes quand il partit de Honnefleur. Je luy dis que je m'estonnois comme il avoit quitt� son vaisseau, puisque sa presence y eust est� bien requise � la venue dudit sieur de Caen: il respondit que pour y estre il n'auroit pas mieux fait, & que l'ordre qu'il avoit laiss� � un appell� la Vigne, dudit Honnefleur, qui commandoit en son absence, estoit tel que si l'on 22/1006apportoit un arrest du Conseil en bonne forme, qu'il eust � y subir sans aucune resistance, que s'ils estoient d'accord avec leur societ�, qu'il eust � l'assister de tout ce qui seroit en son possible & pouvoir, si autrement qu'il se conservast du mieux qu'il pourroit, suivant l'ordre qu'il luy avoit laiss�, & que l'on ne pouvoit rien pr�tendre, que l'on ne vit l'arrest de Messeigneurs du Conseil: ce qu'attendant je leurs rendisse la justice, laquelle m'avoit est� encharg�e: ce que je promis faire. Je luy fis aussi entendre comme j'avois retenu les peleteries qui estoient en ceste habitation, pour subvenir aux necessitez qui pourroient arriver; il me dit que c'estoit bien fait: le lendemain il s'en alla aux trois rivieres, pour traitter avec les sauvages.

Note 517: (retour)

Le 13 de juin �tait un dimanche.

Le 15 dudit mois518 arriva un Canau o� il y avoit un homme appel� Halard, de l'esquipage dudit sieur de Caen, qui m'apporta une lettre par laquelle il me donnoit advis de son arriv�e, & la contrari�t� du temps qu'il avoit eu au passage, ayant chose importante � me communiquer, de la part de Monseigneur le Viceroy, qui ne pouvoit estre si tost par del�: d'autant qu'il croit avoir affaire avec ledit sieur du Pont, & de plus me prioit d'envoyer une chalouppe advertir les sauvages de sa venue, & du nombre des marchandises qu'il leur apportoit, qu'il m'envoyeroit le sieur de la Ralde, pour communiquer quelques affaires en renvoyant ledit du May: que si je pouvois l'aller treuver que je le fisse, mais alors le temps, & les affaires, ne me le peurent permettre: Car ce n'estoit pas la saison 23/1007de laisser l'habitation ny le fort, veu tant de dangers arrivez � ceux qui ont fait semblables choses.

Note 518: (retour)

La suite donne � entendre que c'�tait le 15 juillet.

Le Vendredy 16519, n'ayant point de chalouppe, je d�lib�r� d'envoyer un Canau avec ledit Halard, & un gentilhomme appell� du Vernay520, de l'esquipage dudit du May, avec un autre de l'habitation, advertir les sauvages de la venue dudit sieur de Caen.

Note 519: (retour)

Le 16 juillet, qui �tait en effet un vendredi.

Note 520: (retour)

Ce gentilhomme avait d�j� voyag� au Br�sil. (Sagard, Hist. du Canada, p. 658.)

Le 17 de Juillet arriva une chaloupe, o� estoit Rommier521, l'un des Commis de la nouvelle societ�: qui l'an pr�c�dent avoit hyvern� en ceste habitation, avec ledit du Pont, lequel m'apporta plusieurs despesches, avec lettres des sieurs Dolu, de Villemenon, & dudit de Caen, lequel surprit quelque lettres, avec coppie de l'arrest en faveur des anciens Associez, que l'on envoyoit audit du Pont, par lesquelles nous vismes, que l'arrest avoit est� signifi� audit sieur de Caen, estant en son vaisseau, � la radde de Dieppe: lequel avoit protest� de nullit�, & fut ledit arrest publi� � son de trompe, dans ladite ville de Dieppe, & autres lieux o� besoin a est�.

Note 521: (retour)

Ou Roumier, il avait �t� sous-commis dans l'ancienne soci�t� (ci-dessus, p. 7).

Apr�s avoir veu & consider� toutes ces choses, avec l'advis de ceux que je trouvay � propos, & voyant que sur le proc�s advenu entre les deux societ�s, sa Majest� a ordonn� que lesdits articles seroient representez, pour apr�s iceux estant veus & examin�s, y estre pourveu, soit par la r�union des deux societ�s, ou par l'establissement d'une nouvelle, ce pendant permis aux associez des deux 24/1008compagnies, de trafiquer, & faire traitte, pour l'ann�e 1621 seulement, tant par les deux vaisseaux ja partis, que par deux autres � eux appartenans, charg�s & prest � partir, sans se donner aucun empeschement, ny user d'aucune violence, � peine de la vie: � la charge qu'ils seront tenus de contribuer pour la presente ann�e, esgalement & par moiti�, � l'entretenement des Capitaines, soldats, & des religieux establis & residens en l'habitation: & neantmoins deffences sont faictes ausdits Por�e522, & � tous autres, de sortir � l'advenir aucuns vaisseaux des ports & havres de ce Royaume, ny faire embarquement, sans prendre cong� dudit sieur Admiral, en la mani�re accoustum�e, � peine de confiscation des vaisseaux & marchandises, & autres plus grandes peines s'il y eschet. Signifi� le 26 dudit mois 523. Voila l'arrest du Conseil de sa Majest�. Lesdits articles dudit sieur Dolu, furent confirmez par le Conseil, le 12 de Janvier 1621 hormis quelques uns.

Note 522: (retour)

Les principaux associ�s de Thomas For�e, �taient Lucas Legendre, Louis Vermeulle, Mathieu Dusterlo, Daniel Boyer, et autres, tous membres de l'ancienne soci�t�. (Voir M. Ferland, I, p. 200, note 1.)

Note 523: (retour)

Probablement le 26 de novembre 1620, les lettres de la nouvelle soci�t� �tant du 8 novembre de cette m�me ann�e. (Voir M. Ferland, I, 200, note 1.)

Il fut resolu que ledit p�re George prendroit la peine d'aller � Tadoussac en diligence, & Guers avec luy, dans la mesme chaloupe, pour treuver ledit de Caen, & apporter le rem�de requis � toutes ces affaires, s�achant bien que ledit du Pont voudroit jouir du b�n�fice dudit arrest, o� il y alloit de la vie, � celuy des deux qui useroit de violence: & pour ce qui estoit de la faute qu'ils avoient 25/1009commise, de partir sans cong� de l'Admiraut�: ledit arrest monstroit qu'on en avoit fait mention, & instance au Conseil, o� estoit port�, que si � l'advenir ils partoient sans cong�, il y auroit confiscation du vaisseau, & marchandises, avec autres punitions, sans despens, & que chacun partiroit par moiti� aux frais de l'habitation, aux hyvernans, & que chacun jouiroit du b�n�fice de la traitte � son proffit.

Ledit P�re partit ce mesme jour 17 de Juillet, avec plain pouvoir de moy, d'accommoder toutes choses � l'amiable, avec le sieur de Caen, & par mesme moyen le satisfaire des plaintes qu'il faisoit, des P�res Paul524 & Guillaume, qui avoient est� saisis de quelques lettres, us� de paroles & de menaces � son desavantage, taschant le mettre mal avec son esquipage: qu'il les avoit traittez favorablement, selon le rapport qui en fut fait, & ne peut on si bien faire, qu'il ne tombast quelque lettre entre les mains dudit du Pont, & une autre que je receus de leur part, o� il me faisoit entendre ce qui s'estoit pass�, & que j'eusse � rendre la justice selon la volont� du Roy, & quelqu'autres discours de compliment: je donne les lettres au P�re, pour les faire voir au sieur de Caen.

Note 524: (retour)

Le P. Paul Huet, venu en Canada d�s 1617, �tait repass� en France avec Champlain en 1618. �On lui avait donn� ordre d'y solliciter les pouvoirs et les aum�nes n�cessaires pour commencer l'�tablissement d'un couvent r�gulier � Qu�bec, en titre de s�minaire, o� les enfants seraient entretenus et instruits.� (Prem. �tabliss. de la Foy, I, 150.) Il �tait de retour � Qu�bec, avec le P. Guillaume Poullain, depuis le mois de juin 1619. (Ibid. P. 154.).

Le 24 de Juillet, arriva ledit p�re George, lequel me dit que ledit sieur de Caen, se vouloit saisir du vaisseau dudit du Pont, en son arriv�e: & 26/1010estant sur le point de l'ex�cuter, comme le confirmoient les lettres dudit sieur de Caen, & qu'il ne passeroit plus outre, attendant ma venue, ce qui m'estonna grandement, considerant ledit arrest, qui defendoit sur peine de la vie, de ne s'inqui�ter: Je renvoyay la chaloupe avec ledit Guers, & lettres adressantes audit sieur de Caen, o� je luy fis entendre, que pour les incommoditez qu'il y avoit en la chaloupe, que je n'y pouvois aller, & que dans neuf jours au plus tost, je serois audit Tadoussac. Je despesch� promptement un canau, & mand� audit du Pont qu'il m'envoyast une de ses barques pour m'en aller � Tadoussac, ce qu'il fit, que dans six jours la barque fut � Qu�bec, & ledit du Pont dedans, pour s�avoir ce qu'il auroit � faire, avec ledit sieur de Caen, estant arriv� � Qu�bec: je m'embarquay � la solicitation dudit P�re, n'estant pas mon dessein de partir de l'habitation, & mander seulement ce qui me sembloit, de la volont� qu'il avoit de se saisir dudit vaisseau.

Mais les persuasions avec les raisons que me donnoit ledit P�re, m'y firent resoudre, ayant laiss� ledit, du May, en ma place pour commander, & encharg� � tous mes compagnons de luy obeir, comme � moy mesme, je m'embarquay 525 le dernier de Juillet; ce mesme jour nous fismes telle diligence, que le lendemain au soir arrivasmes � demie lieue de Tadoussac, pr�s la poincte aux allouettes, o� je fis mouiller l'ancre. Aussi-tost526 ledit sieur de 27/1011Caen me vient trouver, o� il me fit entendre ce qui estoit de son dessein: je luy dis que le service du Roy, & l'honneur de mondit Seigneur, m'avoit amen� en ce lieu pour luy donner les conseils que je croyois qui luy seroient necessaires, & raisonnables, s'il les vouloit suivre, qui estoient de ne rien alt�rer au service de sa Majest�, ny de ses arrests; & que l'authorit� de Monseigneur demeurast en son entier: il me dit, qu'il n'avoit autre intention.

Note 525: (retour)

Avec le P. George, comme on le voit plus loin.

Note 526: (retour)

Par cette expression �aussitost�, il semble qu'il faut entendre �d�s le lendemain matin.� Car, d'apr�s les dates qui pr�c�dent, Champlain serait arriv� � la pointe aux Alouettes le premier d'ao�t; et, quelques lignes plus bas, il dit: �le lendemain 3.d'Aoust.�

Le lendemain 3 d'Aoust nous entrasmes audict Port de Tadoussac, o� ledit sieur de Caen me receut avec toutes sortes de courtoisies, m'offrant son vaisseau pour m'y retirer, le remerciant de tout mon coeur & le priant me permettre de demeurer en ma barque, pour ne me monstrer passionn� � un party, ny � l'autre, puisqu'il estoit question de rendre justice, & voyant qu'il estoit � propos de ne m'en aller que tout ne fut en paix. Il fut question de traitter d'affaire, ledit de Caen fit quelque proposition sur le fait de la peleterie; que l'on ne treuva � propos, & luy en donna-on les raisons: il s'opiniastre & dit avoir des commandements particuliers, je le somme de les monstrer pour y ob�ir, il m'en fait refus, je luy offre de mettre papiers sur table, & qu'il en fit de mesme, ce qu'il ne voulut, & dit qu'il desiroit avoir le vaisseau dudit du Pont, pour aller � la guerre, contre les ennemis qui estoient en la riviere: je luy remonstre, qu'il regarde de ne contrevenir � l'arrest, je luy dis les raisons qui l'obligoient de s'en distraire: & pour ce qui estoit de chasser les ennemis, il avoit trois vaiseaux, deux entr'autres capables de courir toutes les costes, avec 28/1012cent cinquante hommes, & qu'il avoit plus de force qu'il n'en failloit: il persiste de vouloir avoir ledit vaisseau, je le somme de donner ses advis, il le fait; apr�s avoir fait quelque refus, je luy respons par articles: je luy envoye la response avec les articles, qu'il ne trouve � sa fantaisie.

Il avoit fait faire une protestation audit du Pont, contenant un grand discours, des interests qu'il avoit sur ledit du Pont, & veut avoir son vaisseau: ledit du Pont me presente requeste sur ce que veut faire ledit de Caen contre les arrests du Roy, & prevoyant la ruine manifeste qui pouvoit arriver, de voir un arrest enfraint, bien que ledit sieur de Caen dit, qu'il n'y veut rien attenter au contraire: Le pere527 & ledit sieur de Caen, eurent plusieurs paroles, qui apportoient plustost de l'alt�ration, que la paix, voyant ne pouvoir rien gaigner sur luy, je fais des ouvertures, comme il peut servir le Roy, je m'offre d'aller dans le vaisseau dudit du Pont, courir sur les ennemis, le suivre par tout, non seulement dans des vaisseaux, mais dans des barques, chalouppes, ou canaus, par terre s'il en est besoin. Je luy dis qu'il ne peut refuser l'offre que je luy fais, me donnant de ses hommes, estant en lieu qui despende de ma charge, & luy remonstre qu'en ce faisant, ce sera servir le Roy, & mondit Seigneur, & qu'ainsi il n'usera de violence, & ne contreviendra aux arrests de sa Majest�, & mondit Seigneur y sera servy, & que s'il a des pr�tentions, il les vuidera en France.

Note 527: (retour)

Le P. George.

Il n'en veut rien faire, il s'attache � sa charge, & 29/1013aux particuliers commandemens qu'il avoit du Roy, & de mondit Seigneur. Je le prie & conjure derechef, me les monstrer pour y satisfaire: il s'opiniastre plus que jamais; le voyant ainsi resolu, je prens le vaisseau dudit sieur du Pont en ma sauvegarde, & voulant le conserver pour l'authorit� du Roy, & l'honneur de mondit Seigneur, devant tout son esquipage, & apr�s qu'il en useroit comme bon luy sembleroit la forme de justice, qu'il falloit que je fisse ainsi.

Ledit sieur de Caen, proteste devant tout son esquipage, de s'aller saisir dudit vaisseau, & qu'il chastiera ceux qui voudront resister, disant qu'il ne recognoissoit de justice en ce lieu.

J'envoye prendre possession dudit vaisseau, & ledit sieur de Caen y envoya un homme, pour faire inventaire de ce qu'il y avoit, & ainsi s'en saisit, comme ayant la force en main: voila comme se passa cette affaire. Or premier que ledit sieur de Caen entrait au vaisseau, dudit du Pont, je leve l'ancr� le 12 d'Aoust, & m'en allay passer le Saguenay, pour ne me trouver � la prise que feroit ledit de Caen, lequel le lendemain me vient trouver avec sa chalouppe, pour traicter de l'ordre que nous devions tenir, pour la conservation de ladite habitation: je le priay de me donner quelques Charpentiers pour achever le magazin encommenc�, & qu'il n'y avoit aucun lieu o� l'on peust mettre aucune chose � couvert; il me dit qu'il avoit affaire de ses hommes, pour accommoder son vaisseau, qu'il vouloit partir promptement, pour 30/1014aller � Gaspey, & autres lieux, courir sur l'ennemy, si lieu avoit, avec sa barque, & qu'il me l'envoyeroit avec le reste des hommes, qui devoient hiverner � l'habitation.

Il me demande le payement des vivres qu'il avoit vendus audit du Pont, pour ceux qui devoient hyverner de leur part � l'habitation, pour le prix de mille Castors, & sept cens pour les marchandises, qui avoient est� estim�es en sa barque, suivant la traicte qui se faisoit avecques les Sauvages, d'autant que nous avions interdit ladite traicte, pour les raisons que j'ay dit cy dessus. Aussi tost que ledit sieur de Caen se fut saisi du vaisseau dudit du Pont, il luy remit entre les mains, disant qu'il n'estoit point arm� comme il falloit. Ledit p�re fut � Tadoussac, le 14 dudit mois, luy faire delivrer les Castors, & ainsi nous nous separasmes.

Le lendemain, ledit sieur de Caen envoya faire une protestation par H�bert 528: s'il eust voulu suivre le conseil que je luy voulus donner, il eust fait ses affaires, sans rien alt�rer, & avec suject de pretendre de grands interests pour le Roy, & Monseigneur, dautant que ledit du Pont n'avoit apport� aucuns vivres pour les hyvernans, & qu'� faute de ce, l'habitation pouvoit estre abandonn�e, & le service du Roy, alt�r�.

Note 528: (retour)

Louis H�bert, apothicaire, qui �tait dans le pays depuis quatre ans.

C'estoit � moy (� faute que ledit du Pont ne m'eust fourny les commoditez) de les demander audit de Caen, pour conserver la place; & en me les delivrant, avecques hommes pour hyverner, j'estois tenu, par la voye de justice, de renvoyer 31/1015tous ceux de l'ancienne societ�, prendre ceux dudit de Caen, & retenir toutes les marchandises, traict�es ou � traicter, sans les delivrer qu'� son retour, qu'indubitablement ils luy eussent est� adjug�es par voye de justice: Mais au contraire, les vivres que n'avoit ledit du Pont, pour fournir 25 hommes en leur part, ledit sieur de Caen luy vendit les tiens, ce qu'il ne devoit faire, & fut ce qui m'estonnoit, ne pouvant gouster ceste proposition, croyant selon mon opinion, que mille Castors, qu'il tiroit contant, luy estoient plus aseurez en les apportant, que ce qu'il eust peu esperer par justice, de ceux qui estoient entre mes mains, qui n�antmoins estoit chose bien asseur�e

Ce pendant que l'on s'amusoit � toutes ces contestations, il y avoit un petit vaisseau Rochelois, qui traittoit avec les sauvages, � quelque cinq lieues de Tadoussac, dans une Isle appell�e l'Isle verte 529, o� ledit sieur de Caen envoya apr�s nostre d�partement: mais c'estoit trop tard, les oyseaux s'en estoient allez un jour ou deux auparavant, & n'y treuvast on que le nid, qui estoit quelque retranchement de pallissade qu'ils avoient fait, pour se garder de surprise, pendant qu'ils traittoient, l'on mit bas les pallissades y mettant le feu.

Note 529: (retour)

C'est, sans doute, parce que les Rochelois venaient faire la traite � cette �le, malgr� les privil�ges des compagnies, qu'elle �tait appel�e �le de la Guerre, d�s le temps de Jean Alphonse.

Le Capitaine le Grand qui y avoit est�, s'en reuint, comme il estoit party. Nous fismes voilles de la pointe aux allouettes le 15 d'Aoust, & arrivasmes � Qu�bec le 17 o� estant je donn� ordre � faire parachever le magazin, & ledit sieur de Caen 32/1016envoya les armes, que le Roy nous donnoit pour la defence du fort.

S'ensuit les armes qui me furent livr�es, par les commis tant du sieur de Caen & Guers, commis de Monseigneur de Montmorency, que par Jean Baptiste Varin, & Halard, le Mercredy 18 d'Aoust 1621.

12 Hallebardes, le manche de bois blanc, peintes de noir. 12 Harquebuses � rouet, de cinq � fix pieds de long. 2 autres � mesche de mesme longueur. 523 livres de bonne mesche. 187 autre de pourrie. 50 Piques communes. 2 Petarts de fonte verte, pesant 44 livres chacun. Une tante de guerre en forme de pavillon. 2 Armets de Gens-d'armes, & une senderiere. 64 Armes de Piquers sans brasards. 2 Barils de plomb en balles � Mousquets pesant 439 livres.

Lesdites armes & munitions cy-dessus ont est� cont�es & receues � Qu�bec, par monsieur de Champlain Lieutenant g�n�ral de Monseigneur le Viceroy en la Nouvelle France, present le sieur Jean Baptiste Varin, envoy� expr�s en ce lieu par monsieur de Caen, & de moy commissionnaire de mondit seigneur. Fait audit Qu�bec, le susdit jour que dessus. Sign� Guers commissionnaire, & au dessous Jean Baptiste Varin.

j'ay soussign� Jaques Hallard, confesse avoir mis entre les mains de monsieur de Champlain Lieutenant de Monseigneur de Montmorency, Viceroy de ces terres, trois cens dix livres de Poudre � canon, en deux Barils, & 2479 livres de plomb, en 33/1017balles � mousquet, en six barils, ne s�achant dire si cesdites munitions sont du Roy ou de monsieur de Caen. A Qu�bec ce jourd'huy dernier jour d'Aoust 1621. Sign� Isaac530 Halard.

Note 530: (retour)

Jacques. Ce Jacques Halard, ou Allard, para�t �tre celui qu'on retrouve plus tard �tabli dans le pays.

Je demanday ausdits commis si ledit sieur de Caen ne m'envoyoit point de mousquets, & d'avantage de poudre, & meilleure que celle � canon, pour les mousquets: ils me dirent qu'ils n'avoient receu que les armes qu'ils m'avoient donn�es. Je ne me pouvois imaginer que sadite Majest� n'eust ordonn� des armes � feu avec de la poudre, qui sont les choses principales & necessaires, pour la defence d'une place, & se maintenir contre les ennemis: & ainsi fallut s'en passer, � mon grand regret.

Je ne me pouvois imaginer que sa Majest� nous eust envoy� si peu de munitions de guerre, veu les lettres qu'elle m'avoit fait l'honneur de m'escrire, accompagn�es de celle de Monsieur de Puisieux, comme j'ay dit cy-devant.

Quelques jours apr�s, ledit sieur de Caen envoya des vivres, pour la nourriture des hommes qui devoient hyverner au nombre de 25, comme j'avois demand� � chacun des deux societ�s, qui m'avoient est� promis pour la conservation de la place, il n'en vint que 18 de sa part, & trente que laissa l'ancienne societ�.

Ledit sieur de Caen ayant mis ordre � ses affaires, partit de Tadoussac le 29e jour d'Aoust.

Et le mardy 7 de Septembre partit aussi ledit 34/1018sieur du Pont, & le p�re George531, de Qu�bec, qui me promit communiquer audit sieur Dolu, tout ce qui s'estoit pass� & fait: ne doutant point, que ce faisant tout iroit � l'amiable, & auroit est� en paix, & que tant de discours inutils qui s'estoient faits & passez par del�, se fussent appaisez; esperant avoir plus de repos � l'advenir: & oster le plus que l'on pourroit les chicaneries. Deux mesnages retournerent. Car depuis deux ans, ils n'avoient pas desert� 35/1019une verg�e de terre, ne faisant que se donner du bon temps, � chasser, pescher, dormir, & s'enyvrer avec ceux qui leurs en donnoient le moyen: je fis visiter ce qu'ils avoient fait, o� il ne se trouva rien de desert�, sinon quelques arbres couppez, demeurans avec le tronc & leurs racines: c'est pourquoy je les renvoyay comme gens de n�ant, qui despensoient plus qu'ils ne valloient: c'estoient des familles envoy�es, � ce que l'on m'avoit dit, de la part dudit Boyer en ces lieux, au lieu d'y envoyer des gens laborieux & de travail, non des bouchers & faiseurs d'aiguilles, comme estoient ces hommes qui s'en retourn�rent, il me sembla bon, pour esviter aux chicaneries, de faire quelques ordonnances, pour tenir chacun en son devoir. Lesquelles je fis publier le 12 de Septembre532.

Note 531: (retour)

Le P. George �tait porteur de la requ�te suivante:

SCACHENT TOUS QU'IL APPARTIENDRA. Que l'an de gr�ce 1621, le 18e jour d'Aoust, du R�gne de tr�s-haut, tres-puissant & tres-Chrestien Monarque Louys 13e du nom, Roy de France, de Navarre & de la nouvelle France ditte Occidentale, du Gouvernement de haut & puissant Seigneur Messire Henry Duc de Montmorency & de Dampville, Pair & Admiral de France, Gouverneur & Lieutenant g�n�ral pour le Roy en Languedoc, & Viceroy des pays & terres de la nouvelle France ditte Occidentale, de la Lieutenance de noble homme Samuel de Champlain, Capitaine ordinaire pour le Roy en la Marine, Lieutenant g�n�ral esdits pays & terres dudit seigneur Viceroy, que par permission dudit sieur Lieutenant se seroit faicte une assembl�e g�n�rale de tous les Fran�ois habitans de ce pa�s de la nouvelle France, afin d'aviser des moiens les plus propres sur la ruyne & desolation de tout ce pa�s, & pour chercher les moiens de conserver la Religion Catholique, Apostolique & Romaine en son entier, l'authorit� du Roy inviolable & l'obeissance deue audit Seigneur Viceroy, apr�s que par ledit sieur Lieutenant, Religieux & habitans, presence du sieur Baptiste Guers Commissaire dudit seigneur Viceroy, a est� conclud & promis de ne vivre que pour la conservation de ladicte Religion, obeissance inviolable au Roy & conservation de l'autorit� dudit Seigneur Viceroy, voyant cependant la prochaine ruine de tout le pays, a est� d'une pareille voix d�lib�r�, que l'on feroit choix d'une personne de l'assembl�e pour estre d�put� de la part de tout le g�n�ral du pays, afin d'aller aux pieds du Roy, faire les tr�s humbles submissions ausquelles la nature christianisme & obligation, rendent tous sujects redevables, & presenter avec toute humilit� le Cahier du pays, auquel seront contenus les desordres arrivez en ce pays, & notamment ceste ann�e mil six cens vingt-un. Et aussi qu'iceluy d�put� aille trouver nostre-dit seigneur Viceroy, pour luy communiquer semblablement des mesmes desordres, & le supplier se joindre � leur complainte, pour la demande de l'ordre necessaire � tant de mal-heurs, qui menacent ces terres d'une perte future, & finallement pour qu'iceluy d�put� puisse agir, requ�rir, convenir, traicter & accorder pour le G�n�ral dudit pays, en tout & par tout ce qui sera l'advantage dudit pays. Et pour ce tous d'un pareil consentement & de la mesme voix cognoissant la saincte ardeur � la Religion Chrestienne, le z�le inviolable au service du Roy, & de l'affection passionn�e � la conservation de l'autorit� dudit seigneur Viceroy, qu'� tousjours constamment & fidellement tesmoign� le Reverend P�re Georges le Baillif Religieux de l'ordre des Recollects, joint sa grande probit�, doctrine & prudence. Nous l'avons commis, d�put�, & d�l�gu�, avec plain pouvoir & charge de faire, agir, representer, requ�rir, convenir, escrire & accorder, pour & au nom de tous les habitans de ceste terre, suppliant avec toute humilit� sa Majest�, son conseil & nostre-dit seigneur Viceroy, d'agr�er ceste nostre d�l�gation, conserver & prot�ger ledit R. P�re en ce qu'il ne soit troubl� ny molest� de quelque personne que ce soit, ny sous quelque pretexte que ce puisse estre, � ce que paisiblement il puisse faire, agir & poursuivre les affaires du pais, auquel nous donnons de rechef pouvoir de r�duire tous les advis � luy donnez par les particuliers en un cahier g�n�ral, & � iceluy apposer sa signature avec ample d�claration que nous faisons, d'avoir pour aggreable & tenir pour vallable tout ce qui sera par iceluy Reverend P�re faist, sign�, requis, negoti� & accord� pour ce qui concernera ledit pays, & de plus luy donnons pouvoir de nommer & instituer un ou deux Advocats au Conseil de sa Majest�, Cours souveraines & jurisdictions, pour & en son nom & au nostre, escrire, consulter, signer, plaider & requ�rir de sa Majest� & de son Conseil, tout ce qui concernera les affaires de ceste nouvelle France. Si requ�rons humblement. tous les Princes, Potentats, Seigneurs, Gouverneurs, Pr�lats, Justiciers & tous qu'il appartiendra, de donner assistance & faveur audit Reverend P�re, & emp�cher qu'iceluy allant, venant, ou sejournant en France, ne soit inqui�t� ou molest� en ceste d�l�gation avec particuli�re obligation de recognoissance, autant qu'il sera � nous possibles. Donn� � Kebec en la nouvelle France sous la signature des principaux habitans, faisans pour le g�n�ral, lesquels pour autentiquer d'avantage ceste d�l�gation, ont pri� le tres-Reverend P�re en Dieu Denis Jamet, Commissaire des Religieux, qui sont en ces terres d'apposer son sceau Ecclesiastique ce jour & an que dessus, sign� Champlain, Fr�re Denis Lamet Commissaire, Fr�re Joseph le Caron, H�bert Procureur du Roy, Gilbert Courseron Lieutenant du Prevost, Boull�, Pierre Reye, le Tardif, I. Le Groux, P. Desportes, Nicolas Greffier de la jurisdiction de Kebec & Greffier de l'assembl�e, Guers Commissionn� de Monseigneur le Viceroy & present en ceste eslection, & seell�e en placard du seel dudit Reverend P�re Commissaire.

(Sagard, Hist. du Canada, p. 73 et suiv.)

Note 532: (retour)

Le 12 de septembre �tait un dimanche.—�L'on ne trouve plus de copie, dit M. Ferland, des r�glements faits par Champlain. Il serait fort int�ressant de conna�tre cette premi�re �bauche d'un code canadien.� (Cours d'Hist. du Canada, I, note 1 de la p. 202.)



36/1020

L'Autheur faict travailler au fort de Quebec. Voye asseur�e qu'il pr�pare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est exp�dient d'attirer quelques sauvages. Arriv�e du sieur Santin commis du sieur Dolu. R�union des deux soci�t�s.

CHAPITRE V.

Ce n'est pas peu que de vivre en repos, & s'asseurer d'un pa�s, en si fortifiant & y mettant quelques soldats pour la garde d'iceluy, qui apporteroit plus de gloire mille fois que n'en vaudroit la despence, & le Viceroy en recevroit du contentement, pour estre hors de danger de l'ennemy.

Les sauvages nous assisterent de quelque Eslan, qui nous fit grand bien, car nous avions est� assez mal accommodez de toute chose, hormis de pain, & d'huille; les petites divisions qu'il y avoit eues entre les deux societ�s l'ann�e d'auparavant, avoit caus� ce mal: & estans bien reunies, il n'en pouvoit que bien arriver, tant pour le peuplement, que descouvertures, que augmentation du trafficq, ausquelles choses chacun y doit contribuer du sien en temps qu'il pourra.

L'une des choses que je tiens en ceste affaire, & pour l'augmentation d'icelle, est les descouvertures, & comme elles ne se peuvent faire qu'avec de grandes peines & fatiques, parmy plusieurs r�gions & contr�es, qui sont dans le milieu des terres, & sur les confins d'icelle � l'occident de nostre habitation, parmy plusieurs nations, aux humeurs & forme 37/1021de vivre, desquels il faut que les entrepreneurs se conforment. Il y a bien � considerer d'entreprendre meurement, & hardiment cest affaire, avec un courage masle: mais aussi est il bien raisonnable, que le labeur de telles personnes soyent recogneus par quelques honneurs & bien-faits, comme font les estrangers en telles affaires, pour leurs donner plus d'affection & de courage d'entreprendre: & si on ne le fait, mal-ais�ment se peut il faire chose qui vaille.

Pour la societ�, ce seroit elle qui deveoit autant y apporter du leur que personnes, car un grand bien leur en reviendroit, encores que ceux de l'ancienne societe jusques � present, n'ayent jamais gratifi� les entrepreneurs d'aucune chose: au contraire ont ost� le moyen de bien faire, en temps qu'ils ont peu. Et pour ouvrir le chemin � cest affaire, j'avois pense pr�parer quelque voye, qui fut seure & advantageuse pour les entrepreneurs, afin qu'avec plus de courage & asseurance, ils entreprinssent ce dessein.

Qui estoit d'attirer quelques nombres de sauvages pr�s de nous, & y avoir une telle confiance, que nous ne puissions estre desceus ny trompez d'eux, & pour cet effect, j'avois pratiqu� l'amiti� d'un sauvage appelle Miristou, qui avoit tout plein d'inclination particuli�re � aymer les Fran�ois, & recognoissant qu'il estoit desireux de commander, & estre chef d'une trouppe, comme estoit son feu p�re, il m'en parla plusieurs fois, avec tout plein de protestations d'amiti� qu'il me dit nous porter, bien que se jugeasse que ce n'estoit en partie que 38/1022pour parvenir � son dessein, mais il faut tenter la fortune, & me dit que si je pouvois faire en sorte qu'il peust obtenir ceste grade de Capitaine, qu'il feroit merveille pour nous: Je l'entretins une bonne espace de temps, depuis l'Automne jusques au Printemps, o� conf�rant avec luy, je luy dis, Si tu es esleu par les Fran�ois, j'y feray consentir tes compagnons, & te tiendront pour leur chef, mais aussi qu'au pr�alable, il devoit nous tesmoigner une parfaite amiti�, ce qu'il promit faire.

Le 8. de Juin533 arriva le sieur Santein, l'un des commis de la nouvelle societ�, qui me donna advis de la reunion des deux societ�s, que l'ancienne ayma mieux entrer en la aociet� nouvelle, que donner dix mille livres � la nouvelle, ayant cinq douziesme, & la nouvelle pour les sept durant quinze ann�es, & ainsi que le conseil par arrest l'avoit ordonn�.

Note 533: (retour)

1622.

La premi�re chose que je dis � ce sauvage, estoit qu'avec ses compagnons ils cultiveroient les terres proches de Qu�bec, faisant une demeure arrest�e, luy et ses compagnons, qui estoient au nombre de trente, qu'ayant mis les terres en labeur, ils recueilleroient du bled d'Inde pour leurs necessitez, sans endurer quelques fois la faim qu'ils ont, & par ainsi nous les tiendrions comme fr�res. De plus nous monstrions un chemin � l'advenir aux autres sauvages, que quand ils voudroient eslire un chef, que ce seroit avec le consentement des Fran�ois, qui feroit commencer � prendre quelque domination sur eux, & pour les mieux instruire en nostre cr�ance.

39/1023Il me promit de faire ainsi, & de fait il fit si bien avec ses compagnons (desquels il avoit gaign� l'affection) que pour monstrer un tesmoignage de sa bonne volont�, premier que d'estre receu Capitaine. Ils commenc�rent � deserter tous ensemble au Printemps, � demie lieue de nostre habitation, & s'ils eussent eu de bon bled dinde ceste ann�e l�, ils l'eussent ensemenc�, ce qu'ils ne peurent faire qu'en une partie, laquelle contient pr�s de sept arpents de terre 534, assez pour une premiere fois. Quelques jours apr�s descendirent des sauvages des trois rivieres, o� ils se trouverent trois � quatre competiteurs, qui pretendoient la mesme charge, & y eut beaucoup de discours & conseils entr'eux, sur ce fait Miristou me vint treuver, luy sixiesme des plus anciens, me faisant entendre tout ce qui s'estoit pass�, je l'asseuray qu'il ne se mit en peine, que je le ferois eslire chef, & que nous n'en cognoistrions point d'autre que luy en sa troupe, & le ferois entendre � ses compagnons, & � ceux qui luy disputoient ceste charge: le contentement qu'il eut, fit qu'il me presenta quelques quarante castors, & luy en fis donner une partie, pour avoir des vivres pour le festin de ses compagnons.

Note 534: (retour)

C'est probablement ce que l'on a appel� plus tard le d�sert des Sauvages, qui �tait situ� � la Canardi�re, au pied du second coteau parall�le au fleuve. (Voir Concession de Michel Hup�, 1652, greffe d'Audouard.)

Il s'en alla fort satisfait & content, je parlay � tous ses compagnons & competiteurs, leurs faisant entendre le suject qui m'esmouvoit � desirer qu'il fut chef, ils m'entendirent patiemment, & tous tesmoignerent qu'ils en estoient contens puisque je le desirois.

40/1024Ils s'en retournerent avec volont� de l'eslire pour chef, & faire les c�r�monies accoustum�es. Cela fait il me vint treuver, accompagn� de tous les principaux Sauvages, avec un present de 65 Castors, disant, J'ay est� esleu pour chef, comme tels & tels que tu as cognus, l'un estoit mon p�re qui avoit succed� � un autre de qui il portoit le nom de Annadabijou535 il entretenoit le pa�s parmy les nations, & les Fran�ois, j'en desire faire de mesme, & me tenir tellement li� avec vous que ce ne sera qu'une mesme volont�, & les presens qu'il m'avoit donnez n'estoient � autre intention, que pour tousjours estre en mon amiti�, & me devoit appeller son fr�re, pour plus de tesmoignage d'affection, chose qui avoit est� resolue de l'advis de ses compagnons.

Note 535: (retour)

Annadabijou.

Je le confirm� en tout & par tout, l'asseurant que tant qu'ils seroient bons nous les aymerions comme nos fr�res, & que je les assisterois contre ceux qui voudroient leur faire du desplaisir: ils monstroient signe d'une grande resjouissance, & souvent se levoient en me venant mettre leurs mains dans les miennes, avec inclination, pour monstrer le contentement qu'ils avoient.

Et me dit qu'il avoit chang� son nom qui estoit Mahigan aticq, qui veut dire loup & cerf, aticq veut dire cerf, & Mahigan loup, je luy demand� pourquoy ils luy donnoient ces deux noms si contraires, il me dit qu'en leur pa�s il n'y avoit beste si cruelle qu'un loup, & un animal plus doux qu'un cerf, & qu'ainsi il seroit bon, doux, & paisible, mais s'il 41/1025estoit outrag� & offenc� il seroit furieux & vaillant.

Je fus assez satisfait de ceste response pour un sauvage: voyant leur bonne volont�, je me deliber� luy faire un festin, & � tous ses compagnons tant hommes que femmes & enfans, afin que devant tous il fut receu capitaine: pour plus de marque je fis le festin de la valleur de 40 castors, o� ils se remplirent bien leur ventre, sans quelque petit trouble qui survint, il y eut eu plus de plaisir, mais le p�re & le meurtrier son fils se trouverent � ce festin, ausquels j'avois d�fendu d'y assister, & mesme de venir � nostre habitation, mais l'effronterie & l'audace de ces coquins fut grande & extr�me, ce que s�achant, je parl� au chef pour voir comme il s'acquiteroit en sa nouvelle charge, luy disant, qu'il s�avoit bien pourquoy nous ne le d�sirions voir, & qu'il eut � le renvoyer, ce que fit aussi tost ledit Mahigan aticq, le meurtrier fait semblant de s'en aller, & le chef me le vint dire, je luy tesmoignay que je n'estois bien content, & ne me trouvay point au festin, o� tous nos sauvages ne laissoient perdre un moment de temps � festiner, pendant que Mahigan aticq m'entretenoit un peu. Apr�s un de nos gens me vint dire que le meurtrier ne s'estoit point retir�, je fais semblant d'estre plus en collere que je n'estois, en me levant je fis prendre une arme pour aller treuver ledit meurtrier, ce que voyant Mahigan aticq, il me dit, je te prie de sursoir & ne l'aller chercher, & que c'estoit un fol, ce qu'il fit, & luy dit rudement & en collere, qu'il se retiraft, ce que firent le p�re & le fils, qui fut le subjet que la c�r�monie ne se passa pas 42/1026comme je me l'estois promis. Pour lors tous nos sauvages s'en retourn�rent fort saouls & remplis de viandes ayant fait faire la cuisine en une chaudi�re � brasser de la bi�re, qui tenoit pr�s d'un tonneau.

Le lendemain nos sauvages me vindrent trouver, avec tous les principaux, faisant apporter cent castors, en me disant que je n'eusse aucun desplaisir de ce qui s'estoit pass�, & que cela n'arriveroit plus: entr'autre estoit un sauvage, qui avoit pr�tendu d'estre chef, fils d'un premier Annadabigeou, qui avoit est� capitaine de ces lieux la, me representant les grands biens qu'avoit son feu p�re, & qu'il estoit descendu de l'un des plus grands chefs qui fut en ces contr�es, & autres discours sur ce suject & que quoy qu'il n'eust est� esleu chef avec la forme accoustum�e, que neantmoins il estoit capitaine, ayant tousjours port� une affection particuliere aux Fran�ois, qu'il venoit pour se faire recognoistre non comme principal chef, mais comme le second apr�s Mahigan aticq.

Mahigan aticq reprenant la parole, dit qu'il l'advouoit pour tel, & comme sa seconde personne: & qu'� son defaut il commanderoit, & que nous devions avoir la mesme confiance qu'en luy, & que se joignant ensemble ils tiendroient tout le monde en paix, que quand lesdits capitaines Fran�ois seroient arrivez � Tadoussac, s�avoir les sieurs de Caen & du Pont, estans en ce lieu ils les aseureroient derechef de leur bonne affection & fid�lit�, sieurs de donnant lesdits cent castors � nous trois: pour estre bien r�unis ensemble, � les maintenir de nostre part. Je leurs fis responce que si par le pass�, ils 43/1027avoient veu quelque chose entre les Fran�ois, ce n'estoit pas jusques l� pour en venir � une guerre comme ils croyoient, estant tous bons amis, & que maintenant ils ne verroient plus de dispute entr'eux comme ils avoient veu par le pass�, entre lesdits de Caen & du Pont, de plus qu'ils seroient fort satisfaits de l'eslection qui avoit est� faite.

Tous ces discours finis, je m'imaginay que puisqu'ils ne vouloient estre esleuz, que par contentement des Fran�ois, & pour leur donner quelque sorte d'envie & d'honneur extraordinaire, tant pour eux que pour leurs descendans � l'advenir: qu'il estoit � propos de les recevoir capitaines avec quelques formalitez que je leurs fis entendre, que quand on recevoit un chef, que l'on obligeoit tels capitaines, � porter les armes contre ceux qui nous voudroient offencer, ce qu'il promit faire, je luy donnay deux esp�es, qu'il eut pour agr�ables, & de ceste bonne r�ception & present, il fallut aller monstrer ces presens � tous ses compagnons, & leur faire entendre tout ce qui s'estoit pass�, & leur fis donner de quoy faire festin, ce que je fis � la valeur de quelque nombre de castors: & apr�s s'en all�rent. Ainsi je cherchois quelque moyen de les attirer � une parfaite amiti�, qui pourroit un jour leur faire cognoistre en partie l'erreur o� ils sont jusques � present, ou � leurs enfans qui seroient proche de nous: incitant les p�res � nous envoyer leurs enfans, pour les instruire � nostre Foy, & par ainsi estans habitez, si la volont� leur continuoit, l'on pourroit estre asseurez, que si on les menoit en quelque lieu aux descouvertures, qu'ils ne nous 44/1028fausseront point compagnie, ayant de si bons ostages pr�s de nous, comme, leurs femmes & enfans: car sans les sauvages, il nous seroit impossible de pouvoir descouvrir beaucoup de chose dans un grand pays, & se servir d'autres nations, car il n'y auroit pas grande seuret�, & ne leurs faudroit que prendre une quinte pour vous laisser au milieu de la course.



L'Autheur s'est acquis une parfaite cognoissance aux decouvertes. Advis qu'il a souvent donnez � Messieurs du Conseil. Des commodit�s qui reviendroient de ces decouvertures. Paix que ces sauvages traittent avec les Yroquois. Forme de faire la paix entr'eux.

CHAPITRE VI.

La cognoissance que de long temps j'ay eue, en la recherche & descouverture de ces terres, m'a tousjours augment� le courage de rechercher les moyens qui m'ont est� possible, pour parvenir � mon dessein, de cognoistre parfaictement les choses que plusieurs ont dout�. Ce que je tiens pour certain selon les relations des peuples, & ce que j'ay peu conjecturer de l'assiete du pays, qui sans doute me donne une grande esperance, que l'on peut faire une chose digne de remarque, & de louange, estant assist� des peuples des contr�es, lesquels il faut contenter par quelque moyen que ce toit, ce qui (� mon opinion) sera ais�, & � tout le moins arrive ce qui pourra, pourveu que Dieu conserve les Entrepreneurs, il ne peut qu'il n'en 45/1029revienne de grandes commoditez, qui serviront beaucoup en ceste affaire. Il y a long temps que j'ay propos� & donn� mon advis � Nosseigneurs du Conseil, qui ont tousjours est� bien receus; mais la France a est� si brouill�e ces ann�es derni�res, que l'on recherche � faire la paix, ne pouvant y faire despence. Je peux bien asseurer, que s'il ne se faict rien en ce temps, malais�ment se pourra-il faire quelque chose � l'advenir: tous hommes ne sont pas propres � risquer, la peine & la fatigue est grande; mais l'on a rien sans peine: c'est ce qu'il faut s'imaginer en ces affaires; ce sera quand il plaira � Dieu: de moy, je prepareray tousjours le chemin � ceux qui voudront apr�s moy, l'entreprendre.

Il y a quelque temps, que nos Sauvages moyennerent la paix avec les Yrocois, leurs ennemis; & jusques � present, il y a eu tousjours quelque accroche pour la m�fiance qu'ils ont des uns & des autres; ils m'en ont parl� plusieurs fois, & assez souvent m'ont pri� d'en donner mon advis, leurs ayant donn�, & treuv� bon qu'ils vesquissent en paix les uns avec les autres, & que nous les assisterions: mais quand il est question de faire la paix avecques des Nations, qui sont sans loy, il faut bien penser � ce que l'on doit faire, pour y avoir une parfaicte seuret�. Je leur proposay, leur en donner des moyens, & seroit un grand bien proche de nous; l'augmentation du trafic, & la descouverture plus ays�e, & la seuret� pour la chasse de nos Sauvages, qui vont aux Castors, qui n'osent aller en de certains lieux, o� elle abonde, pour la crainte 46/1030qu'ils ont les uns des autres; & y ont tousjours travaill� jusques � present.

Le 6 dudit mois de Juin, arriverent deux Yrocois aux trois rivieres, pour traitter de ceste paix: le Capitaine m'en donne aussi-tost advis, & y envoyerent deux Canaux, pour les amener � leurs Cabanes, proche de Qu�bec, o� ils estoient logez.

Le 9. ils vindrent aux Cabanes de nos Sauvages, lesquels ne manqu�rent de m'envoyer une chalouppe, pour aller voir la r�ception qu'il leur feroit: le m'enbarquay, accompagn� dudit Sentein, & de cinq de mes compagnons, avec chacun son mousquet, o� arrivant sur le bord du rivage, devant leurs cabanes, Le Capitaine Mahigan Aticq, accompagn� de ses compagnons, avec les deux Yrocois � son cost�, s'en vient au devant de nous, battant leurs mains, & la mettant en la nostre, & en firent faire autant aux deux Yrocois, nous tenans chacun par la main, jusques � ce que nous fussions � la Cabane dudit Capitaine; o� arrivant, nous trouvasmes nombre de peuples assis, chacun selon son rang. Ledit Chef, me tesmoigna estre fort satistaict, & tous ses compagnons, de ce que je m'estois achemin� vers eux, pour voir les Yrocois, lesquels firent rapport, envers les leurs, de la bonne intelligence qui estoit entre nous, & eux. Ce faict, trois de nos Sauvages, avec les deux Yrocois, danserent, & apr�s m'avoir demand� si je l'aurois agr�able, je leur tesmoignay estre contant.

Ceste dance dura une bonne espace de temps; & achev� qu'ils eurent de danser, chacun d'eux baisa sa main, & me la vindrent mettre en la mienne, 47/1031en signe de paix, & bien-vueillance. Le meurtrier estoit l'un de ces trois danseurs, qui voulut mettre sa main dans la mienne, je ne le voulus jamais regarder; ce qui luy donna un grand desplaisir, de se voir ainsi mespris� devant les Yrocois, & de toute l'assembl�e: il n'arresta gueres qu'il ne sortist de la cabane. Ce pendant le Chef commanda � tous les hommes, femmes & filles, de danser; ce qu'ils firent quelque temps: La danse finie, il me remercia � sa fa�on, & me pria de tousjours les maintenir en amiti�: le luy dis, qu'il ne devoit point douter de mon affection, lors qu'il se comportera doucement avec nous.

je le priay de me venir voir le lendemain, & douze de ses principaux, & les deux Yrocois (nous traiterons du subjet de leur venue) ce qu'ils m'accord�rent; & leur fis tirer quelques coups de mousquets: de l�, nous nous r'embarquasmes pour retourner en nostre habitation. Le lendemain, ils ne faillirent � venir avec les deux Yrocois; peu apr�s leur arriv�e, je leur fis festin, suivant leur fa�on de faire: Apr�s qu'ils eurent repeu, nous entrasmes en discours, sur ce qui estoit du traict� de paix avec les Yrocois, le leur demanday comment ils entendoient faire ce traict�: ils dirent que l'entreveue des uns aux autres, estoit avec amiti�, tirant parolles de leurs ennemis, de ne les nuire ny empescher de chasser par tout le pa�s; & eux au semblable en feroient de mesme envers les Yroquois: & ainsi, ils n'avoient d'autres traictez � faire leur paix.

Je leur dis que parlementer, estoit v�ritablement faire les approches � une paix, mais il falloit les 48/1032seuretez d'icelle; & puis qu'ils m'en demandoient mon advis, je leur en dirois ce qui m'en sembleroit, s'ils me vouloient croire, � quoy ils accorderent, & me prierent derechef, de leur en donner mon advis qu'ils suivroient au mieux qu'il leur seroit possible; & qu'aussi bien, ils estoient las & fatiquez des guerres qu'ils avoient eues, depuis plus de cinquante ans536; & que leurs p�res n'avoient jamais voulu entrer en traict�, pour le desir de vengeance qu'ils avoient de tirer du meurtre de leurs parens & amis, qui avoient est� tuez; mais qu'ayant consider� le bien qui en pourroit revenir, ils se resoudoient, comme dit est, de faire la paix.

Note 536: (retour)

Ce passage nous donne, au moins d'une mani�re approximative, l'�poque de cette fameuse querelle dont parlent Nicolas Perrot et la Relation de 1660 (ch. II), et qui fit des Algonquins et des Iroquois d'irr�conciliables ennemis. Cette profonde division remonterait donc vers l'an 1570, si toutefois ce n'�tait pas une simple recrudescence d'une inimiti� encore plus ancienne; car les sauvages que Cartier trouva dans le pays, et qui semblent avoir �t� ce que l'on a appel� les bons Iroquois, avaient d�j� pour ennemie, d�s 1535, une nation vers le sud, appel�e alors Toudamans (les m�mes sans doute que les Tsountouans, ou Tsonnontouans), �qui leur menoient continuellement la guerre.�

Response � la premi�re question que je leur fis s�avoir, si ces deux Yrocois estoient venus pour leur particulier, ou s'ils avoient est� envoyez de leur nation.

Ils me dirent, qu'ils estoient venus de leur propre mouvement: & le desir qu'ils avoient de voir leurs parens & amis, qui estoient parmy eux d�tenus prisonniers de longue main, les avoit fait venir; & l'asseurance qu'ils avoient du traitt� de paix, commenc� depuis quelque temps, estans comme en tresve les uns & les autres, jusqu'� ce que la paix fut du tout asseur�e ou rompue. Je leurs dis que puisque ces hommes n'estoient d�putez du pays, qu'ils les devoient traitter amiablement, avec toute 49/1033sorte de paix & amiti�, non pas en la fa�on comme s'ils estoient d�putez du pays, & qu'ils devoient estre receuz, avec plus d'allegresse & de c�r�monie. De plus puisqu'ils voulaient venir � une bonne paix, qu'il falloit qu'ils choisissent quelque homme d'esprit parmy eux, & l'envoyer avec ces deux Yrocois, ayant charge de traitter de paix, & les inciter � envoyer en ce lieu de Qu�bec de leur part: lors qu'ils verroient que nous y assisterions, que cela seroit occasion de se mieux asseurer, comme estans obligez � les maintenir.

Ils trouverent cet advis bon, & de fait ils se resolurent d'y envoyer quatre hommes, s�avoir deux aux Yrocois, distans de Qu�bec de cent cinquante lieues, & leur fis donner la valleur de 38 castors de marchandises, des cent dont ils leurs avoient fait presents, & ces marchandises estoient pour faire present � leurs ennemis � leur arriv�e, comme est leur coustume, & ainsi s'en all�rent fort contens. Voila un bon acheminement.



Arriv�e du Sieur du Pont & de la Ralde avec vivres. L'Autheur leur raconte la paix faicte entre les sauvages. Lettre du Roy � l'Autheur. Arriv�e du sieur de la Ralde � Tadoussac. Ce qui se passa le reste de l'ann�e 1622, & aux premiers mois de 1623.

CHAPITRE VII.

Le 15 de Juin arriverent lesdits du Pont & de la Ralde, avec 4 barques charg�es de vivres & marchandises, ausquels je fis la meilleure r�ception qu'il me fut possible, & ne trouverent que toute 50/1034sorte de paix, ce que plusieurs ne croyoient pas, suivant ce qui s'estoit pass�. Ils ne s�avoient point que le subject en estoit ost�, occasion pourquoy toutes choses s'estoient pass�es avec douceur, ils furent quelques huict jours � faire leurs affaires, o� durant ce temps, je leurs fis entendre comme ces sauvages avoient esleu un chef par nostre consentement, & le bien qui en pouvoit reussir, pourveu qu'on l'entretienne en ceste amiti�.

Mahigan aticq vient voir ces messieurs qui le receurent fort humainement sur ce que je leurs en avois dit.

Lesdits du Pont & de la Ralde, partirent pour monter amont ledit fleuve aux trois rivieres, o� ils trouverent quelque nombre de sauvages, en attendant un plus grand. Quelques jours apr�s arriva 1e Sire, commis, qui nous apporta nouvelle de l'arriv�e dudit sieur de Caen � Tadoussac, qui m'escrivoit qu'en bref il s'achemineroit par devers nous, apr�s sa barque mont�e: me priant luy envoyer quelques scieurs d'aiz, & un canau en diligence audit du Pont & de la Ralde, ce que je fis, & ledit le Sire partit ce mesme jour pour retourner le treuver � Tadoussac.

Trois tours apr�s arriva une barque des trois rivieres, qui alloit audit Tadoussac, suivant l'ordre qui luy avoit donn�.

Le Vendredy 15 de Juillet sur le soir, arriva ledit sieur de Caen dedans une chalouppe, craignant n'estre assez � temps � la traitte des trois rivieres: ayant laiss� charge de despescher sa barque � Tadoussac, pour l'aller treuver aux trois rivieres, je 51/1035le receus au mieux qu'il me fut possible, me faisant entendre tout ce qui s'estoit pass� en toutes les affaires, tant de la Nouvelle que de l'ancienne societ�, � quoy je satisfis au mieux qu'il me fut possible. Il me rendit la lettre suivante de sa Majest�.

Monsieur de Champlain, voulant conserver mon cousin le Duc de Montmorency aux droits & pouvoirs que je luy ay cy-devant accordez en la Nouvelle France, suivant les lettres patentes que je luy ay fait exp�dier, j'ay treuv� bon que la contestation qui estoit � mon Conseil, entre l'ancienne compagnie, faite par les precedents Gouverneurs, pour faire les voyages audit pa�s de la Nouvelle France, establis par mon cousin, suyvant son pouvoir; que ladite Nouvelle soit conserv�e au traitt�, joignant en icelle ceux de l'ancienne qui y voudront entrer, ainsi que vous verrez par l'arrest de mon Conseil, qui vous sera envoy� par le sieur Dolu, suivant lequel je veux & entend que vous vous gouverniez avec lesdits nouveaux associez, maintenant le pa�s en paix, en y conservant mon auctorit�, en tout ce qui sera de mon service, � quoy m'asseurant que vous ne manquerez, je prie Dieu qu'il vous ayt Monsieur de Champlain en sa saincte garde, escrit � Paris le 20 de Mars 1622. sign� Louis, & plus bas Potier.

Ledit de Caen fut deux jours � Qu�bec, & del� s'en alla aux trois rivieres. Le lendemain sa barque arriva de Tadoussac, qui l'alla treuver.

52/1036Le dernier dudit mois de Juillet, passa ledit de la Ralde, qui s'en retournoit � Tadoussac, pour apprester son vaisseau, & del� aller � Gaspey, voir si n'y avoit point de vaisseaux, qui contrevinsent aux defences de sa Majest�.

Ledit de la Ralde arrive � Tadoussac, & eut quelques paroles avec H�bert, que ledit sieur de Caen avoit laiss� en sa place pour commander � son vaisseau bien qu'arrivant ledit de la Ralde, le commandement estoit � luy comme lieutenant dudit de Caen, & l'autre estoit son enseigne, qui ne voulut cognoistre ledit de la Ralde, & leur dispute vint sur le fait de la religion, bien que tous deux catholiques: car quand ledit de Caen qui estoit de la religion pr�tendue reform�e, faisoit faire les prieres sur le derriere en sa chambre, & les catholiques sur le devant: & durant que ledit H�bert demeura au vaisseau, les prieres s'y continuoient, comme quand son chef y estoit: mais quand ledit de la Ralde y fut arriv� comme lieutenant, & commandant audit vaisseau, il voulut que les catholiques vinssent faire leurs pri�res en la chambre, & que les pr�tendus reformez fussent en leur rang, sur le devant pour prier, H�bert s'y opposa, disant, que son capitaine ne l'entendoit, & ne luy en avoit donn� Charge, ledit de la Ralde dit, quand le chef y est, il fait comme il l'entend, Mais quand j'y suis en son absence, je fais comme il me semble, & sur ce sujet il s'esmeut une grande dispute, qui s'appaisa par le moyen de quelques peres Recolets, comme d'autres personnes qui s'y treuverent. H�bert eut le tort de ceste dispute, & n'avoit pas de raison.

53/1037Ledit sieur de Caen arriva des trois rivieres, le 19 d'Aoust, & le mercredy 24, je fis lire & publier les articles de messieurs les Associez, arrestez par le Roy en son Conseil.

Le Jeudy 25, ledit de Caen partit de Qu�bec pour aller � Tadoussac, & je fus avec luy jusques � son departement qui fut le 5e jour de Septembre 1622.

Ledit du Pont fut laiss�e � l'habitation, pour principal commis de Messieurs les Associez, & hyvernasmes ensemble.

En cet hyvernement estoient, tant hommes que femmes, & enfans cinquante personnes.

Ledit de Caen estant party, nous eschouasmes quelque chalouppe, & sur le soir, qui fut le 6, levasmes les ancres pour aller � Qu�bec, o� fusmes contrariez de si mauvais temps, que nous nous pensasmes perdre au port aux saumons sur nos ancres, ne pouvant appareiller: mais le vent venant � s'appaiser au 13 dudit mois, nous nous mismes sous voilles, & arrivasmes � Qu�bec le 20. Le lendemain nous eschouasmes nostre barque, & fismes descharger le reste des commoditez, & aussi tost que tout fut descharg�, Desdame fut despesch� avec ne chalouppe luy septiesme, pour aller � Tadoussac mener des matelots, & ramener une barque que l'on avoit laiss�e avec quelques cinq hommes, pour la garder, attendant que l'on y fust pour la ramener, d'autant qu'il n'y avoit point de matelots, pour esquipper les deux barques.

Le 10 d'Octobre arriva la barque de Tadoussac, qui nous dit qu'un vaisseau de 50 � 60 tonneaux, estoit arriv� � Tadoussac pour faire pesche de baleine, 54/1038laquelle il n'avoit peu faire � la grande Baye, ny en autre port, & qu'il avoit est� mis hors, � ce qu'ils dirent, par monsieur de Grandmont, comme ils firent paroistre par leur commission qu'ils montr�rent au Baillif ayde de sous commis, qui estoit rest� audit Tadoussac: il estoit arm� de quatre pi�ces de canon de fonte verte, d'environ de sept � huict cens pesant chacune, deux breteuils, & le vaisseau bien arm� avec vingt quatre hommes, un bon pont de corde bien pouess�, tout � l'espreuve du mousquet, ayant � la valeur de six � sept cens escus de marchandises, pour traitter, au reste tres-mal amunitionnez de vivres, qui les contraignit de prendre du Bailly deux barils de pois, demy baril de lard, qu'ils pay�rent en chaudi�re de cuivre rouge, celuy qui y commandoit s'appelloit Guerard basque, qui s'estoit associ� avec un Flamant, pour ce qui touchoit la marchandise de traitte.

Ledit Guerard escrivit un mot de lettre audit du du Pont, par laquelle il luy demandoit des castors, pour la moicti� moins que l'on traittoit, pour les marchandises qu'il avoit, luy en envoyant le memoire. Voila ce que nous apprismes. De plus ils dirent qu'il venoit un vaisseau espagnol audit Tadoussac de deux cens tonneaux, pour faire sa pesche de balaine, & dit que durant que les vaisseaux estoient � Tadoussac, qui estoit537 � l'Isle verte, & avoit veu partir ledit vaisseau de la Ralde de Tadoussac, & que presque toutes les nuicts il venoit avec une chalouppe au port, & oyoit la plus part 55/1039des discours qui se disoyent au vaisseau dudit sieur de Caen, jusques � son d�part.

Note 537: (retour)

Qu'il estoit.

De pouvoir y rem�dier il estoit impossible, pour n'avoir des matelots ny des hommes de main, affin de s'en servir en telles affaires, car il eut fallu au moins huict matelots d'ordinaire en l'habitation, & quelques dix ou douze quand il est question d'aller attaquer un ennemy, avec une vingtaine d'hommes, qui sceussent ce que c'est d'aller � la guerre, c'est ce qui ne se voit point � Qu�bec, l'on pense estre trop fort, & que personne ne seroit538 entreprendre en ces lieux, mais la meffiance est la m�re de seuret�, c'est pourquoy suivant les advis que souvent je donnois, l'on devoit rem�dier � la conservation du pays, & � l'asseurance des hommes qui y demeurent, qui estoit d'achever le fort ja commence, & y avoir de bonnes armes & munitions, & garnison suffisante qui s'y entretiendroit pour peu de chose, autrement rien ne se peut maintenir que par la force.

Note 538: (retour)

Lisez n'oseroit.

L'on employa les ouvriers aux choses les plus necessaires de l'habitation. Ledit du Pont tomba malade de la goute le 27 de Septembre, jusques au 21 d'Octobre, & l'incommodit� qu'il en sentoit, fit que pendant l'hyver il ne sortit point de l'habitation, pour son indisposition.

Je passay le temps � faire accommoder des jardins, pour y semer en l'Automne, & voir ce qui en reussiroit au printemps, ce que je fis y prenant un singulier plaisir, cette occupation n'estoit point inutille pour la commodit� qu'en recevoit toute l'habitation, 56/1040� quoy personne n'avoit fait d'espreuve, car la plus part des hommes voudroient bien cueillir, mais rien semer, ce qui ne se peut, car l'on ne s�auroit dire en ces lieux combien on re�oit d'utilit� des jardinages: un peu de soing & vigilance sert beaucoup � un homme de commandement, car s'il n'a de l'affection qu'� de certaine chose, malais�ment peut il avoir beaucoup de commoditez sans main mettre, ou commander de ce faire, nos peres y estoient assez vigilans n'ayant autre soing que de prier Dieu & jardiner.

L'un de nos peres appell� le p�re Iren�e539, se resolut le 13 D�cembre d'aller hyverner avec les sauvages, pour apprendre leur langue, & profiter quelque chose s'il pouvoit pour l'amour de Dieu: mais le 22 dudit mois, il retourna � son habitation, pour ne se pouvoir accommoder � la vie de ces peuples 540: Ledit p�re y retourna pour la seconde fois541, mais ne pouvant supporter la fatique, il s'en revint, & le p�re Joseph plus robuste & accoustum� � ceste vie, se d�libera d'y aller passer trois mois de temps, qui estoit en bon temps, d'autant que la chasse de l'eslan se faisoit en quantit�, o� l'on ne mange que de la viande, bien que ce ne soit qu'� 57/1041cinq ou six lieues de nostre habitation, & partit le mesme jour qu'arriva ledit p�re Iren�e qui fut le 17 de Janvier 1623.

Note 539: (retour)

Le P. Ir�n�e Piat.

Note 540: (retour)

La cause de son retour, suivant Sagard, fut un peu diff�rente. Le fr�re du sauvage qui s'�tait charg� du P�re �tant tomb� malade, le pilotois d�cida que, �le mal ayant est� donn� par un sauvage fort esloign� de l�, on l'enverroit tuer par l'un des fr�res du malade... Le P. Ir�n�e, estonn� d'un si meschant conseil, & que sa presence ny ses remonstrances ne pouvoient en rien mod�rer ny divertir ces mauvais desseins (comme nouveau Apostre parmy un peuple gentil) il quitta l� tout & s'en retourna au Convent pour y cath�chiser les Fran�ois...� (Sagard, Hist. du Canada, p. 99.)

Note 541: (retour)

Quoique le P. Ir�n�e e�t, sans aucun doute, l'intention de se former et s'habituer aux fatigues des missions, il para�trait, d'apr�s Sagard, que ce second voyage n'�tait pas pr�cis�ment une mission. Il allait avec le Fr�re Charles, � quelques lieues de Qu�bec, chercher un �lan, dont les sauvages avaient fait pr�sent aux missionnaires. (Sagard, Hist. du Canada, p. 101 et suiv.)

Le 23 de Mars ledit du Pont retomba malade de ses gouttes ou il fut tr�s-mal avec de si grandes douleurs, que l'on n'osoit presque le toucher, quelque rem�de que le Chirurgien luy peust apporter, & fut ainsi tourment� jusques au septiesme de May qu'il sortit de sa chambre.

Le 19 de Mars il fit un temps fort violent accompagn� de vens, tonnerre, gresle & esclairs, bien qu'en ce temps l'air est encore froid, & le pays remply de neiges & glaces.

Le 19 d'Avril l'on commen�a � accommoder une barque, pour aller � Tadoussac, ce qu'estant achev�e le premier de May, elle partit avec Desdames sous-commis & hommes, & ledit du Pont n'y peust aller pour son indisposition. Le 16 d'Avril il y avoit un pied de neige en quelques endroits. Je sem� toutes sortes de grains le 20 dudit mois derri�re l'habitation, o� les neges estoient plustost fondues qu'ailleurs, pour estre au midy & � l'abry du vent de Nortouest, qui est fort dangereux.

Le lundy 8 de May, nos ouvriers allant coupper du bois pour scier, le mal-heur en voulut � un jeune homme nomm� Jean le Cocq, qu'une b�che roulant d'un lieu � autre passa par dessus luy, qui luy rompit le col, & luy escrasa la teste, & ainsi mourut pauvrement.

Le 10 dudit mois, le p�re Iren�e se resolut d'aller � Tadoussac, pour essayer de faire quelque fruict aux sauvages de par del�, cela m'estonnoit, voyant 58/1042qu'il avoit assez � faire, & de quoy s'employer par de��, � ce que je luy remonstr�: mais ne le pouvant dissuader de ce voyage, il s'embarqua dans une chalouppe avec des sauvages qui le devoient mener: mais estant � Tadoussac il changea de resolution542, & s'en revint � Qu�bec le 22 dudit mois, & son entreprise fut rompue, & ne p�t demeurer � Tadoussac avec nos gens, pour n'estre accommod� comme il eust desir�.

Note 542: (retour)

�Les Sauvages du P�re, dit Sagard, ayant est� abouchez par un autre plus grand nombre qui estoient l� attendans d'autres de leurs amis pour aller � la guerre, ils furent persuadez d'estre de la partie, & de renvoyer ledit P�re dans son Convent, jusques � un autre temps, qu'ils le reprendroient pour son dessein, tellement qu'il fallut qu'il s'en retournast dans un canot de Montagnais sans pouvoir passer plus outre, marry que son voyage ne luy avoit mieux succed�.� (Hist. du Canada, p. 109.)

Voyant que jusques au 14 de juin l'on n'avoit point nouvelle des vaisseaux, & craignant que quelque accident ne fut arriv�, l'on d�lib�ra d'envoyer une chalouppe � Tadoussac, ce qui fut fait avec cinq hommes, & Olivier543 Truchement pour faire revenir la barque si les vaisseaux n'estoient arrivez, pour retourner & aller � Gaspey, recouvrir des vivres pour ceux qui resteroient � l'habitation, & rapasser dans les vaisseaux pescheurs, partie des gens les moins utiles. En ce temps je fis paver la cour de l'habitation, avec quelques r�parations au logis.

Note 543: (retour)

Olivier le Tardif, qui devint plus tard commis de la Compagnie g�n�rale des Cent-Associ�s, et seigneur en partie de la c�te de Beaupr�.

Le Vendredy 16 arriva une chalouppe avec la nostre, o� estoit un matelot appell� Jean Paul544 qui nous dit l'arriv�e du sieur Deschesnes � Tadoussac, dans une barque, & avoit laiss� son vaisseau � Gaspey, pour taire pesche de poissons.

Note 544: (retour)

Peut-�tre Jean-Paul Godefroy.

Le 28 arriva Desdames avec la Realle, & deux 59/1043Religieux, l'un apell� le p�re Nicolas545, & l'autre 1623. le fr�re Gabriel546, qui nous dirent que ledit sieur de Caen, n'estoit point encore arriv�, qui nous mettoit en peine.

Note 545: (retour)

�Le P. Nicolas Viel, qui faisoit de grandes instances depuis trois ans� pour venir en Canada, �en re�ut � Montargis la permission.� (Le Clercq, Premier Etabliss. de la Foy, I, 246.)

Note 546: (retour)

Gabriel Sagard, Th�odat. Voici comme il raconte lui-m�me son arriv�e. �Pendant que j'admirois� ce saut (de Montmorency), �un doux zephir enflant favorablement nos voiles, nous portoit � Kebec, o� nous arrivames la veille de S Pierre S. Paul, sur les cinq heures du soir en tr�s-bonne sant� & assez bien mouillez d'une pluye qui nous tomboit du Ciel, de quoy nous lou�mes Dieu, & pr�mes port au lieu accoustum�. Ayans pos� l'anchre, & mis ordre � ce qui nous concernoit, nous descendismes � terre, saluames les Chefs de l'habitation, qui nous estoient venu recevoir au Port & nous entrames dans la Chapelle, o� nous rend�mes actions de gr�ce � nostre Seigneur de sa divine assistance; & en suitte poussez d'un desir extr�me de voir nos Fr�res dans leur petit Convent, nous pensames prendre cong� du sieur de Champlain pour nous y rendre au plustost, mais sa charit�, outre les pluyes continuelles & l'obscurit� du temps nous en empescherent, & nous retint � coucher jusques au lendemain matin, que nous y fusmes conduits par un des Matelots de l'habitation.� (Hist. du Canada, p. 159, l60.)

Le 2 de Juillet, arriva un Canau o� estoit Estienne Brusl� truchement, avec Desmarests, qui nous apporta nouvelle qu'il estoit arriv�, il n'arresta � Qu�bec qu'une nuict partant plus outre, pour advertir les sauvages, & aller au devant d'eux pour les haster de venir.

Le 4 dudit mois arriva Loquin commis, dans une barque pour aller en traitte, qui estoit � ce voyage lieutenant dudit sieur de Caen en son vaisseau, o� montant haut, fit rencontre dudit du Pont, qui avoit est� avec une chalouppe � la riviere des Yrocois, pour persuader les sauvages de descendre � Qu�bec, ce qu'il asseura audit Loquin, qui fit qu'ils rebrousserent chemin & s'en revindrent audit Qu�bec sur ceste esperance, que v�ritablement ce seroit une bonne chose s'ils pouvoient descendre � ladite habitation, que cela releveroit de grandes peines & risques que l'on court. En ce 60/1044temps un sauvage appell� la Foyriere547, donna advis que la plus grande partie des sauvages avoient deliber� de nous surprendre, en mesme temps tant � Tadoussac qu'� Qu�bec, & assommer tout, � la sollicitation du meurtrier, auquel advis l'on donna tel ordre, que depuis ledit meurtrier a desni� fort & ferme qu'il n'eust voulu faire ce mal, disant que l'autre estoit un imposteur. Lesdits Deschesnes & Loquin voyant que les sauvages ne venoient point comme ils avoient promis audit du Pont, partirent avec deux barques le 9 de juillet, pour aller � mont ledit fleuve, & rencontr�rent seize canaux proche de Qu�bec, qui les fit retourner pour traitter ce qu'ils avoient, pour puis apr�s suivre leur premi�re d�lib�ration.

Note 547: (retour)

Ou la Fori�re, suivant Sagard.

Le 13 dudit mois arriva ledit sieur de Caen avec deux barques, o� je le receus au mieux qu'il me fut possible, estant arriv� il se d�lib�ra d'envoyer une barque, pour essayer d'amener lesdits sauvages s'ils les rencontroient, & ledit Deschesnes partit pour cet effect.

Le 16 dudit mois, ledit de Caen ne tarda gueres qu'il ne suivit ledit Deschesnes, je m'embarquay en la barque qu'il me donna, & s'en vint en une autre: nous fismes voille avec quatre barques, charg�es de marchandises pour la traitte.



61/1045

Arriv�e de l'Autheur devant la riviere des Yrocois. Advis du Pilote Doublet au sieur de Caen, de quelques Basques retirez en l'isle S. Jean. Plainte des Sauvages accord�es. Le meurtrier est pardonn�. Ceremonies observ�es en recevant le pardon du Roy de France. Accord entre ces nations sauvages & les Fran�ois. Retour du sieur du Pont en France. L'Autheur fait faire de Nouveaux �difices.

CHAPITRE VIII.

Le 23 dudit mois, nous fusmes devant la riviere des Yrocois, o� treuvasmes ledit Deschesnes, qui dit avoir eu nouvelle qu'il devoit arriver quelques trois cens Hurons, o� Estienne Brusl� les avoit rencontrez, au sault de la chaudi�re, 75 lieues de ladite riviere des Yrocois.

Cedit jour, arriverent quelques 60 Canaux de Hurons, & Algommequins qui r'amenerent du Vernay, & autres hommes qu'on leur avoit donn� pour hyverner en leur pa�s, afin de tousjours les tenir en amiti�, & les obliger � venir.

Ce jour l� mesmes arriva le pilote Doublet, luy sixiesme, dans une double chalouppe, qui venoit de l'Isle S. Jean & Miscou, o� estoit le sieur de la Ralde en pescherie, qui donnoit advis au sieur de Caen, que des Basques s'estoient retirez � ladite isle S. Jean, pour se mettre en deffence si on les alloit attaquer, ne voulant subir aux commissions de sa Majest�; & qu'ils s'estoient saisis d'un moyen vaisseau o� estoit un nomm� Guers548, qui l'ann�e d'auparavant estoit 62/1046venu � Tadoussac comme j'ay dit cy dessus: il se contenta de luy prendre ses marchandises de traitte, le laissant aller avec ses munitions, & canons de fonte verte: il meritoit qu'on luy fit ressentir le chastiment que doivent recevoir ceux qui contreviennent aux ordonnances & decrets de sa Majest�, il treuva de la courtoisie � son advantage, ce qu'il n'eut fait en beaucoup de personnes, qui l'eussent traitte avec plus de severit�. Le pilote fit avec ceste chalouppe le long des costes & fleuve sainct Laurent, pr�s de deux cens lieues: il dit que ces Basques avoient donn� de mauvaises impressions de nous aux sauvages de ces costes, disant, que s'ils nous treuvoient � leur advantage, ils nous feroient un mauvais party, & de fait il eut couru ceste fortune sans un pere Recollet, qui estoit parmy ces sauvages il y avoit deux ans, lequel escrivit une lettre � nos peres, de l'estat auquel il estoit parmy ces peuples, qui l'affectionnoient fort, & esperoit y faire quelque fruict moyennant la gr�ce de Dieu, estant fort advanc� au langage du pa�s.

Note 548: (retour)

Vraisemblablement Guerar ou Guerard. (Voir ci-dessus, p. 54.)

Le 17 dudit mois arriverent des sauvages, qui firent une assembl�e entr'eux, o� ils form�rent quelques plaintes des uns & des autres, touchant les passages qui n'estoient pas libres aux Hurons, que les Algommequins les traittoyent mal, leur faisant contribuer de leurs marchandises, & ne se contentant pas de ce, les d�roboient, qui leur donnoit encore suject d'un grand mescontentement: on les on les accorda sur toutes ces plaintes, ils firent des presens de quelques castors qui leurs furent pay�s plus qu'ils ne valoient.

63/1047Le 30 fut c�l�br� la saincte Messe549. Ce jour mesme l'on fit un pourparler, pour l'accord du meurtrier, auquel je ne pouvois entendre, pour la perfidie qu'il avoit commise, en l'assassinat de nos hommes, neantmoins plusieurs considerations, & les raisons dudit sieur de Caen, qui me dit que sa Majest� & mondit seigneur luy remettoient la faute, qui m'y firent condescendre, � la charge que l'affaire feroit une satisfaction devant toutes les nations, confessant que malicieusement, perfidement & meschamment, il avoit tu� nos compagnons, m�ritant la mort si on ne luy faisoit gr�ce, ce qui fut accord�.

Note 549: (retour)

Le 30 juillet �tait un dimanche.

Le lendemain fut d�lib�r� de faire quelques presens � toutes les nations, pour les obliger � nous aymer, & traitter bien les Fran�ois qui alloient en leur pa�s, pour les conserver contre leurs ennemis, & ainsi leur donner courage de revenir avec plus d'affection.

Cet accord ne se pouvoit faire que devant toutes les nations afin qu'elles recogneussent quelle est nostre bont�, au respect de leurs cruautez, & afin que le meurtrier en receut plus de honte, l'obligeant apr�s le pardon d'estre autant affectionn� � nous aymer, comme il avoit est� nostre ennemy mortel: il nous fallut user de quelque c�r�monie, car il faut user de demonstrations parmy ces peuples, avec les discours: la c�r�monie fut telle qui s'ensuit.

Le dernier de Juillet, tous trouverent bon de suivre la volont� de sa Majest�, de pardonner au 64/1048meurtrier qui avoit tousjours est� en cr�dit, & fait capitaine par les sauvages pour avoir tu� nos hommes, ledit meurtrier se devoit mettre au milieu de toutes les nations assembl�es en ce lieu, & celuy qui s'avoit assist� en ce meurtre, & luy faire un discours devant tout le peuple, du bien qu'il avoit receu des Fran�ois, qu'il avoit tr�s-mal recognu, comme meschamment & traistreusement il avoit assassin� nos hommes depourveus d'armes, sous ombre d'amiti�, qu'on n'eust jamais peu penser ny aucun de nostre habitation, qu'il eust eu le coeur si desloyal & perfide comme il l'avoit monstr�, que ce pendant le chef qui pour lors estoit � l'habitation, & autres du depuis n'avoient voulu user du pouvoir & droict que la justice leur donnoit de le faire mourir, comme il le meritoit.

Ce pendant, l'affection que nous avions port� � ceux de sa nation, & comme estant alli� des principaux, nous avoit empesch� de le faire mourir, nous estans contentez de le chasser de nostre habitation, pour ne le voir, ny raffraichir la m�moire de nos hommes massacrez. Et voyant qu'il avoit recogneu sa faute, s'estant mis en devoir de recevoir le chastiment qu'il meritoit, qu'on luy pardonnoit, par la volont� de nostre Roy, qui luy donnoit la vie, & � la requeste de tous les peuples: A la charge de jamais ne retourner, ny tomber en cette faute, ny aucuns de sa nation; estans personnes qui ne nous contentions de presens, pour payement de la mort de nos hommes, comme ils faisoient entr'eux: & que s'il arrivoit � l'advenir qu'ils commissent telles perfidies & trahisons, on feroit punir de mort 65/1049les autheurs du mal; les tenans pour nos ennemis: & tous ceux qui voudroient empescher: & plusieurs autres discours sur ce sujet; & quelques autres c�r�monies qui furent faictes. Cela achev�, le meurtrier se leva, & son compagnon, me venant demander pardon, avec promesse � l'advenir, de se comporter si fidellement avec les Fran�ois, qu'il n'auroit autre volont� que reparer ceste faute par quelques bons services: & ainsi furent lib�rez550.

Note 550: (retour)

Quelques exemplaires portent �d�lib�rez.�—Sagard nous a conserv�, sur cette affaire, quelques d�tails de plus. �Les meurtriers ayans est� grandement blasmez, furent en fin pardonnez � la pri�re de ceux de leur nation, qui promirent un amendement pour l'advenir, moyennant quoy le sieur Guillaume de Caen g�n�ral de la flotte, affili� du sieur de Champlain, & des Capitaines de Navires, prit une esp�e nue qu'il fit jetter au milieu du grand fleuve sainct Laurens en la presence de nous tous, pour asseurance aux meurtriers Canadiens, que leur faute leur estoit enti�rement pardonn�e, & ensevelie dans l'oubly, en la mesme sorte que cette esp�e estoit perdue & ensevelie au fond des eaues, & par ainsi qu'ils n'en parleroient plus. Mais nos Hurons qui s�avent bien dissimuler, & qui tenoient bonne mine en cette action, estans de retour dans leur pays, tourn�rent toute cette c�r�monie en ris�e, & s'en mocquerent disans que toute la cholere des Fran�ois avoit est� noy�e en c�te esp�e, & que pour tuer un Fran�ois on en seroit doresnavant quite pour une douzaine de castors, en quoy ils se trompoient bien fort, car ailleurs on ne pardonne pas si facilement, & eux-mesme y seront quelque jour trompez s'ils sont des mauvais, & que nous soyons les plus forts.� (Hist. du Canada, p. 236, 237.)

Mais quoy que s'en toit, ces peuples qui n'ont aucune consideration, si c'est par charit� ou autrement; ils croyent que le pardon a est� faict faute de courage, & pour n'avoir os� entreprendre de le faire mourir, bien qu'il le meritoit, & cela nous mettoit en assez mauvaise estime parmy eux, de n'en avoir point eu de resentiment.

Toutes ces nations tres-aises & satisfaits, ils nous remerci�rent, nous louans de ce que nous n'avions tesmoign� un mauvais coeur, & accord�rent de mener onze Fran�ois pour la defence de leurs villages, contre leurs ennemis, dont il en demeureroit huict en leurs villages, & trois qui reviendroient avec eux au printemps en traitte. Ils emmen�rent trois peres 66/1050Recolets, s�avoir les p�res Nicolas, Joseph, & fr�re Gabriel 551, pour voir s'ils pourroyent profiter au pa�s, pour la gloire de Dieu, & apprendre Fran�ois langue. Deux autres Fran�ois furent donnez aux Algommequins, pour les maintenir en amiti�, & inciter � venir en traitte: Il leur fut fait un grand festin selon leur coustume, qui fit l'accomplissement de la feste, & par ainsi s'en all�rent grandement contans.

Note 551: (retour)

Fr�re Gabriel (et probablement aussi les PP. Nicolas et Joseph) �tait arriv� �au port du Cap de la Victoire, le jour de la saincte Magdelene,� c'est-�-dire, le 22 juillet, �environ les six � sept heures du soir.� (Hist. du Canada, p. 174.)

Le 2 d'Aoust s'embarqu�rent tous nos Fran�ois avec les sauvages en leurs canaux, chacun avec son homme552, & ce mesme jour l'on rechargea toutes les marchandises qui restoient en terre, se levent les ancres, nous mismes voilles, & le quatriesme jour arrivasmes � Qu�bec, o� les barques estant toutes assembl�es, l'on fit visiter, & treuva on quantit� de castors parmy les matelots, que l'on fit serrer, attendant qu'ils fussent de retour en France, pour les contenter, s'il se treuvoit par la societ� que cela fut raisonnable, ne leur estant permis de traitter � leur prejudice, ce qui occasionna ceux des �quipages d'estre mal contens, comme ils le temoignerent.

67/1051Le 8 dudit mois fut despesch� ledit Deschesnes, avec six barques, pour aller qu�rir les vivres pour l'habitation, & luy de s'en aller � Gaspey en son vaisseau, pour faire faire diligence de la pesche du poisson.

Note 552: (retour)

�La traite estant faite, dit Sagard, & les Hurons prests � partir, nous les abord�mes en la compagnie du sieur de Caen g�n�ral de la flotte, lequel nous fit accepter chacun pour un canot moyennant quelque petit pr�tent de haches, cousteaux, & canons ou petits tuiaux de verre qu'on leur donna pour nostre despence. Toute la difficult� fut de nous voir sans armes qu'ils eussent desir� en nous plustost que toute autre chose, pour guerroyer leurs ennemis, mais comme les esp�es & les mousquets n'estoient pas de nostre gibier, nous leur fismes dire par le Truchement que nos armes estoient spirituelles, avec lesquelles nous les instruirions & conserverions � l'encontre de leurs ennemis moyennant la gr�ce de Dieu, & que s'ils vouloient croire nos conseils, les Diables mesmes ne leur pourroient plus nuire: Cette responce les contenta fort, & nous eurent dans une tr�s-haute estime, tenans � faveur de nous avoir comme nous de les accompagner, & servir en une si belle occasion.� (Hist. du Canada, p. 174, 175.)

Ledit sieur de Caen & moy, fusmes au Cap de tourmente, pour voir ce lieu, o� estant arriv� & visit�, fut trouve tr�s agr�able, pour la scituation, & les prairies553 qui l'environnent estant un lieu propre pour la nourriture du bestial.

Note 553: (retour)

Vraisemblablement, ces prairies naturelles �taient situ�es entre le Petit-Cap et le cap Tourmente m�me. Elles sont, encore aujourd'hui, � l'�tat de prairies naturelles; mais la richesse des prairies artificielles qui les avoisinent, a presque fait oublier le m�rite de leurs a�n�es. Il faut dire aussi que, de m�moire d'homme, elles ont diminu� consid�rablement de profondeur, par la violence des eaux, qui, tous les ans, y enl�vent quelque chose au rivage.

Ayant veu particuli�rement ce lieu, lequel s'il estoit mis en l'estat, que l'industrie & l'artifice des hommes pourroit y apporter, il seroit tr�s-beau, car tout ce qui s'y peut desirer, pour une belle rencontre s'y treuve: partant de ce lieu, retournasmes � Qu�bec le 17 dudit mois, o� vismes toutes les barques de retour, qui deschargeoient les commoditez de ladite habitation, laquelle fut visit�e par des Massons & Charpentiers, pour voir si elle estoit en estat de subsister & durer, il fut jug� que l'on auroit plustost fait d'en �difier une nouvelle, que reparer annuellement la vieille, qui estoit si caduque qu'elle attendoit l'heure de tomber, fors le magazin de pierre � chaux & � sable, (comme dit est,) auquel je fis faire une porte par dehors, qui alloit dans la cave, faisant condamner une trappe qui estoit dans le magazin des marchandises, par o� on alloit souvent boire nos boissons, sans aucune consideration.

68/1052Ledit du Pont se resolut de s'en aller en France, � cause de l'incommodit� qu'il avoit, & ne pouvant avoir les choses necessaires icy pour sa maladie, qui l'occasionna de partir avec ledit sieur de Caen de Qu�bec, le 23 d'Aoust avec trois barques, pour s'en aller embarquer � Tadoussac, del� en France, & passer � Gaspey, pour s�avoir nouvelle de ce qui s'estoit pass� durant son absence, pour le suject des Basques qui estoient � l'isle de sainct Jean.

Le premier de Septembre, ledit pilote Doublet arriva avec une chalouppe, & lettre dudit sieur de Caen, qui me prioit d'envoier le plus promptement que je pourrois les ouvriers restant pour retourner, ce qu'ils firent en deux chalouppes, le trouvent � Gaspey, o� il leur avoit donn� le rendez-vous.

Recognoissant l'incommodit� que nous avions eue par les ann�es pass�es, de faire le foin si tard pour le bestial, j'en fis faire au Cap de tourmente deux milles bottes, d�s le mois d'Aoust, & les envoyay qu�rir avec une de nos barques.

Recognoissant la d�cadence, en quoy s'alloit r�duire nostre habitation, nous avions resolu d'en faire une nouvelle: pour le plus abr�g� je fis le plan d'un nouveau bastiment, abbatant tout le vieux, fors le magazin, & en suitte d'iceluy faire les autres corps de logis de dix-huict toyses, avec deux aisles de dix toyses de chaque cost�, & quatre petites tours aux quatre coings du logement554, & un ravelin 69/1053devant l'habitation, commendant sur la riviere, entour� le tout de fossez & pont-levis: & pour ce faire je jug� que premier que bastir il falloit assembler les mat�riaux pour commencer � bastir au printemps, je fis faire quantit� de chaux, abbatre du bois, tirer de la pierre, apprester tous les mat�riaux necessaires pour la massonnerie, charpenterie, & le chauffage, qui incommodoit grandement pour le divertissement des hommes, & n'y en eut que dix-huict de travail � toutes ces choses, o� l'on fit assez de besongne pour si peu qu'il y avoit. L'incommodit� que l'on recevoit � monter la montagne, pour aller au fort sainct Louis, me fit entreprendre d'y faire faire un petit chemin 555 pour y monter avec facilit�, ce qui fut fait le 29. de Novembre, & sur la fin dudit mois la petite riviere Sainct Charles fut presque prise de glace, & depuis le mois de Novembre jusques � la fin dudit mois, le temps fut fort variable, & se passa en journ�es assez froides, au matin avec gel�e, bien qu'il fist beau le reste du jour; se faisoit quelques fois de la pluye, 70/1054& des neiges, qui par fois se fondent � mesure qu'elles tombent: Ayant remarqu� qu'il n'y a point quinze tours de differens, d'une ann�e � autre pour la temp�rature de l'hyver, qui est depuis le 20 Novembre, jusques en Avril, que les neiges se fondent, & May est le printemps: quelques fois, les neiges sont plus grandes en une ann�e qu'en l'autre, qui sont de pied & demy, & trois & quatre pieds au plus, au plat pays: car aux montaignes du cost� du Nord, elles sont de cinq � six pieds de haut.

Note 554: (retour)

Ce plan ne fut ex�cut� qu'en partie. Pendant l'absence de Champlain les ouvriers, ou les conducteurs des travaux, simplifi�rent l'ouvrage, et ne firent que deux des tourelles projet�es, comme on le voit, tant par le texte m�me de l'auteur (voir un peu plus loin), que par le plan et le dessin qui nous sont rest�s de ce second magasin. Ces deux tourelles �taient sur la rue Notre-Dame, l'une � l'encoignure de la rue Sous-le-Fort, l'autre quelques pieds en avant du portail de l'�glise actuelle de la basse ville.

Note 555: (retour)

Ce petit chemin, que Champlain fit faire � la fin de novembre 1623, pour monter au fort avec facilit�, est, sans aucun doute, l'origine du pied de la c�te actuelle qui conduit de la basse � la haute ville. Car d'abord il ne peut �tre question, ici, du haut de la mont�e, c'est-�-dire, de la partie voisine du fort, puisque la pente du terrain y est comparativement douce. En second lieu, des trois mont�es qui ont exist� simultan�ment, le chemin actuel des voitures est sans contredit le moins raide et le plus facile. Tout le monde sait que la Petite-Rue Champlain a toujours �t� si difficile � gravir, que depuis longtemps on s'est vu oblig� d'y pratiquer un escalier; le chemin qui descendait nagu�res du coude de la rue de la Montagne droit au magasin, et qui, selon toutes les apparences, a �t� le chemin primitif, n'a jamais pu �tre que fort escarp�. D'ailleurs ces mont�es dataient toutes les trois des premiers temps de la colonie, et l'on ne voit pas qu'aucun des successeurs de Champlain ait fait autre chose que de les r�parer ou les am�liorer. On peut donc conclure que le chemin facile, dont parle ici Champlain, est la partie inf�rieure de la rue de la Montagne.

Aussi nous avions une autre incommodit�, tant pour les hommes, que pour le bestial, le long de la riviere S. Charles, � une sapiniere qui estoit brusl�e, & tous les bois renversez, qui rendoient le chemin difficile, de sorte que l'on n'y pouvoit passer, qui fit que je me fis faire un chemin o� j'emploiay un chacun, qui travaillerent si bien, qu'il fut promptement faict.

Le 10 de D�cembre, la grande riviere fut charg�e d'un grand nombre de glaces, de sorte qu'elle charioit, & le bordage pris, ne pouvoit plus permettre de naviger.

Je fis tra�ner le bois pour le fort sur les neges, comme le temps plus propre le permettoit: les sauvages nous donn�rent un peu d'eslan qui nous fit grand bien, d'autant qu'en hyver l'on a aucun rafreschissement, n'ayant que les commoditez qui viennent de France, pour n'y en avoir au pa�s � suffisance, ce qu'avec le temps, l'on pourra estre relev� de ceste peine, par le soing que l'on prendra � la nourriture du bestial, duquel il y avoit bon 71/1055commencement, car le d�faut de ces choses, est grandement prejudiciable � la sant� de plusieurs, & principallement de ceux qui seroient malades ou blessez, qui n'ont que salures, & les farines.

Le 18 d'Avril556, je fis employer tout le bois qui avoit est� faict pour le fort, afin de le pouvoir mettre en deffence, autant qu'il me seroit possible. Je fis faire quelques r�parations � l'habitation qui estoit en d�cadence, attendant que l'on en eust faict une nouvelle.

Note 556: (retour)

1624.

En ce temps, est la saison de la chasse du gibier, qui est en grand nombre jusques � la fin de May, qu'ils se retirent pour faire leurs petits, & ne reviennent qu'au quinziesme de Septembre qui dure jusques � ce que les glaces se forment le long des rivages, qui est environ le 20 de Novembre.

Le 20 il fit un grand coup de vent, qui enleva la couverture du bastiment du fort sainct Louis, plus de trente pas par dessus le rempart, par ce qu'elle estoit trop haulte eslev�e, & le pignon de la maison de H�bert, qui estoit de pierre, que je luy fis rebastir: ce petit inconvenient apporta un peu de retardement aux autres affaires, car il falut remettre la maison en estat, de laquelle je fis raser le second estage, & la rendis logeable au mieux qu'il me fut possible, attendant l'occasion plus commode pour la mieux �difier.

Sur la fin du mois arriva un sauvage appell� des Fran�ois, Simon; il luy parut avoir quelque fantaisie, � quoy ils sont ordinairement sujets, & principalement lors que contre la volont� de tous les 72/1056capitaines & compagnons, ils veulent faire la guerre � leurs ennemis les Yrocois, avec lesquels ils estoient en pourparler de paix, il y avoit trois ou quatre jours: & de ce les sauvages m'en donn�rent advis, & me pri�rent de faire en sorte de l'en empescher, & leur oster la frenesie qu'avoit cestuy cy: je l'envoyay qu�rir & luy demand� le suject pourquoy il faisoit cela, luy remonstrant le prejudice qui en pourroit arriver � tous ceux de sa nation, & l'advantage que les ennemis prendroient, du peu d'estat qu'ils faisoient de l'auctorit� de leur chef, estans ainsi que des enfans sujects au changement, & n'ayant aucune parole arrest�e, & se demonstrant sans foy ny loyaut�: De plus que tous les Fran�ois, ne seroient jamais contens de cette forme de proc�d�, & que ceste guerre durant un traitt� de paix sans suject, estoit meschante & pernicieuse, proc�dante plustost d'un meschant, & d'un homme lasche & sans courage, d'autant que je s�avois fort bien que le but de ceste guerre n'estoit que d'aller surprendre quelques hommes, ou femmes � l'escart, & les trouvant incapables de se d�fendre, les assommer sans defence: � tout cela il me fit une courte responce, qui estoit qu'il s�avoit bien qu'ils ne valloient rien, & qu'ils estoient pires que chiens, & s'estoit ainsi imagin�, qu'il ne seroit jamais content qu'il n'eust eu la teste d'un de leurs ennemis, en sorte qu'il estoit resolu, luy quatriesme d'y aller. Comme je le vis obstin�, & que nulle remonstrance ne le pouvoit esmouvoir, je luy usay de quelque menaces s'il le faisoit: & ainsi s'en alla tout pensif, � sa cabane.

73/1057Deux ou trois jours apr�s les Chefs me vindrent trouver, pour me dire qu'ils estoient bien ayses de ce que j'avois parl� � luy, qu'il avoit chang� de resolution de ne point y aller, me disant que je leur fissent donner quelques choses pour festiner, comme est leur coustume, quand il est question de faire quelque accord, ou autres choses semblables.

Je leurs fis donner un peu de pois, & s'en all�rent ainsi joyeusement, pensant que ce sauvage oublieroit ce qu'il avoit projett�557. Ce pendant deux Charpentiers travailloient � accommoder les barques & chalouppes, & deux autres � faire les fenestres, portes, poutres, & autres choses de charpenterie, pour le nouveau bastiment; & quelques mil cinq cens planches que j'avois fait scier pour couvrir le logis, & trente cinq poutres qui estoient toutes prestes, avec la pluspart du bois de charpenterie assembl� pour la couverture. Le premier de May, je fis creuser la terre pour faire les fondemens du bastiment, qui avoit est� resolu de faire. j'employay trois hommes � aller qu�rir du sable avec la chalouppe, pour le bastiment; les massons � faire du mortier, attendant que quatre autres ostoient la terre pour les fondements, & le reste � approcher la pierre pour bastir: je fis tirer les allignemens pour commencer � bastir un corps de logis.

Note 557: (retour)

Voir, quelques pages plus loin, la perfidie de ce Simon.

Le 6 de May, l'on commen�a � ma�onner les fondements, sous lesquels je mis une pierre 558, o� 74/1058estoient gravez les armes du Roy, & celles de Monseigneur; avec la datte du temps, & mon nom escrit, comme Lieutenant de mondit Seigneur, au pa�s de la Nouvelle France, qui estoit une curiosit� qui me sembla n'estre nullement hors de propos, pour un jour � l'advenir, si le temps y eschet, monstrer la possession que le Roy en a prise, comme je l'ay fait en quelques endroits, dans les terres que j'ay d�couvertes.

Note 558: (retour)

�Cette pierre, retrouv�e dans une des fouilles faites sur l'emplacement du vieux magasin, avait �t� plac�e au-dessus de la porte d'entr�e d'une maison qui touchait � la chapelle de la basse ville. Un incendie d�truisit cette maison en 1854, et l'inscription a disparu.� (M. Ferland, Cours d'Histoire du Canada, I, 213, note 1.)

Le 8 du dit mois, les cerisiers commenc�rent � espanouir leurs boutons, pour pousser leur feuilles dehors.

En ce temps mesme, sortoient de la terre de petites fleurs, de gris de lin, & blanche, qui sont des primes veres du Printemps, de ces lieux l�.

Le 9 les framboises commenc�rent � boutonner, & toutes les herbes � pousser hors de la terre.

Le 10 ou 11 le sureau monstra ses feuilles.

Le 12 il y a des violettes blanches, qui se firent voir en fleur.

Le 15 les arbres furent boutonnez, & les cerisiers revestus de fueillages & le froment mont� � un ampan de hauteur.

Les framboisiers jetterent leurs feuilles: le cerfeuil estoit bon l� � coupper: dans les bois, l'oseille s'y void � deux pouces de hauteur.

Le 18 les bouleaux jettent leurs feuilles: les autres arbres les suivent de pr�s: le chesne a ses boutons formez; & les pommiers de France que l'on y avoit transplantez, comme aussi les pruniers boutonnoient, les cerisiers y ont la feuille assez grande, la vigne boutonnoit & fleurissoit, l'oseille estoit bonne � couper.

75/1059Le cerfeuil des bois paroissoit fort grand, les violettes blanches & jaunes estoient en fleur: le bled d'Inde se seme, le bled froment croissoit un peu plus d'un ampan de hauteur.

La pluspart de toutes les plantes, & simples, estoient sortis de terre: il y avoit des journ�es en ce mois, o� il faisoit grande chaleur.

Le 21. de May, je despechay un canau � Tadoussac avec trois hommes, pour attendre le sieur de Caen, avec lettres que je luy escrivois, & une autre au premier vaisseau de sa flotte.

Le 29 dudit mois, les fraises commenc�rent � fleurir, & les chesnes � jetter leurs feuilles assez grandes en est�.

Le 30 les fraises furent toutes en fleur, les pommiers commenc�rent � espanouir leurs boutons, pour jetter leurs feuilles: les chesnes avoient leurs feuilles d'environ un pouce de long, les pruniers & cerisiers en fleur, & le bled d'Inde commen�oit � lever.

Durant ce temps je fis assoir quelques poutres sur le premier estage de la nouvelle habitation, & poser quelques fenestres & portes � icelle.

Le premier du mois de Juin arriva un canau de Tadoussac, qui nous dit qu'aux environs du Bicq, il y avoit un vaisseau Rochelois, qui traittoit les sauvages, que dans ce vaisseau estoit un puissant homme qui y commandoit, estant tousjours masqu�, & arm�, & les sauvages ne s�avoient comme il s'appelloit, ny moins le cognoissoient ils pour ne l'avoir veu; & ma cr�ance fut telle, que quand ils l'eussent cogneu, ils ne nous l'eussent voulu dire, 76/1060tant il nous portent d'affection. L'on empesche les autres vaisseaux de venir traitter avec eux, encore que l'on leurs fit le meilleur traittement qu'il fut possible, & ainsi sommes nous aymez d'eux, en recompence du bien que nous leurs faisons.

Le meilleur rem�de que j'ay recognu pour jouir plus facilement d'eux, c'est de n'en faire estat que par occasion, & peu apr�s leur remonstrer hardiment leurs desfauts, & ne se soucier de mille sortes d'insolences qu'ils font le plus souvent: car comme ils voient que l'on en fait point d'estat559, cela les rend plus audacieux � m�dire & mal faire, ayant moy-mesme exp�riment� plusieurs fois, que lors que j'en faisois moins d'estime c'estoit � lors qu'ils me recherchoient le plus d'amiti�, & diray plus que l'on n'a point d'ennemis plus grands que ces sauvages, car ils disent que quand ils auroient tu� des nostres, qu'ils ne laisseroient de venir d'autres vaisseaux qui en seroient bien aises, & qu'ils seroient beaucoup mieux qu'ils ne sont, pour le bon march� qu'ils auroient des marchandises qui leurs viennent des Rochelois, ou Basques: Entre ces sauvages, il n'y a que Montaignars qui tiennent tels discours.

Note 559: (retour)

C'est-�-dire, un point d'�tat.

Arriv�e Le 2e. jour de juin arriva une chalouppe o� estoit le pilote Gascoin avec cinq ou six matelots, qui nous dit qu'il estoit arriv� au port de Tadoussac, avec un vaisseau de soixante tonneaux, ayant quelque cent barils de pois, sept tonneaux de citre, vingt-quatre baricques tant de biscuit que de galette, & que ledit sieur de Caen devoit partir douze 77/1061jours apr�s luy, que la prise de l'un de ces vaisseaux, par les Flamans l'avoit fait retourner � Paris pour se plaindre au Roy, & � Monseigneur, du sujet qui occasionnoit le retardement, m'informant de luy, s'il n'avoit aucune lettre pour moy de sa part, il me dit que non, qu'il me faisoit ses recommandations. Je m'estonnay grandement qu'il ne m'avoit escrit un mot d'advis, de sa venue en ce lieu, car cela va � telle consequence, que n'ayant advis de ceux qui ont la conduitte d'une flotte, ou autres telles affaires importantes, ne doivent jamais permettre que leurs vaisseaux partent sans un mot d'advis, au gouverneur ou lieutenant des places, esloign�es, comme sont celles-cy, pour leur tesmoigner qu'ils se peuvent fier en eux, leurs donnant entr�e libre dans l'habitation ou fort, comme estant de la compagnie. Une lettre que m'escrivoit le sieur le Gendre l'un des associez, m'asseura que le vaisseau venoit de la part dudit sieur de Caen.

Le 4 dudit mois je fis mettre deux barques � l'eaue, qui partirent pour aller � Tadoussac, qu�rir les commoditez qu'avoit apport� ledit vaisseau, lequel avoit ordre de laisser un commis nomm� Halard, avec partie des commoditez des vivres, pour traitter audit Tadoussac, ce qui nous fit un grand plaisir, d'autant que nous n'avions des farines & citres, que jusques au 10 dudit mois de Juin; que sans cela il nous eust fallu r�duire au Migan560, avec quatre barique de bled d'Inde, attendant nouvelles de la venue des autres vaisseaux.

Note 560: (retour)

Voir 1619, p. 76.

Le 12 arriva une barque, qui apporta quelque 78/1062poin�ons de citre, galettes, pois & prunes, & m'apporta une lettre de Halart, qui me mandoit qu'il s'ennuyoit grandement, que le vaisseau dudit sieur de Caen ne venoit, craignant qu'il ne luy fust arriv� quelques accidens par la mer: que recognoissant la necessit� des vivres que nous pourrions avoir, il m'envoyoit ce qui luy restoit de commoditez, s'en reservant un peu pour entretenir les sauvages, qui traictoient ordinairement avec les Rochelois, & que je luy eusse � mander ma volont� de ce qu'il devoit faire.

Le 24 dudit mois, la barque estant descharg�e, prevoyant aux malheurs qui ordinairement peuvent arriver sur la mer, pour les risques qui y sont grandes, voyant que la saison des vaisseaux se passoit, sans s�avoir nouvelles de l'un des deux qui devoit arriver, s�achant bien qu'il ne faut pas attendre aux extremitez � pourvoir en telles affaires, aussi. que la necessit� des vivres nous pressoit, l'advisay qu'il ne seroit hors de propos d'escrire audit de la Ralde, qui estoit � Miscou, quelques 35 lieues de Gaspey, & luy faire entendre la necessit� en laquelle nous allions tomber, s'il ne nous secouroit, au cas qu'il fust arriv� fortune au vaisseau; & avois donn� charge au pilote Gascoin, d'attendre audit Tadoussac, jusques au 15 ou 16 de Juillet, & si en ce temps il n'oyoit aucune nouvelle, qu'il eust � aller trouver ledit de la Ralde; & donnois ordre � Marsollet truchement, luy troisiesme, de ne partir de Tadoussac, pour venir � Qu�bec, que ce ne fust au 8 d'Aoust, qui estoit oster toutes sortes d'esperance, si les vaisseaux ne fussent venus en ce temps: 79/1063Et esquipp� la barque de tout ce qui leur estoit necessaire pour leur voyage: & partirent le 24 jour de S. Jean.

Le 28 du mois, nous eusmes nouvelles de la descente des Hurons, Algommequins & Bisserains561, qui furent bien faschez de n'avoir point de nouvelles des vaisseaux.

Note 561: (retour)

Pour Bissiriniens; ce sont les Nipissingues, ou Sorciers.

Le premier du mois de Juillet, du Vernay qui estoit all� aux Hurons, arriva dans un canau, qui nous apporta nouvelles certaine de la descente des Sauvages, � la riviere des Yrocois; & de la mort d'un Fran�ois, qui avoit est� mon serviteur: & que le P�re Nicolas estoit rest� avec neuf Fran�ois, estant revenu quatre de nos hommes562, Le p�re Joseph, & le fr�re Gabriel, qui venoient qu�rir quelques choses563 pour porter audit p�re Nicolas. De plus ledit du Vernay me dit que le Fran�ois avoit est� mal traitt�, parmy quelques Nations, faute que la pluspart ne s'estoient pas bien comportez avec ces peuples.

Note 562: (retour)

Outre du Vernay, l'un de ces quatre fran�ais s'appelait Lamontagne. (Sagard, Hist. du Canada, p. 819.)

Note 563: (retour)

Voir Sagard, Hist. du Canada, p. 790.

Ce jour arriva une chalouppe, o� estoit le pilote Gascoin, qui ayant apperceu vers l'eau le vaisseau dudit de Caen, qui entroit � Tadoussac, o� il avoit envoy� une chalouppe du Bic, avec ordre de ce qu'ils devoient faire audit Tadoussac, qui estoit de depescher promptement une chalouppe, pour enuoyer � Qu�bec faire charger la barque qui y restoit, & envoyer au devant des Hurons, ce qui fut fait, & partit ce mesme jour.

80/1064En ce temps arriverent les sauvages, qui estoient allez de la part des montagnars aux Yrocois, pour contracter amiti�, & y avoit pr�s de six sepmaines qu'ils estoient partis d'aupr�s de Qu�bec. Ils furent tr�s bien receus des Yrocois qui leurs firent tout plain de bonne r�ception, pour achever de faire cette paix. Mais en la compagnie de ces sauvages estoit un appel� Simon, qui devoit aller � la guerre. Apr�s qu'il eut pris cong� desdits Yrocois s'en retournant, le meschant traistre & perfide Simon, rencontrant un Yrocois l'assomma, pour la recompence du bon traittement qu'il avoit receu desdits Yrocois. Tous nos sauvages en furent grandement desplaisans, & eurent bien de la peine � reparer cette faute: car il ne faut parmy tels gens qu'un tel coquin, pour faire rompre toutes sortes de bonnes entreprises, pour n'avoir aucune justice entr'eux. Le 10 dudit mois les sauvages vindrent cabaner proche de l'habitation. Le lendemain arriva ledit de Caen, avec deux barques charg�es de marchandises: Le jour en suivant l'on commen�a la traitte avec les sauvages: d'autres Canadiens arriverent en ce mesme temps avec quelques chalouppes. Le 14 dudit mois la traitte fut achev�e avec lesdits sauvages, & partirent le mesme jour pour s'en retourner en leurs pa�s, & un Fran�ois 564 fut avec les Bissereins.

Note 564: (retour)

Probablement Jean Richer, leur truchement, (Sagard, Hist. du Canada, p. 801.)

Le 16, le fr�re Gabriel arriva avec 7 canaux, qui nous resjouit grandement, nous comptant tout ce qui s'estoit pass� en son hyvernement, & la mauvaise vie que la pluspart des Fran�ois avoient 81/1065men� en ce pa�s des Hurons, & entr'autres: truchement Brusl� � qui l'on donnoit cent pistolles par an, pour inciter les sauvages � venir � la traitte, ce qui estoit de tres-mauvais exemple, d'envoyer ainsi des personnes si malvivans, que l'on eust deub chastier severement, car l'on recognoissoit cet homme pour estre fort vicieux, & adonn� aux femmes, mais que ne fait faire l'esperance du gain, qui passe par dessus toutes considerations.

Le 19, ledit de Caen partit pour aller aux trois rivieres avec les barques, pour traitter avec d autres sauvages s'il en rencontroit.

Le 20, huict canaux des Hurons qu'avoit amen� ledit Brusl�, partirent de Qu�bec. Ce jour mesmes, arriva ledit du Pont.

Le 25, arriva aussi � Qu�bec une barque, qui nous dit, qu'il estoit venu six Yrocois, nonobstant la mort de celuy qui avoit est� tu�, pour confirmer l'amiti� avec tous les sauvages: ayant bien jug�, que le sauvage qui avoit tu� leur compagnon, l'avoit fait de sa propre malice, & non du consentement de ses compagnons. Le lendemain, arriva une barque, o� il y avoit deux soldats, que le sieur de Caen envoyoit en son vaisseau, pour les mettre � la chaisne, pour quelques legeretez qu'ils avoient commises. Nouvelles vindrent aussi, qu'il estoit arriv� � l'entr�e de la riviere des Yrocois, trente canaux Hurons, avec quelques Fran�ois.

Le premier d'Aoust, est arriv� � Qu�bec ledit sieur de Caen, & le 4, il fut au Cap de tourmente, qui dit luy avoir est� donn� par monseigneur de Montmorency, avec l'Isle d'Orl�ans, & quelques 82/1066autres isles adjacentes: & le 10, il retourna � Qu�bec.

En ce temps je me resolus de repasser en France avec ma famille, y ayant hyvern� pr�s de cinq ans, & o� durant ce temps, nous fusmes assez mal secourus de raffraichissemens, & d'autres choses fort escharsement; nous n'avions dequoy remercier les associez en cela, car s'ils l'eussent sceu, ils y eussent donn� ordre: la courtoisie & le devoir les obligeoit d'avoir soing des personnes qui avoient esgard � la conservation de la place & de leur bien, outre la charit� pour ceux qui pouvoient estre malades, fussent morts faute de secours, & ainsi estoit plustost diminuer le courage, que de l'augmenter � servir des personnes, qui ne font estat des hommes qui conservent leur bien, & se tuent de soin & travail � garder ce qui leur appartient, au lieu que peu de choses contante tout un peuple.

Je fis embarquer tout mon esquippage, & laissay l'habitation nouvelle bien advanc�e, & eslev�e de 14 pieds de haut, 26 toises de muraille faicte avec quelque poutres au premier estage, & toutes les autres prestes � mettre les planches sci�es pour la couverture, la pluspart du bois taill� & amass� pour la charpente de la couverture du logement, toutes les fenestres faictes, & la pluspart des portes, de sorte qu'il n'y avoit plus qu'� les appliquer, je laissay deux fourneaux de chaux cuitte, de la pierre assembl�e, & ne restoit plus en tout que sept ou huict pieds de hauteur, que toutes la muraille ne fust eslev�e, ce qui se pouvoit en quinze jours, leurs mat�riaux assemblez pour estre logeable, si l'on y eust voulu apporter la diligence requise. Je 83/1067les priay d'amasser des fassines, & autres choses, pour achever le fort, jugeant bien en moy-mesme, que l'on n'en feroit rien, d'autant qu'ils n'avoient rien de plus desagreable, bien que c'estoit la conservation, & la seuret� du pays, ce qu'ils ne pouvoient, ou ne vouloient comprendre. Cet oeuvre ne s'avan�oit que par intervalles, selon la commodit� qui se presentoit, lors que les ouvriers n'estoient employez � autres oeuvres.

Ledit sieur de Caen laissa son neveu, le sieur Esmery, pour principal commis, & pour commander en mon absence audit Qu�bec, avec cinquante & une personne, tant hommes que femmes, gar�ons, & enfans.

Le Jeudy 15e jour d'Aoust, partismes de Qu�bec le 18. arrivasmes � Tadoussac, ou nous eusmes nouvelles de la mort de cinq hommes du vaisseau dudit Deschesnes, qui estoit � l'Acadie, lesquels hommes, avoient este tuez par les sauvages du lieu, proche du sieur de Biencour, qui estoit demeurant en ces lieux, il y avoit plus de 18 ans565 avecques les sauvages.

Note 565: (retour)

D'apr�s ce passage, M. de Biencourt serait venu en Acadie avec son p�re d�s 1605, ou m�me 1604, c'est-�-dire, � l'�ge d'environ quinze ans. (Lescarbot, liv. V, ch. X.)

Le 21 d'Aoust 1624. nous levasmes l'ancre, & mismes soubs voilles, pour retourner en France.

Le 25 fusmes mouiller l'ancre devant Gaspey, & trouvasmes de la Ralde qui estoit venu de Miscou, faire sa pescherie de poisson.

Le premier de Septembre un vaisseau partit de la flotte o� commandoit le capitaine Gerard, pour aller en France devant porter des nouvelles.

84/1068Le 6, le vaisseau de du Pont acheva de faire sa pesche de poisson audit Gaspey.

La nuict venant au samedy566, ledit sieur de Caen partit avec quatre vaisseaux, en l'un desquels estoit sa personne567, & en l'autre ledit du Pont568, au troisiesme ledit de la Ralde, & une patache de 45 � 50 tonneaux, dans laquelle estoit le pilote Canan�e569.

Le 19 l'on apperceut un vaisseau de 60 tonneaux, que l'on jugeoit estre Rochelois, on fist chasse dessus, mais il s'evada, & ainsi se sauva � la faveur de la nuict570.

Note 566: (retour)

Du 6 au 7 septembre.

Note 567: (retour)

Et probablement l'auteur avec sa famille. (Conf. Sag., Hist. du Canada, p. 842 et s.)

Note 568: (retour)

Avec Dupont, repassait F. Gabriel Sagard, M. Goua, M. Joubert, le sieur de la Vigne et probablement aussi le P. Ir�n�e. (Sagard, Hist. du Canada, p. 841, 843 et suiv.) Le P. Ir�n�e �tait d�put� en France par le chapitre des R�collets de Notre-Dame-des-Anges, pour obtenir des j�suites, afin d'aider les premiers missionnaires � la conversion des sauvages; mais, les sentiments de Champlain, que l'on avait sond� l�-dessus, paraissant assez �quivoques, il avait �t� arr�t� de tenir cette r�solution secr�te, afin d'en m�nager plus-s�rement le succ�s en France. (Premier �tabliss. de la Foy, I, 291, 292, 298.)

Note 569: (retour)

�A mon voyage de la nouvelle France, je communiquay souvent avec un bon Catholique nomm� le Capitaine Canan�e, qui avoit receu des disgraces en mer autant qu'homme de sa condition. Il avoit est� pris & repris des Pirates tant d'Alger qu'autres, qui l'avoient mis au blanc, & r�duit � servir ceux qu'il auroit pu auparavant commander. Retournant de Canada pour la France le sieur de Caen g�n�ral de la flotte luy donna le gouvernement & la conduitte d'un petit navire, avec 12 ou 13 Mattelots Catholiques & huguenots pour conduire � Bordeaux. Je desirois fort passer dans son bord, tant pour la devotion que j'avois � la saincte Magdeleine de laquelle le vaisseau portoit le nom, que pour le contentement particulier que je recevois � la communication de ce bon & vertueux Capitaine, mais ledit sieur de Caen g�n�ral, & le sieur de Champlain avec une quantit� de nos amis me dissuaderent de m'embarquer dans un si petit vaisseau, plus ays� � perir qu'un plus grand, outre l'incommodit� du balotage. Je me resolus donc � leur conseil & me teins � ce qu'ils en voulurent...� (Sagard, Hist. du Canada, p. 38, 39.)

Note 570: (retour)

�Donn�mes en vain la chasse � un Piratte Rochelois, qui nous estoit venu recognoistre passant au travers de nostre arm�e. A la v�rit� la faute que fit nostre avant garde, le corps d'arm�e, & l'arriere-garde � la poursuitte de ce Pirate, me fist bien croire que nous n'estions pas gens pour attaquer, & que c'estoit assez de nous deffendre. Et puis c'estoit un plaisir d'entendre auparavant nos guerriers de vouloir aller attaquer unze Navires basques vers Miscou, & de l� s'aller saisir des Navires Espagnols le long des Isles Assores. Dieu s�ait quelle prouesse nous eussions faite, n'ayans pu prendre un forban de 60 tonneaux, qui nous estoit venu braver jusques chez nous.� (Sagard, Hist. du Canada, p. 841, 842.)

Le 27 on treuva fond � la sonde, � 90 brasses. Ce jour la petite barque o� commandoit Canan�e, 85/1069se separa de nous, pour aller � Bordeaux, selon l'ordre qu'il en avoit: Depuis nous sceusmes qu'elle fut prise des Turcs, le long de la coste de Bretaigne, qui emmen�rent les hommes qu'ils y trouverent, & les firent esclaves571.

Note 571: (retour)

Conf. Sagard, Histoire du Canada, p. 39 et 842.

Le 29 nous recogneusmes en la coste d'Angleterre, le cap appelle Tourbery.

Le dernier de Septembre, nous apperceusmes la terre de la Heve.

Le premier d'Octobre, entrasmes dans le havre de Dieppe, ou louasmes Dieu de nous avoir amenez � bon port, auquel lieu je sejournay quelques jours, de l�, je m'acheminay � Paris avec tout mon train, o� estant, je fus treuver � sainct Germain le Roy, & Monseigneur de Montmorency, qui me presenta � sa Majest�, auquel je fis la relation de mon voyage, comme � plusieurs messieurs du Conseil, desquels j'avois l'honneur d'estre cogneus. Ce fait, je m'en retournay � Paris, o� je treuvay que les anciens & nouveaux associez, eurent plusieurs contestations sur le mauvais mesnage qui s'estoit fait en l'embarquement, qui apporta plusieurs troubles, cela en partie donna suject � mondit seigneur de Montmorency, de se deffaire de sa charge de Viceroy, qui luy rompoit plus la teste, que ses affaires plus importantes, la remettant � Monseigneur le Duc de Ventadour, qu'il voyoit port� � ce sainct dessein, convenant avec luy d'un certain prix, tant pour la charge de Viceroy, que pour l'interest qu'il avoit en ladite Soci�t�, le tout sous le bon plaisir de sa Majest�, laquelle commanda 86/1070d'exp�dier les lettres patentes d'icelle commission, au mois de Mars 1625. au nom de mondit seigneur le Duc de Ventadour, n'estant pouss� d'autres interests que du z�le & affection qu'il avoit de voir fleurir la gloire de Dieu, en ces pays barbares; & pour cest effect, y envoyer des Religieux, jugeant n'en trouver de plus capables, que les p�res Jesuistes, pour amener ces peuples � nostre foy: il en envoya six572, � ses propres cousts & despens, d�s l'ann�e mesmes. S�avoir estoit, les reverend p�re l'Almand573, Principal du Coll�ge de Paris; tres-devot & z�l� Religieux, fils du feu sieur l'Almand, qui avoit est� Lieutenant criminel de Paris; & le p�re Brebeuf574, le p�re Mass�575, fr�re Fran�ois 576, & fr�re Gilbert 577, qui s'achemin�rent aussi-tost avec une grande affection, � Dieppe, lieu de l'embarquement.

Note 572: (retour)

Cinq, comme le prouve la suite m�me du texte.

Note 573: (retour)

Charles Lalemant. (Sagard, Hist. du Canada, p. 868.)

Note 574: (retour)

Jean de Brebeuf. (Prem. �tabliss. de la Foy, I, 304.)

Note 575: (retour)

Ennemond Mass�. (Voir Hist. de la colonie fran�aise en Canada, I, 101, note.)

Note 576: (retour)

Fran�ois Charton. (Prem. �tabliss. de la Foy, I, 304.)

Note 577: (retour)

Gilbert Buret, d'apr�s le P. le Clercq (Prem. �tabliss. de la Foy, I, 304), et Burel, d'apr�s les Relations des J�suites (1635, p. 23, �dit. de Qu�bec).

87/1071

LIVRE

SECOND

DES VOYAGES

DU SIEUR DE

CHAMPLAIN.


Monsieur le Duc de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France, continue la Lieutenance au sieur de Champlain. Commission qu'il luy fait exp�dier. Retour du sieur de Caen de la Nouvelle France. Trouble qu'il eut avec les anciens associez.

CHAPITRE PREMIER.

n ce mesme temps, mondit Seigneur de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France, me continua en l'honneur de la Lieutenance, que j'avois eue de mondit seigneur de Montmorency, me promettant pour icelle ann�e de demeurer proche de luy, pour l'instruire des affaires dudit pa�s, & donner ordre � quelques miennes autres que j'avois � Paris.

88/1072S'ensuit la Commission de Monseigneur le Duc de Ventadour Pair de France, donn�e � Monsieur de Champlain.

HENRY DE LEVY, Duc de Ventadour, Pair de France, Lieutenant g�n�ral pour le Roy au gouvernement de Languedoc, Vice-Roy, & Lieutenant g�n�ral au pays de la Nouvelle France, & terres circonvoisines. A tous ceux qui ces presentes lettres verront salut: S�avoir faisons, que pour la bonne & enti�re confiance que nous avons du sieur Samuel de Champlain, Capitaine pour le Roy en la marine: & de ses sens, suffisance, pratiques, exp�riences au faict d'icelle, bonne diligence, cognoissance qu'il a audit pays, pour les diverses navigations, voyages, frequentations qu'il y a faictes, & en autres lieux circonvoisins d'iceluy: A iceluy sieur de Champlain, pour ces causes, & en vertu du pouvoir � nous donn� par sa Majest�, conform�ment aux lettres de commissions par luy obtenues, tant du feu sieur Comte de Soissons, que Dieu absolve, de Monsieur le Prince de Cond�, & depuis, de monsieur le Duc de Montmorency, nos predecesseurs en ladite Lieutenance Generalle des quinze Octobre, & vingtdeuxiesme Novembre 1612. & 8 Mars 1620 & � la nomination de sa Majest�, par les articles ordonnez par arrest du Conseil du premier Avril 1622. AVONS commis, ordonn�, d�put�, commettons, ordonnons, & deputons par ces presentes, nostre Lieutenant, pour representer nostre personne, audit pays de la 89/1073Nouvelle France: Et pour cet effect, luy avons ordonn� d'aller se loger avec tous ses gens, au lieu de Qu�bec, estans dedans le fleuve sainct Laurent, autrement appelle la grande riviere de Canada, audict pays de la Nouvelle France, & audit lieu, & autres endroicts que ledit sieur de Champlain advisera bon estre: faire construire & bastir tels forts & forteresses qu'il luy sera besoin & necessaire, pour la conservation de ses gens: Lequel fort, ou forts, il nous gardera � son pouvoir, pour audit lieu de Qu�bec, & autres lieux, & endroicts, en l'estendue de nostredict pouvoir, tant & si avant que faire se pourra: Establir, estendre, & faire cognoistre le nom, puissance & auctorit� de sa Majest�: & en icelles, assubjettir, sousmettre, & faire obeyr tous les peuples de ladite terre, & les circonvoisins d'icelle: & par le moyen de ce, & de toutes autres voyes licites, les appeller, faire instruire, provoquer & esmouvoir � la cognoissance & service de Dieu, & � la foy & religion Catholique, Apostolique & Romaine, l� y establir, & en l'exercice & profession d'icelle, maintenir, garder & conserver lesdits lieux, sous l'obeyssance & auctorit� de sadite Majest�, & pour y avoir esgard & vacquer avec plus d'asseurance, Nous avons, en vertu de nostredit pouvoir, permis audit sieur de Champlain, commettre & establir, & substituer tels Capitaines & Lieutenans pour nous, que besoin sera. Et pareillement commettre des officiers pour la distribution de la justice, & entretien de la Police, Reglemens & Ordonnances, jusques � ce que par nous autrement 90/1074en ayt est� pourveu. Traitter, contracter � mesme effect, paix, alliances, conf�d�rations, bonne amiti�, correspondance & communication, avec lesdits Peuples, & leurs Princes, ou autres ayant commandement sur eux, entretenir, garder, & soigneusement conserver les traittez & alliances, dont il conviendra avec eux, pourveu qu'ils y satisfacent de leur part: & � leur deffaut, leur faire guerre ouverte, pour les contraindre & amener � telle raison qu'il jugera necessaire, pour l'honneur, obeisance, & service de Dieu, & de l'establissement, manutention, & conservation de l'authorit� de sadite Majest� parmy eux: du moins pour vivre, hanter, & fr�quenter en toute asseurance, libert�, fr�quentation, & communication, y n�gocier & traffiquer amiablement & paisiblement, faire faire � ceste fin les descouvertures desdites terres, & notamment depuis ledit lieu de Qu�bec, jusques & si avant qu'il se pourra estendre au dessus d'iceluy, dedans les terres & rivieres qui se deschargent dedans ledit fleuve sainct Laurent, pour essayer � treuver le chemin facile pour aller par dedans ledit pa�s, au Royaume de la Chine, & Indes Orientales, ou autrement tant & si avant qu'il se pourra estendre, le long des costes dudit pa�s, tant par mer, que par terre, & faire en ladite terre ferme, soigneusement rechercher & recognoistre toutes sortes de Mines d'Or, d'Argent, Cuivre, & autres m�taux & min�raux, les faire fouiller, tirer, purger, & affiner, pour estre convertez & en disposer selon & ainsi qu'il est prescript, par les Edits & Reiglemens de sadite 91/1075Majest�, & ainsi que par nous sera ordonn�, & o� ledit sieur de Champlain trouverroit des Fran�ois, ou autres traffiquans, negocians & communiquans avec les sauvages & peuples, notamment depuis le lieu de Gaspey, par la haulteur de quarante huict & � quarante neuf degrez de latitude, & jusques au cinquante & deuxiesme degr�, Nort & Su dudit Gaspey, qui nous est reserv� par sadite Majest�, luy avons permis & permettons s'en saisir & les appr�hender, ensemble leurs vaisseaux & marchandises & tout ce qui se trouverra � eux appartenans, & iceux faire conduire & amener en France, es mains de la justice, pour estre proc�d� contr'eux selon la rigueur des ordonnances Royaux, & ce qui nous a est� accord� par sadite Majest�, ce faisant g�rer, n�gocier, & se comporter par ledit sieur de Champlain, en la fonction de sadite charge de nostre lieutenant pour tout ce qu'il jugera estre en l'advencement desdites conquestes & peuplement: le tout pour le bien, service, & auctorit� de sadite Majest�, avec mesme pouvoir, puissance & auctorit� que nous ferions, si nous y estions en personne, & comme si tout y estoit par expr�s & plus particuli�rement specifi�, d�clar�. Luy avons, & de tout ce que dessus, donn�, & donnons par ces presentes, charge & pouvoir, commission & mandement special: Et pour ce, & en tout nostre pouvoir esdits pays, � quoy nous n'aurions pourveu, & jusques � y estre par nous particuli�rement pourveu: Avons ledit sieur de Champlain substitu�, & subrog� en nostre lieu & place; � la charge d'observer, & faire 92/1076observer tout ce que dessus, & par ceux qui seront sous sa charge & commandement, & de nous faire bon & fidel rapport, � toutes occasions, de tout ce qu'il aura faict & exploit�, pour en rendre par nous, prompte raison � sadite Majest�. SI PRIONS ET REQUERONS, tous Princes, Potentats, & Seigneurs estrangers, les Lieutenans g�n�raux, Admiraux, Gouverneurs de leurs Provinces, Chefs & conducteurs de leurs gens de guerre, tant par mer que par terre, Capitaines de leurs villes, Forts maritimes, Ports, Costes, Havres & Destroits, donner confort & ayde audit sieur de Champlain, pour l'entier effect & ex�cution de ces presentes, tout support, assistance, retraicte, & main forte si besoin est, & en soient par luy requis: En tesmoin dequoy nous avons sign� les presentes de nostre main; & � icelles faict mettre nostre Seel. DONN� � Paris, le 15 Fevrier, 1625. sign� VENTADOUR. & plus bas par commandement de mondit Seigneur, GIRARD.

Ledit sieur de Caen fit encore ce voyage, sous la commission de monditseigneur de Ventadour, avec lesquels passerent nosdits Reverends P�res, lesquels il traitta courtoisement au passage578. Et un 93/1077p�re Recollet appelle p�re Joseph de la Roche tr�s-bon Religieux, alli� de la maison du Comte du Lude, qui avoit quitt� les biens & honneurs temporels pour suivre les spirituels.

Note 578: (retour)

Si les P�res J�suites furent �trait�s courtoisement au passage,� l'accueil qu'ils re�urent en arrivant � Qu�bec ne tarda pas � les convaincre qu'on avait sem� contre eux bien des pr�jug�s, �On auroit cr�,� dit le P. le Clercq (Prem. �tabliss. de la Foy, I, 309 et suiv.), �que les P�res Jesuites ayant bien voulu se sacrifier au pa�s, & commencer leur Mission par un nombre aussi considerable de bons sujets, ils y auroient est� re�us avec toute la reconnoissance possible, & m�me avec agr�ment; mais bien loin de cela, il ne se trouva personne ny des chefs, ny des habitans qui n'y t�moigna de la r�pugnance: tous refuserent unanimement de les recevoir s'ils ne voyoient des ordres absolus & un commandement du Roy pour leur �tablissement: ils ne trouverent m�me personne qui les voulut loger. Car comme on s'estoit content� de tirer purement un contentement verbal de Sa Majest�, on n'avoit pas trouv� lieu d'obtenir des lettres authentiques pour l'�tablissement de ces Reverends Peres. Si bien que l'entreprise alloit �chouer: ils estoient sur le point de repasser en France par les m�mes navires, & d'abandonner enti�rement leur dessein, lorsque nos Peres apr�s bien des all�es & des venues, obtinrent enfin de Monsieur le G�n�ral & des Habitans, qu'on trouveroit bon que les PP. Jesuites fussent logez chez nous pour ne faire qu'un esprit & qu'un corps de Missionnaires, sans estre � charge au pais, jusqu'� ce qu'il pl�t au Roy d'en ordonner autrement. Cet accommodement estant fait, le P. Commissaire & ses Religieux partirent avec la chalouppe du Convent, pour aller � bord faire honneur aux RR. PP. Jesuites & les conduire chez nous avec toute la joye qu'on peut juger. Nos Religieux voyans leurs souhaits accomplis par l'arriv�e de ces Peres, le Te Deum fut chant� en action de gr�ce, & on leur fit du reste tout l'acueil que l'�tat du pais & la sainte pauvret� pouvoit permettre. On leur offrit, & ils agr�erent � leur choix, la moisti� de nostre Convent, du Jardin & de nostre Enclos deffrich� o� ils demeurerent ensuite l'espace de 2 ans, vivans & travaillans avec nos Peres en parfaite intelligence, pendant que leurs affaires s'accomoderoient & s'avanceroient du c�t� de France & dans le pais, pour un parfait �tablissement: � quoy sans doute ne servit pas peu la deputation que nos P�res firent en France, principalement pour ce sujet, du P�re Joseph le Caron qui y revint l'ann�e suivante, triomphant & glorieux d'avoir obtenu une partie de sa n�gociation, & ce que nous souhaitions sur ce sujet. Aussi le public sera bien aise & en m�me temps �difi� de voir que les RR. PP. Jesuites n'en furent pas m�connoissans: entre autres t�moignages qu'on en pourroit donner, voicy la copie de deux lettres du R�v�rend P�re Lallemant, premier Sup�rieur des Jesuites du Canada, �crites en France � Monsieur de Champlain, & au R�v�rend P�re Provincial des Recollets de la province de Saint Denis.

�MONSIEUR, Nous voicy gr�ces � Dieu dans le ressort de vostre Lieutenance, o� nous sommes heureusement arrivez, apr�s avoir eu une des belles travers�es qu'on ait encore experiment�. Monsieur le G�n�ral apr�s nous avoir d�clar� qu'il luy estoit impossible de nous loger dans l'habitation, ou dans le Fort, & qu'il faudrait ou repasser en France, ou nous retirer chez les P�res Recollets, nous a contraint d'accepter ce dernier offre. Ces Peres nous ont re�u avec tant de charit�, qu'ils nous ont obligez pour un jamais. Nostre Seigneur fera leur r�compense. L'un de nos Peres estoit all� � la traite en intention de passer aux Hurons & aux Iroquois avec le Pere Recollet qui estoit venu de France, selon qu'ils aviseroient avec le P�re Nicolas qui se devoit trouver � la traite & conf�rer avec eux: mais il est arriv� que le pauvre Pere Nicolas Recollet s'est noy� au dernier Sault ce qui a est� cause qu'ils sont retournez n'ayant ny connoissance ny Langue, ny information. Nous attendons donc vostre venue pour resoudre ce qui sera � propos de faire. Vous s�aurez tout ce que vous pourrez desirer de ce pays du R�v�rend P�re Joseph. C'est pourquoy je me contente de vous assurer, que je suis Monsieur, vostre tr�s-affectionn� Serviteur Charles Lallemant. De Quebec ce 28 Juillet 1625.

Voicy la copie de celle qu'il �crit au R. P. Provincial des Recollets de Paris.

MON R. PERE, (Fax Christi.) Ce serait estre par trop m�connoissant de ne point �crire � vostre Reverence, pour la remercier de tant de lettres qui furent derni�rement �crites en nostre faveur aux Peres qui sont icy en la Nouvelle France, comme de la charit� que nous avons receue des P�res qui nous ont obligez pour un jamais, Je supplie nostre bon Dieu qu'il soit la recompense des uns & des autres. Pour mon particulier, j'�cris � nos Sup�rieurs que j'en ay un tel ressentiment, que l'occasion ne se presentera point que je ne le fasse paroistre; & les supplie quoyque d'ailleurs tres-affectionnez de t�moigner � tout vostre Saint Ordre les m�mes ressentimens. Le P�re Joseph dira � vostre R�v�rence le sujet de son voyage pour le bon succ�s duquel nous ne cesserons d'offrir Pri�res y Sacrifices � Dieu. Il faut � cette fois avancer � bon escient les affaires de nostre Maistre, & ne rien obmettre de ce qu'on pourra s'aviser estre necessaire. J'en ay �crit � tous ceux que j'ay cr� y pouvoir contribuer, qui je m'assure s'y emploiront si les affaires de France le permettent. Je ne doute point que vostre R�v�rence ne s'y porte avec affection, & ainsi vis unita fera beaucoup d'effet. En attendant le succ�s, je me recommande aux saints Sacrifices de vostre R�v�rence, de laquelle le suis tr�s-humble Serviteur Charles Lallemant. De Qu�bec ce 28 Juillet 1621.�

Ledit sieur de Caen ayant fait son voyage, il vint � Paris, o� il eust plusieurs traverses des anciens Associez, qui les mit en un procez au Conseil, pensant tomber d'accord � l'amiable les uns avec les autres: De plus que mondit seigneur avoit du mescontentement dudit sieur de Caen, sur ce qu'on luy rapporta qu'il avoit fait faire les pri�res de leur religion pr�tendue, publiquement dans le fleuve sainct Laurent: desirant que les Catholiques y assistassent, chose qui luy avoit est� deffendue 94/1078par mondit seigneur, lesquelles accusations le sieur de Caen n'approuva, disant que c'estoit la hayne & la malice de ses envieux, qui procuroient tout le mal qu'ils pouvoient contre luy, quoy que ce toit, apr�s avoir bien disput� les uns contre les autres, aux assembl�es qui se faisoient en l'hostel de Ventadour. Il falut avoir arrest de Messieurs du Conseil, puisqu'ils ne se pouvoient accorder sur un contrat que l'on avoit fait, auquel l'on quittoit l'affaire audit sieur de Caen, en donnant trente six pour cent d'interests, sur un fond de soixante mil livres: qu'il seroit tenu d'ex�cuter tous les articles, dont la societ� estoit oblig�e envers le Roy, & dans trois jours donneroit caution bourgeoise dans Paris, & nommeroit un Chef catholique, agr�able � monseigneur le Vice-Roy, pour la conduitte des vaiseaux. Le temps venu il ne fournit cautions au gr� 95/1079des Associez, ny ne nomma ledit chef, ce que refusant, les anciens Associez, ledit sieur de Caen les fait appeller devant le juge de l'Admiraut�, de l� ils furent audit Conseil de sa Majest�, suivant une requeste que lesdits anciens associez avoient present�e, pour faire interdiction au juge de l'Admiraut� d'en cognoistre, ils sont un temps � contester les uns contre les autres, en fin le Conseil ordonna que l'enchere qui avoit este faite au Conseil, de quatre pour cent d'advantage que les trente six, par le contract pass� entr'eux � l'hostel du seigneur de Ventadour, que ledit de Caen auroit la pr�f�rence, en donnant caution suffisante dans Paris: & que attendu l'absence dudit seigneur de Ventadour, ledit de Caen nommeroit un chef catholique pour la conduitte des Vaisseaux qui fut ledit de la Ralde qu'il nomma, & que pour la personne dudit de Caen il ne feroit le voyage: lequel ne laissa tousjours d'appareiller & apprester ses vaisseaux, des choses qu'il jugeoit estre necessaires pour l'habitation de Qu�bec. Ayant son arrest il s'en vint � Dieppe, pour faire partir les vaisseaux, o� je me trouvay, estant party de Paris le premier d'Avril 1626, accompagn� des sieurs Destouche, & Boull� mon beau fr�re, lequel mondit Seigneur avoit honor� de ma Lieutenance au fort, & ledit Destouche de mon Enseigne.

Les reverends Pere Noyrot, Jesuiste, & de la Nou� & un fr�re 579, estoient � Dieppe, pour treuver commodit� de faire passer des vivres pour vingt 96/1080ouvriers, qu'ils menoient audit pa�s pour eux, estant contrains de prendre un vaisseau de quatre vingts tonneaux du sieur de Caen, qui leur fretta pour les passer, avec tout leur attirail, moyennant le prix de trois mil cinq cens livres: voil� tout ce qui se pana jusqu'� l'embarquement qui fut le 15 d'Avril 1626. Je m'embarquay dans le vaisseau la Catherine, du port de 250 tonneaux, & aussi le pere Joseph Caron Recollet580, qui y avoit autrefois hyvern�; nous fusmes � la rade jusques au vingtiesme dudit mois, que nous levasmes l'ancre, & nous mismes sous voille � un heure apr�s midy, faisant un bort sur autre, attendant ledit sieur de Caen, qui desiroit donner quelque ordre audit de la Ralde & Emery son nepveu, qui estoit en la Fleque pour vice-Admiral, qui devoit aller faire sa pesche de poisson � l'Isle perc�e.

Note 579: (retour)

Les PP. Philibert Noirot, Anne de Noue, et le Fr�re Jean Gaufestre (Conf. Ducreux, p. 4; Relat. des J�s.; Prem. �tabliss. de la Foy, I, 340).

Note 580: (retour)

Le P. le Caron �tait pass� en France l'ann�e pr�c�dente. (Ci-dessus, p. 92, note 1.)

Sur les six heures du soir arriva ledit de Caen, qui fit prester le serment audit de la Ralde, & � ceux de son esquippage, & donna l'ordre qu'il desiroit que l'on tint audit voyage, ce qu'ayant fait il fit publiquement la lecture devant tout son esquippage & autres, d'un petit livre, contenant plusieurs choses que l'on luy imputoit avoir faites. Je creu qu'il y en avoit qui n'estoient pas trop contens de ceste lecture. Ayant fait ce qu'il voulut, il prit cong� de la compagnie & s'en retourna � terre, & nous � nostre route au mieux que le temps le peust permettre, qui ne fut que pour battre la mer vingt quatre heures, car le lendemain il nous fallut relascher � la rade de Dieppe.

97/1081Le Vendredy581 au soir que mismes sous voilles ayant lev� l'ancre cinq vaisseaux de conserve582. Le 27, nous apperceusmes un vaisseau que l'on jugeoit estre forban, nous fismes chasse sur luy quelques trois heures, mais estant meilleur voillier que nous, mismes � l'autre bord.

Note 581: (retour)

Le vendredi �tait le 24.

Note 582: (retour)

Ces cinq vaisseaux �taient: la Catherine, ou la Sainte-Catherine (suivant les manuscrits d'Asseline et de Guibert), vaisseau de 250 tonneaux, suivant Champlain, et de 300, suivant ces deux manuscrits, command� par le capitaine de la Ralde, amiral de la flotte; la Fl�que, vaisseau de 260 tonneaux (suivant les m�mes manuscrits), o� �tait pour vice-amiral le capitaine �mery de Caen; le troisi�me et le quatri�me vaisseaux, dont on ne conna�t pas les noms, �taient de 200 et de 120 tonneaux; enfin le cinqui�me, nomm� l'Alouette, �tait de 80 tonneaux.

Le 23 de May eusmes une tourmente, qui dura deux fois vingt quatre heures, avec orages de pluyes, tonnerres, esclairs, & bruines fort espesses, qui fit que le petit vaisseau des Peres jesuistes, nomm� l'allouette, nous perdit de veue.

Le 5 de Juin par 44 degrez & demy de latitude, nous eusmes sonde, sur lecore du Ban. Le 12, cognoissance de l'isle de terre neufve, qui estoit le Cap des vierges, & le soir la veue du Cap de Raye. Le 13 fusmes recognoistre le Cap de sainct Laurent & Isle sainct Paul. Le 17. passasmes proche des Isles aux oyseaux. Le 20. nous fusmes mouiller l'ancre, entre l'Isle de Bonadventure & l'Isle perc�e, o� trouvasmes arrivez tous les vaisseaux qui nous avoient quittez comme l'allouette qui nous avoit perdue, durant les coups de vent qu'avions eus; & y avoit quinze jours que ledit Emery de Caen estoit arriv�, tesmoignage que nostre vaisseau n'estoit pas trop bon voillier, nous fusmes deux mois & six jours � cette traverse contrariez de mauvais temps.



98/1082

Il m'a semb�� n'estre hors de propos de faire une description particuliere, de l'Isle de Terre neufve, & autres costes qui sont du Cap Breton & Golfe S. Laurent, jusques � Qu�bec, bien que j'en aye traict� en quelques endroits, mais non si particuli�rement, & de suitte comme je fais ce Chapitre cy dessous.

Description de l'Isle de Terre Neufve, Isle aux Oyseaux. Ram�es S. Jean, Enticosty, & de Gaspey, Bonnaventure, Miscou, Baye de Chaleu, avec ce qui environne le Golfe S. Laurent, avec les Costes depuis Gaspey, jusques � Tadoussac, & de l� Qu�bec, sur le grand fleuve S. Laurent.

CHAPITRE II.

Le Cap de Rase, attenant � l'isle de Terre neufve, est la terre la plus proche de France, esloign�e de 25 lieues de Lecore583 du grand ban o� se faict la pesche du poisson vert, il est par hauteur de 46 degrez & 35 minutes de latitude,584 & d'iceluy cap � celuy de saincte Marie 22 lieues & de hauteur 46 degrez trois quarts, & de ce lieu jusques aux Isles sainct Pierre 23 lieues, du bord de celle qui est le plus Arrouest, & dudit cap de Rase aux Isles Sainct Pierre 45 lieues, qui sont de hauteur pr�s de 46� & deux tiers, & 40 lieues jusques au cap de Raye, de hauteur 47� & demy, dans toutes ces costes du Su de ladite Isle de terre neufve y a nombres de bons ports, rades, & havres, entr'autres Plaisance, la baye des Trespassez, celle de tous les Saincts, comme aussi ausdites Isles sainct 99/1083Pierre, o� plusieurs vaisseaux vont faire pesche de poisson sec.

Note 583: (retour)

Le cap de Rase est � environ 25 lieues de l'�core du Banc-�-Vert.

Note 584: (retour)

46� 4l' suivant Bayfield.

La coste du Nortdest & Surouest de ladite Isle de terre neufve, & celle du Nort un quart au Nordouest, contient quelques 110 lieues jusques au 52e degr�, est fournie de plusieurs bons ports & Isles, o� y a nombre de vaisseaux, vont faire pescherie de molue, tant Fran�ois, Malouains, que Basques & Anglois.

De l'Isle, � la grande terre du Nort, il y a 8 � 10 lieues par endroits, la coste de l'Isle Nordest & Surouest, qui regarde le golphe S. Laurens a cent lieues de long, n'est cogneu que fort peu, si ce n'est proche le Cap de Raye o� il y a quelque port o� se fait pesche de poisson: Toute cestedite Isle de terre-neufve tient de circuit plus de 300 lieues, o� il y a nombre de bons ports (comme j'ay dit) le terroir est presque tout montueux, remply de pins & sapins, c�dres, bouleaux, & autres arbres de peu de valeur. Il se descharge dans la mer quantit� de petites rivieres & ruisseaux qui viennent des montagnes. La pesche du saumon est fort abondante en la plus part de ces rivieres, comme d'autres poissons. Les froidures y sont aspres, & les neges grandes, qui y durent pr�s de sept mois de l'an. Il y a force eslans, lapins, & gelinotes, icelle n'est point habit�e, les sauvages qui y vont quelques fois en Est� de la grandtaire voir les vaisseaux qui font pescherie de molue.

Du Cap de Raye qui est par les 47 degr�s & demy de latitude, jusques au Cap de S. Laurent, qui est par les 46 degr�s 55 minutes, il y a 17 � 100/108418 lieues, cet espace est l'une des emboucheures dudit golphe S. Laurent, de ce lieu aux Isles aux oyseaux il y a 17 � 18 lieues qui sont un peu plus de 47 degr�s & trois quarts, ce sont deux rochers dans ledit golphe, o� il y a telle quantit� d'oyseaux appellez tangeux, qui ne se peut dire de plus, les vaisseaux partant par l� quand il fait calme, avec leur batteau vont � ces Isles, & tuent de ces oyseaux � coups de b�tons, en telle quantit� qu'ils veulent, ils sont gros comme des oyes, ils ont le bec fort dangereux, tous blancs hormis le bout des aines qui est noir, ce sont de bons pescheurs pour le poisson qu'ils prennent & portent sur leurs Isles, pour manger, au Su de ces Isles & au Su & Surouest y en a d'autres qui s'appellent les Isles ram�es-brion 585, au nombre de 6 ou 7 tant petites que grandes, & sont une lieue ou deux des Isles aux oyseaux.

Note 585: (retour)

Ram�es et Brion. D'apr�s Denys (Description g�ographique, t. I, 196 et suiv.), les �les Ram�es sont les sept que nous appelons aujourd'hui les �les de la Madeleine; et, de son temps encore, comme au temps de Champlain, la Madeleine �tait le nom particulier de l'�le Aubert (Amherst' Island).

En aucunes de ces Isles y a de bons ports, o� l'on fait pesche de poisson, elles sont couvertes de bois, comme pins, sapins & bouleaux, aucunes sont plates, autres un peu eslev�es comme est celle de Brion qui est la plus grande. La chasse des oyseaux y est � commandement en sa saison, comme est la pesche du poisson, des loups marins, & bestes � la grande dent qui vont sur lesdites Isles, elles sont esloign�es de la terre la plus proche de 12 ou 15 lieues, qui est le Cap sainct Laurent, attenant � l'isle du Cap Breton.

Desdites Isles aux oyseaux, jusques � Gaspey, il 101/1085y a 45 lieues qui est de hauteur 48 degr�s deux tiers, & au Cap de Raye 70 lieues 586.

Note 586: (retour)

�Et de Gasp� au cap de Raye, 70 lieues.�

En ce lieu de Gaspey est une baye contenant de large en son entr�e trois � quatre lieues, qui fuit au Norrouest environ cinq lieues, o� au bout il y a une riviere qui va assez avant dans les terres: les vaisseaux viennent en ce lieu, pour faire la pesche du poisson sec, o� est un gallay o� l'on fait la seicherie des molues, & un ruisseau d'eaue douce qui se descharge dans la grand' mer, commodit� pour les vaisseaux qui vont mouiller l'ancre � une port�e de mousquet, de ce lieu: & � une lieue du Cap de Gaspey, est un petit rocher que l'on nomme le farillon587, esloign� de la terre d'un jet de pierre, ce dit cap est une pointe fort estroitte, le terrouer en est assez haut, comme celuy qui environne ladite baye couverte de pins, sapins, bouleaux, & autres meschans bois. La pesche est abondante tant en molu�s, harans, saumons, macreaux, & homars. La chasse des lapins & perdrix, comme autre gibier se treuve aussi � l'Isle perc�e & de Bonadventure, distante de six � sept lieues, plus au midy: entre les deux il y a la baye aux molu�s 588, en laquelle se fait pescherie, les terres sont couvertes de mesmes bois que celle du susdit Gaspey.

Note 587: (retour)

Le Forillon. Ce petit rocher, d�tach� de la terre, semble avoir donn� origine au nom de Gasp� (Katsepioui, qui est s�par�ment)

Note 588: (retour)

De Baie des Molues (ou Morues), les Anglais ont fait Molue-Bay, puis Malbay.

Ladite Isle perc�e est par la hauteur de 48 degr�s & un tiers, elle est distante de 15 lieues de Miscou, il faut traverser la baye de Chaleu. Ledit Miscou est par la hauteur de 47 degr�s 25 102/1086minutes 589, la terre est descoupp�e par plusieurs bras d'eaue qui forment des Isles, & o� les vaisseaux se mettent, est590 entre-deux desdites Isles, qui font un cap � ladite baye de Chaleu, ce lieu est desgarny de bois, ny ayant que des bruieres, herbes, & pois sauvages: l'on fait en ce lieu bonne partie de traitte avec les habitans du pays. Pour des marchandises ils donnent en eschange des peaux d'eslan & quelques castors. Il y a eu d'autrefois des Fran�ois qui ont hyvern� en ce lieu, & ne s'y sont pas trop-bien treuvez pour les froidures trop grandes, comme aussi les neges, neantmoins ce lieu est fort bon pour la pesche. A six lieues del� au Nortdest, est le ban des Orphelins o� il y a tr�s bonne pescherie de molu�s.

Note 589: (retour)

Environ 48�.

Note 590: (retour)

Es entre-deux, dans les entre-deux, ou goulets.

Ceste Baye de Chaleu entre quelques quinze ou vingt lieues 591 dans les terres, ayant dix ou douze lieues de large par endroits: en icelle se deschargent deux ou trois rivieres qui viennent de quelques quinze ou vingt lieues dans les terres, elles ne sont navigeables que pour les canaux des sauvages.

Note 591: (retour)

Environ trente lieues.

Tout le pays qui environne ladite baye, est partie montueux, autre plat & beau, couvert de bois de pins, sapins, c�dres, bouleaux, ormes, fresnes, �rables, & dans lesdites rivieres y a des chesnes. La pesche de plusieurs poissons est abondante en ce lieu, & la chasse des oyseaux de riviere outarde oyes, grues, & de plusieurs autre sorte. Il se treuve en tous ces lieux force eslans, desquels les sauvages en tuent quantit� l'hyver.

103/1087Des Isles de Miscou � l'Isle sainct Jean, y a environ dix ou douze lieues 592 au Suest, elle est par la hauteur de quarante six degr�s deux tiers, le bout le plus Nort de ladite Isle593, ayant environ vingt cinq lieues de longueur, & de ceste Isle � la terre du Sud, une ou deux lieues; en laquelle sont de bons ports, & bonne pescherie de molue, les Basques y vont assez souvent, elle est couverte de bois comme les autres Isles.

Note 592: (retour)

Environ vingt lieues.

Note 593: (retour)

C'est-�-dire, le bout le plus nord de la dite �le est par les 47� et quelques minutes.

De l'Isle de sainct Jean au petit passage de Conseau594 l'on conte vingt lieues, ce passage est par la hauteur de quarante cinq degr�s & deux tiers, & jusques aux Isles ram�es environ trente lieues.

Note 594: (retour)

Canseau; ailleurs, l'auteur �crit comme tout le monde Canseau, ou Campseau. Les Anglais ont adopt� l'orthographe Canso. (Voir 1613, p. 130, note 1.)

Toute la coste depuis Miscou jusques au passage de Conseau, est abondante en ports, & petites rivieres, qui se deschargent dans la mer: entr'autres rivieres. est la baye de Miaamichy 595, tregate 596, le pays est agr�able, quelque peu montueux: la pesche & la chasse du gibier y sont fort bonnes en la saison, il y a des eslans en ces terres, mais non en telle quantit� qu'aux contr�es de la baye de Chaleu.

Note 595: (retour)

Miramichy.

Note 596: (retour)

Tregat�, ou Tracadie.

Au Nortdest de Gaspey est l'isle d'Enticosty, sur la hauteur de cinquante degr�s au bout de L'ouest Nortouest de l'isle, & celuy de Lest, Suest, 49 degr�s, elle gists est Suest, & Ouest Norrouest, selon le vray m�ridien de ce lieu, & au compas de la plus part des navigateurs, Suest & Norrouest, elle a quarante lieues de long, & large de quatre � 104/1088cinq597 par endroits. La plus part des costes sont hautes & blanchastres comme les falaises de la coste de Dieppe, il y a un port 598 au bout de L'ouest Surouest de l'Isle qui est du cost� du Nort, il ne laisse d'y en avoir d'autres, qui ne sont pas cognus, elle est fort redout�e de ceux qui navigent, pour estre baturiere, & y sont quelques pointes qui avancent en la mer, toutesfois nous l'avons rang�e, n'en estant esloign�e que d'une lieue & demie, & la treuv�mes fort saine le fon bon � trente brasses: le cost� du Nort est dangereux y ayant entre la terre du Nort & ceste Isle des Batures & d'autres Isles, bien qu'il y aye passage pour des vaisseaux, & dix � douze lieues jusques � ladite terre du Nort. Ceste Isle n'est point habit�e de sauvages, ils disent y avoir nombre d'Ours blancs fort dangereux, icelle est couverte de bois de pins, sapins, & bouleaux. Il fait grand froid, & s'y voyent quantit� de neges en hyver: les sauvages de Gaspey y vont quelquesfois, allant � la guerre contre ceux qui se tiennent au Nort.

Note 597: (retour)

L'�le d'Anticosti a environ dix lieues de large vers le milieu.

Note 598: (retour)

Le port aux Ours.

Il y a un lieu dans le golphe sainct Laurent, qu'on nomme la grande baye599, proche du passage du Nort de l'Isle de terre neufve, � cinquante deux degr�s, o� les Basques vont faire la pesche des balaines.

Note 599: (retour)

La Grande-Baie �tait cette partie du golfe comprise entre la cote nord-ouest de Terre-Neuve et le Labrador.

Les sauvages de la coste du Nort sont tr�s meschants, ils font la guerre aux pescheurs, lesquels pour leur seuret� arment des pataches, pour conserver 105/1089les chalouppes qui vont en mer pescher la molue: l'on n'a peu faire de paix avec eux, & sont la plus part petits hommes fort laids de visage, les yeux enfoncez, meschans & traistres au possible: ils se vestent de peaux de loups marins, qu'ils accommodent fort proprement: leurs batteaux sont de cuir, avec lesquels ils vont rodant & faisant la guerre, ils ont fait mourir nombre de Malouains, qui auparavant leurs ont souvent rendu leur change au double, ceste guerre proc�de de ce que un matelot Malouain par mesgarde ou autrement, tua la femme d'un capitaine de ceste nation.

Tout le pays est excessivement froid en hyver, & les neges y sont fort hautes, qui durent sept mois ou plus sur la terre par endroits, elle est charg�e de nombre de pins, sapins & bouleaux, en plus de cent lieues des costes qui regardent le golphe saint Laurent. Il y a nombre de bons ports & isles, (o� la pescherie de molue & saumont est abondante,) & nombre de rivieres, qui ne sont neantmoins beaucoup navigeables, que pour des chalouppes ou canaux, selon le rapport des sauvages.

Ce golphe a plus de quatre cens lieues de circuit, y ayant nombre infiny de ports, havres & isles, qui y sont enclos: c'est comme une petite mer qui parfois est fort esmeue & agit�e des vents imp�tueux qui viennent plus souvent du Nortdest, & parfois y a de grandes bourasques de Norrouest. En ces lieux sont de grands courants de mar�e non r�glez, les uns portent en un temps d'un cost� autrefois en un autre, & ainsi changent de fois � autre, ce qui apporte souvent du mesconte aux estimes 106/1090des navigeans, quand il fait des brunes, � quoy ce lieu est fort suject, & qui durent quelquefois sept ou huict jours, il n'y a qu'une grande pratique qui peut en avoir quelque cognoissance.

Du cap de Gaspey � la terre du Nort y a vingt cinq � trente lieues, cest la largeur de l'emboucheure du fleuve de sainct Laurent, les mar�es sont en tout temps droiturieres en ce lieu comme la riviere, & le vent tousjours de bout, soit � descendre ou monter, & arrive rarement qu'on voye le vent par le travers des terres, de fa�on qu'un vaisseau estant dans le courant fera sa drive hors du fleuve plustost que d'aller � la coste: les ebes sont beaucoup plus fortes que les flots qui durent sept heures, & quelquefois plus: ce qui fait qu'on a plus de peine � monter qu'� descendre, joint que les vents de Norrouest sont les plus ordinaires & contraires en certaines saisons.

Ce Cap de Gaspey (comme j'ay dit) est � l'entr�e de la grande riviere du cost� de la terre du midy, montant � mont l'on passe si l'on veut une lieue ou deux vers l'eaue du cap des Boutonni�res 600, par la hauteur de quarante neuf degr�s & un quart, & � douze lieues dudit Gaspey.

Note 600: (retour)

Vraisemblablement l'un des caps de l'entr�e du Grand-�tang.

Et costoyant tousjours la coste du Su, jusques au commencement des mons Nostre Dame vingt lieues dudit cap des Boutonni�res, les mons en ont vingt cinq de longueur, � la fin est le Cap de Chatte601 assez haut, fait en forme de pain de sucre 107/1091fort ecore: se voyent aussi des terres doubles au dessus qui quelquefois vous en font perdre la cognoissance si le temps n'est clair & serain, si ce n'est que vous approchiez d'une lieue ou deux dudit cap de Chatte. Montant � mont l'on va jusqu'au travers de la riviere de Mantane, o� il y a douze � treize lieues dans cette riviere de plaine mer, des moyens vaisseaux de quatre-vingts ou cent tonneaux y peuvent entrer, c'est un havre de basse mer: estant en ladite riviere assez d'eaue pour tenir les vaisseaux � flot. Ce lieu est assez gentil, & s'y fait grande pescherie de saumon & truittes, ayant les filets propres � cet effect, l'on en pourroit charger des bateaux en leur temps & saison. Ceste riviere vient de certaines montagnes, & peut on s'aller rendre par le travers des terres, par le moyen des canaux des sauvages, en les portant un peu par terre en la riviere qui se descharge dans la baye de Chaleu602, ce lieu de Mantane est fort commode pour la chasse des eslans, o� il y en a en grande quantit�.

Note 601: (retour)

Il n'y a aucun doute que ce cap doit son nom � la m�moire du commandeur de Chaste, ou de Chate. L'auteur le mentionne sous ce nom d�s 1612 dans sa grande carte.

Note 602: (retour)

De la rivi�re de Matane, on tombe dans celle de Matap�diac, qui se d�charge dans celle de Ristigouche, et celle-ci se jette au fond de la baie des Chaleurs.

De Mantane l'on va � l'Isle de sainct Barnab�603 � seize lieues, elle est par l� hauteur de quarante huict degrez trente-cinq minutes, & estant basse; au tour sont des pointes de rochers, elle contient quelque lieue & demie de longueur, fort proche de la terre du Su: il y a passage entre deux pour passer de petites barques, & ne faut laisser de prendre garde � soy, car elle est couverte de bois de pins, sapins & cedres.

Note 603: (retour)

Cette �le s'appelait ainsi d�s 1612. (Voir la carte de 1612.)

108/1092De sainct Barnab� au Bic604, il y a quatre lieues, c'est une montagne fort haute & pointue, qui parroist au beau temps de douze � quinze lieues, & elle est seule de ceste hauteur, au respect de quelques autres qui sont proche d'elle.

Note 604: (retour)

Ou le Pic. (Voir 1603, p. 4, note 4.)

Du Bic on traverse la grande riviere au Norrouest, ou Nort un quart au Norrouest, & va on recognoistre Lesquemain 605 � la terre du Nort, y ayant sept � huict lieues. En ce lieu de Lesquemain proche de terre, est un petit islet de rocher derri�re lequel se faisoit un degrat pour la pesche des balaines, & une place pour mettre un vaisseau: mais ce lieu est assech� de basse mer. Proche de l� est Riviere une petite riviere fort abondante en saumons, o� les sauvages y font bonne pescherie, comme en plusieurs autres.

Note 605: (retour)

Les Escoumins sont rigoureusement � l'ouest du Bic, si l'on met la carte en son vrai m�ridien.

De Lesquemain l'on passe pr�s des Bergeronnettes 606, qui en est � quatre ou cinq lieues, le travers y a ancrage demie lieue vers l'eaue, puis l'on va au moulin Baud� trois lieues, qui est la rade du port de Tadoussac, le bon ancrage d'icelle est qu'il faut ouvrir le moulin Baud� 607, qui est un saut d'eaue venant des montagnes, & au travers jetter l'ancre.

Note 606: (retour)

On dit, depuis longtemps, Bergeronnes. Il y a les Petites et les Grandes Bergeronnes, qui ne sont s�par�es l'une de l'autre que par une pointe.

Note 607: (retour)

C'est-�-dire, pour que le mouillage soit bon, il faut que le moulin Baud� soit en vue.

Ayant le vent bon � demy flot couru, � cause des mar�es du Saguenay qui porte hors, bien qu'il y aye les deux tiers de plaine mer, l'on peut lever l'ancr� & mettre � la voille, doubler la pointe aux vaches, avec la sonde � la main, & tenir tousjours 109/1093deux ou trois chalouppes prestes: que si le vent venoit � se calmer tout d'un coup comme il arrive assez souvent, la mar�e vous porteroit au courant du Saguenay, & ayant doubl� ladite pointe aux vaches, vous faire tirer � terre hors des mar�es dudit Saguenay s'il faisoit calme, & ainsi en terre 608 audit port de Tadoussac, mettant le Cap au Nort, un quart du Norrouest609, estant dans le port il faut porter une bonne ancre � terre & enfoncer l'orain 610 dans le sable le plus que l'on pourra, & mettre une boite par le travers contre l'orain, & avoir des pieux que vous enfoncerez dans le sable de basse mer le plus avant que l'on pourra pour empescher que le vaisseau ne chasse sur son ancre: dautant que ce qui est le plus � craindre sont les vens de terre, qui viennent du Saguenay & sont fort imp�tueux & violents, & viennent par bourasques qui durent fort peu, car le vent du travers de la riviere n'est point � craindre, d'autant qu'il y a bonne tenue du cost� de vers l'eaue, car l'ancre ne chasse point le cable, ou l'ancre du vaisseau romperoit plustost.

Note 608: (retour)

Lisez �entrer.�

Note 609: (retour)

Quoique ce passage renferme plusieurs fautes qui le rendent presque inintelligible, nous avons cru cependant qu'il valait encore mieux respecter la ponctuation et l'orthographe de l'�dition originale, et remettre en note le texte corrig�. L'auteur conseille aux vaisseaux qui veulent entrer au port de Tadoussac, �de tenir deux ou trois chaloupes pr�tes, afin de pouvoir, ayant doubl� la pointe aux Vaches, se faire tirer � terre en dehors des courants du Saguenay, s'il faisait calme, et ainsi entrer audit port, mettant le cap au nord-quart-norouest.�

Note 610: (retour)

L'oreille.

Or les costes du Nort depuis le travers d'Enticosty sont fort baturieres pour la plus part; en quelques endroits il y a de bons ports, mais ils ne sont cognus, hormis Chisedec611 & le port neuf612 trente 110/1094lieues de Tadoussac: aussi il y a nombre de petites rivieres o� la pesche du saumon est grande, selon le rapport des sauvages & des Basques qui cognoissent partie d'icelle coste. J'ay costoy� ces terres quelques cinquante ou soixante lieues dans une chalouppe, la terre est basse le long de la mer, mais dans les terres elle paroist fort haute, il n'en fait pas bon approcher que sa sonde � la main. L� est une nation de sauvages qui habitent ces pays, qui s'appellent Exquimaux, ceux de Tadoussac leur font la guerre.

Note 611: (retour)

Chisedec para�t correspondre � ce que nous appelons rivi�re Saint-Jean.

Note 612: (retour)

Ce qu'on appelle aujourd'hui Portneuf n'est qu'� quinze lieues de Tadoussac.

Et depuis Gaspay jusques au Bic, ce sont terres la plus grande part fort hautes, notamment lesdits monts Nostre Dame, o� les neges y sont jusques au 10 & 15 de Juin. Le long de la coste il y a force anses, petites rivieres & ruysseaux, qui ne sont propres que pour de petites barques & chalouppes, mais il faut que ce soit de plaine mer. La coste est fort saine, & en peut on approcher d'une lieue ou deux, & y a ancrage tout le long d'icelle, contre l'opinion de beaucoup, ainsi que l'experience le fait cognoistre: l'on peut estaler les mar�es pour monter � mont, si le vent n'est trop violent. Tout ce pays est remply de pins, sapins, bouleaux, cedres, & force pois, & persil sauvage, le long de la coste l'on pesche de la molue, jusqu'au travers de Mantane, & force macreaux en sa saison, & autres poissons.

Le travers de Tadoussac, qui est par quarante huict degr�s deux tiers, � deux lieues au Sud il y a nombre d'Isles, & est entr'autres l'Isle verte, � quelque six lieues dudit Tadoussac, en laquelle les 111/1095Rochelois venoient � la desrob�e traitter de peleteries avec les sauvages613. La grande riviere a de large le travers dudit Tadoussac, 5 � 6 lieues. Juqu'� la terre du Su est une riviere par laquelle l'on peut aller � celle de S. Jean, en portant les canaux partie par terre, & le reste par les lacs & rivieres, tous ces chemins ne se font sans difficult�.

Note 613: (retour)

Voir ci-dessus, p. 31.

Partant de Tadoussac � la pointe aux Allouettes il y a une petite lieue, ceste pointe met hors plus de demy lieue, elle asseche de basse mer. Il y a un islet de cailloux couvert de persil, qui a la feuille fort large, & quantit� de pois sauvage. Les barques de plaine mer rangent la grand terre. Du Cap de la riviere du Saguenay614, l'on passe proche d'un islet qui est au fond d'une anse qui s'appelle l'islet Brul�615 presque tout rocher. Le travers il y a ancrage � un cable vers l'eaue, au fond de l'anse est un ruisseau qui vient des montagnes. De ce ruysseau rangeant la terre � demy ject de pierre, il n'y a que sable jusques au Cap de la pointe des Allouettes, sur iceluy est une plaine comme une prairie, contenant quelques quatre � cinq arpents de terre, le reste sont bois de pins, sapins, & bouleaux, o� il y a force lapins & perdrix. Les barques (comme dit est) passent proche de ce Cap pour abr�ger chemin, � aller � Qu�bec: car passant dehors la pointe de l'Islet de Cailloux 616 vers l'eaue, il faudroit faire plus d'une lieue & demie qui est le grand passage, o� il y a de l'eaue assez pour quelque 112/1096vaisseau que ce soit: Il se faut donner garde de l'Isle Rouge, o� les mar�es chargent. Ayant le temps clair & sans bruines, il n'y a point de danger en toute ceste pointe, & autre bans de fables qui y sont attenans, assech� tout de basse mer o� l'on treuve une quantit� de coquillages, comme bregos, coques, moulles, hoursains, & force loches, qui sont sous les pierres en plusieurs endroits: cela va jusqu'� l'anse aux Basques, contenant pr�s de trois � quatre lieues de circuit617. Il s'y voit aussi une infinit� de gibier en sa saison, tant oyseaux de riviere, & sarselles, que petites oyes, outardes, & entr'autres il y a un si grand nombre d'allouettes, courlieux, grives, begasses, beccasses618, pluviers& autres sortes de petits oyseaux, qu'il s'est veu des jours que trois � quatre Chasseurs en tuoient plus de trois cens douzaines, qui sont tr�s grasses & d�licates � manger. Pour aller � cette pointe aux Allouettes, il faut traverser le Saguenay, qui tient en son entr�e un quart de lieue de large: de ceste riviere j'en ay fait assez ample description619, tant de ce que j'ay veu que du raport des sauvages qui m'en a est� fait.

Note 614: (retour)

Ce cap s'appelle aujourd'hui la pointe Noire.

Note 615: (retour)

Cet �let est situ� au fond de l'anse Sainte-Catherine.

Note 616: (retour)

L'�le aux Alouettes, appel�e encore �let Blanc, et �le au Mort.

Note 617: (retour)

La batture des Alouettes a en effet quatre lieues de circuit, et m�me plus.

Note 618: (retour)

Probablement, l'un de ces deux mots est de trop.

Note 619: (retour)

Voir 1603, ch. IV, 1613, p. 142 et suiv., 1632, premi�re partie, p. 130 et suiv.

De la pointe aux Allouettes faisant le Surouest, Cap de un quart au Su, l'on va au Cap de Chafaut aux Basques, en ce lieu il y a ancrage, mais il faut prendre garde, car par des endroits est rocher o� les ancres pourroient bien demeurer, si l'on ne recognoist bien le fond, un peu plus vers l'eaue, le 113/1097mouillage est plus net & vers le Chafaut aux Basques, demeure � sec qui est au fond de l'anse o� sont deux ruisseaux qui viennent des montagnes. A l'entr�e de ces deux ruisseaux est un islet de rocher, o� il y a un peu de terre dessus, & quelques arbres qui assechent tout de basse mer jusqu'� la grande terre, en laquelle est une petite riviere � trois quarts de lieue de la pointe aux Allouettes, & une bonne lieue & d'avantage du Chafaut aux Basques laquelle est abondante en poisson en son temps, comme de truittes & saumons, quantit� d'Eplan tr�s-excellent qui s'y prend, le gibier s'y retire en grand nombre 620.

Note 620: (retour)

Aussi cette rivi�re s'appelle la rivi�re aux Canards.

Du Cap de Chafaut aux Basques, faisant la mesme route jusqu'� la riviere de l'Equille621, il y a trois lieues, & de la pointe aux Allouettes cinq. Costoyant la coste du Nort l'on passe proche de l'Anse aux Rochers qui est baturiere. A l'entr�e du port est un petit islet proche de terre, o� il y a mouillage de beau temps pour des barques, au fond de l'anse sont deux petites rivieres qui ne sont que ruisseaux, � une lieue & demie du Cap aux Basques.

Note 621: (retour)

Le port de l'Equille, ou, comme on dit g�n�ralement, le port aux Quilles.

De l'Anse de Rocher � la riviere de l'Equille, il y a pr�s d'une lieue & demie, un Cap622 est entre deux: ceste riviere de l'Equille vient des montagnes, & asseche de basse mer, un peu vers l'eaue de l'entr�e il y a mouillage pour barques. L'Isle au Li�vre demeure au Suest trois lieues 623, la pointe 114/1098aux Allouettes & ceste dite Isle est Nortnordest & Susurouest: laquelle Isle est esloign�e de la terre du Sud pr�s de trois lieues, entre les deux il y a des Isles624: ce cost� n'est bien cognu, comme n'estant sur la routte de Qu�bec & Tadoussac. L'Isle aux Li�vres ainsi nomm�e pour y en avoir, est couverte de bois de pins, sapins & cedres, il y a des pointes de rochers assez dangereuses, elle a deux lieues & demie de longueur.

Note 622: (retour)

La T�te-au-Chien.

Note 623: (retour)

Deux lieues.

Note 624: (retour)

Les �lots du Pot-�-l'Eau-de-Vie et des P�lerins.

Du port de l'Equille au port aux femmes625, il y a une bonne lieue: ce port aux femmes est une anse partie sable & cailloux, proche de l� est un petit estang. Les sauvages se cabanent quelques fois en ce lieu, au dessus d'une pointe de terre qui est plate & assez agr�able: proche de ce lieu il y a ancrage, pour Barques en beau temps.

Note 625: (retour)

La rivi�re Noire.

Du port aux femmes l'on va au port au Persil, distant pr�s d'une lieue, qui est anse derri�re un Cap, o� il y a une petite riviere qui asseche de basse mer, elle vient des montagnes qui sont fort hautes, il y a ancrage proche, & � l'abry du vent du Su, venant � Ouest jusques au Nortnordest.

Du port au Persil l'on va tournant au tour d'une montagne de rochers qui fait Cap 626: une lieue apr�s l'on vient au port aux saumons, qui est une anse dans laquelle se deschargent deux ruisseaux, il y a un islet en ce lieu o� sont quantit� de framboises, fraises, & blues, en leur saison: ceste anse asseche de Bassemer, un peu vers l'eaue de l'islet il y a ancrage 115/1099pour vaisseaux & barques, l'on est � l'abry du Nortdest.

Note 626: (retour)

La pointe � l'Homme, au-dessus de laquelle est le cap au Saumon.

Du port aux Saumons � celuy de Malle Baye627, est distant d'une lieue double, ce Cap rangeant la coste d'un quart, & demy lieue il y a ancrage pour des vaisseaux628: cedit Cap & l'Isle aux Li�vres sont Nortdest un quart � l'Est, & Surrouest un quart � l'Ouest pr�s trois lieues.

Note 627: (retour)

Ce cap de Malle-Baie est ce que nous appelons aujourd'hui le cap � l'Aigle.

Note 628: (retour)

Ce passage, pour �tre intelligible, doit se lire comme suit: �Du port aux Saumons au cap de Malle Baye est distant d'une lieue; doubl� ce cap, rangeant la coste d'un quart ou demy lieue, il y a ancrage pour des vaisseaux.�

Du Cap de Male Baye jusqu'� la riviere Plate 629 trois lieues, ceste riviere est dans une anse qui asseche de Bassemer, reserv� un petit courant d'eaue qui vient de la riviere, qui est assez spatieuse, il y a force rochers dedans, qui ne la rendent navigeable que pour les canaux des sauvages qui servent � surmonter toutes sortes de difficultez avec leurs bateaux d'escorse.

Note 629: (retour)

La rivi�re de la Mallebaie.

De la riviere Plate au Cap de la riviere Plate 630, faisant le Surouest trois lieues & demie, entre les deux est un petit ruisseau anse ou 631 devant iceluy il y a ancrage, comme devant la riviere Platte pour des vaisseaux. Estant un peu vers l'eaue de l'Anse la sonde vous gouverne, vous prendrez tant & si peu d'eaue que vous voudrez, soit pour vaisseaux ou barques, le fond est sable en la plus part de ces endroits.

Note 630: (retour)

Aujourd'hui le cap aux Oies.

Note 631: (retour)

Ou anse.

Du Cap de la riviere Platte au Surouest il y a 116/1100deux lieues632, vous passez plusieurs petites anses qui sont remplies de Rochers, comme est partie de toute la coste depuis Tadoussac jusqu'en ce lieu, toutes les terres sont fort hautes, & le pays fort sauvage & desagreable, remplis de pins, sapins, c�dres, bouleaux & quelques autres arbres, si ce n'est quelque rencontre de petites val�es qui sont agr�ables. Du Cap aux oyseaux633 � l'Isle au Coudre, il y a une bonne lieue, elle a une lieue & demie 634 de longueur, eslev�e par le milieu comme un costeau, charg�e d'arbres de pins, sapins, c�dres, bouleaux, hestres & des coudriers par endroits. Au bout de ladite Isle du Surouest sont des prez, & un petit ruisseau qui vient de ladite Isle, avec quantit� de bonnes sources d'eaues tr�s excellentes, en icelle est nombre de lapins, & quantit� de gibier, qui y vient en saison: il se voit nombre de pointes de rochers au tour d'icelle, & notamment une qui avance beaucoup en la riviere du cost� du Nort, de quoy il se faut donner de garde, la mar�e y court avec beaucoup de violence, comme au milieu de Lachenal, elle est esloign�e de la terre du Nort demie lieue, terre de rochers assez haute, il y a ancrage entre les deux pour des vaisseaux, en se retirant un peu du courant du cost� du Nort demy quart de lieue dudit Cap aux oyes635. A une lieue de ladite 117/1101Isle au Nort, est une grande anse636 qui asseche de bassemer, o� il y a nombre de rochers espars �a & l�, en ce lieu descend une riviere qui n'est navigeable que pour des canaux, y ayant nombre de sauts, elle vient des montagnes qui paroissent dedans les terres fort hautes charg�es de pins & sapins.

Note 632: (retour)

C'est-�-dire, �du cap aux Oies, au sud-ouest, l'espace de deux lieues, vous passez,� etc.

Note 633: (retour)

Il semble que ce cap correspond au cap Martin.

Note 634: (retour)

Deux lieues.

Note 635: (retour)

�Il y a ancrage entre l'�le et la terre du Nord, en se retirant un peu du courant, du c�t� du nord de l'�le, demi-quart de lieue du cap aux Oies (cap � l'Aigle, sur l'�le).� Ce mouillage nous para�t �tre celui de l'anse des Prairies; et le nom de cap aux Oies, donn� au cap � l'Aigle de l'�le aux Coudres, pourrait bien �tre la cause de toute la confusion qui r�gne dans la g�ographie ancienne de ces parages.

Note 636: (retour)

L'anse des �boulements.

Au Su de l'Isle au Coudre, il y a nombre de basses & rochers, qui sont sur le travers de la riviere pr�s d'une lieue, tout cela couvre de plaine mer, plus au midy est lachenal, o� les vaisseaux peuvent aller, � quatre ou cinq brasses d'eaue de bassemer, rangeant quantit� d'Isles, les unes contenant une � deux lieues, & autres moins, en aucunes sont des prairies qui sont fort belles, o� en la saison y vient une telle quantit� de gibier qu'il n'est pas croyable � ceux qui ne l'ont veue: ces Isles sont charg�es de grands arbres, comme pins, sapins, c�dres, bouleaux, ormes, fresnes, �rables, & quelque peu de chesnes, en aucunes. Si vous attendez la plaine mer vous treuverez sept � huict brasses d'eaue, jusqu'� ce que l'on soit au travers de l'Isle au Ruos, � lors l'on treuve dix, douze, & treize brasses d'eaue, allant � Qu�bec passant au Su de l'Isle d'Orl�ans.

Du cost� du Su de ces Isles est encore un autre partage o� il n'y a pas moins de huict brasses d'eaue: pour n'estre encore bien recognue, l'on n'en fait point d'estime ne grande recherche, puisqu'on en a d'autres: De ces Isles � la terre du Su il y a environ deux lieues, la mer y asseche pr�s d'une lieue: en ce lieu est une riviere fort belle qui vient des 118/1102hautes terres, toute charg�e de forests, o� sont quantit� d'eslans & cariboux, qui sont presque aussi grands que cerfs, la chasse du gibier abonde sur les batures qui assechent de basse mer.

Retournons au Nort du passage de ladite Isle au Coudre, double la pointe de rochers 637 tousjours la sonde � la main, pour suivre la Chenal & eviter les basses, tant de cost� que d'autre, mettant le Cap au Surrouest vous rangez sept lieues de coste jusqu'au Cap Brul� demie lieue 638 du Cap de Tourmente, laquelle terre est fort montueuse, pleine de rochers, & couverte de pins, & sapins, y ayant nombre de ruisseaux qui viennent des montagnes se descharger en la riviere.

Note 637: (retour)

�Doubl� la pointe de la Prairie.�

Note 638: (retour)

Deux lieues.

Comme l'on est au Cap Brul�, il faut mettre le Cap sur le bout de l'Isle du Nordest appell� des Ruos639, qui vous sert de marque pour suivre la Chenal, il y a deux lieues de passage qui est le plus dangereux & difficile � passer depuis Tadoussac, � cause des batures & pointes de rochers qui sont en ce traject de chemin, neantmoins il ne laisse d'y avoir assez d'eaue jusques � cinq brasses de bassemer, tousjours la sonde � la main, car par ce moyen vous conduirez le fond jusqu'� ce que treuviez dix � douze brasses d'eaue: alors l'on suit le fond costoyant l'Isle d'Orl�ans au Su, qui a six lieues de longueur & une & demie de large, en des endroits charg�e de quantit� de bois, de toutes les sortes que nous avons en France, elle est tr�s belle bord�e 119/1103de prairies du cost� du Nort, qui innondent deux fois le jour. Il y a plusieurs petits ruisseaux & sources de Fontaines, & quantit� de vignes qui sont en plusieurs endroits. Au cost� du Nort de l'Isle y a un autre passage, bien que en la Chenal il y aye au moindre endroit trois brasses d'eaue, cependant l'on rencontre quantit� de pointes, qui avancent en la riviere, tr�s dangereuses & peu, de louiage, si ce n'est pour barques, & si faut faire les bord�es courtes. Entre l'Isle & la terre du Nort il y a pr�s de demie lieue de large, mais la Chenal est estroit, tout le pa�s du Nort est fort montueux. Le long de ces costes y a quantit� de petites rivieres qui la plus part assechent de basse mer, elle abonde en poisson de plusieurs sortes, & la chasse du gibier qui y est en nombre infiny, comme � l'Isle & aux prairies du Cap de Tourmente, tr�s beau lieu & plaisant � voir pour la diversit� des arbres qui y sont, comme de plusieurs petits ruisseaux qui traversent les prairies, ce lieu est grandement propre pour la nourriture du bestial.

Note 639: (retour)

�Sur le bout du nordest de l'�le aux Reaux.�

De l'Isle d'Orl�ans � Qu�bec y a une bonne grande lieue, y ayant de l'eaue assez pour quelque vaisseau que ce toit, de fa�on que qui voudroit venir de Tadoussac l'on le pourroit faire aisement avec des vaisseaux de plus de trois cens tonneaux, il n'y a qu'� prendre bien son temps & ses mar�es � propos pour y aller avec seuret�.

Retournant � la continuation de nostre voyage de Qu�bec, ledit de la Ralde fit descharger de ses vaisseaux quelque nombre de bariques de galettes & pois, tant dans le vaisseau des Peres Jesuites, 120/1104qu'au nostre: Nous sceusmes par des Basques qui s'estoient sauvez de leur navire, lequel s'estoit br�l� dans un port appelle Chisedec qui est au fleuve sainct Laurent, par un petit gar�on qui malheureusement mit le feu aux poudres, y estant allez pour faire pesche de balaines, de l� furent � Tadoussac avec leurs chalouppes o� ils traitterent quelques peleteries, & s'en vinrent � l'Isle Perc�e, pour treuver passage pour retourner en France, ledit de la Ralde se d�lib�ra de les mener � Miscou pour plus amplement s'informer de ce qu'ils avoient fait & traitt�, & premier que partir il vint � bort le 21 dudit mois, & d�lib�ra d'aller � Miscou pour recouvrir de certaines debtes que les sauvages luy devoient, & voir en quel estat estoient les marchandises qu'il avoit laiss�es l'ann�e d'auparavant en garde � un sauvage appell� Jouan chou, me promettant que dans un mois plus tard il viendroit � Qu�bec, nous apportant toutes les choses qui nous manquoient, principalement des poudres & des mousquets, comme il avoit est� charg� de m'en fournir. Il fit assembler son esquippage, leur disant que ne pouvant aller pour l'heure en son vaisseau, il y mettroit ledit Emery pour y commander, & que l'on luy ob�it comme � sa propre personne, en le chargeant particuli�rement de dire aux matelots pr�tendus reform�s, qu'il ne desiroit qu'ils chantassent les Pseaumes dans le fleuve sainct Laurent, cela dit il se desembarqua.

Et nous levasmes l'ancre & mismes sous voilles avec vent favorable. Le soir ledit Emery fit assembler son esquippage, leur disant que Monseigneur 121/1105le Duc de Ventadour ne desiroit qu'ils chantassent les Pseaumes dans la grande riviere comme ils avoient fait � la mer, ils commenc�rent � murmurer & dire qu'on ne leur devoit oster ceste libert�: en fin fut accord� qu'ils ne chanteroient point les Pseaumes, mais qu'ils s'assembleroient pour faire leurs pri�res, car ils estoient presque les deux tiers de huguenots, & ainsi d'une mauvaise debte l'on en tire ce que l'on peut.

Le 25 de Juin nous mouillasmes l'ancre le travers du Bicq, quatorze lieues � l'Est de Tadoussac. Ledit Emery despescha une chalouppe � Qu�bec pour advertir ledit du Pont de nostre venue. Sur le soir appareillasmes pour aller � Tadoussac. La nuict s'esleva une si grande brune que le l'endemain au matin pensasmes aborder un Islet pr�s de l'Esquemain terre du Nort, ce qu'ayant esvit� heureusement nous mismes vers l'eaue, & la brune continuoit si fort que l'on ne voyoit pas presque la longueur du vaisseau, l'on fit mettre nostre batteau dehors entre la terre & nous, & un trompette, affin que quand ils verroient la terre ils nous en advertissent par le son d'icelle, car l'on n'eust peu voir le bateau � cinquante pas de nous, & comme il s'apperceut en estre fort proche il nous donna advis que n'en devions pas approcher de plus pr�s: & de plus advisa un petit vaisseau d'environ cinquante tonneaux qui avoit mouill� l'ancre entre deux pointes, & qui traittoit avec les sauvages du Port de Tadoussac: ce qu'ayant apperceu il fait devoir de venir � nous, par le moyen du son de la trompette & d'un autre qui leur respondoit de 122/1106nostre vaisseau, nous ayant apperceus ils nous dirent ces nouvelles: mais comme nous estions de l'avant du vaisseau & le vent & mar�e contraires pour retourner au lieu o� estoit ledit vaisseau la brune qui nous affligeoit fort, & nostre vaisseau mauvais voilier, nous ne peusmes rien faire.

Ledit vaisseau ayant sceu que nous estions proche de luy, par le moyen d'un canau de Sauvages qui estoit vers l'eaue, lequel ayant apperceu nostre basteau, les alla promptement advertir, & aussi tost coupperent leurs c�bles sur l'escubier, laisserent leur ancre & basteau, mettent sous voiles, ce que nous apperceusmes, & une esclercie, & estant meilleur voilier, il s'esloigna en peu de temps de nous, ce qui nous occasionna de mettre � l'autre bord.

Comme le vaisseau des p�res Jesuites qui avoit fait chasse sur luy, & s'il eust est� bien arm� il l'eust emport�, car il fut jusqu'� parler audit vaisseau, & prit on le basteau du Rochellois: De ceste mar�e Rochelois fusmes mouillier l'ancre � la pointe des Bergeronnes, attendant la mar�e pour aller � Tadoussac, auquel lieu l'on envoya des Charpentiers & Calfeustreurs, pour accommoder les barques qui y estoient.

Le Samedy 27, levasmes l'ancre & nous vinsmes mouillier le travers du moulin Baud�, � deux lieues du Cap des Bergeronnes. Un Fran�ois qui estoit venu de Qu�bec, nous dit que du Pont avoit est� malade, tant des gouttes que d'autre maladie, & qu'il en avoit pens� mourir: mais que pour lors il se portoit bien & tous les hyvernans, mais fort necessiteux de vivres comme le mandoit ledit du 123/1107Pont, lequel avoit despesch� une chalouppe pour envoyer � Gaspey & � l'Isle Perc�e, pour s�avoir des nouvelles, & treuver moyen d'avoir des vivres s'il estoit possible, pour n'abandonner l'habitation, & pouvoir repasser en France la plus grande partie de ceux qui avoient hyvern�, craignans que nous ne fussions perdus, ou qu'il fust arriv� quelqu'autre fortune pour estre si tard � venir, qu'ils n'avoient plus que deux poin�ons de farines, qu'ils reservoient pour les malades qui pourroient y avoir, estans r�duits � manger du Migan comme les sauvages.

Voil� les risques & fortunes que l'on court la plus part du temps, d'abandonner une habitation & la rendre en telle necessit� qu'ils mourroient de faim, si les vaisseaux venoient � se perdre, & si l'on ne munit ladite habitation de vivres pour deux ans, avec des farines, huilles, & du vinaigre, & ceste advance ne se fait que pour une ann�e, attendant que la terre soit cultiv�e en quantit� pour nourrir tous ceux qui seroient au pays, qui seroit la chose � quoy l'on devroit le plus travailler apr�s estre fortifi� & � couvert de l'injure du temps. Ce n'est pas que souvent je n'en donnasse des advis, & represent� les inconveniens qui en pouvoient arriver: mais comme cela ne touche qu'� ceux qui demeurent au pays, l'on ne s'en soucie, & le trop grand mesnage empesche un si bon oeuvre, & par ainsi le Roy est tr�s mal servy, & le sera tousjours si l'on n'y apporte un bon reiglement, & estre certain qu'il s'ex�cutera.

Le 29 dudit mois nous entrasmes au port de 124/1108Tadoussac o� il y avoit quelque trente cinq cabanes de sauvages. Le dernier de Juin une barque partit charg�e de vivres pour l'habitation, & de marchandises pour la traitte, le p�re Noyrot Jesuiste & le P�re Joseph Recollet s'en all�rent dedans.

Le premier de Juillet je partis pour aller � Qu�bec, o� arriv� le cinquiesme dudit mois, je vis ledit du Pont, tous les Peres & autres de l'habitation en bonne sant�: apr�s avoir visit� l'habitation & ce qui s'estoit fait du depuis mon d�part pour les logements, je ne le trouvay si advanc� comme je m'estois promis, voyant que les hommes & ouvriers ne s'estoient pas bien employez comme ils eussent bien peu faire, & le fort estoit au mesme estat que je l'avois laiss�, sans qu'on y eust fait aucune chose, (ce que je m'estois bien promis � mon d�part,) ny au bastiment de dedans qui n'estoit que commenc�, n'y ayant qu'une chambre o� estoient quelques mesnages, attendant qu'on l'eust parachev�, je voyois assez de besongne d'attente, bien qu'� mon d�part de deux ans & demy640 j'avois laiss� nombre de mat�riaux prests, & bois assembl�, & dix-huict cens planches sci�es pour les logemens, ausquels les ouvriers firent de grandes fautes, pour n'avoir suivy le dessein que j'avois fait & monstr�641.

Note 640: (retour)

Il n'y avait pas encore tout � fait deux ans; Champlain avait quitt� Qu�bec le 15 d'ao�t 1624 (voir ci-dessus, p. 83), et il �tait de retour le 5 juillet 1626.

Note 641: (retour)

Voir ci-dessus, p. 68, note 1.

Apr�s avoir tout consider�, je jug� combien par le temps pass� les ouvriers perdoient le temps aux plus beaux & longs jours de l'ann�e, pour entretenir 125/1109le bestial de foin, qu'il falloit aller qu�rir au Cap de Tourmente � huict lieues 642 de nostre habitation, tant � faucher & faner, qu'� l'apporter � Qu�bec, en des barques qui sont de peu de port, o� il failloit estre pr�s de deux mois & demy, employant plus de la moiti� de nos gens de travail, qui ne passoient pas vingt quatre, de cinquante cinq personnes qui estoient en ladite habitation, cela me fit resoudre de mettre en effect ce que long temps auparavant j'avois d�lib�r�. L'ayant donn� � entendre aux associez qui fit que j'allay aux prairies dudit Cap de Tourmente, choisir un lieu propre pour y faire une habitation, � y loger quelques hommes pour la conservation du bestial, & y faire une estable pour les retirer, & par ce moyen estant une fois l�, l'on ne seroit plus en soucy de ce qui nous donnoit de l'incommodit�, & les ouvriers si peu qu'il y en avoit, ne perderoient le temps comme au pass�.

Note 642: (retour)

Huit lieues marines, de 20 au degr�. Il faut se rappeler que Champlain ne donne � l'�le d'Orl�ans (ci-dessus, p. 118) que six lieues; et elle n'a gu�re que six lieues marines aussi. Les prairies naturelles du cap Tourmente �taient donc environ une lieue plus bas que l'�le, c'est-�-dire, entre le ruisseau de la Petite-Ferme et la rivi�re de la Friponne.

Je choisis un lieu 643 o� est un petit ruysseau & de plaine mer, o� les barques & chalouppes peuvent aborder, auquel joignant y a une prairie de demye lieue de long & davantage, de l'autre cost� est un bois qui va jusques au pied de la montagne dudit Cap de Tourmente demie lieue de prairies 644, lequel 126/1110diversifi� de plusieurs sortes de bois, comme chesnes, ormes, fresnes, bouleaux, noyers, pommiers sauvages, & force lembruches de vignes, pins, c�dres & sapins, le lieu de soy est fort agr�able, o� la chasse du gibier en sa saison est abondante: & l� je me resolus d'y faire bastir le plus promptement qu'il me fut possible, bien qu'il estoit en Juillet je fis neantmoints employer la plus part des ouvriers � faire ce logement, l'estable de soixante pieds de long & sur vingt de large, & deux autres corps de logis, chacun de dix-huict pieds sur quinze, faits de bois & terre � la fa�on de ceux qui se font aux villages de Normandie, ayant donn� ordre en ce lieu, je m'en retournay � Qu�bec, pour rem�dier aux autres choses, qui fut le huictiesme dudit mois, o� estant, j'envoyay le sieur Foucher pour avoir esgard � ce que les ouvriers ne perdissent leurs temps, avec des vivres pour leur nourriture, & tous les huict jours je faisois un voyage en ce lieu pour voir l'advancement de leur travail.

Note 643: (retour)

Ce lieu �o� est un petit ruisseau� est l'emplacement actuel des b�tisses de la Petite-Ferme, comme le prouve la carte du sieur Jean Bourdon de 1641, o� l'on trouve, pr�cis�ment � cet endroit, les mots: Vieille habitation. Effectivement, l'on y a d�couvert, il y a quelques ann�es, des restes d'anciennes fondations dont l'existence ne para�t pas pouvoir s'expliquer autrement.

Note 644: (retour)

Ces quelques mots, qui font r�p�tition, devaient sans doute aller en marge.

Je consider� d'autre part que le fort645 que j'avois fait faire estoit bien petit, pour retirer � une necessit� les habitans du pays, avec les soldats qui un jour y pourroient estre pour la deffense d'iceluy, quand il plairoit au Roy les envoyer, & falloit qu'il eust de l'estendue pour y bastir, celuy qui y estoit avoit est� assez bon pour peu de personnes, selon l'oyseau il falloit la cage, & que l'agrandissant il se rendroit plus commode, qui me fit resoudre de l'abatre & l'agrandir, ce que je fis jusqu'au pied, pour suivre mieux le dessein que j'avois, auquel 127/1111j'employay quelques hommes qui y mirent toute sorte de soing pour y travailler, affin qu'au printemps il peust estre en deffence, cela s'ex�cuta, sa figure est selon l'assiette du lieu que je mesnag� avec deux petits demy bastions bien flanquez, & le reste est la montagne, n'y ayant, que ceste advenue du cost� de la terre qui est difficile � approcher, avec le canon qu'il faut monter 18 � 20 toises, & hors de mine, � cause de la duret� du rocher, ne pouvant y faire de fosse qu'avec une extr�me peine, la ruine du petit fort servir en partie � refaire le plus grand qui estoit �difi� de fascines, terres, gazons & bois, ainsi qu'autrefois j'avois veu pratiquer, qui estoient de tr�s bonnes forteresses, attendant un jour qu'on la fit revestir de pierres � chaux & � sable qui n'y manque point, commandant sur l'habitation, & sur le travers de la riviere.

Note 645: (retour)

Le fort Saint-Louis, � Qu�bec.

Ainsi je donn� ordre � faire couvrir la moiti� de l'habitation que j'avois fait commencer premier que partir, & quelques autres commoditez qui estoient necessaires. Voil� tous nos ouvriers employez au nombre de 20, bien qu'une partie du temps il y en avoit qui estoient empeschez � aller dans les barques, qui ne servoient de rien � l'habitation.

Le p�re Noyrot amena vingt hommes de travail que le reverend Pere Allemand 646 employa � se loger, & desfricher les terres o� ils n'ont perdu aucun temps, comme gens vigilants & laborieux, qui marchent tous d'une mesme volont� sans discorde, qui eut fait que dans peu de temps ils eussent e� des 128/1112terres pour se pouvoir nourrir & passer des commoditez de France, & pleust � Dieu que depuis 23 � 24 ans les societez eussent est� aussi reunies & pouss�es du mesme desir que ces bons Peres: il y auroit maintenant plusieurs habitations & mesnages au pa�s, qui n'eussent est� dans les trances & apprehensions qu'ils se sont veues.

Note 646: (retour)

Le P. Charles Lalemant, sup�rieur.

Le 14 dudit mois arriva le p�re de la Noue de Tadoussac, qui nous dit que depuis que Emery estoit party dudit lieu647 que ceux de l'�quipage ne s'estoient pas souciez des deffences qu'il avoit faites � son d�part, de ne chanter des pseaumes, ils ne laisserent de continuer, de sorte que tous les sauvages les pouvoient entendre de terre, cela n'importe � leur dire, c'est le grand z�le de leur foy qui op�re.

Note 647: (retour)

Il avait d� partir de Tadoussac pour la traite le 30 juin. (Voir ci-dessus, p. 124.)

Les peres de la Nou� &, Breboeuf, qui avoient hyvern� avec le reverend P�re l'Allemand, se delibererent d'aller aux Hurons648 hyverner, voir le pa�s, apprendre la langue, & considerer quelle utilit� & bien l'on pourroit esperer pour l'acheminement de ces peuples � nostre foy: aussi il y eut un p�re Recollet appell� le p�re Joseph de la Roche qui y avoit hyvern� l'ann�e d'auparavant desdits Peres jesuistes, avec le mesme dessein, & quelques Fran�ois qu'on envoya pour obliger les sauvages � venir � la traitte.

Note 648: (retour)

D'apr�s la Relation 1626, ils ne seraient partis que vers la fin de juillet.

Le mesme jour arriverent trois ou quatre chaloupes qui alloient � Tadoussac, & d'aucuns qui estoient dedans, dirent qu'il y avoit des pr�tendus reformez qui faisoient leurs pri�res en quelques 129/1113barques, s'assemblant au desceu dudit Emery de Caen, qui fut cause que je luy en donnay advis, afin qu'il y mit ordre, tant l�, qu'� Tadoussac.

Le 22. dudit mois arriva une chaloupe � Qu�bec, de la part dudit de la Ralde de Miscou, lequel m'escrivit qu'il ne pouvoit venir cette ann�e, d'autant qu'il avoit treuv� plusieurs vaisseaux qui avoient traitt� des peleteries, contre les deffences du Roy, & pour ce, s'en vouloir saisir & les amener en France, escrivant audit Emery de Caen qu'il eust � envoyer l'alouette vaisseau des peres Jesuistes & l'armer des choses necessaires pour se rendre tant plus fort & maistre desdits vaisseaux qui traittoient.

Un canau arriva de la riviere des Yrocois, ce mesme jour, qui nous dit que cinq Flamands avoient est� tuez par les sauvages Yrocois, qui par cy devant avoient est� leurs amis, qui ont maintenant guerre avec les Mahiganathicoit649, o� sont les Flamands au 40e degr�, costes attenantes � celle des Virgines o� l'Anglois habite.

Note 649: (retour)

Probablement une tribu des Mahingans, et peut-�tre les Mahingans eux-m�mes.

Le 25e jour d'Aoust ledit Emery partit de Qu�bec. Et ledit du Pont se d�lib�ra de repasser en France, bien que ledit sieur de Caen 650 lui mandoit que cela seroit en son option de demeurer s'il vouloit, & s'estant resolu de s'en retourner, Cornaille de Vendremur d'Envers651 demeura en sa place, pour avoir soing de la traitt� & des marchandises du magazin, avec un jeune homme appell� Olivier le Tardif de Honnefleur, sous-commis 130/1114qui servoit de truchement. Tous nos vivres estans desembarquez je les fis visiter, le nombre qu'il y avoit estoit peu, qui estoit pour tomber en des inconvenients d'une mauvaise attente, comme j'ay dit cy dessus, si Dieu ne nous aydoit par le prompt retour des vaisseaux.

Note 650: (retour)

Le sieur Guillaume de Caen.

Note 651: (retour)

Corneille de Vendremur (peut-�tre pour Vander-Mur ou Vander-Meer), d'Anvers. Le plus souvent, il est appel� simplement Corneille.

Le 15 de Septembre j'envoyay le bestial au Cap de Tourmente, d'o� il y a sept lieues652. Et le 21 je fis porter des vivres & commoditez, pour six hommes, une femme & une petite fille.

Note 652: (retour)

Un peu plus haut, l'auteur compte huit lieues, et il devait y avoir au moins huit grandes lieues. (Voir la note 1 de la page 125.)

Le 24 s'en revindrent tous les ouvriers dudit Cap, qui avoient parachev� le logement tant pour les hommes que pour le bestial, lesquels hommes j'employay � aller couper nombre de pi�ces de bois pour sier en hyver & faire la charpente necessaire � faire les logements.

Le 24 du mois d'Octobre je fus audit Cap de Tourmente, & del� pensois aller aux Isles, qui sont le travers pour recognoistre quelques particularitez, mais le vent de Nordest s'esleva si fort que nous pensasmes p�rir, toutes nos commoditez furent perdues, nostre chalouppe grandement offenc�e, qui nous contraignit de relacher & retourner � Qu�bec.

Le 30 dudit mois s'esleva un si grand coup de vent, de Nordest, que la mer croissant extraordinairement, nous brisa une de nos barques sans y pouvoir rem�dier, laquelle estoit toute pourrie au fond pour estre trop vieille, Dieu permettant ce mal-heur pour un autre plus grand bien.

131/1115Le mois de Novembre est fort variable en ces lieux, tantost il y neige, pleut & gele, avec quelques coups de vents advancoureurs de l'hyver, neantmoins je ne laissay durant ce temps, de faire amaner quantit� de pi�ces de bois pour employer les charpentiers & sieux d'ais pendant l'hyver, qui nous surprit plustost qu'� l'accoustum�e, qui fut le 22 dudit mois, la grande riviere commen�a � charier de petites glaces. Le 7 de D�cembre mourut de la jaulnisse un des ouvriers des Peres, qui estoit assez aag�.

Le 17 dudit mois le reverend p�re l'Allemand baptisa un petit sauvage653, qui n'avoit que dix � douze jours, par la permission de son p�re appell� Caqu�misticq, le lendemain fut enterr� au cemetiere de l'habitation 654.

Note 653: (retour)

D'apr�s Sagard, c'�tait une petite fille. On envoya qu�rir le P. Joseph pour baptiser l'enfant, qui �tait �assez foible & fluette, ce que s�achant il y accourut promptement pensant la baptizer, mais l'ayant trouv� assez forte en diff�ra le baptesme avec consentement de la m�re, jusques � l'arriv�e du P�re Charles Lallemant qu'il fut qu�rir en nostre Convent, luy r�f�rant ceste honneur, en recognoissance de la peine qu'ils avoient prise de nous venir seconder � rendre les Sauvages enfans de Dieu. Ce que le R. P. Lallemant luy accorda & retourn�rent de compagnie � la cabane de l'accouch�e, o� ils trouverent le mary arriv� de son voyage... Ce pauvre sauvage se monstra tr�s content de voir sa femme heureusement accouch�e & en bonne sant�, marry seulement de voir son enfant malade & en danger de mort. Ils eurent ensemble quelque discours, s�avoir s'ils le feroient baptizer ou non, il disoit pour lui qu'il en avoit prie le P. Joseph, & sa femme plus attach�e � ses superstitions, vacillant tousjours, n'advouoit point qu'elle y eust consenty, & taschoit de l'en divertir, disans pour ses raisons que cette eau du Baptesme feroit mourir son enfant, comme elle avoit fait plusieurs autres. En ces entrefaites arriverent les PP. Joseph le Caron & Lallemant, lesquels cognoissans ce petit diff�rent survenu entre le mary & la femme touchant le Baptesme de leur petite fille, les eurent bien tost vaincus de raisons, & fait consentir de rechef qu'elle seroit baptiz�e, ce qui fut fait par le R. P. Lallemant, � la pri�re du P. Joseph. L'on ne luy imposa point de nom pour estre proche de sa fin, car elle mourut le soir mesme de sa naissance, non en Payenne, mais en Chrestienne, qui luy donne le juste titre d'enfant de Dieu, & coh�riti�re de sa gloire.� (Hist. du Canada, p. 585, 586.)

Note 654: (retour)

�Le P�re Joseph leur demanda le corps de la deffuncte qu'ils avoient envelopp� � leur mode, pour la mettre en terre saincte au Cimeti�re proche Kebec... A ceste c�r�monie se trouverent deux de nos religieux, s�avoir le P. Joseph, & le F. Charles, le P. Lallement, & le F. Fran�ois Jesuite avec plusieurs Fran�ois de l'habitation, qui tous ensemblement se transporterent � la cabane de la deffuncte, qu'ils prirent & la port�rent solemnellement en la Chappelle de Kebec chantans le Psaulme ordonn� aux enfans, puis le R. P. Lallement ayant dit la saincte Messe on fust l'enterrer au cimeti�re avec un assez beau convoy pour le pays, car le p�re de l'enfant marchoit tout le beau premier couvert d'une peau d'Eslan toute neuve enrichie de matachias & bigarures, & avec luy marchoit le sieur H�bert & les autres Fran�ois en suitte, selon l'ordre qui leur estoit ordonn�, non si gravement mais moins modestement que ce Sauvage pere, qui tenoit mine de quelque signal� Pr�lat.� (Ibid. P. 587, 588.)

132/1116Le 25 de Janvier, H�bert fit une cheute qui luy occasionna la mort655: c'a est� le premier chef de famille resident au pa�s, qui vivoit de ce qu'il cultivoit.

Note 655: (retour)

�Dieu voulant, dit Sagard, retirer � foy ce bon personnage & le recompenser des travaux qu'il avoit souffert pour Jesus-Christ, luy envoya une maladie, de laquelle il mourut 5 ou 6 sepmaines apr�s le baptesme de ceste petite fille de Kakemistic. Mais auparavant que de rendre son �me entre les mains de son Cr�ateur, il se mist en l'estat qu'il desiroit mourir, receut tous ses Sacremens de nostre P. Joseph le Caron, & disposa de ses affaires au grand contentement de tous les siens. Apr�s quoy il fist approcher de son lict, sa femme & ses enfans ausquels il fist une briefve exhortation de la vanit� de cette vie, des tresors du Ciel & du m�rite que l'on acquiert devant Dieu en travaillant pour le salut du prochain. Je meurs contant, leur disoit-il, puis qu'il a pleu � nostre Seigneur me faire la gr�ce de voir mourir devant moy des Sauvages convertis. J'ay pass� les mers pour les venir secourir plustost que pour aucun autre interest particulier, & mourrois volontiers pour leur conversion, si tel estoit le bon plaisir de Dieu. Je vous supplie de les aymer comme je les ay aymez, & de les assister selon vostre pouvoir. Dieu vous en s�aura gr� & vous en recompensera en Paradis: ils sont cr�atures raisonnables comme nous & peuvent aymer un mesme Dieu que nous s'ils en avoient la cognoissance � laquelle je vous supplie de leur ayder par vos bons exemples & vos pri�res. Je vous exhorte aussi � la paix & � l'amour maternel & filial, que vous devez respectivement les uns aux autres, car en cela vous accomplirez la Loy de Dieu fond�e en charit�, cette vie est de peu de dur�e, & celle � venir est pour l'�ternit�, se suis prest d'aller devant mon Dieu, qui est mon juge, auquel il faut que je rende compte de toute ma vie pass�e, priez le pour moy, afin que je puisse trouver gr�ce devant sa face, & que je sois un jour du nombre de tes esleus; puis levant sa main il leur donna � tous sa b�n�diction, & rendit son �me entre les bras de son Cr�ateur, le 25e jour de Janvier 1627, jour de la Conversion sainct Paul, & fut enterr� au Cimeti�re de nostre Convent au pied de la grand Croix, comme il avoit demand� estant chez nous, deux ou trois jours avant que tomber malade, comme si Dieu luy eut donn� quelque sentiment de sa mort prochaine.� (Hist. du Canada, p. 590, 591.) Suivant le P. le Clercq, le corps d'H�bert fut relev� en 1678, par les soins du R�v�rend P. Valenrin le Roux, alors Commissaire et Sup�rieur des R�collets de Qu�bec, et �transport� solemnellement dans la cave de la Chapelle de l'Eglise� du nouveau couvent qu'on venait de b�tir. �Madame Couillard, fille du sieur H�bert, qui vivoit encore alors, s'y fit transporter, & voulut estre presente � cette translation.� (Prem. �tabliss. de la Foy, 1, 375.)

Le 22 de Mars, les sauvages me donn�rent deux eslans male & femelle, le malle mourut pour avoir trop couru & travaill�, estant poursuivy des sauvages, lesquels nous firent part de quelque chair d'eslan: l'hyver que j'y passay fut un des plus longs 133/1117que j'aye veu en ce lieu, qui fut depuis le 21 de Novembre jusqu'� la fin d'Avril, il y avoit sur la terre quatre pieds & demy de neiges, & � Miscou huict, qui est dans le golphe sainct Laurent, � 155 lieues de Qu�bec, o� ledit de la Ralde avoit laisse quelques Fran�ois hyverner, pour traitter quelque reste de marchandises qui luy restoient, & qu'il ne voulut rapporter en France: ils faillirent tous � mourir du mal de terre, j'envoyay visiter ceux qui estoient au Cap de Tourmente, lesquels s'estoient fort bien portez, mais avoient un peu mal mesnag� leurs vivres, & leurs en fallut donner d'autres, aux despens des hyvernans de l'habitation, qui n'avoient pas assez de farines que quelques galettes, qui suppl�erent au deffaut: sans cela nous eussions est� tr�s mal, comme de toutes autres choses, pour n'avoir pourvue en France de bonne heure aux commoditez necessaires pour l'habitation.



Les Fran�ois sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois. L'Autheur envoye son beau fr�re aux trois rivieres.

CHAPITRE III.

Pendant l'hyver quelques uns de nos sauvages furent aux habitations des Flamands, lesquels les sauvages dudit pays solliciterent les nostres de faire la guerre aux Yrocois, qui leurs avoient tu� vingt quatre sauvages & cinq Flamands qui ne leurs avoient voulu donner partage, pour aller faire la guerre � une nation appell�e les Loups ausquels 134/1118lesdits Yrocois vouloient du mal, & pour engager nos sauvages � ceste guerre, qui avoient la paix avec lesdits Yrocois, ils leurs donn�rent des presens de colliers de pourcelaine, pour faire donner � quelques Chefs, comme au reconcili� & autres, afin de rompre cette paix. Ces Messagers estans de retour donn�rent les colliers aux Chefs, qui les ayant receuz d�lib�r�rent de s'assembler bon nombre, avec les Algommequins & autres nations, & s'en aller treuver les Flamands & sauvages pour faire une grande assembl�e ruiner les villages Yrocois, avec lesquels au precedent ils avoient paix, n'estans qu'� deux journ�es d'eux, & douze de Qu�bec. Il y avoit plusieurs de nos sauvages qui ne vouloient point ceste guerre, ains la continuation de la paix avec les Yrocois, & ce qui fut cause d'un grand trouble entre ces peuples, desquelles nouvelles je n'avois encore rien sceu que par un Capitaine sauvage des nostres, appelle Mahigan Aticq, qui ne voulut consentir � ceste guerre, que premier il n'eust eu mon advis, ce que je luy promis: il me discourut fort particuli�rement de toute ceste affaire, jugeant o� cela pouvoit aller, car l'importance n'estoit pas seulement de ruiner les Yrocois comme ennemis des Flamands, mais le tout tiroit � plus grande consequence, que je passeray sous silence.

Je dis audit Mahigan Aticq que je luy s�avois bon gr� de m'avoir donn� cet advis, mais que je treuvois fort mauvais, comme ledit reconcili� & autres avoient pris ces presens, & d�lib�r� ceste guerre sans m'en advertir, veu que c'estoit moy qui m'estois entremesl� de faire la paix pour eux avec 135/1119lesdits Yrocois, considerant le bien qui leur en arrivoit de voyager librement amont la grande riviere, & dans les autres lieux, autrement n'estant qu'en peur de jour en jour, de se voir massacrer & pris prisonniers, eux, leurs femmes & enfans, comme ils avoient est� par le pass�: la o� recommen�ant ceste guerre, c'estoit rentrer de fi�vre en chault mal, & que pour moy je ne pouvois consentir � une meschancet�: qu'eux & moy leur avions donn� parole de ne leurs faire aucune guerre, sans qu'au pr�alable ils ne nous en eussent donn� suject, & que pour ceux qui entreprenoient ceste affaire, touchant la guerre sans nous en communiquer, je ne les tenois point pour mes amis, mais ennemis, & que s'ils faisoient cela sans quelque suject, je ne les voulois point voir � Qu�bec, que n�anmoins o� je treuverois lesdits Yrocois je les assisterois comme amis, contre les sauvages proche des Flamands, qui estoient ennemis comme leurs ayant fait la guerre, estant all� autre fois aux Mahiganaticois, qui sont ceux de ceste mesme nation qui nous avoient tu� malheureusement de nos hommes, que pour le reconcili� s'il avoit pris ces presens, que je ne le voulois plus voir ny tenir pour mon amy, s'il ne les renvoyoit, n'aller en guerre s'il les retenoit, que c'estoit estre de mauvaise foy, que promettre une chose pour en faire une autre, & que se laisser corrompre pour des presens, & je ne pouvois que penser de telles personnes, & que si on leurs en donnoit pour faire quelque meschancet� contre nous, ils le feroient. Et entre autres discours tendant � cet effect, il me dit que j'avois raison, & qu'il falloit 136/1120aller en diligence aux trois Rivieres, au Conseil qui se devoit delib�rer, & que mesme il y en avoit quelque nombre qui vouloient aller faire une course au pays desdits Yrocois pour en attraper quelques-uns, premier qu'aller vers les Flamans, si je n'y allois ou envoyois, & me pria instamment d'y envoyer puis que ma commodit� ne le pouvoit permettre d'y aller; d'autant, me dit-il, qu'ils ne me voudroient pas croire de ce que je pourrois leur dire de sa part: mais y envoyant ils verront la v�rit�, & ce que tu desires. Sur ce je me d�lib�re d'y envoyer Boull� mon beau frere avec un truchement, le lendemain le reconcili� me vint treuver, qui avoit ouy quelque vent que je s�avois quelque chose de cette affaire, je luy fis fort froide r�ception, & ne me peus empescher de luy tesmoigner le desplaisir que j'en avois: il me dit qu'il ne s�avoit rien de cette affaire, mais jugeant que j'estois bien certain de tout ce qui se passoit, il s'en alla doucement s'embarquer en un Canau, va au trois Rivieres premier que mon beau-fr�re & ledit Mahigan aticq y fussent, o� il tesmoigna n'avoir agr�able cette guerre, & se montera aussi contraire comme il y avoit est� port�, mais quelques Algommequins estoient partis pour aller en leur pays, & de l� � la guerre sans nostre sceu, qui occasionna du malheur tant pour nos Sauvages que pour nous, comme il sera dit cy-apr�s.

Le 9 dudit mois de May j'envoyay mon beau-frere pour aller � cette assembl�e 30 lieues de Qu�bec amont ledit fleuve, o� ils s'assemblerent tous pour prendre la resolution: la moiti� desiroit la 137/1121 continuation de la guerre, autres de la paix: il fut en fin resolu de ne rien faire jusques � ce que tous les vaisseaux fussent arrivez, & que les Sauvages d'autres nations seroient assembl�s, ce qui occasionna mon beau-fr�re de revenir le 21 dudit mois, & me dit ce qui avoit est� resolu. Le Pere Joseph Recolet baptisa un petit Sauvage de l'aage de 18 � 20 ans, qui fut nomm� Louys656, au nom du Roy, le 23 de May. Quelque temps apr�s il s'en retourna avec les Sauvages, comme fit un autre 657 qui avoit est� instruit en France, qui s�avoit bien lire, escrire, & passablement parler latin.

Note 656: (retour)

Ce jeune sauvage �tait N�ogaouachit, fils a�n� de Choumin, surnomm� le Cadet. Il fut baptis� dans la chapelle de la cour � Notre-Dame-des-Anges, le jour de la Pentec�te, qui tombait cette ann�e le 23 mai, et fut tenu sur les fonts par Champlain lui-m�me et par Madame H�bert. Pour quelque raison de prudence, l'auteur ne permit pas que le bapt�me e�t lieu � l'�glise paroissiale. Apr�s la c�r�monie, on donna un grand festin � tous les sauvages, et Champlain voulut que son filleul v�nt � l'habitation d�ner � sa propre table. (Sagard, Hist. du Canada, pp. 541-563.)

Note 657: (retour)

L'auteur para�t faire ici allusion � Pierre-Antoine Pastedechouan. (Voir Prem. �tabliss. de la Foy, I, 363; et Relat. 1633, p. 6.)

Le 7 de juin arriva un Canau o� il y avoit deux Fran�ois qui m'apportoient lettres des sieurs de la Ralde & d'Emery de Caen, qui estoient arrivez � Tadoussac le dernier de May 1627.

Le 9 dudit mois de juin arriva ledit Emery, lequel ayant descharg� & pris ce qui luy estoit necessaire pour sa retraitte, il s'en alla au trois Rivieres, & apr�s luy avoir dit ce qui s'estoit pass� de cette affaire touchant cette guerre, & l'utilit� que la paix nous apporteroit de ce cost�-l� si on pouvoit la continuer: mais comme Emery fut arriv� o� estoient les Sauvages, il ne sceut tant faire, ny tous lesdits Sauvages, qui estoient l�, que neuf ou dix jeunes hommes �cervelez n'entreprinsent d'aller 138/1122� la guerre, ce qu'ils firent sans qu'on les peust empescher, pour le peu d'obeissance qu'ils portent � leurs chefs, ils furent par la riviere des Yrocois, arrivant au lacq de Champlain, o� ils rencontrerent un Canau dans lequel estoit trois Yrocois, qui sous feinte d'estre encore amis, les prirent, un se sauva, & amen�rent les deux aux trois rivieres, de l� ils retourn�rent devant la riviere des Yrocois, o� se devoit faire la traitte, & l� commenc�rent � mal traitter ces deux prisonniers en leur donnant plusieurs coups de b�tons & arrachant � l'un les ongles des mains, & se delib�rant les faire mourir, les faisant promener de Cabanne en Cabanne, & contraignant de chanter comme est leur coustume, voila ce qui fut cause de l'esperance rompue de cette paix par accident. Cependant ledit sieur Emery faisoit ce qu'il pouvoit en suitte de l'advis que je luy avois donn� de maintenir cette paix avec les Yrocois, leur remonstrant le peu de foy & de parole, & ne pouvant rien faire avec eux, il m'escrivit une lettre, me faisant entendre toutes les nouvelles: que ma presence y eust est� fort requise, ce qui fut cause qu'aussitost je m'embarquay dans un Canau avec Mahigan aticq qui fut le quatorziesme de Juillet, o� arrivant au lieu o� estoient lesdits prisonniers, je sceu que le mesme jour le Reconcili� avoit coup� les cordes desquelles ils estoient liez, ne desirant pas qu'il mourussent que premi�rement ils ne m'eussent veu, & tenu conseil sur ce qu'ils devoient faire. Apr�s avoir sceu toutes ces nouvelles dudit Emery, je fus � terre voir nos Sauvages & lesdits prisonniers qui se disoient fr�res, 139/1123l'un aag� de vingt huict ans, beau Sauvage, & tr�s-bien proportionn�, & l'autre de dix-sept, qui me donn�rent de la compassion de les voir, & bien aise de ce qu'ils avoient est� delivrez des tourments qu'on leur vouloit faire souffrir.

Le conseil fut assembl� sur ce que je leurs dy qu'ils avoient fait une grande faute de permettre � ces Sauvages d'avoir est� � la guerre, & grande laschet� � ceux qui y avoient est� d'avoir eu si peu de courage que les prendre sous ombre d'amiti�, & les ayant si mal traittez comme ils avoient fait, & qu'asseur�ment cela leur pourroit estre vendu fort cher si l'on n'y trouvoit quelque rem�de, que les ennemis ne pourroient plus avoir subject de se fier en leurs paroles, que cecy estoit la deuxiesme mechancet� qu'ils leurs avoient faicte, & l'autre estoit qu'allant traitter de paix avec lesdits Yrocois, qui les avoient bien receus, cependant en s'en retournant ils avoient assomm� un des leurs, & que leur bont� leur avoit pardonn�.

Estans tous assemblez je leur donnay � entendre qu'ils considerassent combien de bien ils recevoient de la paix au prix de la guerre, qui n'apporte que plusieurs malheurs, qu'ils s�avoient comme ils en avoient est� par le passe: que pour nous cela nous importoit fort peu: mais que la compaission que nous avions de leur misere nous obligeoit, les aymant comme fr�res, de les assister de nostre bon conseil, de nos forces contre leurs ennemis quand ils voudroient leur faire la guerre mal � propos, laquelle ils n'avoient encore commenc�e si ce n'estoit les subjects qu'ils leurs en avoient donn�, dont ils 140/1124pourroient en avoir du ressentiment si nous ne taschions d'y apporter le rem�de, & aussi qu'ils s�avoient bien que la guerre estant, toute la riviere leur seroit interdite & n'y pourroient chasser ny pescher librement sans courir de grands dangers, crainte & apprehension, & eux principalement qui n'avoient point de demeure arrest�e, vivans errans par petites troupes escart�es, dont ils se rendent autant plus foibles, & que s'ils estoient tous assemblez en un lieu comme font leurs ennemis, & que c'est ce qui les rend forts. De plus qu'ils considerassent combien ils pourroient endurer de necessitez pour ce subject: Ainsi se tindrent plusieurs autres discours, que pour moy recognoissant l'utilit� de la continuation de cette paix il eust est� � propos de bien traitter les deux prisonniers, les renvoyer sans aucun mal, & donner quelque presens aux chefs de leurs villages pour payer la faute qu'ils avoient commises en la prise de ces deux prisonniers, suivant leurs coustumes, & remonstrant aussi qu'ils n'avoient pas est� pris du consentement des Capitaines ny des Anciens, mais de jeunes fols, & inconsiderez qui avoient fait cela, dont tous en avoient conceu un grand desplaisir.

La pluspart, & tous d'un consentement, apr�s que chaque Capitaine eut fait sa harangue, ils se resolurent de renvoyer l'un des prisonniers avec le Reconcili� qui s'y offrit, & deux autres Sauvages, accompagnez de presens pour donner aux Capitaines des villages ou ils alloient mener le prisonnier, laissant l'autre en ostage jusques � leur retour: & pour faire plus valoir leur Ambassade, ils nous 141/1125demand�rent un Fran�ois avec eux: le leur dis que s'il y en avoit quelques-uns qui y voulussent aller, que pour moy j'en estois comptant: il s'en treuva deux ou trois moyennant qu'on leur donnast quelque gracieuset� pour leur peine, & la risque qu'ils pouvoient courir en ce voyage, l'un d'eux appell� Pierre Magnan, qui avec la volont� qu'il avoit, & la commodit� qu'on luy promit, il se delibere de faire le voyage avec le Reconcili�, deux Sauvages & l'Yrocois, lesquels s'accommod�rent des choses les plus necessaires, & partirent le 24 dudit mois, & moy le mesme jour m'en retournay � Quebec, o� j'arrivay le lendemain, y trouvant ledit du Pont, qui estoit arriv� le 17 lequel me dist que ledit sieur de Caen voyant qu'il ne s'estoit point embarqu� en la Flecque, vaisseau qui venoit pour la pesche de Baleine, qu'il luy avoit escrit & prie que s'il treuvoit moyen de passer en quelque vaisseau pour s'en venir hyverner en ce lieu qu'il luy feroit un singulier plaisir, pour avoir l'administration des choses qui dependoient de son service.

Ce que voyant, tout incommod� qu'il estoit, pour l'instante pri�re qu'il luy en avoit faicte, il s'estoit embarqu� en un vaisseau de Honnefleur pour venir � Gaspay & de l� prit une double chalouppe avec six � sept Matelots & son petit fils pour s'en venir � Qu�bec, o� en chemin il avoit receu de grandes incommoditez de ses gouttes, ce qui en effect estonna un chacun, & mesme ledit de la Ralde, � ce qu'il me dist, qu'il n'eust jamais creu que ledit du Pont eust voulu se mettre en un tel risque ayant l'incommodit� qu'il avoit.

142/1126Ledit Emery me manda que depuis mon d�partement fr�re Gervais658 Recolet avoit baptis� un Sauvage appelle Tregatin659, lequel estant proche de la mort le voulut estre, & le demanda trois fois, ne voulant adjouter foy aux superstitions des Sauvages, promettant que si Dieu luy redonnoit la sant� il se feroit instruire aussitost apr�s son baptesme, il recouvra la sant�, mais il n'a pas suivy ce qu'il avoit promis, le tout � sa plus grande condemnation, si Dieu ne l'assiste.

Note 658: (retour)

Le P. Gervais Mohier �tait arriv� l'ann�e pr�c�dente. (Prem. �tabliss. de la Foy, I, 342.)

Note 659: (retour)

C'est le nom que les Fran�ais donnaient � Napagabiscou. Sa maladie et son bapt�me sont rapport�s au long dans Sagard, Hist. du Canada, liv. II, ch. XXXV.



Mort & assassinat de Pierre Magnan, Fran�ois, du chef des Sauvages appelle R�concili�, & d'autres deux Sauvages. Retour d'Emery de Caen & du P�re l'Allemand � Qu�bec. Necessitez en la Nouvelle France.

CHAPITRE IV.

Le 25 d'Aoust un Sauvage nous apporta la nouvelle de la mort de Pierre Magnan, & du Reconcili�, & des autres deux Sauvages, qui nous dit qu'un Algommequin qui s'estoit sauv� dudit village des Yrocois leur avoit fait entendre au vray comme les ennemis les avoient traittez cruellement. Comme nos Ambassadeurs furent arrivez audit village des Yrocois ils furent bien receus, l'on les mena pour tenir conseil sur le subject de leur Ambassade: A mesme temps les villages 143/1127 circonvoisins en furent advertis, & l� les chefs se treuverent pour le traitt� de paix: & par malheur pour les nostres, c'est que les Algommequins (comme j'ay dit cy-devant) avoient est� � la guerre contre les Yrocois, & en avoient tu� cinq, qui fut le subject que des Sauvages appellez Ouentouoronons660 d'autre nation, amis desdits Yrocois, vindrent en diligence pour se venger sur ceux qui estoient alliez, & les tu�rent � coups de haches sans que lesdits Yrocois les peuvent empescher, leur disant, Pendant que vous venez pour moyenner la paix, vos compagnons tuent & assomment les nostres, ainsi perdirent la vie malheureusement. Pour le Reconcili� il meritoit bien cette mort, pour avoir massacr� deux de nos hommes aussi malheureusement au Cap de Tourmente661, & ledit Magnan natif d'un lieu proche de Lisieux, avoit tu� un autre Magnan. � coups de bastons, dont il fut en peine, & avoit est� contraint de se retirer en la nouvelle France. Voil� comme Dieu chastie quelque fois les hommes qui pensent esviter sa justice par une voye & sont attrapez par une autre. Ces nouvelles nous apporterent un grand desplaisir, tant pour nous voir hors d'esperance de cette paix, qui nous pouvoit apporter de la commodit� pour avoir les passages plus libres � nos Sauvages, de pouvoir chasser & pescher. De plus qu'ayant fait mourir un de nos hommes de cette fa�on, cela alloit � telle consequence que si nous ne nous en ressentions il falloit estre tenus de tous les peuples hommes sans courage, & estre aux 144/1128risques de recevoir souvent tels affronts si nous ne mettions peine de nous en ressentir.

Note 660: (retour)

Les m�mes que les Entouoronons, ou Tsonnontouans.

Note 661: (retour)

Ce double meurtre fut commis vers la fin de l'�t� 1616. (Voir 1619, p. 114 et s.)

Ces nouvelles arriv�es de la mort des Ambassadeurs parmy nos Sauvages, de rage & de desplaisir qu'ils eurent ils662 prindrent ce jeune gar�on Yrocois qu'ils avoient retenu pour ostage, ils luy arrachent les ongles, le bruslent � petit feu avec des tisons, luy faisant souffrir plusieurs tourments, & ainsi mal traitt� en firent un present � d'autres Sauvages pour l'achever de le faire mourir, & les obliger de les assister en leur guerre contre lesdits Yrocois, lesquels Sauvages prirent le gar�on, le li�rent � un poteau le bruslant peu � peu. Comme il estoit en ces douleurs extr�mes ils luy coup�rent les mains, les bras, luy levant les espaules, & estant encore vif luy donn�rent tant de coups de cousteaux, qu'il mourut ainsi cruellement, & chacun en emporta sa pi�ce qu'ils mang�rent.

Note 662: (retour)

Les Algonquins, et non pas les Ouentouoronons. (Voir ci-dessus, p. 140.)

Ledit Emery ayant faict la traitte, qui fut l'une des bonnes (qui se fust faicte il y avoit long temps) s'en retourna � Qu�bec le dernier de Septembre de l� � Tadoussac porter les pelteries.

Le 2 d'Octobre deux autres barques partirent pour s'en aller audit Tadoussac, en l'une desquelles repassa le Reverend p�re l'Allemand lequel s'en retournoit fort afflig� de ce que leur vaisseau n'estoit venu 663 leur apporter les commoditez qui leurs estoient necessaires pour la nourriture de vingt sept 145/1129� vingt huict personnes qui estoient au pays, cela leur faisoit perdre beaucoup de temps, ne pensant � autre chose sinon que les vaisseaux o� devoit venir le P�re Noyrot (qui s'estoit �quip�e � Honnefleur) fut perdu & pris par les Anglois, qui fut le subject que nous ne receusmes aucunes lettres de celles qu'il nous apportoit, ne s�achant comme toutes les affaires s'estoient pass�es en France, que ce que me mandoit ledit sieur de Caen qui estoit peu de chose, & ainsi pour n'avoir des vivres & commoditez, ledit P�re l'Allemand fut contrainct de faire passer tous ses ouvriers & autres, horsmis les P�res Mass�, D�noue 664, un fr�re, & cinq autres personnes pour n'abandonner leur maison, lesquels il accommoda au mieux qu'il peut, traittant quelques dix baricques de galette du magazin, au prix des Sauvages, � sept castors pour bariques de galette que ledit Pere avoit recouvert des uns & des autres � un escu comptant pour Castor, & ainsi achetoit ch�rement ce que la necessit� leur contraignoit, sans trouver aucune courtoisie. Ledit de la Ralde qui estoit venu pour lors � Qu�bec rapportant n'avoir eu aucun ordre en France de les assister ny mesme de rapasser aucun religieux: Tout cecy ne monstroit que l'animosit� qu'il avoit envers lesdits Peres & le sieur de Caen665 qui avoit eu quelque chose � demesler avec ledit Pere Noyrot qui l'avoit desoblig�, � ce qu'il me mandoit, mais tous les P�res qui estoient par del� n'en devoient p�tir, 146/1130n'estant cause de ce qui s'estoit pass�e en France. Ils commen�oient � se bien establir, & avoient fort advanc�, tant en leurs bastiments qu'� deserter les terres: ce neantmoins ledit de la Ralde ne laissa de recevoir ledit P�re l'Allemand en son vaisseau & luy faire bonne ch�re, car � la verit� la courtoisie, l'honnestet�, la bonne mine & conversation dudit Pere l'obligeoit trop � luy rendre toute sorte de bon traittement qu'il treuva en sa personne: dans la mesme barque s'en alla ledit Destouches, qui fut le 2 de Septembre.

Note 663: (retour)

Le P. Noirot avait dispos� un navire muni de toutes les choses n�cessaires; mais les sieurs de Caen et de la Ralde en prirent ombrage, et d'ailleurs, ayant eu avis que les P�res avaient form� quelques plaintes sur leur conduite, ils firent si bien qu'on arr�ta ce qui �tait pour le compte des J�suites. (Prem, �tabliss. de la Foy, I, 371.)

Note 664: (retour)

Le P. de Noue, qui est nomm� ici, tandis que le P. Brebeuf ne l'est pas, �tait probablement redescendu des Hurons cette ann�e.

Note 665: (retour)

C'est-�-dire, �comme aussi le sieur de Caen en avait lui-m�me.�

Nous eusmes nouvelles par la derni�re barque qui apportoit le reste de nos commoditez que ledit de la Ralde estoit party dans la Catherine le septiesme Septembre, & avoit laiss� ledit Emery de Caen dans la Flecque jusques au 5 d'Octobre pour la pesche de la Baleine, & voir ce qui reussiroit de cette entreprise. L'on avoit envoy� quelque genisse666 d'un an dans le vaisseau qui venoit � Tadoussac pour faire pesche de Baleine, & en fut port� par les barques 16 & quelque 7 ou 8 qui moururent par la mer, � ce que l'on nous dit.

Note 666: (retour)

�Quelques g�nisses,� comme la suite le fait voir.

Voila tout ce qui se pana jusques au departement des vaisseaux: Nous demeurasmes cinquante cinq personnes, tant hommes que femmes & enfans, sans comprendre les habitans du pays, assez mal accommodez de toutes les choses necessaires pour le maintien d'une habitation, dont je m'estonnois fort comme l'on nous laissoit en des necessitez si grandes, & en attribuoit on les d�fauts � la prise d'un petit vaisseau par les Anglois qui venoient de 147/1131Bisquaye, comme ledit sieur de Caen me le mandoit, je ne s�ay d'o� en venoit la faute, plusieurs discours se disoient sur ce subject, quoy que s'en soit il nous fallust passer par de l�, il n'y avoit point de rem�de.

De ces cinquante cinq personnes il n'y avoit que dix-huict ouvriers, & en falloit plus de la moiti� pour accommoder l'habitation du Cap de Tourmente, faucher & faner le foing pour le bestial pendant l'est� & l'Automne. Le parachevement de l'habitation de Qu�bec demeure � parfaire, l'on me devoit donner dix hommes pour travailler au fort de sa Majest�, bien que ledit sieur de Caen & tous ses associez l'eussent souscript, & sa Majest� & le Viceroy le desirassent, neantmoins l'on ne le veut permettre, & empesche on tant que l'on peut. On veut que tous les hommes travaillent � l'habitation, il n'y a rem�de, pourveu que la traitte se face c'est assez, il n'y a personne qui osast entreprendre de nous enlever, c'est en cecy o� j'avois beaucoup de peine � faire gouster les raisons pourquoy le fort nous estoit necessaire, tant pour la conservation de leur bien, que celles des habitans du pa�s: c'est ce qui donnoit du mescontentement � toutes les societ�s: neantmoins considerant l'importance & la necessit� d'avoir u lieu de conserve, je ne laissois de faire ce qu'il m'estoit possible de temps � autre.

Voyant les ordres & commandemens donn�es au contraire de la volont� de mondit seigneur le Vice-roy, je jugeay bien deslors que la plus grande part des associez ne s'en soucioient beaucoup; 148/1132pourveu qu'on leur donnast d'interest les quarante pour cent: j'en avois dit mon sentiment audit de la Ralde, lequel ne me donnoit beaucoup de contentement, d'autant qu'il avoit prescript ce qu'il devoit faire, c'est en un mot que ceux qui gouvernent la bource font & defont comme ils veulent.

Un des deplaisirs que je recognu en ceste affaire estoit f�ch� que je faisois construire un fort au dessus de l'habitation pour la conservation d'icelle, du pa�s & des habitans, & cela d�pl�t audit de Caen comme il me fit assez cognoistre par sa lettre, que d'y employer de ses hommes il n'y estoit pas oblig�, aussi il ne s'en soucioit pourveu que sa Majest� en fit la despense, en y envoyant des ouvriers pour cet effect: � tout cela je ne peus rien faire pour lors, sinon d'en escrire � mondit seigneur le Viceroy, & luy donner advis de tout ce qui se passoit en ceste affaire, afin qu'il y apportast l'ordre qu'il jugeroit necessaire, & moy de ne laisser, en tant que je pouvois, d'employer quelques hommes au fort, & le reste � travailler � l'habitation.



149/1133

Guerre d�clar�e, par les Yrocois. Assembl�e des sauvages. Assassinat de deux hommes appartenans aux Fran�ois. Recherche de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amen�, ce que les Sauvages offrent pour estre alliez avec les Fran�ois. L'Autheur veut venger ce meurtre.

CHAPITRE V.

Le 20 de Septembre les Sauvages nous dirent que nombre d'Yrocois s'acheminoient pour nous venir faire la guerre, � eux & � nous: nous leurs dismes que nous en estions tr�s aises, mais que nous ne les croyons667, & qu'ils n'avoient que la hardiesse d'assommer des gens endormis sans se deffendre.

Note 667: (retour)

Craignons est probablement ce que portait le manuscrit.

Les communes des sauvages, de cinquante � soixante lieues de Qu�bec, s'asemblent tous en ce dit lieu au mois de Septembre & Octobre, pour faire la pesche d'anguilles, qui est en abondance en ce temps l�, lesquels ils font boucaner, & les reservent pour en manger jusques au mois de Janvier, que les neiges sont hautes, pour aller � la chasse de l'eslan, dequoy ils vivent jusqu'au Printemps.

Le 3 d'Octobre668 je partis de Qu�bec, pour aller au Cap de Tourmente, voir l'avancement qu'avoient fait nos ouvriers, & en ramener une partie: deux hommes s'en retourn�rent par terre, conduire quelque bestial que l'on amenoit dudit Cap de Tourmente � Qu�bec. Apr�s avoir mis ordre en ce lieu, je m'en retournay le 6 dudit mois, o� estant 150/1134arriv� j'appris que quelques sauvages avoient assassin� ces deux hommes endormis, qui conduisoient le bestial, � demie lieue de nostre habitation 669. Cecy m'affligea grandement: on fut qu�rir les corps qu'ils avoient traisnez au bas de l'eau afin que la mer les emmenast, estant apportez on les visita, ils avoient la teste escras�e de coups de haches, & plusieurs autres d'esp�e & cousteaux dans le corps.

Note 668: (retour)

Le 3 octobre �tait un dimanche, et la mar�e �tait haute vers 1 heure et demie.

Note 669: (retour)

Le meurtre para�t avoir �t� commis � la Canardi�re quelque part vers l'embouchure du ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers (aujourd'hui rivi�re Chalifour ou rivi�re des Fous). Le meurtrier �tait Mahican-atic-ouche, et les deux victimes, Henry, domestique de Madame H�bert, et un autre fran�ais appel� Dumoulin. Ces derniers avaient d� partir du cap Tourmente, vraisemblablement le mardi, de bonne heure le matin, afin de pouvoir passer facilement les rivi�res de la c�te pendant que la mar�e �tait basse. Arriv�s � la Canardi�re, ils trouv�rent la rivi�re Saint-Charles encore trop pleine pour pouvoir traverser le soir m�me; car la mar�e ne commen�a � baisser que vers les trois heures de l'apr�s-midi. N'ayant pu ouvrir la porte de la cabane de M. Giffard, ils se r�sign�rent � coucher sous un arbre, envelopp�s de leurs couvertures. C'est l� que, pendant la nuit, Mahican-atic-ouche, croyant donner la mort au boulanger et au serviteur de M. Giffard auxquels il en voulait, massacra par m�prise l'un de ses meilleurs amis, Henry, et un fran�ais qui ne lui avait fait aucun mal. (Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch. IV.)

Nous advisasmes qu'il estoit � propos de conduire ceste affaire meurement, & descouvrir les meurtriers au plustost pour les chasser, & voir comme nous procederions envers ces canailles, qui n'ont point de justice parmy eux: car de nous venger sur beaucoup qui n'en seroient coulpables, il n'y avoit pas aussi de raison, ce seroit d�clarer une guerre ouverte, & perdre pour un temps le pa�s, jusqu'� ce que l'on eust extermin� ceste race, par mesme moyen perdre les traittes du pays, ou pour le moins les bien alt�rer, aussi que nous estions en un miserable estat, faute de munitions pour guerroyer, & plusieurs autres inconveniens furent considerez, qui pourroient arriver si l'on faisoit les choses trop precipitement. Nous deliberasmes de 151/1135faire assembler tous les capitaines des sauvages leur conter l'affaire, & leurs faire voir les corps meurtris des defuncts, ce qui fut ex�cut�.

Le lendemain 670 tous les chefs vinrent � nostre habitation, o� nous leurs fismes plusieurs remonstrances du bien qu'ils recevoient annuellement de l'habitation nous, que contre tout droit & raison ils faisoient des actes abominables & detestables, de traistres & meschans meurtres, & que si nous avions l'ame aussi diabolique qu'eux, que pour ces deux hommes l'on en feroit mourir cinquante des leurs, & les exterminerions tous: qu'on leurs avoit pardonn� n meurtre de deux autres hommes 671, mais que pour cetuy-cy nous voulions avoir les meurtriers, pour en faire la justice, qu'ils nous les declarassent & missent entre les mains, s'ils vouloient que nous vecussions en paix, nous n'en voulions qu'� ceux qui avoient assassin� nos hommes que nous leurs fismes voir.

Note 670: (retour)

Probablement le 8 octobre.

Note 671: (retour)

Voir 1619, p. 133.

Au commencement ils vouloient dire que c'estoit des Yrocois, mais comme il n'y avoit nulle apparence, nous leurs fismes cognoistre le contraire, & que ce meurtre ne venoit que de leurs gens, en fin ils le confesserent, mais ils dirent qu'ils ne s�avoient pas celuy qui avoit fait ce coup.

Nos gens soub�onnoient entr'autres un certain sauvage que nous leurs dismes, & qu'ils le fissent venir, ce qu'ils promirent faire. Le lendemain ils l'amen�rent, & fut interrog� sur quelques discours de menace, qu'il avoit fait � quelques-uns de nos 152/1136ce qu'il nia, & que jamais il n'avoit pens� � une si signal�e malice, que de vouloir tuer des Fran�ois qu'il aymoit comme luy mesme. De plus qu'il avoit sa femme & plusieurs enfans qui l'auroient empesch� de faire ce meurtre, quand il auroit eu le dessein. Je luy fis dire que le meurtrier du pr�c�dent avoit bien femme & enfans, & qu'il ne laissa neantmoins d'en assassiner deux des nostres, outre que l'on le cherissoit plus qu'aucun des sauvages de son temps, & par consequent que ses excuses qu'il alleguoit ne pouvoient pas estre suffisantes pour se descharger du soub�on que l'on avoit sur luy: quoy que s'en soit plusieurs discours se passerent entre eux & nous, & nous resolumes d'arrester cettuy-cy, attendant qu'il nous donnast trois jeunes gar�ons des principaux d'entr'eux, l'un des montagnes 672, le second des trois rivieres, & le troisiesme le fils du soub�onn�, jusqu'� ce qu'ils nous livrassent le meurtrier qui avoit fait le coup: ils nous demand�rent terme de trois jours, tant pour d�lib�rer sur cette affaire, que pour essayer de pouvoir descouvrir le meurtrier, ce que nous leurs accordasmes.

Note 672: (retour)

Des Montagnais.

Ils s'en retourn�rent en leurs Cabannes, & alors nous avions � nous tenir sur nos gardes, tant au fort qu'� l'habitation, donnant advis aux peres jesuistes & au Cap de Tourmente que chacun eust � se bien garder, & ne permettre qu'aucun sauvage les accostast sans estre les plus forts: toutes choses estant bien dispos�es nostre Sauvage que nous avions retenu attendant son fils en sa place & les autres.

153/1137Le troisiesme jour ils ne faillirent � venir, amenant quant & eux les trois jeunes gar�ons de l'aage de douze � dix huict ans nous disant qu'ils avoient fait grande recherche & perquisition pour s�avoir ceux qui avoient tu� nos hommes, & qu'ils ne l'avoient peu s�avoir, qu'ils feroient en sorte qu'en peu de temps ils nous en donneroient advis, & qu'ils estoient tr�s desplaisans du malheur qui nous estoit arriv�, que pour eux ils estoient tous innocens, & que comme tels, ne se sentoient coulpables. Ils amen�rent ces trois jeunes gar�ons, le fils de nostre prisonnier, & un de Tadoussac, & l'autre de Mahigan aticq qui demeuroient proche de nostre habitation, & deschargerent ceux des trois Rivieres, disant que ce ne pouvoit avoir est� aucun d'iceux qui eust fait ce meurtre, d'autant qu'ils n'estoient que deux cabannes, que la nuict que nos gens furent tuez ils estoient tous � leurs maisons, au reste ils nous pri�rent que nous vescussions en paix, attendant que les meurtriers fussent descouverts, estant plus que raisonnable qu'ils mourussent, & que nous eussions � bien conserver ces Sauvages qu'ils nous laissoient, le p�re que nous tenions prisonnier dit � son fils, prens garde � vivre en paix avec les Fran�ois, asseure toy qu'en peu de temps je te delivreray & s�auray celuy qui a fait ce coup, & le plus grand desplaisir que j'ay eu c'est que les Fran�ois ont eu soub�on sur moy, & les autres Sauvages asseurerent aussi les deux autres, & qu'en peu de jours l'on s�auroit ceux qui avoient fait ce meschant acte.

Nous dismes � tous ces Capitaines que le peu 154/1138 d'asseurance qu'il y avoit pour nos hommes d'aller seuls dans les bois & y dormir ayant parmy eux de si meschans traistres qu'� l'advenir jusqu'� ce qu'on eust descouvert les meurtriers & fait justice d'eux, j'enchargerois � tous nos hommes de n'aller plus sans armes & que s'il y avoit aucun d'eux qui les approchast sans leur consentement qu'ils les tireroyent comme ennemis, & qu'ils eussent � se donner de garde, & advertir tous leurs compagnons, d'autant qu'ils ne cognoissoient les meschans qui estoient parmy eux, nous avions � nous donner de garde, mais qu'eux n'avoient nul subject d'entrer en deffiance de nous. Ils nous dirent que nous avions raison de ne faillir � tuer s'il s'en rencontroit aucun qui ne voulussent se retirer quand on leur diroit, que pour le moins l'on cognoistroit quels ils seroient, & que pour les jeunes gar�ons qu'ils nous laissoient, on leur fist bon traittement, que cependant de leur part ils feroyent toute diligence de descouvrir les assassinateurs, & ainsi se separerent chacun de leurs costez pour aller au lieu o� pendant l'hyver ils pourroient treuver de la chasse pour subvenir � leurs necessitez.

Sur la fin de Janvier quelques trente Sauvages tant hommes que femmes & enfans pressez de la faim, pour y avoir fort peu de neiges pour prendre de l'eslan & autres animaux, se resolurent de se retirer vers nous pour en leurs extr�mes necessitez estre secourus de quelques vivres, qu'� ce deffaut ils estoient morts: je leur fis encore cognoistre combien le meurtre en la mort de nos hommes estoit detestable, & la punition que justement devoit 155/1139m�riter celuy qui avoit assassin� nos hommes, & que pour ce meschant ils pouvoient tous p�tir & mourir de faim sans le secours de nostre habitation, la bont� des Fran�ois, dont ils ne recevoient que toutes sortes de bien-faits. Cette trouppe affam�e voulant tesmoigner le ressentiment qu'ils avoient en la mort de nos gens, & comme ne trempant aucunement en cette perfidie, desirant se joindre avec nous d'une amiti� plus estroitte que jamais ils n'avoient faict, & oster toute sorte de deffiance que pouvions avoir d'eux, ils se resolurent de nous donner trois filles de l'aage de unze � douze & quinze ans, pour en disposer ainsi qu'aviserions bon estre, & les faire instruire & tenir comme ceux de nostre nation, & les marier si bon nous sembloit.

Le deuxiesme de Janvier mil six cens vingt huict estant passez la riviere, qui charioit un nombre de glaces, tant pour avoir dequoy assouvir la faim qui les pressoit, comme pour faire present de ces filles, demand�rent � s'assembler & tenir conseil avec nous, o� ils nous firent entendre tout ce que dessus, ayant amen� les trois filles avec eux.

Apr�s nous avoir fait un long discours de l'estroite amiti� qu'ils vouloient avoir avec nous, & s'y joindre & habiter & deserter des terres proches du fort, recognoissant qu'ils seroient mieux qu'en lieu qu'ils eussent peu esperer: & pour asseurance de tout ce qu'ils disoient, ils ne pouvoient faire offre de chose qu'ils eussent plus ch�re que ces trois jeunes filles qu'ils nous prioient de prendre, 156/1140lesquelles estoient tr�s-contentes de demeurer avec nous673.

Note 673: (retour)

L'un des motifs qui engageaient les sauvages � faire ce pr�sent extraordinaire de trois de leurs filles, �tait bien celui que donne ici l'auteur; mais il y en avait un autre que sa modestie lui a fait omettre, et que nous devons savoir gr� � Sagard de nous avoir. fait conna�tre, �Avant que les Montagnais partissent pour les bois & la chasse, ils voulurent recognoistre le sieur de Champlain de quelques presents, & adviserent entr'eux quelle chose luy seroit la plus agr�able, car ils tenoient fort chers les plaisirs & l'assistance qu'ils en avoient receus. Ils envoyerent Mecabau, autrement Martin par les Fran�ois, au P. Joseph pour en avoir son advis, auquel il dit, mon fils, il me souvient qu'autrefois Monsieur de Champlain a eu desir d'avoir de nos filles pour mener en France & les faire instruire en la loy de Dieu & aux bonnes moeurs; s'il vouloit � present, nous luy en donnerions quelqu'unes, n'en serois-tu pas bien content? A quoy luy repondit le P. Joseph, que ouy, & qu'il luy en falloit parler; ce que les Sauvages firent de si bonne gr�ce, que le sieur de Champlain voulant estre utile � quelque �me, en accepta trois, lesquelles il nomma, l'une la Foy, la seconde l'esperance, & la troisiesme la Charit�... Plusieurs croyoient que les Sauvages n'avoient donn� ces filles au sieur de Champlain que pour s'en descharger, � cause du manquement de vivres; mais ils se trompoient, car Choumin mesme � qui elles estoient parentes, desiroit fort de les voir passer en France, non pour s'en descharger, mais pour obliger les Fran�ois & en particulier le sieur de Champlain�. (Sagard, Hist. du Canada, p. 912-14.)

Apr�s que j'eus ouy tous leurs discours je jugeay que pour plus grande seuret� de ceux qui demeuroient audit pa�s, que pour plus estroitte amiti� qu'il n'estoit point hors de propos d'accepter cet offre, & de prendre ces filles, ce que jamais ils n'avoient offert, quelque present qu'on leur eust voulu donner pour avoir une fille, & que mesme le Chirurgien quelque temps auparavant desirant en avoir une jeune pour la faire instruire & se marier avec elle, ne peust avec tous les Sauvages avoir le cr�dit d'en avoir une, quelques offres qu'il fist, bien que tout ce qu'il faisoit n'estoit que pour la gloire de Dieu, & le z�le qu'il avoit audit pays de retirer une �me des enfers: � la v�rit� je m'estonnois fort des offres qu'ils nous faisoient, ce que jamais, comme j'ay dit cy-dessus, l'on n'avoit peu obtenir.

Sur ce jugeant qu'il n'estoit nullement � propos de laisser aller les offres, & qu'ils nous pressoient, je 157/1141demanday audit du Pont son advis, comme principal commis, & d'autant que les vivres qui estoient pour traitter, comme pois, febves & bled d'Inde, dont il y en avoit suffisamment & en quantit�, desquelles choses l'on les nourriroit, car de ceux qui estoient pour les hyvernans il n'y en avoit que fort peu, & ne pouvoit on leur en donner sans oster la pitance. Ledit du Pont dit que pour luy il ne se mesloit de ces choses, bien qu'il recognoissoit cette affaire estre tr�s-bonne, mais que pour les vouloir prendre & nourrir, qu'il ne le desiroit que s'ils le vouloient, qu'ils attendissent le retour des vaisseaux: mais comme en un si long-temps qu'il y avoit jusques � leur arriv�e, & que la fantaisie se peut changer, principalement entre lesdits Sauvages, je creus que nous perdrions ce que peut estre nous aurions mespris�, cela aussi donneroit encore subject ausdits Sauvages de nous vouloir plus de mal, n'en vouloir pas seulement aux meurtriers, mais encore � ceux qui n'en sont coulpables: & de plus que l'on dist aux Sauvages, qu'il n'y avoit que des pois, & que peut estre ils ne pourroient s'accommoder pour le present. A cela elles dirent qu'elles seroient tr�s-contentes & qu'on les prist, quoy que les Commis ne les voulussent recevoir.

Je me resolus de les prendre toutes trois, les accommodant des choses necessaires, les retenant en nostre habitation. Ainsi les Sauvages furent tres-aises, & moy aussi, tant pour le bien du pays comme pour l'esperance que je voyois que c'estoient trois �mes gaign�es � Dieu, que tout ce qu'il y avoit � faire en cela estoit d'avoir le soing & prendre garde 158/1142que quelques Sauvages ne les enlevassent, comme quelques uns avoient commenc�, ausquelles choses je remediay au mieux qu'il me fut possible674.

Note 674: (retour)

�Tout son dessein en ce bon oeuvre, ajoute Sagard, estoit de gaigner ces trois �mes � Dieu, & les rendre capables de quelque chose de bon, en quoy je peux dire qu'il a grandement m�rit�, & qu'il se trouvera peu d'hommes capables de vivre parmy les Sauvages comme luy, car outre qu'il souffre bien la disette, & n'est point d�licat en son vivre, il n'a jamais est� soup�onn� d'aucune deshonnestet� pendant tant d'ann�es qu'il a demeur� parmy ces peuples Barbares; c'est pourquoy ces filles l'honoroient comme leur p�re, & luy les gouvernoit comme ses filles.� (Hist. du Canada, p. 914.)

Toutesfois cet offre fut � la charge qu'ils ne pourroient pr�tendre aucun subject d'empescher que ne fissions recherche & justice du meurtrier s'il estoit descouvert, ains au contraire ils nous dirent que s'ils le s�avoient qu'ils l'accuseroient, comme un perfide & desloyal, & asseur�ment qu'en peu de jours cela seroit descouvert, en ayant entendu quelque chose de celuy que nous soub�onnons un Sauvage appell� Martin 675 des Fran�ois, qui avoit donn� une de ses trois filles tomba malade, & se voyant � l'extr�mit� demanda le Baptesme, ce qu'entendant le P�re Joseph Coron 676, il s'achemine � sa cabanne, il fait entendre le sujet & la consequence de ce qu'il demandoit, & qu'en telle chose il n'y avoit pas � rire. Car ce n'estoit assez d'estre baptis� mais falloit qu'il promit que si Dieu luy rendoit sa sant�, de ne retourner plus � faire la vie sauvage & brutalle qu'il avoit men�e par le pass�, ains vivre en bon Chrestien & se faire instruire ce qu'il promit. Ce que voyant ledit P�re Joseph, faisant oeuvre de charit� & d'hospitalit� il le fait porter en sa maison, le traitte, l'accommode de tout 159/1143ce qu'il peut & croit estre necessaire � sa sant�, recognoissant (selon son jugement) qu'il ne devoit point reschapper qu'il ne mourust en un jour ou deux au plus tard, il le baptisa le 6 Avril, ce qu'ayant est� fait, il semble se treuver au bout de 4 ou 5 jours mieux qu'il n'avoit fait: & entendant que quelques sauvages estoient venus en ces cabannes, dont il y en avoit un qui le disoit de leurs Pilottouas, soit que ledit Martin, creust avoir plustost du soulagement de son mal, par le moyen de ce nouveau m�decin ou autrement: il desire s'en retourner en sa cabanne o� il s'y fait porter: il demande � estre pens�, & m�decin� par son m�decin, pour recouvrir enti�rement sa sant�.

Note 675: (retour)

Son nom sauvage �tait Mecabau. (Sagard, Hist. du Canada, p. 592, 912.)

Note 676: (retour)

Le Caron.

Le Pilotoua se met en devoir d'user envers le malade de ses rem�des accoustum�s, & chant�rent tant aux aureilles du malade avec un tel bruit & tintamarre, que tout cela estoit plus capable d'avancer ses jours que le gu�rir, car comment pouvoit il recevoir all�gement en ce tintamarre, que le plus sain en eust eu la teste rompue, il usa de tous ses plus subtils medicaments qu'il peust, lesquels ne luy servirent de rien, & cependant ledit Martin ne se resouvenant plus du sainct Baptesme & de ce qu'il avoit promis, retourne en la cr�ance de ses superstitions pass�es, il y eut de nos gens qui luy firent quelques remonstrances sur le peu d'esprit qu'il avoit, & le mal qu'il faisoit de la perdition de son �me, qui p�tiroit plus aux enfers pour avoir abus� de ce sainct Sacrement que s'il n'eust est� baptis�, il n'en fait nul estat, disant, qu'il n'adjoustoit point de foy en tout ce qu'on luy avoit 160/1144fait, sans faire davantage de r�plique, ainsi demeura en son mal, qui alla en augmentant jusques � la mort, sans qu'il peust treuver de rem�de pour l'empescher, & mourut le dix-huictiesme dudit mois 677: les jugemens de cette mort furent divers, d'autant que beaucoup croyoient, que peut-estre premier que de rendre le dernier souspir de la vie il auroit eu un repentir, & Dieu luy auroit pardonn�: C'est pour revenir � ce que nous enseigne nostre Seigneur, Ne jugez point, de peur que ne soyez jugez. Neantmoins il y avoit bien dequoy craindre en la vie qu'il a men�e jusques � la fin, que cette �me ne soit perdue.

Note 677: (retour)

Le 18 avril 1628. D'apr�s Sagard, il serait mort dans de bonnes dispositions, et n'aurait consenti � se faire mideciner que par complaisance. �Il fut enterr� au cimeti�re de ceux de sa nation, proche le jardin qu'on appelle du P�re Denys, pour le contentement de ses parens, qui autrement n'eussent point vescu en paix.� (Hist. du Canada, liv. II, ch. XXXVII.)

De puis 22 ans qu'on est all� pour habiter & d�fricher � Qu�bec 678, suivant l'intention de sa Majest�, les societ�s n'avoient fait deserter un arpent & demy de terre: par ainsi ostoient toute esperance pendant leur temps, de voir le boeuf sous le joug pour labourer, jusqu'� ce qu'un habitant679 du pa�s recherchast les moyens de relever de peine les hommes qui travailloient ordinairement � bras, 161/1145pour labourer la terre, laquelle fut entam�e avec le Soc & les boeufs, le 27 d'Avril 1628, qui montre le chemin � tous ceux qui auront la volont� & le courage d'aller habiter, que la mesme facilit� se peut esperer en ces lieux comme en nostre France, il l'on en veut prendre la peine & le soing.

Note 678: (retour)

L'habitation de Qu�bec n'ayant �t� commenc�e qu'en 1608, ce passage donnerait � entendre que d�s 1630, Champlain avait pr�par� la seconde partie de l'�dition de 1632.

Note 679: (retour)

Il n'y avait alors que Guillaume Couillard, qu'on p�t appeler habitant proprement dit, parce qu'il �tait le seul qui f�t �tabli sur une terre.. Cette terre avait �t� conc�d�e � son beau-p�re Louis H�bert d�s le 4 f�vrier 1623, par le duc de Montmorency, concession qui fut ratifi�e par le duc de Ventadour le 28 f�vrier 1626. Apr�s la mort d'H�bert, Couillard resta sur la terre avec sa belle-m�re et son jeune beau-fr�re Guillaume H�bert; le partage n'eut lieu qu'en 1634, � l'occasion du mariage de ce dernier avec Heleine des Portes. Son contrat de mariage et les arrangements de famille laiss�rent � Couillard les trois quarts de l'h�ritage, et, quelques ann�es plus tard, il rentra par une �change en possession de la part �chue � son beau-p�re Guillaume Hubou. (Archives du S�min. de Qu�bec.)

Sur la fin dudit mois, il y eust quelques Sauvages qui nous apport�rent nouvelles de la mort de Mahigan Athic, par mesme moyen nous voulurent persuader qu'� cent cinquante lieues amont le fleuve S. Laurent, estoient descendus certains Sauvages Algommequins qui avoient massacr� nos hommes, s'estans retirez secrettement sans estre apperceus, mais comme ces discours estoient esloignez de la raison sans apparence, nous ny adjoustasmes foy, disant que le Sauvage que nous tenions pour suspect, estoit devenu insens� courant par les bois comme desesper�, ne s�achant ce qu'il estoit devenu.

Le 10 de May un canau arriva de Tadoussac, o� estoit la Fouriere capitaine des Sauvages dudit lieu, avec celuy que nous soub�onnions avoir faict le meurtre, lequel n'estoit en tel estat qu'on nous l'avoit represent�, qui venoit pour se justifier, sur l'asseurance que luy avoit donn� ledit la Fouriere, moyennant quelque present qu'il avoit receu, de retirer son fils d'entre nos mains.

Estant en terre il envoya s�avoir si j'aurois agr�able qu'il nous vint voir, je le fais venir avec le meurtrier soup�onn�, o� ledit la Fouriere fit quelque discours sur l'affection que de tous temps il nous avoit port�e, que jamais il ne receut tel desplaisir 162/1146que quand on luy dit de la fa�on que nos hommes avoient est� tuez, croyant que c'estoient des Yrocois & non d'autres, mais que depuis peu il avoit sceu par un jeune homme de nation Yrocoise & elev� parmy eux, & les Algommequins d'o� il venoit mescontant pour l'avoir mal trait� qu'il avoit rapport� que trois d'icelle nation estoient venus de plus de cent cinquante lieues tuer de nos gens, chose tr�s certaine, avec autre discours sans raison: Et que les prestres qui prioient Dieu avec c�r�monie qu'ils faisoient, estoit le sujet que beaucoup de leurs compagnons mouroient, ce qui n'avoit est� auparavant, avec autres paroles perdues, discours de quelques reformez qui leurs avoient mis cela en la fantaisie, comme de beaucoup d'autres choses de nostre croyance.

Je luy fis response de poinct en poinct � toutes tes raisons foibles & d�biles, que pour l'amiti� & affection, il ne pouvoit aller au contraire qu'on ne luy en eust tesmoign� d'ann�e � autre, & sauv� la vie � plus de cent de ses compagnons, qui fussent morts de faim, sans ce secours qu'ils avoient receus de nous en ces extr�mes necessit�s, au contraire nous n'avions pas sujet de nous louer d'eux, comme ils avoient de nous, ayant par cy-devant tu� de nos hommes, qu'on avoit pardonn� au meurtrier, outre plusieurs autres desplaisirs, pensant que le temps le rendroit plus sage, mais que je n'estois plus resolu de temporiser ny souffrir qu'ils nous bravassent en tenant les bras croisez sans ressentiment, d'avoir encore depuis peu assassin� deux de nos hommes estans endormis, que le rapport qui avoit est� fait 163/1147par ce jeune homme des Algommequins qui avoient tu� les nostres, ausquels on n'avoit jamais mesfait estoit chose controuv�e, que quand il y auroit quelque v�rit�, qu'ils eussent pass� par plusieurs endrois sur leurs chemins o� il y avoit des nostres, qu'ils eussent peu tuer sans prendre la peine de passer parmy eux, & non courir la risque d'estre descouverts pour aller en un lieu du tout esloign� de chemin ny sentier, en lieu o� ces hommes ne faisoient que reposer icelle nuict pour le matin s'en revenir avec le bestial.

De plus que la nuict qu'ils furent massacrez, il y avoit des canaux proche d'eux, qui faisoient la pesche de l'anguille, tant de sujects estoient suffisans de tuer les premiers, sans se mettre en toutes ces peines, & de passer encore une riviere pour venir � l'effect de ceste ex�cution, avec d'autres raisons si apparentes qu'il n'y pouvoit respondre: De plus que tous les Capitaines Sauvages qui estoient icy concluerent que le meurtre avoit est� par un des leurs, apr�s avoir visit� les corps & les coups qu'ils avoient, promettant faire ce qu'ils pourroient pour descouvrir les meurtriers, & nous les livrer ou en donner advis, estant raisonnable que ceux qui avoient fait le coup mourussent: que nous vouloir persuader par des raisons sans apparence, luy qui ne s�avoit comme la chose s'estoit pass�e ny estant, qu'il n'avoit nulle raison de vouloir pallier & couvrir ce meurtre.

Luy remonstrant que s'il ne s�avoit autre chose pour m'obtenir le droit qu'il pretendoit, qu'il avoit pris de la peine en vain, aussi que nous estions fort 164/1148contans de ce qu'il avoit amen� avec luy le soub�onn� qui avoit fait le meurtre, outre le l�gitime sujet que nous avions eu de demander son fils en ostage. Nous avions des Sauvages qui durant l'hyver nous avoient asseur� qu'il n'y en avoit point d'autre qui eut fait l'assassinat que luy: pour cet effect nous le voulions retenir prisonnier, jusqu'� ce que les informations fussent bien aver�es, que s'il meritoit la mort il devoit mourir, sinon il seroit libre & ne devoit craindre s'il n'avoit fait le coup, ce pendant il seroit traitt� comme son fils, lequel je mis en libert� avec un autre, reservant le plus jeune des trois pour luy tenir compagnie: qui fut estonn� ce fut le galand & ledit la Fouriere, � qui l'on fist gouster les raisons qu'il ne s�avoit que de la bouche du meurtrier, qui fut contrainct de se taire, ne s�achant autre chose que ce que luy avoit dit ce jeune Sauvage Yrocois, qui accusoit les Algommequins, o� � propos entr�rent deux d'icelle nation, auquel l'on dit ce que ledit la Fouriere avoit dit, qui deffendirent leur nation, & n'avoir jamais fait une telle perfidie, n'y mesme song�, que ce qu'il disoit estoit si esloign� de la raison, que tels discours donnoient plustost sujet de ris�e que d'y adjouster foy: qu'il s�avoit tr�s-bien que nous n'avions ny n'aurions jamais la croyance de ce faulx bruit. De plus que le Sauvage qu'ils allegoient leur avoir apport� ces nouvelles estoit un enfant, auquel l'on ne pouvoit adjouster foy, estant imposteur, menteur, resentant tousjours la nation d'o� il estoit.

Tous ces discours finis, l'on arresta prisonnier 165/1149nostre homme, r'envoya-on son fils & le jeune Sauvage que nous avoit donn� feu Mahigan Atic.

Ce jour partit quelques jeunes hommes pour aller � la guerre aux Yrocois, conduits par un vieil homme peu exp�riment�, qui fit croire qu'il ne feroit pas beaucoup d'exp�dition.

Ledit la Fouriere voyant que son voyage ne luy avoit de rien servy, qu'� nous avoir mis l'oyseau au pi�ge, il s'en alla nous recommandant de traitter doucement le prisonnier, attendant s�avoir plus grande v�rit�. Quelques jours apr�s le d�part dudit la Fouriere, le fr�re du Reconcili� qui fut tu� aux Yrocois, avec nostre homme tua � Tadoussac l'imposteur d'Yrocois qui avoit accus� les Algommequins d'avoir fait ce meurtre, pour s'estre resouvenu que ce jeune homme estoit de nation Yrocoise, qui avoit fait mourir son fr�re, allant pour traitter de paix & d'amiti�, & ainsi se vengent ces brutales gens, sur ceux qui n'en sont causes.

Nos jeunes guerriers revinrent comme ils avoient est�, sans avoir fait mal � personne, c'est ce que l'on esperoit de ceste troupe volage, qui ne s'engagea pas si avant dans le pays des ennemis, qu'ils ne peussent bien faire leur retraitte sans appercevoir ny estre apperceus de l'ennemy.

Le 14 dudit mois arriva � Qu�bec 7 canaux de Tadoussac, o� il y avoit vingt & un Sauvages robustes & dispos, qui s'en alloient � la guerre, pour essayer s'ils seroient quelque chose plus que les autres, ils se promettoient d'aller proche des villages des ennemis & y faire quelque effect, en un mois qu'ils devoient estre � ceste guerre.

166/1150Le 18 dudit mois 680 revint ledit la Fouriere, pour traitter quelques vivres & du petun: lequel � son retour ne se mit pas beaucoup en peine pour le prisonnier, comme il avoit fait auparavant. Il nous dit qu'il n'avoit encore receu nouvelle d'aucuns vaisseaux qui fussent arrivez � la coste, qui nous mettoit en peine, d'autant que tous nos vivres estoient faillis, horsmis 4 � 5 poin�ons de gallettes assez mauvaises, qui estoit peu, & des pois & febves � quoy nous estions r�duits sans autres commoditez, voil� la peine en laquelle on estoit tous les ans, sans juger les inconvenients qui en peuvent arriver, je l'ay assez represent� cy dessus en plusieurs endroits, des accidents qui en sont arrivez � ce deffaut, de jour en jour nous attendions nouvelles, ne s�achant que penser attendu la disette que l'on pouvoit avoir en laquelle nous estions, & que nous devions avoir des vaisseaux au plus tart � la fin de May pour nous secourir, imaginant que quelque changement d'affaire en ceste societ� seroit arriv�, ou contrari�t� de mauvais temps.

Note 680: (retour)

La suite fait voir que c'�tait en juin. Probablement qu'il en est ainsi de la date pr�c�dente.

Le 29 dudit mois de Juin arriverent quelque canaux dudit Tadoussac, pour avoir des pois, o� ils perdirent leur temps, n'en ayant pas pour nous en suffisance, si les vaisseaux ne nous secouroient, voyant le retardement, le temps qui se passoit, ne pouvant avoir lieu d'aller � Gaspey, 130 lieues � val de Qu�bec, pour recouvrir quelques commodit�s des navires qui pourroient estre � la coste, & treuver passage pour partie des personnes qui estoient 167/1151trop, pour le peu de commoditez qui nous restoient: Tout cecy nous fit d�lib�rer de rem�dier � ce qui nous seroit le plus necessaire, pour n'avoir barque � Qu�bec. Ledit de la Ralde les ayant laiss�es � Tadoussac au lieu d'en envoyer une pour subvenir aux inconveniens qui pourroient arriver. De plus que l'habitation estoit sans aucun matelot, ny homme qui peust s�avoir ce que c'estoit de les accommoder & conduire: de bray, voiles & cordages nous n'en avions point, & peu d'autres choses qui manquoient pour telles affaires, ainsi estions denuez de toutes commoditez, comme si l'on nous eut abandonnez, car la condition des vivres que l'on nous avoit laiss� avec le peu de toutes choses nous le fit cognoistre, c'est assez que la peleterie soit conserv�e, l'utilit� demeure aux associez & � nous le mal: c'est comme sa Majest� est servie, aux desordres qui se commettoient en ces affaires, & l'ennemy qui faisoit profit de nostre desordre & nous succomber si l'on n'y prenoit garde: il ne manque point de Fran�ois perfides, indignes du nom, qui vont treuver l'Anglois ou Flamand, leur dire l'estat auquel l'on estoit: qui pouvoient s'emparer de ces lieux, n'estans accommodez des choses necessaires pour se deffendre & s'opposer � leurs violences.

Ce pendant il nous faut adviser de quel bois l'on fera fl�che, pour nous garantir des inconveniens qui pouvoient arriver, nous treuvasmes � propos de mettre tous nos hommes � chercher du bray dans les bois, & sapinieres, suffisamment pour brayer une barque & chalouppe pour envoyer � Tadoussac, 168/1152accommoder la plus commode, & l'amener � Qu�bec, pour plus facillement & commod�ment mettre les personnes que nous voulions renvoyer � Gaspey, pour treuver passage aux vaisseaux qui estoient aux costes pour s'en retourner en France. La diligence d'un chacun fut telle, qu'en moins de cinq � six jours nous en eusmes suffisamment, del� fusmes au Cap de Tourmente tuer un boeuf, pour en avoir le suiv, pour mesler avec le bray, l'on fit faire aussitost de l'estouppe de vieux cordage, ramassant toutes choses au moins mal que l'on pouvoit pour nous accommoder, & au nombre de ceux qui devoient retourner, l'on mettoit deux familles qui n'avoient poulce de terre pour se pouvoir nourrir, estans entretenus des vivres du magazin, car tout cela ne nous servoit de rien, qu'� manger nos vivres dix personnes qu'ils estoient en ces deux familles, horsmis les deux hommes qui pourroient estre employez, l'un boulanger, & l'autre qui servoit de matelot.

Or comme toutes choses furent prestes il ne failloit plus treuver qu'un homme qui fut entendu � calfeultrer la barque, & l'accommoder de ce qui luy estoit necessaire, nous nous adressasmes � un habitant du pays, qui se nourrit de ce qu'il a defrich� au pays, appell� Couillart bon matelot, charpentier, & calfeultreur, qui ne pouvoit estre sujet qu'� la necessit�, auquel nous mettions toute nostre asseurance qu'il nous secoureroit de son travail & industrie, d'autant que depuis quinze ans681 169/1153qu'il avoit est� au service de la compagnie, il s'estoit tousjours monstr� courageux en toutes choses qu'il faisoit, qu'il avoit gaign� l'amiti� d'un chacun, faisant ce que l'on pouvoit pour luy, & de moy je ne m'y suis pas espargn�682 en tout ce qu'il avoit � faire. En fin je luy dis qu'il estoit necessaire, n'ayant personne en nostre habitation, qu'il allast � Tadoussac accommoder ceste barque, il chercha toutes les excuses qu'il peust pour s'en exempter, assez mal � propos & sans raison, qui me. fit luy tenir quelques propos fascheux. Bref pour toute conclusion dit qu'il avoit peur des Sauvages qu'ils ne l'assommassent: pour le relever de ceste apprehension, je luy fis offre de luy donner une chalouppe bien esquipp�e d'hommes & d'armes, & envoyer mon beau-fr�re pour l'asseurer, tout cela ne servit de rien, sinon que pour accommoder deux chalouppes qui estoient en nostre habitation, qu'il le feroit volontiers, mais d'y aller il craignoit sa peau, & ne vouloit abandonner sa femme 683, pour la conserver, je luy dis vous l'avez tant de fois laiss�e seule avec sa m�re par le pass�, allez luy dis-je alors, vous perdez toutes les conditions que l'on pouvoit esperer d'un homme de bien, si ce n'estoit pour peu je vous fairois mettre prisonnier, pour la desobeissance que vous faite en une necessit�, vous deservez le Roy en tout cecy, n�antmoins on advisera � ce que l'on aura � faire. Le sieur du Pont & moy advisasmes que se servir d'un 170/1154homme par force l'on en auroit jamais bonne issue, & falloit s'en passer, & qu'il nous calfeultrast deux chalouppes, n'en pouvant tirer autre service.

Note 681: (retour)

Guillaume Couillard serait donc venu au Canada d�s l'ann�e 1613, c'est-�-dire, quatre ans avant son beau-p�re Louis H�bert.

Note 682: (retour)

Champlain assista, avec son beau-fr�re, au mariage de Couillard, en 1621, et fut plus tard, en 1626, parrain de sa fille Marguerite. (Registres de N.-D. de Qu�bec.)

Note 683: (retour)

Guillemette H�bert. Couillard avait �t� mari� � Qu�bec par le P. Georges le Baillif vers le 26 ao�t 1621. (Registres de N.-D. de Qu�bec.)

Le 9. de Juillet deux de nos hommes vindrent � pied du Cap de Tourmente, apporter nouvelle de l'arriv�e de six vaisseaux � Tadoussac selon le rapport d'un sauvage684, lequel ce mesme jour nous confirma son dire, qu'un homme de Dieppe nomm� le Capitaine Michel commandoit dedans, venant de la part du sieur de Caen685: ce discours nous fit penser que ce pouvoit estre celuy avec lequel ledit de Caen avoit part en son vaisseau, qui venoit ordinairement � Gaspey faire pescherie de molue, ces nouvelles aucunement nous resjouirent: d'autre part considerant qu'il y avoit six vaisseaux, chose extraordinaire en ces voyages pour la traitte, que ce Capitaine Michel commandoit � ceste flotte, il n'y avoit pas d'apparence n'estant homme propre � telle conduitte, qui nous fit croire qu'il y avoit plus ou moins en l'affaire, un changement extraordinaire. De plus que le Sauvage estant interrog� particuli�rement se treuvoit en plusieurs dire, entr'autre chose nous dit qu'ils avoient pris un Basque qui traittoit � l'Isle Perc�e, traittant ses marchandises aux Sauvages dudit Tadoussac: desirant en avoir une plus ample v�rit�, nous resolumes de s�avoir d'un jeune homme truchement de 171/1155nation grecque, s'il pourroit se deguiser en Sauvage & aller en un canau recognoistre quels vaisseaux ce pouvoient estre, en luy donnant deux Sauvages avec luy, ausquels avions de la cr�ance & fid�lit�, qui nous promettoient servir en ceste affaire en les gratifiant de quelque honnestet�, ledit Grec se resolut de s'embarquer, l'ayant accommod� de ce qu'il luy estoit necessaire il partit686.

Note 684: (retour)

�Ce sauvage �tait Napagabiscou, surnomm� Trecatin ou Trigatin. Il partit en toute h�te de Tadoussac avec un autre sauvage, en m�me temps que la barque envoy�e pour d�truire l'habitation du cap Tourmente. Il y arriva avant la barque; et donna avis au sieur Faucher de tout ce qu'il avait vu. Celui-ci d�p�cha deux de ses hommes pour porter ces nouvelles � Qu�bec. Les deux hommes mont�rent � pied, comme le dit ici l'auteur, et Trigatin dut continuer en canot, et arriver aussi vite que les deux messagers.

Note 685: (retour)

Trigatin le supposait, ou bien les Anglais avaient voulu lui donner le change.

Note 686: (retour)

�Le Pere Joseph, ajoute Sagard, se trouva lors fort � propos � Kebec, prest d'aller administrer les Sacrements aux Fran�ois du Cap de tourmente, o� nous avions estably une Chapelle, laquelle les Anglais ont depuis brusl�e avec la maison des Marchands, & esgar� tous nos ornemens servans � dire la saincte Messe.� Il partit, accompagn� d'un Fr�re, avec les messagers envoy�s par Champlain. (Hist. du Canada, p. 917.)

Ce pendant j'estois en meffiance, craignant ce que souvent j'avois appr�hend�, & les advis que plusieurs fois j'avois donn�, s�avoir que ce ne fussent ennemis, qui me fit mettre ordre tant � l'habitation qu'au fort, pour nous mettre en l'estat de recevoir l'ennemy si tel estoit.

Voil� qu'une heure apr�s le partement dudit Grec il s'en revient avec deux canaux qui se sauvoient � nostre habitation, en l'un desquels estoit Foucher687 qui estoit demeurant audit Cap de Tourmente, pour avoir esgard aux hommes qui y estoient habitez, lequel nous dit qu'il s'estoit sauv� des mains des Anglois qui l'avoient pris prisonnier, & trois de ses hommes, une femme & une petite fille 688 qu'ils avoient amen� � bort d'une barque 172/1156qui estoit mouill�e � l'ancre le travers dudit Cap de Tourmente, ayant tu� en partie ce qu'ils voulurent du bestial, & fait brusler le reste dans leurs estables, o� ils l'enferm�rent 689, comme aussi deux petites maisons o� se retiroit ledit Foucher & ses hommes, apr�s avoir ravag� tout ce qu'ils peurent jusqu'� des b�guins de la petite fille: Cette tuerie de bestial faite, ils s'en retourn�rent promptement & se r'embarquerent, mais ce n'estoit pas sans crainte qu'ils avoient qu'on ne les poursuivast, ce que asseurement eust est� fait si nous eussions eu certains advis de leur arriv�e par les sauvages, qui le s�avoient tous bien, comme perfides & traistres qu'ils sont, celerent cette meschante nouvelle, au contraire ils faisoient courrir le bruit que c'estoient des nostres & de nos amis, que nous ne nous devions mettre en peine. Cette barque estoit arriv�e une heure ou deux devant le jour, & mouillerent l'ancre comme dit est, & aussitost mirent quinze � seize soldats dans une chaloupe, mettant pied � terre venant le long du bois, pensant surprendre nos gens couch�s: mais comme ils arriverent proche de l'habitation ils virent ledit Foucher, qui leurs demanda d'o� ils estoient, qu'ils eussent � s'arrester, un des siens s'avan�ant � ceste troupe en laquelle d'abort ne paroissoit que Fran�ois, qui l'ann�e d'auparavant estoient venus avec ledit sieur 173/1157de la Ralde, dire, nous sommes de vos amis, ne nous cognoissez vous pas, nous estions l'ann�e pass�e icy, nous venons de la part de Monseigneur le Cardinal, & de Roquemont690, allant � Qu�bec leur porter des nouvelles, & en passant avions desir de vous voir. A ces douces paroles & honnestet�s ils se saluerent les uns & les autres, pensant que tout ce qu'ils disoient estoit v�rit�, mais ils furent bien estonnez qu'estans environnez quatre personnes qu'ils estoient, qu'ils furent saisis & pris comme j'ay dit cy dessus, car les traistres Sauvages leurs avoient rapport� l'estat en quoy nous estions.

Note 687: (retour)

�Ayans � peine advanc� 4 ou 5 lieues dans le fleuve, ils apperceurent deux canots de Sauvages venir droit � eux, avec une diligence incroyable, qui leur crioient du plus loing, � terre, � terre, sauvez-vous, sauvez-vous, car les Anglois sont arrivez � Tadoussac, & ont envoy� ce matin fourager, & brusler le Cap de tourmente. Ce fut une alarme bien chaudement donn�e, & augmenta � la veue du sieur Foucher couch� tout de son long � demy mort dans le canot, du mauvais traittement des Anglois, duquel ils sceurent au vray le succ�s de leur malheureuse perte.� (Sagard, Hist. du Canada, p. 918.)

Note 688: (retour)

Sagard ajoute que �Foucher y pensa perdre la vie, car en se sauvant dans un canot de Sauvage, ils luy frizerent les moustaches, & emmen�rent prisonniers un, nomm� Piver� (Nicolas Pivert) �sa femme, sa petite niepce, & un autre homme avec eux.� (Hist. du Canada, p. 919, 920.)

Note 689: (retour)

D'apr�s Sagard, il y avait au cap Tourmente quarante � cinquante pi�ces de b�tail. Les envoy�s de Kertke �tu�rent quelques vaches pour leur barque, mirent le feu partout, & consommerent jusques aux fondemens de la maison, une seule vache except�e, qui se sauva dans les bois, & six autres que les Sauvages avoient attrapp� pour leur part du debris. (Hist. du Canada, p. 919.)

Note 690: (retour)

Il y avait d�j� plus d'un an que le cardinal de Richelieu avait supprim� la compagnie des sieurs de Caen, et avait form�, de concert avec le sieur Claude de Roquemont et plusieurs autres, la Compagnie de la Nouvelle-France, ou compagnie des Cent-Associ�s. (Le Mercure Fran�ais, t. xiv, part. 2, p. 232 et suiv.)

Estant trop acerten� de l'ennemy je fais employer tout le monde � faire quelque retranchement au tour de l'habitation, au fort des barricades sur les ramparts qui n'estoient parachevez, n'y ayant rien fait depuis le partement des vaisseaux, pour le peu d'ouvriers que nous avions, qui avoient est� assez empesch�s tout l'Hyver � faire du bois pour le chauffage, toutes ces choses se faisant en diligence, je disposay les hommes aux lieux que je jugeay estre � propos, afin que chacun cogneut son quartier, & y accourust selon la necessit� du temps.

Le lendemain 10 du mois 691 sur les trois heures apr�s midy apperceusmes une chalouppe, qui tesmoignoit � voir la manoeuvre qu'ils faisoient, qu'ils desiroient aller dans la riviere sainct Charles pour faire descente ou mettre le feu dans les maisons des 174/1158Peres, ou bien ils ne s�avoient pas bien prendre la route pour venir droit � nostre habitation, jugeant aussi que ceste chalouppe ne pouvoit faire grand eschet, s'il n'en venoit d'autres, & que venir � l'estourdie de la fa�on il n'y avoit point d'apparence: car ils pouvoient se promettre d'y demeurer la plus grand part, qu'il falloit que quelque autre sujet les amenait, qui fit que neantmoins je ne voulus n�gliger ce qui estoit � faire, envoyant quelques Arquebusiers par dedans les bois, recognoistre o� ils mettoient pied � terre, l� les attendre de pied ferme � leur descente pour les empescher & desfaire s'il y avoit moyen: comme ils approchoient de la terre nos gens cogneurent les nostres692, qui estoient dedans avec une femme & la petite fille qui les asseura, se monstrant quelques uns leurs disant qu'ils allassent descendre � l'habitation, ce qu'ils firent, recogneusmes que c'estoient des Basques prisonniers des Anglois, qui l'avoient envoy�e pour rapporter nos gens, & une lettre de la part du G�n�ral, l'un des Basques que je fis venir qui avoit la lettre, me dit, Monsieur le commandement forc� que nous avons du G�n�ral Anglois qui est � la radde de Tadoussac, nous a contrainct de venir en ce lieu vous donner ceste lettre de sa part, laquelle verrez s'il vous plaist, vous prie de nous pardonner & excuser puisque la contraincte nous y a oblig�. Je pris la lettre & fis entrer les Basques qui estoient au nombre de six, ausquels je fis faire bonne ch�re, 175/1159attendant qu'on les eust depesch�, il estoit assez tard, qui fit qu'ils ne s'en retourn�rent que le lendemain matin.

Note 691: (retour)

Le 10 juillet 1628.

Note 692: (retour)

�Entre lesquels, dit Sagard, estoient Piver, sa femme & sa niepce, avec quelques Basques.� (Hist. du Canada, p. 921.) Nicolas Pivert, l'un des plus anciens et des plus respectables habitants de Qu�bec, �tait mari� � Marguerite Le Sage. (Registres de N.-D. de Qu�bec.)

Ledit sieur du Pont & moy & quelques autres des principaux de nostre habitation, que je fis assembler pour faire la lecture, pour adviser � ce que nous respondrions, voicy la teneur cy dessous.

Messieurs je vous advise comme j'ay obtenu Commission du Roy de la grande Bretagne, mon tres-honor� Seigneur & Maistre, de prendre possession de ces pa�s s�avoir Canadas & l'Acadie, & pour cet effect nous sommes partis dix huict navires, dont chacun a pris sa route selon l'ordre de sa Majest�, pour moy je me suis desja saisy de la maison de Miscou, & de toutes les pinaces & chalouppes de cette coste, comme aussi de celles d'icy de Tadoussac o� je suis � present � l'ancre, vous serez aussi advertis comme entre les navires que j'ay pris il y en a un appartenant � la Nouvelle Compagnie, qui vous venoit treuver avec vivres & rafraischissements, & quelque marchandise pour la traitte, dans lequel commandoit un nomm� Norot: le sieur de la Tour693 estoit aussi dedans, qui vous venoit treuver, lequel j'ay abord� de mon navire: je m'estois pr�par� pour vous aller treuver, mais j'ay treuv� meilleur seulement d'envoyer une patache & deux chalouppes, pour destruire & se saisir du bestial qui est au Cap de Tourmente, car je s�ay que quand 176/1160vous serez incommod� de vivres, j'obtiendray plus facillement ce que je desire, qui est d'avoir l'habitation: & pour empescher que nul navire ne vienne je resous de demeurer icy, jusqu'� ce que la saison soit pass�e, afin que nul navire ne vienne pour vous avictuailler: c'est pourquoy voyez ce que desirez faire, si me desirez rendre l'habitation ou non, car Dieu aydant tost ou tard il faut que je l'aye, je desirerois pour vous que ce fut plustost de courtoisie que de force, � celle fin d'esviter le sang qui pourra estre respandu des deux costez, & la rendant de courtoisie vous vous pouvez asseurer de toute sorte de contentement, tant pour vos personnes que pour vos biens, lesquels sur la foy que je pr�tend en Paradis je conserveray comme les miens propres, sans qu'il vous en soit diminu� la moindre partie du monde. Ces Basques que je vous envoye sont des hommes des navires que j'ay pris, lesquels vous pourront dire comme les affaires de la France & l'Angleterre vont, & mesme comme toutes les affaires se panent en France touchant la compagnie nouvelle de ces pays, mandez-moy ce que desir�s faire, & si desir�s traitter avec moy pour cette affaire, envoy�s moy un homme pour cet effect, lequel je vous asseure de ch�rir comme moy-mesme avec toute sorte de contentement, & d'octroyer toutes demandes raisonnables que desirer�s, vous resoudant � me rendre l'habitation. Attendant vostre responce & vous resoudant ce faire ce que dessus je demeureray, Messieurs, & plus bas vostre affectionn� serviteur

177/1161DAVID QUER694, Du bord de la Vicaille ce 18 Juillet 1628. Stille vieux, ce 8 de Juillet stille nouveau. Et desseus la missive estoit escrit, � Monsieur Monsieur de Champlain, commendant � Qu�bec.

Note 693: (retour)

Claude de la Tour.

Note 694: (retour)

Ce nom a d� �tre ainsi orthographi� d'apr�s une copie qui portait Quirc; car on retrouve pour signature originale Kearke et Kirke. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. V.)

La lecture faite nous concluasmes sur son discours que s'il avoit envie de nous voir de plus pr�s il devoit s'acheminer, & non menacer de si loing, qui nous fit resoudre � luy faire cette responce telle qu'il s'ensuit.

Monsieur, nous ne doutons point des commissions qu'avez obtenues du Roy de la grande Bretagne, les grands Princes font tousjours eslection des braves & g�n�reux courages, au nombre desquels il a esleu vostre personne pour s'acquiter de la charge en laquelle il vous a commise pour ex�cuter ses commandemens, nous faisant cette faveur que nous les particulariser, entre autre celle de la prise de Norot & du sieur de la Tour qui apportoit nos commoditez, la v�rit� que plus il y a de vivres en une place de guerre, mieux elle se maintient contre les orages du temps, mais aussi ne laisse de se maintenir avec la m�diocrit� quand l'ordre y est maintenue. C'est pourquoy ayant encore des grains, bleds d'Inde, pois, febves, sans ce que le pays fournist, dont les soldats de ce lieu se passent aussi bien que s'ils avoient les meilleures farines du monde, & s�achant tr�s-bien que rendre un fort & 178/1162habitation en l'estat que nous sommes maintenant, nous ne serions pas dignes de paroistre hommes devant nostre Roy, que nous ne fussions reprehensibles, & m�riter un chastiment rigoureux devant Dieu & les hommes, la mort combattant nous sera honorable, c'est pourquoy que je s�ay que vous estimerez plus nostre courage en attendant de pied ferme vostre personne avec vos forces, que si laschement nous abandonnions une chose qui nous est si ch�re, sans premier voir l'essay de vos canons, approches, retranchement & batterie, contre une place que je m'asseure que la voyant & recognoissant vous ne la jugerez de si facile accez comme l'on vous auroit peu donner � entendre, ny des personnes lasches de courage � la maintenir, qui ont esprouv� en plusieurs lieux les hazards de la fortune, que si elle vous est favorable vous aurez plus de sujet en nous vainquant, de nous departir les offres de vostre courtoisie, que si nous vous rendions possesseurs d'une chose qui nous est si recommand�e par toute sorte de devoir que l'on s�auroit s'imaginer. Pour ce qui est de l'ex�cution du Cap de Tourmente, bruslement du bestial, c'est une petite chaumi�re, avec quatre � cinq personnes qui estoient pour la garde d'iceluy, qui ont est� pris sans verd695 par le moyen des Sauvages, ce sont bestes mortes, qui ne diminuent en rien de ce qui est de nostre vie, que si vous fussiez venu un jour plus tard il n'y avoit rien � faire pour vous, 179/1163que nous attendons d'heure � autre pour vous recevoir, & empescher si nous pouvons les pretentions qu'avez eu sur ces lieux, hors desquels je demeureray Monsieur, & plus bas Vostre affectionn� serviteur CHAMPLAIN, & dessus, A Monsieur Monsieur le G�n�ral QUER, des vaisseaux Anglois.

Note 695: (retour)

Pris au d�pourvu: locution emprunt�e du jeu au verd, dans lequel les joueurs ne doivent jamais �tre surpris sans avoir sur eux une feuille verte cueillie le jour m�me.

La responce faite je la donnay aux Basques qui s'en retourn�rent & envoyay une chalouppe au Cap de Tourmente pour veoir le d�bris des Anglois, & s'il n'y avoit point quelque bestial qui se seroit sauv�, il estoit rest� quelques six vaches que les Sauvages tu�rent, & une qui fut sauv�e qui s'estoit enfuye dans les bois, qui fut ramen�e.

Les Basques arrivans � Tadoussac donn�rent ma lettre au g�n�ral Quer que nous attendions de jour en jour. Apr�s s'estre inform� des Basques il fit assembler tous ceux de ses vaisseaux, & notamment les Chefs ausquels il leut la lettre, ce qu'ayant fait ils d�lib�r�rent ne perdre temps voyant n'y avoir rien � faire, croyans que nous fussions mieux pourveus de vivres & munitions de guerre que nous n'estions, chaque homme estans r�duit � sept onces de pois par jour, n'y ayant pour lors que 50 livres de poudre � canon, peu de m�che & de toutes autres commoditez, que s'ils eussent suivy leur pointe malais�ment pouvions nous resister, attendu la misere en laquelle nous estions, car en ces occasions bonne mine n'est pas d�fendue: Cependant nous faisions bon guet, tenant tousjours mes compagnons en devoir. Ledit Quer n'attendoit plus nos vaisseaux, 180/1164croyant qu'ils fussent p�ris ou pris des ennemis, se d�lib�ra de brusler toutes nos barques qui estoient � Tadoussac, ce qu'ils firent, horsmis la plus grande qu'ils emmen�rent, levent les ancres, & mettent sous voiles pour aller chercher des vaisseaux le long des costes pour payer les frais de leur embarquement.

Quelques tours apr�s arriva une chalouppe o� il y avoit dix Matelots, & un jeune homme appelle Desdames pour leur commander, qui venoit nous apporter nouvelle de l'arriv�e du sieur de Roquemont � Gaspey, qui estoit g�n�ral des vaisseaux Fran�ois, & nous apportoit toutes commoditez necessaires, & quantit� d'ouvriers & familles qui venoient pour habiter & d�fricher les terres, y bastir & faire les logemens necessaires, luy demandant s'il n'avoit point de lettres dudit sieur de Roquemont, il me dit que non, & qu'il estoit party si � la haste qu'il n'avoit pas eu le loisir de mettre la main � la plume. Je m'estonnay de ce qu'en un temps soup�onneux il ne m'escrivoit comme les affaires s'estoient pass�es en France touchant la Nouvelle societ� qui avoit depos� ledit sieur de Caen de ses pr�tentions, sur ce qu'il ne s'estoit pas acquitt� de ce qu'il avoit promis � sa Majest�, seulement le Reverend P�re l'Allemand m'escrivoit un mot de lettre par lequel il me faisoit entendre qu'ils nous verroient en bref s'ils n'estoient empeschez par de plus grandes forces des Anglois que les leurs. Depuis j'eus cognoissance d'une commission que m'envoyoit sa Majest�, de la teneur qui suit.

181/1165

LOUYS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, A nostre cher & bien aim� le sieur de Champlain, commendant en la Nouvelle France, en l'absence de nostre tr�s-cher & bien-aim� cousin le Cardinal de Richelieu, grand Maistre, Chef, Sur-intendant g�n�ral de la navigation & commerce de France, Salut. Comme nous estimons estre obligez de veiller � la conservation de nos subjets, & que par nostre soin rien ne deperisse de ce qui leur peut appartenir, particuli�rement en leur absence, & que nous voulons estre bien & deuement informez de l'estat v�ritable du pays de la Nouvelle France sur l'establissement que nous avons faict depuis quelque temps d'une nouvelle Compagnie pour le commerce de ces lieux, A CES CAUSES, A plain confiant de vostre soin & fid�lit� nous vous avons commis & d�put�, Commettons & d�putons par ces presentes, sign�es de nostre main: Pour incontinent apr�s l'arriv�e du premier vaisseau de ladite Nouvelle Compagnie faire inventaire en la presence des Commis de Guillaume de Caen, cy-devant adjudicataire de la traitte dudit pays de toutes les pelleteries si aucune y a, � luy appartenantes & � ses associez esdits lieux: Ensemble de toutes les munitions de guerre, marchandises, victuailles meubles, ustancilles, barques, canaux, agrez, & apparaux avec tous les bestiaux & toutes autres choses generallement quelconque estant esdits lieux appartenantes audits de Caen & ses associez, desquelles choses pris�e & estimation sera 182/1166faite en vostre pr�sence par gens � ce cognoissans, que nommerez d'office, au cas que les commis dudit de Caen sur ce interpellez n'en conviennent dresser procez verbal & arpentage de toutes les terres labourables & jardinages estant en valeur esdits lieux, depuis quel temps elles ont est� d�frich�es, combien de familles ledit Caen a faict passer en ladite Nouvelle France conform�ment aux articles que nous luy avons cy-devant accordez, & faire description & figure du fort de Qu�bec & de toutes les habitations & bastimens, tant pr�tendus par ledit de Caen, que autres, desquels pris�e & estimation sera faicte par gens ce cognoissans, & en presence, comme dit est, & de tout ce que dessus dresser procez verbal, pour iceluy veu & rapport� en nostre Conseil estre pourveu sur les pr�tentions dudit de Caen & ses associez ainsi qu'il appartiendra par raison. De ce faire vous donnons pouvoir, authorit�, commission & mandement special, & de passer outre nonobstant oppositions ou appellations quelconques faites ou � faire, recusations, prise � partie pour lesquelles ne voulons estre diff�r�. CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR. Donn� � Partenay le 27e jour d'Avril 1628. & de nostre Regne le 18. sign� LOUYS, & plus bas par le Roy, Potier, avec le grand sceau.

Apr�s que Desdame m'eut dit ce qu'il s�avoit il me donna � entendre qu'il avoit veu cinq ou six vaisseaux Anglois & nostre barque, estant contraint pour n'estre apperceue d'eschouer aussi-tost, ils firent 183/1167passer leur chalouppe par dessus une chauff�e de caillous, les ennemis estans passez ils remirent leur batteau � l'eau pour parfaire leur voyage, ayant eu charge dudit sieur de Roquemont qu'estant � l'Isle Sainct Barnab� d'envoyer un canau � Qu�bec pour s�avoir l'estat auquel nous estions, s'il estoit vray que les Anglois nous eussent tous pris & tuez, comme les Sauvages leurs avoient donn� � entendre, & luy devoit demeurer � ladite Isle, distante de Tadoussac de 18 lieues, attendant le canau: Que ledit sieur de Roquemont venant � la veue de l'Isle il feroit de certains feux dans ses vaisseaux qui seroient faits semblablement sur terre pour signal qu'ils ne seroient point ennemis: que l'on avoit aussi descharg� nombre de farines � Gaspey pour estre plus l�gers & moins embarrassez � combattre les Anglois, qu'ils iroient chercher jusques � Tadoussac696: que le lendemain ils entendirent plusieurs coups de canon, qui leur fit croire que les vaisseaux Anglois avoient fait rencontre des nostres. Je luy dis qu'ayant entendu ces coups, ils devoient retourner pour s�avoir � qui demeureroit la victoire pour en estre certain, il dit qu'il n'avoit aucun ordre de ce faire: cependant ces unze hommes estoient autant de bouches augment�es pour manger nos pois, desquels nous nous fussions bien passez, mais il n'y avoit rem�de, je leur fis la mesme part qu'� ceux de l'habitation.

Note 696: (retour)

Si ces renseignements donn�s par Desdames sont exacts ils justifient pleinement les remarques que fait l'auteur, dans le chapitre suivant, sur la conduite de M. de Roquemont, qui devait �viter que rechercher l'ennemi, tant qu'il n'avait pas atteint le but de son voyage.



184/1168D�fauts observez par L'Autheur au voyage du sieur de Roquemont. Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement. Le Sauvage Erouachy arrive � Qu�bec. Le r�cit qu'il nous fit de la punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de faire la guerre aux Yrocois.

CHAPITRE VI.

Voicy quelques defauts qui se commirent en ce voyage, d'autant que ledit sieur de Roquemont devoit considerer, que l'embarquement n'estoit faict � autre dessein que pour aller secourir le fort & habitation qui manquoient de toutes commoditez, tant pour l'entretien de la vie, comme de munitions pour la deffende, qu'en allant chercher l'ennemy pour le combattre (arrivant faute de luy) il ne se perdoit pas seul, mais il laissoit tout le pays en ruyne, & pr�s de cent hommes, femmes & enfans mourir de faim, qui seroient contraints d'abandonner le fort & l'habitation au premier ennemy, faute d'estre secourus, comme l'exp�rience l'a fait voir.

Ledit de Roquemont estant � Gaspey, ayans appris que l'Anglois avoit mont� la riviere, plus fort que luy en vaisseaux & munitions, les devoit �viter le plus qu'il pourroit & pour ceste occasion assembler son Conseil, afin de s�avoir des plus exp�rimentez s'il y avoit en ces costes quelque port o� l'on peust se mettre en seuret�, & le faire; o� l'ennemy ne le peust endommager: car bien que le Capitaine I. Michel qui estoit avec l'Anglois 185/1169cogneut quelques ports autour de Gaspey & isle de Bonnaventure, il n'eut peu nuire aux nostres, qui s�avoient assez de retraites en ces costes, plus que ledit Michel, mais le trop de courage fit hasarder le combat.

Or les vaisseaux dudit de Roquemont estant en bon port tr�s seur, l'on devoit envoyer une chalouppe bien equipp�e pour decouvrir & voir la contenance de l'ennemy, & quelle ex�cution il pouvoit avoir fait � Qu�bec, & attendre que les vaisseaux des ennemis fussent partis pour s'en retourner, aussi tost aller donner advis aux nostres: lesquels asseurez que l'Anglois seroit passe, eussent sorty du port, pour mettre � la voile, monter la riviere, & donner secours au fort & habitation, ce qui eust est� facile.

Ou bien puisque ledit sieur de Roquemont estoit d�lib�r� d'aller attaquer l'ennemy697, prendre le petit Flibot de quelques 80 � 100 tonneaux, avantageux de voiles, le charger de farines, poudres, huilles, & vinaigre, y mettant les Religieux, femmes, & enfans, & � la faveur du combat, il pouvoit se sauver, monter la riviere & nous donner secours. De dire que dira-on si je ne voy l'ennemy? je dis qu'en pareilles ou semblables affaires c'est estre prudent, qu'il vaut mieux faire une honorable retraitte, qu'attendre une mauvaise issue. Le m�rite d'un bon Capitaine n'est pas seulement au courage, mais il doit estre accompagn� de prudence, qui est 186/1170ce qui les fait estimer, comme estant suivy de ruses, stratagesmes, & d'inventions: plusieurs avec peu ont beaucoup fait, & se sont rendus glorieux & redoutables.

Note 697: (retour)

D'apr�s Sagard, M. de Roquemont n'aurait pas recherch� le combat. �Le 18e jour de Juillet, dit-il, le sieur de Rocmont, Admiral des Fran�ois, ayant eu le vent de l'approche des Anglois, prit les brunes pour eviter le combat, auquel neantmoins il fut engag� par la diligence des ennemis.� (Hist. du Canada, p. 939.) Voir ci-dessus, p. 180.

Cependant que nous attendions des nouvelles de ce combat avec grande impatience, nous mangions nos pois par compte, ce qui diminuoit beaucoup de nos forces, la pluspart de nos hommes devenant foibles & d�biles, & nous voyant d�nu�s de toutes choses, jusques au tel qui nous manquoit, je me deliberay de faire des mortiers de bois o� l'on piloit des pois qui se reduisoient en farines, lesquels nous profitoient mieux qu'auparavant, mais � cause de ce travail on estoit long temps en cet estat, je pensay que faire un moulin � bras ce seroit chose encore plus ais�e & profitable, mais comme nous n'avions pas de meulle, qui estoit le principal instrument, je m'informay � nostre serrurier s'il pourroit treuver de la pierre propre � en faire une, il me donna de l'esperance, & pour ce subject alla chercher de la pierre, & en ayant treuv� il les taille, un Menuisier entreprend de les monter. De sorte que cette necessit� nous fit treuver ce qu'en vingt ans l'on avoit creu estre comme impossible.

Ce moulin s'acheve avec diligence, o� chacun portoit sa semen�e de pois que l'on mouloit & en recevoit on de bonne farine, qui augmentoit nostre bouillie, & nous fit un tr�s-grand bien, qui nous remit un peu mieux que nous n'estions auparavant.

La pesche de l'anguille vint qui nous ayda beaucoup, mais les Sauvages habiles � ceste pesche ne nous en donn�rent que fort peu, les nous vendant 187/1171bien ch�res, chacun donnans leurs habits & commoditez pour le poisson, il en fut traitt� quelque 1200 du magasin pour des Castors neufs, n'en voulant point d'autres, dix anguillles pour Castor, lesquelles furent d�parties � un chacun, mais c'estoit peu de chose.

Nous esperions que le Champ de Heber & son gendre, nous pourroient soulager de quelque grains � la cueillette: dequoy il nous donnoient bonne esperance, mais quand ce vint � les recueillir il se trouva qu'ils ne nous pouvoient assister que d'une petite escul�e d'orge, pois & bleds d'Inde par sepmaine, pesant environ 9 onces & demie, qui estoit fort peu de chose � tant de personnes, ainsi nous fallut passer la misere du temps. Les P�res Jesuites avoient un moulin � bras o� les mesnages alloient moudre leurs grains le plus souvent. Heber 698 ne faisoit rien que nous ne recogneussions la quantit� qu'il en mouloit afin de ne donner sujet de plainte qu'il eust faict meilleure ch�re que nous, ce que je ne faisois pas semblant de veoir, bien que je p�tissois assez, mais c'est la coustume qu'en telles necessitez chacun tasche de faire magasin � part, sans en rien dire: je m'estois fi� � eux de faire la lev�e de leurs bleds, ce qu'autre que moy n'eust pas permis en telles necessitez, car en leur donnant leur part comme aux autres on en estoit quitte, & le surplus leur estoit pay�, c'est dequoy il avoit peur.

Note 698: (retour)

C'est-�-dire, la maison d'H�bert. H�bert �tait mort depuis plus d'un an.

Il est vray que ledit sieur de Caen avoit envoy� des meules � Tadoussac, mais par la n�gligence de ceux qu'il envoyoit au pays peu affectionnez, aymerent 188/1172mieux les laisser en ce lieu que les porter � Qu�bec, s�achant bien qu'on ne les pouvoit enlever que par leur moyen, c'estoit � ce que l'on dit699, qu'il y en avoit en la Nouvelle France, mais il eust autant vallu qu'elles eussent est� � Dieppe qu'audit Tadoussac, o� depuis les Anglois les ont rompues en plusieurs pi�ces.

Note 699: (retour)

�C'�tait afin que l'on d�t, ou que l'on p�t dire.�

Voyant le soulagement que nous recevions de ce moulin � bras, je me deliberay d'en faire faire un � eau, & pendant l'hyver employer quelques Charpentiers � apprester le bois qui seroit necessaire pour cet effect, comme pour le logement � le mettre � couvert, & au Printemps faire tailler les meules, & ainsi accommoder un chacun de ceux qui auroient des grains � faire moudre, & ne retomber plus aux peines o� l'on avoit est� par le pass�, qu'� ce deffaut ceux qui auroient volont� de defricher qu'ils le fissent pendant que commod�ment ils feroient moudre leurs grains.

Tout l'hyver nos hommes furent assez fatiguez � couper du bois, & le tra�ner sur la neige de plus de 2000 pas pour le chaufage, c'estoit un mal necessaire pour un plus grand bien: quelques Sauvages nous ayderent de quelques Elans, bien que peu pour tant de personnes, & celuy qui nous assista s'appelloit Chomina qui veut dire le raisin, tr�s-bon Sauvage & secourable. J'envoyay quelques-uns de nos gens � la chasse essayer s'ils pourroient imiter les Sauvages en la prise de quelques bestes, mais ils ne furent si honnestes que ces peuples, car ayant pris un Elan tres-puissant ils s'amuserent 189/1173� le devorer comme loups ravissants, sans nous en faire part, que d'environ 20 livres, ce qui me fit � leur retour user de reproches de leur gloutonnerie, sur ce que je n'avois pas un morceau de vivres que je ne leurs en fisse part: mais comme ils estoient gens sans honneur & civilit�, aussi s'estoient ils gouvernez de mesme, & depuis je ne les y envoyay plus, les occupant � autres choses. La longueur de l'hyver nous donnoit assez souvent � penser aux inconveniens qui pouvoient arriver, comme une seconde prise de nos vaisseaux, & les moyens que nous pouvions avoir pour subvenir � nos necessitez, qui estoient plus grandes qu'elles n'avoient jamais est�, dautant que toutes nos l�gumes nous defailloient en May, quelque mesnages que j'eusse fait, qui estoit le temps que nous attendions nouvelles, ou bien pour le plus tard � la fin de May, & estoit meilleur p�tir doucement, que manger tout en un coup, puis mourir de faim: c'est ce que je remonstrois � tous nos gens, qu'ils prinssent patience attendant nostre secours.

Je pris resolution que si nous n'avions des vaisseaux � la fin de juin, & que l'Anglois vint comme il s'estoit promis, nous voyant du tout hors d'esperance de secours, de rechercher la meilleure composition que je pourrois, d'autant qu'ils nous eussent fait faveur de nous rapasser & avoir compassion de nos miseres, car autrement nous ne pouvions subsister.

La seconde resolution estoit en cas que n'eussions aucuns vaisseaux, de faire accommoder une 190/1174petite barque du port de sept � huict tonneaux, qui estoit rest�e � Qu�bec parce qu'elle ne valloit rien qu'� br�ler. Ceste necessit� nous sit resoudre � luy donner un radoub pour s'en pouvoir servir, comme je fis y commencer le premier de Mars, & dans icelle barque y mettre le plus de monde que l'on pourroit, y mettant quelque pelleterie & aller � Gaspey, Miscou & autres lieux vers le Nort, pour trouver passage dans des vaisseaux qui viennent faire pesche de poisson, & payer leur passage en pelleterie, & ainsi la barque pourroit faire deux voyages partant d'heure, ce qui devoit estre pour le premier voyage le 10 de Juillet, & ainsi descharger l'habitation d'un nombres d'hommes, & en retenir suivant la quantit� des grains que l'on eust peu recueillir tant au desert d'H�bert comme celuy des peres qui devoient estre ensemencez au printemps, qui avoyent reserv� des grains & l�gumes pour cet effet. Mais tout le mal que je prevoyois en ceste affaire estoit de pouvoir vivre attendant le mois d'Aoust, pour faire la cueillette des grains: car il falloit avoir de quoy passer trois � quatre mois, ou mourir: nostre recours, bien que miserable, estoit d'aller chercher des herbes & racines, & vaquer � la pesche de poisson, attendant le temps de nous voir plus � nostre aise, & s'il eust est� impossible de redonner le radoub � la barque, comme l'on pensoit au commencement c'estoit d'emmener avec moy, 50 � 60 personnes, & m'en aller � la guerre avec les Sauvages qui nous eussent guid�s aux Yrocois, & forcer l'un de leurs villages, ou mourir en la peine pour avoir des bleds, & l� nous 191/1175y fortifier en y passant le reste de l'Est�, de l'Automne, & l'Hyver plustost que mourir de faim les uns pour les autres � l'habitation, o� nous eussions attendu nouvelle au printemps de ceux de Qu�bec par le moyen des Sauvages, & me promettoient que si tant estoit que Dieu nous favorisast du bon heur de la victoire, que ce seroit le chemin de faire une paix g�n�rale, & tenir le pa�s & les rivieres libres. Voil� les resolutions que j'avois prises, si Dieu ne nous assistoit de secours plus favorable.

Le 19 du mois d'Avril arriva un Sauvage appell� Erouachy700, homme de commandement, il y avoit pr�s de deux ans qu'il estoit party de Qu�bec lors que nos hommes surent massacr�s, lequel nous avoit asseur� qu'� son retour (qui ne devoit estre que de 7 � 8 mois) il nous s�auroit � dire au vray le meurtrier de ces pauvres gens, mais comme il avoit halen� ceux qui excusoient celuy que nous tenions prisonnier, frapp� du mesme coin, il nous voulut imprimer la mesme marque, se voyant vaincu de quelque particularit�s de la v�rit� & de la raison qu'on avoit de le retenir, jusques � ce que l'on eust fait une plus particuli�re recherche, il dit qu'il falloit attendre que tous les Sauvages fussent assembl�s, s'asseurant tellement que celuy qui avoit fait le coup viendroit, & nous le livreroit, si n'estoit qu'il fust adverty, qu'en ce cas il ne le pourroit faire, neantmoins que si nous l'aymions bien, qu'on le laisseroit sortir; recognoissant ses raisons foibles, je 192/1176luy dis qu'il y avoit bien peu d'apparence qu'un homme coulpable voyant un autre retenu en sa place se vint jetter entre nos mains pour estre justifi�, pouvant esviter une si mauvaise rencontre: de plus la grande perquisition que l'on avoit fait depuis deux ans qui luy auroit donn� plus de suject de s'esloigner, que d'approcher, neantmoins s'il le faisoit, nous estions resolus de delivrer le prisonnier, & les accusateurs comme faux tesmoins seroient recognus pour tr�s-pernicieux & meschants � la louange & gloire de l'accus�. De plus qu'auparavant de venir � l'ex�cution nous attendrions le retour de nos vaisseaux, & que tous les Sauvages fusent assemblez, ce qu'estant nous parlerions plus clairement � toutes les nations qui jugeroient de la fa�on que nous nous gouvernions en telles affaires, & s'en trouvant un autre coulpable, comme je luy avois dit, il seroit libre. Voyla qui sera bien, dit il, & pour s'insinuer en nostre amiti�, craignant que les discours qu'il nous avoit tenus nous en fissent refroidir, il dit qu'il nous vouloit donner advis que nous eussions � nous donner de garde des Sauvages de Tadoussac qui estoient meschans traistres, ce que nous s�avions bien desja, nous l'ayant assez tesmoign� � la venue de l'Anglois, que si mes compagnons alloient � la chasse ou pesche de poisson pour coucher hors l'habitation, qu'il ne leur conseilloit qu'au pr�alable il ne donnast un de ses compagnons pour les assister, desirant vivre en paix avec nous, & que le desplaisir qu'il avoit de voir perdre le pays, luy faisoit tenir ces discours.

Note 700: (retour)

Erouachy, ou Esrouachit, d'apr�s Sagard, est le m�me que La Fori�re (Hist. du Canada, p. 698). Il semble en effet que l'auteur parle ici du m�me sauvage qui s'�tait donn� tant de mouvement lors du meurtre des deux fran�ais dont il est parl� plus haut, page 161 et suivantes; seulement, il n'y avait gu�res qu'un an qu'il avait quitt� Qu�bec.

193/1177Il nous fit entendre au vray la mort des Sauvages & du Fran�ois appell� le Magnan, qui estoient allez aux Yrocois, pour traicter de paix, ne l'ayant sceu asseur�ment comme il nous le conta, l'ayant appris des Yrocois du mesme village, qui avoient est� pris prisonniers par une nation appell�e Mayganathicoise (qui veut dire nation des loups) qui avoient guerre depuis deux ans avec les Yrocois � deux journ�es de leur village, & trois � quatre des Flamans, qui sont habitu�s au 40e degr�, � la coste tirant aux Virginies, les prisonniers furent bruslez. Voicy le r�cit de toute l'affaire.

Un Algommequin de l'Isle qui est � 180 lieues de Qu�bec, fut cause de la mort des Sauvages du Fran�ois, lequel s�achant qu'un Sauvage appell� Cherououny 701, qui estoit en grande reputation, devoit faire ceste ambassade, luy voulant mal & luy portant une haine particuli�re, s'en alla aux Yrocois, o� il avoit quelques parens: leur donne advis comme amateur de leur conservation, ne desirant point de troubles parmy les nations: & que si ledit Ambassadeur venoit pour moyenner la paix, ils n'eussent � adjouster foy en luy, pour ce que le voyage qu'il entreprenoit n'estoit que pour recognoistre leur pays, & sous ombre de paix & d'amiti� les trahir, n'ayant autre dessein que de les faire mourir apr�s qu'il auroit recogneu particuli�rement leurs forces. Que c'estoit luy seul qui estoit cause de tant de divisions parmy les nations, mesme qu'il y avoit plus de dix ans qu'il avoit tu� deux Fran�ois, ce qui luy estant pardonn� on n'osoit le 194/1178faire mourir. Les Yrocois luy prestent L'oreille trop l�g�rement, luy promettent que venant il ne s'en retourneroit pas comme il estoit venu. De l� il s'en retourne aussi-tost vers les Algommequins, disant qu'il avoit est� poursuivy des ennemis, qu'ils l'avoient pens� assommer. Ceste nation se laisse aller � ses discours, & croit ce qu'il disoit, jusques � ce que la v�rit� eust est� recognue. Peu de temps apr�s le galant voyant qu'il ne faisoit pas bon pour luy, il esquive & se va ranger du cost� des Yrocois pour mettre la vie en seuret�.

Note 701: (retour)

Cherououny para�t �tre le nom sauvage du Reconcili�. (Voir ci-dessus, p. 165.)

Ces entremetteurs de la paix s'en all�rent aux premiers villages des Yrocois, qui s�achant leur venue font mettre une chaudi�re pleine d'eau sur le feu en l'une de leurs maisons, o� ils firent entrer nos Sauvages avec le Fran�ois, � l'abord ils leur montrent bon visage les prient de s'asseoir aupr�s du feu, leur demandent s'ils n'avoient point de faim, ils dirent que ouy, & qu'ils avoient assez chemin� ceste journ�e sans manger: alors ils dirent � Cherououny ouy il est bien raisonnable qu'on t'appreste dequoy festiner pour le travail que tu as pris: l'un de ces Yrocois s'addressant audit Cherououny, tirant un cousteau luy coupe de la chair de de ses bras, la met en ceste chaudi�re, luy commande de chanter, ce qu'il fait, il luy donne ainsi sa chair demy crue, qu'il mange, on luy demande s'il en veut davantage, dit qu'il n'en a pas assez, & ainsi luy en coupent des morceaux des cuisses & autres parties du corps, jusques � ce qu'il eust dit en avoir assez: & ainsi ce pauvre miserable finit inhumainement & barbarement ses tours, le Fran�ois fut brusl� 195/1179avec des tisons & flambeaux d'escorce de bouleau, o� ils luy firent ressentir des douleurs intolerables premier que mourir. Au troisiesme qui s'en vouloit fuir, ils luy donn�rent un coup de hache, & luy firent passer les douleurs en un instant. Le quatriesme estoit de nation Yrocoise qui avoit est� pris petit gar�on par nos Sauvages, & eslev� parmy eux fut li�, les uns estoient d'advis qu'on le fit mourir, d'autant que si on luy donnoit libert� il s'en retourneroit: en fin ils se resolurent de le garder esperant que le temps luy feroit perdre le souvenir & l'amiti� qu'il avoit de nos Sauvages de Qu�bec, le tenant comme prisonnier: Voila comme ces pauvres miserables finirent leur vie.

Il semble en cecy que Dieu, juste juge, voyant qu'on n'avoit fait le chastiment deu � ce Cherououny, � cause de deux Fran�ois qu'il avoit tuez au Cap de Tourmente allant � la chasse702, luy ayant pardonn� ceste faute il fut puny par la cruaut� que luy firent souffrir les Yrocois, & ledit Magnan de Tougne en Normandie qui avoit aussi tu� un homme � coups de bastons, pourquoy il estoit en fuitte, & fut puny de mesme par le tourment du feu.

Note 702: (retour)

Voir 1619, p. 113-133.

Neantmoins nous avions un l�gitime suject de nous ressentir de telles cruaut�s barbares, exerc�es en nostre endroit, & en la personne dudit Magnan, & pource que si nous ne l'eussions fait, jamais l'on n'eust acquis honneur ny gloire parmy les peuples, qui nous eussent mesprisez comme toutes les autres nations, prenant cette audace � l'advenir de nous avoir � desdain & lasches de courage: car j'ay recognu 196/1180en ces nations, que si vous n'avez du ressentiment des offences qu'ils vous font, & que leurs preferi�s les biens & traittes aux vies des hommes ans vous en soucier, ils viendront un jour � entreprendre � vous couper la gorge, s'ils peuvent, par surprises comme est leur coustume.

Ce Sauvage Erouachy nous dit qu'il avoit pass� quelque mois parmy une nation de Sauvages qui sont comme au midy de nostre habitation environ de 7 � 8 tourn�es, appell�s Obenaquiouoit703, qui cultivent les terres, lesquels desiroient faire une estroitte amiti� avec nous, nous priant de les secourir contre les Yrocois, perverse & meschante nation entre toutes celles qui estoient dans ce pa�s, croyans que comme interess�s de la mort de nostre Fran�ois, nous aurions agr�able ceste guerre l�gitime, en destruisant ces peuples, & serions que le pays & les rivieres seroient libres aux commerces: Les nations du pa�s s�achant nostre resolution par ledit Erouachy, leur feroit s�avoir qu'ils donneroient ordre � ce qu'ils auroient � faire pour le sujet de ceste guerre, soit que nous y fussions ou que nous n'y fussions pas.

Note 703: (retour)

Ouabenakiouek (ceux de l'aurore), ou Abenaquis. C'est le nom que les Montagnais donnaient aux Etchemins et en particulier aux sauvages du K�n�bec, que l'auteur visita lui-m�me dans ses premiers voyages avec M. de Monts et M. de Poutrincourt.

Je consideray que ceste l�gation nous pouvoit estre profitable en nos extr�mes necessitez, qu'il nous en falloit tirer advantage, ce qui me fit resoudre d'envoyer un homme tant pour recognoistre ces peuples, que la facilit� ou difficult� qu'il y auroit pour y parvenir, & le nombre des terres qu'ils cultivoient, n'estant qu'� 8 tourn�es de nostre habitation: 197/1181que ceste nation nous pourroit soulager, tant de leurs grains comme prendre partie de mes compagnons pour hiverner avec eux, par ce moyen nous soulager, au cas que quelque accident fut arriv� � nos vaisseaux, soit par naufrage ou par combat sur la mer, ce que j'apprehendois grandement, les attendant � la fin de May au plus tard, pour estant secourus, oster toutes les pr�tentions que les Anglois avoient de se saisir de tous ces lieux ils s'estoient promis de faire, cela leur estant fort facile, n'ayant dequoy se substanter, ny monitions suffisantes pour se d�fendre & sans aucun secours. Voila comme l'on nous avoit laissez despourveus de toutes commoditez, & abandonnez aux premiers pirates ou ennemis, sans pouvoir resister.

Cela arrest�, je dis audit Erouachy que pour ceste ann�e je ne pouvois assister ces peuples en leurs guerres, attendu la perte, des vaisseaux qu'avions faite avec l'Anglois, qui nous avoient grandement incommodez des choses qui nous eussent est� necessaires en ceste guerre, que neantmoins arrivant nos vaisseaux, & y ayant des hommes assez, je ne laisserois d'y faire tout mon pouvoir de les assister d�s l'ann�e mesme, & quoy qu'il arrivast, l'autre ensuivant je les secourerois de cent hommes, si je pouvois les accommoder des choses qui leur seroient necessaires. Sur ce je luy fis veoir des moyens & inventions pour promptement enlever la forteresse des ennemis: dont il fut tres-aise de les voir & les considera avec attention. De plus, que pour asseurer davantage les peuples j'y voulois envoye un homme avec quelque present pour estre tesmoin 198/1182oculaire de tout ce que je luy disois, & pour plus grande asseurance je m'offrois � leur envoyer de mes compagnons pour hyverner en leur pays, & au printemps se treuver au rendez-vous de la riviere des Yrocois, comme � toutes les nations leurs amis, qui les voudroient assister, aussi que si quelque ann�e leur succedoit mal en la cueille de leurs grains, venant vers nous nous les secourerions des nostres, comme nous esperions d'eux au semblable en les satisfaisant; le tout pour tenir � l'advenir une ferme amiti� les uns avec les autres, & quoy que se fusse, si nos vaisseaux ne venoient nous ne laisserions pas d'aller � la guerre, y menant cinquante hommes avec moy, jugeant qu'il valloit mieux faire & ex�cuter ce dessein, pour descharger l'habitation que mourir de necessit� les uns pour les autres, attendant secours de France, & ainsi j'allois cherchant des rem�des au mieux qu'il m'estoit possible. Tout ce discours pleut audit Erouachy, qui tesmoigna en estre grandement satisfaict, comme chose qui le mettoit en cr�dit avec ces nations.

Ce qu'estant treuv� bon d'un chacun, j'eus desir d'envoyer mon beau fr�re Boulay en ceste descouverture, d'autant qu'il estoit question que celuy qui iroit fust homme de jugement, & s'accommodast aux humeurs de ces peuples, o� tout le monde n'est pas propre, & recognoistre exactement le chemin que l'on feroit avec les autheurs704 des lieux, & plusieurs particularitez qui se rencontrent & qui sont necessaires, � s�avoir � ceux qui vont descouvrir. Mais d'autre part la necessit� & confiance que 199/1183j'avois de luy, si l'Anglois venoit, fist que je ne luy peus permettre ce qu'il desiroit, ce qui me fit resoudre d'y envoyer un autre auquel je promis quelque gratification pour la peine qu'il auroit en ce voyage, luy donnant des presens pour les Sauvages, de nostre part, comme est la coustume en telles affaires, & furent aussi faits des presens aux Sauvages qui luy servoient de guides & truchement, & pour ce faict il partit le 16 de May 1629705.

Note 704: (retour)

Lisez: hauteurs.

Note 705: (retour)

Ce jour-l� m�me, la veuve d'H�bert, Marie Rolet, se mariait en secondes noces avec Guillaume Hubou. Le mariage fut c�l�br� par le P. Joseph le Caron, en pr�sence de Champlain et d'Olivier le Tardif.

Cedit jour j'envoyay un Canau avec deux Fran�ois & un Sauvage qui avoit est� baptis� par le P�re Joseph Caron Recollet, fils de Chomina706, bon Sauvage aux Fran�ois, mais le fils retourna comme auparavant avec les Sauvages, & par ainsi son fruict fut comme inutile; il y a bien � considerer premier que d'en venir au baptesme, & il y a en cecy des personnes trop faciles pour ces choses, qui sont si chatouilleuses: mais le bon P�re fut emport� de z�le. Je les envoyay � Tadoussac pour attendre nos vaisseaux, & pour aussi-tost nous en venir donner advis, comme aussi si c'estoient nos ennemis, leur donnant charge d'attendre jusques au dixiesme de Juin pour commencer � donner l'ordre � nos affaires. Je leur avois donn� lettres sign�es de moy & du sieur du Pont addressantes au premier vaisseau qu'ils pourroient descouvrir, sujet de sa Majest�, qui auroit voulu tenter le hazard de venir � la desrob�e traitter avec les Sauvages contre les deffenses de sa Majest�, comme ordinairement il y en 200/1184va tous les ans, par laquelle nous leur mandions, que s'ils nous vouloient traitter des vivres au prix des Sauvages, on leur donneroit de la pelleterie de plus grande valeur pour eux, promettant prendre toutes leurs marchandises au mesme prix desdits Sauvages, & pour le plaisir qu'ils nous feroient en ceste extr�me necessit�, nous tascherions les gratifier envers Messieurs les associez si leurs vaisseaux venoient. Ou venant pour le plus tard au dixiesme de Juillet, qu'en repassant partie de nos compagnons en France, on leur promettoit de payer leur passage, & de plus la traitte libre en la riviere, & ainsi nous ne laissions passer aucune occasion qui nous venoit en l'esprit pour rem�dier en toutes choses, craignant une plus rude secousse que l'ann�e d'auparavant si nos vaisseaux ne venoyent point. Je fus visiter le P�re Joseph de la Roche, tr�s-bon Religieux, pour s�avoir si nous pourrions esperer du secours de leurs grains, s'ils en avoient de trop, & que n'en eussions de France: Il me dist que pour ce qui estoit de luy il le feroit & y consentiroit, qu'il en falloit donner advis au P�re Joseph Caron Gardien, & qu'il luy en parleroit.

Note 706: (retour)

Voir ci-dessus, p. 137.

La crainte que nous avions qu'il ne fust arriv� quelque accident � nos vaisseaux, nous faisoit rechercher tous moyens de rem�dier � la famine extr�me qui se preparoit, voyant estre bien avant en May, & n'avoir aucunes nouvelles, ce qui donnoit de l'apprehension � la pluspart des nostres, qu'ayant pass� de grandes disettes avec sept onces de farine de pois par jour, qui estoit peu pour nous maintenir, venant � n'avoir rien du tout ce seroit bien pis, ne 201/1185nous restant des poix que pour la fin de May. Tout cela me donnoit bien � penser, bien que je donnasse le plus de courage qu'il m'estoit possible � un chacun considerant que prest de 100 personnes malais�ment pourroient ils subsister sans en mourir beaucoup, si Dieu n'avoit piti� de nous: divers jugemens se faisoient sur le retardement des vaisseaux707 pour soulager un chacun en leur donnant de bonnes esperances, afin de ne perdre le temps. Nous deliberasmes d'�quiper une chalouppe de six Matelots & Desdames commis de la nouvelle societ� pour y commander, auquel donnions procuration & lettres, avec un m�moire bien ample de ce qu'il devoit faire pour aller � Gaspey: Les lettres s'adressoient au premier Capitaine des vaisseaux qu'il treuveroit audit lieu ou autres ports & rades des costes, par lesquelles nous leur demandions secours & assistance de leurs vivres, passages, & autres commoditez selon leur pouvoir, & pour les interests qu'ils pourroient pr�tendre du retardement de leur pesche, que nous tiendrions pour fait tout ce que ledit Desdames feroit suivant la procuration qu'il avoit, & au cas qu'il ne nous arrivast aucun vaisseau au dixiesme de Juillet, n'en pouvant plus esperer en ce temps, comme estant hors de saison, n'estant la coustume de commencer alors un voyage pour y arriver si tard. La chose estant d�lib�r�e, ledit Desdames me donna advis qu'un bruit couroit entre ceux qu'il emmenoit, que rencontrant quelque vaisseau ils ne reviendroient, & que de retourner seul il n'y avoit nulle apparence, & 202/1186que j'eusse � y rem�dier avant que cela arrivast. Ce que s�achant, j'en desiray s�avoir la v�rit�, ce que je ne peus, me contentant leur dire que telles personnes ne meritoient que la corde, qui tenoient ces discours: car mettant en effect leur pernicieuse volont�, ils ne consideroient la suitte ny la consequence, ne desirant qu'ils fissent le voyage puis qu'il falloit p�tir & endurer, ce seroit tous ensemble se mettre en peine, bien faschez de se veoir frustrez de leur esperance, neantmoins pour rem�dier � cela je changeay l'�quipage, y mettant la moiti� des anciens hyvernants qui avoient leurs femmes � l'habitation708, avec l'autre de Matelots, retenant le reste pour servir en temps & lieu: je les fis apprester de tout ce qui leur estoit necessaire, ayant donn� les despesches audit Desdames, & le m�moire pour sa conduitte, soit que par cas fortuit il rencontrast nos vaisseaux ou ceux des ennemis, & de plus le chargeasmes que s'il ne trouvoit aucuns vaisseaux sujects du Roy, il iroit trouver un Sauvage de cr�dit & amy des Fran�ois, le prier de nostre part de vouloir recevoir de nos compagnons avec luy pour hyverner, si aucuns vaiseaux ne venoient, & qu'on luy donneroit le printemps venu, une barique de galette & deux robes de castor pour chaque homme. Ils partirent le 17 dudit mois de May. Ces choses exp�di�es je fis faire diligence de faire faire le radoub � nostre barque, envoyant chercher 203/1187du bray de toutes parts pour la brayer, car c'estoit ce qui nous mettoit le plus en peine, comme chose tr�s-longue � amasser dans des bois, nous esperions avec cette petite barque mettre quelque 30 personnes pour aller � Gaspey ou autres lieux pour y treuver des vaisseaux, & avoir moyen d'aller en France, suivant la charge qu'avions donn� audit Desdames, & n'en trouvant aucun, laisser, comme dit est, partie de nos hommes avec ledit Juan Chou Capitaine Sauvage, & s'ils treuvoient du sel en ces lieux-l� faire pesche de molue au lieu de Gaspey ou Isle de Bonaventure, que dans la barque il resteroit quelque 6 � 7 personnes qui nous apporteroient ce qu'ils auroient pesch� de poisson, qui eust peu se monter � quelque quatre milliers, & ainsi nous ayder au mieux qu'il nous eust est� possible.

Note 707: (retour)

La fin de cet alin�a devrait �tre renvoy�e au commencement du suivant.

Note 708: (retour)

C'est-�-dire, que la moiti� de l'�quipage �tait des anciens hivernants qui avaient leurs femmes � l'habitation. Or, comme nous le verrons ci-apr�s p. 205, 206, il y avait � l'habitation cinq femmes: celle de Hubou, celle de Couillard, celle de Martin, celle de Des Portes et celle de Pivert. Comme Couillard et Martin avaient chacun plusieurs enfants, il est probable que l'auteur choisit les trois autres, Guillaume Hubou, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert.

La deploration la plus sensible en ces lieux en ce temps de disette estoit de voir quelques pauvres mesnages chargez d'enfans qui crioyent � la faim apr�s leurs p�re & m�re, qui ne pouvoient fournir � leur chercher des racines, car malais�ment chacun en pouvoit-il treuver pour manger � demy leur saoul dans l'espaisseur des bois, � quatre & cinq lieues de l'habitation, avec l'incommodit� des Mousquites, & quelquesfois estre harassez & molestez du mauvais temps. Les societez ne leur ayant en ces pays voulu donner moyen de cultiver des terres, ostant par ce moyen tout sujet d'habiter le pais, n�antmoins on faisoit entendre qu'il y avoit nombres de familles, il estoit vray qu'estant comme inutiles ils ne servoient que de nombre, incommodant plus 204/1188qu'elles n'apportoient de commoditez, car l'on voyoit clairement qu'avenant quelque necessit� ou changement d'affaire, il eust fallu qu'elles eussent retourn� en France pour n'avoir de la terre d�frich�e depuis 15 � 20 ans qu'elles y avoient est� men�es de l'ancienne societ�709: il n'y avoit eu que celle de feu H�bert qui s'y est maintenue 710, mais ce n'a pas est� sans y avoir de la peine, apr�s avoir un peu de terre d�frich�e, le contraignant & obligeant � beaucoup de choses qui n'estoient licites pour les grains qu'il levoit chaque ann�e, l'obligeant de ne les pouvoir vendre ny traitter � d'autres qu'� ceux de ladite societ� pour certaine somme. Ce n'estoit le moyen de donner de l'affection d'aller peupler un pa�s, qui ne peut jouyr du b�n�fice du pays � sa volont�, au moins leur devoient-ils faire valoir les castors � un prix raisonnable, & leur lainer faire de leurs grains ce qu'ils eussent desir�. Tout cecy ne se faisoit � dessein que de tenir tousjours le pays necessiteux, & oster le courage � chacun d'y aller habiter pour avoir la domination enti�re, sans que l'on s'y peust accroistre. Ce qui leur desplaisoit grandement c'estoit de ce qu'ils voyoient que si je faisois construire un fort, n'y voulant contribuer de leur volont�, & blasmant une telle chose, bien que 205/1186ce fust pour la conservation de leurs biens & sauvegarde de tout le pa�s, comme il se recogneut � la venue de l'Anglois, que sans cela d�s ce temps-l� nous eussions tomb� entre leurs mains.

Note 709: (retour)

En 1629, il y avait environ quinze ans que la soci�t� de Rouen avait obtenu son privil�ge. De ce texte, on peut donc conclure que Ma�tre Abraham Martin, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert �taient venus se fixer � Qu�bec d�s les ann�es 1614 ou 1615, c'est-�-dire, dans les premi�res ann�es de l'ancienne soci�t�. On sait que Louis H�bert arriva en 1617. Ces quatre anciens habitants de Qu�bec vinrent ici mari�s; puisque leurs actes de mariage ne se trouvent pas dans les registres de N.-D. de Qu�bec.

Note 710: (retour)

Qui s'y est maintenue sur une terre. De ce passage, on n'est pas en droit de conclure que ces familles �taient repass�es en France, puisque l'auteur fait ici remarquer que, si elles n'�taient pas plus avanc�es que le premier jour, depuis quinze � vingt ans qu'elles �taient dans le pays, c'�tait par suite de la contrainte o� les tenait la compagnie des marchands.

Les commis du sieur de Caen virent bien combien cela estoit necessaire, quoy qu'ils ne le pouvoient confesser auparavant, encores qu'ils le sceussent bien en leurs ames: mais ils estoient si complaisans qu'ils vouloient agr�er � ceux qui avoient la bource. Davantage s'il y eust fallu des hommes en la place des femmes & enfans, il eust est� necessaire de leur donner des gages outre la nourriture, ce qui estoit espargn� par ce mesnage, & autant de profit aux societez, pour le peu d'ouvriers qui estoient � entretenir: car d'environ 55 � 60 personnes qui estoient pour la Soci�t� il n'y en avoit pas plus de 18 pour travailler aux choses necessaires, tant du fort de l'habitation qu'au Cap de Tourmente, o� la pluspart des ouvriers estoient empeschez � faucher le foin, le serrer, faner, & faire les r�parations des maisons. Cela n'estoit pas pour faire grand ouvrage en toutes ces choses au bout de l'ann�e quand nous eussions eu les vivres & autres commoditez � commandement: car tout le reste des hommes & autres personnes consistoit en trois femmes, l'une desquelles711 le sieur de Ca�n avoit amen�e pour 206/1190avoir soin du bestial, qui estoit le plus necessaire, deux autres femmes 712 charg�es de huict enfans, quatre P�re Recolets713, tous les autres officiers ou volontaires n'estoient pas gens de travail.

Note 711: (retour)

Probablement la femme de Nicolas Pivert, Marguerite Le Sage, qui, comme nous l'avons remarqu� ci-dessus (p. 171, note 3), avait �t� employ�e avec son mari � l'habitation du cap Tourmente, Elle avait avec elle une petite ni�ce (ibid.); mais il ne para�t pas qu'elle ait eu d'enfants (Registres de N.-D. de Qu�bec; greffe de Piraube, Donation entre Pivert et sa femme), et c'est sans doute pour cette raison m�me qu'elle pouvait s'occuper du soin du b�tail. Les deux autres femmes, mentionn�es ici avec la femme de Pivert, parce qu'elles n'�taient pas charg�es d'enfants comme les deux dont il est parl� plus bas, �taient vraisemblablement la veuve H�bert et la femme de Pierre Des Portes. La veuve H�bert venait de se remarier � Guillaume Hubou, et n'avait plus d'enfants en bas �ge; car Guillaume H�bert, le dernier de la famille, avait alors une douzaine d'ann�es. Fran�oise Langlois, �pouse du sieur Des Portes, avait une fille nomm�e H�l�ne, qui devait avoir au moins six � sept ans, puisque cinq ans apr�s elle se mariait avec Guillaume H�bert. Dans son contrat de mariage avec No�l Morin son second mari, H�l�ne Des Portes est dite native de Qu�bec. On voit en effet que Pierre Des Portes �tait d�j� dans le pays avec sa famille d�s 1621, puisqu'il signa comme �fran�ais habitant la Nouvelle-France� la requ�te qui fut alors pr�sent�e au roi. (Sagard, Hist. du Canada, p. 77.)

Note 712: (retour)

Ces deux femmes charg�es de huit enfants, �taient celle de Couillard et celle d'Abraham Martin dit l'Escossois, qui pouvaient en avoir quatre chacune. Quant � la femme d'Abraham, Marguerite Langlois, elle en avait certainement quatre: Anne, Eustache, Marguerite et H�l�ne; celle de Couillard, Guillemette H�bert, en avait probablement quatre aussi, quoique le Registre des Bapt�mes n'en mentionne que deux, Louise et Louis; mais les intervalles qui s�parent la naissance des enfants de Couillard permettent de croire qu'il avait � cette �poque deux autres enfants qui seraient morts depuis en bas �ge.

Note 713: (retour)

Pourquoi Champlain ne parle-t-il pas des PP. J�suites, comme des PP. R�collets? C'est que, dans ce passage, il n'est question que de ceux qui �taient aux charges de la soci�t�; et elle s'�tait engag�e � en entretenir six. (Prem. �tabliss. de la Foy, I, 302, 303.)




207/1191

LIVRE

TROISIESME

DES VOYAGES

DU SIEUR DE

CHAMPLAIN.


Rapport du combat faict entre les Fran�ois & les Anglais. Des Fran�ois emmenez, prisonniers � Gaspey. Retour de nos gens de guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle amy des Fran�ois promet les advertir de toutes les men�es des Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient,

208/1192

CHAPITRE PREMIER.

e 20 de May vingt Sauvages forts & robustes venant de Tadoussac pour aller � la guerre aux Yrocois, nous dirent le combat qui avoit est� fait entre les Anglois & les Fran�ois714, qu'il y avoit eu des nommes tuez, que le sieur de Roquemont avoit est� bless� au pied: que les Fran�ois avoient est� pris & emmenez � Gaspey, qui depuis les avoient mis tous dans un vaisseau pour s'en retourner en France & retindrent tous les Chefs en leurs vaisseaux & quelques compagnons, ils bruslent une cache de bleds qui estoient aux P�res Jesuites � Gaspey, cela fait s'estoient mis sous un voile 715 pour s'en aller en Angleterre: ils nous dirent aussi que quelques jours apr�s le partement des Anglois vint un vaisseau qui s'estoit sauv� durant le combat auquel ils demand�rent une chalouppe pour nous venir advertir qu'ils avoient des vivres assez, mais qu'ils ne leur voulurent donner: Ils ne me peurent dire le nom du Capitaine qui commandoit dedans, ne me pouvant imaginer pour quel suject ils estoient retournez audit Gaspey, o� il pouvoit rencontrer quelques vaisseaux de l'ennemy.

Note 714: (retour)

Le combat avait eu lieu d�s le 18 juillet 1628, dix jours seulement apr�s la sommation de Qu�bec. La nouvelle compagnie, dite des Cent-Associ�s, avait exp�di� de Dieppe quatre vaisseaux bien fournis de provisions de bouche et de munitions sous la conduite du sieur de Roquemont. Arriv� � Gasp�, il fut inform� par les sauvages qu'il y avait � Tadoussac quatre ou cinq grands vaisseaux anglais, qui s'�taient d�j� saisis de quelques navires le long des c�tes. On d�p�cha � Qu�bec le sieur Desdames (ci-dessus, p. 180), auquel on donna pour rendez-vous l'�le Saint-Barnab�. La flotte commen�a � remonter le fleuve avec pr�caution, lorsqu'on rencontra les vaisseaux ennemis. Le sieur de Roquemont, voyant que la partie n'�tait pas �gale, crut plus prudent de prendre la fuite. Les Anglais le poursuivirent jusqu'au lendemain vers les trois heures de l'apr�s-midi. Le combat dura quatorze ou quinze heures, suivant Sagard, et il fut tir� de part et d'autre plus de douze cents vol�es de canon. Les Fran�ais tir�rent jusqu'au plomb de leurs lignes; mais � la fin l'amiral, cribl� de boulets et s�rieusement endommag� par deux bord�es tir�es � fleur d'eau, se vit contraint de parlementer, et demanda composition. Les conditions furent: Qu'il ne serait fait aucun d�plaisir aux religieux; que l'honneur des femmes et des filles serait conserv�, et que l'on donnerait passage � tous ceux qui devraient retourner en France, Malgr� l'acharnement du combat, il n'y eut que deux fran�ais de tu�s, et quelques autres de bless�s. (Sagard, Hist. du Canada, p. 945, 949 et suiv.)

Note 715: (retour)

�S'estoient mis sous voile.�

N'ayant encores nouvelles de nos vaisseaux, j'envoyay un Canau pour aller � la chasse aux loups marins vers les isles du Cap de Tourmente, afin d'avoir de l'huile d'iceux pour mesler parmy le 209/1193bray que nous avions amass� pour brayer nostre 1620 barque.

Le 30 du mois partie de nos guerriers revindrent de 716 sans avoir faict aucune ex�cution, nous apportant nouvelles qu'ils avoient rencontr� 2. Canaux des Algommequins, avec un prisonnier Yrocois, qu'ils emmenoient en son pa�s pour faire la paix, emportant avec eux des presens pour leur donner; que lesdits Yrocois l'Automne pass�e avoient tu� un Algommequin, & pris quelques femmes & enfans qu'ils avoient remen� depuis peu ausdits Algommequins, ce qui les avoit occasionnez d'envoyer ces deux Canaux avec ce prisonnier, Se que la nation des Mahigan-Aticois desiroit traitter de paix avec lesdits Yrocois, ayant sceu aussi par quelques Sauvages que des vaisseaux estrangers estoient arrivez aux costes o� estoient les Flamens qui desiroient faire une paix generalle de leur cost� avec les nations qui avoient guerre entr'eux.

Note 716: (retour)

Le mot manque dans l'original. Ces guerriers, qui vraisemblablement faisaient partie des vingt mentionn�s plus haut, revenaient sans doute des Trois-Rivi�res, comme les autres qui arriv�rent une semaine apr�s, le 6 de juin (ci-dessous).

Le sixiesme de Juin arriverent le reste des guerriers des trois rivieres, qui furent proche du premier village des ennemis, ne voyant & ne pouvant faire plus d'effect que de tuer quelques femmes qui faisoient leurs bleds, ils en tu�rent sept & un homme, en apportant leurs testes, & faisant une prompte retraitte, ils donn�rent l'alarme au village, qui du commencement pensoient qu'ils fussent en plus grand nombre qu'ils-n'estoient pour les venir surprendre.

L'unziesme dudit mois le Canau que j'avois envoy� 210/1194� Tadoussac revint sans avoir aucunes nouvelles de nos vaisseaux, ce qui nous faisoit penser au suject de ce retardement: car nos pois estans faillis, quelque mesnage que l'eusse peu apporter, & nous voyant si necessiteux & desnuez de tout, nous pensasmes � ce que nous aurions � faire du prisonnier soub�onn� d'avoir meurdry nos hommes, n'ayant plus rien pour luy donner � cause que nos vaisseaux n'estoient encore venus, & les attendions de jour autre avec l'assembl�e des Sauvages, pour parler � eux, & puis faire la justice de ce Sauvage. Mais comme nous prevoyons que la mer n'estoit si libre que nos vaisseaux ne fussent pris ou perdus pour une seconde fois: je fis que l'on retarda le jugement de nostre prisonnier & que venant aux preuves manifestes & le trouvant coulpable il ne falloit point temporiser, mais l'ex�cuter sur l'heure, si on en venoit l�, ce qui estoit trop vray, selon qu'un Sauvage appell� Choumina nous avoit dit, vray & fidelle amy aux Fran�ois, aussi en avions nous eu quelque tesmoignage. D'ailleurs nous considerions que si l'on venoit � l'ex�cution estant en la necessit�, que cela pour lors nous eust apport� quelque dommage, car comme ces peuples n'ont aucune forme de justice, ils eussent cherch� moyen en nos malheurs de nous faire du pis qu'ils eussent peu, & ne nous en pouvant passer, il fallut songer comme l'on le livreroit. Ledit Erouachy me vint treuver, me priant que puis que les vaisseaux n'estoient point venus, & que nous n'avions aucunes commoditez pour vivre que nous eussions � delivrer le prisonnier si long-temps d�tenu, qui s'en 211/1195alloit mourant de jour en autre: je luy dis que si nous le relaschions que ce ne seroit point � cause de la necessit� de vivres, car bien que nos pois manquassent, nous allions chercher des racines dequoy il se fust aussi bien, voire mieux pass� que nous, luy qui estoit accoustum� d'avoir de telles necessitez: De plus, que si nous eussions voulu luy faire perdre la vie depuis un an qu'il estoit d�tenu, que nous l'aurions peu faire, mais que nous ne faisions aucune chose sans bonne & juste information. Il dist qu'il le recognoissoit bien, que toutesfois si on le vouloit delivrer qu'il en respondroit, & s'obligeroit de le representer, estant guery d'un mal de jambe dont il estoit entrepris, & de mal d'estomach, que si on n'y apportoit un prompt rem�de il mourroit en bref: le luy dis que j'y adviserois dans dix jours, qui estoit pour dilayer, attendant tousjours nos vaisseaux.

J'advisay que s'il estoit question qu'il sortist, que ce seroit � mon grand regret, & d'ailleurs qu'en le delivrant cela nous pourroit en quelque fa�on estre profitable, & que toutesfois & quantes que nous le desirerions avoir nous le pourrions reprendre, s'il n'abandonnoit tout le pa�s.

Or comme j'ay dit cy-dessus, entre tous les Sauvages nous n'avions pas cogneu un plus fidelle amy & secourable que Chomina, qui nous advertissoit de toutes les men�es qui se passoient parmy les Sauvages, aussi je l'entretenois fort bien le cognoissant vrayement loyal, il estoit, comme j'ay dit cy-dessus, l'accusateur & d�nonciateur de nostre meurtrier, soub�onn� par ses camarades qui luy portoient 212/1196envie, mais il y en avoit qui le favorisoient, & principalement Erouachy, qui le portoit fort parmy eux.

Je mande Chomina qu'il me vint trouver au Fort, & apr�s luy avoir longuement discouru sur ce subject de la bonne volont� qu'il avoit tousjours eue envers les Fran�ois, qu'il eust � la continuer, en luy promettant de l'eslire Capitaine � l'arriv�e de nos vaisseaux: que tous les chefs feroient estat de sa personne, qu'on le tiendroit comme Fran�ois parmy nous, qu'il recevroit des gratifications & de beaux presens � l'advenir, luy donnant cr�dit & honneur entre tous ceux de sa nation, comme aussi de le faire manger � nostre table, honneur que je ne faisois qu'aux Capitaines d'entr'eux, & que pour accroistre son cr�dit, qu'aucun conseil ny affaire ne se passeroit parmy eux qu'il n'y fust appell�, tenant le premier rang en sa nation: & pour davantage le mettre en r�putation & le mettre du tout hors de soup�on de ce qu'on l'accusoit qu'il estoit l'un des tesmoins de nostre meurtrier, qu'il luy vouloit du mal, le mena�ant que s'il sortoit une fois de nos mains qu'il se vangeroit de luy. Pour rabatre toutes ces mauvaises volontez, il falloit qu'il creust mon conseil, que s'il avoit bien faict par le pass�, il falloit qu'il fist encore mieux � l'advenir: ce qu'il promit faire avec grande demonstration d'allegresse, disant que je m'asseurasse qu'il ne se passeroit rien entre les Sauvages au desadvantage des Fran�ois qu'il ne nous en donnast advis, qu'il s�avoit bien que la pluspart n'avoient le coeur bon, & qu'Erouachy (duquel nous pensions faire estat) 213/1197estoit un homme cauteleux, fin & menteur, nous donnant de bons discours, accordant facilement ce qu'on luy proposoit, & neantmoins en arri�re il faisoit tout le contraire, pariant autrement, que pour luy il n'avoit rien tant en haine que ces coeurs doubles, mais qu'il falloit quelquesfois faire semblant d'adjouster foy en ces discours, & ne faire neantmoins que ce que l'on jugeroit devoir estre fait par apparence. Il dit qu'il aime grandement les Fran�ois, c'est le moins qu'il peut dire, les effects le feront assez cognoistre. Alors il me dist, le temps & la saison approchera pour ceux qui auront bon coeur envers toy & tes compagnons, si vos vaisseaux ne viennent, tu es asseur� de moy & de mon frere, lesquels ne feront que ce que tu voudras pour t'assister en ce que tu pourrois avoir affaire de nous, je tascheray encore d'attirer avec moy quelques Sauvages de cr�dit poussez de mesme volont�, il y en a que j'ay commenc� � y disposer, cela fait je ne doute plus rien contre mes envieux, desquels je ne me soucie pas beaucoup: ils demeureront tels avec desplaisir, & moy contant de vostre amiti�, en vous servant de tout mon coeur. Voila bien dit (luy dis-je) nous sommes d�lib�rez de mettre le prisonnier dehors pour ton respect, & te faire entrer en cr�dit: par ce moyen tu diras audit Erouachy que tu m'as pri� pour le prisonnier afin de le mettre hors, que je t'ay donn� bonne esperance, qu'en peu de jours cela se pourra faire, voyant ce qu'il dira & tous les autres Sauvages, que je m'asseure qu'ils le trouveront bon, jugeant bien que si c'estoit toy qui eust accus� le meurtrier que tu ne poursuivrois 214/1198pas sa delivrance, mais plustost sa mort, & leur dire � tous les considerations que nous voulons, en cas qu'il sorte.

Le premier article, Que le prisonnier laisseroit son petit fils chez le P�re Joseph Caron Recolet, qu'il nourrissoit, & seroit comme pour ostage & asseurance que le cas arrivant que les Fran�ois (qui estoient allez aux Hurons) vinssent, & qu'ils n'y peussent retourner ny aller � la nation des Abenaquioicts, o� j'avois envoy� descouvrir, les despartir entr'eux jusques � 25 attendant nos vaisseaux.

2. Que si lesdits Abenaquioicts avoient desir de nous donner de leurs bleds d'Inde ou traitter: qu'ils nous fourniroient de 8 Canaux avec quelques Sauvages & des Fran�ois que nous y envoyerions pour traitter dudit bled d'Inde.

3. Que luy & ledit Erouachy nous respondroient que le prisonnier ne feroit aucun mal � qui que ce fust estant delivr� & guary.

4. Que le temps venu de la pesche des anguilles ils nous en feroient fournir raisonnablement par leurs compagnons en payant.

5. Que je desirois qu'il fust recogneu pour Capitaine entre les Sauvages, attendant que nos vaisseaux fussent venus pour en faire les c�r�monies & le faire recevoir, & qu'il auroit pour adjoint & pour son conseil apr�s luy Erouachy, Bastisquan chef des trois rivieres, & le Borgne, qui estoit un bon Sauvage & homme d'esprit, avec un autre de nostre cognoissance, pour resoudre & d�lib�rer des affaires entre-eux.

6. Que ledit Erouachy tiendra sa promesse, que 215/1199s'il void celuy qu'il dit qui avoit tu� nos hommes, qu'il s'en saisira ou nous le monstrera, s'il vient en ces lieux, pour en faire justice.

Voila les conditions que tu leur diras que je desire, ausquelles je ne voy point de difficult�, & ayant resoult ensemblement, vous me viendrez revoir pour s�avoir ce que l'on fera sur cette affaire, & s'ils seront delib�rez d'accorder ce que je te propose. Il me promit d'accomplir le tout, en leur remonstrant combien nous les surpassions en bont�, police, & justice, & comme nous nous comportions en choses criminelles, & ne leur ressemblions, veu qu'aussitost qu'un de leurs hommes avoit est� tu�, sans consideration aucune, ils alloient faire mourir le premier de la nation qu'ils rencontroient, fust-ce sa femme ou son enfant: mais parmy nous, au contraire la justice ne s'exer�oit que contre celuy qui avoit tu�, & ne le s�achant que par soub�on nous usions de grande patience attendant le temps que nostre Dieu, juste juge (qui ne souffre que les meschans prosperent en leur mal) permet � la fin qu'ils soient descouverts par des tesmoignages bien approuvez & irr�prochables, premier que les faire mourir, ou delivrer s'ils n'estoient coulpables, ce que nous faisions avec honneur & louange, & � la honte & infamie de ceux qui l'auroient meschamment accus�, devant souffrir le mesme supplice que le criminel, que nous avions d�tenu ce prisonnier, & pour le 14 mois, sans luy faire aucun mal que de l'avoir retenu tant de temps, sur ce qu'il m'avoit dit & ouy dire � Martin, Sauvage defunct, & pour le bruict commun qui estoit entre tous les Sauvages, 216/1200qu'il n'estoit pas prisonnier sans sujet, joint le discours que la femme dudit prisonnier avoit fait, & autres tesmoignages de nos gens, mais qu'� l'advenir il falloit se comporter plus sagement en nostre endroit: qu'ils prinsent courage de nous assister en tout ce que nous leur proposions, vivant en paix les vus avec les autres, qu'ils n'avoient point de suject de se plaindre, ne leur ayant jamais m'esfect ains au contraire en leurs extr�mes necessitez plusieurs d'eux seroient morts sans nostre secours, & ont tr�s-mal recogneu les bienfaicts, nous ayant tu� quatre hommes depuis que nous estions habituez � Qu�bec. Il s'esmerveilloit comme nous avions tant de patience, veu que nous pouvions perdre leur pa�s, & les rendre fugitifs en d'autres contr�es o� ils seroient tr�s-mal au prix du leur, & ainsi sur ce subject nous fismes plusieurs discours.

Chomina s'en alla dire � tous les Sauvages ce que je luy avois dit, Le lendemain il me revint trouver, me disant avoir fait r�cit � tous ses compagnons en conseil ce que je luy avois propos�, que tous avoient receu une grande resjouyssance, que veritablement cette affaire le mettroit en cr�dit & hors de toute mesfiance, que dans deux jours ils me viendroient trouver apr�s avoir resolu ce qu'ils auroient � respondre, en confirmant tout ce que nous d�sirions, avec promesse de nous assister en tout & par tout, quoy que nos vaisseaux ne vinssent, & vivre en bonne intelligence � l'advenir. Ce sont leurs discours ordinaires qu'il faut croire par b�n�fice d'inventaire & en tirer ce que l'on peut, comme d'une mauvaise debte, car la moindre mouche qui 217/1201leur passe devant le nez est capable de diminuer beaucoup de ce qu'ils promettent si on leur refuse de quelque chose, principalement quand les demandes sont g�n�rales, autrement non.

Au bout de deux jours ledit Chomina, Erouachy, & tous les autres Sauvages me vindrent trouver, Erouachy parlant pour tous, dit ainsi. Il y a long temps que nous avons est� liez d'une estroitte amiti�, & notamment depuis pr�s de 30 ans que vous nous avez assist� en nos guerres & autres necessitez extresmes, sans vous avoir eu que peu de ressentiment, nous jugeans v�ritablement incapables de vostre affection pour n'avoir fait ce que nous pouvions depuis que les Anglois sont venus en ce lieu, pour moy tu s�ais comme estant esloign� je ne pouvois rem�dier par presence ny conseil, � toutes ces choses pass�es, & de plus que tout le pa�s est desnu� de Chefs & Capitaines qui sont morts depuis deux ans, & ne restant que des hommes vieux sans commandement, & des jeunes sans esprit & conduite, qui ne jugeant combien vostre bienvueillance nous est necessaire, que sans la continuation d'icelle nous serions miserables, mais comme vostre coeur a tousjours est� enti�rement bon nous vous prions le continuer, comme le p�re � ses enfans. Nous ne recognoissons plus d'anciens amis que toy, qui s�ache nos deportemens & gouvernemens trop affectionnez envers nous jusques � present. Il est vray que l'on a tu� de vos hommes, mais ce sont des meschans particuliers, & non le g�n�ral qui en a receu beaucoup de desplaisir, principalement ceux qui ont du jugement, � l'un 218/1202tu luy as pardonn�, l'ayant recognu pour meurtrier qui avoit fait le meurtre par le mauvais conseil de certaines personnes qui sont aussi bien morts que luy: l'autre aussi meschant que le premier, qui est celuy que tu soub�onne, & dis en avoir quelque tesmoignage, ce qu'estant v�rifi� nous ne le desirons maintenir, mais qu'il meure. Il n'a jamais rien confesse, il proteste ne l'avoir fait, & qu'il n'appr�hende pas tant la mort de ce qu'on l'accuse, que s'il les avoit faict mourir qu'il le diroit librement plustost que de demeurer dedans une prison, souffrant plus d'ennuis & de tourments en ses maladies que s'il mouroit tout d'un coup. Que tout ce que j'avois dit � Chomina ils le desiroient effectuer & faire pour les Fran�ois tout ce qu'ils pourroient, & desirant qu'il fust Capitaine, dit qu'il en estoit tr�s-content, comme aussi tous les Sauvages, mais ce qu'il disoit estoit au plus loin de sa pens�e, recognoissant asseur�ment que delivrant le prisonnier � sa requeste & supplication, qu'il falloit qu'il nous eust grandement oblig�.

Je luy dis devant tous que les affections de ceux qui promettoient beaucoup ne consistoient pas en paroles & caresses, qui n'estoient que les avant-coureurs des effects en la pluspart du monde tant envers eux qu'envers nous: que pour luy nous l'avions treuv� entre tous les Sauvages de parole effective, il avoit l'esprit, le jugement & la cognoissance tr�s-bonne, sans ingratitude, qui sont les choses autant requises qu'il falloit pour un Chef. Pour le courage il n'en manquoit point, que je le pouvois asseurer que luy & tous ceux qui tiendroient 219/1203son party je les maintiendrois de tout mon pouvoir contre ceux qui luy voudroient faire du desplaisir: que nous avions le naturel si bon que ceux qui nous avoient obligez pour peu que ce fust, nous n'en estions mescognoissans. Tu pourrois estre en peine de s�avoir qui nous a incit� � luy vouloir tant de bien-vueillance. Je te diray que quand il a est� question d'envoyer quelque Sauvage & faire diligence nous voyant en peine il n'a attendu que nous luy en parlassions, mais aussi-tost avec son frere il s'est offert de nous servir sans marchander ny esperer de recompense que nostre volont�, & promptement & d'un coeur franc il nous a servis avec fid�lit�, s'employant & s'offrant � toutes occasions, ce que n'ont fait les autres: en nos necessitez il ne nous a jamais abandonn� ny en hyver ny en est�, nous secourant de ce qu'il pouvoit, desirant plustost mourir avec nous que nous abandonner. Quand quelques uns de mes compagnons alloient en sa maison que ne faisoit-il point pour les caresser & traitter humainement: leur donnant souvent ce qu'il gardoit pour luy. Il prenoit compassion de nos necessitez, & ne faisoit pas comme d'autres qui s'en rioient, nous vendant excessivement un peu de poisson ou viande quand on en desiroit avoir, sans autres infinies obligations que nous luy avons pour tant de tesmoignages de sa fid�lit�: il s'est offert aussi en cas que l'on voulust se battre avec l'Anglois qu'il viendroit avec nous pour y vivre & mourir: & se mettant en devoir luy & son frere, se sont present�s en nostre fort avec leurs armes pour recevoir tel commandement que 220/1204j'eusse desir�, ce que n'a jamais fait autre Sauvage que luy: au contraire comme ils virent les Anglois � Tadoussac, ils les conduirent jusques au Cap de Tourmente, leur enseignant volontairement le chemin, aydant aux Anglois � tuer nostre bestial, & piller les maisons de nos gens comme s'ils eussent est� ennemis: regarde & juge quelle raison nous avons � hayr ceux-l�, & vouloir du bien � ces hommes cy.

Il est vray que voil� de puissantes raisons pour l'affectionner, il s'est trouv� des occasions o� il a montr� quel estoit son coeur, mais pour moy j'estois absent: je ne laisse pourtant d'avoir le mesme desir de servir si l'occasion se presentoit. Pour ceux qui ont conduit les Anglois, ils sont de Tadoussac, meschans Sauvages qui n'ont point d'amiti�, estant assez recogneus pour tels, qui parlent de bouche amiablement, mais le coeur n'en vaut rien, & ne font que du mal. Nous sommes tres-aises de ce que Chomina s'est si bien port� en vostre endroit, vous avez raison de l'aymer: neantmoins nous ne laissons tous de vous affectionner aussi bien que luy. Je ne doute point de sa fid�lit�, il a montr� par effect ce qui nous occasionne � te vouloir du bien, en attendant les effects de nos promesses, asseurez-vous que nous les effectuerons, & les vaisseaux venus l'on recevra ledit Chomina pour Capitaine. Tu s�ais la fa�on de faire quand on eslist un Chef, & qu'il change de nom, tu en as faict d'autres, c'est pourquoy tu seras encore cestuy-cy que nous tiendrons pour tel attendant son eslection comme chef, chacun respondant d'une voix, ainsi sera il.

Ce que voyant je dis audit Chomina que quand 221/1205il voudroit qu'il emmenast le prisonnier, & qu'il luy remonstre d'estre sage � l'advenir, que s'il a est� prisonnier tant de temps, que ce sont les discours des Sauvages, & non nous.

Ledit Chomina sortant avec tous les autres Sauvages, le va treuver, luy ayant auparavant donn� bonne esperance de sa delivrance qu'il moyennoit, apr�s avoir remonstr� plusieurs choses, le prisonnier luy dit, Je s�ais bien que les Fran�ois n'ont point de tort de m'avoir retenu si long-temps, ils avoient juste sujet de le faire, d'autant que les nostres leur avoient donn� � entendre que c'estoit moy qui avoit fait le meurtre, quand je seray guary je leur veux tesmoigner qu'un meschant homme ne voudroit faire ce que je feray pour eux.

Ces discours finis ils le prennent & le mettent en une couverte, & l'emportant � quatre, car il ne pouvoit se soustenir sur les jambes estant fort desfait & d�bile: la v�rit� est que ces gens qui ont accoustum� une grande libert�, la prison de 14 mois leur est un grief supplice, autant presque que s'ils recevoient la mort tout d'un coup: ce fut o� la necessit� des vivres nous contraignit, veu que sans ceste extr�mit� il eut tousjours est� prisonnier: mais quoy, c'estoit chose forc�e ou estre tousjours en trances & apprehension avec ces Sauvages qui ne nous eussent voulu secourir en nostre necessit�: car nous voyant foibles desnuez d'hommes & de tout secours, ils eussent peu entreprendre sur nous ou sur ceux qui alloient chercher des racines dans les bois, avec beaucoup d'autres considerations qui nous excitoient � cela.




222/1206Arriv�e de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglais.

CHAPITRE II.

Le 25 du mois d'Avril717 Desdames arriva avec la chalouppe de Gaspey, qui dit n'avoir veu aucuns vaisseaux, ny les Sauvages, & n'en avoit sceu aucunes nouvelles, sinon que quelques uns qui venoient du cost� d'Acadie, qui dirent y avoir quelques huict vaisseaux Anglois718, partie rodant les costes, autres faisant pesche de poisson: que Juan Chou Capitaine Sauvage des Canadiens leur avoit fait bonne r�ception selon leur pouvoir, s'offrant que si le sieur du Pont vouloit aller en leur pa�s, au cas que nos vaisseaux ne vinssent, qu'il ne manqueroit d'aucune chose de leur chasse, ce faisant faire une petite maison en quelque endroit.

Note 717: (retour)

Cette date est �videmment fautive. Desdames ne pouvait pas �tre si t�t de retour de Gasp�; au reste l'auteur nous dit lui-m�me (p. 202) que la chaloupe ne partit que le 17 mai. Desdames serait-il arriv� le 25 de mai, c'est-�-dire, au bout de huit jours? Il n'y a gu�re d'apparence qu'il e�t pu faire un pareil voyage en si peu de temps; d'ailleurs, l'auteur donne � entendre plus loin (p. 224) que la chaloupe ne revenait pas assez vite au gr� de Du Pont. Elle avait donc d� �tre un bon mois � ce voyage. D'un autre c�t�, elle arriva � Qu�bec un vendredi, puisque, le surlendemain dimanche, on lut publiquement les commissions de Champlain et de Pont-Grave (ci-apr�s, p. 227). Il faut donc conclure que Desdames arriva ou le l5 ou le 22 de juin. Or deux raisons nous font croire que ce fut plut�t le 15: d'abord la faute typographique s'explique plus naturellement; ensuite, il para�t �vident qu'il s'�coula plusieurs jours entre l'arriv�e de la chaloupe et le d�part de Boull� avec la barque (voir ci-apr�s, p. 228 et suivantes). Desdames arriva donc de Gasp� vraisemblablement le 15 de juin.

Note 718: (retour)

L'amiral David Kertk, parti de Gravesend le 5 avril 1629 avec six vaisseaux et deux pinasses, avait quitt� les c�tes d'Angleterre le 20 du m�me mois, et il devait �tre dans les environs de Canceau dans la premi�re quinzaine de juin; puisqu'il arriva � Gasp� le 25 de ce mois. (Pi�ces justificatives, n. V.)

223/1207De plus qu'il prendroit 20 de nos compagnons qui partiroient719 parmy les siens pour y passer l'hyver ou ils n'auroient aucune faim, moyennant deux robbes de castors pour chaque homme: Ce n'estoit pas peu de treuver tant de courtoisie & de retraite asseur�e parmy eux, beaucoup mieux qu'avec nos sauvages: ils nous apport�rent un baril & demy de sel, sans ce que ceux de la chalouppe ayderent aux peres religieux, lesquelles choses en ce temps l� ils prisoient plus que de l'or. Il nous confirma comme les Anglois avoient brusl� tous les vivres qui restoient aux P�res Jesuistes, qu'ils avoient donn� quelques six barils de farine aux Sauvages moiti�e guerre moiti�e marchandise: qu'ils avoient une grande aversion contre les ennemis, notamment contre les Fran�ois ren�gats qui les avoient emmen�es: Et tout ce que nous avons sceu des Sauvages, il nous le confirma touchant le combat, s�avoir qu'un petit vaisseau Fran�ois arrivant sur ceste affaire, ne voulant estre de la partie, se sauva partie � la rame & � la voile, & cogneut-on que c'estoit le Reverend P�re Norot720 Jesuiste, qui s'estoit separ� depuis long temps d'avec ledit de Roquemont, s'ils eussent eu quelque homme de conduitte & hasardeux, ils eussent entr� facillement en la riviere pour venir � Qu�bec nous secourir, ce qui l'occasionna de s'en retourner en France, n'ayant emmen� en Angleterre que les Capitaines & Principaux, & le petit Sauvage que l'on remmenoit en son pa�s: que le g�n�ral Guer721 avoit est� dix jours � se r'accommoder 224/1208� Gaspey, qu'ils n'avoient brusl� les barques ny chalouppes � l'Isle de Bonaventure, ny autres lieux comme on nous avoit dit: que l'on avoit donn� deux vaisseaux pour rapasser les Fran�ois en France, avec partie des maris, femmes & enfans, qui coururent depuis plusieurs fortunes & dangers, tant aux costes d'Espagne qu'ailleurs722, desquels naufrages ils s'estoient sauvez, fort incommodez de toutes choses: voil� ce que les effects de ceste guerre causerent au commencement en la Nouvelle France aux Anglois, ils faisoient bien d'aller en ces lieux, voyant qu'ils ne pouvoient rien faire en l'isle de R�, o� tout leur avoit mal succed�.

Note 7191: (retour)

Qu'il partiroit, ou distribueroit.

Note 720: (retour)

Noirot. (Voir ci-dessus, p. 208.)

Note 721: (retour)

Guer, pour Kertk.

Note 722: (retour)

Voir Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch. IX, X.

Entendant de si tristes nouvelles nous voyant comme hors d'esperance de tout secours, nous jugeasmes qu'il n'estoit plus temps de temporiser723, mais bien de rem�dier de bonne heure � ce que nous pouvions avoir affaire; nostre petite barque estoit toute preste, ledit du Pont s'estoit resolu de s'en aller dedans sans attendre la chalouppe davantage, craignant qu'elle ne tardast trop, & partant trop tard que malais�ment l'on trouveroit des vaisseaux aux costes pour estre possible partis, qu'en chemin faisant pour le plus seur, si nos vaisseaux devoient venir, ils les rencontreroient, ou ladite chalouppe qu'ils emmeneroient avec eux. Ledit du Pont avoit eu de la peine � se resoudre � cause de l'incommodit� de ses goutes, mais luy ayant bien remonstr� qu'il avoit bien quitt� sa maison pour s'embarquer en un meschant petit vaisseau, & de 225/1209plus qu'il estoit venu � Gaspey parmy tous les dangers de la guerre aussi malade qu'il estoit: davantage qu'il s'estoit mis dans une chalouppe de Gaspey pour venir � Qu�bec avec de si grandes incommoditez qu'on ne l'auroit creu, si on ne l'avoit veu, que ce n'estoit pas de mesme en ceste occasion plus pressante, d'autant que son �ge & la r�putation qu'il avoit entre les navigeans de ces costes, estoient cause qu'avec les Capitaines & maistres des vaisseaux desquels il estoit cogneu, plus facilement il treuveroit partage, & pourroit plus asseur�ment contracter avec lesdits chefs des vaisseaux pour le passage; pour sa personne il n'alloit pas dans une chalouppe comme il estoit venu de Gaspey avec de grandes douleurs & incommoditez, mais en une barque fort gentille & bien accommod�e, y ayant sa chambre o� il seroit tr�s-bien, & avec des personnes qui l'assisteroient, en luy portant toute sorte de respect, pouvant recouvrir plus de rafraichissement le long des costes, changeant d'un jour � autre de lieu que non pas � Qu�bec o� il n'y avoit rien: qu'il se trouvoit fort peu de personnes qui voulussent demeurer � l'habitation sans vivres. Que pour sa personne seule il falloit empescher quelquesfois quatre hommes � l'assister & secourir, lesquels ne pourroient demeurer avec luy, de sorte que force leur seroit de l'abandonner pour aller chercher leur vie de jour � autre: Que de tenter la fortune de repasser en France luy seroit chose meilleure que de souffrir de si grandes necessit�s, ne pouvant plus rien esperer de Qu�bec, ayant le peu qu'il y avoit est� conserv� pour luy seul, ce que je ne pensois 226/1210pas qu'il peut faire, il me dist que pour le voyage qu'il avoit fait de France � Qu�bec, il n'estoit pas � s'en repentir, mais trop tard, je luy dis, Vous s�aviez aussi bien que moy la fa�on comme l'on nous traitte en ces lieux, o� les necessitez ont plus r�gn� que les biens-faits de ceux qui ont cette affaire, vous n'estes point novice en cela, un autre se pourroit excuser, mais vous avez trop d'exp�rience pour s�avoir & cognoistre ce qui en est: car si � Qu�bec vous aviez les commoditez approchantes de ce qu'il vous faudroit je vous conseillerois d'y demeurer. En fin comme j'ay dit cy-dessus, il se resolut de s'embarquer & laisser le sieur de Marais 724, fils de sa fille en sa place, & emporter avec luy quelque 1000 castors pour subvenir aux frais de la despence, qui furent embarquez. Cela resoulu, le lendemain il me dist si j'aurois agr�able qu'il fit lire sa commission que luy avoit donn�e le sieur de Ca�n, afin qu'un chacun sceust la charge qu'il luy avoit donn�e en ces lieux, craignant que ledit de Ca�n ne luy donnast ses gages, lors qu'il luy demanderoit, je luy dis que cela ne m'importoit pas beaucoup, mais qu'il commen�oit bien tard, parce que ledit de Ca�n, outre le droict qui luy pouvoit appartenir, s'attribuoit des honneurs & commandemens qui ne luy appartenoient pas, anticipant sur les charges de Vice-Roy, luy monstrant les principaux points. Pour ce qui touchoit le trafic & commerce de pelleterie il y avoit toute puissance, qu'en cela les articles de sa Majest� nous gouvernoient, � 227/1211quoy il se falloit arrester: En outre j'avois bonne commission en forme, selon la volont� de sa Majest�, & de Monseigneur le Vice-Roy, & celle dudit sieur de Ca�n ne pouvoit estre de telle consideration.

Note 723: (retour)

Nouvelle preuve que la chaloupe de Desdames n'�tait arriv�e ni le 25 de mai, ni encore moins le 25 avril. (Voir ci-dessus, p. 222.)

Note 724: (retour)

Ce jeune Des Marais �tait le fils du sieur Des Marais dont il est parl� si souvent dans les relations pr�c�dentes. Il �tait venu avec son grand-p�re en 1627. (Voir ci-dessus, p. 141.)

Le lendemain 725, qui estoit le Dimanche, au sortir de la saincte Messe je fais assembler tout le peuple, avec la copie de la commission du sieur du Pont, les articles de sa Majest� & la commission de Monseigneur le Vice-Roy, auquel v�ritablement je fais entendre le pouvoir que pouvoit donner ledit sieur de Caen � ses commis, differens d'avec celuy que j'avois selon les articles de sa Majest�, que je fis lire contenant aucuns poincts de la commission dudit du Pont, & en suitte ma commission, qui estoit fort ample, disant � tous: Je vous fais commandement de par le Roy, & Monseigneur le Vice-Roy, que vous ayez � faire tout ce que vous commandera ledit du Pont, pour ce qui touche le trafic & commerce des marchandises, suivant les articles de sa Majest� que je vous ay fait lire, & du reste de m'obeir en tout & par tout en ce que je commanderay, & o� il y aura de l'interest du Roy & de mondit Seigneur, en me reservant dix hommes gagez dudit de Ca�n, suyvant les articles resolus de toute la societ�, desquels ledit de Caen avoit est� porteur, & me les mit en mains, par l'un desquels estoit port� & encharg� me donner dix hommes, avec toutes les commoditez necessaires pour les employer au Fort, ainsi que j'aviserois bon estre. J'ay creu que ledit sieur de Caen ne s'en ressouvenoit plus, car il 228/1212n'y avoit pas d'apparence qu'il eust voulu disputer une chose o� luy-mesme avoit sign�, & le sieur Dolu, & autres associez. La chose la plus importante estoit de se fortifier le mieux que l'on pourroit pour la conservation du pa�s, qu'� faute de ce faire c'estoit le laisser en proye � un ennemy qui peut recognoistre nostre foiblesse, sans que ledit du Pont ny autres pussent empescher l'effect du commandement que j'ay, sur peine de desobeissance, & punition corporelle.

Note 725: (retour)

Vraisemblablement le 17 juin, qui �tait un dimanche. (Voir ci-dessus, note 1 de la page 222.)

Je voy bien (dist le sieur du Pont) que vous protestez ma commission de nullit�: Ouy en ce qui heurte l'authorit� du Roy & de Monseigneur le Vice-Roy, pour ce qui est de vostre traict� & commerce, suivant les articles de sa Majest�, � quoy il se faut tenir, cela se passa ainsi.

La chalouppe (comme j'ay dit cy-dessus) estoit venue de Gaspey, qui interrompit le dessein dudit du Pont de s'en aller, d'autant que son intention n'estoit qu'au cas qu'il n'y eust aucun vaisseau � Gaspey o� il peust s'en retourner, de revenir � Qu�bec sans se mettre en peine de passer plus outre pour chercher passage & aller en France dans les vaisseaux Fran�ois, qui pouvoient estre � l'isle de S. Jean, du Cap Breton, Canseau, Isles de S. Pierre, Plaisance o� autres ports, qui sont � l'isle de Terre-Neufve, o� il y en avoit, & sembloit qu'il ne voulust aller � Gaspey que pour establir les Fran�ois avec les Sauvages & s'en revenir � Qu�bec: les matelots qui ne desiroient plus y retourner 229/1213craignant de mourir de faim, avoient volont� de courir le risque & de chercher passage plustost que de demeurer avec les Sauvages, si ce n'estoit par force: Ce qui me fit luy demander si c'estoit son intention de s'embarquer en la barque, s'il avoit dessein de s'en retourner � Gaspey, il me dit qu'ouy: Alors je luy dis, que pensez-vous qui vous rameine, regardez ce qu'avez � faire, car les matelots ne sont pas d�lib�rez de revenir, & ainsi vous vous trouverez deceu si vous vous attendez � cela, vous voyez que l'on descharge l'habitation de plus d'hommes que l'on peut, ne faisant estat que d'y faire demeurer treize � quatorze personnes, & vous revenant, vous en am�nerez une douzaine, ce seroit pour mourir de faim les uns pour l'amour des autres, il n'y a pas beaucoup d'apparence: joint que quelques matelots sont resolus de demeurer avec les Sauvages de par del�, & le reste d'aller chercher passage � quelque prix que ce soit, mesme que ne trouvant vaisseaux ils se veulent bazarder de passer la mer en ceste barque, & si n'avez volont� de passer plus outre, je vous conseille plustost de demeurer icy: car aussi bien vostre voyage seroit inutile, estant contraint de demeurer avec les Sauvages ou courir le hazard avec les matelots.

Ce qu'entendant il desira plustost demeurer, que de se mettre au risque, appr�hendant la peine qu'il pensoit avoir en ce voyage pour le mal des go�tes qui le tourmentoient de telle fa�on, qu'il estoit plus couch� que debout, cela resolu il fit descharger de la barque 500 castors, de mil qu'il y avoit fait mettre.

230/1214Je fis d'amples m�moires de tous les deffauts que je recognoissois, avec lettres adressantes � sa Majest�, � Monseigneur le Cardinal, & � Messieurs du Conseil, & aux Associez, mettant le tout entre les mains de mon beau-fr�re Boullay, lequel j'avois bien instruit de tout ce qui estoit necessaire, luy donnant une commission suivant le pouvoir que j'avois: & luy commanday de s'en aller avec les matelots chercher passage � quelque prix que ce fut, luy donnant charge de laisser � Gaspey avec Juan Chou & ses compagnons Sauvages, tous ceux qui y voudroient demeurer, & ceux qui le voudroient suivre qu'il les emmenast avec luy. J'ordonnay � tous ceux qui devoient s'en retourner, qu'ils allassent dans les bois deux ou trois tours premier que partir pour chercher des racines pour leur provision, attendant qu'ils peussent rencontrer la pesche de molue vers Mantane: Ce qu'ayant fait je les faits tous assembler, voulant s�avoir la volont� des uns & des autres, s�avoir ceux qui desiroient demeurer � Gaspey, & ceux qui vouloient suivre mon beau-fr�re, il s'en treuva vingt, de trente qu'ils estoient726, qui desirerent demeurer � Gaspey, entr'autres Foucher, Desdames & deux autres Matelots, & le reste desiroit courir risque.

Ayant mis ordre � tout, mon beau-fr�re partit avec sa barque727 & tout son esquipage, le 26 de Juin, laquelle n'avoit que des racines, si ce n'estoient aucuns qui par leur mesnage avoient quelque 231/1215peu de farine de pois. La barque partie chacun de ceux qui restoient commenc�rent � labourer la terre, & y semer des naveaux, pour nous survenir durant l'hyver: en attendant la moisson on estoit tous les tours � la recherche des racines pour vivre, ce qui causoit de grandes fatiques, car on alloit six � sept lieues les chercher, avec une grande peine & patience, sans en treuver en suffisance pour nous nourrir. Les autres faisoient ce qu'ils pouvoient pour prendre du poisson, & faute de filets, lignes & hains, nous ne pouvions faire grande chose: la poudre pour la chasse nous estoit si ch�re que je desirois mieux p�tir que d'user si peu que nous en avions qui n'estoit pas plus de 30 � 40 livres, & encore tr�s mauvaise.

Note 726: (retour)

Ils �taient trente en comptant Boull� lui-m�me. (Pi�ces justificatives, n. III.)

Note 727: (retour)

Cette barque, appel�e la Coquine, �tait de douze ou quatorze tonneaux suivant Sagard (Hist. P. 980), ou seulement de sept � huit, d'apr�s l'auteur lui-m�me (voir Pi�ces justificatives, n. II).

Nous attendions de jour en jour les Hurons, & par mesme moyen 20 Fran�ois qui estoient allez avec eux pour nous soulager de nos pois: ceste surcharge me mettoit bien en peine, n'ayant du tout rien � leur donner s'ils n'apportoient de la farine avec eux, ou que lesdits Hurons ne les remmenassent, ou bien les mettre avec les Sauvages au tour de nous, comme ils nous avoient promis de les prendre, mais comme ils sont d'une humeur assez variable, cela me donnoit du tourment. Chomina nous dit qu'il s'en alloit aux trois rivieres avec tous les sauvages, qui deslogeoient d'aupr�s de Qu�bec, pour aller au devant des Hurons traiter des farines s'ils en avoient: pour cet effect il demanda quelques cousteaux, & promet en traiter fidellement, nous apportant aussi tost les farines: la creance que nous avions en luy, fit qu'on luy en donna, 232/1216& une arme de picquier qu'il demanda � emprunter pour la guerre, de quoy il ne fut refus�. Son fr�re Ouagabemat728 s'offrit d'aller � la coste des Etechemins, o� estoient les Anglois pour y traiter de la poudre, il demanda qu'on luy donnast un Fran�ois, lequel demeuroit � deux journ�es dans les terres de la coste, ce qui luy fut accord�, pour tascher de quelque fa�on que ce fut � nous maintenir. Pour ce sujet il partit le 8 de Juillet, laissant la grande riviere, & ayant fait quelque chemin par celle qui va ausdits Etechemins, ils treuverent si peu d'eau qu'ils furent contrains de s'en revenir le 11 dudit mois, & par ainsi ce voyage fut rompu.

Le 15 de Juillet arriva l'homme que j'avois envoyay � la decouverte des Sauvages appelle Abenaquioit, qui me fit rapport de tout son voyage suivant le m�moire que je luy avois donn�, le nombre des saults qui falloit passer premier que d'y arriver, la difficult� des chemins qui se rencontroient en ce traject de terre, jusqu'� la coste desdits Etechemins, les peuples & nations qui sont en ces contr�es, leurs fa�ons de vivres, nous asseurant que tous ces peuples vouloient lier une estroitte amiti� avec nous, & prendre de nos hommes avec eux pour les nourrir durant l'hyver, attendant que nous eussions secours de nos vaisseaux: qu'en peu de jours il devoit venir un chef de ces peuples avec quelques Canaux pour confirmer leur amiti�, & mesme nous ayder de leurs bleds d'Inde, estant peuples qui ont de grands villages, & � la campagne 233/1217de maisons, ayant nombre de terres d�frich�es, o� ils sement force bleds d'Inde qui recueillent suffisamment pour leur nourriture, & en ayder leurs voisins, quand il manque quelque ann�e qui n'est pas si bonne que d'autre. Il y a de belles campagnes & tort peu de bois ou ils habitent, la pesche du poisson y est abondante de Bars, Saumons, Esturgeons & autres poissons en grande quantit�: comme aussi y est tr�s-bonne la chasse des animaux & du gibier, de sorte que quand les eaues sont un peu grandes l'on y peut aller en six jours avec diligence: il y a une riviere729 qui va tomber en ceste coste des Etechemins, en laquelle j'ay est� autrefois du temps du sieur du Mont comme j'allois descouvrir les ports, havres, & rivieres. Ce voyage & descouverte me donna un grand contentement pour l'esperance du fruict qu'un jour nous en pourrions retirer durant nostre necessit�, o� ces peuples nous pouvoient bien servir. Ce qui est de remarquable, c'est un lieu o� l'on ne craint point d'ennemis sur le chemin, qui vous puisse empescher d'aller & venir librement 730.

Note 728: (retour)

Sagard l'appelle Neogabinat, et les Relations des J�suites Negabamat. Il devint plus tard fervent chr�tien, et fut l'un des premiers qui se fix�rent � Sillery.

Note 729: (retour)

Le K�n�bec.

Note 730: (retour)

Voici, suivant nous, le sens de cette phrase: Le pays des Abenaquis a cela de remarquable et d'avantageux, que l'on n'a point � craindre, sur le chemin, d'ennemis qui vous puissent emp�cher d'aller et venir librement.

Le 17 du mois de Juillet arriverent nos hommes des Hurons en douze Canaux qui n'apport�rent aucunes farines sinon quelques uns qui en avoient, ne la monstroient � la veue, en attendant nostre disette, il falloit qu'ils fissent comme nous, & allassent chercher des racines pour vivre. Je me deliberay les envoyer � l'habitation des Abenaquiois 234/1218pour vivre de leurs bleds d'Inde attendant le printemps, n'ayant plus d'esperance de voir aucuns amis ny ennemis, la saison estant pass�e selon les apparances humaines.

Le Reverend P�re Brebeuf, selon ce que luy avoit mand� le Reverend P�re Mass� Superieur731, s'en revint des Hurons, leur laissant une extr�me tristesse de son d�part, luy disant. He quoy nous delaisses-tu! il y a trois ans que tu es en ces lieux pour apprendre nostre langue pour nous enseigner � cognoistre ton Dieu, l'adorer & servir, estant venu pour ce sujet, � ce que tu nous as tesmoign�, & maintenant que tu s�ais plus parfaitement nostre langue qu'aucun qui soit jamais venu en ces lieux, tu nous delaisses & si nous ne cognoissons le Dieu que tu adores, nous l'appellerons � tesmoin que ce n'est point nostre faute, mais bien la tienne, de nous laisser de telle fa�on; il le leur remonstroit que l'obeissance qu'il devoit � ses Sup�rieurs ne luy permettoient pour le present de demeurer, attendu aussi les affaires qu'il avoit, & qui estoient grandement importantes, mais qu'il les asseuroit, moyennant la gr�ce de Dieu, de les venir treuver & amener ce qui seroit necessaire pour leur enseigner � cognoistre Dieu, & le servir, & ainsi se d�partit. En effect ce bon P�re avoit un don particulier des langues qu'il apprit & comprit en deux ou trois ans, ce que d'autres ne feroient en vingt: nous fusmes fort aises de le voir, comme estoient aussi les Peres qui se promettoient qu'il leur apporteroit des 235/1219farines des Hurons, qui eust est� fort peu de chose, n'eust est� la valeur de quelque quatre ou cinq sacs, qui, � ce que l'on me dist, pesoyent environ chacun 50 livres.

Note 731: (retour)

Le P. Ennemond Mass� �tait demeur� sup�rieur depuis le d�part du P. Charles Lalemant.

Cette arriv�e de Canaux de Sauvages ne nous apporta aucun b�n�fice, car ils n'avoient point de farines � traitter qu'environ deux sacs, que les P�res Recolets traitterent, & le sieur du Pont en fit traitter un autre par le Sous-commis: Pour moy il fut hors de ma puissance d'en pouvoir avoir, ny peu, ny prou, & ne m'en fut seulement offert une escuell�e, tant de ceux qui en pouvoient avoir, parmy les nostres, que parmy les autres: toutesfois je prenois patience, ayant tousjours bon courage, attendant la r�colte des pois, & des grains qui se feroit au desert de la Veufve-Hebert & son gendre, qui avoient quelque six � sept arpens de terres ensemenc�es, ne pouvant avoir recours ailleurs, & peux dire avec verit� que j'ay assist� un chacun de tout ce qui m'estoit possible, ce qui fut neantmoins fort peu recogneu en mon particulier, & ceux qui estoient avec moy au fort, & estant les plus mal pourveus de toutes choses.

Pour ce qui estoit des Reverends P�res Jesuites ils n'avoient que de la terre d�frich�e & ensemenc�e pour eux & serviteur au nombre de douze ne nous en pouvant ayder comme je croy qu'ils eussent fort desir�: le lieu o� ils sont habituez est tr�s agreable, estant sur le bord de la riviere S. Charles.

Les P�res Recolets avoient beaucoup plus de terres d�frich�es & ensemenc�es & n'estoient que quatre, promettant que s'ils en avoient plus que ne 236/1220leur faudroit en 4 � 5 arpens de terre ensemencez de plusieurs sortes de grains, l�gumes, racines & herbes potag�res qu'ils nous en donneroient. L'ann�e pr�c�dente chacun avoit il bien conserv� ce qu'il avoit qu'il s'estoit fait fort peu de liberalitez, sinon � quelques particuliers de ceux qui estoient logez � l'habitation, & celle comme dit est, des P�res Jesuites qui nous assisterent de quelques naveaux selon leur puissance.

Comme les Hurons se d�lib�rent de s'en retourner avec si peu de marchandises qu'ils avoient apport�es, pensant treuver dequoy traitter, nouvelles nous vindrent de l'arriv�e des Anglois par un sauvage appell� la Nasse732, qui avoit sa maison proche des P�res Jesuites, lequel donnoit esperance & toute sa famille de se faire instruire en nostre foy, & mesmes les P�res luy avoient donn� de leur terre d�frich�e pour le gaigner � eux, ce fut luy qui nous donna cet advis, ce qui m'estonna grandement, pource qu'alors je n'attendois ny Fran�ois ny Anglois qui eussent entrepris ce voyage bien hazardeusement pour estre venu tard, d'autant que si en France ils eussent fait �quiper de bonne heure comme en Mars, la moindre barque estoit suffisante de nous secourir & nous oster du danger d'estre pris, apportant farines, poudre, mousquets, avec un peu de m�che: l'ennemy jugeant bien qu'il n'y avoit rien � faire pour eux sinon traitter quelque pelleterie � Tadoussac, & ne pouvant rien faire, � ce que j'ay sceu depuis, s'ils eussent est� contraints 237/1221de retourner sans rien faire de porter tout ce qu'ils avoient au Cap Breton, o� ils avoient une habitation d'un Escossois733 qui estoit de la compagnie du Chevallier Alexandre en Angleterre & roder les costes comme ils avoient fait l'ann�e pr�c�dente, pour prendre des vaisseaux qui ayderoient � payer les frais de leur embarquement.

Note 732: (retour)

Son nom sauvage �tait Manitougatche. Il demeura fid�lement attach� aux Fran�ais, et fut baptis� quelques ann�es plus tard. (Relat. des J�suites.)

Note 733: (retour)

Probablement le millor Escossois dont il est parl� ci-apr�s dans la relation du capitaine Daniel. (Conf., State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, 46, 47.)



Le sieur de Champlain ayant eu advis de l'arriv�e des Anglais, donne ordre de n'estre surpris, se resould � composer avec eux. Lettre qu'un Gentilhomme Anglais luy apporte, & sa response. Articles de leur composition. Infidelles Fran�ois prennent des commodit�s de l'habitation. Anglais s'emparent de Qu�bec.

CHAPITRE III.

Lors que ces nouvelles vinrent j'estois seul au fort, une partie de mes compagnons estoient allez � la pesche, les autres chercher des racines, mon serviteur & les deux petites filles Sauvagesses734 y estoient aussi: sur les dix heures du matin une partie se rendit au fort & � l'habitation, mon serviteur arrivant avec quatre petis sacs de racines, me dit avoir veu lesdits vaisseaux Anglois � une lieue de nostre habitation, derri�re le Cap de Levy735: je ne laissay de mettre en ordre si peu 238/1222que nous avions, pour eviter la surprise tant au fort qu'� l'habitation, les p�res Jesuistes & Recollets accoururent aussi tost � ces nouvelles pour voir ce que l'on oourroit: je fis assembler ceux que je jugeay � propos pour s�avoir ce que nous aurions � faire en ces extremitez: il fut arrest� qu'attendu l'impuissance en laquelle nous estions sans vivres, poudre736, ny mesche, & sans secours, il estoit impossible de nous maintenir, c'est pourquoy qu'il nous falloit chercher une composition la plus avantageuse que nous pourrions, & attendre ce que voudroit dire l'Anglois, resolus neantmoins qu'au cas qu'ils ne nous voulussent faire composition, de faire sentir � la descente, que voulant nous forcer on leur feroit perdre de leurs hommes, en nous ostant l'espoir de composition.

Note 734: (retour)

Des trois petites filles que les sauvages avaient donn�es � l'auteur, celle qu'il avait nomm�e la Foy s'en �tait retourn�e parmi ceux de sa nation. (Sagard, Hist. du Canada, page 1101.)

Note 735: (retour)

La pointe L�vis.

Note 736: (retour)

Il ne restait que trente � quarante livres de poudre, �et encore tr�s-mauvaise.� (Ci-dessus, p. 231).

Sur le flot, l'Anglois envoye une chalouppe ayant un drapeau blanc, signai pour s�avoir s'il auroit asseurance de nous venir treuver, pour nous sommer, & s�avoir la resolution en laquelle nous estions, je fis mettre un autre drapeau au fort, leur asseurant qu'ils pourroient approcher avec toute seuret�: Estant arrivez en nostre habitation, un gentil-homme Anglois mit pied � terre, lequel me vint treuver, & courtoisement me donna une lettre de la part des deux fr�res du G�n�ral Guer qui estoient � Tadoussac avec ses vaisseaux, l'un s'appelloit le Capitaine Louis qui venoit pour commander au fort, l'autre le Capitaine Thomas Vice-Admiral de son fr�re, me mandant ce qui s'ensuit.

239/1223

Monsieur en suite de ce que mon frere vous manda l'ann�e pass�e que tost ou tard il aurait Qu�bec, n'estant secouru, il nous � charg� de vous asseurer de son amiti�, comme nous vous faisons de la nostre, & s�achant tr�s bien les necessitez extr�mes de toutes choses ausquelles vous estes, que vous ayez � luy remettre le fort & l'habitation entre nos mains, vous asseurant toutes sortes de courtoisie pour vous & pour les vostres, comme d'une composition honneste & raisonnable, telle que vous s�auriez desirer, attendant vostre response nous demeurons, Monsieur, vos tr�s affectionnez serviteurs Louis & Thomas Guer. Du bord du Flibot ce 19. de Juillet 1629.

Ceste lettre leue devant le principal Commis & autres des principaux, il fut resolu de leur faire responce, comme il s'ensuit.

Messieurs la verit� est que les n�gligences ou contrarietez du mauvais temps, & les risques de la mer, ont empesch� le secours que nous espererions en nos souffrances, y nous ont ost� le pouvoir d'empescher vostre dessein, comme avons fait l'ann�e pass�e, sans vous donner lieu de faire reussir vos pr�tentions, qui ne feront s'il vous plaist maintenant qu'en effectuant les offres que vous nous faites d'une composition, laquelle on vous fera s�avoir en peu de temps apr�s nous y estre resolus ce qu'attendant il vous plaira ne faire approcher vos vaisseaux � la port�e du canon, ny entreprendre de mettre pied � terre que tout ne soit resolu entre nous, qui sera pour demain. Ce qu'attendant je demeureray Messieurs vostre affectionn� serviteur, Champlain, ce 19 de Juillet 1629.

Ledit Capitaine Louis Guer renvoya sur le soir sa chalouppe pour avoir ces articles de la composition, avec asseurance de nous donner toutes sortes de courtoisies, lesquelles articles envoyasmes avec le plus d'advantage qu'il nous estoit possible.

240/1224

Articles [qui seront] accordez par le sieur Guer commendant de present aux vaisseaux qui sont proches de Qu�bec, aux sieurs de Champlain & du Pont, le 19 de Juillet 1629.737

Note 737: (retour)

Le titre de cette pi�ce se lit ainsi dans l'original conserv� � Londres (State Paper Office): �Articles demand�es estre accord�es par le Sr Quirc Commandant de present aus vaisseaux qui sont proches de Quebecq aus Sr de Champlain & dupont le 19 de Juillet 1629.� Dans l'impression de l'�dition originale, les mots demand�es estre ayant �t� omis ou retranch�s, on fut oblig� de pousser entre ligne les deux mots que nous mettons entre crochets dans le texte. Cette correction cependant n'a pas �t� faite dans tous les exemplaires.

Que le sieur Guer nous fera voir la commission du Roy de la grande Bretagne, en vertu de quoy il se veut saisir de ceste place, si c'est en effect par une guerre l�gitime 738 que la France aye avec l'Angleterre, & s'il a procuration du sieur Guer son fr�re G�n�ral de la flotte Angloise, pour traiter avec nous, il la monstrera.

Note 738: (retour)

L'original porte: �de guerre l�gitime.�

Il nous fera donn� un vaisseau pour rapasser en France tous nos compagnons, & ceux qui ont est� pris par le sieur G�n�ral, allant treuver passage en France, & aussi tous les Religieux, tant les Peres Jesuistes que Recollets, que deux Sauvagesses qui m'ont est� donn�es il y a deux ans par les Sauvages, lesquelles je pourray emmener sans qu'on me les puisse retenir ny donner empeschement en quelque mani�re que ce soit.

Que l'on nous permettra sortir avec armes & bagages, & toutes sortes d'autres commoditez de meubles que chacun peut avoir, tant Religieux qu'autres, ne permettant qu'il nous soit fait aucun empeschement en quelque mani�re & fa�on que ce soit.

241/1225

Que l'on nous donnera des vivres � suffisance pour nous repasser en France, en change 739 de peleteries, sans que par violence ou autre mani�re que ce soit, on empesche chacun en particulier d'emporter ce peu qui se treuvera740 entre les soldats & compagnons de ces lieux.

Note 739: (retour)

L'original porte: �en eschange.�

Note 740: (retour)

Dans l'original, on lit: �sy peu que l'on en a qui est.�

Que l'on usera envers nous de traitement le plus favorable qu'il se pourra, sans que l'on fasse aucune violence � qui que ce soit, tant aux Religieux & autres de nos compagnons, qu'� ceux qui sont en ces lieux, � ceux qui ont est� pris, entre lesquels est mon beau-fr�re Boull�, qui estoit pour commander � tous ceux de la barque partie d'icy, pour aller treuver passage pour repasser en France 741.

Note 741: (retour)

Cet article, en particulier, para�t avoir �t� revu et corrig� par un autre que par Champlain; le voici comme il est dans l'original: �Que l'on uzera de traittement le plus favorable qui se pourra sans que l'on face de viollence � qui que ce soit comme religieux & autres de nos compagnons tant de ceus qui sont en ces lieus que ceus qui ont est� pris entre lesquels est mon beau fr�re boullay qui estoit pour commander � tous ceus qui de la barque qui estoit partie d'ycy pour aller trouver passage pour repasser en France.

Le vaisseau o� nous devrons passer, nous sera remis trois jours apr�s nostre arriv�e � Tadoussac entre les mains, & d'icy nous sera donn� une barque ou vaisseau742 pour charger nos commoditez, pour aller audit Tadoussac prendre possession du vaisseau que ledit sieur Guer nous donnera, pour repasser en France pr�s de cent personnes que nous sommes, tant ceux qui ont est� pris, comme ceux qui sont de present en ces lieux.

Note 742: (retour)

�Nous sera donn� barque ou vaisseau.�

Ce qu'estant accord� & sign� d'une part & d'autre par ledit sieur Guer qui est � Tadoussac G�n�ral de l'arm�e Angloise & son Conseil, nous mettrons le 242/1226fort, l'habitation, & maisons entre les mains dudit sieur Guer, ou autre qui aura pouvoir pour cet effect de luy. Sign�, Champlain, & du Pont743.

Note 743: (retour)

�Lepont� dans l'original.

Ces choses ainsi resolues furent envoy�es aux vaisseaux, o� estoient lesdits Louis & Thomas Guer, qui virent ce que nous demandions, & apr�s les avoir considerez ils se resolurent d'y faire response le plustost qu'ils pourroient, ce qu'ils firent comme il s'ensuit.

Articles accorder aux sieurs de Champlain du Pont.

Pour le fait de la Commission de sa Majest� de la grande Bretagne le Roy mon Maistre, je ne l'ay point icy, mais mon frere la fera voir quand ils feront � Tadoussac.

J'ay tout pouvoir de traiter avec monsieur de Champlain, comme je vous le feray voir.

Pour le fait de donner un vaisseau je ne le puis faire, mais vous vous pouvez asseurer du passage en Angleterre, & d'Angleterre en France, ce qui vous gardera de retomber entre les mains des Anglois, auquel danger pourriez tomber.

Et pour le fait des Sauvagesses, je ne le puis accorder pour raisons que je vous feray s�avoir si j'ay l'honneur de vous voir, que pour le fait de sortir armes & bagages, & peleteries, j'accorde que ces messieurs744 sortiront avec leurs armes, habits & peleteries � eux appartenans, & pour les soldats 243/1227leurs habits chacun avec une robe de castor sans autre chose, & pour le fait des Peres ils se contenteront de leurs robes & livres.

Note 744: (retour)

Suivant le t�moignage des copistes auxquels nous avons eu recours, il y a dans l'original: �que les Mres,� c'est-�-dire, �que les Maistres.�

Ce que nous promettons faire ratifier par mon fr�re G�n�ral pour la flotte pour sa Majest� de la grande Bretagne, sign� L. Kertk745, & plus bas Thomas Kertk, & plus bas est escrit.

Les susdits articles 746 accordez avec les sieurs de Champlain & du Pont 747, tant par les freres Louis & Thomas Kertk 748, je les accepte & ratifie, & promets qu'ils seront effectuez de point en point, fait � Tadoussac ce 19 d'Aoust, Stil neuf 1629. sign� David Kertk, avec un paraphe.

Note 745: (retour)

�Louis Kertk� La copie que nous avons de l'original ne porte point cette signature, mais seulement celle-ci: Tho. Kearke.

Note 746: (retour)

Dans l'original, on lit: �Les suditz six articles.� Et ce qui fait ici le troisi�me, y est d�sign� en deux articles s�par�s.

Note 747: (retour)

�Dupont grav�,� dans l'original.

Note 748: (retour)

L'original porte �Kearke.�

Ayant arrest� les articles ils nous r'envoyerent la chalouppe, nous priant de la despescher au plustost, pour s�avoir si nous accepterions leurs articles, � quoy nous advisasmes, nous estant assemblez pour resoudre ce que l'on pourroit faire en ces extremitez, & ne pouvant pas mieux, nous resolusmes de prendre la composition. Le lendemain 20 dudit mois ils firent approcher leurs trois vaisseaux, s�avoir le Flibot de pr�s de cent tonneaux avec dix canons, & deux pataches du port de quarante tonneaux, chacune six canons, & quelques cent cinquante hommes, ayant mouillez l'ancre devant Qu�bec, je fus treuver le Capitaine Louys, pour s�avoir ce qui l'avoit empesch� de ne me permettre 244/1228d'emmener mes deux petites filles Sauvagesses que j'avois depuis deux ans, ausquelles j'avois enseign� tout ce qui estoit de leur cr�ance, & apris � travailler � l'aiguille, tant en linge qu'en tapisserie, en quoy elles travaillent fort proprement, estant au reste fort civilis�es & port�es d'un desir extresme de venir en France. Je fis tant avec ledit Capitaine Louis que je le relevay des doutes qu'il avoit, me permettant les emmener, ce que s�achant ces filles ils turent fort resjouies.

Je demanday des soldats audit Louis Quer pour empescher que l'on ne ravageast rien en la Chapelle ny chez les Reverends P�res Jesuites, Recollets ny la maison de la veufve Heber & son gendre, ce qu'il fit, comme en quelques autres lieux o� il en estoit de besoin, puis il fait descendre � terre environ 150. hommes armez, va prendre possession de l'habitation o� estant demanda les clefs au Sous-commis Corneille, & � Olivier qui traittoit avec les Sauvages comme exp�riment� aux langues des Montagnais & Algommequins, comme de celle des Hurons, comme fort propre � cela. Il s'acquitta de sa charge en homme de bien, car ledit du Pont, principal Commis, estoit au lict malade des gouttes, & ne pouvoit agir. Louys Quer ayant ces clefs les donne � un Fran�ois appell� le Baillif natif d'Amiens qu'il avoit pris pour Commis, s'estant volontairement donn� aux Anglois pour les servir & ayder � nous ruiner, comme perfide � son Roy & � sa patrie, avec trois autres que j'avois autrefois men� en nos voyages, il y avoit plus de quinze � seize' ans, entre autres l'un appelle Estienne Brusl�, de 245/1229Champigny, truchement des Hurons, le second Nicolas Marsolet de Rouen, truchement des Montaignais, le troisiesme de Paris, appell� Pierre Raye, Charon de son mestier, l'un des plus perfides traistres & meschants qui fust en la bande. Ledit Baillif estoit venu autrefois en ces lieux avec ledit de Ca�n, qui l'avoit fait un de ses Commis, l'ayant chass� pour estre grandement vicieux. Cestuy-cy entre au magasin, se saisit de tout ce qui estoit dedans, & de trois mille cinq cens � quatre mille castors, qui appartenoient au sieur de Caen, comme de toutes les autres commoditez qui estoient en l'habitation pour servir � icelle.

Louys Quer s'achemine au fort pour en prendre possession, voulant desloger de mon logis, jamais il ne le voulut permettre que je m'en allasse tout � fait hors de Qu�bec, me rendant toutes les sortes de courtoisies qu'il pouvoit s'imaginer. Je luy demanday permission de faire c�l�brer la saincte Messe, ce qu'il accorda � nos Peres: Je le priay aussi de me donner un certificat de tout ce qui estoit tant au fort qu'� l'habitation, ce qu'il m'accorda avec toute sorte d'affection ainsi qu'il s'ensuit.

J'ay Louys Kertk commandant de present au Fort de Qu�bec en la Nouvelle France pour le Roy de la Grande Bretagne, mon Seigneur & Maistre, certifie � tous ceux qu'il appartiendra, que j'ay trouv� tant au Fort qu'� l'habitation ce qui s'ensuit, 4 espoirs de fonte verte & une moyenne avec leurs boettes, 2. breteuls de fer, de 800 livres chacun, 7 pierriers avec leur boiste double, 45 balles de fer pour les espoirs, & 6 balles pour lesdits breteuls, 40 livres de pouldre � canon, 30 livres de meche, 14 mousquets, un mousquet � Croc, 2 grandes arquebuses � rouet de 6 � 7 pieds, 2 autres � meche de mesme longueur, 10 hallebardes, 12 piques, 5 � 6 milliers de plomb, 50 corcelets sans brasarts, avec leurs bourguinotes, 2 armes de 246/1230gensdarmes � l'espreuve du pistolet, deux petarts de fonte verte, une vieille tente de guerre & plusieurs ustancilles de mesnage & outils des ouvriers qui estoient en cedit lieu de Qu�bec, ou commandait le sieur de Champlain en l'absence de Monsieur le Cardinal de Richelieu pour le service du Roy de France & de Navarre. Faict au Fort de Qu�bec ce 21 de Juillet 1629. sign� Louys Kertk 749.

Note 749: (retour)

On peut comparer � ce certificat de Louis Kertk une pi�ce qui a pour titre Declaration du Sr Champlain soubs serment des armes, munitions & autres utensiles laiss�es au fort de Kebeck lors de la rendition, qui doyvent selon le Traict� estre restitu�es (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI). Les deux documents sont d'accord pour le fond; seulement Champlain donne le d�tail des outils et ustensiles: �Deux grands pieds fourchus de fonte pesant 80 lbs. une forge de Mareschal avec les appartenances. Toutes sortes de provisions pour la Cuisine. Tous Outils pour un Charpentier. Tous outils de fer propres pour un moulin � vent. Un moulin � bras pour moudre le bled, & une Cloche de fonte.�

Ils se saisirent aussi de plusieurs commoditez appartenant aux Reverends Peres Jesuites & Recollets desquelles choses ne voulurent donner de m�moire, disant, s'il faut rendre (ce que je ne croy pas) il ne perdra rien, cela ne vaut pas la peine de l'escrire ny en faire recherche. Pour les vivres que nous trouvons il ne s'en gastera ny encre ny papier, dont nous n'en tommes pas faschez, vous aymant mieux assister des nostres. Nous vous en remercions bien fort, luy dis-je, il n'y a sinon que vous les faites payer bien ch�rement sans pouvoir avoir moyen de les disputer.

Le l'endemain750 il fit planter l'enseigne Angloise sur un des bastions, fist battre la quesse, assembler ses soldats, qu'il met en ordre sur les ramparts, faisant tirer le canon des vaisseaux, & quelques 5 espoirs de fonte qui estoient au fort, & deux petits breteuls qui estoient � l'habitation, & quelques boites de fer, apr�s il fit jouer toute l'escoupeterie 247/1231de ses soldats, le tout en signe de resjouyssance.

Note 750: (retour)

Le 22 de juillet, qui �tait un dimanche. �Le dimanche matin, dit Sagard, les Anglois poserent les armes d'Angleterre � l'habitation & au fort avec le plus de solemnit� qui leur fut possible, ayans au pr�alable ost� celles de France.� (Hist. du Canada, p. 997.)

Le jour suivant il fut � la maison des Peres Jesuites, lesquels luy monstrerent des livres & tableaux & quelques ornements d'Eglise, en luy offrant s'il vouloit quelques-uns de ces livres & tableaux. Il en prit ce qu'il voulut de ceux qui luy semblerent les plus beaux, comme trois � quatre tableaux, le Ministre Anglois eut aussi quelques livres qu'il demanda aux Peres, apr�s veu la maison & tout le desert qui estoit fort beau, il fut veoir les P�res Recollets, de l� s'en retourna � l'habitation.

La nuict ensuivant ledit Baillif prit audit Sous-Commis Corneille cent livres en or & argent, avec une tasse d'argent, quelque bas de soye & autres bagatelles qui estoient dans sa caisse, ayant est� aussi soub�onn� d'avoir pris dans la Chapelle un Calice d'argent dor� valant 100 livres & plus, de laquelle chose l'on fit plainte audit Louys Quer qui en fit quelque perquisition, mais nul n'avoua ce sacrilege detestable devant Dieu & les hommes. Ce Baillif accoustum� � renier & blasphemer le nom de Dieu � tout propos en disoit assez pour se rendre innocent: mais comme il est sans foy ny loy, bien qu'il se dite Catholique comme sont les trois autres, qui ne se soucioient de manger de la chair ny Vendredy ny Samedy pour penser favoriser les Anglois, qui au contraire les en blasmoient, & faisoient plusieurs autres choses licentieuses & blasmables, je luy remonstrois assez les deffauts & les reproches qu'un jour il recevroit, desquelles choses il ne se soucioit pas beaucoup, pour l'esperance qu'il avoit de jamais 248/1232ne retourner en France. Toutes les meschancetez qu'il pouvoit faire aux Fran�ois il leur faisoit: On recevoit toute sorte de courtoisie des Anglois, mais de ce malheureux tout mal. Je le laisseray pour ce qu'il vaut, attendant qu'un jour Dieu le chastie de ses jurements, blasphemes & impietez.

Depuis que les Anglois eurent pris possession de Qu�bec, les jours me sembloient des mois, ce qui me donna subject de prier ledit Louys Quer me permettre m'en aller � Tadoussac, o� j'attendrois le depart des vaisseaux, passant mon temps avec le G�n�ral qui y estoit, ce qu'il m'accorda, puis que ma volont� n'estoit de demeurer davantage. J'accommoday ledit Louys Quer de quelques commoditez d'emmeublement pour sa chambre qu'il me demanda: & pour le reste de mes commoditez, je les embarquay avec ledit Thomas Quer dans le Flibot avec mes deux petites Sauvagesses. Dupont demeura avec la pluspart de nos compagnons, comme firent aussi tous les Peres, attendant de s'en retourner au second voyage.

Lesdits Anglois s'estant ainsi saisis du pa�s, la veufve H�bert & son gendre ne pensant pas moins qu'� s'en retourner, se saisissant de leurs maisons & de leurs terres qui estoient ensemenc�es, ayant apparence d'une tr�s belle r�colte, comme aussi les terres desdits Peres, ce qu'ils ne firent, au contraire luy offrant toute assistance, que s'il vouloit demeurer en sa maison qu'il le pouvoit faire aussi librement comme il avoit fait avec les Fran�ois, luy permettant de faire cueillette de tous ses grains, en 249/1233disposant comme il adviseroit bon estre, que pour le surplus de ce qui luy resteroit de ses grains, qu'il le pourroit traiter avec les sauvages, & l'ann�e suivante au temps que les vaisseaux retourneroient s'il ne se treuvoit bien, il seroit en son option de demeurer ou s'en retourner, luy faisant valloir chaque castor marchand, quatre livres, qui luy seroient livr�s � Londre. Tout cecy luy estoit grand advantage & plus qu'il ne pouvoit esperer: mais comme Louis Quer estoit courtois, tenant tousjours du naturel Fran�ois, & d'aymer la nation, bien que fils d'un Escossois751 qui s'estoit mari� � Dieppe, il desiroit obliger en tant qu'il pouvoit ces familles & autres Fran�ois � demeurer, aymant mieux leur conversation & entretien que celle des Anglois, � laquelle son humeur monstroit r�pugner.

Note 751: (retour)

Gervais Kertk. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, n. 15.—Voir Pi�ces justificatives, n. XVIII.)

Ces pauvres familles voyant la condition qu'on leur offroit de s'en retourner en France, apr�s avoir employ� quinze � seize ans de leur travail, pour tascher � s'oster de l'incommodit� & necessit� qu'ils souffriroient sans doute en France, & estans chargez de femmes & enfans752, ils se verroient contrains de 250/1234mandier leur pain, chose � la v�rit� bien rude & considerable � ceux qui se mettront en leur place. Ainsi se trouvoient-ils bien empeschez de ce qu'ils devoient faire, d'autant qu'ils se voyoient privez de l'exercice de la Religion, n'y ayant plus de Prestres: ils m'en demanderent mon advis plus par bienseance � mon opinion, que pour volont� qu'ils eussent � suivre ce que je leur eusse conseill�, n�antmoins jugeant l'avantage que l'Anglois leur faisoit, & la libert� qu'il leur donnoit de s'en retourner en France, je pensay leur donner un conseil qui ne leur eust point est� ruineux, leur remonstrant que la chose la plus chatouilleuse & de grand poix estoit l'exercice de nostre Religion, qu'ils ne pouvoyent jamais esperer si les Anglois estoient tousjours en ces lieux, & par consequent priv� de la Confession & des Saincts Sacrements qui pouvoient mettre leurs �mes en repos pour un jamais, si ils leur estoient administrez, ce qu'ils ne pouvoient esperer si les Fran�ois ne reprenoient la possession de ces lieux, ce que je me promettois moyennant la gr�ce de Dieu, que pour cette ann�e si j'estois en leur place je ferois la cueillette de mes grains, & en traitter le plus qu'il me seroit possible avec les Sauvages, & 251/1235les vaisseaux Fran�ois revenant prendre possession, leur donner sa pelleterie & en tirer l'argent qu'il leur avoit promis, & leur abandonner vos terres, puis vous en revenir en leurs vaisseaux, car il faut avoir plus de soin de l'�me que du corps, & ayant de l'argent en France vous pourrez vous tirer hors des necessitez. Ils me remerci�rent du conseil que je leur donnay, qu'ils le suivroient, esperant n�antmoins nous revoir la prochaine ann�e avec l'aide de Dieu.

Note 752: (retour)

Que l'on rapproche ce que dit l'auteur en cet endroit, de ce qu'il rapporte ci-dessus, p. 174, 202, 204-6; que l'on veuille bien aussi se rappeler les observations que nous y avons faites sur les familles auxquelles Champlain fait allusion dans ces diff�rents passages, et l'on demeurera convaincu qu'il resta � Qu�bec avec les Anglais beaucoup plus de personnes que ne pr�tend l'auteur de l'Histoire de la Colonie fran�aise en Canada �Il ne resta, dit-il, d'autres fran�ais � Qu�bec, que la famille de la veuve H�bert et celle de Couillard son gendre, ainsi que deux individus que les Anglais ramen�rent en Europe l'ann�e suivante.� (Tome I, p. 249.) Le texte de Champlain aurait d� suffire � lui seul pour engager l'auteur dont nous parlons � ne point hasarder un pareil avanc�. Ici en particulier, il est fait mention de plusieurs familles �charg�es de femmes et enfants�; par cons�quent, outre celle de Couillard, il y en avait au moins une autre qui �tait pareillement charg�e d'enfants. Or ce n'�tait point celle de Madame H�bert. Donc la famille d'Abraham Martin �tait du nombre de celles auxquelles Champlain conseilla de rester avec les Anglais en attendant mieux. C'est ce que prouvent du reste plusieurs documents, entre autres les Registres de Notre-Dame de Qu�bec. Mais il y a plus: outre ces trois familles, qui renfermaient quinze personnes, il y en avait encore au moins deux autres. D'abord, Pierre Des Portes �tait � Qu�bec en 1629, puisque sa femme, Fran�oise Langlois, fut marraine de Louis Couillard le 18 mai de cette m�me ann�e; et il avait avec lui sa fille H�l�ne, qu'il maria quelques ann�es plus tard � Guillaume H�bert, et qui �tait n�e � Qu�bec (Traict de mariage de No�l Morin & d'H�l. Desportes, greffe de Piraube). Enfin, Nicolas Pivert, revenu en 1628 du cap Tourmente, avec sa femme Marguerite Le Sage et sa petite ni�ce (ci-dessus, p. 171, note 3), ne pouvaient pas �tre retourn�s en France, puisqu'il n'�tait point venu de vaisseaux. Ces cinq familles r�unies, sans compter les domestiques qu'elles pouvaient avoir, faisaient en tout vingt-et-une personnes. Il resta donc avec les Anglais au moins le quart de la population fran�aise, et encore faut-il remarquer que c'�tait la partie stable, et comme le germe f�cond des meilleure familles qui se soient d�velopp�es en Canada.



Combat des Fran�ois avec les Anglais. L'autheur est pris en combattant. On le fait parler au sieur Emery. Voyage des Fran�ois � Tadoussac. Le beau-frere de l'Autheur luy compte son voyage. Emery taschoit regaigner Qu�bec.

CHAPITRE IV.

Le 24 dudit mois753 nous levasmes les ancres & mismes � la voile, ce jour fusmes mouiller l'ancre au bord de l'Est Nordouest de l'isle d'Orl�ans, le l'endemain mismes sous voile & le travers de la Malle-baye, 25 lieues de Qu�bec l'on aperceut un vaisseau du cost� du Nort qui mettoit soubs voille, lequel taschoit d'aller vers l'eau pour gaigner le vent & faire retraitte s'il pouvoit, il fut trouv� appartenir audit sieur de Ca�n, o� son cousin754 Emery commandoit, qui venoit � Qu�bec pour prendre les castors qui y estoient, & traiter quelque marchandise qu'il avoit, & autres commoditez 252/1236� luy appartenant, d'autant que l'Anglois s�avoit qu'il estoit en la riviere, comme il sera dit cy-apr�s.

Note 753: (retour)

Le 24 juillet.

Note 754: (retour)

Plus haut, p. 10 et 83, il est appel� son neveu.

Ledit Thomas commanda d'approcher le plus pr�s que l'on pourroit du vaisseau dudit Emery pour le saluer de quelques canonades755 qui luy furent aussi tost respondus par autres coups de meilleure amonition, s'entretirent quelque temps environ 30 coups, l'un qui fut tir� du vaisseau dudit Emery emporta la teste d'un des bons mariniers dudit Thomas Quer, Emery fist quelque bord�es pour tascher de gaigner le vent pour se sauver, mais Thomas desirant en venir aux mains & l'aborder, Thomas me dist; Monsieur vous s�avez l'ordre de la mer, qui ne permet � ceux d'un contraire party estre libre sur le Tillac, c'est pourquoy vous ne treuverez estrange que vous & vos compagnons descendiez sous le Tillac, o� estant fist fermer les paneaux & les clouer sur nous, faisant mettre ses matelots & soldats en ordre pour combattre � l'abordage qui fut faite assez mal � propos, entre le mas de Van 756 & le beau Pr� dudit vaisseau d'Emery, lequel de ton cost� faisoit son devoir de se tenir prest pour fe deffendre � l'abordage: chacun fait ce qu'il peut pour vaincre & terracer son ennemy: ce fut alors qu'on vint aux coups de pierre & balles de canon, & autres choses qu'ils pouvoient attrapper se jettant d'un bord � l'autre, car les uns ny les autres ne 253/1237pouvoient entrer dedans leurs vaisseaux que par le beaupr� du vaisseau du dit Thomas Quer, � cause que le vaisseau (comme j'ay dit) avoit abord� debout, & une pate de l'ancre de celuy de Thomas Quer s'estoit attach�e & cramponn�e au vaisseau d'Emery, ensorte qu'ils ne se pouvoient desaborder: & un homme arm� d'un bord � autre pouvoit facillement empescher d'entrer: ce pendant que les gens de Thomas Quer estoient ainsi mal menez, une partie se jetta au fond du vaisseau que ledit Capitaine faisoit monter � coups de plat d'esp�e, mais c'est une mauvaise chose quand la peur saisit les courages, le Chef mesme ne s�avoit pas bien o� il en estoit, car peu l'accompagnoient au combat, il y eust quelque rumeur en ce combat dans le vaisseau d'Emery de Caen, qui par un courage lasche cria assez hautement Cartier, Cartier, ce qui fut entendu par Thomas Quer, qui aussi tost ne voulut perdre temps, & releva cette parolle, leur promettant toute courtoisie, autant dit il, qu'au sieur de Champlain que nous avons icy, & prenez garde de conserver vos vies. Pendant tout ce combat les deux pataches approchoient qui eussent malmen� ledit Emery, qui ne pouvoit se desaborder, voyant l'inconvenient qu'il pouvoit encourir, ayant des gens en son bord qui n'avoient envie de bien faire, il demanda � me voir: pendant ce temps le combat cessa d'une part & d'autre, & vint on aussi tost avec une pinse � ouvrir les paneaux, l'on m'enleve promptement pour aller parler audit Emery de Caen: ledit Thomas Quer qui � son visage & 254/1238contenance tesmoignoit n'estre pas bien en seuret� de sa personne, & disoit, Asseurez vous (me dit il) que si l'on tire du vaisseau que vous mourrez, dites leur qu'ils se rendent, je leur feray pareil traitement qu'� vostre personne, autrement ils ne peuvent �viter leurs ruyne, si les deux pataches arrivent plustost que la composition soit faite: Je luy dis, Monsieur de me faire mourir en l'estat que je fuis, il vous seroit tr�s facile estant en vostre puissance, vous n'y auriez pas d'honneur, en d�rogeant � ce que m'avez promis, & vostre fr�re le Capitaine Louys Quer aussi, de plus je ne puis commander � ces personnes l�, & ne peux empescher qu'ils ne fassent leur devoir, en se maintenant & d�fendant comme gens de bien, vous les devez louer plustost que les blasmer, vous s�avez qui a un prisonnier l'on luy fait dire ce que l'on veut, & par consequent ledit Emery ne doit s'arrester � ce que je luy pourrois persuader: Je vous prie donc, dit-il, de les asseurer dire aux qu'ils auront toute sorte de bon traitement s'ils se veulent rendre, ce que je fis, parlant audit Emery de Caen qui estoit sur le bord de son vaisseau, lequel demanda de rechef parole dudit Thomas Quer, qui promet leur faire la mesme composition qu'il m'avoit faite: Ils mettent les armes bas, les deux pataches arrivent aussi tost, ausquelles ledit Thomas Quer fait defences d'offencer les nostres, qui sans doute les eussent ruynez, & sans icelles le vaisseau Anglois eust est� enlev�: ledit Emery ayant l'advantage, se rendant maistre du vaisseau Anglois avec le sien, moy & autres Fran�ois qui estoyent dedans, les Anglois eussent apport� du renfort, & 255/1239 desmeslant les vaisseaux du grapin qui y tenoit, l'on eust peu prendre leurs deux pataches. L'accord fait tant d'un cost� que d'autre, Lepinay757 Lieutenant dudit Emery de Caen, entra dans le vaisseau, & apr�s ledit Emery, qui vinrent faire la reverence � Thomas Quer, ledit de Caen me dit, qu'il venoit pour me secourir, que son cousin758 de Caen luy avoit donn� lettre pour m'apporter, par laquelle il mandoit qu'il m'envoyoit des vivres pour trois mois, attendant plus grand secours du sieur Chevallier de Rasilly qui devoit arriver en bref, neantmoins il croyoit que la paix estoit faite entre la France & l'Angleterre.

Note 755: (retour)

Ce r�cit de Champlain, qui �tait t�moin oculaire peut servir � rectifier la d�position que fit, devant le juge Henry Martin, le g�n�ral David Kertk (Pi�ces justificatives, n. XVIII), Ce dernier �tait � Tadoussac pendant que le combat se livrait, vers la Malbaie, entre son fr�re Thomas et le sieur �meric de Caen.

Note 756: (retour)

M�t d'avant ou de misaine.

Note 757: (retour)

Jacques Cognard (ou Couillard), sieur de l'Espinay. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI.)

Note 758: (retour)

Conf. ci-dessus, p. 10, 83 et 247.

L'ex�cution faite, nous nous en allasmes � la rade � Tadoussac treuver le G�n�ral Kertk, o� ledit Emery auparavant avoit pens� aller, perdre 759 par une disgrace qui luy survint le travers de Tadoussac, comme il sera dit en son lieu, estans arrivez � la rade du moulin Baud�, o� estoient encore les Anglois, ledit G�n�ral nous fit bonne r�ception, bien aise de ceste prise: aussi y vismes nous ce bon traistre & rebelle Jacques Michel, qui avoit conduit les Anglois d�s la premi�re & seconde fois: il estoit Contre-Admiral de cette flotte, compos�e de cinq grands vaisseaux de trois � quatre cens tonneaux, tres bien amunitionnez de canons, poudres, balles, & artifices � feu: � la v�rit�, hors les Officiers, le reste n'estoit pas grande chose, il y avoit en chacun pr�s de six vingts hommes, aussi j'y vis mon beau-frere 256/1240Boul�, qui avoit est� pris depuis qu'il estoit party de Qu�bec, lequel me fit le discours de ce qui se passa en son voyage depuis son d�partement, qui fut tel qui s'ensuit.

Note 759: (retour)

S'aller perdre.

Il me dit que partant de Qu�bec avec les incommoditez qu'ils avoient receues allant � Gaspey, ils rencontr�rent Emery, estant fort resjouis d'une si heureuse rencontre, il leur donna de quoy se rafraischir luy ayant dit que son cousin de Caen l'envoyoit tant pour qu�rir les castors, qu'autres commoditez s'il en restoit & apporter au Fort des vivres pour trois mois, attendant le secours de Monsieur de Rasilly qui estoit prest � faire voile, quand il partit de la Rochelle, & que sans l'arrest que Joubert luy fit de la part de la compagnie, il eust arriv� un mois plustost � Qu�bec, & n'avoit peu faire autrement pour le mauvais temps qui l'avoit contrari� � la mer, qui le contraignit relascher � la Rochelle, pour faire quelque radoub en son vaisseau qui estoit du port de 70 tonneaux: croyant que la paix esstoit faite entre l'Angleterre & la France, d'autant qu'il avoit veu quelque lettres entre les mains de monsieur de la Tuillerie � la Rochelle, o� on l'asseuroit d'icelle, mesme que l'on ne donnoit plus de cong� pour faire la guerre � l'Anglois: joint aussi que le Capitaine Daniel venoit en la Compagnie du sieur Chevallier de Rasilly, Joubert devoit venir devant & quelques deux autres barques, l'une appartenant aux Peres Jesuites, ou estoient les Reverends PP. Allemand & Noyrot760, qui venoient pour secourir leurs Peres � Qu�bec, 257/1241croyant que ces vaisseaux pourroient estre dans la riviere, s'ils avoient vent favorable, ledit Emery de Caen demanda s'il ne s�avoit point qu'il y fut entr� des vaisseaux dans la riviere, il luy dit que non, ce qui donna courage audit Emery, pensant arriver des premiers � Qu�bec, pour emporter promptement ses peleteries, & traiter quelque peu de marchandises & vivres qu'il avoit, premier que ledit Daniel & Joubert arrivassent, il prit les cinq cens castors qui estoient en la barque qu'il mit en la sienne.

Note 760: (retour)

Les PP. Charles Lalemant et Philibert Noirot.

Apr�s tous ces discours passez, & que je luy eu represent� la necessit� en laquelle nous avions est� laissez, il se d�lib�re de monter au plustost: moy fort resjouy desirant estre des premiers � vous donner ce bon advis de ce secours si favorable en une telle necessit�, je dis audit Emery qu'il estoit � propos que j'allasse devant avec la chalouppe, pour afin que s'il y avoit du calme, au moins qu'il nous donneroit ce contentement que de nous apporter les nouvelles, que pour cet effect il luy demanda de changer son esquippage de matelots pour faire diligence, d'autant que les siens estoient foibles & d�biles, qu'ils ne pourroient nager comme les tiens qui estoient frais, & aussi donner quelque baril de poudre pour nous secourir, ce qu'il refusa, disant, qu'il ne desiroit se defaire de ses hommes ny de sa poudre, leur donnant seulement un peu de biscuit: que pour la petite barque o� il estoit all�, il l'avoit laiss�e � gouverner & commander � Desdames, lequel devoit suivre ledit Emery de Caen: Je partis tout ainsi, avec la chalouppe & mes matelots harassez 258/1242 de necessit� & travail: le desir que nous avions de vous donner des nouvelles, nous donnoit de tant plus de courage. Au bout de quatre ou cinq jours apr�s avoir quitt� ledit Emery, nous apperceusmes quelque vaisseau vers l'eau, desirant l'aller recognoistre, pensant que ce fut celuy dudit Daniel, selon que l'on nous l'avoit represent�, mais comme nous eusmes recogneu que ce n'estoit point luy, ains un vaisseau Anglois, nous resolusmes de gagner la terre, pour nous sauver, le vaisseau Anglois (o� estoit ledit Thomas Quer) appercevant que nous faisions retraite nous tire un coup de canon, & aussi tost esquippe une autre chalouppe avec double esquippage, pour lasser les nostres qui faisoient ce qu'ils pouvoient pour se sauver: en ceste occasion l'esquippage frais dudit Emery eust peu servir, nos matelots n'en pouvant plus, pour estre foibles & d�biles du travail: nous fusmes attaints par les Anglois qui nous pill�rent & ravagerent tout ce que nous avions, on nous emmene audit Thomas Quer qui nous re�oit assez courtoisement, il me mena � son fr�re le G�n�ral, qui me fait tr�s bonne r�ception & nous mena � Tadoussac avec luy, le luy fis entendre comme ledit Emery de Caen luy avoit761 dit asseurement que la paix estoit faite, l'ayant sceu de personnes dignes de foy au partir de la Rochelle. A il les articles, me dit le g�n�ral, Non, Ce sont contes faits � plaisir, il s'informe de l'estat auquel vous estiez � Qu�bec, je luy en disois bien plus qu'il n'y en avoit ce qu'ils pouvoient croire, mais quelques matelots pris luy disoient que 259/1243vous estiez bien mal si n'aviez du secours, les Sauvages qui croyoient qu'� ce changement tout leur seroit donn� de la part des Anglois, luy dirent le miserable estat auquel vous estiez r�duits. Nous arrivons au moulin Baud� o� ils mouillent l'ancre, & aussi tost ils arment le Flibot & deux pataches, pour promptement faire monter � Qu�bec, ils avoient avec eux des hommes Anglois, qui avoient est� l'ann�e pr�c�dente au Cap de Tourmente quand il fut brusl�. Les Sauvages de Tadoussac s'offrant de les conduire, leur disant, qu'ils s�avoient mieux le chemin que les Fran�ois, � la verit� qu'ils ne mentent pas, car il n'y a endroits ny roches qu'ils ne cognoissent par exp�rience, que nous n'avons si exacte, neantmoins ils ne laisserent d'emmener de nos matelots, puisque la fortune leur avoit est� si favorable, leurs affaires ayant est� preveues d�s l'Angleterre par le Conseil, que ledit Jacques Michel leur avoit donn�, qui ne se pouvant asseurer avoir en leur puissance des matelots qui estoient en la chalouppe qui prirent par cas fortuit: mais l'occasion se presenta de laquelle ils se servirent, pour ayder � conduire leur Flibot & patache. C'est une disgression que je faits sur ce que aucuns ne pensent reparer leur faute, quand les choses ne r�ussissent � leur souhait, & faut tousjours qu'il y aye un si, ce qui n'estoit point en ceste affaire: sur ce qu'aucuns ont dit, que si l'Anglois n'eust pris la chalouppe il n'eust mont� � Qu�bec si promptement qu'ils firent: ce sont contes faits � plaisir � des personnes qui ne s�avent comme ceste affaire s'est pass�e, & ne s�avent comment 260/1244couvrir leur faute, sinon en blasmant autruy, chose de mauvaise gr�ce, car ils avoient emmen� le Flibot & les deux pataches, avec les hommes qui avoient est� audit Cap de Tourmente, comme j'ay dit cy dessus, � dessein qu'aussi tost arrivez au moulin Baud� de les faire monter � Qu�bec, craignant que si leur eust fallu monter des barques � Tadoussac, que pendant ce travail une moyenne barque eut pass� & donn� secours � l'habitation, leur dessein par ce moyen rompu: & quand mesme, comme dit est, qu'ils n'eurent eu que des Sauvages du pa�s pour pilotes, qui eussent aussi bien pilotez comme ils l'avoient fait d�s l'ann�e pass�e audit Cap de Tourmente, avec la plus grande barque que nous eussions � Tadoussac.

Note 761: (retour)

M'avoit.

Revenons audit Emery, lequel apr�s que Boull� fut party avec sa chalouppe, il leve l'ancre & met sous voiles pour gagner Qu�bec au plustost, sans s�avoir aucunes nouvelles de l'Anglois, celles que luy dirent lesdits Desdames & Foucher, qui estoient en la petite barque de Boull� qu'ils avoient veu un canau, o� il y avoit des Sauvages avec de la marchandise Angloise, qu'ils avoient traitez avec eux, c'est ce que dit ledit Desdames, que de cet advis ledit Emery n'en fait conte, neantmoins cela luy devoit faire penser & s'asseurer mieux qu'il ne fit, pour la consideration de son vaisseau, & ne tomber aux accidens comme il fit, car estant sur le travers de Leschemin762 il fut pris d'un temps de brune que l'on voyoit fort peu, il passa devant les Anglois, qui estoient � la Ralde du moullin Baud�, � la 261/1245port�e presque du canon, sans estre apperceus d'une part ny d'autre: pensant doubler la pointe aux allouettes, ils eschouent sur l'islet rouge763 comme le travers de Tadoussac o� se voyant pensant estre perdus ils font une piperie pour se sauver � terre, voicy que la brune s'abaisse o� ils virent les Anglois, font tirer quelques coups de canons, pour leur demander secours, & les aller sauver du naufrage o� ils pensoient se voir, ledit Jacques Michel dit au G�n�ral, envoyez secourir ce vaisseau qui s'en va perdre, ou pour le moins les hommes, ils tirent leur canon pour vous en advertir, vous en aurez bon march�, le G�n�ral n'en voulut rien faire, disant, il les faut laisser, & attendre un peu ils ne nous pourrons fuir, Ils sont bien despourveus de consideration de venir passer � nostre veue, ayant vaisseaux devant & derri�re eux: sans la brune il n'eut est� si avant, & ainsi le laissa l�, & donna grande faute audit Quer de n'y envoyer des chalouppes aussi tost qu'ils ouyrent tirer leur canon, & n'eurent perdu trois de leurs hommes, comme ils firent depuis en se battant avec ledit Emery, la mar�e commen�ant � monter sous le vaisseau fit que peu � peu il vint � flotter sans estre que fort peu endommag�, ils prennent courage & se r'enbarquent, lainent leur piperie, se mettent vers l'eau, vont mouiller l'ancre au pr�s du Chafaut au Basque, deux lieues de Tadoussac, o� ils furent quelque temps: ils virent une chalouppe Angloise qui venoit de Qu�bec, & alloit treuver le G�n�ral pour luy porter nouvelle de la prise du fort, sur laquelle 262/1246ledit Emery fit tirer un coup de canon: voulant mouiller l'ancre le pert764 met � la voile, & va mouiller proche de la Malle baye, o� il vint quelques canaux de Sauvages qui luy dirent que Qu�bec estoit rendu, ce qu'il ne voulust croire, & pour ce sujet envoya un canau de Sauvages avec deux Fran�ois pour en s�avoir la v�rit�, (qui n'estoit que trop vray,) qu'ils eussent � faire le plus de diligence qu'ils pourroient, ils leur falloit faire vingt lieues, & autant pour le retour, c'estoit perdre un grand temps, ayant peu �viter la prise des Anglois. Ces deux hommes promirent faire ce qu'ils pourroient, l'un appell� le Cocq Charpentier, & l'autre Froidemouche, qui avoient est� en la barque de Boull�: ces deux personnages estoient ignorans & mal propres � telles affaires, veu que les plus discrets n'y sont pas trop bons. Ces deux advanturiers se mettent en chemin, vont au Cap de Tourmente, s'amusent � chasser (c'estoit bien le temps) la nuict arrivez � Qu�bec ils ne voyoient point les vaisseaux Anglois, qui estoient desja partis pour retourner � Tadoussac, ils s'approchent des cabanes des sauvages, qui leur dirent que les Anglois estoient au fort & � l'habitation: les vaisseaux partis, & qu'ils estoient dedans. Toutes ces nouvelles suffisoient pour s'en retourner promptement treuver ledit Emery, & quelque diligence qu'ils eussent fait, ils 263/1247eussent treuv� le vaisseau pris des Anglois, mais au contraire ils vont passer contre le fort, entendent les sentinelles de l'ennemy, ils ne se contentent de se retirer, ils vont � la maison de la veufve H�bert ou de son gendre, les voyant leur demandent ce qu'ils estoient venu faire. Nous venons, dirent ils de la part du sieur Emery voir si l'habitation estoit prise: h�las, leur dirent ils, que vous estes simples & peu advisez, ne le voyez vous pas bien, falloit il venir icy pour vous faire prendre, que dira-on, s�achant par les Sauvages que vous estes venus icy, & que je ne le dise, il y va de ma vie & de toute la ruyne de ma famille, il faut que par necessit� si je me veux conserver, je dise que vous estes venus pour voir si le sieur de Champlain estoit icy, & comme tout alloit: allons treuver le Capitaine Louis, il est galand homme, il ne vous fera point de tort, ce qu'ils firent, lequel leur usa de quelques paroles & menaces fascheuses, les retenans pour les faire travailler.

Note 762: (retour)

L'Escoumin, ou les Escoumins.

Note 763: (retour)

L'�le Rouge.

Note 764: (retour)

Le texte est ici conforme � celui de l'�dition originale. Il para�t bien �vident que l'imprimeur n'a pas compris le manuscrit de l'auteur. Voici la version qui nous para�t la plus vraisemblable: �Voulant mouiller l'ancre autre part, met � la voile & va mouiller proche de la Malle baye.� Le mot autre �tait peut-�tre en abr�viation dans la copie. Nous ne croyons pas qu'on puisse trouver � ce passage un autre sens plus raisonnable. �meric de Caen �tait d�j� mouill� aupr�s du Chafaut au Basque; mais il ne pouvait rester l� � la vue de l'ennemi, surtout apr�s avoir ainsi salu� la chaloupe anglaise: il fallait donc aller mouiller ailleurs.

Cependant la petite barque o� estoit Desdames suivoit ledit Emery de Ca�n, mais ils s'arresterent � une petite riviere pour prendre de l'eau, o� ils furent deux jours � cause du mauvais temps. Sortant de l� ils furent jusques au Bic, quinze lieues de Tadoussac, s�achant au vray par les Sauvages la prise de Qu�bec, & que ledit de Caen ne pouvoit �viter qu'il ne fust pris pour s'estre trop hasard�, ils ne furent point incr�dules, ils se d�lib�r�rent de s'en retourner chercher passage le long des costes, o� estant vers Gaspey rencontr�rent Joubert avec sa barque qui nous venoit secourir, mais trop tard, 264/1248& leur dist, qu'il avoit est� poursuivy des Anglois proche de Miscou, il leur dist aussi que le Capitaine Daniel estoit party pour mesme effect, & une autre barque pour les Peres Jesuites, o� estoient les Reverends P�res l'Alleman & Norot.

Il s'embarque avec ledit Joubert, & s'en retourne en France sans faire plus grands progrez, sinon que s'aller perdre � la coste de Bretagne pr�s Benodet proche de Quinpercorentin, qui pensant au commencement que ce fussent quelques pirates, furent d�tenus jusques � ce qu'ils sceurent la v�rit�, & l� ledit Joubert despendit plus qu'il n'avoit sauv� de son naufrage.

Voicy un defaut en ce voyage, de ne partir suivant l'ordre qui avoit est� donn� par les sieurs Directeurs de Paris, de partir de droitte route de Dieppe pour la Nouvelle France. Au lieu de ce faire, les vaisseaux vont attendre le sieur Chevalier de Rasilly, & ainsi laisserent perdre la saison, que s'ils fussent partis au 15 ou � la fin de Mars, & que ledit Capitaine Daniel partant de bonne heure, comme dit est, il fust arriv� � Qu�bec le 20 ou � la fin de May pour le plus tard, pr�s de deux mois premier que les Anglois, en nous secourant ils eussent jouy des traites, ce qui ne fut effectu� pour le retardement.

Les Directeurs de Bordeaux manqu�rent aussi, & empescherent les pataches de partir si promptement qu'elles eussent peu faire, & ledit sieur Chevalier de Rasilly n'eust laisse d'aller combattre les Anglois, que si cela eust est�, l'ennemy eust est� vaincu, & l'habitation recouverte. Mais le traitt� 265/1249de paix qui se fist entre le Roy de France & le Roy d'Angleterre empescha d'effectuer la commission qu'il avoit, qui fut chang�e pour le voyage de Maroc o� il fut, qui ne servit pas beaucoup, & par ainsi ceste Soci�t� receut de grandes pertes en la despense qu'ils firent encore ceste ann�e, pensant que les vaisseaux du Roy devoient faire le voyage, sur les nouvelles certaines que l'on avoit que les Anglois estoient partis de Londres pour aller prendre Qu�bec. Voyl� les effects de ces voyages, autant malheureux que mal entrepris.

Retournons � ce que nous fismes estant au moulin Baud�, dans les vaisseaux de Quer, deux ou trois jours apr�s nostre arriv�e, qui fut environ le premier d'Aoust, nous entrasmes dans le port de Tadoussac, o� aussitost le G�n�ral fit charger le Flibot pour faire porter ce qui estoit de commoditez � Qu�bec, fit monter 765 une barque � Tadoussac de quelques 25 tonneaux qu'il avoit port�e en fagots, o� je vy Estienne Brusl� truchement des Hurons, qui s'estoient mis au service de l'Anglois, & Marsolet, ausquels je fis une remonstrance touchant leur infid�lit�, tant envers le Roy qu'� leur patrie, ils me dirent qu'ils avoient est� pris par force, c'est ce qui n'est pas croyable, car en ces choses prendre un homme par force ce seroit plustost esperer deservice qu'une fid�lit�, leur disant, Vous dites qu'il vous ont donn� � chacun cent pistoles & quelque pratique, & leur ayant ainsi promis toute fid�lit� vous demeurez sans religion, 266/1250mangeant chair Vendredy & Samedy, vous licentiant en des desbauches & libertinages desordonn�es, souvenez-vous que Dieu vous punira si vous ne vous amendez, il n'y a parent ny amy qui ne vous dise le mesme, ce sont ceux qui accourront plustost � faire faire vostre procez: que si vous s�aviez que ce que vous faites est desagreable � Dieu & au monde, vous auriez horreur de vous mesme, encore vous qui avez est� eslevez petits gar�ons766 en ces lieux, vendant maintenant ceux qui vous ont mis le pain � la main: pensez vous estre prisez de cette nation? non, asseurez vous, car ils ne s'en servent que pour la necessit�, en veillant tousjours sur vos actions, s�achant que quand un autre vous offrira plus d'argent qu'ils ne font, vous les vendriez encore plustost que vostre nation, & ayant cognoissance du pa�s ils vous chasseront, car on se sert des perfides pour un temps, vous perdez vostre honneur, on vous monstrera au doigt de toutes parts, en quelque lieu que vous soyez: disant, Voil� ceux qui ont trahy leur Roy & vendu leur patrie, & vaudroit mieux pour vous mourir que vivre de la fa�on au monde, car quelque chose qui arrive vous aurez tousjours yn ver qui vous rongera la conscience, & en suitte plusieurs autres discours � 267/1251ce sujet: Ils me disoient, Nous s�avons tr�s bien que si l'on nous tenoit en France qu'on nous pendroit, nous sommes bien faschez de cela, mais la chose est faite, il faut boire le calice puisque nous y tommes, & nous resoudre de jamais ne retourner en France: l'on ne laissera pas de vivre, � pauvres excusez, que si on vous attrappe vous qui estes sujets � voyager, vous courez fortune d'estre pris & chastiez.

Note 765: (retour)

C'est-�-dire, assembler les pi�ces d'une barque qu'il avait apport�e en fagots, ou d�mont�e.

Note 766: (retour)

S'il fallait prendre cette expression � la lettre, Marsolet et Br�l� seraient venus en Canada d�s 1603; puisque, d'apr�s les Registres de N.-D. de Qu�bec, Marsolet, en 1603, �tait d�j� �g� de seize ans; et �tienne Br�l� para�t avoir �t� � peu pr�s du m�me �ge. Mais il semble qu'il faut tenir compte de l'indignation que soulevait dans l'esprit de l'auteur la mauvaise conduite de ces deux interpr�tes; surtout si l'on se rappelle ce qu'il dit ci-dessus, p. 244-5; qu'ils �taient venus avec lui il y avait plus de quinze � seize ans, c'est-�-dire, quelques ann�es avant 1613. En prenant un moyen terme entre ces deux donn�es, qui ne sont �videmment qu'approximatives, on peut affirmer avec assez de vraisemblance, que Marsolet et Br�l� �taient d�j� employ�s, d�s l'�ge de 18 � 20 ans, dans les voyages de traite et de d�couverte � l'�poque de la fondation de Qu�bec, c'est-�-dire, vers 1608.

Je vis Louis le Sauvage767 que les peres jesuistes avoient tant pris de peine � instruire, & qui commen�oit � ce licentier en la vie des Anglois, bien qu'il disoit avoir une grande obligation ausdits Peres de ce qu'il s�avoit, estant en son coeur bon Catholique, & qu'un jour il esperoit le tesmoigner aux Fran�ois si jamais ils revenoient en ces lieux: les Anglois le r'envoyerent en son pa�s avec son p�re qui le vint voir, & ceux de sa nation qui en furent fort resjouis, ausquels il fit de grands discours de ce qu'il avoit veu tant en France qu'en Angleterre, Brusl� truchement fut avec luy aux Hurons.

Note 767: (retour)

Louis Amantacha, surnomm� de Sainte-Foi, qu'il ne faut pas confondre avec celui dont il est fait mention ci-dessus, p. 137. Ce dernier, qui �tait fils de Choumin, �tait montagnais, et avait �t� instruit par les P�res R�collets; tandis que celui dont parle ici l'auteur �tait huron, et avait �t�, comme le remarque Champlain, instruit par les P�res J�suites. Le jeune Amantacha fut envoy� en France d�s 1626. �Voicy un petit Huron, dit le P. Charles Lalemant (Relat. 1626, p. 9), qui s'en va vous voir. Il est passionn� de voir la France. Il nous affectionne grandement, & fait paroistre un grand desir d'estre instruict. Neantmoins le p�re & le capitaine veulent le revoir l'an prochain, nous asseurant que s'il en est content, il le nous donnera pour quelques ann�es.� Plus tard, en 1633, Amantacha descendit � Qu�bec, et vint voir les P�res J�suites. Le P. le Jeune l'invita � penser un peu � sa conscience; ce qu'il fit de fort bon coeur, et depuis il ne cessa d'�tre l'un des meilleurs soutiens des missionnaires. (Relat. des J�s.)



268/1252

Voyage de Quer G�n�ral Anglois � Qu�bec. Ce qu'il dit au sieur de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de l'Autheur au G�n�ral Quer. Le G�n�ral refuse � l'Autheur d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites en la Foy.

CHAPITRE V.

Le G�n�ral Quer se delibere d'aller voir Qu�bec dans une chalouppe qu'il fait esquipper, & emmena Jacques Michel & quelques autres siens Capitaines de ses vaisseaux, & mon beau-fr�re: pendant son absence nous passasmes le temps le mieux qu'il nous fut possible, attendant son retour. Pour ce qui estoit des Sauvages les uns monstroient estre resjouis de ce changement, les autres non, selon la diversit� des humeurs qui croyent souvent que les choses nouvelles apportent plus grand bien, c'est o� maintes fois le monde se trompe: comme ces peuples pensoient recevoir plus de courtoisie de ces nouveaux Etrangers que de nous, ils treuverent en peu de temps toutes autres choses qui ne s'estoient imaginez, nous regrettans.

Le G�n�ral fut quelque dix � douze tours � son voyage, � son retour fut salu� de quelques canonades, me disant qu'il estoit content de ce qu'il avoit veu, que si cela leur demeuroit ils feroient bien d'autres fruicts que ce qu'on y avoit fait, tant aux peuplades qu'aux bastiments & commerces de ce qui se pourroit faire dans le pa�s, par le travail & induftrie de ceux que l'on y envoyeroit.

Quelques jours apr�s son arriv�e il festoya tous 269/1253ses Capitaines, pour cet effect il fit dresser une tante � terre environn�e de verdures, sur la fin du disner il me donna � lire une lettre qui luy avoit est� envoy�e de Qu�bec, escrite de Marsolet truchement, (mescognoissant des biens qu'il avoit receus des societez Fran�oises) ou il y avoit escrit ce qui s'ensuit.

Monsieur, depuis nostre arriv�e768 � Qu�bec un canau de Sauvage est descendu des trois rivieres, pour vous donner advis qu'un conseil s'est tenu de tous les Chefs & principaux du pa�s assemblez pour d�lib�rer, s�avoir si Monsieur de Champlain doit emmener en France les deux petites filles qu'il a, ils ont resolu que puisque les Fran�ois ne sont plus demeurans en ces lieux, de ne les laisser aller, & vous prient les retenir, & ne leur permettre qu'ils s'en retournent, d'autant que si vous ne l'empeschez le pays se perdra, & est � craindre qu'il n'arrive quelque accident de mort aux hommes qui demeurent en ces lieux, c'est pourquoy que s'il en arrive mal, je me descharge de ce que je dois, vous en ferez selon vostre volont�: mais si me croyez comme vostre serviteur, vous ne permettrez qu'elles passent plus outre, en les r'envoyant icy: c'est tout ce qui s'est pass� depuis vostre partement, j'esp�re m'en retourner � Tadoussac pour avoir l'honneur de prendre cong� de vous, comme 270/1254estant, Monsieur, Vostre humble & affectionn� serviteur Marsolet.

Note 768: (retour)

Ces mots donneraient � entendre que Marsolet n'�tait pas mont� � Qu�bec en m�me temps que le g�n�ral.

Ayant leu ceste lettre, je jugeay aussi tost que le galand avoit invent� ceste malice pour faire retenir ces filles, desquelles il vouloit abuser, comme l'on croyoit & autres mauvais Fran�ois semblables � luy, l'une de ces filles appell�e Esperance, avoit dit quelque jours auparavant, que Marsolet estant au vaisseau l'avoit sollicit�e de s'en aller avec luy, luy promettant plusieurs commoditez pour l'attirer, mais que jamais elle n'y avoit voulu condescendre, mesme qu'elle s'en estoit plainte � des sauvages qui luy avoient dit, S�ais tu pas bien qu'il ne vaut rien, & qu'il est en mauvaise r�putation avec tous les Sauvages pour estre un menteur, ne l'escoute point, tu es bien, Monsieur de Champlain vous ayme comme ses filles, aussi dirent elles, Nous luy portons de l'affection, ce que n'estant nous n'aurions desir de le suivre en France, qui fut le sujet que j'en parlay au G�n�ral.

�Monsieur vous me faites faveur, que vostre courtoisie s'estende � me montrer ceste lettre, que si l'affaire est ainsi qu'il l'escrit, j'aurois tort de vous faire une demande inciville, en vous demandant permission d'emmener ces filles que j'ayme comme si elles estoient miennes, vous me permettrez que je parle pour ces pauvres innocentes qui m'ont est� donn�es par les sauvages assemblez en Conseil, sans que je les aye demandez, mais au contraire comme forc� avec le consentement des filles & des parents, � telle condition 271/1255que j'en disposerois � ma volont�, pour les instruire en nostre Foy, comme si c'estoient mes enfans, ce que j'ay fait depuis deux ans le tout pour l'amour de Dieu, o� j'ay eu un grand soing � les entretenir de tout ce qui leur estoit neceaire, les desirant retirer des mains du Diable, o� elles retomberont si faut que les reteniez: je vous supplie que vostre charit� soit telle envers ces pauvres filles de ne les violenter, & souvenez vous que Dieu ne vous sera point ingrat si vous faites quelque chose pour luy, il a des recompenses grandes, tant pour le Ciel que pour la terre.

Au reste je s�ay tr�s asseur�ment que Marsolet a forg� en son esprit ce qu'il vous mande, n'ayant treuv� autre moyen pour perdre ces filles, & jouir de sa desordonn�e volont� s'il peut. Je s�ay asseurement que les Sauvages estant au Conseil des trois rivieres, il ne fut parl� aucunement de ces filles, ny de ce que Marsolet vous a escrit, mesme je s�ay que lors qu'estiez � Qu�bec vous vous informastes si les Sauvages n'estoient point faschez de ce qu'elles s'en alloient, que Gros Jean de Dieppe qui s'est donn� � vous, truchement des Algommequins, vous dit au contraire, qu'ils fussent faschez de ce que je les emmenois, qu'ils en estoient bien contents, que s'il y avoit du danger de les emmener allant dans le pays comme il alloit, il n'y eut pas est� pour beaucoup de choses, & Coullart vous dit aussi, Monsieur nous avons autant d'interest que personne, � cause de ma femme & de mes enfans, que s'il 272/1256y avoit quelque risque je vous le dirois librement, au contraire les Sauvages m'ont dit qu'ils en estoient bien aise, qu'elles estoient bien donn�es, tout cecy est un tesmoignage suffisant, auquel devez adjouster Foy, plus qu'� ce que vous mande Marsolet, qui veut abuser de ces filles, les ayant mesmes sollicit�es � s'en aller avec luy, qu'il leur donneroit des presens: l'ayant ainsi dit aux Sauvages, vous vous en pouvez informer s'il vous plaist.� Mais recognoissant que tant plus je luy en parlois, & plus il se roidissoit, je le laissay l� sans parler d'advantage, il se leve de table tout fasch� comme il sembloit, ce qui ne dura gueres: nous ne laissasmes de passer le temps attendant un jour plu propre � luy en parler, & rechercher les moyens pour l'inciter � penser � cela, j'employay � ma supplication ledit Jacques Michel & Thomas Quer son fr�re, qui luy en parl�rent, il demeura obstin�, ce que s�achant ces deux pauvres filles, furent si tristes & fasch�es qu'ils en perdoient le boire & le manger en pleurant am�rement, ce qui me donnoit de la compassion, en me disant, �Est il possible que ce mauvais Capitaine nous vueille empescher d'aller en France avec toy, que nous tenons comme nostre p�re, & duquel nous avons receu tant de biens faits, jusqu'� oster ce qui estoit pour ta vie, durant les necessitez pour nous le donner, & nous entretenir jusqu'� present d'habits: nous avons un tel desplaisir en nostre coeur que nous ne le pouvons dire, n'y auroit il point moyen de nous cacher dans le vaisseau, ou si nous pouvions te suivre avec un canau nous le ferions, 273/1257te priant de demander encore une fois � ce mauvais homme qu'il nous laisse aller avec toy, ou nous mourrons de desplaisir, plustost que de retourner avec nos Sauvages, & si tu ne peux obtenir que nous allions en France, au moins faits en sorte que nous demeurions avec la femme de Coullart, nous la servirons elle & tous ses enfans de tout nostre pouvoir en ton absence, attendant l'ann�e � venir, & s�achant de tes nouvelles aussi tost nous prendrons un canau pour t'aller treuver � Tadoussac,� ainsi me disoient leurs petits sentiments: Je leur fis faire � chacune un habit de quelques robes de chambre & manteau que j'avois, pour ne les envoyer mal accommod�es tant elles me faisoient de compassion.

Je faisois ce qu'il m'estoit possible pour sauver ces deux pauvres ames, je tasche de faire encore un effort, puisqu'il n'y avoit qu'� contenter les Sauvages par present, quand mesme il iroit de beaucoup, je fais dire par Thomas Quer � son fr�re le G�n�ral, qu'il y avoit un moyen de rendre les Sauvages satisfaits en leur faisant un present, & leur dire que puisqu'ils avoient donn� ces filles qu'ils d�notent tenir leurs paroles, voyant qu'ils ne le faisoient pas, qu'ils n'auroient sujet de se fier en eux, de ce qu'il leur pourroient dire, que neantmoins il leur faisoit un present de la valleur de Mil livres, en marchandises telles qu'ils voudroient, pour des castors qui estoient � son bord � moy appartenants, dont il m'avoit donn� sa promesse payable � Londres, que je la mettrois entre les mains de son fr�re, & seroit le present tel qu'il voudroit comme venant de sa 274/1258part, il me promit luy dire, comme il fit, mais le G�n�ral n'y voulut du tout entendre, ce que s�achant ce fut � moy de prendre patience. Un jour que je le vis en tr�s bonne humeur, & croyant que je pourrois tenter la fortune de luy parler encore une fois, ce que je fis: il me donne quelque esperance sur le retour de Marsolet.

Les vaisseaux revenans de Qu�bec j'appris que ce truchement venoit, je le faits advertir de ce que je desirois faire pour contenter les Sauvages, s�achant que c'estoit le moyen, & qu'en faisant des presents l'on pouvoit emmener ces filles: au contraire ce malheureux ennemy du progr�s de Dieu, faisant voir sa meschancet� � descouvert, dit que si on en parloit aux Sauvages qu'ils refuseroient ce present pour cet effect: disant audit Quer que ces filles avoient est� donn�es de la bonne volont�, sans esperance autre que de nostre amiti�, ainsi eust est� cognu pour menteur, d'avoir escrit au G�n�ral des choses � quoy ils n'avoient jamais pens� au lieu de pallier ceste affaire il luy dit769 que c'estoit mal fait � luy d'empescher ces filles d'estre baptis�es, & avoir cognoissance de Dieu, qu'il en respondroit devant la justice divine, qu'il print garde qu'il avoit encore assez de rem�des s'il vouloit persuader au G�n�ral de donner quelque present aux Sauvages comme j'offrois; que pour ce qui estoit de sa personne je le recognoistrois en tout ce qu'il me seroit possible, que quelque jour il pourroit avoir affaire de ses amis, estant en l'estat o� il estoit, que s'il desiroit retourner en France, je le servirois en tout ce 275/1259qu'il me seroit possible: tout ce qu'il me dit fut, qu'il ne pouvoit rien faire de cela, que s'il arrivoit quelque accident aux Anglois par les Sauvages, ils remettroient toute la faute sur luy, & le voyant ainsi obstin� je le laissay l�.

Note 769: (retour)

Je luy dis...

De l� il va treuver le G�n�ral, luy remonstrant ce que je luy avois dit & offert, & ouy dire que je voulois faire des presens aux Sauvages pour empescher ces filles d'estre retenues, que d'assembler ces peuples esloignez, il n'y avoit nulle apparence, & leur offrir des presents il n'estoit point convenable, d'autant qu'ils croyroient que vous auriez peur de les irriter, & que cela leur donneroit plus d'asseurance d'entreprendre sur ses hommes, qu'il failloit qu'il empeschast que je n'emmenasse ces filles, qu'il luy avoit vou� trop de services pour ne luy dire ce qu'il s�avoit pour le bien du pays, & � son advantage, qu'il print garde � ce qu'il feroit, s'en deschargeant, & que s'il arrivoit quelque disgrace pendant son absence, qu'on ne s'en prist pas � luy, & qu'il valloit mieux tenir ces peuples en paix, que d'estre en hasard de tomber en quelques mauvais accidens: Voil� ce qu'il dit avoir represent� au G�n�ral, lequel se resolut de retenir ces filles, & ne me permettre les emmener.

Thomas Quer me dit y avoir fait ce qu'il avoit peu, le voyant fort esloign� de ce que je pouvois esperer touchant les presens, � quoy il ne vouloit consentir, Marsolet l'en ayant desgoust�, ce qu'ayant entendu je n'en parlay plus: mais je ne me peus empescher de parler � Marsolet & luy dire le desplaisir signal� qu'il me faisoit en cette affaire, d'avoir 276/1260innov� des choses toutes contraires � la v�rit�, & fait dire aux Sauvages ce � quoy ils n'avoient jamais pens�, qu'il pouvoit m'obliger en ceste occasion, comme je pourrois faire pour luy en d'autres, estant ainsi cause de la perte de ces filles & de leurs �mes, qu'il en respondroit un jour devant Dieu, qu'il ne permettroit point que tost ou tard il ne receut le chastiment qu'il meritoit, n'ayant eu autre dessein que de jouir de l'une de ces filles, en recherchant les moyens que je ne les emmenasse, il me dit, Monsieur vous en croirez ce qu'il vous plaira, je n'ay dit que la v�rit�, quand je sers un maistre je luy dois estre fid�le. Vous l'avez fort bien monstr� (luy dis-je) en servant l'ennemy, pour deservir le Roy & ceux qui vous ont donn� le moyen de vous �lever en ces lieux depuis qu'estiez petit gar�on 770 jusqu'� present qu'avez grandement d�clin�.

Note 770: (retour)

Voyez ci-dessus, p. 266.

Ces pauvres filles voyant qu'il n'y avoit plus de rem�des, commenc�rent � s'attrister & pleurer am�rement, de sorte que l'une eut la fi�vre, & fut long temps qu'elle ne vouloit manger, appellant Marsolet un chien & un traistre, disant ainsi, Comme il a veu que nous n'avons pas voulu condescendre � ces volontez, il nous a donne un tel desplaisir que sans mourir jamais je n'en receus de semblable.

Un soir comme le g�n�ral donnoit � souper aux Capitaines des vaisseaux, Marsolet estant en la chambre, l'une des deux filles appell�e Esperance y vint; qui avoit le coeur fort trisste, & souspiroit, ce qu'entendant 277/1261je luy demanday ce qu'elle avoit, sur ce elle appelle sa compagne nomm�e Charit�, disant, j'ay un tel desplaisir que je n'auray point de repos que se ne descharge mon coeur envers Marsolet, duquel elle s'approche, & l'ayant envisag�, luy dist, Il est impossible que je puisse estre contente que je ne parle � toy: Que veux-tu dire? luy dist-il, Ce n'est point en secret que je veux parler, tous ceux qui entendent nostre langue l'entendront assez, & t'en priseront moins � l'advenir s'ils ont de l'esprit, c'est une chose assez cogneue de tous les Sauvages que tu es un parfaict menteur, qui ne dis jamais ce que l'on te dit, mais tu inventes des mensonges en ton esprit pour te faire croire, & donne � entendre ce que l'on ne t'a pas dit, pense que tu es mal voulu des Sauvages il y a long-temps & comme malicieux tu perseveres en tes menteries, de donner � entendre � ton Capitaine des choses qui n'ont jamais est� dites par les Sauvages, mais meschant tu n'avois garde de dire le subject qui t'a meu � inventer de telles faussetez, c'estoit que je n'ay pas voulu condescendre � tes salles voluptez, me priant d'aller avec toy, que je ne manquerois d'aucune chose, tu m'ouvrirois tes coffres dans lesquels je prendrois ce qui me seroit agr�able; ce que je refusay, tu me voulus faire des attouchemens deshonnestes, je rejettay tes effronteries, te disant, que si tu m'importunois davantage je m'en plaindrois: ce que voyant tu me laissas en repos, me disant que j'estois une opiniastre: asseure toy qu'on te fera bien ranger � la raison, tu ne seras pas tousjours comme tu es, car je s�ay bien que tu retourneras � 278/1262Qu�bec; je te dis que je ne t'apprehendois en aucune fa�on, je desire aller en France avec Monsieur de Champlain, qui m'a nourrie & entretenue de toutes commoditez jusques � present, me monstrant � prier Dieu, & beaucoup de choses vertueuses, que je ne me voulois point perdre, que tout le pa�s avoit consenty, & que ma volont� estoit port�e d'aller vivre & mourir en France, & y apprendre � servir Dieu; mais miserable que tu es, au lieu d'avoir compassion de deux pauvres filles, tu te monstre en leur endroit pire qu'un chien, ressouviens toy que bien que je ne fois qu'une fille, je procureray ta mort si je puis, en tant qu'il me sera possible, t'asseurant que si � l'advenir tu m'approches je te donneray d'un cousteau dans le sein, quand je devrois mourir aussi-tost: Ah! perfide tu es cause de ma ruine, te pourray-je bien voir sans plorer, voyant celuy qui a caus� mon malheur, un chien a le naturel meilleur que toy, il fuit celuy qui luy donne sa vie, mais toy tu destruis ceux qui t'ont donn� la tienne, sans recognoissance de bon naturel envers tes fr�res que tu as vendus aux Anglois; Pense-tu que c'estoit bien faict pour de l'argent vendre ainsi ta nation? tu ne te contentes pas de cela en nous perdant aussi, & nous empeschant d'apprendre � adorer le Dieu que tu mescrois qui te fera mourir, s'il y a de la justice pour les meschans. Sur cela elle se mit � plorer ne pouvant presque plus parler, Marsolet luy disant, Tu as bien estudi� cette le�on: O meschant, dit elle, tu m'as donn� assez de sujet de t'en dire davantage si mon coeur te le pouvoit exprimer. Le truchement se retournant � l'autre 279/1263petite fille appell�e Charit�, luy dist, Et toy ne me diras tu rien? Tout ce que je te s�aurois dire, dit-elle, ma compagne te l'a dit, & moy je te dis davantage, que si je tenois ton coeur j'en mangerois plus facilement & de meilleur courage que des viandes qui sont sur cette table. Chacun estimoit le courage & le discours de ceste fille, qui ne parloit nullement en Sauvagesse.

Ce Marsolet demeura fort estonn� de la v�rit� des discours d'une fille de douze ans, mais tout cela ne peust �mouvoir ny attendrir le coeur dudit G�n�ral Quer.

Le Capitaine Jacques Michel me dist en secret, qu'au voyage qu'il avoit fait � Qu�bec 771, il avoit resolu de retenir ces filles, & pour trouver une excuse l�gitime dist � Marsolet qu'il luy escrivist la lettre que j'ay dit cy-dessus, mais estant en Angleterre, & luy ayant dit, il protesta que cela estoit faux, & qu'il n'y avoit jamais pens�, que je pouvois cognoistre son humeur, & qu'il n'estoit point homme � dissimuler & � chercher des inventions pour les faire demeurer, que s'il eust eu la volont� il l'eust faict librement, sans employer personne, & rien autre chose que ce que Marsolet luy en avoit dit, &772 l'avoit fait resoudre � les faire demeurer � Qu�bec.

Note 771: (retour)

C'est-�-dire, �au voyage que le g�n�ral avait fait � Qu�bec, il avait r�solu...�

Note 772: (retour)

Au lieu de cette particule (&), le manuscrit portait probablement ne.

Voil� la conclusion prise que ces filles demeureroient, je ne laissay de faire pour elles tout ce que je peux, & les assister de petites commoditez, leur donnant esperance de nostre retour, qu'elles prinssent 280/1264courage, & qu'elles fussent tousjours sages filles, continuant � dire les pri�res que je leur avois enseign�es: L'une me demanda un chapelet, disant que les Anglois avoient pris le tien, ce que je fis � l'une, & mon beau-fr�re en donna un � l'autre: car il ne falloit rien donner � l'une que l'autre n'en eust autant pour oster la jalousie qui estoit entre elles, priant Coulart de les mettre avec sa femme tant qu'elles y voudroient estre, jusques � ce qu'ils eussent des vaisseaux Fran�ois, & qu'il taschast de les conserver, ne leur donnant aucun subject de les perdre, mais qu'il les traittast doucement, que c'estoit une grande charit� pour Dieu, qui le recompenseroit: qu'elles luy serviroient en sa maison, en mille petites choses necessaires, que me faisant ce plaisir, o� j'aurois moyen de le servir, je le ferois de bon coeur; Asseurez vous, Monsieur, me dist-il, que tant qu'elles auront la volont� de demeurer avec moy, j'en auray du soin comme si c'estoit mes enfans, & disant cela en leur presence, elles luy firent une reverence, & en le remerciant luy dirent, Nous ne t'abandonnerons point non plus que nostre p�re en l'absence de Monsieur de Champlain: ce qui nous donnera de la consolation, & nous fera patienter, c'est que nous esperons le retour des Fran�ois, & s'il eust fallu qu'aussi-tost que nous fusmes arrivez � Qu�bec, & eussions773 est� vers les Sauvages nous fussions mortes de desplaisir, & neantmoins nous estions resolues ma compagne & moy d'y demeurer plustost qu'avec les Anglois.

Note 773: (retour)

Nous eussions...

L'on me dist que le G�n�ral Quer estant � Qu�bec, 281/1265avoit tanc� son fr�re Louys Quer, de ce qu'il avoit permis de c�l�brer la saincte Messe, ce qu'il fit deffendre � tous les Peres, & que les Peres Jesuites faisant embarquer leurs coffres pour aller � Tadoussac, il voulut voir ce qui estoit dedans en la presence de son fr�re, Louys Quer, commandant au fort & habitation, comme le reverend Pere Mass� leur monstroit ce qui estoit dedans, ils adviserent quelque chose, qui estoit envelopp�: Il demanda � le voir, le Pere le developpe, c'estoit un Calice, que Louys Quer voulut prendre; Le P�re luy disant, Monsieur, ce sont des choses sacr�es, ne les profanez pas s'il vous plaist, il se fasche de ces paroles pour avoir sujet de le prendre, Quoy? dist-il Ce qu'il en jurant, profaner, nous n'adjoustons point de foy en vos superstitions, je n'appr�hende pas qu'il me fasse mal, ce disant il le prit, disant: Je fais cela pour le discours que vous m'avez fait, & aussi pour oster le subject qui vous fait idol�trer, comme nous sommes obligez de rabatre, entant que nous pouvons les superstitions, que si vous ne m'eussiez us� de ces termes je vous l'aurois laiss�. Quoy que s'en soit, ledit Louys Quer s'estoit tousjours bien comport� jusques � cette heure, ne luy en desplaise774. Ceste action n'estoit bonne ny valable, c'estoit chercher un maigre sujet pour prendre ces deux Calices, pour un homme qui veut vivre en honorable r�putation devant les hommes vertueux: cette action ne sera jamais approuv�e, & void-on par 282/1266beaucoup d'exemples le chastiment que Dieu a envoy� � ceux qui ont profan� les vaisseaux sacrez des Temples.

Note 774: (retour)

Ces derniers mots doivent se rattacher � la phrase suivante: �Ne luy en desplaise, ceste action n'estoit bonne...�



Le G�n�ral Quer demande � l'Autheur certificat des armes & munitions du fort & de l'habitation de Qu�bec. Mort malheureuse de Jacques Michel. Plainte contre le G�n�ral Quer.

CHAPITRE VI.

Le dit G�n�ral Quer me demanda le certificat des armes & munitions, & autres commoditez qui estoient tant au fort qu'� l'habitation, que son fr�re Louis Quer m'avoit donn�, auquel il avoit fait une grande reprimende, disant qu'il ne s�avoit ce qu'il avoit fait, sans s�avoir s'il y avoit paix entre la France & l'Angleterre, qu'il respondroit de tout ce qui estoit audit certificat, qu'il ne vouloit point que l'on vit aucune chose sign�e de sa main, ne s�achant la consequence de cela, & le desplaisir que l'on pouvoit rendre � ses amis, je luy dis Monsieur cela ne vous peut apporter tant de desplaisir que vous le dites, puisque vous avez donn� tout pouvoir au Capitaine Louis de traiter avec moy, en vertu des Commissions qu'avez du Roy d'Angleterre, ayant pour agr�able tout ce qu'il feroit comme vostre personne, autrement ce seroit le desobliger, en ne tenant sa parole, & vous en desadvouant le pouvoir que luy avez donn�: Je ne le desadvoue point (dit-il) pour ce qui est de la composition qu'il vous a faite, je la maintiendray au 283/1267p�ril de ma vie, mais pour ce qui est du certificat, cela est fait depuis ladite composition, & par consequent il ne vous pouvoit donner le certificat sans charge, ou en composant, pendant que vous esti�s encore maistre du fort, & par ainsi je vous prie me le donner. Il y a assez de personnes qui s�avent l'estat de la place, & ce qui y est, estant en Angleterre l'on vous en donnera un s'il est jug� � propos, & toute autre sorte de courtoisie. Voyant qu'il se mettoit en col�re, & que je ne le pouvois retenir, je luy donnay le certificat, luy disant qu'il n'estoit point de besoin de se mettre en col�re pour si peu de sujet, que v�ritablement je le desirois avoir pour ma descharge. Vous l'estes (me dit il) assez, l'on s�ait bien le miserable estat auquel vous estiez r�duits, & le peu de commoditez qui sont en armes & munitions tant au fort qu'� l'habitation.

Deux ou trois tours apr�s ledit Jacques Michel estant saisi d'un grand assoupissement, fut trente cinq heures sans parler, au bout duquel temps il mourut rendant l'�me, laquelle si on peut juger par les oeuvres & actions qu'il a faites, & qu'il fit le jour d'auparavant, & mourant en sa religion pr�tendue, je ne doute point qu'elle ne soit aux enfers: car le jour pr�c�dent il avoit tellement jur� & blasphem� le nom de Dieu que j'en avois horreur, faisant mille sortes d'impr�cations contre les bons P�res Jesuistes, & des habitans de S. Malo: disant, Qu'il se rendroit plustost forban qu'il ne leur eust rendu quelque signal� desplaisir, deust il mourir. miserablement. Je ne me peus tenir de luy dire, Bon Dieu! comme pour un reform� vous jurez, 284/1268s�achant si bien reprendre les autres quand ils le font. Il est vray, dit-il, mais je suis tellement outr� de passion & de col�re contre ces chiens de Malouins Espagnols, qui m'ont rendu de grands desplaisirs, & aussi serois-je content si j'avois frapp� ce Jesuiste qui m'a donn� un desmenty devant mon G�n�ral.

Ce desplaisir qui luy estoit si sensible n'estoit alors pas tant pour les Malouins & le Pere Jesuiste comme pour le sujet des Anglois, desquels il se plaignoit grandement de l'avoir tr�s-mal traitt�, & peu recogneu, contre les promesses qu'ils luy avoient faites.

Il se plaignoit aussi de l'arrogance insupportable de son G�n�ral, pour un marchand de vin qu'il avoit est�, estant � Bordeaux & � Coignac, & cogneu ignorant � la mer, qui ne s�ait que c'est que de naviger, n'ayant jamais faict que ces deux voyages, & veut faire de l'entendu par ses discours pleins de vanit� � ceux qui ne le cognoissent pas bien, il trenche du Seigneur, il ne s�ait que c'est d'entretenir d'honnestes hommes, il veut que tout luy cede, & ne veut croire aucun conseil, qu'alors qu'il n'en peut plus, comme il fit d�s l'ann�e pass�e, en laquelle sans moy il vouloit quitter le vaisseau de Roquemont, & ne l'eust jamais pris sans l'ordre que je luy donnay, il le vouloit aborder, mais je ne voulus y consentir, luy disant. Si nous l'abordons nous sommes perdus ne vous y frotez pas, je cognois mieux les Fran�ois en ces choses que vous, qui n'avez que des gens mal faits en vostre vaisseau, hors les Canoniers & Officiers: c'est pourquoy il les faut battre � coups de canons, dont nous avons 285/1269 l'advantage, les contraignant � se rendre, vous conseillant encore une fois que si jamais vous rencontriez des Fran�ois sur mer de ne les aborder, ils sont plus adroits & courageux que les Anglois, qui remportent � l'abordage. Il creut mon conseil, me remettant tout l'ordre du combat, en quoy il avoit raison; car il y estoit peu exp�riment�, comme il est encore, & son fr�re Thomas Quer, ils prennent des commandemens desquels ils n'en s�avent pas les charges, il leur faudroit estre encore vingt ans pour l'apprendre, & avoir est� �lev� & nourry jeune gar�on pour s�avoir bien ce qui est necessaire � un Capitaine de mer, autrement ils feront de lourdes fautes, mettant souvent la conduitte entre les mains d'un Maistre ou Pilote ignorant qui sera dans leur vaisseau. Quand il fut arriv� � Londre, il se vantoit que c'estoit luy qui avoit tout faict, plusieurs honnestes hommes qui le cognoissoient bien & moy aussi me disoient, Quer emporte la gloire de ce que vous avez faict: & de faict ils ont us� envers moy d'ingratitude; Car outre mes appointements ils me devoient donner recompense, ce qu'ils n'ont faict: m'ont refus� le commandement de l'un de leurs vaisseaux pour mon fils, je les avois instal� en ceste affaire o� ils ne cognoissoient rien, & n'y fussent jamais venus sans moy, ils me traittent m�caniquement en mon vaisseau: & non, comme j'ay appris, allant � la mer, ils m'ont donn� un yvrogne qui est fol pour mon Lieutenant, pour prendre garde sur mes actions: Je le veux chasser de mon vaisseau, ou luy feray un mauvais party, c'est un coquin sans courage, s'il se presente quelque occasion de combatre 286/1270je le meneray comme il faut, ils auront encores recours � moy, je le s�ay bien, ils n'en sont pas o� ils pensent, tout ainsi que j'ay eu moyen de donner l'industrie d'instruire cette affaire, je s�ay aussi les moyens de les en faire sortir, & leur apprendre & � d'autres, qu'ils ne doivent jamais mescontenter une personne comme moy: Il y a des Flamans assez & d'autres nations, quand un moyen me faudra, j'en trouveray d'autres, ils ont faict tout � leur plaisir, il faut patienter, il s�ait bien que je ressens un grand desplaisir, mais il ne fait pas semblant de le cognoistre, il me fait bon visage, mais il voudroit que je fusse mort, je luy suis maintenant � grand'charge, j'ay laiss� ma patrie, comme ils ont fait, pour servir un estranger, jamais je n'auray l'�me bien contente, je seray en horreur � tout le monde, sans esperance de retourner en la France, l'on a fait mon procez, ainsi qu'on m'a dit, mais puis que l'on me traitte de toutes parts comme cela, c'est me mettre au desespoir, & faire plus de mal que jamais je n'ay fait, ne pouvant que perdre la vie une fois, mais je la puis bien faire perdre � beaucoup si l'on me desespere, tous ces discours ne se passoient pas sans jurer.

Je luy donnois courage, en luy disant, Ne vous desesperez point, il y a des rem�des par tout, horsmis � la mort, il y a des personnes qui ont fait des choses plus attroces que ce que vous avez faict, vous avez raison de vous repentir de ce qui s'est pass�, & croy tant de vous, que si aviez � recommencer, que vous ne le voudriez entreprendre, ains plustost mourir. Il est vray, me disoit-il: Nostre Roy est 287/1271bon & juste, pardonnant � plusieurs qui ont grandement offens� sa Majest�. Elle peut, luy dis-je, vous donner abolition en vous amendant & recognoissant vos fautes, en le servant fid�lement � l'advenir, vous serez en consideration tant pour vostre courage, que pour l'exp�rience qu'avez acquise en la mer, l'on a affaire d'hommes du mestier que vous menez, l'on ne vous voudra pas perdre quand l'on remonstrera � sa Majest� le service que vous luy pouvez rendre � la navigation: changez vostre volont�, & vous resoudez de retourner en vostre patrie, pour moy o� j'auray moyen de vous y servir je le feray de bon coeur: Il me dit qu'on luy avoit escrit de France qu'il auroit la gr�ce, s'il s'en vouloit retourner, mais qu'il ne s'y fieroit pas qu'il ne l'eust seell�e, & outre que jamais il ne voudroit se tenir � Dieppe, & qu'il iroit en autre ville de France, cela seroit tr�s bien fait, luy dis-je.

Je s�ay que la maladie qu'il eust, n'estoit que ce remors de conscience qui le bourreloit, & vouloit tesmoigner aux Anglois qu'il avoit un autre desplaisir, se couvrant du mescontentement qu'il avoit des Malouins, & du P�re Jesuiste, & de son fils, dont il se plaignoit grandement, mais la v�rit� estoit que cet homme estoit fort pensif, triste, & m�lancolique, de se voir mespris� de sa patrie, abhorr� du monde, retenu pour un perfide & traistre Fran�ois, qui meritoit un chastiment rigoureux (& tous ceux qui font le semblable, ne peuvent marcher la teste lev�e) & monstr� au doit d'un chacun, mesme les Anglois entr'eux l'appelloient traistre, disant, Voyez cestuy l� qui a vendu sa patrie, 288/1272& autres qui l'ont reni�e, pour un peu de mescontentement qu'ils disent avoir eu en France. Il s�avoit tres-asseurement que ces discours se tenoient, aussi est-ce un puissant ennemy, que celuy qui a la conscience charg�e de si vilaines, detestables meschantes trahisons: il avoit raison d'avoir l'�me bourrel�e, & mourir de desplaisir, plustost que survivre, & fut l� le sujet de sa mort, & non ce que Quer & autres disoient, que c'estoit pour n'avoir donn� un souflet au P�re Jesuiste qui estoit la mesme sagesse & vertu 775, ayant bien tesmoign� aux voyages qu'il a fait dans les terres.

Note 775: (retour)

La sagesse & vertu mesme.

Le G�n�ral Quer parlant aux Peres Jesuistes, leur dit, Messieurs vous aviez l'affaire de Canada, pour jouir de ce qu'avoit le sieur de Caen, lequel avez depossed�. Pardonnez moy Monsieur, luy dit le Pere(2), ce n'est que la pure intention de la gloire de Dieu qui nous y a men�, nous exposant � tous dangers & p�rils pour cet effect, & la conversion des Sauvages de ces lieux: ledit Michel pressant dit, Ouy, ouy, convertir des Sauvages, mais plustost pour convertir des castors, ledit P�re respond assez promptement & sans y songer, Cela est faux, l'autre leve la main, en luy disant, Sans le respect du G�n�ral je vous donnerois un souflet, de me desmentir, le Pere luy respond, Vous m'excuserez, je n'entend point vous d�mentir, j'en serois bien fasch�, c'est un terme de parler que nous avons en 289/1273nos escoles, quand on propose une question douteuse, ne tenant point cela pour offencer, c'est pourquoy je vous prie me pardonner, & croire que je ne l'ay point dit pour vous donner du desplaisir.

Je laisse � penser si ce sujet estoit capable de le faire mourir, sans autre plus violent desplaisir, comme j'ay dit cy dessus: aussi Dieu l'a puny ne luy faisant la gr�ce de le recognoistre � l'heure de la mort, qui a coupp� la broche � tous ses desseins pernicieux & meschans.

Estant mort il y eut plus de resjouissance entre les Anglois que de regret, neantmoins le G�n�ral Quer qui voulut luy tesmoigner la derni�re preuve de son amiti� qu'il disoit luy avoir port� de son vivant, luy fit faire une ch�sse o� il fut mis, commande � son fr�re Thomas Quer d'armer quelques 200 hommes, qu'il fait mettre � terre, les met en ordre quatre � quatre, les maistres des vaisseaux prennent la ch�sse, & la mettent dedans une chalouppe, & arrivez sur le bord du rivage, les officiers des vaisseaux prennent le corps sur leurs espaules, & sur sa ch�sse avoient mis une esp�e nue, devant le corps marchoit un homme arm� de toutes pi�ces, avec la rondache & le coustelas, l'autre portoit une demie picque noircie, les soldats s'ouvrirent en deux, par le milieu desquels passa le corps avec tous les Capitaines & autres officiers des vaisseaux, qui l'accompagnoient marchant devant, les soldats qui le suivent comme est la coustume en telles fun�railles, il fut port� � la fosse, o� estant mis dedans l'on rompit la demie picque en deux, & la mit on dans la fosse, sur laquelle le Ministre fit des 290/1274pri�res s'agenouillant & te levant plusieurs fois, respondant aux Ministres: leurs pri�res achev�es, l'on couvre le corps de terre, cela fait ils se firent deux escoupetteries de mousquets, des soldats qui estoient rangez au tour de la fosse. Apr�s l'on fut tirer le canon de tous les vaisseaux, jusqu'� quelque 80 � 90 coups: cela fait chacun s'en retourne en son vaisseau, le pavillon du contre-Admiral estoit � demy destendu, jusques � ce qu'il y en eust un autre mis en la place, qui fut un Capitaine Anglois appell� *****776 le dueil n'en dura gueres, au contraire jamais ils ne se resjouirent tant & principalement en son vaisseau o� il avoit quelques barils de vin d'Espagne: le voil� pay� de tout ce qu'il avoit fait.

Note 776: (retour)

Le nom est laiss� en blanc dans l'�dition originale.

Tout ce que j'ay veu apr�s sa mort est, l'honneur qu'il ne meritoit pas, ne pouvant esperer, s'il eust vescu, que le chastiment d'un supplice, si sa Majest� ne luy eust donn� sa gr�ce.

Durant le jour que nous fusmes � Tadoussac777, ledit Quer employa ses hommes � couper quantit� de mas de sapins, pour batteaux & chalouppes, comme du bois de bouleau pour brusler: ce mesnage estoit tousjours pour payer quelques avaries, & en avoit plus de besoin ceste ann�e l� que l'autre, en laquelle il prit 19 vaisseaux Fran�ois & Basques chargez de molue, & outre ce qu'il traita avec les Sauvages des marchandises qui estoient aux vaisseaux de la nouvelle societ�, o� commandoit Roquemont, 291/1275y ayant aussi quantit� de vivres & autres commoditez propres � une habitation, qu'ils r'apport�rent ceste ann�e � Qu�bec, & outre la quantit� des marchandises de rapport, ils pensoient faire meilleure traite qu'ils ne firent: ils ne trait�rent que quelques 5000 castors & quelques 3 � 4 mille qu'ils prirent � l'habitation, & le vaisseau d'Emery de Caen778. Ils n'ont eu autre chose qui est peu pour pouvoir rembourcer les frais de leur embarquement, en rendant ce qu'ils ont pris appartenant � de Caen & � ses associez au fort & � l'habitation de Qu�bec, suyvant le trait� de paix entre les deux couronnes de France & d'Angleterre 779.

Note 777: (retour)

Ce passage donne � entendre que les vaisseaux rest�rent tout le temps mouill�s au moulin Baud�, et que l'on se donna la peine d'aller enterrer Jacques Michel � Tadoussac m�me.

Note 778: (retour)

D'apr�s les livres de compte de la Compagnie des marchands anglais, ils n'auraient trait� que 4540 castors et 432 peaux d'�lans; ils n'auraient de m�me trouv� au magasin que 1713 castors. Voici comment un des associ�s de la compagnie anglaise concilie cette diff�rence: �Il faut faire attention, dit-il, que les Anglais ne parlent que des castors port�s au compte de la Compagnie, tandis que les Fran�ais comprennent dans leur calcul toutes les peaux qu'ils avaient lorsque le fort fut rendu, sans distinction de ce qu'ils cach�rent ou retinrent du consentement des Anglais.� (Pi�ces justif. n. XVII.)

Note 779: (retour)

Il fut r�gl� par le trait� de Suse (24 avril 1,629) que �d'autant qu'il y avoit beaucoup de vaisseaux en mer avec lettres de marque & pouvoir de combattre les ennemis, qui ne pourroient de si tost entendre cette paix, ny recevoir ordre de s'abstenir de toute hostilit�, il seroit accord�, que tout ce qui se passeroit l'espace de deux mois apr�s cet accord fait, ne derogeroit ny empescheroit cette paix; ny la bonne volont� des deux Couronnes; � la charge toutesfois que ce qui seroit pris dans l'espace de deux mois depuis la signature dudit Traict�, seroit restitu� de part & d'autre.� (Mercure fran�ais.)

Pendant ce temps que nous estions � Tadoussac, ledit Quer ne voulut permettre que les Catholiques priassent Dieu publiquement � terre, o� il avoit mis tous les Fran�ois, horsmis deux qui estoient Huguenots, de l'esquippage dudit Emery de Caen, qui les faisoient rire pour avoir ceste pr��minence par dessus les autres, moy & quelques autres passions le temps avec ledit G�n�ral � la chasse du gibier, qui y est en ceste saison abondante, & principalement d'allouettes, pluviers, courlieux, becassines 292/1276desquels il en fut tu� plus de 20000. outre la pesche que les Sauvages faisoient du saulmon & truites qu'ils nous apportoient en assez bonne quantit�, & de l'�plan que l'on prit en grand nombre avec des filets, & quelques autres poissons, le tout tr�s-excellent, jusqu'� nostre partement.



Partement des Anglais au port de Tadoussac. G�n�ral Quer craint l'arriv�e du sieur de Rasilly. Arriv�e en Angleterre. L'Autheur y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy & le conseil d'Angleterre promettent rendre Qu�bec. Arriv�e de l'Autheur � Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du Reverend P�re l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arriv�e de l'Autheur � Paris.

CHAPITRE VII.

Ledit G�n�ral ayant accommod� le fort & habitation de Qu�bec de tout ce qu'il jugea estre necessaire, il fit donner caraine � ses vaisseaux assez l�g�rement, nettoyer, gadomer & suiver, ce qu'estant fait, il fit partir une petite barque de 25 � 30 tonneaux, pour s'en aller porter � Qu�bec ce qui restoit, o� s'embarqu�rent mes deux petites Sauvagesses, nous levons les ancres & mettons sous voiles, ce qui n'estoit pas sans bien appr�hender la rencontre du Chevalier de Rasilly, d'autant que nouvelles estoient venues par quelques Sauvages, qui asseuroient avoir veu dix vaisseaux � Gaspey, bien armez qui nous attendoient audit lieu: c'est pourquoy l'on passa fort proche d'Enticosty 14 lieues dudit Gaspey pour n'estre apperceus: toutesfois 293/1277ledit Quer disoit qu'il ne les apprehendoit en aucune fa�on, & que c'estoit � faire � se bien battre & que si tant estoit que les Fran�ois eussent le dessus, qu'il mettroit le feu dans leurs vaisseaux, en faisant mourir beaucoup premier qu'en venir l�, & quelques autres discours. Nous fusmes contrariez de fort mauvais temps, avec des brunes jusques sur le grand Ban, qui estoit le 16 du mois d'Octobre, nous eusmes la sonde, & le 18 la cognoissance de Sorlingues: pendant la traverse moururent onze hommes de la dysenterie, de l'esquippage de Quer.

Le 20 nous relaschasmes � Plemu�780, o� nous eusmes nouvelle de la paix 781, ce qui fascha grandement ledit Quer. Le 25, sortismes dudit port, rangeant la coste de deux lieues. Le 27, passasmes devant Douvre, o� ledit Quer fit descendre tous nos hommes avec les p�res Jesuistes & Recollets, ausquels il donna passage, & � tous ceux qui voulurent aller en France: & moy j'escrivay de ce lieu � Monsieur de Lozon782 que je m'en allois � Londres, treuver Monsieur l'Ambassadeur783, pour luy faire le r�cit de tout ce qui s'estoit pass� en nostre voyage, afin qu'il luy pleust faire exp�dier quelques lettres de sa Majest� audit sieur Ambassadeur, pour avoir ceste affaire pour recommand�e, & y envoyer un homme expr�s pour cet effect, chose comme tr�s necessaire & importante pour le bien de la Societ�.

Note 780: (retour)

Plymouth.

Note 781: (retour)

Le trait� de Suse avait �t� conclu le 24 avril 1629, et il venait d'�tre ratifi�, le l6 septembre.

Note 782: (retour)

Jean de Lauson, l'un des principaux associ�s de la Compagnie de la Nouvelle-France, et le m�me qui fut plus tard gouverneur du Canada.

Note 783: (retour)

C'�tait alors M. de Ch�teauneuf.

294/1278En continuant nous passasmes par les Dunes, o� il y avoit nombre de vaisseaux, & une remberge de six � sept cens tonneaux que l'on salua, qui rendit le r�ciproque de trois coups de canon. Entrant en la riviere fusmes mouiller l'ancr� devant Graveline784, o� mismes pied � terre laissant les vaisseaux, ledit Quer fr�ta un batteau pour aller � Londres sur la riviere de la Tamise, auquel lieu arrivasmes le 29 dudit mois.

Note 784: (retour)

Gravesend. Le contexte prouve �videmment que c'est ici une faute typographique. Entrant en la rivi�re, c'est-�-dire, la Tamise. Il est bon de se rappeler en outre que le g�n�ral Kertk �tait parti pr�cis�ment de Gravesend; il est donc tout naturel que ses vaisseaux soient revenus au port d'o� ils avaient fait voile au printemps. (Pi�ces justificatives, n. V.)

Le l'en demain je fus treuver monsieur l'Ambassadeur, auquel je fis entendre tout le sujet de nostre voyage, ayant est� pris deux mois apr�s la paix, qui estoit le 20 Juillet, faute de vivres & munitions de guerre & de secours, ayant endur� beaucoup de necessitez un an & demy, allant chercher des racines dans les bois pour vivre, bien que je n'eusse retenu que seize personnes au fort & � l'habitation, ayant envoy� la plus grand part de mes compagnons parmy les Sauvages, pour �viter aux grandes famines qui arrivent en ces extremitez.

Ce qu'ayant entendu ledit sieur Ambassadeur, il se d�lib�ra d'en parler au Roy d'Angleterre, qui luy donna toute bonne esperance de rendre la place, comme de toutes les peleteries & marchandises, lesquelles il fit arrester.

Je donnay des m�moires, & le proc�s verbal de ce qui s'estoit pass� en ce voyage, & l'original de la capitulation 785 que j'avois faite avec le G�n�ral 295/1279Quer, & une carte 786 du pays pour faire voir aux Anglois les descouvertures & la possession qu'avions prise dudit pays de la Nouvelle France, premier que les Anglois, qui n'y avoient est� que sur nos bris�es, s'estans emparez depuis dix � douze ans des lieux les plus signalez, mesme enlev� deux habitations s�avoir celle du Port Royal o� estoit Poitrincourt, o� ils sont habituez de present, & celle de Pemetegoit appell� autrement Norembeque: le tout saisi & enlev� contre tout droit & raison, molestant les sujets du Roy, leur imposant un tribut sur la pesche du poisson: le tout pour les travailler, & en fin leur faire quitter la pesche, en se rendant maistre de toutes les costes peu � peu. De plus afin d'obliger les sujets de sa Majest� � aller prendre des congez en Angleterre, &787 ont impos� depuis deux ou trois ans des noms en ladite Nouvelle France, comme la Nouvelle Angleterre & Nouvelle Escosse. Ils s'en sont advisez bien tard, ils le devoient faire avec raison, & non pas changer, ce qu'ils ne pourront jamais faire, on ne leur dispute pas les Virgines, ce qu'avec raison l'on pourroit faire, ayant est� les premiers Fran�ois qui les ont descouvertes il y a plus de quatre vingts ans, par commandement de nos Roys, cela se justifie par la relation des histoires tant Fran�oises qu'Estrangeres. Mais qui a caus� qu'ils s'en sont emparez si facillement? c'est que le Roy n'en avoit fait estat jusqu'� maintenant, que les justes plaintes 296/1280qui luy en ont est� faites, le fait resoudre � recouvrir ce que les Anglois ont anticip�, & le fera toutesfois & quantes que sa Majest� le voudra.

Note 785: (retour)

Voir ci-dessus, p. 240.

Note 786: (retour)

Probablement celle qu'il publia trois ans plus tard (�dit. 1632), et que nous produisons dans cette pr�sente �dition.

Note 787: (retour)

Au lieu de &, il faut lire ils.

Je fus pr�s de cinq sepmaines788 proche de mondit sieur l'Ambassadeur, attendant tousjours nouvelles de France, & voyant le peu de diligence que l'on faisoit d'y envoyer, ou me donner advis de ce que l'on desiroit faire, je sceus de mondit sieur s'il n'avoit plus besoin de mon service, que je desirois m'en retourner en France, il me le permit, me donnant lettre pour Monseigneur le Cardinal, m'asseurant que le Roy d'Angleterre & son Conseil luy avoient promis de rendre la place au Roy, il s'y employa fort vertueusement789, esperant faire donner un arrest au Conseil pour la reddition de l'habitation & commoditez qui y avoient est� pr�tes.

Note 788: (retour)

Depuis le 30 octobre jusqu'au 30 de novembre.

Note 789: (retour)

M. de Ch�teauneuf, ambassadeur extraordinaire aupr�s du roi d'Angleterre, fut remplac� par M. Fontenay-Mareuil, nomm� ambassadeur ordinaire, qui arriva � Londres vers le commencement de f�vrier 1630. Celui-ci re�ut ordre du cardinal de Richelieu de poursuivre activement les n�gociations entam�es par son pr�d�cesseur. D�s le commencement de f�vrier, l'ambassade avait d�j� pr�sent� cinq m�moires au sujet des affaires du Canada, comme on le voit par l'extrait suivant d'un document conserv� au bureau des Papiers d'�tat en Angleterre (State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, n. 50): �Response de Messieurs les Commissaires establis pour les affaires estrangeres, sur cinq m�moires � eux present�s par M. l'Ambassadeur de France le premier de Febvrier 1629� (11 f�vrier 1630, style neuf). �Touchant la restitution des places navires & biens qui ont est� pris sur les Fran�ois en Canada & particuli�rement du fort de Qu�bec, S. M. persiste en sa premi�re resolution signifi�e audit sieur Ambassadeur par un M�moire qui luy fut delivr� en Latin portant que ledit fort & habitation de Qu�bec qui fut prist par le Capitaine Kirke le 9. (19.) de Juillet, sera restitu� en mesme estat qu'il estoit lors de la prise, sans rien abattre des fortifications ou b�timents, ny en emporter des armes munitions marchandises ou utensiles qui y furent lors trouv�es. Et que si aucune chose en avoit est� emport�e, elle sera rendue soit en espece ou en valeur, selon la quantit� de ce qu'il a peu ou pourra apparoir par nouvelle examination qui en sera faite sur serment avoir est� trouv� audit lieu. Semblablement les peaus qui ont est� prises & emport�es dud. port pour butin & chose de bonne prise, seront restitu�es selon qu'aussy il peut ou pourra apparoir par le compte exact qui en sera pris l�, sur serment qu'elles auront est� prises & emport�es dudit lieu. C'est ce que S. M. offre & demeure tousjours en resolution d'accomplir selon la premi�re d�claration qu'elle en a faite & n'estime pas pouvoir estre press�e � davantage sur ce point l� en vertu du dernier Traite.� (Voir de plus. M�moires du Card. de Richelieu et le Mercure fran�ais, t. XV et XVI.)

297/1281Je partis de Londres le 30 790 pour aller � Larie791 treuver passage, comme plus proche de Dieppe, d'o� il y a 21 lieues: sur le chemin je rencontray ledit sieur de Caen, qui s'en alloit pour le recouvrement de ses peleteries, auquel succinctement luy fis entendre ce qui s'estoit pass�, & en quel estat estoient les affaires: arrivant � Larie je fus quelques jours 792 � attendre le vent pour passer, qui estant devenu bon, je m'embarquay le lendemain & arrivay � Dieppe.

Note 790: (retour)

Le 30 de novembre.

Note 791: (retour)

Ou La Rye, aujourd'hui Rye, dans le comt� de Sussex.

Note 792: (retour)

C'est-�-dire, une dizaine de jours, s'il faut en juger par la date du rapport du capitaine Daniel, cit� plus loin; � moins que ce rapport n'ait �t� sign� qu'apr�s l'entrevue de celui-ci avec l'auteur.

Le jour en suivant arriva le Capitaine Daniel avec son vaisseau, qui avoit pris une habitation des Anglois, qui s'estoit habit�e ceste mesme ann�e � l'isle du Cap Breton par un Escossois appell� Stuart, qui se disoit parent du Roy d'Angleterre. Ledit Daniel me donna quelques lettres tant de Monsieur de Lozon Surintendant des affaires de la Nouvelle France, que de Messieurs les Directeurs, avec une Commission qu'ils m'envoyoient, comme estans pressez du partement de l'embarquement, & ne pouvant si tost avoir celle de sa Majest�, & de Monseigneur le Cardinal pour m'envoyer, � cause de l'absence de sa Majest�, laquelle Commission portoit ce qui s'ensuit.

Les Intendans & Directeurs de la Compagnie de la Nouvelle France, Au sieur de Champlain l'un des associez en ladite Compagnie, Salut. L'exp�rience que vous vous estes acquise en la cognoissance du pays, 298/1282& Peuples de la Nouvelle France, pendant le sejour que vous y avez fait, joint la cognoissance particuli�re que nous avons de vos sens, suffisance, generosit�, prudence, zele � la gloire de Dieu, affection & fidelit� au service du Roy, nous ayant portez � vous nommer & presenter � sa Majest�, conform�ment au pouvoir qu'il luy a pleu nous en donner, pour en l'absence de Monseigneur le Cardinal de Richelieu Grand-Maistre Chef & Surintendant g�n�ral des Mers & Commerce de France: commander en toute l'estendue dudit pays, r�gir & gouverner tant les Naturels des lieux que les Fran�ois qui y resident de pr�sent, & s'y habitueront cy apr�s: Nous ne pouvons douter que ladite nomination ne soit agr�e, neantmoins ayant advis que les vaisseaux que nous vous envoyons, sous les charges & conduictes des sieurs Daniel & Joubert sont prests � faire voile, & craignant que les lettres de provision de sa Majest� ne peuvent estre arriv�es � temps pour vous estre envoy�es par lesdites flottes, estant d'ailleurs necessaire & tr�s important de n'en point diff�rer le partement. A ces causes Nous par forme de provision seulement, & attendant l'urgente & pressante necessit� de la chose, jugeant ne pouvoir faire meilleure eslection que de vostre personne, vous avons commis & d�put�, commettons & deputons par ces presentes, pour jusqu'� ce qu'autrement sous le nom de la Compagnie y ayt est� pourveu, commander pour le service de sa Majest�, en l'absence de Monseigneur le Cardinal, audit pays de la Nouvelle France, Fort & Habitation de Qu�bec, & autres places & forts qui sont & seront cy apr�s construits, ausquels vous establirez tels Capitaines que bon vous semblera: r�gir & gouverner 299/1283lesdits peuples ainsi que vous jugerez estre � faire & generalement faire en icelle charge tout ce que vous estimerez & trouverrez � la plus grande gloire de Dieu & de cet Estat, & utilit� de ladite Compagnie. En foy de quoy avons sign� ces presentes: A Paris le 21e jour de Mars 1629. & plus bas sign�, De Lozon, Robineau, Alix, Barth�l�my Quantin, Bonneau, Quantin, Houel, Haquenier, Castillon.�

Ledit Daniel me fit le r�cit comme il s'estoit saisi du Fort du Milor Anglois, ainsi qu'il s'ensuit.


RELATION DU VOYAGE FAIT

par le Capitaine Daniel de Dieppe, en la
Nouvelle France, la presente
ann�e 1629.

E 22e jour d'Avril 1629, je suis party de Dieppe, sous le cong� de Monseigneur le Cardinal de Richelieu, Grand Maistre, Chef & Surintendant G�n�ral de la Navigation & Commerce de France, conduisant les navires nommez le Grand S. Andr� & la Marguerite, pour (suivant le commandement de Messieurs les Intendans & Directeurs de la Compagnie de la Nouvelle France) aller trouver Monsieur le Commandeur de Rasilly en Brouage ou la Rochelle, & del� aller sous son escorte secourir & avictuailler le sieur de Champlain, & les Fran�ois qui estoient au fort & � l'habitation de Qu�bec en la Nouvelle France: & estant arriv� le 17 de May � Ch� de Boys, le lendemain l'on publia la paix faite avec le Roy de la Grande Bretagne, 300/1284& apr�s avoir sejourn� audit lieu l'espace de 39 tours, en attendant ledit sieur de Rasilly, & voyant qu'il ne s'advan�oit de partir, & que la saison se passoit pour faire ledit voyage: Sur l'advis de mesdits sieurs les Directeurs, & sans plus attendre ledit sieur de Rasilly, je partis de la radde dudit Ch� de Boys le 26e jour de juin, avec quatre vaisseaux & une barque appartenans � ladite Compagnie, & continuant mon voyage jusques sur le Grand Ban, surpris que j'y fus de brunes & mauvais temps, je perdis la compagnie de mes autres vaisseaux, & fus contraint de poursuivre ma route seul, jusqu'� ce qu'estant environ � deux lieues proche de terre, j'apperceus un navire portant au grand Mas un pavillon Anglois, lequel ne me voyant aucun canon m'approcha � la port�e du pistolet, pensant que je fus totalement desgarny, � lors je commenc� � faire ouvrir les sabors, & mettre seize pi�ce de canon en batterie, de quoy s'estant ledit Anglois apperceu il s'effor�a de s'esvader, & moy de le poursuivre jusques � ce que l'ayant approch� je luy fis commandement de mettre son pavillon bas, comme estant sur les costes appartenantes au Roy de France, & de me monstrer sa commission, pour s�avoir s'il n'estoit point quelque forban, ce que m'ayant refus� je fis tirer quelques coups de canon & l'aborday, ce fait ayant recogneu que sa commission estoit d'aller vers le Cap de Mallebarre trouver quelques siens compatriotes, & qu'il y portoit des vaches autres choses, je l'asseuray que la paix estoit faite entre les deux couronnes, & qu'� ce suject il ne devoit rien craindre, & ainsi le laissay aller: & estant 301/1285le 28e jour d'Aoust entr� dans la riviere nomm�e par les Sauvages Grand Cibou, j'envoyay le jour d'apr�s dans mon batteau dix de mes hommes le long de la coste, pour trouver quelques Sauvages & apprendre d'eux en quel estat estoit l'habitation de Qu�bec, & arrivant mesdits hommes au Port aux Balaines; y trouverent un navire de Bordeaux, le maistre duquel se nommoit Chambreau, qui leur dit que le sieur Jacques Stuart Millor Escossois estoit arriv� audit lieu environ deux mois auparavant, avec deux grands navires & une patache Angloise, & qu'ayant trouv� audit lieu Michel Dihourse de S. Jean de Luz, qui faisoit sa pescherie & secherie de molue, s'estoit ledit Milor Escossois saisi du navire & molue dudit Dihourse, & avoit permis que ses hommes fussent pillez & que ledit Milor avoit peu apr�s envoy� les deux plus grands de ses vaisseaux, avec le navire dudit Michel Dihourse, & partie de ses hommes vers le port Royal pour y faire habitation, comme aussi ledit Milor depuis son arriv�e avoit fait construire un fort audit port aux Balaines, & luy avoit enlev� de force les trois pi�ces de canon qu'il avoit dans son navire, pour les mettre dans ledit fort, mesme donne un escrit sign� de sa main, par lequel il protestoit ne luy permettre ny � aucun autre Fran�ois, de pescher d'oresnavant en ladite coste, ny traitter avec les Sauvages, qu'il ne luy fut pay� le dixiesme de tout, & que sa commission du Roy de la Grande Bretagne, luy permettoit de confisquer tous les vaisseaux qui iroient ausdits lieux sans son cong�: Lesquelles choses m'estant rapport�es, jugeant estre de 302/1286mon devoir d'empescher que ledit Milor ne continua l'usurpation du pa�s, appartenant au Roy mon maistre, & n'exigea sur tes sujets le tribut qu'il se promettoit. Je fis pr�parer en armes 53 de mes hommes, & me pourveus d'eschelles & autres choses necessaires pour assi�ger & escalader ledit fort, si qu'estant arriv� le 18 Septembre audit port aux Balaines, o� estoit construict ledit fort, je mis pied � terre, & fis advancer sur les deux heures apr�s midy mes hommes vers ledit fort, selon l'ordre que je leur avois donn�, & iceluy, attaquer par divers endroits, avec forces grenades, pots � feu & autres artifices, nonobstant la resistance & les mousquetades des ennemis, lesquels se voyant pressez prindrent l'espouvente & se presenterent aussi tost sur leur rampart, avec un drappeau blanc en la main, demandant la vie & le quartier � mon Lieutenant, ce pendant que je faisois les approches vers les portes dudit fort, que je fis promptement enfoncer, & aussi tost suivy de mes hommes j'entray dans ledit fort, & me saisis dudit Milor, que je treuvay arm� d'un pistolet & d'une esp�e qu'il tenoit en ses mains, & de tous ses hommes, lesquels au nombre de quinze estoient armez de cuirasses, brassarts, cuisarts & bourguignottes, ayans chacun une harquebuse � fusil en main, & le reste armez de mousquets & picques seulement: Et ayant iceux faict desarmez je fis oster les estendarts du Roy d'Angleterre, & fis mettre au lieu d'iceux ceux du Roy mon Maistre. Puis visitant ce qui estoit audit fort y trouv� un Fran�ois natif de Brest nomm� Ren� Cochoan, d�tenu prisonnier jusques � ce que son Capitaine (arriv� 303/1287deux jours auparavant en un port distant de deux lieues de celuy aux Balaines) eust apport� une pi�ce de canon qu'il avoit en son navire, & pay� le dixiesme de ce qu'il pescheroit, & le jour suivant je fis �quiper une carvelle Espagnolle que je trouvay eschou�e devant ledit fort, & charger les vivres & munitions qui estoient en iceluy, & apr�s l'avoir fait raser & desmolir, & le tout faict porter � ladite riviere du grand Cybou, je fis avec toute diligence travailler en ce lieu cinquante de mes hommes, & vingt des Anglois � la construction d'un retranchement ou fort sur l'entr�e de ladite riviere pour empescher les ennemis d'y entrer, dans lequel je laissay quarante hommes, compris le R. P. Vimond & Vieupont Jesuites, huict pi�ces de canon, dix-huict cens de pouldre, six cens de m�che, quarante mousquets, dix-huict picques, artifices, balles � canon & mousquets, vivres & autres choses necessaires, avec tout ce qui avoit est� trouv� dans ladite habitation & fort desdits Anglois, & ayant fait dresser les armes du Roy & de Monseigneur le Cardinal, faict faire une Maison, Chappelle & magasin, pris serment de fid�lit� du sieur Claude natif de Beauvais, laiss� pour commander ledit fort & habitation pour le service du Roy, & pareillement du reste des hommes demeurez audit lieu: Suis party le 5e jour de Novembre, & ay amen� lesdits Anglois, femmes & enfans, desquels en ay mis 42, � terre pr�s Falmue, port d'Angleterre, avec leurs hardes, & dix-huict ou vingt que j'ay amenez en France avec ledit Milor, attendant le commandement de mondit Seigneur le Cardinal Ce que je 304/1288certifie estre vray, & ay sign� la presente Relation. A Paris ce douziesme D�cembre 1629.793

Note 793: (retour)

Pour plus de d�tails sur cette exp�dition, voir: Prise d'un seigneur escossois & de ses gens qui pilloient les navires pescheurs de France, par M. Daniel de Dieppe, Capitaine pour le Roy en la Marine, & G�n�ral de la Nouvelle France, d�di� � M. le Pr�sident de Lauzon, intendant de la Cie. dudit pays, par le sieur de Malapart, soldat dudit sieur Daniel, Rouen, 1630; The barbarous cariage of the French in Cape Britaine, lord Ewchiltree's Information (State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, n. 46, 48).

Ayant sejourn� deux jours � Dieppe je m'acheminay � Rouen, o� je m'arrestay deux autres jours, & appris comme le vaisseau des Reverends Peres l'Allemand & Noyrot s'estoient perdus vers les Isles de Canseau, & me fit-on voir une lettre dudit Reverend P�re l'Allemand, Sup�rieur de la Mission des P�res Jesuites, en la nouvelle France, envoy�e de Bordeaux au R. P. Sup�rieur du Coll�ge des Jesuites � Paris, & datt�e du 22 Novembre 1629. comme il s'ensuit.



MON REVEREND PERE,

Pax Christi.

astigans castigavit me Dominus & morti non tradidit me, Chastiment qui m'a est� d'autant plus sensible que le naufrage a est� accompagn� de la mort du R. P. Noyrot & de nostre fr�re Louys, deux hommes qui devoient, ce me semble grandement servir � nostre S�minaire. Or neantmoins puis que Dieu a dispos� de la sorte, il nous faut chercher nos contentemens dans ses sainctes volontez, hors desquelles il n'y eut jamais esprit solide ny content, & se m'asseure 305/1289que l'exp�rience aura fait voir � vostre reverence que l'amertume de nos ressentiments d�tremp�e dans la douceur du bon plaisir de Dieu, auquel une ame s'attache inseparablement, perd ou le tout, ou la meilleure partie de son fiel. Si que s'il reste encore quelques souspirs pour les souffrances, ou pass�es ou presentes, ce n'est que pour aspirer davantage vers le Ciel, & perfectionner avec m�rite ceste conformit� dans laquelle l'ame a pris resolution de passer le reste de ses jours; De quatre des nostres que nous estions dans la barque, Dieu partageant � l'esgal, en a pris deux, a laiss� les deux autres. Ces deux bons Religieux tr�s-bien disposez & resignez � la mort, serviront de victime pour appaiser la col�re de Dieu justement jett�e794 contre nous pour nos deffauts, & pour nous rendre desormais sa bont� favorable au succeds du dessein entrepris.

Note 794: (retour)

Irrit�e.

Ce qui nous perdit fut un grand coup de vent de Suest, qui s'esleva lors que nous estions � la rive des terres, vent si imp�tueux que quelque soin & diligence que peust apporter nostre Pilote avec ses Matelots, Quelques voeux & pri�res que nous peussions faire pour destourner ce coup, jamais nous ne peusmes faire en sorte que nous n'allassions heurter contre les rochers: ce fut le 26e jour d'apr�s nostre d�part, jour de sainct Barthelemy795, environ sur les neuf heures du soir; De 24 que nous estions dans la barque, dix seulement eschapperent, les autres furent estouffez dans les eaux. Les deux nepveux du P�re Noyrot 306/1290tindrent compagnie � leur oncle, leurs corps ont est� enterrez, entre autres celuy du P. Noyrot & de nostre fr�re, des sept autres nous n'en avons eu aucune nouvelles, quelque recherche que nous en ayons peu faire. De vous dire comment le P�re de Vieuxpont & moy avons eschapp� du naufrage, il me seroit bien difficille, & croy que Dieu seul en a cognoissance, qui suivans les desseins de sa divine providence nous a preservez, car pour mon regard ne jugeant pas dans les apparences humaines qu'il me fust possible d'�viter ce danger, j'avois pris resolution de me tenir dans la chambre du navire avec nostre fr�re Louys, nous disposans tous deux � recevoir le coup de la mort, qui ne pouvoit tarder plus de trois Merere, u lors que t'entendis qu'on m'appelloit sur le haut du navire, je croyois que c'estoit quelqu'un qui avoit affaire de mon secours, je montay en haut, & trouvay que c'estoit le P. Noyrot qui me demandoit de rechef l'absolution: Apr�s luy avoir donn�e, & chant� tous ensemble le Salve Regina, je fus contrainct de demeurer en haut; car de descendre il n'y avoit plus de moyen, la mer estoit si haute, & le vent si furieux, qu'en moins de rien le cost� qui panchoit sur le rocher fut mis en pi�ces, j'estois proche du P. Noirot lors qu'un coup de mer vint si impetueusement donner contre le cost� sur lequel nous estions qui rompit tout, & me separa du P. Noyrot, de la bouche duquel t'entendis ces derni�res paroles, In manus ci tuas Domine, etc. Pour moy de ce coup je me trouvay engag� entre quatre pi�ces de bois, deux 307/1291desquelles me donnerent si rudement contre la poictrine, & les deux autres me briserent si fort le dos que je croyois mourir auparavant que d'estre envelopp� des flots, mais voicy un autre coup de mer qui me desengageant de ces bois m'enleva, & mon bonnet & mes pantoufles, & mist le reste du navire tout � plat dans la mer: le tombay heureusement sur une planche que je n'abandonnay point, de rencontre elle estoit li�e avec le reste du cost� de ce navire. Nous voil� doncques � la mercy des flots, qui ne nous espargnoient point: ains s'eslevans je ne s�ay combien de could�es au dessus de nous, tomboient par apr�s sur nos testes. Apr�s avoir flott� longtemps de la sorte dans l'obscurit� de la nuict, qui estoit desja commenc�e, regardant � l'entour de moy je m'apperceus que nous estions enfermez d'espines & sur tout environnez & prest du costau qui sembloit une isle, puis regardant un peu plus attentivement je contay six personnes qui n'estoient pas fort esloign�es de moy, deux desquels m'appercevans, m'excit�rent � faire tous mes efforts pour m'approcher, ce ne fut pas sans peine, car les coups que j'avois receus dans le d�bris du vaisseau m'avoient fort affoiblis: le fis tant neantmoins, qu'avec mes planches j'arrivay au lieu o� ils estoient, & avec leur secours je me trouvay assis sur le grand mast, qui tenoit encore ferme avec une partie du vaisseau, je n'y fus pas long-temps car comme nous approchions plus pr�s de ceste isle, nos Matelots se lanc�rent bien-tost � terre, & avec leur assistance tous ceux qui estoient sur le 308/1292cost� du navire y furent bien tost apr�s. Nous voil� donc sept de compagnie, je n'avois bonnet ny souliers, ma soutane & habits estoient tous deschirez, & si moulus de coups que je ne pouvois me soustenir, & de faict il fallut qu'on me soustint pour aller jusques dans le bois, aussi avois-je receu deux rudes coups aux deux jambes, mais sur tout � la dextre, dont je me retiens encore, les mains fendues avec quelque contusion, la hanche escorch�e, la poitrine sur tout bort offenc�e, nous nous retirasmes donc tous sept dans le bois, mouillez comme ceux qui venoient d'estre trempez dans la mer: la premi�re chose que nous fismes fut de remercier Dieu de ce qu'il nous avoit preservez, & puis le prier pour ceux qui pourroient estre morts. Cela faict pour nous eschauffer nous nous couchasmes les uns proches des autres, la terre & l'herbe qui avoient est� mouillez de la pluye du jour n'estoient encore propre pour nous seicher, nous passasmes ainsi le reste de la nuict, pendant laquelle le P. de Vieuxpont (qui gr�ces � Dieu n'estoit point offenc�) dormit fort bien. Le l'endemain si tost qu'il fut jour nous allasmes recognoistre le lieu o� nous estions, & trouvasmes que c'estoit une isle de laquelle nous pouvions passer � la terre ferme, sur le rivage nous trouvasmes forces choses que la mer y avoit jett�, j'y trouvay deux pantoufles, un bonnet, un chappeau, une soutanne, & plusieurs autres choses necessaires. Sur tout Dieu nous y envoya pour vivres cinq bariques de vin, quelques dix pi�ces de lard, de l'huile, du pain des fromages, 309/1293& une harquebuse, & de la pouldre tout � propos pour faire du feu. Apr�s qu'on eut ainsi tout retir�, le jour de sainct Louys796 tous s'employerent � faire le possible pour bastir une chalouppe du desbris du vaisseau, avec laquelle nous irions rangeant la coste chercher quelque navire de pescheurs: On se mit doncques � travailler avec meschans ferremens que l'on trouva, elle estoit bien advanc�e, le quatriesme jour, lors que nous eusmes cognoissance d'une chalouppe qui estoit sous voile venant vers le lieu o� nous estions, ils receurent dedans un de nos matelots qui alla tout seul plus proche du lieu o� elle devoit passer, ils le men�rent dans leur vaisseau parler au Maistre, auquel il raconta nostre disgrace, le maistre tout aussi-tost s'embarqua dans une chalouppe & nous vint trouver, nous offrit � tous le passage: Nous voila en asseurance, car le lendemain tous les hommes couch�rent dans son vaisseau: C'estoit un vaisseau Basque qui faisoit pesche � une lieue & demie du rocher, o� nous fismes naufrage, & pour autant qu'il restoit encores bien du temps pour achever leur pesche, nous demeurasmes avec eux ce qui restoit du mois d'Aoust, & tout le mois de Septembre. Le premier d'Octobre arriva un Sauvage qui dist au Maistre que s'il ne s'en alloit il y auroit danger que les Anglois ne le surprissent. Cette nouvelle le disposa au d�part: Le mesme Sauvage nous dist que le Capitaine Daniel estoit � vingt-cinq lieues de l� qui bastissoit une maison, & y laissoit des Fran�ois avec un de nos 310/1294Peres: Cela me donna occasion de dire au P. de Vieuxpont qui me pressoit fort que je luy accordasse de demeurer avec ce Sauvage dans ceste coste, qui estoit bien l'un des meilleurs Sauvages qui se puisse rencontrer, Mon P�re voicy le moyen de contenter vostre reverence, le P�re Vimond sera bien aise d'avoir un compagnon. Ce Sauvage s'offre de mener vostre Reverence jusques au lieu o� est Monsieur Daniel, si elle veut demeurer l� elle y demeurera, si elle veut aller quelques mois avec les Sauvages, pour apprendre la langue elle le pourra faire, & ainsi le R. P�re Vimond & vostre Reverence auront leur contentement: le bon Pere fut extresmement joyeux de ceste occasion qui se presentoit, ainsi il s'embarque dans la chalouppe du Sauvage, je luy laissay tout ce que nous avions sauv�, horsmis le grand Tableau duquel le matelot Basque s'estoit saisi, mais j'avois bien pens� au retour de luy faire rendre, si une autre disgrace ne nous fut arriv�e. Nous partismes donc de la coste le 6 Octobre, & apr�s avoir endur� de si furieuses tempestes que nous n'avions encores exp�riment�es, le quarantiesme jour de nostre d�part entrant dans un port proche de S. Sebastien, nous fismes de rechef un second naufrage, le Navire rompu en mille pi�ces, toute la molue perdue, ce que je peux faire ce fut de me sauver dans une chalouppe, dans laquelle je me jettay avec des pantoufles aux pieds, & un bonnet de nuict en teste, & en ceste esquippage m'en aller trouver nos P�res � S. Sebastien, d'o� je partis il y a huict jours, & suis arriv� � Bourdevac 311/1295proche de Bordeaux le 20 de ce mois797. Voila le succeds de nostre voyage, par lequel vostre Reverence peut juger des obligations que j'ay � DIEU.

Note 795: (retour)

Le 24 ao�t.

Note 796: (retour)

Le 25 ao�t.

Note 797: (retour)

Le 20 de novembre.

De Rouen je m'acheminay � Paris, o� je fus saluer sa Majest�, Monseigneur le Cardinal, & Messieurs les Associez, auquel je fis entendre tout le sujet de mon voyage, & ce qu'ils avoient � faire, tant en Angleterre qu'aux autres choses qui convenoit pour le bien & utilit� de ladite nouvelle France, l'on despescha quelque temps apr�s mon arriv�e � Paris, le sieur Daniel 798 le medecin pour aller � Londres treuver mondit sieur l'Ambassadeur, avec lettres de sa Majest� pour demander au Roy d'Angleterre qu'il eust � faire rendre le Fort & Habitation de Qu�bec, & autres ports & havres qu'il avoit pris aux costes d'Acadie, apr�s la paix faicte entre les deux Couronnes de France & d'Angleterre: Ce que mondit sieur l'Ambassadeur demande au Roy & � son Conseil, qui ordonna que le Fort & Habitation seroient remis entre les mains de sa Majest�, ou ceux qui auroient pouvoir d'elle, sans parler des costes d'Acadie.

Note 798: (retour)

Probablement Andr� Daniel. Le P. Ducreux le mentionne comme l'un des Cent-Associ�s, et lui donne le titre de Doctor Medicus.

Mondit sieur Ambassadeur renvoya Daniel porter la responce, s�avoir si sa Majest� l'auroit pour agr�able. Ce qu'attendant lesdits sieurs Directeurs ne laisserent de supplier sa Majest� & Monseigneur le Cardinal leur vouloir octroyer six de ses vaisseaux avec quatre pataches qu'ils fourniroient pour aller 312/1296au grand fleuve S. Laurens reprendre possession du Fort & Habitation de Qu�bec, suivant l'accord qui en seroit faict entre leurs Majest�s, que si cas advenant que l'on ne voulust remettre la place entre les mains de ceux qui auroient pouvoir de sa Majest�, ils seroient contraints par toutes les voyes justes & raisonnables. Ladite Soci�t� fournissant seize mille livres pour l'interests de six vingts mille livres, qu'il failloit � mettre les vaisseaux hors. Monsieur le Chevalier de Rasilly fut esleu pour g�n�ral de ceste flotte, on les esquippe & appareille de tout ce qui estoit necessaire, ce pendant sa Majest� qui avoit � faire aux guerres d'Italie, ne peust rendre response au Roy d'Angleterre, & mondit sieur l'Ambassadeur qui attendoit la despeche de sa Majest�.

L'Anglois prend alarme de l'armement de ses vaisseaux, ils en font plainte � mondit sieur l'Ambassadeur, qui leur dit, qu'ils ne devoient appr�hender sur ce sujet, d'autant que sa Majest� n'avoit desir que de traitter � l'amiable, puisqu'ils avoient ainsi commenc�, que les vaisseaux que l'on armoit n'estoient que pour faire escorte � ceux de la societ�, qui avoient interest de reprendre possession de ce qui leur appartenoit, portant ce qui leur estoit necessaire pour les hommes qui devoient demeurer en ces lieux. Puisqu'ils entroient en ombrage, il feroit qu'� son retour sa Majest� leur donneroit contentement, en ostant le soub�on qu'ils pourroient avoir, en traitant de ceste affaire � l'amiable: sur ce de rechef le Roy de la grande Bretagne promet faire restituer ce que ses sujets avoient pris depuis la paix faite.

313/1297Mondit sieur l'Ambassadeur s'en revient trouver sa Majest�, & mondit Seigneur le Cardinal en Savoye, ausquels il fait entendre tout ce que dessus, ce que ouy l'on contremande le commandement qui avoit est� donn� pour les vaisseaux qui devoient aller audit Qu�bec, le voyage rompu, les affaires demeurent en cet estat, pour le divertissement que sa Majest� avoit en Italie, & ne fit on response attendant la fin de ces guerres, ce pendant les Anglois qui ne perdent temps arment deux vaisseaux, avec vivres & marchandises pour porter audit Qu�bec, qui ne croyoient icelle ann�e rendre la place: l'on ne traita rien de ces affaires pour les causes susdites.

D'autre part les sieurs Directeurs font esquipper deux vaisseaux pour le Cap Breton, & secourir ceux qui y estoient habituez, & deux autres qui furent accommodez � Bordeaux, pour aller faire une habitation en l'Acadie, o� estoit le fils de la Tour, qui avoit succed� en la place du feu sieur Jean Biencour. Nous laisserons voguer ces vaisseaux tant d'un cost� que d'autre, pour voir ce qui en r�ussira � leur retour, & quelles nouvelles nous apprendrons du progrez qui y aura est� fait, & comme les hyvernans tant du Cap Breton, que Anglois auront pass� le temps � Qu�bec. Le sieur Tufet fait faire l'esquippage de ceux de Bordeaux l'an 1630. chargez de commoditez necessaires, pour aller faire une habitation � la coste d'Acadie, o� il met des ouvriers & artisans avec trois Religieux de l'ordre des Peres Recollets, le tout sous la conduitte du Capitaine Marot de sainct Jean de Lus, se mettent en 314/1298mer pour avec la gr�ce de Dieu parfaire leur voyage, ayant est� contrariez de mauvais temps � leur traverse pr�s de trois mois, ils arrivent � un lieu qui s'appelle le Cap de Sable, sous la hauteur de 44 degrez o� ils treuverent le fils de la Tour799 & quelques autres volontaires Fran�ois qui estoient avec luy, auquel ledit Marot donna des lettres dudit sieur Tufet, par lesquelles l'on mandoit audit de la Tour, de se maintenir tousjours dans le service du Roy, & de n'adh�rer ny condescendre aux volontez de l'Anglois, comme plusieurs meschans Fran�ois avoient fait, lesquels se ruynoient d'honneur & de r�putation d'avoir deservy sa Majest�, ce qui ne se pouvoit esperer de luy, s'estant tousjours maintenu jusqu'� present, & que pour cet effect il luy envoyoit des vivres, rafreschissement, armes, & hommes pour l'assister, & faire �difier une habitation au lieu qu'il jugeroit le plus commode, & plusieurs autres discours tendant � ce sujet. La Tour tres-aise de voir naistre ce que � peine il pouvoit esperer, qui neantmoins ne s'estoit laiss� emporter aux persuasions de son p�re 800 qui estoit avec les Anglois, souhaitant plustost la mort que 315/1299de condescendre � une telle meschancet� que de trahir son Roy, qui donna du m�contentement aux Anglois, contre le p�re de la Tour qui leur avoit asseur� de r�unir son fils � leur rendre toute sorte de service.

Note 799: (retour)

Charles-Amador, fils de Claude-Turgis de Saint-�tienne de la Tour. Il fut d'abord enseigne, puis lieutenant de M. de Biencourt, qui, en mourant, lui l�gua ses droits sur Port-Royal, et le nomma son successeur dans le commandement. M. de Biencourt, autant qu'on peut en juger, �tait mort vers le commencement de l'ann�e 1624. (Conf. Lettre de La Tour au roi, 1627, et page 83 ci-dessus.)

Note 800: (retour)

Claude de La Tour, p�re, avait �t� pris l'ann�e pr�c�dente, par la flotte de Kertk (ci-dessus, p. 17;). Il revenait de France pour rejoindre son fils dans l'Acadie. Emmen� en Angleterre comme prisonnier, il laissa �branler sa fid�lit� envers son souverain, et il �pousa une dame anglaise de haute condition. Cette alliance lui imposa une esp�ce d'obligation d'engager son fils � remettre son fort en l'ob�issance du roi d'Angleterre; ce qui lui r�ussit fort mal: car le jeune de La Tour r�sista courageusement � toutes les suggestions et m�me les attaques de son p�re. (Denys, t. I, p. 68 et suivantes.)

Ayant leu ces lettres, & la r�ception faicte avec le contentement qu'un chacun pouvoit desirer & principalement les P�res Recollets de se voir au lieu qu'ils avoient souhaitt�, tant pour remettre les Fran�ois au droit chemin de la crainte de Dieu, qui avoient est� plusieurs ann�es sans avoir est� confessez, ny receu le S. Sacrement, que pour l'esperance qu'ils se promettoient de faire quelque progrez envers la conversion de ces pauvres infid�les, qui sont errans le long des costes, menant une vie miserable, telle que je l'ay represent�e cy dessus.

Lesdits de la Tour & Marot adviserent qu'il falloit donner advis � la Tour le p�re, qui estoit au port Royal avec lesdits Anglois, de tout ce qui se passoit en ce lieu, le persuadant � le faire revenir & laisser lesdits Anglois, ce qui fut ex�cut�, tant pour le remettre en son devoir, comme pour s�avoir de luy l'estat des Anglois & leur dessein, pour en suitte se gouverner selon qu'ils adviseroient suyvant sa relation.

Ils envoyerent un nomm� Lestan801 avec lettre dudit la Tour � son p�re, qui l'ayant receue & leue aussi tost se mit en devoir de venir trouver son fils, ne pouvant ny esperant faire grande fortune avec les Anglois, qui avoient grandement diminu� de 316/1300l'opinion qu'ils en avoient eue802: Arriv� qu'il fut audit Cap de Sable, il donne � entendre ce que l'Anglois avoit dessein de faire, qui estoit de venir prendre leur fort, c'est pourquoy ils avoient � se fortifier le mieux qu'il leur seroit possible, pour empescher l'Anglois de son dessein: s�avoir s'il disoit vray & pour se rendre necessaire, je tiens qu'il n'y avoit pas beaucoup d'apparence que l'Anglois eust voulu remuer la Paix, estant & s�achant les plaintes que l'on en avoit faites au Roy de la grande Bretagne, qui offroit de rendre & restituer tout ce qui avoit est� pris depuis la paix faicte: quoy que ce soit, il ne faut pas n�gliger de se loger fortement, aussi bien en temps de paix, que de guerre, pour se maintenir aux accidents qui peuvent arriver, c'est ce que je conseille � tous entrepreneurs de rechercher lieu pour dormir en seuret�.

Note 801: (retour)

C'est peut-�tre ce �nomm� Lestan� qui a laiss� son nom au Havre � l'Estant pr�s de l'entr�e de la baie de Passamaquoddie.

Note 802: (retour)

D'apr�s Denys, qui tenait ses renseignements de La Tour lui-m�me, le retour du p�re ne se fit pas tout � fait comme le dit l'auteur. Claude de La Tour, n'ayant pu r�ussir ni � gagner son fils par des promesses, ni � le contraindre par la force, se trouva fort embarrass�, ne pouvant plus repara�tre en Angleterre et encore moins retourner en France. Il prit le parti d'�crire � son fils, & le pria de souffrir que sa femme & luy demeurassent dans le pays... Son fils luy fit r�ponse, qu'il ne vouloit point estre la cause de sa mort, mais qu'il ne luy pouvoit accorder sa demande qu'� condition qu'il n'entreroit ny luy ny sa femme dans son fort; qu'il leur feroit bastir un petit logement au dehors, que c'estoit tout ce qu'il pouvoit faire; il receut la condition que son fils luy fit. Le Capitaine envoya tout leur �quipage � terre, o� la Tour p�re d�cendit avec sa femme, deux hommes pour le servir, & deux filles de chambre pour sa femme. Le jeune de la Tour leur fit bastir un logement � quelque distance du fort, o� ils s'accommod�rent du mieux qu'ils peurent. Ils avoient apport� quelques victuailles, qui ne furent pas plutost consomm�es, que la Tour fils y supplea, en nourrissant son p�re & toute sa famille.� �Environ l'an mil six cens trente cinq, ajoute Denys, je passay par l�; je fus voir le jeune de la Tour, qui me receut tr�s-bien, & me permit de voir son p�re en son logement; ce que je fis. Il me receut bien, m'obligea de d�ner avec luy & sa femme; ils estoient fort proprement meublez.� (Description de l'Am�rique, t. I, p. 74-77.)

Ledit p�re de la Tour fit aussi rapport qu'il estoit mort trente Escossois, de septante qu'ils estoient en cet hyvernement, qui avoient est� mal accommodez: fut resolu tant par le Conseil desdits de la 317/1301Tour p�re & fils, que Marot, & P�res Recollets, de faire encore une habitation � la riviere S. Jean pour plusieurs raisons telles quelles, qui est � quatorze lieues du port Royal, plus au Nort dans la Baye Fran�oise: que pour parvenir � l'ex�cution de ceste entreprise, il estoit necessaire d'avoir des hommes & commoditez pour basti & se fortifier en ladite riviere.

Pour ne perdre temps il falloit d�pescher le moyen vaisseau audit sieur Tufet, & envoyer promptement des hommes & autres choses necessaires, pour s'opposer aux forces de l'Anglois, qui ne taschoit que de temps en temps � usurper tout le pa�s, & qu'en icelle habitation nouvelle le p�re de la Tour y commanderoit, le fils au Cap de Sable, qui fit retenir toutes les commoditez des vaisseaux qu'il jugea luy estre necessaires: Le moyen vaisseau ne fit ny traite ny pesche pour payer les fraiz de son embarquement, & ainsi l�g�rement s'en revient � Bordeaux avec lettres tant des Peres Recollets que de la Tour, addressantes � Messieurs les Directeurs de la Nouvelle France, qui fut vers la fin du mois d'Octobre: ledit Marot demeura l� avec le grand vaisseau, pour essayer � faire quelque chose pour payer le voyage.

Ceste nouvelle receue dudit sieur Tufet, par le retour du moyen vaisseau si l�ger, ne luy peust donner grand contentement, pour le renvoy estre trop precipitement & l�g�rement fait, sans y avoir du sujet necessaire qui les peust avoir esmeuz � cela.

Car la resolution de ce Conseil qui avoient plustost 318/1302leurs inclinations au bien de leur contentement, & autres de leurs affaires particuli�res, qu'� conserver & employer le bien de ceux qui les employent � leur proffit, pour supporter la despense qui se fait en cet embarquement, que si le mesnagement de ceux qui sont employez n'est fait avec soing & vigilence, accompagn� de fid�lit�, les voyages se rendent inutils, font perdre courage aux entrepreneurs, qui ne font les rencontres selon leurs volontez, & souvent deceu de ce qu'ils s'estoient peu imaginer en ces desseins.

Quelle raison avoit il d'envoyer ce vaisseau vuide pour demander du secours, lequel quand on l'eust voulu renvoyer � mesme temps, avec les choses necessaires pour cet effect, il se fut pass� plus de quatre � cinq mois, qui n'eust peu estre que vers la fin de Fevrier ou Mars, dans la rigueur de l'hyver, o� les neges sont de deux � trois pieds, & les traverses fort fascheuses en ce temps, comme l'on voit assez par exp�rience, qui est fatiguer tous ceux d'un vaisseau, & quelquesfois courir risque de se perdre, ou estre desmatez & rel�cher qui se voit assez souvent pour se haster trop tost, encore qu'� l'Acadie l'on peut aborder la terre en tout temps, & y arrivant en l'hyver l'on ne laine d'y avoir de grandes incommoditez, comme nous l'avons exp�riment�.

Que si l'Anglois eust eu volont� d'aller prendre la Tour, & se sentant plus fort comme le representoit le P�re, ils l'eussent emport� s'il n'eust est� bien fortifi� & amunitionn�, premier que le secours de France luy fut arriv�.

Mais ayant des hommes & commoditez que ledit 319/1303Marot avoit port�, ils n'avoient que faire de craindre estant un peu fortifiez comme ils eussent peu faire, & laisser faire la pesche de poisson & traitte aux vaisseaux, & ne le renvoyer vuide avec une lettre: sa charge faite revenant de compagnie avec ledit Marot, il eust apport� dequoy (au moins en partie) payer son voyage, & les lettres fussent venues aussi � temps pour ce qu'ils desiroient, comme quand ils le firent partir sans rien rapporter, car ils pouvoient s'imaginer que l'on ne renvoyeroit qu'au Printemps, par consequent vaine leur resolution inconsider�e & pr�cipit�e, qui a fait perdre beaucoup audit sieur Tufet, & des sieurs de la societ� qui se fussent bien pass�s de telle depesche. Presqu'en ce mesme temps arriva un vaisseau pescheur du Cap Breton, dans lequel repassoit les Reverends P�res Vimond & Vieux-pont Jesuistes, par le commandement qui leur en avoit est� faict de leur Reverend P�re Provincial, qui dirent qu'� ladite habitation du grand Cibou, en l'isle dudit Cap Breton estoit mort douze Fran�ois du mal de terre, qui est le securbut, & d'autres malades, le Printemps les remit: Ces maladies comme j'ay dit en mes premiers voyages, ne vient que de manger des salures, pour n'avoir des viandes ou autres choses rafraichissantes, comme nous avons esprouv� en nos habitations par le pass�. Durant l'hyvernement ils virent peu de Sauvages qui n'y viennent que par rencontre chercher les vaisseaux Fran�ois qui y peuvent estre pour traitter avec eux: ces endroits ne sont pas beaucoup plaisans ny agr�ables que pour la pesche de molue. Ils laisserent les deux vaisseaux 320/1304que Messieurs les Directeurs avoient envoyez pour le secours d'icelle habitation, qui avoient traitt� quelque nombre de peaux d'eslans, faisant leur pesche de poisson, comme plusieurs autres vaisseaux qui sont par toutes ces costes.

Vers le 10 Octobre arriverent � Londres deux vaisseaux Anglois, l'un du port de deux cens cinquante tonneaux, & l'autre de cent, qui revenoient de Qu�bec o� ils avoient fait monter leur vaisseau de Tadoussac pour n'estre en la puissance de ceux qui eussent est� plus forts qu'eux, s'il en fut venu comme ils s'imaginoient, en l'un commandoit le Capitaine Thomas Quer Vis-Admiral au voyage pr�c�dent, & le Capitaine Breton Anglois bon marinier, lequel avoit fait bon traittement en son vaisseau aux Peres Jesuistes quand nous retournasmes de Qu�bec avec lesdits Anglois l'ann�e d'auparavant, lesquels ramen�rent deux Fran�ois qu'ils avoient retenus par del�, l'un charpentier & l'autre laboureur, qui de Londres revindrent � Paris, lequel nous dit qu'ils avoient rapport� pour trois cens mille livres de peleterie, & estoit mort quatorze Anglois de nonante qu'ils estoient, de pauvret� & misere durant l'hyver, & autres qui avoient est� assez malades, n'ayant fait bastir ny d�fricher aucune terre depuis nostre d�partement, sinon ensemencer ce qui estoit labour� tant la maison des P�res Jesuistes que Peres Recollets, dans lesquelles maisons y avoit dix hommes pour les conserver, qu'au fort ils n'avoient fait qu'un parapel de planche sur le rampart, & remply deux plates formes que j'avois fait commencer: de bastiment dedans ils n'en 321/1305avoient fait aucun, horsmis une de charpente contre le rempart, qu'en partie ils avoient d�fait du cost� de la pointe aux Diamants pour gaigner de la place, & qu'elle n'estoit pas encore achev�e. Que dans le fort y avoit quatorze pi�ces de canon, avec cinq espoirs de fonte verte qu'ils nous avoient pris, & quelques pierriers, estant bien amunitionn�es, & estoient restez quelques septante Anglois. Que le tonnerre avoit tomb� dans le fort & rompu une porte de la chambre des soldats, entr� en icelle, meurtry trois � quatre personnes, pass� dessous une table, tu� deux grands dogues qui estoient pour la garde, & s'en estoit all� par le tuyau de la chemin�e qui en avoit abatu une partie, & ainsi se perdit en l'air.

Dit que les mesnages Fran�ois803 qui resterent ont est� tr�s mal traictez, de ceux qui se sont rendus aux Anglois, & principalement d'un appelle le Bailly, duquel j'ay parl� cy dessus. Pour ce qui est du Capitaine Louis & des Anglois ils n'en ont point est� inqui�tez: rapporte qu'ils s'attendoient bien que ceste ann�e les vaisseaux du Roy y deussent aller avec commission du Roy de la grande Bretagne, pour les en faire desloger, ce qu'ils eussent fait non autrement que par force: Voil� ce que nous avons eu de nouvelles qu'injustement ils tiennent ceste place, & en tirent les �moluments qui ne leur appartiennent, mais l'esperance que l'on a que le Roy d'Angleterre la fera rendre au Roy avec douceur & non de force, convenir des limites que chacun doit posseder, & non vouloir des Virgines 322/1306embraser toutes les costes qui ne leurs appartiennent, comme il se peut voir & s�avoir par les relations de ceux qui ont premi�rement descouvert & possed� actuellement & r�ellement ces terres, au nom de nos Roys devanciers jusqu'� maintenant, sous LOUYS le JUSTE XIII. Roy de France & de Navarre, que Dieu veuille combler de milles benedictions, & accroistre son r�gne d'une heureuse & longue vie.

Note 803: (retour)

Ces m�nages sont les cinq familles dont il a �t� parl� ci-dessus, p. 205, 206.

FIN.



ABREG� DES DESCOUVERTURES

de la Nouvelle France, tant de ce que nous avons descouvert comme aussi les Anglais, depuis les Virgines Jusqu'au Freton Davis, & de ce qu'eux & nous pouvons pr�tendre, suivant le rapport des Historiens qui en ont descrit, que je rapporte cy dessous, qui feront juger � un chacun du tout sans passion.

Les Anglois ne nous disputent point toute la Nouvelle France, & ne peuvent desnier ce que tout le monde a accord�, ains seulement d�battent des confins, nous restraignant jusqu'au Cap Breton, qui est par la hauteur de quarante cinq degr�s trois quarts de latitude, ne nous permettant pas d'aller plus au midy, s'attribuant tout ce qui est de la Floride jusqu'au dit Cap Breton, & ces derni�res ann�es ils ont voulu s'estendre par usurpation jusqu'au fleuve sainct Laurent, comme ils ont fait.

Voicy le fondement de leur pr�tention, qui est 323/1307qu'environ l'an 1594,804 estant aux costes de la Floride arriverent en un lieu que lesdits Anglois appelloient Mocosa, y ayant treuv� quelques rivieres & pa�s qui leur agr�a, ils commenc�rent � y vouloir bastir, luy imposant le nom de Virgines: mais ayant est� contrariez par les Sauvages & autres accidents, ils furent contrains de quitter, ny ayant demeur� que deux ou trois ans: neantmoins depuis le feu Roy Jacques d'Angleterre venant � la couronne prit resolution de la recognoistre, habiter & cultiver, � quoy ledit Roy favorisant a baill� de grands privileges � ceux qui entreprendroient ceste peuplade, & entr'autres a estendu le droict de leur retenue d�s le 33e degr� de l'�levation jusqu'au 45 & 6, leur donnant pouvoir sur tous Estrangers qu'ils treuveroient dans ceste estendue de terre, & 50 mille avant en la mer. Ces lettres du Roy furent exp�di�es l'an quatriesme de son r�gne, & de gr�ce 1607, le 10 d'Avril, il y a 24 ans. Voil� tout ce qui se peut apprendre de leurs commissions & enseignements pour ces contr�es. Voicy ce que nous leurs respondons.

Note 804: (retour)

La premi�re tentative d'�tablissement � la Virginie fut celle de sir Walter Raleigh, en 1584. Sir Francis Drake ramena la colonie en Angleterre au bout de deux ans (Holmes' American Annals).

En premier lieu, que leurs lettres royaux sur quoy ils se fondent les d�disent de leur pr�tention, parce qu'il est dit expressement dans icelles avec exception specifi�e, Nous leur donnons toutes les terres jusqu'au 45e degr�, lesquelles ne sont point actuellement possed�es par aucun Prince Chrestien. Or est il que lors de la datte de ces lettres, le Roy de France actuellement & r�ellement possedoit pour 324/1308le moins jusqu'au quarantiesme degr� de latitude desdites terres, o� depuis quelques ann�es les Holandois s'y sont establis, tout le monde le s�ait par les voyages du sieur de Champlain imprimez, avec les cartes, ports, & havres de toutes les costes qu'il fit, qui depuis chacun s'en est servy, & les ont adapt�s sur les globes & cartes universelles, que l'on a corrig�es de cet �chantillon de terre, & voit on par lesdits voyages qu'en l'an 1604, ils estoient � saincte Croix, & en l'an 1607. 805 au port Royal, auquel ledit Champlain donna le nom, comme � plusieurs autres lieux que l'on voit par ses cartes, le tout habit� par le feu sieur de Mons, qui gouvernoit tout ce pa�s jusqu'au quarantiesme degr�, comme Lieutenant de sa Majest� tres-Chrestienne.

Note 805: (retour)

De 1605 � 1607 (voir l'�dition de 1613).

Auparavant l'an pr�c�dent 1603 ledit Champlain par commandement de sa Majest� fit le voyage de la Nouvelle France, en la grande riviere sainct Laurent, & � son retour en fit rapport � sa Majest�, lequel rapport & description il fit imprimer deslors, partit de Hondefleur en Normandie le 15 de Mars audit an, en ce mesme temps le feu sieur Commandeur de Chaste gouverneur de Dieppe; estoit Lieutenant g�n�ral en ladite Nouvelle France: depuis le 40 degr� jusqu'au 52e de latitude.

Si les Anglois disent que seulement ils n'ont pas possed� les Virgines d�s l'an 1603, 4 & 7, ains d�s l'an 1594, qu'ils treuverent comme avons dit.

L'on respond que la riviere qu'ils commen�oient lors � posseder est au 36e & 37e degr�, & que ceste leur all�gation � l'advanture pourroit valloir, s'il 325/1309n'estoit question que de tenir ceste riviere, & 7 � 8 lieues de l'un de l'autre cost� d'icelle, car autant se peut porter la veue pour l'ordinaire, mais que s'attribuant par domination l'on s'estende trente & six fois plus loing que l'on n'a recognu, c'est vouloir avoir les bras ou plustost la cognoissance bien monstrueuse. Posons que cela se puisse faire.

Il s'ensuiveroit que Ribaut & Laudonniere estant allez � la Floride en bon esquippage, par auctorit� du Roy Charles IX, l'an 1564, 5 & 6, pour cultiver & habiter le pa�s y estant �difi� la Caroline 806 au 35e ou 36e degr� & par ainsi voil� l'Anglois hors des Virgines, suyvant leurs propres machines.

Note 806: (retour)

Voir ci-dessus, premi�re partie, p. 18, note 4.

Pourquoy eux estant au 36e ou 37e avanceront plustost au 45e que nous, comme ils confessent, estant au 46e ne descendrons nous jusqu'au 37e quel droict y ont ils plus que nous, voil� ce que nous respondons aux Anglois.

Et est tr�s certain & confess� de tous, que sa Majest� tr�s chrestienne, a prins possession de ces terres avant tout autre Prince Chrestien, & asseur� que les Bretons & Normans treuverent premiers le grand Ban& les terres neufves, ces descouvertures faictes en l'an 1504. il y a 126 ans, ainsi qu'il se peut voir en l'histoire de Niflet807 & Anthoine Magin imprim� � Douay.

Note 807: (retour)

Wytfliet. (Voir ci-dessus, premi�re partie, p. 11, note 1.)

Et d'advantage tous confessent que par commandement du Roy Fran�ois, Jean Verazan prit possession desdites terres au nom de France commen�ant d�s le 33e degr� de l'�levation jusqu'au 47e, 323/1310ce fut par deux voyages desquels le dernier fut fait l'an 1523. 808 il y a 107 ans.

Note 808: (retour)

Voir ci-dessus, premi�re partie, p. 11, note 2, 3 et 4.

Outre Jacques Cartier entra le premier en la grande riviere sainct Laurent, par deux voyages qu'il y fut, & descouvrit la plus grande part des costes de Canadas, � son dernier voyage l'an 1535. il fut jusqu'au Grand Sault sainct Louis de ladite grande riviere.

Et en l'an 1541. il fit un autre voyage comme Lieutenant de Messire Jean Fran�ois de la Roque sieur de Robert-Val, qui estoit Lieutenant g�n�ral audit pa�s, ce fut son troisiesme voyage o� il demeura, ne pouvant vivre au pa�s avec les Sauvages qui estoient insupportables, & ne pouvoit descouvrir que ce qu'il avoit fait: il se d�lib�ra de s'en retourner au Printemps, ce qu'il fit, en un vaisseau qu'il avoit reserv�, & estant le travers de l'isle de terre neufve, il fit rencontre dudit sieur de Robert-Val qui venoit avec trois vaisseaux l'an 1542. il fit retourner ledit Cartier � l'isle d'Orl�ans 809 o� ils firent une habitation, & y estant demeur� quelque temps, l'on tient que sa Majest� le manda pour quelques affaires importantes, & ceste entreprise peu � peu ne sortit � aucun effect, pour n'y avoir apport� la vigilance requise.

Note 809: (retour)

La relation du voyage de M. de Roberval prouve, au contraire, que Cartier ne voulut point retourner avec lui, et �partit incontinent pour se rendre en Bretagne.� (Voy. du sieur de Roberval.)

Presque en ce mesme temps Alfonse Xintongeois fut envoy� vers la Brador, par ledit sieur de Robert-Val, autres disent par sa Majest�, lequel descouvrit la coste du Nort de la grande Baye au 327/1311golphe sainct Laurent, & le passage de l'issle de terre neufve, � la grande terre du Nort, au 52e degr� de latitude 810.

Note 810: (retour)

Jean Alphonse, dans sa Cosmographie encore manuscrite, fait une description �tonnamment exacte pour l'�poque, de la c�te du Labrador et du fleuve Saint-Laurent. jusqu'� Qu�bec.

En suitte le Marquis de la Roche de Bretagne en l'an 1598, 811 fut en ces terres de la Nouvelle France, comme Lieutenant de sa Majest�, & en suitte les sieurs Chauvin de Hondefleur en Normandie, Commandeur de Chaste & de Mons comme dit est, & le sieur de Poitrincourt, & Madame de Quercheville812, qui eut quelque d�partement � l'Acadie, y envoya la Saulsaye, avec lequel furent les Reverends P�res Jesuistes qui furent pris par les Anglois, (comme il a est� dit cy dessus) comme le port Royal, & depuis 28 ans ledit sieur de Champlain ayant descouvert & fait descouvrir plusieurs contr�es, plus de quatre � cinq cens lieues dans les terres, comme il se voit par ses relations cy dessus imprim�es depuis l'an 1603. jusqu'� present 1631.

Note 811: (retour)

Voir ci-dessus, premi�re partie, p. 38, note 1.

Note 812: (retour)

Guercheville.

Venons � ce qui se treuve descrit des voyages des Anglois, ce n'est pas assez qu'ils se vantent d'estre des premiers qui ont descouvert ces terres, il est question quelles elles sont. Il est tr�s certain que quand il se fait quelque descouverture nouvelle, l'on est assez curieux d'en descrire les temps, ce que les Anglois n'ont oubli�, ny les autres nations, suyvant les m�moires qui leurs sont envoyez, ils n'oublient rien de ce qui se fait, mais nous ne treuvons en aucuns autheurs que les Anglois ayent jamais 328/1312pris possession des pa�s de la Nouvelle France, qu'apr�s les Fran�ois.

Il est vray que les Anglois ont descouvert du coste du Nort vers les terres de la Brador & Freton Davis, des terres, isles, & quelques passages depuis le 56e degr� vers le P�le Artique, comme il se voit par les voyages qui ont est� imprimez tant en Angleterre, qu'ailleurs, par lesquels il appert dequoy ils se peuvent prevalloir sans usurpation, comme ils ont fait en plusieurs lieux de la Nouvelle France: il faudroit estre aveugle, sans cognoissance, pour ne voir ce que les histoires nous font cognoistre de v�ritable.

En premier lieu, Sebastien Cabot 813, sous le commandement du Roy Henry VII d'Angleterre l'an 1499 fut pour descouvrir quelques passages vers la Brador & s'en revint sans fruict, & depuis es ann�es 1576 77 & 78, Messire Martin Forbichet814 y fit trois voyages, sept ans apr�s Honfroy Guillebert815 y fut, en suitte Jean Davis descouvrit un destroit appell� de son nom. Estienne Permenud816 fut � l'isle de terre neufve � la coste du Nord de l'Est de l'isle, en l'an 1583. un autre peu apr�s nomm� Rtehard Viitaaboux N.817 fut � la mesme coste, en suitte un appell� le Capitaine 329/1313George818 y fut en l'an 1590, vers le Nort, de plus fraiche memoire l'an 1612. 819 y fut un Capitaine Anglois au Nort, o� il treuva un passage par le 63e degr�, comme il se voit par la carte imprim�e en Angleterre, & y treuvant des difficultez pour treuver le passage que tant de navigateurs ont recherch�, pour aller aux Indes Orientales du cost� de l'Ouest: & depuis 35 ans ils se sont estendus tant aux Virgines qu'aux terres qui nous appartiennent.

Note 813: (retour)

La premi�re exp�dition entreprise au nom du roi d'Angleterre, fut confi�e � Jean Cabot et � ses fils Louis, S�bastien et Sanche, par lettres de Henri VII, du 5 mars 1496, ou 15 mars 1497, style neuf. (Voir: Rymer, Foedera, vol. XII;—a Memoir of S�bastian Cabot, ch, IX.)

Note 814: (retour)

Frobisher.

Note 815: (retour)

Humphrey Gilbert.

Note 816: (retour)

�tienne Parmenius, de Bude, savant hongrois, faisait partie du voyage de sir Humphrey Gilbert, et p�rit dans le naufrage du vaisseau amiral. (Hakluyt, vol. III.)

Note 817: (retour)

Probablement Richard Clarke de Weymouth, capitaine du vaisseau amiral de sir Humphrey Gilbert, au m�me voyage, en 1583. (Hakluyt, vol. III.)

Note 818: (retour)

Voir ci-dessus, premi�re partie, p. 37, note 4.

Note 819: (retour)

Hudson fit son voyage en 1610 et 1611, et la relation en fut imprim�e en 1612. (Voir 1613, p. 293, note 1.)

Or le commun consentement de toute l'Europe & de despeindre la Nouvelle France, s'estendant au moins au 35e & 36e degr�s de latitude, ainsi qu'il appert par les mapemondes imprim�es en Espagne, Italie, Holande, Flandre, Allemagne & Angleterre mesme sinon depuis qu'ils se sont emparez des costes de la Nouvelle France, o� est l'Acadie, Etechemains, l'Almonchicois, & la grande Riviere de sainct Laurent, o� ils ont impos� � leur fantaisie des noms de Nouvelle Angleterre, Escosse, & autres, mais il est mal-ais� de pouvoir effacer une chose qui est cognue de toute la Chrestient�.

FIN.



330/1314

RELATION DE CE QUI S'EST
pass� durant l'ann�e 1631.

essieurs les Associez de la Nouvelle France residens � Bordeaux virent �quipper au mois d'Avril de la presente ann�e 1631, un vaisseau, command� par un nomm� Laurent Ferchaud, dans lequel vaisseau ils auroient fait charger tout ce qui estoit necessaire pour secourir le Fort & habitation sainct Louys, scitu� au Cap de Sable coste d'Acadie, sur l'entr�e d'un bon havre, & munitionn� de tout ce qui luy est besoing pour la defence d'iceluy.

Ayant fait sa navigation, & donn� au sieur de la Tour commandement pour la Compagnie dans ledit Fort, ce dont il estoit charg� par lesdits Associez, fit son retour � Bordeaux � la fin du mois d'Aoust ensuyvant, & repassa le sieur de Krainguille Lieutenant dudit sieur de la Tour, lequel rapporta nouvelle comme les Escossois ne se resoudoient point � quitter le Port Royal, mais qu'ils s'y accommodoient de jour � autre, & y avoient fait venir quelques mesnages & bestiaux pour peupler ce lieu qui ne leur appartient que par l'usurpation qu'ils en ont faite, comme a est� dit cy dessus.

Lesdits Associez recognoissant ce qui estoit necessaire sur ce que leur mandoit ledit sieur de la Tour, r'equipperent le mesme vaisseau au mois d'Octobre dernier, monstrant par leur diligence qu'ils n'oublient rien de ce qui est necessaire pour le peuplement & conservation de ces lieux, o� ils ont envoy� quantit� d'artisans & des Religieux Recollets.

331/1315En ceste mesme ann�e messieurs les Directeurs de Paris & Rouen firent �quipper deux vaisseaux tant pour aller secourir l'habitation saincte Anne en l'isle du Cap Breton, que pour aller � Miscou & Tadoussac faire traite & la pesche de poisson. Le premier vaisseau command� par Hubert Anselme partit de Dieppe le 25 Mars, accommod� de tout ce qui luy estoit necessaire pour son voyage: apr�s quelques mauvais temps il fut jusques au travers du Cap des Rosiers, � quelque dix ou douzes lieues de Gaspey entr�e du grand fleuve sainct Laurent, o� estant il apperceut vers l'eau quelques vaisseaux qu'ils jugerent estre Anglois, qui leur fit changer de routte & aller � Miscou pour faire leur traite avec les habitans du Pa�s.

Le second vaisseau o� commandoit le Capitaine Daniel partit le 26 d'Avril & fut � l'habitation saincte Anne charg� & accommod� de tout ce qui estoit necessaire pour cedit lieu, qui est en tr�s bonne scituation, sur l'entr�e de l'un des meilleurs ports de ces costes, les contrarietez de mauvais temps luy furent fascheuses & n'arriva sur l'escore du grand Ban que le 16 de Juin, o� il vit quantit� de glaces: Le 18, terrirent au Cap de Raye, peu apr�s apperceurent un vaisseau qu'ils jugerent estre Turc, lequel arrivant sur eux vent arri�re, les fit appareiller & mettre en defence, mais le Turc ayant apperceu quantit� d'hommes sur le tillac il se retira, & fit porter sur un navire Basque, auquel il tira quelques coups de canon & l'aborda: mais comme ils n'estoient pas bien saisis ils se separerent, & en ceste separation un matelot Basque qui estoit sur 332/1316l'arri�re de son vaisseau prit l'enseigne qui estoit sur l'arri�re de celuy du Turc, laquelle il attira � luy, & aussitost le vaisseau Basque commen�a � fuir, & en fuyant ne laissoient de tirer forces coups de canons qui estoient sur l'arri�re dudit vaisseau, de fa�on qu'il se sauva & emporta ladite enseigne, dans laquelle estoient d�peints trois croissans. Le vaisseau du Capitaine Daniel continuant sa routte, fut tellement contrari� de brunes & grand vent, que ne pouvant porter voilles se trouva en une nuict obscure � huict brasses d'eau, & entendoit la lame qui battoit contre les rochers, aussitost il jette l'ancre attendant le lendemain, pour voir s'ils pourroient cognoistre la terre, ce qu'ayant fait ils recogneurent que les mar�es les avoient portez aux isles sainct Pierre, o� prenant cognoissance de la terre arriverent au fort & habitation saincte Anne le 24 de Juin, o� ils trouverent quelque desordre, causez par l'assassinat commis par Gaude820 qui commandoit audit Fort, en la personne d'un nomm� Martel de la ville de Dieppe, qui estoit son Lieutenant.

Note 820: (retour)

Il est appel� Claude un peu plus haut.

Le Capitaine Daniel voyant ce desordre, & que ceux de l'habitation avoient retenu prisonnier ledit Gaude leur Capitaine apr�s cet assassinat, s'informa de ce faict, tant des hommes de l'habitation que de la bouche dudit Gaude, & apprit que le lendemain de la Pentecoste ledit Gaude & Martel ayant soupp� ensemble, l'heure d'entrer en garde estant venue Gaude donna le mot � Martel, & aussi tost entra dans le Fort o� il chargea une carabine de trois 333/1317balles qu'il tira sur ledit Martel, par une canoniere dudit Fort, ainsi qu'il jouoit aux quilles, & luy donna trois balles dans le corps dont l'une luy per�a le coeur.

Ceste action ainsi laschement commise ne peut estre excusable audit Gaude, quoy qu'il soit vray que jamais ils ne se soient peu accorder ensemble, & que leurs humeurs estoient du tout incompatibles: Car si Gaude avoit envie de chastier ledit Martel, il devoit le faire prendre & le tenir prisonnier jusques � l'arriv�e des vaisseaux, ou s'il doutoit qu'il y eust de la difficult� de le faire � cause des hommes de sa faction qui estoient en ceste habitation, il devoit s'armer de patience, & ce faisant il eust trouv� que Messieurs les Directeurs de Paris y avoient donn� ordre par leur prevoyance, car ils avoient enjoint au Capitaine Daniel de repasser en France ledit Martel, & laisser ledit Gaude en sa charge, avec ceux qu'il choysiroit, tant des hommes de l'habitation que d'autres nouveaux que l'on luy envoyoit dans le vaisseau du dit Capitaine Daniel, & ainsi il eut tir� une honneste vengeance de son ennemy, sans se pr�cipiter dans ceste determin�e resolution, qui ne luy peut apporter que du blasme & de la peine s'il est pris, & s'il n'eust trouv� les moyens de s'eschapper dans le pa�s, il eust couru risque de sa vie.

Ce pendant il estoit necessaire que ledit Capitaine Daniel mit ordre en ce lieu, sur ce qui s'estoit pass�e, pour tenir chacun en son devoir: il envoya son vaisseau � Miscou pour faire la pesche & la traite & en donna la conduicte � Michel Gallois de 334/1318Dieppe, & en mesme temps il despescha une pinasse d'environ vingt tonneaux, qu'il donna � un appell� Saincte Croix pour la commander, & l'envoya � Tadoussac pour traiter avec les Sauvages: & estant ledit Gallois arriv� � Miscou, trouva deux vaisseaux Basques, l'un de Deux cens cinquante, & l'autre de Trois cens tonneaux, & une barque d'environ Trente cinq tonneaux, o� commandoit le fr�re du Capitaine du May, qui avoit est� equipp�e au Havre de Gr�ce, lequel dit audit Gallois qu'il avoit commission de Monseigneur le Cardinal de faire la traite, visiter les vaisseaux qui alloient faire la pesche, & recognoistre les ports & havres de ces lieux, pour luy en faire son rapport, sans toutesfois luy monstrer sa commission: � quoy ledit Gallois monstra bien qu'il estoit de l�g�re croyance, d'adjouster foy sur des paroles, & partant demeur�rent bons amis, & donna du May advis audit Gallois, que les deux vaisseaux Basques n'avoient aucun cong� ny commission, & que s'il le vouloit assister en ceste affaire ils les iroient sommer de leur monstrer leurs passeports, le dit Gallois luy ayant accord�, furent de compagnie abord de l'un des deux navires Basques, ce que le maistre duquel leur monstra sa commission en tres bonne forme, en leur offrant toutes sortes d'assistances & de faveurs.

Ce fait ils furent � l'autre vaisseau, o� ils ne trousverent que le Capitaine nomm� Joannis Arnandel de sainct Jean de Lus avec un petit gar�on, (ses gens estans pour lors tous � terre & en pescherie,) auquel Capitaine ils demand�rent � voir son cong�, mais il n'avoit garde de leur monstrer, car il n'en avoit 335/1319point: aussi sa responce fut que les congers n'estoient necessaires que pour avoir de l'argent � ceux qui les delivrent, & que pour luy il n'avoit point accoustum� d'en prendre, surquoy ledit du May luy fit responce que luy qui avoit coustume d'aller en mer, ne devoit point ignorer les ordonnances de France, notamment celles de l'Admirault� qui declare pour pirates & voleurs, ceux qui vont en mer sans cong� ou passeport, & partant que le trouvant ainsi & ne le pouvant juger autre que forban, il arrestoit sa personne & son vaisseau pour l'amener en France, & iceluy le faire juger de bonne prise, � quoy ledit Arnandel ne se pouvant opposer, supplia ledit du May de luy laisser achever sa pescherie & qu'il le retint prisonnier pour ostage: laquelle pescherie estant faicte il y auroit moins de dommages & interests si la prise estoit d�clar�e injuste, & plus de proffit si elle estoit bonne, ce qui fut accord� par ledit du May, lequel aussi tost se saisit de toutes les armes & munitions dudit vaisseau, qu'il fit porter en son bord avec ledit Arnandel.

Ce qu'estant fait du May & Gallois retournent au vaisseau dudit Arnandel avec quelques uns de leurs gens, & comme ils furent entrez dedans, ils appellerent tous les gens de l'�quipage de Arnandel qui estoient � terre, pour les advertir de l'accord & convention faicte entre leur Capitaine & eux, � quoy un de ces Basques fit responce, Que la prise & detemption de leur Capitaine n'estoit pas grand'chose, & qu'ils pouvoient faire un autre Capitaine d'un petit gar�on de leur vaisseau, de quoy du May le voulant reprendre & remonstrer le tort qu'il avoit 336/1320de parler si desadvantageusement de son chef, ce Basque & tous ses compagnons se mettent tous en fougue, & comme ils ont la teste pr�s du bonnet, gaignent le bas du vaisseau, se saisissant de quelques picques & mousquets qui estoient restez, & qui n'avoient est� trouvez par ledit du May, & Gallois, & avec ces armes se defendent & attaquent si courageusement ledit du May & ses gens, qu'ils le contraignent de se retirer, avec quelques uns des siens qui furent blessez, lesquels il fit promptement embarquer avec luy dans sa chalouppe.

Et comme ces gens avoient desja la teste eschauff�e, ne se contentans de ce qu'ils avoyent faict, poursuivirent encores ledit du May, jusques � ce qu'estant retir� en son bord il fut contrainct de faire monter sur son tillac le Capitaine Arnandel, afin qu'il commandast � ses gens de cesser leurs violences: mais le Capitaine se voyant libre se jetta promptement en l'eau, & tout vestu qu'il estoit gaigna � la nage une chalouppe, o� estoient quelques uns des siens, & ainsy se sauva de ses ennemys, desquels il eust tost apr�s une bonne raison, car estant rentr� dans son navire, il commen�a � parler en Capitaine & non pas en prisonnier: & par la faveur & assistance d'un autre vaisseau Basque, duquel il envoya emprunter de la poudre & des armes, s'en vint fondre sur ledit du May, & luy tira deux ou trois coups de canon, & luy commanda de luy r'envoyer non seulement toutes ses armes & munitions qu'il luy avoit prises, mais encores celles qui estoient en son vaisseau, & de celuy dudit Gallois, autrement qu'il s'en alloit les couler � fond: ce que voyant, furent contraints 337/1321de ce faire n'ayant pas des forces pour resister, de fa�on qu'ils se trouverent pris par celuy qu'ils venoient de prendre.

En ces entrefaites arriva de Tadoussac la pinasse o� commandoit Saincte Croix, lequel avoit est� rencontr� des Anglois, qui luy avoient ost� ses peleteries, & luy en avoient donn� un mot descrit de la qualit� & quantit�, afin de n'estre point obligez � en rendre d'advantage, attendu le trait� de paix d'entre les deux Couronnes, & Thomas Quer G�n�ral de la Flotte Angloise, luy dist qu'il avoit charge du sieur Chevallier Alexander de se saisir de toutes les peleteries qu'il trouverroit aux vaisseaux qui contreviendroient aux commissions du Roy de la grande Bretagne, � qui appartenoient ces lieux, ores qu'ils n'y eussent jamais est� que depuis trois ans qu'ils s'en saisirent, contre le trait� de paix, & ainsi ledit Saincte Croix fut contrainct de c�der � la force, esperant neantmoins que les Anglois luy payeroient tost ou tard ses peleteries, avec raison & justice.

Arrivant, comme dit est, � Miscou le jour mesme que se fit ceste rumeur d'entre le Basque & le Capitaine du May, il se trouva encores pris du vaisseau Basque, lequel parlant audit Saincte Croix luy fit commandement de le venir trouver en son bord, ce qu'ayant fait, il envoya qu�rir toutes les armes & munitions de ceste pinasse, avec ses voiles, disant que tout appartenoit � un mesme maistre, & qu'il voulait s'asseurer d'eux, & les empescher de le plus troubler ny faire aucun tort, & tout ce que peust faire ledit Saincte Croix fut de protester contre ce 338/1322Basque de tous ses despens, dommages & interests, de ce qu'il le troubloit ainsi en son traffic & sa traite, de quoy ledit Basque estant aucunement intimid�, luy rendit incontinent ses voiles, & luy enjoingnit de sortir du port de Miscou, ce que fit ledit Saincte Croix lequel s'en vint en l'habitation saincte Anne trouver le Capitaine Daniel, o� il arriva le 29 Aoust pour luy donner advis de ceste proc�dure des Basques, afin d'y donner ordre, mais desja trop tard, car les Basques d'ordinaire sont presque prests en ce temps l� pour s'en retourner.

Ceste disgrace fut encores suyvie d'une autre, caus�e par la malice de ces mesmes Basques, lesquels persuaderent aux Sauvages que les Fran�ois les vouloient empoisonner par le moyen de l'eaue de vie qu'ils leur donnoient � boire, & comme ces peuples sont d'assez facile croyance, ayans rencontr� une chalouppe de Fran�ois qui estoit proche de terre pour traiter avec eux, ces peuples mutins & barbares se jetterent sur ceste chalouppe, la ravagerent, pill�rent ce qui estoit dedans: comme les matelots se vouloient opposer il y en eut un de tu� d'un coup de flesche, & deux Sauvages qui furent aussi pareillement tuez � coups d'esp�e, par un Fran�ois de ladite chalouppe: & ainsi voil� les Fran�ois mal traitez des Anglois, des Basques, & encores des Sauvages, & contraincts de s'en revenir tous avec le vaisseau du Capitaine Gallois au fort & habitation Saincte Anne, avec ce peu de traite & de pesche qu'ils avoient faite. Et pareillement ledit du May ne voulant s'arrester ny destourner pour voir l'habitation Saincte Anne s'en revint en France, comme 339/1323sit tost apr�s le Capitaine Daniel, ayant premier que de partir laiss� son fr�re pour commander en ladite habitation avec tout ce qui estoit necessaire pour les hommes qu'il y a laissez pour hyverner. Il ne se faut pas estonner s'il y a des Basques ainsi mutins, & mesprisans toutes sortes de loix & d'ordonnances, ne se soucians de congers ny passeports, non plus que faisoient cy devant les Rochelois, n'ayans aucune apprehension de justice en leur pays, estans proche voisins de l'Espagnol: telles personnes meriteroient un chastiment exemplaire, qui font plustost le mestier de pirates que de marchands.

Peu de tours apr�s le partement du vaisseau dudit Capitaine Daniel, pour aller audit pays de la Nouvelle France, partit celuy du sieur de Caen, lequel avoit obtenu un cong� de Monseigneur le Cardinal, pour aller audit pays y faire la traite icelle presente ann�e seulement, pour le redimer en quelques sortes de pertes qu'il remonstroit avoir souffertes, par la revocquation faicte de la commission qu'il avoit auparavant de sa Majest� pour la traite dudit pays, & ayant mis son nepveu Emery de Caen pour commander ledit vaisseau, luy donna ordre de monter jusques � Qu�bec, & au dessus s'il pouvoit, pour faire sa traite avec les Sauvages des Hurons: mais comme il fut dedans la riviere sainct Laurens, il fit rencontre des navires d'Anglois, les Capitaines desquels luy demand�rent ce qu'il alloit faire en ces lieux, ausquels il respondit qu'il y alloit traiter & negotier en toute seuret�, conform�ment au trait� de paix fait entre les deux Couronnes de France & d'Angleterre, & qu'ils ne l'en pouvoient justement 340/1324empescher, attendu qu'il estoit tout notoire que le Roy de la Grande Bretagne avoit promis au Roy de faire restituer le fort & habitation de Qu�bec, & qu'en bref il viendroit des vaisseaux de France pour en prendre possession.

Les Anglois luy respondirent que quand ils verroient la commission de leur Roy, que tr�s volontiers ils laisseroient ces lieux, & qu'ils s�avoient tr�s bien que cest affaire se traitoit entre leurs Majestez, mais qu'en attendant ils jouyroient toujours du b�n�fice de la traite, puisqu'ils estoient possesseurs du pays, neantmoints qu'ils luy desiroient monstrer qu'ils ne luy vouloient point faire de prejudice, & qu'ils luy accorderoyent de faire sa traite concurremment avec eux: � quoy ledit Emery de Caen condescendit, & fit monter son vaisseau jusques devant Qu�bec, o� il demeura quelques jours, attendant la venue des Sauvages qui devoient descendre audit lieu. Entre ce temps arriva le Capitaine Thomas Quer � Tadoussac avec un vaisseau de trois cens tonneaux bien equipp�, & deux qui estoient � Qu�bec de leur part, un grand & l'autre moyen.

Mais comme les Anglois recogneurent le peu de Sauvages, & qu'il n'y avoit pas d'apparence de faire grande traite, leur proffit particulier leur fut en plus singuliere recommandation, que celuy d'Emery de Caen, auquel ils dirent qu'il devoit se resoudre � ne faire aucune traite, puisqu'il n'y en pouvoit avoir assez pour eux, luy accordant de descharger ses marchandises dans le magazin de l'habitation, & y laisser un commis ou deux pour les luy garder, & 341/1325les traiter durant l'hyver � son b�n�fice, & afin qu'il ne peust faire aucune traite, les Anglois luy donnent des gardes en son vaisseau, jusques � ce que la traite fut faicte, & lors ils s'en revindrent de compagnie quelque temps ensemble. Ledit Emery de Caen comme ayant son vaisseau, plus advantageux que ceux des Anglois, il prit le devant pour retourner � Dieppe, o� il arriva � port de falut.

Les gens de ce vaisseau rapport�rent que le Ministre avoit fait une ligue de la plus part des soldats Anglois, pour tuer leur Capitaine avec les Fran�ois revoltez du service du Roy: cela estant descouvert le Capitaine Louys en fit chastier quelques uns821. Le sujet de ceste r�bellion estoit le mauvais traitement qu'il faisoit � ses compagnons qui avoit caus� ce desordre, par le conseil de ces deux ou trois mauvais Fran�ois, ausquels il adjoustoit trop de foy.

Note 821: (retour)

Le ministre, en particulier, fut tenu six mois en prison dans la maison des Jesuites. �Au reste,� ajoute le P. Lejeune, �il n'estoit point de la mesme religion que les ouailles, car il estoit Protestant ou Luth�rien, les Ker sont Calvinistes, ou de quelque autre religion plus libertine.� (Relat. 1632.)

Voil� le succez de tous ces voyages de la presente ann�e, qui tesmoignent assez le peu d'apparence qu'il y a de pouvoir rien advancer en la peuplade, ny au commerce de ces lieux, tandis qu'ils seront possedez par une autre nation. Les Fran�ois qui sont restez audit Qu�bec sont encores tous vivans en bonne sant�, resjouis du contentement, par l'esperance qu'ils ont, d'y voir ceste ann�e retourner leur compatriotes, ce qui est assez probable, puisque le Roy d'Angleterre sollicit� par Monsieur de Fontenay Mareuil Ambassadeur de France, a promis 342/1326de rechef de faire rendre ce pays, & que pour asseurance de sa promesse il a envoy� en France le sieur de Bourlamaky, pour en asseurer sa Majest�, & en delivrer les commissions & toutes lettres necessaires, sous esperance que sa Majest� fera le semblable, pour quelques pr�tentions qu'ont les Anglois sur quelques particuliers Fran�ois, & ainsi il y a grande esperance que cet accommodement se fera, avant que ledit sieur Bourlamaky s'en retourne en Angleterre.

Depuis peu822 entre sa Majest� & l'Ambassadeur d'Angleterre a est� accord� la restitution du Fort & habitation de Qu�bec & autres lieux qui avoient est� usurpez par les Anglois, contre le trait� de paix, entre leurs Majestez. A ce printemps Monseigneur le Cardinal sous le bon plaisir de sa Majest�, ordonne que Messieurs les Associez de la Nouvelle France, y envoyeront un nombre d'hommes, lesquels seront mis en possession du dit fort & habitation de Qu�bec par le sieur de Caen, qui en consideration de ce promet avec les vaisseaux du Roy, y passer lesdits hommes. Tant pour ce sujet qu'autres considerations, luy est accord� pour ceste ann�e seulement la traite de peleterie ausdits lieux, apr�s laquelle escheue ceux qu'il aura mis de sa part repasseront en France dans les vaisseaux de la societ�, ainsi qu'il a est� ordonn� par mondit Seigneur le Cardinal Duc de Richelieu.

Note 822: (retour)

Le trait� de Saint-Germain-en-Laye fut sign� le 29 mars 1632. (Mercure Fran�ais, t. XVIII, pp. 39-56.—Rymer, Foedera, vol. VIII.)

A ce Printemps sous la conduicte de Monsieur le Commandeur de Rasilly, qui a toutes les qualitez 343/1327requises d'un bon & parfait Capitaine de mer, prudent, sage & laborieux, pouss� d'un sainct desir d'accroistre la gloire de Dieu, & porter son courage au pays de la Nouvelle France, pour y arborer l'estendart de Jesus Christ, & y faire florir les lys sous le bon plaisir de sa Majest� & de Monseigneur le Cardinal, fait � la Rochelle un embarquement avec toutes les choses necessaires pour y establir une colonie, suyvant le trait� qu'il a fait avec Messieurs les Associez de la Nouvelle France, sous le bon plaisir de mondit Seigneur le Cardinal. Il n'y a point de doute que Dieu aydant il s'y peut faire de grands progrez � l'advenir, les choses estant reigl�es par des personnes telles qu'est ledit sieur Commandeur de Rasilly. Dieu y sera servy & ador�, lequel je prie luy faire prosperer ses bonnes & louables intentions, comme � celles de ceste Nouvelle Soci�t�, encores que par les pertes pass�es elle ne perd courage, estant maintenus de sa Majest� & de mondit Seigneur le Cardinal.

FIN.




TRAITT� DE

LA MARINE

ET DU DEVOIR

D'UN BON MARINIER.

PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN.




4/1332

AU LECTEUR.

pr�s avoir pass� trente huict ans de mon aage � faire plusieurs voyages sur mer & couru maints p�rils & hasards, (desquels Dieu m'a preserv�) & ayant tousjours eu desir de voyager �s lieux loingtains & estrangers, o� je me suis grandement pleu, principalement en ce qui despendoit de la navigation, apprenant tant par exp�rience que par instruction que jay receue de plusieurs bons navigateurs, qu'au singulier plaisir que j'ay eu en la lecture des livres faits sur ce suject: c'est ce qui m'a me� � la fin de mes descouvertures de la nouvelle France Occidentale, pour mon contentement faire un petit traitt� intelligible, & proffitable � ceux qui s'en voudront servir, pour s�avoir ce qui est necessaire � un bon & parfait navigateur, & notamment ce qui est des estimes, & comme l'on doit proc�der � faire des cartes marines selon la boussolle des mariniers, car pour le reste de la navigation plusieurs bons autheurs en ont escrit assez particuli�rement, ce qui m'empesche de n'en dire davantage, te suppliant d'avoir agr�able ce petit traitt�, & s'il n'est selon ton sentiment excuse celuy qui l'a fait, ce qu'il a jug� estre necessaire � ceux qui auront la curiosit� de le s�avoir plus particuli�rement, ce que je n'ay veu descrit ailleurs; demeurant, amy Lecteur,

VOSTRE SERVITEUR.




5/1333

TRAITT� DE

LA MARINE

ET DU DEVOIR

D'UN BON MARINIER.



DE LA NAVIGATION.

L m'a sembl� n'estre hors de propos de faire un petit traitt� de ce qui est necessaire pour un bon & parfait navigateur, & des conditions qu'il doit avoir: sur toute chose estre homme de bien, craignant Dieu; ne permettre en son vaisseau que son sainct Nom soit blasphem�, de peur que sa divine Majest�, ne le chastie, pour se voir souvent dans les p�rils, & estre soigneux soir & matin de faire faire les prieres avant toute chose, & si le navigateur peut avoir le moyen, je luy conseille de mener avec luy un homme d'Eglise ou Religieux habile & capable, pour faire des exhortations de 6/1334temps en temps aux soldats & mariniers, affin de les tenir tousjours en la crainte de Dieu, comme aussi les assister & confesser en leurs maladies, ou autrement les consoler durant les p�rils qui se rencontrent dans les hasards de la mer.

Ne doit estre d�licat en son manger, ny en son boire, s'accommodant selon les lieux o� il se treuvera, s'il est d�licat ou de petite complexion, changeant d'air & de nourriture, il est suject � plusieurs maladies, & changeant des bons vivres en de grossiers, tels que sont ceux qui se mangent sur mer, qui engendrent un sang tout contraire � leur nature: & ces personnes l� doivent apprehender sur tout le Secubat823 plus que d'autres qui ne laissent d'estre frappez en ces maladies de long cours, & doit on avoir provision de rem�des singuliers pour ceux qui en sont atteints.

Doit estre robuste, dispos, avoir le pied marin, infatigables aux peines & travaux, affin que quelque accident qu'il arrive il se puisse presenter sur le tillac, & d'une forte voix commander � chacun, ce qu'il doit faire. Quelques fois il ne doit mespriser de mettre luy mesme la main � l'oeuvre, pour rendre la vigilance des matelots plus prompte, & que le desordre ne s'en ensuive: doit parler seul pour ce que la diversit� des commandements, & principalement aux lieux douteux, ne face faire une manoeuvre pour l'autre.

Note 823: (retour) Scorbut.

Il doit estre doux & affable en sa conversation, absolu en ses commandements, ne se communiquer trop facilement avec ses compagnons, si ce n'est 7/1335avec ceux qui sont de commandement. Ce que ne faisant luy pourroit avec le temps engendrer un mespris: aussi chastier severement les meschans, & faire estat des bons, les aymant & gratifiant de fois � autres de quelque caresse, louant ceux l�, & ne mespriser les autres, affin que cela ne luy cause de l'envie, qui souvent fait naistre une mauvaise affection, qui est comme une gangrene qui peu � peu corrompt & emporte le corps, ny pour avoir preveu de bonne heure 824, apportant quelque fois � conspirations, divisions ou ligues, qui souvent font perdre les plus belles entreprises.

S'il se fait quelques prises bonnes & justes, il ne doit frustrer le droict de l'Admirale, ny de ceux qui sont avec luy, ny celuy de ses compagnons, tant soldats que matelots en quelque fa�on que ce soit: que rien ne se dissipe s'il peut pour � son retour faire fidel rapport de tout. Il doit estre lib�ral selon ses commoditez, & courtois aux vaincus, en les favorisant selon le droict de la guerre, sur tout tenir sa parolle s'il a fait quelque composition: car celuy qui ne la tient est r�put� lasche de courage, perd son honneur & r�putation quelque vaillant qu'il toit, & jamais ne met on de confiance en luy. Il ne doit aussi user de cruaut� ny de vengeance, comme ceux qui sont accoustumez aux actes inhumains, se faisant voir par cela plustost barbares que Chrestiens, mais si au contraire il use de la victoire avec courtoisie & mod�ration, il sera estim� de tous, des ennemis mesmes, qui luy porteront tout honneur & respect.

Note 824: (retour)

Pour n'y avoir pourvu de bonne heure, emportant...

8/1336Il ne se doit laisser surprendre au vin, car quand un chef ou un marinier est yvrongne, il n'est pas trop bon de luy confier le commandement ny conduite, pour les accidents qui en peuvent arriver, lors qu'il dort comme un pourceau, & qu'il perd tout jugement & raison, demeurant insolent par son yvrongnerie, � lors qu'il seroit necessaire de sortir du danger, car s'il arrive qu'il se treuve en tel estat, il n'aura moyen de cognoistre sa route, ny reprendre ceux qui sont au gouvernail s'il vont mal ou bien, qui luy fait perdre son estime. Il est aussi souvent cause de la perte du vaisseau, remettant son soing sur l'ignorance d'un qu'il croira estre marinier, comme plusieurs exemples l'ont fait voir.

Le marinier sage & advis� ne se doit tant fier en son esprit particulier, lors qu'il est principalement besoing d'entreprendre quelque chose de consequence ou changer de route hasardeuse, qu'il prenne conseil de ceux qu'il cognoistra les plus advisez, & notamment des anciens navigateurs qui ont esprouv� le plus de fortunes � la mer, & sont sortis des dangers & p�rils, gouster les raisons qu'ils pourront all�guer, toute chose n'estant souvent dans la teste d'un seul (car comme l'on dit) l'exp�rience passe science.

Il doit estre craintif & retenu sans estre trop hasardeux, soit � la cognoissance d'une terre, principalement en temps de brunes, mettre coste en travers selon le lieu, ou mettre un bort sur autre, d'autant qu'en ce temps de brune ou obscur il n'y a point de pilote: ne faire trop porter de voile pensant avancer chemin, qui souvent les fait rompre, 9/1337& d�mater le vaisseau ou estant foible de coste, & n'estre bien lest� comme il doit, met la quille en haut.

Doit faire du jour la nuict, & veiller la plus grande part d'icelle, coucher tousjours vestu pour promptement accourir aux accidents qui peuvent arriver, avoir un compas particulier, y regarder souvent si la route se fait bien, & voir si chacun de ceux qui sont au quart est en son devoir: doit faire un roole particulier des matelots qui seront destinez pour le quart, & bien d�partir les hommes entendus en la navigation, qui ayent soin sur ceux qui gouvernent, affin qu'il face tousjours bonne route, & les matelots bon quart, s'il y a suffisamment des soldats, l'un fera en sentinelle sur le devant, l'autre sur l'arri�re, & le troisiesme au grand mas avec une lanterne pendue avec sa chandelle entre deux tillacs, pour voir & accourir aux choses qui quelques fois surviennent � l'impourveu.

Ne doit ignorer, mais s�avoir tout ce qui d�pend des manoeuvres, du moins tout ce qui est necessaire pour appareiller le vaisseau, & mettre en funain prest � faire voile, comme de toutes autres commoditez necessaires pour la conservation dudit navire.

Doit estre fort soigneux d'avoir de bons vivres & boissons pour son voyage, & qu'ils soient de garde: avoir de bonnes soutes non humides pour la conservation de la galette ou biscuit, & principalement en un voyage de long cours, & en avoir plus que moins: car les voyages de mer ne se font que suivant le bon ou mauvais temps & contrari�t� des vents, faut estre bon oeconome en la distribution des 10/1338vivres donnant � chacun ce qui luy est necessaire avec raison, autrement cela engendre quelques fois des mescontentements entre les matelots & les soldats, que l'on traitte mal, & qui en ce temps l� sont capables de faire plus de mal que de bien: commettre � la distribution des victuailles un bon & fidel despensier, qui ne soit point yvrongne, ains bon mesnager, car un homme modeste en cet office ne se peut trop priser.

Il doit estre grandement curieux que toutes chose soient bien ordonn�es en son vaisseau, tant pour le fortifier que pour la pesanteur du canon qu'il pourroit avoir, que pour l'embellir, � ce qu'il en aye du contentement en y entrant & sortant, & en donner � ceux qui le voyent sur son appareil, comme l'Architecte se plaist apr�s avoir d�cor� l'�difice d'un superbe bastiment qu'il aura dessign�, & toutes choses doivent estre grandement propres & nettes au vaisseau, � l'imitation des Flamans qui l'emportent pour le commun, par dessus toutes les nations qui navigent sur mer.

Doit estre grandement soigneux quand il y a des matelots & soldats, les faire tenir le plus nettement que faire se pourra, & apporter un tel ordre que les soldats soient separez des matelots, que le vaisseau ne soit point embarass� quand il est question de venir en telles affaires de temps en temps, Se souvent faire nettoyer entre les tillacs les ordures qui s'y engendrent, qui occasionnent maintefois un mauvais air, & les maladies accompagn�es de mortalitez, comme si c'estoit peste & contagion.

Premier que s'embarquer il est necessaire d'avoir 11/1339tout ce qui est requis pour assister les hommes, avec un ou deux bons Chirurgiens qui ne soient ignorants, comme sont la plus part de ceux qui vont en mer.

S'il se peut, faut qu'il cognoisse son vaisseau & l'avoir navig�, ou l'apprendra pour s�avoir l'assiette qu'il demande, & le fillage qu'il peut faire en vingt quatre heures, selon la violence des vents, & ce qu'il peut d�choir de sa route cost� en travers, ou � la cappe avec son papefis ou corps de voile pour le soustenir, afin qu'il ne se tourmente, & se soustienne plus au vent.

Appr�hender de se voir �s p�rils ordinaires, soit par cas fortuit, o� quelques fois l'ignorance ou la t�m�rit� vous y engage, comme tomber avau le vent d'une coste, s'oppiniastrer � doubler un Cap, ou faire une route hasardeuse de nuict parmy les bans, batures, escueils, isles, rochers & glaces: mais quand le malheur vous y porte, c'est o� il faut monstrer un courage masle, se moquer de la mort bien qu'elle se presente, & faut d'une voix asseur�e & d'une resolution gaye, inciter un chacun � prendre courage, faire ce que l'on pourra pour sortir du danger, & ainsi oster la timidit� des coeurs les plus lasches: car quand on se voit en un lieu douteux chacun jette l'oeil sur celuy que l'on juge avoir de l'exp�rience, car si on le voit blesmir, & commander d'une voix tremblante & mal asseur�e, tout le reste perd courage, & souvent on a veu perdre des vaisseaux au lieu d'o� ils eussent peu sortir, s'ils avoient veu leur chef courageux & resolu, user d'un commandement hardy & majestueux.

12/1340Estre soigneux de faire sonder toutes costes, rades, ports, havres, escueils, bans, rochers & batures, pour en cognoistre le fond, les dangers, ancrages si besoin estoit, ou pour se s�avoir arouter si d'aventure l'on n'avoit aucune hauteur ny cognoissance de terre, dont on doit tenir conte sur son papier journal.

Doit avoir bonne m�moire pour la cognoissance des terres, caps, montagnes & gisement des costes, transports des mar�es, leurs gisement o� il aura est�. Ne mouiller l'ancre qu'en bon fond, s'il n'est contraint de soulager ses c�bles par tonnes, poinsons ou autres inventions, afin qu'il ne se coupe sur le fond de rocher gallay ou gros coquillage par laps de temps, & se tenir en ce lieu le moins que l'on pourra, si ce n'est par force, & les faire garnir aux ecubiers, de peur qu'il ne se couppe, d'autant que si le c�ble venoit � faillir on seroit en danger de perdre la vie: c'est sur quoy il faut bien prendre garde � avoir de bons c�bles, ancres, grapins, haussieres, & sur tout donner bonne tou�e s'il se peut, principalement durant le mauvais temps, afin que le vaisseau soit soulag�, & ne soit travaill� ou chasse sur son ancre.

N'estre paresseux de faire caller les voiles bas, quand on apper�oit quelque grand vent qui se forme sur l'horison.

Prendre garde aussi quand une tourmente arrive, & que le vaisseau est cost� en travers, abaisser les matereaux, les vergues basses & bien saisies, comme de toutes autres manoeuvres, d�monter le canon si besoin est, & qu'au debat de la mer il ne travaille & ne rompe ses manoeuvres, ou autres choses, saisir bien les canons, si en ne les d�monte. Il y a des 13/1341vaisseaux lesquels s'ils n'ont le grand papefis hors, ils ne se tourmentent pas tant que quand il ne l'ont point, l'exp�rience fait cognoistre ce qui est requis en cest affaire.

s�avoir bien amarer son vaisseau quand il est dans le port, afin qu'il n'en arrive aucun dommage, aussi ne permettre que l'on porte du feu en iceluy qu'avec lanterne, sur tout o� est le magazin des poudres: empescher de petuner entre deux tillacs, car il ne faut qu'une bluette de feu pour br�ler tout, comme il arrive souvent par grand mal-heur.

Estre curieux d'avoir de bons canonniers, bien entendus aux artifices, & autres choses necessaires � un combat, que toutes choses soient bien appropri�es, accommod�es & ordonn�es en leurs chambres, & tout ce qui despend du canon.

Aussi ne doit rien ignorer s'il peut, de ce qui est necessaire pour bastir un vaisseau non seulement, mais en s�avoir les mesures & proportions requises, en le voulant faire de tel port ou grandeur qu'il voudra, en un mot n'en rien ignorer pour en s�avoir discourir pertinemment quand il en sera besoin.

Doit estre soigneux � faire estime du vaisseau, s�avoir d'o� il part, o� il veut aller, o� il se treuve, o� les terres luy demeurent, � quel rumb de vent, s�avoir ce qu'il deschet & ce qu'il fait � sa route: Il ne se doit point endormir en ceste exercice, qui est grandement suject aux deffauts, c'est pourquoy � tous changements de vents & route, il doit bien prendre garde d'approcher au plus pr�s de la certitude, car il se voit quelques fois de bons pilotes estre bien decheus en leurs estimes.

14/1342Doit estre bon hauturien, tant de l'arbalestrile825 que l'astrolabe, s�avoir en quelle partie marche le Soleil, ce qu'il d�cline chaque jour, pour adjouster ou diminuer.

Note 825: (retour)

L'arbalestrille, ou arbaleste, s'appelait ainsi, � cause du rapport que cet instrument avait avec l'arbal�te ordinaire. (Voir la description de cet instrument et celle de l'astrolabe dans l'Hydrographie du P. Pournier, liv. IX.)

Comme de l'arbalestrile prendre la hauteur de l'estoile polaire, mettre les gardes � rumb, y oster ou diminuer les degr�s qui sont dessus ou dessous le pole, selon le lieu o� l'on est.

S�avoir cognoistre la croisade, quand l'on est en la partie du Sud, appliquer ou diminuer les degr�s, cognoistre si pouvez quelques fois autres estoiles pour prendre la hauteur, perdant les autres, ou ne l'ayant peu prendre au Soleil, pour ne le voir precisement � midy.

S�avoir si les instruments dont on se sert sont justes & bien faits, & en un besoin d'en s�avoir faire d'autres pour son usage.

Doit estre exp�riment� � bien pointer la carte, cognoistre si elle est justement faite selon le lieu de son m�ridien s'il s'y peut confier, combien l'on conte de lieues pour chaque rumb de vent pour eslever un degr�: s�avoir les cours & mar�es, les gisements d'icelles, pour entrer � propos aux havres, & autres lieux o� il aura affaire, soit le jour ou la nuict: & si besoin est, estre muny de bons compas & routiers pour cet effect, & avoir des mariniers en son vaisseau qui les s�achent, si par adventure il n'y avoit est�, car cela quelquesfois sauve la vie � tout une esquippage, quand on s'en sert en temps & lieu.

15/1343Doit tousjours estre muny de bons compas en nombre, principalement �s voyages de long cours & avoir pour iceux des roses qui Nordestent & Norrouestent, & autres Nort & Sud, avoir quantit� d'orloges de sables, & autres commoditez servant � cet effect.

Faut qu'il s�ache prendre les declinaisons de l'emant, pour s'en servir en temps & lieu, cognoistre si les aiguilles sont bien touch�es & bien pos�es sur le pivot, la chape droitte, le balensier libre, & si tout n'est bien l'accommoder, & pour cet effect doit avoir une bonne pierre d'emant quoy qu'elle couste, oster tout le fer d'aupr�s les compas & boussoles, car cela est grandement nuisible.

Qu'il s�ache treuver le pole de la pierre d'emant, non seulement avec les mesmes aiguilles des compas, si vous ne s�avez qu'elles soient bien touch�es: mais il y a d'autres moyens faciles, certains & sans erreur, car il y a des aiguilles, qui touch�es Nordestent & Norrouestent du pole de ladite pierre d'emant, deux & trois degr�s, qui quelques fois engendrent & causent de grands erreurs en la navigation, & principallement en celles qui sont de long cours.

N'oublier souvent, � apprendre les declinaisons de l'aguidement en tous lieux, qui est de s�avoir combien elle d�cline du M�ridien vers l'Est, & Ouest, ce qui peut servir aux longitudes ayant ces observations, & retournant au mesme lieu d'o� vous les auriez prises, trouvant la mesme declinaison vous s�auriez o� vous seriez, soit en l'hemisphere de l'Asie ou du P�rou, & de ce on ne doit estre negligant, aussi sert pour s�avoir le M�ridien du lieu, & appliquer 16/1344la rose des vents, selon le lieu o� vous navigerez: s�avoir tous les noms des airs de vent ou rumb de la rose du compas � naviger.

S�avoir faire des cartes marines, pour exactement recognoistre les gisements des costes, entr�es des ports, havres, rades, rochers, bans, escueils, isles, ancrages, caps, transports des mar�es, les anses, rivieres & ruisseaux, avec leurs hauteurs, profondeurs, les amarques, balises, qui sont sur les �cores des bans, & descrire la bont� & fertilit� des terres, � quoy elles sont propres & ce que l'on en peut esperer, quels sont aussi les habitans des lieux, leurs loix, coustumes, & despeindre les oyseaux, animaux & poissons, plantes, fruicts, racines, arbres, & tout ce que l'on voit de rare, en cecy un peu de portraiture est tres necessaire, � laquelle l'on doit s'exercer.

S�avoir la difference des longitudes d'un lieu � l'autre, non seulement sur un paralelle, mais sur tous, & mesme de ceux qui different en degr�s de latitude, comme seroit de Rome au destroit de Gillebratard, & ainsi de tous autres lieux du monde.

S�avoir le nombre d'or, la concurrence, le cycle solaire, la lettre Dominicale pour chacune des ann�es, quand il est bissexte ou non, les jours de la lune de sa conjonction, en quel jour entre les mois, ce qu'ils contiennent de jours chacun, la difference de l'an lunaire & de l'an solaire, l'ange de la lune, ce qu'elle fait chaque jour de degr�, quels signes entrent en chaque mois, combien il faut de lieues en un degr� Nort & Sud, ce que contiennent les jours sur chaque paralelle, & ce qu'ils diminuent ou croissent chaque jour, s�avoir l'heure du coucher, & lever du Soleil, 17/1345quelle declinaison il fait � chaque jour, soit � la partie du Nort ou du Sud, s�avoir en quel jour entrent les festes mobiles.

S�avoir qu'est-ce que la sphere, l'axe de la sphere, l'horison, m�ridien, hauteur de degr�, ligne �quinoxiales, tropiques, zodiaque, paralelles, longitude, latitude, zenit, centre, les cercles artiques, antartiques, p�les, partie du Nort, partie du Sud, & autres choses despendantes de la sphere, le nom des signes, des plan�tes, & leur mouvement.

S�avoir quelque chose des r�gions, royaumes, villes, citez, terres, isles, mers, & autres telles singularitez qui sont sur la terre, partie de leurs hauteurs, longitudes, & declinaisons s'il se peut, & principalement le long des costes o� la navigation se doit estendre, ce que s�achant tant par pratique que par science, je croy qu'il se pourra tenir au rang des bons navigateurs.

Outre ce que dessus, un bon capitaine de mer ne doit rien oublier de ce qui est necessaire � un combat de mer, o� souvent l'on se peut rencontrer: doit estre courageux, prevoyant, prudent, accompagn� d'un bon & sain jugement, recherchant tous les avantages qu'il se pourra imaginer, soit pour l'offensive ou la deffensive, s'il peut se tenir au vent de l'ennemy: car chacun s�ait combien cela sert pour avoir de l'avantage, soit pour aborder ou non, la fum�e des coups de canons ou des artifices, offusquent quelques fois si bien l'ennemy qu'il se met en desordre, faisant perdre la cognoissance de ce qu'il doit faire, ce qui s'est souvent veu en des combats de mer.

18/1346Le Capitaine doit prevoir que tous les canons, pierriers, balles, artifices, poudres & autres armes necessaires � combatre ou � se conserver soient en bon estat, mani�es & conduittes par gens exp�rimentez & entendus, pour esviter aux inconveniens qui peuvent arriver, & notamment des poudres & artifices: ne les commettre qu'� des hommes sages & cognoissans, qui s�achent les distribuer & en user � propos: regarder d'y apporter un tel r�glement � toutes les affaires, que chacun suyve son ordre, soit pour le commandement des quartiers selon qu'ils seront ordonn�s: comme aussi pour les manoeuvres du vaisseau, que quand chacun sera en son quartier qu'il n'en parte, que ce ne soit [que] par le commandement du Chef ou autre qu'il aura ordonn�, que pour ce suject tous les matelots & mariniers soient en estat & disposez pour avoir l'oeil aux manoeuvres & voiles, les bien saisir, tant par en bas que par en haut. Les pilotes doivent estre aussi soigneux des choses qui despendent du gouvernail & de ceux qui y seront mis: Aussi que tous les charpentiers & calfasteurs avec leurs ferrements, soient pr�parez pour reparer le dommage que l'ennemy pourroit faire au combat: Le vaisseau ne doit estre embarass�, pour pouvoir aller librement visiter en bas, & refaire le dommage que le canon pourroit faire sous l'eaue: L'on doit avoir des vaisseaux pr�parez, pleins d'eaue pour esteindre le feu, si par hasard il arrivoit quelque accident, soit pour le sujet des poudres, artifices, & autres choses.

Avoir esgard que les bless�s soient secourus promptement par gens destinez � cela, & que les Chirurgiens 19/1347& quelques aydes soient en estat, & fournis de tous les instruments, qui leurs sont necessaires, comme des m�dicaments & appareils, avec du feu en un brasier de fer, soit pour cauteriser ou faire autre chose quand la necessit� le requerra.

Que le chef soit tousjours � l'airte tantost en un lieu tantost en un autre, pour encourager un chacun � son devoir, donner un tel ordre qu'il n'y aye aucune confusion, d'autant qu'en toutes choses cela apporte des dommages notables, principalement en un combat de mer. Le sage & advis� capitaine doit considerer tout ce qui est � son avantage, en demander advis aux plus exp�rimentez, pour avec ce qu'il jugera estre necessaire & utile, l'ex�cuter: Aux rencontres & aux effects on ne doit estre nouice, mais exp�riment� en l'ordre des combats qui sont de plusieurs fa�ons, d'attaquer & assaillir, & autres choses que l'exp�rience fait cognoistre plus avantageuses les uns que les autres.

Que les cartes pour la navigation sont necessaires.

IL n'y a rien si utile pour la navigation que la carte marine, d'autant qu'elle designe toutes les parties du monde, avec les costes, rades, ports, rivieres, caps, promontoirs, ances, plages, rochers, escueils, isles, bans, batures, entr�es des havres, les amarques & balisses, & leurs profondeurs, ancrages selon les lieux & dangers qui s'y peuvent rencontrer, les hauteurs, distances, & rumb de vent par lesquels l'on navige. Par la mesme on despeinct aussi les ruisseaux, achenals & terres doubles, qui 20/1348paroissent dans les terres & le long des costes, parquoy je dis que les cartes qui sont exactement faites sans erreur, les reduisant pour les distances au mieux qu'il sera possible du rond au plat: encore qu'il y aye quelque difficult�, n�anmoins l'on y peut parvenir pour s'en servir & bien naviger: il faut que les rumbs de la rose des vents soient justement & d�licatement trac�es, que tous les degr�s de l'eslevation soient bien esgaulx, que l'eschelle des lieux corresponde aux degr�s de latitude, que tout soit bien en hauteur, & � cecy la portraiture est necessaire pour s�avoir exactement faire une carte en laquelle quelquefois est necessaire de representer beaucoup de particularit�s selon les contr�es ou r�gions, comme figurer les montagnes, terres doubles qui paroissent, costoyant les costes, Aussi se peuvent despeindre les oyseaux, animaux, poissons, arbres, plantes, racines, simples, fruicts, habits des nations de toutes les contr�es estrangeres, & tout ce que l'on peut voir & rencontrer de remarquable, & ainsi il est bien difficile sans carte marine de naviger, c'est pourquoy il est besoin que tous mariniers en ayent de bonnes, avec tous les instruments & autres choses necessaires � la navigation, qu'ils soient justes & bien graduez, comme aussi faut avoir de bonnes Boussoles selon les lieux o� l'on voudra naviger.

Comme l'on doit user de la carte marine.

Quand il est question d'entreprendre voyage, il faut voir sur vostre carte le lieu de l'�levation d'o� l'on part, & celuy o� on veut aller, soit 21/1349en longitude ou latitude, si c'est en la partie du Nort ou du Sud, & la distance du chemin, les rumbs par o� il doit naviger, & les vents qui luy seront favorables: Le tout estant bien consider� levez les ancres, mettez sous voiles, & ayant cingl� quelque espace de temps, s'il arrive quelque contrari�t� de temps l'on navigera par un autre rumb le plus approchant de la route, & � lors faut consid�rer le lieu o� il se treuve selon l'estime qui sera faite du chemin, tenir bon conte sur le papier journal du changement de route avec la hauteur s'il peut, ou d'estimer au mieux qu'il luy sera possible: Pointer sa carte si l'on veut s�avoir le lieu o� on est, conter les lieues du chemin, & ainsi l'on cognoistra o� l'on sera descendu ou mont�, & l'on regardera les rumbs de vent celuy qui a amen� le vaisseau d'o� il est party, pour quand on voudra faire l'estime: on doit avoir toutes choses bien calcul�es, pour s�avoir le chemin que l'on aura fait & dechu de la route, comme il sera montr� cy apr�s lors qu'il sera question de pointer la carte marine.


Comme, les cartes sont necessaires � la navigation, pour tous Mariniers qui peuvent s�avoir le moyen de les fabriquer pour s'en ayder, en figurant les costes & autres choses cy dessus dictes, & la fa�on comme l'on y doit proc�der selon la Boussole des Mariniers.

Sur un papier ou carton l'on tracera une rose, ou plusieurs selon l'estendue de la carte, avec les trente deux rumbs, lesquels seront tir�s le plus d�licatement & nettement que l'on pourra, sur lequel 22/1350carton aux cost�s marquerez la quantit� des degr�s que l'on voudra estendre sur la carte, lesquels contiendront chacun dix-sept lieues & demie, & ferez l'eschelle de dix en dix lieues, qui conviendra aux lieues de degrez, ce que ayant est� observ�, ayez aussi vostre Boussole, qui soit selon le lieu de la declinaison du lieu, autrement il y pourroit avoir erreur, prenant un m�ridien pour un autre: si l'on desire tracer une coste d'un Cap � l'autre, avec les bayes, caps, ports, rivieres, isles, basses, rochers, & autre chose qui peuvent servir de marques pour la navigation d'icelles contr�es, avec les sondes, ancrages: Je presupose qu'une coste aille d'un Cap � l'autre selon que montre la Boussole de l'Ouest � l'Est, & que le Cap A, soit � quarante degr�s & demy de latitude, poserez un poinct sur ledit carton, � la mesme hauteur de quarante degr�s & demy au poinct A, comme l'aurez treuv�e sur l'astrolabe, prenez vostre compas, mettant une pointe sur le rumb de vent, qui va de l'Ouest � l'Est, & l'autre que metterez au poinct A, & courant la pointe sur le rumb de vent de l'Ouest � l'Est, jusques au dernier cap vous y marquerez un poinct B, & tirez une ligne de A, B, paralelle au rumb Est & Ouest, ce faict estimez combien il y a de lieues du poinct A, � B, & vous verrez qu'il y a vingt lieues, lesquelles l'on prendra sur l'eschelle, que rapporterez sur le point A, & l'autre poinct sur le rumb de vent tant qu'il se pourra estendre, de ces vingt lieues y marquerez B, qui sera l'estendue d'icelle coste pr�tendue.

On portera la Boussole audit Cap B, lequel chemin 23/1351se fait avec un bateau, pour recognoistre exactement ce qui sera le long de la coste, o� l'on pourra mettre pied � terre pour estre plus asseur�, avoir le gisement de la coste: estant au Cap B, regardez sur la Boussole � quel rumb de vent suit la coste, prenez qu'elle coure au Suest quinze lieues, il faut proc�der � ceste seconde scituation comme � la premi�re: prenez le compas, mettez une pointe au poinct B, & l'autre sur le rumb de vent qui est Suest & Norrouest, conforme � la coste qui est le gisement, & tirerez une ligne paralelle au rumb de vent Suest & Norrouest l'on prendra quinze lieues sur l'eschelle & rapporterez une pointe au poinct B, & l'autre sur la ligne au poinct C, distant de quinze lieues: ce qu'estant observ�, portez la Boussole sur tous les Caps & autres lieux, y proc�dant comme au commencement, & s'il y avoit quelques isles, rochers, bans, ou batures en mer, estant � l'un des Caps regardez sur la Boussole � quel rumb demeure l'isle, comme de B, � D, de B, � G, & F, tracez les rumbs des vents esgaux � ceux de la rose des vents, suivant la forme cy dessus, & estant au Cap C, de rechef regardez avec la Boussole � quels rumbs de vent vous demeurent lesdits caps de l'isle, c'est ce qu'il faut premi�rement observer: ce qu'ayant veu, vous les tracerez, & o� ces rumbs de vent entrecouperont les deux autres, l� sera la scituation des Caps de l'isle D, G, F, & la distance sera selon celle de la coste B, C, o� il y a quinze lieues, & de B, � D, onze & demie, & � G, autant, � F, dix-huict, & de C, � F, dix, & � G, huict, � D, treize, & ainsi selon la distance des lieux qui seront esloign�s de la coste, vous 24/1352observerez comme aussi tout ce qui se pourra remarquer, faisant tousjours deux scituations, pour s�avoir combien les isles, ou rochers, bans, ou batures sont esloign�es de la coste & par le moyen des intercessions qui s'entrecouppent aux rumbs de vent, l'on s�aura la scituation des lieux soit pr�s ou loing avec la distance. Il ne faut oublier de sonder souvent, & cognoistre les ancrages qui sont marqu�es en la carte cy dessous, comme est ceste marque , faut mettre aussi le nombre des brasses en chiffres comme vous voyez audit carton. Reprenant le Cap C, & regardant la Boussole � quel rumb de vent suit la coste, recognoissant qu'elle va � l'Est un quart du Nordest vingt & une lieue & demie jusques au poinct H, du poinct H, regardez de rechef comme suit la coste qui va au Nort au Cap I, pr�s de dix-huict lieues du poinct I, faisant l'Est un quart du Suest, jusques au Cap K, dix-huict lieues & demie, & faisant le Sud un quart du Surrouest, jusques au Cap L, 28 lieues, & dudit Cap faisant l'Ouest Surrouest au Cap M, unze lieues, & ainsi l'on proc�dera, cherchant les rumbs de vent sur la rose qui est trac�e sur le papier ou carton: de ceste fa�on ferez toutes sortes de cartes � naviger. Je pourrois bien montrer d'autres mani�res de faire des cartes pour la terre, mais elles ne serviroient pas pour la navigation, d'autant que l'on n'y applique les rumbs de vent selon les Boussoles de la navigation, comme l'on fait � celle de quoy les mariniers se gouvernent, qui doivent estre selon la declinaison des lieux pour estre bien faites, autrement il y auroit de l'erreur si l'on prenoit un autre meridien que celuy qui est audit lieu d'o� l'on fait la carte, que l'on ne laisse d'observer sur la terre, mais d'autre fa�on que le long des costes propres � la navigation.

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Des accidents qui arrivent � beaucoup de navigateurs pour ce qui est des estimes, de quoy on ne se donne garde.

ET d'autant que l'estime que l'on doit faire aux voyages de mer, est tr�s necessaire pour la navigation, bien qu'il n'y aye demonstration certaines, qui fait que beaucoup d'erreurs s'en ensuivent, notamment � ceux qui n'ont beaucoup d'exp�rience, ne cognoissant bien le cinglage du vaisseau o� ils navigent, ou prenant un m�ridien au lieu d'un autre, pour ne s�avoir observer la declinaison du lieu o� il navige, voulant prendre rumb pour un autre qui sera contraire � la route, pour quelques fois y avoir de mauvais gouverneurs, qui font d�choir le vaisseau � vau le vent. Tous ces deffauts en partie ne viennent que pour n'avoir cognoissance des longitudes comme des latitudes, & croy que pour en approcher faudroit prendre souvent les declinaisons de l'aiguille d'aimant 826, qui montre le vray m�ridien o� l'on est comme j'ay dit cy dessus: de plus se voit des transports de mar�e que si l'on n'y prend garde font d�choir le vaisseau de sa route, outre la violence des tempestes, qui fait aller � vau le vent le vaisseau, prenant un rumb pour un autre, en fin un nombre infiny d'autres accidents qui se rencontrent, empeschent de faire une estime asseur�e en la navigation, qui cause la perte d'une infinit� de vaisseaux, sans la mort de plusieurs hommes, & le tout par l'opiniastret� de 27/1355certains navigateurs, qui croyent se faire tort si on les tenoit fautifs en leur estime, ne desirant se communiquer � personne, de crainte qu'on apper�oive leur deffaut, voulant par l� faire croire qu'ils ont quelque r�gle plus asseur�e que tous les autres, & tels navigateurs font souvent de mauvais voyages � leur ruine, & de ceux qui sont sous leur conduite.

Note 826: (retour)

Voir 1613, p. 270, note 1. Quelques auteurs ont cru que la d�clinaison de l'aiguille suffisait pour d�terminer les longitudes.

On ne doit oublier une chose en l'estime, qui est se faire plus de l'avant que de l'arri�re, comme si le vaisseau faisoit deux lieues par chacune heure, luy en donner demy quart ou plus, conform�ment au chemin de l'estime qu'on fait selon la longueur des voyages, il vaut mieux estre vingt lieues de l'arri�re que trop tost de l'avant, o� l'on se pourroit treuver sur la terre ou en danger de se perdre, comme il arrive � plusieurs vaiseaux faute de ne se donner garde, qui pensant estre bien esloignez de terre, faisant porter en l'obscurit� de la nuict, aux temps des brunes, ou d'un grand orage, o� ils n'ont point de veue, & se treuvent estonnez qu'ils se voient � terre, & s'il y a de quoy sonder au lieu o� l'on va, que l'on sonde un jour plustost que plus tard, & si l'on espere la treuver ayant ject� le plomb, continuez de quatre horloges en quatre, en la nuict ou temps de brune, c'est le moyen d'eviter les p�rils, car l'on ne s�auroit trop appr�hender ce que l'on ne voudroit voir, d'autant qu'il ne se fait jamais deux fautes en telles navigations: aussi si avez � doubler quelque cap ou isle la nuict ou durant la brune, prenez tousjours un demy quart de vent plus vers l'eaue pour eviter la terre, ou si quelque mar�e portoit dessus, prenez plustost un rumb entier: Le jugement du marinier 28/1356doit aviser � cela plus ou moins selon la violence des mar�es, & si l'on navigeoit dans les mers o� il y a des glaces, & en doutant; prenez garde tout le jour, & ayez des matelots � la hune pour descouvrir, & si n'en voyez le jour ou la nuict allez � petit voile, & si la brune est ou qu'il face noir en lieu douteux, mettez � l'autre bort, ou amenez tout � bas, attendant que l'air soit clair & serain, & si vous en voyez, allez discrettement, & ne vous y engagez mal � propos: La nuict ne faites porter pour eviter le danger, jusqu'� ce qu'en soyez hors, & que l'on ne s'opiniatre de le faire inconsiderement parmy ses dangers, comme quelques fois je me suis veu dix-sept jours enferm� dans les glaces, & sans l'assistance de Dieu nous nous fussions perdus, comme d'autres que nous vismes faire naufrage par leur t�m�rit�. C'est pourquoy le sage marinier doit craindre autant les inconveniens qui peuvent arriver, comme ce qui est de l'estime, � laquelle les plus anciens navigateurs sont les plus experts, pour ce suject je traitteray de la diff�rence des estimes cy apr�s.


Premier que, rapporter les diverses estimes l'on verra une chose remarquable de la providence de Dieu, des moyens qu'il a donn� aux hommes pour eviter les p�rils de la plus part des navigations qui se treuvent aux longitudes, puisqu'il n'y a point de reigle bien asseur�e, non plus qu'en l'estime du marinier.

Dieu tout sage, tout bon, tout puissant, prevoyant que les hommes qui cinglent par les mers de ce grand Oc�an, couroient mil p�rils & 29/1357naufrages, s'il ne les assistoit de quelques enseignements, qui les peussent garantir de la mort, & perte de leurs vaisseaux: puisque l'homme n'avoit des certitudes asseur�es en ses navigations par les longitudes, & que nul ne se doit travailler en ceste vie pour ce suject, d'autant que ce seroit en vain, comme plusieurs l'ont exp�riment� de nostre temps, il y a assez de demonstrations & escrits sans effects solides & arrestez. Or Dieu autheur de toutes choses, comme il ne luy a plu donner ceste cognoissance, il a donn� un autre enseignement, par lequel les mariniers se peuvent redresser de leur estime, evitant les p�rils qu'ils pourroient courir beaucoup plus qu'ils ne font, si ce n'estoit cette providence Divine. C'est chose asseur�e que les hauteurs que l'on prend tant par le soleil que par l'estoile polaire & autres, donne une cognoissance certaine du lieu o� l'on part, jusqu'� celuy o� l'on va, & o� l'on est: pour ce qui est des latitudes qui radressent le marinier, mais non l'espace du chemin qui ne se fait que par estime hormis du Nort au Sud, on estime estre une chose dont on n'est pas bien certain de la distance qu'il y a d'un lieu � autre, ou de quelque nombre ou chose semblable: que si le navigateur estoit asseur� de sa route, il ne l'estimeroit pas, ains diroit plustost le poinct de certitude o� se treuve le vaisseau quand il voudroit poincter la carte.

On use encore d'une autre mani�re de parler, qui est quand l'estime ne se treuve bonne, il faut l'amander, & n'y a de r�gle certaine non plus qu'en l'estime, c'est ce que je n'ay peu s�avoir ny apprendre d'aucuns mariniers, avec lesquels j'ay communique, 30/1358sinon que tout se fait avec des r�gles de fantaisie, qui sont diff�rentes, les unes meilleures que les autres, dequoy il faut estre grandement soigneux en la navigation. C'est pourquoy les plus experts & anciens navigateurs, ont cognoissance plus parfaite aux estimes, & autres accidents qui arrivent � la mer, que les autres qui souvent s'en font plus � croire qu'ils ne s�avent. Or comme dit est, il y a des marques asseur�es � la navigation, qui sont oposees aux dangers que l'on pourroit encourir, & si certains que quand l'on les cognoist, le marinier se rejouist, & ceux qui sont avec luy, comme s'ils estoient ja arrivez au port de salut, soulag� de tous les soins & estimes pass�es, recognoissant les fautes qu'il avoit peu faire, comme s'il estoit trop de l'avant ou trop peu de l'arri�re, & par ce moyen se gouverner & amander une autrefois son estime, & � bien pointer sa carte: peu � peu on se forme, en pratiquant souvent l'on se rend plus certains en la navigation.

Voyons quelles sont ces amarques & enseignements, commen�ons par ceux de la Nouvelle France Occidentale. Il y a entre elle & nous un lieu qui s'appelle le grand ban, o� nombre de vaisseaux tant Fran�ois que Estrangers vont faire la pesche de molue, comme � la terre ferme & isle d'icelle, qui s'y prend en partie de ces lieux en toute saison, manne qui ne se peut estimer tant pour la France qu'autres Royaumes & contr�es, o� il s'en fait de tr�s grands & notables trafics. Ce grand ban tient du quarante & uniesme degr� de latitude jusqu'au cinquante & uniesme sont quatre vingts dix lieues, il est Nordest & Surrouest, suivant le rapport des 31/1359navigateurs par le moyen des sondes, ce qui ne se pouvoit faire autrement, & sa largeur en des endroits comme sur la hauteur de 44 � 46 degrez � 50, 60, & 70 lieues quelque peu plus ou moins, selon la hauteur: & de ceste largeur allant au Nort il va en diminuant peu � peu, & du 44e degr� au 42e il se forme � peu pr�s comme une ovale, o� au bout il y a une pointe fort estroitte, ainsi que le representent tous les mariniers du pass�, par le nombre infiny des sondes qu'ils y ont jett�es, qui peu � peu en ont fait cognoistre la figure, tant de ce ban que d'autres, qui sont � Ouest & Ouest Norrouest d'iceluy comme le banc avert, & les banquereaux & autres qui sont peu esloignez de l'isle de sable, premier que venir � ce grand ban de 25 & 30 lieues en mer. Il se voit de certains oyseaux par troupes qui s'appellent marm�tes, qui donne une cognoissance au pilote qu'il n'est pas loing de l'escore du ban, qui sont les bords, alors l'on appreste le plomb & la sonde pour sonder, jusqu'� ce que l'on parvienne � ceste escore, pour cognoistre quand l'on sera proche d'entrer sur le grand ban, ceste sonde se jette de 6 en 6 heures de 4 en 4 de 2 en 2 ainsi que le pilote en croit estre proche ou esloign�: or il cognoist quand il est � l'escore au fond o� il y aura en des endroits 90, 80, 70, 65, 60 & 50 brasses d'eaue, un peu plus ou moins, selon la hauteur o� il se treuverra, & estant sur le dit ban, il treuvera 45, 40, 30 & 35 brasses d'eaue, un peu plus ou moins selon la hauteur. A ce deffaut la sonde aux exp�rimentez qui donne cognoissance o� il est, & est certain que premier que voir la terre, il doit passer 32/1360sur ce ban, qui luy fait cognoistre la distance du chemin qu'il a � faire, & asseur� de ce qu'il a fait, bien que son estime fust fautive, lequel ban est esloign� de la plus prochaine terre de 25 lieues, qui est le Cap de Rase, sur la hauteur de 46 degr�s, & demy, tenant � l'isle de Terre Neufve, & entre le ban & la terre il y a grande profondeur, qui donne cognoisance que l'on est pass� l'escore du ban de l'Ouest, Norrouest. De plus qu'estant sur ce grand ban, on y voit des marques certaines, par le nombre infiny d'oyseaux, qui sont comme fauquests, maupoules, huars, mauves, taillevent, poingoins ou apois, & quelques autres qui la plus part suivent les vaisseaux pescheurs qui prennent la molue, pour manger les testes & entrailles du poisson que l'on jette � la mer: tout cecy se faict cognoistre comme dit est, o� l'on est, qui donne un grand contentement � un chacun: Le marinier ayant pris sa hauteur, ce qu'il ne doit n�gliger en aucune fa�on, ou s'il n'a bonne hauteur qui revienne � son estime, ce qu'il pensera avoir fait, ou s'il a cognoissance de la sonde il fera sa route pour gaigner le lieu o� il desire aller: & le navigateur prevoiant par estime qu'il est proche de debanquer, il fait jetter la sonde jusqu'� ce qu'il ne treuve plus de fond, ou pour le moins grande profondeur, comme de 100, 130 ou 140 brasses d'eaue, faisant quelque chemin, comme 10 en 12 lieues l'on rencontre le Ban Avert qui conduit la sonde, jusqu'au travers des isles sainct Pierre, separ�es de l'isle de Terre-Neufve 5 � 6 lieues, ou bien passerez par autres bans appellez les banquereaux, qui donnent parfaite cognoissance avec la hauteur 33/1361o� l'on est, & ainsi asseurement l'on fait sa route depuis ledit grand Ban.

Mais si la hauteur n'est asseur�e que par estime du ban, l'on tasche le mieux que l'on peut d'aller cognoistre la terre pour s'arouter avec certitude, comme le Cap de Rase, saincte Marie, isles sainct Pierre, ou autres caps, attenants � ladite isle de Terre-Neufve, ou quelques batures qu'aucuns, cognoissent � la sonde & au poisson qui s'y pesche, & ainsi cherche lieu certain pour s'adresser & asseurer de la route, & allant recognoistre ces terres, que ce ne soit durant la brune ny de nuict: il y faut aller sagement & discrettement faisant faire bon quart, se donner garde des mar�es suivant le lieu o� l'on est. Ceux qui partent du ban, beaucoup y en a qui sainct Pierre ou cap de Raye, tenant � ladite isle de Terre-Neufve, entre l'isle sainct Paul ou Cap sainct Laurent, tenant � l'isle du cap Breton, pour entrer au golphe sainct Laurent, ainsi que chacun desire faire sa route.

Et si l'on desire aller � la coste d'Acadie, Souricois, Etechemins, & Allemouchicois, l'on peut aller recognoistre le Cap Breton ou les isles de Canseau, l'Isle Verte, Sesambre, la Heve, Cap de Sable, Menasne, Isle Longue, & celle des Monts Deserts, ou le Cap-blan, proche de Mal Barre terre basse, � 20 & 25 lieues vers l'eau on � la sonde � 50 brasses fond attreant, venant � la terre, marque que Dieu a donn�e aux navigateurs pour ne se perdre, pourveu qu'ils ne soient point paresseux ny n�gligents de sonder.

34/1362Toutes cesdites costes & caps, cy dessus nommez, ne sont esloignez dudit grand Ban jusqu'au cap Breton que de 100, ou de Canseau 120 lieues, entre deux est l'Isle de Sable, sur la hauteur de 43 degr�s & demy de latitude 25 � 30 lieues du Cap Breton, Nort & Sud, fort dangereuse & baturiere, de laquelle l'on se doit donner garde: les mar�es portent sur icelle venant du Nort & Nornorrouest.

De fa�on que la navigation qui se fait en ces pa�s l� est comme asseur�e sans courir beaucoup de risque, encores que les estimes ne soient bien certaines pour les cognoissances cy dessus dites, on s�ait o� l'on est, refaisant une nouvelle, comme si on partoit d'un port, & l'ignorance d'un marinier qui a pass� une ou deux fois seroit bien grande, si en 125 lieues qu'il y a du grand Ban aux costes de la Nouvelle France, fit tant d'erreurs en son estime, qu'il ne sceut se donner garde d'aborder la terre, o� il iroit souvent sans la cognoissance dudit grand Ban, qui occasionne que tant de vaisseaux ne se perdent, comme ils feroient, si cela n'estoit, ce qui r'adresse le marinier de son estime.

Et pour les navigations qui se font de la Nouvelle France Occidentale, aux costes de France, Angleterre, & Irlande, il y a des marques & enseignements en la mer, de la sonde que l'on l'apport� 827 de 55 & 30 � 25 lieues en mer en des endroits, suivant la hauteur o� l'on se treuve, donne � cognoistre le lieu o� l'on est, le chemin que l'on a � faire & la route que l'on doit tenir, refaisant nouvelle estime, & si la hauteur n'est que par estime, 35/1363les anciens navigateurs par une longue pratique tant du pass� que de l'heure presente recognoissent le fond des sondes, si c'est rocher sable d'orloge, ou vaseux, argile, coquillage, autre fond � grain d'orge, pailleteux, petits gravois, & ainsi d'autres noms qu'on donne pour cognoistre la diff�rence des fonds, � ce joincte la profondeur de tant de brasses, il cognoisse le lieu o� ils sont, & la route qu'ils doivent tenir, soit pour aller aux costes de France, Angleterre ou Escone, & s'ils ne sont mariniers bien cognoissants � ces sondes, il arrive qu'au lieu d'aller en la manche, ils vont celle de sainct George tres-mauvaise, si l'on n'en a la cognoissance qui est au Nort de Sorlingues & costes d'Angleterre: d'ailleurs il est � craindre comme les costes de Bretagne, mais si le temps est beau, il n'y a rien � apprehender, & si en si peu de chemin de 55, 30 & 25 lieues, on fait une si mauvaise estime, pour aller aborder la terre: le marinier seroit bien neuf & ignorant en ce qui seroit de la navigation, & par ainsi se recognoist la providence de Dieu, & enseignements qu'il donne aux mariniers, pour se conserver & les soulager des estimes.

Note 827: (retour)

Que l'on l'apporte? ou peut-�tre que l'on a la port�e de...?

De plus, ce qui soulage grandement le marinier, est qu'�s costes d'Espagne il y a grande profondeur d'eau, & la plus part des terres fort hautes qui se peuvent voir de loing aux mariniers, qui fait que l'on n'en approche que selon que le navigateur desire il n'y a que la brune ou la nuict qui le pourroit endommager, & diray qu'en ce temps de brune on en approcheroit de fort pr�s, pour estre la coste saine, & eviter le p�ril, & remettre � la mer, que 36/1364l'on ne seroit si aysement � une terre basse o� l'on seroit dessus premier que se pouvoir garantir, ce qui arrive par l'estime du pilote qui croyoit estre trop de l'arri�re, au contraire il se faut tousjours faire plus de l'avant. Or quoy que s'en soit l'on a des enseignements, premier qu'arriver � terre, soit par sondes, hostes, terres, oyseaux, herbiers, qui se rencontrent en d'aucunes mers, poissons, changement de temps, saisons, & plusieurs autres marques, desquelles les navigateurs ont cognoissance, qui soulagent fort l'estime du pilote avec de grandes consolations: que si ces marques & enseignements n'estoient en la mer, la navigation seroit beaucoup plus perilleuse & suject aux risques qu'elle n'est, car en un bon vaisseau il n'y a � craindre que la terre & le feu, c'est pourquoy quand on est entre des terres & proche des costes, il faut estre grandement soigneux de dormir plus le jour que la nuict, prendre garde aux transports des mar�es pour eviter le lieu o� elles vous pourroient porter, afin que quand vous arriverez au port de salut, vous rendiez gr�ces � Dieu.

Or voions les estimes des navigateurs tr�s necessaires au marinier, si on ne les a prises si justement, au moins en approcher � peu pr�s, � ce qu'il aye cognoissance pour le pouvoir r'adresser, pour ce qui est des distances des longitudes, qui seroient tr�s asseur�es, s'il se rencontroit un instrument si juste qu'il peust enseigner la vraye esgalit� de l'heure, continuant sans erreur (comme il sera dit cy apr�s,) que nous aurons monstr� comme selon mon sentiment l'on se devroit gouverner � dresser les papiers journaux, & celuy de l'estime.

37/1365Ayez deux livres journaux, l'un pour les estimes particuli�res, & l'autre pour les discours des rencontres, & de ce qui se passera pendant les voyages, celuy des rencontres se fera en ceste mani�re.

Le 20 de May, sommes partis d'un tel lieu, par la hauteur de 49 degr�s de latitude, � quatre heures du matin, sur les deux heures apr�s midy nous avons fait rencontre de quatre vaisseaux Holandois, qui nous dirent venir du destroit, ayant fait rencontre de deux autres de guerre � 20 lieues de Ourisant, & fait chasse sur eux, mais comme estant meilleurs voiliers s'estoient sauvez, croyant estre Turcs, & ainsi plusieurs autres choses, & qui se rencontrent de jour en jour.

Et le papier ou livre journal des estimes doit estre particulier, comme il s'ensuit � la table cy dessous, qui n'apportera nulle confusion au navigateur, au contraire un grand soulagement de voir tout par ordre, & pour promptement calculer son estime, pour les tracer sur sa carte ou carton, ainsi que bon luy semblera, l'on ne doit manquer de deux heures en deux heures, � arrester l'estime � ladite table cy dessous, du chemin que fait le vaisseau en premier lieu.


Comme l'on doit dresser la table des estimes de jour en jour au papier journal.

Au dessus est le long de la premi�re colomne, & le long d'icelle escriverez le mois, le jour & l'heure, que sortira le vaisseau du port ou autre endroit, au premier quarr� sont les heures de deux en deux jusques � douze, & recommencer deux 38/1366jusques � autre douze qui feront 24 heures, d'un midy � autre, qu'assemblerez les lieues de vostre estime, & pointer vostre carte pour s�avoir le lieu o� sera le vaisseau, au deuxiesme est le rumb de vent sur lequel l'on navige. Le troisiesme sont les lieues du chemin de l'estime. Au quatriesme le rumb de vent qui fait cingler le vaisseau. Au cinquiesme, la hauteur o� se treuvera le vaisseau: or notez que si partez � quatre heures du matin ou du soir, commencez � conter les lieues de chemin. Au deuxiesme quarr� o� est marqu� 4 heures, d'autant que de 4 � 6 il y a deux heures, afin de rencontrer le midy ou la minuict, pour se treuver en l'ordre de douze heures, pour venir � 24, o� finira l'estime. Ne faut oublier d'estre soigneux � toutes les fois que l'on peut, de prendre la hauteur & pointer la carte d'un midy � l'autre d'autant que l'on ne s�auroit estre trop exact & diligent.

Comme si je sortois du port par les 49. degr�s de latitude, � quatre heures du matin, je recognois que navigeant � Ouest un quart au Norrouest, estimant faire deux lieues par heure, j'escrits deux lieues en la colomne deuxiesme, & allant estimans jusqu'� douze lieues lesquelles venues je prens la hauteur s'il m'est possible, la prenant je treuve 48 degr�s & 50 minutes, que je mets � la sixiesme colomne vis � vis de 12 heures, assemblant le chemin de l'estime que j'ay fait depuis 4 heures du matin jusqu'� midy, je treuve qu'il y a 9 heures qu'il faut doubler & font 18 lieues de chemin, que marquerez sur la carte. Arrestez le poinct jusqu'au lendemain que ferez le semblable, chose facile si l'on desire s'en

39/1367servir, car je n'ay point veu que fort peu d'estimes qui ne soient en quelque confusion au papier journal des rencontres, menant l'un avec l'autre, ce qui donne de la peine & plus de soing, qu'il faut �viter en cela le plus qu'il est possible, en mettant le tout par ordre, comme il suit cy dessous en ceste table, qui n'est que pour 24 heures, continuant la route de midy jusqu'� mi nuict, je treuve avoir fait 12. lieues trois quarts qu'il faut doubler, & qui font 25. lieues & demie qu'avez faict, & de minuict l'on continuera jusqu'au l'endemain � midy, qu'arresterez l'estime & pointerez la carte, & ainsi tousjours continuerez l'ordre de ceste table cy dessus jusqu'� la fin du voyage.



Le 10 de May sortismes du Havre � 4 heures du matin.

Heures
 Rumb pour la route
 Lieues
 Rumb pour le vent
 Degrés
2
-
-
-
-
4
A Ouest ¼ de Norrouest
2
Le vent Nort
49�
6
A Ouest
2
Le vent Nort

8
A Ouest ¼ au Surrouest

Le vent Nort ¼ au Nordest

10
A Ouest ¼ au Surrouest

Le vent Nortnorrouest

12
Au Surouest ¼ � Ouest
2
Le vent Norrouest ¼ au Nort
48� 50'
2
Au Surrouest ¼ � Ouest
1
Au Norrouest ¼ au Nort

4
Au Surouest
¾
Le vent � Ouest Norrouest

6
A Ouest ¼ au Norrouest

Le vent Nort

8
A Ouest

Le vent Nortnordest

10
A Ouest
3
Le vent Nordest

12
A Ouest
3
Le vent Est Nordest



40/1368

S'ensuit comme l'on peut s�avoir si un pilote a bien fait
son estime, & pointer la carte.

Si un vaisseau sortoit d'un port qui fut sous la hauteur de 46 degr�s de latitude, & navigeant par le rumb de l'Ouest Surouest, il faudroit s�avoir precisement l'heure qu'il sortiroit du port, & au pr�alable l'heure qu'il seroit quand il voudroit estimer le chemin qu'il auroit fait, & considerant le temps qu'il y a entre deux, par quelques bons instruments ou horloge la diff�rence de ces deux lieux seroit la longitude, & ceste diff�rence de temps reduitte en degr�s de l'Esquinoctiale, qui seroit donner pour quatre minutes de temps un degr�, qui en vaut 15 par heure, & en contant les lieues des degr�s suivant le paralelle o� se treuve le vaisseau, vous s�aurez s'il a d�chu du rumb de vent de l'Ouest Surouest, soit plus � l'Occident ou moins � l'Orient.

Par exemple un vaisseau partant d'un port de 46 degr�s de latitude � midy, & ayant navig� � Ouest Surouest 91 lieues, s'il a faict chemin, il se treuvera deux degr�s plus aval, pos� le cas que l'on ayt estim� ce chemin, s�achant la hauteur certaine de 44 degr�s, il se peut faire qu'il sera plus ou moins sur ledit paralelle, selon le dechet que peut avoir fait le vaisseau. Le soleil estant � son m�ridien regardez aussi tost � l'instrument ou horloge, le midy de ce lieu, & regardez la diff�rence qu'il y a du midy ou l'on est party, & celuy o� l'on se treuve, qui fait la distance du chemin qui sera d'un tiers d'heure, qui font cinq degr�s, qui reviennent � 66 lieues � 41/136912 & demie, & quelque peu d'avantage par chaque degr� de longitude, sur le paralelle de 44 degr�s de l'�l�vation o� se treuve le vaisseau, il se voit qu'il a d�chu du rumb de vent Ouest Surouest, & a cingl� � un autre, comme au Surouest un quart d'Ouest, bien que selon la Boussole il sembloit aller � Ouest Surouest, d'autant que si le vaisseau avoit navig� ce que le pilote avoit estim�, il auroit treuv� la diff�rence du midy d'o� il est party, � celuy o� il pensoit se treuver, qui eust est� demie heure, ne s'estant treuv� qu'un tiers & se trouveroit 25 lieues de l'arri�re, moins que ce qu'il avoit estim�: par ce moyen se cognoist le dechet du vaisseau, & la certitude du lieu o� il se treuve, mais il est difficile de treuver des instruments justes, ou des horloges qui ne s'alt�rent peu ou beaucoup, ce qui feroit commettre de grandes fautes & erreurs par succession de temps.

Quoy que s'en soit il est tr�s necessaire au navigateur se servir de l'estime pour le soulagement de la navigation qui se fait en plusieurs mani�res, mais aucun ne donne cognoissance de l'erreur que l'on y commet, mais bien comme l'on doit pointer la carte comme fait Medigne, que la pluspart des navigateurs suivent, qui est bonne pour pointer, mais non comme l'on doit amander la faute de l'estime, laissant cela � la sagesse & discretion du marinier, comme il se voit cy dessous.


42/1370

De pointer la carte.

Que l'on regarde d'o� est party le vaisseau, o� il se treuve, que l'on prenne deux compas, mettant la pointe de l'un d'o� est party le vaisseau, & l'autre sur le vent qui l'a amen�, prenez l'autre compas, mettez une pointe aux degr�s de la hauteur que l'on a treuv�, & l'autre pointe sur le plus proche vent d'Est, & s'ils viennent � rencontrer les deux compas sans s'esgarer, les deux pointes qui viennent sur les vents, l'un qui amen� le vaisseau, & l'autre sur l'Est, o� les deux pointes de compas viennent � se joindre, � s�avoir celle qui fut mise d'o� partit le vaisseau, & l'autre en la hauteur o� il se treuve, considerant le poinct auquel il se rencontre, & mesurez combien de lieues l'on conte par degr�s, & ayant veu combien de degr�s il aura mont� ou descendu depuis le lieu d'o� il est party, jusques o� il se treuve, il contera les lieues que montent les degr�s, & si les lieues des degr�s correspondent aux lieues du chemin, l'estime sera bonne si on regarde d'o� vient la faute.

Deux choses sont � presupposer, en premier lieu que le navigateur aye toujours navig� droictement sur le rumb de vent qu'il a estim� sans s'esgarer, l'autre que l'estime convienne � la hauteur qu'il trouverra, cela estant asseur� il y aura apparence que tout ira bien, si les lieues des degrez correspondent au chemin que l'on aura estim� sur ledit rumb, � tant de lieues pour elever un degr�, ce qui arrive peu souvent.

43/1371Posons le cas qu'un vaisseau cinglast par un mesme rumb, il pourra arriver que l'on l'estimera avoir fait 50 lieues, & considerant la hauteur suivant le chemin, en contant tant de lieues pour elever un degr�, l'on croira estre � ce poinct, prenant la hauteur l'on trouverra demy degr� moins au Sud, & l'on cognoist par l� que l'estime n'est bonne, comme si l'on trouvoit en 50 lieues de chemin, avoir descendu deux degr�s par le rumb Surrouest, neantmoins par la hauteur que l'on treuve, il se voit un tiers de diff�rend, & si on recognoist qu'il a trop estim� l'on doit amander ceste faute, o� s'il treuvoit un tiers de degr� plus que les deux degr�s, l'on aura assez estim�, ce que recognoissant que l'on voye sur le Surrouest ce que vaut un tiers, il fera 8 lieues & un tiers, que l'on rabatera de 50 qu'il avoit estim�, restera 41 lieues & deux tiers qu'il a fait, & un degr� & deux tiers qu'il aura descendu: si l'on treuve un tiers plus au Sud que les deux degr�s, il faudra adjouter � 50 lieues 8 & un tiers, pour faire deux degr�s & un tiers, le vaisseau ayant navig� 58 lieues & un tiers, qui est 8 lieues & un tiers qu'il a fait plus qu'il n'avoit estim�, il n'y a point de doute quand le marinier navigera en asseurance d'un rumb sans deschoir, en prenant une asseur�e hauteur, convenant � celle que l'on estime, il aura contentement en sa route, tant en la partie du Nort que du Sud.

Ceste difficult� ost�e, il s'en presente une autre plus p�nible & difficile, o� l'on se treuve bien empesch�, pour apprendre quelque r�gle extraordinaire, qui feroit s�avoir combien de lieues on sera decheu d'un rumb, par lequel on navig� avec contrari�t� 44/1372de mauvais temps, qui ne se peut juger que par estime, comme si on navigeoit � Ouest par le vent Nornorrouest, l'on jugera le dechet selon la violence des vents plus ou moins, c'est icy apr�s avoir fait plusieurs & longues bord�es que l'on fait l'estime qu'on arreste sur la carte ou papier journal, prenant un rumb pour un autre, le vent venant devant comme � Ouest du tout contraire � la route, le vaisseau ne peut plus courir que bordes � autres, au Sud Surrouest, & au Nornorouest, pour ne s'esgarer de sa route, tenant le mieux que l'on peut sa hauteur. Il ne laisse en ces contrarietez de dechoir soit du cost� du Nort ou du Sud, & pourroit deriver au Suest ou au Nord est si la violence des vents est si grande, au lieu d'avancer chemin reculer de sa route, & estre contrainct pour ne perdre chemin sous voile, d'amener tout bas, amarer la barre du gouvernail sous le vent, & bien saisir toutes les manoeuvres qui peuvent travailler le vaisseau, comme amener bas les matereaux de hune, & saisir les vergues, roidir quelques fois les hauts bans quand ils sont trop lasches, comme le canon qu'il faut bien tenir en estat, pour eviter tout desordre.

Il y a des vaisseaux qui ne se peuvent soustenir, s'ils n'ont le grand corps de voile au vent, le marinier en cela cognoistra ce qui est necessaire pour son vaisseau, estant quelques jours, en cet estat f�cheux, agit� du vent, de pluyes, brunes, & autres contrarietez ennuieuses � la navigation. Le vent venant � s'adoucir, la mer de furieuse & mauvaise qu'elle estoit se calme, l'air devient clair, & nettoy� de nebuleuses & orages, le vaisseau se soulage, l'on met 45/1373les voiles au vent, on reprend sa route, les voiles ne se rompent, & les manoeuvres n'endurent, le vaisseau fait son cinglage doucement, avec fort peu de dechet, l'estime ais�e � faire, l'on n'a soucy comme quand le vaisseau estoit agit�, chacun se r�jouit sans se resouvenir du pass�. Le marinier doit rapporter sur la carte toutes les routes dont il a deu tenir conte exactement, comme de ce qu'il aura decheu d'un bord sur l'autre, & cela fait il doit pointer sa carte pour s�avoir le lieu o� il est.

Or comme ces routes se rapportent par l'estime d'un navigateur grandement exp�riment�, ne se trouvera en la mesme peine que d'autres qui font les entendus, quoy que peu exp�rimentez, qui pour discourir n'en voudroient ceder aux plus experts & anciens navigateurs, c'est pourquoy on doit bien regarder � qui l'on donne la conduicte d'un vaisseau, pour les grands p�rils & dangers qu'il y a, qui s'evitent plustost par les bons capitaines de mer ou pilotes, qui s�avent comme ils se doivent gouverner & les routes qu'il faudroit tenir. Voicy une mani�re de pointer la carte, qui m'a tousjours sembl� bonne.


Autre mani�re d'estimer & arrester le poinct sur la carte.

Prenez un carton ou papier blanc, sur lequel tracerez au cost� des degr�s de latitude, suivant le voyage que l'on fera, chacun contenant 17. lieues & demie, & faire l'eschelle des lieues conforme � celle des degr�s: au milieu du carton tracerez une ou deux roses de compas, suivant la 46/1374distance du chemin qu'aurez � faire, pour plus facilement compasser quand il en sera besoin. Les 32 rumbs de vents estans exactement trac�s, ayez d'autre part vostre papier journal des estimes, sur lequel d'heure en heure & de jour en jour ferez conte du chemin qu'aurez fait, & n'oublier, comme dit est, de prendre hauteur tous les jours s'il vous est possible, ce qui sert de beaucoup, & de 24 en 24 heures pointer la carte, pour voir le lieu o� vous ferez, ce qui se fera en cette mani�re: Sur le carton o� seront tracez les rumbs de vents & les degr�s, considerez la hauteur d'o� vous partez, comme celuy o� vous devez aller, & le rumb de vent qui est necessaire, avec celuy qui fait cingler le vaisseau, duquel devez cognoistre l'assiette si pouvez, ou l'exp�rience vous l'apprendra. Cela fait allez � la gr�ce de Dieu, & suivez vostre route qui sera � Ouest, Norrouest partant du port qui sera par 46 degr�s de hauteur, soit que l'on aye navig� 91 lieues � ce rumb de vent, qui sont deux degr�s que j'ay mont� plus au Nort: me trouvant � 48 de latitude, il arrive que le vent vient � changer, contraire � ma route je cherche en ma carte le rumb de vent, le plus proche de ma route pour y naviger, ayant fait � Ouest Norrouest 91 lieues, je trace ceste route sur le carton, & d'autant que je ne puis naviger par ce rumb, je vay par celuy du Norrouest, & y fais sur le rumb 25 ce qui me fait monter un degr� de plus: quand de rechef il arrive du changement de temps. Et d'autant qu'il me faut aller par 50 degr�s de latitude, & faire 180. lieues pour parvenir du lieu d'o� je suis party, je prend en un autre rumb la terre o� je veux aller, 47/1375presque � Ouest un quart au Norrouest, de hauteur 49 degr�s & 65 lieues de chemin � faire, je fais l'Ouest un quart au Norrouest, 45 lieues qui m'esleve demy degr�, & me treuve de hauteur 49 degr�s & demy, reste 23 lieues � faire, le vent se leve du tout contraire, qui fait que je mets le cap au Norrouest un quart du Nort, qui ne me vaut que le Nort un quart au Norrouest, je cingle sur iceluy 18 lieues, qui fait que j'esleve demy degr� plus que 50 qui fait 50 & demy, le lieu o� je desire aller me demeure � Ouest Surrouest 19 lieues, del� vient que le vent se trouve si contraire & violent que je ne puis soustenir qu'avec le grand corps des voiles mettant le cap au Sud, ne m'avallant que le Suest, ayant demeur� 4 jours en cet estat, ayant fait quelques 50 lieues, ce qui m'a recul� de la route, je treuve selon l'estime 48 degr�s & demy: on veut s�avoir le lieu o� l'on est, & ce que le vaisseau a fait de chemin, & o� demeure la terre o� l'on desire aller, & quelle distance il y a, & du lieu o� se suis party, s�achez qu'� mesure que l'escriverez au papier journal, l'on doit tracer toutes les routes que l'on aura faites suivant l'estime.

Or du dernier point o� est le vaisseau qui est 48 degr�s & demy, tirez de ce centre ou lieu deux lignes, l'une d'o� vous estes party de 46 degr�s, & l'autre o� desirez aller � 50 voyez ces deux lignes, quels rumbs de vent ce sont, & combien l'on y conte de lieues pour elever un degr�, suivant que seront lesdits deux rumbs, & si les lieues du chemin faites ou � faire, conviennent justement avec la hauteur des degr�s l'estime sera bonne, ce que verrez sur le 48/1376carton, & treuverez que l'on est esloign� du lieu o� l'on se treuve, s�avoir que Ouest Norrouest est la route qu'on doit tenir � peu pr�s, pour aller au 50 degr� & 60 lieues de chemin � faire, & la terre d'o� vous estes party, demeure � l'Est Suest de distance qu'avez fait 125 lieues n'estant que cinq lieues plus au midy de la droite route que je devois tenir du port de 46 degr�s, il faut que vous ayez pris la hauteur, d'autant que cela vous r'adressera si vous avez trop ou trop peu estim� pour amander le deffaut s'il s'en treuve, & par ce petit carton vous verrez toutes vos routes, le chemin & dechet qu'aurez fait en la navigation, ceste demonstration est facile & bonne quand elle est bien entendue.

Autre mani�re d'estimer que font beaucoup de navigateurs.

Ils tracent sur un papier ou carton une rose de compas avec les 32 vents, & s'ils navigent au Nort 20 lieues, ils marquent sur le rumb de vent au carton qui est Nort, 20 lieues, s'ils navigent au Nortnorrouest 30 lieues, ils les mettent sur ce mesme rumb de vent, & ainsi consecutivement � tous les rumbs o� ils navigent, quand ils veulent pointer la carte ils rapportent ce qui est des lieues suivant les rumbs de leur rose � ceux de la carte.

49/1377

Autre mani�re, de pointer apr�s l'estim� faicte.

Apr�s comme dit est, que vous aurez trac� sur le carton tous les degr�s & rumb de vent que l'on aura navig�, marquez le lieu o� se trouve le vaisseau selon l'estime qu'aurez faite, & le degr� auquel pensez estre, tirez de ce lieu une ligne jusqu'� celuy d'o� vous estes party, considerez � quel rumb de vent il convient, contant les lieues qu'il faudra pour �lever un degr�, se rapportant justement aux degr�s qu'aurez descendu ou mont�, suivant l'estime il y a quelque apparence de v�rit�, il faut voir si l'estime est bonne, que l'on prenne hauteur, & si elle se rencontre � celle que l'on aura estim�: le chemin comme dit est convenant � la quantit� des degr�s qu'avez mont�, l'estime sera bonne si avez tousjours navig� sur ledit air de vent sans dechoir, mais si la hauteur est de demy degr� moins que l'on n'a estim� ou demy degr� plus, l'on proc�dera en ceste mani�re: du poinct o� l'on a estim� estre le vaisseau, tirez une ligne perpendiculaire qui marquera le m�ridien du lieu o� l'on est: ayant pris la hauteur si treuvez demy degr� moins que ce qu'avez estim�, tirez une ligne paralelle du degr� que aurez treuv�, & o� elle coupera la perpendiculaire sera le lieu o� vous devrez estre, tirant une ligne de ce lieu � celuy d'o� vous estes party, fait cognoistre qu'avez navig� par un autre rumb plus au Nort que celuy qu'aviez estim�, & s'il se treuv� demy degr� davantage tirant comme � la premi�re fois une paralelle, suivant la hauteur que l'on aura treuv� coupant 50/1378la ligne diametralle, en ce lieu doit estre le vaisseau plus au midy que l'estime qui en sera faite, tirant une ligne comme cy dessus est dit, vous verrez qu'aurez navig� par un autre rumb que celuy qu'avez estim�, laquelle par consequent se treuve fautive, c'est l� o� le d�faut se treuve qui ne se peut amender parfaictement, que par le moyen des instruments ou horloges qui seroyent justes comme j'ay dit cy dessus, ce qui se peut cognoistre quand l'on arrive sur l'ecore du Grand Ban, ou � la sonde des costes de France & d'Angleterre, & autres enseignements comme dit est, o� le marinier se r'adressera pour refaire nouvelle estime, & amander les d�fauts: quand on navige le coute largue avec bon vent, les estimes se rencontrent assez souvent meilleures que ceux qui ordinairement navigent � la boulline un bort sur autre, avec contrari�t� de mauvais temps qui fait faire maintes erreurs en la navigation.


Autre mani�re d'estimer, que j'ay veu pratiquer parmy aucuns Anglais bons navigateurs, qui m'a sembl� fort seure au respect des estimes que l'on fait ordinairement828.

Note 828: (retour)

C'est le loch, dont l'usage a �t� adopt� g�n�ralement.

Il faut avoir une planchette de 3 pieds de hauteur sur 15 poulces de largeur, qui soit divis�e en 13 parties en sa longueur, & en cinq en sa largeur, au premier quarr� les heures, & les quarrez suivant jusques � 12 recommen�ant � 2 aller de rechef � 12 autres, qui feront 24 heures aux 12 51/1379quarrez comme voyez en la figure suivante. Au second quarr� ensuivant, seront marquez le nombre des noeuds, au troisiesme les brasses, & au quatriesme & cinquiesme les rumbs de vent sur lesquels on navige. Il faut une ligne qui ne soit pas trop grosse, affin qu'elle se file plus promptement, au bout de laquelle faut mettre une petite palette de bois de chesne d'environ un pied sur six poulces de large, qui soit charg�e d'une petite bande de plomb sur l'arri�re, avec un petit tuyau de bois, qui sera attach� � une petite fiscelle aux deux cost�s de l'extr�mit� de la palette, & un autre petit bois en fa�on de fausset qui entre audit tuyau assez doucement, c'est ce qui fait que la palette se tient toujours droite derri�re le vaisseau estant en la mer, & cela ne se d�fait que lors que l'on tire ladite palette de l'eau.

La ligne attach�e � la palette doit avoir quelques 8 ou 10. brasses qui ne soient � rien conter, avant que venir au premier noeud qui pourra estre environ plus ou moins la hauteur du lieu o� l'on l'a jett�e, qui est sur l'arri�re du vaisseau jusqu'� ce qu'elle soit en la mer, & que veniez au premier noeud, un homme doit tenir la ligne, un autre une petite horloge de fable, contenant le temps de demie minute, qui peut estre l'intervalle de conter jusqu'� 80 vingts sans se haster, � mesme temps que le premier noeud passe par les mains de celuy qui jette la ligne, la laissant librement couler selon la vistesse du vaisseau, faire en vostre presence tourner le petit horloge jusques � ce qu'il soit achev� de passer, � mesme temps l'on doit retenir la ligne & ne la laisser plus filer ou 52/1380couler: la retirant, voir combien de brasses il y aura jusques au premier noeud de sa main en tirant ladite ligne, conter apr�s tous les noeuds qui auront coul� en la mer pendant que l'orloge passoit. Notez qu'autant de noeuds & d'espace qu'il y a entre chacun l'on faict 2000 de chemin en deux heures, il y a 7 brasses entre chaque noeud, de deux en deux heures l'on doit jetter en la mer la palette tant le jour que la nuict, & n'oublier 24 heures pass�es de faire vostre estime, en adjoustant vos nombres, pour s�avoir combien on aura fait de mille r�duits en lieues, seront 3000 pour lieues.

Par exemple comme l'on se doit comporter en ce conte, je treuve qu'en 24 heures l'on a navig� & jett� la ligne de deux en deux heures, & d'autant que le vaisseau va plus ou moins selon la violence des vents ou mar�es, s'il dechet aussi il y aura plus ou moins de noeuds coulez selon l'air du vaisseau: desirant supputer combien le vaisseau a fait de chemin, l'on adjouste tous les nombres des noeuds qui sont au 12 quarr�s de la tablette, & se voit qu'il y en a 44 noeuds, & de plus trente six brasses & demie � 7 brasses par noeud y aura cinq brasses, adjoutez le tout s�avoir 44 noeuds & cinq font 49 noeuds, multipliez par deux feront 98 mille � 2000. pour noeuds, les reduisant en lieues se monteront � 32 lieues trois quarts & quelque peu davantage, � 3000. pour lieue qui est ce que le vaisseau aura fait de chemin en 24 heures, l'on ne doit oublier de prendre hauteur � toutes occasions, pour r'adresser le chemin ou route, & tenir conte sur le papier journal, par ce moyen on cognoist ce que le vaisseau 53/1381fait de chemin, & le dechet, & o� il se treuve, & o� leur demeure, le lieu o� il espere aller 829, & quelle route il faut prendre pour y parvenir, & diray que de 8 vaisseaux qui estoient de compagnie sur 500 lieues avoir dit � une heure & demie pr�s que l'on auroit sond� 830, ce qui fut treuv� v�ritable.

Note 829: (retour)

Lisez: et o� lors demeure le lieu o� il esp�re aller.

Note 830: (retour)

Que l'on auroit sonde.


Heures

2

4

6

8

10

12

2

4

6

8


10

12

Noeuds

3

2

4

5

2

3

2

2

6

6


6

3

Brasses

2

4

2

3



5

3

4

1

3


2

4

Routes. Rumbs

Cap au Nort ¼ du Nordest

Cap au Nort-Nordest

Cap au Nordest

Cap au Nordest

Cap au Nort ¼ du Nordest

Cap au Nort-Nordest

Cap au Nordest ¼ de l'Est

Cap au Nordest

Cap au Nort

Cap au Nordest ¼ du
Nordest

Cap au Nort ¼ du Nordest

Cap au Nort-Nordest




54/1382

Autre, mani�re de s�avoir le lieu o� se treuve un vaisseau
cinglant par quelque vent que ce soit.

Supposez qu'un vaisseau parte d'un port qui soit par les 44 degr�s de latitude, & navig� sur le rumb de vent Surrouest, faites vostre estime accoustum�e, & si vous croyez que le vent aye est� si favorable qu'il n'aye point fait de dechet, le plustost que l'on pourra prendre hauteur que l'on le faicte, ce fait tirez une ligne parallele sur cette hauteur qui se treuvera en la carte de naviger, tirez aussi une ligne meridienne du port d'o� vous estes party, qui coupe � angle droit la parallele de la hauteur qu'on aura prise: prenez un compas & mettez une pointe au port d'o� l'on est party, & l'autre sur la ligne meridienne, qui coupe � angles droits la parallele, ne bougeant ceste pointe & levant l'autre du lieu d'o� vous estes party, la faisant courir sur les rumbs de vent que croyriez avoir navig�, & o� la pointe dudit compas coupera le rumb de vent, sera le poinct du lieu o� doit estre le vaisseau: avec ceste asseurance que le vaisseau n'aura fait aucun dechet, autrement n'auriez ce que desireriez que par estime.


Autre fa�on d'estimer par fantaisie.

C'est qu'ayant pris la hauteur du lieu o� l'on est, comme si l'on se treuvoit en la hauteur de 45. degr�s de latitude, & ayant estime avoir fait 45 lieues plus ou moins sur un rumb de vent qu'on aura jug� estre necessaire � la route, & pour 55/1383voir ce qui est v�ritable l'on prendra les 45 lieues sur l'eschelle de la carte, que mettrez sur le rumb de vent qu'on aura navig�, & si les lieues dudit rumb en faisant tant pour elever un degr�, respondent � celles qu'on aura estim� que peut avoir fait le vaisseau, l'on cognoistra l'estime estre bonne: mais si les lieues de l'estime sont moins ou plus que celle du rumb, pour parvenir en la hauteur o� l'on se treuve: il est tr�s certain & asseur� que le vaisseau a navig� par un autre rumb que l'on ne pensoit, & � ceste observation on met le poinct � sa fantaisie, pour lesquelles choses & toutes autres dependantes � la navigation, le grand soing & continuelle pratique fait beaucoup, tant pour la seuret� du vaisseau que de ceux qui y navigent: c'est pourquoy que les bons & vrais exp�rimentez navigateurs & pilotes sont � rechercher & en faire estat en les maintenant, pour tant plus leur donner courage de bien faire en cet art de navigation, lequel est grandement � priser de toutes les nations du monde, pour les grands biens & advantages qu'en re�oivent les Royaumes & contr�es, pour proches ou esloign�es qu'elles soient.

FIN.




1/1385

TABLE

POUR COGNOISTRE

LES LIEUX REMARQUABLES

EN CESTE CARTE.



Agrandissement (4 Mo.)



A Baye des Isles (1).

B Calesme (2).

C Baye des Trespassez.

D Cap de Levy (3).

E Port du Cap de Raye, o� il se fait pesche de molue.

F Coste de Nordest & Sudouest (4) de l'isle de Terre Neufve, qui n'est bien recognue.

G (5) Passage du Nort au 52e degr�.

H Isle sainct Paul proche du Cap sainct Laurent.

I Isle de Sasinou entre l'isle des Monts Deserts & les isles aux Corneilles.

K Isle de Mont-real au sault sainct Louys qui contient quelque huict � neuf lieues de circuit (6).

L Riviere Jeannin (7).

M Riviere S. Antoine (8).

N (9) Mani�re d'eaue Sal�e qui se descharge en la mer, o� il y a flus & reflus force poisson & coquillages & des huistres qui ne sont de grande saveur en aucuns endroits.

p Port aux Coquilles, qui est une isle (10) � l'entr�e de la riviere S. Croix bonne pescherie.

Q Isles o� il se fait pescherie de poisson.

R Lac de Soissons (11).

S Baye du Gouffre (12).

T Isle des Monts Deserts fort haute.

V Isle S. Barnab� en la grande riviere proche du Bic.

2/1386

X Lesquemain o� est une petite riviere abondante en Saulmon & Truittes, � cost� d'icelle est un petit islet de rocher o� autresfois y avoit un degrast pour la pesche des Balaines.

(l) Peut-�tre la m�me que la baye aux isles, indiqu�e plus loin sous le chiffre 53, c'est-�-dire, la baie de Boston, ou bien la baie de Toutes-Isles, que certains auteurs appellent simplement baie des Isles. La lettre A ne se trouve pas dans la carte,—(2) Ce nom para�t r�pondre � C. � l'asne, ou cap � l'�ne, c�te sud de Terre-Neuve, soit pour la position, soit pour l'orthographe du mot.—(3) Aujourd'hui pointe L�vis, en face de Qu�bec.—(4) C'est-�-dire, c�te gisant nord-est sud-ouest, ou c�te nord-ouest.—(5) La lettre G manque; mais il est �vident que l'auteur indique le d�troit de Belle-Isle.—(6) Lisez: de longueur. L'�le de Montr�al a plus de vingt lieues de circuit.—(7) Probablement celle qui porte aujourd'hui le nom de rivi�re Boyer.—(8) Probablement la Rivi�re du Sud.—(9) La lettre N manque.—(10) L'�le du Port-aux-Coquilles s'appelle aujourd'hui Campo-Bello.—(11) Le lac des Deux-Montagnes.—(12) Aujourd'hui la baie Saint-Paul, qui forme l'embouchure de la rivi�re du Gouffre.

Y La pointe aux Allouettes, o� au mois de Septembre il y en a telle quantit� qu'on ne s�auroit l'imaginer, comme d'autres sortes de gibier & coquillage.

Z Isle aux Li�vres, ainsi nomm�e pour y en avoir est� pris au commencement qu'elle fut descouverte.

2 Port � Lesquille qui asseche de basse mer, il y a deux ruisseaux qui viennent des montagnes.

3 Port au Saulmon qui asseche de basse mer, il y a deux petits islets chargez en la saison de fraises, framboises & bluets, proche de ce lieu y a bonne rade pour les vaisseaux, & dans le port sont deux petits ruisseaux.

4 Riviere platte (l) venant des montagnes qui n'est navigeable que pour canaux, ce lieu asseche fort loing vers l'eaue, & le travers y a bon ancrage pour vaisseaux.

5 Isles aux Couldres qui a quelque lieue & demie de long, o� sont quantit� de lapins & perdrix & autre gibier en saison. A la pointe du Sudouest sont des prairies & quantit� de battures vers l'eaue, il y a ancrage pour vaisseaux entre ladite isle & la terre du Nort.

6 Cap de Tourmente, � une lieue duquel le sieur de Champlain avoit fait bastir une habitation qui fut brusl�e des Anglois l'an 1628. proche de ce lieu est le Cap Brusl�, entre lequel & l'isle aux Couldres est un chenail de 8, 10 & 12 brasses d'eaue, du cost� du Sud sont vazes & rochers, & du Nort hautes terres, etc.

7 Isle d'Orl�ans, de six lieues de longueur tr�s belle & agr�able pour la diversit� des bois, prairies & vignes qu'il y a en quelques endroits avec des noyers, le bout de laquelle isle du cost� de l'Ouest s'appelle Cap de Cond�.

8 Le Sault de Montmorency, la cheute duquel est de 20 brasses (2) de haut, provient d'une riviere venant des montagnes qui se descharge dans le fleuve sainct Laurens � une lieue & demie de Qu�bec.

9 Riviere S. Charles, qui vient du lac S. Joseph (3) fort belle & agr�able, o� il y a des prairies de basse mer, les barques peuvent aller de pleine mer jusques au premier sault, sur icelle riviere sont basties les Eglises & habitation des R. P. Jesuistes & Recollets, la chasse du gibier y abonde au Printemps & en l'Automne.

10 Riviere des Etechemins, par o� les Sauvages vont � Quinebequi, traversant les terres avec difficult� pour y avoir des saults & peu d'eaue, le sieur de Champlain en 1628, fit faire ceste descouverture, & fut trouv� une nation de Sauvage � 7 journ�es de Qu�bec qui cultivent la terre appell�e les Abenaquiuoit.

(l) Rivi�re de la Malbaie.—(2) Quarante brasses et davantage.—(3) La riviere3/1387 Saint-Charles vient du lac Saint-Charles. Le lac Saint-Joseph se d�charge dans la rivi�re Jacques-Cartier.

11 Riviere de Champlain proche de celle de Batisquan au Nord-ouest des Grondines.

12 Riviere des Sauvages (2).

13 Isle verte � cinq ou six lieues de Tadoussac.

14 Isle de Chasse(3).

15 Riviere de Batisquan fort agr�able & poissonneuse.

16 Les Grondines & quelques isles qui sont proches, bon lieu de chasse & de pesche.

17 Riviere des Esturgeons & Saulmons(4), o� il y a un sault d'eau de 15 � 20 pieds de hault, � deux lieues de Saincte Croix, qui tombe en une forme de petit estang, qui se descharge en la grande riviere sainct Laurent.

18 Isle de sainct Eloy(5), il y a passage entre ladite isle & la terre du Nort.

19 Lac S. Pierre tr�s-beau, y ayant trois � quatre brasses d'eau fort poissonneux environn� de collines & terres unies avec des prairies par endroits, & plusieurs petites rivieres & ruisseaux qui s'y deschargent.

20 Riviere du Gast (6), fort plaisante, bien qu'il y aye peu d'eau.

21 Riviere sainct Antoine(7).

22 Riviere de Saincte Suzanne(S).

23 Riviere des Yrocois tr�s-belle, o� il y a plusieurs isles & prairies, elle vient du lac de CHAMPLAIN qui a cinq ou six journ�es de longueur, abondante en poisson & gibier de plusieurs sortes: les vignes, noyers, pruniers & chastaigniers y sont fort fr�quents en plusieurs endroits, comme aussi des prairies & belles isles qui sont dans ledit lac, il faut passer un grand & un petit sault pour y parvenir.

24 (9) Sault de la riviere du Saguenay � 50 lieues de Tadoussac, qui tombe de plus de dix ou douze brasses de hault.

25 Grand Sault (10), qui descend de quelque 15 pieds de hault entre un grand nombre d'isles, il contient de longueur demy lieue, & de large trois lieues.

26 Port au Mouton.

27 Baye de Campseau.

28 Cap Baturier � l'isle de sainct Jean.

29 Riviere par o� l'on va � la Baye Fran�oise.

30 Chasse des Eslans.

31 Cap de Richelieu (11), � l'Est de l'isle d'Orl�ans.

32 Petit banc proche de l'isle du Cap Breton.

(l) Le chiffre manque. Cette rivi�re, qui porte encore le nom de Champlain, se jette dans le Saint-Laurent quelques lieues plus bas que les Trois-Rivi�res.—(2) La rivi�re de l'�le Verte.—03 Les �lets de Selle-Chasse.—(4) La rivi�re Jacques-Cartier.—(5) Cette petite �le est en face de Batiscan—(6) D'apr�s le texte de l'auteur, c'est plut�t la rivi�re Dupont, ou Nicolet-voir 1613. P. 180.—(7) Probablement la rivi�re de Saint-Fran�ois—(8) Aujourd'hui la rivi�re du Loup—(9) Le chiffre 244/1388 manque. Il peut y avoir quelques trente-cinq lieues jusqu'� la D�charge, qui est plut�t un rapide qu'une.—(10) Ou saut Saint-Louis. Le chiffre manque dans la carte.—(11) Aujourd'hui Argentenay.

33 Riviere des Puans, qui vient d'un lac auquel il y a une mine de Cuivre de rosette.

34 Sault de Gaston(1), contenant pr�s de 2 lieues de large qui se descharge dans la mer douce, venant d'un autre grandissime lac, lequel & la mer douce contiennent 30 journ�es de canaux selon le rapport des Sauvages.

Retournant au Golfe S. Laurent & Coste d'Acadie.

35 Riviere de Gaspey.

36 Riviere de Chaleu(2).

37 Plusieurs Isles pr�s de Miscou, comme est le port de Miscou entre deux Isles.

38 Cap de l'Isle sainct Jean.

39 Port au Rossignol.

40 Riviere Platte.

41 Port du Cap Naigr�. En ce lieu y a une habitation de Fran�ois en la baye dudit Cap, o� commande le sieur de la Tour, qu'ils ont nomm� le Port la Tour, o� sont habitez les R. P. Recollets en l'an 1630.

42 Baye du Cap de Sable.

43 Baye Saine (3).

44 Baye Courante (4), o� il y a nombre d'Isles abondantes en chasse de gibier, bonne pescherie & bons lieux pour les vaisseaux.

45 Port du Cap Fourchu assez aggreable, mais il asseche presque tout � fait de basse mer, proche de ce lieu il y a quantit� d'Isles & force chasse.

47 Petit passage de l'Isle Longue, en ce lieu y a bonne pescherie de molue.

48 Cap des deux Bayes (5).

49 Port des Mines (6) ou de bassemer, se trouve le long de la coste dans les rochers de petits morceaux de cuivre tr�s pur.

50 Isles de Bacchus(7) fort agr�able, o� il y a force vignes, noyers, pruniers & autres arbres.

51 Isles proches de l'entr�e de la riviere de Chouacoet.

52 Isles assez hautes (8) au nombre de 3 � 4 �loign�es de la terre de 2 � 3 lieues � l'entr�e de la Baye Longue.

53 Baye aux Isles, o� il y a des lieux propres pour mettre des vaisseaux, le pa�s est fort bon & peupl� de nombre de Sauvages qui cultivent les terres, en ces lieux il y a force cipr�s, vignes & noyers.

(1) Le saut Sainte-Marie.—(2) La rivi�re de Ristigouche, qui se jette au fond de la baie des Chaleurs.—(3) La baie de Chibouctou.—(4) Aujourd'hui, la baie de Townsend.—(5) Aujourd'hui le cap de Chignectou.—(6) Aujourd'hui le havre � l'Avocat. Le chiffre manque dans la carte.—(7) Aujourd'hui l'�le Richmond ou5/1389 Richman.—(8) Ces �les s'appellent aujourd'hui �les de Batures (Isles of Shoals). Voir 1613, p. 56, notes 4 et 5.

54 La soub�onneuse(1) Isle pr�s d'une lieue vers l'eau.

55 Baye Longue (2).

56 Les sept Isles (3).

57 Riviere des Etechemins (4).

Les Virgines ou sont habituez les Anglais depuis le 363. jusques au 37e egr� de latitude. Il y a environ 36 ou 37 ans sur les costes attenant de la Floride, que les Capitaines Ribaut & Laudonniere avoient descouvertes & fait une habitation.

58 Plusieurs rivieres des Virgines qui se deschargent dans le Golfe.

59 Coste de fort belle terre habit�e de Sauvages qui la cultivent.

60 Poincte Confort.

61 Immestan(5).

62 Chesapeacq Bay.

63 Bedabedec le cost� de l'Ouest de la riviere de Pemetegoet.

64 Belles Prairies.

65 Lieu dans le lac Champlain o� les Yroquois furent deffaits par ledit sieur CHAMPLAIN l'an 1606 (6).

66 Petit Lac par o� l'on va aux Yroquois, apr�s avoir pass� celuy de CHAMPLAIN.

67 Baye des Trespassez(7) � l'Isle de Terre Neufve.

68 Chappeau Rouge (8).

69 Baye du sainct Esprit (9).

70 Les Vierges.

71 (10) Port Breton, proche du Cap sainct Laurent en l'Isle du Cap Breton.

72 Les Bergeronnettes (11), � trois lieues de Tadoussac.

73 Le Cap d'Espoir, proche de l'Isle Perc�e.

74 Forillon, � la poincte de Gaspey,

75 (12) Isle de Mont-real, au sault S. Louys, au fleuve sainct Laurent.

(l) Vraisemblablement Martha's Vineyard.—(2) Cette baie ne porte aucun nom dans les cartes modernes; c'est cet enfoncement que fait la c�te au nord du cap Anne.—(3) Ces sept Isles ne sont pas les m�mes que celles du Saint-Laurent; elles sont � la c�te de la Nouvelle-Angleterre.—(4) Le chiffre 57 manque; mais il est visible que, par cette rivi�re des Etechemins, l'auteur veut parler de la rivi�re Sainte-Croix, appel�e Scoudic par les sauvages.—(5) Jamestown.—(6) Il faut lire 1609.—(7). La baie des Tr�pass�s est d�j� indiqu�e plus haut par la lettre C, et cette premi�re indication est d'accord avec la tradition. Il semble que l'auteur a voulu d�signer, par le chiffre 67, la baie Sainte-Marie.—(8) Le cap du Chapeau-Rouge forme la pointe d'entr�e de la baie de Plaisance du c�t� de l'ouest.—(9) La baie de Fortune.—(10) Le chiffre 71 manque.—(11) Ou Bergeronnes, comme l'auteur les appelle lui-m�me ailleurs.—(12) Le chiffre manque, aussi bien que la lettre K. Il est assez probable que le chiffre6/1390 74, qui forme un double emploi, a �t� mis pour 75, en cet endroit.

76 Riviere des Prairies qui vient d'un lac(l) au sault S. Louys, o� il y a deux Isles, dont celle de Mont-real en est une; l� on y a fait la traite plusieurs ann�es avec les Sauvages.

77 Sault de la Chaudi�re, sur la riviere des Algommequins, qui vient dequelque 18 pieds de hault, se descharge entre des rochers o� il fait un grand bruict.

78 Lac de Nibachis (2) Capitaine Sauvage, qui y a sa demeure, & y cultive quelque peu de terre o� il seme du bled d'Inde.

79 (3) Unze lacs proche les uns des autres, contenans l, 2 & 3 lieues abondans en poisson & gibier, les Sauvages prennent quelquesfois ce chemin, pour �viter le sault des Calumets fort dangereux: partie de ces lieux sont chargez de pins qui jettent quantit� de resine.

80 Sault des Pierres � Calunmet qui sont comme albastre.

81 Isle de Tesouac(4), Capitaine Algommequin, o� les Sauvages payent quelque tribut pour leur permettre le passage � venir � Qu�bec.

82 La riviere de Tesouac, o� il y a cinq saults � passer.

83 Riviere par o� plusieurs Sauvages se vont rendre � la mer du Nort duSaguenay, & aux trois rivieres faisant quelque chemin par terre.

84 Lacs par lesquels l'on passe pour aller � la mer du Nort.

85 Riviere qui va (5) � la mer du Nort.

86 Contr�e des Hurons, ainsi nomm�e par les Fran�ois, o� il y a nombre de peuples, & 17 villages fermez de trois pallissades de bois, avec des galleries tout au tour en forme de parapel pour se d�fendre de leurs ennemis. Ce pa�s est par les 44 degr�s & demy de latitude, tr�s bon, & les terres cultiv�es des Sauvages.

87 Passage d'une lieue par terre, par o� on porte les canots,

88 Riviere (6) qui se va descharger � la mer douce.

89 Village renferm� de 4 pallisades o� le sieur de CHAMPLAIN fut � la guerre contre les Antouhonorons, o� il fut pris plusieurs prisonniers Sauvages.

90 Sault d'eau au bout du sault sainct Louis (7) fort hault, o� plusieurs sortes de poissons descendans s'estourdissent.

91 Petite riviere (8) proche du sault de la Chaudi�re, o� il y a un sault d'eau, qui vient de pr�s de 20 brades de hault, qui jette l'eau en telle quantit� & de telle vistesse, qu'il se fait une arcade fort longue, au dessous de laquelle les Sauvages passent par plaisir, sans estre mouillez, chose fort plaisante � voir.

(l) La rivi�re des Prairies vient du lac des Deux-Montagnes. Ici, saut Saint-Louis veut dire �videmment Montr�al et ses environs.—(2) Le lac au Rat-Musqu�.—(3) Le chiffre 79 manque; mais les onze lacs sont figur�s d'une mani�re tout � fait reconnaissable.—(4) L'�le des Allumettes.—(5) C'est-�-dire, par o� l'on va � la mer du Nord.—(6) La rivi�re des Fran�ais.—(7) Lisez:7/1391 au bout du lac Saint-Louis (ou Ontario). Ce saut est la chute de Niagara.—(8) La rivi�re Rideau.

92 Ceste riviere(1) est fort belle, & passe par nombre de beaux lacs & prairies dont elle est bord�e, quantit� d'Isles de plusieurs longueurs & largeurs, abondantes en chasse de cerfs & autres animaux, tr�s bonne pescherie de poissons excellens, quantit� de terres d�frich�es tr�s bonnes, qui ont est� abandonn�es des Sauvages, au sujet de leurs guerres. Ceste riviere se descharge dans le lac S. Louys(2), & plusieurs nations vont en ces contr�es faire leur chasse pour leur provision d'hyver.

93 Bois des Chastaigniers, o� il y a forces chastaignes sur le bord du lac S. Louis, & quantit� de prairies, vignes & noyers,

94 Mani�re de lacs d'eau sall�e(3) au fond de la Baye Fran�oise, o� va le flus & reflus de la mer: il y a des Isles o� sont nombres d'oiseaux, quantit� de prairies en plusieurs lieux, petites rivieres qui se deschargent dans ces mani�res de lacs, par lesquels on se va rendre dans le golfe S. Laurent proche de l'Isle S. Jean.

95 Isle Haute, d'une lieue de circuit, platte dessus, o� il y a des eaues douces & quantit� de bois, �loign�e du Port aux Mines & du Cap des deux Bayes d'une lieue, elle est �lev�e de tous costez de plus de 40 toises, fors un endroict qui va en talluds o� il y a une poincte de cailloux faite en triangle, & au milieu y a un estang d'eau sal�e & forces oiseaux qui font leurs nids en ceste Isle.

�� La riviere des Algommequins(4) depuis le sault S. Louis jusques proche du lac des Bisserenis(5) il y a plus de 80 saults tant grands que petits, � passer, soit par terre ou � force de rames ou bien � tirer par terre avec cordes, dont aucuns desdits saults sont fort dangereux, principalement � descendre.

Gens de Petun(6), c'est une nation qui cultive ceste herbe de laquelle ils font grand traffic avec les autres nations, ils ont de grands villages fermez de bois, & sement du bled d'Inde.

Cheveux relevez (7), sont sauvages qui ne portent point de brayer & vont tout nuds, sinon l'hyver qu'ils se vestent de robes de peaux, lesquelles ils quittent sortant de la maison pour aller � la Campagne. Ils sont grands chasseurs, pescheurs & voyageurs, cultivent la terre & sement du bled d'Inde, font secherie de bluets & framboises, dequoy ils font un grand traffic avec les autres peuples, desquels ils prennent en eschange des peleteries, pourcelaines, filets & autres commoditez, aucuns de ces peuples se percent les nazeaux, o� ils attachent des patenostres, se descouppent le corps par raye o� ils appliquent du charbon & autres couleurs, ont les cheveux fort droits, lesquels ils se graissent & peignent de rouge & leur visage aussi.

(1) La rivi�re Trent et la baie de Quinte.—(2) Le lac Ontario.—(3) La baie de Chignectou et le bassin des Mines.—(4) Aujourd'hui l'Outaouais.—(5) Le lac Nipissing.—(6) Les Tionnontat�s, qui demeuraient au sud de la baie G�orgienne.—(7) Les Andatahouats.

La nation Neutre (l), est une nation qui se maintient contre toutes les autres, & n'ont aucune guerre, sinon contre les Assistaqueronons, elle est fort puissante ayant 40 villages fort peuplez.

Les Antouhonorons(2) sont 15 villages bastis en forte assiette, ennemis de toutes les autres nations, except� de la Neutre, leur pa�s est beau & en tr�s bon climat proche la riviere S. Laurent, de laquelle ils empeschent le passage � toutes les autres nations, ce qui fait qu'elle en est moins fr�quent�e, cultivent & ensemencent leurs terres.

Les Yroquois avec les Antouhonorons font la guerre par ensemble � toutes les autres nations, except� � la nation Neutre.

Carantouanais(3), est une nation qui s'est retir�e au Midy des Antouhonorons, en tr�s beau & bon pa�s, o� ils sont fortement logez, & sont amis de toutes les autres nations, fors desdits Antouhonorons, desquels ils ne sont qu'� trois journ�es. Ils ont autresfois pris prisonniers des Flamans, lesquels ils renvoyerent sans leur mal faire, croyans que ce fussent des Fran�ois.

Depuis le Lac S. Louis jusques au sault S. Louis qui est le grand fleuve S. Laurent, il y a cinq saults, quantit� de beaux lacs & belles Isles, le pa�s agr�able & abondant en chasse & en pesche, propre pour habiter, si ce n'estoit les guerres que les Sauvages ont les uns contre les autres.

La Mer Douce(4), est un grandissime lac o� il y a nombre infiny d'Isles, il est fort profond & abondant en poisson de toutes sortes, & de monstrueuse grandeur, que l'on prend en divers temps & saisons, comme en la grand' mer. La coste du Midy est beaucoup plus agr�able que celle du Nort, o� il y a quantit� de rochers & force caribous.

Le lac des Busserenis(5) est fort beau, ayant quelque 25 lieues de circuit, & quantit� d'Isles charg�es de bois & de prairies, o� se cabannent les Sauvages pour pescher en la riviere l'esturgeon, brochets & carpes, de monstrueuse grandeur & tr�s-excellents, qui s'y prennent en quantit�, mesme la chasse y est abondante, quoy que le pa�s ne soit pas beaucoup agr�able � cause des rochers en la plus part des endroits,

(l) Les Attihouandaronk.—(2) Antouhoronons. Ce mot para�t �tre le m�me que Ountouharonons, ou Tsonnontouans, tant � cause de la ressemblance d'orthographe, que par la position qu'ils occupaient.—(3) Carantouanais. Il y a tout lieu de croire que ce sont les m�mes que les Andastes.—(4) Ou lac Huron.—(5) Le lac des Bissirini, ou Nipissirini (Nipissing).

FIN.




1/1393

DOCTRINE

CHRESTIENNE

Du R. P. LEDESME

DE LA COMPAGNIE

DE JESUS.

Traduicte en Langage Canadois, autre que celuy
des Montagnars, pour la Conversion
des habitans dudit pays.

Par le R. P. Brebbeuf de la mesme Compagnie.



ACHRISTERRONON

ochienda ch� orriho�aienst�cha.

DU NOM CHRESTIEN,

& de la doctrine Chrestienne.

ESCAT AlENSTACO�A.

PREMIERE LE�ON.

Arriho�aienstechaens.

Issa Achristerronon chiont?

Le Maistre.

Estes vous Chrestien?

Ateienstechaens.

Aau, daotan haatarrat Aatio.

Le Disciple.

Ouy, par la grace de Dieu.

M. Sinen Atonas Acristerronon?

D. Nihen de hotoain, chiach� hocarratat

arriho�aienst�cha Achristehaan,

stat onn� atonachona.

M. Qui est celuy qu'on doit appeller

Chrestien?

D. Celuy, lequel ayant est� baptiz�

croit, & fait profession de la Doctrine

Chrestienne.

M. Tout aotan nond�e Achristehaan

arriho�aienst�cha?

D. Nen arriho�aienstechoutan de

Assonaienstandi Onao�andio, Aiesus

Chrift stat ec'ihondhec, chiach�

d'assonaienstan aot Ecankhuco�at�

Ao�ettichaens, Apostreehaan, ch�

Arondeehaan.

M. Qu'est-ce que la Doctrine

Chr�tienne?

D. C'est celle que nostre Seigneur

Jesus Christ nous a enseign�e, lors

qu'il vivoit sur terre, & que la saincte

Eglise Catholique, Apostolique &

Romaine nous enseigne.

2/1394

M. Touti chien endoron darriho�atere

Achristehaan ecarriho�aienst�chat�?

D. Aau, endoron ach�, det ico�atonco�andic

ateenguiaens.

M. Est-il necessaire de s�avoir la

Doctrine Chrestienne?

D. Ouy, si nous voulons estre sauvez.

Achristerronon Oteracata.

Tendi Aienstaco�a

Du signe du Chrestien.

Le�on Seconde.

M. Tout eca ateracatoutan Achrifterronon

oteracata?

D. Nen ateracatout d'Ecaot ecaronta�,

d� te hanguiarront, aerhon

assonenguiaendi Aiesus Chrift stat

ahonatandionti de to.

M. Qui est le signe du Chrestien?

D. C'est le signe de la saincte Croix,

pour ce que nostre Seigneur nous a

rachetez en icelle.

M. Tout ioti Isaer?

D. Condi io�aer, a�onressonkhrach

anontsira� ch� andochiaentone, che

enenssa� sango�ati onati, chiach�

aienho�iti onati, ch� lo�aen. On

Ochienda Aistan, ch� Aen, ch� dat

aot Esken. Ca sen ti ioti.

M. Comment le faites vous?

D. Je le faits mettant la main � la

teste & � l'estomach, & puis �

l'espaule senestre, & dextre, disant: Au

nom du P�re, & du Fils, & du sainct

Esprit. Ainsi soit-il.

M. Tout Ec' ioti candi isaer?

D. Ataahieraha tendi tearriho�a�

nonatoaincha de dat onattindoronco�a,

Escat dat aot Achincacha

toiiaen, on ochienda Aistan,

ch� Aen, ch� dat aot Esken.

Dinde scat, endi Onao�andio

honheoncha ch� ostaio�ancha, d�

ahonatonti aronta� stat ono�

ahoton.

M. Pourquoy le faites vous ainsi?

D. Premi�rement pour me mettre

en m�moire les deux principaux

mysteres de nostre foy: l'un de la

tres-saincte Trinit�, en pronon�ant ces

parolles: Au nom du P�re, & du Fils,

& du S. Esprit: & l'autre de la mort

& Passion de nostre Sauveur lequel

s'estant fait homme, est mort pour

nous en une Croix.

M. Tout ioti asson ec' isaer?

D. Aerhon otorontonc' enstan iesta

assoninont Aiesus Christ Onao�andio

tonn� stioti ionaeren.

M. Et pour quoy encore?

D. Pour ce que nostre Seigneur

donne beaucoup de biens & gr�ces

en vertu de ce signe.

M. Nahane ec' ierha?

D. Assonorao�i� stat iecas, tetenrr�

stat ietas, stat Aatio �enditi,

stat iech, stat ierha enstan, iesta,

ch� stat iatonnhontaiona, iakerons

arra.

M. Quand le faut-il faire?

D. Le matin quand on se leve, le

soir quand on se couche, quand on

commence � prier Dieu, quand on

veut prendre sa r�fection, au

commencement de nos oeuvres,

& quand on se trouve en quelq;

danger, ou bien saisi de quelq; crainte.

3/1395

Ango�a Nono�.

Achinc Aienstaco�a.

De la fin de l'homme.

Le�on Troisiesme.

M. Tout ek ichiatahao�i ondecha�?

D. Nen ond�e d� anonho�� ch�

d� arronca Aatio stat asson iondh�,

chiach� agniactanhane Aondechahan

d'aesco�andic to et attindar�

aot Attisken.

M. Pour quelle fin avez vous est�

mis au mande?

D. Pour aimer & servir Dieu en

ceste vie, & par apr�s estre � jamais

bien-heureux en Paradis.

M. Tout ec' ognianechoutan d'ao�andaeratti

aronhiaofie?

D. Nen ond�e oon� acaco�a Aatio,

aondechahan ach�.

M. En quoy gist ceste f�licit� que nous

esperons avoir en l'autre vie?

D. A voir Dieu face � face, & jouir

�ternellement de luy.

M. To ioua attieho�as Attichrifterronon,

chia esattinguiaens, ch� esattion

Aronhia�?

D. Dac, Ato�aincha, Andaeratic,

Atatanonho�echa, ch� Aerenco�asti.

M. Combien de choses sont

necessaires au Chrestien pour son

salut, & parvenir � sa fin?

D. Quatre, Foy, Esperance, Charit�,

& bonnes oeuvres.

Nen Atto�a'tociia.

Dac Aienstaco�a.

De la Foy.

Le�on Quatriesme.

M. Tout ichiato�ain chs Ato�aincha?

D. Ao�etti ach� iato�ain d� hoto�ain

ch� hocarratat Nonendo�e

n� aot Ecankhuco�at� ao�ettichaens,

Apoftreehaan ch� Arrondeehaan,

ch� anderacti d� io�at aon ne Credo.

M. Que croyez vous par la Foy?

D. Tout ce que tient & croit nostre

M�re la saincte Eglise Catholique,

Apostolique, & Romaine, &

nomm�ment au Credo.

M. To chihon n� Credo.

D. 1. Iato�ain on Aatio ao�etti

Andaourachaens, d� saoteendichia�

Ecaronhiat� ch� econde h�t�.

2. Ch� on Aiesus Christ anho�a

hoen Onao�andio.

3. D� ho kiachiahichien stat ihongo�as

dat aot Esken, ch� d'asaoco�eton

Onarieehen Ao�itsinonhachen.

M. Dites le Credo.

D. 1. Je croy en Dieu le P�re tout

puissant, Cr�ateur du Ciel & de la

terre.

2. Et en Jesus Christ son Fils unique

nostre Seigneur.

3. Qui a est� conceu du S. Esprit,

n� de la Vierge Marie.

4/1396

4. Onsa hotonnhontaionati stat

ahonandacratinen nehen d'ahatsinen

Ponce Pilate, Ahonatonti,

Ao�enheon, ch� ahonanonhkraho�i.

5. Ondechon onsa hatesten, Achinc

eouanta� onsa hatonnhonti.

6. Aronhia� onsa hao�ecti, hoienho�iti

ahiakrandeen Aatio ne Aistan

ao�etti Andao�rachaens.

7. To tont ehendionrrand� enondhechaens

ch� ondiheonchaens.

8. Iato�ain on dat aot Esken.

9. Ne aot Ecankhuco�ate ao�ettiehaan,

attindeia none ondatanonho�echa.

10. Ne Endionrhencha ottiriho�anderacha.

11. Ondiheonchaen ondatonnhontaco�a.

12. Ecannhonate d� ta teco�annhonentas.

Ca sen ti ioti.

4. A souffert sous Ponce Pilate, a

est� crucifi�, mort & ensevely.

5. Est descendu aux Enfers, le tiers

jour est resuscit� de mort � vie.

6. Il est mont� aux Cieux, est assis

� la dextre de Dieu le P�re

tout puissant.

7. De l� viendra juger les vivans &

les morts.

8. Je croy au sainct Esprit.

9. La saincte Eglise Catholique, la

Communion des Saincts.

10. La remission des p�chez.

11. La Resurrection de la chair.

12. La vie �ternelle.

Ainsi soit-il.

O�ich Aienstacoua.

M. Ichiaton ca, Ichiato�ain on

Aatio, tout aotan nond�e Aatio?

D. Nen haotan ond�e d� hoteendichia�

Ecaronhia t� ch� econdechat�,

ch� d� ao�etti ahonao�andiosti.

Le�on Cinquiesme.

M. Vous dites que vous croyez en

Dieu, qu'est-ce que Dieu?

D. C'est le Cr�ateur du Ciel & de

la terre, & le Seigneur Universel de

toutes choses.

M. Tand� ne aot Achincacha, tout

aotan nond�e?

D. Ond�e haotan, Aistan, Hoen,

ch� n� dat aot Esken, achinc iata�,

ch� satat Aatio.

M. Et la Saincte Trinit� qu'est-ce?

D. C'est le P�re, le Fils, & le Sainct

Esprit, trois personnes & un seul

Dieu.

M. Tout ichien Aistan Aatio ihout?

D. Aau.

M. Le P�re est-il Dieu?

D. Ouy.

M. Hoen Aatio tondi?

D. Aau.

M. Le Fils est-il Dieu?

D. Ouy.

M. Dat aot Esken Aatio tondi?

D. Aau.

M. Le Sainct Esprit est-il Dieu?

D. Ouy.

5/1397

M. Achinc ichien thenon Atattio?

D. Tastan, aerhon Achinc ihenon

iatae, onecichien satat ara Aatio.

M. Sont-ce trois Dieux?

D. Nenny, car encor bien que ce

soyent trois personnes toutesfois ne

sont qu'un seul Dieu.

M. Tout ichiato�ain anderacti d� n�

Onao�andio Aiesus Christ?

D. Iato�ain ca, onde� Aatio ne

Aistan hoen, chia tehindaouranchaens

d'Aistan, chia tehindionrro�ane,

chia tehinde�a: onde�

d'ono� ahoton endin d� anbannonho�ec,

outonrraon aot Ao�itsinouhaehen

Onarrieehen, ch� onde�

sti ioti ihout dat ato�ain ono�.

M. Que croyez vous sommairement de

nostre Seigneur Jesus Christ?

D. Je crois que c'est le Fils de

Dieu le P�re, aussi puissant, aussi

sage, aussi bon que le P�re: qu'il

s'est sait homme pour nous au

ventre, de la glorieuse Vierge Marie,

& par ainsi qu'il est vray Dieu,

& vray homme.

M. Tout aotan asson?

D. Iato�ain ca, assonatontao�a

ondechon ottichiatorreco�a, honheoncha

ch� hotonnhontaionacha,

h� assonennhonao�a ecannhoiiat�

d� ta teco�annhonentas.

M. Quoy plus?

D. Que par sa mort & passion il

nous a delivrez des peines d'Enfer,

& acquis la vie �ternelle.

M. Tout aotan ond�e Ankhuco�a

Ao�ettithaan?

D. Ond�e Ankhucont ecankhuco�at�

ao�etti Attichristeronon

attiato�ainchaens.

M. Qu'est-ce que l'Eglise Catholique?

D. C'est la congr�gation de tous

les fid�les Chrestiens.

M. Sinen ankhuco�andiont Ecankhuco�at�,

sinen Ao�andio?

D. Nen Onao�andio Aiesus Christ,

chia n� Pape, d� Aiesus Christ

ihokhrihont cha ondecha�.

M. Qui en est le chef?

D. Nostre Seigneur Jesus Christ,

& sous luy le Pape qui est son Vicaire

en terre.

M. Tout etico�ato�ain d� ne ecank

huco�ate ao�ettiehaan?

D. 1. Nen eco�ato�ain ca, Escankhuco�at,

ond�e ao�aton, satat ara

escankhuco�at dat ato�ain Ankhuco�a.

2. Tastan tetseenguiaens o �ats�.

3. Ond�e ahonditeno�a dat Aot

Esken, ch� ond�e sti ioti tastan

teharriho�anderach, teo�aton.

M. Que devons nous croire de

l'Eglise?

D. 1. Qu'elle est une, c'est � dire,

qu'il n'y a qu'une seule vraye

Eglise.

2. Que hors d'icelle il n'y a point

de salut.

3. Qu'elle est gouvern�e par le sainct

Esprit, & partant qu'elle ne peut

faillir.

6/1398

Andaeratiko�a.

O�ahia Aienstaco�a.

De L'Esperance.

Le�on Sixiesme.

M. Ia�eron nond�e tendin�, d'attiehouas

Attichristerronon?

D. Nen ond�e Andaeratuko�a.

M. Quelle est la seconde chose

necessaire au Chrestien?

D. L'esperance.

M. Tout ichiendaerati cha Ecandae

ratico�a?

D. Nen Ecannhonat� d� ta teco�annhonentas,

d� iao�annhonao�as

Arriho�ae onenhonao�ata.

M. Qu'attendez vous par l'esperance?

D. La vie �ternelle, laquelle entr'autres

moyens nous obtenons par l'Oraison.

M. Tout eca arriboutan dat arriho�ata

Attiribo�a aouetti?

D. Ond�e Pater noster.

M. Quelle est la premi�re & principale

de toutes les Oraisons?

D. C'est le Pater noster.

M. To atti?

D. Nen atti horriho�ichia� nond�e

Onao�andio, anho�a ach�, ch�

iendar� Arriho�aon� Ecarriho�at�

akhiaondi n� ao�etti d� iao�aeho�as

ch� iao�anditi Aatio.

M. Pourquoy?

D. Pource que nostre Seigneur

mesme la feit, & qu'il contient

en soy tresparfaitement tout ce

que nous devons demander �

Dieu.

M. To chihon ne Pater noster.

D. Onaistan de Aronhia� istar�.

Sa sen tehoiiachiendater� sachiendao�an.

Ont' aioton sa cheo�andiosta endind�.

Ont' aioton senchlen sarasta, oho�ent

soon� ach� toti ioti Aronhiaon�.

Ataindataia sen nonenda tara cha

Ecantat� ao�antehan.

Onta tao�andionrhens, sen

atonarriho�anderaco�i, to chienne ioti

nendi onsa o Aendionrhens de o�a

onkirriho�anderai.

Enon ch� chaha atakhioiiindahas

d'oucaota.

Oiiek ichien askiatontao�ah�

d'oucaota.

Ca sen ti ioti.

M. Dites le Pater noster.

D. Nostre P�re qui es �s Cieux.

Ton nom soit sanctifi�.

Ton Royaume nous advienne.

Ta volont� soit faite en la terre,

comme au Ciel.

Donne nous aujourd'huy nostre pain

quotidien.

Et nous pardonne nos offences,

comme nous pardonnons � ceux qui

nous ont offencez.

Et ne nous induis point en tentation.

Mais delivres nous du mal.

Ainsi soit-il.

Soutarr� Aienstaco�a.

M. Tout ichien, atonenenditi aot

Attisken?

Le�on Septiesme.

M. Faut-il prier les Saincts?

7/1399

D. Aau: Nen atti ihaononho�e

nond�e Aatio, ch� haoningo�as

daotan.

D. Ouy, pour ce qu'estans amis de

Dieu, ils nous peuvent beaucoup

aider, par leurs pri�res.

M. Iao�eron dat isco�aenditi d'attindeia

Attisken?

D. Onao�andio, Onarie, Esken

de ihaacarratat, chia ch� echa d�

io�aechiendaetat Ochiendao�an.

M. Quels entre autres priez vous?

D. Nostre Dame, mon Ange Gardien,

& le Sainct duquel je porte le

nom.

M. Tout ichihonco�a Onarie Ao�it

sinouha?

D. Ne Av� Maria.

M. Quelle Oraison dites vous � nostre

Dame?

D. L'Ave Maria.

M. To chihon Av� Maria.

D. Co�ay Onarie onnonrronco�agnon

ichien d� ichiendhi d'anderao�ataco�i,

Issad� etandat� d'Ao�andio,

sonho�a dat khiessakhrendotas

ottindekien ao�etti, Ahonakrendotas

eo�a chioutonrra� ecochiat�.

Aot Onarie Aatio Ondo�e, lo

ichien Ataihet sarono�andih� onendi

d'ico�arriho�anderai, onho�ad�,

ao�etti heo�a stat eteco�aenheond�.

Ca sen ti ioti.

M. Dites l'Ave Maria.

D. je vous salue Marie pleine de

gr�ce. Le Seigneur est avec vous.

Vous estes beniste entre toutes les

femmes, & benist est le fruict de

vostre ventre JESUS.

Saincte Marie Mere de Dieu, priez

pour nous pauvres pecheurs,

maintenant & � l'heure de nostre mort.

Ainsi soit-il.

M. Tout ichibonco�a stichienditi de

Chiesken?

D. Aot Aesken d� iskiacarratas, stiharas

Endeia Aatio, taarhat�ta

senchien cha ecantat� ao�anteh�n,

ch� taacarratat ch� taenditeno�a.

M. Quand vous priez vostre Ange

Gardien, quelle Oraison dites vous?

D. Ange de Dieu, qui estes commis

pour me garder, Illuminez moy,

preservez moy, & me gouvernez

aujourd'huy

Atterr� Aienstaco�a.

M. Tout ichien atonattindoronco�as

aot Attisken ottlo�anchaehen?

D. Aau.

Le�on Huictiesme.

M. Faut-il honorer les reliques des

Saincts?

D. Ouy.

M. To atti?

D. Ond�e atti dat Aot Esken ahaonratanon

nond�e, ch� araehen

etattirandeen ottindeiachaens Ottisken.

M. Pourquoy?

D. Pource qu'elles ont est� temples

du sainct Esprit, & qu'elles doivent

un jour estre reunies � leurs �mes

glorieuses.

M. Tande aot Attisken ottionchia?

D. Et senonronco�agnonch tondi

decha, aerhon attiennrata nond�e

d� akichiendaen.

M. Et leurs Images?

D. Il les faut aussi honorer, pource

qu'elles representent ceux ausquels

nous devons honneur & reverence.

8/1400

M. Sinen ichiehieraha stichienditi?

D. Endi ach� anderacti, ch� ataenohonc,

ch� echa d� ihonnonho�e,

ch� hontarrat, ch� ankhuco�a

ao�etti Attichristerronon.

M. Pour qui priez vous?

D. Je prie non seulement pour moy,

mais aussi pour mes parens & amis,

& bienfaicteurs & pour toute l'Eglise.

M. Stan tetseehieras Attisken d'ondiheon?

D. Taierhanto, Aerhon akiatontao�as

nond�e d'achonaco�a, stat

iao�anditi.

M. Ne faut-il pas aussi prier pour les

ames des Trespassez?

D. Ouy, d'autant que par nos

pri�res nous les delivrons des peines

de Purgatoire.

M. Tout aotan Achonaco�a aatsi?

D. Ond�e echa et attierrissen attindeiaehen

Attisken, ne andaenrrocha d'ottiriho�anderachaehen.

M. Qu'est-ce que Purgatoire?

D. C'est le lieu o� les ames de ceux

qui meurent en la gr�ce de Dieu,

achevent de payer les peines deu�s

� leurs p�chez.

Atatanonho�echa,

Enkhon Aienstaco�a.

De la Charit�.

Le�on Neufiesme.

M. Tout aotan achinc atont d'attieho�as

Attichristerronon?

D. N� Atatanonho�echa.

M. Quelle est la troisiesme chose

necessaire au Chrestien?

D. La Charit�.

M. Tout aotan iao�avonho�� Atatanouho�echa�?

D. Aatio ach� anderacti, chia ch�

atti o�a, titi ioti nendi onatanonho��.

M. Qu'aimons nous par la charit�?

D. Dieu sur toutes choses, & nostre

prochain comme nous mesmes.

M. Tout aotan ne ond�e anonheu�

anderacti Aatio?

D. Nen ond�e stonn� oerron iao�anonho��

nonao�an, ch� nonanohonc,

ch� nonennhonao�an,

Aatio d� anderacti.

M. Qu'est-ce aimer Dieu sur toutes

choses?

D. C'est l'aimer plus que nos biens,

que nos parens, que nostre vie.

M. Tout ec'ioti chia techienonho�e

d'o�a titi ioti d'etsonho�a?

D. Nen ioti, stonn� iheras ch�

iherha ao�etti d� aeanho�a iaras

ch� ierha endind�, Aatioehaan ch�

endionrraehan.

M. En quelle fa�on aimez vous vostre

prochain comme vous mesme?

D. Luy desirant le mesme bien que

je me desire selon Dieu & raison,

& luy procurant ce que je ferois pour

moy mesme.

9/1401

Attierenco�asti.

Assan arre Aienstaco�a.

Des bonnes oeuvres.

Le�on Dixiesme.

M. Iao�eron ca dac atont d� attieho�as

Attichristerronon?

D. Nen att Aerenco�asti, aerhon

onn� d'etsatan ahondiontichien, stan

onn� teer�ta to ara Ato�aincha, d�

ta tehakhra Aerenco�asti.

M. Qu'elle est la quatriesme chose

necessaire au Chrestien?

D. Les bonnes oeuvres, car apr�s

que quelqu'un est parvenu � l'aage

de discretion, la foy ne luy suffit

plus sans les bonnes oeuvres.

M. An� ihattieron Attierenco�asti?

D. Oco�endaenchaon Aatio atoco�endachaen.

M. O� sont contenues les bonnes

oeuvres qu'il nous faut faire?

D. Aux commandemens de Dieu.

M. To chihon Atoco�endaencha Aatio.

D. 1. Escat ito chien hara ehechiechiendaen

Aatio, eo�a chech� nond�e

ehestonho�� dat aondi.

2. Stan endea tehechienguiatand�

Aatio Ochienda, o�a arra ondionhia�.

3. O�ahia arra echientao�a, chia

stan teechienguiaentak� esco�entat.

4. Ehechiechiendaen d� Hiaistan

ch� Sando�e, det� chierh�

achiennhonetsis.

5. Enon tehechio d'ato�ain, stan

tondi tehechiendionrraentons

sesco�aon, aarrio.

6. Stan teechiakhroand� d'ato�ain,

stan tondi teessaens sesco�aon.

7. Stan teechiaco�anrraeha, stan

tondi teechiakheronco�and� enstan

iensta.

8. Stan teechiatendoton d'aioi

ondionhia�, stan heo�a teechihougnah�

endea.

9. Oon� to achaha d'andaco�andetaion

stat onn� echienguia�.

10. Stan tehechiatonco�an d'aioi

ottio�an d� ta tehiras.

M. Dites les commandemens de Dieu.

D. 1. Un seul Dieu tu adoreras, &

aimeras parfaitement.

2. Dieu en vain tu ne jureras, ny

autre chose pareillement.

3. Les Dimenches tu garderas, en

servant Dieu devotement.

4. P�re & m�re honoreras, afin que

vives longuement.

5. Homicide point ne seras, de fait,

ne volontairement.

6. Luxurieux point ne seras, de

corps ne de consentement.

7. L'avoir d'autruy tu n'embleras,

ne retiendras � ton escient.

8. Faux tesmoignage ne diras, ne

mentiras aucunement.

9. L'oeuvre de chair ne desireras,

qu'en mariage seulement.

10. Les biens d'autruy ne convoiteras,

pour les avoir injustement.

M. Tout aotan essonattinontan d�

essoncarratat cha Eco�endaenchate

d'Aatio?

M. Quelle recompense recevront ceux,

qui garderont les Commandemens de

Dieu?

10/1402

D. Nen essonatinnhonon Ennhono�ane

ecannhonat�, d� ta teco�annhoentas,

ch� d� ta tehaoenterei

aondi d'ochiatorr�, ch�

d� hanonat� akio�acha ao�etti,

ch� d� aondechahan etannhoaentaha.

D. La vie �ternelle, qui est une

vie exempte de tous maux, & remplie

de tous biens, & qui doit durer

� jamais.

M. Tand� d� attinoncontan tout

ekhiottieren?

D. Ihaochiensseni nond�e Aatio,

chiach� ondechon ihaotti.

M. Quels maux encourent ceux qui les

transgressent?

D. L'ire de Dieu, & la damnation

�ternelle.

Onditenrrenchaens Attierenco�asti.

Scat ich� Aienstaco�a.

Des oeuvres de misericorde.

Le�on Onziesme.

M. Tand� Atenrrenco�a, eo�a

tondi endoron?

D. Taierhanto, stan ichien Achristerronont�

d� tehakerha nond�e

Atenrrenchaens aerenco�asti.

M. Ne faut-il pas aussi exercer

les oeuvres de misericorde?

D. Ouy, & celuy qui ne le fait,

ne m�rite pas le nom de Chrestien.

M. To atti ihenon Atenrrenco�a�?

D. Nen atti ihenon soutarr� Eskenehaan,

chiach� soutarr� tondi

Erroneehaan.

M. Combien y a-il d'oeuvres de

misericordes?

D. Il y en a sept Spirituelles, &

sept Corporelles.

M. To chihon d'Eskenehaan.

D. l. Aienstan d� tehottindiont.

2. Arreo�a d� hottirriho�anderach.

3. Andionhierrita d� hottindionrrachen.

4. Arriho�aienstan d� hottinho�aeho�as.

5. Oon� to akhrihote endandichonco�agnon.

6. Endionrhens ne arriho�anderaco�a.

7. Enditi ch� d� enondh�d�, ch�

d� Aiheond�, ch� ind� ne d� ha

onessata.

M. Dites les Spirituelles.

D. �. Enseigner les ignorans.

2. Corriger les defaillans.

3. Donner bon conseil � ceux qui

en ont besoin.

4. Consoler les desolez.

5. Porter patiemment les injures.

6. pardonner les offences.

7. Prier pour les vivans & trespassez,

& pour ceux qui nous persecutent.

M. To chihon ne Erroneehaan.

D. 1. Andataia ondacaota d'ondatonnicesta.

2. Aerrata d� hindachiaten.

3. Aennon d� hottiho�achon.

M. Dites les Corporelles.

D. 1. Donner � manger aux pauvres

qui ont faim.

2. Donner � boire � ceux qui ont soif.

3. Vestir ceux qui sont nuds.

11/1403

4. Aatontao�a d� aconattindasco�aen.

5. Andatar� d� hiheons.

6. O�at sechronon arata.

7. Anonkhra d� ondiheon.

4. Racheter les prisonniers.

5. Visiter les malades.

6. Loger les p�lerins.

7. Ensevelir les morts.

Arriho�anderacha.

Tendi tetch� Aienstaco�a.

Des P�chez.

Le�on Douziesme.

M. Onn� ichien hao�aen d�

eco�akhier, tout aotan

nonho�a eco�ateienstan?

D. Ne Oucaota d� eco�achiensseni

ch� eco�ateo�ata.

M. Apres avoir veu le bien qu'il

nous faut faire, que reste-il

maintenant � s�avoir?

D. Le mal qu'il nous faut fuir.

M. Tout eca Oucaochoutan d'eco�ateo�ata?

D. Ne Arriho�anderacha.

M. Quel mal devons nous fuir?

D. Le p�ch�.

M. Tout aotan nond�e Arriho�anderacha?

D. Ond�e aat ao�etti, d� eatonco�an,

ch� d� itseen ch� d� ierha,

stat teharas Aatio.

M. Qu'est-ce que p�ch�?

D. Tout ce qui se dit, qui se desire,

ou qui se fait, contre la loy

& volont� de Dieu.

M. To hio�a uo�arriho�anderachaen?

D. Tendi, Adanehaan, ch� n�

onionho�aehaan.

M. Combien y a-il de sortes de

p�chez?

D. Deux, l'originel, & l'actuel.

M. Tout eca arriho�anderachuutan

d'ichias, Adanehaan?

D. Ond�e d'ico�aho�a stat tekhionatondi,

ch� d� Achonacha ihochonas.

M. Qu'est-ce que le p�ch� originel?

D. C'est celuy que nous apportons

avec nous, quand nous naissons, &

qui nous est pardonn� par le

Baptesme.

M. Tout aotan nond�e Onionho�aehaan

arriho�anderacha?

D. Ond�e nond�e arriho�anderachoutan

d'onionho�a ico�arriho�and�rach,

stonn� onendiont ch�

stat onatechiahaasta.

M. Qu'est-ce que le p�ch� actuel?

D. Celuy que nous commettons

nous mesme apr�s l'usage de

raison.

M. To atti hio�a ionarriho�anderacha�

onionho�aehaan?

D. Tendi, scat arriho�anderacha

arriotaco�a, ch� scat io�arriho�ande

iassa.

M. Combien y a-il de sortes de p�chez

actuels?

D. Il y en a deux sortes, l'un est

mortel, & l'autre v�niel.

M. To atti iarriho�anderacha�

d'attioch?

M. Combien y a-il de p�chez mortels?

12/1404

D. Soutarr�, Andetaio�acha, Ao�iachata,

Akhiechencha, Anonstecha,

Anguiataesta, Andaco�anonacha,

Akiengnracha.

D. Sept, c'est as�avoir Orgueil, Ire,

Envie, Avarice, Gourmandise, Luxure,

Paresse.

M. Tout aotan assonendao�erhaan

cha ecarrihouanderachat� d'ihoch?

D. Nen assonaco�as Aatio onderao�ataco�a,

chia ne achiendaencha

d'assonastaco�andinen Aronhiaon�.

M. Quel mal nous apporte le p�ch�

mortel?

D. Il nous sait perdre Dieu, sa

gr�ce, & la gloire qui nous estoit

promise.

M. Tout ec' ioti ec' ichia arriotaco�a?

D. Ond�e at d'assonachiah Nonesken,

aerhon assonennhonaco�an

ennhonat� d'Onderao�ataco�i,

chiach� assonaios anheoncha

d� ta teo�assach.

M. Pourquoy s'appelle-il mortel?

D. Pour ce qu'il tue nostre �me,

luy faisant perdre la vie de la gr�ce,

& aussi pour ce qu'il nous rend dignes

de la mort �ternelle.

M. Tand� io�arriho�andeiassa tout

aotan nond�e assonendao�erhaan?

D. Tastan ato�ain teassonaco�as

anderao�ataco�a stan heo�a ta teassonati

Ondechon, onekichien

ihondanhousta Aatiod� nonanonho�echa,

ch� ond�e ioti khionirreo�ata

eca ondecha�, ch� ond�e

haotan assonagnions arriho�anderachaon

ecarriho�anderachat� d'ihoch.

M. Et le p�ch� v�niel, quel mal nous

fait-il?

D. Il ne nous fait pas perdre la

gr�ce, ny m�riter l'Enfer, mais il

nous refroidit en l'amour de Dieu,

& m�rite des peines temporelles, &

si nous meine au p�ch� mortel.

Aot Ondateracata.

Achinc ich� Aienstaco�a.

Des Saincts Sacrements.

Le�on Treiziesme.

M. Tout ichien, ao�aton atti

t'ao�ateo�ata ne arriho�anderacha,

ch� t'ao�akerha cha ecattierenco�asti

dat onionho�achon?

D. Stan aondi ta teco�andaourach�

d� ta tessoningo�asco�a Aatio

Onderao�ataco�a.

M. Pouvons nous de nous mesme

fuir le p�ch�, & faire les bonnes

oeuvres que nous avons dites?

D. Nous ne les pouvons faire sans

l'aide de la gr�ce de Dieu.

M. Tout aotan dat eco�akhier chia

eco�aen Aatio ne Onderao�ataco�a?

D. Ende�a eco�aerata aot Ankuco�a�

Atoterac�ta.

M. Par quels moyens entre autres

acquerrons nous la gr�ce de Dieu?

D. Par le bon usage & digne reception

des Saincts Sacremens de

l'Eglise.

13/1405

M. To Io�ateracata� on Ankhuco�ae?

D. Soutarr�.

M. Combien y a-il de Sacremens en

l'Eglise?

D. Sept.

M. Iao�eron echa?

D. Achonacha, Ahetsaronco�a, Endionrhencha,

Atonesta, Ondakhiachenta

Orenonco�a, Anerraesta,

Anguia�cha.

M. Qui sont-ils?

D. Baptesme, Confirmation,

P�nitence, Eucharistie, Extr�me

Onction, Ordre, Mariage.

M. Sinen nond�e eca aherhon?

D. Aiesus Christ Ouao�andio.

M. Qui les a instituez?

D. Jesus Christ nostre Seigneur.

M. Tout atti nond�e?

D. Nen atti atahaonenguiaens,

chiach� ti ioti attinde�a ata�onton

Nonesken, ch� atahaonanontan

Aiesus Christ Ostaio�ancha atohiatt�.

M. Pourquoy?

D. Pour la guarison & sanctification

de nos �mes, & pour nous appliquer

les fruicts de sa Passion.

Dac ich� Aienstaco�a.

Achonacha.

M. Tout aotan assonierha endind�

Aterac�ta d'Achonacha aatsi?

D. Nen ihachonas Adanehaan

arriho�anderacha, de ico�aho�a

stat tekhionatondi, ch� ond�e ioti

Ao�achristerronon ao�aton,

ch� assonenastas Aatio, aerhon

assonanontan Aatio Onderao�ataco�a.

Le�on Quatorziesme.

Baptesme.

M. Que fait en nous le Sacrement

de Baptesme?

D. Il efface le p�ch� originel, avec

lequel nous naissons & nous fait

Chrestiens & enfans de Dieu, par

le moyen de la gr�ce qu'il nous

conf�re.

Ahetsaronco�a.

M. Tand� Ahetsaronco�a?

D. Nen assonahetsaron ataiao�ateiat�,

ch� ataiao�arriho�ateha

Ato�aincha d� khionato�ainchao�i,

stat tekhionachoni.

Confirmation.

M. Et le Sacrement de Confirmation?

D. Il nous donne force pour confesser

constamment la foy que nous

avons receue au Baptesme.

Endionrhencha.

M. Tand� Endionrhencha tout

aotan eest nond�e?

D. Ond�e echa assonachonas cha

ne arriho�anderacha d'ico�arriho�anderai

stat onn� akhionachoni.

P�nitence.

M. Dequoy nous sert le Sacrement

de P�nitence?

D. Nous recevons par iceluy la

remission des pechez que nous

avons commis apres le Baptesme.

14/1406

Atonesta.

M. Tout ichierh� d� ne aot

Atonesta?

D. Ierh� �a, stonn� Ao�ane ahohachendi,

to tohan� Onao�andio

Aiesus Christ dat ato�ain ihenkhon

ecaot Endiscara� ch� Airrata�.

Eucharistie.

M. Que croyez vous du tressainct

Sacrement de l'Autel?

D. Je croy qu'apr�s la consecration

qu'a fait le Prestre, nostre Seigneur

Jesus Christ est r�ellement

contenu tant en la saincte Hostie

qu'au Calice.

M. Tande stonn� ahohachendi d'Ao�ane,

orast ihandataront Endiscara�,

che orast ihouchahenoutan Airratae?

D, Tastan, aerhon stonn� ihao�angnrakhia,

d'Ao�ane, tohan�

Ecandatarat� aratenni, ch� erron�

ao�aton d'Aiesus Christ, ch�

Ecouchahendat� engon tondi d'Aiesus

Christ ao�aton.

M. Apres que le Prestre a consacr�,

ce qui est en l'Hostie, est-ce du pain,

& du vin, ce qui est au Calice?

D. Nenny, d'autant qu'en vertu

des sacr�es paroles que le Prestre

dit, le pain se change au corps de

nostre Seigneur, & le vin en son

sang.

M. Tande ne Onesse tout aotan nond�e?

D. Ahierasta haotan nond�e, ch�

iondh�chaens akhraco�a d'Aiesus

Christ Nonenguiaenchaens Onheoncha

ch� Ostaio�ancha: chiach�

asson haotan horrihoutan et

anho�a Aiesus Christ hatestaanco�as

d� aondhed�, ch� de aiheond�;

ond�e echa sti ioti endoron dat

eskenona to tao�akra ico�ao�etti.

M. Qu'est-ce que la Messe?

D. C'est une m�moire & vive

representation de la mort & passion

de nostre Sauveur Jesus Christ, &

outre cela un Sacrifice, o� il s'offre

soy-mesme pour le salut des vivans,

& des morts, & par ainsi nous devons

tous y assister avec grande reverence.

Ondakhiachenta Orenonco�a.

M. Tout aotan eest d'ondakhiachenta

Orenonco�a?

D. Assonarriho�anderachonas d'orast

onarriho�anderachor�, ch�

assonakheronco�asta ataiao�ahouichegna

ch� nonakhriochaens,

ch� nonachiatorrec, ch�

Ondakiondatoataco�a.

Extr�me Onction.

M. A Quoy sert le Sacrement

d'extreme Onction?

D. Pour nettoyer des p�chez que

nous pourrions avoir de reste, &

nous donner force pour resister aux

ennuis & douleurs de la maladie,

& aux tentations du diable.

M. Tout aotan asson?

D. Onaest ichien asson t'ao�ateenguiaens

onerroned� d� tetsorao�an nond�e.

M. A quoy plus?

D. Il nous sert d'avantage pour

obtenir la sant� du corps, si c'est

le meilleur pour nous.

15/1407

Anguiaecha.

M. Tout aotan echa Anguiaecha

ihaatsi?

D. Ateracata haotan nond�e, tonn�

Enguiahan ch� Ondekien akhiontatastaco�an

ch� akhiontatakhierratan Ankhuco�aon�,

d'Aho�atsiraend� ch� d� end�a

arriho�aienstand� ottiho�atsirao�an,

ch� de stan teakhroand�, ch� stan

teandaco�andetaiond� o�ats�.

Mariage.

M. Qu'est-ce que Mariage?

D. C'est un Sacrement auquel

l'homme & la femme se joignent

ensemble par la foy & promesse

mutuelle en la face de l'Eglise,

pour avoir lign�e, la bien instruire

& se garder de fornication.

Anerraesta.

M. Tand� Anerraesta tout aotan?

D. Aot Akhuco�a� Oteracatao�an

nond�e, d� stottien Attio�anens,

onn� tondi attindaouras ch�

akhrendotand� ne aot orron� Aiesus

Christ Onenguiaenchaens, ch�

arriho�anderach orescao�and� d�

honendacarratat, ch� stan iesta

aerhad� aot Ankhuco�ad�. Tand�

det attindeiachas Eco�attio�anens,

oont ahonendaronca nond�e.

Ordre.

M. Qu'est-ce que l'Ordre?

D. C'est un Sacrement mis en

l'Eglise, par lequel les Prestres

re�oivent la puissance de consacrer le

pr�cieux corps de nostre Sauveur,

absoudre ceux qui leur sont donnez

en charge, & faire les autres choses

concernans la police de l'Eglise.

Enquoy il leur faut ob�ir, ores

qu'ils fussent de mauvaise vie.

FIN.


A la plus grande gloire de Dieu.



16/1408

L'ORAISON

DOMINICALE

TRADUITE EN LANGAGE

DES MONTAGNARS

DE CANADA

Par le R. P. Mass� de la Compagnie
de JESUS.


Noutaouynan Ca tayen Ouascoupetz.

Nostre P�re qui es �s cieux

l. Kit-ichenicass�uin sakitaganiouisit.

Ton nom soit en estime.

2. Pita ki-ouitapimacou agou� Kit-out�nats.

Ainsi soit que nous soyons avec toy en ton Royaume.

3. Pita Ki-kito�in toutaganiouifit Assitz, ego Ouascouptz.

Ainsi soit que ton comandement soit fait en la Terre, comme

au Ciel.

4. Mirinan oucachigatz nimitchiminan, ouecht� teouch.

Donne nous aujourd'huy nostre nourriture, comme tousjours.

5. Gayez chouerim�ouinan ki maratirnisit� agou�,

ouecht� ni chouerimananet, ca kichiouahiamitz.

Et aye piti� de nous si nous t'avons offenc�,

ainsi que nous avons piti� de ceux, qui nous ont

donn� suject de nous fascher.

6. Gayeu ega pemitaouinan machicaouintan, espich

nekirakinaganiouiacou.

Aussi ne nous permets t'offenser, lors que nous y

serons induits.

7. Miatau canoueriminan eapech. Pita.

Mais conserve nous tousjours. Ainsi soit.



LA SALUTATION Ang�lique.

Ho h� MARIE, miffit catouatich�uin Kit-ouitchecou,

Salut Marie, toute bont� vous accompagne,

Dieu kit-ouitapimuc.

Dieu est avec vous.

Ki-catouachichiriou missit � tachitau Iscoueouet,

17/1409

Vous estes la meilleure de tant qu'il y a de femmes,

Gayez sakitaganiouiou k'oucouchich kittouascatamitz JESUS.

& est en grand estime le Fils de vostre ventre JESUS.

O ca catouachichien MARIE Ouccaouymau DIEU,

O bonne Marie Mere de DIEU,

ahiemiaouinan, ca maratiriniouitsiatz

priez le pour nous, qui sommes pescheurs

anoch, mac espich nipiatz, Pita.

maintenant, & lors que nous mourrons, Ainsi soit.


LE SYMBOLE des Apostres.

Ne-Tapouitaouau DIEU

Je croy en Dieu

Outaouymau, Ca missit Nittaouitat

le P�re, qui est tout puissant,

ca Kichitat, Ouascoupniouy, mac Assiriouy.

qui a fait le Ciel & la Terre.

2. Gayez ne tapouitaouau, JESUS CHRIST Oucouchichimau,

Aussi je croy en JESUS-CHRIST son Fils

tipan N'okimaminan.

unique notre Seigneur.

3. Ca (Irinissouymau catouachichiriou espich ouitchiat,)

Qui (l'Esprit tres-bon coop�rant,)

Irinicassout ouascatamitz Iscouechichay MARIE, ca ki penet.

s'est fait homme au ventre de la Vierge Marie, qui l'enfanta.

4. Chibinat, espich okimaouitay Ponce Pilate,

Il a souffert, durant le gouvernement de Ponce Pilate,

ki kichtafcouaganiouyou, ki-nipahaganiouyou, mac ouaspitaganiouyou.

a est� clou� en un bois, fait mourrir, & enterr�.

5. Courasetet adamiscamigoutz, mac eabits nichtou kichiganich

Est descendu aux Enfers, & apr�s trois jours

minahiau�ssout, caou iriniouit.

reprenant son corps, a derechef vescu.

6. Isparit Ouascoupetz, gayeu apit outisponesinitanitz DIEU

Est mont� �s Cieux, & est assis � la dextre de Dieu

outaouy�, ca nitaouitat missit.

son pere, tout puissant.

7. Caou ke nougousit Ouascouptz, kticheastametz, gayez

Derechef il apparoistra au Ciel, �s nu�es, &

�couta cata-opineouet Iriniticou, �a Ki-catouachichitouau:

l� il recevera les hommes, qui auront bien vecu:

gayeu cata-ouebineouet ochicta ouisitouau adamiscamigoutz

escouteoutz.

aussi il precipitera les meschans �s enfers dans le feu.

18/1410

8. Netapouitouau ego, ca catouachichiriou Irinissouimau.

Je croy pareillement au tres-bon ESPRIT,

9. Gayez peiocout Ahiamito�in, ca catouachichit, missimitz

Aussi une assembl�e d'hommes, qui est bonne, en tout le monde

fakitaganiouyou, Outichio�in ouirouau, ca catouachichitouau.

bien aym�e, l'entresoulagement de ceux qui sont bons.

10. Outicheouaticini�uin.

La remisson des p�chez.

11. Il Minahiau�uin netchipaminanet.

Le retour au corps de nos �mes.

12. Iriniouin, ca nama nittanipin eapech. Pita.

La vie, qui ne peut mourrir jamais. Amen.


La Confession g�n�rale.


Ne-ouitemouau DIEU ca missit nitaouitat,

le confesse � DIEU qui est tout-puissant,

Catoua chichiriou MARIE, teaouch Ifcouechichay,

� la bonne Marie, tousjours Vierge,

Michel Manitou, ca catouachichiat, ego Jean

Michel l'ange, qui est bon, pareillement � Jean

Baptiste, Pierre, Paul, gayeu missit e tachitau,

Baptiste, Pierre, Paul, & � tous tant qu'ils sont,

cacacouati chitouau, Ouascouptz, gayez � Nouta

qui sont bons au Ciel, aussi � mon P�re je

ki-ouytematin ne-ki-maratiriniouitsin

vous confesse que j'ay p�ch�

Machicaouian, Machicaouian

je suis meschant, je suis meschant,

Machicaouissian. Ouay netahiemiau

d'ordinaire meschant. Pour ce je prie

catouachichiriou MARIE, teouch Iscouechichay,

la tr�s-bonne Marie, tousjours Vierge,

missit e tachitau catouachichitau

tous tant qu'il y a de bons

Ouascouptz, gayez � Nouta kitahiemiaouinan Dieu,

au Ciel, & vous � mon P�re que vous priez pour moy Dieu,

oua chouerimic. Pita.

afin qu'il aye piti� de moy. Ainsi soit.



Les Commandemens de Dieu.


1. Peiocou tipan Dieu kigaahiemiau, mac kigasakihihau.

Un seul Dieu tu prieras, & aymeras.

2. Outichenicass�uin nama ki-caouyau ega tapouien agoue.

Son Nom tu ne prononceras sans dire la v�rit�.

19/1411

3. Nama Ke-atoscaien kichigatz, kitoutaganiouytau,

miatau micouke ahiemiec.

Tu ne travailleras �s jours de commandement,

mais seulement tu prieras.

4. K'outtaouy, gayez Ouccaouy kiga tapouetouau,

Ton Pere, aussi � ta Mere tu croyras,

ouay ke iriniouien kinouer.

afin que tu vives long temps.

5. Aouhiez ega kiga-nipahau.

Autruy tu ne tueras.

6. Ega ke machouessien.

Tu ne seras Luxurieux.

7. Ega ke kimoutissien.

Tu ne seras Larron.

8. Egakekirassien outamirouien ahouiez.

Tu ne seras Menteur pour nuire � autruy.

9. Kiou�, ca peiocout, ochitau kigaouy maratchihau.

De ta femme, unique, seulement desireras cognoissance.

10. Aouhiez out aouyouin ega kigaouy mamau. Pita.

D'autruy les moyens tu ne desireras ravir. Ainsi soit-il.



SOMMAIRE DES Commandemens de la Loy.


1. Soustissi gayeu epischian, ki-ga-sakihihau DIEU.

Virillement & de tout ton pouvoir, tu aymeras Dieu.

2. Gayes aouhiez ki-ga-episterimau ego ki-hiau.

Et autruy tu ch�riras comme toy-mesme.



SOMMAIRE DES Commandemens de Nature.

1. Nana ketoutec kecou� aouhiez ca ega meroueritamen aouhiez

ketoutise.

Tu ne feras chose � autruy laquelle ne veuille autruy te faire.

2. Ouechte ke meroueritamen kiga-toutagouin ego ketoutec ahouhiez.

Comme tu voudras qu'on te face de mesme feras � autruy.



LE SIGNE DU CHRESTIEN.

NE-TAPOUITAOUAU Outaouymau, Oucouchichimau,

Je croy au Pere, au Fils,

mac catouachichiriou Irmissouimau, ca peocouchouet tipan Dieu.

& au tr�s bon Esprit, qui sont un seul Dieu.

Pita chouerimic agou�.

Ainsi soit qu'il aye piti� de moy.



POUR SE RECOMMANDER � Dieu.

NOKIMAU atamitz kitichiet

Mon Seigneur entre vos mains je

20/1412

ki miritin n'itchipay: ouitchihime.

vous donne mon ame: secourez moy

Ki-ouebinau ou machicaouen

vous avez terrasse ce meschant

Manitou, ca ouitcherimic.

Diable, qui me hayt.



POUR DEMANDER pardon de ses pechez.

PITA chouerimiecou agoue,

Vueille avoir piti� de nous,

� Dieu ca missit nitaouitat, miricou

� Dieu tout puissant, donne nous

n'outiche ouaticiniouinan,

le pardon de nos p�chez,

mac opinicou ouascouptz ecouta

& nous retire au Ciel, l� ou

iriniouiacou eapech. Pita.

nous vivrons � jamais. Ainsi soit.



ORAISON A l'ange gardien.

MANITOU ca catouatichien,

Esprit qui estes bon,

ouecht� kitotise Dieu, cachiouatessit,

ainsi que vous enjoinst Dieu, misericordieux,

ou cachigats kisnohime, ouitchihime mac canouerime. Pita.

aujourd'huy enseignez moy, secourez moy, & me conservez. Ainsi

soit-il.



LA BENEDICtion de table.

OUTAOUYMAU, Oucouchychimau, mac catouachichiriou Irinissouimau,

Pere, Fils, & tr�s bon Esprit,

tipan DIEU, oucachigatz, chiouatesiatz, acheminan ne-mitchiminan.

seul Dieu, aujourd'huy, misericordieux, donne nous nostre vivre.

Pita.

Ainsi soit.



LES GRACES apr�s le repas.

O Dieu! kinascomitinan, ca

O Dieu! nous vous remercions, qui

nitaouitaien missit, ca ki-ki-mirinan nemitchiminan.

pouvez tout, qui nous avez donn� nostre aliment.

O DIEU pita chouerimiecou agoue tchipayet Noutaouynausebanit:

O Dieu vueille avoir piti� des ames de feu nos ancestres:

mac espich nipi�cou netchipaminanet. O Dieu! Pita gayeu

& quand nous mourrons des nostres. O Dieu! Ainsi soit aussi

irimouiacou agoue, gayez ouitassitouiacou eapech. Pita.

que nous vivions, & soyons en paix � jamais. Ainsi soit.

FIN.




1/1413

PI�CES JUSTIFICATIVES.


I.

1629

The Generall of the French taken by Captaine Kirke in Canada doth acknowledge all good usage in respect of Diett and lodging.

His grievances are,

1. That friendes and visitantes have not free accesse to him.

2. That he is upon a Diett where he hath much more then he desires without any agreement what he must pay for it, which makes him feare that if he should long continue as he doth, he should not be able to give satisfaction for it. Whereupon being asked whie he did not take his diett with the Maister of the house who had divers times invited him, offering him the freedome of his house and garden, he answered that he loved it private, and being further demaunded whie he did not expresse himselfe in that point of his diett the charge whereof he feared, he answered that he tooke what they brought him. And being againe demanded, whether he had not cleane linnen as was fitt, or that any that would have brought him cleane linnen had beene refused to come to him, he answered, that he had his linnen washed in the house, but in respect of the charge he desired to have a laundresse of his owne, whereupon asking of the Maister of the house whie he did refute it, he said that his house had beene much troubled with two women that came thither, and having some suspicion of them he refused them entrance.

3. The third grievance is, that he is detayned for a ransome which neither ought to be demanded, nor is he able to pay. For he holds himselfe to be noe lawfull prisoner of warre not having beene taken in warre, but upon a plantacion. And he insists much upon this, That all prisoners taken on both sides since the warre between the Crownes have beene freely delivered, not onely those that have beene taken by the Kings armies or fleetes, but such as have beene taken upon lettres of Marque, whereof he gives instance in some taken att Newfoundland, and insistes upon the freedome that Capt. Kirke gave to all the rest that were under his command. And for his ransome, he professeth his whole estate in France is not worth above 700. L. Sterling, and wisheth that for their satisfaction they would send over some man to search the notaries bookes and the contract of Mariage with his wife, or any other waie that may discover his estate, and should they keepe him ten yeares and ten yeares, he was altogether unable to pay a ransome, and wished that noe man would judge of his estate by his clinquant cloathes.

2/1414

The Commissarie Generall doth not complaine but acknowledgeth all good usage for Diett and lodging. His grievances are two.

1. That friendes are not permitted to come to him.

2. That he is kept prisoner for a ransome, beinge noe prisoner of warre, and useth the same argumentes as before.

He saies that att the first he wanted linnen, but now his friendes have furnished him, And the Maister of the house being questioned, he answered, that he had offered him accomodacions in this kind which were refused.

(State Paper Office, vol. V, n. 33.)


II.

A copie of Mr. Champleins depositions taken before Sr. Henry Martin Kt. the 9th. (19) of Novembr. 1629.

Samuell Champlein of Browages in Guien in the Kingdome of France, gent. and late Lieutenant govournor of the forte in Canada called the St. Lewis at Kebecke, sworne before the right worll Sr Henry Martin Knight Judge of the high Court of Admiralty, saieth as followeth.

To the first Intergatory he saith that he and the rest of the French latelie taken at Canada by Capt Kircke and his comp. have bin well intreated and used by him and his comp. ev. since they were taken by them, giveing them victualls and useing them as himselfe, and they have bin noe wayes dealt with to depose an untruth for ought hee knoweth.

To the 2d. 3d. and 4th. hee saith that he was in the forte when Capt Kircke and his comp. tooke the same, and there were then in that forte and habitacion thereof when Kircke tooke the same viz. the 20th. day of July 1629. Stilo novo viz 4. brasse peeces weighing each about 150 lb weight, one other peece of brasse ordinance wey. 80 lb weight, 5 Iron boxes serving for the 5 brasse peeces of ordinance, 2 small Iron peeces of ordnance wey. each 8 hundred poundes weight, six murderers with their double boxes or chargers, one small Iron peece of ordnance wey. about 80 lb, 45 small Iron bulletts for the service of the foresaid 5 brasse peeces, six iron bullettes for the service of the foresaid, 26 brasse peeces wey. every one 3 poundes, 30 or 40 poundes of gunpowder all belonging to Mo. de Caen of Deepe Mo. Dollew831 of Paris Mo. de Nouveau of the samm Mo. Ezemaell Caen of Roen Mo. Deshenn832 of St. Mallos and 3 or 4 more whose names he doth not remember, aboute 30 poundes of match belonging to the French King, 13 whole and 1 broken muskett, a harquebush, a Croacke belonginge to the said merchants, 2 longe harquebushes 5 or 6 foote longe, a peece belonginge to the Kinge, 2 other harquebushes, 10. halbertes. 12 pikes belonginge to the Kinge, 5 or 6 thousand leaden bulletts plate and barres of lead belonging 60 Corseletts whereof 2 are compleat and pistole proof, 2 greate brasse croes wei. 80 lb, 1 pavilion to lodge aboute 20 men belonging to the King, a smithes fordge with the appurtenances, all necessaries for a kitchen, all 3/1415tooles and necessaries for a Carpenter as appurtenances of Iron worke for a windmill a hand-mill to grinde corne, a brasse bell belonging to the said merchants, and as he hath bin toulld by the factors for the merchants there were in the warehouse or magazine in the said habitacions aboute two thousand five hundred or 3 thousand beavor skinnes and some cases of knifes the number whereof he hath not heard and some small Iron shafts which did belonge particularly to Mo. de Cane and the forte belonging to the King and the habitacion and houses there belonging to the said merchants were all left standing undefaced, and the inhabitants in those houses had some goods of their owne in them but what they were he cannot expresse, and this he affurmed upon his oath to be true, and more to these Interogatories he cannot answere.

Note 831: (retour)

Dolu.

Note 832: (retour)

Desch�nes.

To the 4th. he saith that there were not any victuals or ordinarie sustinance for men in the said forte or habitacion at the tyme of the taking of them, the men in the same haveing lived by the space of about 2 monthes before upon nothinge but rootes.

To the 5th. and 6th. he saith that being in distresse for want of victuals this examinate sent his brother and twenty more persons in a small pinnace of 7 or 8 tonnes called the Le Loania833 and one hundred coates or gownes to a place called Gaspey and gave his brother order to land twentie of them there, whereof as he remembreth 2 were weomen and 4 children, and gave them each of them 2 Coates of beaver to buy victualls of the Savages, and with the rest to saile to France to give notice of their distresse in the said forte ac aliter nescit.

(State Paper Office, vol. V, n. 34.)

Note 833: (retour)

La Coquinne.


III.

9 (19) Novembris 1629.

Eustacie Boule of Paris in France gent. aged twenty nyne yeares or thereabouts sworne as aforesayde sayeth as followeth.

To the first Interrogatory he sayeth that, those Frenchmen which Captaine Kirke tooke at Canada and brought home with him in his shippe have bin very well used by him, but this examinate beinge putt into another shippe called the William was at first. some thinge ill used by the company of that shippe, but uppon complaint thereof to Captaine Kirke he caused him to be better used. And he hath not (as he sayeth) bin moved to depose any thinge but truth.

To the second and third he sayeth That he was taken in the Shallopp the Coquinna before the fort was taken, but sayeth that he knoweth that there were in the interrt Forte three or fower brasse peeces of Ordnance, twoe iron peeces of ordinance, some musketts and other municion, the perticulers whereof he cannot expresse nor cann he expresse what quantety of goodes were then in that fort or habitacion but he heard that there were then in the habitacion a quantetye of beavers, knifes and Iron shaftes, and he hath heard that part of the munition of the sayd fort did belonge to the French Kinge, and the rest thereof to Mounsr. de Cane, Mounsr. Dolliew, Mounsr. Donovien, Mounsr. Harvey,

4/1416Mounsr. Deyerton, Mounsr. de Shanne 834 and other French merchants and that the beavers knifes and shafts aforesayde belonged to Mounsr. de Cane in particuler ac aliter nescit.

Note 834: (retour)

Desch�nes.

To the fourth he sayeth That they in the fort aforesayde at the tyme of theire takinge fedd only uppon rootes and had noe other sustenance.

To the fifth and sixte he sayeth That Mounsr. Shamplye835 caused this examinate with twenty nyne persons more, men woemen and children to imbarque themselves in the Interrogate Pinnace and gave this examinate order to carrye them to Gaspie and there to leave them twenty of them amongst the savages to get victualls amongst them and to give them two coates of beaver a peece to buy victualles with, and with the rest to seeke passage for France to make knowne in what necessitye they in the Fort were, And this he affirmeth uppon his oath to be true who was Captayne of the sayde Shalloppe. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, art. 35.)

Note 835: (retour)

Champlain.


IV.

9 (19) Novembris 1629.

Nicholas Blundell of Deepe in France, gent. aged 22 yeares or thereaboutes, sworne as aforesayde sayeth as followeth.

To the first Interrogatory he sayeth That he and the rest of the French taken by Captaine Kirke at Caneda have bin well used and intreated by him in the best manner that he could and as well as himselfe, and hath not bin dealt with to speake any thing more then truth.

To the second and third he sayeth That he was in the Fort of Cabecke when it was taken by Captaine Kirke, and he sayeth that there were then in the sayde fort two greate peeces of Iron Ordnance, but what other munition, goodes or marchandizes, were then [in] that fort or the habitacion thereof he cannott expresse, livinge as a private gentleman to his fashion Ac aliter nescit.

To the fourth he sayeth That there was not any victuall or ordinary susteynance for men in the sayde fort at the tyme of the takinge thereof they havinge lived about a month or six weekes before, only uppon bitter rootes.

To the fifth he cannott depose.

To the last he sayeth that those in the Interrogate pinnace and all the rest of the people of the sayde fort and habitacion except sixteene were sent away, some to goe for France, and the rest to be releived amongst the Salvages in the country. (State Paper Office, Colonial Series, vol. V, art. 36.)


V.

The depositions of Capt. David Kyrcke, and Capt. Thomas Kyrcke, John Lowe and Thomas Wade, Factors for the Adventerers to Canada, taken before Sr. Henry Martin, Kt. and Judge of the Admiralty the 17th. (27) of November 1629.

The 26th of March (5th. of April) 1629. we departed from Gravesend with sixe shipps and tow pinnaces and weare of the coast of England, about the 10th. (20) of April following.

5/1417The 15'th (25) of June wee arrived at Greate Gaspe and went up to Taddowsacke and Quebecke, between that and the 3rd (13) of Julye; in these places we traded with the Natives of the Countrye for 4540 Beavor skinns and 432. stagge skinns, according to the accompt delivered to mee by the Factors and pursors of the shipps, as appeareth to bee true under ther oathes. About the 3rd (13) of Julye I sent my brother with tow hundred men to demaund the rendering of the forte of Quebecke, which was geven up unto him the 9th (19) ditto upon such articles and condicions as are set dowen under the hande writinge of Mr. Champlaine and Mounsier du Pon.

My brother haveing possession of the Forte sent dowen to our shippes all such Bevore skinns as were found therin, which did amount to one thousand seaven hundreth and therteen beavors, as appeareth by the account of the Factors imployed to take the tale and accompte of them, and more beavor skins were not in the sayed Fortte and habitation as farre as I knowe.

These above sayd are the depositions of Capt. David and Capt. Thomas Kyrcke, made the 17th Novembr. 1629.

We John Lowe and Thomas Waade, Factors and pursers in this voyadge with the above sayed Capt. Kyrckes do likewise affirme upon our oathes taken the 17th Novembr. 1629. that there were noe more then 1713 Bevor skinns in the Forte and habitation to our knowledge and that there came no more to the Companies handes.

This the parties abovesayd upon there severall oathes taken before Sr. Henry Martin Kt. Judge of the Admiraltye have affirmed to be true of theire knowledge.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, art. 37.)


VI.

Demandes de l'Ambassadeur de France au Roy de la Grande Bretagne.

Qu'il plaise � sa Majest� luy accorder la permission de faire saisir les pelletries & autres marchandises apport�es de Canada dans deux vaisseaux par les Kirkes, & deschargez secretement, pour le droit des Fran�ois interessez, contentant � la vendition desdites marchandises, moiennant qu'il y ayt un commis par luy pour y assister, Et que l'argent quy en proviendra soit mis en sequestre jusques en d�finitive.

Plus qu'il plaise � sa Majest� vouloir remettre � son juge de l'admiraut� la cognoissance & le jugement de trois vaisseaux pris en mer par les Holandois, & enmenez en ses portz, reclamez par les propri�taires Fran�ois.

FONTENAY.

(State Paper Office, Colonial Series, vol. V, art. 50.)


VII.

[11 f�vrier 1630.]

L'ambassadeur de France supplie sa Majest� de la Grande Bretagne qu'il luy plaise ordonner suivant & conform�ment � ce qui a est� promis & accord� par les articles du XXIIIIe avril dernier, au Capitaine Querch & au Sir Guillaume Alexandre, & telz autres de ses subjectz qui sont ou se trouverront en la nouvelle France, de s'en retirer & remettre 6/1418entre les mains de ceux qu'il plaira au Roy son Maistre d'y envoier & seront porteurs de sa commission, tous les lieux & places qu'ilz y ont occupez & habitez depuis ces derniers mouvemens, & particuli�rement la forteresse & habitation de Qu�bec, costes du Cap Breton & Port roial prins & occupez, scavoir la forteresse de Qu�bec par le Capitaine Querch & les costes du Cap Breton & Port roial par ledit Sir Guillaume Alexandre Escossois, depuis le XXIIIIe avril dernier. Et iceux remettre en mesme estat quilz les ont trouvez, sans en desmolir les fortifications ny bastimens des habitations, ny emporter aucunes armes, munitions, marchandises ny ustencilles de celles qui y estoient lors de la prinse, quilz seront tenuz de rendre & restituer avec toutes les pelletteries quilz ont apport�es dudit pa�s, ensemble la patache command�e par le Capitaine de Caen, qui a est� amen�e en Angleterre, comme aussy le navire nomm� la Marie de St jean de Luz, du port de soixante dix tonneaux, qui a est� prins par ledit Alexandre au port des baleines, coste du Cap Breton, & partie des hommes ramenez icy par le Capitaine Pomere.

(Sur le dos est �crite.)

MEMOIRE Whereby the French Amb. desires his Majesty to give order for the restitution of all the places taken in Canada by the English and Scotts during these last troubles: Item of all the goods and ships brought from thence hether all in manner as it was taken, CANADA.

(State Paper Office, Colonial S�ries, vol. V, art. 50.)


VIII.

Response de Messieurs les Commissaires establis pour les affaires estrangeres sur cinq m�moires � eux present�s par Mr. l'Ambassadeur de France, le premier de Febvrier 1629.

(11 f�vrier 1630.)

1. Touchant la restitution des places, navires & biens qui ont est� pris sur les Fran�ois en Canada, & particuli�rement du fort de Qu�bec, Sa Majest� persiste en sa premi�re resolution signifi�e audit Sieur Ambassadeur par un M�moire qui luy fut delivr� en Latin, portant que ledit fort & habitation de Qu�bec, qui fut prist par le Capitaine Kirke, le 9 (19) de Juillet, sera restitu� en mesme estat qu'il estoit lors de la prise, sans rien abbatre des fortifications ou b�timents, ny en emporter des armes, munitions, marchandises ou utensiles qui y furent lors trouv�es. Et que si aucune chose en avoit est� emport�e, elle sera rendue soit en espece ou en valeur, selon la quantit� de ce qu'il a peu ou pourra apparoir par nouvelle examination qui en sera faite sur serment avoir est� trouv� audit lieu. Semblablement les peaus qui ont est� prises & emport�es dudit fort pour butin & choses de bonne prise, seront restitu�es selon qu'aussy il peut ou pourra apparoir par le compte exact qui en sera pris l�, sur serment qu'elles auront est� prises & emport�es dudit lieu. C'est ce que sa Majest� offre & demeure tousjours en resolution d'accomplir selon la premi�re d�claration qu'elle en a faite, & n'estime pas pouvoir estre press�e � davantage sur ce point l� en vertu du dernier Trait�.

2. Touchant l'abus que ledit Sieur Ambassadeur se plaint avoir est� commis par les Marchans Anglois, en cachant & soustrayant les peaus qui ont est� apport�es de Canada, il a 7/1419est� ordonn� par Messieurs du Conseil, & charge expresse par eux donn�e � un des clercs du Conseil, de faire une visitation particuli�re & prendre Inventaire du nombre des peaus qui retient & de faire parfournir ce qui s'y trouvera de manque par les marchants afin d'accomplir toutes choses selon qu'il a est� promis.

3. Quant aux marchandises que Pierre de Joffe & autres marchants de Calais reclament & disent leur avoir est� prises en la navire de Hambourg, Messieurs du Conseil ont pris la cognoissance de ce fait par devers eux ainsy qu'ils en ont est� requis, & se sont fait mettre entre les mains tous les enseignements qui le concernent, avec l'intention de faire faire restitution desdites marchandises selon qu'elles leur apparoistront appartenir de droit ausdits Fran�ois.

4. 5. Touchant la navire particuli�re de St-jean de Luz, pris par le fils de Sr William Alexander, & amen� � Plemue, & trois autres navires nommez l'Amiti�, le Pierre & le Michel de Calais, qui ont est� pris & men�s en Escosse, Sa Majest� a donn� ordre expr�s qu'ils soyent restitu�s.

(Sur le dos est �crit.)

Responce de Messieurs les Commissaires aux M�moires de l'Ambassadeur de France, Canada. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, art. 50.)


IX.

Charles, by the grace of God, Kinge of England Scotland France and Ireland, Defender of the faith, etc. To our right trustie and welbeloved Councellor, Sir Humfrey May Knight Vicechamberlaine of our houshold. Sir John Coke Knight, one of our principall Secretaries of State, Sir Julius Cesar Knight Master of the Rolls, and to our trustie and welbeloved Sir Henry Martin Knight Doctor of the Lawes and Judge of the Admiraltie, Greeting. Whereas Captaine David Kirke and his associats have taken certen goodes moveables merchandize and skynns, from certaine of the French which were remayning in the forte of Kebecke, the Colledge of jesuites, and in a shippe by him taken in Canada in the partes of America, Wee therefore, minding and resolving to be trulie informed and advertised of the same, and of the quality and values of the skynns goodes and merchandize there taken as aforesaid, have assigned and appointed, and by theis presents doe assigne and appointe you the said Sir Humfrey May, Sir John Coke, Sir Julius Cesar, and Sir Henry Martin, to be our Comissioners, giving and by theis presentes granting unto you or anie three or two of you full power and authority to call or send for before you or anie three or two of you at such tyme and tymes, place and places, as to you or anie three or two of you shall seeme most exp�dient as well all and singuler masters of shippes and mariners as all or any other person or persons whome you shall understand or conceive can give you informacion in or concerning the premisses, and shalbe necessarie to be called for the discovery of the premisses, or anie of them. And wee doe further hereby give unto you, or any three or two of you, full power and authoritie, as well by examinacion of the said masters of shippes marryners or any other person or persons whome you or anie three or two of you, shall thincke fitt upon theire corporall oathes, or without oathe as by 8/1420anie such other lawfull waies and meanes whatsoever as to you or any three or two of you shalbe thought fitt and exp�dient to find out and discover the said goodes moveables merchandize and skynnes, and all other necessarie incidents and circumstances concerning the premisses whereby the truth maie the more plainely appeare and be made manifest unto you. And upon such examination taken and discovery made, Wee will require and comaund you or anie three or two of you to certifie and advertise us or our privie councell of such your proceedinges and howe and what you find concerning the premises. And theis presentes or the inrollement thereof shalbe unto you, or anie three or two of you, a sufficient warrant in this behalfe. And lastlie our will and pleasure is, that this our Comission shall continue in force, and that you our said Comissioners, or any three or two of you, shall proceed to the execution thereof, although the same be not from tyme to tyme continued by adjournment. IN WITNESS whereof, wee have caused theis our letters to be made patentes, Winnes our selfe at Westm. the fifte day of March in the fifte yeare of our Raigne.

Per ipsum Regem WILLYS.

(Sur le dos est �crit.)

A comission to Sr. Humfrey May Knight, and others to examyne what goodes, merchandize and other thinges were taken by Captaine Kirke, at Canady, in the partes of America. 5 mar. 5 Car. WILLYS.

(State Paper Office, Colonial Series, vol. V, art. 58.)


X.

In one onely point Monsieur de Chasteauneuf seemed to goe away ill satisfyed, that he could not obtayne a direct promise from His Majesty for ye restoring of Port Royall, joyning to Canada, where some Scottishmen are planted under ye title of Nova Scotia. This plantation was authorized by King James, of happy memorie, under letters patents of ye Kingdome of Scotland, and severall priviledges graunted unto some principall persons of ranke and quality of this Kingdome, with condition to undertake the same. True it is, it was not begun till towards the end of the warre with France, when some of His Majestys subjects of that Kingdome, went to Port Royall, and there seated themselves in a place where no French did inhabite. Mons. de Chasteauneuf pretending (rather out of his owne discourse, as wee here conceive, then by Commission) that all should be putt in state as it was before the warre, and by consequence those men withdrawne, hath. pressed His Majesty earnestly for that purpose, and His Majesty without refusing or granting, hath taken time to advise of it, letting him know thus much that unless he found reason as well before as since the warre, to have that place free for his subjects plantation, he would recall them, but in case he shall find the plantation free for them in time of peace, the French will have noe cause to pretend possession thereof in regard of ye warre. Meanewhile Kebec, (which is a strong fortified place in the river of Canada which the English tooke) His Majesty is content should be restored, because the French were removed out of it by strong hand, and whatsoever was taken from them in that fort shall be restored likewise, whereby may appeare the reality of his Majestyes proceedings, and this 9/1421I advertise your Lordship for your information, not that it should be needfull for you to treate or negotiate in it, but to ye end that if it should be spoken of upon Monsr. de Chasteauneuf's retoure, you should not be ignorant how the businesse passed.

DORCHESTER.

Whitehall, 15th, Aprill 1630.

(Sur le dos est �crit.)

Lord of Dorchester to Sr. Is. Wake, 15. April 1630. Plantation of Canada, Nova Scotia, Port Royall and Kebec.

(State Paper Office, Colonial Series, vol. V, art. 82.)


XI, n. 1.

To the right honorable the Lords of his Majesties most honorable Privie Councell.

Whereas I received an order from your Lordships of the nineth of this instant Aprill, concerning the difference between Generall de Cane and the Marchant Adventurers of Canada, about the Beaver skinns in question betweene them, I have sent for ye said merchants, ye greatest parte whereof appeared before mee at severall tymes, and seemed to bee willing that ye said Generall de Cane should have ye said skynns delivered unto him according to your Lpps. said order by ye said Solomon Smith marshall of ye Admiralty, but amongest the rest of the said merchants Captaine Kirke, who as I am informed hath the custodie of one of the keyes of each warehouse, there being two lockes to either warehouse dore wherein the said skynnes are. Although he hath byn diverse tymes warned never appeared before mee, who is either out of towne or else refuseth to bee spoken with all. So as I perceive the said skinns will not be delivered unto ye said Generall de Cane nor his Assignees untill some further order bee taken by your Lpps. therein, and further I humbly certifie unto your Lpps. that the said Generall de Cane at his last being with mee informed mee that his occasions were such that he cold not staie in England untill such tyme as ye difference betweene him and the said marchants was ended, but wold appoynt one as his Assignee to follow the said buisnes on his behalfe in his absence. In which place hee hath appoynted one Jaques Roynard836, who appeared before mee and pretendeth his onlie staie in this Kingdome is to see this buisnes ended, which he alleadgeth is an extraordinary hinderance unto him in his affaires. All which I humbly leave unto your Lpps. consideration. This XXVIIIth of Aprill 1630.

JAMES CAMBELL, Mayor.

Note 836: (retour)

Kognard, ou Couillard, sieur de Lespinay.


XI, n. 2.

To the Right Honorable the Lordes and others of his Majesties most Honorable Privy Councell.

The humble Peticion of Generall de Caen. Shewing that according to your Honours Order directed to ye Lord Mayor of this 10/1422Citty of London he hath proceeded to the sale of ye Beavers, and after divers and many profers and ye highest price offered by your Petr the said Beavers were then adjudged to your Petr who then offered the monyes, demanding the delivery of the said Beavers. But Capt. Kirck and his Company would not deliver the said Beavers nor ye keyes of ye warehowsen, where ye said Beavers are kept, upon any order from the said Lord Mayor to them as may appeare by his annexed Certificat with the protest for ye costes and dommages which ye said Petr hath and doeth suffer.

Humbly therfore he beseecheth your Lpps. (considering your premises and ye injust dealings and tedius frivolous delayes of ye said Capt. Kirck and other adventureres for Canada), would be pleased to ordaine: That ye said Beaver may be speedily delivered to ye said Petr or his assignees, and the said Capt. Kirck and Comp. condempned to pay all costes and dommages which are or shall happen to ye Petr by reason of not delivery of the said Beavers.

AND HE SHALL PRAY, etc.


XI, n. 3.

Knowe all men by theis presentes that on the Twelveth day of April One thousand six hundred and thirty, and in the sixt yeare of the Raigne of our Soveraigne Lord King Charles, etc. Before mee Josue Mainet Notary and Tabellion Publicq, dwelling in this Citty of London by the authority of the said Kinges most ext Majesty. Admitted and sworne and in the presence of the witnesses herunder named personally apeared the noble William de Caen, Lord of La Motte Generall of the Fleete for New-France, and hath required of me the said Notary to summon the Englishe Adventurers of Canada in Comp. with Captaine Kirck to deliver or cause to be delivered the Keyes of the severall Warehowsen where the Beaver skins are layde up which have bin brought from Caneda, and sould unto the said Generall de Caen, and for to have possession of the said Beavers upon the conditions mentioned in the order of his Majesties most honorable Privy Counsell, dated the nynth of this month, And in case of refusall and not delivery of the said Keyes and Beavers upon the conditions aforesaid, the said Generall de Caen hath protesteth and doeth protest by theis presents of Exchange & Rechange and all costes dommages and interestes of the some of six thousand poundes starling, which the said Generall de Caen hath taken up here by Exchange for to pay and deposite for the said Beavers in the handes of the right Worshipfull James Cambell, Lord Mayor of this Citty of London, for to recover all the same of the said Adventureres of Caneda here of their goodes in time or place as of right it shall appertaine. As also for ye spoile and perishing of the said Beavers and loosing of the market for the same, the said Generall de Caen declaring moreover to have given, and doth give by theis presentes full power and authority to James Roynard837, Sieur d'Espinez his Attorney, to cause the said Beavers to be delivered unto ye Factor of the said Generall de Caen here, who hath the monyes for to pay for ye said Beaveres upon the delivery of the said Beaveres: In Witnes whereof, the said Generall 11/1423hath herunto set his hand and seale in London, in ye presence of Salomon de Quieuremont and Peter James, Witnesses hereunto required. The register of the the said Notary is thus subscribed de Caen, S, de Quieurmont, Peter James.

Note 837: (retour)

Cognard, pour Couillard.

On the thirteenth day of ye said month of Aprill, I the said Notary at the request aforesaid tranaported myselfe unto the persons of Mistris Kirck, widdow of late Jarvis Kirck, in his life time merchant of this Citty of London, and to Captaine David Kirck, his sonne, and William Barkely also of London merchant Adventurers of Caneda, and have required them and every of them to deliver or cause to be delivered to the assignee of the said Generall de Caen, the keyes of the severall Warehousen where the said Beavers are layde up as aforesaid, And then I notified unto them the aforefaid protedt, and showed them the said order from his Majesties honorable privy Councill, Whereupon Mistris Kirck replyed shee had bin long sick, since her late husband's decease, and had not the keyes of the said Warehousen, but was ignorant of those buissineses which shee had comitted to her sons ordering, and the said Capt. David Kirck answered he was not Executor or administrator to his late father, and that he had not ye said keyes. And the said William Barkely having perused and read over the protest and order of ye Councell, answered thereupon that he hath not the said keyes of the said Beavers and therfore cannot delivered them: And on the fowerteenth day of Aprill, I the said Notary having alsoe required of Robert Charleton, also of London merchant and one of the said Adventurers unto whome I have notified the premises and delivered unto him an authentick coppy of the protest and order aforesaid, and I demanded of him the delivery of the said keyes. Whereupon the said Robert Charleton answered that hee neither is or ever was possessed of the said keyes where the said Beavers are kept, and for his part hee wisheth that the said Generall de Caen had the beavers for the price hee offered for them. And finally ye said Robert Charleton said that he canot get his part which he hath in the said Comp. and he doeth not knowe who hath the said keyes, neyther can hee deliver them. Of which severall answers aforesaid, I the said Notary have at the instance of Sieur Despinez made this present Act for to availe the said Generall de Caen as of right shall appertaine, Thus done and passed att London in the presence of William Hill and George Colles, Witnesses thereunto required.

Josua Mainet, Not. Pub.

(Sur le dos est �crit.)

Requeste de Monsieur de Caen.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, art. 87.)


XII.

May 18th. 1630.

A letter to the Lord Mayor of London.

Wee have bin informed that notwithstanding the strict directions that have bin given from this Board.

A lettre to the Lord Mayor and Sheriffe of London.

Whereas you have formerly received order from this Board to summmon the Marchants trading for Canada, to deliver the Keyes of the warehouses, where the Beaver skinns 12/1424remaine unto your Lordshipp upon the depositing of a certaine som of money, which as wee are informed the said Marchants refuse to doe. We doe therefore pray and require your Lopp. etc., to the said Merchants an other summons to deliver the said Keyes, that so the said skins may be delivered unto Generall de Cane upon the depositing of so much money, as was agreed upon by our said former direction which if they refuse now againe to doe upon this second significacion, then wee require, and hereby authorize your Lopp. etc., to breake open the doores of the said warehouses, and to see the Beaver skinns delivered to the said Generall de Cane or his Assignes upon the depositing of the said sume of money as aforesaid, for which this shall your Lopp. etc., sufficient warrant etc., And so etc.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, art. 92.)


XIII.

Samedie dernier, le Sec(re) du Moulin avec le Sr. de Caen s'estans transportez avec un Sergent & ses deputiez au magasin o� les pelleteries qui avoient est� apport�es de Canada avoient est� mises soubz le seel par ordonnance du Roy, comme il plaira � Messieurs du Conseil le souvenir, un de la part de Querch seulement & de ses associez s'y estant present�, il ne feust trouv� audict magasin que trois cens castors & quatre cens orignaitz, par o� Monseigneur l'Ambassadeur suplie le Roy & Messieurs de son conseil d'apporter son authorit� pour faire reparer & chastier ceste entreprinse dudit Querch & ses associez, d'avoir est� si osez de rompre les cadenatz & le scelle de la Justice & enlever lesdictes pelleteries. Et que pour ceste violence ilz soient condamnez � remettre dedans trois jours en main tierce, les six mil castors quilz ont recogneu avoir apportez de Canada. Et qu'� ce ilz soient contrainctz par emprisonnement de leurs personnes & saisie de tous leurs biens, sans prejudice de plus grande quantit� que ledit Sr. de Caen veriffiera quilz ont apport� de Canada, & vendu depuis leur retour � des marchans Fran�ois pour grandes sommes de deniers.

(Sur le dos est �crit.)

MEMORIAL Whereby the French Amb. desires that Mr. Capt. Kerke and other bee punished by prison, etc., because they have broken up the Magasin of the goods, brought from Canada, and that they make restitution within three dayes of the 6000. brought from thence, etc. CANADA.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, art. 96.)


XIV.

Whitehall the second of June 1630.

This day Thomas Fittz Marchant being convented before the Board for a notorious misdemeanor in imbeseling and conveying away certaine Beavor skins, out of a Warehouse wherein they were deposited by way of sequestration under lock hung on by order of the Court of Admiralty, was after examination taken of his Carriage therein, committed 13/1425to the prison of the Fleete, and it was further ordered, that the examinations taken before the Board, should be transmitted to Master Atturney Generall, who after perusall of them is hereby prayed and required to take strickt examination of the business, aswell to discover who were actors or Abettors anie way in conveying away the said goods, as to whose hands anie parte of the same either in specie or anie parte of the moneyes ariseing upon the sale of them, are come, and how the same hath bin imployed, or disposed of, and by whose direction with all such other circumstances as he shall finde requisit touching the same, and that the Messinger who hath the said Fitz in custodie doe forthwith carry him before Mr. Atturney to the end he may take order for the present producing of the said Fittz, his booke of Account, without which he refuseth (as appeareth in his Examination before the Board) to declare what parte of the money ariseing upon the sale of the said goods he had already received.

Whitehall the 16th. of June 1630.

Upon consideration this day had at the Board of the difference depending betweene Monsr. de Cane a subject of the French Kings and Thomas Pittz and others English Merchants Adventurers to Canada, and upon consideration had in particuler of the great contempt and affront of all authoritie and Justice shewed by the said Fittz, whereunto also it is to be presumed that the rest of his partners were privie and Abettors, It was thought fit and ordered that his Majesties Atturney Generall doe proceede in Starr Chamber against the said Fittz, with all expedition, and that he likewise hasten the Commission agreed on and directed for the examination and discovery of the rest of the Actors or Abettors in the said misdemeanors, and that here of he give their Lordshipps an account at their next sitting on Fryday in the afternoone. Lastly it is thought fitt and ordered that the said Fittz be still continued prisoner in the Fleete. And that the Warden be expressly charged and required not to suffer him at all to goe abroad.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, art. 97.)


XV.

To the right honorable the Lords Comissioners for his Majesties Navie and Admiraltie of England.

The petition of Sr. William Allexander Knight, Capt. David Kerk and others the adventurers in the joynt companie of Canada.

Whereas it pleased his Majesty some three years agoe to give Comission under the great Seale of England to the petrs for planting Colonies in the river of Cannada, and displanting of those who were then his Majesties ennemies in the said Landes, and for the better encouragement and enabling of the petrs to give them by the same Commission sole power to trade with the natives within the Gulfe and river of Cannada: Now the petrs are informed that there are divers shipps bound for the said Gulfe and river without warrant from them and contrary to his Majesties expresse pleasure by his Commission to them, which cannot but turne greatly to the prejudice of his Majesties service and the losse of the petrs And they are particularly enformed of one shipp, called the Whale of London whose 14/1426owners are Nathaniell Wright and Nathan Wright, the Masters Richard Brewerton and Wolston Goslyn, that is presently ready for the said voyage.

Wherefore they doe humbly entreat your Lordshipps that for the foresaid shipp or any other which upon due information shalbe found to have any such intention contrary to his Majestys Commission to the petrs there may be such course taken that they may be stayed or sufficient assureance given that they will prosecute noe such voyage.

And they shall pray for your Lordshipps.

The Lords Comissioners for ye Admiralty desire ye Lord Viscount Dorchester to be pleased to take this petition into present Consideration, and calling all parties before him to examine how farre ye limitts granted to ye petitioners (by Commission from his Majestie) extend in Latitude and Longitude, and if his Lordshipp shall find that the parties complayned of have intention to goe into those partes contrary to his Majesties Commission their Lordshipps thinke fitt and order that they be staid as is desired.

Wallingford House, 26. Febr. 1630. (8 march 1631.)

EDW. NICHOLAS.

(Sur le dos est �crit.)

R. 26�. Febr. 1630. Pet. of Sr. Wm. Allexander.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 4.)


XVI.

Right trustie and welbeloved Cousins and Counsellors and trustie and welbeloved, Wee greete you well. Whereas wee are informed that there are certaine shippes bound for the gulph and river of Canada, contrarie to a power and comission given by us unto Sr. William Alexander Knight, Jerves Kirk and others therein contained, who by vertue thereof have been at greate Charges in setling and maintaining a Colonie and fort in these boundes, Our pleasure is that upon due information of any Shipp or shippes bound for the said Gulph and river of Canada, contrarie to our former warrant, and without power from the forenamed persons having interest in it you take such speedie course as is requisite for their stay and hinderance till our further pleasure be knowen. For doing whereof these presents shalbe unto you a sufficient warrant. From our Court at Whitehall the838

(Sur le dos est �crit.)

A cont. pt. of a lre. for hinderance of men going to Canada, desired by Sr. W. Alexander, ye 19 of Feb. 1630. (1st. march 1631.)

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 5.)

Note 838: (retour)

Ainsi en blanc dans l'original.


XVII.

A breife declaration what beaver skinnes Captaine David Kirke and his Companie brought from Canida, in the yeare 1629. and how the Forte of Kabecke was surrendred.

15/1427

That the sayd Captaine Kirke and his companie brought from Canida, the voyage aforesaide but the number of 6253. beaver skinnes.

Deposed upon oath

by Capt'aines David and

Thos. Kirke, Jn�. Lowe

and Th. Wade their factors

and pursers fol. I.

That of the saide 6253. beaver skinns they gott and acquired by trade with the natives of Canada 4540.

Deposed upon oath by

the same parties fol. I. as

also Jacques Reinard Sr.

de Espines, Lieutenant

to Monsr. de Cane, hath

deposed ad 15. interrogator.

fol'. 5. that he beleaveth

they traded for 4000.

beavers and all the other

Frenchmen depose that

the English traded there

for beavers skines.

That Captaine Kirke and his companie had not from the French above the number off 1713 beaver skinnes which with those had in trade as aforesaid maketh upp the number of 6253 skinnes.

Deposed by the said

Captaines David and Thomas

Kirke, John Lowe and

Thomas Wade, fol. I.839

Note 839: (retour)

Dans le n. 13 du Vol. V, qui ne diff�re pas essentiellement du n. 12, on lit de plus: and M. Champlain governor of the Fort deposeth but of 2500. or 3000. beavers that were therein, fol. 3.

That the time when the Fort of Keibecke was surrendred to Captaine Kirke, the French men in the same were in greate want of victualles havinge lived two months before uppon nothinge but bitter rootes.

Deposed by Samuell

Shamplin, Leieutenant

Goverener, fol. 19, ad. 4,

Nicolas Blundell, fol. 22

and Eustacie Boule, Fol. 23.

That the French delivered to Captaine Kirke in exchange for victualls and for theire bringinge into England and sendinge them into France, at his chardges all the beaver skinnes which he had from them.

Proved per contractum,

fol. 24. 840

Note 840: (retour)

Le n. 13 porte: Proved per contractum made at the takeinge in of the Forte, fol. 8, 9.

That Captaine Kirke fedd for the space off three or fower months off the French, 100 persons and that those victualls in trucke which the natives would have gayned him more beavor skinnes then att those which he had from the French to the number of 1000.

Deposed by Captaine

David Kirke, fol. 27. ad.

9 and 10. Interr.

And whereas there may seeme to be some difference betweene the depositions of the English and French, touchinge the number of beaver skinnes, that difference is thus to be reconsiled, namely that it is to be understood, that the English speake only off such beavers as came to the companies accompt, and the French speake off the whole number of skinnes that they had when the forte was surrendred, not naminge or expressinge what part off the same they themselves enjoyed by the permission off the English hid or imbeazilled, for it is evident by their owne depositions that by the content of the English, some of them had one garment and others two garments of beaver a peece, and Monsr. Shamplin and Monsr, Pountgrave had 227 beavers off those found in the Forte all which by estimation cannot be lesse then a thousand skinnes besides one; Monsr. Culliart now residing in 16/1428Canida, had 250 of the said beavers which the English paid him for, as by his receipt may appeare and the Frenchmen themselves did privately convay away some beavers and hidd others the number whereof cannot be discovered by reason that by the articles of agreement they were permitted to carry out of the forte what beaver skinnes and others comodities they had, nither is it considered what at such a time both the French and English off the ordinarie people might convay away as pilladg which is impossible for the adventurers to finde out.

(Sur le dos est �crit.)

Breviat of ye businesse of Kebeck as was brought me by one of ye Canada companie, ye 2. (12) of May, 1631. with a note of the Beaver skinnes taken and bought by Capt. Kerke in Canada.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 12.)


XVIII.

27 May (6 June) 1631.

Captaine David Kirke sworne and examined before the right worshipfull Sr. Henry Martin Knight, Judge of his Majesties high Court of the Admiralty uppon certaine Interrogatoryes answereth thereto as followeth.

To the first Interrogatory hee sayeth That true it is, That he was Imployed cheife Comander in two voyages into Canida, in the yeares 1628. and 1629. and the first of those voyages he was sett forth and ymployed at the Chardges of his late father Gervase Kirke and others merchantes of London, and the last of those voyages at the chardges of Sr. William Alexander the yonger, the sayde Gervase Kirke and others theire partners. And this hee affirmeth uppon his oath to be true.

To the second he sayeth That in the first of the said voyages, he tooke from the French all the Country of Canida that they had in possession, except the fort of Cabecke.

To the third he sayeth That in the last voyage when he tooke the sayd fort of Cabecke he had not any notice or knowledge of the late peace concluded betweene England and France.

To the fowerth he sayeth That in the sayde last voyage wherein he tooke the sayde fort of Cabecke, he had a Comission under the broade seale of England, authorizinge him to transplant the French at Canida, and utterly to expell them from that country.

To the fift he sayeth That in the sayd last voyage in the river of Canida he mett whit a French pinnace whereof Emery de Cane was Comander, and that pinnace assalted this examinates shallops and shott at them before this examinate began fight with her. And that pinnace did kill two of this examinates company and hurt and maymed twelve or sixteene others of them.

To the sixt he sayeth That the beaver and ottar skynnes now in sequestration under the lockes of the Admiraltye are the same that this examinate had by trade with the natives of Canida, and by composition from the French for victualls given them accordinge to that composition.

To the seaventh he sayeth that the French at the tyme of the renderinge of the forte 17/1429of Cabecke did bringe out of the same which they sould and disposed to theire owne use betwixt seaven and eight hundred beaver skinns, of which the greatest part they sould to the English here in England.

To the 8th he sayeth that when this examinates men retoured from the takinge of the sayde forte, this examinate would have taken some beaver skynnes from them which they desired him not to doe, because (as they did constantly affirme to him) they had bought part of them of the French in exchange of apparrell, and the rest they founde in ditches and in the wood where the french had hid them.

To the nynth and tenth he sayeth That there was not in the sayde forte at the tyme of the rendition of the same to this examinates knowledge any victualls, save only one tubb of bitter rootes, and he sayeth uppon his oath, That for the victualls which he gave the French to releive them in Canida and homewards accordinge to Composition, he might have hade in trucke with the natives of that country more beavers by a thousand then he had out of the sayde fort of Cabecke. And this he affirmeth uppon his oath to be true, Further addinge that with his owne victualls he fedd of the French by the space of three or fower monthes at the least one hundred persons, and payde for theire victualls in England and freighted and victualled them a shipp and therein sent them from England to France according to the sayde composition.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art, 15.)


XIX.

Monsr.

Monsr. d'Espin� m'a faict savoir ce qui se pane. J'entendz par la vostre qu'aportez de bon vin. J'eusse eue grandement aize que feussiez venu d'un aultre fasson, pour vous monstrer que je ne suis pas tel qu'il a est� raport� � Monsr. vostre cousin. Ou que j'eusse est� vostre prisonnier, ou � moy l'honneur de vous estre serviteur, j'entendz que nos deux Majestez sont d'acort. S'il vous plaist venir icy sur vostre Commission, vous recepverez ce que esperez de celuy qui est

Monsr.

Vostre tr�s affectionn�,

KIRCK.

Je, Emery de Caen, Capitaine de la Marinne, commandant le navire nomm� le Don de Dieu, suivant le cong� qu'il a pleu � Monseigneur le Cardinal de Richelieu, Grand Maistre, Chef & sur Intendant de la Navigation & Commerce de France, donner au sieur Guillaume de Caen, cy devant G�n�ral de la flotte de la Nouvelle France, pour envoyer un navire � ladiste Nouvelle, traister avec les sauvages, recepvoir les debtes qu'il luy seroyent deubz, ledist sieur de Caen s'il en auroit donn� le commandement, & estant arriv� � l'isle d'Orl�ans, pr�s l'habitation de Qu�bec, audist pa�s. J'aurois envoy� Jacques Cognard, sieur de l'Espinay, porter la coppye de mon dist cong� � une signification dudist sieur de Caen, ensemble ma signification & protestation au bas, en datte du quatriesme jour de Juillet mil six cens trente un, au Capitaine Louis Kearke, Commandant 18/1430pour le Roy de la Grand Bretagne, du fort & habitation du dist Qu�bec, lequel m'avoit mand� pouvoir venir par ma commission, ce que j'aurois faist, & trois jours apr�s mon arriv�e audict lieu il m'auroit faist mettre noz voilles, mousquets & piques dans la dicte habitation. Et ayant parl� par plusieurs fois audist sieur Gouverneur & aux commis de la compagnye d'Angleterre, pour nous accorder pour faire la Traitte par ensemble pour esvitter aux desordres qui eussent peu arriver. Nous aurions en fin traitt� l'un avec l'aultre pour pain, poix & aultres marchandises, des Castors & peaux d'orignal passez & grains de pourcelaine, lesquels castors & peaux ont est� mis en leur magasin pour les separer entre eux & nous. Et ne m'auroyent desfendu la traitte ny donn� empeschement jusques au jour d'hier que les Hurons sont arrivez avec quantit� de castors & aultres peletries, ilz m'auroyent envoy� leur principal commis, nomm� Jehan Loo, me signifier une article comprise dans l'ordre qu'ilz ont de leur compagnye, sign�e de Monsieur le chevallier Guillaume Alexandre & le Capitaine David Kearke, cy devant g�n�ral de la flotte Angloise pour le dist pa�s, pour & au nom de toute la compagnye, par laquelle ilz ordonnent de prendre & saisir tous navires qui traitteroyent dans le dist pa�s. Et prendre leurs castors jusques � fin de traitt�, & auroyent mis dans mon dit navire & barque plusieurs de leurs gens sans m'avoir laiss� aulcun exploict de la dicte signiffication, pour m'empescher de traitter mes marchandises avec lesdistz sauvages. Et deffence � moy de ce faire, encore que je leur aye remonstr� & dit que le pa�s appartenoit au Roy mon souverain Seigneur & Maistre, Et que j'avois droist de traitter sans aucun contredit ny empeschement, suivant ma commission de mon dit Seigneur le Cardinal, & qu'ilz ne me montroyent aucune commission du Roy de la Grande Bretagne, pour me prendre, & empescher la traitte, eux ayans la force � la main, & desirant entretenir le pais, de ma part ay protest� cy devant & de rechef proteste pour le susdict G�n�ral de Caen & assossiez contre le sieur Gouverneur Kearke, & capitaine des vaisseaux leurs bourgeois & adventureurs en g�n�ral, & chacun en leur propre & priv� nom, de les faire respondre de tous despans, domages & interestz soufferts & � souffrir pour l'arrest & empeschement qu'ilz me font de la vente & traitt� de mes marchandises dont je leur en donneray facture, comme de la prinse des castors que j'avois traitt�s cy devant. Faist dans le navire nomm� le Don de Dieu, devant le fort & habitation de Qu�bec, le vingt deulxiesme jour d'aoust mil six cens trente un, presence de Michel Morieu, Maistre dudist navire, Jacques Cognard sieur de l'Espinay, Olivier le Tardif, Jacques Barbault & Jacques Ferment, officiers du dist navire. Sign� Emery de Caen, Michel Morieult, de l'Espinay, Tonnent, Jacques Barbault, Charles Mons, Dereau dit St Amours, le Merc de Jean Hanin, Chalot Poullain de Mury, Le Juif, Pierre Rousseau, Le Tardif, Le Merc de Jehan Crocquet, Jehan Tontain & le Merc de Nicolas Gomme.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 23.)

19/1431


XX.

[L. S.]

At Whitehall, the 14th. of October 1631.

Present:

Lo. Keeper
Lo. Trear.
Lo. Privy Seale
Ea. Marshall
Ea. of Kelley
Lo. V. Falkland
Lo. Bp. of London
Mr. Secr. Coke.

Whereas Captaine Kirke and others the adventurers to Canada, did humbly shewe to the Board, that they having the sole Trade into those partes graunted unto them, prohibiting all others to trade thether, That neverthelesse divers persons viz. John Baker, James Ricrofte, Captaine Eustace Man, Henry West and others, have as Interlopers presumed to trade thether, carrying away a great parte of the said trade, to the great dammage and disablement of the said Adventurers to maintaine theire Collonie there for defence of the said Island or to proceede in the said Trade. Forasmuch as the said persons were thereupon this day convented before the Board some of the said Adventurers being then also present, And upon Entrance into the hearing of the Cause however the said Information in the generall appeared to be true, Yet for that the Examination of divers particulars objected on either parte, required a further tyme then the leasure of the board could permit. Their Lordshipps did thincke fitt and order that the further examination hereof be referrd to Mr. Sergt. Barkeley, Sr. Willm. Beecher and Mr. Nicholas, authorizing and requiring them to call for and peruse, all such writings, letters, Charter parties and Bookes of Account as they shall think fitt; As likewise to call before them and examine all such persons as they shall find cause, aswell for the finding out of the contemptuous carriage of the persons complainde of, as for the discoverie of the particular goodes and comodities and the true vallue of the same, by them brought from thence. And thereupon to make certificate to the Board, to the end such further order may be given as shalbe requisite. Lastly it is ordered that the persons complainde of shall enter into sufficient Bond to his Majestys use before the Clarke of the Councell attendant, not to sett out from henceforth any more Shipps to trade thether without lycence from his Majestie, or this Board. And shall give theire attendance de die in diem and not departe the Towne untill further order which Bond if they shall refuse to enter into, then to stand comitted to the custodie of a Messenger untill they shall conforme themselves.

Ext. T. Meantys.

(Sur le dos est �crit.)

Canada 14th. Octob. 1631. Lodds of ye Councells order of Reference concerning examinations of ye contempt agt ye company of Canada.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 27.)

20/1432


XXI.

May it please your Lopps.

We having herewith retoured the examinations which we have taken according to your Lopps. order of the 14th of October last upon the Complaint of the Adventurers to Canada wherein we make bould to observe unto your Lopps. that James Ricroft named in your Lopps. order (who was imployed as pylott and merchant in his voyage complained of) had bene imployed in a former voyage by ye Adventurers of Canada, and that (but by that imployment) he had noe knowledge of that Coast; We likewise finde by other circumstances that he was not ignorant that ye Forte of Kebecke in those partes was taken and mayntained by ye said Adventurers, the charge whereof is apparent they could not undergoe but by the benefitt of their trade there; Wee likewise finde that at his last arrival there notice was given him from the said Adventurers that he ought not to trade there, to which notwithstanding he would not conforme: And such notice is proved by a letre subscribed by hymselfe which lre. we herewith retoure, But the said Ricroft utterly denieth thatt he subscribed the said lettre although it were by two witnesses to his face attested to us to be signed by himselfe, And further it appeares unto us by ye examination of Capt. Vincent Harris that the said Ricroft was not only an encourager of these merchants to undertake that voyage, but his carriage there did discourage the natives to trade with the Adventurers.

As for Baker the Mr. of the Eliz complained of and Eustace Man (one of the owners and merchants of that shippe) albeit the notoriousnes of the actions of the Adventurers to Canada doth give a suspicion that they were not ignorant of his Majesties pleasure for their sole trade into those partes, yet by their examinations they deny any manner of notice of his Majesties pleasure or other order for ye Adventurers sole trade.

And for Henry West mentioned in your Lopps. order it was alleadged to us that he was sicke and could not come to be examyned.

We have also perused an Order termed a Comon which we finde to be made by the beforesaid H. West and Eustace Man as Merchants unto ye said John Baker and James Ricroft purporting their ymployment from ye port of London unto ye Coast of Candia, which word Candia was delivered by Eustace Man & Ricroft to be intended for Canada, The instrument of which order wee herewith together alsoe with the examination and letre aforesaid humbly present your Lordships, leving all the same to ye Lordships wisdom.

5. Nov. 1631.

Examinations taken by us underwritten according to ye order of ye l4th of October 1631, from ye Rt. holl ye Lords of his Majesties ho. Councell.

James Ricroft, Pilott of ye Eliz of London, examyned saith that Captaine Kirke and others professinge themselves to be a Companie did imploy him in the yere 1630 to Canada, and that he was paid by Mr. Eyres (beinge casheere for the said pretended Companie) sixe weekes after the end of ye voyage and that untill he was imployed by that Companie he never was in ye Gulf of Canada. That he heard ye Forte of Kebecke in those partes was in ye yeere 1628. surrendred by ye French to the said pretended Companie 21/1433and saith, that when he was there imployed by ye said pretended Companie Captaine Lewis Kirke held ye possession of the said Forte.

This examinate denyes that ever he knewe of or ever saw anie pattent to the said Companie untill he came last from sea.

This examinate confesseth that he hath since 1630 bene imployed in a voyage to Canada by Capt. Eustace Man and one Hen. West in the Eliz of London. And did trade at Todasecke with ye savages that come thether for Beaver skins, and Elke skins, but he cannot tell to what quantity or vallue; but referres himselfe to the Customers Books for the Certaintie thereof. He saith that there was an order from his Merchants for his trade to the North parte of Canada and else where, which order is in the custody of Captaine Eustace Man, and confesseth that he did call to the Mr. of the Eliz (he beinge then deteyned as a prisoner by Captaine Vincent Harris, Capt. of the said Companies shippe named the Thomas) willing him to trade 3 for one which he sayeth was 3 Elkes skins for one Blankett. He denyes that he hath anie Charter parties, writinges or Bookes of accompt concerning his voyage.

Jo. Baker Mr. of ye Eliz of London examyned saith that he did [not] know when he went out that there were anie that professed themselves to be of ye Companie of Canada, but heard that Capt. Kerke and others kept a Fort in Canada. And further sayth that James Ricroft his Pylott beinge deteyned by the Companie did send ye letre nor shewed him subscribed by Ricroft, and upon receipt thereof he refused to deliver anie goods therein required to be delivered and came for England with five Caskes and halfe of Beaver skins and some Elkes skins, for the certaine number whereof he referreth himselfe to the Customrs books, And faith that he was with ye said shippe tradinge in the said Gulfe about 20 dayes and that he had for his particuler about 40 pounds of Beaver skins; He denies that he wrought by way of challenge to Captaine Vincent Harris, but if he spake any wordes it was in his drinke and is forrie for it.

Captaine Eustace Man one of the owners of the Eliz examined saith that he did sett forth the said Eliz (whereof Jo. Baker was Mr.) upon the motion and perswasion of James Ricroft for Canada and other partes and that untill his said shippe was gonne to sea he knewe not of, nor heard not of anie pattent graunted to anie Companie. That the order given ye Mr. for that voyage is in the Isle of Weight; That there were 531 Bearskins. that were brought from Canida and that they are all sold for above 500 �. And 100 and odd Elkes skins which were sold for above 100 �. But for the truth and certaintie of ye number of the said skins, he referreth himself to the Customers books And deneyeth that he hath any writinge Charter parties or bookes of accompts for he saith that the Mr. never gave him anie accompt in writinge of that voyage.

Wm. Holmes purser of ye Thomas examyned saith that he did wright the letre produced dat. 12 May 1630 and read it unto Wm. Ricroft and saw him subscribe the same, In which letre it is apparent that Ricroft knewe of the Comission granted to Sr. Willm. Allexander.

Edward Lees attendant upon Capt. Vinc. Harris Captaine of the Thomas, confesseth as much as ye said Holmes.

22/1434Samuell Peirce Bever maker examyned saith that he bought of one Mr. Tho. Man, a Woollseller dwellinge by London stone about August last, ye quantitie of about 880 pound weight of Beaver skins in six hogsheads, which the said Tho. Man told him he had bought and received of one Captaine Eustace Man Merchant and owner of a shippe that came from Canada, for which said skins he paid to the said Thos. Man 880 �. saith that he and some other Beaver makers whome he can name, bought of severall seamen that said they were belonginge to the said Capt. Mans Barque severall quantities of Beaver skins to the vallue of 300 weight.

Captaine Vincent Harris Capt. of the Thomas examyned said that beinge imployed by ye Companie of Canada this last yeere to trade in those partes, and seeing ye said Eliz whereof Ja. Ricroft was pilote come into that Gulfe he commanded him to come aboard, and when he came he demanded by what authoritie he came thither, & what he did on that coast, whereto he answered he came to trade there aswell as this Examinate, whereupon this Examinate shewed him the Companies Comon, and gave him the same to read which he did, and then sleighted it very much, and to expresse the Contempt he had of it went upon the decke and cryed to his shipp the Eliz that they should give 3 for one of that those of the Thomas did trade for, whereby those of the Company of Canada were constraincd to leave of the trade and goe from thence in regard the Savages would not come unto them. But reported that the Companie came to deceive them for that there were other of their Countrymen would give three tymes as much as they.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 33.)


XXII.

A note of all suche things as the Company hath in Canada and the nomber of men.

Imprimis they have above 200 persons in the fort and habytation of Kebec and gone up som 400 leages in the country for further discoverys.

In the fort there is 16 peeces of ordnance and 8 murderers. 75 musketts and 25 sowlinge peeces and 10 arkebusses a Croake and 30 pistolls 8 dozen of pikes and 24 holbeards and 40 Corseletts and 10 armors of prooffe and 6 Targetts.

In the sayd fort there is 2000 of powder for the ordnance 300 of musketts powder, and one hundred and halfe of sowlinge powder, Rownd shott burd shott Langer shott and chrossbar shott enough for the use of there powder and 10 barrells more which the Maye have of the store of 3 pinaces which are there furnished with 6 peeces of ordinance a peece and 6 murderers a peece and 5 barills a powder a peece and all thinges convenyent for their Rigginge and Munition of war.

The sayd 200 persons vittled accordinge to his Majesties allowance att sea for 18 monthes besides what they fownd upon the ground which is able to find them 6 months more soe that the are very well vittled for 2 years and within towe yeers if they worke as the have beegon the wilbee able to subsift of themselves.

There is goods for to Trade with the natives of the Contrey more then wee are able to vent in 2 yeeres which goods are no wheare vendable butt in that contry and which 23/1435goods stands use in 6000 �. starlinge besides charges which doth amount to 6000 �. more.

All fort of tooles for smithes millers masones plasterers Carpendars Joyners bricklers whillons bakers bruers ship-carpenters shoomakers and taylors.

10 Shallops fitted with bases for the head and all other furniture.

All fort of tooles beelonginge to the fortyfication.

The abovesayde fort is soe well situated that the are able to withstand 10000 men and will not care for them, for whatsoever the can doe, for in winter they cannot staye in the countrey soe that whoesoever goes to beesidge them the cannott staye there above 3 monthes in all in which time the muskett will soe torment them that noe man is able to bee abroad in centry or threnches day nor night without loosinge there sightes for att least eyght dayes.

Soe that if please his Majestie to keepe it wee doe not care what French or any other can doe thoe the have a 100 sayle of shipps and 10000 men as above sayde.

(Sur le dos est �crit.)

Note of all such thinges as the Company hath in Canada and the number of men.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, n. 38.)


XXIII.

Messrs.

Je me remets � respondre � l'agr�able vostre que m'a rendu le Sr Alexandre � son retour, qui j'espere sera en bref. Cependant vostre homme Mr Lowe n'est comparu icy, qui certes est venu fort mal � propos, car de luy on eust peu estre esclaircy de beaucoup de doutes qui ont rendu vos affaires avantageuses pour Decan & pr�judiciables pour vous; toutesfois je vous asseure qu'on a faict tout ce qui a est� possible, & que ce qui est accord� conste hors des depositions fort clairement. Il y a deux points esquels on a trouv� le plus de peine, l'un la pretension de Decan d'estre pay� de ses Castors � 12 �. 10. selon qu'il les avoit enchery & acheptez, � quoy apr�s beaucoup d'altercations on a est� forc� de c�der par l'exhibition d'un acte de Messeigneurs du Conseil priv� de S. M., auquel est contenue vostre promesse de faire bon ledit prix ou en porter le dechet comme pouvez voir par ledict acte qui est du 22 Janvier 1628/29 auquel je vous remets. L'autre pour le poids des Castors, car le Sr Fitch dit bien d'avoir vendu lb. 4000 de Castors & 200 Castors, mais nous remet pour le nombre des Castors au seigneur Bicher, lequel atteste avoir compt� 3500 peaux en un magasin & 620 en un autre, les reduisant � 2409 & 33l Castors compte de Canada, ne disant pas sy les 2409 pesent seuls lb. 4000 ou bien si tous les 2740 pesent 4000. lb Cecy me met en doubte, & ne s�avons comme le reigler. Decan pr�tend que Fitch n'a enlev� que les 3500 peaux ou 2409 Castors qui estoyent en son magasin, lesquels doibvent peser 4000 lb poids d'Angleterre, les autres 331, n'ayant est� en sa puissance ny les avoir vendus. En quoy il y a de l'apparence de raison, mais non pas assez pour la pouvoir tellement refuter ny accorder que ce soit selon l'equit�. Nous devons nous trouver ensemble aujourd'huy pour voir ce qu'il pourra all�guer pour v�rifier son dire. Mais sy vostre homme eust est� icy on eust peu voir & s�avoir 24/1436les particularitez de tout, & traicter avec luy avec la solidit� & resolution qui est requise pour rembarrer son audace. La faute est � vous qui n'avez pourveu Monsr. l'Ambassadeur de meilleures defences, vous asseurant que toutes les armes qu'avez envoy�es ont est� employ�es sans obmission d'aucune part qu'on aye peu esplucher pour vostre advantage; vous verrez le tout � son temps, � quoy me remets.

Pr�parez vous � partir & soyez les premiers en toute fa�on pour prendre l'advantage de la traicte � Tadoussac; n'allez pas trop foibles ny aussy ne vous mettez en despences extraordinaires, afin que puissiez faire le voyage � profit & sans perte. Il faut que vous voyez de prendre ordre aux Interlopers, car cela vous gasteroit tout pour ceste ann�e; pour les suivantes, que ceux � qui il touche y prennent esgard. J'ay trouv� bon de vous donner cest advis par avance, & vous baisant les mains je demeure Messieurs

Vostre affectionn� serviteur,

PH. BURLAMACHI.

A Metz, ce 30 Janvier 1631.

A Messrs.

Messrs. les D�put�s de la Compe Angloise & Escossoise, negotians en Canada,

LONDRES.

(Sur le dos est �crit.)

Copie d'une lettre escrite � Metz le 30e de Janvier 1630, (1631) par le Sr. Burlamachi, aux D�putez de la Compagnie Angloise & Escossoise, negotians en Canada.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 39.)


XXIV.

That for supposed debtes to du Cane from ye Canada Marchantes (for skins, for debtes from savages and for knives) he hath bound the King to pay 8270 �, sterling within ye space of two months.

That for certeine French shipps etc. he hath likewise obliged his Majestie to pay in Paris unto whom ye French King mall appoynt (and that within two months allso) the tome of 6060 �. sterling.

Soe as in effect he hath condemned his Majestie in 14330 �. sterling and given Bur: in pawn for ye payment with which it may be justly sayd he hath bought ye peace.

For as concerning the first some it is most certeine that ther are butt 1730 skins belonging to ye French as appeers by depositions in the Admiralty ye Copies wherof Mr. Burlemachi hath and thes skins are still entire here. The knives are in ye fort, and ye debts from savages utterly denied.

And as for ye second some nothing is more certaine then that his Majestie never had pennie of it.

Butt suppose that thes sums of money were recoverable here why should the King be bound to pay them.

Why were nott thes articles first consulted with his Majestie before ye signing of them, especially seeing in his name and to be certified under his greate seale Burlemachi is made a pledge.

25/1437Why was nott caution also given for du Canes payment of ye frayght and charge of ye shipp of 150 tuns; and for payment of ye marchandize which the English are to leave in Canada.

I conceave it most fitting that ye Canada Company should answere my Lo. Embasores long letre.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 45.)


XXV.

Trusty and welbeloved etc. For soe much as there is made a finall good agreement betwixt us and our good brother the French King, and that all differences aswell betwixt our Crownes as subjects are settled by a mutuall and perfect accord, and that amongst other particularityes on our side v/e have consented to the restitution of the fort and habitation of Quebec in Canada, as taken by force of armes since the peace, howsoever the Comission were given out to you during the warre betwixt us and the sayd King: We preferring the accomplishment of our royall word and promise before all whatsoever allegations may be made to the contrary in this behalfe, as we have obliged ourselves to that King for the due performance thereof by an act passed under our great Seale of this our realme of England, soe we doe by these our lres. straightly charge and command you, that upon the fight hereof yee doe give speedy notice and order to all such subjects of ours which are under your Comission and gouvernement aswell souldiers which are in garrison in the foresaid fort and habitation of Quebec for defence thereof, as inhabitants, which are there seated and planted, to [conforme themselves unto the sayde agreement and to] 841 render according to the sayd agreement the sayd fort and habitation into the hands of such as shalbe by our sayd brother the French King appoynted and authorised to demand and receave the same from them, in the same state yt was at the tyme of the taking, without demolishing any thing of the fortifications and buildings which were erected at the tyme of the taking, or without carrying away the armes munitions, marchandises or utensills which were then found there in. And yf any thing hath ben formerly carryed away from thence, our pleasure is, yt shalbe restored either in specie or value, according to the quantity of what hath ben made appeare uppon oath and was sett downe in a shedule made by mutuall content of such as had cheife comand on both sides at the taking and rendring thereof. And for soe doeing these our lres. shall not onely serve for warrant but likewise for such expresse signification of our will and pleasure, that whosoever officer, souldyer, or inhabitant shall not readily obey, but shew himselfe crosse or refractory thereunto, shall incurre our highest indignation and such punishment and penalty as shalbe due unto offendors of soe high a nature.

Note 841: (retour)

Ces mots sont effac�s dans l'original.

(Sur le dos est �crit cette note.)

And every of you our subjects remayning in the foresayd fort and habitation, either as soldyers in garrison for defence thereof or inhabitants there seated and planted, imediately uppon sight hereof which shalbe presented by such as our good brother the 26/1438French King shall appoynt and authorise for that purposse, to render the sayd fort and habitation of Quebec into their hands.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 46.)


XXVI.

Charles R.

Trusty and welbeloved wee greete you well. Forasmuch as there is made a finall good agreement betwixt us and our good brother the French King, and that all differences aswell betwixt our Crownes as subjects are settled by a mutuall and perfectt accord, and that amongst other particularytyes on our side, we have consented to the restitution of the fort and habitation of Kebec in Canada, as taken by force of armes since the peace, howsoever the Commission were given out to you during the warre betwixt us and the sayd King: We preferring the accomplishment of our royall word and promise before all whatsoever allegations may be made to the contrary in this behalfe, as wee have obliged ourselves to that King for the due performance thereof by an act passed under our great seale of this our realme of England, soe we doe by these our letres straightly charge and comand you that uppon the first commoditie of sending into parts and meanes for ye people to retoure yee doe give notice and order to all such subjects of ours which are under your Commission and government aswell souldiers which are in garrison in the foresaid fort and habitation of Kebec for defence thereof, as inhabitants, which are there seated and planted, to render according to the sayd agreement the sayd fort and habitation into the hands of such as shalbe by our said brother the French King appoynted and authorised to demaunde and receave the same from them, in the same state yt was at the tyme of the taking, without demolishing any thing of the fortifications and buildings which were erected at the tyme of the taking, or without carrying away the armes munitions merchandises or utensills which were then found therin. And yf any thing hath bene formerly carryed away from thence, our pleasure is, it shalbe restored eitheir in speicie or value, according to the quantity of what hath bene made appeare uppon oath and was sett downe in a schedule made by mutuall content of such as had cheife comaund on both sides at the taking and rendring thereof. And for so doeing these our letres shall not onely serve for warrant but likewise for such expresse signification of our will and pleasure, that whosoever officer, souldyer, or inhabitant shall not readily obey, but shew himselfe crosse or refractory therunto, shall incurre our highest indignation and such punishment and penalty as shalbe due unto offenders of soe high a nature.

(Sur le dos est �crit.)

Letters from his Majesty to ye Canada marchants and ye comanders under them for rendring Kebeck corrected as in these first originals appeareth.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 47.)


XXVII.

XXVII.

Declaration du Sr. Champlain soubs serment des armes, munitions & autres utensiles laiss�es au fort de Kebeck lors de la rendition, qui doyvent selon le Traict� estre restitu�es.

27/1439

4. Quattre pi�ces d'Artillerie de fonte du poids d'environ 150 lb. piece.

1. Une pi�ce d'Artillerie de fonte pesant environ 80 lb.

5. Cinq boites de fer servant pour les dites pi�ces.

2. Deux plus petites pi�ces d'Artillerie de fer pesant chacune 800 lb.

6. Six Pierriers avec leurs Chambres ou boites pour les charger.

1. une petite pi�ce d'Artillerie de fer pesant environ 80 lb.

45. Quarante cinq petits boulets de fer pour les cinq pi�ces d'Artillerie sudite.

6. Six boulets pour les autres pi�ces, chacun pesant 3 lb.

30. ou 40. Trente ou quarante livres de Poudre � Canon.

30 lb. Trente de Mesche, ou environ.

30. Trente Mousquets entiers & un rompu.

1. Une Harquebuze � croc.

2. Deux longues harquebuzes de cinq ou six pieds.

2. Deux autres harquebuzes.

10. Dix Hallebardes.

12. Douze picques.

5. ou 6000. Cinq ou six mille livres de plomb en boulets, platine & bancs.

60. Soixante Corcelets, desquels deux sont complets & � la preuve du Pistolet.

2. Deux grands pieds fourchus de fonte pesant 80 lb.

1. Un Pavillon ou tente pour loger Vingt hommes.

1. une forge de Mareschal avec les Appartenances.

Toutes sortes de provisions pour la Cuisine.

Tous Outils pour un Charpentier.

Tous outils de fer propres pour un moulin � vent.

Un Moulin � bras pour moudre du bled, etc.

Une cloche de fonte.

(Sur le dos est �crit.)

Copie de la deposition du Sr. de Champlain des armes & utensiles laiss�es au fort de Kebecq.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 49.)


XXVIII.

An answere made by the Adventurers to Canada unto a letre written by the right honble Sr Isaack Wake Knight Lord Ambassador for his Majestie of England, now resideing in Fraunce beareing date the 9th of Aprill 1632.

To the first Article mentioned in his Lordshipps letre wherein he writes that the instructions he received from us were soe weake and came soe farr short for what was necessary for our defence that had he not gathered light from Monsieur de Caen his owne speeches, he should not have brought our busynes to soe good a passe.

Wee answeare that those depositions and instructions which wee sent and delivered here to Mr. Burlamachi and which he had under the seale of the Admiralty by the 28/1440Lordes of his Majesties privy Counsell their comaund, were soe authentique and sufficient, that if this cause had byn tryed here in England where witnesses would have byn allowed, which wee earnestly desired, We doubt not but to have recovered charges of de Caen rather then any money should have byn paid unto him. But the French Ambassador and Monsr. de Caen would never permitt any legall proceeding neither in the Admiralty nor in any other Court of justice here in England.

Secondly, Whereas his Lordshipp writes that De Caen his pretentions were for 266000 livers, We marvaile not at his unreasonable demaund, knowing the French at well as we doe, whereof some of us have had woefull experience in the busynes with Morteau and Launay and others. But Monsr. de Caen att his being here claymed in all only 4266 beavors. And Monsr. Champlaine Governor of the Fort when, their goods were taken deposeth there were but 2500 or 3000 beavors belonging to the French att the most. Whereof at the rendring of the Fort the French that were then there, were by composition permitted and did carry away such as they pretended were their owne, and they had each of them a Coat conteyning 7 or 8 beavors a peice besides what they conveyed away secretly. And some were stollen by them as appeares by the depositions of Oliver le Tardiff one of their servauntes. Besides wee bought divers beavors of the said Frenchmen att the retoure here of our shipps for which wee paid them above 400 �. as by their acquittances appeareth which beavors they brought then in our shipps from thence. All which being deducted it will plainly appeare there could not come to our hands above 1713 beavors according to the depositions of our Captaynes and factors who kept a just and exact accompt of the same, which beavors were delivered unto us by the French there, upon composition and condition that wee should feed them and bring them home they being almost starved and must have perished without our releife they having fedd upon nothing but rootes for the space of Three monthes before, as appeares by the deposition of Monsr. Champlaine, Mo. Blundell, Mo. Bowley and others. And the victualls we gave them would have bought there above 4000 beavors, as appeares likewise by the depositions of Capteyn Kirke and others. The rest of the Beavors (which with the said 1713 received from the French are still in sequestration) Wee bought of the salvagcs with our owne goodes the French themselves confessing in their depositions that wee traded for 4000 Beavors.

Thirdly, whereas his Lordshipp writes for the restitution of the shipp Hellen and the goods taken in her which were but of a small valewe, We answeare that the said shipp came out of Fraunce the 20th of May 1629 and the peace was proclaimed ten daies before to take effect from the 14th of Aprill before that, which peace they knew and heard of before their coming out of Fraunce as appeareth by the deposition of Jaques Raymond 842 Sieur de Espines Leiutennt to Mo. de Caen. Nevertheless at their comyng into the river of Canada they concealed the said peace and first assaulted and shott att our shallopps and after att our shipps to have surprized them and killed some of our men and wounded many others, which appeareth likewise by the deposition of the said Jaques Raymond and the deposition of our men. Now we conceive that by our lawe and the 29/1441lawe of nations those men that shall assault us knowing of the peace concluded betweene both Kingdomes ought to suffer as Pyratts and the shipp and goods soe taken are lawfull prize and therefore noe restitution ought to be made but contrarily the French ought to give us satisfaction for our damages in the fight susteyned and also for loss of our mens lives. Howsoever wee wilbe contented to deliver such goods in Canada as were taken in the said shipp Hellen (if it be soe agreed and by his Majesty comaunded).

Note 842: (retour)

Jacques Kognard (Couillard), sieur de l'Espin�.

Fowerthly, whereas de Caen demaundeth satisfaction for Beavors owing to him by the Salvages we answeare that wee never received any of them for him, and therefore he may now goe and receive them himselfe. And for the Knyves which he pretendes to be worth 600 Beavors they remayne still in the Fort to be delivered unto him if it be soe concluded.

Fifthly, concerning the number of Beavors which his Lordmipp saith is playne by the French depositions to be 4200 skynnes, although Mo. Champlaine their Governor whoe should know best deposeth but 2500 or 3000 beavors. We answeare that it is more playne by the depositions of the English that there were but 1713 beavors which came to our hands and they were delivered unto us upon composition by the French. That we should give them food whereby to preserve their lives from perishing and bring them home, which we conceive wee ought to enjoy having paid soe well for them in regard our provisions they had would have bought above 4000 beavors as is before expressed. And if there were any more the French carryed them away with them as they had permission to do. As appeareth by the contract made with Monsr. Champlayne and Monsr. Pountgrave att the rendringe of the Forte.

Sixthly, concernyng the weight of the Beavors, Wee marvell a Calculation of 6625 �. should be concluded on, seing the whole number of 4000 Beavors are still remayneing under their Lordshipps Comaund and may be weighed justly, Soe that they to whome they shalbe adjudged shall have noe losse by them.

And for the price of 25 s. sterling per lb. If Mo. de Caen would have paid us the money for them upon our security to have repaid it to them to whome it should be adjudged he might have had them willingly. But whatsoever he pretended Monsr. de Caen had noe purpose to take them at that rate. For when he had a good part of them att the Lord Mayors house and might have had them from thence upon paying for them he nor his assignee Monsr. de Espines would not bring in money for them, though he was often urged thereunto, but suffered them there to remayne as they doe to this day.

And whereas it appeares that it is concluded that de Caen shall have 82700 livers for such Beavors as were taken from him, Wee conceive that of right he ought to have nothing att all, but rather that he should give his Majestie satisfaction for the lives of his subjects which they tooke away contrary to the peace concluded. Whereof they were not ignorant but concealed the same as is before proved and confessed by them.

And for the Beavors we had from the French, they were delivered unto us by contract to feed them and bring them home as is before expressed, and as appeareth by the contract made with them which cost us twice soe much as the Beavors were worth.

Also wee conceive that the Charges wee have byn att in building and keeping the 30/1442Fort nowe Three years should have byn considered in some measure. And if the French must be paid according to the price of beavor in England, Wee thinke it had byn very reasonable that they should have paid the Charges of bringing them home, seeing that which is bought in Canada for 2 s. is worth here above xx s. And that voyage cost us above 20000 �. which charge wee were att upon his Majesties Comaund and upon promise to enjoy both the goods wee should take the Fort and the Countrey.

But now by this conclusion it should seeme wee have made a voyage for De Caen whoe (as he makes his reckoning) will have paid him here for every Beavor marchauntable (which he calculates att a pound and halfe in weight and att 25 s. sterling per lb.) which is 37 s. 6 d. sterling for every beavor, which cost not him above 3 s. sterling in Canada and wee have paid all the Charge of fetching and bringing them home hither which cometh to much more then all the beavers are worth. And if de Cane had sett forth shipps himselfe he must have byn att the like charge which would have cost hime more then his Beavors were worth. And therefore we conceive there is no reason he should have the value of the Beavors as they are worth here, seeing we have bought them there and paid all the charges of bringing them hither. By which agreement de Caen would make above 12 for one profitt and wee should loose all both principall which was our provisions they had for them and also the charge of bringing them hither. And it appeares that for such goodes as wee shall have remayneing in Canada and deliver de Caen wee are to have but 30 per Cent more then they cost us, which seemeth as strange on thother side; beinge that the charges of carry�ng the goodes thither and other expences will come to above Three tymes more then they cost besides the extraordinary yerely charge of keeping the Fort of Kebeck which must be raised upon the profitt of the goodes.

Further whereas his Lordshipp hath ordered de Caen to pay 2400 lyvers for the bringing home of 60 men custome and all other charges, wee conceive it to bee a very poore allowance seeing his Majesties custome amounteth to above 1000 lyvers and the very freight of our shipps coste above 4000 �. sterling besides Maryners wages and victualles.

And also whereas his Lordshipp hath further agreed That de Caen shall pay the freight and all Charges of a shipp of 250 tonnes to fetch home our men and goodes and also to pay 30 per Cent for such goodes as wee shall have remayneing in the countrey, Wee marvell de Caen doth not send one & give order and security for the performance thereof, that soe wee [may send away a]843 shipp in good tyme, that the delivery of the Fort may be performed according to his Majesties Comaund. But wee hold it very unreasonable wee should have soe litle allowance 30 per cent for the reasons above expressed.

Note 843: (retour)

Effac� dans le manuscrit.

And lastly wee conceive the carryage of the busynes hath byn very unequall. For seeing our English Marchants have byn forced to goe into Fraunce to plead for such goodes as have byn taken from them by the French. Why should not the French come as well into England to plead for such goodes as have byn taken from them by the English. For all the world knoweth there is as good justice to be had in England as in 31/1443France. For in the passage of the busynes for Canada, it is playne that the depositions of the French are fully approved and the English wholly rejected. Soe also in the proceeding about the shipp called the Benediction taken by the French; It appeareth by the English depositions that the goodes which the French tooke from the English amounted to 14000 �. sterling and upwards. Yet their witnesses are not received nor allowed. But what the French have deposed is come to their handes (being little more than halfe of the said somme) is yeilded unto and restitution to be made for noe more. Soe that according to that rule it had byn but reason the English should have made restitution for noe more then what they proved came to their handes of the Frenchmens goodes. But in the whole course of their proceedinges it appeares the French are to receive and pay accordinge to their owne proofes and the depositions of the English are neither regarded nor their proofes on either side admitted or accompted of.

DAVID KIRKE for my mother

Elizabeth Kirke.

ROBERT CHARLTON.

WILLIAM BARKELEY.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 53.)


XXIX, n. 1.

May it please your Lordshipps.

As I was comaunded by your Lordshipps order of the Five and twentieth of July last I have heard Captaine Man and Mr. Tomson traders about Canada, and not taking upon mee to examin whether the Traders offended against the priviledge granted by his Majestie or not, or whither they comitted any Contempt for that I conceived I was but to enforme myselfe what damages the Adventurers have susteyned and what profitt the other parties have made wherein I find that Captaine Kirke conceiveth himselfe damnified principally by the traders trucking for Bevers of which Captaine Man retorned 700 �. worth of Bever and some Elkes skynnes and Mr. Tomson retorned about 1200 �. worth of Bever, all which Captaine Kirke would have had allowed unto him besides amends for damages that may happen in the trade hereafter, but upon consideration of the Charge and expence the traders weare at in setting forth their shipps and it was but casuall whether those Bevers should ever have come to the handes of Captaine Kirke in case the Traders had not bought them, of the natives and although by their trading and giveing more to the natives for Bevers then was used there hath growen damage to the future trade, yett I find noe certainty that this shall fall uppon Captaine Kirke, and for that I cannot find that Mr. Tomsons voyage was profitable and the gaine of Captaine Mans voyage was not much, I proposed that for a finall end of those Controversies betweene them Captaine Man should pay 200 �. and that M. Tomson should pay 400 markes without expecting any of their assentes. All which I humbly leave to your honors judgement.

WM. NOYE.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 66.)

32/1444


XXIX, n. 2.

Quinto die Septembris Anno 1632.

Annoque Octavo R. Caroli Anglie.

John Peacocke Sollicitor to the Adventurers of Canada make oath, That according to a Report of his Majesties Attorney Generall, he this deponent repaired to the house of Morrice Thomson merchant the third of this present moneth of September and then and there demaunded of the said Morrice Thomson the somme of Fowre hundred markes to and for the use of the said Adventurers of Canada. The Answer of the said Tomson to this depont was, he owed the Adventurers nothing nor nothing would pay.

Jo. PEACOCK.

Jur: quinto die Septembris 1632.

Ro. Riche.

(Sur le dos est �crit.)

5 Sept. 1632

Mr. Atturney generalls Report in a difference betweene Captain Kirke on the one part and Mr. Tomson and Capt. Man on the other about trading to Canada.


XXIX, n. 3.

To the right honoble the Lords and others of his Majesties most honoble privy Counsell.

The humble petition of the Adventurers to Canada.

Humbly shewing.

That according to your Lopps. order of the 25th of July last to Mr. Attorney Generall he made his reporte and therein awarded Morrice Thomson to paie to your petrs Fower hundred markes which hath beene demaunded as appeares by affidavit hereunto annexed, which he refuseth to pay and Captaine Eustace Man, Two hundred Poundes, who absents himselfe although they both submitted themselves to this honoble Board as it appeares by the said Order.

The Petitioners humblie desires your Lopps. to take this their Contempt and their former into your Lopps. consideration, as also the great charge your petitioner have bin att in the taking of the Fort of Quebeck and keeping it ever since, and the now delivering it to the French allmost to the Ruyne of their estate. All which wee have done at his Majesties and your Lopps. Comaundes and humblie leave to your grave judgments. And (according to our bounden duties) shall ever praie, etc.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 66.)


XXX.

The 17th June 1633.

The Canada Adventurers demandes from Monsr. Guillme de Cane of Diepe are as followeth.

33/1445

1. For the Charge of a Shipp of 250 tunnes for a voyage of 7 monthes victualled and manned with 70 men for fetching home 100 soldiers from the Forte of Kebecke in the river of Cannada being allowed by the Trinity House. 2550 � 00 s. 00 d.

2. For sundry goods delivered at Thadusacke the 28th June 1632 by William Holmes unto Mr. Delarraldow [de la Ralde] amounting to in all as per particulers. 0617 � 02 s. 06 d.

3. For 585 Beavers Marchants put aboard a French Pinace called the Lyon wherof Mr. de Rosse was Captaine being put abord by the order of Mr. de Cane and Monsr. La Rada the said skins doe weigh English waight 1000 lb. Wt which at 25 s. per lb. is: 1250 � 00 s. 00 d.

Summa 4417 � 02 s. 06 d.

(Sur le dos est �crit.)

1634. Octob. 12. Demands of the Canada merchants.

(State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, art. 75.)


XXXI.

Contrat de mariage de Samuel de Champlain. (Registre des Insinuations au Greffe du Chatelet.)

Lundy, 270. jour de decembre 1610.

Par devant Nicolas Chocquillot & Loys Arragon, notaires & Garde-nottes du Roy nostre Sire en son Chastelet de Paris soubssignez, furent presents en leurs personnes M. Nicolas Boull�, secretaire de la chambre du Roy, demeurant � Paris, rue & paroisse Sainct Germain l'Auxerrois, & Marguerite Alix sa femme, de luy auctoris�e en cette partye au nom & comme stipulant & eulx faisant fort pour H�leyne Boull� leur fille � ce presente d'une part. Et noble homme Samuel de Champlain, sieur dudict lieu, capitaine ordinaire de la Marine, demeurant � la ville de Brouage, pays de Sainctonge, fils de feu Anthoine de Champlain, vivant capitaine de la Marine, & de Dame Marguerite LeRoy, ses pere & mere, ledit sieur de Champlain estant de present en ceste ville de Paris, loge rue Tirechappe, de la paroisse Sainct Germain d'Auxerrois, pour luy & en son nom d'autre part.

Lesquelles partyes, & de bon gr�, ont recogneu & confess� en la presence par l'advis & consentement de Messire Pierre du Gas, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roy & son Lieutenant General en la Nouvelle France, Gouverneur de Pons en Sainctonge pour le service de sa Majest�, amy; Honorable Homme Lucas Legendre, marchand bourgeoys de la ville de Rouen, aussi amy; Honorable Homme Hercules Rouer, bourgeois de Paris; Marcel Chesnu, marchand bourgeois de Paris; M. Jehan Roernan, secretaire dudict Sieur de Mons, amy dudit futur espoux, & Honorable Homme Fran�ois Le Saige, apothicaire de l'ecurie du Roy, alli� & amy; Jehan Ravenel, sieur de la Merrois; Pierre 34/1446No�l, sieur de Cosign�, amy; Me Anthoine de Murad, conseiller & aumosnier du Roy, amy; Anthoine Marye, Me Barbier, chirurgien, alli� & amy; Geneviefve Le Saige, femme de Me Simon Alix, oncle du cost� maternel de laditte H�leyne Boull�; avoir faict, seignent & font entre eulx de bonne foy ledict traitt�, accords, dons, douaires, promesses cy mentionnez qui ensuivent pour raison du mariage futur desdits Samuel de Champlain & H�leyne Boull�, qui ont promis & promettent prendre l'un & l'autre par nom & loy de mariage dedans le plus bref temps que faire se pourra & sera advis� entre eulx, leurs parents & amis, si Dieu & nostre m�re Eglise s'y accordent, aux biens & droits � eulx appartenants qu'ils promettent porter l'un avec l'autre. Et pour estre unis & conjoincts entre eulx selon les us & coustumes de Paris; lequel mariage neantmoins, en consideration du bas aage de la ditte H�leyne Boull�, reste accord� qu'il ne se sera & effectuera qu'apr�s deux ans d'huy finis & accomplis, sinon & plus tost si il est trouv� bon & advis� entre leurs parents & amis passer outre � la confection dudict mariage, en faveur duquel promettent & s'obligent solidairement ledict Boull� & sa femme de bailler & payer auxdicts futurs mariez par advancement d'hoyrie venant par ladicte Boull� aux successions futures de ses pere & mere la somme de six mille livres tournois en deniers comptans dans le jour pr�c�dant leurs espousailles, & par tant ledist sieur futur espoux a dou� & doue laditte future espouze de la somme de dix-huict cents livres tournois en douaire prefix pour une fois pay� � icelle douaire avoir & prendre par elle tost que douaire aura lieu sur tous & chacun les biens meubles & immeubles, presents & advenir dudict futur espoux, qu'il en a pour ce du tout us & coustume de Paris.

A est� accord� que le survivant desdicts futurs mariez aura & prendra par pr�ciput & avant que faire aucun partage des biens de leur communaut� & hors part la somme de six cents livres � s�avoir ledict sieur futur espoux pour ses habits, couvert & chevaulx, & laditte future espouze pour ses habits, bagues & joyaulx, selon la priz�e qui en sera faicte par l'inventaire, & sans ce ne faire sur icelle ou ladiste somme en deniers comptans audict choix & option dudict survivant, pourveu que lors de la dissolution dudict futur mariage il n'y ait enfant ou enfans vivant nez & procr�ez d'iceluy. Et recognoissent lesdicts futurs espoux, & ayant esgard � la grande jeunesse de ladicte H�leyne Boull�, & pour l'affection & amiti� qu'ils luy portent, veult & entend ledict futur espoux apr�s la consommation dudit mariage advancer & luy donner moyen de vivre & de s'entretenir apr�s son deceds, & advenant qu'il fust prevenu de mort en ses voyages sur la mer & �s lieux o� il est employ� pour le service du Roy, en ceste consideration & advenant, comme dict est, son deceds, veult & entend ledit futur espoux que laditte future espouze jouisse sa vye durant de tout & chacun les biens meubles & immeubles presents & advenir quelque part qu'ils soyent situez & assis, & qui pourront appartenir audict futur espoux soit par acquisition, successions, domaines ou aultrement, pourveu qu'il n'y ait enfant ou enfans vivans lors nez & procr�ez dudict futur mariage. Pour faire insinuer lequel dit contract au Greffe du Chastelet de Paris & part ou d'ailleurs o� il appartiendra, ont lesdicts espoux faict & constitu� & par ces presentes font & constituent leur procureur g�n�ral & special le porteur des presentes... Faict & pass� � Paris en laditte rue & paroisse Sainct Germain, Enseigne du miroir, apr�s midy, l'an mil six cents dix, le lundy vingtseptiesme jour de 35/1447d�cembre. Et ont lesdicts futurs espoux & aultres susnommez sign� la minute des pr�sentes, demeur�e vers Arragon l'un de nous soubssignez.

(Sign�) CHOCQUILLOT & ARRAGON. 844

Note 844: (retour)

Le successeur d'Arragon demeure Boulevard Saint-Martin, celui de Chocquillot rue de Provence, No. 56. (Note de M. Lafontaine.)

Et plus bas est escript ce qui ensuyt:

Ledict Sieur de Champlain, sieur dudict lieu comme dessus nomm�, confesse avoir eu & receu desdicts Nicolas Bouller & Marguerite Alix sa femme aussy cy dessus nommez ledict Boull� � ce present la somme de quatre mille cinq cents livres sur & en moings de la somme de six mille livres tournois, audist Sieur de Champlain promis en faveur du mariage de luy & d'H�leyne Boull�... Faict & pas� � Paris en l'estude des notaires soubssignez apr�s midy l'an 1610, le mercredy vingtseptiesme845 jour de d�cembre. Et ont sign� la minute des presentes estant au bas de la minute. Ledict contract de mariage sign� de Chocquillot & Arragon.

Note 845: (retour)

Le mercredi �tait le vingt-neuvi�me.


XXXII.

Lettre de Champlain au Card. de Richelieu 1635. 846

Note 846: (retour)

L'original est � Paris, aux Archives des Affaires �trang�res.

Monseigneur,

L'honneur des commandements que j'ay receu de vostre Grandeur m'a depuis plus relev� le courage � vous rendre toutes sortes de services avecque autant de fidellit� & d'affection que l'on s�auroit souhaitter d'un fidelle serviteur. Je n'y espargneray ny mon sang, ny ma vye dans les occasions qui s'en pourroient rencontrer. Il y a ass�s de subject en ces lieux, sy vostre Grandeur desire y contribuer son authorit�, laquelle considerera, s'il luy plaist, l'estat de ce pa�s qui est tel, que l'estendue est plus de quinze cents lieues de longitude, accompagn� d'un des beaux fleuves du monde, sur les mesmes paralleles de nostre France, o� nombres de rivieres longues de plus de quatre cents lieues s'y deschargent, qui embellissent ces contr�es habit�es de nombre infiny de peuples, les uns sedentaires ayans villes & villages, bien que formez de bois � la fa�on des Moscovites, aultres qui sont errans, chasseurs & pescheurs, tous n'aspirant que avoir un nombre de Fran�ois & Religieux pour estre instruicts � nostre foy. La beaut� de ces terres ne peut se trop priser ny louer, tant pour la bont� des terres, diversit� des bois comme nous avons en France, comme la chasse des animaux, gibier & des poissons en abondance d'une monstrueuse grandeur, tout vous y tend les bras, Monseigneur, & semble que Dieu vous ayt reserv� & faist naistre par dessus tous vos devanciers pour y faire un progr�s agr�able � Dieu plus que aucun n'a faict. Depuis trente ans que je fr�quente ces contr�es, qui m'a donn� une parfaicte cognoissance tant par exp�rience & le rapport que m'ont faict les habitans de ces contr�es. Monseigneur, pardonnez s'il vous plaise � mon z�le, si je vous dy que, apr�s que vostre renomm�e s'est estendue en Orient, que la fassiez achever de cognoistre en l'Occident, comme elle a tr�s prudemment commenc� � 36/1448chasser l'Anglois de Qu�bec, lequel neantmoins, depuis les traictez de paix faict entre les couronnes, vient encore traicter & troubler en ce fleuve, disant qu'il leur a est� enjoinct d'en sortir, mais non d'y rester, & pour ce ont cong� de leur Roy pour trente ans. Mais quand vostre Eminence voudra, elle leur pourra encore faire ressentir ce que peult vostre authorit�, qui se pourra encore estendre, s'il luy plaise, � ce subject qui se presente en ces lieux, � faire une paix g�n�rale parmy ces peuples, qui ont guerre avec une nation qui tiennent plus des quatre cents lieues en subjection, qui faict que les rivieres & les chemins ne sont libres. Que si ceste paix se faict, nous jouyrons de tout & facilement: ayans le dedans des terres, nous chasserons, & constraindrons nos ennemis tant anglois que flammands, � se retirer sur les costes, en leur ostant le commerce avecque lesdicts Iroquois, ils seront constraincts d'abandonner le tout. Il ne fault que cent vingt hommes armez � la l�g�re, pour esviter les flesches; ce que ayant, avec deux ou trois mille Sauvages de guerre nos alliez, dans un an on se rendra maistres absolus de tous ces peuples, en y apportant l'ordre requis, & cela augmentera le culte de la religion, & un trafic incroyable. Le pa�s est riche en mines de cuivres, fer, acier, potin, argent & aultres min�raux, qui s'y peuvent rencontrer. Monseigneur, le coust de six vingts hommes est peu � sa Majest�, l'entreprinse honorable autant qu'il se peult imaginer.

Le tout pour la gloire de Dieu, lequel je prye de tout mon coeur vous donner acroissement en la prosperit� de vos jours, & moy d'estre tous les temps de ma vye,

Monseigneur,

Vostre tr�s humble, tr�s fidelle & tr�s obeissant serviteur

CHAMPLAIN.

A Qu�bec, en la Nouvelle

france, ce 15e. d'aoust 1635.




1449

TABLE DES MATI�RES

CONTENUES DANS LES OEUVRES

de Champlain.


N.B. Les chiffres renvoient aux num�ros d'ordre qui se trouvent au bas des pages. Ce signe... marque les renvois qui ont moins d'importance, mais qui peuvent �tre utiles dans certaines recherches.

ABENAQUIS, ou ABENAQUIOIS; sollicitent l'alliance des Fran�ais contre les Iroquois, 1180—l'auteur envoie reconna�tre leur pays, 1182-3—retour des envoy�s, et leur rapport, 1216.

ABRIOU, fils de Marchim; lui succ�de, 274.

ACADIE (c�te d'), 115—comprend le pays des Almouchiquois, 122—mines de cette c�te, 114, 121, 123—le cap de La H�ve est �joignant cette c�te�, 156—�la grande rivi�re Saint-Laurent c�toie la c�te d'Acadie�, 183—... 561, 711, 728, 1067, 1159.

ACHELACY, pour ACHELAYI, ou Achela�, ancien, nom sauvage de la pointe de Sainte-Croix (aujourd'hui le Platon), 309.

A�ORES, ou ESSORES, �o� les vaisseaux des Indes prennent hauteur�, 51.

AIGLE (cap � l'), diff�rent de celui qui porte aujourd'hui le m�me nom, 293 note 4; 790, note 4.

ALBERT (le capitaine), commandant du fort Charles, en Floride, 672—... 689.

ALFONSE (Jean), pilote de Roberval, 151, 692.

ALEXANDER (Sir), chevalier, 1221.

ALGONQUINS, primitivement Algoumequins, 72, 73—danse algonquine, 72, 75, 76—... 103—�loign�s de la grande rivi�re de soixante lieues, 105—... 109-11—quelques-uns cultivent la terre, 317—se joignent aux Hurons (1609) pour faire la guerre aux iroquois, 323, 346, 801-26—exp�dition de 1610, 356, 358-77—descendent � la traite (1611) au saut Saint-Louis et � Tadoussac, 397-412—leur pays, 447 et suiv., 857 et suiv.—un parti d'Algonquins est cause de la rupture de la paix avec les Iroquois, 1127.

ALGONQUINS (�le des), ou �le de Tessouat, aujourd'hui �le des Allumettes, 455, 456, 466, 468, 880, 881.

ALGONQUINS (lac des), aujourd'hui lac des Allumettes, 508.

ALGONQUINS (rivi�re des), ancien nom de l'Outaouais, 105, 108, 110—description de cette rivi�re, 444-70, 508, 509, 858-82—les sauvages vont au Saguenay par cette rivi�re, 509—... 857.

ALMOUCHIQUOIS. Voyez Armouchiquois.

ALOUETTE (l'), petit vaisseau des J�suites, 1080-1—La Ralde fait demander ce vaisseau (1626) � Miscou, pour l'aider contre les traiteurs d�sob�issants, 1113.

ALOUETTES (pointe aux), ou pointe Saint-Mathieu, 69—description qu'en fait l'auteur, 74—... 287, 787, 1010, 1015, 1095.

ANADABIJOU, grand sagamo, 70—r�ception qu'il fait � Pont-Grav� et � l'auteur, 70-1—recommande � Pont-Grav� le fils de Bechourat, 126-7—les Algonquins, � l'occasion de sa mort, font un pr�sent � son fils, 410—... 1024, 1026.

ANASSOU, capitaine sauvage; M. de Monts fait alliance avec lui, 222.

ANEDA, capitaine sauvage de la baie de Casco, 198.

ANGLAIS; d�troit trouv� par eux, 148—les Anglais de la Virginie surprennent l'�tablissement de La Saussaye, et ravagent 1450 l'Acadie, 773 et suiv.—premi�re tentative pour s'emparer du Canada, 1155-61—prennent le vaisseau de Roquemont, 1164-7, 1192—nouvelle de leur retour, 1220—paraissent derri�re la pointe L�vis (1629), 122l—force de leur flotte, 1239—s'emparent de Qu�bec, 1222-32—emm�nent sur leurs vaisseaux les Fran�ais de Qu�bec, 1276—leurs pr�tentions sur la priorit� des d�couvertes en Am�rique, 1306-13.

ANGLAIS (port aux), aujourd'hui Louisbourg, 280, 763.

ANNE (cap), visit� par Champlain, et M. de Monts. Voyez Iles (cap aux).

ANSELME (Hubert), commandant d'un vaisseau de la compagnie des Cent-Associ�s (1631) destin� pour Tadoussac; rel�che � Miscou, 1315.

ANTICOSTI, grande �le situ�e � l'entr�e du fleuve Saint-Laurent, 67—description de cette �le, 1087-8—... 1276.

ANTONS (le sieur des), de Saint-Malo, apporte des vivres � Sainte-Croix, 224—occup� � la p�che � Canceau, 238 va � Port Royal, ibid—retourne � Canceau, ibid.

ANVILLE (duc d'), amiral de France, approuve le projet de soci�t� form� par l'auteur, 886.

ARCADIE, pour ACCADIE, ou Acadie, 115. Voyez Acadie.

ARGALL (Samuel), capitaine anglais, s'empare de l'�tablissement de La Saussaye, � l'�le des Monts-D�serts, 773-6—se r�sout � montrer la commission de La Saussaye, qu'il avait d�rob�e, 776—d�vaste Sainte-Croix et Port-Royal, 777—retourne en Virginie, 778.

ARMOUCHIQUOIS, ou Almouchiquois, sauvages � la c�te d'Acadie, 122—redout�s des Souriquois, ibid—exploration de la c�te des Armouchicois, 193-224, 731-60—... 270-1—Chouacoet fait partie de leur pays, 271—... 561—moeurs et coutumes, 737, 750-2, 756-8—leur mani�re de faire les canots, 743-4—chemin � suivre pour aller du lac Champlain � la c�te des Armouchiquois, 818.

ARMOUCHIDES, sagamo ou chef sauvage, 113.

ARNANDEL (Joannis) capitaine de vaisseau, de Saint-Jean-de-Luz, faisant la p�che � Miscou (1631), 1318-19—son vaisseau saisi par Dumay et Gallois, 1319—son �quipage le d�livre, et il se maintient par la force, 1320.

ASISTAGUERONON, ou Atsistah�ronon, nation du Feu, ennemie des Cheveux-Relev�s et de la nation Neutre, 546, 931.

ASTICOU, nom algonquin du saut de la Chaudi�re, sur l'Outaouais, 449, 862.

ATTIGOUANTAN, ou Attignaouantan, nation de l'Ours, l'une des principales tribus huronnes, 511—l'auteur arrive chez cette tribu, 514—... 551, 628.

ATTIGOUANTAN (lac des), aujourd'hui lac Huron. L'auteur lui donne le nom de mer douce, 513. Voyez Douce (mer).

ATTIOUANDARONK. Voyez Neutre (nation).

AUBRY (messire Nicolas), pr�tre, �cart� dans le bois dix-sept jours, 164-5.

AUMONT (mar�chal d'); l'auteur sert sous lui, 5, 702.

BACCHUS (�le de), � la c�te des Almouchiquois, 199-200—... 202, 241, 736.

BAHAMA, ou BAHAM, canal, 49, 50.

BAILLIF (le), natif d'Amiens, aide de sous-commis, � Tadoussac (1622), 1038—se donne aux Anglais, 1228—le capitaine Louis Kertk lui remet les clefs du magasin de Qu�bec, ibid—M. de Caen l'avait chass� pour mauvaise conduite, 1229—s'empare, au magasin, de tout ce qui appartenait � ce dernier, ibid—vole au commis Corneille cent livres en or et en argent, avec plusieurs effets, 1231—sa conduite scandaleuse lui attire le m�pris m�me des Anglais, ibid—maltraite les Fran�ais de Qu�bec, 1305.

BAILLIF (le P. Georges le), � Qu�bec (1621); instruction qu'il avait de la part du vice-roi, 995-6—commission que lui donne l'auteur, 1001-2—d�put� � Tadoussac aupr�s du sieur de Caen, 1008-9—revient rendre compte de sa mission, 1009-10—d�termine l'auteur � y descendre, 1010—-l'y accompagne, 1010-12—part avec Pont-Grav� pour la France, porteur d'une requ�te des habitants du pays, 1018.

BALEINES (port aux), dans l'�le du Cap-Breton, 1285.

BANAMA. Voyez Panama.

BANC de Terre-Neuve, ou le Grand-Banc, 66, 127, 280, 349, 435-6, 666.1451

BARR� (Nicolas), remplace le capitaine Albert au fort Charles, en Floride, 673.

BASQUES. Ils se fortifient � l'�le Saint-Jean (1623), et se saisissent du vaisseau de Guers, 1045.

BASQUES (anse aux). Voyez Chasaut-aux-Basques.

BATISCAN, capitaine sauvage, 356, 389, 1198.

BATISCAN (rivi�re de), 91.

BATTURIER (cap), � douze ou treize lieues de Mallebarre, 247, 755.

BAUDE (Moulin-), lieu ainsi nomm� pr�s de Tadoussac, 986, 1092, 1106—les vaisseaux de Kertk mouill�s en cet endroit (1629), 1239, 1243, 1244, 1249.

BAYONNE (�le de), en Gallice, 7.

BEAU CHAINE, l'un des facteurs et commis de la compagnie des marchands, 612.

BEAULIEU (le sieur de), conseiller et aum�nier ordinaire du roi; par son entremise, l'auteur s'adresse au comte de Soissons pour l'engager � prendre le Canada sous sa protection, 432.

BEAUMONT (le sieur), ma�tre des requ�tes; conseille au mar�chal de Th�mines de demander la charge de lieutenant pendant la d�tention du prince de Cond�, et l'obtient, 966.

BEAU-PORT (le), aujourd'hui Gloucester, dans le Massachusets, 242-4, 752.

BECHOURAT, chef montagnais, probablement le m�me que Begourat; donne son fils � Pont-Grav� pour l'emmener en France, 126.

BEDABEDEC, pointe basse � l'ouest de l'entr�e de la rivi�re de P�nobscot, 180, 181, 185, 187, 194, 726—montagnes de Bedabedec, 731.

BEGOURAT, sagamo montagnais, 121, 126.

BERGERONNES (les grandes et les petites), ou Bergeronnettes, 1092, 1106.

BERMUDE (la), �le dangereuse, 50.

BESOUAT, pour Tesouat, Voyez Tessouat.

BESSABEZ, chef sauvage de la rivi�re de P�nobscot, 179, 183—son entrevue avec l'auteur, 184, 185—... 265, 267, 725, 729, 730.

BIARD (le P. Pierre), j�suite, missionnaire en Acadie, 766 et s.—pris par les Anglais � Saint-Sauveur, 773—conduit en Virginie, et menac� de la mort par le Mareschal, 776—8—sa g�n�rosit� envers le capitaine Turnel, 778-9—conduit en Angleterre, et de l� en France, 780.

BIC (le), ou le Pic, 68—un vaisseau rochelois fait la traite dans les environs (1624), 1059—... 1063, 1092, 1105—Desdames y apprend la nouvelle de la prise de Qu�bec, 1247.

BIENCOURT (Charles de), sieur de Saint-Just, fils de M. de Poitrincourt; va trouver son p�re � Port-Royal, 387—l'y remplace, 765—�g� d'environ dix-neuf ans (1610), 767—repasse en France, ibid—son association avec les p�res J�suites, 768—retourne � Port-Royal (1611), 768-9—y demeure, 769, 770, 772—encore en Acadie en 1624, 1067.

BISEAU (M. du), ambassadeur de France en Angleterre, 780—obtient la d�livrance du sieur de La Mothe, ibid.

BLANC (cap), aujourd'hui cap Cod, 212, 244-5, 748, 753.

BLANCHE (baie), ou baie du cap Blanc (cap Cod), 244, 752.

BLAVET, �vacu� par les Espagnols, 6, 7, 701-2—... 16.

BONAVENTURE (�le de), pr�s de Perc�, 113, 1181, 1187.

BONNERME, chirurgien, � Qu�bec; l'auteur le fait emmenotter, 301—remis en libert�, ibid—sa mort, 318.

BORGNE (le), chef algonquin, 1198.

BOULL� (Eustache), beau-fr�re de l'auteur, vient en Canada (1618), 599—rencontre sa soeur � Tadoussac (1620), 986—monte � Qu�bec, 989—l'auteur le met au fort (1621) avec Dumay et quelques autres, 1001—nomm� lieutenant de Champlain (1625), 1079—d�put� (1627) par l'auteur aux Trois-Rivi�res, pour pr�venir une rupture avec les Iroquois, 1120—revient � Qu�bec, 1121—... 1182-3—l'auteur l'envoie (1629) vers le Golfe, avec une trentaine de compagnons, chercher passage pour la France, 1214—pris par les Anglais, 1240, 1244—fait � l'auteur le r�cit de son voyage, 1240-4—accompagne le g�n�ral anglais � Qu�bec, 1252.

BOULAY (rivi�re du), dans l'Acadie, 160, 715.

BOURDET (le capitaine), commandant au fort de la Caroline, 674.

BOUTONNI�RES (cap des), 1090.1452

BOUTRON, petite ville de la Nouvelle-Espagne, 25.

BOUVIER ou BOVIER, marchand, en traite au saut Saint-Louis (1611), demande aux Hurons d'emmener avec eux un de ses hommes, 406—l'auteur a quelques paroles avec lui � ce sujet, 408—Iroquet se charge de cet homme, ibid.

BOYER, de Rouen, chirurgien, panse la blessure de l'auteur (1610), 365—arrive � Tadoussac (1613), 437.

BOYER, peut-�tre le m�me que le pr�c�dent; grand chicaneur, fait signifier � l'auteur un arr�t du parlement, 968-9—-... 981—deux familles inutiles, venues de sa part, sont renvoy�es en France par l'auteur, 1019.

BREBEUF (le P. Jean de), j�suite, arrive en Canada, 1070—revient (1629) du pays des Hurons, 1218.

BR�COURT (le sieur de), receveur de l'amiraut�, 984.

BRETON (cap), dans l'�le Saint-Laurent, ou du Cap-Breton, 115—... 386—plusieurs vaisseaux y p�rissent (1613), 436—... 711.

BRETON (le capitaine), bon marinier anglais, avait bien trait� les J�suites au retour du Canada, (1629), 1304—revient de Qu�bec, (1630), ibid.

BRETONS (les), furent des premiers � d�couvrir les terres neuves, 666.

BRION (�le de), dans le golfe Saint-Laurent, 1084.

BRISSAC (mar�chal de), 5, 6, 441, 702, 856.

BRUGES (David de), pilote, 769.

BR�L� (cap), pr�s du cap Tourmente, 1102.

BR�L� (�tienne), de Champigny, truchement pour les Hurons, d�put� vers les Carantouanais, 523, note 1—demeure avec eux, 590—depuis huit ans parmi les sauvages, 621 (voir 368)—raconte � l'auteur ses aventures au pays des Carantouanais, 622-9—retourne avec les Hurons, 629—� Qu�bec, en 1623; va au-devant des sauvages pour les faire h�ter, 1043—rencontre les Hurons au saut de la Chaudi�re, 1045—sa mauvaise conduite, 1065—se donne aux Anglais, 1228, 1249—reproches que lui adresse l'auteur, 1249—monte au pays des Hurons, 1251.

BR�L� (l'�let), pr�s de Tadoussac, 1095.

BUREL (le fr�re Gilbert), j�suite, arrive � Qu�bec, 1070.

BURLAMAQUI, ambassadeur du roi d'Angleterre en France, donne des assurances que le Canada sera remis aux Fran�ais, 1326.

CABAHIS, chef sauvage, 183—son entrevue avec l'auteur, 184, 186—renseignements qu'il lui donne sur la rivi�re de P�nobscot, 186—... 729-30.

CABOT (Jean); commission qu'il re�oit du roi d'Angleterre, 150.

CABOT (S�bastien), fils de Jean; au service de l'Angleterre, 150, 1312.

CADIX. Plan de cette ville en 1598, par Champlain, 7.

CAEN (�meric de), neveu du sieur Guillaume; celui-ci le laisse � Qu�bec (1624) pour principal commis, 1067—commande en l'absence de Champlain, ibid—vice-amiral de la flotte (1626), 1080—arriv� � Perc�, 1081—prend le commandement du vaisseau de La Ralde, avec la condition que les Huguenots n'y chanteront pas les psaumes, 1104-5—d�p�che de Tadoussac une chaloupe � Qu�bec, 1105—La Ralde lui �crit de Miscou de lui envoyer le petit vaisseau des J�suites, Y Alouette, 1113—part de Qu�bec, ibid—son arriv�e (1627), 1121—monte aux Trois-Rivi�res pour se rendre � la traite, ibid—s'efforce d'emp�cher la rupture de la paix, 1122—... 1125—redescend � Qu�bec, et de l� � Tadoussac, 1128—occup� � la p�che de la baleine, 1130—appel� cousin de M. de Caen (Guillaume), 1235, 1240—rencontre Thomas Kertk vis-�-vis la Malbaie, 1235—pris par les Anglais, 1236-9—d�tails sur ce qui lui �tait arriv� ant�rieurement, 1240-7—retourne en Canada (1631), sur le vaisseau de Guillaume de Caen, 1323—les Anglais ne lui permettent pas de traiter, 1324-5.

CAEN (Guillaume de); lettre qu'il adresse � l'auteur (1621), 993, 995—ce que mande � son sujet le sieur Dolu, 995—pouvoirs � lui donn�s par le vice-roi, 996, 999—nouvelles lettres qu'il adresse � l'auteur, 1007—surprend une lettre, avec copie d'un arr�t en faveur de l'ancienne compagnie, adress�e � Pont-Grav�,1453 laquelle annon�ait que cet arr�t lui avait �t� signifi� � Dieppe, ibid—teneur de cet arr�t, 1007-8—l'auteur lui d�pute le P. le Baillif et Guers, 1008—saisit le vaisseau de Pont-Grav�, � Tadoussac, 1009-13—traite avec l'auteur de ce qu'il y a � faire pour l'habitation, 1013-17—part de Tadoussac, 1017—l'auteur envoie au-devant de lui � son retour (1622), 1034—passe deux jours � Qu�bec, et remonte aux Trois-Rivi�res, 1035—revient � Qu�bec et descend � Tadoussac, 1037—arrive de France (1623); sa r�ception � Qu�bec, 1044—monte � la traite, ibid—va visiter le cap Tourmente avec l'auteur, 1051—cause de son retard en 1624, 1060-1—nouvelle de son arriv�e, 1063—arriv�e Qu�bec, 1064—monte aux Trois-Rivi�res, 1065—en revient et va de nouveau visiter le cap Tourmente, ibid—dit � l'auteur que M. de Montmorency le lui a conc�d� avec l'�le d'Orl�ans et quelques autres �les, 1065-6—revient � Qu�bec, 1066—laisse �meric de Caen � Qu�bec (1624) pour principal commis, 1067—arr�te � Gasp�, 1068—am�ne (1625) les J�suites � Qu�bec, 1076—ses difficult�s avec les anciens associ�s, 1077-9—laisse Pont-Grav� libre de repasser en France, ou de rester � Qu�bec (1626), 1113—prie Pont-Grav� (1627) de retourner hiverner � Qu�bec, et l'y d�cide, 1125—a quelques d�m�l�s avec le P. Noirot, 1129—refuse d'employer ses hommes au fort, 1132—d�pos� par la nouvelle soci�t�, 1164—... 1165-6—avait envoy� des meules de moulin, qui rest�rent � Tadoussac, par la n�gligence des commis, 1171-2—... 1210-1—envoie quelques secours � Qu�bec, en attendant ceux de M. de Rasilly, 1240—l'auteur le rencontre qui s'en allait en Angleterre, pour y faire valoir ses droits, 1281—son vaisseau part pour le Canada avec un cong� du cardinal de Richelieu pour cette ann�e seulement (1631), sous le commandement de son neveu �meric, 1323.

CAHIAGU�, appel� plus tard Saint-Jean-Baptiste, village huron, o� s�journa l'auteur, 517, 518, 520, 522, 544, 907, 909, 929.

CAIOU, rivi�re du Mexique, 28.

CAMP�CHE (c�te de), o� il y a quantit� de sel, 46.

CANADA. Description g�n�rale de ce pays, 67-124, 557-61, 1082-1103.

CANADA (grande baie de), 67.

CANADA (grande rivi�re de), ancien nom du Saint-Laurent, 68, 89, 94, 95, 124.

CANADA (terre de, ou province de), au temps de Cartier, 306-8.

CANADIENS, ou CANADOIS, nom sous lequel on a d�sign� d'abord les sauvages du bas du fleuve, 184, 743.

CANAN�E, pilote; parti de Gasp� pour Bordeaux, est pris par les Turcs, 1068-9.

CANARIES (les �les), 9.

CANCEAU, port d'Acadie, rendez-vous des vaisseaux de M. de Monts, 155—Pont-Grave y saisit quelques vaisseaux basques, 157—... 234, 236, 273, 275, 278, 280, 384 762,—le petit passage, 782.

CAP-BRETON (�le du), appel�e encore Saint-Laurent, 115, 155, 170, 279, 1084—description de cette �le, 279-80, 763—... 561.

CAQUEMISTIC, sauvage montagnais; le P. Charles Lalemant baptise un de ses enfants, 1115—l'enfant est enterr� au cimeti�re de Qu�bec, ibid.

CARANTOUAN, village situ� � quelques journ�es au sud des Tsonnontouans, 520 note 1, 590, 622-5.

CARANTOUANAIS, habitants de Carantouan, probablement les m�mes que les Andastes, 520 note 1—exp�dition combin�e avec les Hurons contre les Tsonnontouans, 520, 523, 622-4.

CARHAGOUHA, village huron. L'auteur y trouve rendu le P. le Caron, 516-7, 906-7—premi�re messe dite en ce village, 517—l'auteur y retourne voir le P. le Caron, 545.

CARMARON, nom, probablement d�figur�, d'un village huron; l'auteur y est bien re�u, 515.

CAROLINE (la), fort �lev� en Floride par Laudonni�re, 674—... 677, 684.

CARON (le P. Joseph le), r�collet, choisi pour les missions du Canada, 495—arrive � Tadoussac, 497—monte au saut Saint-Louis sans s'arr�ter � Qu�bec, 498—revient � Qu�bec chercher des ornements d'�glise, ibid—son z�le pour le salut des sauvages, 501, 502—l'auteur le rencontre qui remontait, 504—part du saut Saint-Louis pour hiverner avec les Hurons, 506-7—fixe sa demeure au village de Carhagouha, 517—y c�l�bre la 1454premi�re messe, ibid—l'auteur vient le revoir apr�s l'exp�dition contre les Iroquois, 545... 592—retourne en France, 593—... 614—� Qu�bec (1618), 615—passe trois mois avec les sauvages (1623), 1040-1—retourne au pays des Hurons (1623) avec le P. Viel et le F. Sagard, 1050—... 1063—revient de France (1626), 1080, 1108—baptise un jeune sauvage nomm� Louis, 1121, 1183—et un autre sauvage nomm� Martin, 1142-3—gardien en 1629, 1184—... 1198.

CARTHAG�NE, ville de la Nouvelle-Grenade, 13—l'auteur y demeure un mois et demi, et en fait le plan, 47.

CARTIER (Jacques), de Saint-Malo; on avait cru, pendant quelque temps, qu'il avait hivern� � la rivi�re qui porte son nom, 91—... 150—l'auteur prouve que Cartier hiverna pr�s de Qu�bec, dans la rivi�re Saint-Charles, 304-9—... 322, 415-l6—r�sum� de ses voyages par l'auteur, 668-71, 1310.

CATHERINE (la), ou Sainte-Catherine, vaisseau de 250 tonneaux, sur lequel revint l'auteur en 1626, 1080-1—part de Tadoussac (1627), 1130.

CAUMONT (Jean), dit le Mons, probablement celui qui plus tard est connu sous le nom de Gaumont; commis au magasin (1620-21), 99—part pour Tadoussac (1621), rencontre le capitaine Dumay, et retourne avec lui, 992—... 996.

CAYMAN (les �les), 22.

CHABOT (Philippe), amiral de France, 668.

CHABOT. Voyez Cabot.

CHAFAUT-AUX-BASQUES, 1096-7—Emery de Caen y mouille en 1629, 1245.

CHALEURS (baie des), 114, 116, 1085-6.

CHAMBLY (rapides de). Voyez Iroquois (saut des).

CHAMBREAU, ma�tre d'un vaisseau de Bordeaux, au Cap-Breton en 1629, 1285.

CHAMPDOR� (Pierre-Angibaut, dit), l'un des pilotes de M. de Monts, dans son voyage � la c�te des Almouchiquois, 221—... 230, 231—opini�tre et peu entendu au fait de la marine, 232, 239—Pont-Grav� fait informer contre lui, 232-3—le fait d�semmenotter pour travailler � une barque, 233—d�semmenott� une seconde fois pour rem�dier � un accident, 235—Pont-Grav� lui fait gr�ce, � la pri�re de l'auteur et d'autres, 235—reste � Port-Royal, 238—... 278.

CHAMPLAIN (Samuel de). Employ� dans l'arm�e, en Bretagne, 5—passe en Espagne, 5-7—part pour les Indes-Occidentales, 9—se rend � Mexico, 25—retourne en Espagne au bout de deux ans et deux mois, 49-52—son premier voyage au Canada, 65, 701-2—entre dans le Saguenay jusqu'� douze ou quinze lieues, 84—son voyage au saut Saint-Louis, 86-112—et � Gasp�, 112-19—rapport que lui fait Pr�vert sur les mines d'Acadie et sur le gougou, 121-6—retourne en France, 127—rend compte de son voyage au roi, 153, 704—M. de Monts lui demande de l'accompagner � la Nouvelle-France, 706—part du. Havre-de-Gr�ce (1604), 155—charg� par M. de Monts d'aller reconna�tre les lieux, 157-62—explore avec lui la baie Fran�aise, 165 et suiv.—son logement � Sainte-Croix, 176—fait l'exploration de la c�te de Noremb�gue, 177-87, 724-31—de la c�te des Almouchiquois, 193-224, 238-63, 731-59—son occupation � Port-Royal, 226-7—va � la rivi�re Saint-Jean, 227—part avec Pont-Grav� pour la c�te de la Floride, et fait naufrage, 229-32—demeure � Port-Royal avec M. de Poitrincourt, 238—y fait un chemin de l'habitation � la Truitti�re, 264—�tablit l'ordre de Bon-Temps, 268—explore, avec M. de Poitrincourt, le fond de la baie Fran�aise, 271-3—son retour en France (1607), 274-81, 760-4—rend compte de ses voyages � M. de Monts, 283—ce qu'il dit de ses premi�res cartes, 283, 759-60—charg� par M. de Monts de faire une habitation sur le fleuve Saint-Laurent, 283-4—part de Honfleur (1608), et vient fonder l'habitation de Qu�bec, 286-96, 303-4, 783-4, 792-3—conspiration contre sa vie, 296-302—sa premi�re exp�dition contre les Iroquois (1609), 321-48, 801-26—laisse pour commandant � Qu�bec Pierre Chavin, et retourne en France, 348—rapport de son voyage � Henri IV et � M. de Monts, 349-51—encourage M. de Monts � ne pas abandonner l'habitation de Qu�bec, 785—voyage de 1610, 351-74, 785, 826-35—sa seconde exp�dition contre les Iroquois (1610), 358-70, 826-35—fait r�parer les palissades autour de l'habitation 1455de Qu�bec, 371—va trouver Pont-Grav� � Tadoussac, et le dissuade d'hiverner, 321-2—repasse en France, 373-7—voyage de 1611, 379-413, 838-53—danger qu'il court dans les glaces, 379-87—travaux qu'il fait faire � la Place-Royale (Montr�al), 392-3, 838-41—M. de Monts lui remet (1611-12) le soin de former une nouvelle soci�t�, 413-4, 432, 885—ses deux cartes de 1612 et 1613, 41, 8-22—moyen qu'il donne pour prendre la ligne m�ridienne, 422—nomm� lieutenant du comte de Soissons, 433, 886-91—lieutenant du prince de Cond�, 434, 891-2—difficult�s que lui suscitent les marchands (1612-13), 435, 892-3—son voyage de 1613 sur l'Outaouais, 435-74, 854-84, 893—nouvelles difficult�s de la part des marchands (1613-14), 894-6—va � Fontainebleau faire rapport de son voyage au roi et au prince de Cond�, 894—forme une nouvelle compagnie entre les marchands de Rouen et de Saint-Malo, auxquels refusent de se joindre les Rochelois, 894-7—s'occupe (1614) de procurer des missionnaires au Canada, 490-7—part de France (1615) avec quatre r�collets, 496-7, 897—fait travailler � l'habitation de Qu�bec, � la construction d'une chapelle et au logement des R�collets, 499—se d�cide � aller au pays des Hurons, et � les accompagner dans une exp�dition contre les Iroquois, 502 et suiv., 898 et suiv.—il y est bless� de deux coups de fl�che, 533, 920—contraint d'hiverner avec les Hurons, 536, 922—visite, avec le P. le Caron, la nation du Petun, 545-6, 930—puis celle des Cheveux-Relev�s, 546-8, 931-2—choisi pour arbitre dans un diff�rend entre les Hurons et les Algonquins, 549-56, 933-40—redescend � Qu�bec, et repasse en France, 590-6, 963-5—son voyage de 1617, 596-8, 968-9—revient � Qu�bec (1618) avec son beau-fr�re, 599-601, 614-5—y fait construire un fourneau, 615-6—monte aux Trois-Rivi�res avec le sieur de La Mothe, 617-8—retourne en France, 630-1—motifs de ses voyages et de ses travaux, 972—se dispose (1619) � conduire sa famille au Canada, 978-9—la compagnie des marchands veut lui retirer le commandement de Qu�bec, pour le donner � Pont-Grav�, 978-80—lettre du roi et arr�t du conseil: en sa faveur, 980-2—nomm� lieutenant de M. de Montmorency, 983—autre lettre du roi en sa faveur, 984—am�ne sa famille au Canada (1620), 985-9—travaux qu'il fait faire � l'habitation de Qu�bec, 990-1—re�oit (1621) des lettres du roi, de M. de Montmorency, de M. de Puisieux, des sieurs Dolu, Villemenon et de Caen, 993-5—accommode les difficult�s entre l'ancienne et la nouvelle compagnie, 996-1015—fait parachever le magasin de Qu�bec, 1015-6—diverses entrevues avec Mahigan-Atic, qu'il fait capitaine, 1022-8—favorise les n�gociations de paix avec les Iroquois, 1029-33—bonne r�ception qu'il fait (1622) au sieur de Caen, 1034-5—lettre que le roi lui adresse, 1035—reconduit le sieur de Caen � Tadoussac, 1037—monte � la traite � la rivi�re des Iroquois (1623), 1044-5—va visiter le cap Tourmente avec M. de Caen, 1051—fait construire le nouveau magasin (1623-24), 1052-5, 1057, 1059—fait faire un chemin plus facile pour monter au fort Saint-Louis, 1053—retourne en France avec sa famille (1624), 1066-9—relation de son voyage, 1069—nomm� lieutenant du duc de Ventadour, 1071-6—revient au Canada (1626), 1079-80, 1103-8—fait une habitation au cap Tourmente, 1109-10—reconstruit et agrandit le fort Saint-Louis, 1110-11—La Ralde lui �crit de Miscou, 1113—descend au cap Tourmente, 1114—s'oppose de tout son pouvoir � la rupture de la paix avec les Iroquois (1627), 1118-20—monte aux Trois-Rivi�res pour la m�me fin, 1122—en revient, 1125—d�nuement ans lequel on le laisse, 1130-1—va au cap Tourmente, 1133—les sauvages lui font pr�sent de trois jeunes filles, 1138-42—pr�cautions qu'il prend � l'approche des Anglais, 1155, 1157—r�ponse qu'il fait � la sommation de Kertk, 1161—nouvelle commission du roi (1628), 1165-6—fait faire un moulin � bras, 1170—puis un moulin � eau, 1172—ses projets pour soutenir son monde pendant l'hiver, 1173-5—envoie (1629) une d�putation aux Abenaquis, 1180-3—envoie � Tadoussac, puis � Gasp�, 1183-6—difficult� avec Pont-Grav� au sujet des pouvoirs, 1210-12—envoie son beau-fr�re vers le golfe, avec une trentaine de compagnons, chercher passage pour la France, 1214—ses efforts pour rem�dier � la disette, 1219-20—r�ponse qu'il fait � la sommation des Kertk, 1223—signe, avec Pont-Grav�, la capitulation 1456de Qu�bec, 1226—va trouver � son bord le capitaine Louis Kertk, qui le traite bien, 1227-8—descend � Tadoussac avec Thomas Kertk, 1232—bien re�u du g�n�ral Kertk, 1239—Boull� lui fait le r�cit de ses aventures, 1240-4—le g�n�ral anglais lui refuse la permission d'emmener les petites filles que lui avaient donn�es, les sauvages, 1252-64—il les confie � Couillard, 1264—remet au g�n�ral David Kertk le certificat des armes et munitions que lui avait donn� le capitaine Louis, 1266-7—comment il passait le temps � Tadoussac, 1275—son d�part sur les vaisseaux anglais, 1276—son arriv�e en Angleterre, 1277—ses d�marches pour faire restituer Qu�bec aux Fran�ais, 1277-80, 1295—lettres que lui envoyait la nouvelle compagnie, 1281—relation, que lui fait de son voyage le capitaine Daniel, 1283-8—r�sum� qu'il fait lui-m�me de ses voyages, 1306.

CHAMPLAIN (lac); description que l'auteur en fait, 337, 339, 344, 816, 817-8, 823.

CHAMPLAIN (rivi�re), dans le Massachusets, 256.

CHAPOUIN (le P. Jacques Garnier de), provincial des R�collets de la province de Saint-Denis, bien dispos� pour les missions du Canada, 493.

CHARIOQUOIS, nom que l'auteur donne aux Hurons (1611), 397—�loign�s du saut Saint-Louis de quelques cent cinquante lieues, 408. Voyez Hurons.

CHARIT�, l'une des filles sauvages donn�es � l'auteur, 1261—discours qu'elle tient � Marsollet devant le g�n�ral anglais, 1263.

CHARLES (fort), construit en Floride par Ribaut, 672—le capitaine Albert y reste commandant, 672, 689.

CHARTON (le fr�re Fran�ois), j�suite, arrive � Qu�bec, 1070.

CHASTE, ou CHATES (le commandeur de), gouverneur de Dieppe; obtient une commission du roi pour fonder un �tablissement en Canada, 700-1—engage l'auteur � y faire un voyage avec Pont-Grav�, pour examiner le pays et en faire son rapport, 701-3—sa mort, 703—M. de Monts le remplace, 704-5—... 1308.

CHATAM (port de). Voyez fortune (port).

CH�TEAUNEUF (monsieur de); les commissaires nomm�s pour discuter l'affaire du Canada s'assemblent chez lui, 971—... 1277 note 4, 1280 note 2.

CHATES, ou CHATTE (cap de), 1090-1.

CHAUDI�RE (saut de la), sur l'Outaouais, 448-9, 469, 862, 881-2—c�r�monie que faisaient les sauvages en y passant, 469, 881-2.

CHAUVIN (le capitaine), de Honfleur, en Normandie, 152—son entreprise au Canada, 696-700, 705, 1311.

CHAVIN (le capitaine Pierre), de Dieppe; commandant � Qu�bec (1609-10) en l'absence de Champlain, 348, 356—monte � la traite � la rivi�re des Iroquois, 366—revient de Tadoussac � Qu�bec, 371—Pont-Grav� lui mande de redescendre, 372—demeure � Tadoussac commandant au vaisseau, en l'absence de Pont-Grav�, 373.

CHEROUOUNY, sauvage, auteur du meurtre de deux fran�ais, 601 et suiv., 1179—trahi par un algonquin de l'�le dans une ambassade chez les Iroquois, 1177—ceux-ci le font mourir mis�rablement, 1178-9.

CHEVALIER, jeune homme de Saint-Malo, apporte au sieur de Poitrincourt des lettres de M. de Monts, lui mandant de passer en France, 269—M. de Poitrincourt l'envoie � la rivi�re Saint-Jean et � Sainte-Croix, 271—soup�ons contre lui, ibid—... 273.

CHEVEUX-RELEV�S (nation des); leurs moeurs et coutumes, 512-3, 546-7, 903-4, 931-2—l'auteur se rend dans leur pays, 546, 931—ennemis des Atsistah�ronon, ou nation du Feu, 546, 931—ont pour alli�e la nation Neutre contre les Atsistah�ronon, 548, 932.

CHIGNECTOU. Voyez Deux-Baies (cap des).

CHILLE, rivi�re du Mexique, 28.

CHISEDEC, lieu ainsi nomm� par les sauvages, sur le Saint-Laurent, 1093.

CHOMINA, ou CHOUMIN, le Raisin, bon sauvage; porte secours aux Fran�ais dans la disette, 1172—un de ses fils, baptis� par le P. le Caron, retourne � la vie sauvage, 1183—son d�vouement pour les Fran�ais, 1194 et suiv.

CHOUACOUET, ou SACO (rivi�re de); M. de Monts et l'auteur s'y arr�tent, 201—en repartent, 203—... 205, 217— M.1457 de Monts y rencontre Marchim, 222—M. de Poitrincourt et l'auteur y arr�tent, 240-1—... 250—est au pays des Almouchiquois, 271—... 739, 751.

CHOUONTOUARONON, ou Sountouaronon (Tsonnontouans), 522, 910. Voyez Etitoithomnan.

CLAUDE (le sieur), natif de Beauvais, commandant au Grand-Cibou (1629-30), 1287—assassine Martel son lieutenant, 1316.

COCHOUAN (Ren�), natif de Brest, d�tenu prisonnier au port aux Baleines, par les Anglais, et d�livr� par le capitaine Daniel, 1286.

COD (cap). Voyez Blanc (cap).

COHOUEPECH, chef almouchiquois, 243.

COLIGNY (Gaspard de Ch�tillon, sire de), amiral de France, 672—envoie en Floride deux exp�ditions, 672-9.

COLLIER (le sieur), marchand de Rouen, associ� de M. de Monts, 350.

COLOMB (Christophe), 676.

COLOMBE (dom Francisque), chevalier de Malte, g�n�ral espagnol, 9.

COND� (le prince de); l'auteur lui d�die son quatri�me voyage (1613), 429—le roi lui remet la direction des affaires du Canada, 434, 490, 891-2—-nomme l'auteur son lieutenant, 434—donne des passe-ports pour quatre vaisseaux, ibid—... 470, 496, 893-7—sa d�tention (1616), 966—mis en libert�, 982—... 1072.

COQUILLES (port aux), dans l'�le de Campo-Bello, 230.

CORMORANS (�le aux), � une lieue du cap de Sable, � la c�te d'Acadie, 158—... 236, 712.

CORNEILLE DE VENDREMUR, d'Anvers, demeure premier commis � Qu�bec (1626-27), � la place de Pont-Grav�, 1113—remet au capitaine Louis Kertk, Pont-Grav� �tant au lit, les clefs du magasin, 1228.

CORNEILLES (cap aux), 223, 261-2.

CORNEILLES (�le aux), 194.

CORTEREAL (Gaspar), navigateur portugais, 150.

CORTEREAL (Michel),—fr�re de Gaspar, 150.

CORTEZ (Fernand), 676.

COTON (le P.), j�suite; envoie, � la demande du roi, des missionnaires au Canada, 766—... 781, 783, 785.

COUDRES (�le aux); description qu'en fait l'auteur, 87, 293-4—... 90, 110, 791, 1100.

COUILLARD (Guillaume), gendre de Louis H�bert; au service de la compagnie d�s 1613 ou environ, 1152-3—sa r�pugnance � aller � Tadoussac (1628) pour accommoder une barque, 1153-4—sa famille demande conseil � l'auteur, apr�s la prise de Qu�bec, avant d'accepter les offres des Anglais, 1232-4—ce qu'il dit au g�n�ral Kertk au sujet des filles donn�es � l'auteur, 1255-6—se charge de les garder comme ses propres enfants, 1264.

COURANT (le passage), ou d�troit de Canceau, 279.

CRAMOLET, l'un des pilotes de M. de Monts, dans son voyage � la c�te des Almouchiquois, 221.

CREUSE (rivi�re), mentionn�e par l'auteur, 508 note 36.

CUBA (�le de), 22—sa description, 48-9.

DANIEL (le capitaine), de Dieppe; destin� pour venir � Qu�bec en compagnie de M. de Rasilly, 1240-2—on apprend par Joubert qu'il �tait parti pour Qu�bec, 1248—arrive du Cap-Breton (1629), o� il avait pris un �tablissement appartenant aux Anglais, 1281—remet � l'auteur des lettres de la nouvelle compagnie, ibid—relation de son voyage, 1283-8—... 1282—retourne � Sainte-Anne de Cap-Breton (1631), 1315 et suiv.

DANIEL (le sieur), m�decin, envoy� � Londres pour demander la restitution du Canada et de l'Acadie, 1295.

DARACHE, ma�tre d'un vaisseau basque, venu en traite � Tadoussac, 288—l'auteur fait l'accord entre lui et Pont-Grav�, 289.

DARONTAL, ou ATIRONTA, chef huron; donne l'hospitalit� � l'auteur, 537, 543, 923, 928—l'auteur lui fait visiter l'habitation, 591-3, 963-5.

DAUNE (Jean), capitaine de vaisseau, 769.

DAUPHIN (cap), sur le Saint-Laurent, probablement le m�me que le cap au Saumon, 293, 790.

DAVIS (Freton), d�troit d�couvert par John Davis, 151, 693, 1312.

DAVIS (John), navigateur anglais, d�couvre un passage auquel il donne son nom, 151, 693, 1312.1458

DESEADE (la), ou la D�SIRADE, 9, 10.

DES CHAMPS, de Honneur, chirurgien, � Port-Royal, 228.

DESCHESNES (le sieur), remonte � Qu�bec et aux Trois-Rivi�res pour la traite (1618), 601—Pont-Grav� vient l'y rejoindre, 615—... 617—� Tadoussac (1620), 986—sur le point de prendre un vaisseau rochelois proche du Bic, ibid—parti de Qu�bec pour la rivi�re des Iroquois, 987—arrive � Tadoussac (1623), 1042—monte � la traite, 1044-5—va � Tadoussac chercher les vivres pour l'habitation, 1051—� l'Acadie en 1624, 1067—cinq hommes de son �quipage tu�s par les sauvages, ibid.

DESDAMES; a. Qu�bec.(1622); d�p�ch� � Tadoussac pour en ramener une barque, 1037—sous-commis en 1623, 1041—arrive de France avec le P. Nicolas Viel et le F. Sagard, 1042-3—apporte � Qu�bec (1628) des nouvelles du sieur de Roquemont, 1164, 1166-7—rapporte avoir vu des vaisseaux anglais, 1167—l'auteur l'envoie � Gasp�, 1185-6—son retour, 1206—descend � Gasp� avec Boull� (1629), et consent � y demeurer, 1214—prend le commandement de la barque, 1241—... 1244—inform� de la prise de Qu�bec, s'en retourne vers Gasp�, puis en France, avec Joubert, 1247-8.

DESMARAIS, gendre de Pont-Grav�, arrive � Qu�bec (1609), 321—remplace l'auteur � Qu�bec, ibid—accompagne l'auteur dans la premi�re exp�dition contre les Iroquois, 326, 330—l'auteur le prie de s'en retourner � l'habitation, 331——� Honneur (1610), d'o� il devait s'embarquer pour le Canada, 354—arrive � Qu�bec (1610), 371—arrive de nouveau � Qu�bec (1623), avec �tienne Br�l�, 1043.

DESPRAIRIES, jeune homme de Saint-Malo, plein de courage, va au secours de l'auteur (1610), 363-4, 830-1.

DESTOUCHE, enseigne de Champlain, arrive en Canada (1626), 1079—repart (1627), 1130.

DEUX-BAIES (cap des), aujourd'hui Chignectou, dans la baie de Fundy, 168, 718-9.

DEUX-MONTAGNES (lac des), 390, 394, 507, 858.

DIHOURSE (Michel), de Saint-Jean-de-Luz; ses vaisseaux sont pris et pill�s par un lord �cossais au Cap-Breton, 1285.

DOLBEAU (le P. Jean), r�collet, choisi (1615) pour les missions du Canada, 495—arrive � Tadoussac, 497—demeure � Qu�bec avec fr�re Pacifique, 499—dit la premi�re messe, 505—demeure � Qu�bec (1616-17) avec fr�re Pacifique, 595—de retour en Canada (1618), 615.

DOLU (le sieur), grand audiencier de France, intendant de la Nouvelle-France, 983—met tous ses soins � r�gler les difficult�s de la soci�t�, ibid—lettre qu'il adresse � l'auteur, 993-5—nouvelles lettres, 1007—... 1008, 1212.

DOUBLET, pilote, venant de l'�le Saint-Jean et Miscou, arrive � la rivi�re des Iroquois, 1045.

DOUCE (mer), appel�e d'abord par l'auteur lac des Attigouantan, aujourd'hui lac Huron, 511—description de ce lac, 513-4, 904-5—... 547, 559, 628.

DRAKE (Sir Francis); son entreprise sur Porto-Bello, et sa mort, 45-6.

DUGAS (rivi�re). Voyez Gua (rivi�re du).

DUGLAS, ou DU GLAS, de Honneur, pilote du vaisseau de Pont-Grav�; il am�ne (1604) � M. de Monts les ma�tres des navires basques saisis par Pont-Grav�, 176.

DUMAY (le capitaine); arrive de France (1621) avec lettres de M. de Montmorency, 992-3—... 998—l'auteur l'envoie au-devant du sieur de Caen, 999-1000—lui confie (1621) le commandement du fort Saint-Louis, 1001—l'y maintient malgr� les commis, 1003-4—demeure commandant � Qu�bec en l'absence de l'auteur, 1010.

DUMAY, fr�re du pr�c�dent, commandant d'une barque d'environ trente-cinq tonneaux, � Miscou (1631), 1318—surpris par les Basques, 1319-21.

DUPARC (le sieur), jeune gentilhomme de Normandie, qui avait hivern� � Qu�bec de 1609 � 1610, 355—monte de Tadoussac � Qu�bec pour prendre le commandement de la place dans l'automne de 1610, 373—il y hiverne, 373, 389—au saut Saint-Louis (1613), 471—commandant � Qu�bec (1616), 602.

DUPLESSIS. Voyez Plessis.

DUPONT. Voyez Pont-Grav�.1459

DUPONT (rivi�re), aujourd'hui rivi�re de Nicolet, 328, 807.

DU THET (le fr�re Gilbert), j�suite; accompagne les missionnaires en Acadie, 772—tu� par les Anglais � Saint-Sauveur dans l'�le des Monts-D�serts, 774.

DUVAL (Jean), chef de la conspiration contre l'auteur, 298—ex�cut� � Qu�bec (1608), 302.

DUVERGER (Bernard), r�collet, provincial de l'Immacul�e-Conception, bien dispos� pour les missions du Canada, 491-3.

DUVERNAY, gentilhomme de l'�quipage de Dumay; � Qu�bec en 1621; l'auteur l'envoie aux Trois-Rivi�res avec Halard, 1007—de retour (1623) du pays des Hurons, o� il avait hivern�, 1045—arrive de nouveau du m�me pays (1624) 1063.

�CHAFAUD-AUX-BASQUES. Voyez Chafaut-aux-Basques.

ENTOUHORONON, ou Tsonnontouans, l'une des cinq nations iroquoises, 520-1, 909—appel�s Ouentouoronon, 1127.

ENTOUHORONON (lac des), aujourd'hui lac Ontario, 524, 526-7, 536, 911, 913-4.

EQUILLE (rivi�re de l'), au port Royal, 166, 235, 717.

EQUILLE (rivi�re de l'), se jette dans le Saint-Laurent, plus haut que le Saguenay, 1097.

EROUACHY, sauvage; confirme la nouvelle de la mort de Pierre Magnan et de ses compagnons, 1175—ce qu'il rapporte des Abenaquis, 1180—sollicite la d�livrance d'un prisonnier aupr�s de l'auteur, 1194 et suiv.

ESPAIGNOLLE, ou HISPANIOLA, dans l'�le de Saint-Domingue, 22.

ESP�RANCE, l'une des filles sauvages donn�es � l'auteur; ce qu'elle dit de Marsollet, 1254—discours qu'elle lui tient devant le g�n�ral anglais, 1260-2—remonte � Qu�bec, 1276.

ESQUEMIN (l'), ou les Escoumins, 119, 1092, 1105, 1244.

ESQUIMAUX, sauvages du Labrador; ennemis des Montagnais, 1094.

ESTURGEONS (rivi�re aux), qui se jette dans le lac Nipissing; mentionn�e par l'auteur, 511 note 2.

ETCHEMIN (rivi�re), qui se d�charge dans le fleuve Saint-Laurent, pr�s de Qu�bec, 186.

ETCHEMINS, 73—sauvages ainsi nomm�s en leur pays, 172—leurs moeurs, 186—... 743.

ETCHEMINS (rivi�re des), ou de Sainte-Croix, 172, 174—.. 186, 722.

�TIENNE (ma�tre), chirurgien, � Port-Royal, 269.

�V�QUE (cap l'), sur le Saint-Laurent, 116.

FARILLON, ou FORILLON, petit rocher ainsi nomm�, pr�s du cap de Gasp�, 1085.

FEMMES (port aux), ou la rivi�re Noire, un peu plus haut que Tadoussac, 1098.

FERCHAUD (Laurent), commandant d'un vaisseau destin� � l'habitation de Saint-Louis, au cap de Sable, 1314—remet au sieur de la Tour les lettres de la nouvelle compagnie, ibid.

FEU (nation du). Voyez Asistagu�ronon.

FINNETERRE, en Gallice, 6.

FLAMANDS. Leurs rapports avec les sauvages d�s les premiers temps de la colonie, 521, 624—cinq de leurs hommes tu�s par les Iroquois, pour n'avoir pas voulu leur donner passage sur leurs terres, 1117—les Loups proposent aux Montagnais de s'unir � eux pour ruiner les villages iroquois, 1118—dispos�s � la paix avec les nations sauvages, 1193.

FLECQUE (la), vaisseau de la compagnie; � Tadoussac (1627), 1130.

FLIBOT, petit vaisseau de pr�s de cent tonneaux, 1169—l'un des trois vaisseaux qui prirent Qu�bec (1629), 1227, 1243-4—l'auteur descend � Tadoussac sur ce vaisseau avec Thomas Kertk, 1232—le g�n�ral anglais le renvoie avec des provisions, 1249.

FLORIDE ou FLOURIDE, au nord du canal de Bahama. 49—le roi d'Espagne n'en fait point d'�tat, 51—... 115, 340—tentatives d'�tablissement par Ribaut et Laudonni�re, 672-9.

FONTENAY-MAREUIL, ambassadeur de France � Londres; s'occupe de faire rendre le Canada aux Fran�ais, 1325-6.1460

FORILLON. Voyez Farillon.

FORT-NEUF, forteresse de la Havane, 48.

FORTUN� (port), aujourd'hui Ch�tain, 248-55—malheur arriv� aux Fran�ais dans ce port, 253-5—... 256, 262, 756, 759.

FOUCHER, fran�ais qui avait la garde de l'habitation du cap Tourmente, 1110—surpris par les Anglais, 1155-6—descend � Gasp� avec Boull�, 1214, 1244.

FOUQUES (le capitaine); M. de Monts le d�p�che � Canceau, 175.

FOURCHU (cap), en Acadie, 159, 163, 234, 235—... 274, 713.

FRAN�AIS (rivi�re des); l'auteur passe par cette rivi�re pour aller au pays des Hurons, 511 note 4.

FRAN�AISE (baie), ainsi nomm�e par M. de Monts, 160, 164, 714—description de cette baie, 165 et suiv.—l'auteur, avec M. de Poitrincourt, explore le fond de cette baie, 271-3.

FRAN�OIS (Fr�re), j�suite. Voyez Charton.

FROBISHER (Sir Martin), voyageur anglais, 151, 693, 1312.

FROIDEMOUCHE, l'un des fran�ais envoy�s de la Malbaie � Qu�bec (1629) par �meric de Caen, 1246-7—�tait descendu dans la barque de Boull�, 1246.

FUNDY (baie de). Voyez Fran�aise (baie).

GALLOIS (Michel), de Dieppe, envoy� de Sainte-Anne du Cap-Breton, � Miscou, par le capitaine Daniel, 1317-8—surpris par les Basques, 1318-21.

GASCOIN, pilote; arrive � Qu�bec (1624), 1060—� Tadoussac, 1068—remonte � Qu�bec, et apporte des nouvelles de M, de Caen, 1063.

GASP�, ou GACHEP�, 68—description de ce lieu, 113, 1085—... 107, 113, 192, 286, 387, 474, 763, 985, 1003, 1067-8, 1125.

GASP� (cap de), 1085, 1090.

GATINEAU (la), rivi�re qui se jette dans l'Outaouais, mentionn�e par l'auteur, 447-8, 861.

GAUDE. Voyez Claude.

GENNES (rivi�re de), qui se jette dans le lac Saint-Pierre, du c�t� sud, probablement la rivi�re Yamaska, 328, 807.

GEORGES (le capitaine), 151, 693, 1312-3.

GEORGES (le sieur), marchand de La Rochelle, donne passage � Nicolas de Vignau, dans son vaisseau faisant voile pour le Canada, 441, 856.

G�RARD (le capitaine), probablement pour Gu�rard; quitte la flotte de Miscou pour aller porter des nouvelles en France, 1067.

GERVAIS (le Fr�re). Voyez Mohier.

GILBERT (Sir Humphrey), voyageur anglais; se perd sur l'�le de Sable, 151, 693, 1312.

GLOUCESTER. Voy. Beau-Port (le).

GOUFFRE (rivi�re du), 294.

GOUGOU, monstre ainsi appel� par les sauvages, au rapport du sieur Pr�vert, 125-6.

GOURGUES (Dominique de), gentilhomme gascon; venge la mort des fran�ais massacr�s en Floride par les Espagnols, 680-7.

GRAND-BAIE, nom donn� autrefois � cette partie du golfe Saint-Laurent comprise entre le Labrador et la c�te occidentale de Terre-Neuve, 418, 1038, 1088.

GRAND-CIBOU, 1285—le capitaine Daniel y fait faire un retranchement, 1287—le P. de Vieuxpont y vient trouver le capitaine Daniel, 1294.

GRANDMONT (monsieur de), 1038.

GRAND-SAINT-ANDR� (le), l'un des vaisseaux du capitaine Daniel, 1283.

GREC (Le), jeune homme d'origine grecque, � Qu�bec en 1628, 1154-5—l'auteur l'envoie au cap Tourmente avec deux sauvages, 1155—rencontre Foucher, qui avait �chapp� aux Anglais, ibid.

GROS-JEAN, de Dieppe, truchement des Algonquins; se donne aux Anglais, 1255.

GUA (rivi�re du), ou du GAS, 209, 745.

GUADELOUPE (la), plan de cette �le par Champlain, 10.

GU�RARD, basque, �crit de Tadoussac � Pont-Grav�, 1038.

GUERCHEVILLE (madame de), favorise l'envoi des J�suites au Canada, 765 et suiv.—obtient du roi les terres de la Nouvelle-France depuis le Saint-Laurent jusqu'� la Floride, except� Port-Royal, 771—fonde Saint-Sauveur, � l'�le des Monts-D�serts, 772—envoie � Londres1461 La Saussaye, pour obtenir quelques r�parations, 780-1—... 781, 782.

GUERS, commissionnaire, arrive � Qu�bec (1620), 989—y fait lecture des lettres de commission de l'auteur, et en dresse proc�s-verbal, 989-90—envoy� aux Trois-Rivi�res pour savoir ce qui s'y passe, 990—revient de France (1621) avec lettres de M. de Montmorency, 992-3—... 1001—d�put� � Tadoussac avec le P. le Baillif aupr�s du sieur de Caen, 1008—l'auteur l'y renvoie avec lettre adressante au sieur de Caen, 1010—� Qu�bec, le 18 d'ao�t 1621, 1016.

GUERS, peut-�tre le m�me que Gu�rard; les basques saisissent son vaisseau � l'�le Saint-Jean, 1045.

GUINES (fr�re Modeste), r�collet, � Tadoussac (1618), 615.

HALARD (Jacques), arrive � Qu�bec (1621), et donne avis � l'auteur de l'arriv�e du sieur de Caen, 1006—monte � la traite aux Trois-Rivi�res, 1007—certifie avoir livr� des munitions � l'auteur, � Qu�bec, 1016-7—demeure � Tadoussac (1624) pour la traite, 1061—�crit de l� une lettre � l'auteur, 1062.

HAUTE (l'�le), � l'entr�e de la rivi�re P�nobscot, 181, 260-1, 726.

HAUTE (l'�le), dans la baie de Fundy, mentionn�e, 168.

HAVANE (la), rendez-vous de la flotte espagnole, 46—l'auteur y arrive, 47—description que l'auteur en fait, 47-8—l'auteur y s�journe quatre mois, 49.

HAWKINS (Jean), capitaine anglais, secourt les Fran�ais en Floride, 675.

H�BERT (Anne), fille a�n�e de Louis; sa mort, 987.

H�BERT (le sieur Louis), apothicaire, se fixe � Qu�bec avec sa famille, 596-8, note—... 615—tenant la place de M. de Biencourt (1613), 772-3—mort de sa fille a�n�e, 987—son premier logement � Qu�bec, 988—� Tadoussac (1621); mission que lui confie le sieur de Caen, 1014—diff�rend entre lui et le sieur de La Ralde au sujet des pri�res, 1036—enseigne de M. de Caen, ibid—l'auteur lui fait reconstruire le pignon de sa maison, 1055—fait une chute, qui lui cause la mort, 1116—... 1171—sa famille soumise � des exactions de la part des commis de la soci�t�, 1188.

H�BERT (la veuve), Mari� Rollet, femme de Louis H�bert; son d�sert, 1219 le capitaine Louis Kertk accorde quelques soldats pour la garde de sa maison, 1228—demande conseil � l'auteur avant d'accepter les offres des Anglais, 1232-5.

HENRI IV. L'auteur fait le voyage de 1603 par son ordre, 283—lettres qu'il accorde � M. de Monts pour faire un �tablissement sur le Saint-Laurent, 284-5—rapport que l'auteur lui fait de son voyage, 348-50—nouvelle de sa mort � Tadoussac, 372—prot�ge les missionnaires du Canada, 766.

H�VE (La), cap �joignant la c�te d'Acadie�, 156, 275, 711, 760—le vaisseau de La Saussaye y arrive, 772

HISPANIOLA, ou ESPAIGNOLLE, dans l'�le de Saint-Domingue, 22.

HOCHELAGA, ou OCHELAGA, 670.

HONABETHA, chef almouchiquois, 209, 7, 45.

HOUEL (le sieur), secr�taire du roi et contr�leur g�n�ral des salines de Brouage; sugg�re � l'auteur de demander des r�collets pour les missions du Canada, 491—s'occupe lui-m�me de cette affaire, 492-3, 896.

HUDSON, navigateur anglais; l'auteur mentionne ses voyages, 441, 1313.

HUET (le P. Paul), r�collet, 596 note 1—� Qu�bec (1618), 615—repasse en France avec fr�re Pacifique, pour faire rapport sur les affaires du Canada, 630—plaintes que fait contre lui le sieur de Caen, 1009.

HUISTRES (port aux), ou baie de Barnstable, Massachusets, 245, 753.

HURON (lac). Voyez Douce (mer).

HURONS, appel�s d'abord les bons Iroquois, Ochateguins et Charioquois, 111, 317, 323, 346, 349, 356, 358, 370, 397, 408—emm�nent avec eux (1615) le P. le Caron, 498, 500-2, 506—l'auteur monte en leur pays, et les accompagne dans une exp�dition contre les Iroquois, 503, 506 et suiv.—description de leur pays, 514-22, 561-2, 905-10, 940-1—moeurs et coutumes, 519-20, 562-90, 908-9, 944-63—l'auteur hiverne en leur pays, 536, 544-5 549 et suiv., 922, 929, 940, 963—leur population, 562, 944—appel�s Hurons pour la premi�re fois, 800, 1462834—... 852—les PP. le Caron et Viel vont en mission dans leur pays, avec le fr�re Sagard, 1050—retour du fr�re Sagard, 1063-4—retour du P. Brebeuf (1629), 1218.

ILES (cap aux), aujourd'hui cap Anne, 205, 206, 740, 741—... 216, 750.

ILES (port aux), 203-4.

IMBERT (Simon), cendrier, serviteur de M. de Poitrincourt; plaintes faites contre lui, 771.

IROQUET, chef algonquin, 324, 803—son fils avait vu l'auteur l'ann�e pr�c�dente (1608), 324—arrive � la rivi�re des Iroquois apr�s la seconde bataille livr�e, 367, 833—fort affectionn� � l'auteur, 368—difficult� qu'il fait d'emmener avec lui le gar�on de l'auteur, 368-70, 833-4—descend � la traite (1611), 397, 844—... 403—emm�ne avec lui un des hommes de Bouvier, 408—faisant partie de l'exp�dition des Hurons (1615), 527, 917hiverne avec sa troupe au pays des Hurons, 544, 929—m�contente les Hurons, 549, 933—bless� de deux coups de fl�che, 549-50, 934—fait manquer � l'auteur le voyage du Nord que devaient lui faire faire les Nipissings, 551, 935—... 555, 939.

IROQUOIS, 71, 73, 95—ce que les sauvages rapportent � l'auteur de cette nation, 99, 109-10—les bons Iroquois, 111—... 209, 317, 321—premi�re exp�dition de l'auteur contre eux, 322-48, 801-25—seconde exp�dition, 358-70, 826-34—assist�s dans leurs guerres par les Flamands, 521—troisi�me exp�dition de l'auteur contre eux, 502-7, 520, 522-44, 898-929—n�gociations de paix avec eux (1622), 1029-33—seconde d�putation (1624) pour terminer la paix, 1064—tout est rompu par la perfidie du tra�tre Simon, ibid—en guerre avec les Loups, 1117—rupture de la paix avec les nations alli�es (1627), 1119-20—nouvelle d�putation pour la renouer, 1124-5—nouvelle rupture par les Algonquins, 1126-8, 1177-9.

IROQUOIS (les bons), les m�mes que les Hurons, 111. Voyez Hurons.

IROQUOIS (lac des), ou lac Champlain, 99, 115.

IROQUOIS (rivi�re des), aujourd'hui le Richelieu. Champlain remonte cette rivi�re cinq ou six lieues, 98—description qu'en font les sauvages � l'auteur, 99—... 120—l'auteur remonte cette rivi�re (1609), et en fait une description plus d�taill�e, 328-37, 807-16—...358, 825, 1043, 1063—on y fait la traite (1623), 1045-50.

IROQUOIS (premier saut des), ou saut de la rivi�re des Iroquois, aujourd'hui rapide de Chambly, 329, 332, 346, 808, 809, 810, 811, 825.

JAMAY (le P. Denis), r�collet, choisi pour les missions du Canada, 495—arrive � Tadoussac, 497—monte au saut Saint-Louis avec l'auteur, 499—redescend � Qu�bec avec Pont-Grav�, 506-7—retourne en France (1616), avec le P. le Caron, 593-4.

JACQUES (ma�tre), natif d'Esclavonie, bien entendu � la recherche des min�raux, 228.

JACQUES-CARTIER (rivi�re), 91.

JACQUES-CARTIER (rivi�re), aujourd'hui rivi�re Lairet, qui se jette dans la rivi�re Saint-Charles; Jacques Cartier hiverne � son embouchure, 670.

JEANNIN (le pr�sident), encourage l'auteur � poursuivre ses d�couvertes, 432, 441, 856—favorise aupr�s du conseil la nomination du comte de Soissons, 886.

JEAN PAUL, matelot, arrive � Qu�bec (1623), 1042.

J�SUITES; charg�s des missions de l'Acadie, 766-9—leur association avec le sieur Robin et M. de Biencourt, 768—quittent Port-Royal, 772-3—vont s'�tablir avec La Saussaye � Saint-Sauveur, dans l'�le des Monts-D�serts, 773—faits prisonniers par les Anglais, 773 et suiv.—premiers j�suites arriv�s � Qu�bec, 1070, 1076—y font travailler au d�frichement, 1111-2—sont contraints (1627) de renvoyer tous leurs ouvriers, 1129—avaient � Qu�bec (1628) un moulin � bras, o� la plupart allaient faire moudre, 1171—... 1219-20, 1222—l'auteur demande � Louis Kertk des soldats pour emp�cher qu'on ne ravage rien chez eux, 1228—les Anglais se saisissent de plusieurs choses qui leur appartenaient, 1230—visite de Louis Kertk chez eux, 1231—vaisseau venant � leur 1463secours et rendu inutile par la prise de Qu�bec, 1240, 1248—reproche que leur fait le g�n�ral Kertk, 1272—repassent en France, 1376-7.

JOUAN CHOU, capitaine sauvage, 1104, 1187—offre qu'il fait � Pont-Grav�, 1206.

JOUANISCOU, chef sauvage, 262, 265.

JOUBERT; attendu avec des secours pour Qu�bec, 1240—rencontre Desdames, et retourne en France, 1247—fait naufrage � la c�te de Bretagne, 1248—... 1282.

K�N�BEC (rivi�re de), 183, 185—les sauvages de cette rivi�re s'appellent Etchemins, comme ceux de P�nobscot, 185-6, 730—... 187, 194, 197—l'on va par cette rivi�re jusqu'� Qu�bec, 197—son entr�e est dangereuse, 197-8—... 218, 222, 260.

KERTK (David), g�n�ral de la flotte anglaise; envoie de Tadoussac sommer le fort de Qu�bec, 1159-61—r�ponse que lui fait Champlain, 1161-3—renonce un instant � son entreprise, 1163—dix jours � Gasp�, 1207-8—revient � Tadoussac (1629), d'o� il envoie ses deux fr�res sommer Qu�bec, 1220-3—ratifie la capitulation accord�e par ses fr�res, 1227—re�oit bien l'auteur, 1239—va voir Qu�bec avec Jacques Michel et autres, 1252—festoie ses officiers � Tadoussac, 1252-3—son entretien avec l'auteur au sujet des filles sauvages donn�es � celui-ci, 1254-6—persiste � refuser � l'auteur la permission de les emmener avec lui, 1258-63—motifs de ce refus d�voil�s � l'auteur par Jacques Michel, 1263—demande � l'auteur de lui remettre le certificat des armes et munitions que lui avait donn� le capitaine Louis, 1266-7—plaintes que faisait de lui Jacques Michel, 1268-70—ses diff�rentes prises en Canada (1629), 1274-5—interdit aux catholiques l'exercice de leur culte, 1275—son retour en Angleterre, 1276-8.

KERTK (Louis), fr�re de David; s'empare de Qu�bec, conjointement avec son fr�re Thomas, au nom de l'amiral, 1221-9—venu pour commander au fort de Qu�bec, 1222—prend possession du fort et de l'habitation, 1229-31—permet � l'auteur d'emmener les filles sauvages donn�es � celui-ci, 1227-8—lui donne un certificat de tout ce qui se trouvait dans la place, 1229-30—visite les PP. J�suites et les PP. R�collets, 1231—son caract�re, 1233, 1247—... 1265-6, 1305, 1325.

KERTK (Thomas), vice-amiral de son fr�re David; accorde la capitulation de Qu�bec (1629), conjointement avec son fr�re Louis, au nom de l'amiral, 1222-7—redescend � Tadoussac avec l'auteur, 1232—s'empare du vaisseau de M. de Caen, 1235-9—la chaloupe de Boull� prise par lui, 1242—l'auteur l'engage � parler au g�n�ral, son fr�re, en faveur des filles donn�es par les sauvages, 1256—... 1269-73—revient du Canada (1630), 1304—y retourne (1631), 1324.

KINIB�KI. Voyez Kin�bec.

KRAINGUILLE (le sieur de), lieutenant du sieur de La Tour, au cap de Sable; repasse en France, 1314.

LABRADOR (c�te de), 151, 561, 692, 693—l'auteur avoue que les Anglais ont fait quelques d�couvertes vers cette c�te, 1312.

LA FERRI�RE, ou LA FORRI�RE, sauvage d�put� par les siens pour excuser le meurtre commis sur deux fran�ais, 607-8—donne avis (1623) d'un complot form� par les sauvages contre les Fran�ais, 1044—arrive de Tadoussac (1628), 1145—son entrevue avec l'auteur, 1145-9—revient traiter quelques vivres et du petun, 1150.

LA FRANCHISE (de); pi�ce de vers qu'il adresse � Champlain, 61.

LALEMANT (le P. Charles), j�suite; arrive en Canada, 1070—... 1111—repasse en France, 1128-9—revenant au Canada avec le P. Noirot, 1240—on apprend par Joubert qu'il �tait parti de France pour Qu�bec avec le P. Noirot, 1248—son naufrage, 1288-95.

LAMETS, fran�ais �chapp� aux Anglais avec quatre autres, � la prise de Saint-Sauveur, 774.

LA MOTHE-LE-VILIN (Nicolas); ses aventures � l'Acadie, 599—son arriv�e en Canada, 599-601—monte de Tadoussac � Qu�bec avec le P. Dolbeau, 615—et de Qu�bec aux Trois-Rivi�res1464 avec l'auteur, 617-8—hiverne � Qu�bec (1618-19), 630—lieutenant de La Saussaye en 1613, et pris par les Anglais � l'�le des Monts-D�serts, 773—emmen� en Virginie, 775—fait prisonnier et conduit en Angleterre, 780—d�livr� par l'entremise de M. du Biseau, ambassadeur, ibid.

L'ANGE (le sieur), parisien; stances qu'il adresse � l'auteur, 139—part pour le Canada avec l'auteur, 435—� Tadoussac, 437—en part pour le saut Saint-Louis avec l'auteur, ibid—va au-devant de lui � son retour de l'Outaouais, 470—repart du saut avec l'auteur pour la France, 473.

LA ROCHE (marquis de); son exp�dition � l'�le de Sable, 152, 155, 695-6, 1311—d�fauts que remarque l'auteur sur son voyage, 696.

LA ROCHE-DAILLON (le P�re), r�collet; arrive en Canada (1625), 1077—monte pour la seconde fois (1626) au pays des Hurons, 1112—l'auteur va le visiter (1629) pour avoir des provisions, 1184.

LAROUTTE, pilote, accompagne l'auteur dans la premi�re exp�dition contre les Iroquois, 326, 330—demeure � la garde de la barque pendant la seconde exp�dition de l'auteur, 360, 827.

LAS DAMAS, golfe, 9.

LAS VIRGINES, �les, 10, 11.

LA TOUR (le sieur Claude Turgis de Saint-�tienne de), pris par les Kertk, 1159, 1161—travaille inutilement � gagner son fils aux Anglais, 1298—revient le trouver au cap de Sable, 1299.

LATOUR (Charles-Amador de), fils de Claude, successeur de M. de Biencourt, � l'Acadie, 1297—�tabli au cap de Sable, 1298—le capitaine Marot vient se joindre � lui, 1298-9—ram�ne son p�re au devoir, 1299—re�oit des lettres (1631) de la nouvelle compagnie, 1314.

LAUDONNI�RE (le capitaine Ren� de), gentilhomme poitevin; son entreprise en Floride, 674-9—d�fauts observ�s dans son entreprise, 687-91.

LAUSON (Jean de); l'auteur lui �crit de Douvres, relativement � la prise de Qu�bec, 1277—lettres qu'il avait adress�es � l'auteur et confi�es au capitaine Daniel, 1281.

LAVIGNE, de Honfleur, commandant � Tadoussac (1621) sur le vaisseau de Pont-Grav�, 1005.

LE COCQ, charpentier, l'un des deux fran�ais envoy�s de la Malbaie � Qu�bec (1629) par �meric de Caen, 1246-7—�tait descendu dans la barque de Boull�, 1246.

LE COCQ (Jean), tu� accidentellement � Qu�bec, 1041.

LEGENDRE (Lucas), marchand de Rouen, associ� de M. de Monts, 350—... 351—associ� de la nouvelle compagnie (1624); �crit une lettre � l'auteur, 1061.

LE GRAND (le capitaine), essaye vainement de s'emparer d'un vaisseau rochelois � l'�le Verte, 1015.

LESCARBOT (Marc), avocat; joyeuse r�ception qu'il fait � M. de Poitrincourt et � l'auteur, 263—accompagne Chevalier � la rivi�re Saint-Jean et � Sainte-Croix, 271—... 278.

LE SIRE, commis (1622), annonce � Qu�bec l'arriv�e du sieur de Caen, et redescend � Tadoussac, 1034.

L'ESPINAY (Jacques Couillard, sieur de), lieutenant d'�meric de Caen, pris par les Anglais, 1239.

LESTAN, envoy� par le jeune de La Tour au sieur Claude de La Tour, p�re, pour le ramener au devoir, 1299.

L�VIS (cap de), ou pointe L�VIS, pr�s de Qu�bec; les vaisseaux anglais paraissent derri�re cette pointe (1629), 1221.

LIENCOURT (M. de), gouverneur de Paris, mari� � madame de Guercheville, 770.

LI�VRES (�le aux), 86, 110, 292-3, 789, 1097-8.

LONGUE (baie), 204 note 5, 740 note 4, 741, note 3.

LONGUE (l'�le), 160—grand et petit passage, 160, 162, 165, 169, 234, 714.

LOQUIN, l'un des commis et facteurs de la compagnie des marchands, 615—monte aux Trois-Rivi�res (1618) avec Pont-Grav�, ibid—part de Tadoussac (1620) pour aller rejoindre Pont-Grav� � la rivi�re des Iroquois, 988—lieutenant (1623) du sieur de Caen; arrive � Qu�bec pour aller en traite, 1043-4.

LOUIS, jeune homme au service de M. de Monts, se noie dans le Grand-Saut, qui garde son nom, 394-6, 842-3.

LOUIS DE SAINTE-FOY, ou Amantacha, sauvage instruit par les PP. J�suites; se donne aux Anglais, 1251—monte au pays des Hurons avec �tienne Br�l�, ibid.1465

LOUIS N�OGAOUACHIT, fils a�n� de Choumin, baptis� par le P. le Caron, 1121—retourne � la vie sauvage, ibid.

LOUIS (le Fr�re), j�suite, noy� avec le P. Noirot, vers les �les de Canceau, 1288-90.

LOUIS XIII; lettres qu'il donne � l'auteur (1618), 980—autre lettre (1620), 984—autre (1621), 993—autre (1622), 1035—l'auteur lui est pr�sent� (1624) par M. de Montmorency, et lui fait rapport de son voyage, 1069—commission en faveur de Champlain (1628), 1165-6.

LOUISBOURG. Voyez Anglais (port aux).

LOUPS (nation des), ou Mahingans, en guerre avec les Iroquois, 1117—proposent aux Montagnais de s'unir avec eux aux Flamands pour ruiner les villages iroquois, 1118—... 1117.

LOUPS-MARINS (�le aux), en Acadie, 159, 163, 713.

MAGELLAN (d�troit de), 45.

MAGNAN (Pierre), fran�ais; va en ambassade chez les Iroquois, 1125—sa mort, 1126-7—cause de sa mort, 1127—il �tait natif de Tougne, en Normandie, proche de Lisieux, 1127, 1179—d�tails donn�s sur sa mort par �rouachy, 1177-9.

MAHIGAN-ATIC. Voyez Miristou.

MAHIGANATHICOIS, ou Mahingans; nation, des Loups; cinq flamands tu�s par eux, 1113—... 1117, 1119, 1177—d�sirent faire la paix avec les Iroquois, 1193.

MAHINGANS. Voyez Mahiganathicois, et Loups.

MAISONNEUVE (le sieur de), de Saint-Malo; muni d'un passe-port du prince de Cond� pour trois vaisseaux; l'auteur le rencontre au saut Saint-Louis, 470, 883—offre passage � l'auteur sur son vaisseau, 473, 893.

MALBAIE (cap de la), ou cap � l'Aigle, 1099.

MALBAIE (rivi�re de la), appel�e aussi rivi�re Platte, 790, 1099—... 1235, 1246.

MALLEBARRE (cap de), 1284.

MALLEBARRE (port de), aujourd'hui Nauset, 213-21, 240, 246, 247, 255, 260, 749-54, 755, 759.

MANCENILLE, port de l'�le Saint-Domingue, 17.

MANITOU, ou g�nie chez les Montagnais et les Algonquins, 575, 579, 955, 957-8.

MANITOUGATCHE. Voyez Nasse (la).

MANTANE. Voyez Matane.

MANTHOUMERMER, chef sauvage, 195—r�ception qu'il fait � M. de Monts et � l'auteur, 195-6, 732-3.

MARCHIM, chef sauvage, 196, 197, 241—tu� par Sasinou, 274—son fils Abriou lui succ�de, ibid—... 733, 734.

MARESCHAL (Le), commandant de la Virginie, veut faire mourir les Fran�ais pris � Saint-Sauveur, et ne s'appaise qu'� la vue des lettres de La Saussaye, d�rob�es par Argall, 776—renvoie Argall d�vaster les postes d'Acadie, 776-7—r�solu de faire mourir le P. Biard, s'il abordait en Virginie, 778.

MARGOTS (�le aux), 172, 722.

MARGUERITE (la), �le o� se p�chent les perles, 11.

MARGUERITE (la), l'un des vaisseaux du capitaine Daniel, 1283.

MARILLAC (le sieur de), rapporte au conseil du roi les articles dress�s par M. de Monts, 968—... 975.

MAROT (le capitaine), de Saint-Jean-de-Luz, charg� de la conduite d'une exp�dition � l'Acadie, 1297—va rejoindre La Tour au cap de Sable, 1298-1302.

MARSOLLET (Nicolas), de Rouen, truchement des Montagnais; l'auteur lui donne ordre de ne pas partir de Tadoussac pour Qu�bec avant le 8 d'ao�t (1624), 1062—se donne aux Anglais, 1229, 1249—reproches que lui adresse l'auteur, 1249, 1258-9—ce qu'il fait pour emp�cher que l'auteur n'emm�ne les petites filles que lui avaient donn�es les sauvages, 1253-63.

MARTEL, de Dieppe, lieutenant � Sainte-Anne du Cap-Breton, assassin� par son commandant, 1316-7.

MARTIN, sauvage ainsi appel� des Fran�ais, p�re de l'une des filles donn�es � l'auteur, 1142—baptis� par le P. le Caron, ibid—sa fin malheureuse, 1143-4.

MARTYRS (�les des), ainsi nomm�es pour y avoir eu autrefois des fran�ais tu�s par des sauvages, 275, 760.

MASS� (le P. Ennemond), missionnaire en Acadie, 767—tombe malade parmi les1466 sauvages, 771-2—fait prisonnier par les Anglais, 773-5—retourne en France, 776-80——arrive � Qu�bec, 1070—demeure en Canada (1627), 1129—sup�rieur (1629), 1218.

MATANE, ou MANTANE, rivi�re qui se jette dans le fleuve Saint-Laurent, 68—les sauvages vont par cette rivi�re � la baie des Chaleurs, 114—... 354, 1091—on fait la p�che de la morue jusque-l�, 1094.

MATOU-OUESCARINI, ou Madouasca�rini, nation algonquine, 450, 864.

MAY (rivi�re de), aujourd'hui rivi�re Saint-Jean, en Floride, 672, 674—... 677, 678.

MECABAU, sauvage appel� Martin par les Fran�ais. Voyez Martin.

MECHIQUE, ville. Voyez Mexico.

MECHIQUE, ou MEXIQUE (rivi�re de), 28.

MEILLERAYE (Charles de Mouy, sieur de la), vice-amiral de France, 668, 670.

MEMBERTOU, ou MABRETOU, chef souriquois, 233-4—... 266, 267—nourri avec sa famille par M. de Poitrincourt, 268—va � la guerre contre les Almouchiquois, 270, 274.

MENANE, grande �le � la c�te des Etchemins, 172—... 194, 229, 263, 721.

MENENDEZ DE AVILEZ (Dom Pedro), chasse les Fran�ais de la Floride, 677-9.

MESSAMOUET, sauvage, va avec l'auteur � la d�couverte d'une mine de cuivre, 176-7—... 239—accompagne M. de Poitrincourt jusqu'� Chouacouet, 240—fait des pr�sents � Onemechin, 241.

MEXICO, visit� par Champlain, 25, 44—description que l'auteur fait de cette ville et des productions du pays, 25-44.

MEXIQUE, description qu'en fait l'auteur, 25-44.

MICHEL (Jacques), ren�gat fran�ais; conduit la flotte de Kenk � Qu�bec, 1154—... 1168-9—l'auteur le rencontre au Moulin-Baud�, 1239—contre-amiral de la flotte anglaise, ibid—conseil donn� par lui aux Anglais d�s l'Angleterre, 1243—... 124;—monte � Qu�bec avec le g�n�ral Kertk, 1252—l'auteur l'engage � parler au g�n�ral Kertk en faveur des filles donn�es par les sauvages, 1256—secret qu'il confie � l'auteur au sujet du g�n�ral, 1263—sa derni�re maladie, ses blasph�mes, ses plaintes contre les Anglais, sa fin malheureuse, 1267-73—ses obs�ques, 1273-4.

MINES.—Mines d'argent du Mexique, 28—mines de cuivre � l'Acadie, 114, 122-5, 168-70, 176-7—mines d'argent � la baie Sainte-Marie, 715—mines de fer � la rivi�re du Boulay, en Acadie, ibid.

MINES (port aux), aujourd'hui havre � l'Avocat, dans la baie de Fundy, 168-9—... 227, 273.

MIRAMICHI ou MISAMICHY, baie du golfe Saint-Laurent, 114, 719, 1087.

MIRISTOU, sauvage fort attach� aux Fran�ais, 1021—diverses entrevues avec l'auteur, 1022-8—prend le nom de Mahigan-Atic, 1024—conditions auxquelles il est re�u capitaine, 1027—fort bien accueilli de Pont-Grav� et du sieur de La Ralde, 1034—refuse de s'allier aux Loups contre les Iroquois avant d'avoir l'avis de l'auteur, 1118—ce qu'il propose pour pr�venir une rupture de la paix, 1119-20—monte aux Trois-Rivi�res avec l'auteur, 1122—nouvelles de sa mort, 1145.

MISAMICHY, ou MESAMICHY. Voyez Miramichi.

MISCOU (les..�les de), dans le golfe Saint-Laurent, 1045, 1062, 1067, 1085-7—La Ralde y saisit plusieurs vaisseaux faisant la traite contre les d�fenses, 1113—hiver de 1626-27, 1117—quelques fran�ais y hivernent, ibid—la maison est saisie (1628) par les Kertk, 1159—-la compagnie des Cents-Associ�s y envoie du secours (1631), 1315.

MISTIGOCHE, ou MATIGOCHE, nom que les Montagnais donnaient aux Normands et aux Malouins, 357, 360, 827.

MOCOSA, ancien nom de la Virginie, 61, 1307.

MOHIER (le fr�re Gervais), r�collet, baptise Tr�gatin, 1126.

MOINERIE (de la), commandant d'un vaisseau de Saint-Malo, en traite � Tadoussac, 437.

MOLUES (baie des), aujourd'hui Malbaie, 113, 1085.

MONAHIGAN. Voyez Nef (la).

MONTAGNAIS, sauvages du Saguenay et des environs de Qu�bec, 72-3—trafiquent avec d'autres nations du Nord, 86—exp�dition contre les Iroquois, 120-11467—autre exp�dition (1609) avec l'auteur, 321-48, 801-26—soixante montagnais vont � la guerre contre les Iroquois, 357—... 358, 828-9—r�ception qu'ils font � Champlain (1613), 436—... 745.

MONTE-CHRISTO, 19.

MONTMORENCY (Charles de), amiral de France et de Bretagne; Champlain lui d�die son voyage de 1603, 59—s'entremet de l'affaire du Canada, 967, 969, 982—nomme l'auteur son lieutenant, 983—vice-roi de la Nouvelle-France, 984—prise de possession du Canada en son nom (1620), 989-90—lettre qu'il adresse � l'auteur, 994—instruction qu'il donne au P. le Baillif, 995-6—pr�sente l'auteur au roi (1624), 1069—... 1072.

MONTMORENCY (saut), pr�s de Qu�bec; l'auteur le mentionne pour la premi�re fois, 89—ainsi nomm� par l'auteur, 792.

MONT-ROYAL, � une lieue de la Place-Royale (Montr�al), 391, 839.

MONTS (Pierre du Gua, ou Dugas, sieur de); fait le voyage du Canada (1599) avec le sieur Chauvin, 698—obtient du roi (1603) une commission pour le Canada, 704-5—fait son embarquement (1604), 154-5, 705-6—l'auteur, sur sa demande, l'accompagne, 706—fait, avec l'auteur, l'exploration des c�tes d'Acadie, 157 et suiv.—et de la baie Fran�aise, 165 et suiv.—fait une habitation dans l'�le Sainte-Croix, 173-5, 706-7—re�oit humainement les ma�tres des navires saisis par Pont-Grav�, 176—demeure d'abord dans le logement de Champlain, � Sainte-Croix, ibid—envoie Champlain � la d�couverte d'une mine de cuivre, 176-7—renvoie ses vaisseaux en France, 177—charge l'auteur d'explorer la c�te de Noremb�gue, ibid—... 184—fait faire des jardinages � Sainte-Croix, 188, 191—y fait accommoder une barque pour aller � Gasp�, 192—se d�cide � changer le lieu de son habitation, 193—son voyage � la c�te des Almouchiquois (1605), 193-224—transporte l'habitation de Sainte-Croix au port Royal, 224—part pour la France, 225-6—... 242, 260—sa commission r�voqu�e, 707-9—rappelle sa colonie de Port-Royal, 269, 273 et suiv., 708—remarques de Champlain sur ses entreprises, 135, 152-4, 709-10—charge l'auteur de faire une habitation sur le Saint-Laurent (1608), 283-6, 783 et suiv.—sa commission r�voqu�e de nouveau, 784—en sollicite vainement une nouvelle, 349-51, 785—... 394, 413—l'auteur lui rend compte du voyage de 1611, 413-4, 885—ses associ�s lui c�dent leur part dans l'habitation de Qu�bec, 414—confie � l'auteur le soin de former une nouvelle soci�t�, 414, 885—nouveaux articles dress�s par lui (1617), 968—... 595, 972—mort avant 1632, 1308.

MONTS-D�SERTS (�le des), ainsi nomm�e par l'auteur, 179, 724—description de cette �le, 178-81, 726—... 194, 261—�tablissement form� en cette �le par La Saussaye, 773—les Anglais s'en emparent, 773 et suiv.

MORE (le), forteresse de la Havane, 48.

MOTIN; ode de ce po�te sur les oeuvres de l'auteur, 143.

MOULIN-BAUD�. Voyez Baud�.

MOUSQUITES (port aux), 17.

MOUTON (port au), en Acadie, 155—description de ce lieu, 156-7, 712.

NACOU, port de la Guadeloupe, 10.

NASSE (La), surnom du sauvage Manitougatche; annonce le retour des Anglais (1629), 1220.

NATEL (Antoine), serrurier, d�couvre la conspiration contre l'auteur, et obtient sa gr�ce, 298-300.

NAUSET (port de). Voyez Mallebarre (port de).

NEF (�le de la), aujourd'hui appel�e Monahigan, 223. Voir note 2 de la page 222—... 731.

NEGRE (cap), � l'Acadie; pourquoi ainsi appel�, 157, 712.

NEUTRE (nation), ou Attiouandaronk, 546, 930—demeurant � l'ouest du lac des Entouhoronon (Ontario), 548—son arm�e de quatre mille hommes, ibid—pourquoi l'auteur ne s'y rend pas, ibid—alli�e � la nation du Petun contre les Assistagu�ronon, 548, 932.

NEUVE-ESPAGNE, 16, 21.

NIBACHIS, chef algonquin; r�ception qu'il fait � l'auteur, 452-3, 866—fait �quiper deux canots pour le conduire vers Tessouat, 454, 867.

NICOLET (rivi�re de). Voyez Dupant.

NIGANIS, ou NIGANICHE, dans l'�le du cap-Breton, 273, 280, 763.1468

NIPISSING (lac), ou lac des Nipissirini, l'auteur passe par ce lac en allant au pays des Hurons, 509-11—description de ce lac, 510-1.

NIPISSIRINI, ou NIPISSINGS, nation des Sorciers, 44, 458—mal vus des autres nations algonquines, 458-9, 871—bonne r�ception qu'ils font � l'auteur, 510-1—leurs moeurs et coutumes, ibid—... 549, 857.

NOIROT (le P�re), j�suite, arrive en Canada, avec des provisions (1626), 1079-80, 1108, 1111—... 1129—a quelque d�m�l�s (en France) avec M. Guillaume de Caen, ibid—venant � Qu�bec, rebrousse chemin � l'approche des Anglais (1629), 1207, 1240—on apprend de ses nouvelles par Joubert, 1248—son naufrage et sa mort, 1288-95.

NOREMB�GUE (c�te de); l'auteur en fait l'exploration, 177-87—... 340, 728—moeurs et coutumes des sauvages de cette c�te, 191-2, 735-6.

NOREMB�GUE (rivi�re de), aujourd'hui baie de Fundy; l'auteur a cru que c'�tait la rivi�re de P�nobscot, 174, 179—... 725, 731.

NORMANDS; furent des premiers � d�couvrir les terres neuves, 666.

NOROT, nom d'un commandant de vaisseau, mentionn� dans la lettre de David Kertk, 1159—et dans la r�ponse de Champlain, 1161.

NOTRE-DAME (monts), 1090.

NOUE (le P. Anne de), j�suite; son arriv�e � Qu�bec, 1112—monte au pays des Hurons, Ibid—demeure en Canada (1627), 1129.

NOUVELLE-ANGLETERRE, 1279.

NOUVELLE-�COSSE, 1279. Voyez Acadie.

NOUVELLE-FRANCE. Voir Canada. Premi�re fois que l'auteur mentionne le Canada sous ce nom, 657—sa description, 659-64—ses limites, suivant l'auteur, 1313.

OBENAQUIOUOIT. Voyez Abenaquis.

OCHATEGUIN, chef huron, 324, 803—arrive � la rivi�re des Iroquois apr�s la seconde bataille livr�e, 367, 833—descend � la traite (1611) avec deux cents de ses compatriotes, 397, 844—bless� � l'attaque du fort des Iroquois (1615), 533, 919.

OCHATEGUINS, nom que l'auteur donne aux Hurons, 17, 323, 346—sont les bons Iroquois, 349—...356, 358, 370, 453, 464, 803, 525, 834. 867.

OCHELAGA. Voyez Hochelaga.

OIES (cap aux), 1099-1100.

OISEAUX (�le aux), 985, 1081, 1084.

ONEMECHIN (Olmechin, suivant Lescarbot), capitaine almouchiquois, 200—chef de la rivi�re de Chouacouet, 241, 243—tu� par Sasinou, 274—son fils Qu�consicq lui succ�de, ibid-... 737.

ONTARIO (lac). Voyez Entouoronon (lac des).

OQUI, ou OKI, manitou ou g�nie chez les Hurons, 574 et suiv., 955 et suiv.

ORANI, chef sauvage, bless� � l'attaque du fort des Iroquois (1615), 533, 919.

ORL�ANS (�le d'), 88, 108, 294-6, 438, 603, 791-2, 1103—M. de Caen dit � l'auteur que M. de Montmorency la lui a conc�d�e avec le cap Tourmente, et quelques autres �les, 1065-6.

ORPHELINS (ban des), 1086.

ORVILLE (le sieur d'), l'un des compagnons de M. de Monts, � l'�le Sainte-Croix, 176—la maladie l'emp�che de commander � la place de M. de Monts, 225.

OSTEMOY, OSTEMOUY, ou Autmoin, jongleur ou devin chez les Souriquois, 335. 8l4.

OTAGUOTTOUEMIN, nation algonquine, 508, 900.

OTONABI (rivi�re), mentionn�e par l'auteur, 524.

OTOUACHA, premier village huron o� aborde l'auteur, 514, 905.

OUAGABEMAT, fr�re de Chomina, s'offre d'aller � la c�te des Etchemins pour traiter de la poudre; ce qui lui est accord�, 1216.

OUAGIMOU, ou OAGIMONT, suivant Lescarbot, sauvage, 265.

OUEL (le sieur). Voyez Houel.

OUESCHARINI, ou Ouaouiechkairini, nom algonquin de la Petite-Nation, 447, 467, 861, 880.

OUTAOUAIS (rivi�re des). Voyez Algonquins (rivi�re des).

OUTETOUCOS, capitaine montagnais; p�rit dans le saut Saint-Louis, 394-6, 842-3—ses compatriotes vont qu�rir son1469 corps, et l'enterrent dans l'�le Sainte-H�l�ne, 411.

OUYGOUDY, nom sauvage de la rivi�re Saint-Jean, 171, 720.

PANAMA, port, sur l'isthme du m�me nom, 44-5—l'auteur �met l'id�e de couper l'isthme, 45.

PANOUNIAS, sauvage qui fit, avec M. de Monts et l'auteur, le voyage du pays des Almouchiquois, 193-4—sa mort, 265 —son enterrement, 266-7—... 270—guerre � cause de sa mort, 274—avait �t� tu� � Noremb�gue (P�nobscot), par les gens d'Onemechin et de Marchim, 274.

PARMENIUS (�tienne), de Bude, savant hongrois, venu � Terre-Neuve en 1583; y p�rit, 1312.

PEMEMEN, fils de Sasinou, lui succ�de, 274.

PEMETEGOIT, ou Pentagouet. Voyez P�nobscot.

PENOBSCOT, ou PENTAGOUET, rivi�re du pays des Etchemins, appel�e par erreur Noremb�gue, 174, 179—ce que l'auteur en dit, 179-85, 725, 728-30—... 773, 782.

PENTAGOUET. Voyez P�nobscot.

PERC�, ou ILE PERC�E, 113-4, 116—l'auteur y rencontre Pr�vert, 121—... 286, 349—quantit� de vaisseaux y font la p�che (1610), 374—... 474, 601, 763, 1080.

PETUN. Voyez Tabac.

PETUN (nation du), ou Tionnontat�ronon; l'auteur se rend chez cette nation avec le P. le Caron, 545, 930—ce que l'auteur en dit, 545-6—ces peuples vivent comme les Hurons, 546.

PIAT (le P. Ir�n�e), r�collet; hiverne avec les sauvages, 1040—entreprend une mission � Tadoussac, 1041-2.

PIC (le). Voyez Bic.

PILOTOIS, ou PILOTOUA, devin ou jongleur chez les Montagnais, 82, 335—description de la jonglerie, 335-6, 814-5.

PILLET (Charles), matelot de l'�le de R�, assassin� par les sauvages, 603-5.

PLACE-ROYALE, � une lieue du mont Royal, 390-1, 839—description que l'auteur en fait, 390-3, 838-40—l'auteur y fait d�fricher et y fait faire une muraille, 392-3, 840—... 394.

PLAISANCE (baie de), � Terre-Neuve, 1082.

PLATTE (rivi�re). Voyez Malbaie.

PLESSIS (fr�re Pacifique du), r�collet; choisi pour les missions du Canada, 495—arrive � Tadoussac, 497—demeure � Qu�bec avec le P. Dolbeau, 499, 505—hiverne (1616-17) avec le m�me p�re, 595—� Qu�bec (1618), 615—repasse en France avec le P. Paul Huet, pour faire rapport sur les affaires du Canada, 630-1—sa mort, 987.

PLYMOUTH (port de), dans le Massachusets. Voyez Saint-Louis (port).

POITRINCOURT, ou POUTRINCOURT (Jean de), 163—sur le point de s'�garer aux �les aux Margots, 172—demande Port-Royal � M. de Monts, et retourne en France, 177-8, 765-6—revient � Port-Royal, 236-7—fait travailler au d�frichement, 237—part pour explorer la c�te de la Floride, et rel�che, 238—fait avec l'auteur un voyage d'exploration jusqu'au-del� du pays des Almouchiquois, 239-63—fait faire un moulin � une lieue de Port-Royal, 264—fait faire un chemin � Port-Royal, depuis l'habitation jusqu'� l'entr�e du port, 265—... 267—nourrit une partie des sauvages pendant l'hiver, 268—M. de Monts lui mande de ramener ses compagnons en France, 269—va avec l'auteur au fond de la baie Fran�aise, 271-3—demeure � Port-Royal quelque temps apr�s le d�part de ses compagnons, 273-4—son fils, M. de Biencourt, vient le rejoindre � Port-Royal (1611), 387—lieutenant de M. de Monts (1607), 708—laisse son fils � Port-Royal, 765-6—conditions auxquelles M. de Monts lui avait conc�d� Port-Royal, 766—y retourne, 767—renvoie son fils en France, ibid—... 771—� Port-Royal (1629), 1279.

POITRINCOURT (cap de), dans la baie Fran�aise, 272.

PONT-GRAV�. Engage le sieur Chauvin � demander le privil�ge de la traite, 697—fait le voyage du Canada comme lieutenant de ce dernier, 698—l'engage � fixer son habitation plus haut que Tadoussac, ibid—retourne en France, 699—choisi de nouveau pour faire le voyage de Tadoussac, 701—voyage de 1603, 65, 702-3—sauvages qu'il ram�ne de France, 70—essaye de franchir1470 le saut Saint-Louis avec Champlain, 101-2—de retour � Tadoussac, 112—emm�ne en France un jeune montagnais et une iroquoise, 126-7—part de France (1604) pour Canceau, 155, 706—M. de Monts envoie, du port au Mouton, une chaloupe au-devant de lui, 157—saisit quelques vaisseaux basques, ibid—M. de Monts lui envoie le capitaine Fouques � Canceau, pour avoir des provisions, 175-6—envoie � M. de Monts les ma�tres des navires basques saisis � Canceau, 176—arrive � Sainte-Croix (1605), 193—choisit avec l'auteur la situation de Port-Royal, 224—y reste en qualit� de lieutenant de M. de Monts, 225-6—fait accommoder une barque pour aller � la d�couverte le long de la c�te de la Floride, et fait naufrage, 229-32—atteint d'un mal de coeur, 230—retourne en France (1606), 238—maltrait�, � Tadoussac (1608) par un vaisseau basque, 288-9—l'auteur fait l'accord entre lui et le ma�tre de ce vaisseau, 289—garde prisonniers les auteurs de la conspiration contre Champlain, 301—monte � Qu�bec avec eux, 301-2—retourne en France, 303—de retour � Tadoussac (1609), 321—monte � Qu�bec et � Sainte-Croix, 326, 805—de retour de Gasp� � Tadoussac, 348—se d�cide � passer en France, ibid—de nouveau charg� de la traite � Tadoussac (1610), 350—fait embarquer, � Honfleur les choses n�cessaires pour l'habitation, 351, 785—de retour � Tadoussac, 356—monte en traite � la rivi�re des Iroquois, 365—... 368—retourne � Tadoussac, 370—forme la r�solution d'hiverner � Qu�bec, 371—Champlain l'en dissuade, 371-2—repasse en France, 373—� Tadoussac (1611), 387-8—monte au saut Saint-Louis, 393, 402—redescend � Tadoussac, 469—l'auteur s'embarque dans son vaisseau (1613), 435—les R�collets viennent en Canada sur son vaisseau, 497—arrive � Qu�bec avec le P. Denis Jamay, 499—est d'avis qu'il est n�cessaire que l'auteur aille assister les Hurons contre leurs ennemis, 502-3—l'auteur le rencontre qui revient du saut avec le P. Denis, 506-7—de retour en France (1616)—au saut Saint-Louis, 591—repasse. l'auteur en France, 595, 965—le ram�ne au Canada (1618), 599—... 614—monte �. Qu�bec et aux Trois-Rivi�res, pour la traite (1618), 615—... 620—retourne en France, 630-1—la compagnie veut lui donner le commandement de Qu�bec � la place de Champlain, 978-80—hiverne � Qu�bec (1619-20), 981, 991—parti de Qu�bec (1620) pour la rivi�re des Iroquois, 987—descend des Trois-Rivi�res � Qu�bec, et repasse en France, 991—arrive � Qu�bec (1621), 1005—monte aux Trois-Rivi�res pour la traite, 1006—lettre tomb�e entre ses mains, 1009—de Caen saisit son vaisseau � Tadoussac, 1009-13 —l'auteur lui d�p�che un canot aux Trois-Rivi�res, 1010—� Tadoussac, 1012—pr�sente � l'auteur une protestation contre de Caen, ibid—l'auteur prend vainement son vaisseau sous sa sauvegarde, 1013—de Caen lui rend son vaisseau, 1014—... 1015—part de Qu�bec avec le P. le Baillif, 1017-18—revient (1622), 1033—monte aux Trois-Rivi�res pour la traite, 1034—hiverne � Qu�bec (1622-23) comme principal commis, 1037—... 1038—malade de la goutte, 1039-40—� la rivi�re des Iroquois (1623), 1043—� Qu�bec (1624), 1065—... 1068—�meric de Caen lui d�p�che (1626) une chalouppe de Tadoussac, 1105—nouvelles de lui � Tadoussac, 1106-7—repasse en France, 1113—revient � Qu�bec (1627), � la pri�re de Guillaume de Caen, 1125—... 1141, 1153, 1159, 1183, 1206—embarras de sa position, 1208-10, 1211-12—demande � l'auteur de faire lire sa propre commission; l'auteur le lui accorde, et lit en m�me temps la sienne, 1210-1—signe avec Champlain la capitulation de Qu�bec, 1226—malade au lit lors de la prise de la place, 1228—y demeure encore quelques jours, 1232.

PONT-GRAV� (Robert), fils, perd une main au port Fortun�, 257—brouillerie entre lui et M. de Biencourt, apais�e par les p�res J�suites, 769—� Sesambre (1613), 776—recueille � son bord une partie des fran�ais de Saint-Sauveur, pour les repasser en France, ibid.

POR�E (Thomas), l'un des principaux membres de l'ancienne compagnie des marchands, 1008.

PORT-AUX-ANGLAIS, aujourd'hui Louisbourg. Voyez Anglais (port aux).

PORT-AUX-ILES, 203-4.

PORT-NEUF, lieu ainsi nomm�, plus bas que Tadoussac, sur le Saint-Laurent, 1093-4.1471

PORTO-BELLO, ou Portovella, 16—description que l'auteur en fait, 44—exp�dition que Drake y fait, 45-6—l'auteur y demeure un mois, 46.

PORTO-PLATTE, dans l'�le Saint-Domingue, 17—plan de ce port, ibid.

PORTO-RICO, 8—description qu'en fait Champlain, 11-16—comment les Anglais s'en empar�rent, 12-13—le g�n�ral espagnol y laisse garnison, 16.

PORT-ROYAL, conc�d� par M. de Monts � M. de Poitrincourt, 177, 765 —l'auteur et Pont-Grav� en choisissent la situation, ibid—description que l'auteur en fait, 224-7—on y transporte l'habitation de Sainte-Croix, 224, 708—habitation abandonn�e un instant, 233-4—on y retourne, 236—am�lioration qu'y font M. de Poitrincourt et l'auteur, 264-5—Champlain y �tablit l'ordre de Bon Temps, 268—le scorbut y fait quelques ravages pendant l'hiver (1606-7), 269—l'habitation abandonn�e, 274—sauvages qu'on y baptise (1610), 767—M. de Biencourt y vient rejoindre son p�re (1611), 387—M. de Poitrincourt y demeure encore en 1629, 1279—... 1285—au pouvoir des Anglais, 1299, 1314.

PORTOVELLA. Voir Porto-Belle.

POULAIN (le P. Guillaume), r�collet; plaintes que fait contre lui le sieur de Caen, 1009.

PRAIRIES (rivi�re des), 500—premi�re messe dite par les R�collets, 504—l'auteur passe par cette rivi�re pour aller au pays des Hurons, 507, 899-900.

PR�VERT (le sieur), de Saint Malo; envoy� par Champlain aux mines d'Acadie, 114—lui fait rapport de son voyage, 121-4—emm�ne en Europe quatre sauvages, 127—part de Gasp�, ibid—mine de cuivre d�couverte par lui, 168-70, 227.

PROVEN�AL (le capitaine), oncle de Champlain, pilote g�n�ral du roi d'Espagne, 6—repasse en Espagne la garnison de Blavet, ibid—se fait remplacer par Champlain pour le voyage aux Indes-Occidentales, 9.

PUISIEUX (monsieur de), secr�taire des commandements du roi; lettre qu'il adresse � l'auteur, 993, 994, 1017.

QU�BEC. L'auteur y mouille pour la premi�re fois, 89—... 108, 197—l'auteur y fonde une habitation, 296, 301, 303-4, 309, 784, 786, 792-3—premi�re ex�cution d'un condamn�, 302—maladie de la terre, 318-20—nombre des hivernants en 1608-9, 321—rejouissances qu'y font les sauvages (1609), 326—Pierre Chavin y commande (1609-10), 348—... 356—soixante montagnais y arrivent, 357—l'auteur y fait r��difier quelques palissades autour de l'habitation, 371—arriv�e de Desmarais, ibid—Duparc y commande (1610-11); nombre des hivernants, 373, 389—l'auteur y fait faire quelques r�parations (1611), 412—M. de Monts en reste seul propri�taire, 414—... 417, 434—hiver de 1612-13, sans beaucoup de froid et sans maladie, 438—... 497—l'auteur y fait construire (1615) la premi�re chapelle et le logement des R�collets, 499—premi�re messe c�l�br�e par le P. Dolbeau, 505—l'auteur en part pour aller au pays des Hurons, 506—son retour, 591-2—l'auteur fait augmenter l'habitation �du tiers pour le moins�, 593—on commence � y faire de la chaux, ibid—... 601—meurtre de deux fran�ais commis par des sauvages, 601-14—arriv�e de l'auteur (1618) et du personnel de la traite, 615—l'auteur y demeure quelques jours pour visiter les travaux, 615-17—... 615des traitants, 630—... 782—c�d� par M. de Monts � quelques marchands de La Rochelle, 784—l'auteur l'offre � madame de Guercheville, 785—les difficult�s entre les associ�s (1612-13) emp�chent l'auteur de rien faire pour l'habitation, 892—�tat des personnes qui doivent y �tre men�es et entretenues pour l'ann�e 1619, 973—mauvais �tat de l'habitation (1620), 987-8—arriv�e de l'auteur avec sa famille, 989—prise de possession au nom de M. de Montmorency, ibid—r�paration de l'habitation et commencement du fort Saint-Louis, 990—l'auteur construit ce fort contre le gr� des marchands, 991, 992—fait parachever le magasin, 1015—armes et munitions d�pos�es en 1621, 1016-7—deux familles inutiles renvoy�es par l'auteur, 1019—ordonnances qu'il publie pour le maintien du bon ordre, ibid—famine caus�e par la division entre les deux soci�t�s, 1020—nombre des personnes qui hivernent (1622-23), 1037—... 1039.—travaux faits � l'habitation (1622-23),1472 1039-40, 1042—on essaye d'engager les sauvages � descendre y faire la traite, 1043—arriv�e des traiteurs, 1050—nouveaux magasin, dont l'auteur donne le plan, 1051-3—il y fait faire un chemin pour monter au fort Saint-Louis, 1053—fait travailler au fort (1623-24), 1054-5—un coup de vent enl�ve la couverture du ch�teau, 1055—l'auteur fait continuer les travaux � l'habitation, 1057-8, 1059, 1066—premi�re pierre du nouveau magasin, 1057-8—observations m�t�orologiques de l'auteur (1623-24), 1053-4, 1058-9—d�part de Champlain et de sa famille, 1066—le sieur �meric de Caen reste commandant � sa place, 1067—population en 1624, ibid—arriv�e des J�suites, 1070, 1076—... 1079—disette de vivres (1626), 1106-7—arriv�e de l'auteur, 1108—travaux de l'habitation peu avanc�s, ibid.—population en 1626, 1109—l'auteur reconstruit et agrandit le fort, 1110-l—fait couvrir la moiti� de l'habitation, 1111—fait amasser et scier le bois de charpente, 1115—un des ouvriers des p�res J�suites meurt de la jaunisse (1626), ibid—un enfant de Caqu�mistic enterr� au cimeti�re de l'habitation, ibid—population en 1627, 1130—l'entretien du fort n'est pas du go�t des associ�s, 1131-2—deux fran�ais tu�s par les sauvages, 1134 et suiv.—premier labour fait avec des boeufs, 1144—disette de vivres (1628), 1150-2—sommation de Kertk (1628); r�ponse de Champlain, 1163—l'auteur fait faire un moulin � bras, 1170—puis un moulin � eau, 1172—hiver de 1628, 1172-5—disette extr�me, 1171-5, 1184-90—population en 1628-29, 1189—lecture publique des commissions de Pont-Grav� et de l'auteur, 1211-2—retour des Anglais (1629), 1221-2—nouvelle sommation des Kertk, 1223—capitulation, 1223-7—les Anglais en prennent possession, et pillent le magasin, 1228-9—effets trouv�s dans la place lors de la prise, 1229-30—d�part de l'auteur, 1232—visite du g�n�ral David Kertk, 1252—d�marches pour obtenir la restitution de cette place, 1277-81, 1295-7, 1325-6—deux vaisseaux anglais en reviennent (1630), 1304—nouvelles qu'ils apportent, 1304-5—conspiration ourdie par un ministre contre le capitaine Louis Kertk, 1325—le fort et l'habitation sont rendus � la France, 1326.

QUECONSICQ, fils d'Onemechin, lui succ�de, 274.

QUENECHOUAN, saut ainsi appel�, 444, 858.

QUENONGEBIN, ou Kinounchepirini, nation algonquine, 446, 860.

QUENTIN (le P. Jacques), j�suite, missionnaire en Acadie, 772—fait prisonnier par les Anglais, 773-5—conduit en Virginie, puis en Angleterre, 775-80.

QUINIBEQUI. Voyez Kin�bec.

QUINIBEQUI (lac de), ou baie de Merry-Meeting, 222.

QUIOUHAMENEC, chef almouchiquois, 242.

RALDE (le sieur de La); M. de Caen annonce � l'auteur (1621) qu'il le lui enverra de Tadoussac, 1006—arrive de France (1622), 1033—monte aux Trois-Rivi�res, 1034—redescend � Tadoussac pour aller � Gasp�, 1036—lieutenant du sieur de Caen, ibid—diff�rend avec H�bert au sujet des pri�res, ibid—� Miscou (1624), 1062, 1067—retourne en France, 1068—nomm� g�n�ral de la flotte du Canada (1626), 1079-80, 1103—se rend � Miscou, 1104—donne le commandement de son vaisseau � �meric de Caen, 1104-5—mande � Qu�bec qu'on lui envoie l'Alouette pour lui pr�ter main-forte, 1113—laisse � Miscou quelques fran�ais pour hiverner, 1117—nouvelles de son arriv�e � Tadoussac (1627), 1121—... 1125—indispos� contre les J�suites, 1129—re�oit n�anmoins le P. Lalemant en son vaisseau, et le traite bien, 1130—part dans la Catherine, 1130—... 1132, 1151.

RALLEAU (le sieur), secr�taire de M. de Monts, accompagne l'auteur dans l'exploration de la c�te d'Acadie, 157—son entrevue avec le chef Secondon, 171—repasse en France, 177—revient � Port-Royal (1606), 236—arrive de Niganis (1607), 273.

RAM�ES (�les), dans le golfe Saint-Laurent, 1084.

RANG�ES (les �les), � la c�te des Etchemins, 178, 194, 262, 724.

RANG�ES (les �les), � la c�te d'Acadie, 277, 497.

RASE (cap de), � Terre-Neuve, 127, 1082, , 227.1473

RASILLY (le chevalier de), attendu en Canada (1629), 1239-40, —les vaisseaux de la nouvelle compagnie devaient le rejoindre avant de partir pour Qu�bec, 1248, 1283,—sa flotte envoy�e au Maroc, 1249—... 1283-4,—�lu g�n�ral de la flotte du Canada, 1296,—pr�pare � La Rochelle, un nouvel embarquement (1632) 1326-7.

RAYE (cap de), � Terre-Neuve, 67, 384, 387, 436, 1081-3.

RAYE, ou REYE (Pierre), charron, ren�gat fran�ais; se donne aux Anglais, 1229.

R�ALLE(la), vaisseau du sieur Desdames, dans lequel le P. Nicolas Viel et le fr�re Sagard pass�rent en Canada, 1042.

R�COLLETS. Le sieur Houel sugg�re � l'auteur de demander des religieux de cet ordre pour les missions du Canada, 491—quatre sont choisis, 495—leur arriv�e � Tadoussac, 497—leur premier logement � Qu�bec, 499—... 896-7, 988-9, 1001, 1050, 1219—repasse en France, 1276—trois religieux de cet ordre vont � l'Acadie, 1297-1301.

R�CONCILI� (le), sauvage ainsi surnomm� par les Fran�ais; accepte des pr�sents de la part des Loups pour se joindre � eux contre les Iroquois, 1118—ce que l'auteur trouve fort mauvais et fort dangereux, 1118-9—se rend secr�tement aux Trois-Rivi�res, o� il se montre oppos� � la guerre, 1120, 1122—va en ambassade chez les Iroquois, 1124-5—sa mort, 1126-7—il avait tu� deux fran�ais au cap Tourmente, 1127—... 1149.

RIBAUT (Jacques), neveu de Jean, commandant d'un vaisseau � la Floride, 678.

RIBAUT (Jean); son exp�dition en Floride, 672-9—d�faut observ� dans son entreprise, 687-91.

RICHELIEU (le cardinal de); l'auteur lui d�die son livre de 1632, 643.

RIDEAU (rivi�re), mentionn�e par l'auteur, 448, 861.

RIVI�RE-PLATTE (cap de la), ou cap aux Oies, 1099.

ROBERVAL (le sieur de), 151—son exp�dition au Canada, 692, 1310.

ROBIN (le sieur); ses conventions avec les missionnaires du Canada, 768.

ROCHE (ruisseau de la), au port Royal, 167.

ROCHE (marquis de La). Voyez La Roche.

ROCHELLE (La); M. de Monts y envoie les vaisseaux basques saisis par Pont-Grav� � Canceau, 176—... 237, 413.

ROCHERS (anse aux), quelques lieues plus haut que Tadoussac, 1097.

ROQUEMONT (Claude de), 1157—nouvelles apport�es de lui � Qu�bec par Desdames, 1164, 1168—fautes qu'il commit, suivant l'auteur, 1168-9—nouvelle de sa prise par les Anglais, 1191-2—... 1274-5.

ROSSIGNOL, capitaine de vaisseau; on donne son nom � un port de l'Acadie, 156—son vaisseau envoy� � Canceau, 175-6.

ROSSIGNOL (port du), en Acadie; origine de ce nom, 156.

ROUGE (l'�le), vis-�-vis l'entr�e du Saguenay, 1096—�meric de Caen y �choue (1629) � la vue des vaisseaux anglais, qui le laissent repartir, 1245.

ROUMIER, sous-commis au magasin de Qu�bec; hiverne de 1619 � 1620, et retourne en France, 991—commis de la nouvelle soci�t� (1621); apporte � l'auteur plusieurs d�p�ches, 1007.

ROYAL (port), en Acadie, 161—ainsi nomm� par l'auteur, 166, 717—description de ce port, 165-7—... 169.

RUOS, ou RUAULX (�le aux), 1101—sert de marque pour suivre le chenal, 1102.

SABLE (baie de), en Acadie, 158, 712.

SABLE (cap de), pr�s de la baie de Sable, en Acadie, 158-9, 163, 235-6, 712—�tabilssement du sieur de La Tour en cet endroit, 1298 et suiv.

SABLE (�le de); Sir Humphrey Gilbert y fait naufrage, 151, 693—le marquis de La Roche y laisse des hommes et des munitions, 152—description de cette �le, 155—... 280.

SACO. Voyez Chouacouet.

SACQU�, pour Sagn�, 327. Voyez Saguenay.

SAGARD (le fr�re Gabriel), r�collet, arrive en Canada (1623), 1043—part pour le pays des Hurons, avec le P. Viel et le P. le Caron, 1049-50—en revient (1624), 1063-4.

SAGUENAY, rivi�re, 68-9—description que l'auteur en fait, 84-6, 290-2, 788—source de cette rivi�re, 327—direction pour y entrer, 1092-3.1474

SAINE (baie), ou de Chibouctou, aujourd'hui baie d'Halifax, 275, 760.

SAINT-ANTOINE (rivi�re), au port Royal, 167, 718.

SAINT-BARNABE (�le), dans le fleuve Saint-Laurent, 1091-2—le sieur de Roquemont y donne rendez-vous � Desdames, 1166-7.

SAINT-CHARLES (rivi�re), quelquefois appel�e simplement la Petite-Rivi�re, primitivement rivi�re Sainte-Croix (voyez ce mot), 669—prise en glace (novembre 1623), 1053—l'auteur y fait faire un chemin � la Sapini�re, 1054—... 1157.

SAINT-DOMINGUE (�le), 17—description de cette �le, 21-2, 50-1—... 674.

SAINT-�LOI, petite �le du fleuve Saint-Laurent, 93, 323, 803.

SAINT-�TIENNE (le), vaisseau de Saint-Malo, destin� � porter des vivres � Sainte-Croix au printemps de 1605, 193—porte en Canada les p�res R�collets, 497.

SAINT-JEAN (�le), aujourd'hui �le du Prince-Edouard, 124—les Basques s'y retirent et se mettent en d�fense (1623), 1045—se saisissent du vaisseau de Guers, ibid—... 1087.

SAINT-JEAN (rivi�re), appel�e des sauvages Ouygoudy, 170-1, 174, 177, 720-1—projet d'y faire une habitation, 1300-1.

SAINT-JEAN-BAPTISTE. Voyez Cabiague.

SAINT-JEAN-DE-LUZ, en la Nouvelle-Espagne, 24-5—l'auteur y arrive, 24—description de cette forteresse, 24-5—l'auteur y retourne, 46.

SAINT-JULIAN, ou SAINT-JULIEN (le), navire du capitaine Proven�al; du port de cinq cents tonneaux, 6—retenu pour le voyage des Indes, 8.

SAINT-LAURENT (baie de), partie m�ridionale du golfe du m�me nom, 169, 279, 763.

SAINT-LAURENT (cap de), au nord du cap Breton, 67-8, 286, 387, 1081, 1083.

SAINT-LAURENT (fleuve), appel� Grande-Rivi�re de Canada, 68, 89, 95, 124—d�sign� pour la premi�re fois par l'auteur sous le nom de Saint-Laurent, 183—... 209, 557, 659, 663, 728, 734.

SAINT-LAURENT (golfe); description que l'auteur en donne, 1083-90.

SAINT-LAURENT (�le de), ou �le du Cap-Breton, 115.

SAINT-LOUIS (cap), 208—ainsi nomm� par M. de Monts, 210—... 212, 244, 744, 746.

SAINT-LOUIS (fort), � Qu�bec, commenc� par l'auteur (1620), 990—appel� de ce nom pour la premi�re fois, 1053—l'auteur fait faire un chemin pour y monter plus facilement, ibid—travaux qu'il y fait faire, 1054-5—un coup de vent enl�ve la Couverture du ch�teau, 1055—l'auteur le reconstruit (1626) et l'agrandit, 1110-1—l'auteur l'entretient contre le gr� des associ�s, 1131, 1188-9.

SAINT-LOUIS (fort et habitation de), au cap de Sable, o� commandait le sieur de La Tour, 1314.

SAINT-LOUIS (port), aujourd'hui Plymouth, dans le Massachusets, 211, 747.

SAINT-LOUIS (saut), appel� d'abord le Grand-Saut, ou simplement le Saut, 86—description de ce lieu, 100-5, 396-7—... 370, 388, 390—un jeune homme, du nom de Louis, s'y noie (1611), 394-7—... 414, 416—traite de 1612, 459—traite de 1613, 438-9, 470-3—... 442, 507—traite de 1615, 497, 500—traite de 1616, 591—les sauvages demandent qu'on y fasse une habitation, 592—... 670, 701.

SAINT-LUC (le mar�chal de), 5, 702.

SAINT-LUC DE BARAMEDA. Voyez San-Lucar de Barameda.

SAINT-MALO. Pr�tention des habitants de cette ville au privil�ge de la traite du Canada, 415-17.

SAINT-MATHIEU (pointe de). Voyez Alouettes (pointe aux).

SAINT-NICOLAS, port et cap de ce nom, 19—combat entre les Espagnols et les Fran�ais, 19-21.

SAINT-PAUL (�le), � l'entr�e du golfe Saint-Laurent, 67, 286, 387, 1081.

SAINT-PIERRE (�le de), pr�s de Terre-Neuve, 67, 354, 387, 1082.

SAINT-PIERRE (lac), �largissement du fleuve Saint-Laurent, mentionn� pour la premi�re fois par l'auteur, 94, 96—description qu'il en fait, 96-7, 327-8, 806-7—... 347.

SAINT-SAUVEUR, habitation form�e par La Saussaye, dans l'�le des Monts-D�serts, 773—pris par les Anglais, 773-5—le capitaine Argall y retourne, rompt la croix que les p�res y avaient plant�e, et en plante une autre avec le nom du roi d'Angleterre, 777.

SAINT-VINCENT (cap), 7—les Espagnols1475 y prennent deux vaisseaux anglais, 52.

SAINTE-ANNE du Grand-Cibou, au Cap Breton. (Voyez Grand-Cibou). Secours que la compagnie des Cent-Associ�s y envoie (1631), 1315—assassinat du lieutenant Martel, commis par le commandant du fort, 1316-7—le capitaine Daniel y r�tablit l'ordre, 1316 et suiv.

SAINTE-CATHERINE (la). Voyez Catherine (la).

SAINTE-CROIX, commandant d'une pinasse, � Sainte-Anne du Cap-Breton, 1318—le capitaine Daniel l'envoie de l� � Tadoussac, ibid—ses pelleteries lui sont enlev�es par Thomas Kertk, 1321—d�sarm� par un vaisseau basque; revient � Sainte-Anne, 1321-2.

SAINTE-CROIX (�le), dans la rivi�re de ce nom, 173—M. de Monts y fait faire une habitation (1604), 173-6, 706—d�part des vaisseaux, en 1604, 177—M. de Monts y fait faire des jardinages, 188—ce qui s'y passe de remarquable pendant l'hiver (1604-5), 188-93—l'habitation est transport�e au port Royal, 224—on y trouve de tr�s-beau bl� l'ann�e suivante, 239—... 723, 731.

SAINTE-CROIX (�le), dans l'Outaouais; l'auteur y plante une croix avec les armes de France, 451, 864.

SAINTE-CROIX (pointe), aujourd'hui le Platon, sur le fleuve Saint-Laurent, 90-2—le fleuve y est fort rapide et fort dangereux, ibid—... 322-3, 326-7, 617, 802-3, 806.

SAINTE-CROIX (rivi�re), aujourd'hui rivi�re Saint-Charles, o� hiverna Jacques-Cartier, 304-9.

SAINTE-CROIX (rivi�re), ou rivi�re des Etchemins, 172-4, 178, 186, 239—petit passage de la rivi�re Sainte-Croix, 262.

SAINTE-H�L�NE (�le), en face de la Place-Royale, 393, 840—les Montagnais y enterrent Outetoucos leur chef (1611), 411—... 442, 857.

SAINTE-H�L�NE (le port), � la c�te d'Acadie, 276, 761.

SAINTE-MARGUERITE, port d'Acadie, 161-2, 716.

SAINTE-MARGUERITE (rivi�re), qui se jette dans le Saint-Laurent, 117.

SAINTE-MARGUERITE (rivi�re), en Acadie, 275, 760.

SAINTE-MARIE (baie), en Acadie; description qu'en fait l'auteur, 161-2—M. de Monts s'y arr�te, 163—il n'y trouve aucun lieu pour s'y fortifier facilement, 165—... 167—son vaisseau en part pour l'�le Sainte-Croix, 175—... 716.

SAINTE-MARIE (cap de), � Terre-Neuve, 66, 286, 1082,.

SAINTE-MARIE (rivi�re), aujourd'hui Sainte-Anne de la P�rade, 323, 803.

SAINTE-SUSANNE (rivi�re), aujourd'hui rivi�re du Loup, qui se jette dans le lac Saint-Pierre, 328, 807.

SAINTE-SUSANNE du cap Blanc (rivi�re), 212, 748.

SALEMANDE (la), vaisseau de 150 tonneaux, command� par Pont-Grav� (1621); vient � Tadoussac, 1000.

SAN-LUCAR DE BARAMEDA, 8—plan de cette ville par Champlain, ibid.

SANTEIN (le sieur), commis du sieur Dolu (1622); apporte � Qu�bec la nouvelle de la r�union des deux soci�t�s, 1022.

SASINOU, chef de la rivi�re de K�n�bec, 196-7, 222-3—Onemechin et Marchim tu�s par lui, 274—son fils Pememen lui succ�de, ibid—... 733-4.

SAUMON (port au), 1098-9.

SAUMON (rivi�re au), 293, 790.

SAUSSAYE (le sieur de La); son entreprise en Acadie, 772-3—surpris par les Anglais, 773 et suiv.—se rend � Londres pour demander la restitution de son vaisseau, 780-1—... 782.

SAUT (le), ou le GRAND-SAUT. Voyez Saint-Louis (saut).

SAUVAGES. Moeurs et coutumes des Montagnais et des Algonquins, 71-84, 120-1, 310-14, 333-7, 340-9, 366-7, 455-9, 793-7, 798-800, 803-5—moeurs et coutumes des Hurons, 519-20, 562-90, 908-9, 944-63—moeurs et coutumes des Souriquois, 266-7—des Etchemins, 183, 191-2, 198—des Almouchiquois, 200-1, 207-9, 210, 2l6-18, 248-50—sauvages du Labrador, 1088-9.

SAVALETTE, capitaine de vaisseau basque, 277-8, 762.

SAVALETTE (port de), en Acadie, 277-8, 762.

SAVIGNON, jeune huron que garde l'auteur en �change d'un fran�ais, 370, 834—... 390—envoy� par l'auteur au-devant de la flotte huronne, 393, 841—sur le point de se noyer dans le saut Saint-Louis, 394-6, 843—fr�re du capitaine Tregouaroti, 1476397, 844—se loue de son voyage en France, 398, 845—l'auteur lui donne son cong�, 404, 850.

SECONDON (ou CHKOUDUN suivant Lescarbot), chef de la rivi�re Saint-Jean, 171—avait montr� la mine de cuivre � Pr�vert, 227—... 239—accompagne M. de Poitrincourt jusqu'� Chouacouet, 240—... 202, 205.

SESAMBRE, �le � la c�te d'Acadie, ainsi appel�e par les Malouins, 275, 760—une partie des Fran�ais de Saint-Sauveur, avec le P. Mass�, y viennent trouver Robert Pont-Grav�, 776.

S�VILLE, 8—plan de cette ville par l'auteur (1598), ibid—... 52.

SILLERY (Nicolas Br�lart de), chancelier, 441, 856.

SIMON (ma�tre), mineur, accompagne l'auteur, 160, 715.

SIMON, sauvage ainsi appel� des Fran�ais, 1055—l'auteur essaye vainement de le dissuader d'aller faire un coup chez les Iroquois, 1055-6—change de r�solution, 1057—compromet la paix en assommant un iroquois, 1064.

SOISSONS (Charles de Bourbon, comte de). L'auteur l'engage � prendre le Canada sous sa protection, 432—ce qu'il accepte, 433, 886 et suiv.—sa commission, 433 —nomme l'auteur son lieutenant, 433, 886—sa mort, 434, 887—... 1072.

SONDE (canal de la), 23.

SOUBRIAGO, g�n�ral de la flotte espagnole, 7, 9.

SOUP�ONNEUSE (la), �le, 256, 759.

SOURDIS (madame de), contribue � l'approvisionnement des missionnaires du Canada, 767.

SOURICOUA, rivi�re; probablement la m�me que G�da�c (Shediac), 114.

SOURIQUOIS, sauvages de l'Acadie, 115, 184, 728, 743.

STADACA, pour STADACON�, 307.

STADACON�, nom d'une bourgade sauvage, situ�e pr�s de la pointe de Qu�bec, 307.

STUART (Jacques), milord �cossais que le capitaine Daniel rapporte avoir �t� au Cap-Breton en 1629, 1285—le capitaine Daniel s'en saisit, 1285-7.

TABAC, ou PETUN, appel� herbe � la Reine, 50—les mariniers et autres personnes en usent, 51—les sauvages en pr�sentent � Pont-Grav� et � l'auteur, 71.

TABAGIE, festin des sauvages, 70-2, 438, 457-8, 870—tabagie des Hurons, 563-6, 587.

TADOUSSAC, port � l'entr�e du Saguenay; description de ce lieu, 70-4, 84-6, 112-3, 119-21, 286-7, 290-2, 786-9—distance de ce port � l'�le aux Li�vres, 86—l'auteur y arrive pour la premi�re fois (1603), 68—en repart, 121—les sauvages de l'Acadie s'y rendent par la rivi�re Saint-Jean, 171—... 298, 321—ce qui s'y passe de remarquable en 1609, 321, 347-9—la traite, en 1610, y est fort mauvaise, 371-2—d�part des vaisseaux, 374—arriv�e de Champlain (1611), 387—Pont-Grav� y demeure pour la traite, 388-9—arriv�e des vaisseaux (1613), 436-7—les p�res R�collets y arrivent (1615), 497—arriv�e des vaisseaux (1618), 601, 614—...617—d�part des vaisseaux, 631—l'auteur y arrive avec sa famille (1620), et y rencontre son beau-fr�re, 986—vaisseau rochelois y faisant la traite contre les d�fenses, 986-7—... 991, 1000—vaisseau de Pont-Grav� saisi par de Caen (1621), 1008-13—l'auteur s'y rend pour accommoder les difficult�s, 1010—ce qui s'y passe en 1621, 1005, 1008-15, 1017—en 1622, 1034, 1036-8—un vaisseau espagnol y vient espionner le sieur de Caen (1622), 1038-9—... 1092-3—arriv�e du vaisseau de la compagnie (1626), 1107-8—... 1128—les Kertk s'en emparent (1628), 1154, 1158-9—en repartent apr�s avoir br�l� les barques, 1163-4—... 1172—David Kertk y fait monter une barque (1629), 1249—on y enterre Jacques Michel, contre-amiral de la flotte anglaise, 1273-4—la compagnie des Cent-Associ�s y envoie faire la traite (1631), le vaisseau rel�che � Miscou, 1315.

TAILLE (La), fran�ais soup�onn� d'avoir pris part (1608) � la conspiration contre l'auteur, emmenott�, puis remis en libert�, 301.

TANGUEUX (�le aux), 163.

TARDIF (Olivier le), de Ronfleur, truchement; � Qu�bec (1622-23); d�p�ch� � Tadoussac, 1042—sous-commis � Qu�bec (1626-27), 1113—remet, de concert avec Corneille, les clefs du magasin au capitaine Louis Kertk, 1228.

TECOUEHATA, chef sauvage, arrive au saut Saint-Louis avec quatorze canots, 411.1477

TEQUENONQUIAYE, village huron, appel� plus tard Ossossan�, La Rochelle, Saint-Gabriel et la Conception. L'auteur y est bien re�u, 516, 906.

TERRE-FERME, 16.

TERRE-FERME (rivi�re de), au Mexique, 28.

TERRE-NEUVE. L'auteur mentionne d�s 1603 plusieurs points de cette �le, 66-7—... 561—par qui d�couverte, 666-7—... 1081—description de cette �le, 1082-3.

TESSOUAT, chef algonquin, 76 note 1—l'auteur se rend chez lui (1613), 454, 867-8—bonne r�ception qu'il lui fait, 454, 457 et suiv.; 868, 870 et suiv.—...461, 876, 878—l'auteur prend cong� de lui, 467, 880.

TESSOUAT (�le de), aujourd'hui �le des Allumettes, visit�e par l'auteur (1613), 455-6, 868.

TESTU (le capitaine), homme fort discret. Natel lui d�couvre la conspiration contre l'auteur, 298-9.

TH�MINES (le mar�chal de), vice-roi pendant la d�tention du prince de Cond�, 966—en proc�s avec les associ�s, 967—arr�t du conseil en sa faveur, 969-70—les envieux t�chent de faire rompre sa commission, 970—d�bout� de ses pr�tentions, 982.

THIBAUT (le capitaine), de la Rochelle, accompagne Champlain � sa seconde exp�dition (1610) contre les Iroquois, 360—l'auteur repasse en France (1611) dans son vaisseau, 413.

THOMAS, truchement pour les Algonquins; accompagne l'auteur dans son voyage de 1613, 453, 460, 462, 465, 866, 874-5, 878—... 552 note 2.

TORTUE (�le de la), 17, 18.

TORTUE (�le de la), � l'ouvert de la rivi�re K�n�bec, 194, 197, 732, 734.

TOUAGUAINCHAIN, village huron; l'auteur y est bien re�u, 516, 906.

TOURMENTE (cap), � dix lieues au-dessous de Qu�bec; pourquoi ainsi nomm�, 294, 791—... 603—visite qu'y fait l'auteur (1623) avec M. de Caen, 1051—M. de Caen y retourne (1624), et assure � l'auteur que M. de Montmorency le lui a conc�d�, 1065—... 1102-3—l'auteur y fait une habitation (1626), 1100—-plan des logements, 1110—on y envoie les bestiaux, 1114—l'auteur y descend, ibid—hiver de 1626-7, 1117—meurtre commis en ce lieu plusieurs ann�es auparavant par le R�concili�, 1127—nombre de personnes qu'on y emploie, 1131, 1189—voyage qu'y fait l'auteur (1627), 1133—... 1152—prise et destruction de l'habitation par les Anglais, 1154-8, 1204, 1244—l'auteur y envoie une chaloupe pour voir le d�g�t fait par l'ennemi, 1163.

TOUS-LES-DIABLES (pointe de), aujourd'hui pointe aux Vaches, pr�s de Tadoussac, 69, 287, 436. Voir Vaches (pointe aux).

TOUS-LES-SAINTS (baie de), � Terre-Neuve, 1082.

TOUTES-ISLES (baie de), � la c�te d'Acadie, 157, 276, 761.

TRAITE des pelleteries. Traite de 1603, � Tadoussac, 70, 703—vaisseaux basques faisant la traite � Canceau (1604), contre le privil�ge de M. de Monts, 157, 176—� Tadoussac (1608), 287-90—� la rivi�re des Iroquois (1610), 365-70—�seconde traite� (1610), fort mauvaise, 371-2—se fait (1611) � Tadoussac et au saut Saint-Louis, 388-9, 393, 397-412, 838, 844-53—traite de 1613, au saut Saint-Louis, 438-9, 466, 470-3—de 1615, au m�me lieu, 497—... 509, 511—traite de 1616, au m�me lieu, 591—de 1618, aux Trois-Rivi�res, 601, 615, 617-8, 630—traite de 1621, au m�me lieu, 1006-8—traite de 1623, au cap Massacre, ou de la Victoire, pr�s de l'entr�e de la rivi�re des Iroquois, 1045-50—traite de 1624, � Qu�bec, 1064—de 1626, 1108—Pont-Grav� remplac�, comme premier commis, par Corneille de Vendremur, 1113—traite de 1627, � la rivi�re des Iroquois, tr�s-bonne, 1121-2, 1128—traite de 1631, peu abondante, 1324.

TREGAT�, ou TRACADIE, entre la baie des Chaleurs et la baie de Miramichi, 114, 170, 719, 1087.

TREGATIN, sauvage baptis� par le fr�re Ger vais, 1126—ne pers�v�re pas, ibid.

TREGOUAROTI, capitaine huron, fr�re de Savignon; descend � la traite (1611), 397, 403, 844—emm�ne avec lui un fran�ais, 408.

TREMBLAYE (La), commandant d'un vaisseau de Saint-Malo, en traite � Tadoussac, 137.1478

TR�PASS�S (baie des), � Terre-Neuve, 1082.

TRESARD, jeune homme de La Rochelle; Champlain ne lui permet pas de l'accompagner � la traite, 390.

TRICHET (Pierre), avocat, de Bordeaux. Pi�ce de vers compos�e par lui sur les voyages de l'auteur, 647.

TROIS-RIVI�RES (les); l'auteur mentionne ce lieu pour la premi�re fois, 94—�les qui sont � l'entr�e, ibid—l'auteur est d'avis que ce lieu serait propre � une habitation, 94-5—... 327—on y fait la traite (1618), 601, 615, 617-8, 630—... 806—traite de 1621, 1004—les sauvages y tiennent conseil (1627) sur la guerre des Iroquois, 1120-21.

TRUITTI�RE (la), petite rivi�re � l'ouest de Port-Royal, 264-5.

TSONNONTOUANS. Voyez Entouhonoron.

TUFET (le sieur), commence une habitation � l'Acadie, 1297-8—peu de succ�s de son entreprise, 1301-2.

TUILLERIE (monsieur de la), 1240.

UBALDINI (Robert), nonce � Paris, lors du d�part des R�collets pour le Canada, 492 note 2.

VACHES (pointe aux), appel�e d'abord pointe de tous les Diables, 69, 287, 436, 787, 1092.

VARIN (Jean-Baptiste), envoy� � Qu�bec par M. de Caen, 1016.

VENTADOUR (Henri de L�vis, duc de), vice-roi du Canada, 1069-70—nomme l'auteur son lieutenant, 1071 et suiv.

VERA-CRUZ, 25.

V�RAZZANO (Jean), florentin, d�couvre les c�tes de la Floride, 667, 1309-10.

VERTE (�le), dans le Saint-Laurent; les Rochelois y font la traite contre les d�fenses, 1015, 1094-5.

VERTE (�le), � l'Acadie, 276-7, 761.

VERTE (rivi�re de l'�le), 276, 761.

VICAILLE (la), vaisseau de David Kertk, d'o� est dat�e la sommation de Qu�bec, 1161.

VIEL (le P. Nicolas), r�collet, arrive en Canada (1623), 1043—monte au pays des Hurons avec le P. le Caron et le fr�re Sagard, 1049-50—nouvelles qu'en apporte Du Vernay (1624), 1063.

VIERGES (cap des), � Terre-Neuve, 1081.

VIERGES (�les des), ou Las-Virgines, 674.

VIEUXPONT (le P. de), j�suite, missionnaire (1629) au Grand-Cibou, 1287—son naufrage, 1289-92—va trouver le capitaine Daniel au Grand-Cibou, 1294—retourne en France (1630), 1303.

VIGNAU (Nicolas de); ses impostures, 440 et suiv.; 855 et suiv.—conditions auxquelles l'auteur lui pardonne, 471.

VIGNIER (le sieur), agit pour le prince de Cond� dans l'affaire du Canada, 967—promet obtenir � M. de Montmorency la commission de vice-roi, 982.

VILLEMENON (le sieur de), intendant de l'amiraut�; s'entremet pour M. de Montmorency dans l'affaire du Canada, 967, 982—lettres qu'il adresse � l'auteur (1621), 993, 995—nouvelles lettres, 1007.

VIMONT (le P. Barth�lemi), j�suite, missionnaire au Grand-Cibou, 1287—retourne en France (1630), 1303.

VIRGINES (les), la VIRGINIE; les Anglais de cette colonie s'emparent de l'�tablissement de La Saussaye, � l'�le des Monts-D�serts, 773—d�vastent Sainte-Croix et Port-Royal, 777—ancien nom de la Virginie, 61, 1307.

WAYMOUTH (George), capitaine de vaisseau anglais; mention de son voyage � la c�te de la Nouvelle-Angleterre, 222-3.


FIN









End of Project Gutenberg's Oeuvres de Champlain, by Samuel de Champlain

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809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
[email protected].  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     https://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.